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W COLLECTION LïTTÉRAtRE. -<e<- Hoc~ rit H~nt~M~MBfMn, DESCLÉE, DE BROUWER & C'% -.1895. 1 !M~)~T~MT~V~* ~t ~L~<< TM~t~m~ JStMc 1: MMtra~ ~c~nttMqu~ Bar A. LECOY DE LA MARCHE.

Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

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Page 1: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

W COLLECTION LïTTÉRAtRE. -<e<-

Hoc~ rit H~nt~M~MBfMn,

DESCLÉE, DE BROUWER & C'%

-.1895. 1

!M~)~T~MT~V~* ~t ~L~<<

TM~t~m~ JStMc1:

MMtra~ ~c~nttMqu~

Bar A. LECOY DE LA MARCHE.

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I~c Trc(3<Èmcjg<Mc

Kt~rair~ et B;c~nt<f~M<.

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j <

'U~t~~f~t~oK~tU~~)~J~*P'~M~<<<

Tr~tht~ JStM~

!M~mh~ et sc~nttftqu~

par A. LECOY DE LA MARCHE.

-<0t- COLLECTION LïTTÉRAÏRE.-<ot-.t–t–t..t.t~.t.~tt~ <

Hoc~M H~nt~M~H~n,

DESCLÉE, DE BROUWER <& C'%

)aa~

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TOUS))HOn'Sttt:SEHVf:S.

Page 7: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

~i&~i&jRy~trt-i/ictnc sièc)e occupe dans te moyen .e

n ) t~)~~).tp)ac<'<(UL'tientdansj'antiquitctesiectt'

~~f~~ (h' Pô ictus, dans)t's temps modernes )e sicch'

ttt'!<<'t)isX!V.i)('st,c<]t)un''t'ux,tc'p(tintt:u))ni)):mt

t!'unc)~))~))upcri()dt',i't'x['r('ssio)t)aj'htSt'-)cv<ft!es

aspiratiuns et de t esprit d'um' Mociutcm~aniscc d'une

<;tç<wp!t)'tictt)K'r<Ju) rett'u)tpnccdt'm<n<'))t ) hisu'tt't*

du gr.md rn) (lui )c pcrson)tttit' j'.t! icttcontrc sur tnon

chonin presque toutes les grandes questions pu)<t!qu<'s

et snci:des<}ue peut soulever l'étude du moyen itj~t':en

peignant aujourd'hui )t: taoieau des tettres et des

sciences au temps de saint Louis, j'esquisserai force-

ment l'état inte))ectue! tic la nation française durant

près d'un millier d'années.

Le treizième siècle peut donc être considère a bon

droit comme une entité et comme une synthèse. !)

marque même parmi les grandes époques de l'histoire,

parmi celles qui ont exercé sur les destinées de

l'humanité une inlluence décisive. Supérieur aux a~es

précédents sur beaucoup de points, inférieur aux a~esS

suivants par quelques côtés seulement, c'est avant

tout un siècle de progrès. Dans le domaine de la théo-

logie, dans celui de la philosophie, le pas franchi par

'<.eXin'i~fcfm.<;t~i<;M. i

Page 8: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

~~facc.6

st's docteurs<'st énorme. Pourta haute ctoquuoct'. pour

).<poésif épitjUf, i) n-stea pt-u prcs stationnaire; maih.

pour k:s autres genres poétiques et pour ).t p)')p.trt dus

~t'nn's df ht pruse, pour t'bisu'in', pour la ~co~ruphte.

poor h's scit'ncfs physiques <'t ntathcmatifjucs, sa

)n:ttt:h<'<'n av.uu <*stn<'nc)n<')U :tco)s~< C'est Rt une

vcrht' qu'un on pt'ut p)ns <)t<'stt')'. ft qn<' l'un en))

tfstt'rit muins t'ncorc, j'~sc t't'spcr~'r, apr~s t.t tt'cturc

<h's pa~<"<(p)!suivMOt.!.<:t<')nps<;st passe<~u!'<))tjutait

imptoximcm a )a face des si~ctus chrctit'ns par <;xc<:t-

tcocc )(: «'prncht: d'ignorantisme. de somxoh'nct: et

d'itmn')hi)it< La critique tnoucrttMa fait justice de ces

accusations, dictées par !a routine ou le parti-pris Hn

eh'') chant simptcmcnt la hxnicrc, <')!c est arriva' à

proctatncrqut! notre civinsation tout entière est issue

du moyen &(;<

C est cette muvrc de réparation tardive, qui sera

) cternet honneur de notre époque, que ce livre a la

prétention d'apporter une modeste contribution. Ses

visées sembleront peut-être un peu moins téméraires, si

ron son~e qu'it est le résultat d unetongue série d'études

spcciates. Déjà, en effet, cinq ou six vo!umcs ont été

consacrés par t auteur aux hommes ou aux choses du

treizième sièc!e, et ce!ui-ct à son tour sera suivi d'un

autre qui en tonnera le complément naturel, traitant

Page 9: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

StMate. 7

de l'histoire des arts durant ta même puriodf. !n outre.

la plupart des m.tticrt's qui font t'u~t-t d<' « s diftu-

rentes publications ont etu abordées dans ).t chaire

d'histoire dt*t'Uoivcrsitc catholique de t'aris, au tt'txps

<mcent- tribune ctait dchout: temps heureux, que j'ai

dû expier depuis p.u ptus d uoe souttrance, tuais nu il

m'a ctc donné, en revanche, de router une des joies

tes p)us pures que Nx'nune puisse éprouver ici-bas.

cette de taire passer directement ses convictions et ses

sentiments dans t amf de ses semhtabtcs. Quelques uns

des mêmes sujets ont etc e~att'ment euleures, sous unf

forme plus concise <'t plus rud)tncnM<r< dans les

conterences de ta satte Atbcrt te Grand, of) ia fondation

de t'ensei~nt'ment supérieur libre des jeunes fûtes m'a

valu ensuite, avec des amertumes d'un autre genre, des

encouragements on ne peut plus précieux. Qu'on tnc

pardonne de saluer en passant toutes ces sympathies

qui sont venues a moi comme une consolation dans tes

jours d'épreuve

Je me suis enbrcc de rendre moins indignes d'eites,

moins indignes du grand public, auquel je les adresse

aujourd'hui, ces études d'histoirc Httërairc, inspirées

avant tout par l'amour de la vérité. Hn leur donnant

leur forme définitive, j'ai tenu a les compiler, à les

appuyer sur des preuves plus solides, sur des citations

Page 10: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

8 Mttfatc.

et des exemples plus nombreux. Je me suis souvenu,

en un mot, d<<aégards q)x' jf devais au tectcur. et, s'ili1

trouve <:ncore dans ces trop d'imperfections, il

est, du moins, un ftible meritH qu'il voudra bien. j''

l'espère, reccnrtaitre a t'écrivait) c<'h)i d'avoir etc. a

)'inst:u*des penseurs dit treizième siecte, un chercheur

«hstinc.

Page 11: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

p

Ii'c Trd~mc Stecfc jj

)Fzittitairt .1tt

t

Scielitioque.e 1]~tttcM<M (t BcMntt8<!u<.

C~apttccpremier. Da taneuc.

SOMMAtRK. –Orixt"" t' '<' <t< fMt'çfttfe. Part tuut

A ft)tpfp)Mntt~r)'tttt' t)e r<tttnttn< U'Ux <)j)')s sa Ctttxptmith't)

t))nu'<ne" tt"s tiv't't aithtts et du t*i<ut<)t«'<ttt<' fr««ç«t:i".

û)!ft)rn<att"tt <tr.niu<'tt" <it' fnutx 1't <te ta ttytttitte chez les

p~ttptf!) ttUtna. Pfo<t<t' tnonumentst <)<'t'tttttmx' vutgfttrf

St") progrèa et son ~ot'r'M" <'«"))'))<')) au Xttt'~cte. Rtjth's

t<Mtn«tatteat'"i !<utvhM~c<'tt<' ttpu<tt)e. Lu hmn dtMchtfOtt't

des <c<M~ aft oaract~fet, s"<) uaft~a. t-ft c«"t«tt:~«tc<'<(u

grec, des h)t)«Ut'!t orianUttei), des ~«tM" vivaxtt's.

U!(OX<Jt'H \c')t ctt«)it'r soicuscnn'ot t'ct.tt

)tt(f))ccH)c)dt))K'('j)')<)m'"u<)'ut)j):tys,<)uitj)<tr-

tt')')'.t))«x) su)) attcntx't) so) )L"'<)cux \<ht-

eûtes ordinaires de toute sctence et de tutttehtteratmt':

la tangue et t'ensei~nement. t.a to~itjue \cttt ttooc que nous

cx!uni)u«t)s en ['rentier )icut'i')iu)nccntj<)")'c au troxiont'

sicctc et toutes )cs<jm:sti<'))s subsidiaires <~i~yr~

chcot; car, .naut't'écrire «u<)ciirc,iif;tut savoir par)cr

ou comprendre, et,))«ur se f:uniti:trist;r avec des monuments

tittcraires qm'tcotttjue.s, il f:tut preataMonent connaitre t'in-

strutnent 'tout les auteurs se sont servis pour exprimer tcurs

pensées.

Cette étude particutioe oHr' plus d'un ~eore d'in-

térêt. KUe embrasse trois points dinerents, repondant a

Page 12: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREMÏÈME SIÈCLE10

xutattt de Vitri~t~s tk' tan~c. H y i). o) effet, au temps de

saint Louis. otK' tangue \n)~trc fomp~'ttnwnt h'rntLu

(tit))Htted'<'tt<tut<tnnHedo<;).~()icst d'un usant'n<n''r.d

p<)ur)ap:tro)ectd'u))nsi(~'ti~ptusenptusfrf()m'))tp"ur

tes montxnentst'crits.tt vanne t.m~uM savante, )<t)anK"e

<tcs ttcn's t't t)fs n~)t's, c'est-tUrc )c latin, un tutin (wticu

(icrt't d'xt) on)')"i restreint. <! va tôt))), cuounuc)) tout

tt'))<))s,<tt". !;tt)nt)t"<<"t))j))t;tt')n''))t ctr.'o~oc'i.nx'rt~sttH

\i\t))tc~.t)Ht.'t'"))ctH))it')<h)s'))))))"it)'t.'n<)cscu))M't

()\'))trftM)iru))t'tt)n)nt'rc<s('ita\c<)c'<a<)tc))rs)Utt;iut)s.s«it

i(\t;t; dt's cootrcc-it'tint.utK's. \t)U<:t))"))s u"t)')<:cu(tcr

sttcct".si\t')nct)tf(ccc'.tr<')'ist)jfts.

!.f t:tn~:t~< .'t sun urit{in< est Mhttot) <U\i)t. f.tit t'hctnmc

dans tt'sj'ronicrsjttnr'ith'ox'ndc.n est tittn.mifL'st.ttiutt

<)c la poxscc, i) t'n est tu si~ou cxtt-ricur il il t)tt exister,

et) jtrixcijn', Ilès )t' nxttncnt <ti) )c ( rcatt'nr a insume sun

esprit t'ans sa crcaturc ()ri\'i)<{;icf. )) est <(<mc lui sco) ooc

ptt'uvc <)c )'cxistt'))''t; <)c t'atnft'tttu la harricrc)nfr;u)''hissah)c

qui .scj'.trc la race hmnainc'tt's autres csj)~;cs:u)itm''<;s.Prct)L'i;

r~trc )t' ptnt rapjtrocM <k ('h"nuuc. t)cr(<:ction!tci'-)c, sctcc-

ti<)t)t)cx-!c )K'n<)ant )niHc ans, jtfttdaot <)uaraotc sincks vous

))'<t))tict)<)rux tout au j))us tju'U)) du ces charmant, aoitnaux

tt«nu'sti<(Ucs <)«nt «n <)it il ne lui )nan<)uc <(uc la parutc.

Oui, !nais il lui t))a)M(Ucra toujours la ))aro)c.<.)u'"n me trouve

un sinnc (lui se soit entendu une scu)e (ois avec un clc ses

sembtahtes pour articuler des mots et attacher à chacun (Feux

ux sens précis, et je croirai a t'ori~'ne simienne de l'humanité.

Ainsi, !e tan~a~e en soi est une grande chose it est, au tond,

la marque de l'unité de notre espèce et de sa supérioritéla marque de l'unité de notre espèce et de sa sujjeriorité

éternelle. Mais, de même que Dieu a lancé les astres dans

Page 13: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. 11

t't'<p''cef)))eu)'disant: Rouk'<)Ufti))teutmt suivant (esr~tt's

nittureHes tjuc je vous ai tracta" !)~)iv<e tes fi~cuttcs de

Chononeateur ))rt)preessttr,ettap.tro)ehu)nainen'.tph)s

t'tesou)ni-(t't'))suitt-t)tt''tu\)oisdtt)at)s)o)tna<io)))~)))iLTt'

))<))'<t's (t.tr tfs t't<'))t'«)t'))tf. par )t's ))ti~f.(ti")ts des j)t'))p)cs,

)):tr(c'irc\f')u<i"n-'j)n'\idt'))t)c))c'!<h))n't))t)c.)';)rt)''tt')'t

t)i-')tfr'iit'))dft!.t)x.'t.<(')i.s))U'i)')t)t)';(rt'mt't('m)ch.)tf)))C))t,

t':tch.(it t))))'"intcs<c))tit')dt)())tu)<)h'it) car ))icn\<'u).tit

t)u'ityt'ttsttr)itt';rtcdcs~'t))t)c-.<)itt't')t'))t<.t)m-)'))())n~t)it~

Vt'ct~t ex so~ictcs distinctes, et ):tt'"nf))sjt)n')cs)at)~(tc''t'<;tit

t)t''j.)!it<<'))'):tti<'))<k'ct'-it)itti")t!ditcs\:(t'.trti)t)ccctn<"nc)tt,

)u )at)~c, toujours un <)i)t)ssun j<r!))ei{)f, :<fcvct)) <k's ft<r<))f<

v.tn<'c'<.<j))i se '.<t))t<))<M<t<!<'<sM) sens <(iv<'t'i sot)-. <)t's

)n<tt<ct)c<'sdiverses. ))):tis tjui se s"))t ~ruoj't'es eejx'ndant en

tjuatfe t'u'')))<) ~Huxtestattuttes: h ~uxOtt'iodtemtc.ta

~ttttiHc jt:rs.tt)e, la famitte ~<'t))):u)«)ue. )a t'amiXt; ccttitjtte, la

~u))i)!c)J~!as~it)t)c.At't'tt<' dt'roit't'c.tj'~articnt httan~ttt'

!ati))M.<t)a):u)~;uc)ati))c<'st)at))c)\)<')at)"trc.

)'~t)disant <n)c te tatin a produit k' frao'.ais. t'«t) ne dit j'cot-

~tre pas assfx ec)a a t'air d'une a~rtoatt'))) ha))a)t'. d'ux <ait

iodcttttt et t'a~uc. H taut aj«utcr ((t)c //M/) /<v/ <<<'

<Aw<'y//<' ~f/w //tW.~</7/ Ott croit asst;<'e<nn<)U)n'')nft)t <)m-

notre tangue est te rcsuttat du tnctat)~' de ptusicurs idiotocs

anciens. Mais non )fs auttt's idioncs n'ont eu .sur sa consti-

tution qu'une innucncc insi~ninantc.a ))fincaj)j)rcciab)c. !)c

cc tju'ot) trouve un certain nombre de tnots français issus du

Urée, du cettitjuc ou <)u ~ertnai'), il ne s'ensuit ))as <;u'i) y ait

eu un atna)na<ne de ces divers etctnent'! et ou'iis se soient

cotnbines a t'on~nc pour <hrtncr un diatcctc noovcao. !<

'ioence pht)o!o{~i<jue a fait trop <te propres pour <)ue )of)

Page 14: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SïÈCLE.ta

puisse ruditer cette \iei))e tucorie. Cour ce oui e-.t du ~rec.

i) )' H eu des mots de cette tangue in))'(')rt<s thtxs ).t n<trc

t)).tisc('))m)H)t?t.!(p)))j)arts"nt<)t".tertnt' savants, ()f

t n'ati"" r''ct'))tc, f")~cs par !s ht'tnmt's <)c ht Kcx.tiss.tncc uu

mofn' j'hts tan), .ttcrs t)t)c )c français avait depuis ton~toxps

st~) t'\i'*t< <)«' )\~))))th' ~'t sa tconiut'tt'~ic o')))p)ctc eu sont

t)c-- t))"ts tnhnitjtn's. <:u)n))K' /'Z'/A'<W('t'. «<

:<<t<n)m')<u))t<(t".)'xjtrt'ssi()))s<)t)i"t)t)'ass~'

<)'a)'<<x)))(t~tcc')at)s)t')ati)).puis <)))t.ttit)<)a))s te ft.tm.ais,

t't<)t)i.)'a)«'))sc<j))Ct)t.))t'))<'u-.so))t)'as\t')n)t's<)ircctt-'))~'nt

(tt'tcut t")''))t'")init't')tc.()t) o'tt) tt"uv')ait nocrct')) dehors

<)t'ccs<)o)xc!t~)it's;o).ri<-))()t' )))us nature),car")) ne

«))))j)tc))ait pas )<)\'<' <) )''ram'<' an )n")'cn a~saufquf)')ucs

t)")n)t)<<t'cHn)<ctt't)tK')c )'a))ajat))ais<-))<)au)ctju'a

!a)-.t'i))t',t(ui<'taitUt)t'a))<ict)t)t' c<')()t)ic<tc)'h"t'ccs.<)u

<)a))s un ta)<'t) très )M))'))cautour ()ct'ctt<i))<

t.'it)uu<'))c<'<k')atau~uc<'t')ti')m'aurait <)uctrcbif)))))us

«)usi<)<r.t)t)< puisque <cttc):u)){UCt'tait )'i<)iouu.' priutitif.

)'!<)!< oucuatif'tes habitants <)(')a<!au!c.t'<)urtau)i!u'<uc-it

ricu:)''s)a<)i<auxt'c)ti'(ucss')Utcut)'cs))ftit<L'nunoritc<)aus

tes )u«ts fraudais, et )c<)ia)cct<')uat<'rnc)<k's(iau)<))s,t)«s

pures \critah)<'s, n'a laissé <)Uc des t)accs fort cffacccs, avec

icsqucHcs toute )a science uxxteruc a bien de la peine a

reconstituer un eu)bry<)))<)ev<'ca))u)aire. Ou a ron.trque

seu)enteut <(uc nous (tevions a sou empire iuvotontairc. outre

certaines expressions, la substitution des sy))abes sour<)es et

nasate-' aux sy)!abes sonores correspondantes en usat;c chex

)es Rotnains y< <w, pour <w~c, ~/< <wf, etc. !,a

prouonciation ce)ti()uc a innuc de bieu d'autres façons sur la

déformation du tatin mais très peu de mots cettiques se sont

Page 15: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. 13

perpétues. ( e pheucmeue, quoique ptus etonn.mt, peut s'ex

ptiquer~us-ti. Kuttccept.u)t)c jt'u~ tes institutions, tes

m'eurs (te Kt'me.taGaute avait attopte avec empressement

sa )n:wicrf (k' p.utcr; t-))c s'ctfm faite )<nn:ti))c tuut t-'xticrc. Il

s'était passe jtt)urc))c)ccf'ntritirc<)cn<)()isf)<.)ss.)j)t)m).t

(<)ccft('r''t)t)'e))cf))tc«t)')ni'!C)K)r)t's){<))n:tins:):tt\j'n)')i<)Uc

)atit)c se )')it<)\-t)th"t)si.ts)))t'("'m )t')'cu)'k'))cHt))it)t)t'et''t-

tnit.t t'imiter ft) tout :)t" \t)it)cu-'st)bju~))frt'))t)cs\ai))

(tttcttrs.tM.u'icu C.miu )c.ai))t(<n')))'. 'k'nn'tttctt'ttt )<

)n.)itrc'!mt"ut.cts'.t))t)cscrc))t)''<ut)cnst)).ttc)n-)tt')))c))t

et )))"ra)ftt)c))t. t'<M)r<(tt"icette <)iftcrcmc t.cHcak-? t'arcc <)Uf

ta (tfocc c<')tt[uisc ('tait {'tus c)\ itisce <(m.-Mutoc co)h(m'r.mtt'.

tit))<)i''t(u':m<:<'t)ttai)cK"t)K'ct)n<jm'<!U)t~<'t:ut(')u'<civitisw

'juc )a (<:mt<c<'n()uisc. t.'innwntctt"tnin:mtt-,n))~n.'i)c~s,yua· lu (~:utlt~aaauluisa., l: inllm·naw ctwmiuautu, t·u Iv:vrt·ilc;vs,

finit toujours p:n rcsto'.n)))cupK')t')~us.n.t))Ct't.tr )(')"-

Ht'es est cunt.~ieux. !t preuve, c'est ()ue ('inverse eut )ieu

')U:t))t!)cs<L)er)))ai))Sit)eurtuur occupèrent te s<')~.n))"is:

et:U)tp)us barbares <)ue tes j)t')m):ttiot)S()e ce s')).i)'i ne

purent tes convertir a eux; mais ce t'urent eux )netnes<)t)i

adoptèrent peu a peu tcur.'i ))abitu<)es.teursu)'t)n's,)eur

rétinien. t.a(<aute avait été tatinisee:ene ne fut point

~ennanisee.

t'eci nous faitcon)p)en<)re.a ta <ois. comment il subsista

sur notre terre si peu <!e \csti~;es <)e ta (.m~ue cettioue, et

co)n)))ent )a tangue }{et)nat)i<jue ) jeta si p~) <te racittes.

Cepen<t:u)t, sur tes trois etonents etranners au tati)). c'est cc

<)ernier qui <tetei~nit, pour ainsi <){re. sur te t'rancuis dans

ta proportion la plus forte, ou ptutot la moins faiMe, par

suite (tu contact intime et proton~e <tes nouveaux habitants et

des anciens. Kuus avons retativement un assex ~ran<) nombre

Page 16: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREÏZÏÈME SÏÈCLE.14

de mots a racine germanique. Mais qu'on ne s'y trompe

pus ces tennis ne furent point (tes )abord naturatises gau-

tois les descendants ((et Cettes nu les employèrent pas au

même titre que ceux de la tangue maternette. Us les emprun-

tèrent par fuite de cet esprit d'imitation <~)i s'est ))t'r)<~tuc

chcx nuus c<t))t)w uou traditif')) natu'n.dc. et tjni ncu-. f.'it

aujourd'hui encore etoprunter A nos voisins tes mots de .~<7,

~< A'<< et tant d'iMtres. Ces derniers tnots sont-i)s

francises pour ce)n? t.a chose serait <)imci)c, t'n raison de

teur structure. Kh bien ceux 'nte nos aïeux répétaient pourtes avoir entendus frc<)unn)nent dans ta bouche des !rancs

n'étaient pas davantage t{aUiciscs ou romanises. C'est seute-

ment a )a tondue qu'une partie d'entre eux parvint a s'accti-

mater, mais a )a condition de s'adoucir et de se latiniser nos

gosiers n'étaient point faits pour les rudus aspirations

~ennanioues, et te non) de <f(~'«~, ponr citer un

exempte entre mille, ne s'est répandu cheit nous que )e jour

oh il s'est présente sous ta for<ne ptusetenanteetptuscivitisee

de /f/«t'/<7<j ou /.<WM.Donc, à t'orittine, t'etement ~ennain

n'a pres<tuc pas contribue non plus à ta (onnation de notre

tangue.

Tous ces pseudo-cottaboratcurs écartes, que reste-t-it

comtne auteur direct de t'idiome que nous partons ? Le latin,

et te latin seul. Sur mille mots français, il y en a bien neuf cent

quatre-vingt-dix-neuf qui n'ont pas d'autre provenance que

le latin. Seulement, i)s ne viennent pas tous en droite tigne

du latin pur, du latin classique beaucoup viennent d'un

latin ~utgaire, corrompu, ou du moins modine, qui servit

d'intermédiaire entre te tangage des beaux temps de ta

république romaine et te français primitif. Comment s'opéra

Page 17: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. )5

).) .snbsthuti")) le cc!tt' basse httinitt* Acette tati'xte onti'jne?

t'ar ouettcs causes, de guette manière et sou'' l'empirc de

uuettes circonstances se forma cet idiome. innomme jusqu'à

présent, (lui n'est plus le latin proprement dit. oui n'est pas

encore le roman, mais ()U'on peut apjtetfr prcstjttf aussi

jnstoneot <)c l'un «u t)c t'atttrc ()e ces noms, puistju'i) tiott te

milicu entre k"< deux ? Voila !a t~K-stio)) tapitatc. v«i)a )c

poutt vrauncnt intocss.utt. et ta nit t"nt te set rct <)csuri~incs

de notre tan~ut;. Ca)' il ne s'a(;)t pas scu)<')W))t<(<'<)~«'))\tir

et (te <)e<nontrcrcomme quo! tcttf sy)ta)tc a <tt?chi<)ot~'Ou

<aç«tt, cotnmc <)un)les <t<s)ncncessont t<ttnb<'< c<')M)ncquoi

ce v«c.tb)c ancien a produit ce t'ocabtc xum'cau. Tout ccta,

)cs phi)«)<'{;ucs<)cnos juurs t'opt (ait .ncc .socccs ils le font

encore, et ils font bien. Mais la phi!"t"~ic ne doit pas se

cantonner dans la constatation <)e ces ))ht'-n")net)cs elle ne

doit pas se confiner dans le ~nt pur et sin)p)e. sons peine de

rétrécir l'esprit de ses adeptes en le eoneentrant sur des

innnitnent petits. HHc d"it s'etever plus haut, et rechercher

tes causes cite doit tirer (le la connaissance des nx'ts )a

connaissance des choses eHes-tnones, et en faire jaiHir des

tunneres nouvelles pour l'histoire intellectuelle et morate de

t'humanite. Voilà comment cette science peut acquérir une

veritabte portée sociate; voita cotntneje )acotnpren<)ra)s,avec

la synthèse jointe a t'an.dyse, at'ec la phitosophic de la lin-

~uisthjue. t'ourouoi neviserait-ette pas, par exemple, .t établir

sur des bases certaines la loi de ta migration des peuples et

l'unité de la race humaine ? Pourquoi n'etudierait-eHe pasdans les locutions d'origine germanique Ics tno~urs des

Germains ? On peut bien reconnaitre tes caractères de t.t

nation anglaise à l'aide des motsquettea importes chez nous.

Page 18: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LETREÏZÏEME SIÈCLE.16

J'en citais trois: .< ~'<<'<t~. Un obser\ateur conclura

de leur propagation toute particutiere<me tes.\n{;iais sont

atnatenrsde courses, qu'ils sont d'habités in~énieurs,<m'i)s sont

de grands min<n''ws, et il ne se trompera pas. t'om'tjuoi ne pas

applique) te même système aux importations ptus anciennes,

puisque tes termes qui se répandent te p)us snot toujours ceux

t(ui cortt'spoudcut .tu\ idées on aux objets te j'tus eu faveur?

M.us on o'it~uere compris ainsi la ()hi)«)o~ie jns<(u' ce jour.

Kss.tyoos ef deux )))ots de detenniocr tes causes umne-

diatestjui:une))ere))t.j):u)'a)ter:ttio)) du ).)ti)).)a formation t)e

nutre tangue pritoitive. et de demetcr les rapports <tece ~ran<)

enfantement avec tes événements de )'epo<)uc ou avec t'etat

de ).t société. Ceci est nécessaire pour expliquer )edcve)oppc-

ment rapide de notre idiome nationa) et son ma~nifi<)ue

épanouissement .m trei/.ieme siecte.

I~eux t;nts, d'une portée immense ttans ('histoire de t.t

(:au)e. me paraissent avoir particutiercment inftue sur )e

phénomène dont je parte )e channement de croyance reti-

~ieuse et )e changement de régime po)iti(me. !) peut sembter

et<~nnant, au premier coup d'<ei), '[ue la religion chrétienne

soit pour quetquc chose <tans )cs modiftcatiotts de la fonne

donnée chex nous a t'expression de la pensée. Il en est ainsi

cependant, et il était écrit que la France devrait au christia-

nisme non seulement sa constitution, non seutement sa force

et sa grandeur, mais jusqu'à ta tournure de son tangage, je

m'cxp)ique. Des que te pays fut converti à la foi (ct cette

conversion fut complète au quatrième siecte, après t'apostotat

de saint Martin), un livre unique fut dans toutes les mains

un seul texte fut sur toutes les lèvres et dans tous les cœurs

tes pasteurs te répétaient journellement aux ndetes, le:

Page 19: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. t7

ftdeje.s Je récitaient à t't'~tise c'était ht Ilible, et speciatt'ntent

t'Évan~ite. Or, tons ceux qui <'nt lu i'Kvan~ite en latin

savent que ce latin n'est pas celui de ( iceron ni de Vir~ite

c'est un tatin a part, mauvais peur les puristes, admirable

pour ceux qui ne recherchent que la pensée, mais incontes-

tabtement difterent de t'autre pour tout le monde. Ce qui le

caractérise surtout, c'est la suppression presque constante des

inversions, si fréquentes et si compliquées dans la latinité

etassique. La phrase est construite dans )'ordre tonique de )a

pensée, eomtne dans l'hébreu, dont cette version est un calque

aussi exact que possibte. Eh bien ceia. c'est )a construction

française. Les gens superficiels trouvent tneme le texte

evan~eHque trop semblable au français, trop clair pour être

du bon )an~a~e. Mais ce n'est pas lui qui s'est confonne au

~enie de notre fan~ue, puisfju'ette n'existait pas encore c'est

au contraire notre langue qui s'est modelée sur lui, ce sont

nos aïeux qui, a force d'entendre t'Kvan~ite, et les i'eres,

dont le style avait déjà subi l'influence de t'Kvan~ite, et les

prêtres qui commentaient et t'Kvan~ite et te.s Pères dans la

même forme, prirent peu à peu l'habitude de construire leurs

propositions comme le faisaient autrefois les Hébreux, avec

tesquc)}. pourtant ils n'avaient nulle communauté d'origine,

c'est-à-dire en mettant le sujet en tête, puis les adjectifs, puis

le verbe, puis les régimes, et ainsi de suite. « 6~<w <o ~M/M

<f.fc/'y/yc~M/<Y.~M< y/< /? <<M //t'/w/M ~tyM,<'r«'

Wf~V«~ f~'M'M/t' P<<M/ y<û~WMW, ~<V/<'Y.- est qui

~«/<Mest ~'C.t'yM~/7/W t~<?M fWW J.*<W <y/<y 0/7t'<

< !'<<WM <!<~M~ <ww. » (Matth., n.) Jamais un Romain

n'aurait bâti une phrase ainsi et jamais un patën n'aurait

disposé ses mots comme le rédacteur du Symbote des

Page 20: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME StÈCLE.t8

apûtres < Cn*~ <M/«w, /'<t~vw ~ww~/t'w/t'M, ~<t/<M.'w

<M7<</ /t'~< cte. )t Voilit dc)A ta langue de t'Kgtise, vui):\ la

tangue du nouveau peuple chrétien, voilà la future langue

française, au moins quant à ce qui est de la construction et

de l'allure générale. Je me borne a donner cette curieuse

preuve de t'innucnce de ta religion, quoiqu'on en puissetrouver d'autres, pour passer H t'inRuencc dcs événements

politiques.La distoeation de t'empire d'Occident brisa te tien qui

unissait t.t G.tutc a la Rome antique. t.es Gaulois conservè-

rent les apparences romaines, parce qu'ils s'étaient complète-

ment assimiles a tours vainqueurs mais aussitôt, ne cultivant

plus tes orateurs ni tes écrivains classiques, n'entendant plus

parler les vrais Romains, ils commencèrent à jalonner un

peu le génie national, la prononciation locale reprenaient

facilement le dessus (tes que le frein qui imposait l'unité

n'existait plus. tt y avait bien est chez les habitants du

Latium même, et sans doute de tout temps, un idiome

vulgaire et parlé, différent de l'idiome élégant qui servait à

la littérature. Ce bas latin avait pénètre chcx les Celtes, et

il devait y être plus répandu que celui des écrivains et des

poètes. Mais jusque-ta il ne s'était que peu ou point détonné

dans leur bouche: ils étaient obligés de parler comme la

masse des sujets romains et de ne point trop s'écarter de la

prononciation commune. Au contraire, à partir du moment

où ils eurent à peu près reconquis leur autonomie, dans le

courant du cinquième siècle, l'écart s'accentua promptement,les idiotismes se multiplièrent, lessons s'altérèrent de diverses

façons de sorte qu'après une révolution dans la construc-

tion des phrases, produite en grande partie par la religion

Page 21: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. 19

nouvette. ou eut une révotution dans ta «'nstructit'n des

mots. produite p.<r la nouvette organisation putitique. i ettes

soot tes deux grandes causes que j'avais a signaler et que

ton n'a pas assez remarquées. Tout conspira des tors pourla formation rapide d'une langue nationale, qui devait bientôt

s'appeler la langue romane et eomne les mones causes se

produisirent simultanément dans les autres contrées dément-

brees de t'onpire romain, il faut expliquer de mente la

génération de tous les idiome, x~o-tatins. Cetjui se passa

chex nous se répéta citez nos voisins du midi, en t'rovence,

en Italie, en Hspa~ne, et chacun de ces pays eut sa tan~te

romane, cousine germaine de la nôtre puis, avec le temps,celle-là devint le provencat, cette-ta l'italien, cettc-ta t'espaf;no),et la nôtre le français. Kttes s'etoi~nerent les unes des autres

a mesure que les peuples eux-mêmes se séparèrent en

nationalités indépendantes et ainsi tes vicissitudes politi-

ques continuèrent encore d'exercer un certain Ctnpire sur les

médications de la parole, quoiqu'on générât les diversités

de race produisent seules les diversités de vocabulaire.

Maintenant, il est évident que toutes ces opérations se

firent spontanément et graduellement ce sont ta les deux

conditions essentielles de la formation d'une langue, l'ersonne,

en Gaule ni ailleurs, ne s'est jamais dit Créons une manière

nouvelle de nous exprimer tronquons les mots, assourdis-

sons les sons, syncopons les syllabes, ann d'avoir notre

dialecte à nous, qui ne soit pas celui des autres, ("eût été le

meilleur moyen de ne pas réussir car jamais un langage

artificiel, inventé volontairement, n'a pu s'établir, et les

tentatives de quelques rêveurs de nos jours pour unifier le

dictionnaire ou la prononciation des différents peuples n'ont

Page 22: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

ao LE TREIZIÈME StKCLE.

f.nt que connrmcr davantage cette v~ritt'h!'<t(t)it)ue.t))i(Ut

.tde-n<M.th)esntf<t))tt;u)cnt~t!ttnptec<'t))pt)<;itedutc)))ps,

du mystère et du ~coieparticutiur de la race. Ainsi.notre

)annue romam' n'apparut veritah)ement formt'e qu'après un

travait tatent tif phtsieurs sectes. accompti sourdement dans

)es profondeurs des (ternicrescuttt'hespoptnairc' sans que

)eseo))aho)ateurss'e))dt'utas-!ent)(' moins du mo))de;car

itsooy.m')~ t«Hj"tn'' )'M~) t:ttin,~te'c-<t tM)'df~rcsin<)ni

)t)c))t ~utits. pin <)c-. t).t))sjti"))s tout fitit inscusihtcs ((Ut:

s'oj~T~ ht rcvntutxw t)nnt jf pitThus < 0 ))f fut uw)m* p:<s

ttm' motutiuu (nous stfonncs tuthitucs )niti))tcn:tnt .t att.tchcr

:<cotte expression )))«' Htee qm;tt)tK' }x-'u viuk'ntf) eu fut

p)t)tut Mnc u\t))Mti'tn.

n se )Mtss:t :t <ct <'{;.u<) a pcH ~rcs (a tnont.' chose que

dans rordrc )x')iti<)))f )cs <<:m)"is se c<'nsi<)craict)t encore

eononc sujets <)e R<ttm' itt'~s ~nc t'etnpitf «'tnain n\'xist:tit

)))u'<.ct,e))")'ciss.oua())i)')crit'"n.t()o\is, ils «lissaient

surt"ut au pattic< .M)<:<'))su),im représentant du ('ancienne

autorité ils avaient déjà des rois francs, qu'its se Ctoyaient

encore gouvernes par des magistrats itnpcriaux.Ue même, en

recouvrant )'autonomie de tan~a~e, et en en usant (armement,

ils ne sentaient pas ~ue )'ahime se creusait chaque jour entre

)a grammaire latine et la leur.

t )eja, cepen<tant, nous trouvons des vestiges reconnaissabtes

de ce travail souterrain aux cin<mieme et sixième siectes,

en pteine époque barbare. Rien n'est plus curieux a

fecueiUir que ces premiers begayements d'un enfant qui est

encore à peine né, pour ainsi dire, et qui deviendra un

jour puissant et fort. A ce moment, les inscriptions lapidaires,

tes seuts monuments contemporains sur lesquels on puisse

Page 23: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. 2t

s'appuyfr avec assurance. )*artent français en tatin. Cinver'.f

de lit mx'-t' de Ronsard. Cettes qu'a réunies M. Lebtant. dans

sa riche cottcction d'epi~rapttie chrétienne, nous fournissent

i't ce sujet des revetatit'ns mervt'itteuses. Sur tes marbres

fnnt'rairf' 'jui )'t'))r<'<))ti-«tit'nt)c vrai tnt'u'tHf )"'{'n)airf <)))

tonps, ot) truu\< des tttcuttuos comnc n'Hcs ci <)/< .(Ar

</<<w~/t' /~Mw.f< [/«//), WtW~.f <f</<<<</«</<< )t i'~t c<'

<)t)t.<tit)?~st.cc du rornim ? On elit dit <n)));)rav.t))t <' )//w-

.fA'~ A' [~] w' w~M</«<~~w/w. <))<

dira hicotôt <tMinistre du tfn)p)c fils de tel te-, tnetotocs

aux <)pux frcrc- manière de parler vo)({'"rc. ~atr les

membres des dct)'< frères Mais de t.MjUctie()c ces dcu\

(ttnncs sc rapproche te jt)us )it tcct')) des i))scri)<tt"<)s? ()')

serait vraiment embarrasse de te dire. !).u<s te tuetne

reeueit <))t lit encore /<M, on <7/ )M«)) .77/

ft/MAt/t', )«)ur <t<~AM<' jw/Af. pour -w//<A< /w/<<, poor

/~M/<<. \c reconnait-ot) pas )a un ache)nit)e)))et)t pronooce

vers tes mots <'j~7/, <M~ .M/MA'<<'M'est-ee pas déjà

t'onbryon de ces <n«ts eux-mêmes ? t'uis, ce sont des

noms en en M~,des génitifs, des accusatifs, <jui perdent

ta consonnancc (mate et ce raccourcissement, conforme

a la prononciation, annonce déjà la suppression des dési-

nences ou leur remplacement par un <' muet. Certaines

voyettes brèves sont omises quetques-unes sont remptacces

par d'autres, et J7, par exempte, est change fort souvent en <

Certains cas sont confondus ensemble, comme on le voit

chez Grégoire de Tours tui-meme, qui pourtant écrit une

langue relativement savante. Toute!, ces modifications sont

autre chose que des accidents. Ce sont les rentes <bndamen-

talcs du roman ou du français qui se font pressentir c'est

t.tXm°MM<)itt.<tMtmt.

Page 24: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LKTREtZtÈME SIECLE.aa

t'accfnt t!:dtf-ïMn:un qui pussf de ta \~ix ttnn'<t'ccriturc, et

il faut croire que ton a parte ainsi too~tonfs avant de com-

nttjnccr écrite conuw t "n prononçait.Xientût ces fait'' se {{coeratisent, et ).t transformatiu)) dt"<

muts suit une tnarehc Mni<<~))ne, rc~tifrf ce qui prouve bien

~uc non'' so)nn~'Men facf <) uncfTt'tnatMfet,produit p:tT une

cause Ut)i\crsc!)u ft (~rtnanottc, et ccttf c.ut'ie ne j~cut se

tnH)\'fr uiUcuf!. t~M ttim'4 la pfon'tneiittitw. Une ~f.uMtc

)") su tt~a~c <)c)'c«sc)nb)u des j'h<'))")))o)fs qui s'<tjjèrc))tc~ttc ttti est ht ~hts ))cUfUccttuvcttt*tk ):t~hitut«){iu <:antetn-

)t"r.ti))c, et c))u est ta base ttc toutes tes ffc«n<tc'i <~<non-

stfatif'ns faites <) AHoMa~ttc ()ar Uic)!, et) !'ra))<;e ~Mr

MM. Gucssant, Gast«)) fans et Mcy<;r.a\t'it:i:e'e!'tque

)a syHabcaccentuée des )n"ts latins (car tes Romains «bser-

vaicnt ta quantité en partant aus'<i bien qu'en écrivant des

vers) devient j~ncr.donent la dernioe syttabc des mots

Tt'mans tes v~yettes qui suivaient t'acccnt tonique dispa-

raissent ou deviennent tnuettes. /« se change en <f/A'ou t~~<' /~n~<<~<!en /~«~t /~M~«M en ~<< etc. Les

t'roven<;aux conservent bien t'« Hnat de certains mots latins

mais ils ne le prononcent pas plus que les Neustriens ne

prononcent tours <' muets, pas plus que tes Napolitains ne

prononcent aujourd'hui t'~ nna) <tes noms masculins italiens

(<tMM~<,f<MM~osonnent dans leur bouche comme <<MM<).Têt

est te si{;nc caractéristique des tangues neo-tatincs en y

ajoutant la substitution des prépositions aux cas latins

~w/HM/f~ de ~'M/~f pour w<w~t' /<<~ et de t'anatyse

à la synthèse ~<t «w~/«w pour «w<tM~,on aura les

trois rentes principales, et presque sans exception, qui,

préexistant en partie dans le latin populaire et spécialement

Page 25: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. 29

danscetuidc)a(<aute,ont préside.(ta formation du

roman.

A en juger d'après les textes qui nous restent. cette forn);(-

tion puratt accomptie au neuvième siecte. La formute du ser-

ment d'attiance des fitsde Louis le Débonnaire, rédigée en K~

nous montre un tao~at!~ natiuoat iu()<~)c))f).t)tt.in~tarf.ot

encurc, mais tt~ja cuni.tituc, dcjA par\c<ut .'t )'cxisto)cc tc~atc.

{juisqu'it <<~nrc danii unf ()it:ce uf);ck')K'. L~'s sxjcts <k'

Chartes tu (. hau\c snot asM-'x~tran~'r'. au tatin te )')))-<barbare ~ur qu'on ne poisse ptus t'ctnj'yer en s'a'hcssant

A eux puMiqMMncnt.Mais.j'o) suis tr<;spcrsua'M, cet état du

choses existait tdors depuis un certain temps. Nous man-

quons de textes ph)s anciens pour établir te fait sur des

preuves tnaterieHes: ueantn'tins, d'après tous les indices, il

faut le (aire remonter jusqu'à t'cpoque mérovingienne. Nous

savons, en e(tet, que des te re~ne de Ctotaire n,ou peu après,te peuple chantait en t'honncur de ce prince et de son con-

scitter saint i''aron une cantitene romane. En f'6o, nous

voy<tnssaint Mummutin élu eveque de Noyon '.<parce qn'itétait (amitier, non seutement avec la taunue des Attemands

(ou des Francs), mais aussi avec ta tangue nwMw jt. Un

siecte avant Charlemagne, les prédicateurs reçoivent des

évoques ta recommandation de parler au )<eupte en tangue

vutgaire. Un )MUplus tard, saint Adatard, abtje de ( orbie,

nous est montré par son biographe mettant cette injottctioo

en pratique. Charlemagne tui-memc la renouvette dans ses

capitulaires. I.es concites tenus a Reims, à 'tours, a

Mayence, en Xt~, prescrivent de traduire les hometiesdcs

l'ères < en langue rustique romane ou tudcsquc ('), et,

t. /a ~M~ttMnawttMaaw/<~<M)Moa~~A~/M~w.

Page 26: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TRE[Z1RME SÏECLE24

de ptus, de têt rester d'une f.M Uttetu;;ib)c ~tur tous.

selon tct re~te-iprupK-. de chaque langue <-(').Atn~i, ta prédi-

cation journaticre de Ct\\angite contribua non seulement à

t'cchtsiun de notre idicmc pruniUf, mais encore sft ~ropat;ti«u et ;t s<m ~;):tn"uis-icnwnt k-' prcmi''se< de cette belle

tiu)t;uc fra<t<n'4c,dunt Hous sumnMs si ttcfs, t:t qu'un cun-

tf))H)M'Min<tcs.tit<t !.t'uis pntftittntdt d~i\ < k parler le ~us

dck'ct.d))f de )'uni\frs, ont ~t'?CtH)s~crn: it t.t (wmo~ du

t)k'H et n t'oxt~nsinn dt: tu fui cnUfti~Ut:.

Apt~s ks sfnucnts de 8~2, têt wnutMfnts .tppitraisscnt

dt: ph)s en ptu'' notïtbrcux, et tes traces de) Onptoi {{entrât

du nouveau (an~a~c si: n)u!ti)))icnt davantage encore. C'est

ht cantitene de sainte Kutatie, c'est une homélie anonyme

sur Jonas ce sont tes (Mones de ta /'fM.t/<'Met de.rfM'<'<~<

'~)e )'on redire au dixione siècle. C'est Gerhert qui, au con-

ei)e de Saint-Maste, rectame )'in<tu)i~encede ses auditeurs

ecclésiastiques parce <m'it leur répète le discours d'un autre

en le traduisant de la langue (x)putaire. C'est Aymon de

Verdun qui, au concile de Mouzon, emploie directement cette

dernière en haranguant les clercs eux-mêmes. Sur la tombe

de t'abbe Nott{er, mort en 008, on inscrit cette epitaphe

sit;nincative

~~ft~W, f/<< .f<~WO/~/<<MO

~< M/ w<~M</M~v<w w~' (').

Du onzième siècle, il nous reste notamment la C/M~f<w</<-

M/M/ ~4/~M, une charte angoumoise, un fragment de

t. &MM<~«« ~o/~«/<!<~s /<~<«t. V. pour t'ensembte de ces faits notre oa~agesur /~) Cta<«~MNff«M au ««~nf <!)'< f édition, p. zjs et suiv.

e- < U instruit te penpte en dMecte vNttpure. te c)er(;e en hnpte latine, et Htes

nourrit de la douceur de son c!oqueoce. »

Page 27: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. as

)'.</tt'M< et cette immortct)e t'A.wjt.w A'<<w/. aus

.tUfots si )<)ate<et si correttf ;'<la M' ("en f<t <ait te petit

enfant s'est duetoppe, il est sorti de ses tange- devenu bientôt

Ht)itdotescent.puisuu adutte vigoureux, il remptitde sa puis

suntf voix la chaire, )~ tribune, ta )Ktc-.ic.tes actes )))tb)ics.Il

)tc ot.ttttjttc )')t)s~ucr<t sto) <tt')));tinftjttc )a pr<'s<'histuri'jnc:

c'est )c tfcificox' sitctc ')ni lui t'tt ootTir.t t'acccs il y t'nth'M

0) triotoph'ttfur. Minsit)((c<):o)st'<ns )fs .nttr~'s ~fx~'s, et )'<'n

wrfit <Mc)nuun amntMtinr du i'hitippc )t: Hartti ~«tn~Moren fnm<tis (car c'est bien <h) tr.tn':ais n'ainteoant) une

sottune de the<')<'nie T"ute)"isces conquêtes ne se fer'tOt pas)«*))ptus en m) j"t)f, et )e sieete '!e saint t.«uis assistera

encore a une httte entre t'ancien idiome et te nouveau sur te

terrain des chronioues, des chartes, de !a }toesie savante, en

un M!ot,de tout ce tnti t)e s'adresse pas aux tuasses. A cote

de ViXehardouin, te prenuer de nos chroniqueurs français, a

cote des {;raudes chroniques de Saint-Uenis, <}uirejettent

.dors le vieux manteau de ta tatinite, voici <!uittaume de

Tyr, Jac<tuesde Vitry, Pierre de Veaux-de-Cernay, voici toute

)a pléiade de.s histuriens tnooastiques <jt)icontinuent a set)

parer, t.es encyclopédistes, comme Vincent de Meauvais, en

font autant. D'autres, comme Htienne de Hourtton, voûtent

écrire en latin et ne tout, mâture eux,<m'unc es{)ecede calquedu français, i'our les chartes, elles sont encore retii~ees <!ans

t'anciennc ian~ue ;'tla chancellerie r«ya)e jus<{u'.tu cotntnen-

cement du ret;ne de t'hitippe te Het mais les particuliers, les

vittes, les seigneurs abandonnent de ptus en plus cet usage

pour leurs contrats, leurs coutumes, teurs lettres. Un accord

passe entre le sire de Montfaucon et un de ses vassaux, et

remontant au règne de Phitippe-Auguste, ptusieurs chartes

Page 28: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.20

Mtdot-.t;)) ( hMmpt~neet dans t'Auuiscn t:~H tt 030. tm

tarif dt's péages dt'Sens. qui e-.t au moins ans' ancien, un

ht.)nm:t~'rt-))duaur"iparta comtesse de Flandre en t236.

pr<tu\f))t <)"c.de tous !cs cut~s i\ ta fxis, te fran~~is chasse

)tct) a )~u s"n rivât dt". itctcs pubt!cs. A pMtir de tsso,

('avantage hti fst assure, t't tes chartes ~n xtiftnc wttgMte

<esscnt idors <t'«(frirt'aurait de la rareté.

t'.ntm;)m:tctnt's.t)t)tr<')a))nw materoctk prend une

<tt't)sinn n"n 'wins rct)M)<tnaMcau )f)it)t <(<*voc {{""K~*

))hi<)uc. !.t: r<i)na))dt) nord se partu t'xctttsivcmcot de ta

Lorraine a la Mrftaunc. des Ftandrcs aux Ccvcnnes son

domaine dt'passc celui de ta couronne et te royaume lui-

tncmc. !.c rotnan du midi oo proven~a), qoi n'cst, au fond,

que te fr~tc jumeau du premier, bien nu'on l'ait cru longtemps

son frère aine, domine des Atpes au {{otfede Gascogne, et,

comme l'on disait naguère, au sud de ta Ivoire. Mais cette

fameuse fil;ni de démarcation entre la tan{;ucd'oc et la tangue

d'oft doit être reportée bien plus bas, d'après tes dernières

découvertes de la phitotogie. Il faut la faire passer par

K<~c<«rt.Annoutôtnc, IJmô~cs, Clermont, Montbrison,

Vicmu', Grenoble et le Mont-Cenis ce qui recule les

limites du français proprement dit bien au delà de la Loire.

t) est vrai (lue ce français comprend plusieurs dialectes qui

se partagent ce vaste empire. La desagreRation des anciennes

provinces romaines a été si loin, <tu'e))es n'ont pas toutes

dc<orm~ de la même façon l'antique parler de la mère-patrie;

ettes n'ont même pas conservé assez de rapports entre elles,

eues ne se sont pas assez fréquentées, en raison de la diffi-

cutte des communications et de ta rareté des voyages, pour

créer un type uniforme de tangage. On distingue un dialecte

Page 29: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. a?

Manon,))<) <ti:t!fc)cpiexrd, un t)i:))t'ctf nor)M!tnd,un dixtcfte

torr.tin. un diatcftc bourguignon. un <)ift)cctf comtoi-i, on

dialecte poitevin. un dialecte saintou~eais. cunn un diatecte

centra), cetui qui est en usa~e a la cour et dans ta capita)e,et qui, pour cette raison, ccHpsem bien vite t"us tes autres,

at) ~int <)c tes rt<)()tfeA ta triste c<tn<)iti"tt<te patois et tic

s't<n)M<ser,it\ec ).< royauté ette-ntetne..t tt'utes tes prwtncessuccessivonent. C'e(<en().)nt.p:tr te fitit. ces vitrietes sunt

toujours )f franchis )e'' <)isst')nb)ances <)tn)es sej~rent '.<'nt

su)Jcrncie))es. tandis tjue )e tien qui )es unit e'tt des plusétroits. C'est donc, tn.tt~re tout. une ).<n~ttCMnique, une

).u<t;ue homogène qui re~nc est France, et son renne est

solidement établi.

Mais non seulement eUe étend son empire au deta des

ttonx's du ro)'.m)ne de saint Louis, non seulement elle se

parle en Lorraine, en t''ranche-('o<nte, en Uauphiné, en

Savoie, dans tous tes pays réunis depuis A la France elle

conquiert encore, au treizième siecte, t'Occident tout entier.

Rien ne fait mieux voir ta prépondérance poHtique. inteHec-

tuelle et morale exercée alors sur t'tutrope par notre glorieuse

patrie, que la (unusion universeHe (te son« detectabte parler

C'est un Horentin qui l'appelle ainsi, et, bien que t'ttatie soit

la terre du doux langage, ce descendant des Latins, Urunetto

Latini, préfère écrire en français, aCn de trouver des lecteurs

partout: Ht s'aucuns deman<te por quoi chis livresest escris

<fen romans setonc le patois de France, puisque nox somes

« Ytaliens, je diroi que c'est por deux raisons: l'une est porce

« que nuz somes en France l'autre si est porce que~/w/j«/!

« est plus délitables tan~a~cs et plus communs que mouit

« d'autres, Un de ses compatriotes, le ~rand saint François

Page 30: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.28

d'Assis). chante te tong des route-) des cantiques françaisuo autre, te vénitien Mareo-t'oto, donne en triais la

prcmicrc édition de .ses (<unens récits de voyage; un autre,)< mantouau Sordeito, compose ttes poésies en roman du

toidi et o) r"man du nord Martine da Canate se sert du

second pour tcdi~cr uou chr'tniqne vcniticnne ttcs ouvragesde tonte cs~cef sont (dors traduits du français en itinicn, et

un puu ptus tard ta grande ittustrati")) ita)ic)tnc, )c Dante.

cctt'hrcra (tans s<'<\'prs ks )n(''ntt:s de (a tangue d'oc et de ta

tan~m; <)'«)).t'j) Kspa~tK'. et) (!rccc, un Orient, un se f:tit un

honneur de carter cumme dans ta cauitatc de s<tint Louis

Ratnun Mtunaner. en t. dit jtositivoncnt qu'on s'exprimeen Murce en aussi bon français qu'à Paris, ce qui n'est pas

étonnant, puisque tes nouveaux maitres de cette contrée y

avaient porte les habitudes de leur patrie et jusque sur tes

pta~es de ta Syrie, tes croises ont acctitnate te <( ramageb

du peuple très chrétien. Au nord. c'est encore mieux en

Angleterre, les prédicateurs, tes poètes, les prosateurs écrivent

en at)({to-nonnand, c'est-à-dire dans un de ces dialectes

provinciaux à peine difTerents de celui de Paris les notaires

t:n font autant pour tes actes publics te roi tui-mêmc suit

cet usage pour ses chartes, et les statuts de certains cotte{;es,comme cctui d'Oxford, ordonnent aux étudiants de s'ex-

primer habituettement en latin, ou au moins en français (').Notre tangue est devenue, pour ainsi dire, la tangue oHtciette

des Anglais. L'Attemagnc ctte-meme n'est pas étrangère à sa

connaissance, puisqu'ette recherche et qn'cttc imite nos poésies.

HnRn la Suéde et l'Islande, maigre tcur éloignement et leur

barbarie relative, sont gagnées à leur tour par cette mode uni-

t. Ce/M«/«<Mf,M~M//«X~M//MO.

Page 31: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. 29

versette un mi de Nurw~e <ait traduire dans te vieil idimne

des Scandinaves plusieurs de nos chansons de t;este. et t'en

conserve encore aux archives de Stockholm des actes franc.tis

des treiitieme et quatorxieme siectes. Ainsi, la propagation de

notre langue A t'etran~er. loin d'être un <aitmoderne, .éten-

dit plus loin peut-être au temps de saint t.ouis que de nos

jours, comme notre influence )X)titique ette même. C'est

depuis lors qu'eue e.st entrée et <)U'c))eest restée dans tes

traditions <)e la diplomatie cur<~jefnne eonone te plus

co)nnio<)e.comme le plus nchte instrument des ne~t'ciations

internatiunates. Ma~ninque honnnaKC rendu a notre pays, et

dont l'explication ne se trouve pas seulement dans le charme

de notre littérature, mais dans t'immense concours d'écoliers

qui venaient de toutes les parties du monde étudier au sein

de nos universités et qui en rapportaient chez eux t'amour

de nos usages, de notre civilisation, et sans doute aussi dans

le prestige éblouissant exercé au loin par la grandeur de la

sainteté couronnée.

n serait trop ton{{d'exposer en détail les caractères de

ce riche tan~a~e du treixieme siecte ce serait dépasser tes

limites de notre sujet. On ne peut apprendre a le connaitre que

dans les textes contemporains, t! suffit, en attendant, de savoir

qu'i) a ses rentes fixes, une construction claire, des mots

méthodiquement et to~iquement formes sur tes termes latins

correspondants. Cette rebutante est beaucoup plus grande

que dans le français moderne t' final, par exemple, se

trouve uniquement à la fin des mots qui se terminaient par

un en latin, c'cst-a-dirc au cas sujet des noms singuliers, par

une dernière réminiscence des nominatifs eu M, et au cas ré-

gime du pluriel de ces mêmes noms. par suite de la longue

Page 32: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtÈME SIÈCLE.30

habitude des accusatifs en Met des ablatifs en M on écrit le

/< ~/<f f/~M/f), du /f~/f ~<~M/ A'/<'<<* ~<< aux

/< M~/<</<~M/M) c'est la principale règle de la grammaire

du temps. Aujourd'hui nous écrivons tous tes singuliers sans

s, tous tes pluriels avec un Pourquoi ? c'est peut-être plus

commode, mais c'est, à coup sûr, moins rationnel. Quoi de

plus fantaisiste également, quoi de plus difficile à justifier et

à appliquer que notre obscure règle des participes, qui

embarrasse si souvent les étrangers ? Elle n'existe pas au

moyen Age on fait toujours accorder le participe avec le

nom, et avec le bon sens par conséquent.L'arbitraire et le désordre se sont introduits dans notre lan-

gage aux quinzième et seizième siècles, parce qu'alors on a

commencé à oublier ses origines, ses principes et l'intelligence

même des anciennes expressions. C'est à cette éopoque et pour

ce motif que l'on a forgé tout d'un coup sur le latin une foule

de vocables nouveaux, qui étaient déjà représentés en fran-

çais par des vocables analogues, nés spontanément autrefois

des mêmes mots latins, et construits d'une manière plus

régulière, plus conforme au génie de notre tangue on a

inventé <'(~w/~MM,~r~M, /f<~g?7<captif, ~«M~f~giAMW,et

une foule d'autres, pour rendre les idées de ~/<'w/MM,<-

c<M,/M, <M/)/<M, y/«K/<~MWM, etc., lorsqu'on avait

déjà la traduction et le calque de ces noms dans ~Mpw ou

MMp)M,/o~<<t</c ou /n% fM< <-<tfMW<,etc. mais on ne

comprenait plus bien l'origine de ces derniers termes, et de là

sont venus tant de doubles emplois, tant de synonymes ou de

demi-synonymes, entre lesquels il est fort difficile d'établir une

distinction sérieuse. Sans doute, le français a gagné sous

plus d'un rapport à la grande réforme du dix-septième siècle

Page 33: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. 3t

il est devenu plus précis, plus châtié dans la bouche de

Corneitte, de Racine, de Bossuet et de leurs imitateurs. Mais

n'aurait-on pu accomplir ce progrès en conservant les quali-

tés, la logique, la limpidité, je dirai même l'harmonie de

notre vieux tangage ? Car, ne nous y trompons pas, il était

éminemment doux et harmonieux tes aspirations, les

accouplements de consonnes que nous rencontrons ça et là

dans les textes écrits, et que l'on trouve quetque<bis durs,

étaient loin de se prononcer toujours. Il y avait longtemps

qu'on disait ~<w/< <~w~< r<wpfW,CTM'M,alors qu'on écrivait

encore _/<w<~<<f//w~ ~w~<w, ~M'K'~f, et l'on n'a même

songé à modifier l'orthographe que pour la rendre précisé-

ment plus conforme à la prononciation. Quoi de plus coulant,

au seul point de vue de l'oreille, que certaines pages de

Joinville, par exemple? Car le tivre de Joinville, quoiqu'il ait

été composé dans les premières années du quatorzième siècle,

offre aussi bien un spécimen de la façon de parler des der-

nières années du treizième.

La vraie langue des contemporains de saint Louis est donc

un moyen terme entre la basse latinité et le français

moderne mais, comme le dit le proverbe, !'Mw<M~j/ w//<.f.

On sent effectivement, dans Joinville, comme le parfum de

l'un et de l'autre on y trouve la grâce alliée à la simplicité i

on y découvre la méthode, et néanmoins une certaine indé-

pendance d'allure, qui sert l'inspiration au lieu de l'enchaîner.

Que serait-ce si nous envisagions les pensées ou le style ?

Mais ce serait tout une autre étude nous devons nous borner

ici à considérer l'instrument, et nous verrons dans les cha-

pitres suivants le parti que savait en tirer le génie d'un

peuple chrétien.

Page 34: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.32

H convient (t'être plus bref au sujet du latin parlé au

treiyieme siecte. Parte, c'est beaucoup dire on ne te parte

plus que dans l'Eglise et dans les écoles. Mais on l'écrit

toujours, et, pour l'écrire. il faut l'avoir appris sur les bancs

des classes, puisque le sent idiome maternel des Français est

ators te français. Ce fait a une conséquence extrêmement

importante c'est que le latin employé, étant une langue

apprise, n'est plus te latin vulgaire ou populaire des premierssiècles du moyen âge c'est le latin des classiques ou des

Pères, plus ou moins fidèlement reproduit, parce qu'it est plusou moins bien su, et conservant ordinairement la construc-

tion tonique des auteurs chrétiens. Kn effet, on apprend la

grammaire latine dans Priscien, dans Donat ou dans leurs

commentateurs. Les écoliers ne sont pas exercés, comme

aujourd'hui, à faire des thèmes latins: on leur enseigne, ce

qui est infiniment plus pratique, à s'exprimer directement et

à disputer dans cette langue. Les monastères, les établisse-

ments d'instruction secondaire ont généralement leurs

maîtres de latinité. Les filles mêmes reçoivent dans leurs

écoles les notions élémentaires de t'idiomc savant et ce n'est

pas seulement pour leur donner l'intelligence des textes

sacrés et des offices religieux qu'on tes initie à cette science

quelques-unes la poussent assez loin pour composer des

ouvrages latins, tsabctie, abbesse de Longchamps et sœur de

saint Louis, corrigeait de sa main les lettres latines écrites

en son nom par ses chapelains. Marguerite de Duingt, une

enfant des montagnes de Savoie, prieure de la chartreuse de

l'oletin, nous a laissé tout un recueil de méditations à peine

entremêlées de quelques fragments en dialecte vulgaire. Cette

instruction supérieure se rencontrait surtout chez les reli-

Page 35: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LALANGUE. 33

pieuses et chez les filles de la noblesse, auxquettes Guillaume

i'erraud voûtait qu'ette fut toujours donnée (').

Mais, en dehors de quelques exceptions remarquabtes,

il f.dtait d'ordinaire aux seigneurs et a leurs (ennnes t'aide

d'un interprète pour comprendre ce qui notait pas écrit en

français de ta t'ofnce de ~M«/, qui était re)np)i dans tes

châteaux par quelque clerc du pays. C'était souvent la princi-

pale besogne des cttapetains de traduire les actes ou tes

lettres intéressant leur baron. Les traductions fréquentes de

t'i~criture Sainte que saint Louis (insait <:ure,ou qu'it Rusait

tui-tneme. à l'usage de sa cour, indiquent aussi qu'i) (attait être

un savant comme le saint roi pour se passer de ce secours.

Même dans les couvents, il y avait de jeunes ctercs, il y avait

des frères lais auxquels on était obligé de prêcher dans leur

idiome materne) tant il est vrai que le latin était déjàune langue réservée, disons le mot, une langue morte.

Dans ces conditions, cette langue ne pouvait {{uereavoir

d'originalité. Chacun de ceux qui l'employaient cherchaient,

avec plus ou moins de succès, à écrire comme on écrivait au

temps de t'empire ou de la décadence romaine. Mais Vir~ite,

qui était le modete le plus en vo~uc, à tel point qu'il passaitmême pour un oracle de vérité, mais Ovide, mais Cicéron ne

se seraient guère reconnus chez leurs imitateurs. La lati-

nité des chroniqueurs est génératement très défectueuse on

y sent trop l'influence et comme le reflet du français. Quelques

auteurs parlent, comme nous dirions aujourd'hui, un vrai

latin de cuisine ce sont ceux qui ont fait de mauvaises

études ce sont les mauvais étevcs des classes d'humanités.

t. « <</<«/<7fM~7Mt<fM/<aM./<7/<~<«m<<M.~(C.Pemutd, fftx/t/MM/#~&m.)

Page 36: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREUS1EME SÏÈCLE.34

t t'rt heureusement. il y en avait du b)<ns ttus~i. t.e tannée

de )'ÉK)ise,d'<tb<~rd, conserve tcujxur*. ta régularité et ta ctartcdl' l'Église, d'¡¡bmJ, conser\'e tOllju\1fSla ré!!ularitÓet \¡~clarté

du )'cp<tuuedes t'eres c'est un type stércotypé, qui a subsiste

jus~u'~ tK's )<mfi.CcrttûHitdocteurs, certains }~tes sacrés se

r.tpprt'chcnt \crit.tb!f)n<;nt de sitint Augustin t'u de Sidaioc

AjtuuitmtM. t)'.tutr<*s ctnptoicnt dfs ct'tMtfnctiuns (t<rcccs,

icicusfs )n:us c))cs !cur sont hn)n'ci. st)u\<:nt ))Mte'*)"is

de )jtvcrsincntittn ))<'uve))e.Kn sunonc, ta banne puante du

latin d'airs est une <mc<tit'nde scienec et d'habitut~ il n'y.t p)us, a pn~rcnx.'nt partcr, de tatin particuticr a )'c))m[uc.X'cst-it {Ms .tdnurabtc, t<tutc~t)s. t)u'un arrive si conunun~-

tucnt à se servir de cet idiome savant, et qu'il soit d'un usage

teUetnent répandu, qu'en a )tU te urendrc quetquetbis (fourte tanK''Kehitbituet et )<oputairedu temps? Cmnbien de bâche-

tiers, eutnbien de licencies tnetne sortent de nos eotie~es assex

f"rts puur en posséder à ce point la pratique?7

t'anni tes autres ian~ues anciennes, le t;rec tient natureHe-

ment ta première place dans les connaissanee-t du temps.Mais cette place est encore bien restreinte. On a répété

souvent que le moyen at;e ignorait comptctement te ({rec

c'est une exagération évidente. Sans doute, la littérature

hetienique n'était guère connue que par des traductions

Aristote lui-même ne se vulgarisa qu'après avoir été

traduit, soit par des Arabes, soit par des Occidentaux. Mais

cette règle n'est pas sans avoir reçu plus d'un démenti, au

treizième siècle notamment. Saint Thomas d'Aquin affirme,

entre autres, qu'il a connu les écrits d'Aristote avant qu'on

les eut translatés en latin ('). Or, malgré l'opinion d'Érasme

t. < P<KM</M<a MMt M</«M< /<~< <f<'X~««<<MM/a/M <« /t<~<Mm «M/MM. b

lei, /<«ft<t «M/M signifie n<ctsairement le tatin, la langue de t'ÉgUM.

Page 37: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA LANGUE. 35

et de quelques savants modernes il semute difncite de ré-

cuser un parei! témofunaKc, corrobf~ré, de plus, par une

dis-iertation spéciale du jacobin Bernard Cnyant. Kt ne f.d-

tait-it pas, d'aitteurs, pour faire Cfs traductions, tramer des

tittins hettéttistes, c'est-A-ttirc dt:'<français .sachant )c ({~'c?Sans <)«ntc encore, «n peut citer ttfs cxctnptcs prouvant

t)U'u)( ~ran') (x'tntjrc )'it:r.ti<*))t, toonc partni ks ck'rcs.

th)j.{ocs <)(.'Saint-Victor, n«ttsf.tc«t)tf t~timtttftfc Hourtxtt).

apparut aprfs sa nturt A un piuux p<'r'M'))t)a~ ft lui .tpprit

qu'i) ~tait c«)x)a)n))tf'aux souHrances <ht purn.ttttirc /<t~

.:<'M«~.tMw son a)ni xc camprit pas tuut d'atton), ut fut

«b)i~ de chercher pour dcctmvrir <)uc ce mot si~ni<!itit la

vaine ({foire. Du reste, toutes tes ctytnctt~tes <)ue tes

eontt;mp<M<<)ttsvetttt'ttt tirer d<t~rcc (et i)s ot)t to.tthcoreusc-

tnent cette manie) sont ptus oo moins tirées par les che-

veux ettes soot souvent purement tantaisistes.et ne reposent

que sur la ressemblance extérieure des mots. Mais, en

revanche, on peut citer t'areheveque d'Embrun. Raymond

de Meuitton, qui fusait rédiger, sous ses yeux, ses hometies

en {{recpour t'usa~e des Orientaux te dominicain Cuit-

taumc tternardi, de Caittac, qui traduisait de même les

traites de saint Thomas pour les besoins des (trocs et

des scrmonnaires, comme te chancelier t'revostin ou Robert

Crosse-Tête, dont tes œuvres dénotent une teinture au

moins élémentaire de la tangue de ce peupte. t tumbert de

Romans la faisait étudier aux Frères Prêcheurs en )2<;$,ett'en sait d'un autre côté qu'its s'en occupaient des f 237.Ces

religieux cultivaient également l'arabe et t'hébreu. Personne

ne donna autant d'impulsion à ce genre d'études que l'ordre

laborieux et infatigable qui envoyait des missionnaires

Page 38: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtÈME StRCLE.ae

jusqu'en f<'n<)de t't~rient, qui itvint deux mititons M( onstan-

tinopte, ft qui («urnis'.ait des interprète', à tous les croisas

d't~) ptc ou de S;) if. Jofroi dt- \atcr<f'rd,ce fitsde t'trtandp.

qui étidt devenu un vr:ti poty~tutte, était t-ncore ux (Hsci~te~f -uxt U"n)ini')uc. ~'n trerc Mineur, Ra)')M'w) t.Mtte,

pr<')M~t.tu «'i !'))iHp)if te !!c) t)c cr<*fr')cs <f<:<')csde hm~ucs

"rif))t<(k''i; il r<*t)"m<')ases instances nuttrt"'<)e)Unhcrsit<'

<)t-t'aris, et ~t t(cc)ctur p:tr le <:«nci(c <k Vienne t'ctithtisse-

)tMm '<f t;unrs <!<;~rec. (t'tbc. tt'hchrcn <;t<)<:ch~ht~cn. Un

<)t-st's <'<)))M'res,)cc<'){'br<;R<'KcrHaco)). sf vantait (i) était, à

la \crit~,<)\)n p:t)'s v«isindu la (~itscx~m')<t'tt\t'ir um: )n~th<n)e

~r<tti<n<c~'ur unsc~nfr t'h~brcu en trois jours et le grec en

tx'is :tutr~'sjuurs. Und)!M)")nf<tc t'itris, !Mks<tu Siunt-ttcnis,

favorisa plus <)uctnn que ce soit, (raprcs utte lettre du pajx:

Homtrius IV, ta culture de )'aratM<).u)s ('Université. Ainsi,

)t' c)cr~ de tout ordre était à la tète des études de Hn~uis-

tique, et sous sa direction l'on voyait se répandre chex nous,

eu même temps que ta connaissante des langues mortes, celle

de t'idtetnand, de l'italien, du hongrois, enfin des idiomes

de tous les peuples auxquels on pouvait avoir a prêcher la

parote de Dieu.

L'étude que nous venons de consacrer a ta manière de

parler peut se résumer dans une brève formule. Les Françaisdu treizième siècle partaient tous le français, c'est-à-dire un

des dialectes romans qui se sont fondus dans la langue

française. Ils apprenaient presque tous le latin, et beaucouple savaient assez pour le parler dans les écoles ou pourl'écrire couramment. Un certain nombre enfin, apprenaient

de plus les langues mortes ou les tangues étrangères mais

l'usage de ces dernières était beaucoup plus restreint.

Page 39: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

Ctaptt~ OCMtMmC.L'ENSEtUNEMENT.h

SOMMAtRE. L.'tnstrnotton primatre; )DM)ttpUot«t des

p<m«"t<co)e)Kt<t«)u< vtit'))eUMe«Mp<'antt. L'enMtt<nemt'nt

)(<'<!«n<<a(roft tup~ftt'ur. OrttaotMOo" df t'Untw' t~)K(t)eP.<rt<:

pt'~itp<f)t<d" xex <tct))<')'. Ohjt't et <!tv)!tton <)< «ut<t ttnt~t'f-

ottatrfjt. FatuX~deit x't'< Facultés dotrott. d" n)t!dfctne,

detMoiogte. M~thod" tt'ott~a~tx'tttettt rA)(' df )'ttt~ «< du

profaMour. Exam<'t)at'tctt!t<t))"t) tt"t<<'t<t'"

W"j*N a cru longtemps, en France, que te moyen .'(ge

avait croupi dans une ignoranec votoutaireet

~L––t~n'avait rien tait pour propager t'instruction. Mais,

de n"s jours, <tcs travaux hist<t)i<;m's<)cptos et) p)t)s <)<;<isifs

commencent adfuu'xtrcr <jm: t'cns~'iKncmcnt supérieur,

t'cnsci~ncntettt sccotxtairc ctt'cf).st.'ij~))t')))t;))t (<r))));(i«')t))-

mcme, celui ttuc outre cp~juc se vante partict)Hcrcmct)t

d'avoir tt))s à ta portée ()e tous, ctaient, <;t)tn'ycnxc, aussi

répandus c)tex nos pcrcs<)uc chcx nous. Il faut, sans doute,

excepter ie< temps de tr«ub)es et <)e catamitcs publiques.Mais n'avons-nous pas vu, nous aussi, dans la génération

etevee au mitieu de nos desor<)resp«)iti<jueset <!enos guerres

étrangères, vers te commencement de ce siecte, un triste

exempte de rabaissement que <ontsubir au niveau de l'in-

struction genératc tes matheurs de la patrie ? Le coupd'teit

que nous nous proposons de jeter sur t'or~anisation de t'en-

sei{;nement au moyen Age,et spécialement dans le siecte de

saint Louis, qui résume eu lui toute cette ton~e période,nous edinera sur la manière dont l'Église s'acquittait de sa

Le Xttt'.iMttht et MiMt.

Page 40: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

38 LETREtZtEMESÏECLE

tacht'.at'éjtoque ou t'Mucation de ta jeunesse était exc)usiv<

ment dans ses mains.

Jtsus-CumsT avait dit à ses apôtres: t Allez, enseignez

toutes tes nations. Aussi,dans la chrétienté entière, r~v&quc,

successeur (tes a~trf;, cut-i) d'abord personnellement la

dircctit'n des écules de son dinc~sc. A mesure que les besoins

augmentèrent, que la civilisation se développa, il dcte);ua

ses {MXtvnirsaux archidiacres, aux recteurs des paroisses,

aux moines, puis enfin a un fonctionnaire spéciat qui prit te

non d'ecotatre ~.ff~<<M//</< L'ecotatre apparaît avec la

renaissance des études provoquée par Charlemagne. Les

mouiMiercs possèdent des tors teur ecotatre particulier, pris

parmi les religieux les plus mais les diocèses ont

aussi le leur, choisi ordinairement dans le sein du chapitre.

Ce A~M~M ou Wf~'M/t'f<~fAMWMdirige ou surveille, non

seulement t'écoie deta cathédrale, t'ecote dela cité, mais encore

les écotes rurales comme en témoigne un passage de l'histo-

rien Ftodoard. Au douzième siècle, son importance grandit,

en raison du progrès constant des études les évoques lui

abandonnent le choix et la nomination des maîtres c'est

lui qui délivre à ceux-ci ta < licence d'enseigner après une

enquête sur leur aptitude ('). i'uis arrive la naissance des

grandes universités, dont tes chanceliers absorbent t'omce

d'ecotAtre; ces deux fonctions s'identinent, ettessont remplies

souvent par ta même personne, et finalement les chanceliers

restent seuls les grands maîtres de l'instruction publique.Mais c'est toujours t'Élise qui demeure la grande maîtresse

et la dispensatrice unique c'est toujours !<' et </cf~ qui

1. V.letnveildeM.O.BourbonsurLiGicsnad'esuiRetretlsnflsdslltoldtrs,t.V.)ttM**NdeM.G.Bouthon<urh~<~<M~<t<<&~&<&/&<<<<hnth ~?fMt<<<<~<<M<)M«<H<o<~«<t,39°KtNtMn,p. Stjet*ui'.

Page 41: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEÏGMEMENT. 39

s'aceomptit et durant de tongs siècle; i) n'y aura pas de

science, pas d'art, pas de uttérature qui ne soit un rayon da

ce foyer lumineux, auquel nous devons ta transmission de

toutes les clartés de i'intettigeuce.

Quel usage les dépositaires de la science fbnt-its de tours

attributions sacrée::? Mettent-its, comme on dit vutgaironeut,

la lumière sans le boisseau ? Font-ils )a nuit parmi le peuple,ainsi qu'on les en a accusés, ou bien n'a.-t-on pas p)ut0t fait

à dessein la nuit sur leurs ouvres? Commençons d'abord

par l'instruction <)n petit enfant, pour monter ensuite avec

lui au rang de radotescent et du jeune homme.

Au treizième siècle, la première enfance recevait de diffé-

rentes manières les tecons qui conviennent a son a{;c,et ce que

nous appeions aujourd'hui l'enseignement primaire. C'est ce

que l'on voit lorsqu'on étudie en dotai) )a condition des vitains,

des apprentis, des jeunes <!))es. Si les enfants de la hobtesse

étaient eieve.'ipar des précepteurs ou dans tes grands monas-

tères, ceux de la classe populaire fréquentaient la plupartdu temps des externats étabtis pour eux, soit dans tes villes,

soit dans les campagnes. Les simples villages avaient sou-

vent leur écote, dont le maître, institué par t'ecotatre, ou par

le patron de l'église du lieu, enseignait la lecture, t'eefitufe,

les éléments du catcut et ceux de la grammaire, c'est-dife

du tatin('). L'archeveqt'c Kudes Kigau<t,qui surveillait, comme

tous les préfats, ces ccoies rurales, nous a même transtnis un

curieux spécimen de version latine exécuté par un de leurs

éièves (2). Depuis iongtemps, du reste, les curés avaient été

t. V. notamment de BeaaMpahe, ~*<<MtM w ~«t/y~c~f* ~aM~<;< '<«t( &

</M~«!f~M!f, t t. p.a<, 30, 6~, etc.; Detute, ~~<&<~M'~f/«w<!f~«~.

p. t7! et mit.

Voici le pMNge que cet élève eut à traduire oralement en hngue tomanf:

Page 42: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LETREtZtEMEStECLE.40

invites a faire de leur presbytère une maison d'<~ducatiuM

pour les enfants de teur paroisse, et le capitulaire de Théo.

dutphe.eveque d'Orléans, était toujours en vigueur: < Quetes

< prêtres établissent des écoles dans tes vittages et les bourgs,

<i et, si quelqu'un de tours paroissiens veut teur eonner ses

<*t'))f.)t)ts })«urteur apprendre les tettres, t)U'i)':se Rardent de

« te<rettUter nu contraire. <}u'its ~appti<tuenta teur éducation

avec unecharité extrême, et, htrsqu'its les instruiront, qu'ils

< se gardent d'exiner d'eu!< aucun prix en retour de ce scr-

« vice; qu'ils ne reçoivent rien, si ce n'est ce que tes parents

< voudront bien leur offrir de leur plein t;re et par esprit d<

<charité ('). )~ Ainsi les curés participaient a la prero~ativ<des évoques, parce qu'ils avaient, eux aussi, charge (famés

Sans doute, cas quelques pays, ta fréquentation des école

rurales n'était pas aussi gratuite que Theodutphe l'aurait vou

lu: mais son statut, renouvelé par des règlements ultérieur!

fut certainement observé presque partout dans son enscmbh

et M. de Beaurepaire, dans ses intéressantes Â*<'<A<wZ~M

/'<M.f~M<~w</«M~/<t' ~M</Mt~<*</<'~!o«<'M,a réuni assez d

textes pour pouvoir affirmer d'une manière générale, contra

remcnt à l'opinion de Guizot, que, des une époque très recuM

< M~Mt'~MW«~d/N~<< J/Mt/tf</«'./MOW<t<//J~M<W~</<!«j~<'M«t<«.-<</««'.f«M~~0<</O~M<)M/,/<</</t.<a*t<A'««/<t~M,Il<V//ff~ff~tt~'MfJt(UKNhSK.)))tmduMiHM-)(àmot:<~<t!Adan<!Mm,adeefte<!<t<Mtt<tMM~/N~.netrouvaitpat.a~d~ aideur;j<M;/M,sembtabte;~M~,detui:~a«MXostre Sire; <«f«<nr. enveia; t-o~M. encevisseur (assoupissement); « ~<<t*t, dans

Adan.tte'M Aconjuguer le verbe <aoKM<,itrépondit: < /aen7/f,fM,M,~M,/<'«t'<,

««t;, <M<t««. ttMtMt, ««M~tt/M. M<w/A)~, ~~X.etc. Les temps du verbe ~&M<furent ainsi )ndi<tUé< par lui ff~/<«. M. M, ~7~M<M. do. <t< n~/t/em, ~&M.

<Mttr«t. rf~~o~, ~M, etc. On lui fit ensuite epeter tes syllabes de son prétendu par-

tieipe ~Ht~, t~'tt divisa comme ceci: <Tf~ tn di. (B~nnin. /~pM/. M~ «r~A~.~«<A''m., p. 33~.} A~areateat te ne devait pas être un premier prix de version ni de

Ct&mm.ure.

t. LitUbe, VU, tt~o.

Page 43: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEtGNEMENT. 4t

<-tpresque )'orinine de nos paroisses. des ecotes {;ratuit~

étaient attachées &chaque ~t!Uscet confiées ta direction des

cures. Apres avoir cité un nombre considerabte ()e petites

bourgades <me des textes contemporains nous montrent

pourvuet de ces utiles établissements, frct)uo)t<'s t)uc)<(uefois

par dex enfants <)ccim) ans, )e s.tvant archiviste ajoute avce

raison < Quand on rencontre de'* ~'cok's dans des h~atites

< d'une aussi tnincc itn)K)rtance,i) n'y a ptus nx'yen de <(«nter

<'t}u'Hn'y t't) ait <'u, sinon dans toutes les paroisses rurates,

<[du moins dans la plupart, et surtout dans ceOesou )a popu-

<(tation était un peu considerab)e. Nous serions porte Avoir

<[des mattres dans ces clercs de paroisses qui, aux douxieme et

< treifieme siectcs, .sechargeaient de )a rédaction des contrats,

< et <tont te nom, fréquemment suivi de l'indication du lieu

<[où ils exerçaient ces (onctions, est rappete avec ceux des

< témoins ('). Cette dernière induction est d'autant plus

<on()ee, que dans nos viXa~es, où les traditions etahties

remontent aux a~es tes plus reçûtes, t'instituteur n'a pas

cesse d'être à ta <oist'écrivait) publie, te secrétaire de ta mairie

et même celui des particuliers seutement il a cesse trop

souvent d'être ~'n, mot qui signifiait en même temps t'eccte-

siastique et te savant, comme pour exprimer une fois de plus

t'étroite union de ta science et de t't~tise.

A plus <brte raison des écoles populaires existaient ettes

dans les vittes, où les prédicateurs nous montrent des bandes

de petits enfants traversant les rues avec un atphabet pendu

à leur ceinture. Les bourgeois, en mettant tours <its en ap-

prentissage, stipulaient, dans les contrats passes avec les

patrons, qu'ils les laisseraient suivre la cta~se. Quant aux

t. Ucth'autcpaire,< <t7.,t. t.

Page 44: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LR TREIZIÈME SIÈCLE.42

<Utet, eues avaient aussi leurs nm!treiMet et teuM écoles

speciates les rôles de la taille (te Paris et une charmante

anecdote de Thomas de Cantnnpre, reproduite par M. Jour-

dain, nous en fournissent la preuve. « Une jeune paysanne

conjurait son père de lui acheter un psautier pour apprendrea lire. Mais comment, répondait-!), pourrais-je t'acheter un

psautier (les manuscrits étaient encore très ehers), puisque

je peux a peine t;~K"cr chaque jour de quoi t'acheter du

pain ? L'enfant se devait, torsqu'cuc vit ta Sainte Vierge

lui apparaitre en songe, tenant dans ses mains deux psau-

tiers. Kncourageu par cette vision, eUe insista de nouveau,

Mon enfant. lui dit alors son père, va trouver, chaqut

dimanche, /<<w«~<tM <<f de /« /<Mw*Mt',pric-la de te

donner quelques tenons, et enbrce-toi de mériter par ton

travail l'un des psautiers que tu as vus entre les mains de la

Vierge. la petite fille obéit, et les compagnes qu'eite trouva

a l'école, voyant son zèle, se cotisèrent pour lui procurer te

livre qu'elle avait tant désiré ('). »

Du reste, si les femmes de la campagne étaient en grande

partie iHettrees, c'était moins la faute de leurs institutrices

que celle de leurs parents. Aujourd'hui encore, il n'est pas

rare d'entendre Marner la négligence des paysans à t'égard

de leurs enfants. On trouve toujours quelques villages pauvres

et reculés dépourvus d'établissements scolaires. L'état des

choses n'a donc guère changé, et, s'il y a eu changement, on

peut dire, du moins, pour rester dans les bornes de la plus

stricte modération, que l'instruction des classes populaires

t. Thomas de C<mtimpf<,~oa. «MB. <&a~M, Uv.I. dmp. 93 Jottdain. t'~«-

<tt~o«~/<'m«Mj a« <t<j/<a p. t9 et mi*.

Page 45: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEIGNEMENT. 43

n'a pas progresse dans la même mesure que beaucoup d'au-

tres éléments de la civilisation.

Mais c'est dans l'enseignement de l'adolescence et de la

jeunesse qu'éclatent surtout, au treizième siècle, et le itète

de t'Égtise et la passion de ses ndetes pour t'étude. I.'instruc-

tion secondaire n'est pas alors séparée de l'instruction

supérieure: elle se donne dans les mêmes établissements

comme elle se donne aussi quelquefois dans les institutions

primaires. Knd'autres termes, les classes de grammaire (ont

partie des cours de la Faculté des arts, et ce que nous appe-

lons le temps du collège se passe moitié dans les petites

écotcs, moitié sur les bancs des universités, où l'on entre vers

l'ige de quatorze ou quinze ans, pour y faire d'abord ses

humanités, études littéraires qui sont maintenant le couronne-

ment de l'enseignement secondaire, tandis qu'a cette époque

elles sont le début (te l'enseignement supérieur, abordé parla grande majorité des écoliers. C'est le moment oh ces

grands centres de l'intelligence s'organisent et se multiplient

comme par enchantement c'est le temps de leur épanouisse-

ment et de leur plus belle prospérité c'est donc en ettes quenous avons à étudier ce qui forme actuellement tes deux

derniers degrés de l'instruction.

On les voit se fonder presque simultanément dans les diffé-

rentes parties de la France, à Ortéans, à Poitiers, a Toulouse,

où le cétebre traité de t22f) imposa au comte l'obligation

d'entretenir trois Facultés. Mais le point de départ de ce

mouvement de rénovation intellectuelle, et, pour me servir

des expressions de saint Bonaventure, la source d'où se répan-

dent sur le monde entier les mille ruisseaux de la science, c'est

Paris Paris, qui attire alors dans ses murs, en proportion,

Page 46: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREÏZÏÈME S1ÈGLE.44

plus d'étudiants qu'il n'y attire aujourd'hui d'ouvriers;

t'aris, qui btHte déjà au mUieu des nations comme le foyer

des lumières, mais des lumières saines et vraies.

Depuis le t.H:cteprécédent, les écoles de la capitale avaient

acquis un immense renom et tendaient à se former en uni-

versité. ~s arts libéraux, la théologie, le droit canon y

ctaicot représentes par les plus hautes sommités, L'afRuence

des d~ciptcs autour de ces maitrcs était si prodigieuse, que,

sous l'hitippc-Aunuste, ta population s'en trouva doublée et

qu'it fattut, pour ce motif, élargir la ceinture de la cité. D~s

t tCQ,une partie de ces écoles étaient réparties en M<<eM,qui

constituaient des autorités consultées par les princes eux-

m~tnes: ainsi Henn H, roi d'Angleterre, voulut leur remettre

l'arbitrage d'un différend qu'il avait avec saint Thomas

Reckct sur une question de droit public. En t2co, juste au

moment oit s'ouvre le grand siècle de saint Lou! un diptômt

de t'hi!ippe-Auj~ste contre aux écoliers de Paris de:

privilèges particuliers, les place sous ta protection royale

reconnaît en même temps qu'ils ne sont justiciables que de

tribunaux ecclésiastiques, et donne, pour ainsi dire, à t'Uni

versité son premier acte de naissance. Peu après, pour t:

garantir contre les excès d'autorité du chancelier de Notre

Dame ou de tout autre, le pape Innocent promulgue e<

sa faveur deux buttes: l'une, en 1208, l'autorisant à se faire

représenter par un syndic l'autre, en 209, lui permettant de

s'imposer des règlements et de les faire jurer. Les professeurs

et leurs disciples sont reconnus, dans ces deux actes fonda-

mentaux, comme formant une véritable corporation, et leur

communauté (/<MMw~/irM n'a pas d'autre sens) s'appellera

désormais régulièrement ~'t<M<'w~<</ des MM~M des

Page 47: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEIGNEMENT. 45

<~<A<Ht~<<M-M, ou simp!ement/WwAw~<~ <~«~, plus

tard t'M~M~H~ tout court. La voilà tout à <ait constituée,

de par l'autorité compétente, qui est cette de l'Église. Son

organisation se complète rapidement elle devient le ty[)e

sur teque) se <brmeront toutes les grandes universités du

moyen Age.Bientôt elle comprend quatre Facuttés.embrassant

le vaste cycle des connaissances humaines la Facutté des

arts, correspondant à notre Faculté des lettres et A une

partie de notre Faculté des sciences, et seule divisée, à cause

de son droit d'ancienneté ou de l'étendue de son domaine

en quatre nations (France, Picardie, Normandie, Angleterre;

ces noms sont de simples rubriques sous lesquelles sont

rangés, en réatité, suivant la direction de leur pays natal,

des étudiants de toutes les contrées); la Faculté de théologie,

composée des maîtres en oVM'w~ terme opposé à celui

<fAww<tM~<'f,qui est resté seul dans notre langue sectaire

puis tes Facultés de droit et de médecine, qui apparaissenten plein exercice un peu après tes autres, dans un accord

conclu en !2;3 entre tes maîtres et le chancelier, au sujetde la licence. Chacune de ces Facultés a des officiers nom-

més par elle la Faculté des arts étit tous tes ans quatre

procureurs, un par nation tes trois autres élisent chacune un

doyen. Ces magistrats constituent un tribunal de sept mem-

bres, appelé à décider sur tes affaires de la corporation.Au-dessus d'eux est un recteur ou chef commun, pris exclu-

sivement parmi tes nations (la Faculté des arts garde, on le

voit, la prépondérance en tout car c'est elle aussi qui est

chargée de veiller sur le trésor, sur tes archives et sur la pro-

priété du Pré-aux-Ctercs). Ce recteur exerce une juridiction

souveraine sur tout le territoire de l'Université, qui compose

Page 48: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SÏNCLE.46

près de la moitié de la ville. C'était réellement un grand

personnage car on le voit souvent appelé, dans le cours du

moyen âge, a siéger au conseil royal, et il marchait de pairavec l'évêque de Paris, tant on attachait d'honneur à cette

suprême magistrature de la science. Le jour de son instal-

lation était célébré par une procession solennelle, à laquelle

prenaient part, outre les membres de l'Université, les ordres

religieux établis sur son territoire. A la fête du Lendit, le len-

demain de la Saint-Harnabé (t2 juin), vêtu de la chape rouge

et couvert du bonnet doctorat, accompagné de deux mas-

siers, de tout son personnel et de l'appareil le plus imposant,

il conduisait à Saint-Denis une autre procession fameuse, sous

prétexte de faire son approvisionnement de parchemin et

telle était t'atnuence de la foule qui précédait son cortège,

qu'une fois, en !4t2, la tête de la procession arriva dans la

ville de Saint-Denis alors que le recteur n'avait pas encore

bougé des Mathurins. Enfin des officiers inférieurs sont

préposés à l'administration matérielle de l'Université c'est

le procureur fiscal ou syndic c'est le trésorier, qui gère les

revenus produits par les legs et fondations, par tes taxes ou

rétributions scolaires, etc. ce sont les messagers ou facteurs,

employés à l'entretien des relations entre les étudiants et

leurs familles, entre les maîtres de la capitale et ceux de

l'extérieur ce sont les bedeaux ou appariteurs, espèce de

sergents massiers, au nombre de quatorze, qui devinrent

peu à peu des secrétaires chargés de tenir la plume dans tes

actes publics. Tout ce personnel s'organise dans la premièremoitié du siècle; et en même temps les règlements d'études

autorisés par le pape sont élaborés, mis en vigueur, con-

firmés par le légat Robert de Courçon en !2tS, par

Page 49: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEIGNEMENT. 47

Grégoire IX en <228,par Innocent IV en t244. De nouveaux

privilèges sont ajoutés aux premiers par ces deux pontifes,

entre autres celui de pouvoir suspendre tes cours en cas

de déni de justice, et le droit d'user d'un sceau particulier

et cette dernière faveur, qui n'a l'air de rien aujourd'hui,

consacre définitivement l'indépendance de la corporation

universitaire ('). Le sceau accordé à ces membres en )252,

par une bulle conservée aux archives de la Sorbonne, est le

beau type qui a été reproduit récemment, à quelques dine-

rences près, pour servir de cachet à l'Université catholique de

Paris, héritière directe et légitime de cette antique institution.

L'organisation de la puissante compagnie et tes préroga-

tives qui lui étaient octroyées redoublèrent tout naturellement

l'empressement de la jeunesse du dedans et du dehors. L'af-

fluence des étudiants, déjà si grande, prit des proportions

encore inconnues. On vit les monastères, tes abbayes envoyerà Paris leurs plus brillants élèves, renonçant par là à l'hon-

neur de demeurer tes écotes supérieures de la chrétienté on

vit tes derniers venus et tes plus populaires des ordres reli-

gieux, comme tes Jacobins, grossir ce tribut de toute la mul-

titude qui entourait leurs propres chaires on vit des collèges

spéciaux fondés dans la capitale pour tes jeunes gens de cer-

tains diocèses ou de certaines régions, pour tes étudiants

pauvres, pour tes clercs nécessiteux on vit les terres tes

plus lointaines représentées, dans cet autre pandémonium des

nations, par quelques-uns de leurs enfants, jusqu'aux royau-mes de l'Orient, qui venaient demander à la France un peu

i. Pour tous ces détails sur l'ancien régime universitaire, on peut consulter

Thmot. De f<'<y<t«Mo<t<'ade <'«tjM~)ton«t< dans <'M«! de /*<!<-«,- VaUet de

VM*i)!e. ~t' de /'Mj/~af/«)< ~«M~tt. Du Boulay, ?< M«f.. t. Ut, pp. t~a.

37&S<S.e~

Page 50: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME StÈCLE.48

de ce savoir<-t de cette phitosophie dont eux mêmes avaient

été si f)ers jadis. ( «mhicn)es di~rentes facultés de notre

grande cité cttmptent-ette'i d'auditeurs actuellement ? Quet-

ques milliers a peine. Or, Jean Jouvenel des Ursins affirmait

en t<t3< qu'lin avait vu i\ !'Mis, dans les temps qui l'avaient

precetté, de seize a vingt mille écoliers. Kt parmi cette jeu-

nesse itrdeute, qui venait tremper ses )è\'res aux ruisseaux

dont parte saint Hcnaventure. se trouvaient, aux treixicme et

quatorxietne si~ctes.tnutes les illustrations de t'avenir.tes Ro~er

Haeon, le. Atiwrt le Grand,te-i Thomas d'Aquin, les ~tienne

de Langton, tes Pierre d'Espagne, les Dante, les Mtrarquc,tous ceux enfin dont la science et les travaux ont honoré

l'Europe chrétienne. Ces chiffres et ces noms nous en disent

assez sur la prospérité de l'Université-mère. Qu'elle ait vu

des desordres éclater dans son sein; qu'ette ait, par moments,

porté le trouble dans les esprits ou dans la rue cela ne

détruit point la grandeur de ses services. Aucun tort, aucune

tache ultérieure ne saurait effacer l'éclat jeté à son origine

par l'institution féconde a laquelle Paris doit, sans contredit,

d'être devenu la capitale intcttectuettc de l'univers, et dont

Paris est redevable en premier lieu à la papauté.

Ce n'est pas tout de voir qui distribuait l'enseignement et

qui le recevait dans cette vaste ruche de l'esprit humain.

It importe d'examiner ce qu'on y enseignait, et comment on

l'enseignait l'objet des études et la méthode appliquée aux

études, ce sont là deux points essentiels, qu'on ne saurait

trop approfondir pour juger sérieusement un système et une

époque. Commençons par le premier.La Faculté des arts, placée au seuil des études supérieures,

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L'ENSEIGNEMENT. 49

a te domaine le ptus étendu. Ce domaine répond. M'mmejc te

disais tout à l'heure, à celui de notre Facu)t<' des lettres et A

une partie de celui de notre Faculté des sciences. !t est divisé

coutormément au cadre usité depuis le commencen'ent du

moyen âge; c'est-à-dire qu'it comprend les sept arts tibéraux,dont te;, trois premiers, la grammaire ou tittératurf, la rht'tft

rique et la dialectique, constituent un groupe a;)pt'te ~ww,

et les quatre derniers, qui sont t'arithtn~tique, la ~c«)netne. la

musique et l'astronomie, un autre groupe appelé ~M<h~ww.Ces sept arts sont autant de \'oiet qu'il faut suivre tuceetsive

ment, autant d'échelons qu'il faut gravir pour s'élever a ta con-

naissance des choses divines, dont la théologie donnera la clef.

« L'ecoticr, dit Robert cie Sorbon, doit parcourir la route quimené au puits, comme Isaac, c'est-à-dire passer par tes

sciences auxiliaires pour arriver à ta théologie ('). Quoi de

plus spiritualiste et de plus rationnel que ce plan gênera),

rapportant toutes tes sciences à un but souverain, à savoir

ta contemplation et ta possession de la vérité suprême, qui

n'est autre que Dieu tui-meme? « Chaque science doit se rap-

porterataconnaissancedeJttsus-CtHUST~, répète le cardinal

Jacques de Vitry (*). Kt le même prélat, reproduisant aitteurs

cette pensée, nous donne à peu près la dénnition des sept

arts libéraux, tels qu'on les comprenait de son temps: «Bonne

« est la logique, qui apprend à discerner la vérité du men-

« songe bonne est la grammaire, qui apprend a écrire et a

<[ parler correctement (définition conservée jusqu'à nos

« jours) bonne est la rhétorique, qui apprend à parler

t. <tt~t~/t'~MdM<t~/N/tMM~W//ftM< /t/ff~<t/M a<~HM<'<~</««/<'jadAht</4'~t<M<.t HiM.nat..ms.)!H.'Sty*.M.)97.

s <~M~MjfMa/M<A'r~r<~ f<!fat'~fJKBtCAr~p /A~ ms. )at. ~7509,

<o).e9.

Page 52: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREUHÈMK SÏÈCLE.?0

« élégamment et à persuader bonnes sont la géométrie, qui<tapprend i mesurer la terre, domaine de notre corps, l'arith-

« métique ou l'art de compter, la musique, qui nous instruit

< des consonnances et nous fait songer aux doux chants des

« bienheureux, t'astronomie, qui nous fait considérer tes

corps célestes et la vertu des étoiles resplendissant devant

« Dieu. Mais bien meilleure est la théologie, qui seule peut« vr.ument -appeler un art /<M<< parce quelle délivre

« l'âme de ses ptus grands maux ('). En suivant le même

ordre d'idées, Jacques de Vitry est amené à établir une diffé-

rence entre les arts du /w<MW, qui préparent plus directe-

ment à la sainteté, et ceux du yw<MMMMw,inférieurs aux

précédents,~parce que, s'ils contiennent la vérité, ils ne con.

duisent cependant pas à la piétéDans la pratique, il est un des sept arts qui tient une

place prépondérante, et dont on fait alors la base ou la

forme de tout enseignement c'est la logique ou la dialec-

tique. La dispute, qui est la mise en action de la logique,

règne en souveraine dans toutes les chaires et dans toutes

les écotes le mattrc s'en sert pour instruire comme t'ét&ve

pour apprendre. On a même reproché amèrement au

moyen âge d'avoir fait un emploi immodéré de cette science,

et d'avoir, par contre, négligé la rhétorique, plus cultivée de

nos jours et dans l'antiquité. Certainement, il y a eu trop

souvent abus. Mais cet abus, et la subtilité ou la sécheresse,

qui en est le résultat, nous choquent davantage parce que

nous n'entrevoyons les discussions du temps que dans les

manuscrits, où les idées seules, et non la forme dont ces

idées étaient revêtues, ont été consignées par les scribes,

1.Ma.cité.<o).gt.

Page 53: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEÏGNRMRNT. St

par les rapporteur, soit dans Ic but d'économiser )e par-

chemin, soit dans toute autre !nt<*nt«'tt. La chaleur et la vie

n'étaient sans doute pas exclues des exercices oraux autant

qu'elles le sont de leur reproduction écrite nous pouvons

presque l'affirmer, par induction, en nous reportant aux pro-

cédés en usage pour la rédaction des sermons, qui étaient

également mutités par leurs transcripteurs. D'ailleurs, A tout

prendre, t'abus de la dialectique est préférable encore a t'abus

de la rhétorique: l'une fait de beaux p.trteurs, t'autre de forts

penseurs. Nous voyons trop fréquemment, a notre tribune

politique et ailleurs, ce que peut produire l'art de pérorersans l'art d'argumenter. L'âge de la dialectique avait ses

ergoteurs n'avons-nous pas nos rhéteurs? Et lesquels valent

le mieux, quand on ne peut réaliser l'alliance si nécessaire

et si désirable de ce:: deux talents opposés? it se fait depuis

peu, dans le monde religieux surtout, une réaction sensible

en faveur des scolastiques. Dernièrement encore, l'étude de

leur chef, de l'Ange de l'école, a été recommandée, avec la

double autorité du rang suprême et du savoir le plus émi-

nent, par le vicaire de Jf:SUS-CumsT lui-même. C'est qu'il a

été reconnu que leurs œuvres cachent, sous une rude écorce,

la solidité et la profondeur du raisonnement, qui ont tropfait défaut à leurs successeurs c'est que, par ce temps de

sciences exactes, on ne peut pas plus se contenter de belles

phrases en théologie ou en philosophie qu'en physique ou

en mathématiques.La rhétorique n'a cependant pas été mise complètement

de côté au moyen âge elle a eu, chacun le sait, quel-

ques dignes représentants. Et puis, il y avait, comme nous

le verrons plus loin, un genre de rhétorique particulièrement

Page 54: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtÈME StÈCLE.82

cultiva, ft dont on ne saurait tr"p si~nater t'esistence

aux chrétiens de nos jours. L'eveque Guittaume d'Auvergne

a laisse un traité intitulé par lui 7~' ~<ow< </«'/w, dans

lequel il s'est propose d'imiter Cic~ron seulement il a

entendu par ces mots. non pas Fart de persuader tes homme'

si bien pratique par son illustre module. mais fart ile persua-

derDieu partapm'rc. Or, un paroi) titre est a lui seul une

rc\c)atiot). Si le di~nc prchtt a réussi (tans son imitation du

maitrc antiqm- je n'en sais rien, je n'ai pas le rechercher

en ce moment mais cette touchante supposition, que dis-je ?

cette conviction que Dieu se laisse ébranler par les argu-

ments et les représentations des hommes, et que tes hommes

doivent s'appliquer a capter l'esprit de Dieu comme its )e

feraient pour un juge mortel, m'en dit plus long que tous les

traites de rhétorique. Kt)e m'apprend que, si la sainteté était

le but tic ta science en général, et si l'on s'instruisait en vue

d'approcher davantage de la perfection spirituelle, fart ora-

toire en particulier recevait une destination et un but

sublimes: il devait enseigner à bien prier. Et la même pensée

se retrouve, du reste, dans le nom chrétien de la prière, qui

n'est autre que celui du discours, un de ces mots pleins de

choses qui demandent a être médites: c~t~c.

Je ne m'arrêterai pas à exposer en détait les matières sur

tesquettes portaient les différentes branches du /~WM<wet du

j~«t</w/«M<.Je me bornerai à citer les livres classiques expli-

qués de préférence dans la Faculté des arts (car la plupart

des maitres de t'Université prenaient pour sujet de leurs

cours un texte qu'ils expliquaient et auquel ils rattachaient

les développements de la science dont ils s'occupaient). Ces

livres sont l'/M/~M/Mf/tCMde Porphyre, la Syntaxe de Priscien,

Page 55: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEtGNEMENT. 53

tes 7)~f< et tes /~A'wA/d'Aristot<<,et. Apartir tilt )2$oen-

virun, la /)j;<' et la .<'?tt/~tw/~< du même, te traité des

/)/M/<w~ et les y<M de Boëce, les Heures grammaticales

de Donat ('). C'est sur ce fonds métangé d'auteurs chrétiens

et d'auteurs païens que routaient principalement tes déter-

minances, ou examens de baccatauréat, et tes examens de

licence. U permettait d'introduire peu près toutes les

questions littéraires et scientinques, i\ part celles qui retevent

d<' <-t'rtai)M'ssciences pt~'fiiqucs ou naturette~ aturs dans

l'enfance, et n'ayant point, pour cette raison, deplace ofrieiette

sur le programme des études.

La Faculté de droit ou de décret enseittnait Ic droit canon.

Au deuxième siècle,l'école de Boulogne avait remis en honneur

t'etude du vieux droit civil romain, et son exemple avait été

suivi par celle de Paris. Mais tes préventions, en partie justi-

fiées, des théologiens et des autres docteurs de t'Universite

contre cette restauration des légistes païens en amenèrent la

suspension momentanée le pape Honorius !H, a la demande

du chancelier de Notre-Dame, interdit l'enseignement du

droit civil dans la capitale. La bulle qu'it rendit pour cet

objet, en <2to, a été sévèrement incriminée: il sufHt,pour la

défendre, d'observer que la Faculté de Paris avait été créée

pour le droit canon seul, et que le droit romain, opposésur beaucoup de points à ce dernier, la détournait de sa

mission spéciale. Cet acte eut pour contre-coup la fondation

de l'Université d'Orléans, composée spécialement de juristesainsi les amateurs des Pandectes et des Institutes purent se

t. V.Thurot,< cil.LecardinalJacquesdeVitryrecommande,enoutre,commeauteursclassiques.Prudence.Prosper.Sédu]iu!i.Catoo,Avieu(tuutateurdeD)Mre).Théodulphe(sansdoutel'évêqued'Orteans),etpar-dessustout la Biblet~m/tA.(Ms.cité.)

Page 56: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIECLE.54

dMdt'tnntaner ~ns avoir ta peine de faire un ton~ voyage, et

ceux qui habitaient le midi ne tardèrent pus à trouver la

tnonc ressource dans tes ecotcs de Toulouse, d'Alais, de

M~at~Hicr mais, jusqu'à Louis XIV, t'aris fut privé de

t'ensei~nctnent t~ciet du droit civil, quoique de très bonne

heure il n'y eut plus aucun intcrf't à l'en taisst'r dépourvu.!<:ttc~ist.ttion ccctcsiastiquc resta donc maîtresse des chaires

<tucette ville. Ce ne fut pas, toutefois, sans des luttes assez

vives. t~' ctt'rgc avait beaucoup de peine A modérer l'élan

qui emportait la jeunesse vers les nouveautés en faveur,

et toutes ses objurgations étaient impuissantes après avoir

.étudié à Paris la théologie, la philosophie, les arts, on allait

apprendre aiUeurs ce que ces maitres n'enseignaient point,et certains étudiants parisiens couraient chercher ce com-

ptunient jusqu'il Hotc~ne, qui conserva ton~cmps ta supé-riorité en fait de droit romain ('). On doit voir dans ces

tendances et dans cet engouement une première tentative

de sécularisation de l'instruction supérieure l'Église en

triompha officiellement, parce qu'elle régnait encore en sou-

veraine sur la société mais tes doctrines des légistes ne s'inni-

trcrent pas moins dans les pores de la nation, et nous savons

quelle déptoraMe influence its exercèrent, à un moment

donné, sur les affaires du royaume.La Faculté de médecine n'eut pas, à son début, une

grande importance, et nous manquons d'indications précisessur son enseignement. Les professeurs tes plus renommés

dans cette science étaient à Salerne et à Montpellier on

V., mr l'étude du Droit. la B<M. <&<fM/t des t*a~M. an. tBTo. p.t et saiv..

'~7'. P. 379 <t suiv. Cf. le cours de droit canon professé à la m6meeco)e par M. Ad.

Tardif.

Page 57: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEIGNEMENT. 55

venait la leur demander, comme on venait demander A

chaque centre littéraire ou scientifique sa spécialité. t.'écote

de Montpettier était en vogue des le douzième siècle: c'estt

là qu'avait enseigné un des médecins de Philippe-Auguste,

Jean de Saint-Gilles,qui un jour,au milieu d'un sermon.s'arréta

pour revêtir inopinément l'habit de saint Uominique.abandon-

nant ainsi le soin du corps pour celui des âmes, ou plutôt ad-

joignant l'un à l'autre. L'école de Paris produisit cependant,au treizième siecte. quelques sujets distingues par exemptePierre de Limoges, qui était doyen de ta Faculté en 270, et

qui enrichit de manuscrits précieux la bibliothèque naissante

de la Sorbonne ('). Lui aussi joignit A l'étude de la théra-

peutique celle de la théologie ce cumut n'était pas rare, on

le voit, et il avait au moins l'avantage de détourner des idées

matérialistes ceux qui pouvaient y être enclins par leur pro-fession. On regardait comme inséparables la connaissance

de t'ame et cette du corps. C'est un principe auquel revien-

nent aujourd'hui nos meilleurs médecins, et la physiologie,

qu'ils remettent en honneur, n'est autre chose que la réunion

de ces deux sciences, en apparence si contraires, au fond si

intimement liées.

La Faculté de théologie occupait, en raison de l'objet de

son enseignement, le sommet de l'échelle universitaire. Les

autres sciences, les sciences séculières, comme les appelle

un chancelier, doivent être, ainsi que nous venons de le voir,

ses humbles servantes (<t</w/wf~M//f.f,),'elles étaient vis-à-

vis d'elle comme la clarté lunaire à côté de la clarté solaire,

comme la lune sous les pieds de la femme de l'Apocalypse

~<w/<t sole, < /M/M.M~/<'<M ~/< Aussi leur imposait-elle

<.Echatd,& <~< t. t<M;DuBothy.«~.< Ut.398.

Page 58: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SÏÈCLE.se

Sun esprit, son vocabulaire, st~t) symbolisme. L'Ëcriturc-

Sainte, ce livre essentiellement historique, considéré surtout

comme tel aujourd'hui, était étudiée de préférence dans ses

innombrables allégories. Le goût générât était au mysticisme,

et, tandis que cette tendance cntraînait les esprits solides vers

ta région des hautes et subtimes conceptions, elle égarait tes

faibles dans un dédale d'interprétations figurées, plus ou

m"ins forcées. Ne s'élève pas qui veut sur les cimes où ptanele génie des Thomas d'Aquin et des Honavcnturc. Apres la

Mibte,c'était le /<' </<f.f~M/t'w~qui faisait la base de len-

scinuetnent on expliquait l'un et l'autre concurremment

mais l'autorité d'Aristote faisait une rude concurrence à celle

des textes sacrés, en théologie comme en philosophie.Les ordres religieux, en particulier celui des Frères Prê-

cheurs, avaient des ~/w//« ~t'w/M/M qui étaient de vraies

écoles normales théologiques, organisées plus régulièrement

que l'Université elle-même. Celle de Saint-Jacques de

Paris, acquit par ce moyen, dans la Faculté de cette ville,

une prédominance qui lui valut bien des jalousies et bien

des luttes. Son succès inspira peut-être à Robert de Sorbon

l'idée de fonder pour les étudiants séculiers en théologie un

collège spécial, où ils pussent trouver également tes avan-

tages de la vie en commun et de t'étude en commun car

on a remarqué que l'organisation de la cétëbre Sorbonne

ressemblait beaucoup à celle des ordres mendiants, qu'elleoffrait le même système de leçons, la même discipline,et jusqu'aux mêmes dénominations les membres de cette

association avaient, comme les nouveaux frères, un prieur à

leur tête ils s'honoraient de leur pauvreté et s'intitulaient les

~M!W.f w<M de Sorbonne. Leur fondateur trouva des

Page 59: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEIGNEMENT. 57

imitateurs nombreux.ct le mouvement dont il donna le '"{{"ai

ne fut certainement pas étranger non plus à l'admirable essor

pris alors par les étude'. en <M'w'/<( !) faut dire aussi que

t'œuvre de Robert fut surtout t'œuvre de saint Louis: c'est

c<*prince qui donna les bâtiments nécessaires et qui encou-

ragea de ses propres deniers son chapelain et son ami. La

science théotogique lui était particulièrement chère et ce

n'est pas seulement ce)tc-t:\ qu'il contribua à développer, car

toute t'Univosité eut en lui un protecteur éctairé, judicieux,

défendant avec fermeté ses vrais intérêts, mêmelorsqu'il lui

imposait la paix avec les bourgeois, même lorsqu'il favorisait

tesJacobins contre l'exclusivisme de ses docteurs séculiers (').

Passons maintenant à la méthode employée pour la distri-

bution de l'enseignement des diverses Facultés. Httc offre

une différence capitale avec celle qui domine aujourd'hui

dans nos établissements d'instruction publique c'est que la

parole y tenait beaucoup plus de place que t'écriture, tes

exercices oraux beaucoup plus que les devoirs écrits. Ce fait

seul indique combien l'esprit des étudiants devait être fami-

liarisé avec l'objet des études. Quelle que fût la science dont

ils s'occupaient, on les habituait a raisonner et à discuter

verbalement la <<<« était la forme adoptée de préfé-

rence pour inculquer toutes les vérités dans l'intelligence de

la jeunesse. Le maître disputait devant les élevés, souvent

même avec eux, et les éteves aussi disputaient entre eux

devant le maitre. Mais il ne faut pas croire que tout leur

travail se bornât là. Le célèbre docteur que je viens de

t. V. ~< /<< <&la /M«y, XtV, S5~t''mnM!n,~«.. ~t'«<«/A.Paris,p. zat etsuiv.:A< ~f/o/~t~j f'~o~M. an. t862, p. tS~.ete.On étiquete non)p. Jacobins ë!ait ators t'appeHationpoputaire an. 1862. p. frecheurs etabUs le nom

de Jacobins était alors l'appellatiou populaire des Frères Prêcheurs établis dans le

couvent de la rue Saint Jacques, a Paris.

Page 60: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtEME SIÈCLE.S8

nommer, Robert de Sorbon, nous a laissé, dans un morceau

inédit, un plan très justement conçu des différentes opérationsintellcctuelles auxquelles ils devaient se livrer. Bien que j'aie

donné ailleurs l'analyse de ce fragment ('), je crois utile de

la reproduire ici, parce que rien n'est plus propre à nous

initier à la vie intérieure de ces jeunes et fervents adeptes de

la science.

<j L'écolier qui veut profiter doit observer six règles

« essentielles

« t" Consacrer une certaine heure à une lecture détermi-

< née, comme le conseitte saint Bernard dans sa lettre aux

« frères du Mont-Dieu.

« 2" Arrêter son attention sur ce qu'il vient de lire, et ne

«point passer légèrement. 11y a entre la lecture et t'étude,

« dit encore saint Bernard, la même différence qu'entre un

« hôtc et un ami, entre un salut échangé dans la rue et une

« ancction inattérabte.

« 3° Extraire de sa lecture quotidienne une pensée, une

<: vérité quelconque, et la graver dans sa mémoire avec un

«soin spécial. Sénëque a dit C~ MM//<<«rwM in die,

« MMMW//M < ~<X/ illa </«'&tf<K<

« 4" En écrire un résumé, car les paroles qui ne sont pas« connées à l'écriture s'envolent comme la poussière au vent.

« 5° Conférer avec ses condisciples, dans les disputationes« ou bien dans les entretiens familiers. Cet exercice est encore

« plus avantageux que la lecture, parce qu'il a pour résultat

« d'éclaircir tous les doutes, toutes les obscurités que celle-ci

« a pu laisser. Nihil perfecte .MA~ MM~dente disputationis

« feriatur.

t. ~a C~t~/m~Mx au «<<')<Mâge, ae édition, p. ~53.

Page 61: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEtGNEM ENT. 59

« $" Prier. C'est ta, en effet, un des meilleurs moyens

<!d'apprendre. Saint Homard enseigne que la lecture doit

« exciter les mouvements de l'âme ~«~~M~, et qu'il faut

« en profiter pour élever son cœur a Dieu, sans pour cela

« interrompre l'étude.

« Certains écoliers agissent comme des fous ils déploient

< de subtilité dans les niaiseries, et se montrent (Mnués

« d'intelligence dans les choses capitales, Pour ne point pa-« raitre avoir perdu leur temps, ils assemblent des R'uiUfs

« de parchemin, en forment d'épais volumes, remplis d'in-

« tervaUes blancs à l'intérieur, et les recouvrent d'élégantes

< couvertures en peau rouge puis ils reviennent à la maison

« paternelle avec un petit sac bourré d'une science qui peut

« être dérobée par des malfaiteurs, rongée par les rats ou par« les vers, détruite par le feu ou par l'eau.

<: Pour acquérir l'instruction, il faut encore s'abstenir

« des plaisirs et ne pas s'embarrasser de soucis matériels.

« Il y avait à Paris deux maîtres liés ensemble, dont

« l'un avait beaucoup vu, beaucoup lu, et demeurait jour et

« nuit courbé sur ses livres à peine prenait-il le temps de

« dire un Pater: celui-là n'avait que quatre auditeurs. Son

« collègue possédait une bibliothèque moins garnie, était

« moins acharné à t'étude, entendait chaque matin la messe

« avant de donner sa leçon et pourtant son école était

< pleine. Comment faites-vous donc ? lui demanda le pre-

« mier. C'est bien simple, dit-il en souriant Dieu étudie

« pour moi je m'en vais à la messe, et, quand j'en reviens,

« je sais par coeur tout ce que je dois enseigner.

« La méditation ne convient pas seulement au maitre le

« bon écolier doit aller se promener le soir sur les bords de

Page 62: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.60

« la Seine, non pour y jouer, mais pour y répéter ou y médi-

t ter sa tfcon ('). »

Ces derniers mots sont une allusion à la promenade du

t'ré-aux-Ctercs, qui s'étendait le long de la Seine, et qui fut

l'objet de tant de discussions entre l'Université et l'abbaye de

Saint-Germain. Dès n<)2, les étudiants avaient l'habitude

d'aller y prendre l'air, mais pas toujours d'une manière aussi

catmequc t'eût voulu le fondateur de la Sorbonne, et en t2t5,

)e règlement du légat Robert de Courçon le maintint dans

la possession de ce privilège, quoiquc le pré ne fût pas en-

corc la propriété de l'Université.

Robert de Sorbon termine en Marnant ceux qui se con-

ten tent d'une instruction incomplète et ne savent pas utiliser

leur acquis <! Lagrammaire forge le glaive de la parole de

« Dieu la rhétorique le polit enfin la théologie le met en

« usage. Mais il y a des écoliers qui apprennent sans cesse

« a le fabriquer, à l'aiguiser, et, à force de l'effiler, ils finissent

« par l'user totalement (c'est-à-dire qu'ils se confinent dans

la grammaire et la rhétorique sans aborder jamais la théo-

logie, qui en est le couronnement il est donc bien vrai que,

dans les idées du temps, un étudiant doit cultiver successi-

vement toutes les sciences, contrairement à notre principe

actuel de scinder tes études et de ~M~K< à moitié route).

< D'autres le tiennent ren<ermé dans le fourreau et, quand< ils veulent l'en tirer, ils sont vieux, le fer est rouillé, ils ne

< peuvent plus rien produire. Quant à ceux qui étudient

« pour arriver aux dignités et aux prélatures, ils sont bien

« déçus, car ils n'y arrivent presque jamais (2).b

t. BM. nat, ms. ]at. t~t, toL t~y et suiv.

2.

Page 63: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEIGNEMENT. 61

Cette esquisse est encore incomplète elle ne nous montre

que le travail particulier de t'étève, sans nous faire connaître

le rote du professeur. Celle-ci enseignait souvent, comme je

le disais, au moyen de la o~~«/«'. Mais il faisait aussi des

~«WM, des discours familiers, à peu près comme ceux que

l'on prononce dans nos cours publics, et durant lesquels tes

auditeurs prenaient des notes selon leur habiteté ou leur

fantaisie. Lorsqu'il s'agissait de l'explication d'un texte, ils

suivaient dans un exemplaire a leur usage, ainsi qu'on peutle voir, entre autres, dans une miniature placée en tête d'un

des manuscrits de Jean d'Abbeville, théologien fort en vogue

au commencement du règne de saint Louis, miniature repré-sentant des écoliers assis devant la chaire du maître ('). Puis,

chaque samedi, on faisait la répétition ou la récapitulation

de toutes les leçons données dans l'Université durant la

semaine cette séance était présidée par le wo~w<~M~M/<

.K~C~'(~).

L'ensemble d'une pareille méthode offrait des avantages

importants. Elle laissait surtout une large part à l'initiative

de t'éteve, qui était ordinairement d'un âge assez raisonnaNe

pour travailler seul car il n'était pas rare de rester sur les

bancs jusqu'à vingt-cinq ou trente ans. Celui qui poussaitainsi jusqu'au bout ses études universitaires, passait succes-

sivement par les rangs de ~c~M/MM, de ~KV/M et de

AhWM/M. On n'était réputé .M~M/MM, ou écolier attitré,

que lorsqu'il était prouvé qu'on avait suivi les cours durant

un temps déterminé. Les deux grades de bachelier et de

licencié n'existaient pas primitivement il n'y avait en réalité

t. B!N. nat., ms. )~ tst6.a. Robert de Sorbon (~<. Bibi. XXV. 369); La CAaw/htWf.Mxox

<M!)~' <<f<. éd.. p. 456.

Page 64: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREÏZtÈME SÏ&CLE.63

que deux degrés, celui des étudiants et celui des mattres.

devenaitma!tre qui voulait et qui pouvait, pourvu qu'il eut

reçu de l'autorité ecclésiastique la //<v~<vd'enseigner la licen-

ce ne constituait donc pas un grade véritable, mais soute-

ment une permission, comme son nom l'indique. Vers la fin

du douzième siècle ou le commencement du treizième, a la

faveur de la multiplication des écoles et des écotiers, on voit

s'introduire dans t'usagc un premier {{rade,te baccalauréat,

puis un second, la licence, qui perd alors son caractère de

simple autorisation pour devenir un titre plus défini. Le

baccalauréat, qui tire son nom d'un certain genre de tuttc

auquel on habituait autrefois la jeunesse (~<M</Mw~,apparaîtd'abord dans la Faculté des arts. Les étudiants de cette Facul-

té, après avoir étudié suffisamment leur ~'«'<MW,s'exerçaient,eux aussi, à lutter ou à disputer sur les différentes matières

qu'il contenait c'est ce qui s'appelait <<w/M< Ceux quiavaient <A'ww~ avec succès en présence des maitres, aux

époques fixées, notamment pendant le carême, étaient pro-clamés ~(~<7w~ ils acquéraient le droit de porter la chape

ronde, signe distinctif de ce grade, et d'assister à la messe

des nations. !~e bachelier qui voulait conquérir la licence

dans une Faculté quelconque se présentait, après de nou-

velles études, au chancelier de l'Université, qui, à Paris,

était le même que le chancelier de Notre-Dame et possédaitseul alors le droit de collation, comme héritier de t'écotatre

diocésain, maigre tes prétentions du chancelier de la puissante

abbaye de Sainte-Geneviève, son compétiteur ('). Ce dignitairele soumettait à une épreuve d'un autre genre, dont tes indi-

cations fournies par Robert de Sorbon dans son discours sur

t. Thutot, < <t< G. Bourbon, /<< cit

Page 65: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'ENSEIGNEMENT. 69

la ~cM.r<WM<fnous permettent <te restituer la nature exacte.

Le candidat recevait du chancelier un livre, sur lequel il de-

vait être interroge it remportait chez lui, le parcourait, puis

notait et étudiait tes questions ou les difficultés qu'il pou-

vait y rencontrer. Ainsi prépare, il revenait demander un

jour pour son examen. JI comparaissait ensuite devant un

jury, composé du même chancelier et de plusieurs maitres,

qui le faisaient discuter sur ces différents points ils le dé-

claraient admis s'i) y avait lieu sinon, ils le renvoyaient a un

an ('). Cette épreuve était, comme on le voit, beaucoup plussérieuse que celle de la licence actuelle elle se rapprocherait

plutôt de la thèse du doctorat, avec cette différence que le

candidat n'avait pas le choix absolu de son sujet et n'écri-

vait pas sa discussion, deux conditions qui rendaient encore

sa t~tche plus dimcite. Aussi les refus ou les ajournements

étaient-its fréquents. Mais, hétas la corruption se glissait quel-

quefois jusque parmi ces examinateurs austères on préten-

dait, du moins, qu'il était possible de leur arracher un diplôme

à force d'argent et de sollicitations, et cette imputation ser-

vait de prétexte aux perturbateurs de l'ordre. Peut-être, après

tout, n'était-ce qu'un propos de candidats malheureux nous

savons assez combien leurs pareils éprouvent le besoin de se

venger. I) était, en effet, interdit au chancelier d'accepteraucune somme ni aucun service en échange de ta licence et

1lui était même défendu de refuser ce grade à celui que la

najorité des jurés avait reconnu /<&/?<I.e licencié, une fois

nuni de l'approbation ecclésiastique, revenait devant les

nembres de sa Faculté et recevait de tours mains un nouvel

nsigne c'était le bonnet, qui faisait de lui un maître, et qui

t. ~t/M. &< /'<t< XXV, 362

Page 66: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREÏZi&ME SIÈCLE.64

lui conférait )a maitrise m) te droit de protester & son

tuur(').).

Ainsi était organise l'enseignement dans cette florissante

Université de Paris, dont tes méthodes sont depuis long-

temps tombées dans l'oubli, sans avoir été remplacées par

des méthottes sensiblement meitteures, maigre tous les

essais, toutes les modifications, tous les tâtonnements qui sc

sont succédé a de si courts intervattes, au détriment de la

ft~rceet de la solidité de nos études supérieures. On pour-

rait ajouter a ce tableau bien des traits intéressants si l'on

voulait parler des mœurs des écoliers, des doctrines univer-

sitaires, des luttes ardentes qui troublèrent presque dès le

début une institution pacifique par nature, des efforts du

pape et du roi pour y ramener la paix et la prospérité. Mais

je n'ai point entrepris de retracer l'histoire de cette illustre

corporation je me suis simplement proposé de présenter )e

tableau de son organisation son époque la plus brillante.

Ce court aperçu suffira, je t'espère, pour montrer que nos

aïeux aimaient la science d'un amour passionné, qu'ils la

cultivaient, qu'ils trouvaient partout le moyen de l'acquérir,

et pour répondre à ces banales imputations d'ignorance ou

d'obscurantisme lancées a tort et à travers contre le moyen

âge. La réponse sera, du reste, plus pércmptoire encore lors-

qu'après avoir vu comment l'écolier s'initiait aux principatesbranches des connaissances humaines, nous aurons constaté

ce qu'il faisait de cette instruction première, et à quel degré

d'épanouissement la fleur ainsi semée dans l'intelligence de

l'enfant ou du jeune homme, pouvait arriver chez t'homme

mûr, sous le sourfte de cette ardente passion pour la vérité.

1.Thmrot.o~.«<

Page 67: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

t"tn "tfi 'an '.<rs'ih~s'~)'yi 'Trt '.Mn Tn"M.:6'

} C~aptUe ttO~tnC. LATHÉOLOGÏE.

tt

SOMMAtRB. La théologie considérée comme la science

supérieure et universelle. La scolastique naissance et dëye

loppement de cette méthode ~enerate ses avantages et ses

inconvénients. Ses principaux adeptes Albert le Grand,

Alexandre de Halès, S. Thomas d'Aquin. La -StWHwf,ouvrage

capital du Docteur Angélique plan de cette vaste encyclopédie

religieuse. Méthode particulière de l'auteur exemptes de ses

démonstrations. Réaction anti-scolastique Gutitaume

d'Auvergne ;& Bonavea<ure;convenMttien de ee dernier avec

S. Louis.

N tête de la longue nomenclature des connais-

sances humaines comprises dans le programme

de ses études, le treizième siècle p)a<,ait,comme

nous l'avons déjà vu, la science de Dieu, la theotogic. Et ce

n'était point sans raison. Dieu n'est-i) pas le sommet, n'est-it

pas le terme de toute la vie intellectuelle, comme il est le but

et la fin dernière de notre existence terrestre? Le moyen

âge l'avait ainsi compris mais il allait encore plus loin. t)

faisait de la théologie la science universelle, il faisait rentrer

dans son domaine chacune des autres, et pensait que, Dieu

étant tout, l'étude de cet objet suprême devait embrasser

tout. C'est ce que déclare en propres termes Henri de Gand,

le Docteur solennel Bien que Dieu soit l'objet propre de la

théologie, dit-il, elle renferme en elle tout le reste, puisqu'ette

jette les fondements de la science et de la certitude. » Et non

seulement c'était là l'opinion d'une longue série de siècles

Page 68: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZÏÈME StÈCLE.66

chrétien'. mais dans ('antiquité ta plus reeutée, on T'aremar-

qué, la recherche et la connaissance de la Divinité, la

théodicéc, était )a science par excellence, et chaque code

religieux formait une véritable encyclopédie. La philosophiesurtout lui était unie par tes liens les plus étroits elle se

confondait même avec elle, et ce n'est que par une distinc-

tion rétrospective, par une répartition artificielle de t'<euvre

des grands docteurs, que nous parvenons aujourd'hui a établir

d'un cote leur bilan philosophique, de l'autre leur bilan

théotogiquc. Cette (fuvrc est essentiellement une et simple,

et, comme tes corps simples, elle se prête difficilement à la

décomposition chimique. On est fnrt embarrassé, par exemple,

quand on veut considérer successivement à ces deux pointsde vue la .«w~w de saint Thomas. Les temps modernes

ont prétendu, au contraire, isoler Dieu de tout, séparer sa

connaissance, non seulement de la sagesse humaine, mais de

tout le cycle des études ordinaires, la reléguer, en un mot,

dans le monde des abstractions, pour ne pas dire des rêves.

Ou je me trompe fort, ou cette prétention nouvelle a été le

prélude et t'avant-cour:ur de celle qui s'étale si effrontément

sous nos yeux Dieu hors de la politique, hors de la société,

et t'Égtise hors de t'État. Le philosophe qui sépare la science

de Dieu de la science de l'homme est le père de l'athée quiveut enfermer le prêtre dans son temple, afin de le tenir

sous clef. Entre les deux, il n'y a même pas toujours la

distance d'une génération le matérialisme et la Révolution

sont frère et sceur ils coïncident, ils coexistent, et, pour quiles regarde de plus près, ils ne font qu'un.

Le principal effort de t'intenigenee humaine aura donc

pour théâtre, au moyen âge, la théologie. C'est sur ce terrain

Page 69: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

t<A THÉOLOGÏE. 67

que s'ef!ectueroMtsef plus brillantes conquêtes, c'est là qu'une

remportera ses plus beaux triomphes et, pour ne parler que

du siècle dont nous avant a nous occuper, c'est là surtout

qu'il acquerra cette prééminence, cette primauté éclatante

qui lui a fait décerner souvent t'épithete de grand siecte

chrétien. Qualification méritée, qu'il serait bien hors de

propos de lui contester ici car, par une curieuse coïncidence,

que dis-je ? par une double éclosion parfaitement rationnelle,

qui Cht le résultat d'un sentiment et d'un amour uniques,

cette époque voit naître simultanément dans t'entre titté-

raire et dans l'ordre artistique deux chefs-d'œuvre éclipsant

toutes les productions des âges de foi, tes résumant, les con-

densant, pour ainsi dire et ces deux chefs-d'œuvre, enfantés

l'un à côté de l'autre, chantent chacun à leur façon la gloire

de JRsus-CmusT, sa domination effective sur la terre: la

Sainte-Chapette, cette mervcitte de l'art, et la .S'<w/wf,cet

admirable monument de l'esprit humain, sont l'expression

synthétique de tout le génie du moyen âge, et toutes deux

appartiennent précisément au règne de saint Louis.

Examinons rapidement le caractère de la théologie de ce

temps et celui du grand ouvrage composé par son principal

interprète. Le fond de la science théologique, sans doute, ne

change pas; il est immuable comme le dogme, qui peut se com-

pléter de loin en loin sous l'inspiration du Saint-Esprit, et non

se modifier. Mais la forme de la doctrine, la méthode de l'en-

seignement, qui sont la seule chose dont nous puissions nous

occuper ici (car nous respectons trop profondément l'autorité

de l'Église pour nous immiscer dans son rôle), sont, au con-

traire, variables elles ont varié, et elles varient encore,

puisque nous voyons se dessiner aujourd'hui un mouvement

Page 70: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.68

prononce de retour vers les monuments de cette vieille

scolastique, si méprisée naguère. La scolastique, voità juste-

ment le nom donné à la forme revêtue alors par la théologie.

Qu'est-ce donc que la scolastique?Par lui-même, ce nom ne signifie rien de bien particulier

il n'éveille pas d'autre idée que celle des écoles de clercs, si

nombreuses au moyen âge, et dans lesquelles l'enseignement

pouvait se donner de bien des manières. Mais, dans l'usage,il est attaché à l'idée de la dialectique et du syllogisme, parce

que tes écoles les plus florissantes adoptèrent le mode de

l'argumentation pour enseigner les vérités religieuses. On a

beaucoup médit de cette méthode scolastique, et il faut

recoiinaitte que ses adeptes en ont abusé. Mais, par son prin-

cipe même, ne se ptace-t-etie pas sur une base admirable?

n'f'nre-t-ctte pas l'idéal tant cherché par les penseurs chrétiens

de tous tes temps ? ne résout-elle pas, en un mot, ce problème

qui a tant préoccupe le monde moderne et que certains philo-

sophes se sont hâtés de proclamer insoluble, l'accord de la foi

avec la raison ? La scolastique discute, donc elle fait appel à la

raison elle argumente, donc elle se sert de la lumière natu-

relle. Quand saint Thomas serre de près ses adversaires avec

la rigueur d'un mathématicien, il ne s'appuie pas seulement

sur les vérités révélées, il emprunte aussi des armes à l'enten-

dement et même un de ses ouvrages, la ~oww~ contre les

Gentils, est uniquement basé, à dessein, sur des raisonnements

humains. Le principe de cette méthode est donc supérieure-ment lumineux, salutaire et fécond; elle est par là d'une

valeur plus actuelle que jamais.

A côté de cet immense avantage, la scolastique avait un

bon côté précieux, en ce qu'elle aiguisait constamment l'esprit

Page 71: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGIE. 69

LeXtH"nMeMit.tt .cimt. <

et le tenait en haleine, qu'elle habituait l'homme à porter des

jugements rigoureusement établis, et qu'elle le présen'ait de

tomber dans les pièges grossiers des sophistes. Elle a fini, je le

veux bien, par tourner elle-même à la sophistication e!)e

aussi, suivant le mot de Robert de Sorbon, usait le glaive

du raisonnement en voulant trop l'affiler. Mais ce n'est plus

ta l'essence de son système c'en est l'abus, c'en est la corrup-

tion. Autant il faut dire du bien de l'un, autant il faut penser

du mat de l'autre cetui-tà menait à la lumière, celui-ci à

t'hërésie et c'est ainsi que tcii meilleures choses engendrent

souvent les pires ~o <~)//w//t'~<M.On peut fixer la naissance de la scolastique au onzième

siècle. L'étude d'Aristote ayant repris alors une faveur exa-

gérée, les théologiens, qui, jusqu'alors, s'étaient à peu prèsbornés au commentaire de l'Écriture et des Pères, s'effor-

cèrent d'exploiter à leur profit les ressources de la dialectique

péripatéticienne, devenue l'arme à la mode. Il en résulta, dès

le début, un attiage bizarre de vérités chrétiennes et de for-

mules ou d'idées patennes, qui fit glisser les esprits faibles sur

la pente de l'erreur car un des effets les plus certains et les

plus frappants de la méthode de t'Écote en général était pré-cisément de fortifier les forts, de donner l'essor au génie, et

de faire dévoyer les intelligences d'un ordre secondaire. Le

scepticisme d'Abailard et de Roscelin, le panthéisme

d'Amaury de Chartres sortirent tout d'abord du creuset où

se combinait cet alliage dangereux. L'Église les condamna

énergiquement, sans toutefois interdire le système en lui-

même, espérant sans doute qu'après l'expulsion de cette

écume, l'or de la vérité apparaîtrait à son tour plus pur et

plus clair, dégagé de ses scories par la main expérimentée

Page 72: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SŒCLE.70

d'un maître; et elle ne t.e trompait pas, car ce maitre devait

se rencontrer.

La scolastiquc continua donc à étendre sor, empire, et au

treizième siècle nous la trouvons en plein épanouissement. La

plupart des docteurs composent des traités de controverse qui

ne sont qu'un enchaînement de syllogismes et de déductions

plus ou moins heureuses, intitulés ()//<\f//<wy,~wwM, 7~

ou ~oww<'M/<w<f.Ils prennent un texte, de préférence celui

des .SrM/f~n*~de Pierre Lombard, qui ne sont qu'un recueil

de propositions des PCres relatives aux dogmes, composé

vers la fin du siècle précédent ils développent ce texte en

gloses ptus ou moins subtiles, dont ils couvrent les margesdes manuscrits, et ils font l'application de ces propositions

aux différents sujets controversés. L'Écriture-Sainte elle-

même, lorsqu'elle est commentée, l'est presque exclusivement,

ainsi que je le disais, au point de vue tropologique on l'en-

visage surtout comme une mine inépuisable de ngures de

toute espèce. De là bien des interprétations forcées, bien des

discussions oiseuses, dont Pierre Lombard, tout en voulant

ramener les esprits vers les monuments et la méthode de

l'antiquité sacrée, avait lui-même donné plus d'un exemple

« Dieu existe-t-il spontanément ou nécessairement? JÊSUS-

CïïKtST pouvait-il naitre d'une espèce d'hommes diffé-

rente de celle de la race d'Adam (') ? etc. La solution

que l'on donne à ces problèmes et à d'autres semblables

n'est pas toujours d'accord avec l'orthodoxie, parce

qu'on ne tient compte que de la relation apparente des

idées et des mots, et que toute proposition est érigée en

). Caem. ~ttt «me.

Page 73: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGIE. 71

axiome quand un syllogisme bien on mal construit lui a

donné son taisser-passer. De temps en temps les papes rap-

pellent cette école de théologiens a l'ordre, c'est-à-dire A

la saine étude des Saintes Écritures ils sont impuissants à

endiguer le torrent. De nouvelles erreurs se produisent donc

au grand jour, dans les chaires des universités, et appellentde nouvelles condamnations. Nous voyons, en t3~o, t'évoquede Paris, Guillaume d'Auvergne, obligé d'anathématiser dans

une assemblée de docteurs les théories suivantes, enfantées

par tes arguties de la dialectique

L'essence de Dieu n'est point vue et ne sera jamais vue, ni

des anges ni des hommes. L'essence divine, quoique la même

dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, diffère néanmoins à

raison de sa forme dans chacune des trois personnes. Le

mauvais ange a été mauvais dès le premier instant de sa

création. Les âmes glorifiées ne sont pas dans le ciel cmpy-

rée avec les anges, mais dans le ciel aqueux ou cristallin,

au-dessus du firmament Un ange peut en même temps se

trouver en plusieurs endroits, et même partout, s'il le veut.

Celui qui a reçu de meilleures dispositions naturelles doit

nécessairement recevoir plus de grâce et plus de gloire. Le

démon et l'homme avant leur chute n'ont pas eu de secours

pour ne point pécher. Etc.

Un des successeurs de Guillaume, Étienne Tempier,

réprouve à son tour, en 1270, treize propositions enseignées

dans les écoles par de trop fidèles disciples d'Aristote, sur la

nature de t'âme, sur le libre arbitre, sur le gouverne ment de

la Providence, sur l'étendue de la puissance divine. On le voit,

les dogmes tes plus fondamentaux sont atteints par la

sophistique de ces ergoteurs. La Faculté des arts de Paris

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LE TREIZIÈME SIÈCLE.72

interdit, en 271, à la suite du décret épiscopa), d'agiter de

pareilles questions. Peine perdue on y revient un peu plus

tard, et les rechutes se succèdent comme les anathèmes.

Et quand l'abus ne va pas jusqu'à l'hérésie, il va quelquefois

jusqu'à la puérilité. On croirait qu'Étienne de Langton, ce

prélat anglais si justement célèbre à d'autres égards, accom-

plit une gageure lorsqu'il entreprend de commenter une

chanson française « AWf.r y/MMM//N~« et qu'il trouve

dans chaque vers, que dis-je? dans chaque mot matière à

interprétation pieuse et symbolique, à distinction, à définition.

Là est l'excès, je le répète là est le mal. Mais, parce quedes maladroits se blessent ou blessent leurs voisins avec une

arme dangereuse, s'ensuit-il que cette arme soit mauvaise et

qu'elle ne puisse rendre des services entre des mains plushabites ? Nous venons de voir le vilain côté des choses, et nous

ne l'avons pas atténué. Voyons maintenant les œuvres de ce

que j'appellerai la saine scolastique.

Voici d'abord le maître du Docteur Angélique, Albert le

Grand, cet homme universel, dont la gloire fut éclipsée par

celle de son disciple, mais qui avait prédit lui-même cette

gloire et l'avait préparée. Le bienheureux Albert cultive

à la fois toutes les branches de la science, la philosophie,l'élo-

quence, la physique, la chimie, l'histoire naturelle cependant,

malgré son admiration sans bornes pour Aristote, il demeure,

en tout et partout, essentiellement théologien. Tout en adop-tant docilement la mode de son temps, et jusqu'à ses défauts,

il élargit la méthode et les idées de l'École. Ses commentaires

de l'Écriture sont de vrais commentaires, suivant l'ordre du

texte, embrassant le sens moral, historique, littéral, aussi

bien que le sens allégorique et mystique. Sa .y<wMM<bien

Page 75: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGÏE. 73

oubliée aujourd'hui, mais célèbre pendant plusieurs siècles,

offre déjà les proportions a un cours général de théologie

méthodiquement disposé. Dans un traité plus spécial, intitulé

~Mww<tde <v)M~M, il envisage successivement la matière

première, le temps,le ciel et fange. D'après son système,l'esprit

pur, la matière pure, le lieu et le temps dans leur état ori-

ginel constituent quatre créations primordiales, qu'il étudie

dans une première partie puis il passe à la création secon-

daire et au cheM'œuvre de cette création, c'est-a-dirc a

l'homme, à son âme, à son corps, à ses facultés, aux modes

de son existence présente et future. Ce plan est aussi vaste

que rationnel, et fauteur l'exécute en philosophe, en natura-

liste, en docteur chrétien, tant il est vrai que pour lui, comme

pour la plupart de ses contemporains, la théologie embrasse

tout. Dans son ouvrage sur l'âme (De f!w'w«~,il s'élève, par

moments, à des hauteurs contemplatives où il perd complè-

tement la sécheresse de la forme scolastique, et dans son livre

dirigé contre Averroès (De ?<?</<<'/M/~f/M.f~,il nous montre

encore l'âme placée sur les limites du temps et de l'éternité,

participant de ces deux mondes, l'un terrestre et l'autre

divin, dont elle forme la réunion puis il arrive par une

discussion régulière à la démonstration de la personnalité,

qui le préoccupe le plus, et à la réfutation du vieux pan-

théisme oriental, cette erreur absurde et détestable, dit

M. Jourdain, ce rêve qui a, suivant lui, tous les caractères de

la démence (') ». Dans ce but, il expose trente arguments

invoqués par les averroïstes en faveur de f unitédes âmes, et

il développe trente-six arguments contraires proposés par

les docteurs catholiques. Cette discussion est certainement

t. JonrJain,/.«~M~Mt~tM<&saintThomas.

Page 76: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtÈME SÏÈCLE.74

hérissée de subtilités et de syllogismes qui sonnent étrange-ment nos oreilles modernes. Mais n'oublions pas qu'Albert

le Grand et ses imitateurs se trouvaient en face d'un débor-

dement d'opinions hétérodoxes, de théories panthéistes, qui

s'appuyaient préciscmcnt sur la philosophie et la dialectique

patenncs il fallait opposer à leurs partisans leur propre

système, il fallait les vaincre à l'aide de leurs propres armes

et c'est la tache que le bienheureux Albert a commencée, que

son disciple devait achever.

Voici maintenant Alexandre de Haies, te premier Frère

Mineur qui ait porté le titre de docteur et qui ait joint à

l'humilité de la robe de saint François l'élévation du génie

humain. Au milieu d'un sermon du frère Jean de Saint-Gilles,

cet ancien médecin qui était lui-même descendu de chaire,

un jour, pour revêtir l'habit de saint Dominique, Alexandre

interrompit l'orateur pour se faire franciscain séance

tenante. Lui aussi commente la Mbte et le Maître des

Sentences lui aussi compose une .X<wMw,-et cette .*wMW~,

déclarée classique par la cour de Rome, lui attire un concert

d'éloges dont l'écho retentit jusqu'en plein dix-huitième siècle.

Ses contemporains le surnomment le docteur des docteurs, ou

le docteur irréfragable Trithème, Bâte ne le jugent inférieur

à personne en érudition théotogiquc et en philosophie sécu-

lière, et Fleury tui-méme, l'historien gattican, ne trouve à lui

reprocher, avec le goût des questions curieuses, que sa doc-

trine absolue au sujet de la suprématie du pape sur les rois

mais Fleury n'est vraiment point un juge impartial dans

cette question. De nos jours, le savant dominicain et son

œuvre ont été consciencieusement appréciés par la critique

<.Considérée isolément, a-t-on dit, chaque partie de la .Soww

Page 77: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGIE. 75

d'Alexandre de Hâtes est peut-être dépourvue d'originalité,en ce sens que Ja doctrine est presque tout entière em-

pruntée aux saints Pères et à la tradition mais l'ensemble

a une incontestable grandeur. Le dogme catholique s'ytrouve pour la première fois exposé dans tous ses détails,selon tes (ormes du syttogisme, et avec la rigueur que cette

méthode sévère communique à la pensée. Cet ouvrage

délimitait le terrain de la controverse religieuse, et fermait

tes issues que l'absence de définitions laissait l'erreur ('.).?»

Or, ce terrain détimité par notre théologien est d'une étendue

immense il n'embrasse rien moins que les attributs de Dieu

et de la Sainte Trinité, la Création et les créatures, l'Incar-

nation et les Sacrements. Telles sont les quatre parties de

t'ccuvre d'Alexandre, et ce plan peut donner à lui seul

une idée de la vaste envergure de son esprit. Tous ces traités,

toutes ces .S'<w/w<fsont de véritables encyclopédies, et leurs

subtilités ne nous semblent souvent trop profondes que parce

que nous sommes déshabitués de pareilles profondeurs et que

nous ne pouvons plus y atteindre.

Je passe rapidement sur ces premières illustrations de

l'École pour arriver à la véritable incarnation du génie scolas-

tique, à ce grand bœuf muet », comme !'appe)a)cnt ses con-

disciples, mais bœuf dont les mugissements devaient retentir

par toute la terre, comme t'ajoutait son maitre. La taciturnité

du jeune Thomas d'Aquin était déjà de la méditation. Quandil parla et quand il écrivit, il méditait, il contemplait encore,

et l'on eût dit un aigle audacieux volant et s'élevant dans

le ciel, t'œit immuablement fixé sur le soleil. Sans lui, la sco-

lastique se fût peut-être égarée dès le milieu du grand siècle

t. Jumdatn,<<«/.

Page 78: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.76

chrétien, comme elle devait le faire au siècle suivant, par

l'exagération de son principe et de sa méthode mêmes mais

Dieu voulut, en le suscitant, ménager au monde catholique un

sursis, aux âges de pure foi une prolongation miséricordieuse.

Il avait envoyé saint François et saint Dominique pourrésister à la poussée de l'hérésie manichéenne, saint Louis

pour résister à la poussée de t'esprit de sécularisation poli-

tique et sociale il envoyait saint Thomas pour reculer l'avè-

nement du scepticisme moderne, qui déjà commençait à

percer dans les écoles. Ce siècle a reçu vraiment bien des

faveurs refusées à d'autres temps. Le danger venait alors de

l'abus de la dialectique et de la philosophie grecques. Le

catholicisme ne supprima ni l'une ni l'autre il fit mieux il

s'en empara, il les asservit, il se les appropria, comme aux

premiers âges de l'Église il s'appropriait les basiliques païen-nes pour en faire des temples chrétiens. Telle a toujours été

sa politique ne pas détruire, mais conserver et transformer

ne pas tuer, mais convertir ne pas anéantir le fruit des

laborieux travaux d'un monde écroulé, mais le purifier et en

profiter. C'est là l'esprit de l'Église dans tous les temps ce

fut la mission particulièrement réservée à l'Ange de l'École.

Il faudrait une étude et une compétence particulières pour

apprécier l'une âpres l'autre les différentes parties de t'œuvre

de saint Thomas. Un philosophe chrétien qui était en même

temps un érudit consommé, M. Chartes Jourdain, s'est chargé

de le faire dans un livre précieux, qui est à peu près le seul

ouvrage consacré par la critique contemporaine à l'immense

monument de la théologie du treizième siècle, mais ob it n'a

pu, lui non plus, séparer l'élément théologique de l'élément

philosophique. Je ne le suivrai pas dans ses études sur les

Page 79: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGtB. 77

traités secondaires de saint Thomas, si l'on peut appelersecondaires des écrits comme les commentaires d'Aristote

et des ~f~<'M<v~,tes ~«<f/«MMf<n'<f<r, la ~<'MM~contre

les C~Xf, tes expositions du livre de Job, des Psaumes, des

prophéties d'Isaîe et de Jérémie, du Cantique des cantiques,

des Évangiles de saint Matthieu et desaintJean,des Épîtresde saint Pau!, de l'Oraison Domtnicate, de la Salutation Ange-

lique, du Symbole des Apôtres, du Décatogue, et surtout

comme cette fameuse CX~M'o~(~/<~M <tMn'~ou tes quatre

É vangiles sont reliés avec des extraits des i'ères et des anciens

commentateurs dans un discours suivi et merveilleusement

enchaîné.Voilà,en ef!et,!a listedes productions qui s'ajoutent à

la grande .Scwtw de théologiepour former le bilan authentique

du plus fécond de nos docteurs, liste que l'on pourrait encore

grossir énormément en y joignant toutes les compositions quilui ont été attribuées. Ce serait beaucoup trop pour l'examen

le plus sommaire je me bornerai donc ici à son ouvrage

capital, à celui où sa doctrine est condensée et qui renete te

mieux son brillant génie.

En premier lieu, qu'a voulu faire l'auteur de la .Sowwc ??

A-t- entendu simplement se conformer à la tradition reçue

dans t'Ëcote et ajouter une compilation de plus à toutes celles

qu'avait fait éctore avant lui le goût scolastique? Non il a

voulu rectifier et perfectionner cette tradition il a voulu

réagir contre le côté dangereux de ce goût. Loin de sacrifier

aveuglément à Aristote, il annonce qu'il fera une exposition

claire et méthodique, et non une simple série de syllogismes

il se pose formellement en adversaire de l'abus de l'argumen-

tation. Voici le texte même de son prologue

< Notre but dans cet ouvrage est d'exposer tout ce qui

Page 80: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREUStÈME SIÈCLE.78

< rf~arde la religion chrétienne de la manière la plus conve-

C nable pour l'instruction de ceux qui sont au début de la

< carrière car nous avons remarqué que les jeunes éteves en

« théologie trouvent beaucoup de difficultés dans les divers

< traites dont ces matières ont été l'objet. Tantôt on multi-

C plie inutilement les questions, tes articles et tes arguments;

< tantut, au lieu de présenter dans un ordre logique les eho-

< ses qu'il est nécessaire de savoir, onattend que l'explication

«d'un texte ou les incidents de ta controverse fournissent

<( i 'occasiond'en traiter. Knnous efforçant d'éviter ces dotants

cet tous les autres du même genre, nous essayerons, confiant

« dans le secours d'cn-haut, d'exposer tout ce qui concerne

< ta science sacrée aussi clairement et aussi brièvement que< notre sujet le comportera ('). t

t<eptande)a .Sowwf offre une majestueuse synthèse de

toutes les matières théoto~iques. C'est la plus complète des

encyclopédies religieuses. Elle comprend trois parties, for-

mant chacune un immense domaine, dont le défrichement

suffirait à lui seul pour occuper plusieurs vies d'homme. La

première traite de Dieu, de ses perfections, de ses attributs,

spécialement de sa science infinie, puis des anges, de la créa-

tion, de l'homme, de son âme, de son corps et de toutes ses

facultés. A ces vastes sujets, embrassés déjà, mais avec moins

de puissance, par Albert le Grand et par Alexandre de Hâtes,

fauteur fait succéder, dans une seconde partie, la fin dernière

de l'homme, la béatitude suprême, les actes volontaires et

involontaires, les passions, les habitudes, les vertus et les vices,

le péché, ta toi, tagrâce, le mérite, en un mot, tout ce qui se rat-

tache à la vie spirituelle. Un supplément, ajouté par saint

t. Tmductton de M. M)M Choux. modifiée par Jomnhtn, < «/ t. )~

Page 81: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGIE. 79

Thomas à cette partie sous le titre de .*t~wM~~'<wwA/et qui

est un des fragments les plus renommés de son œuvre,

revient sur les vertus théotogates, sur les vertus cardinales,

sur la grâce, sur la vie active et la vie contemplative. La troi-

sième, enfin, renferme un traité particulier sur J~SL's-C'umsT

et un traité sur les sacrements, malheureusement inachevé,

par fauteur, interrompu par la mort, s'est arrêté à la quatre-

vingt-dixième question <)e ce dernier )i\re. qui est rotative

aux conditions de la pénitence, et le complément dont elle est

suivie dans plusieurs éditions est simplement tiré du com-

mentaire de saint Thomas sur le Maitre des sentences. Ainsi

donc, comme la plupart des belles églises auxquelles je com-

parais plus haut ce grandiose monument de la foi et du génie

catholiques, la .S'<w<w<'nous est parvenue incomplète il lui

manque, à elle aussi, une tour, un clocher, un couronnement.

Mais quand t'architecte mourut, en 1274. Dieu jugeait sans

doute qu'il avait assez fait pour sa gloire. Il n'avait pas encore

cinquante ans, et déjà sa doctrine et ses écrits remplissaient

le monde.

Quant à la méthode particulière de la ~S'<w/w<voici en

quoi elle consiste. L'auteur énonce ordinairement sous forme

de question chaque point de son enseignement. tt exposeensuite tous les arguments que peuvent produire sur ce point

les opposants, en les réduisant en sy))ogismes, maisavec une

telle loyauté, que, suivant la remarque de l'historien Cantu,ceux qui ont eu la mauvaise foide supprimer ses réponses, ont

pu puiser là toute la substance des hérésies puis il donne

à son tour ses raisons, et tire ta conclusion avec une rigueur

presque géométrique. La discussion est serrée, concise,

dépourvue d'ornements mais les ornements n'ont rien à

Page 82: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.80

faire ici. !t y a, dans les trois parties de la .*t<Mww,plus de

cinq cents de ces questions, subdivisées elles-mêmes en plusde deux mille six cents articles ou questions secondaires,

traitées de la même façon. Saint Thomas conserve donc la

vraie forme scolastiquc mais comme il l'annonçait dans son

.prologue, il la perfectionne, en introduisant un ordre admi-

rable dans ses démonstrations, et une sobriété, une ctarté

exemplaires dans le développement de chacune d'ettes. Ajou-

tons, avec M. Jourdain, qu'il n'est pas rare de trouver chez

lui des passages « où l'austérité de l'exposition s'adoucit, le

style s'échaunë, les formes tendent à s'élargir, et qui laissent

entrevoir, sous tes froides analyses du logicien, le cœur même

de l'homme et les élans contenus de son ardente piété t. H

ne faut pas croire, en effet, comme l'ont répété tes philosophesde t'écote moderne, que la théologie scolastique desséchait te

cœur et ne laissait de place qu'au seul raisonnement, que la

métaphysique était complètement sacrifiée à la dialectique,

la contemplation ou l'observation à la déduction. Rien ne

vaut mieux, pour détruire cette idée fausse, ou au moins

exagérée, et pour faire connaître saint Thomas en esprit et

en vérité, son style, sa méthode, sa profondeur, que la lecture

d'un fragment textuel de la ~awwf. Je reproduirai ici, d'aprèsla traduction du P.Gratry et de t'abbé Drioux.cetui qui regarde

le plus fondamental et le plus universel de tous les dogmes,

le dogme de l'existence de Dieu.

« Dieu existe-t-il ?

« Ceux qui le contestent procèdent ainsi

« i. Il semble que Dieu n'existe pas. Car si, de deux con-

traires, l'un est infini, l'autre est totalement détruit. Or, par

Page 83: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGIE. 81

le nom de Dieu, on entend le bien infini. Par conséquent, si

Dieu existe, le mat ne doit pas exister. Mais, par le fait, il ya du mal dans l'univers donc Dieu n'existe pas.

2. En outre, ce qui peut être l'oeuvre de principes peu

nombreux ne doit pas être rapporté :t unplus grand nombre.

Or, il semble que tout ce que nous voyons dans )e monde

pourrait être produit par d'autres principes, dans l'hypothèse

où Dieu n'existerait pas. Ainsi les choses naturelles seraient

ramenées à un principe unique, qui est la nature, et celles

qui résultent de notre liberté seraient ramenées également

à un principe unique, qui est la raison ou la volonté hu-

maine donc il n'est pas nécessaire d'admettre l'existence de

Dieu.

« Je réponds qu'on peut démontrer l'existence de Dieu de

cinq manières

« La première preuve et la plus évidente est celle qu'ontire du mouvement.

« Il est certain, et les sens le constatent, que dans ce

monde il y a des choses qui sont mues. Or, tout objet mu

reçoit le mouvement d'un autre. Aucun être, en effet, n'est

mu qu'autant qu'il était en puissance par rapport au mouve-

ment et, en sens inverse, une chose n'en meut une autre

qu'autant qu'elle est elle-même en acte, puisque mouvoir

n'est pas autre chose que faire passer un être de la puissanceà l'acte, et qu'évidemment ce passage ne peut s'opérer que

par le moyen d'un être qui est en acte lui-même. Ainsi ce

qui est chaud en acte, comme le feu, rend le bois, de chaud

en puissance qu'il était, chaud en acte, et par là même il le

meut et le consume. Mais il n'est pas possible qu'une même

chose soit tout à la <bis,et sous le même rapport, en acte et en

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LE TREIZIÈME SIÈCLE.82

puissance elle ne peut t'être que sous desrapports dinerents

car ce qui est chaud en acte ne peut pas être en même tempschaud en puissance. !t est donc impossible que le même être,sous le même rapport et de la même manière, soit à la fois mu

et moteur, c'est-à-dire qu'il se meuve lui-même. Par consé-

quent, il faut que tout objet qui est mu le soit par un autre.

Si donc le moteur est tui-mémc en mouvement, il faut un

autre moteur pour le mouvoir, et après celui-ci un autre

encore Mais on ne saurait aller indéfiniment car alors it n'y

aurait pas de premier moteu r, et, par conséquent, il n'y aurait

aucun moteur car les seconds moteurs ne meuvent qu'autant

qu'ils ont été mus eux-mêmes par un moteur premier. Ainsi

un Mton ne meut que s'il est mu lui-même par ta main de

celui qui le tient. !t est donc nécessaire de remonter à un

premier moteur qui n'est mu par aucun autre, et c'est ce pre-

mier moteur que tout le monde appelle Dieu.

« 2. La seconde preuve se déduit de la notion de la cause

efficiente.

« Dans les choses sensibles nous découvrons un certain

enchaînement de causes efficientes. On ne trouve cependant

pas, et il n'est pas possible de trouver rien qui soit sa cause

efficiente, parce qu'alors cette cause serait antérieure a elle-

même, ce qui répugne. Il n'est pas possible, d'autre part, que

dans la série des causes efficientes, on remonte de cause en

cause indéfiniment. Car, d'après le mode de coordination de

ces causes, la première est cause de celle qui tient le milieu,

et celle qui tient le milieu est cause de la dernière, soit que les

causes intermédiaires soient nombreuses ou qu'il n'y en ait

qu'une seule. Comme, en ôtant la cause, on été aussi t'enet, il

suit de là que, si dans les causes emcientes on n'admet pas

Page 85: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGtE. 83

une cause première, il n'y aura ni cause dernière ni cause

moyenne.« Mais si, pour tes causes efficientes, on remontait de cause

en cause indénnimcnt, il n'y aurait pas de cause efficiente

première, et, par conséquent, il n'y aurait ni dernier effet

ni causes efficientes intermédiaires ce qui est évidemment

faux. Donc il est nécessaire d'admettre une cause efficiente

première, et c'est cette cause que tout le monde appeUe Dieu.

« 3.La troisième preuve est tirée du possible et du nécessaire,

et on l'expose ainsi.

« Dans la nature, nous trouvons des choses qui peuventêtre et ne pas être, puisqu'il y en a qui naissent et qui meurent,

et qui peuvent par conséquent exister et n'exister pas. Or, il

est impossible que de tels êtres existent toujours, parce que

ce qui peut ne pas exister n'existe pas à un moment donné.

Donc, si tous les êtres pouvaient ne pas exister, il y aurait

eu un temps ait rien n'existait. Mais, dans ce cas, rien n'exis-

terait encore maintenant car ce qui n'existe pas ne peut

recevoir la vie que par ce qui existe. Si donc aucun être n'eût

existé, il eût été impossible que quelque chose commençât à

exister. Donc rien n'existerait ce qui est manifestement faux.

Donc tous les êtres ne sont pas des possibles, mais il doit

exister dans la nature un être nécessaire. Or, tout être néces-

saire, ou bien emprunte à un autre sa nécessité d'être, ou bien

la tient de lui-même. Mais it ne l'emprunte pas à une cause

étrangère car, pour les causes nécessaires pas plus que pourtes causes efficientes, on ne peut remonter indéfiniment de

cause en cause, ainsi que nous venons de le prouver. Donc i!

faut admettre un être qui soit nécessaire par lui-même, qui ne

tire pas d'ailleurs la cause de sa nécessité, mais qui donne, au

Page 86: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.84

contraire, aux autres êtres tout ce qu'ils ont de nécessaire, et

c'est cet être que tout le monde appelle Dieu.

« <t.La quatrième preuve est prise des divers degrés de

perfection qu'on remarque dans les êtres.

« La nature présente du plus et du moins dans la bonté, la

vérité, la noblesse et tes autres qualités des choses. Or, le plus

et le moins se disent d'objets différents, selon qu'ils

approchent à des degrés inégaux de ce qu'il y a de plus étevé.

Ainsi, un objet est plus chaud à mesure qu'il s'approche

davantage de la chaleur portée au degré le plus extrême. II

y a donc quelque chose qui est le vrai, le bon, le noble, et, par

conséquent, i'ûtre par excellence car le vrai absolu, comme

le dit Aristote ~<~A., /M- ~), est t'être absolu. Or, ce

qu'il y a de plus élevé, dans quelque genre que ce soit, est

cause de tous les degrés de perfection que ce genre renferme.

Ainsi que le feu, qui est ce qu'il y a de plus chaud, est cause

de tout ce qui est chaud, comme le dit encore Aristote, de

même il y a une cause de tout ce qu'il y a d'être, de bonté et

de perfection dans tous tes êtres, et c'est cette cause que nous

appelons Dieu.

« 5. La cinquième preuve est empruntée au gouvernement

du monde.

« Nous voyons que tes êtres dépourvus d'intelligence,

comme tes êtres matériels, agissent d'une manière conforme à

leur fm car on tes voit toujours, ou du moins le plus souvent,

agir de la même manière pour arriver à ce qu'il y a de mieux.

D'où il est manifeste que ce n'est point par hasatd, mais

d'après une intention qu'ils parviennent ainsi à leur fin. Mais

tes êtres dépourvus de connaissance ne tendent à une f}n

qu'autant qu'ils sont dirigés par un être intelligent qui

Page 87: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGIE. 85

cannait cette fin, comme la flèche est dirigée par le chasseur.

Donc il y a un être intelligent qui coordonne toutes les

choses naturelles à leur fin, et c'est cet être qu'on appelle Dieu.

<[Il faut opposer au premier argument la réponse même de

saint Augustin ~M<~<~< < Dieu étant souverainement

bon, il ne permettrait jamais qu'il y eût quoique chose de

mauvais dans ses œuvres, s'il n'était à tel point puissant et

bon, qu'il fait sortir le bien du mal même. 11appartenait donc

à sa bonté infinie de permettre que le mal existât, afin de

produire un ptus grand bien.

< H faut répondre au second argument que, ta nature

n'agissant pour une fin déterminée que sous la direction d'un

agent supérieur, il est nécessaire qu'on rapporte à Dieu,

comme à leur cause première, toutes les choses que la nature

opère. De même, tout ce qui est fait avec intention doit être

rapporté à une cause plus élevée que la raison et la volonté

humaines. Car la raison et la volonté humaines sont choses

changeantes et faillibles, et tout ce qui est faillible et chan-

geant doit être ramené à un premier principe immobile et

nécessaire en soi, comme nous l'avons prouvé ('). »

Ainsi, saint Thomas admet les preuves tirées des (ouvres

visibles de Dieu il ne méconnait point la portée de l'obser-

vation, de l'expérience, et it ne se confine nullement, pas plus

pour la forme que pour le fond, dans les aridités de la dialec-

tique. Que de hautes et belles pensées dans ces quelques

lignes f Que de choses en peu de mots, et quels regards

t. Saint ThfOBM, .SjMMM T'A~&jfM, if«<~<. 2. Jourdain, ~a~jb'/tM~M A M))t/

y~a;<!T. t9<-t99.

Page 88: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.86

d'aigle à cet Ange de l'École dans son essor vers les horizons

innnis Je voudrais pouvoir donner une idée plus complète

de sa doctrine je voudrais le montrer conciliant, par de vrais

tours de force de sagacité, le gouvernement de la Providence

avec le libre arbitre, l'existence du mal avec les attributs

divins, le principe de la pauvreté monastique avec celui de la

propriété, la répression de l'hérésie avec la tolérance des

infidèles, approfondissant, en un mot, en résolvant les pro-

blèmes tes plus délicats que l'esprit humain ait jamais ren-

contrés dans sa marche à travers les siècles. Mais je dois

réserver une petite place pour un autre groupe de théologiens

qui en occupa une assez grande dans la société. Nous revien-

drons, d'ailleurs, à saint Thomas lorsque nous examinerons

l'enseignement philosophique. Ce que j'ai dit suffira, je

l'espère, pour légitimer et confirmer aux yeux du lecteur le

jugement général que je portais tout à l'heure l'œuvre de la

scolastique, et spécialement de son représentant le plus

illustre, fut le triomphe de la raison appliquée à la révélation.

L'invasion des procédés et des idées d'Aristote n'était pastellement universelle, n'avait point tellement pénétré le

monde des théologiens, qu'un certain nombre n'échappassentà la tyrannie de la mode. On a souvent affecté de ne voir au

treizième siècle que la grande école dont nous venons de

nommer les sommités on a gémi sur la disparition de cette

partie de la théologie, qui, par la contemplation, porte parti-

culièrement à la piété tendre, et qui parle plus au cœur qu'à

l'esprit. Cependant elle n'avait pas disparu autant qu'on le

prétend. Il y avait, non pas précisément une école rivale de

celle qui était en faveur (ce serait trop dire peut-être), mais

au moins un courant qui tendait à s'écarter de la voie scolas-

Page 89: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGIE. 87

tique et à réagir contre les nouveaux systèmes en perpétuant

la tradition des anciens. Guillaume d'Auvergne, peut, jusqu'à

un certain point, être classé parmi ces courageux réaction-

naires. Son esprit primesautier, son genre éminemment per-

sonnel et original ne s'accommodaient guère des entraves de

la dialectique. Dans son vaste traité MW!'f~M,où il passe

en revue l'univers matériel et l'univers spirituel, la condition

des êtres en général et des créatures intelligentes en parti-

culier, l'enchaînement des idées est sans doute moins serré

que dans les compositions analogues dont j'ai parlé mais

la forme parait moins sèche fauteur ne procède pas par

syllogismes il combat souvent Aristote, et les idées pla-toniciennes se mêlent chez lui, dans une proportion remar-

quable, à celles du philosophe de Stagyre. Il n'en résulte

point, comme l'avance Daunou, une sorte d'éclectisme v~ueet indécis, mais une doctrine éminemment pure et une méta-

physique élevée. Dans la seconde de ses œuvres, par ordre

d'importance, dans son De «MM'M,il confine de très près à la

méthode cartésienne, si admirée des temps modernes. < En

psychologie, comme l'observe M. Jourdain, il démontre la

spiritualité de l'âme à la manière de Descartes, par le senti-

ment intérieur que nous avons de nous-mêmes, sans que

nulle image sensible altère la pureté de cette notion. C'est

une grande originalité, à une telle époque. Aussi est-ce avec

un véritable plaisir que les amis de la science ont récemment

salué l'apparition d'une étude approfondie sur ce maître

éminent, étude qui a justement mis en lumière le mérite de

son éloquence, l'étendue de son savoir, et la valeur de ses

expositions théologiques (').

t. C~/MMMM~MM~M, A~<« <&/~<-M. par Nof) Vatab in- Paris. tMa.

Page 90: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtKMN StÈCLE.88

Un autre prêtât, Mem'it d'tiM")''). évoque de Marseitte,

n"us a his~ un traite de th~'tf~tc prfttitjue, ~)i{;~ par

qttcstX'ns et réponses et dans tef~et il ne tre-itcplus tr.'cf de''

-.yUu~i'.mfs ttidcs di'.tinctio))s de la s<-<')astique; c'<it une

dct)«)))st)ratit<nde )<t vérité t:ttth"H~Mt;et une rcfMtaUt'ndes

<(i(1Tc)'enteshert'i~-4, intitutce /~) ~Mwwtt 7~/whth' < /f'<

<«~t'/tt.<e eetcbfe Henri de t;.md.ph)s di)))ecticien dans

ta <"rt))e, est )')us spiritu'tistf au f"))d t)ttc tes disciptc-)

d Afist'ttc il rcnouvcUt' la '\t'i)!c tttttc du m'tnixfdistnc et de

)'idcidisn)c, dfs dfctfines j~'rijmttticiuxncs et de': <h)ctdnes

})).tt<'t)icit't)))e' et, e'< 'i<~t)tet)it))tce'' dernières, il s'attaque

)t)et)u it saint Th«<n:t'!d'A~tti)), ('reiudmtt ainsi aux contra-

dictions et aux quereHesqui devaient diviser, au siecte suivant,

)x)ur d'autres )n"tifs, tes thonistes et tes scotistes. Mais la

tttus uramte ittMstrati'tn que t'on rencontre ~rtnt tes dissi-

dents de t'~c<')e, c'est .saint Monaventure, te plus c<t)nj)tetd~

tous tes docteurs, au dire de Gerson. < Nutte doctrine, ajoute

<(le mente, n'est plus sublime, plus divine, plus satm.tirc, plus< douce ~uc la sienne. tt s'abstient tant qu'il peut de toute

<curiosité et sait éviter tes doctrines séculières, di:uecti<tues

< ou physiques, cachées sous des (ormes the(tto~i<tues en

< travaillaat a éclairer l'esprit, il a pour but de Mre naître ta

< piété dans les c<t'urs. Kt c'est peut-être ce qui t'a fait né~ti-

< {;er par des scotastiques indévots ('). Kt saint Antonin

avertit, de son côte, que « ceux qui préfèrent la connaissance

des choses divines aux vanités aristotéliques, découvriront

dans ses livres la pénétration de son esprit (') C'est là la

raison qui a fait décerner à fauteur du /~iM'M/«w, de la

t. V. ~«t. MA <&/t ~M«~. t. XtX, p. a66 et $uiv

St.W~.

Page 91: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGIE. a9

At~fth)~ </<*y'MM~/rH«~'M. de )\ ~i~f ~~<t<n'~J et de tant

d'autres t'puscutes remptis d'onction et de sens ntystiquc. )e

be.tu )M'm<)<*HocteurSoraphiquf.tOnoiKnnt~cdct'admifratiot)

de ceux ta métnes dont il se séparait par son ~enre et par '«'-<

tendances. Saint t h"<nas et siunt ttux.tvcnturc )Jfr'Htnn)<)cnt

bien, )'nn et t'autre, te t;cnic <)cs deux ordres rftinicnx duot

ils «nt fait )a t;)t'irc )c pronter est ta Jmxien' testf~od tst );t

charité, ("est pr~cisc<Mf))taiosi tjue le /~t«/<' <)ua)ifif)c ("x

dateur des Erfres pr~heors et cetui des t''rcrcs MtXMtfs et

i) sc)Hb)evfahnott <tue saint D'onixi~uc et saint t''ran<,«isaient trattStnisAtcurs discip)t'srus)wctifs<(')e)qnc<:h"«'dt')<'<tr

caractère }x:rsm)nc).c<'mmt: k tterc transmet Ases enfants tes

s)({t)Mdistincte de sa race.

t.cs deux t!ran<)s <)octcurs du treixietne siccte furent t'un

et l'autre o) raptX)ft avec saint I.outs, ce the«)<'(tten c«u-

r<tnne,qui taisait ses detices de ta tecture de saint Augustin,

<}t)texpttquait t'Hcnturc ;< ses courtisans, qui suivait avec

assiduité les sermons, en rectinant au besoin les opinions de

t'orateuravecuneetonnante sûreté d'érudition. Knectivonent

ces hautes inte))it{ences étaient bien faites )X)urse compren-

dre, ces tardes cœurs [t«ur se rapprocher. <ait est <(cjA

connu {wur ce qui regarde saint Thotnas chacun sait que te

roi te consultait sur ses ptus délicates attires, qu'it l'admet-

tait fréquemment à sa tabte, et qu'H sus))cndait avec une

pieuse curiosité te repas pour ))ermettrc a l'humble domini-

cain de mettre immédiatement par écrit les arguments que

te commerce d'un si nobte esprit lui faisait trouver contre tes

Manichéens. Mais, pour saint Honaventure, la chose a toute

ta saveur de la nouveauté. Non seulement fies sermons prê-

ches dans la chapette royatc attestent ses rotations avec la

Page 92: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LK TREtZt&MK StÈCLfE.M

cour mais une anecdote des plus intéressantes et dex plus

éditante! découverte récemment dans un manuscrit d'hatie,

par te t*.Fedeteda Fanna. tandis qu'it préparait les matériaux

d'una édition complète et critique des œuvrea du Docteur

Séraphique, nous détint admirablement un de ces entre-

tiens sublimes dans leur simpticité, tels que le saint roi en

avait avec tes clercs de Mn entourage. « Le roi Louis, racon-

tait )c frère Hoxaventure tui fn&tnc,me posa un jour cette

qm-stit'tt Qu'est ce que t'homme devrait préférer dit avait

le chuix, t'u de ne t«tint exister, ou d'exister pour etre

condatnn~ aux tounncntt ~tcrnets ? Je lui répondis Mon-

seigneur, cette question suppose deux points d'une part,

)'o<!ensc perpétuelle de Dieu, sans laquelle le juge aupr&tne

n'in<!i){er.tit pas une peine eterneHc, et d'autre part, une

souffrance sans fin. Comme personne ne saurait accepter de

demeurer en état d'hostitité pcrp~tueHe avec Dieu, je pense

qu'il vaudrait mieux choisir de ne point exister. Ators ce

très pieux adorateur de la Majesté divine et ce prince

très chrétien ajouta, en se tournant vers tes assistants Jem'en tiens à la décision de mon frère lionaventure, et je

vous atteste que j'aimerais mille fois mieux être réduit au

néant, que de vivre éterncHement dans ce monde et même

d'y jouir de la toute-puissance royale en oftcnsant mon

Créateur ('). t'arote que le narrateur exalte A juste titre

et bien digne du fils de Blanche de Castille.

Arrêtons-nous sur ce trait significatif !t caractérise non

seulement l'esprit d'un homme, mais celui de toute la théo-

logie du temps. On y trouve à la fois le raisonnement, presque

t. V. la notice Mne puMMepar )e P. da Fanna sur son <Hitionde saint Bonaven-

ture. qne h moft t'a malheureusementtmptcM de mener t bonne fin.

Page 93: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA THÉOLOGIL «

le syllogisme et le feu de t'amour divin qui embrasoit ree)te~

ment les docteurs les plus froids et les ptus secs dans ))t

forme, On y respire, puur ainsi t)ir< le parfum de ce livre

quMtcéteKte, qui apjtartiext tteut-~tre ~ur une ~titc (Mr<

au si~cte de saint Louis, 'nais qui s'y rattache i\ coup sûr,

quoiqu'on ait prétendu le contraire, }*ar des si)ni)itudcs fr.q<-

pantex de pensée, et parfois même d'expression, contne

nous le verrons plus luin je veux parhr de t'/w<7<t//c<t<A'

/<'f~-<~t~f/. !.a scotastique n'avait donc pas teUon~nt ~trcci

tes cœur! et tes diverses facultés de t'honttnc fai~icnt leur

partie dans ce concert universe) en l'honneur de la Divinité,

dont t'écho harmonieux coMvn:encore le bruit de toutes te~

batailles et de toutes les vaincs disputes de l'époque.

Page 94: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

cbattttMquatiKm~ t-A pmt.osopmtc. )

SOMMA!Kt –UntfnOrottedeta tthUM~ph)eetde(<ttt)<o)o-

<tt". t-tdtxteottqu". ))nnueno*d«n<ta<nt<'<t'~r)ttet«:))bttde oe* ductrtnM. t « pht)<Moph)ed< )M)nt Thomas tMOtn~nft

c<'tta tt'Artttott. Système tutwt par )< tM"<! phXotOpht cht<<-

ttft) M th~orte <K<c)o)t. L'~cunontte politique *t t* moM)*

exe<np)<m d)wer<.

A j)))))os«))hic<)"it ftrc consittt'rcc ctonme la pri))-

<t)c r.ttni<!cati('x<tccet «rbre puisant, qui, <<ut)!<

le ))''<n t)c science tt~otc~iquc, couvra<t de son

ombre tutét.nrc tout Ic chinnp ouvert aux mvestt~at'ons

de l'esprit humain. Kttc ne faisait même qu'un avec la

théoto~'c t'u"c et l'autre avaient tes mêmes maitrcs, tes

tnmx's it<)cptcs, étaient traitccs dans Ics mûmes tivfcs et

suivant tes n~tncstncthtxtt's. t.cur séparation comptete~tait

r~scrvtc aux t~'m~it«u la fais<Mtbuvait r<Mnpmavec ta fui, en

attendant que la soeict~ civitc ron)j)c avec )'H{;)isc.L'A(;e<)cta

sco)asti<jueétait, par cxceOcncc, celui de leur union inthnc,

parcf <tuc le {{cnic chrétien avait découvert et démontre

l'unité rie leur source, (le leur cnseinncment, de leur but nna).

Toutefois la scotasti'jne apportait avec e))eun}{ertne morbide

qui, dans tes terrains moins bons, c'est-à-dire dans les intel-

ligences moins étevces, plus terre à terre, devait, en se déve-

loppant peu a peu. produire les premiers plants du scepti-cisme ou du matérialisme moderne, fruit naturel et inévitable

de la philosophie païenne qui avait engendré cette méthode

nouvelle. On pourrait dire, en résumé, que la scolastiquc a

Page 95: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA PHILOSOPHIE. M

tai~ deux deaeendtncca une docendtnee te);!time et cor-

recte.oui est la tignee de saint ThonMMet de ses successeurs

maintenant l'accord de la raii~onet de la foi. et une descen-

dance illégitime, Irrégulière, qui est la lignée des rattonatistes,

aboutissant a t'ecote du dix-huitième siècle. nés le premier

moment, ces deux race!) Cttexittent tnait la seconde est

éclipsée par la première et ne prendra te dessus que plus tart!.

< 'est dans le domaine plus pruproneot r~serv~ Ala phito-io

phie que le mal commence à se dectarer où )'ftut"rit~ de

)a revétation ne s'intpose pas en souveraine, ott les esprits

ténteraires an'tent en liberté les id~ les ph.s abstraites, tes

pruMOnesteitptus ardus (f </«~«</<~AM~«n arrive bien

plus vite à rcrrcur ou la confusion. Car, au tond, mat~r~t'~troite union de la théologie et de la phit«s<tphie, il y a

toujouM une distinctiun A faire entre leurs ressorts respectifset cette distinction, saint Thomas tui-m~nc t'établit theori-

ouement, tout en ne la taissant pas subsister dans ses écrits.

La philosophie, suivant lui, pour domaine les vérités oue la

lumière naturelle peut découvrir elle est t'ouvre de la raiso))

apptioucc la recherche de la vérité. Kt c'est lai, en effet, sa

vraie définition.

Mais, si elle est distinguée par saint Thomas de la tMott~e,

i) nie positivement (ju'ctte lui soit contraire et ou'ette puisse

arriver en réalité à des résultats oppf~cs. « JI est constant,

« dit-it, que tes notions premières (lue la raison naturelle

« porte en ette-m~mc sont tcttement certaines, ou't) n'est pas

« possible d'en supposer la tausset~. t) n'<~t pas non plus

« permis de regarder comme <aux ce <)uela foi nous enseigne,

« puisque tous tes enseignements de la foi sont confirmés

« avec la plus entière évidence par le témoignage de Dieu

Page 96: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LIC TRtHZttMt S!&CLB.M

< tui même.Contequemment. comme il n'y a que <etaux qui<!x<<tcontraire au vrai, ainsi que ce<~résuttc de leur de<;n<t<on.

< il ne se peut pas que tes vérité de la foi soient contraire:)

< aux premiers principe-) connus par la raison naturelle. !~t

< connais-iance des principe!) que nous po'M~()on'' natureHe-

< )nent. contiuue-t-il, nout vient de Dieu, puisque Dieu est

< fauteur de nutrc nature. Or, si nuut avion!) de~t notions

< contradictoire') qui nous vinssent de Dieu, e))e-) enn<eche-< raient notre esprit de connaitre)a\ërite,ce que Dieu ne peut

< p.ts (~ire. t'~rce que la to! surtM-isela raison, quetques-uns< supposent qu'ene est contraire a ta raison mais, comme

on vient de voir, cela ne peut pas être ('). ("c~t exacte.

ment ce que dit un discipte moderne de saint Thomas,

t~eibn!tx, qui a trouvé pour le résumer cette belle parole:

« Comme la raison est un don de Dieu aussi bien que la foi,

leur combat ferait combattre Dieu contre Dieu. tt n'y a

donc pas d'objections insolubles contre la foi. conclut le

même philosophe celles qu'on élève sont des raisont spé-cieuses et sophistiquet, que t'en a toujours moyen de détruire.

Voita donc t'idée du treizième siècle sur ta philosophied'une part la philosophie existe, au moins théoriquement,

en dehors de la théologie d'autre part, elle est étroitement

unie avec elle dans la pratique, parce que toutes deux partent

de la même source et vont au même but Tette est la magni-

fique conception dont il fallait placer l'expression en tête de

cette étude, avant de montrer comment la philosophie, ainsi

comprise, était étudiée.

Nous le savons déjà, il est une branche de cette science qui

accaparait à elle seule presque toute la place des autres c'est

<. Jemdtio. ~Lo*HAM~~< <& M«~ Mex~t

Page 97: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA PHtLOSOFH~ M

la logique, et plus spécialement )ad<atetthMM'.c'e')t-A-din')'<trt

de nuitonner ou de discuter à t'aide du xyttc~mnc. On Mcher

chait par tadcduction te~éritesnaturette-commeonetabtisMit

par elle aussi certaines vérités retigifuses. Kt cette préclomi-

nancecxctusive venait de l'engouement gênera) dont les livres

d'Aristote étaient l'objet. C'est dans la secontte moitié du

d«u<!i~mesi&c)equ'on voit renaltre cette faveur, cette admi.

ration exagérée pour le chef de t'ecute péripatéticienne.

t.'pru<htion est aujourd'hui fixée, surtout depuis les !tavantc:t

rc<herchesdc MJourdain pcfc.à t'cRatrtttc t'on~ncet de t'~

des premières traductions de ce phitt'sophe enes virent )e joursueceMivement à partir de l'an t ttto jusqu'à la fin du trei-

xicmc siècle, et elles !tefirent simultanément sur le texte Rrec

et sur d'anciennes versions arabes ou syriaqucs.avec une sorte

d'emutation Ataqueuc ne furent pas étrangers tes <rcouents

rapports de l'Occident et de l'Orient occasionnes par les

croisades. Aristote avait disparu de l'enseignement, avec les

autres philosophes païens, sous les attaques des premiers

t'eres de t'Égtise; il allait prendre une éclatante revanche.

On n'avait conservé de lui que quelques fragments, tcls queles premières parties de son <~<w«w et son /M/~fiM</<(W<f

7'o~~w, bientôt sa lhysique et sa ~/<M/< traduites

infidèlement par les Arabes, qui tes avaient farcies des subti-

lités de l'esprit orientât, se répandirent partout, avec le venin

caché qu'elles renfermaient, et sa /~f<~«< remplaça dans

tes écotes mêmes cette que t'en attribuait à saint Augustin.Vincent de Beauvais, le grand encyclopédiste, a dressé la

liste des ouvrages d'Aristote répandus de son temps, et

cette liste contient à peu près tous ceux qui nous sont

parvenus De <t~/f/<~r<t. Liber Ct/<y<~M/wM,id est /~M~M-

Page 98: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LK TKEtZt&MR S<&CLtE.98

Wf~W~. /.<~T /< /M~f«M. ~tM/t~WMW,

y<~f<'n<w, AV~f~<<w /~jM<M./4'fjff<'<tw<A< /wr«t«'M<f~ «'««~f. /~<*<M««tt. J<'MJ« Jf«J«~. M~

M«~/<t<~~<'WtM~<M~<<~<' A'MfW< <<<. W<<' < t'M.

/),' )'~v/«/j;. /)<*«ww~t. ~A~<<~«M<,Y)/<'A<r<-

«'rMW. /«'r«w li tnanttuu scutoxcot la ~/<~«M/~«t,la

/'<'<W~< h /W</<~<)'<<'w/~«< te /)<'~rA' < w«~</«et la

A'A<~«t'.Mttix Ct's <tcus<<fmK'r'<){\ rt"<sontcit<~ jtitkut* {Mf

Vincrnt tic Mcau\ais, et tes nutrcs o'etxicnt t'as tout & ffut

it;n<'r''s. !.<-(n<'tne<*rt«Utne fonnatt. au cfmtMirc. de Ph~tun

que le y/w<'<'et quchjucs fra~tncots transmis ()af tes )'t'rcs;t)t:

Sttcratc.ttc X<;)t"phon,dc t'tntM~ue, iln'a qu'une notion vagut

et de 'wc<tm!cmain ~atenM'nt.Monet icéron et S~në<tue,Me)i

que ces auteuf n'aient pas besoin d'être traduits, ne son)

reprcscnte's <)ansces citations <juc d'une(a~<n très inc<Mnp)&te

Mais Aristutc ))r<"K)<tcentier, malgré t'itnmcnsit~ de s<))

hat;ane littértire, lui est famUier. Ainsi dune, au milieu <tutrei

itiOne siede, ce phitusophe éclipse tous les autres et il en es

ainsi n"n seulement chex tes savants,)nais dans )'ensei(;nemen

de la jeunesse. Déjà du tonps de Guillaume de Matmesbur)

on ne faisait que parler avec emphase de sa /~M~'<~<«'

« fW~Mt'J<A~<~< <~t/< ~<ffM /)M/<'<«tW ~M<~t~'M<.F

chacun, ajoutait Jean de Satisbury, se glorifiait d'adorer Il

traces du Maitre « C~w~ /M/<<M ~Mf<' ~'<

~/<'r«tK/M~.Cet aveugle enthousiasme ne tarda pas à pr<

duire, comme nous l'avons déjà observe.de funestes fesuttati!

mais tes erreurs et tes condamnations de Bérenger.d'Abaitard,

d'Amaury de Chartres n'ouvrirent pas plus tes yeux que celles

de leur précurseur S<'«t Krigenc, qui, dès le ncuvit'tne siècle,

avait été jeté par Aristote dans tous tes écarts du rationalisme

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LA PHILOSOPHIE. 97

moderne. On continua de négliger t'Écriture Sainte, et il

tallut it'ittg~nier à trouver dtM argUtncnfji pour demuntrer

tes dogmeseux-mêmes. < 0 écolâtre, s'écriait Hauthier de

Saint-Victor, tu oses placer cette vérité Le Verbe s'est fait

chair, sous la t;arde de tes ineptes syHo~istnes, et tu cr"is

pouvoir définir un sacrement par k's r~tes d'Aristcte t Ue

là à discuter le dogme et à te combattre par de vaines appa-

rences de raisonnement, it n'y avait qu'un pas. Si ta plupart

desc<M)tem''<'raittsdexain< rhumas n'cn venaient puintenc«re

i Ounchir c is, quelques-uns du moins tombaient dans le

doute, dans la t. votite, dans la subtilité. La <ausse scotastitjue.

engendrée par la subordination de la fui à ta raison, avait

pour complice le faux mysticisme, qui au sens divin de:: textes

sacres substituait des interprétations humaines, plus ou

moins puériles, plus ou moins fantaisistes. On reeonnait ta

tous les abus que nous avons rencontrés dans l'errclretheo-

logique. A plus forte raison se prodnisaient-its dans t'ordrc

philosophique, ou tes opinions étaient plus libres. Le fameux

débat du nnminatisme et du réalisme, ou du genre et de t'es-

pèce, qui remplit le siècle précèdent, et dans le dedate duquel

je ntc garderai de faire pénétrer Ic lecteur, offre un exemple

frappant des chimères trompeuses qui entrainaient les disci-

ples trop fervents du père de la logique. La secte d'Amauryde Chartres était armée d'un seul b<Mtd,par J'cxpHcathMt<)e

sa ~y<M//«', a ta philosophie matcriatiste ou panthéisteelle attribuait l'origine du monde à la matière première, qui

est Uieu chacun devait retourner un jour dans cet être des

êtres, etc.

Ce ne sont donc pas seulement des formes et des <brmu)es

qu'on empruntait à ~W~ote ses doctrines s'infiltraient

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LE TREIZIÈME SIÈCLE.98

graduellement, et sans qu'on s'en aperçût, avec sa méthode

syttogistique. Là était le danger t' Églisele sentit bien, et c'est

pour cela que nous trouvons au treizième siècle, à e&té de

l'éloge démesuré de la philosophie péripatéticienne, à coté de

nombreux commentaires des livres de son chef, plusieurs con-

damnations, plusieurs protestations nouvelles, non seulement

contre renseignement de ses idées, mais contre l'enseigne-ment de la dialectique elle-même, qui leur servait de véhicule.

Le-. cris d'atarme de Jean de Salisbury, de <aint Bernard,

d'Hugues de Saint-Victor, de saint Ansetme se répercutent

alors dans les écrits de certains docteurs, dans les concites,

et jusque dans la chaire de saint Pierre. < La logique, répète

Humbert de Romans, ne doit être qu'un instrument pour la

déteuse de la foi, attaquée non seulement par tes hérétiques,

mais par les philosophes mêmes. C'est <biieque d'en faire

un but, continue Robert de Sorbon, et de passer sa vie à

affiler le glaive du raisonnement sans en faire bon usage.

« Kst-ce qu'il ne marche pas dans la voie de la vanité et des

ténèbres intellectuelles, celui qui jour et nuit s'exerce aux

tortures de la dialectique ? Est-ce qu'il n'est pas insensé, le

laboureur qui travaille sans cesse à aiguiser le soc de sa

charrue sans jamais labourer la terre ? L'art de la dialectique

doit venir aviver l'intelligence, mais pour la préparer à de

plus grandes choses ('). Le cardinal Jacques de Vitry

engage, de son c&té, à se déner de l'enseignement des

écoles anciennes Platon n'affirme-t-il pas que tes planètes

sont des divinités, et Aristote que le monde est étemel (')?

Et cet observateur si judicieux, dont nous avons recueilli

t. Robert de Sotbon, B)~ nat. ms. ht. tS97*

t. BiM. Bât., m<. ht- t750t

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LA PHILOSOPHIE. 99

maintes fois tes curieuses dépositions, atteste avoir vu des

chrétiens dont l'esprit était tellement in<eeté par la lcc-

ture de ces auteurs, qulls ne pouvaient plus rien croire en

dehors de ce qui leur était démontré par des preuves natu-

relles. Cette parole nous <ait toucher du doigt le péri). Ne

nous étonnons pas, après cela, de voir le concile de Paris, en

t20~, proscrire une partie des traductions d'Aristote. Ne nous

étonnons pas de voir le pape Grégoire IX tonner contre les

envahissements de la philosophie profane, lorsqu'il fait rétablir

par saint Louis l'Université de Paris désur~anisée. Ne nous

étonnons pas de toutes ces résistances, de toute cette lutte

car, en vérité, c'est la grande lutte du spiritualisme et du

matérialisme, de ta lumière et des ténèbres, de jËsus-CHKtST

et de son perpétuel antagoniste, qui se poursuit sous une forme

et avec une ardeur nouvcttes) Qu'on ne m'objecte pas saint

Thomas et la saine philosophie de son écote car nous ver-

rons tout à l'heure que ce n'est pas Aristote qui a conquissaint Thomas c'est saint Thomas qui a subjugué Aristote

c'est son génie colossal qui est parvenu à faire une œuvre

chrétienne avec la dépouitte de ce païen, et, par un privilège

ordinairement réservé au Dieu qui l'inspirait, à tirer le bien

du mal.

Et maintenant, à coté de la grande voix de l'autorité ecclé-

siastique qui condamne tous ces abus de la raison et du

raisonnement, écoutons la petite voix de t'apotogue et de la

satire, qui se mêle à elle pour nous faire entendre à sa façon

que le siècle de saint Louis n'est pas tout entier prosterné

aux pieds du Stagyriste. On le vénère jusqu'à t'excès dans

tes écotes mais tout excès a son côté ridicule, et ce coté-tà,

tes clercs malins n'ont pas de peine à le mettre en pleine

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LE TREÏZÏÈME SIÈCLE.tOO

lumière. tt y a une anecdote qui circule partout, dans les

livres, dans la chaire, dans les récits populaires la plume, la

parole, le ciseau même la reproduisent à l'envi. C'est celle

qui peint Aristote monté comme une bête de somme par la

femme d'Alexandre. On dirait que ces écrivains, ces orateurs,

ces artistes, en multipliant cette allégorie, veulent prêcher

partout le néant de la philosophie purement humaine, l'inanité

de la diatectique on dirait qu'en montrant son fondateur

asservi au caprice d'une femme, ils prédisent à tous ses secta-

teurs la destinée qui tes attend, cette d'être menés tyrannique-ment par leurs passions et par l'instinct de ta matière. Cette

femme fantastique, à cheval sur le père des péripatétieiens,c'est le sensualisme qui conduit par la bride le rationalisme.

D'autres légendes dénotent d'une façonplus claire cncore.sinon

plus piquante, la même intention. C'est Aristote mourant, qui

supptié par ses disciples de leur donner un suprême enseigne-

ment, un résumé de toute sa doctrine, tcur débite cet apho-

risme t Dans cette vie misérable je suis entré anxieux, j'ai

vécu troublé j'en sors complètement ignorant (') Le ma!tre

des maîtres s'en allant de ce monde sans rien savoir, quelle

leçon Puis c'est Robert d'Uzès, un religieux simple et savant,

qui raconte avoir vu un personnage mystérieux < portantsur ses épaules une provision de bon pain et de vin excellent,

et tenant en main une très longue et très dure pierre, qu'il

rongeait de ses dents comme un homme anamé mange du

pain, mais sans pouvoir entamer cette pierre, d'oh sortaient

deux têtes de serpents. Et l'esprit du Seigneur m'instruisit

en me disant Reconnais dans la pierre que tu vois les

questions inutiles et curieuses dont ces gens faméliques

</«*<<< M/tNtM<Kfa~«t<Me<<M.<r<m.~M<«<At«M,Mr«<~<t~<M<<~t<tn< s

Page 103: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA PHILOSOPHIE. tût

travaillent à se repaître, négligeant ce qui nourrit tes âmes. Et

je dis Que signifient donc ces deux têtes ? L'une, répondit-il,

se nomme Vaine Gloire l'autre Ruine de la religion. Ou

bien encore c'est un docte professeur de l'université de Paris,

maitre Serlon, qui, terrifié par l'apparition d'un de ses anciens

élèves, sorti des enfers pour lui montrer son genre de supplice

(un manteau de sophismes qui l'écrase et le brûle), se retire à

Clairvaux en s'écriant

~M~M <WM~MWM,<T<M<W!'Mt'«M«~M<'!'<WM

Ad /%W«W/<y« ~MfW<M /MM//W< f~)'.

«Je laisse coasser les grenouilles, je laisse croasser Ics cor-

beaux, je laisse les vanités aux vains, pour m'attacher à cette

logique éternette qui ne craint pas le terrible < de la

mort (')! N'entendons-nous pas dansées deux vers comme

le cliquetis des pourquoi, des parce que, des majeures, des

mineures et des conséquences qui s'échangeaient comme une

grêle de projectiles creux entre les écoliers et tes maitres,

dans les combats journaliers de la dialectique ? La caricature

est vraiment réussie.et toutes ces allusions satiriques semblent

avoir inspiré la verve du Dante, lorsqu'un peu plus tard il

rangeait le diable lui-même parmi les disciples enragésd'Aristote « Tu n'as donc point pensé, lui fait-il dire, quemoi aussi je suis un de ces logiciens 1

Ttt M<W~<W.MM'<M/<W<f.M'/

Les mêmes réclamations se produisaient, du reste, contre

l'usage immodéré et irréfléchi des autres auteurs païens, mais

avec moins d'énergie, parce que leur influence était moins

profonde. Ce n'est point le lieu de revenir sur la fameuse

t. V. sur ce* faits la CAi)<M/m<f««f oa eM~* 9° <<L,p. ~o. ~6, etc.

Le XHt* ~Me Htt. et tiM'. t

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LE TREIZÏÈME SÏÉCLE.t02

question des classiques, agitée alors comme aujourd'hui, bien

qu'ette ait une grande anatt'gie avec celle qui nous occupe.

Mais nous pouvons répéter à propos d'Aristote ce qu'un

évoque de t'aris, Arnout d'Humbti&res, disait au sujet de la

littérature antique « Kst-it permis d'associer a l'étude des

sciences divines cette de ces monuments païens ? Oui, quandcette érudition accessoire est employée &<aire détester tes

fausses doctrines et a tes réfuter ptus solidement. Mais, si on

ne fait que se détecter dans tes fables des puâtes et dans les

mondains ornements de leur style, ce n'est plus là qu'une

science impie et corruptrice (').j~Tette était bien la pensée

de t'Égtise, qui tolérait t'aristot~tisme, mais qui voulait te

réglementer. la, en enet, les grands philosophes chrétiens de

t'époque ont fait mieux que de le condamner, mieux que de

ridiculiser ses excès its t'ont converti à leur usage, et, comme

je le disais, ils t'ont asservi au lieu de se laisser asservir par

lui. !t nous reste à étudier cette nouvelle péripétie de ta

grande lutte, et à contempler le triomphe de la vraie phitnso

phie scolastique.La dialectique sagement employée faisait des penseur

solides, et non des ergoteurs subtils c'est pourquoi, d&

l'origine, ette avait accaparé la faveur universelle et rejet

quelque peu dans l'ombre l'art de la rhétorique. A cet âgviril de l'humanité, on attachait plus de prix à la pensémême qu'à l'expression de la pensée on avait besoin de bon

raisonneurs plutôt que de bons parleurs, tandis qu'A l'heure

de la décadence des sociétés, tes rhéteurs prennent toujoursle dessus et sont plus goûtés, comme si tes nations affaiblies

conservaient la délicatesse de l'oreille plus longtemps que la

t. v. ~<«.~<M&la ~!<M<.XX,t4.

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LA PHtLOSOPHtt:. tM

profondeur du jugement, comme si elles aimaient à ber-

ct'r leur lassitude par l'harmonieux discours n'impo'Htntaucun enbrt A l'intelligence. Quel penseur, en c~t. et quelraisonneur que ce prince de la théologie, que je suis obligé de

choisir encore ici comme le type le plus accompli de la saine

philosophie et de la réaction contre le naturalisme a ta mnde

tnterro~eons-te, cette foi! en laissant de côté l'idée rcH~ieusc;demandons-lui ses oj)in)ons sur te', plus hautes (juesth'ns de

la politique et de la morale sociate. On a dit que ces deux

branches de la philosophie, la morale et l'économie politique,

étaient complètement sacrifiées i la dialectique, qu'ellesn'étaient cultivées nulle part. !t (aut, pour avancer une

pareille assertion, n'avoir point ouvert la J?<'ww<n'avoir pasmême parcouru le catalogue des couvres du Docteur Anti-

que, sur lequel sont inscrits des traités comme le n:w<M<'

/w«~«M, te <~«wMw<AM~t'</<'At~<~«<' <4fM/cA', etc. Hor-

nons-nous aux points principaux. Aprfs avoir vu l'auteur

placer te dogme de l'existence de Dieu en tête de sa théolo-

gie, voyons ce qu'il place en tête de sa théorie sociale, J'ai

d6j:~examiné ailleurs cette intéressante question (') mais elle

a sa place trop marquée pour que je craigne de me

répéter.Le principe fondamental des sociétés, c'est la loi et qu'est-

ce que la loi, suivant saint Thomas ? « (~MM!w<w/~WM«~<A-

<M/M ~M<MfOWWMW,<~<'C~f <7<~«WfOM/~MM/At/MA<A'/

~~WM~M~t. C'est une disposition ou un règlement de

raison en vue du bien générât, promulgué par celui qui a le

soin de la communauté. Si nous pesons cette définition, nous

y trouvons beaucoup de choses en peu de mots. Htte renferme

t. ~/</ ZWM.AM~WM~W~W~W~/JM~f/J~M,ch.t.

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LRTREÏZtÈMEStÈCLE.KM

tout un sy-itcmf tic gouvernement. < t'~t d'abord, dit encore

M. Jourdain. ta t"i ett ici un r~gtemeMtconfonde à ta rai~n

Hune tu toi nY)nane pas de la seule vutonté. La lui divine

n'est pas fom~e sur le t~crct arbitraire de Dieu la toi

humaine. «Mci\ik'. ou p~titi~uc, ))c tire pat sa furce t'hti~a-

tuirc ttcs ca~ricc-i 'tu tenistatcur. .a ici. eo un ntnt, suivant

t'c~rcssitu) (te la juritprmtcxcc nonaiue, est la raiso;) écrite.

t<~7/~ ~< )')a';<')tt m rcuan) ttc cette t)c())Uti<'xceUc de

Rousseau, t~ti a fait ccote aux te)TU)s<n"t)erue!<.Que dit

l'auteur du <L<<<</.n~M/~t~ t«i. suivant )Mi,<it 'ii)np)fHMt<t

)'e!<pressi«u de !a vxt'tnte ~;cncra)e. rêvant de s«n autorite

propre tous tes devoirs de la vie civile. C'est la proclamation

du funeste principe de la tyrannie de la foute, de cette théorie

monstrueuse contre taquctte s'etevait déjà Ciceron < Kh 1

quoi, s'écriait ce républicain, si tes suffrages du pcuptc en

avaient ainsi décide, te bri~anda~e. t'aduttere. tes substitutions

de testament deviendraient-its donc te~ithnes La définition

de Rousseau mené i\ l'anarchie uu au despotisme, c'est de

tuute évidence elle nous a menés, nous en particulier, au

suffrage universel et à toutes ses conséquences. Mais saint

Thomas met t'intctti~ence au-dessus du nombre; il réserve

les droits éternels de la conscience foulés aux pieds par cette

doctrine avilissante, qui voudrait faire dire à un homme

raisonnabte y~ </«M,aussitôt que des mittiers d'hommes lui

ont crié Je Mwr ('). Cette philosophie scolastique, dont on

a dit tant de mal, la voità qui sauvegarde la dignité humaine,

et qui nétrit d'avance les platitudes de nos régimes modernes.

Quette portée, quelle profondeur dans une seute parole 1

En second lieu, la loi doit tendre au bien de la communauté,<.JuurtMn,/-<t~/M«~t<f<fM<«<T'ttmtfM.

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LA PHILOSOPHIE. <05

<t</A'<ww«ww~< t\Uc nf df'it )X)int r~ir la vie pWt<*<s)

ce n'ext dans k's rapports de !'indivtdu avec iies semMahtcs.

et eue doit encore moins avir pour but ht sittisfaction ou

t'Mti)it~du ~giittntcuf, tt'Utt {tarticutiff «M<t'm)t{~"Mt~'te )mr-

tfcutterx. K))<in<:)(cest <ft<tc)MfcetMi'('<!« ff!') ')f ht t'oxttnu-

)Mt)t~,<~<'<'~M/ <«~<w<<'wwMM<7<</MAt~. N«t<t))s 'jn'it t'.t

dit <<~<'<et twn 'A t'~t cHe!, '-«!))! i ht<t)):tsaccnntC sit

pr<f~r<'ncc au ){"M~ <tut< ''c") tt }'tcf!:fc ht )))t'))t<r

eh<cA t'ot<t;ttfchtt'ft tt !« <M<MMtT;'ti<p.<ft<?<(tx' !:t (wo)' rf

[tft-Vt'nt [ci:dtviiuuns et rcpr'ttuit t'itnanc <)t)~"uvcfXfXtutt

t~e t'univcr.-t,rét;i par un scu) Uicu M)us i) est j~ur ta twxixr-

chie tctnp~r~c, et n<tntMur cc))e qui ~ut mcocr a la tyr.t))t)if.

objet de son tWMfox d~ctar~c <<veut un prince contenu.

d'un c&t~, (tar te frci)) n"rtnat <)c t'autorit~ s~iritucOc, <)<:)a

supr~tnatic ~nti<ica)c, et, de ('autre, <:nt«t)r<!d'un cousci) de

)na({istMtt <!tus,et associant, da)M une juste mesure, ses sujets!t)'a<))nini.strationde t'Ktat. tt tui réserve cependant la e<'n-

(e<:ti«nou ta ummut~ation des tnis, d'âpres )a <iennit)on que

nuus venont de voir, n est d<mcvrat <tuen<tustrouvons dans

cette seute proposition tout un p)an de nouvernonent. !.a lui

toit être la raison et avoir en vue t'utitite publique voita

[tour ta morate s<tciate. Htte <)oit émaner de t'autorite

iupreme, représentée par un chef unique voita pour ta poli-

tique. Kn dehors de ces conditions reunies, ette «'est pas la

oi, eUe ne peut s'ap~ter que la votonte 'tu plus <ort (').Dans son traité sur ta direction des princes ~7~' ~y/w/w

/tw<«/~<w~,saint Thomas a d~vetMpt'e toutes ses idées sur le

pouvoir et tes a enchaînées dans un ordre rigoureux, avec

toute la méthode d'un scolastique. On peut voir )~ ::«tn))icn

t. ~oupdatn,~/t/.

Page 108: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

HETREtZt~MRSt~CLK.tM

cc«e tn~th"de était pa~<«is«vaxt~uif. et n~tnc nécpM~

t (M*«tpe!<po~t!on cleuchatte* nau* uCfireun ~m<né tuniqued<: tuute tu pnHU~uede t'aut<*Mf

< At'j A<w<w~t /f««~ ~M<'wM' <'«/ At'<« <«w <A~ ~<'«f

/<'<~<'«t'<'<w<.« //f~ //Mjf<nw<~<~ <~ ~<<7'<<<w<<~MM

j<'«/< ~<' ~~«tf.< Si /< .~<'Mt~rMt'wf~f</ «M~tM/,( tf<«' «tv< ~.t~< < /<*

M~<'M<.//f'~ /<<' <A/<wj(/<'<\f</M'</<~<rf'<'<t~v«f<M<<

< /.« tr<<t tt'w«<«t t< ~<tK~'< il t'a <<, f~ ~'f~

'~<)M<~t'.f''«Jt/<'~t'M!V<M<'Wt'Mt/'<y'M/<<W WftM/ft </<'W<W<~A'M

f/<'/<<wM/</<' << M<<*/!t<77<w< ltt /f~<<M«t<f~ lit woM<«'.

<~«'<.t~/tt<~<<~A'<'«n'« ~«WA'soit ~w/<~A.« ~« n'< Mf </<~ /~<M< A~<A~At ~<'W/'<f <A' sa ~<'MW

<«/W/W.t~<t//<WfAtMJf/'<f<~ <A'.[A<'MM<'«<Jt. M<</<~M/<'<«M~<'4

<«'<<M/<t~</f' <<'<«««</<'MttM<Y<A' At/<<«'~ <«.f /<<Mt~«f/f

<<W//<, f/ W<'W<*~M~ /<*</<<' /<*/<M A<<M~< f< A~<~«<~f.

< (<~<M<<~ les K'<t ~M<~~fM~ .!<<'M/«~<M/«<'«A/MMWM~

/~<t~~<~<Tf'/<les /)/<~M< /<t ~?W~t,W<W~f~<f ~M/<~)/~<'M/~M.t /~M~f. 7<7/< .tf'M~les ~«A<'M<'t,~<~«<MftM«',/<<~OMM~

r<'M<)<MW<

« ~/M~'< ~('~ ntre ~<W~son ~'<!MW<*<V~<' /'<W est /a«rle corps, <<'~Mf/~<<M<'t</t<W<le HMM<A.

< <~r'~Wt~'A' tOM~M!'f'~Mt'W«/JM~/<«!'t'/W<*W<'«/ </<M

« </r'<7<wyj«<~< ~<j ses ~/MY </<r~< ses ~M/t/!ft w~

~Mf~M <A'~K~ fM/M <t~)/<~«'<H/«M~fM et à la vertu ('). ?~1

Et, dans la ~ewwf, cet oracte de t âge prétendu despo-

tique, ce soi-disant apôtre du droit divin revient sur sa

théorie pour affirmer encore plus son sage libéralisme.

t. Jum't.'Mt.~a~</«~'«~ 7'A<«tt, t.t~MMi*

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LA PHXLOSOPHtE. ter

< Deux choses }."n< néccits~ires pour ft'nder un entre

durable dans et<tt*.t~ prentieM est t'admi~jun de tous

A une part du gouvernement ({entrât,afin que tous se tr<'uv<'n<

intéressés au maintien de ht paix publique devenue Icur

ouvrage. t.a seconde e~t (c choix d'une ("nne )M)itit(ueuu

tt's pouvuitrssoit'nt heureusement c<t)nbit)~!< t.tt l'lus hfu

rcusc comb)nft)son des ~u\«irs serait celle <tui phtcer.ttt A ht

téte de la cite «u de la natinn un prince vertueux, <jt)irxugt-rait )tu dc'i'mu!<de lui un certtdu n"n<hte de grands charucsdf }{<tuwrt«'r'.<)<M<t<'t r~tcit de ('équité, et qui. tes )'ren<tnteux tnftnes dans toutes les ctasses. tes i;out<)t:ttHnti\ t"us )ts

!iuf)rat;C!tde la multitude, associerait ainsi lit s<t<;ieteentière

au iftin du gouvernement. Un état ras'ionbter.ut clans sa

bienfaisante or~anisution la royauté, représentée par un chef

unique, t'arittocratie, caractérisée par ta pluralité des magis-

trats choisis parmi tes meitteurs citoyens, et la démocratie ou

la puissance populaire, manifestée par t'étectit)n des magis-

trats qui se ferait ftanstes ran{;s du peuple et par sa voix (' )b

Mais cette constitution tibératc. cette participation de la

nation aux aOfaircsde t'Ktat, convient-ettc a tous les peuples,et doit-on t'imposer à tous ? Non certes ta toi de ta morate

et de la justice suprêmes reprend ici toute sa supériorité.< Si un peuple est parfaitement tranquitte, qu'il soit sérieux

et tout dévoué au bien public, on a raison de lui permettre

d'étiré tui-méme tes magistrats qui teittent a l'administra-

tion de l'État. Mais. si ce même peuple se déprave insensi

blement, que son suffrage devienne vénat et qu'il confie le

pouvoir à des chefs perdus de moeurs et de crimes, il est

t. &Thom-u.~omeM.)*))', ~«a~ 'v. art. ,)radueti'M)<)<tMnnM./t«</d/A<7m~A~f~<~Mf,p.~8< Jourdain,/.«/A<t~ /~w~~ 1,

Page 110: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TRMZ~MR StKCLE.

juste que le (xwvt'if de dit)x<ser des dignité" lui soit <*ntcv~

et qu'un lc fMMctteà qufhtMes h'~nme'i de bien ('). t Voilà

cf qu'ajoute nutfe dateur )m'c saint Augutttn. Ht il n'fn

t<:ttd ouUoneot par ta justifier ce <(ur; tK'Uttap()c)<'nt tex

ctut~t d'~ft. car il ne ~arte que de<i tf<ms<ttrmm!oMst~a)e* iit fuit s<.ut<'mentd~ttcndrc tu )ibt'rt6 éthique d'utte natiox

du degré de -mm<'ra)it< et c'est là encure une doctrine )tro

ft'odc, dunt «M )t n'ct'mMt, a wtff ~)MX)Ut*)n~<nc,toMte la

justc-tse.

Hnpprochnns. a\n )< -tv.ntt qut: Hout ~'««t pr!s ~uf

~Midetur ce terrain, nt)')Mr<tcht<)Mces idc<<htrgt'it et ituMifncs

des MituMxetncnts <~)ete tn&mesujet intpifttt au plus Illustre

)t())itici<:ndu dix-sM~tt~me ai&ctc.Que <Mus sommet loin

de iitunt humas, quand nttUttisuxsccs maximes de Bnstuct,

furmutccs en toutes lettres dans sa /W<~M<*~<~ </<'/T<-

/Mtv .S«<M~. < t.tut"r!tc fuyatc est abattue. !< faut obéir

aux princes comme a )a justice même, sat):) quoi il n'y a

t«)i))t d'<'r<tfcni de <tt<dans kx af<aif<:t.Ils MM<</<'<</MMet

participcnt en quetquc fae<'n&t'indc)tcndancc divine. tt n'y

a que Dieu qui puisse juger de leurs jugements et de leurs

personnes. le prince peut se rettresser tui-m&me quatxt il

cannait qu'il a mal fait mais contre son autorité il n'y a de

remède que dans son autorité. Au prince seul appartient le

soin général du )teup)e a tui les ouvrages publics, a lui tes

décrets et tes ordonnances, a lui tes marques de distinction

nulle puissance que dépendante de la sienne nulle assemMec

que par son autorité (a). Nous reconnaissons à ces accents

convaincus le temps ou la majesté du grand roi domine

t. S.ThotnM.ttM.a. BoMM<t. /'</< <An7.. Ht. tV. M. t.

Page 111: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA PHÏLOSOPHtt. toe

tout. Mais que t'en compare <*MM'! !c-<deux dwtritw, et

qu'en di~e quette est ta plus faRc, ta mieux fondée, ta mieux

justinec, (te cette du scotastique t'u de cette du ({attican, de

cette du moyen ~~e ou de cette t)e'< stec)cs tnmternes, <)c

cette <tueo))'icittef<)c;Htintt~uft «M<tecette ()MpredtoKeurtte1ami~ 1V 1.'un rt ('nutra wrttt l'rxpn.iun clr Irur trrnps, rtt~tuit X)V t.'un ici t'atttfett'nt t'ex;)n!'<io)) (te teurtonps, et

nout re<fottv<'nsici )'nt;e ttc t'Écoteex }Mfntit acc'tnt jtvet te

sttMvcrti))qui tnettait t<esdevoir-. aMdessus de ses droits, te

bien du pcupteau dessus de t'interet des tMr<ict))iMfs,t)uctt)tte

~uis<HU)t''<)u'its fussent, ta justice su~rOoe au dessus de ta

lui ~articutiere. et qui. en restant un roi dans toute la force

du tenne. avait l'air de n'être que le tterc et t'e~at de ses

sujets. Tout se tient a cette cpnquc ta phitosophic duonc ta

main a ta royauté, jtarce que toutes deux s'inspirent de la

même ~nsco, qui ext ta t~enseeehretienue et cathotiqne. Un

jour viendra uu tes philosophes (eront ta nuerre au jtrincijte

du {)«uv<'irroya), et ce jour-tA, ne t'outttions pas, sera lc ten-

detnain du jour ou les adulateurs du trône auront ))r<M:).on~

t'omnijxttencc absolue des rois.

Uetoandons encore a saint Thomas sa manière de voir sur

un des ))oints tes ptus inq'ortants <te )a constitution des

sociétés. Que pense de la propriété ce pauvre v<')ontairc,do)tt

l'ordre a précisément pour base te renoncement a toute pro-

priété ? Je prends cette question parce qu'elle ~rmet de

répondre certains détracteurs des ordres mendiants, dont

nous entendons renouveler de temps en temps tes accusations

calomnieuses. Lorsqu'on s'eteve contre les théories des c<Mn-

munistes au sujet de la propriété, ou ptutot de la suppressionde ta propriété, tcnrt partisans repondent quelquefois Ht

les moines, n'étaicnt-its pas, eux aussi, des communistes ?1

Page 112: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

m TR)M ZttME StRCLR.UO

~h Mot non; !ts ne tenvenwfnt tntn<p pichet! eux )e prin-

cipe de tit propriété. Mit cotttttive. !<oitindividueUe. L'anwur

de ta pauvreté volontaire, cette Mte subHme, cette funne

adtMifitbtc parfititf de ftonnur de Dieu et de t'amfW du

pwchllin, IMIU\'altIllIu!!scrun IICUtml' luin quclilues tmthllu-pr<tch(tin,(«tmait ~'utso' uu tteu ttup h'!x quet~uetenth'ttt-tisstes. Mais saint Th"m)ts )e )cuf dpchre <'xprc'n«'))til c'<t ttcrfnis aux feti~ieux d')n«ir et de conscfver CMcum-

<nut),H«« )Mts.stt«s d«Mtf, dt's tichfsst" <na! fc t)M'it toMt

faut )MUfvivre itsdt'ivcot suivft: <:t)ceta t'cxetnptcde JtSUS-C))tU'<T ctdc'.csdisci~k's.~ui se fcscrv)dcntqnc)t)m:-< Ms.

sourcft, iit'it )t<tMrs~ourir tes )~u\r~s, s"it ~tur subvenir à

tour ))ropfc ttuurfiturc.< Ceux qui pratiquent le dé[XM)!Hetncntde t<(Ute!tchoses )Mt~tint de ne p.ts conserve)' tnOne un

dcoier, ttjoute-t-i), cettx-).\ se pré~rcnt de rapides decep-

ti"t)s. et ih ne p~rvienocnt pas souvent A mener teur entre-

prise a bonne nn (').~ Cette opinion, je te sais. occasionnade

tondues discussions entre tes ordres de Saint-Dominique et

de Saint-François cependant ta sagesse du t'erc commun

des <<de)Mfinit par traucher le débat en faveur du premier,et par sanctionner la modération de d<tctrinc de son illustre

maitre Modération qui n'est pas seutcment de la prudence,mais qui devient véritaMcmcnt touchante, quand on songe

que celui qui la professait en paroles t'uuMiait dans la pra-

titlue, au point de manquer de parchemin pour achever ses

immortels écrits 1

A plus Corte raison, saint Thomas soutient-it te principe et

les avantages de la propriété chez les sécutiers.contrairement

aux vains raisonnements de Platon en faveur de la commu-

nauté des biens. !t distingue la possession de t'usage, et il

<.JetU<ttin,<«t

Page 113: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA PHILOSOPHIE. m

veut que. pour t'usage, chacun considère ses biens comme (a

chose de tous, surtout comme cette des pauvres c'est la

théorie évangétique. Mais, sur le droit de propriété en lui.

même, )t est formel < La propriété. dit.i), est nécessaire la

vie humaine pour trois moti<s. t" On apporte plus de soin

à cultiver ses propres biens que ceux qui appartiennent a

tout ou à plusieurs car, dans ce dernier cas, la pare'tte

naturelle de t'homme le pt'utse & t-e dechar(;er sur autrui

du Min de la propriété commune, a" La société est mieux

ordonnée, i) y règne moins de confusion, quand chacun

veille aux intérêts propres de sa famitte et de sa maison,

que si tous s'occupent de tout indistinctement. 3**l.a )Ktixest aussi plus facilement conservée, chaque citoyen étant

satisfait de ce qu'il a, Mansqu'on puisse appréhender ces

amers débats qui sont t'e<tet ordinaire des possessions

indivises ('). Ce ne sont pas là, sans doute, toutes tes con-

sidérations qu'on peut i nvoquer pour défendre la propriété

mais celles-ci suffisent armement. Ainsi, loin de favoriser le

prétendu communisme des monastères, le prince de la scotas-

tique détruit a t'avance tes rtvcs des communistes modernes

et quand ces utopistes viendront encore nous parier de leurs

confrères tes moines, nous pourrons les renvoyer à cet

oracle du monde monacal qui était, e;i effet, comme ses pareils,te frère de tous lcs hommes et se faisait tout à tous, mais de

la manière enseignée par jËSUS-CnmsT, et non pas selon

t'évangite de Proudhon.

N'est-ce pas assez pour démontrer que saint Thomas a

transformé Aristote, et que ce génie chrétien ne s'est pointlaissé asservir par ce génie paten ? t.a sève des idées

t. /<«t

Page 114: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME StÈCLE.ua

chrétiennes ne circule-t-elle pas généreusement dans tous tes

passa~et que je viens de citer ou d'analyser ? Kt quel philo.

scphe antique eût pu tenir un tangage aussi étevé, aussi pleinde t'amour de Uicu et de l'amour de l'humanité, ces deux

~ftmds sentiments inconnus au paganisme ? Sans doute,

saint Tht'ma'' est un perip:tteticien sans doute, il a beau-

coup appris a )'<'c<tted'Ari'-tntc, et il lui a surtout em-

prunta sa metht«(e Mais. tors même qu'il se sert de lui et

tlu'il repro'tuit ses pt-nsees. i) tcur c<')n)nun!(tue je ne sa!s

quelle vie prnpre. je ne sids t)uet parfu<n jrw<~'NfM~,t)ui en

fait des pensées nouveUes, plus sutides et p)us fécondes.

Cela ne ronpeche point, d'aiueur'i, de se séparer de lui

assex souvent, ni de le combattre a t'oecasion. < S'Hadoptesa démonstration de t'cxistcnccde Dieu, dirai-je avec rerudit

qui a le mieux approtondi sa d<M:trinc,il rejette ou, dumoins,

il rectine son opinion sur tes attributs divins. S'il empruntesa définition de t'Ame, il dégage, il affirmc, il démontre, avec

une précision qui n'est pas dans Aristote, et qui bannit toute

équivoque, la spiritualité, la personnalité et l'immortalité du

sujet pensant. S'il se prononce comme lui sur l'origine des

sociétés et sur tes diH'érenl'~sforme!! de gouvernement, ne

sent-on pas dans tes conseils qu'il donne aux princes une sève

religieuse et tibétate qui n'a pas sa source dans t'aristoté-

lismc? Ainsi, à c&téde la solution péripatéticienne, te saint

docteur met en général un correctif ou une explication qui la

complète, l'amende et la renouvelle. !t corrige, il épure la

sagesse des Gentils il la restaura, dans le sens ou le christia-

nisme a rcst&uré la nature humaine ('). »

Un mot mesufHra pour résumer t'idcc que je viens d'émettre

t. }oat<!ain, < t<<

Page 115: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA PHILOSOPHIE. 113

sur ta philosophie de saint Thomas c'est un discipted'Aristote qui Mmis aux pieds du Christ la science de son

maitre son muvre monumentale rappene ces basitiques des

temps primitifs, construites en partie avec les marbres des

temples patens, mais auxquelles le génie chrétien a sent donné

leur grand styte et leur forme imposante.

S'it était juste de réserver a cet illustre penseur une ptace

prédominante, it nefaut croire cependant qu'it représentea lui seul toute la phitosuphie de son siècle. t.es Atbert le

Grand, les Guillaume d'Auvergne, les Henri de Gand, tes

Kuj~er Hacon. tous ces grands esprits, que j'ai déjà considérés

comme théologiens, ont été en même temps de remarquables

philosophes et combien de noms ptus obscurs ne pourrait-on

pas ajouter a ces noms bien connus La place me manquerait

pour entrer dans l'analyse ou même dans la simple énumé-

ration de leurs traités. Mais je dois au moins signaler un

sjtécimen du tan~a~e et de h, })ensée d'un de ces maitres

oubliés, afin de bien établir qu'ils n'ont pas tous mérité t'ou-

bli, et que ta dialectique n'absorbait pas, autant qu'on l'a dit,

les autres branches de ta philosophie. !t s'agit d'un domini-

cain qui a été le confesseur de i'hitippc le Hardi et qui a eu

son heure, son siècle de célébrité il s'appelait le frère I~aurent

(~««~t~M <y«~ et son livre, intitulé la .S<w/w<'A'AWou

plutôt ta .Sowwf des vices et elesM'~r, offre cette sin~utarité

qu'il est écnt en français, contrairement à tous les usages.

L'auteur a le premier renoncé à ta tangue des clercs et des

savants pour écrire un traité de cette nature. !t est double-

ment intéressant d'entendre notre idiome vulgaire balbutier,

pour ainsi dire, le langage phitosnphique, et de voir à quel

point ce premier essai rappelle, par moments, l'allure et le

Page 116: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.114

styte des maîtres antiques. Voici deux courts passa~e~ dont

le premier est relatif à la mort, et le second à la < franchise i~,

c'est-a-dirc la Hberte.

Sur Atwf~. « Apran à morir, si sauras vivre. Car nuns

<(bien vivre ne seura, qui à morir apris n'aura. Et cil est a droit

<ap))c)c7.chaiti-i (méchant), qui ne set vivre, ne morir n'ose. Si

< tu vue7.vivre franchement, apran à morir Hément. Tu dois

« savoir que ceste vie n'est <orxque morz. Car morx est un

« trespas.Ceste vie tout auximent n'est forz un trespas moult

« bries. Car toute la vie d'un homme, s'il vivait mil anx, ce ne

« seroit pas un sol momenz au regart de l'autre vie, qui touz

« jors dure senr. fin, ou en torment, ou en joie perdurauble-

< ment. Car, quant tu commences à vivre, tu commences à

« morir et tout ton aaige, et tout ton temps qui passez est, ta« morz t'a conquis et te tient. Tu dis que tu as XLans la morx

« lez a, ne gemas (jamais) nuns ne t'en rendra. Por ce est ti

< sens dou monde folie, et )i clervoiant n'i voient goute jour

« et nuit font une chose, et quant plus la font, moins cognois.

« sent. Touz jours vivent, et ne sevent monr. La morz n'est

« fors dessevremenz (séparation) de cors et d'ame et ce seit

<chascuns. Or, nos enseigne H petits Catonnez (Caton)

< Aprenons, fait~it, à morir deportons resperit du cors

<sovant. Ce firent plusor de ces granz philosophes, qui ceste

<[vie tant haioient et le monde tant mésprisoient, et tant

< desirroient immortalité, que il s'occioient de lor gré. Mes

< riens ne lor valoit car il n'avoient pas grace ni la foi

Jhesucrist. Mais ti sainz homme, qui Dieu aiment, mort

« sunt au péchié et mort au monde, et desirrent la morz

< corporel. Car c'est damoisele porte-joie que la morz, qui

<[ touz les sainz corone et met en gloire. La morz est es

Page 117: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA PHILOSOPHIE. lis

« prodommes fins de toux maux, qui départ morz et vie. Morf

<est per deçà vie est per delà. Mais ti saige de ccst siegtf,« qui deçà le ruisset voient si clair, per delà ne voient goûte,

« et por ce les apele l'Escripture faux et avuegles. »

/«/htwf~<'f~ f7~<'fA~. « Après, nuns n'a franchise

« se Il n'a grace et vertus. Donc, se tu v uezsavoir qu'est fran-

<chise à droit, tu doiz entendre que ti homs ha )U menieres

« de franchises H une de esliture, l'autre de grace, l'autre

« de gloire. La premère est volenté <ranche. Par quoi il

« puet eslire et faire franchement que nuns ne )i empuet

« tort faire. Ne tuit M deable d'enfer ne pouroient un home

<fforcier de faire pechié senz son acort. Car, se !i homs

« façoit le mal dou tout maugré suen (contre son gré), il n'i

« auroit point de pechié. Car nuns ne pèche en ce que eschi-

<:ver ne puet. La seconde franchise est celc que ont li

« prodomme en cest siègle, que Dex a franchi per grace ou

< per vertu dou servage ou deable et de pechié, qui ne sunt

« ser (serfs) à or ne à argent, ne à lor charoignes, ne as biens

« de fortune, que la morz puet totir. Mes ont les cuers si

< eslevez en Dieu, que il ne prisent tout le monde un boton,

« et ne dotent ne roy ne conte, ne mechéance ne povreté,

« ne honte ne morz. Et ont si le cuer dessevré de l'amour

« dou monde, que il atendent et desirrent la morz com fait les

« bons ovriers son paiement,et gaienniëres (colporteur) la mai-

« son, et cil qui sunt en torment de mer bon port, et ti pélerins

« son païs. Et cil sunt perfeitement franc home, com on puet

estre en cest siègle car il ne ne doutent riens fors Deu.

« et sunt ja en paradis par desirrier. Et tête franchise vient

« de grâce et de vertu. Mes encore toute ceste franchise n'est

« fors servaiges, au regart de la tierce franchise, que ja ont

Page 118: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZUSME SIÈCLE.ne

<tcil qui sunt dou cnr:. detivré dou tout, et avec Deu sont en

< sa gloire. Cil sunt veraiment seint. (') t

Nous sommes bien loin, ici, de la sécheresse du syllogisme

et de la subtilité des attégories. Hn revanche, nous sommes bien

près, il me semble, de Séneque et de Montaigne, dont certains

fragments jMurraient être utilement confrontés avec ces deux

passages.t\n résumé, si l'on refuse de s'écrier avec Leibnitx, un juge

as'.e<' compétent cependant, que la forme scotastique ou

sy))o){istique est une des plus belles inventions de l'esprit

humain, si t'en reconnatt (et nous l'avons largement reconnu)

que cette forme a été employée jusqu'à t'abus, il faut, du moins,

proclamer que son principe était éminemment propre à

développer la force et la pénétration de l'intelligence. La réac-

tion cartésienne du dix-septième siècle a eu sa raison d'être

elle est venue à son heure mais, comme l'a dit Jourdain, elle

a été beaucoup trop loin en condamnant d'une façon absolue

la méthode démonstrative, qui avait rendu de si éclatants ser-

vices. C'est eue, en eHet, qui a débarrassé le christianisme de

toutes tes rêveries panthéistes.manichécnnes ou gnostiques quientravaient sa marche triomphante à travers les siècles, et c'est

te règne de saint Louis, c'est le génie de saint Thomas qui ont

parfait cette œuvre colossale. Nos établissements d'instruction

publique, à l'exception des séminaires peut-être, ont complète-

ment perdu la tradition de cette méthode. Qu'y avons-nous

gagné? Le vague des idées, le désordre des discours, la

faiblesse des convictions qui caractérisent notre époque ne

viennent-ils pas en grande partie de là? Notre foi est molle

t. BiU. nM.. ms. français 7~9. écrit en tt~, quinte am après la c<N))p<Mitiondu

M'tt. V. ~M/. /< de la fM<f~, XtX. 4"~

Page 119: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA PHILOSOPHIE- n?

parce qu'eue n'est plus une foi raisonna?, et que nos oreilles,

gatéei! par t'agréabte musique des rhéteurs, se s(tnt déshabi-

tuées du mate langage de la pure tugique. Apprenons &

déduire et à enchainer nos raisonnements avec la rigueur d'un

dialecticien, et nous pourrons alors jeter le manteau dor~

de l'éloquence sur ce corps solide, sans crainte de te voir

s'écrouler sous le poids comme un mannequin vide.

Lt XHt" tBctt Mtt. et <cttnt. t

Page 120: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

€<MpttM «t~U~rnt. LA RHÉTORIQUE.1

SOMMAtRE. Rang ")M)8"~ la 'Ktiooco (to lit th~tortqun

Sun titMet~fa ~<n<m) thuit Je tt trxptttuah'. PMmter~

tiMMtt~ de )'<!t"q'<"nct' pu)tti<tue. < bxm')m citeretco et

r~tex (tf t)t)ttute~und'«yoCHt. Le< Jut~cuntuH<m i fhtttptta

de BoxH~'a"")' )L.tOt)<tt))«:e))f)C<'<'e; )ts <er)))t))< La

Rh~t"<' thvtm' «u )'Mft de prier t~)"M.

['Kjf\S)'t'h)<k'')c)a))hi)"s«phi<tw<)ft.)<)):(tcc-

tiquc, )c <n«ycn A{{cfai-'ait venir celle <)c ):t

r))et«)i<t()f.t'et «r<)fc<*st)'i')vcrsf<tc cchti'jui est

suivi dans <MMetauttsscments d tustructtuu seconuatre mats

n'est-il pas ptusrationnt.'tPN'e-.t-i) passade'te n'apprendrca

bic)) parte) qu'après avoir appris a bien raisonner, et de ue

revêtir )<t pcnsuc t)fs ornetnents du style qu'âpres avoir

<)<)))t~a cette pcos~c )c corps sotidc dont nous vcttoos <)c

parlcr? tJc)a sonbtc évident et pourtant tes dispensateurs de

t'enscit;ne)nent continuent à mettre, cumnte un dit vut~aire-

ment, la charrue avant les bœufs. Nos programme:) scat:nfet

suivent l'ornièrc de la routine, au lieu de suivre la voie

logique. Quelle ptace occupe ta rhétorique dans celui du

treizième s!ecte? K«us attuns te voir.

Uevons-nous nous arréter à l'étonnante assertion de

Daunou, qui, dans son Discours sur l'état des lettres, en

tête des volumes de t'o/ /A'~M~t' de A</wf<' con-

sacrés à cette période, déclare que « le nom même de la

rhétorique disparaît alors de t'cnseit;nement,et qu'on te cher-

che en vain dans le tableau des cours publics ouverts au milieu

Page 121: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA KHÈTOR!QUE tt9

<<Keco)t"i tc'. p)tw e<?tebre-idu ''M'ctu.c.<r t'~r~untfntatio))

syt)(~:istiqut! tenait tit u dt' t'mtt' ~t<t)u<-m<'? Ott'<t-<'t<

Adirf ? t.c /«w et )c </<Wt/w/~w n't't'tit nt i! d«nc phtsht )<a'iMu)tivcr-'et)e des etodc' dans )fs m'tcs h-s )t)us )(t-

t)Ut'nt< c«tn)nc ditos tf< phts obscure ? <))t )f<tft'i< itft' )~

trt'is vn)c't <)cte ~/t'w )t'~(a)cot.t')tc< j'tus ia ~f.ttntn.tirc. t.t

<)i.t)tt:ti~ucet )a rht'tt'ritjoc ? Si fttit tutcot) t'hitt)~o)tt:ttt oc

s'est jnr<'<)))it:)<')t«())c))c<<)«ntt'c'<'<'rt<<"rit'))~.<))tt')t'r<~))t'«t)t.in'tc (tr~cc'tcnt jxtur tn!ct)x ttcpttxcf sun ttt'.tisst'otcnt '))'t)s

cchti <)(t'i) crititjuc, tt'ft jt~s t'c-i'.t' <)'t)c t't)~'it;th't' <).tt)stt's

ctas-ffsitpr~s ta scicocc <(u<.tisu))))Ctt)fttt.ctt'c-it j'n'b.thk'ttx'ttt

t'cc)atjut<!j)arc<:scc<')us si n:)fbrfs,<)t'))t))tH)s)):<)'tf t)au')"t),

<jni t'aur.t rctt(tt) !m'Ht{)<!) it))t~m' m) (~toth'ttt sK'hmc de

fat) t2;;t, of) fart ')rat")rc xc ~«ff pas. M.tis t.t ~f.tttttttftttc

et )t's :trtf y n~orcnt < '«oxm'ttt t.t ));u tic scf.tit-t'ttc .thscoh'.t.'t

"f< )c t"ttt existe? !) <n;u)cct'))t:ort')'i)t)!th't)n-<)cla .st'ctc c<')

ntftcicnnc, <Mt)"nccccotntnc und.u~cr j'.t) Jc.tt) <)cSidishur)

cette secte t)hi)(tsophi())tesuj)t)rit)):ut la )hct<'ri<)U<'ct)))«)'.(-

t;cttit partout )c ~<t~t<)<"<s'tpittstm" dc-i<t)~t)tit's andc- des

paradoxes. Il est vrai qu'c!h: fit th) )n.d mais ce )na! se pr«-

duisit au <)nM:!iemesiccte, et not! pas au trei/iOnc, pui'Mptc

Jcao <)cSatisbury appartient a ta prcmicrc <tc ces <)ct)xpé-

riodes; et pcut-ctrc faut-i) <:ruirc<)uc)'it)nm't)ccdcst'«)))i-Kcfcnsa ct~ <)m')<juepeu cxa~rcc par leur savant adversaire,

pour tes besoins de sa cause, car on ne retrouve tes notns ni

de )eurs chefs ni de tours ecotes. Uaitteurs, ces sin~utiers

phiiosophcs étaient egatctnext )cs ennoni.s de toute science

et de toute titterature ils combattaient, en <nen)e temps

que la rhétorique, tous tes arts tib<'raux, la ~ratnxMirc, tadia-

lectique eMe-mcme, et Dieu sait ti'ifs parvinrent a la Mre

Page 122: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LR TREtZtKMK StKCLK.tao

di~ntfttitfc. t't'ur~ttui dt'of auraient i)t tnienx t<!M'i \'tt i\t

(le l'art dç la t'<m'!<:? Htt t:c parce ~u'i)< <:«tn(MMie))t)et

<'r:Ht;t(rsà r<tt«"it: de Mtttitaot? M.u'i ))<traitaient tmf'i d'ix

?)))< )t"i~n:tcs et t<:<h!t«triM)tt: et <:f)n «'~ tmixt onj~cM

ces dcHs ctMsscs t)c )ittt:rtttcMr'ide se rcfftttcf ~t ttc ttuthttcr

H}<rcseus.

V"ici, MMfcstf, des faits )t~ci'< qoi vont «uns d'hn~ntrer

<)t)c )'<')'n)t)t't)cc ttitit t'))sfit{«cc. -.i)t"tt ~mti'tuee, pitf t<~

«tititrfst~s ~hts ~tHi)tM)tt<t.n A'At/t'~wt<)')ri'it«tc ~mit {)cut-ctfc tnoios c<m<)nf))t~")ttc )'< fttttrcs <'MVf)<t;cs<)ttStt~'fitc.Mais t~))revanche, n'))c de Cic~rnn ~titit te ptus c~nu et le

plus étudia de tous hct tMtt~s et dtttts Ciccr<M),c'était t«M-

jnttfs )'«Mtcttr, le rhetcut- toonc.~m' )'<'<)c<M)si<)cr.ut,de ),tf~-(cffttce :m phitust'jtht: "tt !tM)totiti<)uc.<[//A' ~w/<M/ WfU/wMjf

tfM</< <~«/<,td{s.tit («))ttttcttsc)))ct)t t'abb~dest)un<:s,K)ic<tc

( osida. t~cs )trittci)titHx ~f~dicatuutit du temps de saixt

!.«uit, t\H))!<nd, Kticonc de tttturbon, (!ui))iuunc t'crraud.

ctttcaucoxt'd'aotrcs, invoquaient t'amittcmcHt itMt)t)~<:cpt<:s.

Quelques uns toussaient <ne(ne si loin tour prédilection

pour ce tnaitre, que t'E~tise était obligée de leur rap{n:tt:f,

Imr ht txtuchc <tucardinal de Vitry, le trait de saint J~rôtnctt-mu par un ange jtour avoir trop aimé Cicéron. 1)'autres

enfin donnaient sun nom à r~toquenc<:eM~-n~tnc ils t'appc-laient 7M//M (Cic~ro)) x'ctt jamais apjtcM que Tuitius aM

moyen a~e), pour mieux tnar<tucr qu'ils )a regardaient

c<Mn<nMsa fille. célèbre Alain de LiHe était de ceux-là, et

torsque, dansson /t~67fM~<tWM, il décrit te char att~~riquesur tequc! doit monter la sagesse pour s'élever jusqu'à Dieu,et qu'il le fait façonner par les s<;ptarts libéraux, il prête à la

rhétorique une part brillante dans cette ingénieuse cottabo-

Page 123: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHÈTOtttQUK ta<

rxtit'n !Httaeh< dit i). f<t d'orner et d<*faite vatoir )<*sira

vaux de st". iitfur- la M~"t<nntre )on" fUf couvrf

d'argent et ttc pierrerie'' )f thnon cbaucht!' )tar t'mx c)tc

t:ache souxte'' (!cttrs )'c'i)t'n cofwH't~ (tcrt'ittttrc )%ti) tt'on'nt'

cttXMnc'ws prcntifrs jtfrcs. «vt-t;t'ic~r" QuoXitift), Sytn.

tnattuf, Sidotoc AttotHnairc.!.<")t;rao<)-<eMfye)o)<c))istt's<)u trc~i~nc si<'c)f ))'ani«t'))t

pi« nutroncot. !MUtt'ur<)c)'/w<<<' w«w/tt'h)i th' .S/«w/«''<

</<«/<f/t' accordent à t'act ufatuife t~ <n6)nt!('<.«<'<'( tx )tt~nt<*

!tnt'<trtnnc< Sc)t<t)Vioecot de «c.tutai' )« -iciettecdu diit)~-

tincx et cette de t'~rateur ne sont que deux a)'p)ic!tti«))s

di<K)rcntc~<<ura)!~nnen)c))t.t)u'<;)tt"tsupjxtscnt t'unect t'aut~'

la proni~re f.tisottnc sur des thèses, c'Mst-A.dirc t}tt't'))<'t'tt~i-

sa~c tes questions d'une fa<,«n'<b-'traitt',et ht seconde r.tisoxm'

suf des h~Mthescs. c'cst-A-difc qu'cttc considère tes circons-

tances. tes formes, lesaccessoires. Kn sotntnc, c'est toujours )c

ca<)rc(tu M'f'/MW,c'est toujours )c pro~r.onmM de Martianus

CapcHaqut subsiste et qui s'itnjKtsc, dans ta jK''dano~iec<')n)ne

dans tes ctasses. !trunett<' t.atini, fauteur du y~< va p)us

ioin:a)'e!<cmpicdeCiccron,i) fait <)c t'~oquencete (ondc-

)nunt de la science j)o)iti<)ue,et il lui donne te premier ran~

dans la partie de son ouvrage consacrée au }{<'u\erne)nentde

tacite. t!se sert, j)our traiter de la ~w<«<,non seu.

lement du /M!'<M/MM~~t'A't~ <tu)naitre ctassique. )nais

de plusieurs tivres anato~ues de t'antiquitc, et il y ajoute

beaucoup d'idées et d'observations personnettes.

t'osons donc en fait, pour commencer, que la rhetoti<)ueest appréciée, qu'e))e est enseignée suivant les rentes ancien-

nes.et que,ma!{;re t'cngoucment des esprits pour la diatectique.

cette passion ne va pas jusqu'à <aircperdre de vue t'utiiite du

Page 124: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LETREMtEMKStECLE.taa

bcM) (anni~f S~ dt)Mte,))"ustn'M\t;tt'ns,h'T!M)ue nuut nt'~s

<~t M)'cn'nsdes scfOM~f)''en ~ti<Mt)M, Mne certaine '~v~jrttc

dt; pfinci~s t < f ocstott ~!M )t'~~<t<'<t)M!df'nnpnt )n )t)f

snn' <tKUt)cnt<'r<'t<'i)w,nnMs (ttTu '~htt t<"nn\nt')re, et' sm)t

!f~ ~'nsccs. Mais tt'nt- r~)t* Mn jf~ itustorc ctotvicnt par-Mtonn~ h thttirc -'i~tt~ <-t,()Mteste, ci)c n'~ntj~chff~

)K<i)ttct')tninsst'r)Mu)))).tirtst~'t:u))~n's~()f!t txtuwctssof t'.trt

< ~7.)~< et d'utt~r )c'U~"u)s. ( 't<t ).\ tt~urf t)w<tfs tt)i))c

ft~t'n-<<('<'X)'m))<f«' -))U)Wt si ~Tot'ondt-t si univcrsc), t~tu

je si){tUttttisc«mtH~ K'c.~i~~rf dt')nit)i~n<<tn m~yen j~c, ht

pr<!<~rmccdottn~t: .m<)<t sur t.t (u) (Ht'.N'y~t'y~ns pnsaMtrc

chose, et «'aUnns }M<str<'ire<)Ut-!.<~r)'"<'eMpaU<'nde la forme

«u de t\:xpt\'ssi<tu soit t;t'n<('M't<:tnfntabsente. t\n t~ mettant

nMsecond mn~. ~"<t'<'dnK<'RMcsht )ram<Mntsimptement sa

tt)im' tt~nitunc. t'~t ~wrqu<'i s'cnnfccnt-its dt: l'y rntm'ner,

xiwu )mrcc < tt's tt'ndttttMs df kurs eontonjx'ritins )cnr

tont ttrct:is~H)fnt xotti) t~'soitt d<' cc mj't Mtx prin-

CttK"<?

Toutt'Ms, si It d~t"ri<)tn' f:dt ttitrtic d<:s~tudcsdcs sitv.tnts

et des écoliers, toutes ses br.utcht's ne snnt pas ~t;

cultivées. Cette qui domine, c'est ta science des n~ures et des

comparaisons. Quelques théoriciens enseignent bien l'art <te

diviser et d'amptiner )c discours c'cst ce tjue (ont tes ituteurs

de plusieurs traites (Udacti~ucs du treixieme siècle, et ce <)uc

continue, au (tuator-'ictne, te car<Hnat Hertrand de ta Tour.

~'autres appliquent au discours le système de l'alchimie: ils

endecomt~osent tous tes membres, comme Raymond Lutt.~ui

définit la rhétorique l'alchimie des mots~<tA~<WM t't'~o<'«M<

en ajoutant que ceux qui vcutcnt apptcndte a parler duivent

commencer par se taire, a t'exempte de Pythagore. Mais la

Page 125: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

t23LA RHÈTORïQUK.

<r"p")"ttie tst ioOttiowttt ph's ffthtrth<'t'. ptus approfondit-

tjttt' )f rc-itc. dat)s t'en'.fittnonfnt n'ffnnf <tiu)'.t«pratique ~t

ce n'est que justice, f)) principe, d'accorder une grande i)n)'ortunee a t'Mnptui r:))s")tt)'tb)uet r.ti'.<t))nt*'dus t~nres <)t'rh';t')

r!<)t)t'.t)U t.'k'ot <tt' k"i fitirc iuttuntir A )')")f's ~t 'tf tf'

)mn'.s<-rjt)-~(U'<tM(«tut.Je <)isct)))ri))ci))t'.(),t)Ct ")~je ttc ~'nur

)t"it)t <)~tt'n')r<')'i(ht)s<)t's)t)tt~t)rics.(jui <t<')t!)rctr'))) s<'))Vt'))<

tes <tmTcs <)estWt<t'))rs')otVjMxjoc.)\t)t'n<'t.n'<)t'f!n« \aj~

')t)'t ))t t)))())ic<h< m) ccrtiu)) omubrf d'c«tfc t-ux <nai:.t:~)~

)tft'))\e. 'tu tn"i))s, <)oc.tuit) <)'tt\"ir ;x'n)t) )< tr.(')iti""s <)t's

rtwtfurs, tt)<)cs '.ttivait )Mtr(('istr<')' s<:)rvitM)u')tt.t.tt tistf <)ct

tr<)jK's ite trouvait d~jà dans t'fiseicn, dxtts thotat, ditus

tsidorc de Scvitte. Ot) y idoutc des st~tptOncxts consid~f.t-

Mcs, et tcur usa~ccst !.<'nn)is Aum:v~ritaMc rct;)ct)M))ta<i('t)

scenurs uti!t: jxmr tes inM~toations jn'u fcc<mdes, )nais )icn

~'nant t'<<t)t')t's axtft's. !) est vrai <)Ht'!cs ))!U(\r<'s(('fsprit

unt toujours cil o)!<j"nte, t't <ju'<'t))tc saurait btatncr ccu~

<jt)i<'ntctttr<'j)risd(i)t:ur venir <<)aide. Hrunett*' t.atixi.par

<'scmj))c. consacre u') !'w~ chapitre a ce <ju'i) aj~x-Hc tes

<w</<<r.fdc)arhct«ri<)(tC~)M(tasscx )K'))rcux);<'t ces conteurs

Sont f~WA'/<W, /<'M~7<.<W/MM('M. <~tWW~./'«M/M~< //<<M.

</<Wf~7/«M«'.<t</<wM'w<7/Voici cotntncnt il ct)sci};tx'la )'rf-

tnicrc <(Aorncntcos consiste a accroistre ce <j))'o)t{toroit

dire et) tfois ou quatre mots par autres parotes ptus tondues

et plus avenantes, qui dient ce tnesme. Kaison cotntnent (par

exempte) JHsus-CHK!ST naquit de ta vir~exe Marie. Le

parteour qui veut ce aorner dira ensi Le t~eneois !ix Uieu

pristchar en la ~torieuse vierge Marie (')~. C'est ce qu'on

appette ta paraphrase. Ces notions sont élémentaires si !'on

t. «runettut~titt).y~MB~~),tiv.m, part.),th. tj.

Page 126: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

t.R TRMZtÈME SÏ&CHE.<a4

veut. )md:)<-«essont n~cciMxtrexpour les apprentis. pour tc~

<~< t~ jiecpnde des «~A~~de notre auteur. le Aw~w,

ttt à )tfu pr{"t ta mtme chose que la première c'tMt une

manière cie tourner sa pensée. !.a ~w<wr. c'c~t )'ap<Mtr«-

phf la ~w<'<t.t~<~<v.c'est )a tteMdpt~'n <<6tatt)é<!<u))

nbjft /'<t</<w~w< «M redttubtetneot. c'<t ~pttitton

(la ptut )tMi-'tantc 'tes <tnurf) <<<:rhefri~Hc. comme di'mit

Na}x')6nn).

Ici, )~ ntct~phun, )a (<t;nre par exct'))o)c< ne jtme encore

t(t)'un r~ie f<T)~. Mtu'. eXc «nupc toote lit place dans un

curieux traité <)t: («)i))at<me d'Auvergne, inédit jusqu'à ce

jftur, et tt~twtvcrt récemment dans un tnanuscrit d'Oxford

p!tr un ancien )!:){:e de t't~cotc <)csChttrtfs, M. No~! Vatois.

Ce traité, qui scmMc être une tcuvrc <tcjeunesse du savant

pr~t, est !ntitu)e /<M~Mt WMM~ A <tuc)teidée retond ce

titre ? Le voici. !.M)tt)ue te chrétien lit dans le livre de la

nature, eha<tuc objet matériel tu! apparait comme le symbole,c~mtne la représentation d'un objet immatériel une parcctte

d'or lui rappelle t'innocenee, un ctoitre le fait penser à t'&me

etnprts<tnn<!edans te corps, etc. !)e là tes deux <aees du

monde ou de chacun des objets renfermés dans le monde.

Tout l'ouvrage route sur cette mine universette et inépuisa-

bted'attegones. t.'auteur d<<:tneunenouvette tiste, plus ton-

gue que toutes tes précédentes, de comparaisons et de figures.

Chaque mot lui en fournit plusieurs ta récompense céleste doit

être assimitée à la solde si t'on s'adresse à des militaires, à un

fief si l'on s'adresse à des serviteurs ou à des vassaux, à une

prébende si l'auditoire se compose de ctercs, à une dot ou

bien à une parure si t'on s'exprime devant des jeunes Mes, à

un ti\re si t'on parle devant l'Université, etc. L'âme humaine

Page 127: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHÉTORIQUE. t25

devient succt~tivonent une K<n<~f,un temple, un monattcre,

te pnhe. c'est tour tour ta nevre.!a surdit' ta tepre, t hydropi-

sif, ta dissonance, ta puanteur, puts, par une association d'idées

moins expticabte, la <ortune ft t'af<isan.a vertu o'~st~t''

représentée par n~t'ins ttc trente quntre t'bjctt ou ~tr~s

materiett (').

Il y a n~cci.saircmcot ta bien <<etsubtitit~s et unt'ntassetncnt

bigarre ()e métaphores. Mais il faut se rap))e)er <}<)€toutex ces

M}{ure«,bien qu'ensei~neex )M«tt)tt)tn~)wnt, (k'~h'nt être

etnptoyees séparément. Ccntme )e pre-ferit fauteur axt'nytned'un autre traité du <nû)ne ~enre ( </<A</<</«'w~<w<«w~,

< it faut se (;arder de mctanger ensembtc tes métaphores et

d'en changer tout A coup sumt, <)ansun discours, de con-

parerJf:st's-CU)«ST a un pasteur, car, si on le compare en

même temps à la «cur ou à la pierre, il est &craindre que tes

auditeurs ne s'écrient t<ardérision tt fait un veau d'un tronc

d'arbre ("). Guittaume d'Auver(;ne n'entend pas, d'aitteurs,

dcro{;er Acette régie il ne se borne pas a dresser un réper-

toire d'a)tet;ories, mais il explique tes fois de leur formation,

teur utitite, leur destination, comme d'autres indiquent te

moyen de tes amener à propos. Nous trouvons des manuels

analogues pour tes <t<w~f, ou tes récits a introduire dans le

discours, et nous aurons l'occasion d'y revenir. Tout cela sent

bien la routine mais cette routine n'est rien auprès de cette

dont te siecte suivant verra s'établir te rej~ne, et nous ne

devons pas oublier, encore une (bis, le but tout social de ces

compilations, qui devaient rendre et qui ont rendu de grands

services aux orateurs. Nos meilleurs poètes ne sont-ils pas

t. V.Vaïoia,<~M<7/dMM~tf~M~w, /î~H~t/</~f~, p. 926etMihf.a.ab). nat..ms.ht. '6530.

Page 128: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LR TRK!Z!Ë!ME StÈCLK.128

oMit!~ de rptourit, ~r tWMncntt, nu diet!annaire de~

rimes?1

Voi~ccqu'it importait de (tire sur t'entei~ncmentftsur)e caractère ancrât de )a rhétorique, avant de descendre

t't'xiunen de ses difïerents ~cnre'<.Nous ~)t<MM)niuntctMt))tk's

passer t'tt revue t'nn i~tres t'tmtrt'.ct K' ne scrtt ~tstus )mtK,car i)'i sunt !t)«rs~'u nt))n)))cu\, t't t'; s~'ut ~uiticmM t)< phtec<nsi<)<'r.)b)cdfms K's hahitudf'! de n"s ~rc-<, c'fst t'chtt~tcxc~

s.M-r<'<)'t'~t )<' ~'rtn")) << )'r<'<tic.tt<'«r<'nt. eu <'?'<. t''<

sfu)s m:uttt's ordinaires de h )Ku<~ tm irciiti~tn~ si<:<;)c.

Mius, tt\'M)t de noux «ecKjtcr d'eux..trrctt'ns-Mnus (('tdjord

un tnoment A et: <~uireprésente t'et'tquence civile ut) {m-

titiftuc.

Il est évident <)u'i) y a t'u de tout tonpt des discours

pr«))nnc<;s par des princes. p:tr dt's tn~istr~ts. p~r des cnn-

sfiHfrs.diuw dcsrcut)!«ns p<ttiti(~'s,tni)it!tircs on autres. !)

serait fat-itcd'ct) trouver tnaint cxcutptc dans tes chronittucurs,et (tes exemptes rapportes par eux ~'f<M</<<,nt)))pas inventes,

eo)t))ne les fameuses harangues de Tite-Live ou de Mexcray.On doit donc regarder comme une natvete la pompeusedéclaration faite par Victor Le Cterc dans )'t/f/<<'

~tM~'</<-A< /w/«', (orsqu'apres avoir dit que t'étoquenec

potitique naquit au qnatorxiOne siMe avec les États géné-raux et les Etats provinciaux, il s'écrie propos de ces

assemblées <( On entendit donc ennn des laïques 6)0-

quents (') Eh quoi n'y avait-it pas sous saint Louis,

pour ne pas remonter plus haut, des partemcnts, des séances

du conseH royat, des assises, et même des États provinciauxdans le midi ? Peut-on ouMier, notamment, cette imposante

t. //«/. /< tomeXX)V. p.~t3etsui<.

Page 129: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHÉTOR!QUE. t27

r<unio« de prélats, de barons et de t~~ii.te~qui, pendant dix

jour)', A Amiens, discutèrent à fond, sous la présidence du roi

de France, te-i droits du r<'i d'Angleterre vis-à-vis de son

peuple, et agitèrent cette occasion les question'' fondamen-

tales regardant lit constitution sociale ? tmagine-t.on queces conférence'' sotennettes se passèrent sans discours et sans

une forte dépense d'éloquence de part et d'autre? Nous

n'avons p.)s le texte (tes aHocutions débitées (tans cette

circonstance,c'e-.t ~fssiMe .c'e'.t même naturel, car tn ptupnrtdurent être hnpro\ isces mais en furent-ettes moins pronon-ct'es pour cela ? Les États ~neraux ouvrirent, sans doute,

une nouvelle carrière aux orateurs politiques; ils purentcontribuer à développer ce genre de talent particulier dont

nous avons vu, de nos jours, tant user et tant abuser sous le

nom d'éloquence parlementaire. Uoit-on croire cependant

qu'avant Marcet, qu'avant Pierre t''totte, qu'avant Robert

d'Artois, tes chevaliers et les magistrats ne savaient

pas manier ta parole et remuer leur auditoire? Ouvrez

Joinvitte, ouvrez Vittehardouin, ces rapporteurs ndCtes,ces

témoins auriculaires, et voyez s'il est un plus beau et plusmAte tangage que celui des héros de la croisade. Voici

comment Quens de Methune, au nom des chefs français et

vénitiens, parle, en t204, aux empereurs Isaac et Alexis

Comnene, devant toute leur cour sotennettemcnt assemblée.

Les princes grecs ont trompé la bonne foi des croisés ils

ont méconnu tes conventions jurées. Quens ou Conon de

Béthune est chargé de leur porter Ics plaintes de l'armée latine,

et Villehardouin, qui t'accompagne, recueille ses propres

paroles

< Sire, nous somes à vous venus de par les barons de l'ost

Page 130: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.138

« et de par le duc de Venise et sachiés que il réprouvent !e

« service que il ont à vous fait, tel corne toute la gent sevent,

« et corne il est aparissant. Vos et vostres pères lor avés juré« lcur convenances à tenir; il en ont vos Chartres. Vous ne

« leur avés mie si bien tenu corne vous deussiés. Meintes fois

« vous en ont semons, et encore vous en semmonons-nous,

<i voiant tous vos barons. Si vous le faites, mout lcur sera

<(bel, et se ce non, il ne vos tiennent ne pour Seigneur ne

« pour ami. Fnsi porchaceront que il auront leur raison en

« toutes tes manières que il porront, et bien vous mandent ce

« que sans denanee (sans défi) il ne feroient mal ne à vous ne

« à altrui, quar il ne firent onques trahison, et en leur terres

« n'est-it mie acoustumé que 'it le faccnt. Vous avés bien 01

« ce que nous vous avons dit si, vous conseitties ensi que il

« vous plaira (').N'est-ce pas là de la véritable éloquence? < Je ne connais

rien de plus beau que ce discours, s'écriait Pautin Paris,

l'éditeur de Vittehardouin. Quelle simplicité, quelle gran-

deur, quel admirable orgueil Nos écoliers apprennent parcœur des discours imaginés bien inférieurs à celui-ci. a

Passons maintenant aux orateurs qui font de la parole leur

métier même, aux avocats et aux légistes. On a dit: Le

barreau n'existe point encore sous saint Louis, parce que

c'est à peine si la preuve par témoin commence à remplacerdans la procédure le duel judiciaire, interdit par ce prince

en t26o. Cependant les appels à la cour du roi se multi-

pliaient dès cette époque ils se produisaient même aupara-

vant et !à, devant ce tribunal suprême, auquel les parties

recouraient comme à un port de salut, il fallait bien plaider,

ViBehmhmin.eh.M.

Page 131: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHÉTORIQUE. t29

il fallait bien des avocats. Et dans les provinces du midi, où la

législation romaine subsistait, et devant les juridictions ecclé-

siastiques, dont la procédure était si régulière et si avancée,

n'y avait-il pas des défenseurs de profession, mettant au

service de leurs clients toute la loquacité dont ils étaient

capables? Les textes nous apprennent, au contraire, qu'ilexistait un grand nombre d'avocats, et qu'ils ne plaidaientsouvent que trop. Il y a même, dans les recueils d'anecdotes

du temps, un type à recommander à ceux qui croient encore

que Molière et la Fontaine ont inventé les héros de leurs

comédies ou de leurs fables c'est un homme de toi, qui a

tellement la manie d'entamer à tout propos un discours en

cinq points, que les trois mots ;~&y-c/~M~ deviennent

son sobriquet. I! finit par tomber malade, et on veut lui

apporter le viatique; mais, jusqu'à la dernière minute, il

discute et fait discuter si la loi veut qu'il le reçoive ('),

si bien qu'au cours du débat il expire sans sacrements. C'est

le Perrin Dandin du treizième siècle (').La profession d'avocat est tellement répandue, qu'elle est

réglementée par la législation religieuse et civile. Le cardinal

Jacques de Vitry reconnait à ceux qui l'exercent le droit de

recevoir, pour prix de leur labeur, des honoraires modestes,

si toutefois cette dépense n'occasionne point à la partie un

préjudice grave mais, quand ils peuvent l'assister sans

travail, il ne veut pas qu'ils réclament le moindre salaire (3).

Guillaume Durand, dans son fameux traité de jurisprudence,

t. t. Pt<sentetarequête<Commetuveuxdonmir.>

(~j /<t«<'«M,Actet.sc~ne&)e. ~M «et,nM.httn t7S09.3./M<

Page 132: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIEME SIÈCLE.130

consacre toute la quatrième partie de son premier livre àtracer le rote de l'avccat. <[Ceux qui éctaircissent les faits

douteux d'une cause, dit-il, et, par la <brce de leur défense,dans tes aRaires privées ou publiques, relèvent ce qui est

tombe et réparent ce qui menace ruine, ne sont pas moins

utilcs au genre humain que s'ils prenaient tes armes et

répandaient lcur sang pour sauver leur patrie et leur fa-

mitte. tts combattent, en cnet ils combattent, lorsque, forts

de l'appui qu'ils trouvent dans cette voix qui fait leur gloire, ils

détendent t'espérance. ta vie et tes enfants des malheureux (').tC'est la contre-partie de la tégende de tout-à-t'heure

c'est le modèle après la caricature. Mais Guillaume

Durand, ancien avocat tui-meme, ne ménage pas non plusles sévères leçons ses confrères de la vcittc. !t examine

longuement quelles objections on peut faire contre eux,

comment ils doivent s'habiller, quelle conduite ils doivent

tenir à l'égard de tours clients, des juges, des défenseurs de

la partie adverse et ses préceptes sont aussi opportuns que

sensés, surtout lorsqu'il leur recommande de n'être point

bavards et d'être courtois les uns envers les autres <

~<t~o<-MM<w M dit-il enleur rappelant un proverbe

provençal. « Pour parler gentiment, les lèvres ne tombent

pas. Et il parait qu'il avait vu de près la nécessité de cette

recommandation. Enfin les princes eux-mêmes sont obligés

d'intervenir pour poser des bornes aux envahissements de

cette classe de légistes et à la rapacité de quelques-uns de

ses membres. Ils vont jusqu'à fixer officiellement le tarif de

leurs honoraires, afin que les particuliers ne soient point à

leur merci. Un curieux statut de Charles d'Anjou, promulgué

t. CuiHMmeDuT!md,~«'x~«t/tMfM«t&

Page 133: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA HHÉTOÏUQUE. <3t

en <2$t, établit ce tarif, pour tes pays d'Anjou et du Maine,sur la base du nombre de chevaux possédés par (avocat ce

qui prouve que celui-ci arrivait assex communément a l'aisance

et à la fortune.

« Quiconque voudra être avocat eu cour taîque (par con-

« sëquent, tes avocats ne se trouvaient pas seulement dans

<<tes juridictions de l'Église et dans tes cours civiles du midi),

« sil est assoit bien posé pour avoir un cheval, recevra pour

< sa rémunération trois sots de monnaie angevine an plus

par séance ou par journée de ptaid ;s'i) a deux chevaux,

« cinq sols au plus s'il n'a point de cheval, douxc deniers

au plus. Nous entendons parler des avocats résidant ou

< su trouvant dans la ville même où il sera ptaide. Mais, si

« quelqu'un en appelle un du dehors, il lui payera ses frais

<(de déplacement sur un pied convenable, indépendamment

« du salaire fixé ci-dessus. De plus, si quelqu'un, par suite

<tde l'influence ou des machinations de son adversaire, ne

« peut trouver d'avocat dans notre cour ou dans celle de nos

« vassaux, le magistrat qui tiendra cette cour en prendra un a

< celui qui en aura plusieurs, pour le donner d'office a celui

« qui n'en aura point, et lui fera payer des honoraires modérés,

f comme ci-dessus. Quiconque voudra embrasser cette pro-<ffession jugera avant tout de ne rien percevoir des parties

« au de)à de ce tarif et de remplir son devoir avec bonne foi.

« Ses biens personnels serviront de garantie, et seront saisis

« s'il est convaincu d'avoir contrevenu à la présente ordon-

< nanee ('). »

Heaumanoir nous apprend à peu près la même chose il

parle aussi du serment, du salaire, qui doit être régie d'après

t. Archives nationales, Tf/m~~ Cht~/M.J. t~S

Page 134: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtRME St&CLE.133

le talent de l'avocat, d'après sa tortune et d'après l'impor-tance de ta cause Mdistingue px)~itten«'nt celui qui voyageavec un cheval de celui qui voyage avec deux chevaux ou avec

trois et il ajoute que l'un comme l'autre ne peut demander,dans aucun cas, une rémunération supérieure 1\trente livres.

11répète te conseit, d~m~ par GuiMaume Durand, d'être bref

en parot< car un petit discours est ptus ~eite à retenir et

bien plus M~reabte pour les juges il en(;at:e les avocats en

cour laie a parler aus~i benement te français oue tes avttcat!!

ecetesiitttMjMftpartent ta tan~Mctatine dans tcurs juridictions

(tes clercs, en effet, ne pouvaient exercer cette protession quedans te-! cours d'émise). Aitteurs, il revient encore sur la

re~tementation du métier des procureurs et des défenseurs.

Ainsi ce n'est pas seulement eu Anjou, c'est encore en Beau-

vaisis.c'cst dans toute lit France scpteotrionate.ou dominait ta

coutume de Heauvaisis, que le même besoin se faisait sentir (')Toutes ces précautions, toutes ces mesures indiquent et la

prospérité du barreau et ses exigences. On sait, du reste, quela faveur qui s'attachait depuis peu à l'étude du vieux droit

romain donnait aux gens de toi en (;énérai une influence de

plus en plus marquée. Dans ta Faculté de t'ari!),créée spéciale-

ment en vue du droit canon, cette étude était interdite, et elle

devait l'être longtemps encore (jusqu'en tôyo). Une bulle

d'Honorius Ht en avait ainsi disposé, et cette prohibition fut

renouvelée plusieurs fois depuis. Mais tes étudiants allaient

en foule s'initier à la jurisprudence civile dans les écotes

d'Orléans, d'Angers, de Toutouse.de Montpellier, de Bologne.Les papes, s'ils restreignaient la culture du droit romain au

t. Bemmxnoir. Cm~MtK de Bmttpmnt, eh. s. On tmarem plus de détails dans

t'Wt/otM des otMftt/t au ~<t~M«M< <&/M. pM M. DehchetMt. tn-a". Paris, tM;.

Page 135: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

RHJÈTORtQUE. <a3

t< XtM* t)M< th<. « MtM.

nord fte ta France, pays ttf droit cont)))M)fr,ht ~t~'rtsitient,

au contraire, au midi: it<t'avaient autor! à Satanianqu" ft

d.xts ph)-eurs yJXes(Châtie. Cra(nna!cnt its, HM(ond, d'etendrf

sa ttom!nation sur le, contr~fs qui h)) avaient échappe jus<)uc

<A? On ;<ct)tle croire, car il rc~nait sur <)if)crcnts jM)in<s)<))

certain axtnucnisxtt' entre )t' ciruit eam't) ft le (tr"it chit.t'ntrt'

te cotte rctitticux et te Ctttc antique, et t't'n sait a'<ei' tout te

)n.<) que t'fmpireab;.«tu t)t". t''t;<te'<a t'ait a t't!.ntis<'<'«n)ntt'a la

France a~re-. t'a\enewent <)e !'hi)ip)tc )c !tc). Les pr~cntit'os

de la cf'or <tf Kutnf, si c))t"i <'<ttrct-ttootcut exista, -M'ot<hn)c

~rfaitonuot t'xj'ticabtcs. Sous saint !.t't)is, biet) t)ttc )c dan-

ger ne fût pas encore (tcetarc, fa rivalité c'ontnfn~ait cejtfn-

dant se dessiner entre tes <tcMXjuris)tru<knecs. t. droit

CiMwnavait encore le dt"4'.u-< ta <:tt))ccti«ndt: Graticn, <t'))c

de Raymond de rcnnafort, pui'! p!ns tant )e .S<.rA',t)t)h)icpar!<m)i<accVtH, étaicnt enseignés et ctndics partent les

canoniftcttc'' ptu-idistin~ttjs '.nr~!ss;ticnt t'n J''Mt)<;<cta)t'ur

Mtc il faut encorc ptaccr )c c<H<:hrc~v~quc de Mfttdc, am~nr

du /~t'M~ </<WfWt'MW,dt) C<W<~W~A' 'A'A </M<'W<<'

de ~~M, et d'autres ouvragcx spéciaux. Maisduja )cdroit eivi)

gagnait du terrait) il tient dans l'histoire littéraire (h) tonps

une place importante, ("est t'e de la rédaction des grandes

coutumes, des ~wM< <y<~7<j<tA' <)csrecuci!'«te t'ierrc des

Fontaines et de t'hitippe de Heaununwir et )'on ne saurait

nier que dans ces compilations, l'élément rotnain se n)c)e

quelque peu à l'élément coututnier. Les ~.MW~ sont f'expres-sinn la plus pure de la te~istation chevateresqne mais tes

~w/ww~ <A'A'«/<Mf/Hycontiennent <tes traces numi<estes <(e

la jurisprudence romaine, et te tt'M~dedes Fontaines en est

rempti.

Page 136: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREH~ÈME SIECLE.~94

KwtWn~sttHs tt'utfMs t)Mftf< grands juriscMtStdtct:t

d'ours sont bit-x ~tutct .txitn~" dt) sf.KMe chrétien qut*<h)

vieMesprit t)y<t«)ti)t. tte.n)t))i<n"i)r)i<i''«' t'ifn {'crcct d~~ tkt

tfnttiu~es fit\"mhtf~ & t'tttnxi~'tfncc truyi~c t<w!s !t est

~fmtcm, il est )M<M~rcm t«)tt<"<choses. U n'st ~tixt <<M<'fn'<

<nu rt'ssu'ieitcmnt hicntf't t:) )n:~itnc tr'tp fittncuse (.~«<

~< /<'<w<~ ~t~<~<, /< t ~<'tVMt~'t~. Scutt'tnext. il est

ff.t~pt; t~'< dnx~'fs <~ t'ttH.tfchiMKtt<t,de,t't il ~'m hc vers K"i

td~'< de ccntrt')i<!tti"n. ~.tre~prit <)frcaction, itttn dcc«))juMr

)t't)ta<p)<'<tuit(';trt't"<c<()j)jMSt::c'fst,th)rcste,~))cut<e

t;h<'st' près, la manière t)c voir du suint mi tni-HMtne.Mais, .m

tniHeMde se-. t~ismutctMcnts <k ~nittc, qucHcs tueurs '«)))-

ditim-s, ~m-ts ~ctiurs de sentiment cathoti'~tc! t\t c«nunc t'un

voit bien que c<;Justinien français, comtncon t'a surnommé,

est avant tout te disciple lie i'Èvann'~ t.isons seuiement ta

c<tnctu!'i(tHtks<)n<:<Ktc,ct!t<)tnir<mt<))<)nct)t('«uvaicxt

s'allier, chez Ut) K)ntcn~'«rai)t<)c s:tit)tt."uis,t'a<n<)ur de Il

toi <ti\'it)cet ht prKtccup.Hiun ttu ta lui humaine

< V"us, Koi des fuis, Sci~ncu)' <k't sci~M<;urs,vr.d Uicu

« vrai hufmnc, t'<:re,t''i)sct Saint t'~sprit. et vous, très ~toricusc

< Mtrc, reine et pnnccxsedc celui qui tout fit et qui tout peut,

<fje vous gracie et vous adore de ce que vous m'avez d<Mtn~

< t:s)<Mede temps et volonté de ttenser, tant que je suis venu

<fla fin de ce que j'avois proposé faire en mon c'eur, c'est à

«savoir un livre des coututnes de Meauvoisis. Kt après que

« nousavons ordonné tes coutumes et mises en écrit, nous

< re~ard&mes le siecte et le mouvement de ceux qui volon-

«tiers et accoutumément plaident et quand plus tes rcgar

« dames, moins les prisâmes, et plus les méprisâmes, et pen-

< s~mcs des choses lesquelles faisoicnt mieux à pourchacier

Page 137: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHÉTORtQUE. t35

< en cf siettf. Kt quand nm)t eûmes m"u)< pense sur cette

< mxti~re, il nous a sembtp qu'it n'est rien que nu! doi~c

< convctter cotnme ferme pais car cetni qui ferme paix a

< «nermi en son co'nrcst (twitetncxt sire th) si~ctc t'<c"))t

t )'!<{;'< t<t!Uicu il fst firt' <)u-'ièctc en tftnt c<nnnn' i) t'st

< en bonne ttftwcc et te f'fur et) (taix, <t<t'<tm' c<'ttt'"itt' A

< outrage nu))t'e))"c tcrricnnt'.t't co)n)M);nmt 'tt* !ti< )'<r< cf <}u'iiest (')) ~ti't df ~f;t~' et s.)))s (tcchc. Ni tsint'n) t)it))!<

< c<'s deux v«k-s, nut ne jK'ut «vir t'n s<n)c<.em(cftnc t);n!<< C!tr,sil est convcitcur <)cse)«M<'stt'rricn))<'sen .)ucunt')n!t!i-

< cicusc tnanicrc, son ett'xr est et) guerre et en ttibntatton

< d'eux )t<'ttt\'))!tcicr,et <)<tncn'.t t i) pas ferme paix A son

<fc<ttr: cts'itest hors d'état <tetjrAce.si cotxxn'en pnhc< tn"rte), sa conscience tnHnek' ~nern'ie; car nous ne croyons« pas <j))'i)soit t))))s) ma) h<tft)t)!t'<?)('.son c«-ttf tte scit ~ner-

< r<ty~'<)esa conscience même. Donc ceux oui veotent !t\oir

<<ern)c paix doivent sur toute chose niett.ti)neret pner.et< des choses terriennes despriser et qni ce peut faire, il a t )ieu

<fet te siectc. Kt puisque nous avons dit oue )ern)e paix est ta

< meiHeurechtMcApourchacier, nous prierons celui qui est ton-

< taine de paix, c'est &savoir Jt:SUS-(')tKtSTte Fits, et cette qui

< puise en !adite <<)ntainede paix toutes tes tois <n)'it tui jttait

« pour ses amis, c'est-à-dire sa benoite Mère sainte Marie, en

< te))e manière qu'ils nous veuittent donner et envoyer paix,< comme its savent que métier (besoin) nous est au samenient

<(des âmes, seton te pouvoir de Nôtre-Seigneur et se!on sa

« miséricorde; tequct pouvoir peut tout, et taquette miséricorde

<fn'est comparable a nuite autre miséricorde. Kt ce ouus oc-

<[troie-t-i! par la prière de sa très douéeMère. Ainsisoit-it(').~

t. J'empntntece texten~eunirila o'MbMintroductionde A.</x/<'~/fM~~<//<'<tfr<f,jMrMont!tkm)M<(M.Marne,p.57)

Page 138: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LETREMt&MEStECLE.t3Q

<~ui pMted'MW mxsi.s'~cn.tit MoMtakmbett? !<te~w<

t«:utre de ta chicane? Kst-ce un aputrc de ~etui qui u dit

menhcMrcnx tt:~ paeiRqMf-. ~? On )f cfttirait ptmM, et

ici ttc:ttt)n!m"ir sc tuontru hk'x mctH'i te pr~cursfur <)c<t

fuot'stcs consciMers <)c t'h)U)~x.')c !)t') que )*'(nc~trf (tire* t f)~

cette )"))Ht)c-.ucccssi")) (U*))M};i'itrat'ic.tthutitjttcs et t).t)t<,i)is,

qui U.wr'tf «"tu' histoin' e~t~mf un sittun (uxtitMMs,~~T

)t)'<t))tir itux).<'t)t"in""n ut i't's M)t)t'shur)<c'

M.tis m; ntM'. )'~))r<'))<]'!< <).u)''t'ctmtc ttc ttt jurisprmtcxeu.

K' n'.ti p.ts t\ f.ufc) histnitt' ttu <)f«it!tMtr~'i/iouc siècle je

n'.tv.tis ;<p:<r)t'r((ttf des a\tW<tt'iet du ~CHrcp~tictdi~r (t't'-tu-

<~)cncccutthc par les homtnes de lui. Or, te lecteur de bonne

fui en a vu itsscx, i) )nu smnbtc, pour ctrc cnnv.uncH t{ue

ccHf ~t<~tc«c< n'fUm t):ts morte, et qu'fUu ~t<utncc dc~Uts

)<'))~t~tH(Wd.ms ))«trc ~triu. t~s monumcKts ~m ~<tUM.Mcut

réveiller à nos n)ci)tcs ses ncc~nts cn't'tftnis nuus tmnutuent,

pMH' qu\'Ht: Mch.q))~ ;):tr s~ nature mûtHu t.t trcpnM~ctionécrite et q~'it c~ttc ~pt~ue surtout F~n n~~U~c~itde rccuciUitr

le textM d~-i discours. (Qu'importe? N'avons-nous pas des

pTeuvct ptus que suffisantes du nombre et de la fécondité de')

orateurs civits ? Nevoyons-nous pas, par le simple fragment

que j'ai emprunte a (;euHroi de ViUehardouin, que la noMesse

chevaleresque maniait partbis ht parole aussi bien que t'epee ?

Ne trouvons-nous pas ta veuve et l'orphelin défendus avec

succès dans toutes les cours, dans toutes tes juridictions?

Devant le juge souverain lui-même, au pied de ce chêne que

le saint roi avait adopté comme pour rendre sc~ arrêts sous tes

regards du ciel, nous rencontrons le barreau dans l'exercice

de ses fonctions, et <te la ptus noble de ses fonctions, ta protec-

ti jn gratuite des malheureux. L'o(Kciat, le juge ecclésiastique,

Page 139: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHRTOR!QUE. t37

avait toujours Mt))avocat t)e'<pitMWsa ht di'-position de Ct'US

qui ne pouvaient en payer un autre. Or. cette institution

charitat<to,qui s'est per~ttH'e justju'a nos jours dans certains

pays, avait son ~'ndant dans )es /<t/<A /'f)~ tcoos p.t)'te tnm)art)Ut'o) ~'r.-iotttf a Vinccone~. <)Httn<)les ~eot 'ht

jtt'ttpk' s'a)t;'rt'ch.tift)t de lui )M'ur lui 'mtx'Utc )curs c.otst-'i

sa'ts t.'tnpM-hfntcnt t)'huissicr-. ni d'amx's K' K'"m~' dit

Jt'i))\i))c.i) vt'ut.nt ))~tn)n"h's ~oo (cors intcfcts fosscut s"))

texuM,ft, ~ann' tcnnntc, i) char~.tit '!<:tt-s f,urf v.dcir on dt'

sc'ipro{tr(*scu))'if!))c)'s. Mict)\ t'ocorc, il st'f;us:tith)i))u))n'

)'a\t)cat du pauvre far, <fh'rstju'i) voyait quct'jm* chose .t

:t<ncn<)crdans tes parotes de ceux qui partaient ("tur lui <H)de

ceux qui partaient pour autrui, it t'anM'xdaitde sa txMtche~'). )t

Qui nous dira jamais c'onbieu de ptaid«yers éloquents sont

sortis de ces augustes tevres, eonthicn d'injustices ettcs unt

rcpoussccs, eotnbien de droits ettes ont fait trionpht'r?t'assons au nenre te plus etevf de ta rhétorique, e'est-a dire

a t'etoquence sacrée, Il m'est interdit d'entrer ici dans tes

det.tit.s pleins d'intérêt que te sujet comporte, t.'ayant traité

avec les plus grands développements dans un ouvrage spe-cia) (~),je ne saurais y revenir ici sans me répéter. Le lecteur

me permettra donc de te renvoyer a ce livre pour tout ce qui

concerne t'histoire extrinsèque de ta prédication, te personne)de la chaire, la composition des auditoires, la (orme des

sermons, etc., et de lui onrir s:'utefnent un bref aperçu du

{;enrc de rhétorique cultivé par tes orateurs sacres du temps.

Assurément, la grande éloquence, t'etoquence de tondue

t. Jo!MM)te.<'<t.deWai~ty.)'. 35.2. La C'~<M'~</M<tf<ttM«K mot~ft << M/fmM< «a .V/ M~ <<'tt/)t~t /<'<

waM~f~/t ttW/~w/t~fM' ouvrage couronna par t'c~<t6Mie des inscript)oMs et

bcUMtfttrM in 8". <)n. t868 <d., 'N86.

Page 140: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

t.RTRRtZtÈME8)[RCLR.taa

hutfine «'est t'as teur ~ua!ite dmninnntc, et )'un se trow~raittort si t'un {tenait retrouver dans leur bouche te~ tteceuts de

sidm Jer'~t~c on 'te Mossuet Mats, dant )s t)Mate ttf tcur.t

co)n)))fntnirt's itt~~uri~ues tm ()<*tcur'' itttfrpr~tMtittns savat)-

t<s,<~n-tt'~ctut~p~cs <t<'\ut' cbt<)uissm<tt;-<.<)ue<t'~cta!mi«'Ms.

~w <)'i~Mtstr<'p))<"i\<'hn))cntt" que de siti)tic< <'rit;!))ak"< tts

oc s«))~<t)t jx'ittt a t'ttt' cht~x'nt' ut c'fst ('rceis~)net)t jf'or

n')A<)M'i)s Sttnt ttict) t<.t\!u<ti*n'' t)HMut})stes)tnt.).fH)s

i<tcc'.sur (f«~tw ttt' ('art or.tt«irc «' r<*sM(ncnt(ta)M« tt<'

m.tximc <)'m)bx'~t.(('hc <)cs;tint Hnnitvfnturt' < A'<w~!h4/<-

'<'(<!'< A'</.ft'~<'w/t w<< M./ttM/. Ce ne sunt t<asles «tott

~u< <t(t)tnent )& mesure du titt~nt d'un umtcur ce sunt k'.

})cnsH;!<.fartant <tece t'fine~tc, ils chercheot omin~ &~w-

ti'toncr qu'~ ittstruirc, et te tMMptc,de s«n eAtf, c<)rrest«))«tsi

bien tcur sentiment qu'it se hdsse initier volontiers aux

vO-it~s ahstr.titet, itux r!U'4«nnen<ent'tet aux dixtinctiont

th&))()t;ita)es il croit tro~ protondetnent ~our avoir ttesoin

d'être co))t'crti A ta foi, tnais il a besoit) d'être instruit. !)e têts

audituiret sont devenus rares nous sortons satisfaits d'un

sermon ~uand ta nbre sentimentale a été touchée, ou même

seulement torsque t'oreitte a été charmée, ti fallait a ces chré-

tiens <jue!<)uechose de plus substantiet et de ntus prati<)ue.Voita ~urquoi la rechercha et t'ete{;ance du tangage préoc-

cupent tnediocrement et tes enseignants et les enseignes. t~a

prédication, dit un maitre anonyme, ne doit pas briller par

de vains enjolivements ni par t'éctat des couleurs car alors

eUe semblerait trop étudiée, et faite pour capter la faveur des

hommes plutôt que pour leur être utile. Ce serait là une

prédication de théâtre c'est celle des hérétiques. » Jacquesde Vitry, Jean d'AbbeviUe, Jean de Montlhéry, Pierre de

Page 141: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA JRHÈTOmQUE. 139

t.i)n"t{cs Moment t<'))r tour tes Koriturcsdtt <)(sc<mrs.t) y ;<

uneMtrtedef<'t(ctit'nc<.ntrc ta nt.ttti~tre (htsiKrtfpn'c~tutt,

t(uit't)titp)')t~t~<"nj~'u''cetft)njmu!t'c.<'udn)n(t!ns<'ettemanière ne trf'm'c (tttts <jt)cde rnrt's ixtitntt'ttt' !.a sj(n)t)!citt'.).<'iu)Mit<~s«)tt A )'"rftft' fh) jfor.

Kst ce A dift' {«tuf t't'ta <)()<')cs tjOtUitt' b)'i)).tt)tt-'s<)ustytt'

tx.ttoirc soient tx~'otou~? Atn'«))tMirt',)t's«)nt'))''s t't ht titor-

(;it' prt'scn\'ait')t< t)()e )Mn')ch"))n~tt't't t;m\t',)))ci)x'dt' !.t):t\it'

))))ect'rtai))t'it!x'))<)fu)n'J<'h)tt't't)a)))t'<!<'<<ttit't)t't.'tt't)t<)nit'.

H!inan<),(jui ttoooc t'cxctxptc u\ec te coost'it. r~t'non.uMtt',c"mmc le moyen te ptns s<tr <)'arnver au cœur de t'h'untnc,t« ~<~w~ <w< de '«tittt J<~rA)ncth)'nt)cr< de K'oMans,bift) <}n'i)éprouve aossi )es ttrnentcnts <)c rhdofiquc, veut

'juc t'nt) joigne it une diction claire et scnort: une M<:«nditc

itttMyante, ne btestant ;)«i))t [x'urt.mt cette rct{!ed't torace

(~/</f/r//tW<~«'.f, <f/<) ~<M, M/f/A) ~/<</f<

/'f~'<~WM/ «M/W< </(M<~ /<W<MM/~«'/f</<<t.

Kt )'«n<'t)y<nc <~(c je ct(<t)'! tout à t'hcurc conseillc hti-nxi-me

d'augmenter la force des misonoentents par des expressions

(lui ronuent l'auditoire ~<&< «<ww<<<

Toutes ces rentes sont fort sa~es cttes associent dans une

certaine mesure )es<)ua)ites de la forme àcettes du fond. t)ans

la pratique, elle% n'ont pas toujours été suivies, je le sais

mais elles n'ont pas toujours été viotces non ptus. Les conti-

nuateurs de )'M/fW<' ~Y/(~M//y /'Ytf//<t', entreprise par

les MénëdictXM, et les auteurs qui se sont guides sur eux ont

trop souvent mis en relief les subtilités des sermons aux

clercs, les trivialités des sermons au peuple. Les unes et tes

autres ont été fréquentes, je l'ai reconnu tout te premier. Mais

Page 142: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

~E TREtX~ME SIÈCLE.~40

tant )t dnnc chorehcf Jxns tes tn~uv~is urateMrs te type de

rt~t~uencf? Va t-«n demander aux rhnaiucurs de second t:t

df trcisitttxj ordre te secret de la poésie? So-utc)! tes tt'uvrcs

d~ ctmtftojx~iMns de saint t'hrysoxtutnc, des c<'ntcor~t«Mt)Mde t'*t'nf)f'n vous y trouwrc.' aus'<i des discours ineptes et

vid<'s. t't)M)rtH))<\nu'' ne tfs cxhtttttcrcx pa'. f'ur ju~cf Faft

<'rat<'irc de )'<t'<t~)c wus uc <<tMmcr<pi~ !<:<bi~-R~uds,eus \"()-. tiotdrcx sw tus hiWtcurs. n faudr.dt en fairoautant

~<ur wyftt

Uicn ~tM'<,un s~M)~t n~mt: sctrmun~tM'' t'Mrcquct~ucft'isk'' it~H~'t~s t~s ph)s ctttnnantfs. Vuic). ~f cxentp~, un

pretut dunt un bf:n)t:oup dcori~ tes tMtvrcs, et t'«n avait

raison dudt-c)'k'fks cchuntiHons qu'un un pf<K<u!s:dt(bien <(m:

)cur «rininc suit douteuse). C<:s<l<:himti))tt)Mconsistaient dans

tf c<unntcntairc d'une viei)!c chanson française paf Èticunc

de !tnnt«n. Ce commcntiUM fut-il fccttoncnt débite en

chaire ? je ne sais tnais il ~ut passer pour tccomMe du mau-

vais ~uut et de )'a))eg«ric "bscurc. t.'autcur prend pour tMtn~,

au ticu d'un tcxt~ s.tcr~, un couptet ~tputaire ainsi cuncu

!<e)teAat)i:nMin!!s'ett)e<a,

\'e~tt!H)ttntrst:tpMa.

Kn un verrier entra

Cinc ttorestes trova.

Um'h&petetfctena a

tt)c~ rose norie.

Por t)ë, tmhe: vos en !!<,

Qui n'amez mie.

Rien de plus étranger à toute idée religieuse, et rien de plus

insigniHant. Or, par une espèce de tour de furce littéraire,

sous prétexte, comme il k dit, de tourner le mal en bien, la

Page 143: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHÉTORIQUE. 14t

vanité en vérité. il tisse sur la trame de ces vers une broderie

subtile. en torturant te sens des mots et des phrases pour tes

appliquer à ta sainte Vierge. t~~WM~ ~</</~7 ~<'A'<M. )t

La belle Atice devient Marie, « <A' t//<7/ .~</<<

~t'<w/t-, .~<Y/fW<M~~<ww<t Ht le nom mente d'Alice

(ournit la matière d'une interprctatit'n absotument arbitraire

< //<« f~/w /<<t/ </f<M~'«~ ~«'</ <v/ .w/< < lis. /M; ~«M

.t/Mf/< -fw 1"I1I'IIS;O'II', Tcut est a )ten près sur ce t«n.

Le verger, c'est encore ta VterRe tes cinq nenrettes, ce sont

la foi, t'esjterance, la charité, t')u)mi)ite, ta virginité te ctta-

jtetet de Oeurs, c'est la couronne de Marie le refrain

« Retirex-vous de ta, vous qui n'aimez jx'int )! c'est ta parotc

de JKsus.CiïR'ST aux damnes etc. (').

Cela ne présente aucune suite ni aucune <Hevatinnde style;

c'est de la préciosité pure. Voili évidemment un auteur ju{;é:c'est un esprit quintessencié, dévoyé, qui n'a rien pu produire

de bon. Jugement téméraire pourtant, car, si l'on ouvre un

autre manuscrit, on trouve, sous le nom du même ~tienne

de Lan~ton, un fragment comparable aux morceaux classi-

ques de t'antiquité, et tellement comparable, qu'il rappelle

tout à fait un fameux passage de t'tine, souvent proposé à

l'admiration des élèves de nos cott~es. C'est le tableau de la

misère et de la faiblesse de t'homme:

« /~owo M«/ < <M//w, ~-<T/ !v'M /<o/< etc. écoute,

« û homme, cette brève parole, qui résume la misère tamen-

« table de ta vie, plus brève encore, écoute afin de com-

« prendre, écoute afin de rénéchir. écoute pour revenir à toi,« écoute pour ne point périr. C'est le langage du juste Job,« qui avait essuyé tes coups de la plus complète adversité, qui

ft.Mht.nat.,ms.htt.t6Lt97

Page 144: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.Ma

« avait lu dans le livre de l'expérience toute la nomenclature

« de tes maux. De quoi donc t'enorgueiltis-tu ? Si tu es le

« fils de la terre, tu es le frère des vers, tu es le cousin des

« taupes, tu es semblable aux vulgaires poteries et, en enet,

« l'orgueil te fait crever comme ettes, le péché te rend aveugle

« comme la taupe. Pourquoi t'étever si haut, ver de terre ?

« Pourquoi t'enfler, chair morte? Toi qui étais autrefois le fils

« de la terre, tu es maintenant lc fils du péché, te fils du châ-

< timent, le fils de la concupiscence, le fils de la luxure.

« Quand tu nais, tes vagissements crient bien haut ta misère,

« ils prophétisent tes souffrances ton pied se refuse à la

« marche, ta main au toucher, ta langue à la parole, ton esprit

« à la pensée tu ne t'éloignes pas de la brute, tu ne diffères

«pas de l'insensé. Quand tu avances en âge, tu ne (ai*!

« qu'avancer en misère. Les soucis te pressent, les veilles

« t'accablent, tes inquiétudes te dévorent, les aHaires t'absor-

« bent. Tantôt la pauvreté te consterne, tantôt l'espérance

« t'exalte la crainte t'oppresse, la joie te transporte, la

« tristesse t'abat. Ta vie est incertaine, ta destinée est une

« énigme, ta fin est pleine d'amertume. (') »

Sans doute, la tournure classique, la période latinc de Pline

ont plus de correction et de grâce mais l'idée et la

phrase de Langton sont plus énergiques et plus imagées.

Quant au fond, il y a entre le langage de l'un et le langagede l'autre l'aMme qui sépare le fatalisme antique de la

religion révélée celui-là peint l'homme inférieur aux ani-

maux, celui-ci se contente de le faire leur égal la bouche de

l'un n'exhale qu'une plainte amère, les paroles de l'autre sont

r. BiM. nat.. ms. ht. t-t~g. Rapprochez ce texte de celui de PMne. Wj/. M/«'

VU. t.

Page 145: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHÉTOMQUE. 143

un pressant appel à la vie spirituelle, tt y a donc deux

hommes dans notre orateur, et c'est le second qui mérite d'être

mis en lumière c'est chez te second, et non chez le premier

qu'il faudrait étudier t'étoquence du temps, car le premier

n'est pas sérieux.

Aux trivialités de la prédication en langue vulgairc, on

pourrait opposer des fragments en langue vulgaire empreints

d'une véritable noblesse. Ce ne sont que des éclairs heureux;

mais ces éclairs déchirent la nue. La trivialité, d'aillcurs, n'est

souvent qu'un excès de hardiesse. Ainsi, lorsqu'un frère prê-

cheur, saisi d'une sainte indignation contre les violateurs de la

grande fête de Noël, s'écrie: « 0 jour, pourquoi donc as-tu été

fait? Est-ce pour être consacré aux bonnes oeuvres, ou pourêtre employé à chanter la Marion? ) c'est un mot trivial assu-

rément mais son énergie nedépta!t point. Et quand le même

frère s'en prend aux grands de la terre, quand i) tonne sans

scrupule contre l'avidité des princes, sa liberté d'allure devient

superbe quand il rappelle le coup d'épée donné par saint

Martin au travers de son manteau pour recouvrir un pauvre,il atteint presque au lyrisme, et l'on dirait qu'il veut se

hausser jusqu'au ton héroïque des grandes chansons de gestedont il évoque le souvenir.

« Ah ce fut un beau coup, s'écrie-t-il. Non, jamais il n'a

été parlé d'un aussi beau coup d'épée. Assez et trop de

« chansons l'on chante sur Roland et sur Olivier. On dit que« Roland fendit la tête d'un homme jusqu'à la mâchoire; on

« dit qu'Olivier trancha le corps d'un autre tout entier. Mais

« tout cela n'est rien. Ni Roland, ni Olivier, ni Charlemagne,« ni Ogier le Danois n'ont eu l'honneur de frapper un tel

« coup, et l'on n'en verra pas frapper un pareil jusqu'à la fin

Page 146: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.144

« du monde. Dieu! combien de pauvres errants <) t'<!KAt

< t<f. tout nus, tout déchaussas! Et nul autre Martin n'est

~tapeur Ics couvrirf')!~ o

Voita pourtant un des orateurs que M. Hauréau essaye de

raillcr a~rcabtemcnt.

Mais c'est dans )ussermons à t'adresse des clercs qu'ap-

paraissent surtout )'c)<ation <tu langage et la noblesse de

la ))ensce c'est parmi eux que se trouvent te petit nombre

clc discours offrant ces caractères d'un bout à l'autre, Les

)))u-i b~aux spccitnetts du ~enre nous sont fuurnis par un

ancien trouvère converti, dont )e sentiment poétique ne fit

que changer d'objet, le jour où lui-même changea d'ha-

bit. Vous ave? connu Éunand, dit-il lui-même; et quine l'a connu?. tt n'était pas plus fait pour le travail que

l'oiseau qui ne sait que voter il n'avait d'autre occupation

que de courir le monde, cherchant perdre tes hommes, soit

en tes nattant, soit en tes déchirant. Kh bien le voilà enfermé

cntre tes muraities d'un ctoitrc, celui a qui l'univers entier

paraissait non seulement un ctoitrc, mais une prison ('). »

Or, Étinand, qui ne tarit pas quand il célèbre les gtoires

de Marie, nous a laissa un très remarquable sermon inédit

pour la fctc de la l'urincation. C'est peut-être celui où se

retrouve au plus haut degré cette chalcur de pensée et d'ex-

pression que l'on a prétendu bannie de t'éloquence scotasti-

que. Son exorde sort complètement des règles de la con-

vention. C'est le cri spontané du chrétien saisi de stupeur et

d'admiration devant le rapprochement de ces deux idées qui

s'excluent, la Vierge et la Purification, la Mère de toute pureté

t. BiM.nat., nx. lat. T6)8t.t. Vincentde ticauvab,.S~tf.A«/er.,)iv.xx<x.ch. t37.

Page 147: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHÉTORIQUE. t45

et la cérémonie expiatrice. « Quoi de commun entre la puri-

< fication et Marie? quel rapport entre la satisfaction et

« l'innocence? entre la pénitence et la sainteté ? quel lien

« entre l'expiation et vous, 6 Marie, la plus pudique des vierges,

« la plus innocente des filles, la plus belle des femmes, la

« plus heureuse des mères, la plus digne des reines, la plus

« humble des servantes, lu plus chaste des tourterelles, la

< plus simple des colombes qucl lien entre la purification

« et vous, plus épurée que l'or, plus brillante que Ic cristal,

< plus claire que le verre, plus blanche que la neige, plus<!doucc que te miel, plus purifiante que te <eu?. Vous qui

<tavez sanctifié le temple et l'autel par la présence de

<'votre personne sacrée, par l'offrande de vos présents, bien

<[ plutôt que vous n'avez été sanctifiée vous-même par

« l'autel et le temple! )) Apres avoir tire de cette opposi-tion une leçon d'humilité, de patience, et ptacc dans la bouche

de Marie l'explication du fait, après avoir enumere, d aprèsles Pères, les causes pour lesquelles la Mère du Sauveur a dû

subir la loi commune, l'orateur dégage de chacune d'elles un

enseignement moral. Il rappelle aussi, à ce sujet, l'excmple

symbolique de l'innocente Suzanne. Puis, dans une seconde

partie, où le raisonnement tient un peu plus de place, it

applique le texte de l'évangile du jour à la purification du

cœur et désigne les principaux vices dont on doit laver la

souillure. Ii termine par un regard mélancolique jeté sur la

rapidité du temps et par un appel pressant à la conversion

des pécheurs (1).

Telle est la louable méthode d'un des premiers prédica-teurs du siècte. Le commentaire théotogiquc est accompagné

i. Bib).nat.,ms.lat.t4S9'.t.

Page 148: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREÏZtÈME SÏÈCLE.t46

de l'instruction pratique, et le tout se déroute naturellement,

dans un cadre bien conçu, nullement charge de divisions, au

milieu des Heurs de la véritable rhétorique, celle qui part du

cœur. Cet exempte sumra ici pour édiRer le lecteur sur le

genre et le contenu des bons sermons de l'époque, et en

moue temps sur les jugements téméraires d'une critique qui

s'est trop pressée de poser des conclusions {{encrâtes. En

réalité, la prédication du moyen âge ne di<!ereguère que par la

(orme de celle de l'antiquité chrétienne ou de celle des temps

modernes. C'est toujours la grande voix évangélique qui se

répercute de génération en génération. Seulement elle est

moins facilement rcconnaissable quand elle nous parvicnt

par t'intermédiaire de simples canevas ou de ~<~<'</<~<'yincom-

plets, comme sont la plupart des manuscrits de nos anciens

sermonnaires.

U est un genre particulier d'éloquence sacrée, fort peu

enseigné de nos jours, que le siècle de saint Louis étudiait et

pratiquait avec conviction. Une touchante pensée de foi lui

avait fait ranger parmi les branches de la rhétorique l'art de

parler à Dieu, c'est-à-dire la prière. Dans l'esprit des contempo-

rains, ta langue de la prière devait être belle et soignée, parce

que c'est le plus noble usage que l'homme puisse faire de sa

parole, et elle devait être persuasive, parce que le Seigneur est

réellement sensible à sesaccents, parce qu'il se laisse toucher

davantage par la voix qui prie bien. Telle est l'idée fondamen-

tale d'un traité dû à Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris,

et dont j'ai déjà dit un mot. Cet opuscule porte un titre qui

exprime a lui seul cette bette pensée. Il est intitulé De ~Af-

torica ~K'«M (De la /M<~<Mt~<'divine) ce qui ne signifie

Page 149: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHÈTORtOUE. t47

nullement fart de parler de Dieu, comme on pourrait )ccroire.

Je ne crains pas de dire que, si le livre est intérieur, au point tic

vue littéraire, à ta A'A<?<~7<ywde Cicéron, il repose sur un fon

dément plus admirable. Les anciens prophète', raisonnaient

bien avec te Dieu d'Israël les supplications du roi Éxéehias

avaient bien fait ftéchir la rigueur des sentence-, éternettes

Ninive pénitente avait échappe a la destruction prononcéecontre elle. Des chrétiens pouvaient-its avoir moins de c<'n-

nanee, moins de jtouvoir? t'e n'était pas admissible; aussi nus

pères, qui mettaient en pratique ce tpte nuus m'us e<'ntent"ns

.somext de jtotser, appreoaient-its .-ierieusentent A prier, et

t'evet)ue de Paris répondait a leurs besoins, à teurs a'!pirations,en leur enseignant, avec ta double autorité de ta science et de

la vertu, comment ils devaient s'y prendre. A en croire cer-

tains critiques, son teuvre ne contiendrait encore qu'une

compitation assez ridicule, dont le moindre défaut serait de

dicter d'avance aux Metes, non seulement tes différents

points des discours qu'ils devaient tenir a Dieu, t'exorde, ta

démonstration, la péroraison, mais même tes restes qu'ilsdevaient faire et jusqu'aux soupirs dont ils devaient les

accompagner. Ce n'est sans doute point un chef-d'u-uvre

l'imitation de Cicéron s'y fait rarement sentir: fauteur, <tu

reste, n'a pas fait de cette imitation son but principat, comme

on l'a prétendu, et il ne se la propose qu'incidemment dans

le cours de son traité. Mais c'est bien un manue) pratiquetel que tes aimait la piété active de ces âges chrétiens. !)

s'en dégage un parfum de foi et de charité ardente qui

transporte réettcment le lecteur dans un autre monde. Guil-

laume donne effectivement des conseils sur l'ordre et la

méthode du discours prié il veut qu'il contienne une expo-

Page 150: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

148 LE TREÏZtEME StÉCLE.

sition, une narration. une eonc)usion. comne tes compositionsde la rhétorique humaine. Mais on ne trouve )&rto) que du

U\s «.tt~t'). C\st (c princij)f t)ui it pr~std~ à la rédaction df

la ))tupart dus pn~rcs quc nun-i trttuv~ns dans nos nwnuek de

pi~tt-. t)'ai))ft<r.s, ('auteur ne se borne pas ht il montre, avec

beaucoup ptns tCooctio)) (jne de sécheresse, t'onportance et

('eMc.teitc de ).t prière; i) enseigne cun~tneot i) faut in\u<)uerDien d'atx'td, puis ):t s;tittte Viorne, dunt ('intercession est si

puissante, puis les saints, qui sunt toujours <awrabte)nent

écoutas <h)Tres-Oaut. n demande f)ne )'oraisun suit obstinée,

<~t'e)te scit itnp"rtune, qu'eUe s~it une lutte cuntre )e cict, a

t'instar de celle que soutint Jacob contre t'anHe,mieux encore,

une victoire (/M /<M</<<w ~<t//<w/.f f'<w/ c'est te titre

du chapitre ~3). H demande aussi qu'ette soit brève, et qu'e!)e

n'onpcche point tes prières d'autrui, comme <ont tes messes

<)e certains prêtres qu'on pourrait appeler des mangeurs de

<ier~es ~«'/<w//w «'«M~/w< y~ et qui cetebrent d'une manière

si tongue, si prolixe, que le peuple en arrive a se dégoûter

de la nourriturc spirituelle et à s'écrier, pour ainsi dire

/)<~w</ M Mf~w w<w/< ~!7. H descend à des avis détaiHés

sur ce qu'il appelle tes auxiliaires de l'oraison f~/M' <vM//<w/

~w<M«M/«H/«~, et en premier lieu il place la posture du

corps. Est-ce à dire qu'il enjoigne de se placer de tette ou

telle façon? Non mais il loue l'action de ceux qui se pros-

ternent, qui s'agenouillent, qui lèvent les yeux vers le ciel

qui étendent les mains dans l'ardeur de la prière, et surtout

il conseille de prendre une position commode, par exemple,

de s'accouder sur un appui quelconque (détail qui a son

importance pour l'archéologie), parce que le corps, se trou-

vant en repos, laisse à l'esprit plus de liberté. Quoi de plus

Page 151: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHÉTORtQUE. 149

rationnel, et quoi de plus indûment ? t-es amis du confortable

dans tes égtise-) lie peuvent qu'applaudir a cette espèce

d'étoge du prie Dieu et les amis de !a pieté détnun'.trative,

tous ceux qui ont vu, dans tes vieittes églises de Hetgiqne,dans les pèterinages renommés de la Suisse ou de )')te-

magne, de dévots adorateurs prier les bras en croix, avec une

ardeur expansé. <<uivent aussi cntncrendrc co <)ne notre

auteur dit des restes venant au secours de la ferveur impuis-

sante a s'exprimer, t) parle encore d'un autre nenre d'auxi-

tiaires, descris, des soupirs, des sant;)"t- des ~cmissonents.

Faut-i) entendre qu'n les prescrit ? Non. ce serait puéril !)

explique simplement leur signification, leur efficacité, leur

m .rite et toutes ces considérations, qui rentrent nécessaire-

ment dans son sujet, ont au moins t'avantage de nous édifier

sur t'esprit de ses contemporains. L'mcredutitf y trouve

l'occasion de sourire, soit mais les croyants y puisent te

désir de mieux prier, et c'est le but qu'il a voulu atteindre.

Guillaume d'Auvergne ne se contente pas des préceptes il

donne des exemples ou des modèles. H recommande, en pre-

mière ligne,les prières tirées desl'ères ou det'h.criture. <(Tuttius,

ce prince des orateurs latins, n'a pas dédaigne d'emprunteret de traduire du grec des harangues de Dcmosthènes et

d'Kschine. A plus forte raison des chrétiens doivent-its

rechercher et imiter les invocations toutes spirituclles de ces

hommes très sages et très saints, qui les ont puisées aux

sources mêmes de l'inspiration divine. Toutefois, ajoute-t-il,ces prières sont souvent trop profondes et d'un sens tropdifHcite à saisir pour les ndè)es. C'est pourquoi je vais donner

quelques spécimens très clairs et très simples, la portée de

toutes les intelligences. Et son c~eur s'épanche alors en

Le XtH' ~MeMtt. et MeM.

Page 152: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREMÏKMRSIÈCLE.mo

aspirations ardentes, qui lui vic'onent par Hots, comme dM

bouttecs d'encens. et que s:t plume transcrit couramment.

« Dieu de miséricorde, faites de moi votre serviteur agréabte

< o) toutes choses, votre serviteur attacha a vous ptaire en

tout et partout. Arrachex de mon c'rur jus<m'a la racine

tout ee qui vous ftcp)ait en moi, ut n~Mndfi' sur moi tft

< ~faecs t't tes vertus qui me fcroot vivre tout entier pour

v"u< et avec vous, t'onf'mnetnent a vt'trc très druitc et trcs

<)<;trfaitf~'nt~. !t"uru~ v.ttfc f.m-.<).-t<'urn<'itvos yeux

<t trcs saints de tncs pt'-cht'-s et de (ncs vices, si grands, si

< n"tnbrcux. Xu rc~ardcx en )n«i que ce qui est vt''tre, ce que

< vous seul avez fait en moi, et ne considérez pas ce que j'y

«ai fait nwi-tnone, car, le bien et te beau que vous aviez fait

«en moi, je t'ai horribtonent detonue, abominablement

< <)c~radc, tniscrabionent souitte, odieusement perverti, outra-

< ~euscmcnt. ignominieusement, au deta de tout ce que je

<: puis imaginer, et cela contre votre volonté. Accordex, je

« vous en supplie, à un aussi {{rand pécheur le pardon de

<( toutes les fautes qu'i) a commises, de toutes les peines qu'ilil

<!a méritées. Que votre grâce ait en moi une telle intégrité,

<( une telle plénitude, que je puisse vivre ici-bas en vous

< servant et vous complaisant en toutes choses, et après

«cette vie, arraché par vous à toutes tes angoisses et a tous

«les tourments, dëtivré par vous de l'esclavage de la corrup-

« tion, régner avec vous dans la gloire et la béatitude, avec

« vos élus et vos bien-aimés. Que votre nom très sacré,

« votre nom béni, votre nom glorieux soit comme une huile

« répandue sur mon cœur, le pénétrant tout entier, l'adou-

« cissant, le guérissant, le sanctifiant, l'élevant jusqu'à vous

< et en vous. Donnez-moi sur vous des pensées de lumière

Page 153: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA RHÉTORÏQUE. t5t

<etde~u.qm me transn~urent et m'échurent t'uaentie).

(lui me réjouissent, qui me trans~'rtent en vous. qui m'u'

e nissent et m'attachent inseparab!emcnt a vous p:u h'~ tiens

« de t'amcur le p)us pur, le p)us <h'oit. le p)us a~rcab!e a vos

~)'eux(').~ N

Nous sommes ici a cent Heues <)ct subtiHics de la scotas-

ti<juc en revanche, non~ s<nnmcsa deux pas du )na~nin<juc

hn~a~c de r/ Ou c<t<nprcnd. apr~s cela, p<~rqu<'tla A'fAv~ ~?' ft!t tf premier ouvra~o de GuiHaumc

d'Auvergne qui eut tes honneurs de onpression, et pourquoiit eut aux quinzième et sei/temc siècles un nombre conside-

rabie d'éditions mais on comprend moins que jamais pour-

quoi il est tomb~ depuis dans ~'oubli.

Qu'onn'ai)!c

pas croire, du reste, (me la tentative de

Fevequc de Paris soit nuema)ti~'statiouiso!ce.etque!a

t. t~u))~MnctMdHetit)n~t)))t()nis~n~&rt')t'tr<t'~nt'rt!)t! du tty!c de t'autcur.

voici tch'stufatitt d'* <:c (t.~t.tg~ w~'M/~f w~t~t~ /<<< w'' ~«w <~

«NX~«J~t~~7<'M. Jt~f~M /<<t'WM~ /ht'~A'W. <<<tt W.' ~t.<7/<~</ <'t

A~ ~&<f<M~M('A)M/<~ ~Af'M/ /M M< < W/A< f~W.f~J//<MW <<M<

t'M, ~W~M~libi < A'/MJf/ /< «Mt~W, M<«'/ <tt/ ~ty&<M ~f'<</M<j <

M<r~M<w<At/«fj'<Mr/<<«'M /<f<tMt'«A'J M~7«'<Wt" /t ft A'/ et /<<f

t-t/t m~ et /~f<'<t/«. A'f~Mt' /M me ~tt/NMid ~M~ /~M t'<)~/<f('/ ~Mt' <MW

~/#t~/f/<<M~(~t'~f~«.~M ~<tf<' in Nh'/«<. ~Mt/ftM ~J/~ ~t<J)'/&<

~M/fA~M~~<MtMt/<'f~\M<M.tt'< Aarridilifer, ~M~'tf/ <t~M<a.t~7</f' <W~M~'

MaM<jtWMM//<M'tV~/«'t~< ~'«~A'j<f<)a~Mf/ e/M~dM cogilare

t~fMM, AtVd~f~~MM /.f<V, ~MW, MM< /fJM/~~<'«'d/t'f/ P<'t/<JW<MM~MM

f~~tt~MM ~Mt.tffMM<i<~W~<WM~M~M~~MW ~t< Mf~ /<)/ /?«' ~M W~<

t<A<~M /</M<M, ~M~ m /f/' t'MMAtdfft'f~</</< /t/t~ //<- i'< t't~W

Ait. f~~f/ ~JHt* M/<<M.f~/Mt per <A'('jMM/~t d~«f/ f/«f/ f/ /<A<«f

t'MMt t~M/M~ f~~M/t'~<J, ~t'<t~J et ~M~, ~~W /t'J<'M~ft' < ~MfAt~ et

ditectis luis FT~N~M. JV~<Mt /MMMt~ft/aM, Mt)W<'«/M~W ~ft//t/MW, Nt'W~M

~KMW~MM M/~W/tt'A'HM ~«NM /~r(~fM~ ~M~Hf'tMt.h'M~ r

~f~M~NJ, A~/N/WMt' MNON~,~<W W~~f/~t(<«t, A'M W~~<J ~t/ t/ iu A'

W/A/m~Nt~~tV~</a/~f!<MWtt~, A'M mfifW~t~A'M~/ft~M~,

/~MM A'<;)~A~tM~, A'/M<amf <Mle rapien tes, A~w M~«'a~/«~M~M/~<&t'~A'~

/~N~M/M~M<M<, ft'M//<~Mt'<Jt/M<<tM' » /A'At'A~~ ~MM'J,

<-A.

Page 154: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LETREtZtÉMESttÈOt-E.tsa

réalité des choses ne corr~'spoodt' point .'< son t'nseignemcnt

uu à bes dé.h's. Fartout on applique son principe, partout on

récite avec conviction des prières liturgiques méthodiquement

composées, étoqnctnment écrites. Si, après )c'srégies <)el'art,

un voûtait voir t'exécution, si, âpres tes prén.'ptcs du inaitre,

on voulait fUtctMhc ).t \uix des cnt«/ il suMr.ut de se

rej)ortcr :ms jwtits tivrc'i (tu & !~t))) Citntk'r il réuni en

}{crt)f<assurtit-'s des cfotttiiH's de suaves «raistOts tirées des

toanusents du ntuyen :t);t'. !) n'a ('u ~tt'.t se («'«chef sur

leurs feuittets jaunis pour rccueillir Une moisson des plus

abondantes. Or, parmi tous ces vénérables échantillons de

la vieille pieté française, «n en trouve plus d'un qui semble

avoir été eotnpttse mettre en pratique les principes de

Guillaume d'Auvergne. Telle est la belle prière du matin

traduite d'un obscur anonyme, qui a dû vivre au treizième

siècle, et <eproduite dans le recueil que je viens de citer.

Ce morceau contient d'abord un exorde, une expositionle chrétien s'humine, il implore le pardon de ses fautes avant

d'oser solliciter tes faveurs divines, il produit des arguments

pour toucher le cœur de J~SUSCtttUST puis il formule ses

demandes pour ses frères et pour lui il se réclame de la

Vierge et des saints, et enfin, dans sa conclusion, il s'élève à

faction de grâces, à la louange innnie du Dieu en trois per-

sonnes. H te loue comme il l'aime, avec effusion, avec transportet ses accents ne sont plus ceux de l'homme

<!0 bienheureuse Trinité ô Éternité 6 Vérité suprême

< ô Bonté innnie Origine de toutes choses, parfaite Beauté,

« Béatitude parfaite, soyez bénie

« Soyez béni, Vous qui êtes la gloire, le miroir et la joie des

< saints!

Page 155: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LARHÉTOR!QUE. 153

< Soyfx Mni t~tr )homme dans t'etat de pénitence, dans

« l'état de justice, dans l'état de gloire 1

« Soyex béni par notre mémoire, par notre entendement,

« par notre volonté, par n<M)x:nsees, par nus parotes, par

< nos actions

<t SoyexM'ni par t'univcrsantt' des ftres <)nc Vom a\t'i<

Acrées, <p)pVous~ouvcrneit. <~tcVous sauvcy

« t) bienheureuse Trinité ~ue tous )t's annes s'unissent a

<<t~Ut tes hcnxnf' pt'ur ch:n)tf)' saosnn vos )<'uan~ct p<iur« répéterajamais

« Saint, saint, saint est le Seigneur notre Dieu (')! y

Ce sont bien )a Ics re~cs <ondamenta)cs de la rhétorique

appliquées aux élans de la icrveur; c'est bien le discours prie.

Aussi, dans la langue de t'É~tise et dans notre tan~a~c mo-

derne, cette forme sublime de ta harangue, celle qui s'adresse

directement à Dieu, a-t-elle seule conservé l'antique nom du

discours. ~.< l'oraison, comme si toutes les autres variétés

de t'etoquence devaient s'effacer devant cette-tà, comme si

toutes les voix qui retentissent ici-bas devaient se taire de-

vant l'humble voix qui porte au ciel le temoi~na~e de

l'adoration des hommes.

).<<.r~«<'<~<<'<t~f/<') MaM«t<'</< du /.V'')«A'f7/'K<'t7<))arM.t~o« <M-

tier, édition, p. ta.

Page 156: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

t~

CbapttM iatt~C.– LAPOKSmLATtME.L. m

la rhétorique à ta poésie, )a distance est courte et

ta transition tacite. Y.'une et t'autrc ne sont-eHes

pas t~cs du bcsnin <)f c<w\rir d'une parure l'ex-

SOMMA!RE. Amour ttM contemporains pour la forme

vprtH«". La po~stt'hturfjtttuc. Substitution du NyOabtsme,

du rhythmo t*t de t'assionxnca au mMro ot .'t ta prM«tttt< antique.

Ctt')seadoc<'t~r<voh)tton ;sMpro~r6s.– LMhyntncs. –Les

proM~- L<*stropf! t.ap"<'s)ee<tra-murt<tqup;aaformoc)as-

ttq~P;Baîrtttdour.–P"&)(nt'!i<)td<cU'tuei',t<Murtque!ttS<tt)rtquca.

trcssion de la pensée humaine? Ne sont-elles pas sn'urs de

par l'idée mère qui tes a enfantées, la préoccupation du beau?

Lorsqu'on jette les yeux sur les œuvres littéraires du treizième

siècle. un des phénomènes qui frappent le plus l'attention,

c'est la passion universelle de l'époque, sinon pour la poésie,

du moins pour ta versification. Sans être animée d'un souffle

poétique aussi remarquable que les siècles précédents, elle

est possédée de la manie des vers, de l'amour de la rime

et de la mesure. On vcrsi~e tout, l'histoire, la légende, la

morale, tes sciences, et jusqu'à la médecine car nous possé-

dons de tongs traités sur les maladies et les remèdes (et quels

remèdes !) revêtus de la forme poétique. Ce goût prononcé,

poussé parfois jusqu'à la fureur, est commun, du reste, à tout

le moyen âge il tient non seulement au plaisir que trouvait

l'oreille de nos pères dans la cadence et l'assonance, mais

aussi, mais surtout peut-être, à ce qu'ils se servaient de cette

Page 157: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

tS5LA PO&StE LATtNE.

furme de titHnage couine d'un moyen mnémotechnique. ("est

ce que nous apprennent, entre autres, les préceptes détienne

de Bourbon en matière de prédication, et Ics usages établis

par l'école de Salerne en matière d'enseignement médicat.

t\n outre, il y avait pour tes poètes comme pour tes prosateurs

deux langues di~erentcs t'une servait a chanter les hcros

tégendaircs, tes exploits guerriers ou les passions humaines,

l'autre était réservée aux chants sacrés et aux compositions

savantes la première était la langue de la nation ou la tangue

des laïques, la seconde celle de t'Hgtisc ou des clercs. Uc ta

deux poésies complètement dissemblables; de là une autre

extension du domaine poétique que nous ne connaissons

plus: qui songe, en effet, a composer des vers latins aujourd'hui,

à part les malheureux élèves de quatrième ou de troisième,

qui ne peuvent pas faire autrement ? Nous nous occuperons

d'abord de cette poésie latine, dont te cuite était loin d'être

éteint, quoique la langue latine nc fût plus guère une tangue

parlée, et nous remettrons aux chapitres suivants le plaisir

d'écouter les accents inspirés de nos vieux trouvères.

La poésie latine, au treixième siècle, embrasse deux genres

distincts, tous deux riches et fort goûtes des clercs: la poésie

liturgique ou sacrée, la poésie extra-liturgique ou profane.

Commençons par la première. Si nous entrons dans une

des églises du temps, à l'heure où les fidèles réunis entonnent

en chœur un de ces cantiques latins, admis depuis le quatrième

siècle à l'honneur de figurer officieusement dans la liturgie,

nous sommes frappés, dès les premiers mots, d'une singu-

larité très curieuse. Mais, nous écrions-nous, ce ne sont

plus là des vers latins ce n'est plus la mesure antique ce

n'est plus l'hexamètre de Virgile, ni le pentamètre d'Ovide,

Page 158: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.tse

ni aucun de leurs tiérivés Qu'a-t-on fait de la prosodie, et

par quoi l'a-t-on remplacée ? On l'a remplacée tout simple-ment par le principe du syllabisme et du rhythme, sur lequel

reposait déjà la poésie primitive des Romains, et d'où est

issue la poésie française moderne. En d'autres termes, on ne

scande plus les pieds, on ne combine plus tes syllabes lon-

gues avec les syllabes brèves pour en faire des dactyles ou

des spondées on compte uniquement le nombre des syllabes,

on leur prête à toutes une valeur égale, et on en met dans

chaque vers une quantité déterminée, comme en français; puis,

en même temps, on établit une conformité de son plus ou

moins parfaite entre la dernière syllabe d'un vers et la der-

nière syllabe du vers suivant, ou simplement d'un des vers

suivants. Si cette conformité ne porte que sur la voyelle finale,

on a ce qu'on appelle l'assonance si elle s'étend aux con-

sonnes ou aux deux dernières syllabes, on a la rime véritable,

ou même la rime riche, comme dans cette strophe de saint

Thomas d'Aquin

t~~KW .H<~7W/<&M.f,Nec M/t~«W.f <~M'<

Ad<~M~

JMKW <M'M/M,

t~K~ ad !<tW.

Voilà des vers qui sont latins par le langage, mais qui sont

déjà français par la forme et la coupe. C'est toute une révolu-

tion qui s'est accomplie; de nouvelles lois président à la

versification des chants sacrés. D'où viennent donc ces lois ?

d'oû vient cette révolution ? Eh bien cette fois encore,

c'est l'idée chrétienne qui a tout fait, et c'est le désir d'associer

le peuple fidèle aux louanges du Seigneur qui a poussé

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LA POÉSÏE LATINE. t57

l'Église à cette transformation radicale. !t y a peu de phéno-mènes dont la marche soit plus intéressante à suivre et plus

propre à nous édifier sur le véritable esprit du christianisme.

Un des plus brillants érudits catholiques de notre époque,

M. I~éon Gautier, l'a retracée en détail dans une série de

leçons aussi éloquentes qu'instructives, et s'apprête à livrer

au public ic fruit de ses longues recherches ('). Nul guide

plus sûr, nul compagnon de route plus attachant pour ceux

qui voudraient faire une connaissance complète avec les

beautés de ce pays inconnu, qui forme le domaine de ta

poésie liturgique pour la plupart des chrétiens d'aujour-

d'hui, je le dis à notre confusion, ce serait un vrai voyage

de découvertes. Mais nous devons nous borner ici à un

coup-d'œH d'ensemble.

La révolution opérée par l'Église n'était pas très difficile;

car, chose surprenante, la poésie classique, ce que nous appe-lons d'une manière générale la poésie latine, n'avait jamais

été populaire chez les Romains. Il y avait à cela deux raisons

péremptoires. D'abord les poètes du siècle d'Auguste et leurs

imitateurs ne visaient pas à la popularité ils visaient avant

tout à la protection des Mécènes, qui leur valait des villas,

des richesses, des honneurs, et les plus désintéressés ne son-

geaient qu'à charmer l'oreille d'un petit groupe de détieats,

sans se soucier des suffrages du reste. Le peuple n'existait pas

pour cette aristocratie de la plume Horace s'écriait même

tout haut

O~MMW M<~Met arceo.

Ils composaient donc uniquement en vue des grands loin

i. M. Gautier a déjà publié la premMre partie de son /y/j/fw < la /«<«<' A/M-

gigue, contenant une étude très détaillée sur )M ?'n~(Tottr<, Matne.in-S". !S8~).

Page 160: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.158

de ressembler aux grands poètes nationaux des a{;eshéroï-

ques. qui déroutaient devant la plèbe enthousiaste les mer-

veittes de t'««/t' ou de la C~'t~cK de ~/«M< ils voulaient

innorer le public, et le publie les ignorait. Jamais certainement

t'M M'n'eut dans ta Rome antique ta moitié des lecteurs et

des admirateurs qu'elle eut au moyen â~e. Ensuite, et c'est

là sans doute la raison capitale, te principe même de la versi-

fication classique était antipathique à la nation romaine,

contraire a son génie, a ses tendances, à son passé. Dans les

temps primitifs, et jusqu'à t'arrivée d'Ennius, les belliqueux

habitants du Latium chantaient des chansons grossières dans

lesquelles on ne tenait aucun compte régulier des brèves et

des longues, mais plutôt de l'accent et du nombre des syl-

tabes. Ils ne connaissaient, en fait de vers, que les Atellanes,

les t-'escennins, les Saturniens c'était ta leur vraie poésie

nationale. Vint la conquête de la Grèce l'imitation des Grecs

sévit aussitôt comme une manie, comme un détire, dans la

langue, dans les arts, dans Ics mœurs, partout. Ce ne fut pas

asscz de s'habiller comme eux il fallut s'exprimer comme

eux. Ce ne fut pas assez de chercher à reproduire leurs quali-

tés il fattut singer leurs défauts. la tyrannie de la mode se

fit sentir aussi, tout naturellement, dans la versification, et les

rudes gosiers des enfants des Osques et des Étrusques vou-

lurent chanter comme tes bouches harmonieuses de la molle

tonie. On ne se rendait pas compte de ce fait que la race

grecque était essentiellement musicale, que son système de

poésie métrique tenait à son caractère propre, à sa constitu-

tion, à son tempérament, et que, sous le beau ciel des Het-

lènes, comme on chantait en naissant, comme on parlait en

chantant, la langue origincllc s'était trouvée tout naturellement

Page 161: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE LATINE. 159

compose de brèves et de longues, de sons tramants et de

sons fugitif, ainsi qu'un morceau de musique ou de danse.

Les Grecs n'avaient fait que conformer leur langage poétique

à leur langage ordinaire, et ils récitaient tours vers en tes

scandant par instinct. Voilà ce que les Romains voulurent

imiter; voilà ce qu'ils voulurent substituer à t'antiquc mesure

saturnienne, comme le dit Horace dans un passage cétebre

~MVM <Y~/«.)7/W !f/<WW f~ < <<t

/M/M/ ~(fr~/ Latio. A'f ~o~~j ille

Z~A Hww<«~ ~/M~MM.

Mais, chez les Romains, cette répartition spontanée des syt-

tabes n'existait nullement. Quand Ennius,o~p!utôtsonéco)e.

voulut introduire parmi eux le mètre hctténique, on eut toutes

les peines du monde à établir un classement analogue entre

les syllabes de la langue latinc; ce ne fut que par des distinc-

tions artificielles, rétrospectives, qu'on put y arriver, et t'en

n'y arriva même jamais d'une manière complète, car il resta

dans la prosodie de nombreuses incertitudes. Aussi le peuple

continua de chanter ses vers primitifs, construits sans art,

pour sa plus grande commodité, et laissa les hetténisants

varier à plaisir les enchevêtrements ingénieux du mètre (ce

qu'ils ne purent opérer sans faire de la langue poétique elle-

même une langue compliquée, peu accessible au vulgaire),

pour s'en tenir à la vieille méthode nationale. 1) fallut, comme

l'observe M. Gautier, tout le génie de Virgile et tout le talent

d'Horace pour faire accepter et consacrer par l'usage la nou-

velle versification empruntée à la Grèce encore demeura-

t-elle l'apanage des érudits. Lorsque les acteurs de Rome

débitaient au théâtre les comédies des meilleurs auteurs, on

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LE TREIZIÈME SÏÈCLE.t60

voyait (c'est encore le même Horace qui l'atteste) les assis-

tants, ennuyés de la poésie métrique, interrompre la pièce et

demander des spectacles. Quintilien laisse également échapperl'aveu que la langue romaine n'était pas bâtie pour la comédie

en vers ~w«wM'</w WfM7w<'<Aw//<wwM).Aussi les comiques

qui voulaient reconquérir la faveur de la foute s'écartaient-its

a dessein des régies de la quantité, afin d'être mieux compris.Iî le, M.'< /~w.tM/~< ww /?.?«//<!)', dit Terentianus Mau-

rus. Cicéron, t'riscicu et d'autres nous fourniraient au besoin

des témoignages analogues sur cet état de choses singulier,

anormat, et cependant réet.

Mais voità le christianisme qui, à son tour, conquiert le

monde et le premier caractère du christianisme, c'est, au

contraire, d'être essentiellement populaire. Le Christ est venu

pour relever les petits; l'Église leur fait dans ses rangs la plus

bellc place. Que va-t-i) en résulter? C'est que le principe de

l'ancienne versification romaine, de celle qui est restée dans

l'oreille et dans la mémoire de la foule, reprendra le dessus,

et que la versification savante, d'importation étrangère, sera

délaissée, au moins pour les chants sacrés. Il faut que le

peuple entier célèbre la louange de J~sus-CtfRtST. Jadis la

puissance de Jupiter, les exploits d'Enée, Ic désespoir de

Didon étaient agréablement chantés par quelques esprits

ramnés mais au Dieu vivant, au Dieu universel, dont la

domination ne doit avoir ni fin ni limite, it faut la louange de

toute l'assemblée des saints, il faut la grande voix du peuple

chrétien, s'élevant unie et majestueuse comme le bruit de la

mer, pour porter aux pieds de l'Éternel un hommage digne de

son immensité. Et le peuple, de son coté, a besoin de chanter

à pleine voix son Dieu, en comprenant et en sentant tout ce

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LA POÉS!E LATI N E. !<U

qu'il lui dit, parce qu'il est véritablement rempli de son amour,

t'amour divin, sentiment nouveau que les païens na ptinvaient

même pas soupçonner; car quel est celui d'entre eux que l'on

vit aimer une seule de ses divinités? Ils craignaient Jupiter,ils admiraient Venus,its invoquaient Atercure; mais tes aimer,

sentir un battement de cœur en prononçant leur nom ou en

l'entendant prononcer, éprouver ces deticieuses émotions

réservées a t'ame fidèle intimement unie à son Dieu, jamais!C'est là le privilège de )a vraie religion et le paganismen'était pas même une religion, ce n'était pas un culte.

On pourrait croire que j'émets ici une théorie. Mais tel est

bien le motif réel qui engagea saint Ambroise à introduire

le rhythmc et l'assonance dans ses hymnes célèbres, tes

premières que l'Église ait adoptées. Un passage significatifde saint Augustin nous fait entrer dans la pensée intime

des t'ères à cet égard. Voulant composer un cantique ren-

fermant la réfutation des Donatistes et le faire chanter de

mémoire aux ndètcs, <[ je n'ai pas voulu, dit-il, lui donner la

forme de la poésie (métrique), de peur d'être contraint parles nécessités de la prosodie à employer des expressions peufamilières au peuple. A~o/<<t//y/«' f«~w/M/f~vM<<'?<?<v/«//<

M~O,M<'Wf K<WM//<MWf/KM ft</ t<«t t'<<t W~O M/'W/~

My/A<~<<w~< y Aussi écrit-it son cantique dans une

forme particulière, qui se rapproche sensiblement de la poésie

syttabique. A partir du quatrième siècle, cette tendance

s'accentue de plus en plus. On compose toujours des hymnes

métriques;mais,tout en respectant ta quantité pendant quelque

temps encore, on cherche à la concilier avec le système syt-

labique. En d'autres termes, on conserve les pieds com~tsés

de brèves et de longues; mais on réduit en même temps les

Page 164: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.t62

ver- autant que possible, a un nombre uniforme de syttabes,

parce que la musique populaire des hymnes, qui attache

rigoureusement une note a une syllabe, exige cette uniformité.

Ainsi l'on donne douze syllabes à l'aselépiado, qui devient

par ta le type de notre vers alexandrin, huit t'tambique

dimètre, qui devient le type du vers lyrique de huit pieds,

quinze au .f<<~MWM trochatque, qui, partagé en deux ou en

trois par l'accent et par des assonances intérieures, forme il

lui seul comme une petite strophe, etc. Puis on multiplie les

assonances, ann de mieux graver les chants sacrés dans la

mémoire des fidèles: dans une hymne de saint Ambroise, on

compte douze vers assonancés sur seize dans une hymne de

Sédutius, au cinquième siècle, on en compte soixante-dix sur

quatre-vingt-douze dans une hymne de saint Grégoire, au

sixième, tous tes vers sont ornes d'assonances. La progression

est évidente. Vers l'an tooo, cette transformation deviendra

complète toute la poésie liturgique sera syllabique et asso-

nancée. Enfin, vers la fin du onzième siècle, la rime véritable,

extension quelque peu puérile de l'assonance, triomphera sur

toute la ligne; eUes'introduira jusque dans l'intérieur des vers.

C'est à elle, c'est à cette nouvelle venue que l'avenir appartient.

Donc, l'origine de la versification latine ecclésiastique que

nous trouvons en usage au temps de saint Louis, et qui est

la mère de la versification française, peut se résumer dans

ces quelques formules: Les fondements de cette versification,

c'est-à-dire l'accent tonique, qui fait élever ou arrêter la voix

sur certaines syllabes et produit ainsi des temps de repos le

syllabisme, qui consiste à compter les syllabes au lieu de les

mesurer l'assonance, qui est le germe de la rime tout cela

provient de la poésie populaire des habitants primitifs du

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LA POÉSIE LATINE. t63

Latium. Seule, la tongoeur ou la coupe des vers provient des

mètres classiques d'importation grecque, modinés sous fin'

nuence du syttabisme. Mais tous ces éléments ont été intro-

duits ou rétablis par faction de t'Kgtise, par la liturgie, dans

le but de populariser les chants sacrés. C'est ainsi, je crois,

que l'on peut concilier les deux systèmes de M. Gautier et <)e

M. Gaston Paris, qui ont discute cette question, et qui, au tond.

ne sont séparés que par une nuance, portant sur la part

d'influence revenant Ala vieille poésie populaire des Romains

et à leur poésie savante dans cet enfantement de la versifi-

cation moderne. La première survit en elle plusque la seconde.

comme le pense M. Paris; mais les règles liturgiques ont

contribué plus que l'une et l'autre à sa formation, comme le

dit aussi M. Gautier dans ses conclusions. Kn somme, elle est,

comme notre langue même, un legs de la plèbe romaine, legs

qui a passé par les mains de t'Hgtise, parce que l'assemblée

des chrétiens et la plèbe ne faisaient ptus qu'un, et qui nous

est parvenu transformé, perfectionné, comme tout ce que

touchait la main de féc de la nouvelle religion.Nous trouvons, au treizième siècle, trois genres de poésie

sacrée simultanément cultivés, différant tous trois de la poésie

classique par la forme, mais à un degré inégal. Ce sont les

hymnes proprement dites, tes proses et les tropes. Je laisse

de côté les offices en vers, comme la messe de sainte

Geneviève qui se disait pour la confrérie des archers bour-

geois de Paris, parce qu'ils ne sont qu'une exception et une

fantaisie, et les mystères liturgiques, qui sont le développe-

ment des tropes, parce que nous les retrouverons en traitant

de la poésie dramatique. Les hymnes sont le chant sacré par

excellence; elles représentent l'ode antique, mais avec toute la

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LE TREIZIÈME SIÈCLE.t64

supériorité d'accent qui appartient a ta touange du vrai Dieu.

C'est saint Ambroise, sc!on la plupart des historiens, saint

Ililaire de Poitiers, suivant quelques autres, et peut-être tous

les deux ensemble, qui imaginèrent de composer et de faire

chanter par les fidèles ces additions à l'office primitif. Les ))ym-

nes étaient pour les chrétiens de leur temps ce que sont tes

cantiques français pour ceux d'aujourd'hui, à cette différence

près qu'ils étaient vraiment animés du soufHepoétique. Leurs

caractères distinctifs sont d'être en vers ptusou moins réguliers

(~)WWM< /«~ /~f/ w<w<' .f<«, dit )c vénérable Bède),et de s'adresser généralement à Dieu pour te louer, tandis que

les proses sont en prose, comme leur nom l'indique (du

moins relativement a la poésie classique, dont elles ne

suivent plus du tout les lois), et qu'ettes s'adressent aux

fidèles, pour leur exposer un dogme ou leur raconter les

vertus d'un saint. Depuis le neuvième siècle, l'assonance a

complètement envahi les hymnes, déjà soumises à l'isochronie

des syllabes, et depuis le deuxième la rime les a gagnés à son

tour. Ils sont surtout composés à l'aide de l'ancien ~A'/M~/M

trocharque, autrement die vers politique, divisé, ainsi que je

le disais, en deux ou troit tronçons rimant entre eux, comme

dans ces strophes de saint Bernard

~M~W/A! ) ~MWWt ) A*<~Mdiadentate,

0M<~t7<K<<!<WM) ~TM~M~MW) < ornala .t/~WM~,

~<M ) cella, M'M'/</M~~.«~<M<,

0/MM ~WM/ ) ~<'<!&< j WM~~fWW~f/<&

Cette coupe heureuse prête à une foule de combinaisons,

plus favorables tes unes que les autres à l'expression lyrique

de l'amour divin et précisément le premier hymnographe du

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LA POÉStE LATtNE. 165

Le XtM' NM< NM.et Mttnt. Il1

treizième siècle,saint Thomas, nous en fournit un harmonieux

spécimen dans son chant célèbre en l'honneur de t'Kueha-

ristie

/'<M~< /«~, j ~M/ j ~~VAf ~<7//W,

.S<M~'7«W.tyW) ~<M< j ~/«'W,<MWMM<<W,

/~7<f/«Jf!V/7~M).f<'W/<W,j~<)'<~<<'M//MW.

Ici la rime est disposée autrement c'est la seconde partiedu vers qui rime avec la seconde partie des vers suivants, et

la troisième avec la troisième. Quant au style, les hymnes de

saint Thomas et de ses contemporains sont moins simples,

ils sont plus savants, plus theotogiques que ceux des premierssiècles du moyen âge. Ce ne sont plus tout A fait des chants

populaires, puisque la langue latine est morte mais ce sont

des chants officiels, entrés depuis une centaine d'années dans

le corps des livres liturgiques et dans Ics heures canoniales.

Peut-être ne renferment-ils pas autant de beautés, autant

de magnincences de langage que les compositions d'Adam

de Saint-Victor, le plus grand poète sacré de tout le moyen

âge, qui vivait au milieu de ce douzième siècle, si poétique

dans son esprit, si majestueux dans sa langue. Néanmoins

ils comprennent encore des chefs-d'œuvre. A côté des

hymnes anciens de saint Ambroise, de saint Hilaire, de

saint Grégoire, de Prudence, que les fidèles continuent tou-

jours à chanter, figurent avec honneur des productions nou-

velles, que les modernes ont à leur tour précieusementconservées. Daunou lui-même a été obligé de rendre justiceà celles qui sont sorties de la plume du Docteur angétique.< Un talent poétique dont ses œuvres ne présentent aucun

autre exemple, dit-il, se fait remarquer dans tes hymnes

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LE TREIZIÈME SIÈCLE.166

7~<<S<t<~M.t<'Aww'M, t~t'~Mw ~M«w. tl s'en

faut que le style de ces poèmes soit toujours d'un goût très

pur, que la latinité en soit très élégante et que les règles de

la prosodie classique y soient observées (Daunou ne soupçon-

nait même pas que la prosodie classique était alors remplacée

par une autre, et que la latinité chrétienne avait un genre de

beauté indépendante des élégances païennes) cependant le

sentiment de l'harmonie s'y manifeste par la variété des

mesures, par l'heureuse distribution des nombres et des rimes,

par la coupe des vers, ou, si l'on veut, des lignes. Les pensées

presque toujours ingénieuses, ont souvent de la grandeur et

de l'éclat ('). La contrainte qui règne dans cet éloge est

vraiment curieuse. Pour nous, qui n'avons pas les mêmes

préjugés, et qui vivons dans un temps où, Dieu merci, la

connaissance de notre histoire littéraire est beaucoup moins

superficielle, nous pouvons hautement rendre à saint Thomas

poète l'hommage que nous avons précédemment rendu à

saint Thomas théologien. Si d'autres hymnographes de l'épo-

que se sont tenus dans la médiocrité, lui du moins nous

dédommage amplement de ces symptômes de décadence, et

nous allons le voir mieux encore à propos des proses car ce

profond penseur, dont on a pu croire l'esprit absorbé par les

subtilités de la scolastique, le cœur desséché par l'étude

d'Aristote, a chanté sous toutes les formes, et avec une

surabondance de pieuse tendresse, le plus touchant des dogmes

catholiques.

Les proses sont beaucoup plus récentes que les hymnesdans la liturgie. Elles furent imaginées, vers 860, à l'abbayede Saint-Gall, par un moine appelé Notker, pour remplacer

t. //M<./<W~.dela/<Mf<,t. XtX,p. 369etsuiv.

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LA PONSΠLATINE. t67

les neumes ou~~7<, c'est-à-dire les notes joyeuses qui ser-

vaient de prolongement à la dernière voyelle du mot ~/A'/MM.

chanté à la fin du Graduel de la messe. Au lieu d'une série de

a <tqui n'enraient aucun sens, ce bon religieux entreprit de

faire chanter des paroles sensées et rhythmées et il avait bien

raison. L'idée première lui en avait été fournie par un anti-

phonaire normand apporté de Jumièges à Saint-Gall mais,

tandis que les neumes étaient remplacés, dans celui-ci, pardes mots sans suite ou même d'assex mauvais goût, il leur

substitua, lui, de véritaMes chants, qui prirent )e nom de

.K~«wf< déjà affecté aux notes supplémentaires venant à la

suite de l'ZMM. (.~<«/<~<~M ~«<<w~M<w/MW!'o<'«~

dit un ancien Ordo romain.) Ces proses primitives, ou proses

notkéricnnes, se répandirent en beaucoup de diocèses. Mais

ce fut Adam de Saint-Victor qui donna la consécration à ce

nouveau genre de poésie sacrée, par le perfectionnement qu'il

apporta dans sa structure et par le style éclatant dont il le

revêtit Rien de plus éloquent que les proses adamiennes.

Leur auteur manie avec une dextérité pleine d'aisance la

strophe de trois ou de six vers, dérivée du ~A'/M/M~trochaif-

que, dont nous avons déjà remarqué l'introduction dans les

hymnes et qui devient ici d'un emploi beaucoup plus générât.

La prose, par conséquent, n'est pas aussi prose que cela. Née

à une époque où les scrupules qui faisaient encore respecterle mètre antique avaient disparu, elle afHcha hautement le

principe du syllabisme, tandis que l'hymne s'en imprégna

peu à peu, avec un reste de pudeur. Mais, pour être dans la

forme de la poésie moderne, de la poésie française, elle n'en

est pas moins de la poésie. Et quant au sentiment poétique,

qui pourrait ne pas le reconnaitre dans les magnifiques

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LE TREÏZtÈME SIÈCLE,168

morceaux de maitre Adam ? L'alliance, si difficile en appa.

rcnce, de la théologie et de la poésie, s'y trouve merveilleuse-

ment réalisée ('). Or, c'est là aussi le caractère dominant des

proses du siècle de saint Louis. Qui de nous n'a répète avec

admiration, avec jubilation, suivant l'expression liturgique,

les belles strophes a rhythme ternaire de celle de la fête du

Saint-Sacrement ?ra

/.<!M~, ~f/OM,~M<'W,

/<~ <<yw r/ ~<ww

/M /~WMM et «M//fM.

~/MM~W /0/< ~<<7/< <!MO<f

6~W M/<M//W«/<

~V<V/</<M't' ~/(~<'M.

Ce morceau passe avec raison pour un des che<s-d'œuvre du

genre, et c'est encore au génie de saint Thomas que nous

le devons. Sa structure est calquée sur celle du chant d'Adam

de Saint-Victor en l'honneur de saint Étienne

Heri w~Mo~Mexultavit,

Et Ct7<M.f f~~<!M'/

<"X~M/<<M&)'&M

f~M-M <<7<W

~M~«~<J est <t<W

~<y<W<f«M ~</M.

Mais ici l'imitateur éclipse le modèle.

D'autres séquences, d'autres proses, peut-être aussi remar-

t. On en a un exemple caractéristique dans la prose .if~TMM? eM/w~<M~M,dont la traduction a paru dans la JP<vM<du ~ûa~e catholique (an. 1870, ti" du as

juin). M. L. Gautier a donné trois éditions des <E~f~j ~f~&t <f<4~:jM de ~<t/a/.

Victor; la troisième. bien préféMMe aux antres, a été publiée en ïS~ (Paris, in.ïe).

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LA POÉSÏE LATtNE. 169

quables, ont vu le jour à la même époque et ont été adoptées.

comme la précédente, par l'Église. Celle de la Pentecôte

~<H, sancle ~H'M,Et <'w<7~«t*M

/fM /M<?f<t<MW,

attribuée jadis au roi Robert, et de nos jours au pape Innocent

11t.mort en 2 t6,se chantait dans la croisade atbigeoise.comme

l'avait observé D. Guéranger, notre grand liturgiste elle

appartient évidemment par sa facture au commencement du

treizième siècle. Cette du jour des Morts, qui retentit à nos

oreilles comme un éclat de tonnerre, passe pour être l'ouvrage

de Thomas de Celano, qui vivait dans la première partie du

siècle suivant mais les critiques les plus compétents la font

remonter au temps de saint Louis. Seulement, il faut dire

qu'elle ne se chantait pas, à l'origine, le jour de la Commé

moration des défunts elle se chantait le premier dimanche

de l'Avent, jour où l'Église appelait l'attention des fidèles

sur le jugement dernier. Et, en effet, cette sublime poésie ne

fait allusion qu'à la sentence suprême qui attend les humains

c'est la fanfare éclatante qui sonne l'appel des coupables au

tribunal du souverain juge il n'y a là rien de particulier au

culte des trépassés. Une œuvre du même genre, aussi célèbre

mais dont le langage est moins correct, a été prêtée quelque-

fois à un religieux quelque peu postérieur et de nationalité

italienne, Fra Jacopone: c'est le Stabat ~</<v, qui renferme

encore des strophes si touchantes. Mais il ressemble trop par

sa forme extérieure au ~.<H~, et à d'autres séquences

du même âge pour ne pas être leur contemporain. Le

Stabat, au reste, n'était pas une prose à l'origine il a été

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LE TREIZIÈME SIÈCLE.170

adopté comme tel beaucoup plus tard, pour la fête de Notre-

Dame des Sept-Douleurs. C'était un~M<f, une complainte,

faite pour être chantée en dehors de la messe, comme nos

cantiques français.Enfin des proses assez nombreuses, qui ne sont point

demeurées comme celle-ci dans la liturgie, et qui sont d'un

mérite très inégal, ont été composées pour les nouvelles fêtes

instituées au treizième siècle, en dehors de la fête du Saint-

Sacrement. Je citerai notamment celle de la Susception de

la sainte Croix, dont l'auteur est inconnu, comme la plupart

du temps, mais qui renferme un couplet curieux en l'hon-

neur de la ville et de l'université de Paris

TtW, M~ inclyta,

OWM<~K<<&/MM&<t,j~<<f ~/M~M~MM,

~~OM<t<W<A'A<

.B~ in ? reposita,

Urbs /MMy?<W.

« C'est à toi, ô ville fameuse, dotée de toutes les gloires, à

toi, la mère des études, que la sainte Couronne a été connée

c'est dans ton sein qu'elle repose, noble cité de Paris. »

Inutile de demander si le clerc qui a composé ces vers mé-

diocres devait être un parisien.La prose écrite pour la fête de saint Louis célèbre ses

exploits sous l'étendard de la croix et sa mort glorieuse. Celle

de la fête de saint François remémore ses prédications devant

le soudan d'Egypte, ses stigmates, et jusqu'à son amour pourles petits oiseaux:les petits oiseaux:

Vir qui sic ye/?WM<~~'M voceM<~M«'/

Semper clara.

Page 173: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE LATINE. t7t

Heureuse idée, bien mal rendue, et rappelant une stropheautrement poétique de saint Bonaventure, ce disciple du

grand charmeur, qui semble avoir hérite de son Ameaimante

et de son sentiment vrai de la belle nature

/*A/~<WWM~/MTM

y<c~r ~waw/,

0/<<ii'<W<'MMWWNM/MM

/W~M~M~Z~WMW~~M~MMM

?«0 f<< APMt',

~W, ~n«~M/M~W«Ad Mf,~<MC,!«<.

Ainsi aucune note, ni la note sublime ni la note tendre, ni

la note terrible ni la note gracieuse ne manque à cette poésie

sacrée. Mais il faut nous hâter de le déclarer car, dès le dé-

but du siècle suivant, dès la fin de celui-ci même, la décadence

qui attend tout l'ordre de choses du moyen âge, gagnera ce

genre de littérature. Les proses, en particulier, perdront leur

vogue universelle, leur tangue noble et imagée, pour revêtir

un style mou et sans caractère. Leur multiplication même

leur fut fatale on en vint à en composer pour presque tous

les jours de l'année liturgique, et les missels se chargèrent

ainsi d'un mélange hétéroclite de pièces plus ou moins

dignes d'approbation. Aussi Rome dut-elle réagir contre cet

envahissement et n'admit-elle dans sa liturgie que quatre

proses en tout.

Le troisième genre de poésie liturgique n'eut jamais l'im-

portance des précédents. Les tropes sont, comme les proses

elles-mêmes, une interpolation de l'office, introduite depuis le

Page 174: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREÏZÏÈME SIÈCLE.t72

dixième siècle, pour satisfaire ce besoin remarquable des

nde!es de voi. allonger les cérémonies et tes spectacles de

t'hgtise; mais ils ne consistèrent d'abord qu'en quelques mots,

parfois en un vers ou en un distique, intercales entre deux

phrases du texte officiel et développant )e sens d'une de

ces phrases. Par exemple, tes premières paroles de l'Introït

de Noet /'?< /M/~f est w<). <Mw.f ~j est HO~M,furent

rempiacces par celles-ci ~~w /M.f</w~b ~<?/<<' < o~w

t'~<'< /< ~M<7~est, etc. ~ff<7<~ ~<7r~/fyww ~<f~~M/<

~/w«, etc. C'était une véritable farciture, dont l'idée rappelaitcelles des ofnces en vers, et qui, malgré ses prétentions,

n'offrait pas le caractère solennel des hymnes ou des proses.

Les tropes dîneraient aussi de ces dernières en ce qu'ellesn'étaient point écrites sur une mélodie antérieure, et ils

digéraient des hymnes en ce qu'ils n'étaient point faits pour

servir de chants populaires. Quelques-uns cependant, A force

de se dévetopper, prirent la tournure de véritables cantiques,

lorsque )a versification nouvelle, basée sur t'assonance ou la

rime, y eut pénétré, c'est-à-dire à partir de la fin du onzième

siècle. Te) est le fameux <qui est entré dans notre liturgie

pascale, et qui n'est qu'un trope du /~w<«HW/.f, comme t'in-

dique son dernier vers Z~'c <<MM«.fgratias. En effet, les

morceaux de cette espèce furent la plupart composés pourêtre chantés au /~<w</MWw.fqui termine chacune des heures

canoniales. H nous en est resté fort peu, parce que t'Égtiseromaine leur fit, bien plus qu'aux proses, une guerre dé-

cidée. Ce n'est pas sans raison car de telles interpolations

tournaient à l'abus et dénaturaient trop souvent la majes-

tueuse simplicité de t'ofncc. !t faut toutefois leur recon-

naître un mérite c'est qu'ils furent le germe du drame

Page 175: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE LATINE. 173

liturgique, et que tout le théâtre moderne est sorti, comme

nous le verrons, de ces premiers commentaires du récit

évangélique.

tt me reste à parler de la poésie latine extra-liturgique ou

profane. Elle nous arrêtera moins longtemps, d'abord parce

qu'elle est moins intéressante en soi, et puis parce qu'elle ne

représente nullement la véritable poésie de t'époquc. Que

l'Église continue à chanter en latin, cela se conçoit ette a

fait de l'ancien idiome romain sa langue héraldique, immuable

comme sa doctrine. Mais que des sujets historiques, didacti-

ques, moraux soient traités en vers latins à l'heure où la

France entière répète ta C~~fOM</<'A*<'Aw<à l'heure où elle

est suspendue aux tcvrcs de ses trouvères et de ses jongleurs,voilà qui peut surprendre davantage. On est parti de là pouraffirmer que la langue latine n'était pas morte, que certaines

chansons satiriques composées en latin prouvaient que t'en

comprenait et que l'on partait encore cette tangue. Mais cela

doit se dire uniquement des clercs, des gens d'Égtisc. Ces

chansons ont été faites par eux ct pour eux, comme les autres

poèmes latins du siècle. Toute cette poésie est essentiellemcnt

cléricale, savante, réservée; ette est fermée à la masse de la na-

tion, et la nation n'y perd pas beaucoup. En effet; son principalcaractère est la froideur elle n'est pas faite pour échaufïer,

pour attendrir: elle vise tout au plus a instruire, et ta forme

poétique n'est chez elle qu'un manteau d'emprunt jeté sur

un corps prosaïque, soit par l'amour invétéré des vers, soit

par le désir de mieux graver dans la mémoire les vérités ainsi

présentées. Le nom de poésie ne lui convient donc guère

celui de prose versifiée,quoique un peu sévcrc peut-être, serait

plus juste. Cette critique n'atteint pas, du reste, le fond des

Page 176: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.t74

ouvrages ou des traités en vers, qui souvent n'en est pasmoins sotide pour cela.

Une autre preuve de l'impopularité de la poésie dont je

parte et de son caractère de pur exercice littéraire, c'est qu'ellen'est plus basée sur les règles de la nouvelle versification, de

la versification de l'antique plèbe romaine, devenue cette de

la littérature chrétienne. Non ceux qui s'y adonnent sont

des hommes si savants, qu'ils dédaignent cette forme popu-

laire, devenue la forme nationate, et qu'ils remontent jus-

qu'aux procédés de Virgilc et d'Ovide. En un mot, ils font

des vers métriques, et non des vers syttabiques. Là est Ic

signe distinctif qui tes sépare des poètes liturgiques, et qui

les sépare aussi, pour toujours, du vrai public. Les sujets de

saint Louis comprennent encore les hymnes et les proses

qu'ils entonnent avec tant d'amour à t'égtise, parce que leur

style offre peu d'inversions et que leur rhythme se rapprochede celui despoèmes populaires: mais a ces imitations guindées

des maîtres classiques, a leurs mètres compliqués, à tours

constructions forcées, ils n'entendent rien, ils ne cherchent

même pas rien entendre ils en ignorent, comme l'on dit en

style judiciaire. Et c'est là peut-être aussi la raison de la

froideur que je viens de signaler. Ces laborieux écrivains, qui

travaillent, qui suent sang et eau pour imiter la tangue et la

poésie virgilicnnes, se heurtent mille obstacles qui enchai.

ncnt, qui tuent l'inspiration. Le règne de cette langue et de

cette poésie est réellement fini clles ne servent plus qu'à

faire des pastiches. Et si ces pastiches se produisent en

quantité considérable, ce phénomène ne prouve qu'une

chose, à savoir le grand nombre des lettrés et la force des

études.

Page 177: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE LATINE. 178

Si ces vérités pouvaient sembler douteuses, le doute dispa-

raîtrait par l'examen des principaux monuments de ce genre

de poésie. Les plus importants appartiennent à la théologie

et à la science. Je ne parierai point de la longue paraphrase

de la Hibte en plus de quinze mille vers, intitutéevh~f. et

duc à lierre de Riga, chanoine de Reims, ce commentaire

historique et allégorique qui jouit d'une si grande vogue au

moyen âge (parmi les clercs, s'entend) il renferme de très

beaux vers, et il échapperait en partie à la critique que je

viens de faire. Mais il échappe aussi à notre domaine car son

auteur florissait, selon tous les synchronismes, vers la fin du

douzième siècle. H faut en dire autant des poèmes du cétcbrc

Alain de Lille,notamment de son /tM//fAw</MWM,romanmoral

traitant des connaissances nécessaires pour former l'homme

vertueux, et qui atteint les proportions d'une encyclopédie

quoique devenu classique au treizième siècle, ce précieux

ouvrage appartient plutôt aux dernières années du précédent.Mais voici des analogues rentrant tout a (ait dans notre

période. Voici le /~f~M/< yt~~w~w de maître Alexandre

de Villedieu, qui fut aussi en grande faveur dans les écotcs

c'est une excettente grammaire latine, basée principalementsur i'riscien mais c'est un méchant poème, comme doit

l'être toute grammaire en vers. Le moyen d'expliquer t'at-

phabet ou les déclinaisons en tangage poétique? V<'ici

quelque chose de plus fort Gilles de Corbcil, médecin de

I'hilippe-Auguste, écrit un poème médicat dont le titre me

dispensera d'insister sur son contenu 7~' ~/M~. Non seule-

ment il veut enseigner la médecine en pompeux hexamètres,

a l'exemple des docteurs Salernitains, mais il prétend mettre

en vers ce que la médecine de son temps offre de plus

Page 178: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.ne

repoussant. De pareilles fantaisies peuvent ctre très utiles au

point de vue de l'histoire de cette science toute spéciale mais,

je )c demande, que) rapport peuvent-elles avoir avec la poésie?

Laissons donc dc coté, ici du moins, toute cette série de

poèmes chirurgicaux, mathématiques, philologiques, dont

fourmille la littérature de l'époque, et cherchons le feu sacré

ailleurs que dans les traites didactiques. C'est en prose qu'ontécrit tous ces versificateurs, et jamais on n'enseignera conve-

nablement quoi que ce soit qu'en bonne prose. ou en

mauvais vers.

l.es récits historiques se prêtent davantage à la forme

poétique. Dans cette classe, nous rencontrons une immense

composition de Jean de Garlande, intitulée 7~ /</MM~M

/:«A'.w< que la critique sagacc de Victor Le Oerc a rendue

au treizième siècle, contrairement à la tradition qui l'avait

attribuée jusque-tA au onzième. Tous les événements de

l'histoire universette y sont retraces, depuis te passage de la

mer !<ouge jusqu'à ta première croisade de saint Louis

(preuve péremptoire que l'auteur vivait sous son règne). Cette

longue narration est riche en détails de mœurs, en traits

précieux pour t'historien, surtout lorsque Jean de Garlande

en arrive aux faits dont il a été le témoin ou le contemporain.

Mais, encore un coup, c'est là de l'histoire, c'est de la chro-

nique versifiée ce n'est pas de la poésie. L'auteur a beau

s'cfforcer d'énoncer tes dates des événements par une péri-

phrase, et se mettre à la torture pour nous dire en vers quele roi vint camper dans tel lieu en t too

C4w/< Wf~MM f~M~MM~M~' «W/O

ÔMWMtW~C rex ibi castra locat.

De semblables tours de force sont la mort de l'inspiration,

Page 179: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE LATINE. t77

quand ils ne rendent pas le styte complètement obscur. De

temps en temps, quelques lueurs jaillissent de ces ténèbres

par exempte, dans les deux distiques oit ta reine Blanche

est représentée implorant de la Reine des cieux la paix du

monde

/Mwf« /<tW<'M,t ty/JF~M/<M/W«, /~<VW

/~Mf// MwAt~/w .f<v/«/<' ~<Y~w

~<t, /<)~wy.yo/M, <'<wn~A'M~A'

y~w <t*/M M~<< ~<t, !'<M.

« Cependant Mtanche, la très pieuse mère du roi, implore la

paix par ses prières assidues Étoitc brillantc, mère du

Soleil, fitte de Celui à qui tu as donné le jour, daigne, 6

Vierge, du haut des cieux nous envoyer ta paix Il y a ta

une idée <ëconde, un joli sujet de tableau et effectivement

ces vers accompagnent, dans le manuscrit, une petite minia-

ture. Mais l'allure générale du style, et notamment le mélange

toujours choquant des figures mythologiques avec les expres-

sions et les idées chrétiennes, font oublier les trop rares beautés

de l'ouvrage.

!~e Z~WM/y.f, jtoeme héroïque consacré à chanter tes

exploits de Frédéric Harberousse dans le Milanais (appe)é

Ligurie), dénote beaucoup plus de talent. La langue en est

pure, élégante, la versification facile, et t'étude de t'antiquité

classique s'y trahit par d'heureuses réminiscences. On l'a cru

longtemps composé par uo nMine de l'airis, en Atsace. appeléGunthier. t) parait par une dissertation récente de M. Gaston

l'aris, que son véritable auteur, allemand sans doute, vivait

plutôt dans le dernier quart du douze siccte.

Gilles de Paris a été moins bien inspiré en cctébrant tes hauts

faits de Charlemagne dans son 6~v/w/.f, écrit spécialement

Page 180: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIECLE.178

pour l'instruction de Louis VIII, et compilé d'après les

chroniques d'Éginhard et du moine de Saint-Gall. L'auteur,

quoiqu'il s'adresse au propre fils de Philippe-Auguste, fustigeen passant les scandales donnés par ce prince, et défend

noblement le pape Innocent dans sa quereUe avec lui.

C'est un acte de courage néanmoins les qualités de l'exécu-

tion ne répondent guère, dans t'œuvre de Gilles de Paris, au

mérite des intentions. On peut en dire autant de la fameuse

l'hitippéide de Guillaume le Breton, bien qu'elle affecte, par

moments, ta tournure antique.

En somme, cette <amitte de poèmes est supérieure, dans

son ensemble, à la famille des didactiques. Mais la trompette

héroïque ne résonne ptus de ce côté les vrais chantres de

Chartemagne et de ses nobles émules sont dans le camp des

trouvères, et ce n'est plus dans les froides élucubrations des

savants, des latinisants, que les Français iront chercher désor-

mais les gloires de la patrie.La satire et la chanson, nous les retrouverons aussi parmi

les productions de la poésie française. Gilles de Corbeil écrit

bien en vers latins une vigoureuse critique des prélats de son

temps, auxquels il finit par reconna!trc en terminant quelques

vertus. Certains clercs des universités se permettent bien des

couplets burlesques pour le divertissement de leurs confrères,

des chansons à boire, des ~~tMM-f ou charges macaroniques,

dont plusieurs se sont perpétuées dans la tradition des écoles.

Quelques-uns même vont jusqu'au genre grossier car il est

difficile de donner un autre nom aux C<WM A~WM, aux

plaisanteries de Gautier Map, aux ~w/M~/M~Jde tel ou tel

ribaud lettré. Mais, empressons-nous de le dire, les princi-

pales de ces compositions sont dues à des plumes anglaises

Page 181: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉS!E LATINE. )79

ou allemandes aussi se distinguent-elles plutôt par la

brutalité que par la finesse. Et puis il y a autre chose elles

sont presque toujours jointes au dénigrement ou à la cari-

cature de la papauté. Les voltairiens de tous les temps ont

peu varié dans tours satires laissons à ceux-là, qui sont,

du reste, une infime minorité, sans écho, sans public, le

bénéfice de l'obscurité qui les a enveloppés dès le début.

La poésie latine, au treizième siècle, peut donc être consi-

dérée comme morte, en dehors de t'Ëgtise et du monde ecclé-

siastique, et cela par une raison toute simple et toute-puis-

sante, c'est que la langue latine se trouve elle-même dans ce

cas. Ce sont une poésie et une langue très cultivées encore,

beaucoup plus cultivées que de nos jours mais chacune

d'elles n'en est pas moins supplantée par une rivate ptus

jeune et plus heureuse. Là où elles survivent cependant, elles

sont fortifiées et ranimées par la sève religieuse. La liturgieest le refuge du génie latin, et fait résonner les dernières

cordes de la lyre antique mais elle léguera au monde une

autre lyre glorieuse, façonnée directement par ses mains car

la poésie française perpétuera la poésie liturgique dans ses

formes, dans ses procédés, dans son allure la poésie française,en un mot, sera la poésie liturgique habillée d'un costume

nouveau.

Page 182: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

I.

KPU!S que des travaux nombreux et concluants

ont tiré de la poussière notre épopée carlovin-

{{icnne,tous les c<eurs français se sont repris à

battre aux accents de cette poésie séculaire, qui est

apparue à nos yeux ignorants comme une nouveauté. Quel

est celui d'entre nous qui pourrait rester froid devant les

belles Heures de notre légende populaire, chantées sur le

mode le plus digne d'ettes, le plus approprié à leur nature

homérique ? Qui n'aimerait ce vieil empereur à ta barbe

Heurie, libérateur de la chrétienté, vainqueur des Saxons et

des Sarrasins, et ce brave Roland, vivante incarnation de la

chevalerie, supérieur par le caractère à tous les guerriers de

la fable antique, et le sage Olivier, et le fougueux Renaud,

et ta pauvre reine Berthe, et tant d'autres types merveilleux

que je ne saurais entreprendre de faire défiler sous tes yeux

CtMpttre septt~tnc LA poÈsiE FRAN-

ÇAISE POÉSIE ÉPIQUE. ~<~

SOMMAIRE. L'épopée nattonate. Ortgin~etfortn&Uon

des chansons do geste. ModtHcatton de leur forme prlmitive

au trot)!t~me siècle la C~<MMo«de A'f/<t~f/ rajeunie. Décadence

de ta UtKraturo épique vers la ttn de cette përtoda les romans

da la Tahte-Ronde. Les éditeur" des puataoa populaires ou

les jongleurs.

Page 183: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE FRANÇAISE. tta

tt OH' <iMt Htt et 'eiMt.

nuit se succéderaient dix fois avant que la série des héros et

des légendes soit épuisée ?

Et l'on a osé prétendre que les Français n'avaient pas la

tête épique! Et Voltaire, grimaçant un sourire, viendra répéterce propos d'une ignorance grossière Il viendra nous dire,

avec le ton et les minauderies d'une vieille coquette <:Notre

pays n'avait point d'épopée, et je ne sais vraiment si la

//<WM<A'sera jugée digne de combler cette lacune! La

/~WM~, ce pastiche si froid, si guindé Voltaire, ce singe

de génie, comme on l'a appelé singe du génie, comme il

faudrait plutôt dire! Quelle figure font aujourd'hui ces noms

en face des grands noms de l'épopée cartovingienne ressus-

eitée ? Car, on ne peut plus le nier, notre épopée revit désor-

mais elle est exhumée, au grand jour, et les laborieuses

recherches de t'érudition contemporaine, les efforts opiniâtresdes Guessard, des Léon Gautier, des Gaston Paris et de

leurs émules ont reçu récemment le couronnement le plus

mérité, le plus significatif: l'édition de la ~«/<.f<w< ÀM~/

se trouve maintenant dans les mains des élèves de nos

cottèges, avec les éditions d'Homère et de Virgile. les maitres

et les écoliers peuvent comparer entre eux ces chefs-d'œuvre

si différents, mais si ressemblants par certains cotés. Ft ceux

qui décerneront encore la palme épique au génie grec (toutle monde, peut-être, ne la lui décernera pas) ne pourront

plus, du moins, nier l'aptitude de notre race ni les preuves

matérielles de cette aptitude. Progrès tout a fait opportun,

que la Providence semble avoir réservé à notre époque comme

une consolation car, lorsque la patrie est abaissée, lorsque

ie présent est plein de ténèbres et d'inquiétudes, on aime

encore plus à reporter ses yeux sur les vieilles gloires

Page 184: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.182

célébrées par le génie national on se rattache à cette lumière

lointaine, réveillée si à propos, comme un phare au milieu de la

tourmente, et dans ces vénérables souvenirs on puise, malgré

toutes tes tristesses du moment, une invincible espérance.

Nous avons donc une épopée véritable, c'est-à-dire un cycle

de poèmes épiques, non composes artificiellement par un

auteur unique, mais sortis spontanément et quelque peu en

désordre du cerveau de cent ou de mille Français, ayant tous

la tête épique, n'en déplaise à M. de Malexieu et à Voltaire.

D'où vient donc cette épopée? Quelle est son origine? Quelle

est sa nature ? Quelles ont été ses transformations ? Telles

sont tes questions générâtes auxquelles je vais essayer de

répondre en quelques mots, avant de parler des plus beaux

de ces poèmes.

Au point de vue de la forme matérielle, ces chants, écrits

la plupart en vers de dix syllabes et en tirades monorimes,

appelées /.f<Htf ou complets, dérivent de la poésie liturgique.

On a vu plus haut comment le vers métrique des anciens s'était

graduellement transformé en vers syllabique et par quel lien

étroit notre versification française se rattache à la versification

populaire latine. H suffit d'ajouter ici que le vers décasylla-

biquc de nos vieilles épopées est analogue à celui de nos

poètes modernes, que le vers de douze syllabes, qu'elles pré-

sentent aussi quelquefois, est construit comme notre alexan-

drin, et que ces vers sont reliés entre eux, primitivement par

l'assonance de la dernière voyelle sonore (ainsi on voit rimer

ensemble les mots Charles et M<A~, ~f! et MMM/~), puis,

en vertu de raffinements successifs, par une rime véritable,

portant sur toute la dernière syllabe. Au treizième siècle, cette

rime est déjà implantée.

Page 185: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE FRANÇAISE. 183

Au point de vue Ju fond, tes origines de notre épopéesont ptus lointaines et plus obscures. L'origine particulièrede chaque poème ne sera peut-être jamais éclaircie, car

presque tous sont le produit d'une collaboration anonyme à

plusieurs couche, superposées. Mais l'origine générale peutse retrouver, et elle a été retrouvée dans les cantilènes de

l'époque barbare, plus loin encore, dans les vieux chants ou

//<*</germaniques signalés par Tacite et Jornandès, au moyen

desquels les Francs et les autres tribus germaines transmet-

taient à leur postérité les traditions des ancêtres. Après avoir

longtemps célébré sous cette forme leur Wodin et tous les

héros légendaires de leur race, les Saliens, transplantés au

milieu des Gallo-Romains, chantèrent de même les exploitsde Clovis, de Clotaire, de Théodoric, de Dagobert (qu'on a

chanté depuis d'une façon beaucoup moins noble), Peu à peule peuple conquis adopta lui-même cet usage et répéta des

cantitènes, non plus en langue tudesque, mais en latin

vulgaire, et ensuite en langue romane, composées en l'honneur

de ses princes, de ses saints, de ses illustrations. On possèdeun débris fort curieux de ces cantilènes mérovingiennes dans

le fameux morceau composé à la louange de Clotaire et de

saint Faron

De CM~/<<) est «WW /'<y<*/HM«)/7<W,

Qui /M'M/v //<~<wAw .S'<n-ow<

Charles Martel, Pépin furent chantés à leur tour. Arriva cette

épopée en action qui forme le règne de Charlemagne. L'en-

thousiasme inspiré par les luttes gigantesques du grand

empereur prit de telles proportions, la chrétienté délivrée par

lui de la terreur barbare voua à sa mémoire un culte si ardent,

Page 186: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIEME SIECLE.184

si universel, qu'il devint aussitôt le centre de la légende natio-

nale, comme il avait été le centre et la clef de voûte de

l'édifice social élevé par la papauté. Aux traits authentiques

de sa vie, déjà si remplie d'actions héroïques, vinrent s'ajouter

mille traits fabuleux toutes les prouesses de ses prédéces.

seurs et d'autres encore lui furent attribuées; toutes les

traditions antérieures se fondirent dans la tradition carlo-

vingicnne tous les récits eonser\'és par la mémoire du peuple

ou enfantés par son imagination fertile se groupèrent autour

de cette majestueuse figure, et spécialement autour d'un des

faits les plus saillants du règne: l'expédition contre les Sar-

razins d'Espagne.

Alors notre épopée prit véritablement naissance, parce

qu'elle avait un héros et un événement à la hauteur du génie

national, parce que ce héros et cet événement symbolisaient,

résumaient une grande idée, une idée chère à tout le moyen

âge, celle de la lutte des nations chrétiennes contre la bar-

barie païenne sous l'hégémonie de la France et sous la

conduite de son chef. Pour chanter la gloire de Charlemagne

et aussi sa défaite accidentelle (car les poètes épiques ont

toujours besoin d'une infortune afin de pouvoir s'attendrir,

et l'on a remarqué que les grands revers les ont ordinairement

mieux inspirés que les grandes victoires), des Tyrtées popu-

laires surgirent de tous côtés. Ils le représentèrent comme

un vieillard plus que centenaire, mais vigoureux et jeune de

cœur, infatigable, immorte) tantôt imposant comme te

Jupiter homérique, tantôt terrible comme le dieu de la guerre,

et toujours animé de l'esprit de Dieu, conversant avec les

anges, accomplissant une mission céleste. Autour de lui ils

groupèrent tes douze pairs, son neveu Roland, t'Achille de

Page 187: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE FRANÇAISE. 185

notre épopée, Olivier, qui en est l'Ulysse, le duc Naimcs, qui

en est le Nestor, l'archevêque Turpin, ce Calchas chrétien,

Richard de Normandie et cent autres capitaines. Toute cette

pléiade légendaire, tout ce grand cycle de Charlemagne se con-

stitua aux neuvième et dixième siècles, à l'époque même où se

constituaient la langue et la poésie romanes. Ainsi, on l'a dit

avec raison, notre épopée est l'esprit germanique sous une

forme romane ». Son principe, son essence nous vient des

Francs, la plus poétique de toutes les races barbares, comme

le montre bien le prologue de la loi salique sa forme, son

vêtement extérieur vient des Gallo-Romains et de la liturgie

chrétienne. Elle est toute populaire, toute militaire par son

esprit elle est cependant quelque peu cléricale par son

origine extrinsèque. Et par son objet, elle est à la fois l'un et

l'autre, car elle chante Dieu et la patrie, le pape et l'empereur,

l'Église et la France; témoin irrécusable, témoin éloquent de

l'étroite union de ces deux grandes idées dans les temps qui

l'ont vu naître.

Toutefois, si nous pouvons constater dès cette époque la

formation des premières chansons de geste (c'est le nom que

reçurent les poèmes consacrés à nos héros, à leurs ~M/<'y ou

à leurs exploits), nous ne possédons d'aucune d'entre elles un

texte écrit antérieur au onzième siècle, parce qu'elles se sont

chantées longtemps avant qu'on en vînt à les écrire. l.a

CX~MOM ~o~w~ est la plus ancienne et en même temps

la plus belle, la plus égale de toutes celles qui nous sont

parvenues, car, il faut l'avouer, la plupart contiennent des

inégalités, des longueurs, des platitudes Homère lui-même

n'est pas exempt de ces taches (~/MMo~<«; ~OK/M</<)MM?<

~/o/< Elle est, selon toutes les apparences, du dernier

Page 188: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

taa LRTREtZtÈMEStÈCLB.

tiers du onzième siecte. Mais.snx autcMrn'est pas sérieusement

connu. tna)){re toutes (es recherches <<es & ce sMJet,car on

ne sait au juste nuette a été ta ~rt de travai! du scribe

Tur<')() f't) Tnttn'u')f, (if)'sonnng<j (<')t t'bst:ur d'aittcurs ft i)

o) est ainsi }M)Mrlu urandc maJMritcttu nus aut~s ~xtp~t';)

)K' (t~t'mk's natinnittcs n't'nt p.t-) eu, cumnte ceUcs <)fs

t!cs, ht chance de rcncwtrer mt t; sut~ricutr ))cnr k's

KXtrdotUK'r.)cs tucttrc en <mvrc ut tes «Utf~Mfra ja)nM'.dM

!'tt)< tx'n). Ot) \')jt scutcmt'ttt qMt'fauteur de ta CA<<~<'M</<'

A*f'/ devait être d'uri~tnu nurMMmd*: en efR't, t<' texte

urininat est en diatecte aunto oortnand. Viorent enst)!tc le

t7«)<«'< </( A7wx. )e ~/t'w(~f (tM/<ww< A'<f'w/<' C«w~M/,

<7<tnMA/.<< r<«M,<~«r /t' /~«~«~ ~w/t f/ /!wt7M,/<wn/a<wt/ /A<<t, ~H«/<A A'<'MM</A'M,t:t<Ct:dernier pt~m<:<~M<}ueest te sbu! <)<)!ait été eom~se en tangue d'oc car tes

t'r<t\et)<;aux, si Ke«t)ds dans ic Kenrc lyrique, avaient )e

t'aractere tn')) te~er et t'hateine trop courte {MUrécrire des

epunees en huit ou dix mille vers. Mais les chansons de

~este de t'eucque primitive ne tardèrent pas ettes-memes

a sttbir des atterations, <)es modiHcations et surtout des

additions consideraMes. tJe tneme que les cantitenes s'étaient

trans<ormees en poèmes courts et concis, ceux-ci s'a))on{;erenten piment de main en main, ou plutôt débouche en bnuche i

car on ne songeait guère alors à rcspccter la propriété litté-

raire on s'occupait avant tout de faire plaisir à ses audi-

teurs et de prolonger ce plaisir le plus possible.Kn même temps des changements d'un autre genre s'intro-

duisaient dans notre épopée. Ses premiers auteurs avaient

peint les m'MUrs rudes et les caractères énergiques qu'ilsavaient sous tes yeux. Le prestige de l'empire ou de la

Page 189: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

t87LA POÉStE FRANÇAISE.

royauté étant tumué peu a peu, s<~ustes faibtcs successeurs

de Chartctnagne, les pontet qui vinrent ators représenteront

dans tours chants Mn souverain débite. impuissant, presque

tidictttu, cntottré d'une cour de hitot" barons plus forts que

lui, toujours t)ccu)~sdc!i~Ufsctdcrt'v<t)tt's; c'était t'unu~e<)t!)a triste ~))<'<}nede !.<tt))s)c t''i(io<'ant.t'mx <~)isurnirentcnct)ff plus tan) nxrt'nt en scmc <h's cht'~a)!crs, t't tf<s

tnvotnntaironcnt, c<Mn)nc)c-.})fi))trcs Hamands qui prêtaienta la Vio~e )cs tt.tits et le cnstunw de tenr.s n"rissat)t('s

épouse' us donnèrent au K~ em)'<'r<')~ )<' <y}tc du rui

caj'ctien, Ases douxc pairs les '.enttments et les nttfurs des

croisés; ainsi de suite. C'était toujours ta geste cartovinRiennc

qu'on décrivait mais chaque tableau reproduisait les m~urs

contemporaines du poète, avec ce mépris inconscient de la

conteur locale qui est un caractère si t;cn<rat au nut~'en a};c. .e

même sujet, la même chanson passa donc successivement parautant d'états différents qu'elle eut de rédacteurs et ces

remaniements, ces rajeunissements rendent très comp)i<)Ut'estoutes les questions relatives à t'ori~ine et a t'a~e de chaque

poème. Nous n'avons pas a tes débrouiller ici d'ailleurs, cette

tache a été compendieusement remplie par l'érudit le pttts

versé dans la matière, et nous n'avons plus a désirer, pourêtre entièrement édifiés, que t'achevement de la belle publi-cation entreprise, il y a déjà ptus de v)n[;t ans, t' l'auteur

des /h /W(M/j. Nous devons nous occuper surtout

de l'état de choses existant au treizième siccte, en nous con-

tentant, pour tes temps antérieurs, de retracer les grandes

lignes.

Or, M. Léon Gautier distingue dans la période de splendeurdes chansons de geste, qu'il fait commencer au dixième

Page 190: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.188

sieste et finir vers t'avenoncnt des Valois, trois epm~uesou

troit états )Ntr)xiteme)tt caractérisas. t~ pronien* etttxjue

qu'it appelle )'epo()ue héroïque, va ju~u'en t tj7 environ lu

seconde, t'cp<x)ue serni héroïque, va de 037 <226; fit

trci'.H'mc, t'~jxtjuc tt-tt~e, va de ccHe ttcrnicrc <))ttc au

cttnuncnccmcot t)f lit <)t'cndcnc< vers 1328. t'ontmc ty~s de

ces trois ~corcs un put cher ~ur le premier, la ~~<t~f<f

</<'À'f'A<~f/,«u se rc)1cte))t, sxrtcut d<t))sle tr~i~ue récit de

ta batnitte de !{"t)ce\)tMX.et ))t )nA)e Mbt)et;ati"net ta /~</«

prt'stjut' s.tt)vo); d~ ))«)Mn~dt' ter 'h' )« jtretxierc cr<'i'.a<)<'

))<)urle second, )e jKtone de A\WM«/ </<'J/<'M/«MAtM,et

notamment )'e))is<'<tedes quatre fils Aynwn, où le cu:ur

humain apparait déjà un peu plus amolli, moins inaccesiitbie

aux seuti)))Ct)ts ordinaires ~ur le troisietnc, )c roman de

/<7<' <w.<~MMf~t~<<'</t\où l'on trouve des nuances ptus

ranRnees.une anatyse ptus detatOcedes itnpressionsdet'atne,trahissant un milieu titteraire plus avancé. Les deux derniers

de ces jKietoesappartiennent seuts au t;enre en faveur dans

le siècle que nous étudions, t'our cn donner au lecteur une

légère it)ee, voici, traduite en français moderne, par l'auteur

des /<y~< /)w/(M/.t<f, ta bette scène ou, dans A'<M~/

~«M/<M~M, tes quatre fils Aymon, de légendaire mémoire,chassés du manoir paternet, mourant de faim et de froid

dans la forêt des Ardennes, cèdent au violent désir d'aller

revoir teur mère

< L'hiver fut long pour les quatre frères, et ce rude hiver

fut suivi de six autres. Sur leur chair nue, ils portent leurs

hauberts. Ils sont velus comme des ours ils ont la peaunoire comme de l'encre ils conduisent leurs chevaux avec

des harts en guise de rênes. « Ils sont en Ardenne, les fils

Page 191: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉStK MAMÇAtSt. M9

< Aimon, !h sont presque nus, Quand U ptcut. quand il

<tvfntf, quand it ~tf même. Chacun est sous un arbre.

« son ecu a son cou. Son heaume tout rouitt~ et son épicu

< brise. Oh que l'hiver les ennuie, t'hiver qui fut si tong t

< Kt comme ils desiraient que l'été revint Hn<)n un

st'ufue chaud ~s.~c un jour sur leur fr"nt c'est te ntt'is ()e

mai, c'est t'ete. !)s <fe)Mis'.eMt,ils espèrent une idée tes

saisit: < Si n«us alliuns voir notre n~re, qui a tant fteure

cause de nnus ? Ils )' vont, tnais en se cachant, mais c<t)n)ne

<)es«nqMtMt's, n~M en tniurchtuu )a nuit et en donnant le

jour. t.c voyage fut dur. Un matin, ils .q~ercurent tes murs

du château de Uordonc, et d'~tnotinn se pâmèrent, i'outeft'is,

avec une témérité admirable, ils pénètrent dans le palais, Ils

sont meconnaissabtes, on les prend ixntr des ermites, on les

accueille, et ils s'asseoient a ta table paternette. < Leur mère

< sort de ta chambre, dont ta porte est ouverte t'~t ses

« fils ta regardent, tenant leurs têtes basses. Atard, dit

< Renaud, quel conseil me donnex-vous ? Voita notre

«mère je la reconnais bien. Frère, repond Atard, pour

« Dieu ) attex à elle Contex-tui notre message et nos

« ({randes misères. Non, non, dit Richard Ic preux et

<[ t'atosé Sire Renaud, beau <rere, attende:! encore.

« Les quatre frères donc sont dans le palais ptenier. Ils

« sont tout depouittés, tout misérables; n'ont pas un vêtement

« entier, Laids et hideux comme le diable. Quand la

« dame tes vit, fut rudement émerveillée En ressentit

« une tette peur.qu'ette ne put se ranimer. Mais bientôt

« regarde Renaud, court lui parler Et tout son sang déjà< frémit en elle. Dans le palais, voilà la duchesse qui se

« dresse, Et qui vuit changer les traits de Renaud. JI

Page 192: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LK TRNZïtMt SttCLE.190

<(avait Mue cicatrice sur le visage, devant S'était fait

< ccHt! ptaic o) jouant au M««~. étant petit enfant. Sx

< mère te reK''rde, te reconmnt. Renaud, dit-ette, si tu es

« Renaud. pourquoi te cacherais-tu ? Heau nts, je t'en con-

t jure, au nom <tu Uicu puisant, Si tu es Renaut), dis4c

< )nt<is.u)<itftr'tef. Quat)d Rcnau't t'entoM), il veut c~che)'

< SM'.)ar)nc- t~t duchc-iso )cv<tit,t)e d"utc )'tus. )')cur.mt,

< )t.'sbras !cvcs, v.t b.d''cr s<'))cxfaxt, fuis tous )cs autres,

« cunt fttis <)csuite. t'uur tout au tu")x)c, ils o'cusseot j~ts

< dit une pnn'k'. )»

< Ust-ce êtrc fxaHcr~, ajuutc te traducteur, <(uude ptnccr

cette sc~ue, je uc dis pas au-dessus, mais tout à côté (tes

j)!us beaux passades de r//M<A*ou de t'~fM< Nous ne

)c rusons pas. t'e qu'il y :t de certain, c'est <)uerarement nos

épiques français se sont eteves a une tcHe hauteur c'est que

nnus smnmes en présence de sentiments très naturets, fort

natureUemeut rendus c'est que \oi)& une mère, une vraie

tnere, et de'i chevatiers chex qui te poids du haubert n'a pas

ét"uHe )e c<eur. Ils pteurent véritabtement. et nous pteurons

av~'ceux ('). )~

Mais mâture )a poputarité de ces nouveaux pommes, il ne

Htut pas croire que )a C~MM ~W<w/ eût pentu la sienne

au temps de t'hitippe-Au~ustc ou de saint Ijouis. On la

récitait sous une forme quoique peu rajeunie, modifiée sui-

vant )e noutdujour, avec des rimes au lieu d'assonances, avec

un dénouement moins terrible mais enfin plus de quatre-

vin);ts couplets de la version primitive subsistaient tcxtucHe-

ment dans la version nouvette, et un très grand nombre d'autres

n'avaient subi que des retouches téKeres; c'était toujours notre

t. t.. (iautier, ~t/Mx(<ttMt.)t, h~et Mi<.

Page 193: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

t9tLA POÉStK FRANÇAISE.

première épopée que t'en chantait c'était toujours notre

Hiade, a~fc tes impoMntes figures de t hartcma~np et de wï

pairs estait toujours la t;t' militaire de la grande nation

catholique, et t'en peut %oir par l'histoire de la première

croisade de saint Louis que te caractère de Rotand entendrait

encore des i<nita:eur<, que cet admirable type du preux

faisait encore ecote. Gautier de Chatitton. J«imi)!e, le cotnte

d'Artois, le saint roi lui-même le repr'ftuisirent avec tcu'e ta

sup~rit'rit<~<tc mérite que l'histoire a sur ta tenende. Elle

n'était pa': venue, t'hcurc où la source de )'her")''tne de~'ait -.<*

tarir chex nous. Rtte n'était pas venue, l'heure de t'en~ourdit-

sement, l'heure des compromis de la conscience et des dc(ait-

tances du cœur.

Kt)c n'était pas venue pourtant elle approchait, t.e

treiitie<nesieetc n'est ptus, a proprement parter, un a{;e épique:itest tropcivitise pour cela, La littérature <iqm' vitatoM

sur son passe, et, si elle produit encore quoique chose de neuf,

comme .h<<<~<M~/M<~ ~7~'<<<w, /<</< <<Mt

~M~t~, /~w ~<~<«', tes /w«y f~7AM<M/<7'Y<vM~<M,

~'«~ <7/~f~f/<A'~M<À'tWW~AwAw~ ce neuf n'est

{{uerequ'une adaptation ou un devetoppement de t'ancien

fonds. Hn effet, ne compose pas qui veut un cycle épique. Un

particulier, un poète inspiré peut écrire une ode, une tra~die,un poème. Mais, pour! enfantement de toute une épopée, i) faut

la complicité inconsciente d'une nation entière, it <ant t'Ame

d'une nation, il <aut des millions de cœurs battant t'unis"

sous l'impression d'une même pensée et d'un même amour

il faut, de plus, que cet unisson se produise à t'époque ou la

race est jeune, pleine d'avenir, ptcine d'ittusions; il faut

enfin <tue sa prédisposition à l'enthousiasme soit servie par

Page 194: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LK TRRtZtKMR SIÈCLE.t9a

quctqu'un de ces cv<?ne<nent''d'une portée exceptiwnnette

qui t-h«n~*nt )x fittf du m<'n<<<'ft frappent viotftnment

t'int.t~ination poputaire. Que ces divcrset condition-: se

trouvent réunie'), et te montent psvchoto~tttue sera venu. li

vint )Mtur )c'. <<rccs, te jour u!) tcurs jx'iocijutux cheft, '-c

;)f)'t'ipi(.u<tsur t'sif. ')M\rirent (curcuritMit~, .'ttcor aviftit~,

a tours itr~tcurs bcttujMCM'fste )ww)c tnyst~rieux ttc t'Ofient.

t) t't' \it)t («tiot })«ur tfs Romains. (mrceqM'its t«'ttticnt )'hw.ittt <<')))))s<)t' )<'t)rs c<))))(ut't< t))) ttfH(<)c «s'x' pritnitift'M;< tA'st <)))'u))c<?j"))x'c arti<)m'))t', mn' c<ttt~M)sitit))t

it)'tivi()ttt'))f et s:<v.t))t< H vint )«)Mr(it race r"tnot)c, )X)nr ):t

t;rHtM)c(iuni))t' ))co-)a«ne, quand, rajeunie )Mr l'infusion du

sann f;prtT)!t))i<jUcet surtout <)c ta nnuvc))c tn<'ra)cevant;c-

titjuc. f))t' assista ;'(ce tncrvcitteux s))c<:tac)cdu viei) etnpirc

dOtcidt'nt ressuscita sous une fortnc fhr~tictutc et de )a

r<'))t)i't<)de toute ta société tathoti'juc sous Ut)sct'ptrc unique.

ass~'y.fort j<"urrefou)er la furieuse jmussee de la barbarie exté-

rieure.

Or, &ta ()n <tnrenne <<esaint t.onis, rien de pareit n'existe

)'!us. t.'unité du )non<(echrétien est devenue une unité toute

morate ta race française est déjà en (tteinc maturité, en pleine

civilisation tes moeurs sont sensiblement adoucies bientôt

toetne ettes vont s'aftadir. De tnetne qu'i! se troute encore, a

cette ejxxjue, un certain nombre de chevaliers de la vieitte

roche, il y a une ecotc de trouvères classiques, jj«ur ainsi

dire, cultivant toujours la {{rande cj<o)Me cartwin};ienne.

Mais on commence aussi a voir surgir une chevaterie

nouvcttc, plus etc(;antc, plus ramnec, ptus ratante, et à cette-ci

corrcs;)ond tout un {;cnre particulier de poésie dont je n'ai

pas encore parte ce sont les poèmes de chevatcrie propre-

Page 195: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉStE FRANÇAtSE. <93

tnont dits, ce 'nt tes uttcrntiutdttfs rumtu)-. de ht )id<)c

Roodc.

L'imafion <)fff ))"uve:tu cyctc fut fn tjUfttjUe-iortf une

rc.tcti"u,t)nt.'rt't.<t)cht' dt''iat)c)~'t)nfs )<))dfsn')tittucssur tn tittcrature r«tm<tnj ~cnnxnhjMe.!.cs (i)bt))t't)'t"<Mtc))-

turcs (tu rt'i Artu'' et de sit cttUf cttUfttt ch'ttXn'-t d~tMif

Ut) t<:)Mp<itn)nc))!"ritt) ct< HrftHK" "< ))'ti«)ne hrct«)t

t)'<'U)t)tt' c<'))))'ri'' 'tes !n)))~i- cft that)<<, t)'nm' 't\ct))'

totttc tt~ttc, t)'jt<«i~'))tt~< f" <)<hn jt)St)U<'!.t.tt <rt'i<ic)))t'

.i~f-tc, nn se fn<t h't <Mt<Mi<f<*t)<««'< <'<<(<('<' «""

tmjt.tnwtt, <<<ï)"i '(f M"))<ott'ttt)) h'~ )t~.(i<ft'cuci))i'<<'t)

tittit) t('it}'fti!<un V)et)Mutcur apt~te Xottttus, et) tes ~'tutx.')

)i~tat)<d'tmc <n n"tab)c. t't) tteu ptus t)tr<t, t hrcticx de

t«'/t:s av.tit cott))' .m't' <c t"))'ts df )~)-'ttt)c'<hrct«))tK's

/:<<'<<'<*/A*. te <<< fW //tW, /'<«'?~ ))t <~w<A'.

t<'t<tc)tdcJ<t()«ttt'twt<tt)tfU!t<t'Uff<'ttttt<;r<'ttt/(~

<w'</A<< )~A'< .tt/Mj, /.t<Wf7< y~)<<M,)!<~i'~(/<7<'<<

.S< ~<M/ et <tuc)<)t)c)<rotn.tttt et) «rnsc. Mais ft' tt'c~t

t;MLfCqttc tCfS ta ftt)<)Ufc(;<t'* 'r))t)t t.<'M)'<<)ttt'«"t H'tMjMtsitions se tnuttijtttcfc'tt, "t. <)~.noitts que tcuf v<'t;uc)tt<t))Ct)<c

cuttttncn~a. )'~))c<se fc't'.etnhtcxt toutes. < t~: f«i Aftux ttcttt

« t)))t<t~tnct))cttt sa <;ouf :'<Caff~oo t)t) chevatiff tttcontot

< sc pfcscotc devant )t"t)tuf<'s rastc)n)))c-<aut'htr de ta

< tabtc-R'Mtdcct dcKc t't))) d'entre otx Mt)c'Mttb.ttsit)}{tt))cr

<!(s't:nt;K<*''ur-)e eham~.et te «outcau tenu rc-.tt: toujours

< vait)<tucuf. Ators it se remet et) f«utc, tcritabtc ch'dicr

< cfraot (dont te (a)ncux don Quichotte nous «O'nf.t plus

<(taf<t la caricature trop tacite), et se précipite <) aventure'!

<f en aventures. H est a la recherche du S:unt-(traat et ne

<:s'arrêtera que toreiqu'itaura trouve cet tnconparabte tr~ior.

Page 196: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME StÈCLE.t84

< (<' ne sont )~x.' châteaux )n)'stcricu<. taverne-) masiquft,t,< rcncuntrcit inc~rctM ('). x Kn un mot. c'tMt t<<~Vfnant aprfs t'««A' t'est t'avcnturf substituée a la ~f~f,et) )<ttc))()antque ic simple ntman 'tu in&mele {~ofoieherot-

n')nit)Mc se substitue )Mt~~une purement ~en~que.~ peu pr~c")ntnc <)cnus juurs m. ynit au théMre t'n~rctte supp~ntcr

)\'(tcM.

t. cycle <)'rtus t'u <t'rthurcst au cycle <)f t hartona~nf

ce '(ne ).<chcy.ttcric forutMOttëc du tonps des Vatois est A la

ch<'vn)<*ri<'tir <f)' <)t~<emi'mtt)* ce t)uc Rcnc d'Anjnu est A

<!<'<)ufr"it)<)c)<')ui))t<)).('c u'est n~tne ptus uno <))o{~c car,

au lieu d'ctrc chantes, )ct ~«:tncs t)«nt il se compose sont

ft<)it{<<<~ prime abord ce sont des ouvres ~rsonneOcs et

)*rctt)ct)it<I<;s,non plus rentortisccncc s~'ntancc du t{cnic

jtoputairc. non ptus tatouanttc dcsvcritabk'sMros nationaux;

car la «rcta~nc, jus<)ucta, n'avait jamais 6t~ la France.

Tettc est ~turtant ta titt~rature qui détrôna peu a ~u notre

vraie poésie épique. lutte cntMn&: entre ettes tourna, des

le <)uator/icmc sicetc, t'avantage d<: ta TaMc-Ronde, et la

mode nouvelle précipita la décadence de n<Mvieitteschansons

de {;este, qui reçurent le coup de grâce le jour où, après les

avoir démesurément atton~ées, surchargées, on tes mit en

prose pour tes défigurer plus facilement, ï~e voile de l'oubli

jeté par la Renaissance sur toutes tes productions du moyen

a~e vint ensuite achever ce que t'anadissement du goût avait

commencé.

Après avoir répondu brièvement aux questions qui regar-

dent l'origine et le caractère de notre poésie épique, il me

t. t..U.<utiM.~M<<dr .t/M~<MM~w.Cf. /~<~M/~<~o««,t. 3*0etsuiv.

Page 197: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉStE FRANÇAISE. t95

reste A ajouter un dernier mot sur la manière dont nus

~pop~es s'éditaient et se propageaient. Je ne parte pointici de leur propagation .'t t'~tran~er, où cependant ettet se

répandirent (te bonne heure et servirent (te vëhicute A

t'innuence française, ntais (te leur ut~nrtsatinn cheit te j~euptemûtne p<iu)'qui ettes étaient t~ites. Comme nous i'a\on'< vu,la plupart det chaosons de K' étaient iutonytnc! On sait

bien tes noms d'dencs te Roi, de Gautier de Douai, de

j)<er randde Har-sur-Aube.de ftuondeVittenenveetdedeux

nu t nutn"! tt'ou~'en's, nuteurt de \'en<iont ou de manu-

scrits x. nontant au trei~'tne siècle. 't'outefois la paternitéde ta plupart d'entre eux est encore incertaine l'auteur

prétendu n'a été souvent qu'un simple compilateur, moins

encore un scribe ou un copiste et t'on n'a jamais pu

justifier, par exempte, l'attribution <aite au nomm~ 7M~<

<~ de la rédaction que nous possédons deta~XdWt<<

À'<~tM< Kn plus un po~me est ancien, ptus son

origine est obscure, toujours par la raison que Ics premierssont sortis spontanément et peu a peu du génie populaire.Le rôle des auteurs ou des eompi)ateur:i s'est borné primi-tivement à recueillir tes chants et a rédiger te~ manuscrits.

Les véritables instruments de la diffusion des chansons de

geste, tours véritables éditeurs, c'étaient les joncteurs (y</fW-

/t/<w.f, joueurs). t~s jongteufs étaient des chanteurs ou des

déclamateurs qui se transportaient dans les châteaux, dans

tes vittes, dans les villages, avec une provision littéraire

suffisante pour charmer tes toisirs du dimanche ou les longuesheures de la veillée. Ils étaient tes colporteurs de la poésie

nationale, et it fallait bien tes employer, puisqu'il n'y avait

ni imprimerie ni publicité réelle par la voie de l'écriture. Ils

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LE TRE!Z!ÈME SIÈCLE.196

avaient grand soin d'imposer à fauteur ou au trouvère leurs

conditions et de tes rendre aussi onéreuses que possible

pour lui (je disais bien que c'était de vrais éditeurs); ils

lui recommandaient, en outre, de consacrer quelques vers ~1

bien déprécier, qu'on me passe le mot, a bien éreinter les

autres joncteurs ()es mœurs <<ela confrérie littéraire ne sont

pas d'hier, comme l'on voit) et aussi de rimer un appel &

la gcncrosité des auditeurs. La quête dans l'auditoire four-

nissait. en effet, au joncteur le plus clair de ses revenus.

Voici comment tes choses se passaient généralement. Un

étranger, vêtu du costume de la corporation, arrivait tout

poudreux dans un vittage on signalait de loin son arrivée

Voilà, voilà le jongleur U allait jusqu'à la place, tirait sa

vielle de son étui, et, après avoir préalablement imposé

silence a son entourage, haletant d'impatience et de joie, il se

mettait à chanter sur une espèce de récitatif un extrait du

AffMM~f~<t<M<'<t~,ou de la /~<t<7~' /.<«{/5'f oudes ~M/!tMttt

(~K<7/««M«',ou de toute autre chanson de geste. Au milieu de

son récit, il s'interrompait et réclamait son salaire en fort

bons termes ('). On a rapproché avec raison ces personnages

des marchands nomades qui traversent de temps en temps

nos campagnes en exhibant, dans de petites voitures, toutes

tes séductions de la Bibliothèque bleue, parmi lesquelles

figurent encore les (~M~v fils ~f~MH et les Co~~A~r <~<

~VMM</CX~/<'w<~< roi ~f /<M<v. Je les rapprocherais aussi

volontiers des artistes ambulants (artiste est un mot poli)

qui s'en vont répandre parmi les ouvriers, parmi les paysans,ces rapsodies populaires dont la vogue subite ne saurait

s'expliquer autrement. Toute la différence est dans la qualité

t..UMtier.~f ~t.</f.Mf<MM.t. et '"i*.

Page 199: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE FRANÇAISE. t97

t<XnftiM.Btt.«!mt.

de ta poésie colportée. Mais quelle n'est pas cette différence 1

On nourrissait l'Ame du peuple avec la ~4<t~~ </f~Ai~

je n'oserais même pas nommer ici les inepties et les ini-

tions dont on l'abreuve aujourd'hui. Comment s'étonner, après

cela, que ce même peuple, qui se précipitait à la guerre sainte,

se rue aux barricades ou dans tes cabarets?

Les jongleurs n'étaient certes pas une classe très morale.

En faisant les beaux esprits, ils visaient souvent au rôle de

séducteur, comme les troubadours du midi. Aussi le roi les

bannit-il un beau jour de son palais aussi t'hgtise les frap-

pait-elle de condamnations sévères, quoique les prédicateurs

établissent soigneusement la distinction entre ceux qui débi-

taient les gestes des héros et les histrions qui couraient les

festins et les tournois, pour exciter par leurs chants a la

débauche ou à la cruauté; aussi voyons-nous le célèbre Fotquetde Marseille, qui avait été ~~At/o~ et /w!'<t/< et qui était

devenu évoque une conversion éclatante, rougir de

confusion en reconnaissant, a la table royale, une de ses

propres chansons dans la bouche d'un de ses anciens con-

frères, et se condamner à ne prendre que du pain et de

l'eau pour expier ce péché de jeunesse. Mais les accents

généreux qu'ils faisaient retentir aux oreilles de la foule,

l'enthousiasme guerrier qu'ils excitaient, lorsqu'ils mar-

chaient à la tête des armées, en évoquant d'une voix dra-

matique les gloires de la patrie, doivent relever à nos yeuxle rôle de ces Tyrtées nationaux, et faire reporter sur eux

une petite part de cette sympathie qu'éveille dans nos âmes

la légendaire épopée si bien popularisée par leur concours.

Nous nous demandons quelquefois où sont les parolesardentes qui lançaient les masses de l'Occident contre

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LE TREtZtÈME SIÈCLE.198

l'Orient païen, où sont les traces de la prédication des

croisades. Eh bien 1 elles se retrouvent dans leurs chants.

Sans doute, saint Mernard, Foulques de Neuilly et leurs

imitateurs prononcèrent, pour grossir les rangs des croisés,

maint discours chaleureux, dont il ne nous est pas parvenu

une syllabe. Mais les poètes et les chantres populaires, ceux

dont la voix allait remuer jusqu'au fond des chaumières la

fibre du patriotisme chrétien, ceux qui exaltaient sans cesse

et partout les exploits de Charlemagne et de Roland contre

les Sarraxins, voilà les vrais entraineurs, voilà tes vrais

recruteurs des grandes expéditions d'Orient. On a cru recon-

naitre dans la formation de nos premières chansons de geste

l'influence de l'esprit des croisades mais ce sont bien plutôtces poèmes qui ont développé l'esprit dont on parle, qui ont

enflammé d'émulation les héritiers du magnanime empereuret de ses guerriers. La preuve, c'est que la naissance de notre

poésie épique a procédé t'inauguration des croisades. Ettcs

ont tout au plus concordé ettes ont été deux phénomènesconcomitants. Et ce qui rend tout à fait frappante la corréla-

tion de ces deux grandes manifestations, c'est qu'apparues

ensemble, elles s'en sont allées ensemble la fin du siècle de

saint Iouis a clos à la foischez nous l'ère de l'épopée chantée

et l'ère de l'épopée en action.

Aujourd'hui, de chute en chute et de décadence en déca-

dence, les jongleurs en sont arrivés à n'être plus que les

hommes qui jonglent, et les beaux restes de notre légendenationale à ne plus laisser que des traces grossières dans

d'affreux petits livres à couverture jaune ou bleue, ou dans

tes produits plus affreux encore de l'imagerie d'Épinal. Ces

caricatures peintes et ces caricatures écrites sont doublement

Page 201: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE FRANÇAISE. i99

odieuses. Seul, un petit groupe d'érudits connait la véritable

physionomie des originaux, les versions authentiques et

primitives, et s'efforce de tes faire connaitre au public indif-

férent. En soulevant un coin du voile jeté par l'ingratitude et

l'oubli sur tant de chefs-d'œuvre, en contribuant A rappelerl'attention de nos contemporains sur la grande épopée

française, ils (ont preuve du patriotisme le plus sérieux et Ic

plus éclairé.

Page 202: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

CbapttMtMtt~mf LA POÉSIE FRAN-

ÇAtSE: POÈStEDRAMATÏQUEErLYRtQUK.

SUMMAtRE. Le tuyat&ro ou (tf~mo n~cr< on~eodr~ par)M tropes )iturt<f't" S'ttt d~vetoppt'ment t{f~due). Forme

rt'wttu'' psrct' tjfn' dit c«t<tpo!t)t)on au tfti))t)tn)o sitote. ï*f~-

parattun dm actt'ura mtM on ac~ne. 0<!cM<<t'nco du th<~tra

du nx'yoAtjt'. Lt't truut'auuurs." Lospo&teit tyrtquea fran-

çMi'i. Cuoresdtvetn. Lu fattte ut lu f<tbU«u.

n<'trc )x~sic cpi~uu est csscntiet)en)ent mititiurc

<t:ms son p)inci(M, nutrc tit~r.tture dramatique,

en revanche, est surtic difect~mcnt <te t'Élise.

Le mystère, qui composa d'abont à lui seul tout te théâtre

du moyen âge, dérive en droite ligne de t'omce liturgique, et

même, à sa naissance, il se confond avec lui. Or, ce drame

sacré ayant engendré à son tour le drame profane, on peut

dire sans exagérer que notre théâtre moderne, sécularisé,

pagauisé par la marche des siec!es, est essentiellement reli-

gieux par son origine. ~/<<M//<<w«/«//<~<t~<7/o La société

chrétienne n'est, d'aillcurs, pas la seule où ce phénomène se

soit produit. La tragédie, qui était le drame national des

Grecs, na(luit chez eux, comme son nom seul l'indique, d'un

hymne à Bacchus, transformé peu à peu en dialogue, puis en

véritable scène. Un des érudits les plus compétents sur la

matière a exprimé cette vérité d'une façon très heureuse

« L'histoire des progrès de la tragédie en Grèce, dit-il, c'est

l'histoire des empiètements du dialogue sur l'hymne, des

Page 203: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÊS!E FRANÇAISE. sot

personnaget sur le eh<fur ('). » Kh bien t (le même. t'histoiru

du développement du théâtre au moyen âge, c'est celle des

empiétements du dialogue sur les tropes de t'umee divin, de

l'élément profane sur t'élément liturgique. Et ce n'est pasle seul point sur tcqne) un trouve une corrétation frap

pante entre tes origines littéraires de la nation hetténique

et les nôtres. L'é~tpée natiunale, nous t'avons vu, s'est (or)nt'e

chez nous contme ettei' elle, sous t'onpire des metnes causes

et de la mente situation. les Romains, qui sont nos ancêtres

ptusd!reets, n'ont cependant point passé par des phases anato

~ues, parce qu'ils n'étaient pas, comme tes Grecs et comme

tes Gallo-Francs, une race primitive. tt faut, pour qu'un

peuple s'identifie à sa rcligion au point de la mettre en scène

et d'en tirer tout un théâtre, les précieuses qualités de la

jeunesse, la vivacité de la foi, de l'imagination, et par dessus

tout l'enthousiasme: or, Ics Romains ne pressèrent d'en-

thousiasme que pour les hommes et les choses dota Grèce; ils

n'eurent point de religion nationatc, point de culte indigène,

car ils empruntèrent celui d'antrui et, au commencement, ils

ne formaient même pas une race. Une grande originalité était,

au contraire, t'apana~e de la poésie germanique, et, lorsquetes

tribus franques eurent rajeuni, en s'y mêlant, le sang des

populations gauloises, lorsque surtout le christianisme eut

vivifié ce métangc par sa sève toute-puissante, il en sortit un

peuple nouveau, un peuple jeune, ayant sa vie propre et ses

traditions à lui. C'est ce qui fit qu'il y eut une épopée fran-

çaise c'est ce qui fit aussi que nous eûmes, presque dès

l'origine, un drame national. Le nom générique de ce drame

atteste à lui seul son caractère religieux il s'appela Ic

i. MariusSepet,le <~Mmff~n'«f<<Mm~<M< p.<o.

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LE TREtZtÈME 8!&CLK.aoa

<wfjA' comme tes cérémonies de t't~tisc ettes-mcmes il

devait étre la représentation mystérieuse, syn~botique. des

grandes scènes de !'Évan({ite rappelé-! dans t'ofnee divin.

La partie de l'office qui donna particulièrement naissance

aux mystère' je viens de le dire, c'est te trope, c'est-a-dirc

cette interpotation liturgique que l'un voit se ~tisser, a partirdu dixième siècle, entre tes (Hn~rents tnembres, entre les

phrase'; n~<ne <)n texte cant'nique, )t«ur )e paraphraser, et

qui prit insensihtement )e-) pr«p"rtiuns d'un tnorceat) de

~x'sie an)t)«n"e '< )'h}'tnt)< <'t) t tx pr<'s< Non <ieH!e<nent

on at)<tt)t;eade plus en ph)s )es tr<tpes, mais on les tnit en

action on fit chanter par des ptrsonna{;es din~rcnt!! les

panttes mises dans )a bouche de Jf:sus-C))X)ST, de Marie,

tic Lazare, etc., et par t'enscmbte des ndetes le corps du

récit, absohnnent eo)n)ne dans la tra~die antique, où une

partie des faits intéressant l'action était simplement ra-

contée par le eho'ur. ( 'est ce qui a lieu encore dans le

chant de certains ofIRces, dans celui de ta Passion, par

exempte, ot) les voix alternées constituent un véritable

dialogue. r.a simple commémoration du f~ut évan{;éti<)ue

devint donc successivement une narration détaittée, puis une

narration dialo~uée, puis un .f«w~ ptus ou moins déve-

loppé et cela se fit par une transformation en quoiquesorte inconsciente, sous l'influence de la ferveur et de l'enthou-

siasme du peuple Hd~te,qui voulait se représenter sous une

forme plus saisissante les origines du christianisme, en

repaître ses yeux, et même y jouer un rôle. Mais, dès le

premier moment, quelques tropes revêtirent aussi le caractère

dramatique. Ainsi, vers la fin du dixième siècle, voici ce qui

se passait à la fête de Noël, entre le Te /<w qui terminait

Page 205: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉStE FRANÇAISE. 203

tes matines et t'f~ dt' )n messe. Pendant )'es))~cc d'en-

tf'atte qui s~p~fitit ces deux ottites, deux ch'~urs. personni-

nant les an~es et tes ber~ert-, échangeaient en latin L's )tar")cs

suivante-)

I.):s AKCt's. < Qui chfrcht'x-\t'us <)i)))s )a crccht', <)itt's,

ttcr~'rs ?7

!.t:s )'t:Kt.t:Ks. !.c Sauwur. tt- Christ, te St-i~nt-ut,

)'t\n(ft))t ~))\c)<')'jK' <)f ).u)~cs. sc)«x ta j~n'tc a)t~<'tiqt)t'.

t.~SAXCtS.–t !.e voici. t< ~'tit t'nfaxt.nvt'c Marit'.s.t

Mt''r' <tf tjni pn'ptx'tisit, i) y a )<'))j.;ton)'s. ts!t«\ <)is:)t)t

V«i'i t)t)'U))cVicrt;t'c<'ncc\m et fnf.tntcra on ())". A))t/ ')<~)f,

et ftitcx qu'il est n~. AOchux!

LKS )t) n<:t us. < Oui.maintenant, nous savons uit-n<)<'<"

)t' Christ est n~ '<(trht terre.

« ( hante/. <)<)nc tous son nvenetncnt, r<p<tant avec )e

prnjthcte Un enfant nous est ne, etc.

)''ritnc))issf'ns <)e))x siectes. et voyons ce qu'est devenue

cette petite scène primitive, cet e)n)tryon <te <hntue. qui n

encore une cou)eur toute titur~iqne. t)'at)or<), ses jtroportious

ont augmente puis tes rotes se sout subdivises la mise en

scène s'est ))er(ectio)nh'e enfn) t'etement ;)rof!<ne y a <teja

quelque peu pénètre, car la tant;ue vut};~ire. te vers français.

y ont fait leur apparition, et c'est ta un changement caracté-

ristique, indiquant que nous n'avons ptus anaire a un texte

liturgique. Un un mot, te diato~ue des annes et des tter~ers est

devenu une véritable composition dramatique, connue sous

te nom de /~ww<~ /'<M/<w.<('). Cette composition repré-

sente la seconde phase du mystère, son 'teuxieme mode

d'existence, et cet état de choses dure depuis !a fin du

t. ).*ana)yscdt'ec<!r.u)n'a~t~duntt<jnrM.MariusSfptt.~.< p. 67<'t'.t'tv

Page 206: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

aM LtCTREtZÏÈMESÏ&CLE.

doufteme siècle jusquevers te commencement du quatoniieme.On emptoie, pour définir cette <bnne interme<ti<ire, )f terme

de mystère ou (te drame jfw /«~~M'. Htte onre, en enet,

une transition évidente entre la scène purement liturgique

<h) premier et le mystère devetoppe ju~u'A )'excc:), en

trente ou quarante mille vers et en plusieurs journées,sorti de )'eg)ise, émancipe, fait pnur être représenté sur

la p)ace pubtique. tel qu'en ecrirt'nt les dramaturges t)u

temps des Vatnis. Un des spécimens les plus curieux <!e

cette transition OH de cette tf.tn<<"tmat!"n ttr«<!tte)te tmus

est nnert par le drame d'Adam, qui est tire d'un ancien

sermon servant de )e<,f'ndans roOHcede Noël. Dans une étude

spéciale, M. Sepet m'us Fa fait vnir passant tour à tour parles trois états de mystère nturt{ique, de mystère semi-ntur-

({ique et de mystère profane ('). Or, l'état tntcrm<!(t)aire,celui

<'t) il se présente aux douzième et treizième sicctes, est peut-être le plus parfait des trois. On y remarque une certaine

invention et des traits heureux. Ainsi, dans la scène de la

tentation, le dOnon, après avoir échoué auprès d'Adam, es-

saye de gagner ~ve par la coquetterie et ta vanité.

L.H t'tAXt.H.

Tu e<fa'Metteet tendre chose,Tu es plus faibleque la rose,Tu es plus blanche que cristal,

<~ueneige sur ~t-u'een un val.

Mauvais couple en fit Uieu, pour sûr:

Tu es si tendre, et lui si dur 1

Mais cependant tu es plus sage;

Tu as grand sens et grand courage

t. Nt</M~M<&A~<~<~o~M.tn. iMS. p. tosetmfy.

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LA POÉStK TRAHÇAiSE. 305

Aussi tnit bon weoirvers <ei.

t~ tuit que Dieu MtMta dot)B<

N'« en !toi )!Mttede bon!<)s

Celui qu'il vous a défendu

A en soi très ){n<nt)eyettu.

C'ttt en lui t)U't~t ({r~cede vie,

t)e pouvoir et de M<t!neu)rie.Ue tout M~oir, et bien et nto)

Ouct ):oCHt-t-H ?i

t.KtMAt't.K.

COettitUt

A la personne, M figure

Mienconviendrait telle aventure:

Le monde Mi se MumeMmit

Ue t'aMmejusqu'au tommet.

Kt, !iubjut;u<par ta M)!C!i!ie,

SaXtfait sa belle dt'e~c.

ÈVK.

Est M)te fruit?

LE tMAHLE.

En vérité.

ÈVK.

tMj~ mon c'Bur est ttanspone (').

Le drame semi-titurgique conserve un caractère de dignité

que ses dérivés ne tarderont pas à perdre. H est tantôt en

français, tantôt en latin tes deux langues y luttent encore,

t. TexterajeuniparM.Sepet.o~. p. <}7.

Page 208: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TRRtZtÈMK SIÈCLE.zoe

C«m)WdtW't«Mtt't.t titt~r.ttMff m)ttt'<M)H'TMWMai- ttttmf

torstnM))t)annm' vu)t:i)irt')~)t~'<)rtf.))<r~u'u))dftt<m'e;it

t"t))p*tsc <«ut t'ntk'r ft) fr<tn',iti'.(ce tpti .trrivf urdinaironent

)<trs<n)'itdoit être j<tt)~d''va()t!cpt'up)t'.tan')ismtfcc(t\<)ui

st'joncntd;u)s)t"t couvents ouduns tes Hôtes s"))tt'ntitt!)t),

"n «'y n'oc"))tff cncttrc ni tes )t)!)<in)ttcsni )c~ ~t)~'ic)\'t<'s

<tt)idt'ht't)"rt'r'tnttc)ny'roA)afituh))m<).'c))Ano.t.s(cctc

<tcs.ti))tt.()))ist".tt'))t<)rt')')t'))!<)cft'!t't<)''rc'')xtt:).t)ict't)n',

ai (')tt' t"<i'.<c'jtttt'jttc )t trt, ))'< ('.f s'cti()cr 0) potttic t't,

<)'ai))cnr-)t')i''ttt(uiM'rtt)'.t'-i)cimt))t':)trt'intt'r<)i<)t"<fi(~t"'t:t )t's jtt.u'tnh'fit"

('C )tCU,il fSt vrai, M'estptMt ('tisc totttC SCM)ffc S<')~

aussi )c< <)'t'n')anct's <)c tV~tisc t-xr tes tu't'<'ssitt''s<)t; tit

tnisc o) s<cw cxi~t'ttt t)t) <-tt<p):tt:<:tncnt)<)ns vash'. ta tes

.t't<)rs «)))))nc )fs sjtcct.ttcurs sf tr.<t)s)M)rt<'t)<<)m')'))tt'f'tis<t't)t)endroit !'t(t))imtr<)"rs<jm').tsH;))M'ic<)t'('):m't<t))')<'

t<-)tt<M(t'm'ks t'))t')t)t'nts :t\ct; )))Ms<)<-)ut~)it< Ainsi, (mmtnc r<'t)(t'ftt)cr dans !c snjt't <n«' j'ai (ttis ((om- t'xcn~'k'. k;

tnystt-tc <)<'sHt'r~'rs s'étant fon'ht avec ectni <)cs Ma:~<'s.

par soitt- <tc ht t<'n<):t))t'c'ht thcatft' a fonm'r connue <tcs

cyctcs <)fatnati<n)cs,onhrass.mt, )fs uns toute la pcfi<«)<'<)cs

f<;t<"<<)t:ht Nativité, tc'i autres tonte la j).'rio<tc pitscatc, et

ainsi (te suite, il faudra <tcs tocaus dif~rcnts )Mturinsta)tt;f ta

partie; <tc faction <)uise passe a i!ct)))cen), ccHe oui se passe

au))a)ai'id'i!cro<tc,ctc.Ait)si,a)apf)rte<)ct'c~Hscou<)c

t'abbayc, sera <tis))os~cla crache dans la cour, se tiendront

te roi des Jui)' avec sa suite, et tes ))ert;ers de Hethteen);

<tans une de< gâteries du c)«itre, seront cachés les scri))cs et

tes pharisiens dans le chu'ur attendront les moines charges

de n~urer les Ma{;es, et tous ces personnages iront et

Page 209: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉStK FRANÇAtSE.ao?

vit'xdn'nt e<tuf"r)n~mft't aux indiftttinnsdu r~cit <Vt<nj;<')iqMc!

tant <'n att~he d imp<'rtH)tc<'A t't'saetitude de ):<mi-t' tt<

S<'f))f.

Cette c«n''epti)'))p)us))<rnc de )art'pr(''t'm.ttit'udr.una'

<it)()t',av<)itn'j<t'))d))))ttmiHH')'Vt'-))Je)t<)'<<t)rtes.<.)tt'tt.ttt'))f<i

il est évident <tm')t'u\ t~t(-.).'tr"')\ic))t<)M))ti)'t'n)i~')x'

~)mait'nt~m:rc't:t)t)t<L't)))'h'))cs'<tc))cst)t)is<')'i)'it((L'))ti)t(

t)f)tt)r'<.t'trct)))rttt~)c))<f)<t.t ))"")''< t)c jouer <)c''Ctt))t)c-.itM

tf)t\')'r.st)'u))fr"t))fCttt«)'!tc<c.M.ti''dt'ct'ttct))itt)icfc.)tttt)t"i))-

i)y un avait Ht) peu)'<'urt"ut)c)n"ttt)c,<:)))<)is(jt~')t'.))))t)t'.

<un<<qMi<"t't )a<(ucm'&)a ~tortc'k'Xttsth~trc'.tt't'htit'tOtCttt

souvent, j«tt)r prix <tc )<)usicurs heures de pntkocc (jmm

ajournement.!.c choix et t'iostructi")) <)<:sacteurs oc ))rt'<n'c')j'.tit'))tj'.tt

tn"itf tt's <)r«tnatt<)t)cs<)uc (a tntsc o) sccnc. Avant ta ("r-

)nati«ndt'st;ran<)t"tc<)nf)t'r)t.'sqt)i'Ctnp:'rc)cnt)nt)a))tU<)c

t'cxtrcprisc <)cstn~'stcrcs, et <)))!sont <)t'n)cutn's < t'jchrcs chci'

n<tU'<s')U'<)t'n<ttn<)Ht'<t))ftc)t-s))c)a)'assi<'t),<)n\t')t')<j.'ttes ~co)icrs, <t')i rcj)«.'scntc))t aotXtcHoxcnt la vie ut les

)nirac)cs<)c)cur))att«t), saint ~it'«)as, faire <)c)c()t-'r<'ttc't

une ctu<)c attentive, et ct)trfr,t:<ntn))ct)"us<)is((t)s.<)a))s)a

))eaude tours j~ersonna~cs.us<i tes r<)cs int)K~sa"ts,c<'tn<m'

ccusttc J~SUS-CHXtsT. des att~s. dt's ajn'tr<'<. <'titio)t-i)s

distribues aux ctcrcs )cs)<)usv<?))crab)<-sou tes j))us t'diftaxts

ccux-ta n'avaient presque pas d'cft~rts .t faire )mur atteindre

à la vraisctnbtance. Mais ))«ur tes ro)es fetninins. c'était p)us

dinRcite.car ils étaient tenus par de très j'-unes ({ens,et jamais

par des <em)nes c'était )à une ret{)e abs«)ue, qui s'exp)i<)uenon '.eutetnent par un motif de convenance nenerate, mais

aussi par te caractère sacre des premier:! mystères, )esque)s.

Page 210: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

aoa HB TREIZIÈME SÏ&CL~

~taut pre-Mjuetirs c<!rHut'))ifs u<ncieues de t'~t!n!f, ne )Xtu-vait-nt admftttff itueuuc femme sans auer a l'encontre do ton-.

)< s canons.t<u reste, les hommes portant ators <)e<vêtements

)onn''ftnottants. (ttrtpt'udiMrt'ntsdeft'us de tours <'ttn<

)'t<))t' )'<'t'st-rvati"n <)ccette r~)c ))'<'tait ni nm)aist~' ni

))):))st';t))tc -tus le )ri()t)'"rt <ht ct~tmnc; «n sait, d'aittcurs,

<)t)'ftte<-st<)''))K't)rcct')) vinucor jus()u'i\ des temps itsscx m))-

()r'tc)~-<du t<~<

Mnjs. <(t)t')sfille ft)':sf))t les acteurs, on avait tuujtmr:tsoi)) de )t".dresser d'itvaxccct de )t's faire r~j'éter. Ils avaient

parR'is affaire, cnttxnf de tos j<tur)i,Ades auteurs H'rt e\i-

H<*ant<nu a des r~isseurs (appc)~s les w<«~f <<'«) <}u!ne t'étaient pas m'tins. On en ))cut ju~'t par )c pr<'an<hu!cdu

tnyst~ rc <)'Ada<n,<h<nt fauteur inconnu ~tait ptux ent<:n<tu

que tx-aucnup d'autrct

« Qu'Adan) soit )<icn<)rcss<~a donner la r~{t)i()uc.afin de

« m' la donner ni trop tôt ni trop tard et noo scuh'tncnt lui.

mais tous les personnages. Que tous soient instruits à

« partt'r poscnn'nt et a faire des restes en fapjxtrt avec ce

< ou'its disent. Qu'ils ne s'aviscut pas, dans tes vers, d'ajouter« ou de retrancher une syttabe tnais qu'iis les prononcent

« toutes distinctement, et disent sérieusement cc qu'il faut

« dire ('). »

t'es préceptes, il faut l'avouer, ne seraient pas toujours

inutiles aux élèves (te notre Conservatoire.

Quant à la tangue et à )a poésie de ces mystères de la bonne

époque, elles n'ortrcnt rien d'aussi hardi, d'aussi sublime que

celles des chansons de Reste mais elles présentent peut-être

moins d'inégautes. Kues n'ont pas de ces élans subits, de ces

t. Sepel,c~.f< p. ta~

Page 211: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉStE FRANÇAtSE. 209

mouvements passiunnes qui arraettent un cri d'admiration

e))e-' n'ont pas ««)) p)u< <)f ces bru-Mjmsat'ais'.ementf qu

eh~uent les esprits detieitts. i~a raison en est .simpte

c'est que cette poésie dramatique suit paisiblement, pits .1

pas, le texte sitc~c,dont elle n'cst ttUf le ctXtunfotairf. ~))t

Mjuutc <nrt peu de chose aux situatiuns et aux pitrt'tc-.

qu'it r~tt~'ftnc elle s'ttcvc )~f<: lui et ()t"«:ct)t< .tvcc lui.

t'~n uu tn"t, t'ttc n'est pas cucort* c)nat)''ij)<'c, cttc x'cst

pas fncure indepeuttaxtf, t:t<)nn)Mt't"'t JcjA la ~sic cjtifjuc

ttt.tit les fMtr.ttcs qui i<ffct<ttti'cs'ior <ht({ctticou <)e)a <i(tt-

tttisic dt") ttra<natuft;t:s les prcscrvcot aussi ttcs <)it.)t;ati'")s

et ttcs chutes trop frftinaires chc!! ceux dont t'itna~xMtion est

h sente rente.

Au quator/ione siecte. te tnystereen arrivera .'t se sceutariser,

a sortir tout a <:utde t'entise, et aussi As'attottttercuosider.tbte-

ment ce sera son troisione tn<)(ted'existence, tt jx~urraêtre

represettte <ta<)sun licu profane il poftfra avoir pour sujet

une tet;ende ou un événement purement historique, étranger

i ceux que la liturgie a consacres, par exempte te baptOne

le Ctovis. Mais il demeurera encore, au tond, un spectacle

:ommëmorati~ et un spectacle principalement religieux par

a pensée comme par le langage. tt contiendra même souvent

les sermons en vers ou en prose, et des sermons étrangers à

action, introduits uniquement comme intermedet (étranges

~tcrmedes, si on tes compare à ceux qui tes ont remplaces~ansnos drames lyriques). Hn même temps, ta mise en scène

t: compliquera, tes rôles se multiplieront, et le mystère

eviendra le reflet plus exact des mœurs populaires. Les

étails de la vie pnvcc s'y reproduiront comme dans un

tiroir, et l'introduction de ces éléments profanes en <era

Page 212: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LRTREtZtÈME*SIÈCLE.a!o

p<Mtrt'histurien, pour Carcheotf'~ue une source de riches-

ses (').

ensuite apparaitront sur le théâtre ta ~o/«', ta woM/<7<<,)a

/<~< compositinns d'urdre secondaire, et avec ettes feront

invasion certains ~tements ~ros-iiers,ridicutef. t;t)i ne seront pas

tttujt'urs rctuves ~sr des trah-: d'esprit. Ce sera ht le {;enne

do )t<'trecotnedit' <n(x)croe.si riche f)k'-)nf)nt' en satires et

en )t)iti-tntcries d'un ~«ut <)"t)teux. !<etny<tere, .Mtcontraire,

at""ttir.t, tn.d~rc sa deviati"n et s.t de(t)rmati"n, au {;rand

t)'(x' du dr:une shakespearien, type tt~rtinet;a) !n)s-.i, j'en con-

tiens. tnait «nrant innnitnent ptus de ressources a rima{;

tiun et ptus de prise au propres que )a tragé<)ie classique. La

tragédie française est l'erreur d'un t;rand sKc)c épris de t'imi-

tation des (trocs et des Romains: il a taHu deux Kenies fans-

cen<)ants pour lui transmettre une vie factice. Aujourd'hui

cette vie s'éteint, et nntre théâtre n'a plus d'avcnir, il n'a

metne ptus de présent, que dans tes deux genres directement

issus du théâtre de n«s pères la comédie de mœurs, nHc des

moratitcs te drame historique ou national, Kts des anciens

mystères.

La poésie )yriqu<. était plus avancée que la poésie drama-

tique mais le pefR:cti<mnement de la tbrme avait eu lieu,

chex ette, aux dépens de t'honnetcte du fond. Dans le midi,

les troubadours avaient poussé jusqu'au ramnement le

rhythme et te styte de la t~tMoM, qui est te type constant de

teurs productions: ils avaient aussi poussé jusqu'à la licence

t. Unsp~mMMmMquabtedecMmyst~dehtro!~n<e<poquen<MN<at«Sert

)Mt le ~t~- M<~N<~a~ .t/<N~M. pubM par rameMr<!amh'c«nM:-

tion de la SoeM~ des anciens te)tte<

Page 213: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉStE FRANÇAISE. 2H

volontaire et renechie la liberté de lit pensée et de t'expre'i-sion. Nous humerons donc en dehors de notre cadre cette

poésie provencate, été~ante et corruptrice, pour cette raison

d'abor<t, et puis parce qu'ette n'appartient pas, en réalité, la

littérature fran~.tisc la France, au temps des troubadours,

cumprenait tout au ptus, dans le pays de tao~ue d'ue, <)eux

set)ec))atts'ices,et cette tatoue était axs'.i etrant{ere aux !ra))-

<;aisde t'ejMUjuequ'elle peut t'être pour tu'us. U'aiOeurs, te

rcuxe des troubaduurs finit de très t~nne heure, car ils

acheterext de disparaitre sous la dotninatinn d')p))«nse <)e

i'uiticrs. n ne <:mdriut eependaxt pas chercher la cause de

cette disparition dans t'inHuencc personnelle du frère de s.u<)t

I.«uis. « On a accuse Atphonse, dit judicieusement son histo-

rien, d'avoir puissamment contribue A la décadence de la

titteratttre pr~'encate, <{u'i)aurait travaillé a anéantir comme

un souvenir vivacede t'indettcndance du Languedoc: mais

cette titterature s'est éteinte d'eHc-meme. Sans <)«ute )a

réuniun <tu midi a la couronne et la suppression de ces

ratantes cours sei};neuriates, où les troubadours brillèrent a la

findu douzième siècle d'un si vif éclat, contribuèrent a reteguer

parmi le peuple t'usage de la langue d'oc, tandis que les

nobtcs, les fonctionnaires, les ambitieux apprenaient la langue

partée à la cour et au sie{{cdu gouvernonent; mais ce résultat,

amené par la force des choses, fut postérieur à Alphonse ('). »

On a voulu aussi attribuer la chute de la poésie provençale

à la croisade des Albigeois et aux procédés rigoureux de

l'inquisition. Cette pauvre inquisition, comme si elle n'était

point assez chargée sans ceta! On s'écrie pathétiquement,

après avoir fait te tableau des horreurs de la guerre et des

il. Bontane. &«t< t<"<u <<~Mj«« <& f~«n

Page 214: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZïÈME StÈCLE.2t2

bûchers fumants < Le-! chants avaient cesse! Mais M. Paul

Mcyer, qui s'est fait l'écho de cette assertion dans un cours

public, ne s'est-il pas chargé de la démentir lui-même en

citant un appel éloquent à la croisade albigeoise rimé par le

troubadour Gavaudan, et surtout en faisant la déclaration

suivante: « ~w~M </<'j ~'<w~K/M<~n'a pris le parti des

Albigeois t'un même, qui a pour tes clercs d'amers sar-

casmes, \'a jusqu'à approuver l'inquisition, pourvu qu'elle

procède avec modération (') ? Ces paroles sont formelles

donc, si tes chants cessèrent, et si plusieurs troubadours se

décidèrent à émigrer, on ne saurait dire que leurs opinions

religieuses en furent la cause. Ajoutons cependant que, si

ces poètes voluptueux ne se trouvèrent pas dans les rangsde la grande armée manichéenne, ils contribuèrent néanmoins

indirectement à l'éclosion de l'hérésie dans les provinces du

midi. On a remarqué bien des fois la coïncidence des mouve-

ments ou des tendances hérétiques avec le relâchement des

moeurs: les peuples comme les particuliers sont entraînés vers

l'erreur par la révolte des sens Henri VHI, Luther et leurs

principaux adhérents en sont bien la preuve. Il est certain

que les Provençaux, que les Languedociens furent prédis-

posés à secouer le joug de l'orthodoxie par les voix sédui-

santes qui, depuis plus d'un siècle, leur peignaient sur tous

les tons les charmes de la passion et du plaisir. La morale

austère de l'Église catholique était devenue pour eux un frein

insupportable: en se séparant d'elle, ils espéraient mettre

librement en pratique toutes les maximes de leurs trouba-

dours. C'est ce que démontre la concordance frappante de

ces maximes avec la doctrine albigeoise ou vaudoise: les

t. P.Meyar,t<fJ<<<'omw~MXdeM<tM<<<<'</<'r~<M~~<M«)~t&.

Page 215: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE FRANÇAISE. 213

LtXMt'~MtMtt.et'dmt.

chansons de troubadours démolissaient avec acharnement

le principe de la Métité conjugale or, tes hérésiarques de

l'Albigeois prêchaient précisément contre te mariage, et tes

uns comme les autres favorisaient le désordre des mœurs.

C'est ainsi que, sous t'étone des ennemis de t'Élise, on re-

trouve invariablement tes adversaires de la morale naturclle

et des grandes lois sociales. Ainsi, quelle que soit la vraie

cause de l'extinction de la poésie provençale, nous ne devons

point la déplorer si amèrement. Cette poésie a longtemps

charmé, et à juste titre, tes oreittes des méridionaux mais

elle leur a gâté le cœur.

L'art des chanteurs du midi avait excité l'émulation des

trouvères, et, dès le milieu du douzième siècle, le genre cultivé

par eux avait commencé à faire irruption dans tes provincesdu nord, avec la licence rafnnée qu'il portait dans ses nancs.

Les poètes français se mirent non seulement à imiter leurs

rivaux, mais à les traduire servilement, pour plaire aux

seigneurs et aux dames. Bientôt retentirent dans tous Ics

manoirs tes saluts <f<tw<w~,tes pastourelles, tes <A'.ftW~,tes

.~w~/cM, tes ~/&t<A'y,tes rondes, tes ~wAw<.r, tes !'<<wf.

H s'établit à Amiens, à Rouen, à Lille, à Valenciennes, sous

le nom de~/< des concours de poésie lyrique à l'instar dc

ceux des villes littéraires du midi. La vogue s'attacha aux

strophes bien tournées d'Alart de Caux, de Baude de la

Quarière, d'Eustache le l'eintre, de Gassc Brulé, de Gilebert

de Bemevitte, de Guillaume de Ferrières, de Hue de la Perte,

de Hue d'Oisi, de Robert Mauvoisin et de plusieurs autres

chansonniers. Des seigneurs, des princes même ne dédai-

gnèrent pas de leur faire concurrence on a des chansons

d'Hugues de Lusignan, du roi Jean de Brienne, de Pierre

Page 216: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

2t4 LE TREtZtEME StÈCLE.

d'Aragon, de Charles d'Anjou, et tes plus célèbres de toutes

cette-! du treizième siècle sont peut-être dues à ce Thibaud

de Champagne, roi de Navarre, qui, après avoir foupiré des

plaintes amoureuses, vaua sa muse à Dieu et composa, entre

autres une superbe exhortation la croisade. On trouve

aussi, parmi cette classe de poètes, une femme de la noblesse,

la dame du Paye), qui fut aimée du sire de Coucy, et qui est

devenue célèbrc dans la légende sous un nom qui n'est pas le

sien, celui de Gabriette de Vergy.

On remarquera cotnbien sont nombreux tes noms de chan-

sonniers parvenus jusqu'à nous côté de ceux des poètes

ou dramatiques. De ceux-ci j'ai pu à peine citer

un ou deux. Ils n'ont généralement pas-signé tours œuvres,

tandis que la plupart des premiers se sont fait connaitre d'une

manière quetconque; indice assez clair de l'intérêt particulier

qu'on attachait à ce genre nouveau. La vérité oblige à dire,

du reste, que la musc lyrique française égala, et quelquefois

surpassa ta muse provençale, par le charme du style ou par

celui du rhythmc; et dans la pensée même, si ette fut souvent

aussi grossière, elle n'affecta cependant pas une allure aussi

libertine, ni surtout un penchant aussi déclaré pour t'adultère.

Ette nous a laissé un bon nombre de pièces qui ne dépassent

point les limites d'une grâce aimable et d'une galanterie

décente. Tel est, par exemple, le < salut d'amour dû à

messire Andrien Contredit, trouvère d'Arras, pièce qui repré-

sente agréablement, pour le fond comme pour la forme, la

moyenne de ces poésies légères ('). Cette chanson appartient à

une des variétés imitées du provençal. Mais il faut dire que la

France du nord avait depuis longtemps une poésie lyrique

t. #< /<< de la ~r<t~. XXIII. s<8.

Page 217: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE FRANÇAISE. 2tS

à elle: elle avait eu des cantitenes romanes; cite ayait encore

ses ou A<M,provenant des anciens chants celtiques ou

germaniques ette avait ses w/<'Af, empruntes aux chants

latins de la liturgie. Et ce n'était pas seulement un moule, un

rhythme particulier, que ses poètes demandaient à la litté-

rature sacrée ils lui demandaient aussi, quelquefois, leurs

sujets et tours inspirations, 11existe, en eftet, toute une ctxsse

de petits poèmes religieux rentrant dans le t{enre lyrique au

même titre que tes chansons, bien que nos critiques tittcrain":

n'aient généralement voulu voir que cettes-ci. Telles sont tes

compositions de Rutebeufet de Gautier de Coinsi en l'honneur

de la sainte Vierge, qui sont de véritables hymnes françaises.Tels sont beaucoup de cantiques composés par des clercs

pour l'usage des fidèles, et qui, s'its ne sont pas toujours

animés du grand souffle }Métiquc, sont du moins supérieursaux platitudes répandues de nos jours sous ce nom on en

trouve dans tes manuscrits a la suite de certains sermons on

en chantait dans tes veittées de Noël et dans les pèlerinages,

où les chansons profanes se mêlaient aux airs religieux poursoutenir par leur cadence la marche des pieuses caravanes.

Telles sont encore les stances d'Elinand sur la mort, qui se

lisaient en public de son temps et qui ont été vantées par tes

juges les plus difficiles

Mors,crieà Rome,crie à Rainx

Seigneur,tot estesen mes mains,Aussiti hautcommeHbasOuvrezvosyex,chaingnezvos rains. ('

It faut enfin mentionner certaines homélies en vers, qui

t. //M<./««~.dt la~)'iM<XVUt,96etsaiv.:VincentdeBeanvai~,~f.MM..liv.xxtX,c.t37.

Page 218: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZÏÈME StÉCLE.216

n'ont pas été (aitft pour être dcbitct'< en chaire, et qui ont

ptutot t'air df chansons rnorates nu rf)i~<eu!'cs.Un charmant

spécimen de cc dernier t;enrc est te t~~t'/ -f< /M,

fr.nchc a))t''{{orieadressée a une jeune nttc par un poète

itnf'nynx- et dont voici ).<traduetx~)) fn pn'sc

Uncjcunu ()))' vcm t)Ut'jch)i <<ctr<'ifK))t)«n;t'Hctn<'

< ()ct)).<ndcttt) cha)J4'au de nfurs. (Juc Dict) to'.n'cordc sfxs

et toi-itr,jn'Mr <)ucjc poisse faire fc ')u'c))c \cut. Mo)) prc-

t st'ot devra lui pt.urc si ~'y xtcts d'abord )f )i' puis viendra

< ta \i<')cttc;puis ).t ))t:))ct~'ur du souci; t'achu ~'t ta cuosondt:

< y prcndr«t)t ?).)<;<:.t Icur tour; la r<'sc cpMn«uiu fera la

< sixième, et ta septième t'ancotic. Vuita une jotic cuuruonc,

« o!) cha<juuticur desi~ou une vertu tjue )a jt'unc fittc <)oit

<;avoir ut e<tt)scrvcr. !.a btanchcur du tis sonhtc lui (tire:

« adore la Mcrc dt: t)icu, aime Dieu et )a sainte t'~tisc. La

<fdoucc ~cur de vitttcttc lui rappcHc qu'i) fitutou'cnc su ticm.

<(a t'~cart, et) siicncc, ou't.'ttc n'écoute point les médisants et

« ne s'cxj~osc vu bXonc ni en <aitsni en parûtes. L'or du souci

« lui enseigne a garder pur et sans tache )e trésor <te ta

< sagesse. L'ache (ui recotnmande d'être humble, bonne,

< in<tu<t;entepour les pauvres et tes <aibtes. La consoude, en

« s'ouvrant a ta c)art<~du jour et en se fermant aux ténèbres

< dela nuit, t'avertit de n'accueillir que la courtoisie et de se

< soustraire à la noire trahison. La rosé, qui tient de la sainte

< Mère de Dieu l'empire de la beauté, c'est la jeune vierge

<(ette-meme, qui s'élève entre toutes tes femmes comme la

<;rose entre toutes les neurs. L'ancotic, ennn, est la neur qui,

<[avec les cinq petits tiens que Dieu lui a donnes, sert a nouer

toutes les autres. Lorsqu'un chapeau de Heurs en perd une

< scule, il déchoit beaucoup de son prix il en est ainsi d'une

Page 219: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÈSÏK FRANÇAtSE. a<7

< jfM<w<)))e,)o)st[u'et)t' perd une sfute de ses vertus Je vous

< <'n prit*donc, jeunf' Rites,<~<ecttiteune df vus sou~e a )«fs

<<sept neurs;s'i) vous en souvient toujours, vous (orcerex tes

<[mcdisantsasetaire(').)' r

)) y nvitit donc r~cHftnfnt uoc )t«c'<it'sacrcc en ttchurs <(t:

1'1'" l, 1 1 la liturt;ie. ('rtte lx>É.icn'u trx, it: ,ufim:un-t'h~tist* et t)c ):t )it')rt;ic. ('fttc ~H-sic ))'.) ~);ts <'t~snttcunu-

tncnt )nis<'ft) htoticrt'; xtiti'' st's ~'sti~cs s«t)t .tss<'x:t)))t:tr~')tts

~~)r n<'tts prouver <}m:t:t tito~ttc ttt"<c)cres n'était pas ht

sentes )nt))'mut\:r)a)<'u<Utt;f<)i\'it)f,et<~)c).t titnK'~ )"'t"').')fc

sa~'itit chanter Mutrech~sc que )'!unour et ):t tf:tutM.

U.ms te t;mu)tc <)cs j~corfs divers <tni c<nnp)<:t''nt tu

dotnitine <te la jx~sic fritn~aisc, nous trouvons <t'abor<)quct-

<)ucs t«~)ncs historiques ft didactiques. Mitis )Ms ptus que)eurs nnato~uus )atios ces nuvr.tt;<'s m: rcjtréscntcnt la vraie

tK~sic. .M t~<* .ffMM/7XfWMA/~<'<< t'M~'M<' </« ~/<'M<-

.S'M/<~t7, par Guittaumc de Saint-t'acr, la ~'MyM<<'<~

/t/M~ )c récit de ta s«un)issi<m(tes Hretoos sont intéres-

sants au {«tint de vue historique. !)ans certaines pièces fu~t-

tives.conone te <~ !'t~7/<te /~7</t' y~~M.ou ta satire

anti-française c<nnj)oscc A t'occasion de la médiation de

saint Louis entre te roi d'Angleterre et ses barons, on aime

à relever des attusions aux événements contemporains ou t'ex-

pression du sentiment public. Mais it n'y faut nuere cttereherautre chose. Kt quant aux <fuvres de peda~o~ie. ettes sont, de

plus, extrêmement rares, parce qu'on enseigne d'ordinaire

en latin, et non en français. L'/w~t' << ~«W(/<vaste ency-

clopédie en vers, où l'on remarque un stytc correct et des

traits heureux, n'est qu'une traduction ndete du célèbre traite

d'Honoré d'Autun ~/w~« w/<w</<Si d'autres productions

t. /<w<.<t'fw«. t. xxtu. p. :)~.

Page 220: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LK TRNZ!KMK SttCLtE.218

de cette ctttsse sont rimee~ten français. c'est qu'eues s'adre~.

xent A(tex cat~'Wea de lecteurs toute" <'pëciattM.peu <atni.

)iew avec t'idiome des savants ainsi en est-il du ~A<t.f~.

w~/ tirs <A<w<f,manuel de civitite mondaine, dû à Kobert de

H)«is,et de t'<M'w 'A' ~t~M/f~. écrit p'wr l'instruction des

chevaliers. Une autre finniHc de ~tit-) poèmes anecte une

(hnne <trit;in:de trahissant ~innuence de la diatectique: ce

sont les WA<~ «u disputes <)ue t'«n imat{i"e entre des ubjets

contraires, ~iur faire vatcir leurs avantat;es ou leurs défauts

telles s«nt la /«AM/A' ~'< < <A'~<t</M. ta /<M//<' </<t

<M/.r.la /w7/<' <~ <'<M~,ta .S~w~~f < /M< te/~

f/ /f < A~tWf,etc.

Mais une place beaucoup plus importante doit être faite à

la fable et au fabliau. l.a fable proprement dite est un

apologue franc et sans prétention elle fait parler les bêtes

et tes choses sans se préoccuper de la vraisemblance. Le

fabliau est un apologue d~uis~ c'est te récit d'unc anecdote

<)uiaurait tort bien pu se passer dans te monde r~e),mais qui, la

plupart du temps, est de pure invention. Tous deux peuventdonc être considérés comme frère et soeur et tous deux sont

cultivas, dès le treizième siecte, avec un égal empressement.

Le premier fabuliste du temps, c'est une femme. Cette

femme ne nous a appris sur son compte que deux choses:

Marieai nom sisui de France.

Aussi l'appelle-t-on communément Marie de France. Et

nous n'en saurions pas davantage si un de ses contemporains,un poète anglo-normand, ne nous attestait que ses œuvres

faisaient les délices des chevaliers et des nobles dames. Marie

de France, quoiqu'elle sût peut-être le grec, et certainement

Page 221: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÈSttS FRAMÇMSf. a~

le tatin. le français, te breton, t'ant;)ais. «'M nuttement dxns~s

ses écrits la pédanterie du bas -bleu moderne. Mt)ea )a)s~ (tes

/<Ktimités des chants de la MretaKne,une tondue légende en

vers (le /'«~y<tA' tA*.M«~ /*«/«'). et un recuei) de faMes

intituté t'f<~< ou le petit Ésope, qui est le plus heau «eumn

de sa couronne poétique. Ses fabtes ne sont pas ftnprunt~e')directement a Ésope, tnitis A(tei<reçue!)-)tatins qu'cHe a pris

pour de'i traductions du eetebre phrygien, c<*mtnece)ui de

Rtonutu", auteur pscudnnytne, qui n'a {;uerc fait (lue tnettre

en pn'se Ics apoto~ues latins de l'hèdrc, Elle y a cependant

ajouté quelques morceaux t)e son invention. Mais );ener.de.

ment cite n'a fait qu'embellir et traiter à sa manière cet

sujets vieux comme le monde, qui dans tous tea temps ont

servi de thèmes aux fabulistes. On sait, en effet, que n"tre

bon t.a I''ontaine n'a rien créé, «u prévue rien il s'est con-

tenté de reproduire, avec une mise en scène ptus habite, les

charmants petits tableaux décrits par ses prédécesseurs.

Phèdre est dans le même cas. et je suis fort tenté de croire

qu'Ésope tui-méme n'a le droit de s'appeler te père du ~enre

que parceque nous ignorons les sources auxquelles it a puise.

La grande majorité des récits qui forment la matière des

fables, des fabliaux, des contes populaires se retrouve dans

les littératures anciennes, dans celle de t'K~ypte, de la t'erse,

de t'tndc. de la ( hine même: tous les jours les propres de ta

critique moderne font découvrir quelque nouvel anneau de

cette chaine indiscontinue, qui remonte, comme je le disais,

aux origines du monde, et qui est peut-être une des preuvesles plus frappantes de t'unité de la race humaine. les pre-

miers patriarches ont raconté ces légendes à teurs fits puisceux-ci les ont transmises &leurs descendants, qui Ics ont

Page 222: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREUMNMK SIÈCLE.aao

cutport~es aux quatre coins du ~tube. Cutnment csptiqucr

autrement qn'fttfs 't* rencontrent cheiedm pt'uptf-t -p~rcs

pttr des mitfit'rs d'années et des mittier" de tieues? Comment

cxptiqtter que le type du Petit t'ottcct, de R<'(uc<)i' H"uttt'.

f!c < cn<)fi)t"n, <)M< ))«t t«<ttc,<)c la Matrmtf tt'Éphcfc, <tn

Sa\c<!t;r et th) t'humeicr, et du tant d'autres, f\istc chc.<)<"<

Kt{)j'ticns ou chcx h's ( ttittofs. <:)<)n~)M ton~s tjue ':ht'i'. tes

OeddftX.tux ? <'<')n)no)t t'xpH'~tcr <)ttc tu phtisMttte histu-

rictte dn M~ /« w< /«/, ~nc MoticM passe ~tur it%«i)r

itn'cntcf, se fetMUVf, A <)Uf)()ue'. varitmtcs jtrcs, dans les

'-crtn'ms c'~n<m: d.ots )c<tithtiitus du m«y<:n ~c, dans les

vieux rccueits de t~endc-i des t~tins et des Grecs, comme

dans ceux <tc t'tndc et de ta t'crsc? Certainement chacun de

ces j)t:u)))ct t)'a pas été, il ('«n~inc, étudier ta littérature des

autres, a sujt)'«s<:r ttuc cette (ttt~raturc existât. C'est donc

par h, voie orale que se sont propages cc'< vicilles histoires.

cunonc toutes les traditions rotatives aux tonps primitifs de

i'hutnanitc et cela n'a pu st: <;tirc qu'a une <!p<MtUeoo les

honuncs, ou tes tj~cs des races futures vivaient cote à cote,

dans t'intunitc d'une fau)i)ic unique. l'ar conséquent, ron ne

saurait admettre le raisonnement de certains savants, qui

voudraient, au contraire, tirer de ce caractère universel et

populaire des apojo~ues antiques un argument contre l'auto-

rité de la itibte. Mais revenons a Marie de France.

A-t-elle réussi à donner a ses fables une tournure originale,à communiquer la vie et l'animation aux êtres matériels, à

dégager de leurs relations supposées une moratité utile? Le

lecteur va en juger. Voici comment elle retrace la fameuse

rencontre du ~o~ f/ oe /<'<</<, dont tout !e monde a

présente à la mémoire la version moderne.

Page 223: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÈStR FBANÇAtSK. aa<

MUUtH'KTt'tt.'ttWt.XttU-

Ce dt't tttxt Mtt'tttt x'~Mt

Qui b<\oiem i( un mint).

t.itenti~~ix'unebevoi),Kt )i titjnitt)!) MA)moi).

tK'emfntpitrttttiteu',

Kin<"u)tftoit K'nttKfiem.

t'ar))M)t.))e))<~r)t.\tt".

Tu<))'«' ())!it)t, fttit )iM)'t) anui.

t.t MitiOft*li « fc<)X'0')M

Sirr, en ')uoi <tun''?- Nftt ~fittu? P

Tu '«'et ea.te ai~Mfsi <t«')))t<f,

~ue n'tn puis bnin*tM Moutëf ¡

Auttexi m'en itxi, je <:r«i,

Comme je vin*,mnufaot de M).

t.i )tit;neMtadum' rttpont

Site, )~ ht~et'vout amont ¡

))e vous me vient tjuanquej'ai bu.

Quoi ? (it<ti leus, me <)<!)<))))tu?P

L'aitine))trM)Mnt:N'tnnivn)n)t.

t.i)eM!()tdit:JcMi!t devoir,Ce nteiitmeme ti:)tles père,

A ceste sufte où od lui ère,

Or six moit,ai com je croi.

<~u'ett retrait!, fait i), sur moi P

N'iere ~as ))< si tom je cuit.

Et tôt pour ce ti leus a dit

Ja me fut tu ore fontraire

Kst chose ke tu ne dois faire.

Uunc prist li teut t'ai~nie) petit

As dent, l'estrangle, si l'occit.

.tyof«/)W.

Ci funt ti riche robéour,Li vesconte et)ili jugéour

Page 224: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LR TRKtZtÈMK SttCLE.aaa

Ue ceuxqt)'Mn«)0)t leurJMt'ttt'<<u«ettttoitttx, p.tft:u<~t)i)!<e,< tuèrentMM*pureuxt'unh~dte.

Souventt<t f"ttt« ph't <i«nmt<tft).i<( hxrtourM'tntet lit pe),Si root )i )eo<fit fx~ne) (~.

!t)(ft'etHc fah)t' et ce))f <)c La F'Mttaine, ta rt'ssctnb).<nce

t'st ffa)tp;t)<tc )c<<)<'t<(i)'t,k'< fsj)rt"<i<'ns sont pfcsttof i<)c))-

tit)Ut'tt.( c n'est )t)t)'<t.t sechMrc'<st:<)et'hMf; c'est ptutAt )~

trichcsst'df )'i))<aj{n)ati')M«rictttatf. t\t ~turtant !.)<!<')ttaine

n'a c<~t:ti))Mnu))tpas connu Mafit: tic !r.tnce. Mais, si )<"<

<tcux f.tbu)i''tc'<ffan~ais se rencontrent dans le corps du récit,

je n'h~itc j'as a dire que r~crivain du moyen ARCen tire

nnc morale plus hardie, )<)t)'<précise que le ~tete du dix-

septieme siecte. < î.a raison du )))us <<)rtest toujours la

meiHeure voilà toute la coneh)si')n de La F<'ntaine. Marie

dt; France trouve autre chose a dire avec une noble )iherte,

e))c <ait surtir tic son sujet la condamnation, la satire de t'avi-

dite des barons et des junes teodaux.

Ainsi donc, voita encore un t;enre qui est loin d'être nét;tit;e

et si nous voûtions étendre notre investigation aux prosateurs

qui t'ont exploite, par exempte, aux orateurs sacrés, dont

quelques-uns ne crtit{naient pas de raconter en chaire tes

aventures du Renard et du Corbeau, du Rat de ville et du

Rat des champs, du Lion devenu vieux, de la Cigale et de la

Fourmi, des Membres et de l'Estomac, du ï~oup et de la

Cigogne, du Gcai paré des plumes du faon, etc., etc., nous

trouverions à chaque pas la matière d'un rapprochement

curieux. Les fabulistes anciens et modernes n'ont pas amené

t. Rcqutfott, /W<M< <& ~/<tn< de ~~«M.

Page 225: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA POÉSIE FRAKÇAME. aaa

la chute du pot au lait de t'ern*tte avec autant d'art que te

cardinal Jacques de Vitry. Chez celui-ci, l'ambitieuse laitière,

exattée par la perspective de sa richesse future, se ngure déjà

qu'elle chevauche sur une belle haquenée. /< «'/ 1 lui crie-

t-elle et c'e<t en voulant lui donner de t'eperon que tu tM"u.

Wtnent de son corps entratne le renversement du vtsc et des

<)p~rance~qu'it t~rtatt. Kn fait de pittoresque, te moyen A~e

ne craint pas la catn~taraison.Letfabttaux Mont loin de pre''en<er le caractère tWtratdea

(ab)e~. Ils sont prévue tous licencieux, et c'est ici la grandetache de la Uttératurc du moyen a);e. A côté de leurs grossiè-

reté ils contiennent naturellement (ce)a va toujours ensem-

ble) des satires violentes contre ta nobtesse, contre le ctern~,

contre tes bourgeois, contre tes vilains même, mais surtout

contre tes maris. On n'a pas craint de dire quelquefois qu'ils

offraient la ndt:te peinture des nueurs du temps. !)'ot) vient

donc que la plupart de ces contes burlesques descendent

en droite ligne de t'antiquité ? D'o!) vient que nous tes re-

trouvons, avec de très légères di<t~rences,dans Ovide, dans

Pétrone, dans Apulée, dans les ~/tM- < MMfMM<7P Évidon-

ment les conteurs grecs, tatins, arabes n'ont pas pu dépeindre

à l'avance le caractère des Français du treizième si&cte. Les

fabliaux ne renferment donc pas ptus de portraits que des

mod&tes.Est-ce que les contes de La Fontaine représentent

tes mœurs des contemporains de Louis XI V? Est-ce que les

opérettes de nos petits théâtres reproduisent l'image de la

société actuelle ? Allons donc Les héros des fabliaux sont

de vrais païens, quand ils ne sont pas de francs coquins.C'est ta un legs du paganisme et ceux qui ont mis en vers

français de telles turpitudes, ont pu y joindre des mots

Page 226: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LETREtZtÈMKStÈCLB.St24

piquants contre ta 'iociétéchrétifnnf, «sont pu habiter, travcs

tir les hommes de l'antiquité en gens du moyen âge, rajeunir

te tangage et la forme de leurs vilaines histoires mais, A

coup sur, ils n'ont pas peint ce qu'ils avaient sous les yeux.Ils n'auraient même pas pu inventer de pareils tableaux, car

(c'est nn fait <)i~ne tle re)nart)uc) tes plus licencieux des

auteurs maternes ont toujours du aller chercher leurs idées A

la source (le toute corruptiot). oui est te paganisme.On a prétendu aussi eue les taMiaux étaient la littérature

populaire du temps. Sans doute, ta tiuert<5du tan~a~e était

t~andc, et le nom de ~w~'M<<' est r~st~ Acertaine nature

de propos qui a toujours eu des amateurs chez nous comme

ailleurs, Toutefois cette liberté n'est pas nécessairement

l'indice <)'t)ne liberté de mœurs équivalente. Ainsi nous ren-

controns des mots extrêmement crus dans la bouche des

contemporains les plus graves et les plus vertueux. D'aucuns

voûtent même que la moralité reette d'une société soit en

raison inverse de la pruderie de son vocabulaire. On pouvait

donc, jusqu'à uncertain point, partcr comme dans tes fabliaux

sans se conduire comme leurs personnages et sans tes fré-

quenter. Sans doute encore, ce nouveau genre de littérature,

répandu par des jongleurs éhontes, fit du mal à nos pères.Mais les fabliaux n'eurent jamais autant de vogue, autant de

crédit qu'on te suppose. Comptez leurs éditions manuscrites,

comptez les volumes qui les renferment, et comparez-en le

nombre avec celui des manuscrits de nos poètes sacrés ou de

nos poètes épiques: vous verrez lesquels étaient le plus goûtés,

lesquels étaient le plus populaires. It y a, d'ailleurs, des fa-

bliaux honnêtes; il y en a même d'édifiants, par exception.

Mais, si l'on n'avait eu d'autres moyens pour moraliser le

Page 227: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

peuple, on n'eut certes pas abouti à de grands résultats.

En somme, ces historiettes scandaleuses étaient versinées

{)ar quelques lettrés corrompus pour flatter les goûts de leurs

pareits; voita la vérité. Ht l'on peut en dire autant des romans

hérot-comiques ou des romans libertins de cette époque, qui

ne sont qu'un de\e)oppefnent du <:(Miau.ï.e <ameux A*<wMM

<A' A'~v et le non moins tioneux ~*<wMMdu ~*<w< n'ont

pas tenu dans le monde intellectuel du trei/.ieme siècle le

quart de la ptace que leur attribuent aujourd'hui les amateurs

de titterature rabelaisienne. Ces récits corrupteurs, metes de

peintures fantastiques de la société (le mot est de Fauriel, un

critique assez compétent) ont scandalisé les meilleurs espritsdu moyen âge Gerson, Christine de l'ixan et d'autres ont ré-

prouva avec énergie l'oeuvre de Jean de Mun{;,pâte imitation

d'Ovide, arrivée seulement dans le quatorxième siècle a une

notoriété favorisée par t'abaissement du niveau des m'eurs. U

en est de tous ces poèmes, et surtout des fabliaux, comme des

contes de !<occaee ou de Voltaire, qui en sont directement

issus. La lecture de Voltaire a pu déteindre sur l'esprit d'un

certain nombre de particuliers mais on ne peut pas dire queses polissonneries rimëes aient jamais été poputaircs. Voltaire

ricane, et le peuple chante. Le peuple chante ses gloires ou ses

douleurs il faut, pour s'emparer de l'âme d'une nation, tes

accents émus de l'enthousiasme ou d<t la pitié. Or, les fabliaux

ne répondent à aucune de ces conditions: cesont des pastichesde l'antiquité, étrangers par leur origine et par leur esprit à la

France de saint Louis. I~a reproduction froide et préméditéedes vices d'un monde disparu a pu, je le répète, exercer une

influence funeste jamais elle n'a pu constituer la littérature

nationale.

22SLA POÉStE FRANÇAtSE.

Page 228: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.226

La vraie poésie du peuple, nous l'avons vu, c'était celle quiétait sortie spontanément de son sein c'était la chanson de

geste, c'était le lai cettique, c'était la complainte religieuseou même la complainte amoureuse. C'était, en un mot, toute

la poésie chantée car la foule ne lisait pas elle chantait ou

elle écoutait ses chanteurs favoris. Ainsi donc, si l'on veut

juger de son esprit par ce qui en faisait la nourriture habi-

tuelle, il faut se reporter au genre lyrique, et surtout au genre

héroïque, dont nous avons étudié en premier lieu les admi-

rables productions. A la vérité, un élément trivial, un élément

impur se mêle, dès le treizième siècle, à cet élément sublime.

L'âge de la grande poésie approche alors de son déctin. Mais

la décadence ne fait encore que se laisser entrevoir. A cette

époque, on est au sommet de la montagne on découvre le

versant où va glisser bientôt toute la société du moyen âge.

Nous la voyons cependant, cette société, se rattacher, se

cramponner avec amour à tout ce qui la retient encore sur la

pente fatate. Elle est toujours profondément chrétienne,

dans sa littérature comme dans ses mœurs, et, quels que

soient ses travers, il ne faut point désespérer d'un peuple qui

chante avec toute son âme et le Lauda, .S<iM<et la ~X<MM~

<&Roland.

Page 229: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

11(ItapitM MUb~tM. L'HISTOIRE.)

SOMMA!RB!. Conception dXMrento de l'histoire dans t'anti-

quit~ et dans le moyen Afte. Les études hlatorlques soua

S. Loats Vincent de Betuvais; son erudmon, ses recherches.

Les archives des monastères et de la royauté. Les chro-

niqueurs leur multiplication. Chroniques latines et chro-

ntquea francatxes. Les grandes chroniques de Saint-Dents.

ViUehardoutn. JoinviUe. Les hagiographes.

les sciences proprement dites. Aussi ne faut-il pas nous

attendre à voir les écrivains du moyen âge déployer ici la

même supériorité, le même génie que dans le genre de la

poésie car le moyen âge, bien qu'à la recherche de tous les

progrès, était généralement très en retard dans l'ordre scien-

tifique. Cela dit, je me sens plus à t'aise pour faire ressortir

les louables efforts des historiens du treizième siècle et le

succès de quelques-uns.

En premier lieu, nous devons constater une divergence

capitale entre la conception de l'histoire dans l'antiquité et

celle que le christianisme a introduite dans le monde moderne.

Toutes les deux partent d'un principe opposé pour aboutir à

des applications différentes. L'histoire, chez les anciens, était

surtout un art chez nous, elle est plutôt une science et, si le

moyen âge n'a pas encore la méthode scientifique, du moins il

est déjà très loin de l'idée païenne, car son objectif en histoire

~OUS abordons, avec l'histoire, un domaine demi

flittéraire et demi scientifique; c'est un sujet qui

t offre une transition naturelle entre les lettres et

Page 230: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.228

Page 231: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HISTOIRE. 229

(<!t<tt'<<tC')M.M<dtM.

à son étëve les auteurs qu'il doit lire, nomme tes historiens

aussitôt après les poètes et ajoute: L'histoire est, en effet,

voisine de la poésie MM/<!w <AM/<'< est ex ~w~w ~<t'

MM/t<~w<'<'M/nw. Cicéron s'était contenté de reconnaitre a

t'histoire un caractère oratoire; Quintitien, interprète des

idées de son temps, en fait presque un genre poétique. Tel

est le jugement porté par un érudit fort compétent, dont te tra-

vail se recommande a tous ceux qui veulent connaître (soit dit

sans irrévérence) le dessous des cartes de l'histoire ancienne.

Cet ouvrage, intitulé //M/<w fr<w<T~< ~\f ~r ~'<v

l'hisloire dans /f~<'< ('), par M. Chassang.

mattredecon~rences à l'École Norma)e(et,par conséquent,

juge non suspect) fait toucher du doigt le mélange constant,

établi par la mode, de t'étément romanesque et de rétément

historique. Qu'y a-t-it d étonnant à voir ce mélange observé

dans la pratique, quand nous entendons les maîtres de la

pensée t'ériger presque en théorie ?t

« Le roman historique des anciens, conclut l'auteur que jeviens de citer, au lieu de se développer avec art à coté de

l'histoire, comme dans tes ingénieuses compositions de

quelques modernes, s'établit violemment au cœur même de

cette science ainsi l'histoire, dont tes légendes populaireset les <abtes poétiques avaient si souvent forcé t'entrée, se

trouva encore envahie par tes fictions des philosophes et

des rhéteurs. » Et it rappelle les principales causes de ces

altérations d'une part, t'intérét, la vanité nationale, l'adula-

tion, l'esprit de parti; d'autre part, l'ignorance, la superstition,l'amour du merveilleux. Reconnaissons, pour l'honneur des

anciens, qu'ils n'ont pas été dupes. <: Cicéronnous apprendt. RMft.t8&<.ht-a".

Page 232: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME StÈCLE.aao

que la ~fn'~t~ n'était guère considérée dans l'antiquité

comme un ouvrée historique. Strabon. <~uintiticnet Quinte

Curce tui-meme nous disent qu'on ajoutait fort peu de foi

aux récits des historiens d'Alexandre ('). Ht plus d'une

protestation, ptus d'une ptainte, aujourd'hui (tordue, s'éteva

de bonne heure contre les mensonges des annalistes grecs

(~«<~«/ <7~<<'fM M~w~M~fA'/ in ~M/M, contne disait

Ju\enat).Ne.nxnoins t'histoire ronaine ne fut pas exempte non

ptns de ce défaut. Tout le tnonde sait que Tite-Live est

t'inventcur des tteHes harangues mises dans ta bouche de ses

personnages, et les légendes retatives à la fondation de Rome,

aux aventures de Romutus et de Rémus, n'ont pas ptus

trouvé {{rAccdevant la critique que tes détails de la guerre de

Troie ou les exploits de t'haramond. Chaque nation, pour

ainsi dire, a eu près de son berceau une fée, unmythe, une

épopée: il faut tes prendre pour ce qu'ils sont, et surtout n~

pas prolonger volontairement au delà des temps héroïques ta

confusion de la fable avec la réalité. C'est en quoi ont taitti

les historiens antiques, si bons peintres d'aitteurs et si bon'

moralistes. H fallait, pour inculquer &l'humanité l'amour de t:

vérité pure, que le Soleil de vérité vint enfin illuminer la terre

Les historiens chrétiens ne devinrent pas tout d'un cou)des modèles de critique. Mais < tes premiers annalistes dl

l'Église, les Eusèbe, les Socrate, les Théodoret sont, comm

te dit M. Chassang, des écrivains instruits et graves, t Eusebt

te plus cét&bre,admet parfois des traditions suspectes cepen

dant, en général, il écarte les fables et se tient en garde contr

les livres apocryphes. Puis arrive Paul Orose, qui resserre te

t. C)MM*nt,< ft/ iatfodaettua.

Page 233: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HtSTOtRE. a3t

())its dans une narration loyale, pour !< plier une grandeid~ phitosophique La rétinien chrétienne ayant été rendue

responsaMe de tons les maux qui désolaient le monde au

quatrièmesieete.i) répond comme saint Augustin dans la <

/~w. it met suttt les yeux de CMRn)n.'i))'i, si Ht:) -idett'ttr

grandeur, le tableau de toutes les )n)s&resftdet"utcs )csc.da-

Htit~'i<)ui<)ntaMi{;~<e-!p)u':bn<)a))tcsétJO()uesde )curhi''t"iff.

Oro-ic est un des créateurs de la phih'sophiu de <'h)stoirc(').~

Ht cette nomette science ne ~'uvatt naitrc et <!cu)T)r

qu'en terre chrétienne. Sulpice S~v~re. en dcc):<n<nt '}H'<)

aimerait mieux briser sa ptume que d'écrire une par«it'contraire à ta yerite, a<tir)ne t'ittea) nfmeau du genre histo-

rique. Ses contemporains, ses successeurs feront cncnre pretn c

de crédulité, d')t;ooranec même: mais, au moins, i)sne ntetan-

geront plus systetnatique<nent les ncti'ttts aux (aits its ne

professeront p)us cette espèce (le cynisme, ou du moins cette

funeste indifférence qui <:usaitccn<«ndre les historiens ayee

les rhéteurs et tes poètes. !esprit s'est m<tdiM t'«tt)ectif

principal s'est déplacé.Au treizième siecte, ce t;rand changement et, j'ose le dire,

ce grand perfectionnement est depuis longtemps consacre

par l'usage. Nous trouvons parmi les annalistes deux caté-

gories, cherchant toutes tes deux à faire connaitre le vrai

d'abord des historiens proprement dits, dans l'acceptation

moderne du mot, et puis des chroniqueurs. Les premiers, en

très petit nombre malheureusement, sont ceux qui scrutent

les événements des âges passés, qui se servent des monuments

antérieurs pour tes confronter et pour en tirer la lumière,

qui font, en un mot, œuvre d'érudit. Les seconds sont ceux

t. Cha&MMg,f~.ft/ p. aya.

Page 234: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZÏÈMR S!ÈCLE<aaa

qui se bornent raconter ec qu'ils ont \u, ce qu'ils ontrecuettn

aMtonr d'eux, sur )<"i)ieu\ ou )f< personnes qu'its ont fré-

quentés. t.eurs récit-<sont de simples métnoircs personnets

cf t)ui est, du reste, une xfweUu Karantie d'ituthenticite.

Que)<)uef<tisils fCtxontcnt, pour commencer, aux origines de

Icur tujct, itt (<'nt UHbref rcsuw'f' tk-<~v~nctuent'*plus ancicnt,

))s cs-ii~'entde se hitu'.scr jusqu'à Chistuire crhaMc ném)-

)n«i))sk's deux genres <tc)ncurcut jMrf.Htcxtcnt distincts, et

ils tf soot t:ncnrc de tM'sjtturs. Nnus tdtKtM tes ~tudicf rtt~

dement t'uo après t'autrc.

!.es ctmtcs historiques, & propronent partur, ne faisaient

point partie tnt~({r.u<te <t<:t'ensci~n~Kcnt dcx <Scotcs. !)u

t))"ins, cttcs ne nnurcut pas cntn'nc uoc branche sp~ciatc sur

te pro{;ra)))mt: de cet ensei~nutnent. Mais, par tu fait, t'n

apprenait )'hist«irc ancienne <htns les littératcurs anciens,

dans la Hibte surtout, et t'hist«ire moderne dans les auteurs

ecclésiastiques étudies A titre de phi)<*s«phcs,d'orateurs ou

de tnoraHstes. Ce n'est que dans les temps modernes que

t'histoire a été ensei~nce a part, en prenant peu à peu te

caractère d'une science positive. On trouve cependant, en

dehors des études sectaires, de véritables cours d'histoire,

et d'histoire universette, composés par des savants pour

t'usage du public. Les encyclopédiste:) du temps ne man-

quent pas d'en insérer dans ces immenses compilations où

ils entassent, où ils condensent les notions tes plus diverses,

comme pour permettre aux hommes de tout savoir en ne

possédant qu'un seul livre. Ainsi Honoré d'Autun, l'auteur

de t'/wo~ w«K<A,traduite en vers français au treizième

siècle, traite longuement des six âges du monde il retrace

ses origines profanes et sacrées; it étudie surtout t'age

Page 235: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HtSTOïR~ a33

chrétien, qui est te sixième d'après lui, et <)u')t divise en dix

parties.Vincent de Meauvais fait à l'histoire une part beaucoup

plus large. t) lui consacre le tiers de son vaste répertoire.

.S~ffM/MW~MA'tt/f, tel est te titre du troisième votume <)e

édition doses teuvres; et ce volume comprend 3< livres.

sub<)ivis~sen .;7<)~chapitres. Son eontenM et son plan «ut

été anatys~'s nssex ctairement par te t*. Tt'urt'n, dw s<<))

t'uvragesurte'' hommes i))u''trcsde ('ordre de Sai.tt-t~'tni-

ni<)ue.« t/ouvranc entier contient, seton t'or<)re des temps, ('his-

toire abrège de tout ce (p'i s'est passé de mémorable depuisla Création du monde jusqu'au pontificat d'!nnocent IV.

Vincent y décrit d'abor<t tes commencements de )'Ét{)ise.

du temps d'Abet, et ses propres ensuite sous les patriarches.

les prophètes, les ju{{e~, tes rois et tes conducteurs du

peuple de Dieu, jusqu'à ta naissance de J):sus-Cu)«sT. !t

suit le texte sacré et les écrits des anciens l'ères )Xtur faire

l'histoire des apHtres et dcs premiers disciptes <tuSauveur.

!~s bettes actions et les paroles célèbres des {{randshommes

de l'antiquité patenne trouvent leur place dans son traité

historique, ti n'a point oublié de mar'jucr les commence-

ments tics empires, des royaumes, des autres grands états.

leur gloire, leur décadence, leur ruine, les successions des

souverains et ce qui les a rendus illustres, soit dans la paix,

soit dans ta guerre. Mais, en historien chrétien, Vincent de

Heauvais s'étend davantage sur ce qui appartient plus parti-

culièrement et plus directement à t'état de t'Hgtise sous les

empereurs, depuis Auguste jusqu'à Frédéric Il. Sa grande

attention est de nous faire admirer la sagesse de la Providence

Page 236: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LETREtZtKMRSt&CLK.aa4

ct ta vertu de ta t;racedeJ~SUS-('t))«ST dans tes vict<')re'<que

t't'~ti-ie.de siecte en stecte,a remportées sur tous ses ennemis.

t 'f-t ce 'sujet que notre écrivain rapporte tes acte-< qui

partent des combats, des souffrances et des victoires des

tnartyrs, et qu'it met sous tes yeux du lecteur ce qu'il a

trouvé de plus remarquable dans tes ouvrages des docteurs.

t) n'a eu ~arde d'otneUte ni les canons des anciens coocites

ou les décrets des souverains ~ntifes qui "nt <nudmye les

))<')re'.ieset tes autres sectes sfhismatiqMC! ni te:, vertus

et les exemples des ptus cetehres anachorètes, tes restes et

les instituts des saints l'ères, tes cwnntenec'nents des divers

ordres reti~ieux et leurs progrès. Tout ce grand corps

d'histoire est terminé par tes renexions de fauteur sur le

<netant;cprésent des bons et des méchants, sur t'ctat dcs Ames

séparées de leurs corps, sur le siècle à venir, sur le temps et

tes actions de t'Antechrist. !t y est enfin parlé du dernier

jugement, de la résurrection des morts, de la gloire des saints

et du supplice des reprouves ('). ))

Vincent de !<eauvais adopte, lui aussi, la division du

monde en six âges, correspondant aux six jours de la Création.

Cette idée n'est particulière ni a lui ni à son siècle elle a été

en vogue dans tout le moyen &{;e,et rien d'étonnant, car les

éléments de la chronologie étaient encore très incertains et

les hommes existant alors ne pouvaient savoir que t'âge

chrétien ou le sixième Age,comme ils l'appelaient, atteindrait

une durée beaucoup plus longue que les précédents ce qui

introduit dans leur système une disproportion singulière. I~e

premier âge, d'après le ~f«/«w historiale, finit au déluge

le second à Abraham, le troisième à David, le quatrième à

t. T<Mt«n).Wt<.<~M*o«.f7A<&<'er<<M<f<M<«<Domt<)4'«,t. t93-

Page 237: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HtSTO~RE. aas

la prise de Jerutatem. te cinquième t'avenement <h( Messie.

et le sixième ne finira qu'avec l'univers. DepMit que t'en

connait, à peu de chose pr~s, to nombre d'années écoutées

avant la naissance de jf:sus-C)tXtKT (4000 ans environ). il

est beaucoup plus rationnel de partager t'histoifc uniwrsette

en six phases de wi)K' ans chacune, dont deux répondent au

monde anté-dum'ien. deux au «Xtndc p:t<fenet deux au monde

chrétien. Mais, n<a)~r~ ('autorité des syst~tnt's qui assignent

Al'existence de )'hu<nanit~ une dur<*etotatc de six tnine ans.

it est possiMe que nos arrière-petits nts voient le eonxnence-

ment d'un septième millénaire ou d'un vingt-et-unieme siècle:

après J)~SUS-CHR!ST et alors il faudra trouver encore une

division nouvelle pour Hnstnirc universelle, Abstenons n"ut

donc de nous lancer dans ces théories. Considérons p!ut6t!a méthode et tes sources emptoy~es par Vincent de Heauvais.

Ce laborieux dominicain est bien le type de l'érudit du

moyen a{;e.Hn racontant les annales du monde depuis son

origine jusqu'en t'an t2$oapr~s Jf:sUS-Ct)tt)ST,i)ajoute au

récit des faits, comme l'a remarqué lioutarie, (lui avait fait

de son ouvrage une étude critique complète, publiée en partie

seulement, « la biographie des auteurs célèbres, l'indication

rie ceux de leurs ouvrages qu'il connaissait ou dont il avait

trouvé l'indication dans saint Jérôme, dans Jennarius ou dans

d'autres écrivains. Ces indications font quelquefois double

anptoi avec le .~<*<v~M~'<v/M~ mais souvent on trouve

entre ces deux parties du .S~v/w w< des différences

instructives. Vincent cite toujours ses autorités ou plutôt

il s'est borné à faire une compilation, et il a soin d'indiquer

!e nom de l'auteur auquel il a fait un emprunt. L'utilité de

faire des citations exactes était, du reste, <ort appréciée de

Page 238: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L)ETREtZtÈMBS~CLE.aae

son tctnp~ te chroniqueur connu sout te nom d'Aide de

Trots Fontaines indique tes sources auxquettes il a puis~.

j~tinand. auteur d'une chronique universelle que Vincent a

mise largement à contribution et dont il nous a conservé <tes

franments, a suivi le n~me sy~tne. C'est hti aussi qui a

joint ('histoire des productiuns titt~rairetet des auteurs à celle

d~ t'v~netncots et a e~tainmu'nt sorvi de <not~tt: à Vincent.

(Ajuut<t))s qMc cette pn'~ccupati'"), ce souci de t'histoirc

littéraire était bieo naton')<ht'.< tn<ancit'n tn~vèw.) QMan<<

~r<<)is, ce qui est rare. Vincent parle CH son nom, entre

autres quand il donne des tistes d'ouvraRCs,ec qu'it écrit de

sot) chef est pr~ccd~ de la rubrique ~!</< t~ part de l'auteur

ct'tMistc dune (triocipidooeot dans )c chf'ix et )a dispositiondes citations. Ces citations ne sont pas toujours exactes; il

rav«uc hti-tnOnc, en en rejetant ta faute sur ceux qui, nta~re

ses reconnnandatittns, ne se montrèrent pas copistes scrupu-

teu}:, t«ut en protestant que les inexactitudes qu'on peut lui

reprocher sont sans importance, car aucune d'ettcs n'altère

la vérité, Il mit en 'euvre tous les auteurs, sacres ou protanes,

qu'it put se procurer, et te nombre en était prodigieux ('). »

Daunou prétend bien que tes historiens du moyen fige

avaient, entre autres défauts, celui de n'avoir à teur disposi-

tion qu'une très petite quantité de livres, et de ne connaitre

notamment ni tes anciens historiens grecs ni la plupart des

latins. Mais comment donc alors trouvons-nous à chaque pas,

dans Vincent de Beauvais, des citations de l'Histoire <f~/<

.tw«/~<'(par le faux Cattisthene), de la Guerre des C~M~Mde

César, du Jugurtha et du 6<t/<Xw<!de Salluste, de t'abrégé de

Tm~ue-Pompée par justin, de Quinte-Curcc, de Suétone, de

t. ~*<M«des~«M/tMt<)f/t;n~<«t,t. XVn,P.t!t.

Page 239: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HïSTOïRE. as?

Vat~rc Maxime? Jf ne j~rte pas dpt historiens chrétiens ni

des chroniques antérieures A son sjÈcte; i! s'en sert bien

davantage encore. H n'a connu ni Tite.Live ni Tacite, c'est

vfai mais t) a fait un large usa~e de tous les auteurs anciens

qui )i«nt venus A sa c<tnnaissanec, et jMtttr en découvrir

d'autres t) n'a rien n~))~. H a ex~tore tes b)b)<t'thK)ues(lui

existaient de '«tn te<n)ts;car,si la bib))<'<h~<)t)f(!esaint <fuis

ne fut créée que plusieurs années apr~s )'ap)Mfitit'tt du

.S/~w/MW,euntrairetnent à <'hy)'<)(he'.<*~mise jtar Uaunuu et

Petit- Radet, qui voûtaient voir le catalogue de cette collec-

tion royale dans la liste des nvres cités par Vincent, <tu

moins il eut à sa disposition les immenscii richesses entassées

depuis des siècles dans toutes tes grandes abbayes de France.

Saint-t'ère de Chartres, Saint-Victor de Marseitte, Saint-

Amand, t'orbie, Saint-Riuuier, Moissac, Fteury-sur-oire.Saint-Martin de Tournai, Saint-Marien d'Anxerre, Saint-

Victor de Paris, le Mont-Saint-Michet, !e Hec, Citeaux, Oair-

vaux, Sainte-Catherine du Val des ~coticrs, et bien d'autres

monastères possédaient des longtemps de véritables trésors

de tivresou de manuscrits,{;ard~s avec un soin aussi jaloux quetes trésors de leurs chapeHes: tes catalogues nous en ont été

conservés, et sur ces catalogues sont représentées toutes les

branches de la science et de la littérature. Les chapitres, tes

évëchés, surtout ceux de Paris, de Rouen, de Laon, de

Bayeux, de Beauvais, avaient également de très riches col-

lections. Le nouvel institut auquel appartenait Vincent de

Beauvais possédait dans chacun de ses établissements une

école et une bibliothèque. Les chapitres annuels des Frères

Prêcheurs se préoccupaient du soin des livres et de la néces-

sité d'en prêter à ceux qui en manquaient (ce qui n'a pas

Page 240: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.238

emptchét'~bM !~beuf d'avancer, conformémcHtaux préjugés

de son temps, que la création des ordres mendiants avait

entratné la décadence des lettres). Que d'auteurs ctassiques

ne nous seraient jamais parvenus sans la visitante sollicitude

de tous ces moines. que l'on ose accuser d'i~norantisme, et

qui nous ont, au contraire, té~ué, en les préservant de-~injures

du temps, des vers, du piUat;e, en tes reproduisant, en tes

éditant a t'envi, ces précieux monuments du génie antique

dont l'érudition moderne e-'t si nere! Que saMtait-oMdes

at{es reculés dc l'humanité, si t'~tise n'avait fait preuve, dès

tes premiers temps, de ce perpétuel esprit de conservation

qu'elle a porte dans le domaine des arts comme dans le

domaine des lettres? Quette épaisse obscurité s'étendrait

aujourd'hui sur Ic monde.si les prétendus ignorantins n'avaient

passé par là! Nos bibliothèques actuelles ne sont que le résidu

des richesses des anciens monastères. Si t'en va consulte)

notre premier dépôt national, on n'ouvre pas un manuscrit

qui ne porte la marque d'un couvent ou d'une égtisc; mais o[

en trouve des milliers provenant du fonds de Saint-Germain

des t'rés, du fonds de Saint-Victor, du fonds de Notre-Dam<

du fonds de Sorbonm' et, si nous étions sincères, si nou<

étions reconnaissants, nou~ placerions au seuil de ces magni-

fiques galeries, pliant sous le poids des livres, un écriteau

ainsi conçu: Donné par l'Église à la France.

Eh bien! Vincent de Beauvais mit à profit toutes ces

bibliothèques car, loin d'être fermées aux travaitteurs du

dehors, elles étaient accessibles à tous, au point que plusieurs

sont appelées par lui des établissements publics. H employa

pour cette immense investigation toute une armée de jeunes

i. V.surcepointles<Mtaihdonnésdan:lechaptuesuivant.

Page 241: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

JL'HÏSTOtRE. 239

auxittaires, que son ordre lui fournit il a mentionné en plusd'un endroit les extraits dus à leur collaboration, Il fut aidé

par le saint roi lui-même, qui lui ouvrait libéralement sa

bourse pour subvenir aux frais de la composition de son

ouvrage il lui a rendu bien haut ce témoignage: « .S<w~f/MW M ~«~/<A«~ ad <'<M~WJTf~/<ï <<'W/!<f<</f~MAY<

<M~~w ~n;/f<t /~t'~M/ Kt je ne sais mêine s'i) ne

faudrait pas attribuer à saint Louis une intervention plusdirecte dans l'exécution de cette vaste encyctop~dic far

Vincent était attaché, avant t2~8. à la famille royate en

qualité de lecteur ou de professeur, comme il nous l'apprend

lui-même, et l'on peut supposer sans témérité que la con-

ception première de son entreprise lui fut inspirée par cetui

qui l'encouragea de ses deniers idée bien digne du bibtio-

phite couronné qui réunissait à la Sainte-Chapettc les livres

de tout genre qu'il pouvait faire copier, et se détectait dans

la lecture des Pères de t'Égtise.Ce grand roi avait également placé dans la Sainte-Chapelle

tes archives royales, qui devaient être pour l'érudition un

secours non moins précieux que les bibliothèques. Lc dépôtofficiel des chartes, institué par l'hilippe-Auguste à la suite

du combat de Frétevat, où la perte de ses bagages, de son

sceau, de ses registres de chancellerie lui avait fait dure-

ment sentir l'urgence d'abriter ses titres en lieu sûr, fut

installé, dès l'achèvement de ce splendide sanctuaire, au-

dessus de la sacristie où l'on gardait tes reliques de la Passion

et les ornements pontificaux de là le nom de Trésor des

f~M, qui désigna depuis les archives de la couronne. Les

abbayes, les seigneurs avaient aussi leurs chartriers, soigneu-

sement tenus et précieusement conservés: l'intérêt, le souci de

Page 242: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

240 LE TREIZIÈME StÈCLE.

leurs droits, encore plus que l'amour de la science historique,leur en faisaient une obligation. Au treizième siècle, nous

voyons toutes ces archives ecclésiastiques ou privées prendreune régularité et des proportions nouvelles des cartulaires

se rédigent de tous les côtes des classements, des inventaires

commencent à s'exécuter et ceux des seigneurs qui n'ont

pas dans leur château un local a<!ecté à cette destination

spéciale, s'empressent de confier leurs chartes à quelque

puissant monastère des environs, où ils tes savent bien mieux

gardées. Nous en avons un exemple curieux dans une lettre

du sire de Rosny, par laquelle il s'engage, en t283, à donner

à l'abbaye de Saint-Denis une pièce de gibier par an,

moyennant que celle-ci reçoive une de ses chartes en

dépôt.

Ainsi, les ressources indispensables aux érudits, archives et

bibliothèques, ne tour manquaient point et ces ressources, ils

tes utilisaient.Vincent de Beauvais n'eut malheureusement pasassez d'imitateurs, Mais sa tentative seule suffirait à démon-

trer que l'utilité des recherches historiques n'était nullement

méconnue. La critique était encore dans l'enfance on

compilait les matériaux sans établir entre les bons et les

mauvais une distinction suffisante, on admettait des fables

parfois ridicules. Cependant on savait indiquer avec soin

les sources (et en cela l'auteur du .S~M/Z~Mest loin d'être

une exception) on se préoccupait d'éclaircir la chronologie,

car les notions du comput étaient répandues partout on se

fondait, pour les temps anciens, sur la Bible, et on lui

empruntait, en outre, cette incomparable philosophie de

l'histoire qui fait tout partir de la création pour aboutir au

jugement dernier; on appliquait la synthèse à l'histoire, et

Page 243: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HISTOIRE. 241

rien que l'idée de ces .S~wAt, de ces histoires universelles

qui abondent au moyen âge, dénote une largeur de vues

trop souvent refusée à de plus savants enfin et surtout, l'on

s'efforçait de ne laisser perdre aucun document, aucun

élément pouvant servir aux historiens à venir. Nous qui

nous trouvons dans cette dernière catégorie, nous aurions

mauvaise grâce à nous plaindre d'une pareille méthode et

avant de condamner nos prédécesseurs du moyen âge,nous devons nous rappeler que toute une école d'historiens

modernes, florissant à l'époque la plus érudite et la plus

scientifique, a dédaigné de pronter du privilège qui lui était

accordé et s'est écartée de la voie des sources. Les encyclo-

pédistes du dix-huitième siècle n'ont pas l'excuse qu'avaitVincent de Beauvais ils avaient beaucoup plus de moyens

de bien faire, et ils ont fait pis. Les Michclets du dix-

neuvième ont assisté à des découvertes et à des progrès

plus fructueux encore, et ils ont voulu en ignorer. Entre ceux

qui recherchaient avidement les moindres miettes de sub-

stance historique parvenues jusqu'à eux et ceux qui ont

négligé de s'asseoir au grand banquet servi par l'érudition

contemporaine, on jugera quels étaient les plus affamés de

savoir et de lumière.

Passons aux chroniqueurs. La chronique n'est plus, à pro-

prement parler, un travail de compilation et de critique

c'est un simple récit des événements auxquels l'auteur a

assisté, récit disposé sans aucun plan particulier, suivant

l'ordre des temps (~pow<).Les vrais chroniqueurs donnent,

sous la rubrique de chaque année, le tableau des faits accom-

plis durant cette année. Mais beaucoup d'entre eux, au

moyen âge, ne résistent pas à la tentation de relier ces faits

Page 244: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIEME SIÈCLE.242

à ceux des siècles passés ils remontent jusqu'aux originesde leur abbaye, de leur province, du royaume, ou même du

monde ils indiquent brièvement, par une date et par quel-

ques mots concis, tes événements anciens, un peu plus longue-

ment ceux des temps voisins du leur, et enfin, quand ils

arrivent leur époque, ils entrent dans tous Ics développe-

ments possibles. !t en résulte une certaine disproportion et

une grande différence de valeur entre le commencement et

la fin de tours œuvres, car ils n'ont généralement sur les âges

reculs que des notions inexactes ou du moins incomplètes

ainsi presque tous ceux qui parlent de l'origine des Francs

les <unt descendre des Troyens et du légendaire Francus,

qui aurait émigré avec les siens, comme Ënée, vers les plagesoccidentales. Aussi convient-it de laisser de côté toute cette

partie des chroniques, qui n'est autre chose qu'un prologue,

un hors-d'œuvre, et qui n'a d'autre intérêt que d'accuser une

fois de plus l'idée partout répandue de l'histoire universelle.

Cette entrée en matières n'existe, d'ailleurs, que dans les

chroniques monastiques la méditation et le recueillement

du cloître donnent seuls le vaste coup-d'oeil et l'envergure

d'esprit qu'elle suppose.Les moines, au treizième siècle, ne sont plus les uniques

rédacteurs des chroniques. C'est là le trait saillant de l'histoire

dans cette période si féconde en nouveautés. L'histoire com-

mence à se séculariser et, par conséquent, à se franciser.

Précédemment, les compilations latines exécutées dans les

abbayes de Saint-Denis, de Saint-Bertin, de Saint-Benoit-sur-

Loire, de Saint-Germain-des-Prés, etc., représentaient, avec

les travaux de quelques clercs séculiers, toute la production

historique de la~France. Il y avait dans chaque grand monas-

Page 245: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HISTOIRE. 243

tère, dans chaque église, comme un courant d'histoire locale

que chaque siècle venait grossir. Ce courant tend dés tors

à se tarir: l'histoire se centralise comme le pouvoir, comme

ta souveraineté elle devient nationale, et en même temps elle

échappe en partie à l'Église. Les chroniques de Saint-Martiat

de Limoges, de Saint-Magtoire de Nivelles, de Maillezais ne

trouveront plus de continuateurs au quatorzième siècle, tandis

que tes chroniques des princes, des seigneurs, des tamittes

prendront au contraire un développement nouveau, par suite

de la création des (onctions d'historiographe auprès des

personnages importants. La chronique ecclésiastique et latine

est cependant représentée avec honneur encore par Jacquesde Vitry, qui trouve des accents indignés pour retracer les

fautes de la quatrième croisade et la corruption de ses con-

temporains par le moine Rigord, biographe de Philippe-

Auguste, dont la hardiesse et l'indépendance de langage

n'empêchèrent pas ce prince de l'honorcr publiquement par

son successeur Guillaume le Breton, auteur du poème de la

/<7~«& par Pierre de Vaux-de-Cemay et Guillaume de

Puy-Laurens, qui racontent avec animation la grande guerredes Albigeois par Bernard Itier, bibliothécaire de Saint-

Martial par Geoffroi de Courlon, moine de Saint-Pierre-le-

Vif par Albéric de Trois-Fontaines par le clerc anonyme

auquel on doit l'importante histoire des rois de France appeléeHistoria ~?<w /r<MMWMW,essai heureux, où l'on trouve

une certaine critique, et qui fut traduit et répandu par l'ordre

d'Alphonse de Poitiers; par Guillaume de Nangis, qui a

laissé, outre sa Vie de .Mt'~ Louis, une chronique universelle

et une chronique des rois de France, étudiées à fond dans un

mémoire critique de M. Léopold Delisle; j'ajouterais enfin

Page 246: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME StÈCLE.244

par Mathieu Paris, si, d'une part, cet écrivain bien connu

n'appartenait plutôt à l'Angleterre qu'à ta France, et si, de

l'autre, la passion et la verve du pamphlétaire ne détruisaient

ehe?. lui, comme l'a reconnu M. Wallon, t'autorité de t'histo-

rien. H est vrai que les récents éditeurs anglais de Mathieu

Paris détendent éner(;iquement la valeur de ses récits tes

plus invraisembtaMes ils prétendent même le justifier du

reproche de eredutité.que lui adressait déjà Michaud. Mais ces

protestants laissent percer le bout de i'oreitte ils l'appellentbien haut t le dénonciateur de t'oppression papale etro~'ate !t;il est donc fort a croire que cette qualité seule lui aura fait

attribuer toutes tes autres par ses imprudents admirateurs.

On le voit, le genre de la chronique latine n'est pas préci-

sément perdu: mais cette chronique n'est plus tout à fait l'hé.

ritièrc de la chronique religieuse des siècles précédents elle

est déjà plus indépendante et plus personnelle, par la forme,

par te sujet, par la qualité des auteurs. Et puis, un symptômebien significatif, c'est qu'ette commence à être traduite elle-

même en langue vulgaire. Dès t2to, un certain Nicolas de

Senlis traduit en poitevin plusieurs chroniques monastiques.En 126o,un ménestrel du comte de Poitiers traduit, comme

je viens de le dire. l'Historia ~«w /fMM~ww. Ces versions

vont se multiplier, et ce mouvement de vulgarisation corres-

pond justement à la naissance de ta chronique française.

Mais nulle part la transformation n'apparait aussi sensible

que dans les fameuses chroniques de Saint'Denis. L'origine

de ce monument quasi-officiel de notre histoire nationale est

encore enveloppée d'une certaine obscurité. De savantes

publications, notamment un mémoire spécial de M. de

Wailly, ont cependant contribué à t'éctaircir, et les résultats

Page 247: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HISTOIRE. a4s

L.Hnf <)M. MM.M tdmt..4

acquis ont été assex bien résumés dans un ouvrag récent,

qui est une condensation habilement faite des travaux d'au

trui < C'était le temps où l'abbaye de Saint-Denis, illustrée

par ses hommes d'État et ses historiens, tel que Suger,

Rigord, Mathieu de Vendôme, jetait son plus vif éclat et

étendait sur l'administration publique comme sur les lettres

son influence: depuis un siècle, son trésor historique s'était

enrichi d'une grande collection de manuscrits, dont l'abbé

autorisait volontiers la communication le bruit, en partie

exagéré, se répandait et s'accréditait que ta se trouvaient

réunis tous les chroniqueurs épars dans les autres abbayes.Pour soutenir cette gloire et affermir cette prépondérance,

Mathieu de Vendôme, qui dirigeait t'abbaye au temps de

saint Louis, commanda à l'un de ses moines de donner une

forme française aux anciens monuments de nos annates. Le

rédacteur, interprète zélé de la pensée politique de l'abbé,

traduisit, en les développant à t'aide de chroniques plus

récentes, !es compilations de Saint-Beno!t-sur-Loirc et de

Saint-Germain-des-Prés et celles de son propre couvent ilil

s'appropria le travail de ses devanciers sans tes nommer,

supprima la mention des sources où ils avaient puisé, a<!ccta

de ne rien devoir qu'au trésor de Saint-Denis, et, n'omettant

aucune occasion d'exalter l'abbaye, il laissa croire que tout

ce qui concernait la véritable histoire de France s'y était

conservé par une sorte de privilège. Son récit, qui ne va

pas plus loin que celui du ménestrel d'Alphonse, fut achevé

en t274. Mathieu de Vendôme, accompagné du traducteur,

qui se nommait dom Primat, se présenta devant Philippe

le Hardi et lui offrit le volume élégamment transcrit et

richement enluminé, en récitant sept quatrains

Page 248: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LR TREtZtÈMR StECLE.246

<*))e)ipe,xtit)e)').tnce,((nitMntc-.t)riw~e<.

Jetetemtt:tft))~m)mJc*tM)s<tM)t)M,'Cauttssc:i~tIraswilli ~tuil'riutu; en uomez,'t'.tMti'ci-.ttntH'iHc()mt')i'~it~e'.tnftn'e!.

Etc. (·) YQm;i) est, Uit'n merci,p:(tf.ti<tcctnt«t))e<.Etc.(')t

C'est ainsi <(ue fut fondée ht grande eojtection des chroni-

ques de Saint-Denis. Une nouvette édition, composée de la

rédaction du Membre) pour ta perifute des deux pr<*))))crcs

racfs et de ccH<;de )'ri)nat pnur )c reste, puis aH"n~f d'une

ic de sitiut L<'uis et d'une vie de t'hitippe )e t tard), parut

s<tu'. t'hitipj~c )t' Ht') MHK ce titre: < ('hrM)i(juesde France

seton ~u'eUes s<tnt conservées a Stunt-Uenis. L'histoire oft)-

ciet)e de t)"s rois fut écrite jusque sous te re~ue de Chartes V

par un tnoinc de cette abbaye, qui suivait la cour en qualité

d'historiographe et au<(ue) un eotnntuniquait les titres royaux.

A cette époque fut donne un texte comptet et rajeuni, dont

les exemplaires se répandirent partout c'est cetui qui a été

publie des t~7y a Paris, et plusieurs fois depuis, sous ta

dénomination de ~MM</i'.<<<w~«'A /MM«'. Les historio-

graphes du roi devinrent ensuite des écrivains séculiers, qui

proton~erent le recueil par une rédaction uri{;inatc jusqu'A

t'avenement de Louis XL

Mature tous ces travaux, malgré toute t'activité déptoyec

dans ces deux genres de la chronique latine et de ta chro-

nique traduite de latin en français, tes chefs-d'œuvre histori-

ques du treizième siècle appartiennent sans contredit a une

troisième espèce, celle des mémoires directement composés

dans l'idiome vulgaire. La langue française, sortie complète-

ment de ses langes, forte comme un adulte dont la croissance

a été lente et régulière, conquiert l'histoire comme elle a

t. Aubertin,/.<j/a~<~f/ /<7//r<</«r~~aM~a

Page 249: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HISTOIRE. 247

conquis la poésie et )a chaire. comme elle conquerra bientôt

la philosophie et tout le reste et son introduction dans ce

domaine est une entrée triomphale, les noms de Vittehardouin

et de Joinville nous te disent assex. t'~st-cebien ta, cependant,son entrée première ? Est-il naturel que tes titterateurs du

douzième siècle, qui écrivaient en français des ~temes. des

romans, des traductions de H\res saints, n'aient jM<intessa~

d'apptiquer cette nou\e))e tcrtne de tan~a~e a ta conux'sition

historique? Assurctnext non quelques essais thnides ont du

se produire d'abord. M. rant Mcyer a depuis peu retrou\c

quelques fragments vcrsi~es de la fin du tneme siecte, ou des

premières années du treizième, qui appartiennent vraiment a

t'histoirc: te prologue d'un récit du re~ne de Phitippe Auguste;une narration de ta première croisade, imitée en partie du latin

de Haudri de Hourgueit par un trouvère de rUe-de-France

ou de Normandie. On sait, d'un autre côte, que Baudouin tX,

comte de Flandre, avait ordonne, vers l'an t2co, de composer

une histoire générate ~«w« /<w«/< cette histoire a

même existé, puisqu'un écrivain du pays de Hainaut, Jacques

de Guise, l'a consultée. Néanmoins le livre de Villchardouin

paraît bien, jusqu'à nouvel ordre, être le premier monument

de notre histoire rédigé en prose française.

Geoffroi de Villehardouin, qu'on a cru ton~emps fils de

Guillaume, maréchal de Champa~te, mais à tort, était certai-

ncment issu d'une noble famille champenoise et fut lui-même.

revêtu de la dignité de maréchal. Knroté avec l'élite de la che-

valerie française dans la croisade qui devait aboutir à la fonda-

tion de l'empire gréco-tatin, il prit une part active à tous tes

hauts faits de cette expédition, et il les a retracés dans un récit

très sincère, intitulé /?<*la f<'Ky/«'y/<'<A'~/M/<M/w~A', qui

Page 250: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

M8 LE TREIZIÈME SÏÈCLE.

t-mbras-M*tes années t <o8i\ 1207.C'est donc à cette dernière

date, ou fort peu de temps après, que son livre parut. Cette

première chronique française a encore quelque chose de

t'atture des grandes chansons de geste, qui étaient auparavant

l'unique histoire nationale pour la masse du peuple. Elle fut

peut-être composée pour être récitée, comme celles-ci, dans

les châteaux, et t'en retrouve aussi dans certain passage de

Joinvitte une préoccupation semblable. Villehardouin paraits'a'trt".<('r dirt'rtement à un twbte auditoire. Son début res-

semble vaguement à celui des vieux poèmes déclamés par les

jongleurs dans les cours féodales. A chaque pas, ces formes de

discours: « Sachex, seigneurs. Que vous dirai-je ?. Or

puez otr. se rencontrent sous sa plume. Lorsque la flotte

des croises fait voile vers la Grèce, lorsqu'elle arrive devant

les murs imposants de la cité impériale, ces merveilleux

spectacles mettent également dans la bouche du chroniqueur

des accents d'une poésie véritable. On retrouve encore dans

Villehardouin les grands conseils de barons décrits dans les

chansons de geste, les parlements tenus à cheval «emmi les

champs les impétueux discours prêtés aux pairs de

Charlemagne, les longues chevauchées des paladins, les

confessions et les communions collectives avant la bataille,

les exhortations des chapelains au fort de la mêlée. Toutes

tes scènes légendaires de notre grande épopée revivent là

dans la réalité, plus saisissantes que dans la fiction. La

~M~Af de C<')M&w//M< nous peint fidèlement la cheva-

lerie en action elle est la confirmation éclatante de la sin-

cérité de nos trouvères; elle est la démonstration de la

Chanson de Roland. Et malgré ce caractère épique, l'authen-

ticité des récits du chroniqueur est au-dessus de toute

Page 251: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HISTOIRE. a49

contestation elle est visible comme l'évidence même. à tel

point qu'on a pu dire que Villehardouin avait fondé la probité

historique, t) ne l'a point fondée mais il a contribué en

affermir chez nous la tradition, et ce mérite peut sufHre a la

gloire du Xénophon français. Un débat récent s'cst cependant

engagé sur le degré de bonne (oi qu'il avait apporté dans

l'histoire de ses relations avec les Vénitiens on a prétendu

que ceux-ci, en modifiant à leur pro<)t tu but primitif de ta

croisade, l'avaient eu pour complice. MM. Riant. Hanoteaus.

de Mas-Latrie, de Wailly et quctques savants étrangers f'nt

pris part à la discussion. !t ne parait point que la réputationde véracité du chroniqueur en soit sortie moins pure.

Les mémoires de Villehardouin ont été continués un an

plus loin par un clerc appcté Henri de Valenciennes, qui a

substitué à son diatecte champenois le dialecte waHon ou

picard, à sa poésie naturelle les Heurs d'une rhétorique re-

cherchée, à sa sobriété des développements romanesques.

Les chroniques françaises se multiplient ensuite assez rapi-dement. C'est le Ménestrel de Reims, dont t'œuvre, longtemps

connue sous le nom de f~w<t~«<*<A ~<'<wt,a été ramenée

par M. de Wailly A sa vraie dénomination et sa juste valeur

espèce de roman historique, où les médisances accréditées

parmi les seigneurs hostiles à la couronne et tes flatteries à

leur adresse se mêlent aux scènes pathétiques et, suivant

l'expression de Victor Le Clerc, aux narrations épiques

chères aux historiens de l'antiquité. On a voulu y voir une

histoire populaire et authentique il faut y reconnaître bien

plutôt les chants d'un trouvère converti à la prose, et en

même temps l'écho des rancunes de la noblesse féodale abais-

sée par Blanche de Castille et son fils. Puis c'est Li estore des

Page 252: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

)LR TREIZIÈME StÈCLE.280

</«f~ <~ A~wd~</«* rois <<J~/<~w, qui traçante les

exploits des Normands et l'expédition du prince Louis, fils

de t'hitippe-Auguste, chez les Anglais la <~<w/~<* ~<w/~<

M<<r, qui reproduit tes récits de la croisade depuis t'an) )oo

la rotation de la /'w<' <<r<' et les /<\t <<w<

sorte de nobiliaire des grandes familles françaises établies en

t'atestine. te sont des cttroniques rimée!), comme celles de

t'hitipj)e Monske et de Guillaume Guiard, mauvais portes,

m.tit. !)i~t")it-nsinstructifs, 't'outcs ces productions, ind~;tcn

damment des chroniques traduites du latin, que j'ai déjà

signalées, et des écrits hagiographiques, dont je dirai un mot

tout a l'heure, s'échelonnent le long du treizième siècle pour

retier par une chaine continue tes deux grands écrivains

nationaux piae6st'un au d6but,t'autreataRndecetteKeoude

période, comme pour garder les abords d'un domaine pri-

vilégie Villehardouin et Joinville.

Kst-it besoin de parler longuement de ce dernier, après les

éditions et les recherches critiques si justement octobres dont

sa ~Y<*~f M<M~/,OMMa été l'objet de nos jours (')? Tout le

monde, grâce à ces lumineux travaux, a pu reconnaitre dans

son texte la sûreté d'information, le sentiment de la respon-

sabilité, la sincérité désintéressée et toutes les qualités quifont le bon historien puis le naturel, le pittoresque et les

mérites de la forme, y compris je ne sais quelle allure décou-

sue, qui serait un défaut chez d'autres et qui chez lui n'est

qu'une grâce de plus. Joinville se trace bien un plan à la pre-mière page il veut rappeler dans une première partie toutes

les vertus, tous les renseignements de son héros, puis, dans

t. V. notamment la belle édition donnée par M. de Wailly, avec traduction, éclair-

cbsements. gtossaire et iUnstrations, chez Didot, 187~, grand itt.8".

Page 253: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L.'HtSTOïRE. ast

une seeondf. tes beaus faits d'armes ')M'i)tui a vu accomplir

mais ce plan, il l'oublie parfois dans t'entrainoufnt du récit,

j'attais dire <tans la chateur de la conver.'i.ttiox car .son tivrc

n'est guère qu'une conversation écrite, confiée au parchemin

pour être répétée plus tard devant les n"htes chatetaines.

Cette destination et cette préoccupation sent surtunt visibtes

dans la p:tt;e oit le brave s~necha) raconte le rutc qu'it a jouedans ta fameuse bataille ()e Mansourah, torsqu'avec te Cttmtc

de Soiss<w et t'icrrc de Neuville il défendit un petit pontsous une ~re!c de traits

« Devant nous, il y avait deux sergents du roi, dont l'un

« avait nom Guillaume de Boon et l'autre Jean de Gamach<<,

« contre qui les Turcs qui s'étaient mis entre le neuve et le

« ruisseau amenèrent tout plein de vilains à pied, qui leur

« lançaient des mottes de terre jamais ils ne les purent faire

« reculer sur nous. Kn demier lieu, ils amenèrent un vilain a

« pied qui leur tança trois fois le feu {{rc~eois.Une <ois,Guit-

« laume de Boon reçut le pot de feu }{rc~eoisavec sa rondelle

« (bouclier); car, si le feu eut pris à rien sur lui, il eùt été tout

« brute. Nous étions tout couverts des traits qui n'atteignaient

« pas les sergents. Or, il advint que je trouvai une veste

< rembourrée d'ctoupes à un Sarrazin je tournai le cote

< (endu vers moi, et fis un écu de la veste, qui me rendit

« grand service car je ne fus blessé de tours traits y/<'<<f/~

<<~w/f, et mon roussin en quinxe endroits. Or, i) advint

« aussi qu'un mien bourgeois de Joinville m'apporta une

« bannière à mes armes avec un fer de lance et toutes les

« fois que nous voyions qu'ils pressaient les sergents, nous

« leur courions sus, et ils s'enfuyaient. Le bon comte de

« Soissons, au point où nous en étions, plaisantait avec moi

Page 254: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TRMZÏ&MZ StÈCLE.asa

< et me disait Sénéchai, laissons huer cette canaille car,

« par la coiffe Dieu ) (c'était son juron), nous en parlerons

« encore, vous et moi, de cette journée, dans les chambres

< des dames ('). 11

Le mot n'est-il pas bien français? On sent ici, comme en

maint autre passage, que Joinville, suivant une expression très

moderne, a vécu son livre. JI le vit une seconde fois en le

dictant de telle sorte que, malgré la date de son achèvement

( 30!1306), ce chef-d'œuvre de notre vicitte littérature appar-tient a plus d'un titre au siècle de son héros, qui fut aussi le

siècle de son auteur.

Après Joinville, l'école des chroniqueurs épiques, si je

puis m'exprimer ainsi, disparaitra pour toujours. Froissart,

Monstrelet, Commines seront plus politiques, plus profondssi l'on veut mais ce seront des hommes de parti ou des

hommes de cour. Aucun d'eux ne fera vibrer chez ses lec-

teurs au même degré que Villehardouin et Joinville cette

corde sensible qui est au fond du coeur de tous les Françaiset qui est l'âme même de la patrie.

JI me reste à mentionner un dernier genre qui se rattache

directement à l'histoire: c'est l'hagiographie. Les monuments

tes plus importants qu'il nous a laissés sont également relatifs

à la personne de saint Louis car tes écrits de Geoffroi de

Beaulieu, de Guillaume de Chartres, du confesseur de la reine

Marguerite contiennent plutôt la vie du saint que celle de

l'homme public; ce sont plutôt des dépositions en faveur de sa

canonisation que des récits historiques. Cela n'ôte rien, du

reste, à leur autorité. Geoffroi de Beaulieu, dominicain, qui fut

pendant vingt ans le confesseur du roi, nous a transmis de

t. JoinvtUe.éa.deWaiMy, t~ (tetttetajeani).

Page 255: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HÏSTOtRE. as3

première main mille traits édiOants, et Joinville se rencontre

plus d'une fois avec lui. Sot\ liv re,composé à la prière du

pape Grégoire X, de ta/o à ts~ô, est ordinairement suivi de

celui de Guillaume de Chartres, chapelain du même prince,

qui a raconté, en vue de l'enquête ouverte à son sujet par

t'Égtise de France, soixante-cinq de ses miracles. Tous deux

ont écrit en latin. Mais le confesseur anonyme de la reine, qui

rédigea ses souvenirs un peu plus tard, à la demande de la

princesse Blanche, fille de saint Louis, nous les a transmis

en français. C'est !e meilleur de ces trois hagiographes. tt

reproduit un certain nombre d'anecdotes qui se trouvent dans

Joinville et dans Geoffroi de Beaulieu toutefois it les repro-duit avec plus d'ordre, et quelquefois avec t'autorité de la

source première.Mais une des plus belles compositions hagiographiques de

ce siècle, si fertile en saints et en vies de saints, c'est sans

contredit la célèbre légende de saint François d'Assise parsaint Bonaventurc, son disciple. Le docteur séraphiquesemble avoir mis là toute son âme, ou plutôt t'âme si tendre

de son héros semble avoir passé dans la sienne. Le début

seul de cette œuvre d'amour filial, intéressante comme un

roman, sincère comme une déposition, suffirait pour venger les

légendaires du dédain trop général professé à leur égard, et

pour nous dédommager des platitudes ou des amplifications

apocryphes qui déshonorent certains recueils de légendes.« I! y avait dans la ville d'Assise un homme nommé

« François, dont la mémoire est en bénédiction, parce que

< Dieu, le prévenant avec bonté par des grâces pleines de

« douceur, le préserva par sa clémence des périls de la vie

« présente et le combla abondamment des dons célestes.

Page 256: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

284 LE TREIZIÈME SIÈCLE.

« Dans son jeune âge, ayant été élevé dans les vanités parmi

« les enfants des hommes, et, après une instruction telle quelle

« ayant été livré aux opérations lucratives du commerce,

« grâce à l'aide du Très-Haut, il ne succomba point sous l'en-

« trainemcnt de la chair, au milieu d'une jeunesse légère,

« quoiqu'il fût naturellement porté a la joie; et, dans la société

« de marchands avides, il sut travailler à augmenter son bien

<<sans placer son espérance dans l'argent ou les trésors. Il y

avait, en effet, dans l'âme du jeune François une compas-« sion libérale à l'égard des pauvres don divin, qui croissant

« avec lui depuis l'enfance, avait rempli son cœur d'une telle

II.bienveillance, que, déjà fidèle disciple de l'Évangile, it se

« proposa de donner à tout homme qui lui demanderait,

« surtout s'il invoquait l'amour de Dieu. Mais un jour que,« plus occupé des anaircs du commerce, il avait, contre sa

« coutume, renvoyé sans lui rien donner un pauvre qui lui

« demandait l'aumône pour l'amour de Dieu, s'en apercevant« bientôt par un prompt retour sur lui-même, il courut après

« lui, et lui faisant l'aumône avec a<!abilité, il promit au

« Seigneur que désormais, à moins d'impossibilité, il ne refu-

« serait jamais plus à personne. Ayant observé ce voeu jusqu'à

« sa mort avec une piété qui ne se ralentit jamais, il mérita

« auprès de Dieu de grands accroissements d'amour et de

« grâce. Il disait dans la suite, quand déjà il s'était pleine-

« ment revêtu du Christ, que, même dans la vie séculière, il

« ne pouvait pas entendre prononcer sans un tressaillement

« de cceur une voix parlant du divin amour ('). »

Le recueil de Jacques de. Voragine (la fameuse Légende

dorée) n'appartient pas à la France, mais à l'Italie. Je ne nie

t. disl. /<</<A/<:/~tM. t. XtX,p.eS?.-`

Page 257: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

L'HISTOIRE. 255

pas que cette ceuvre de décadence ait obtenu chez nous une

grande vogue; toutefois cette vogue se déclara principalement

au quatorzième siècle, et l'époque de saint Louis compte

encore assex d'hagiographes comme saint Bonavcnture

pour qu'on ne les enveloppe pas tous dans une sentence

commune.

En somme, l'histoire considérée comme science est assez

faiblement représentée à cette époque; nos érudits ont cepen-

dant quelques précurseurs, et ils en ont un véritable dans

Vincent de Beauvais. Mais il en est tout autrement de l'his-

toire racontée sous forme de mémoires si la chronique

latine est sur son déclin, la chronique française triomphe par

les deux plus beaux chefs-d'œuvre qu'elle ait jamais produits,

et c'est à elle qu'appartient l'avenir. Chose curieuse, ce sont

des gentilshommes, ce sont de braves chevaliers qui viennent

donner à cette forme historique une grandeur et une vie

nouvelles ce sont les fils de ces rudes guerriers de la féoda-

lité primitive, de ces hommes qui ne savaient écrire qu'avec

la pointe de leur épée. Le culte des lettres a gagné la noblesse,

et, après la poésie, c'est par l'histoire nationale que commence

ce partage du sceptre intellectuel, comme si raconter les

prouesses guerrières était une prérogative revenant de droit

à ceux qui les accomplissent. La littérature est donc en train

de se séculariser. Ou plutôt la classe laïque, la nation tout

entière est en train de se clériciser (qu'on me passe ce mauvais

néologisme) car entrer dans le monde littéraire, c'était faire

œuvre de clerc, c'est-à-dire de prêtre, en même temps que de

savant (il n'y avait qu'un mot pour désigner ces deux états),

c'était pour ainsi dire entrer dans l'Église et s'associer à la

noble mission de ces moines qui, pendant les siècles de

Page 258: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREÏZtÈME SIÈCLE.2S6

barbarie, avaient seu)s gardé te dépôt de la science, pour te

transmettre intact ou considérablement augmenté à la

snciété sécuHtre, le jour où elle serait capable de le faire

fructifier à son tour.

Page 259: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

C&ap<m Mt~MM. LA BIBLIOPHILIE Il'

ET LES COLLECTIONS DE LIVRES.i

E livre à l'état collectifa été chez toutes les nations

l'objet d'un culte aussi fervent qu'à l'état isoté.

Partout où les œuvres de l'esprit ont revêtu la

SOMMAtRE. –Ortgtnas des btMtoth&ques. –CoUecHons des

couvents, des églises, des ecotes. Le goût des livres chez les

princes et ieapartioaHers.– Plan d'une bibliothèque Idéale

au tret~iënte steete.– Devoirs du blbliothécaire.-lnstallation

des livres: toc* armoires, pupitres, chalnes, etc. Commu-

atcaUon et pt~t des manuscrits. Bx-MbDs et marques M-

bliographtques.

torme écrite, Ils est trouve (tes amateurs pour les collectionner,

des intelligences d'élite pour veiller à leur conservation. Ce sont

les manifestations de ce zëte artistique et littéraire qu'il nous

faut envisager maintenant, en jetant d'abord un rapide coupd'œit sur les temps antérieurs à la période que nous étudions.

Sans remonter au déluge ou ptus haut, comme l'a fait cer-

tain auteur du siècle dernier ('), on retrouve la trace de cette

sollicitude chez les Chaldéens, les Assyriens, les Perses, les

Carthaginois, les Égyptiens. Dans les tombeaux de Giseh,

chez ces derniers, on a exhumé un fonctionnaire qui s'appelait

« le gouverneur des livres L'immense palais de Thèbes,

élevé par Osymandias, avait une salle remplie de manus-

crits, sur le seuil de laquelle se lisait, en langue égyptienne,

Madena, ~< M~Mtt~tt «~ttt <MmMcMMn"mt fA:Wtt<m<;rt<m,~t~r~M«t

«i'<M<<M/MthKÙ««~M'MaM. HehmtadH, t?~. )n 4°.

Page 260: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.258

cette inscription caractéristique 7'~«<w<M<'(ff /'<}M«'.Cette

bibliothèque est la plus ancienne qui soit mentionnée

nominativement dans l'histoire. On signale ensuite celle

qu'avait formée Pisistrate et qui. après avoir été entevéc par

Xersès, fut rendue aux Athéniens par Séteucus Nicator

celle d'Aristote, tcguéc à Théophraste, puis a leur disciple

Kétcc, et ptus tard transférée a Rome par l'ordre de Syttacette de Persée, dernier roi de Macédoine, enlevée également

par les Romains celle des rois de Pergame, qui, sous le

triumvirat d'Autoine, vint grossir la plus rcmarquable et

la plus importante des collections antiques, la fameuse

bibliothèque d'Alexandrie. CeUe-ci, créée avec le Musée, et

dans son enceinte, probablement par Ptotémée-Soter, fut

détruite une première fois, en partie du moins, par un incendie

allumé durant le combat livré à César. A cette époque, elle

reunissait déjà sept cent mille volumes d'après Autu-Geuc,

quatre cent mille d'après Tite-Live, deux cent mille seule-

ment suivant Plutarque; mais il faut songer que ces w/MWt/M

étaient de simples routeaux, ne renfermant qu'un fragment

d'ouvrage et tenant fort peu de place, de sorte que l'ensemble

était toin d'égaler en richesse et en étendue nos grands dépotsmodernes. Cette perte fut réparée à l'aide des livres conservés

par tes rois égyptiens dans le Serapeum et de ceux que l'on

apporta de l'ergame. On sait que la destruction définitive de

la bibliothèque d'Alexandrie a fait l'objet d'une controverse

plusieurs fois renouvelée, et portée jusqu'à notre tribune

politique. Les uns veulent que ce désastre soit l'ouvrage des

chrétiens, qui, sous Théodose, et un peu par son ordre, mirent

au pillage un palais devenu le dernier centre de la résistance

païenne. Les autres l'attribuent à la barbarie des soldats

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BIBLIOPHILIE ET COLLECTIONS DE LIVRES.259

d'Omar, lorsqu'ils s'emparèrent de ta ville, au septième siècle.

Il est certain que la célèbre bibliothèque. soit que les chré-

tiens en aient laissé subsister une portion, soit qu'elle ait été

reconstituée ensuite, survécut beaucoup plus tard elle dut

périr de délaissement, sinon de la main des Musulmans ou

des Turcs ('). »

Les Romains se montrèrent d'abord moins curieux (le

livres que les Grecs. Vers la fin de la répubtiquc, quelques

opulents personnages commencèrent a te-i rechercher Lu-

cu))us mit à la disposition de tout le monde ceux qu'il avait

trouvés dans la dépouitte des rois de l'ont. Mais Augustefut le premier à organiser, sous les portiques d'Octavie et du

Palatin, de véritabtes biHiotheques publiques. Tibère, Vespa-sien et d'autres empereurs imitèrent son exemple. Kome comp-tait au quatrième siècle vin~t-huit étaMissements de ce genre

dont la surintendance constituait une des principales charges

de l'empire. Les cités, les villas particulières, les thermes en

avaient aussi. Trois mille papyrus grecs et latins ont été

découverts a Hercutanum dans la maison d'un philosophe

ou d'un homme de lettres tous tenaient dans un /~<Mw~w

large d'environ trois mètres et demi, avantage qu'envieraient

certainement bien des collectionneurs d'aujourd'hui. Les

chrétiens héritèrent du zete des bibliophiles palens. Un prêtre

qui fut martyrisé, saint Pamphite, ne possédait pas moins (te

trente mille volumes. Les catalogues dressés par saint Jérôme

et Gennadius supposent des dépots de manuscrits aussi vastes

que nombreux. Un des plus considérables fut organisé a

Byzance par Constantin et ses successeurs renfermait,

<.V.DfUOtuberget S.tjjHo,D<.r<.des<:«~ aumotB~M.tut MKCA~f«<'~M/oft~f,an.t~6, p..)&).

Page 262: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtÈME SÏÈCL.E.260

dit-on, cent vingt mille volumes, qui furent brùMs en 476.

L'empereur Zenon reconstitua plus tard cette bibliothèquemais tes ravages des iconoclastes en laissèrent à peine sub-

sister de rares débris.

En Gaule, un certain nombre de collections particulières

existaient en pleine invasion barbare. Sidoine ApoHinairementionne ceUesde Rurice, éveque de Limoges, du professeur

Lupus, a l'érigueux, du consul Magnus à Narbonne, de

Ferrfot, propriétaire d'une riche habitation à Prusiane, sur le

Gardon. Mais la conservation des manuscrits devint alors,

comme leur usage et leur confection, l'apanage à peu prèsexclusif des monastères. La bibliothèque était une des parties

essentielles de l'établissement cénobitique, une de ses pre-mières raisons d'être. Un cloitre sans bibliothèque, disait une

locution proverbiale, c'est une citadelle sans munitions: C7<HM-

~WMWM<M'M<!W,~M<M<t<M<n<'Mw!e«rM«M~<t~M. L'armoire

avait, en effet, donné son nom aux réunions de livres qu'elle

abritait, et leur gardien, un des premiers dignitaires du

couvent,s'appelait par la même raison l'<tnM<t~<M(quelquefois

aussi /t~r«nM~).L'entretien et la surveillance de ces /<~W!M

avaient <ait l'objet de recommandations toutes spéciales de la

part des principaux fondateurs d'ordres. Dès le troisième

siècle, saint Pacôme imposait à ses disciples, qui n'étaient

pourtant que des solitaires, des prescriptions relatives à la

distribution et au classement des volumes qu'ils consultaient

il préposait deux d'entre eux à cette tâche délicate. La règle

de saint Isidore voulait que les livres fussent rendus chaque

soir par les religieux celle de Clteaux leur détendait de se

déplacer sans les remettre dans 1'<MWM~«M,celle des Char-

treux ne leur permettait d'en prendre que deux à la fois, et

Page 263: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

BIBLIOPHILIE ET COLLECTIONS DE HVRES.26!

t<xnt*~Mt)ttt.tt~Mm.

avec les plus grandes précautions. Partout éclate, chez ces

fidèles dépositaires de la science, le sentiment de vénération

exprimée par le bibliothécaire de Saint-Riquier a la fin de

son catalogue: « Ce sont ta nos richesses, ce sont les aliments

de la vie céleste, <brtinant l'âme par leur douceur c'est pareux que notre maison de Ccntuta a vu s'accomplir cette

sentence Aime la science des écritures, et tu détesteras le

vice ('). On pourrait, en eOet, mesurer la prospérité intettec-

tuelle et spirituelle des anciennes congrégations religieuses aux

soins dont elles entouraient leurs manuscrits le jour où elles

les négligèrent, où etks les laissèrent attaquer par la poussièreet les vers, oùelles tes vendirent a vil prix, comme cela se

vit, d'après Trithème, à t'abbaye d'Hirsaugc et ailleurs, la

décadence envahit sous toutes ses formes l'institut monas-

tique. Mais ces abus ne se produisirent guère que vers la findu

moyen âge. J usquc-là,nous voyons lcs moines aussi amoureux

de leurs trésors bibliographiques que peut t'être le plusardent de nos collectionneurs. Au moindre signal d'alarme, à

t'approche des Lombards, des Sarrazins, des Normands, leur

premier soin est d'emporter en lieu sûr les deux choses quileur tiennent le plus au cœur: les reliques de leurs patrons et

leurs livres.

C'est qu'il n'était pas facile pour eux de recruter tes élé-

ments d'une bonne bibliothèque et de les remplacer quandils se perdaient. Le travail du .KT-oA'MM, ou de l'atelier

d'écriture, ne suffisait point. It fallait recourir à des achats,

à des emprunts, à des missions lointaines, à des contributions

spéciales. Dans telle abbaye, chaque novice devait apporterle jour de sa profession, un volume de quelque valeur. Dans

i. D'Achery,~M</<y.,t. IV Ai'«M'<tM.t/~<~j, t. tV,p. $9.

Page 264: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.262

telle autre, les tenanciers étaient soumis & une redevance

annuelle pour le recrutement des livres, comme ils l'étaient

ailleurs pour leu'' reliure. Un des règlements de Corbie,

confirmé par le pape Alexandre ttl, astreignait a une taxe

analogue toutes les maisons de sa dépendance. Un des abbés

de Fleury avait pris la même mesure. A Saint-Martin-des-

Champs, la bibliothèque avait une dotation de vingt sols

par an. Dans une foute de communautés, elle était entretenue

par des rentes de diverse nature, par des dons, par des

te~s pieux. Il ne fallait rien moins que tous ces expédientsréunis pour arriver à composer des collections comme en

possédaient Cluny, Luxeuit, Fleury, Saint-Martial, Moissac,

Mortemer, Savigny, Foucarmont, Saint-Père de Chartres,

Saint-Denis, Saint-Maur-des-Fossés, Saint-Corneille de

Compiegne, Corbie, Saint-Amand, Saint-Martin de Tournai,où Vincent de Beauvais avait trouvé le plus vaste dépôt de

manuscrits qui existât de son temps, et surtout les grandes

abbayes parisiennes, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Victor,

Saint-Martin-des-Champs, dont les précieux fonds sont

connus de tous ce ix qui ont consulté les catalogues de notre

Bibliothèque nationale. Plusieurs établissements qui tenaient

dans la capitale une place bien moins importante, ceux des

Célestins, des Feuillants, des Jacobins, des Carmes, des

Cordeliers, des Blancs-Manteaux, de Sainte-Catherine-du-

Val-des-Écoliers, avaient amassé de la même façon de

véritables richesses. C'est cette réunion considérable de livres

de toute espèce qui rendait Paris si cher aux lettrés et aux

travailleurs.Les trésors littéraires de cette cité de l'intelligence

arrachaient à ses visiteurs des cris d'enthousiasme plus vifs et

plus sincères que tous ceux que peut faire pousser aujourd'hui

Page 265: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

BIBLIOPHILIE ET COLLECTIONS DE LIVRES.263

son tuxe e<!réné.< 0 bienheureux Dieu des dieux dans Sion

« s'exclame Richard de Bury, quel torrent de délices a

« réjoui notre cœur toutes les fois que nous avons eu le loisir

« de nous arfcter à Paris, ce paradis de l'univers La. par« l'ardeur de notre passion, les jours s'écoulaient trop vite.

« Là se trouvent des bibliothèque!! cent (bis plus agréables« que des vases remplis de parfums; là, des vergers abondants

« en toute sorte de livres ta, des prés académiques, jardin< des péripatéticiens, sommets du Parnasse, portique des

< stoïciens. Là, on voit Aristote mesurer la science aussi bien

< que fart. Ptolémée et Genzachar calculer par des figures et

« des nombres les apsides épicyctes et excentriques des

« planètes, Paul révéler les mystères, Denis coordonner et

« expliquer sa hiérarchie, la vierge Carmenta représenter« en lettres latines tout ce que Cadmus et tes Phéniciens ont

« rassemblé sur la grammaire (1). »

Mais ce n'est pas seulement dans les monastères que le

bibliophile trouvait à se délecter ainsi. Les églises séculières

lui ouvraient également leurs < librairies Notre-Dame de

Paris en possédait une déjà fort belle au treizième siècle

elle était à la disposition de tous les étudiants pauvres. La

Sainte-Chapelle, l'Hôtel-Dieu, les principaux collèges de

l'Université avaient également la leur. Mais aucune ne valait

celle de la maison de Sorbonne, dont les livres furent long-

temps la seule richesse. Les docteurs qui faisaient partie de

cette célèbre institution prirent dès le principe l'habitude de

lui léguer ceux qu'ils avaient rassemblés, de sorte qu'au bout

d'un certain nombre d'années elle se trouva comme par

enchantement propriétaire de la collection la plus complètet. ~<&M/MX.eh.a.

Page 266: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.204

et la plus variée, tant en littérature sacrée qu'en ouvrages

profanes. La bibtiott~que de la Sorbonnc était ouverte des

le treizième siccte.non seulement aux maitrcs et aux étudiants

de la maison, mais même aux lettrés du dehors. Les origines

de ce riche dépôt ont été établies avec autant de précision

que d'autorité par M. Léopotd Delisle, avec celles des divers

fonds ecclésiastiques réunis, sous la Révolution, au noyau

primitif du grand établissement que t'Kurope nous envie (').

Kn parcourant les pages pleines d'érudition où il les a

reconstituées pièce à pièce, on est saisi d'un double sentiment

d'admiration, et pour les persévérants efforts qui sont par-

venus à grouper tant de richesses bibliographiques dans un

temps où le livre était encore une rareté, et pour la patience

du savant qui est venu à bout de démêler leur provenance

primitive à travers le chaos des catalogues et des cx-libris.

Enfin, en dehors de Paris, en dehors même des églises et

des collèges, l'amateur de lecture trouvait à satisfaire son

goût dans les bibliothèques municipales et jusque dans les

petites écoles de village. Les premières n'abondaient pascites existaient cependant dès le quinzième siècle, et sans

doute auparavant, à Rouen, à Poitiers, à Saint-Lô, et dans

beaucoup d'autres villes. Les secondes, bien plus répanduesau moyen âge qu'on ne le croit généralement, possédaient

au moins un petit nombre de livres usuels, et parfois les

bibliophiles y faisaient des trouvailles. Recherchant t'amitié

de chacun, dit encore celui que nous venons de citer, nous

ne négligions point l'affection des recteurs des écoles rurales

ni cette des pédagogues des enfants grossiers, et, quand le

temps nous le permettait, entrant dans leurs jardins ou dans

t. le CttM~</Mm<M<UM~/j.tomeU.

Page 267: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

BIBLIOPHILIE ET COLLECTIONS DE LÏVRES.26S

leurs petits champs, nous cueillions les fleurs les plus odori-

férantes et nous arrachions les racines négligées, propres

cependant aux hommes studieux, et qui peuvent, une <bis

leur goût sauvage et ranci digéré, fortifier par teur vertu tes

artères pectorales de t'étoqucnce. Parmi elles, nous décou-

vrions quelquefois des choses dignes d'ftrc remises neuf, et

qui, habilement nettoyées, après avoir perdu la rouitte hon-

teuse de la vétusté, méritaient de posséder de nouveau une

agréable physionomie ('). Ce passage, aussi intéressant

pour l'histoire de l'instruction publique que pour le sujet

spécial qui nous occupe, <utécrit par Richard de Bury, en 1343

au plus tard. Assurément, bien des gens seront surpris de

voir, à une époque aussi reculée, fonctionner les bibliothèques

scolaires.

Je n'ai encore rien dit des collections particulières des

princes et des seigneurs c'est là cependant que vinrent

s'accumuler une quantité de manuscrits précieux, à partir du

jour où la science laïque fit une concurrence ouverte a la

science ecclésiastique. Nos rois, comme toujours, prirent

l'initiative, et leur fameuse librairie, malgré son importance,

conserva longtemps le caractère d'une bibliothèque privée.

Charlemagne, aidé par Alcuin, en avait réuni les premiers

éléments c'était pour l'école et l'atelier de calligraphie

établis dans son palais une ressource indispensable. Le haut

rang du bibliothécaire de la cour carlovingienne indique

assez l'importance de ses fonctions il était pris parmi tes

chanceliers, les intendants des bâtiments royaux, et remplis-

sait en même temps le rôle d'historiographe. Mais sa charge

ne tarda pas à devenir une sinécure les livres modèles réunis

t. 7'Ma. cb.8.

Page 268: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME S!ÈC)LE.266

par te restaurateur de l'empire ou offerts à ses premiers

successeurs furent légués en partie aux églises, et le reste

disparut dans les bouleversements qui accompagnèrent la

chute de leur dynastie. Un sérieux essai fut renouvelé par

saint Louis, qui, nous t'avons vu, fit transcrire et placer dans

le trésor de sa chapelle une quantité de livres, notamment

les traités des docteurs de l'Église, pour les besoins des

lettrés et des religieux de son hôtel. Lui-même s'en servait

souvent, soit pour faire faire des lectures après son d!ner, soit

pour contrôler les assertions des prédicateurs, qu'il écoutait

avec intérêt, mais avec un judicieux esprit de critique.

D'après un chroniqueur de l'ordre de Saint-Dominique, tous

les ouvrages à l'aide desquels Vincent de Beauvais rédigea

sa vaste encyclopédie (et le nombre en est grand) furent mis

à sa disposition par le roi, qu'il avait peut-être aidé à com-

poser sa collection. Celle-ci fut encore léguée, dans une

pensée de piété, mais aussi de conservation, à des établisse-

ments monastiques les Dominicains et les Cordeliers de

Paris, les moines de Royaumont, les Dominicains de Com-

piègne se la partagèrent après la mort du propriétaire.

Toutefois le véritable fondateur de la bibliothèque royalefut Charles V. Chacun sait combien ce prince aimait les

livres, et « bien le démonstroit, dit Christine de Pisan, par la

belle assemblée de notables livres et belle librairie qu'il avoit

de tous les plus notables volumes qui par souverains auteurs

aient esté compilés, soit de la sainte Escripture, théologie, de

philosophie et de toutes sciences, moult bien escrips et riche-

ment adomez (1). Cette librairie fut installée, en 1367 ou 1368,dans une des tours du château du Louvre et confiée aux soins

t. f<t«.deCJhtWoV,ut, M.

Page 269: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

BïBLIOPHÏUEETCOLLECTtONS DE LIVRES. 267

de Gittes Ma)et, valet de chambre ou secrétaire du roi, quien dressa un catalogue, parvenu heureusement jusqu'à nous.

On y voit figurer, avec les Pères et les commentateurs, avec

les somptueux évangéliaires et les charmants livres d'heures,

au nombre de ptus de cinquante, la plupart des classiques

latins, des historiens anciens et modernes, des poètes, des

fabulistes, des chansons de geste et des romans de chevalerie.

Charles V possédait aussi un fonds assez considérable de

livres hébreux. H usait avec tibératité de son trésor biblio.

graphique, car il donna ou prêta plusieurs de ses riches

manuscrits, qui furent perdus de cette façon. Toutefois son

successeur en conserva la plus grande partie, et dès lors la

librairie royale devint un établissement permanent, dilapidé

à la mort de Charles VI par suite de l'occupation anglaise,

mais reconstitué peu à peu sous les princes qui suivirent. A

partir de Louis XII, elle prit le caractère d'un véritable

dépôt public, ouvert aux savants et aux travailleurs. Enrichie

par l'accession de plusieurs grandes collections, celles des

ducs d'Orléans, des ducs de Milan, de Louis de Bruges, elle

occupait alors une des magninques salles du château de

Blois. François 1'~forma unenouvelle bibliothèque à Fontai-

nebleau, à l'aide des livres grecs recueillis à grands frais, en

France et à l'étranger, par tes soins du savant Lascaris. H

avait même en tête des projets beaucoup plus vastes il ne

songeait à rien moins qu'à centraliser dans la capitale les ma-

nuscrits de toutes les abbayes du royaume, idée peu pratique,dont la Révolution ette-meme ne devait amener que la réalisa-

tion partielle. Mais ce n'est qu'à la findu règne de Charles X

qu'il y eut à Paris un commencement de concentration, par

suite de la réunion des différentes collections de la couronne.

Page 270: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.2C8

Installée d'abord au collège de Clermont, puis dans le

couvent des Cordeliers, puis dans un immeuble appartenant

aux mêmes religieux, rue de la Harpe, la bibliothèque du

roi fut soigneusement inventoriée en !Ô22 par Nicolas

Rigault. Elle était alors divisée en cinq sections: manuscrits

hébreux, grecs, arabes et latins anciens; 2° manuscrits latins

modernes; 3° manuscrits français, italiens, espagnols; 4°livres

imprimés hébreux, grecs et latins 5" livres imprimés

français et italiens. Transférée par Colbert, en t666, dans

une de ses maisons de la rue Vivienne, elle s'accrut avec une

rapidité prodigieuse par une série de donations, de legs,

d'acquisitions de toute nature, telles que celles des huit mille

volumes que ce ministre avait accaparés pour sa collection

particulière, des manuscrits de Gaston d'Orléans, du comte

de Béthune, du cardinal Mazarin. Le palais élevé par ce

dernier la reçut enfin dans ses vastes galeries, qu'elle occupe

depuis 172!. Trente ans auparavant, un règlement sage et

libéral, dont l'honneur revient à Louvois, l'avait ouverte à

tous les lecteurs deux fois par semaine. La suppression des

établissements religieux et les confiscations sans nombre

opérées par le régime révolutionnaire achevèrent, comme

l'on sait, de faire de ce dépôt un véritable trésor national.

C'est ainsi que la petite librairie de nos souverains est

devenue peu à peu la plus grande bibliothèque publique de

l'Europe (').

A l'instar des rois de France, beaucoup de princes de leur

maison se firent collectionneurs de livres. Tous ceux quel'on cite pour leur amour des belles miniatures étaient

ï. Ses d6vetopp€ttM:M%successifs ont été OEpo'ïés avec les plus gtands détails par le

savant auteur du C~MK~ NMM)M~ tomes 1 et II.

Page 271: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

BIBUOPHULtE ET COLLECTIONS DE HVRES. 269

naturellement des bibliophiles passionnés. Les frères de

Charles V rivatisaient avec lui, et te duc de Berry surtout

avait amassé des richesses littéraires dont l'importance a été

plus d'une fois signalée par l'érudition moderne. Les ducs

d'Anjou, de Bourgogne, d'Orléans, de Bourbon, de Nemours,

Charles, duc de Guyenne, frère cadet de Louis XI, eurent

dans leurs châteaux de fort bettes librairies. y a bien peud'inventaires princiers, du treizième au quinzième siècle,

qui ne contiennent, parmi les descriptions de joyaux et

d'effets précieux, un intéressant catalogue de livres, jetant

un jour inattendu sur les goûts et les occupations du châte-

lain. Les uns, comme Charles d'Orléans, rassemblaient plus

volontiers les œuvres des poètes. Les autres, comme René

d'Anjou, avaient un faible pour l'histoire naturelle ou la litté-

rature étrangère. Les princesses lettrées, comme Marie de

Hongrie, Charlotte de Savoie, Marguerite de Flandre, du-

chesse de Bourgogne, gardaient dans un coin de leur appar-

tement privé leurs auteurs favoris, hagiographes, romanciers,

légendaires. Chez les prélats, comme le cardinal de Foix, le

cardinal d'Amboise, dominaient la théologie et le droit canon,

mais sans exclusion des classiques païens. L'antiquité latine

était largement représentée aussi dans tes livres des papes

d'Avignon ('). A l'étranger, les ducs de Milan, les rois arago-nais de Sicile recueillaient avec avidité les monuments de la

littérature ancienne au milieu des horreurs du siège de

Naples, en 1442,Alphonse le Magnanime recevait de l'Arétin

la traduction d'un ouvrage grec et s'absorbait dans sa lecture.

Les simples particuliers commencèrent de bonne heure à

marcher sur les traces des princes deux exemples remar-

t. V. ~<jMfM, an. 1883. p. 196.

Page 272: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.270

quablcs nous sont oftcrts, en des régions opposées, par le sire

de la Gruthuyse, dont la collection est cétèhre, et par le poète

Pétrarque, dont on a récemment publié quelques pages

éloquentes sur l'amour des livres et la bonne composition

d'une bibliothèque. Mais, sur ce dernier sujet, nous possédonsun traité spécial d'un intérêt supérieur c'est la /!t'M'<'MMM<'<'

de Richard de Fournivat, chancelier de l'église d'Amiens au

treizième siècle. Ce docte personnage rêvait une librairie

parfaite, idéale, et ne pouvait se la procurer. Que fit-il ? Il la

composa simplement sur le papier, la classa, en décrivit t'in-

stallation telle qu'il la comprenait et en dessina même le plan.

U cn résulta un manuel tout à <ait technique, dont le contenu

nous en apprend plus long que ne saurait le faire l'étude

comparée des catalogues des princes. L'auteur se représente

sa bibliothèque comme un agréable jardin et le divise en trois

parterres, dont chacun se compose de plusieurs planches,

subdivisées eltcs-mémes en un certain nombre de tablettes.

Sur ces tablettes, en forme de pupitres, les livres sont posés

à plat, les grands sur une seule ligne, les petits sur deux

rangs, l'un au-dessus de l'autre. Chaque volume est marqué

d'une lettre répétée en face de lui sur la tablette ces lettres,

pour offrir une variété suffisante, sont de plusieurs espèces, en

capitale, en onciale, en minuscule, etc., et de couleurs diffé-

rentes. Voici maintenant la distribution des matières et des

auteurs. Le premier parterre, consacré à la philosophie, com-

prend onze tablettes.

i" Cf<tMW<H~ Donat Priscien, ses abréviateurs et com-

mentateurs Cicéron, Z~~M&MM <7<w/ Alexandre de

Vi)tcdien Kvrard de Béthune Jean de Gartande Rèd<*

Horace, Poetica, avec ses commentateurs Guillaume de

Page 273: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

BIBLIOPHILIE ET COLLECTIONS DE UVR ES.27t

Witam, TW/tM,' Alexandre Nequam, /A<~MW, Mathieu

de Vendôme, «~ <v~f{~<Y<~</<.2° 7)M~f/< Aristote, traductions de Boëce, de Por-

phyre, de Gérard de Crémone, et commentateurs divers

Algazetin; Abunazer Avicenne Gundissalinus Hoëcc

Porphyre et commentaires Cicéron, 7<y~f<t JeanDamas-

cène saint Augustin, /*n<'</<f<tWfM/«,etc.; Apulée de Madaure,

/*<vww<'w<w,'Adam du Petit-Pont, /)<*<t~~</My<v<'w/~

3° ~~<'n'~«' Quintitien Cicéron, discours, traités, et com-

mentateurs divers Sénèque Salluste, ~ON~-fCatilina.

4° G'<~w<w <<M*Mw<M~«' Euclide Abinaphar Amet

Théodose, .Cf.~AvM, Jacques Alkind; Archiménide, /~<«<~r<t/«~<wc«/</ Jourdain de Nemours Gérard de Bruxelles;

Boëce.Z~f<5M~f<<, De <w<'<M«~,ctc.; Junius Modcratus;

Alkoharythim, maître indien, De M~w~o~ww~«//eM< Herman

Second Pierre Abailard Almageste Ptotëméc anonymesdivers.

S° Musique et <t~~MMM/<' Boece saint Augustin, ~f

w<M<<saint Bernard, ~M//Fw/ Gui d'Ange; Milon,

Liber fCM.f~Mw/M~'MW Mercure Trismégiste Almageste

Ptotémée Mahomet Atbateigny Geber d'KspagneAmet Alphragan Avenal Pctraugy Abrahim Ctaude

Ptotémëe Walzagoras Jean d'Espagne Alzerket de To-

lède Herman Second Raoul de Bruges Jourdain de

Nemours anonymes.

6'H<~«'<M«'f/y/«' Aristote; Avicenne; Gonxahc;

Jacques Alkind Almed; Alpharabius Mamert Ctaudien

saint Jérôme Cassiodore Boëce Algazel; Atexandre, De

/c~, De ~<M«,etc.

7° Afo~M~ Cicéron, De M<M~<~'<w/w, /~<-y<'Wt//</<etc.

Page 274: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

272 LE TREIZIÈME SIÈCLE.

Aristote Séneque Censorinns, extraits de divers mora-

Ostes.

8" et 9" ~/<<Mjgv~~At/M~~MM Hermès ou Mercure

Trismegiste Ftaton Apulée de Madaure Macrobe Agel-

)ius Va~re Maxime Sotinus Ptinc Vitruve Vegeciu!

Renatus PaUadius, /)<' ~<-M/<'Mt<f,' HyK'n )'astro)ogue

MartiiHms Ca~Ua Sidoine Ap(~tUna!re Boëce Hitdeber

du Mans HMe Githert de la Porrée Niçois d'Amiens

Atain de HUe; Uernarft Sih'estrc; Jean de Hautvitte

anonymes.

to°ct tt<<'r/< Virgitc; Homère; Daresde Phrygit

Stace Lucain Gantier de LiUe ou de Ch&tiUon Richa)

de Gcrborrcde TibuUe !'ro)~erce Ovide Martial Cta

<)ien; i'ersc; Juvenat; Horace; Censonnus et Theodor

Avien Ksope Maximien, /'<tw/~<7<'et G~< Baudouin

t'Avouée Proba, CfKA~M!'<~<7/<'M Prudence Séneque le

trafique Tcrcnce Arator Mathieu de Vendôme Pierre

de Troyes.

Les parterres suivants ont moins d'importance et sont

décrits avec moins de détail. Le second est aKceté à la méde-

cine et au droit le troisième, a l'Écriture-Sainte, aux Pères

et aux théologiens. Un compartiment spécial est réservé

aux livres secrets, qui ne doivent pas être lus de tout le

monde (').On voit quelle variété de matières devait embrasser, pour

être complète, la bibliothèque d'un « clerc » du treizième

siècle. Que d'ouvrages inconnus aujourd'hui même pour nos

érudits! I1 est vrai que les romans, que la littérature ténere

t. je texte de la ~A/~M~m~ a Ct6 pubU~ par M UeUs~ C<t<< dei ~MN.

U,S'~ct&uw.

Page 275: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

BIBLIOPHILIE ET COLLECTIONS DE LIVRES. 273

sont à peine représentes sur ce catalogue imaginaire ils

l'étaient plus largement dans tes librairies des grands person-

nages de l'ordre taique. Mais, en revanche, que) tuxe de

classiques, de traités scientifiques, d'ouvrés abstraites, latines,

grecques, françaises, arabes! On peut mesurer par là l'énorme

différence qui sépare le genre de culture des intclligences

d'alors et celui de la plupart des esprits de notre époque.

Avec quel soin des bibliophiles aussi fervents ne devaient-

ils pas préserver leurs trésors de toute détérioration ? t) n'est

pas étonnant que les prélats vigilants, comme Hudes Rigaud,

arctteveque de Rouen, se soient préoccupes, dans leurs

tournées épiscopales, des précautions a prendre pour la

conservation des tivres. Mais les constitutions de t'abbaye

de Saint-Victor de Paris nous donnent encore mieux l'idée

de la sollicitude qui les entourait. Kttes tracent minutieuse-

ment les devoirs de )'<M'w«/<'M.f.Ce tbnctionnaire <;garde tous

Ics tivres de ta communauté )t doit en avoir un inventaire

detaitte; chaque année, il en fait Ic recotement.au moins deux

ou trois fois; il veillc à ce qu'ils nc soient pas dévores par la

vermine ou la pourriture, Les murs de la bibliothèque doivent

être revêtus de bois pour éviter t'humidité. Les volumes seront

rangés de manière à rendre tes recherches promptes et faciles.

Aucun ouvrage ne peut être prêté sans que l'emprunteur laissc

un gage quand on traite avec un inconnu, on lui demande un

gage d'une valeur au moins égate Ii cette de l'ouvrage em-

prunté dans tous les cas, il faut prendre par écrit le nom de

l'emprunteur, te titre du livre prêté et ta nature du gage. Les

ouvrages les plus considérables et les plus précieux ne ))eu-

vent être prêtés sans la permission de l'abbé. Les livres d'un

usage journalier sont placés à part on tes laisse à la portée

Page 276: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.274

desctcrcsqui en ont besoin; le bibliothécaire les maintient en

bon état, et doit les connaître assez bien pour y trouver instan-

tanément les passages qui sont à chanter ou à réciter. Lui

seul peut y faire des retranchements, des additions ou des

changements. Il faut mettre à la disposition des frères, non

seulement les livres nécessaires à la célébration de t'omce,

mais encore ceux qui sont les plus propres a tes instruire ou à

les édifier, tels que tes bibles, les principales gloses, les vies

des saints et les homélies. Si un religieux veut consulter à

loisir un des volumes de la bibliothèque proprement dite, il

l'emportera, mais non sans que le bibliothécaire en ait pris

note ('). ) La Sorbonne avait des règlements encore plus

sévères, frappant d'une amende ceux qui négligeaient de

fermer lcs volumes après s'en être servi, ceux qui laissaient

un étranger seul dans la salle de lecture ou ne prenaient pas

soin d'en clore les portes. H est permis de croire que ces sages

mesures étaient en vigueur dans beaucoup de librairies

ecclésiastiques et séculières. La plupart sont restées tradition-

nelles jusqu'à notre époque. Il n'est pas jusqu'à cette sépara-

tion des livres usuels et des ouvrages réservés aux travailleurs

qu'on ne retrouve établie dans le plus grand de nos dépots

publics. Mais où le bibliothécaire du moyen âge avait un

avantage marqué sur ses successeurs, c'est quand il savait, pourainsi dire, par cœur, comme le voulait la règle de Saint-Victor,

le contenu des volumes confiés à sa garde.Bien peu, sans doute,

arrivaient à ce parfait accomplissement du devoir profes-

sionnel, et pas un seul ne pourrait y prétendre aujourd'hui.

Au point de vue de l'installation matérielle, les précau-

tions prises n'étaient pas moins bien entendues. Les livres,

tDe)it)e.~«t.U.M~.

Page 277: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

BIBLIOPHILIE ET COLLECTIONS DE LIVRES. 275

nous l'avons vu, étaient généralement rangés dans des ar-

moires, qui étaient solidement fixées aux murs. Dès )e temps

des Romains, qui décoraient luxueusement les saltes de leurs

bibliothèques, les meublaient de statues et de portraits, en

couvraient les plafonds de peintures ou de mosaïques, ces

armoires étaient construites en bois de prix quelques opu-lents personnages en faisaient faire en cèdre, et même en

ivoire. Mais elles étaient alors étroites et basses, car les rou-

leaux de papyrus n'avaient pas besoin d'un réceptacle bien

vaste, et les f~/Mcj eux-mêmes étaient trop peu nombreux

pour tenir beaucoup de place. Elles se fermaient au moyen de

volets battants, comme on le voit d'après une peinture du Bas-

Empire reproduite par MM. Daremberg et Saglio ('). Quandla collection était plus importante, des rayons étaient établis

tout autour de la pièce, à peu près à hauteur d'homme c'est

ainsi qu'était disposée la petite bibliothèque découverte à

Hcrcutanum, et où se trouvaient réunis t/s6 manuscrits, Les

livres carrés s'y posaient d'ordinaire à plat. Au moyen âge,ce système fut encore employé mais on plaça aussi les

volumes verticalement sur les tablettes de l'armoire, et quel-

quefois le dos tourné contre la muraille, lorsque le titre était

inscrit sur la tranche au lieu de l'être sur la reliure. Dans les

égtises, le précieux meuble était fixé à proximité du chœur,

ou à l'intérieur de la salle du trésor, dont il faisait partieavec son contenu. Dans lesmonastères, il s'ouvrait quelquefois

sur une des gâteries du cloître; mais il faut croire qu'il ne

renfermait dans ce cas que les livres usuels laissés à la dis-

position des frères, comme le voulait le règlement de Saint-

Victor. Richard de Bury recommandait que les f!~w~M

t. Did.<&<~«/M.,aumotBMLtOTBECA.

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LE TREIZIEME SIÈCLE.276

fussent bien fabriqués, de manière a ce que nulle cause de

détérioration ne pût y pénétrer il proposait comme modek

t'antique arche d'alliance, faite du bois de l'impérissabh

Setim et recouverte d'or de tous côtés ('). Son conseil n'étai

pas très pratique; mais il nous permet de supposer que le

bois précieux abritaient encore les richesses de certains co

teetionncurs. Il devait en être ainsi dans la librairie d

Chartes V, ou les murautcs elles-mêmes étaient revêtues <

bois d'Irlande et la voûte garnie de cyprès.

Cette bibliothèque du Louvre, protégée par des portes

trois doigts d'épaisseur et par des treiUis en fit d'archal

toutes les <enetres, pourvue d'une grande lampe d'argentde trente chandeUers qui permettaient d'y travailler le s<

était aussi meubiée de bancs, de roues et de lutrins. En et

tes manuscrits étaient assez souvent conservas sur de simples

pupitres, qui garnissaient les murailles au lieu et place des

armoires ou concurremment avec elles. Cet usage remonterait

très ha'tt, s'it fallait s'en rapporter à la tradition d'après

laquelle on aurait conservé un de ces meubles ayant appar-

tenu à sainte Clotilde. Leur nom de lutrins ou &«WM pro-

vient même, comme l'on sait, des lectures qu'ils servaient à

faciliter, particulièrement dans les églises. On les faisait, soit

en fer, soit en bois, et on les décorait avec une certaine

recherche, comme on en peut juger par les élégants spéci-

mens donnés par Viollet-le-Duc (~); mais il ne faut pas con-

fondre ceux qui formaient de petites bibliothèques avec le

~<Tt~MH<t/<'à l'usage des copistes. ils tournaient quelquefois

sur eux-mêmes, et c'est dans ce cas qu'ils s'appelaient des

<. M./oMMM. ch. <7.

<. Dicf. <<«AMtMo'. t, t;setmi~.

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BIBLIOPHILIE ET COLLECTIONS DE LIVRES. 277

L.Xm'"i~)iM.t«et<M. «

f<'M<f.Chacun d'eux supportait un ou plusieurs manuscrits,

avec des étiquettes désignant les numéros ou le titre de

ceux-ci. Et pour que les volumes ainsi placés en dehors de

tout abri et de toute clôture ne fussent point déranges ni

perdus, ils étaient enchainés La chaîne joue un rôle impor-tant dans les anciens catalogues. Un livre était-it considère

comme ayant quelque valeur, aussitôt on le mettait aux

fers ~<M'~<'w~ Préservatif sûr contre tes vots, mais beau-

coup moins efficace contre les dégradations. Cette chaîne

était attachée par une boucle à la couverture du volume et

se détachait au moyen d'une serrure, dont la clef était gardée

en lieu sûr. Elle était toujours assez longue pour ne pas

empêcher le travail du lecteur néanmoins elle devait beau-

coup le gêner. Le clergé avait appliqué ce traitement aux

bréviaires publics exposés à t'intérieur des égtises, et aux

vies des saints que la foule des pèlerins venait feuilleter dans

tes sanctuaires érigés en tour honneur. Les docteurs de Sor-

bonne en avaient fait autant pour la plupart des manuscrits

de leur bibliothèque, sans doute en raison de sa publicité et

du nombre de ses clients. Dans l'édifice qui la renfermait,

reconstruit en t~Sj.et tout le long de la vaste galerie, éclairée

par trente-huit fenêtres, qui en faisait la pièce principale,

étaient disposés vingt-huit lettrins de cinq pieds de haut,

séparés par un espace convenable et portant chacun plusieurs

ouvrages enchaînés. Le cardinal de Foix, en fondant le col-

lège qui reçut son nom, stipula que ses livres y seraient rangés

Sttr des pupitres suivant l'ordre des matières et fixés à leur

place par des liens de fer. Cette coutume se perpétua dans

certains établissements jusqu'aux temps modernes car,

en 17~0, on voyait encore à la Faculté de Médecine de

Page 280: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.278

Paris des chaînes destinées à retenir les volumes sur les

tables.

Hnfin il existait pour certaines catégories de hvres des

modes de conservation plus rudimentaires. A l'instar des

Romains, qui les enfermaient dans des boites plus ou moins

précieuses, les bibliothécaires du moyen âge les empilaient

dans des coffres en bois. La reine Isabeau avait elle-même

dms ses appartements « un coffre moien couvert de cuir

noir, ferré et fermant à clef, pour mettre certains livres ». Et

plus tard elle en fit faire d'autres semblables pour loger ses

manuscrits, ses joyaux et ses couvre-chefs ('). Louis Xt et

René d'Anjou, qui, dans leurs voyages, se faisaient suivre

d'une partie de leur bibliothèque, se servaient en pareil cas

de grands coffres, ou même de tonneaux appropriés à cette

destination. Quelques comptes font aussi mention de sacs de

peau ou de parchemin contenant des livres, système usité

fort longtemps, comme l'on sait, pour les dossiers de procé-dure et les pièces d'archives. Il est probable, toutefois, que

ce dernier genre de réceptacle, et même les caisses de bois,

n'abritaient ordinairement que les volumes de peu de prix.Les bibliophiles avaient beau multiplier les précautions il

en était d'eux comme de ces avares dont verroux et grilles

sont impuissants à défendre les trésors. Les vols étaient assez

fréquents dans les librairies les mieux gardées leur contenu

valait des sommes si considérables, qu'il attirait les malfai-

teurs tout comme l'or et les joyaux. Mais, plus encore peut-

être que les déprédations, la négligence de certains gardiens

et surtout l'usage du pr~t contribuaient à les appauvrir.

Livre prêté, livre perdu c'est un dicton qui a toujours sa

t..4mHNM<M<«'<M&t. reg. KK4t,<~

Page 281: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

BIBLÏOPBHHE ET COLLECTIONS DE LIVRES. 279

raison d'être. II l'avait particulièrement dans le tempsoù les distances, la difficulté des relations empêchaient quel.

quefois de faire rentrer à volonté les volumes sortis ou d'en

retrouver la trace. Et pourtant que de garanties n'exigeait-on

pas du particulier auquel on les remettait? On a vu tout-

à-l'heure les obligations que la règle de Saint-Victor imposaità l'emprunteur comme au bibliothécaire. Richard de Buryvoulait aussi que les étudiants d'Oxford, héritiers de ses

collections, ne livrassent le moindre manuscrit que contre une

forte caution, dépassant même sa valeur il fallait, de plus,

qu'il existât en double, qu'il ne fût pas emporté hors de la

ville ou de ses faubourgs, enfin que les circonstances du prêt,

les noms, les dates, fussent inscrits avec la plus grande exac-

titude ('). La Sorbonne, comme l'a fait remarquer M. Cocheris,

avait établi la première, dans son règlement de 132!, le

principe rigoureux du cautionnement; mais elle se contentait

d'un gage de valeur égale, et, pour en déterminer plus faci-

lement le montant, elle faisait estimer tous ses livres à mesure

qu'elle les acquérait la plupart même portent même encore

le chiffre de cette estimation. Ses membres tenaient très

soigneusement le registre des prêts, et de longues listes

d'ouvrages ainsi communiqués à l'extérieur se rencontrent

de temps en temps sur les manuscrits qui leur appartenaient.

Quelques docteurs en gardaient chez eux toute leur vie, car

la durée de l'emprunt était illimitée et de là, sans doute,

plus d'une perte regrettable. De hauts personnages abusaient

parfois de leur puissance pour faire pis, et soumettaient à des

contributions forcées les dépôts dont ils n'avaient point la

propriété cela s'est vu, à la vérité, dans des temps beaucoupt. /W&M/«M<, eh. <9.

Page 282: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZIÈME SIÈCLE.280

plus rapprochés de nous. Cependant tes rois eux-mêmes

étaient astreints à la caution. Cette obligation faillit, un jour,

brouiller l'impérieux Louis XI avec la Faculté de Médecine

malgré les sentiments que le souci continuel de sa santé

devait lui inspirer pour ce corps vénérable. H voulait avoir

dans sa bibliothèque les œuvres médicales de Rhasès. La

Faculté seule tes possédait, en deux petits volumes, tt députa

donc vers son doyen le président de la Chambre des comptes,

Jean de la Driesche, avec mission de lui demander le prêt de

cet exemplaire, seulement le temps nécessaire pour le faire

copier. La Faculté prit peur: s'il lui était difficile de refuser, il

lui semblait encore plus malaisé de contraindre un pareil

emprunteur à la restitution, et elle se défiait de sa bonne

volonté. Après de nombreuses et longues délibérations, les

docteurs se résignèrent à se dessaisir des deux volumes, mais

à la condition que le roi leur remettrait douze marcs de vais-

selle d'argent et un billet de cent écus d'or souscrit par un

des principaux bourgeois de Paris; ils le priaient, en outre, de

s'intéresser à l'agrandissement de leurs bâtiments et de les y

aider par une subvention. Louis XI avait une telle envie du

Rhasès, qu'il livra les gages demandés mais il garda le livre

fort longtemps, et, quant à la subvention, il fit la sourde

oreille ('). Malgré ces déboires et ces déperditions, ou plutôt

en raison même des accidents qui étaient à redouter, il faut

rendre hommage à la pensée libérale qui, de tous côtés, pous-

sait les dépositaires de nos richesses littéraires à les confier aux

travailleurs sérieux; car ce n'est pas seulement à Saint-Victor

et dans le grand établissement scientifique fondé par Robert

de Sorbon que cette générosité s'exerçait, au péril même

t. V. )''[imUin,t'MM/MA<</M/<M~«t<&tM/t,U. x2.

Page 283: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

BIBLIOPHILIE ET COLLECTIONS DE LIVRES.281

des plus précie jses collections. Ktte était en pratique à Saint-

Germain-des-Prés, à Corbie, dans toutes les grandes abbayesde France, dans celles d'Espagne, dans la plupart des églises

cathédrales, et jusque dans certains châteaux, tels que celui

de la Ferté en Ponthieu, dont le bibliothécaire prêtait certains

volumes contre reconnaissance ('). Le chapitre de Notre-

Dame de Paris en avait donné l'exemple des t27t, et, bien

plus tôt encore, en t2t2, un concile tenu dans cette ville avait

rappelé aux religieux que le prêt des livres était une œuvre

de miséricorde (a).C'est encore la crainte des voleurs et des emprunteurs

négligents qui a dicté aux propriétaires d'une foule de ma-

nuscrits tes <N'f~w infiniment variés dont ils sont revêtus.

La plupart se sont bornés à inscrire sur le premier ou le

dernier feuillet leurs noms et qualités; nous devons à cet usage

une série de signatures ou d'autographes des plus précieux,

émanés, entre autres, du roi Jean, de Charles V, de son frère

le duc de Berry, du duc Charles d'Orléans, de Charles V!H.

de Raymond Lull, de Tristan l'Ermite. Cependant un assez

grand nombre ont donné à leur marque de propriété plus de

développement, et t'ont accompagnée de menaces plus ou

moins terribles contre le malfaiteur assez hardi pour détourner

te volume. Sur tes livres provenant des anciens monastères

sont fulminés les anathèmes tes plus sévères « <M~/M <w~

M~ ~<~<' //<Ai' A'<wy<'«M'w~ ~y/A7~w/r'/<y,

~4~~ et C<M <t/~<<'/'?Xt~, f~wM/M~w «ff~M/ (3). » Et

ce qu'il y a de plus curieux, c'est que parfois ces malédictions

t. V. /M~ de f~'oA* der C~tt~M, an. ty~a. p. 559.

a.V.DeHste.o~H.t9S.

3. Ms. 95 du fonds de )a reine de Suéde, au Vatican,

Page 284: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.282

arrêtaient réellement la main des déprédateurs encore au

commencement de ce siècle, les vers contre les voleurs, tracés

en tête du psautier de Saint-Gall, empêchèrent, dit-on, le

pillage de l'abbaye envahie par les Français. A la fin d'une

bible du British Museum, écrite vers l'an 1200, les châtiments

les plus divers sont accumulés avec une sorte d'acharnement

sur la tête du téméraire « Quem si <t~ w<f

WO~M/M~,W satagiue f<M<«~ <W<~M M0~«~ MMM<MW,

febres; et rotetur, et ~w~M~t/M~.~4w~ (') Le dernier mot

de cette sentence féroce rappelle étrangement certain quatrain

macaronique dont les écoliers de nos jours aiment à orner la

couverture de leurs livres:

j4~&~PierrotpenduQ«<'<~&«<a n'apasrendu,etc.

Évide mment la pensée, sinon la forme, de cet &f-/<~i~Mclas-

sique remonte à une époque très ancienne il fait partie de la

littérature populaire au même titre qu'une quantité de dictons

ou de proverbes, qui sont de tous les temps et de tous les pays.A côté des formules menaçantes ou plaisantes, on en trouve

de touchantes et de plaintives celle-ci,' par exemple: Ce

livre appartient à honnoré escuyer Yonnet d'Oraille, maistre

d'ostel de monseigneur le gouverneur, lequel, à l'ayde de Dieu,

me puisse délivrer de mes douleurs et moy faire changierair ("). D'autres fois, le propriétaire, non content d'affirmer

ses droits, rappelle dans quelles circonstances il a acquis le

volume <Hunc /ï~wM M&~M~ Donato, <~ ordine ~M~M

~MCM<W,~/M <~ dux ~M~/MN~MM, .~M6M~MK etc. (3).

i. V.Canner,~<N<<j,appendice.9.BM.net.,ms.françaist6tt.3. /<!< ms. ht. tgty.

Page 285: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

« Celivre fist frère Jaques lc Grant, de l'ordre des hermites

saint Augustin, et le donna à Jehan, filz de roy de France,duc de Berry et d'Auvergne, conte de Poitou, d'Estampes, de

Bouloigne et d'Auvergne. J. FLAMEL('). y L'~t-w de la

Sorbonne est accompagné, comme on vient de le voir, de

l'énoncé de la valeur matérielle du manuscrit. Très souvent

ces inscriptions finales se confondent avec les <<7 ou sont

tracées par la même main. Elles formeraient, comme ces

derniers, une collection d'un piquant intérêt, si l'on voulait

prendre la peine de les rapprocher et de les étudier.

Vers la fin du moyen âge, t'&r'y-M céda généralementla place aux devises, aux emblèmes, aux armoHes, aux

marques bibliographiques de toute espèce. Ces différents

signes fournissent les plus utiles indices pour reconr ~tre

l'origine des manuscrits. Mais souvent its ont été enacés,

puis recouverts ou remplacés par ceux d'un nouveau pro-

priétaire, et dans ce cas leur restitution devient une tâche

très délicate. Voici les marques apposées par les principaux

bibliophiles du temps sur les volumes qui leur appartenaient

indépendamment de leurs chiffres et de leurs armes.

Jean, duc de Berry: LE TEMPSVENRA;un ours et un cygneun V et un E entrelacés.

Philippe le Bon, duc de Bourgogne AULTRE N'AURAV.

Jacques d'Armagnac, duc de Nemours douze lettres ne

formant aucun mot et combinées de différentes façons.

Charles, duc d'Orléans XL ou 40.

Marie de Clèves, sa femme: RIENS NE ri'EST PLUS, avec

une chantepleure, des larmes ou des pensées.

1. BiU nat., ms. Aanfais t<Mj.

Page 286: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TRE!ZtÈME SÏ&CLE.aa4

t'ierre de Xonneu.ducde Muurbon Kst'~KANC~

Lf rui Rft« AtO'tXT t)fstt<, avec des chautterette-.

t'))ni'mmcc-At<m t'K t.CNTAKK,WACAUt'KSAHA, )t\ff

de, arcs Mtc-t.

Chi~tt'~ VU!: A MCK AtAKTt; t't.US (~AUTHK;

OKt.KKt' t't ("ttAkt.) s.

!.t'nis X!t un toujmu un (K)rc-~pic.!.t's thtcs < Mihu): H)' \<:x's tor (je ))'"t)b)ic

})as); M)T /tT (a\cc )c ton~sj. Mt:«n« <.T TKM-

)'<'«~; A <M*Mh«")T, ttVtt <t" t<'<)ftt'ft')tfS<*t <)<"<)t~-

vrcttt's.

Louis (te MTUt;cs,sin: de la CfUthMy:<u:t't.US UST MK

\ous,<tUfnHa)nan<t Mt:t:x ~s tK o, avec de~bomtMMteit

sur tcurs affûts.

(atherinc de MMieis: AtOMtRKM);XTtt«TA TKSTAK-

TUR \)\t:)<) H.AMMA,aut<M)r d'un monecau de j'tcrrcs

catcix&'s.

A))'hot)s< d'ArnK" roi <'c Nf(p)cs: Axn': St<:M)'«)':

At<<.«)<A. :Mtt<M)fd'unt; )f«sMc.

Ft'r<)it):u)d, son fils SusïtNtXK: !'«« )t<t:N HKtK;

D):«H<UM.

cardinal d'Amboisc KoN «tN~UKUAS M):,UOMtNH,

AH):X)'H<TAT)«Kt:MKA.

On a cru tont;tf)nps que la bande tricolore (bleu, Manc

et uran{;e, ou oranne, Manc et bleu) qui sert d'encadrement

a certaines miniatures désignait tes manuscrits appartenantà Charles V ou au moins a son époque. M. De!is)e fa

retrouvée dans plusieurs votumes étrangers à l'un comme à

l'autre, et en a conclu avec raison qu'il ne fallait y voir

qu'un système de décoration fort en vogue dans la

Page 287: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

B!BLÏOPH!~E ET COLLECTIONS DE HVRE&MS

itMondc moitié du t)tMto)n!ème si~t-tc. t~rincipxh')wn< A

~arisC).A partir de ('avènement de ('imprimerie, les maroue~

b)b)iot;raphif)ues. surtout tes thiOrcs et <fs monogrammes.se «tuttipnerent et ornèrent de pr~fërence tes couvertures

<tes %otumes <)c luxe. t.c-< b<;)tt"iretiurcs <tc la Kconfs'i.tttcc

et <<c-itemps modernes en offrent une '~nc v<'ritab)emc«t

nftisth}m'.

Ainti donc, et t~tur mtnctufc. si, d'ut) c6tc. k's c)Ht)t')tissc-

nMtttt <h!<<'utf <}<eccont été pnwiitp)~ dcpui'! te trei~i~mc

sit'ctc, et mùnte nvaxt. tant At'ixtcricur t)t)' )'extcrit'ur ')<"<

livres, d'autre part, il n'y a !)ortede p~eautM'MS (}«)n'ait e<~

pW'Mt)our ft-Murer <a enn-ienation de ces joyaux précieux

et pour en ).;arant)r contre toute atteinte tu t~tune pntpncte.ï<es t;<!n~rat!onsles plus rccuMcsont rendu et:double honneur

aux ou vraies de t'esprit, et celles qui passent pour avoir été te

plus etrannercs la culture intellectuelle leur ont peut-être

témoin'~ plus (tevenerittion <)ue tes autres. Rien d'étonnant:

en raison de sa rareté même, le manuscrit était a leurs yeuxun objet sacré l'écriture exerçait sur elles oue)<)uechose de

ce mystérieux prestige <tueproffutt A présent sur les paysansillettrés t'aspcct <tes caractères onpnntes. i''atnftiarises ptus

tard avec elle, tes hommes de tî'~ ~t bon sens nrent du

livre leur ami le plus cher; its le choyèrent comme un con-

solateur, ils le parèrent comme une chasse. On peut même

trouver qu'ils déptoyerent pour lui un luxe parfois exagéré.

Maiscet excès n'en atteste que mieux l'empire d'un sentiment

di{{neentre tous d'étage et d'imitation. H appartenait bien aux

siècles spiritualistes par excellence d'exalter tes produits de

t. C<tM<M<<&<«M<W~</<.<. t,~tt<M«.

Page 288: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TRRtZtÈME St&Ct.B.288

t'iMc)H)~nee hun~a~M M ~~Ttte~t xu t~tte, s; ~:<et:ti()u<s) j.t)«t)x <<p<i<)rt'jt)st;M; ch*<'Mn,<<<tc<:f)OMttfc~uc t'~e)<Mitt)t

dt~ chef«t'<t'u\f<; t)u n~ttic <nmterne a M faci)!t~*et prejMtrce

par la t~vttth))) scru()u)fu''<' <)eu'tt ~re'< t'xvers t<'otc<têt

)nMni(t'stath)))sécrites (te la ~ns~

Page 289: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

Cb<M 0!~m<. LA C&OGRAPmK.!

SOMMAtRtE. t.'td<e de la M)ttW ~~jjMpht~ue. t«et«tde voy~M et Xtx'fttfO).– t~UtttUficttt de)* terre connu. el

a)tp))quee. M«pp«)nonde< <t eortM. Mottont des contem-

por*tnt tm- t<t dt~MntM eentf~M de t'~Mrope et det'Atte;<Kp)OMtton*du fftre Brocard, de M*M!o-Pjt«, ttc. L'Afft~tt*<MW<'r<e<td«« M r<)tton Mntmte. L'Atï 'f)~u«b<'rd<)< partMa))tt)o<t<)<)~<t bt«) avant )< XV)' *ttc)<t.

KST unedc!* premitrc'«ppnrtenance'< de t'his«'ife

de t'homme que J'étude ou la de<!cripttoo <<M

domaine terrestre ass!t;n~ A s!t race ~r la t'rwi-

dencc ~<«w <A'</<t ~w/MMW~.car telle est )a dcnnitinn

contenue dans le nom même de cette branche des <'«nna(s-

sanccs humaines, la );~o(;ra))hic. Mais lcs enfants d'Adam

t)'<'nt connu tjue peu à peu )cur<)(ttnainc. !antit)uit~ n'a eu

sur sa configuration, sur ses divisions, sur sa funnc, <)u~<)t:s

nntMns ya({uc'<,plutôt des instincts <;<)<'des nctions, {<htt<)t

des théories que des certitudes basées sur le témoignage des

yeux et de l'expérience. Le moyen Age a jxtssed~ des élé.

ments de vérité beaucoup j'ius constdérabtes toutefois

t'hëritage des anciens et la te~ende se sont mc)es chex lui

aux connaissances nouvelles dans une telle pro~trtion, quesa géographie nous parait encore tr~s arriérée. Knnn les

temps modernes, parvenus à la possession complète du globe,sont cependant encore dépourvus de renseignements précissur quelques-unes de ses parties l'intérieur de l'Afrique, les

parages des p6tcs sont loin d'avoir livré tous leurs secrets.

Page 290: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LtETRKtaStRMKSttCLK.aaa

Kt <nCme~wr têt )Mysconnut, qudte n'est (Mt not<v iuno

MMceau sortir du c<ttt&)p'.et paWoi<toute ta vtc ) On t N!HC)t

tttnt'rement reproché aux Fran~ats de otM j<tor'<.et ))-innt

eux)n<'fnfsa'w/ vtvftnettt '«'nt) depuis,t)M'i)s«vatt'ot n~K))~<)t-se tenir au murant det prngr~~de ta science ~;<'t~r.tj)hit)uc.Auss} itcraifnt-ih mitt \ct<ut A acc~xcr sur ce («tint Fim~ritict)c teurs jtèn' et je dirais votnntier'! au ptus {{rand notnbre

d'entre ens V"t'< ~o! connitissex si xt'd ta 'i))here terrestre,et t(Hi ce(~endft))t jmss~dc)! ).t\;)jtcUf.et)cschc<ninsde!er,et t'~tcctt'icit~, et (et eartet tes )ttt)s exxtt~. ft k'< ~<'yx)(<itUtxMrd~ n~t~ndeex <tUittt<i«nts jours, s«yex ux ~u indut-

HetXs )Mur ceux f)u! n'ont cu rfcn de tuut c<:)a,et qui nca))-

tnf'ins ont étudia, voytR~, qui ont (My~ têt chcmtnt, <~)iont

chcrch~ui «nt découvert ) Christophe C'ttntnh, ~tur tr"uvcr

)c n'tUVt'aucontinent, ne sfst inspira <n)cd'un ''eu) tivrc. et

rc <i\ rc t'st <'c<uid'un K~f~raphe dM trci/.i<:)nesH:ctc <("<t)~

rctatinn dt's voya~fs aventureux du c~)MtrcMar<t-t'ot(t.

Nnus n<tustrouvons <)"nc, à cette ~jXKtuc,en face d'une

tRnorance t'tus (;ran(te que )a n~tre. quoique bien tdus cspti-

eahtc, et cc))cndant tn"ins pr<t<<)))dcque celle des anciens.

C'cst.du reste, )acondition Rencrate dn moyen a~e dans t'ordre

scientinque proprement dit, dans tout ce qui est science de

la nature ou de la matière. Jusque était-elle )<ousséc.

cette ignorance ? On t'a fait aller quetf}ue<oisbien loin. )\n

entrant dans lcs détails, nous verrons au juste ce qu'i) faut en

))cnser.

ï~a (îéographie n'a point alors de ptace à part dans le

programme des écotes. Mais elle est confondue avec les

mathématiques, ou du moins avec une branche des mathé-

matiques qui n'embrassait d'abord que la mesure de la terre,

Page 291: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA GÉOGRAPHIE, 289

)x ~cometrit' Ur, lit t;<)«etrie fait partie intc~rantc <)t<

~««<t M««.Le!*!unant~ et tc~<ene~'ctt~pcdi-'tcsne ttMnqMfnt

pas, duos tfurs traites, de donner a ta science t;cot{rap)uque

te ran~ et l'importance qui lui ttp}Mftict)))t'nt. \'ineo)t <)c

Mt'.tMvMJso) troitc t).t()'. si))) .<w Mft~~<t/ Xruoctttt

Latini (tans su!) /<t. Ucnais de Ti)b<r~ d.)))-< 'M"tll.ittilti Ilall~ ~ml1 .IÎ'a'd! tâerl'itiv vi ~rilbc'f)' ttitlli ~t~lt ~),'

<f /M~M/). )<<t)h')rt'<)'tt(t)t'Hs<t)t <M<tuctcnr.<tat)'<

s")t /w<~<'< w<w</<sitt)s Ctxnptcrtjm'hjucs ccriy.tit) sjx'citmx,s<t)ttc'oxj'tcr tes vuy.t~urs, !c'< pctcrios, qui t<)us.<)a))sk'urs

t~t'itt. 'f {)n!tt'<tt)'<*ntde dccn)'c et de faire CttmMtttc )<"<c<'t)-

trccs tju'itt «))t t)a\crs~fs, )cur Ms)ntt jthysitjuc, )f))M ~'s-

t«<urct."t,tcufit jtoputatiuns, trurs mtfurs.

t~:s itinéraires des )x:)erins d'Orient <urmen<t<tut un t~'nrc,toute une tittcMturc a p.<)t. 'tt)<*t'oo <«itrftttrcr .'t <x'n <tr<t)t

d.())'<lit série des traites {{c<'nra)<hi'ttMs.et qui a contribue

plus que toutes k's études des savants r"n<ert))e.sdans leur

c-dtittet au devet")t)te)nent de cet "rdre de connaissances.

Lorsque leur coHection, qui connnencca }<eiuea voir te jour,sera entieronent puhtice, un jtourra eertainonent ju~er et

comprendre bien des propres d«nt ta source nous ech.t)~<cencore. Ht A côte des peterins. A cote des eroi~, i< titut

notnmer tes ntissionnaires, tes t'tan-Carpin, tes Kubruquis,

et tant d'autres moines intrépides (ttieu seut sait leurs notns),

qui s'en .dtaient avec tme itnperturttabte assurance porter

aux peuplades barbares les bienfaits de la toi, pour rapporterà teurs compatriotes tes bienfaits de la science. 'lan~e

heureux, par tequet tes humbles colporteurs de t'Kvan};ite, tes

envoyés du pape et de saint Louis ont doublement servi la

cause de la civilisation.

On cherchait donc a* ce une avide curiosité à acquérir tes

Page 292: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME StECLE.a9o

notions géographiques dont on manquait encore, mais dont

on sentait le besoin. Le génie des grande-' découvertes tra-

vaittait déj~ cette société chrétienne, qui allait bientôt se

lancer à corps perdu dans te vaste inconnu des mers. I~s

croisattes avaient donne le branle; le prosétytisme catholique,

qui ne voûtait pas laisser un seul coin du monde sans croix

et sans autet, allait acttever t'oeuvre commencée par têt défen-

seurs du totnbf.tu du ( hrist. Jusqu'aux temps modernes,

tous tesexplorateurs, tous tes trou~curt d'ttcs et de continents

furent des apôtres. (.'< ne sont donc p!ts, comme t'avance

U.tunou. les écrivains arabes qui ont été les premiers et

uniques maitres de~ Européens en tait de géographie.

Qu'Abutfeda, qu't'~trisi, que Nassir-Kddim, que vingt autres

Orientaux aient compose, vers te treizième siectc, des traités

<ort savants sur la matière, ils n'ont pu avoir qu'une iunuence

bornée sur la marche de la science chex les peuptes de l'Oc-

cident, (lui ne tes lisaient guère, en dehors d'un groupe d'eru-

dits très restreint. Tout au plus leur ont-ils communiqué la

notion des systèmes grecs, du système de l'totêmee en parti-

culier. Mais lesvéritables initiateurs, les véritables promoteurs

du progrès éclatant qui allait s'accomplir, ce ne furent point

ceux-tà, ce furent ces religieux et ces fidèles enthousiastes,

qui s'en revenaient par milliers des contrées de l'Orient, la

mémoire et la bouche pleine de merveilles, qui les décrivaient

sur le vélin, qui les racontaient de vive voix, et qui, par là,

excitaient autour d'eux cette noble et insatiable passion de

t'inconnu, mère de toutes les tentatives généreuses, de toutes

les conquêtes utiles. Loin d'être du aux enfants de Mahomet,

ce mouvement fécond, qui devait aboutir à la rénovation de

h face du globe, sortit précisément des entreprises dirigées

Page 293: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA GÉOGMPHÏZ. aet

contre eux. Ainsi donc, rendons &Ce:w ce qui est si ( Jsar

et A Dieu ce qui est Uieu Ce n'est point au Croient quela science doit ici t'hommage de la reconnaissance c'est à

ses adversaires, c'est à t'a{tostotat chrétien, c'est Ace feu sacre

que le Sauveur était venu allumer sur )a terre, et que ses

disciples ont voulu, suivant ses désirs, répandre partout. H

faut résister à cette tendance trop connnunc qui nou'' fait

<aire, dans nos un~ine~ '.cientinques, une taruc )M<rt«us

Arabes, t~a reti~it'n )nusu))t)ance!it, ail <ut)d,);)<n<ft'de )'i<n-

mobilité ses <;r")unts sont assis it ombre de )a tm'rt, t.a

nttre est la mère de l'activité et du pr~rcs les nations

chrétiennes sont seules en pleine possession de la vie.

Après nous ~trc demande où en était t'idce de la science

f{<'<'t:raphiqt)e,ct)erch<M<!toù en était cette science cité-même.

Ht d'abord, comment te gtobe terrestre se presente-t-i) .t

t'esprit des contemporains ? Hst ce sous lu iormc d'un {{tobeou d'une assiette t{i){" (;rundc <)uestiot),<(ui fit jadis

beaucoup de bruit.

Uame!)Mni«))Mientleurs pttiMenfant!)0 <«tun tetttpituùt.tterre était plate.

« La sphéricité de la terre, nous dit encore le graveDaunou dans ce ~MtW< ~w /'<7~/ <A.f~<.f <<M/~<'M/<w<

j«~ qui passe aux yeux de bien des gens pour la toi et

tes prophètes, et qui devrait t'être, en effet, à raison de la

place qu'il occupe, la sphéricité de la terre était it;nor~e du

vuttpure, et méconnue même par ta plupart des hommes

instruitN(').,) Mais tes hommes instruits qui traitaient alors de

la géographie, ce sont ceux que j'ai nommes tout a l'heure

J. ~)/. /«/. << ~«v. t XVt.

Page 294: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME StÈCLE.ZM

c'est Gênais dv t~bery, c'est Hmwrc d'Antux. <)uct'(n<*s

autres ftte<t~ le cfttnptf en serait bientôt (ait. Or, tjuc nous

disent-its sur ce ~tiot capital? <))<trouve dans Ccryait un

sinnuticr t~ts~t~e, sur tfquct Uaunou ne )n<mqu<:pas de

x'tuyfr, et 'ni est ainsi c"n~u < .V<~A<Wt*M<w<w<M<'<<

t'r~M</«'<W<'M''w<t~<</f//<Mw A~. <<'w A'«.f ~r~<~

(~t'<<M<//W~t' <7<<7<Wf~Wt'/ ~tt.t/MW ~<'<<W«j[,<y'

~<<<«~ .hfttw. /:«<<~<w .</</«<w ww</Mt<wMf.f n Il

<~j.\ u'M ccrUunc cttntt.ntit.tio)) cutro tes tnt<ts < et ~«

<~t~«j!.xi r«x veut ~rctcr (:c <)crnicr k sens de carré. Cettt

contf.Mtictimt:t ctc rftn.mtMcc().u)s m) imtrf articic de )'<jf

~f.<Wf<t<r<' ~ar t'ctit-Radc). CutmnextHX t;

p«urf.tit i(~'trt'cttffc ? On tn't'b~cctcra <~)c tes anciens, qu! n)

ef'ty.Mcnt ~.M ta )«nnu xphcriquc ttc ).<terre, se servaien

nnnohsUtnt de <:ctcnnc <M A'«<<~«w.Je t'acct'rdc: t'auteu

du (n"y~'n ~c )'u t'cmpt«ycr, lui aussi, dans ta )M~tn

acception d~ttnic. Mais ~M<«/n~M vcut-il Uict) designer n

ta forme CMtt:<:? t):wwu te croit tcrnMmM'tt et traduit san

hésiter: < N"us pta<,onste m"Hd<:carré au milieu des tncM.

Je ferai observer d'abord que, dans ce cas, il s'agirait tout

au plus de la forme des terres ou de-! continents enfermes par

la mer f()«'~M< /<wAo «r<M<Mj;t'~«w~ et non de celle de t'en-

semMe de t'univers. terre et tner comprises. Toutetois la

structure de la phrase semMe indiquer un sens différent.

(Mt'W ~/<M~ /t'~<C (~f('<!M</<W~<'f<r<'«M<j!t'«W t'/ ~«t<MM

~t/«<WM, si(;niner:Mt mot a mot, en adoptant le sens de

carré « Nous plaçons toute la masse de la terre entourée de

la ceinture de t'Océan et carrées; ce qui serait a tout te

moins une construction fort vicieuse. N'est-it pas plus naturel

de traduire, en suivant te texte Httératement: Nous

Page 295: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA GROGRAPHtB. a93

catcutans, nous penstots que le monde terrestre e~t entuuré et

encadra ~<~w~ )Mr uoe ceinture de mers? t

!)u Cange ne mentionne pas cette acception du mot ~<<

<AM/«w, mais il cite ~w avec le sens d'entourat{e ou

(t'exvtMtts. Le dcru~ devait donc '<edire dans le mthne ''e))-<,

pour environné. L'autorité du ~ayaot linguiste et les htif de

ta coo-itructiu)) grammaticale, en voftA plus qu'il n'en faut

{X~trappuyer notre interprctatttx. Maxce qui ach~-yede ta

ju'<ti(ier.c'e!!t tjue te n~tne auteur, le m~me Gervait de l'il-

~ry, dans un autre possa~e, ab~ttutneot cta!r cetui-ta, pru-

tt~sede la façon la plus a<r<nat{ve t'"pi))io)) de ta sph~ncit~< /w~ tjas ~n~ ~/wM</«<'j/ .«/ Wtf~M

d'après du Cange, d~t~ne un Kt<'t)e,est particulier te {{tobe

ptac~ p.tr les itcutpteur!' ou )e'tpeintres dtms la main des roi'!

et des e<npereuri<comme un ctnbtOne de leur souveraineté.

A'<MW<~tne laisse d'ai))eur:<aucun doute c'est nctre mot

trancai!), c'ext notre mot ~wf/ )ui-me<ne, avant !)a cuntraetM)).

A moinx donc de supposer que )e);ravc physicien <}uiécrivait

pourt'~fnpereuf Othon, disait tantôt blanc, tantôt n"ir, «n qu'il

ne itavait ce qu'il di~it, faut admettre que, dans le premier

pa~itage de son livre, n'a nullement voulu parterde cet orbe

carré qui équivaudrait À peu près la quadrature du cercle.

Quant aux autres {~ographet, évidemment Daunuu ne s'eft

pas donné ta peine de tes interroger. t tonorfd'Autun, l'auteur

de t'7w<~ wjt<wA,et ie poète français qui l'a traduit au trei-

zi&'nesiècte, tui auraient répondu La terre est ronde la terre

a l'apparence d'un œuf (comparaison très en vogue au moyen

Ageet renfermant peut-être une allusion à l'aplatissement des

pûtes). !ts )ui auraient même fourni une démotMtration de

cette rondeur

L<Xnt*<<M*<ftt.<t'dt*t.

Page 296: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

M4 LE TREtZtÈME StÈC~

Hx ptx~. te tt sou* ~it<t<,Comment t~ <trtc teonje e-i<.

<~tt)tant ~ruit en haut monter

Kn t'ttir, qu'il potut ft~ar~er

t.a terte par vitui et par peigne!),Ut hwtctrhe t)e<tiri~n~n)mtt<t)t{~e<Kt te<gM))'' ti'Me<prafunitf!t.tt f!o)<'te mer et )c!i ){Mt)'<onttt:.

Si '<t't))t')f))tip))t<outttc voir

t.n\):t tx «'ne MUt.)«\it(uit

CoMMMC il fextit tt'M)) chevel d'ome

Sur m) duit ou !ior une (xnne <'«.

Attain de t.itte, tu Docteur universel, tui aurait ré~ndu &

s"n tour Mais j'ai dcctarc, d~s k sirote précèdent, dans mon

.!M// t/'t~t/M~M~. ')uc te monde avait une <<'nnc arrondie

f~f/.w /f'<Wf<w~ fous tes mitres 'tu temps se seraient

ccfius en ch'fur M.us nou-iensci~)M)Mcela jounMUMncnt

dans nus ch.nfcs, d!tns n«x t:cotc~' ()!) donc sont t<:sautorités

du critique de r//M/<w<' /<<~<v? Qm;!x témoignages

«ppost'-t-i) cet accord si~niRcatif, en dehors de ectui de

<<ervais,quineditnutte)nent te contraire Aucun. Ce n'est

vraiment pas assci!. Ainsi, lors même que la théorie du monde

c.trrc aurait eu antérieurement des partisans nous ne pouvons

admettre qu'au treizième siccte nos p!:res t'aient professée ni

qu'ils aient méconnu la sphMcit~.

L'A/M~<'t/Mw<)M<~nous parte aussi des antipode! des aspé-

rités inappréciables perdues dans ta masse du globe, repré-

sentées par tes hautes montagnes, du vaste Océan qui enve-

toppe les terres, de la main de Dieu qui soutient te monde

au milieu de l'air, des cinq zones qui le partagent, du mou-

vement des neuves et des marges. I~es théories modernes du

Page 297: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA GÉOGRAPHIE. a9&

neptunhnte et du plutonisme lua M«t cotMwoL Totttet ces

notions générâtes se tient, sans doute, a des systèmes étranges,

à des explications risquées, que nous retrouverons plus luin

en examinant t'état du la cosmograptne et de la physique.Mais voitAdéj'\ bien tics vérités acquises, bien des pas de faits

dans )a t«)e de J'e~actittMjeet du bon SMM.

t~t descriptin)) <)e ta terre ne se fait pas uniquetnent

par l'écriture un comnence a tracer des cartes tn"ins

n)(br<nexque ceties <)e. anciens; on a do v~rhaMe" tnxp-

pemcndes, embrassant toutes les centrées connues. !.a

justesse des proportions y fait encore défaut mais les

indications de toute sorte s'y multiplient. < Le moine qui

achevait, en <303, les Annales desUntniniciuniideCotmar,

nous apprend qu'en 1265, il avait trace une mappemonde

~w<~<tWw~w/<~w~M) sur dnuxe peaux de parchemin.Ccs cartes générâtes vont bientôt devenir très nombreuses.

Plusieurs manuscrits de t'/w~f </Mw<w'A',soit dans t'ancien

teste tatin, soit dans le puemefrançais, sont accompat;nesde ptanispheres. Kt si t'en veut descendre jusqu'au siecte

suivant, ces exemptes abondent < IJeux mappemondes,datées de l'an '346, avec enluminures, avec lettres d'or,

attestent te!, encouragements que recevait ce genre d'études.

Les annotations ou tégcndes, qui commencent à se multipliersur les grandes cartes, indiquent souvent des traditions fort

douteuses, ou m~me tout à fait mensongères. !t y en a cepen-

dant où sont notés quelques événements historiques. La

mappemonde du musée de liorgia rappelle ainsi la bataille de

Poitiers et la captivité du roi. Au nord de la ville de Hor-

deaux, désignée par son nom français, on lit Joannes, rer

/M/««', hie «~ per ~<w~<'w <tWM<Mbello. Charles V,

Page 298: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.296

déjà possesseur d'un dessin très infunne du globe tofrestre,

placé, vers t ~64, à la suite de la copie des Chroniques de

Saint-Denis, où il a écrit son nom, avait, de ptus, la grande

carte catalane rcdi~ee en 1375, aujourd'hui puMice et com-

tnentee (?M«~A'de w< <'M~/M/n,/«/<<M'MMW'<~<'<~ MM~

AtMv ~«w/<'<A<~<<'<. ~<' f~~A', et /w<tM~

~'ww~t'. Cette carte, qui n'est pas un simple portutan, et qui

c<t)nprcnd un ~rand nombre de positions fort éloignées de la

ntt'r, st' rccotntnando, comme d'autres du m&metemps, malgrédes erreurs grossières, par une dimension moins étroite que

ceUe qui était alors en usage, par une nomenclature plus

riche, et par des légendes qui ne sont pas toujours fabu-

lcuses ('). Cette appréciation, que j'ai voulu transcrire

textueUement, émane de la ptume d'un des successeurs de

Daunou, plus equitaMe quc lui en dépit de ses préventions,le savant Victor Le Clerc.

Après i'ensembte du globe, descendons à l'examen de ses

différentes fractions. Nous avons vu tout à l'heure que

Gervais de Tilbéry divisait le monde en trois parties, l'Europe,

l'Asie et l'Afrique. C'est la division généralement adoptée de

son temps. Ces trois parties sont très inégalement connues.

Nous attons les parcourir a vol d'oiseau, en nous plaçant au

point de vue des contemporains de saint Louis, pour savoir

ce qu'ils pensaient de chacune d'elles et nous pousseronsmême une reconnaissance jusque dans la quatrième partie,

qui n'était pas tout à fait aussi ignorée que cette nomenclature

peut le faire supposer. Partons du point où nous sommes.

Nous traversons d'abord. la France. Une description som-

maire de la France nous est donnée, par Robert Abolant,

t. //M/./< /nM~XXVt.48<~

Page 299: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LAGÉOGRAPHtE. aCT

moine de Saint-Marien d'Auxerre, en tête de sa chronique.

Mai' chose curieuse, il ne la divise pas en duchés, en comtés,

en <ie(s,ni même en sénéchaussées ou en provinces royales,comme elle l'était matériettement au treizième siècle. n s'en

tient à l'ancienne répartition par métropoles et par

cités, remontant à l'administration romaine. C'est que

cette dernière division a été conservée par t'Élise: chaque

métropole est devenue un archevêché, chaque cité est devenue

un éveché. Un bon clerc considère avant tout l'ordre de

choses ecclésiastique, et ne tient pas compte du reste. Cepen-

dant Abolant parle des rois de France et de leurs agrandis-

sements jusqu'au règne de Philippe-Auguste, et, comme

tous les érudits de l'époque, il mêle l'histoire à la géographie.C'est ce que fait aussi Gervais de Tilbéry, qui répète a ce

propos la fabuleuse légende de l'origine troyenne des Francs,

si profondément enracinée au moyen âge ('). En passant par

la Provence, le même écrivain s'arrête à nous décrire la

consistance de l'ancien royaume d'Arles, sur laquelle ont

régné tant d'incertitudes, et à nous faire un curieux portrait

des Provençaux, qu'il avait vu de près en exerçant les fonc-

tions de sénéchat d'Arles. !t continue ensuite son tour d'Eu-

rope. Son itinéraire est assez bien raisonné il commence

par le nord, pour redescendre par l'est jusqu'à la Grèce et

l'Italie. Presque tous les détails qu'il nous donne, chemin

faisant, sont exacts. H les complète dans un autre chapitre

en traitant à part, suivant l'usage de son siècle, des îles de

l'Océan, notamment de la Grande-Bretagne et de t'Hibernie

ou de l'Irlande. Abolant, qui parle aussi de cette dernière,

s'aventure davantage il ta ptace entre ta Hretagnc et

t. ~M/. A/M-, ~e /.) /-)w~. XXVII, 9e.

Page 300: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SÏKCLE.aea

t'Kspagne, ce qu'on ne peut admettre qu'avec une tbrte

dose de bonne volonté, et il termine l'Europe au nord par

une gri'nde île appelée ~MM~M(peut-être t'!stande).Au reste,

toute la région septentrionale est ce que tes géographes

connaissent le moins bien dans t'Hurope, et cela se conçoit.Ainsi Vincent de Meauvais, qui subttivise avec méthode tes

différentes contrées eurc~ennes, asiatiques et africaines,

sans toutetois préciser tes (n'sittttns et les distances, Vincent

df !!eau\ais suppose que t'Ocean termine t'Kur<tpe vers le

60° degré de tatitude. ou du moins n'en sépare qu~des frac-

tions insulaires il ne se fait pas une idée juste de la mer

Baltique. Albert Ic Grand est ptus instruit il représente

cette mer comme un grand golfe ou sinus que le continent

environne, ce qui est t'exacte vérité ('). H parait, d'après

~ne.M Sytvius, que cet ittustre docteur a été te premier a

bien connaitre ce golfe et les pays bornés par lui.

i'ettctrons dans l'Asie. Ce berceau du genre humain est

encore pour nous la région des mystères et des merveilles.

Combien son aspect ne dcvait-it pas frapper l'imagination

natve de nos pères C'est de là que tes pèlerins et les mission-

naires ont rapporté toutes ces descriptions étonnantes, toutes

ces légendes curieuses, tous ces contes mêlés de vérités, qui

fourmittent dans la tittératu.e de l'époque. C'est là qu'ont

voyagé Marco-t'oto, Rubruquis, t'tan-Carpin et tous les

prédicateurs envoyés par saint Louis chez les Tartares. Aussi

les détails abondent-ils sur tes populations asiatiques, leurs

mœurs, leurs pays et l'on est tout surpris de trouver, au

milieu d'un dédale de fables, des observations concordant

admirablement avec tes récits des voyageurs modernes. Il va

t. ~M.MW~.dela ~.tMff.XV(.12a.

Page 301: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA GÉOGRAPHE aw

sans dire <}ncc'est avant t~ut ta Terrf-Saint** <?)! t'st t'f'hjt t

d'une étude apprcR'ndic de la part tic ces <!dctes t:ruyat<ts

car, dans toutes leurs <tccup.tt!fns. <tans tous teors tritvaux.

ils restent tes sorvttcurs ~-M.s de Jt'.st's-CttKtST et les défen-

seurs de sa cause, l'armi (es dcsertjtttftns rctatiws cette

({tndeusc contrce, jMtftnita (bu)f dfs itinéraires et des retatif'ns,

il faut dist<n(;ucr tes pnxtutts de !'es()r)t che%atefes<(ue et

ceux de l'esprit <)j'<)sto)it)Ut'.Les in))')'e.ssio))sde %<))a~cdt s

tnï<(t)es,des che\:dicrs, sont représentées nctammcnt jtar te

plus fameux livre du siècle; m) )'M/<<' di A!/w/ /.<WMpar

Ic sire de Joinvittc n'est en {{randepartie ()u'un résumé <tece

que l'auteur a observé ou appr!s sur la t'atcsttne et t't~'ptc.

On vo<t par l'étude détaillée de ses tntcressants récits, com-

bien de traits d'histoire et de ({~K~phie t"catc pouvaitfournir aux croises un seul voyage et) Orient. Mais nous

ne nous y arrêterons pas ici, ann <tcréserver notre attention

pour des ouvres moins connues.

Dans ta classe des rotations composées par (tes clercs, les

plus remarquables sont peut-être celles <tc Jacques ttc Vitry,

t'évoque d" Saint-Jean d'Acre, qui prit part à ta croisade de

Jean de Bricnnc, en t2<8, et celle du frère Mrocard, domini-

cain, qui séjourna longtemps en Palestine dans le dernier

tiers du même siècle. Mais la seconde seule a un caractère es-

scnticttement géographique l'autre est une /fAw<Mw/,

comme son auteur l'a intitulée, et, tout en la recommandant

à l'intelligente curiosité du lecteur, je ne dois pas m'y arrêter

non plus. Elle est, d'ailleurs, moins riche en indications topo-

graphiques précises qu'en légendes sur Mahomet et ses

sectateurs, sur l'histoire naturelle du pays, sur le t'aradif

terrestre, etc. L'ouvrage de Brocard, au contraire, répond a

Page 302: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TRtHZtMMB SttCLB.aoo

Mn titre f/~ff~tfw </<'/« 7~M~A<M~<'Jt~r un tuxe d'ub

servattun'' et de rwherchM qui en fait un vcritabte traité

scifntitique, comme un ~<uvatt en r~di~er atnr! Si fauteur

rapporte aussi (te vicittfi traditions, ce n'est ~Mssaut une

certninc critique. Ainsi, quand te-t naines grecs de Stunane

lui disent que leur cha))e))e a été sanetiMe par t'emprt'Mn-

nnnent de soint JeanJtapti'<tc, il refust' de tes croire sur

)Mntt<M<'<<<MW~~< et il nuut en cx~iquc )a

Mist')) Quund il visite )a tn"n<a~ne de Cetboc, il rcfute

feux qu! tn<)')dent que )'nnt'r<'cati<'nhtncee ~f D~'{d, âpre'lit nx'rt de Jonathas. s'était acc«nq'tie t\ lit tcttrc t il n'et)

pas vrai, dit-il, qu'il ne tombe sur cette montagne ni nMe<

ni pluie car j'y étais le jour de )a Saint-Martin. l'an d<

Seit;"etnr) 2X3, et il tomba une telle pluie, que je fus bc

et bien mouiU~ ju"qu' ta t)enu f ~<<~<«'(~M~M<*tt</<wt<<

w<f<A~M~. Je dirai mCme que la vallée est remplie d'ea<

qui vient des pluies de ta mnntat;nc, tout en rceonnaissan

que ptusieurs parties sont pierreuses, s&ehes, stcritcs, enmtn~

les autres montagnes <)'tsrae). Enfin, contrairement a l,

plupart de ses devanciers et de ses confrères, notre dominical

prend soin, dans ses descriptions, de marquer les distance:

t) le tait souvent avec justesse en tout cas, il ne s'éteigne

jamais de la vraisemblance, et par ses propre!) vérifications, il

arrive à retrouver tes rapports entre t'état ancien et l'vtat

moderne du pays, ce que beaucoup de voyageurs de notre

siecte n'ont même pas tenté. Dans ce but, il avait conscien-

cieusement parcouru ta Palestine à pied, à di<!erentes reprises,

en suivant un plan méthodique et raisonné, qu'il a exposé

dans son intéressante préface ('). Nous ne sommes donc

t. //«/ //W~. <&/e~w~. XXt, ~3.

Page 303: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA GtOCMPHtXE. a<M

pas ici en (ace d'un récit de voyage orttinafre. Cest une

œuvre de savant, une œuvre de géographe. Kttc se termine,

après te!* eon"tatati"ns <te datait, par une recapitutation

digne d'un statisticien, donnant a ta Terre Sainte )6 )iene-<

en (ardeur, M en tougueur. puis par deux chapitres d'un

httéret particutier, l'un sur tes production du '). l'autre sur

tes ~)pu)at)on:' Ilui t'habitent. Tou'' les re))se)t{nfme))<fd"n-

n~s par fauteur sont d'un prix incstimable pour celui <)ui

veut se rendre compte de t'~tat )n"rat et tnateriet de ta

t'atestine a ta fin d:) treiftieme siecte. Aus-)) le livre du frcre

t<rocard, tr<'p peu connu et tr"? peu utilist, a t-i) arrmt~

a la critique le ptt)!t d~cite dcx tenw~oa~e~ d'admtfati"t).

Victor Le Clerc, par exemple, l'appelle nn des nu\'rat;c'< tes

plus inttructift qui nout soient parvenus; et c'est a {teine s'ilil

ajoute tjuetquct reserves a cet et"t;e s) bien tnerite.

Au delà de t'ancicnne Judée et de ses envirunt, ta vieille

Asie cotmncncc aussi a tivrcr ses secrets aux v~ya~eurs

eurnpcens. Gervais de Tithcry, qui toutefois ne parte pax <A'

!'MMde cette partie du tunnde, donne )'enu)nerati«n <:«tnp)etc

des villes eathedrates qu'elle rentcrtne, cotUtne il l'a fait pur

t'Kuro~. n décrit les nterveittes de t'!nde, qu'i) divise en

trois régions /m/M ~</< /~</M<M/< /M<~«w<~«~<t~.

tt parle, comme Jacques de Vitry, de races étranges retnar-

quees dans ces contrées, de néants, de py~tnees. de eyetopes,

de dragons, de griffons, puis de montagnes d'or, puis du

paradift, situéa t'entrée det'<Ment: /y//M~ ~w/w~

~M ~f~ WMWM~M~<t</«t7«wf/M~M, ce qu'il faut peut-êtreentendre de la xone torride, connue on l'a conjecturé avant

nous. Après le paradis, il place une re 'ton déserte, tmpra-

ticable, remplie de serpents et de bêtes <eroce'i.Tout cela

Page 304: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

aoa m TRRtZt&MR St~C~tE.

cstdettt()tMp,<na)~dc<.tfttMe<Mut'Men!«)MV<'ntd'une

id~rHth'n. d'une intorpr~tati"" df Mt" r~et*. cn~tne dant

)nyth"t"{;if MOtit~x',ft t'")<Hf Muratt rejeter en Moc toutes

n'< viciOcs tr..<)itit't)<.d<t))t p)u'< d'one se trouve ex)))it)upc.

six")) justi<icc.(Mr )<"<dfrHtcrt p)r<t;r~'<de lit scieocc. ~~nc

)f)<u<c~.trtic, d'ititkur' \'tc))t des écrivains attcien' ttruncttft

t.~tini, <tui fn rc(w(nit bcaucuupdutn~<ne t!cn" ne fait

t(Mt'r~)ntc)' h's hruits )-)X)ttcs }wti't pur t'u)n)tox!us Muttt,

(mr t')it)t-, et )tri))ct)Hdc)nent~r S'~tM, fauteur du /'<'MM~,

<)t)iécrivait «u tn'tsi~tnf ttMc. Nnos )tc trouvons dnxc j)Ms

ici uoc -<utt~ri"rit~bien tnar~u~: sur la nct~rftjthie ant!<tu<Mais laissons cet rapporteurs de seconde main, et consut-

tons ceu\ qui décrivent uniquoncnt ce qu'ils ont vu et

t'ntendu. Laissons même tes r~'ts rccueittis par JoinviXcde

)a ttouche des tnissionnatrcs de lit Tartitric; ils tiennent aussi

de lit ~t;en<*e, en partte du moms, pui-M~c,d'aprex cttes, Ut

distance de la t'~tfstinc la retidence du ~rund Khan aurait

été d'un fn de marche, à raison de t0 )ieuc<<par jour, ce qui

ferait un totfd de 36;o lieues. laissons enatonent )a rclati'tn

siattachante du frère mineur Guillaume de Rubruquis, envoyé

par taint Louis chei! les Tartares, quoiqu'eHe renferme des

tre~trs de curiosité nous ne pouvons malheureusement

toutana!yser. Tenons-nous-en au fameux voyage de ce Marc«-

t'olo, qui était véttitilun,ma!s qui eerivit en français, et dont

tes descriptions empruntent une importance exccptionneUe

au séjour prolongé fait par lui dans la plus mystérieuse de

toutes tes contrées de t'Orient.da. la Chine. Ici nous ne

sommes plus dans la fable, nous ne sommes plus dans la fan-

taisie nous sommes dans la vérité historique et géographique,

et nous allons constater tout de suite un pas immense. Le

Page 305: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA CÉOGMPHtZ. aoa

livre de Marco t'tdu est une teDe de r~v~tatiwM pour nout-

tn<<ne' qui savons encore si peu de chose sur t'cxtreme

Orient, four set contemporains. c'était un reçue!) d'inven

tions te))en(ent audacieu'ies, que beaucoup réfugient <)'ycroire. < Rétracte/'vous toutes tes divagations que vous avex

rapportées? demanda t-nn l'auteur au tnonent de sa tnort.

Je jure, répondit t), <}ucje n'ai pat écrit );<tm'itit* des

choses t)ue j')d vues et toucha"' t Que! d'umnanc tjttc ~eUe

féconde mMitit!n'ait pas été, c«)n)nc la pronierc. <;«nri<!t't)u

parfhetnin! On en jut;er.t parcesintptedétad; si elle t'eût été,

)'itnpri)nerie se fut répandue en t'~uropc deux cents ans ptus

tût ~u'ettc ne l'a fait. H<tccthc<ncnt, Marcn-«)<* l'avait vu

pratiquer aux Chinois; il avait rapporté de teur pays des

tmis A hnprhner, et ces b«)s, au lieu d'en expliquer t'usa~e

dans son livre, il se borna a les cusnmuniclurr .'t <p)e)<juesatnis! « !) parait, dit un savant an~ais, anatysant les travaux

de ta soc!et~ des /<X'~<MMMde t."ndres,<)u'un certain t'an)-

<!)«t'astatdi, (le !e)tre. aurait connu t'nnprhnerie xyto~ra-

phitjue et t'aurait etnp)"yec, vers )a <)ndu ~uatorxi~ne siècle,

d'âpres t'idee tjne lui en avaient dttnnce ttcs bois <jue Marco-

i'o)<trapporta de Chine a Venise, et <)uiavaient servi a )'i)n-

pressMn de livres chinois. t.a traditiun nous apprend que

Gutenber~, (lui épousa une personne appartenant a la <a)ni)te

vénitienne des Contarini, avait vu ces bois à imprimer, et que,

développant cette tdée, il arriva a l'invention de t'imprimeric,

qui ainsi se relierait dircetetnont, par t'intennediaire de Marc«-

Polo, à la pratique de cet art en Chine ('). Ainsi, voità une

double révélation qui atteste à la fois t'antiquite des premières

presses et l'authenticité d<'s <;xp!oratiuns de notre voyageur.t. V livre ./< .lA~M, tht. t'-tuthiff. in)ro<t)tt.tion.

Page 306: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

304 LETRRtZÏÈMESt&CLE.

Ce dernier point est, du reste, acquis par une quantité de

preuve'' de toute espèce, que t'éditeur de son texte franchi'M. t'<u)thier,a accumulées dans t'intéressant commentaire dont

il t'accompagne. En voici une des plus curieuses, empruntée

aux "ccentes découvertes de ta science.Maroc !'o)o pitrte, dans

nu de ses chapitre- de At~A'j</<'«~w~t~A'~f~ que le grand

Khan donnait aux {ter!Mnnat;etetev~s retnp)i'Mant dct R'nc-

ti~ns &sa cour, et dit ce pntjM's: « Celui qui Mseigneurie de

« cent hotnmet (qui c<nn)nande à cent twtntne')) a tablc d'ar-

< t;ent et qui a seigneurie de <niHe,si a table d'or ou d'argent<'doré. Ce)ui qui a seigneurie de dis mille Mtable d'or tête

< de tyons. Et en toutes tes tab)ea y a e~ript un commande-

< ment qui dist Par la force du ~ant dieu et de la gmnt t;~ee

<qu'it a donn6c A notre empire, Ic nom du kaan soit heneoit,

t et tuit cit qui ne t'oMifont soient mort et dcstruit. C'était

)~ un de ces détails étran};es que te scepticismedes Européens

sempressait de révoquer en doute. Or, il y a peu d'années,

au <ond de la Russie méridionate, on a découvert une de ces

tablettes de commandement, en argent, portant une inscrip-

tion mongole dont les savants ont donné ta traduction

suivante < Par la force et la puissance du ciel, que le nom

de Mong-Ké-Khan soit honoré, béni qui ne le respec-

tera pas périra. La similitude est frappante, et ce hit

doit nous mettre singulièrement en garde, lorsque nous

sommes tentés de rejeter à ~w/~ tes narrations des anciens

voyageurs.

Marco-t'oto passa dix-sept ans au service du souverain

mongol; il avait été conduit auprès de lui par son père et

son oncle, qui taittirent convertir à ta foi chréttenne ce poten-

tat et son peuple, dans une de ces entreprises aventureuses

Page 307: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA GÉOGRAPHIE. 305

par icstjueûes se !iit{n:da)ent déjà te-) riches n~Mfiitnts df

V<'ni''e CMde G<n~f. t) remplit pour lui d(MmiiMitOMitnpor~tantes dans tes dinerentfs contrées de t*At'ie,et mCmf plus

toin: H se rendit o) ambassadeur auprès de ph'sieurs joinns

barbaret; il ~(unerna tf«is ans ~)u-'de vingt \i))es ehint'ist's

e«t)ttHt!ie<par !M:))mtdtre; en un (unt, il était ttevenu un vrai

Tartaretttrsqu't) rcv)t)t,cx t3~,s<'pre.<e))ter;< sexcttocitt~ctt'i;si bien que ceux-ci, te voyant habiOe et rase a )a ))«'f<t;t'k',

t'entendant parler avec un accent ext'ti~uc <nrt prunttncc,

curent toute< tes ~tnes du monde A )e reconnaitre. Il n'avait

donc rien ne}{tit;cpuur acquérir une connaisMnccapprufundiedes poputati"ns asiatiques. Qu'on juge tout ce qu'il devait

avuir appris et de quette autorité pouvaient être .sett déposi-

tions t.'Armenie, ta Turquie d'Asie, la Perse, t'tnde, ta

Mongolie, la Chine, la (.chinchinc, le Japon, les ites de Java,de Ccytan, et d'autres pays ntt'ins i)np"rtants sont décrits

dans son livre, avec un luxe de traits de mœurs, d'histoire, de

traditions qui charme le lecteur. l'our avoir une idée de sa

manière, il <aut lire notamment ce qu'it dit d'une des provincesles plus curieuses de t'tnde, celle de Malabar ('). On ne peut

apprendre sans étonnement qu'il existait alors, dans ces pa-

rages reculés, une chrétienté et un pèlerinage au tombeau de

l'apôtre saint Thomas mais on aurait bien des surprises de

ce genre si l'on feuilletait l'ouvrage entier. De telles révéla-

tions, étendues à tout le vaste continent asiatique, devaient

forcément renouveler la face de la science géographique, en

attendant qu'elles renouvelassent, par leurs conséquences, la

face de l'univers. Aussi un des juges les plus compétents, le

savant Wa!ckcnaer, a-t-il rendu au cétèbre explorateur <tu

t. V.~tKf<w<&~tM~Il, too,6<B.<tc.

Page 308: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZÏKME StÈCLR3oe

twicoM; sicctc cet hommage m~rit~, qui rpsumc en qucique<)n"<s tes inunfnscs résu)tat'' df son <t:MVfe,ptus gmndtt, à

<'o))psor, qu'il nu pouv.tit les prévoir tui-meme

il ( ommf ch)Mp)cjnur tes notions sur te-t ~Ky't (Mo'tt't parM.~cut'«tu <:u)t<)nnMfnt<tc )'tu'< ot p~w ce qu'it ex tt\:dt

dit, tc<««mn~raphes tt". ~)u'! in'.truhs s'en ftnparfrcnt.<mM<~t' ')~r~ <7/f'~)«< /<'M~\t<v~/<'jr.«'~Wf*<<<f /< ~<

<~M<«'~«M/A<'M/<< /<w/</t*j; tt'M~~ </<*/<' <</'<'y«'~<'</M

~f'<' /'<'r.f<y~f< fM /<t't'r/t/M<~tfMt' < des Wt' /MAf~,

<</MK</«<'/('jf <<<f'~At/~f/f/w. !)c cette )n!m)Mre,)c-<

«tecs crntttccs <)c'<anci~os sur ).<mer dc'i !ndc:t furott corri-

H<i,ft )ct<rsootus, depuis tnxntefnps hors tt'UMge, retMmrcnt.

t.n science se tr«u\a r~<'t)t*'rcc;et, quoi~m.' cneorcitnparf.utc

et ({russicrc,elle fut <;nhitrm<'))Mavec tes pr<!t{rcs<<csdécuu-

vertes et tes tannucs usitccs a cette ~(MX)Mc.On vit p~r.~tre

/'fW~<'w<~<i'<.<sur une cMtedu m«nd<: t~TartMM,~

( hinc.k Ji~ton, ks Uctdc t'Oricntct rcxtr<ltnit~<tc l'Afrique,

que kt navin<ttcurs s'cft<'rct:rMnt<)<:s)ors de doubler. ï~

Cnt)). en pro)«ttt;c;mt consid~rabtonfnt t'Asic vers t'est,

fit ttaitrc la ttcosct: d'en atteindre les c~tes et de parvenir

dans les riches contrées de t'tnde.en cinglant directement

vers l'occident. C'est ainsi que Marc«-P<)to et les savants

cusmographes qui, tes premiers, donnèrent du crédit a sa

relation, ont préparé les deux plus grandes découverte-! géo-

graphiques des temps modernes celle du cap de Bonne-

Hspérance et celle du Nouveau-Monde. Les lumières acquises

successivement pendant plusieurs siècles ont de plus en plus

confirmé ta véracité du voyageur vénitien et lorsque enfin

la géographie eut atteint, au milieu du dix-huitième siècle, un

haut degré de perfection, la relation de Marco-Poto servit

Page 309: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA GEOGRAPHIE. 307

encore d Anvitte pour tracer quetqut's dctai)~ du ft'ntrc de

t'Astc(').t D

Je me suis étendu particutieronent sur tes notions rotatives

cettf ttexxM'mf partie du m"odc parce qu'ette fut .dors !<'

th~&tre dcx eR<'rt'i te-, ptos actif-. <)c ht <:ur{"sitc t'ttrt'pn'uttt'et du pr'ts~tyt~m': chrctit'u. H~uc-t eosftnbtc )t)ur <:«m)t)cri()it terre il tnc reste toitintcoitnt a jMtrtcr df la tr"isit')))c.

Lu r~ittu scpt<'))tri<'))it)<'de t'Afrit)t)c n'avait )).ts ct'~

d'~tr<; connue et Mqucnt~c dc~uh t'tuttiquitc. L* eûtes

tMrbarcsqucs furent mJtm', au moyen X~ te thefttrt

d'un eutnmercc actif Mttre têt («tputatx'os du bassin de )a

Méditerranée, et l'on sait NiMexjnsqn'A ~ue) }~<int tes <;r«i

sades deve)«)')tt-rcnt tes re)at!"ns des t'~tn~~ens t~t-<

)'Ht;yptc,a\'ec Tunis et tours rivanes. Mais, jus<)u'au XH!' p.

!tiec)e,un ne se n~urait ~as ta pro)"ndeur du vaste continent

africain on Ic faisait ({eneratonent Hnir, avec t~drisi, au<<

cnvironit <)e t'e~uateur. La tittne c<)uat<'riate n'avait pas été

tranchtc. Ktte devait t'être bientôt, et ce ))f«t{resdecouta non

scutonent des découverte:) de Marco-t'ott', mais de cetk's

qui furent faites, vers te même temps, par tes courageux

disciples de saint François. !.c cetebre vénitien mentionne

déjà certains parafes de la mer des tndesd'où l'on n'aperçoit

ptus t'etoite du nord; et, un peu ptus tard, tes quatre etoites

de ta Croix du sud, qu'on trouve marquées, des t22S, sur un

};)obe arabe, sont désignées par Uante comme ta consteita

tion de l'autre pôje ~<f~' <t/ Mais te premier donne

surtout des notions précises sur ta région equatoriate de

l'Afrique, sur t'Abyssinie, sur la cote de Xan~uebar et t ite de

Madagascar le chapitre spéciat qu'ilii consacre à cette

t. Wathenaër, <~<Mt~M~<M«M~<<.aH. MAttC~i'ttt.

Page 310: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

308 LR TREtZtRME StàCLE.

dt'rnicrf, d <tprcs ce qu'it avait appris de t~motnit (tCM~fcst,

durant son -~jour en Asie, en revota pour ta première fois le

o"tn l't t'cxistcnce. Quant aux mi~it'nnair<:s franciscains,

i)< attatju~rcnt l'Afrique par d'~otre'. c~t~s. Répandus sur

toute !Me«tc st'}''tt;))trit')):ttc,Mit ils avaient funde t'u ressns-

eitt uxc quantité <<'cn)is<'<,depuis t~micttc JM~u'à Tanger,ils furent oaturcOctth'm t~'ot~s d'aUcr & ta recherche de-t

t(mK'))))c-<chrctk'otc'i ttcrb~rcs tjui, devant te ftot de~ Vnn-

d.t<< (t(ti<.<t~ Most')t)).tn' -étaient retira au fond det

<)~)t<, et d<'t)t it subsittitit encore de-' débris fnéconnitis-

sdttes. t.fs uns s'enfoncereot dans te Sahara par tea Ètata

barbarc~ues, cunttxe le vénérable Conrad d'Aschi, parti tic

't ) i)t<))ien t .:8~,et revenu trois atM après, seul de tous ses

c<mfrercs. t.es autres suivirent le littoral africain vers l'ouest,

depuis le Mar<tc jusqu'au Dahutneyou jusqu'au S6n&{{at,t:t

pcnctrerent p:tf ).\ dans cette mystérieuse contrée centrate, quin'a été ab«r<tce,de nos jours, que par tes Livingstone et les

Stantey. Ce qu'essayent de faire tes apôtres de la science au

dix-neuvième siècle, tes apôtres de la foi catholique, il faut te

re<tire bien haut, t'ont fait des le treizième et le quatorzième,avec mittc !s moins de ressources et mille fois plus de diffi-

cultés. On en cite un (c'est un des compagnons de Jean de

Hétcncourt, dans la fameux voyage de découverte-! fait par ce

capitaine aux !tcs Canaries, qui nous a rapporté ce trait

d'audace), qui, vers 1320, s'avança des bords du Sénégat dans

l'intérieur du Soudan, le traversa tout entier, atteignit la

ville de Dungola, située sur te Nil supérieur, redescendit la

vattée du Nil en visitant tes établissements franciscains

échelonnés sur ses rives, et revint s'embarquer à Damiette

pour l'Europe. !t parait que le mémoire laissé par l'auteur de

Page 311: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA GÉORRAPHÏE. 309

ce tour de force incroyabte a été récemment rptrouvé. On peut

lui prédire autant de suMes qu'en obtint, au tMi/iOne .iètte,

celui df Marcol'oto car nous n'en savons pas plus. A notre

épotjue de lumières, sur te ct~-ur de j'Afrique que tes con-

tfmp'jrains dit saint I.ouis n'en savaient sur t'Astc centrale,

Kt)<iu, det hommes ph)~ hard!-i encore, s'i) est jMMiiibte,

enttt'prircnt, d&s o~s.de tonner la c~te occident:dc jusqu'au

bout. da)wt'tMpo)r de frayer ainsi ta route maritime de )'!t)dc.

C'était trois Génois, dont tes noms méritent bien d'être

cIt<a 'l'hédiaiu c!'Oria, Ut,~ulindr \'is:rlrlu rt Guy, mtr frL·rc·.eite't Thédiifio d'Oria, UK"t'" de Viv-ddo et Guy, son frère.

Avec eux se trouvaient encore deux mMStonnatres francts-

cnins. S'its avaient réussi, Vasco de Gama était devance de

deux cents ans Matheureusement ils nrent naufrage dans

le t{ot<<:de Guinée. f e"r tentative, en tout cas, dénote une

notion déjà fort avancée de ta jtointc méridionale de l'Afrique

et de sa situation par rapport Acelle de l'Asie.

Voilà donc où en était la science géographique du tempsrelativement aux trois parties du monde connues des anciens

et certes, quoique très rudimcntaire, cette science était bien

supérieure a cette des a~es précédents. Mais la quatrième

partie, faut-il croire qu'on t'ignorât tout à fait Faut-i) croire

que Colomb ait découvert tout d'un coup et pour la premièrefois i'Aménque ? Non tes grands événements de cette espècese sont, comme l'invention de t'imprimerie, dont je parlais

plus haut, produits peu à peu et par une série de trans-

formations, d'évolutions, de progrès qui ont demandé des

siècles. Des le commencement du moyen âge, certains ri-

vages du nouveau continent paraissent avoir été abordés pardes moines irlandais. On en oublia le chemin mais une tra-

dition vivacese perpétua chez tes Européens, suivant laquclle

L.xtn'ttM.ttM.M'M*~ M

Page 312: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREÏZtÈME StECLE.3t0

de va'.te'. ttes, séjour du bonheur et de l'abondance, auraient

existé bien loin, à Fouest de l'Afrique, auraient même été

connues et fréquentées, puis perdues et recherchées en vain.

Cette tradition, nous la t'oyons reproduite, au treizième siècle,

dans l'ouvrage de Gervais de Titbéry. Mais l'auteur de l'/w~'

<< w"/«~' est bien plus précis. Onpeut douter, en pesant tes

paroles de Gervais, qu'ettes fassent allusion a l'Amérique(nais comment ne pas reconnaître qu'il s'agit bien reettement

dette, (p)and nous entendons Honoré d'Autun nous parlcr de

~<~W/</<'//<<<M<A' ~/M/</)/~<* <Mn~ yM</<tM<M'/

/~<w~«~//<w</f~Wf. </ qui « //<' <w//<~<w<</ ~~w~yA?Elle

n'avait pas été submergée seulement, un jour, on avait

essaya inutilement d'y retourner une tempête, un courant

contraire avait dérouté tes marins on avait navigué long-

temps, longtemps, sans retrouver la terre, et on était revenu

en que la grande île avait disparu.

l'ourlant elle n'avait pas disparu pour tout !e monde. Les

Normands, depuis l'an tooo, n'avaient pas cessé de visiter

l'Amérique du Nord. Ils y avaient pénétré par l'Istande et le

Groenland ils en occupaient la côte orientale. Us la coloni-

sèrent de nouveau aux quatorzième et quinzième siècles, et

leurs possessions ne furent pas ignorées en Europe. On

peut lire à ce sujet un intéressant travail de M. Gravier,

intitulé bravement par son auteur: D<oM!)~<gde /M/~Ke

par les JVMWM~M&<!« siècle ('). H renferme de bien

curieuses nouveautés. Des sagas scandinaves, des inscrip-

tions récemment retrouvées, des monuments de diverse

nature apprennent au lecteur qu'Erik le Rouge, ses com-

pagnons ou ses successeurs descendirent des terres glacéest. P~n<etRouen.t8~. m8".

Page 313: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA GÉOGRAPHIE. au

du nord jusqu'aux régions brûlées du soleil, jusqu'aux envi-

rons de l'isthme de Panama qu'avec eux, sinon avant eux,

la croix fut plantée sur ces lointains rivages qu'on y bapti-

sait, qu'on y récitait le /*f~ qu'on y voyait des hommes

vêtus de blanc faisant des processions, que les habitants

payaient la dtme et le denier de Saint-Pierre On a la liste

des évoques de Gardar, en Groënland, depuis <t2t jusqu'en

t~8. On sait qu'il y avait dans ce pays un monastère ptacésous le vocable de saint Thomas, fondé vers t244, et qu'à la

même époque des prêtres grocntandais, islandais, norvégiensreculèrent considérablement au sud les limites du règne de

t'Ëvangite.Faut-il s'étonner, après cela, que Ics explorateurs modernes

aient découvert des figures de croix dans tes habitations des

sauvages, et, sur leurs tévres, des restes défigurés de prières

chrétiennes ? Certainement un tel ensemble de faits ne pou-

vait être demeuré étranger à toute l'Europe, Rome surtout,

Rome, à qui ces chrétientés perdues au delà des mers

envoyaient des pèlerins et de l'argent, ne devait pas les igno-

rer car, ainsi que le dit M. Gravier, « elle était très attentive

aux découvertes géographiques, elle collectionnait avec soin

les cartes et les récits qui lui parvenaient toute découverte

semblait un agrandissement du domaine papal, un champ

nouveau pour la prédication évangélique. » Donc, en réalité,

t'Amérique n'était pas inconnue. Les bruits lointains qui

arrivaient de l'autre bord de l'Atlantique étaient devenus

plus vagues et plus confus au moment où Christophe Colomb

mit à la voile mais lui-même avait pu les recueillir encore,

et il est positif qu'ils ne furent pas sans influence sur sa

détermination, sur la direction qu'il prit, sur la conquête

Page 314: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME StÈCLE.3t2

merveilleuse qu'il procura à rÉ{;)ise. Car lui aussi ~tait un

apôtre, on le sait, puisqu'il est question aujourd'hui de cano-

niser ce Mete serviteur de Dieu. Mais ce n'est pas lui seul

qui sera honora par cet hommage suprême. Sa gloire rejai)-

)ira 'tu metne coup sur tous tes obscurs pionniers de la civili-

satiot. chrétienne qui, dans le cours du moyen âne, et parti-

cutieronent sous saint ont donne des âmes nouvettes a

Uieu et des terres nouveUes a la science.

Page 315: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

)j CtapttM MM~MC. ~ESSCtENOES

1M MATHÉMATïQUES.w~w~~ffw

SOMMAtHE. La eoswoftMphtf. tAtttronomteet t'«-

trologie guerre tatte A cette deroitM. La <<tom<trte.

t.'<rtthn<<t)qMe et la nunf<<MUon<Mctm)t)a;<tngMn6r<buttto

t')trt d< compter. Rareté des connxtttMnCM atf~tbrfquM.

~f abordant l'examen des connaissances scienti-

fiques du moyen âge, en particulier du treizième

siècle, on doit naturellcmcnt s'attendre à le trou-

ver beaucoup plus en retard sur tes temps modernes qu'enfait d'art, de littérature ou de philosophie. L'étude de la

matière semble, en efïet, n'avoir été pour lui qu'un accessoire

l'étude des choses de l'esprit absorbait la meilleure part de

sa vigueur intellectuelle. tt n'entrevoyait même tes vérités

scientifiques qu'à travers le prisme décidées théoriques ou

philosophiques it mêlait par principe aux sèches leçons de

i'expëri'.nce Ic symbolisme et la légende. Mais on ne saurait

disconvenir que sa théorie repose sur une base rationnette,

et qu'en ne séparant point, dans son étude, la matière de

l'esprit, t'ame humaine du corps où elle réside, il ne com-

prenne la science d'une façon plus haute, plus logique, plus

complète que l'école purement matérialiste, qui ne veut

observer que la partie tangible de ta nature et des êtres.

Ce double caractère, d'une part )'in<ëriorité dans les résul-

tats acquis, de l'autre la supériorité dans la conception même

de la science, se reconnaît à la fois dans Ics mathématiques,

Page 316: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtKME Stt:CLK.3t4

dans lu ~hyxi~ue tt dans t'his~rc «ntMr~Up.Kt )'uu y )wo

natt ~atemcnt un tmitt&me caraett-rf. "t< n!t <t!Mtêtre t'ex'

)t)i<tti<t))(te t;t )t!«tcur tk-' pM~ft-s nccontptit JMst~et~ c'est

t'ithscoef ttfs sp~chtHstes et t)t"t s~datit~s. t')r<tp)c tm)'' )fs

savants, encorf au troix~mt: si&c)e,sont à la Ms math~mn-

ticiens, astnw)me'i, tthysic!e)M,xatura)i''tct; Atbert tc~~mott,Vincent tle Ho.tuvMJs,Rn~fr tti~t'n. (<ena)< de 't'itb~ry ft

nutn". s'<)t'cu[te))tsittttthant'tnt'ot mu succt'ssivfment de ces

diverse') branches det t:t<nntus'mn<:e~hunt&!«e' dont une

itt'u!usut~tt imjcurd'hui i\ rctnptir )e ecrveau te ptus vattc. !.a

spéeiatisati't)) offre hit't) ses incnnvcnicnts mais ette a cet

avantage incontestable dc favoriser les études approfondies

et te-. recouvertes fécondes. L'homme, en son particuticr. ne

tt~nc rien )<x:.t!i'<e)ks cft~fts de son ixtcHi~cncc uc.ut-

ttt'tins it enrichit <)!tv.Mttit};f,par ): te t~nds <;um)nundu t'hu-

tnanitM, et ~'nd<u't <)uc l'esprit du s.tvant se ft:t: ':it, )it

seictx'cs'ctar~it. t'onsuhons donc ces (thitosophes, ce'! ~nics

univcrscts <tMi<tnt touché d'une tniMti~M~n~ratt: tuut~s ks

guettions scicntiHques, et dc<nan(t«ns-tcur tes opinions, tes

systcntcs accrédites de leur temps, ainsi que les prct; ~'«~

ils ont u«upréparé t'éctusiun.

Hntcte des mathématiques, te moyen Age ptaqait ta cos-

tnu~raphie. basée à la fuis sur le calcul et sur l'observation

du monde crée. Une des vérités fundamentides de cette

science, ta sphéricité de la terre, éta't acquise déjà au trei-

zième siècle des textes formels nous en ont donné la preuve.La terre, suivant la théorie exposée dans t'/w< << w//<

et dans bien d'autres écrits de l'époque, est suspendue au

milieu de t'espace comme le germe de t'~uf est suspendu au

milieu de l'albumine, sans tenir à rien

Page 317: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

t.ES SCtRNCM MATHBMATïQUES. 3<S

Ttt)e))*!n'))trt)t)w!ntot'(tt-f

<~Mi)<))<UMt~tHth« <tt«<'M,

K<tt)tt)i )t-m«i<-f!<'«<t)ti')<e

t'ft<'j(<t)teftt)ti«)tttet;fj<i')te

<,)tti<tft)U))f)'!<'t<tP'.<'tit)tt,

K<)f) ){f<ti<ie()«! )f 'o)tt)t)tt

!<c )')))'t0the<)f ))))))< (i)t)t,

Kf)''if)t.)~f itf) 'M"

t.tt )M)v f )))))))~ tf) a~tite

Et !'i <')!<tf))'fnt <n)))i )))ite,

Ce <(H'H<ntnre d'Aotttt) M t'~pritue d«t)st0) <«tit)p)us

scifntifxjUc, pouvant se traduire ainsi < !« uf e.st t'nt~ure

de toute part de sa coquiue dans la <:o<jui))ecft cn<<:rt<~

)'«)bmn!')e, <)anf <'a<humi))cte jaune, et dans k jaune le

(;cf<ne.Aht'ii. (taon )c')< icttKt)a~f te ttx'txtt', <tattt )<'{<)))<<)tt'r

tw~c )')(t)txw)t))c)' et (taos t'at))«'st)hcrt' ta ttw, 'lui <"<<)a

suh~taocc st'tittc {ttaect; au ccnttc. y a <)ans cette tt~<

nicttsc c«tnp;tr.<!s<tttut)t; <'ff<'m'et ttta' n'ntc ta v<'fit< c'est

<juc la tt'trc naKC <tat)s )'a<tn"'<;thcr< ).«j()c))c na~c <);mste

cic) t'crrc)))', c'est <)))'c)tcocct);M le ccntfc du tnondt'. Mais

t)"us sommes t'ttCf'rc )<'inde f'")tfrnic.t.cs m~tncs autci'rs nous (Mftc'tt de ta (mfct< d<' c<' firf));)-

ment ou <)e cet cthcr. qui fijurnit, discnt-its. aux att~cs totr

corps et teur!<aitcs (simptc H~urc<tcr)tut«r«)uc prohatttom-ot ).

puis des quatre ~'M'mcnts<)ui nnus cmironttcnt, le tcu, t'ait,

la terre et t'cau, et de la rapidité des tn~monents cctt'stes.

prouvée par )a révolution diurne du sotei). Ou suppose donc

que le soieit tourne autour de la terre; c'est une consctjueuee

<tusystème (!e ta ceotratite de notre ptancte. Cependant on

ne partage pas la groiisiere mepriiie de ceux qui ont cru )t'

g!obe terrestre ptuspros que te sotei): cetui-ci, d'après

Page 318: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtÈME StÈCLE~ata

Gênais df TiX~ty, a huit ft'is p)us de v"!ume que ti<terre;c't~t unevérité retativc, et notre c<'sm<'t!~P"'c n'a qu'un tm-t,

c'f-t d'M'mier lu lune a ce privit~e du roi des a''trc'<,en la

(aidant ettf-mOne plus grande que le séjour des hmmnes.

t.w<t' f/x ~<'t«/~ )))r&tc)a terre ~M) lieues de circuit et la

pjtrt.tHf en cinq ittfxcs. t uxgtonps ta difficulté d')t))pr<M'hcrt)e t'f<)ttateur et la noti")) va~m' qu'o) avait sur tes r~~i~ns

it)<eftrt~tit:a)<"iavaient l'nit cn<irc ~ue ces r~hws, t~e ccttf

)'«n<'Ct'ntrtdf était ixhid'it~ <~n s'appuyait wr Vir~itc, t'ur

<~Yidf.sur Cictro) jx'or Pnsci~tx'r )'<i'<tft)c<' de det'x foncs

t<'n)~rcft <<jwnpt~cs, )'u))e nudf~stts, t'attire au-dc~iMus de

t'cquatcur, mais s~pttrces par une zone torr!dc, inhabitable et

ittfrxttchi'i-'tdttc. Dans cette hyp~thusc. il devait y avcir,

au dt:ta dutropique du Caprjt;cr«c, une race d'hommes din<f-

rente de )a n~trc et n'ayant aucun moyen de comtnuniqucravec elle. ( cttc absurdité, cotnbattuc d~ja par les t'&rc:tde

t'Kutisc, cftnntc contraire &t'unit~ du (;cnr<: humain et A )a

prumcssc divine de la prédication univcrfette du christia-

nisme, est abandonnée par tous tes savants au treizième

siècle, ("est alors que se répand ta conviction que la région

~Ouatoriate est habitée, et les voyages dont j'ai parlé, vien-

nent lui donner une éclatante confirmation. Ainsi Strabon,

qui faisait concorder les bornes du monde habitable avec

celles du monde habité, tes limites de t'tMW<w avec celles

des pays connus des Grecs (système fort commode), ainsi

Macrobequi avait soutenu l'opinion que je viens de rapportersur la nature inviable et déserte de la zone centrale, sont

déjà bien dépassés, et l'on se rapproche plutôt de la théorie

de t'totemée, qui admettait en principe que toute la terre

était habitable, sauf certaines exceptions a déterminer.

Page 319: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LES SCtENCES MATHÉMATÏQUE~ 9t7

!.a «Mmo~Mphic tient de <brt pfèsa t'astft'nomie. Or, cette

denuerf x une ptacft'ORciette dans ('enseignement det <fc")e'<;

e))e uccupe (o troisième rang dans )f ~<«A/t'w, apr~s

!'arith)nétique et ht {{éumétrie. !.es savants (lui ta cultivent

sont assex nombreux mais ils t'en ttennent g~xératfxtfnt

aux données <(tmwe-<par r<<'M<n~cou par ites it)(<'rp~t<'s

arabet, et t'ob'«'rvtttit')t des astfe-t eu~ nt~tnf' fst à )'c« pr~s

stérile ~Mur))<tiOencc, en fa!~n du <t<!(aMtd'in''<ru)nt'nt' L'n

Ant{!ais. Jean de t h'!ywood. <tutétudia et ~n's-m A farts,

circonstance qui a fait traduire son nom o) tatto (Jean </f

~<r< nouii a tais~ un tra!tc sur ta A/~y, oH sont

rassemblées avec méthode les notions empruntées à t'Ahna-

{{cste.H cumprctx) quatre chapitres sur le {{!"hcterrestre,

sur tes cercles grands et petits, sur le tcvcr et le cuuchHrdes

astres, sur tes orbites et les mouvements des ptanetes.Cc livre

a servi a t'eoseittoctnettt t)en<)at)t <}uatrt:cents ans c'est on

résume utile, mais dans teque) fauteur n'a presque rien ajoute

en fait d'<tbscrvat«ttM pcrsonnc))cs. t'ertains theu)«{tiens,

comme Robert Grosse-1 été, ont aussi traite méthodiquementde ces matières et d'autres les ont effieurées incidemment

avec asfXMde bonheur. C'est ainsi qu'un sermonnaire normand,

anonyme, qui amrme, lui aussi, la rotondité du globe comme

une vérité banale, donne, en outre, des explications fort justessur le cours et tes phases de la lune, et qu'un abbé de Ctuny

nous enseigne à son tour, en comparant cet astre à t'orne

humaine, qu'il reçoit sa lumière du soleil sans avoir par lui-

même aucun éctat. L'auteur de i'/w~~f <<~wc/«! qui s'occupe

plus spécialement de t'élude de la nature, es-iaie,en vingt-deux

chapitres et neuf figures, de résoudre (es questions suivantes:

d'où viennent le jour et la nuit pourquoi les étoiles ne sont

Page 320: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LETREUnÈMEStÈCLE,at~

pas vi~ute't le juur quettct sont tes diver~et phtfca de ta

tune «nnment s'opfrent tes ectipset de lune et de soteit. t)

emprunte à Ctotémée, qu'il prend pour un roi d'Egypte, ses

idées sur ta Krandeur respective des planètes, et lui attribue,

en passant, t'invention des hurtoj;es, ce dont il pronte pouradresser un petit scr)n"n à ceux qui font un mauvais cmpluides heures. !t vante ensuite comme le )')ns ~randdet nstrtt

n"n<e'i (tn)i le cr'tir.tit ?) Vir~ite N"n (Ms lu Virgile tic l'his-

toirc, mais te Vir~tc de la té~cndc, celui que radm<<~ti"n

de se', cutnpatri'ttes avait peu & pcn transtbrmÉ en )na}{icien,

voire )ne)ne en thau)natur);e. et qu'il prend pour argent

comptant. Tout cela ne ('empêche cependant pas de terminer

par un tabteau grandiose <tc t'UMmensitcdu nrmament, u{t

éclate la magnificence divine, et dit ciel empyree ou troisième

ciel (le premier est le ciel bleu que nous apercevons, te second

est le ciel cristallin), ainsi que du paradis qu'il contient et des

récompenses célestes car ta morate ne perd jamais ses droits

chez les savants de ce temps, et tes astronomes notamment,

répètent sous toutes les formes la parole de t'Ëcriture

« ~t'/< t'M<WMM~/f/MW/~<'<. <(La beauté, la stabilité, t'im-

nensitc du ciel, dit Bernard de Verdun dans le préambule

d'un ouvrage spécial, nous inspirent un profond mépris pour

toutes les choses terrestres. Si toute la terre, dont à peine la

sixième partie est habitée, est dix-huit fois plus petite que la

moindre des étoiles fixes attachées à la huitième sphère, dont

chacune n'est qu'une portion insensible, quctte n'est pas la

grandeur de cette sphère, et combien plus encore est Snexpti-

cable cette de la dixième ou du ciel empyrée Ainsi, grande

est la maison de Dieu, et vaste le lieu de sa possession

~~W(t ~<~ </<W/M/<, <?/M~M /MV<.f~tM.K'<W/.f~<M. »

Page 321: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LES SCIENCES MATHÈMATtQUES. 3t9

Matheureu~ment tex <'xp!ifa<!ons vrxtfx «M fausser de<

astronomes contetnpt<ra{ns et teur. cun'.fd~ratinns mttratf

sont presque toujours entremetces de rêveries astr<'to);itjucs

!astrotot;ie et les supcr:'titinns ou) en dérivent, voii.~le vic~

hcr'Mitaire dont tes si~ctes modernes auront eus-oOnen

toutes les peifet du tn'wte i\ )<urt;r fit science, ('cttf itléc

s<t)({u)i&rc<(uc les astft". unt une i"OMt'))ccdifcctf sur ta des

t{))~f de t'honot', et t(u'<n) ~'xt. est )c-i c«nst))t.tnt, ttt<r

t'hor~scnjM de chtteu)),st! rencontra daxs lu p)u< haute untt'

<)U)téet subsiste e)tc«rc apr~s Renaissance. Habytonc avait

ses devins, (jui ttbsfrvaicot les ctuitcs, ft Catherittt: de Mcdicis

avait son astru)<'t;u< dMxtt'He ne se s~jMtMitHM~w.II (aOait

ttue cette Cfttyaocc fut bicu tt«j)u)aifc et hicu ~o<t'.dt', ~uis-

qu'elle laissé dans notre (an~uc des traces inc<!a<;ahh"4on

disait, au ntnycn âge, <M~.w.r(mur dire heureux on disait, et

nous disons encore f/<'i;M7r.'«.t))onr exprimer )e contraire.

Nf'us disons aussi au nK" lieu sic le )'t'comtnc autre~tis « Ne xotts une heorcusc<"t<'i)e. Au trei-

zième sieete, cotn<ne aux a~es précédents, noo seutctncnt

on utete t'astruto~ie a t'astrononue, mais on confond souvent

ensemble ces deux sciences. Ainsi fauteur anonyme d'un

grand traité portant te titre d'/M~w/«<7fWf<<M/~<'M(W/<nous

donnera dans le mOne titre, dans le tneme chapitre, des

notions exactes sur tes éclipses, sur le fodiaque ou sur les

ptanetes, et, à cote de cela, la manière de s'en servir pour ex-

pliquer l'avenir, sans se douter (lue ce sont là deux objets dif-

terents. Dans son protogue, après avoir fait vatoir t'importanceet la grandeur de la science astronomique, mise an nombre

des arts tit~raux, i) expose tout au long tes vieux fonde-

ments de l'astrologie, et d'une manière assex spécieuse (').t. V.//«<./<Wr.<<<~~.<at<,XXt.430.

Page 322: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

UBTREUM~MESt~cm3ZQ

'te) e~t tf mctan~c de v~rit~et de <uper<<it!uns,do pn~r~s< t derf'utitM'qui c~fnpo'w trop souvent tout te bagage des

.tstr«))<t)ru"<du temps. Kif)' ne saurait mieux en donner t'idet*

t)ue ce traita spcciat, dont te-) encyetopétUstes n'ont };M<:ref.tit ~oe re-iumer !e;i tMwies. tt y a <<mte<<)hd'h"nf'mMes

cxfcptit'n~ H y .< )n6tnc t"utc une ec<t<e<)t)i '.ejMre intct

Ht;<<t t* y~nit~'s n'<tr<')"~it)ue')de )a '*c!enceveritxbte,

et ditOt ''es ran~s sf trouvent )et ~tut hautet aMtorit~s de

t'~rudith')). CfHc dittiwUtm e!«st<- tMj&au t!èc)t: ttrée~ftent.

<n<oit)u'en dise Henri Martin dan'' son /t'/r<'<A'<M~

les écrits d'Hugues et de Richar<)de Saint-Victor pourraienten ftlurnir )a preuve, Mais, au treizième, elle s'accentue j~eutêtre davantage. Vincent de tteimvait. un savant de Mee,

t'ctuMit <<~menement fauteur des trois .S/~<M/«titit f<'rt peude cas def prétentions (les astrotn{;ues, et, sans nier absolu-

ment l'action commune des corps cetestCft sur t'univers, il

refuse chaque p!anete prise part toute innuence sur

t'onn'ne ou sur ta marche des choses humaines. RoRcr

Bacon, le grand physicien, recherche dans les mouvements

des astres la mesure exacte des temps c'est lui qui s'est

aperçu le premier des imperfections du calendrier Jutien et

de t'ecart de plus en ptus grand qui séparait l'année civile de

l'année tropique, observation à la suite de laquelle il proposa

en t266 la réforme grégorienne, accomplie seulement en

t~Sz. Mais c'est ta sa seule manière de conformer l'avenir à

la marche du ciel, manière éminemment progressiste, comme

l'on voit, et il rejette, comme Vincent de Beauvais, toutes les

prédictions particulières. Le traité de Bernard de Verdun,

que je citais tout à l'heure, est strictement astronomique et

n'oftre aucun mélange de superstition. tt roule sur l'obliquité

Page 323: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

3a<LES SCIENCES MATHÉMATIQUES.

du <odt<tque,sur !<*scereki'dunt <?sptterf )t)atcfif))f est corn

pos~e, sur tes ()~e)inai'M))Met tes ascensinos, sur fit tun~eur

de l'année et tes irr~utarités qui apparaissent dans k' t))"n

yenMttt du !.<')ci),sur la h)))c t't )~"<{'!).<< sur te. <'t<ti<cs

Oxes, tes p)at<ctt"t,leur tnarchc et tcur txtitut~ sur la <<~)nt'))-

stfittion <tc-)tnnuvetMcnt-idu ciel à t'nidc des iottrmnentt. etc.,

t"u<c~ tnKUcrct t~'s tt)-«(b))t)t.<et )M )i"ssiu)t tmenne ptacc

ttu\ ftuttaitics ct'nottft '~us )f tum) <)'j<str")<tt;!fjtxticixift'.

AXt-tt !K<t<.<t)tt<tc jMr.<?ttMt «et) ptus KVftf dmtttJ d:o)s

cc traver! car le .S/<'<M/«w<M~(WW/<7<wqui lui a ~tt )"))}{

tetntMKttnbuc.et dont )'a~tn))o{{ietonne la matière princi-

pale, est aujourd'hui rejeté par les mcitteurs <'ritit}ue'<,tt~tne

par ceux de t'u7<w //<y<M~<.<tt H«)<)brt'de .<) «-Mvrt't

apocryphes.

Je ne 'Ktts sur quo! Victor ï~: Clerc se f<t))de pour nous

)mmtrer, dans te mOne recueil, saittt 't'htonas d'Atjuin ct)n-

sacrattt par son autorité les chimères itstrutc~htue.s (a tnott's

que ce ne Mtt sur un traité sp~ciat <?)€ lui attribuait Nicolas

Triveth et que Uaunou tu!-me)ne avoue n'avoir pas retrouvt')et pour ranger sous la mêmc bannitre « une partie du haut

clergé Mais, .1 coup sûr, les plus etninents prélats de

l'époque ne sauraient figurer dans cette fraction r~tro~radc,

a l'existence probtemat«tue. Voici Jacques de Vitry, le cetebre

cardinat, qui se prononce énergiquement dans te sens op

posé « Certains esprits, dit-il, en sont venus à ce degréd'insanité que, dans la source de la chaleur, c'est-à-dire dans

le soleil, ils nient l'existence de la chaleur. D'autres prétcndent faussement que les constellations enchainent te tihre

arbitre et avancent une foule de témérités semblables, pouravoir l'air d'enseigner quelque grand système, n faut fuir ces

Page 324: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LETMKtZtHMEStÈCLE.aaa

doctew. dt'pf.urvnt de raii.fM)oui repaissent de UfUveanteit

ut d'e\t)av;tnc~< teurs vfittes enrieu'.es ('). Ht plus loin

h' tnente auteur s'ctcvt' encore, avec nons moins <tc force,

contre la manie dt'~ t~troscojtc- Voici Guittaume d'Attvcrunc,le savant ~jttt' ')c !')m' qxi. dons p)usit'urs t)f '«'s (fm'M-

)~' cfs-.f <)c nxnb.tttrc lit tnit~ic et Ics sojx'rstitit'n' ft t(ni

t<'n)"i~t)'' f\ )\a«) <k' ))st)t))ot;ttMSHtM scvcritc iotr.timbtc.

U)' pt't) )<)u-. (.tft!. Kinttc Orcstnf, t'hi)));)~ de Maificrfs,

)!f)))i <)cHt's'ic, (!t't-<'<)) c~))ti(tttcr«ntcette ~m'tre entreprise

au tx't)) de la rai-)), et teur ejxxjue scM déjà fertile <:))bon*!

astr<n)«<t)e<.t) ~'ad<n)e biftt,<;<tmtnu jt: te disais, une !uttc

t'nj~cc entre )a routine et )a s':ie))ce verit<d))c il existe une

ecote de pm~res, et cette ee<')eaura ~ain de cause le jour «u

('«jtcrnic et (~a)itee viendront démontrer <)ne )a terre n'est

pas le centre du monde, et qu'on ne saurait toniquetnent

rapjxttter a e))e tous tes )nou\'fments ceteste.s. CojM:rnicet

Gatitee seront tes continuateurs de ces savants du treii'ietne

et du ouatorxietne siècle ce tjui n'empêchera pas les histo-

rielfs tn'xternes d'opposer, par une confusion ptus ou moins

volontaire, ta doctrine du moyen a};e la doctrine de Galilée,

comme si la science du moyen a~e «'avait pas prépare et

directement engendré la science moderne Victor Le Clerc

s'est montré vraiment trop dédaigneux, dans t'M/wf /<W-

~<«/t' pour ces laborieux défricheurs qui ont déblayé Ic

terrain aux Uctambre et aux Leverrier et l'on peut lui

répondre avec un de ses collaborateurs beaucoup plus

impartiat, Paulin Paris « Ne sourions pas de pitié en voyanttes anciens chroniqueurs tenir compte de l'apparition de

tous les météores. Les siècles étrangers aux connaissances

t UM.Mt..ms.ht. ~509.

Page 325: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LES SCIENCES MATHÉMATIQUES. 323

satides n'ont pas '.eM)stenu compta des inHuence--ustfoto-

giques et cabalistiques on pourrait démontrer que le (n<'ycn

<tgc n'a pas p<~rté la crédulité superstitieuse ptus )oin que

t'Asie, t'~gypte, Rome, ta (!rece eUc-tnone. )' )) t'a )n~-)nu

portée )))<)~)'itftin. t)))is()u'i)compte toute une )it{"cf d'.ntvcr-

sairc-i d<'cid~'ide )'nstr<))t',{!f et, fu dc~xitivc, un ))t' saurait

dire si) )'a ptus <'tndicuqu'i) ne l'a c~mbattut'.

!~n tk'h<'r< de t'itstnxwnit', <tfH\ br.tochcs tn~x'rtantt".

des sciences)n!<tht''m)tti<juesfigurent dans )c {tru~ranone dc~

~tttdcs scolaires la ~umctric et rarittun~ti~Uf. La ~«tn~tricest surtout cotnpnsc alors dans )c sfns étroit de son nom

c)t~ est )a mesure de la terre et, par extension, de toute chose

mesurable. I.a planimétrie, la stéréométrie sont representet's

par des traités specifut~ sur )e c.tta)o}{"<*(les livres de )a Sor-

nonne dresse en )2'X).et t'on y voit mente n~ure) une pratinne

de {~eo)))etncen ffancais ~M<7/<M.fW/<7//<M /< Dos

anciennement, Gert~ert s'était déjà <!cc(tpc'de )'.trpentf)ne et

en avait trace tes préceptes a t'aide de )'astr<')atte. Hugues

de Saint-Victor avait e~atemcnt parlé de ptanitnetric et

d'attimetric. Mais, au treizième siècle, ce genre de connais-

sances se développe, se propage, et les travaux des géomètres

commencent aussi à embrasser un domaine moins restreint.

Alain de Lille, dans son ~XH«<Kw/M, donne tes dennitions

de ta lignedroite, de la courbe et de ta cireonnexc, ttu triangte,

du tétragone, etc. Vincent de Heauvais suit son exempleet ajoute même quelques éléments de perspective. Deux

traités manuscrits de la bibliothèque Sainte-Geneviève ex-

posent tes principes généraux de ta géométrie avec un luxe

de carrés, de cerctes, de triangles figurés tout en or. Mais

Roger Bacon poussa cette science abstraite beaucoup plus

Page 326: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

324 LE TREIZIÈME SIÈCLE.

loin. Ne se bornant pas aux propositions d'Euclide, qui for-

maient la base de renseignement des écoles, il étudia les

livres de Diophante et ceux de plusieurs autres mathémati-

ciens grecs ou arabes. H appliqua les notions qu'il avait ainsi

amassées à l'optique, a t'astronomie, à la mécanique on sait,

par exempte, sans cependant que cela soit parfaitement dé-

montra. qu'il fabriqua des miroirs ardents, un pigeon volant

et des statues partantes, comme Albert le Grand avait inventé,

de son cote, un automate à figure humaine. Il comprit enfin,

comme t'a dit Condillac, « la possibilité de quantité de choses

qui paraissaient de son temps des mystères impénétrables

et dont plusieurs ont été découvertes depuis, Enfin les

merveilles et les tours de force accomplis au treizième siècle

par les architectes auraient été tout à fait impossibles, si une

connaissance suffisante de la science géométrique n'eût été

répandue partout aussi quelques auteurs de l'époque la

confondent-ils avec l'architecture, dont elle peut être, après

tout, considérée comme une dépendance.

L'arithmétique était enseignée généralement d'après le

traité de Hoëce, traité dont Albert le Grand a laissé un com-

mentaire et que les Frères Prêcheurs expliquaient dans leurs

écoles. H n'était plus, le temps où les grands mathématiciens,

les grands calculateurs se voyaient confondus avec les magi-

ciens et proscrits comme tels. Cette confusion avait commencé

sous l'empire romain, par suite de l'abus que les charlatans

faisaient de la science ou de l'appareil de la science. Mais,

sous saint Louis, si le nom du mathématicien n'était pas

remis en honneur, son art l'était depuis longtemps déjà. Il

venait précisément de recevoir un perfectionnement d'une

importance capitale, par l'introduction des chiHfes arabes

Page 327: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LES SCIENCES MATHÉMATIQUES. 325

t*Xm*<iM<&<.<tteiMt. M

dans la numération ordinaire des Européens. Employés parles savants depuis un certain temps déjà, ces fameux chiffres

devinrent, au treizième siècle, d'un usage générât ils servirent

dès lors dans la plupart des ouvrages d'arithmétique, notam-

ment dans le traité sur la ~~n' composé à Paris par l'anglais

<~ ~t<w-/?<wc ( Hotywood). Mais il ne faut pas croire queles signes précieux qui furent la source de notre numération

décimale soient réellement d'origine étrangère les chiffres

arabes ne sont point arabes. Ils ont passé longtemps et ils

passent toujours pour tels aux yeux de bien des gens. H faut

encore enlever cette illusion aux partisans de l'influence

orientale les savantes recherches de M. Chastes ont récem-

ment démontré que les neuf premiers signes de notre numé-

ration sont l'invention personnelle du célèbre Gerbcrt, et que

le ch.tïrc ~<~ leur fut adjoint un peu plus tard, dans le cou-

rant du douzième siècle. Au treizième, t'~MM et la numéra-

tion décimale sont en pleine notoriété, et Vincent de Beau-

vais en explique nettement le principe dans un passage qui

serait digne de figurer en tête de nos traités élémentaires

d'arithmétique (') mais il faut se rappeler que ce syNtème

était alors nouveau, et, pour apprécier l'importance de la

révolution accomplie, il faut songer aux difficultés multiplesdes opérations de calcul avec les chiffres romains et la numé-

ration ancienne. La face de la science devait être renouvelée

t. < /«M«/<t M;~ <MMM~fNtte <Mef.' ~J,~J.6.7, C" ~<' "'<

<<a-/M« ~<7« <fM< «))</<t/«)t e</ Nxf<tt<<t, <« !«:««<&. <&B<tnxm M< <«<t<t~wj,

<« <~r~, f«&<MM'N«t W/f~&<MM'<M. M ~M~. e«7&<M<'<MMKMm<</«MWot; <<,

e< <MMM/«~<mf, ~«<?/.Mf<~an! ~<Mt7<!M j~ee<& &M' ~«~o< <<MM))M,ffj ~<Mm

~M~~<wc, <&jat<~j ~t/M)M <~Mcaa<e/~M <~<f~w.

/«M<<t M<<&~<«M~'<t!0 /<t/M, fM7K<<0.' «<*<~M n~MM«M, Mft/!Mt/ <M<«~«'MM

<<M~/««t ~pt~fM~ etc. (Speodam doctnMte.) Cf. /<«. <& la ~t<t)t~.

XVt, tt4.

Page 328: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.326

par cette transformation si simple en apparence, et au fond

si radicale.

Pour méter une note plaisante à cette étude quelque peu

austère, je montrerai par un exempte curieux à quel point la

connaissance de l'arithmétique était répandue, même parmi

tes gens du peuple. L'art de compter s'élevait déjà, chez les

marchands, à la hauteur du génie. Mais, chez les sergents

ou garçons de l'Université de Paris, au service des profes-

seurs ou des étudiants, les règles de proportion et la multi-

plication (il vaudrait mieux dire la soustraction) étaient

appliquées bien plus savamment encore. Cette importante

corporation, nous raconte Jacques de Vitry, avait établi à sa

tête un chef, passé maître dans l'art de détourner les fonds

d'autrui, et chargé de développer les dispositions naturelles

de chacun des membres. Ce professeur d'un nouveau genre

ne trouva rien de mieux que d'ouvrir entre ses confrères une

sorte de concours de vol. Il les rassembla et les obligea, l'un

après l'autre, à exposer leurs théories, en promettant le prixau plus habile calculateur. Maître, dit le premier, je sais

gagner sur un denier une poitevine (la poitevine ou pogcoise

était le quart du denier il volait donc vingt-cinq pour cent

sur l'argent de ceux qui l'employaient). C'est peu, fit le

maître. Moi, dit le second, je sais retirer d'un denier une

obole (un demi-denier, soit cinquante pour cent). Moi,

reprit un troisième, sur un denier, je me fais trois poitevines »

(soixante-quinze pour cent). Enfin, après d'autres révéla-

tions de ce genre, un des garçons se leva et dit < Je fais

bien mieux que tout cela sur une poitevine, je sais me faire

un denier de profit (soit quatre cents pour cent). Pour le

coup, la chose parut forte, et le chef l'invita àexpliquer son

Page 329: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LES SCIENCES MATHÉMATIQUES. 927

procédé. < Voie), répondit-il, comment je m'y prends. Je vais

chez un revendeur, et je lui achète en quatre M' pour mon

ma!tre, la valeur d'une pictée (ou d'une poitevine) de moutarde

ou de toute autre denrée je ne le paye que la quatrièmefois (puisque Ja poitevine est la plus petite monnaie et qu'onne peut !a diviser), mais, pour !a même raison, je compte a

mon maitre une poitevine chaque <bis cela me <aitdéjA trois

poitevines de béneneesur une seule. J'en gagne une quatrième

en me faisant donner gratis par le revendeur, A titre de

remise, une cinquième pictée de moutarde et je me trouve

ainsi avoir un denier de profit sur une poitevine, comme je

vous le disais. » Le chefémerveiHé fit asseoir auprès de lui

cet ingénieux ahthméticien et le félicita publiquement d'avoir

poussé aussi loin la perfection de leur art ('). Voilà le sou

pour livre de nos cuisinières dépassa de cent coudées

Sous le voile d'une satire mordante contre la rapacité des

domestiques, cette anecdote cache un enseignement plusutile pour nous. L'abus que l'on faisait ou que l'on pouvait

faire des règles du calcul dans la plus basse ciasse de la

société, nous apprend que ces règles étaient connues de tout

le monde. Et une autre historiette va nous faire voir qu'elles

entraient spécialement dans l'instruction des filles. Plusieurs

hommes mariés, ayant à payer un écot, convinrent de le

laisser à la charge de celui d'entre eux qui ne pourrait <aire

compter sa femme jusqu'à quatre. La condition semble

étrange. Un d'eux cependant perdit mais voici comment.

Lorsqu'il eut fait dire à son épouse un, deux, trois, celle-ci

en eut assez, et se refusa obstinément à continuer. C l'our

<<«M&&< Au&)~~< <<<f«M< <&&u<~x, p. 3~ Jacq<t« de Vitry, tm. cité

Wt)t;M, ~aAn ~~M, p. tt3.

Page 330: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZÏKME StÈCLE.aaa

qui me prenex-vttus? dit ene./f wwMMW/~t* <<w~

«/t'~<' ci<'<'w/<'f(').

Rt'dt;\etton'< s~ficux. car nous avons Aporter de t'atg~bre.

Nuus n'~n dirons p~urtunt qu'un mot c'est que cette reine

des sciences mathématiques (comme !'appcHent ses adeptes)était beaucoup moins avancée que ses sœurs. L'itaUen Fibo-

naci ~'tait a t«:u près te seul Hurnjteen qui )a cuhivAtser!euse-

ment, d'après r/A'<n' /<< < L'esactitude de cette

science, aj"ute t)aunt'u. ta sévéritéde sa methwte, )a cuncision

de son tannage ta rendaient fort peu attrayante aux ycnxdes scota'itiqucs ('). C'est ht unebien mauvaise faisan, car la

méthode exacte et sévère, sèche même, était précisément un

des caractères de la scolastique et de ses produits. Quoi qu'il

cn soit, il faut rec<tnt)aitre que tes algébristcs étaient encore

excessivement ctair-scmes. Mais its comptaient au moins un

représentant sur Ic sot de France c'est l'illustre Roger

!<ncMt,qui avait étudié tes livres de Diophante et des autres

mathématiciens grecs. Nous retrouverons tout à l'heure sur

notre chemin cet homme universel car il n'a laissé aucune

branche de la science en dehors de la surprenante capacité de

son génie.). /.< .WfM~<M~ ~.tWt. Wf~. /'W' /M<M. XXtV. ~TSa //)~. /t/M< t/t /<</'V<)w<. XV). )t~.

Page 331: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

C!MP~< tr~MtM LES SCIENCES

PHYSIQUESET NATURELLES.!.u..j

SOMMAXRE. t.'otoMrwotton (ntroduX* dans Jet xcttncfx

phyatquM pxr Atbort tt GMnd. La bouMo)". Les wfrft*

eonwexM et les tunette*. La poudre & omun découvertes

prOdUM pxf aofter aMon. t.* ohtmte et )'<)ch(wtf. t~

zoologie et tttt b<tt)')f*t. La phyxtetewtt t'<m<t< do t'Atn'

M')<< A c<'«< du e«fp< <h<ter<« du vtttHtma.

'HtSTORtKN <tMtfeMème s!c<cauM)t beaucoup

ptus à dire sur tes sciences physiques que sut les

<natMt)).<ti<tt<t's.!< ~wur accordée aux turcs

d'Aristote avait ram<*n' tes esprits vers l'étude de ta nature

et <k ses phénomènes. Toute~os t'observation n'était pas

encore )ab.f principale de cette étude; c'était ptut"t te

raisonnement, t'ar(;umet)tath'n. !.cs savants qui s'o) occu-

paient te ptus étaient des théologiens aussi consideraient-

ils surtout ia tnatiefe dans ses rapports avec te monde

spirituel, et faisaient-its ptutot de )a <netaphysi<)ue tjue de )a

physique. Saint Thotnas, dans son traite /~<'<'<t<~<M

<M/M~M',envisage tes principes de )a nature, tes caractères <)e

ta matière, te mélange des éléments, te mouvement du cœur,

et it rapporte te tout à t'innuence des <brtnes et des vertus

célestes. Saint Honaventurc examine te rote des éléments

dans ta composition des corps et d'autres questions sem-

btabtes. It règne dans leurs explications une obscurité ou

une indécision qui tient en grande partie aux idées du ph:)6

sophe de Stagyre, dont ils se font t'écho. L'enseignement

Page 332: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

aao LE TREtZtRME St&CDE.

d'Albert le Grand offre la même imperfection mais ce

travailleur infatit; a pous~ plus loin qu'aucun de ses

contemporains la culture des sciences physiques: on peutdire qu'i) un Mété )'ap&tfe et qu'it leur a ouvert toutes grandesles ~'rtes des écutcs. L'étude approt~ndie qu'il en a faite lui

a va)u cette renutnntéf ~()u)aire, à peine éteinte, aujoMrd'hMi

~m; d'i)n<ncns<<pr<t{rt;sont rendu travaux inutiles ellc

t'a mcntf <aitpasser ()uur sorcier, p<'ur tnanieicn et ptutieurs

<:rit~(ucs, te~ tptf 'trithetnc et NaMd~. se sont donné la

pt:ixc de le diteMt~r <tccette itnpMtation ridicule. Ses pré-

tendus uw. ra~es sur les sciences «ccuttes, <<«/< ~<t/«~<

~<r<<r<A«< tVtMM. !'M/M/ ~~«~w, A)~A/«Met «M/<«f<~«w,etc., sont aussi apocryphes que son traité

d'nstr<t!t)};ie.Miti'< il lui reste encore assex d'écrits authcn-

t<fn<espur ju'<tt<tersa reputattun de physicien. I.es tomes

Il, !V et V! tic ta grande édition de ses œuvres snot

remplis par des ctMnmcntaires ou <te!! compositions ori-

K'nates sur les sciences physiques sur te Ciel et te Monde,

sur les Animaux, sur tes Minéraux, etc. 11n'emprunte passeulement ses notions à Aristote it se sert de divers écrivains

orientaux ou grecs, d'Hermès, de Theophraste.d'Avicenne,

d'Alfarabe, de Galien, et déploie, en cette matière, une

érudition tout à fait supérieure. Dans son travail sur la

minéralogie, il fait mieux encore it expose les résultats des

recherches et des expériences faites par lui-même. Ainsi,

voilà l'observation introduite dans la science par ta main du

premier maitre de l'époque. Elle s'allie chez lui aux défauts

résultant de la tendance universelle à tout expliquer par des

causes surnaturelles ou merveilleuses néanmoins un grand

pas est fait: on commence à s'apercevoir que toutes les vérités

Page 333: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

SCtENCRS PHYSIQUES ET NATURELLES. 33t

ne sont pas contenues dans Aristote. et que le meilleur de

tous les guides est le grand livre de la nature.

A coté de ce progrès d'un caractère générât. des progrès

particuliers, mais d'une importance capitate, signalent l'his-

toire de la science au treizième siècte. Trois grandes décou

vertes se rapportent à cette période par leur origine directe

ou indirecte celles de la boussole, des verres convexes et dc

la poudre à canon. 1~ boussole, dont l'emploi devait ouvrir

une ère si (cconde aux explorations tnadtitne: passe pouravoir été connue en Chine deux mitte ans avant Jt~sus-CttRtST. On a cru d'abord qu'elle avait été apportée de ce

pays en Europe par Marco-Po!o. Mais le célèbre vénitien ne

revint de ses voyages t)u'en t29S, et des textes <onne)s nous

montrent que tes Kuropcens se servaient bien auparavant

de l'aiguille aimantée. Albert le Grand en sonate ainsi les

propriétés et l'usage: « JI existe une pointe d'aimant dont

la vertu est de faire tourner Ic fer vers le nord, et les marins

savent s'en servir (1). Il n'a qu'un tort, c'est de donner ce

passage comme extrait d'Aristote, lorsqu'il est bien certain

que les anciens n'ont pas connu la boussole. Mais un frag-

ment de la /MM' <~<7H/ <A'/~<K' en vers français, nous

édifie encore mieux sur ce point. Apres avoir parlé de l'étoile

polaire, l'auteur ajoute

MMcele étoilene se muet.

Un art fontqui mentirne puet,Par la vertude lamagnifie(i'aimont)Unepierrelaideet bntntte,

t. « ~a~M~M M~JM~~ ~«/Mi~M ~~«t </M*t t~~M~~Wt~ A'~r~M <t~M~NM.

Aw t/~w~~ NOM/ <A)ben le Umnd, Da ~<)

Page 334: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

332 LE TRE~EME SIÈCLE.

Oilil feu rentier:. se joint,

Ont siesgardenl le droit point ¡t'un t't)ne*gut))e i ont touchié

Kt en un festu l'ont couchié,

Kn t'eve la mettent sans plus,Ft li ffitm la tient <tes-.m

l'uis se torne !Mtpointe toute

Cuntre t'eMwtt, si Mm doute.

Que )&nus hom n'en duMteM

Ne j't ~'r rien ne hutsen).

Quant la mer est f))Stur< et hrunc,C'en ne voit Mtoite ne lune,

Uont font h l'aiguille allumer;¡

t'ui~ n'ont il garde d'épater (').

t.it /t'/M' ~/</< remonte aux premières années du treizième

siecte oumême a la nn du douzième. Ce ne sont donc pas les

Chinois qui nous ont communique la boussotc, et c'est encore

moins At''ta\iu (ti<tjtttt'Ama)n ou t'ierre Pèlerin que nous

en sommes redevaMes ces deux personnages vivaient cent

ans plus tard et n'ont fait que pertectionncr le précieux

instrument, qui consistait d'abord en un simple morceau de

fer allongé et placé sur t'eau dans une petite naceUede nege.

Il est vrai que la ville d'Amalfi appuie ses prétentions sur la

boussole qui figure dans ses armes mais on peut, avec plusde raison encore, invoquer la fleur de lys, que toutes tes

nations mettent sur la rose au point du nord, pour attribuer

l'invention aux Français. Une troisième version en fait hon-

neur aux Arabes, sous prétexte que les auteurs du treizième

siècle qui décrivent la boussole emploient des mots arabes

~~CM, <t~AnMt,.M&M-).Cependant Vincent de Beauvais,

t. MCon.Fabliaux,t. n. p. 398.

Page 335: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

SCtENC~S PHYSIQUES ET NATURELLES. 333

Jacques de Vitry, Mrunetto t~tin) se servent d'autret exprès

sions, et, si la date de la découverte ne peut plus être con-

testée, )aquestion d'origine demeure encore incertaine: /«<

~y«</«v /M M/.

!) n'en est pas ainsi, heurou'.ement, des verres convexes et

des lunettes ou téteitcopes dont ils amenèrent t'usage. L'idée

d'appliquer leurs propriétés est due trcs probxbte<nt'nt a

Roger Hacon. Ce savant avait étudié t'optique t)e i'to~tnce,

ouvrage perdu aujourd'hui il avait observé pcr'M'nnfHenwnt

les c<ïets de la lumière renëchie sur une surface polie, ptane,

concave ou convexe. H fut amené par là à concevoir que t'in-

terposition d'un milieu dense et sphenque agrandirait tes

!mage! et à proposer l'application d'un verre de cette forme

sur tes objets qu'on voulait mieux voir. Sans doute, ce n'était

pas encore tout A <ait la lunette d'approche aussi t'invention

de cette dernière lui a-t-ette été contestée par un de ses com-

patriotes, nommé Smith, contrairement à t'upinion des autres

Anglais, et les Italiens t'ont-Hs revendiquée pour un des leurs,Alessandro da Spina, ou plutôt Sabine degti Armati, mort

en t j ty. Toutefois cet instrument existe en {;ermedans les

ex))tications de Roger Bacon. On lui doit aussi la premièreidée de la chambre obscure, et dans toute cette science de la

tumièrc, particulièrement dans la dioptrique, il a répanduune clarté à taqu~tte d'illustres savants ont rendu hommageAlexandre de Humbott a vanté son expérience, et Dcscartes

en a profité. Ne quittons pas ce sujet sans signaler un

passage de Vincent de Beauvais très important pour l'histoire

de l'optique. Ce savant indique comme les meilleurs miroirs

ceux de verre et de plomb, <; parce que le verre, en raison

de sa transparence, reçoit mieux les rayons, et que le plomb,

Page 336: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LKTRRMt~MESt&CLt.334

ver~ sur te verre chaud, y adhère et devient tui-meme trè-<

rayonnant (') t. U résulte évidemment de t& qu'on poMéda!t,de son temps, des miroirs scmbiablca aux n&tres, ou du moins

qu'on en avait la notion.

Enfin la poudre à canon, cette substance meurtrière quidevait transformer absolument Fart de la guerre et dont «n

ne sait vraiment n'it faut appn'uver t'introttuctiun, ne remonte

pas, comme «n l'a cru tonKtcmp'), au quatf'rxieme siecte seu-

lement. On citait autrefois, pour fixer la date de sa première

apparition en Europe, un compte rendu en <33i<par Harthé-

Icmi de Urach, trésorier des H" un récit de Pierre Messie

sur un siet;e soutenu par les Maures contre le roi de Castille

en 3~3, puis la prétendue découverte faite par un moine

allemand, Merthotd Schwartx, vers t38o. Mais les savants

s'accordent aujourd'hui à penser que cette trop fameuse

jtoudre, si elle n'est pas un des éléments de l'ancien feu (;re-

KC«isemployé contre tes croises par les Sarraxins, a été connue

des Indiens, des Chinois, des Arabes bien avant le siècle de

saint Louis, et qu'elle a commencé à cette dernière époqueà être connue des Européens. En effet, Roger Bacon explique,

dans son traité De MH//<7~w<~Mf,que, pour imiter tes éclairs

et le tonnerre, it suffit de prendre du sounre, du nitre et du

charbon, qui, séparés ne produiraient aucun effet, mais qui,metés ensemble, se dégageront, dès qu'on tes enflammera, de

la machine creuse où on tes aura enfermés, et par leur explo-sion égaleront le bruit et t'éctat de la foudre. Bacon avait-il

puisé cette notion dans quelque livre arabe, comme le présume

t, < /*<~exttfa «M«M<t<~<tM~M«f«M~<<««tft~fftt~n~a<t-

/<!M<t<Xa«<*M/<M ~f~< M<<Mt,-~/ef«t«m «M ~M ~NMMfttt m~K&a~ ·

MA, f«t«~' m/«~M~«f ~/««t<««' <~K' MH<&. t<tt«M c«W teH<H e~<M<«

<~<t<M,<<f««r t« aM«'<t ~at<<~<-<x~<<<tt«<MM< M~M'MM. t (Spt0tt)tm dottdnate. )

Page 337: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

SCIENCES PHYSIQUES ~T NATURELLES. M5

après Koch, !M/M~ /<M~. ou bien dans un auteur

grec fort peu connu, nommé Marcus, comme d'autres t'ont

avancé, ou bien enfin dans ses propres expériences ? Toujoursest qu'il nous donne ici la recette de ht poudre une centaine

d'années avant Merthotd HchMnrtx. On aurait bien d'autres

surprises en parcourant ses muvre~ On y verrait qu'avec un

merveilleux talent de déduction ou de divination, il parte des

/<'<t/j ~<</«jf, des t'<'<7<w.fy<tt jw«~~nw~ A<M <Ac<««.t,

dex W~f~.t ~<t~ Af~f/t /'AfWW ~f f/f~.VfM <A<<M~M<M~f

(non!) n'en sommes pas encore là aujourd'hu*) )t se taisse

même entrainer par la fougue de son imagination au delà

des limites de la science. H faut lire surtout, au sujet de ses

vastes travaux, la thèse de M. Chartes, composée d'après des

textes inédits ('), et tes rectifications faites à sa biographie

par M. Jourdain, dans une communication lue à l'Académie

en t«73. On aura par là une idte de ce que pouvait entrevoir,

par le seul effort de son génie, un de ces audacieux cher-

cheurs du moyen âge, qui tentaient tous les chemins pour

arriver à la possession des lumières scientinques dont nous

jouissons aujourd'hui en satisfaits.

La composition de la poudre touche à la chimie et t'en sait

que la chimie, dans ses origines, n'a guère été que la recherche

de l'or caché dans tes divers métaux et de la pierre philoso-

phale propre à t'en dégager, en d'autres termes l'alchimie.

Les pratiques des alchimistes remontent à une haute anti-

quité on tes trouve décrites, d'après Giber, Albert le Grand et

d'autres,dans un ouvrage spécia) deM.Hœ<e) sur t'M/<w!f~~<

<~ww. Elles reposaient sur un singulier mélange d'erreurs et

t. Em. Chaths, ~f~&MMt, Pah~. 'Mt, ia-S". Cf. Watton. Saint Z~/<a

<<«/t,t.n,p.tj~.

Page 338: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtÈME St&CLE.936

de veritet, de superstitions et de découverte'' m«~, eunnne

elles n'avaient qu'un but intéressé, comme la soif de l'or les

inspirait s''ut(*.<f motif, joint nu caractère quasi nccutte des

opérations, fit interdire ta chimie, c'est A-diret'atchimie, aux

religieux de Saint Dominique. et regarder comme suspecte

science ainsi détournée de son objectif reet. Neamnoinf

dt's s.t\ antstrès orthfMtoxc~.de''theoto~iens rennmtnc~.commc

AuMrt.cummM Hitcon, comme Kaimnnd Lutte, cnmmeAr-

nautd de Vitteneuw, ne craignirent pas de s'en occuper et,

s'ils cntratn~rent leurs imitateur'' dans la sphère des rêveries

mystiques ou panthéistes, it <autreconnaitre, à leur décharge,

que tfurs rcciterctK-Apersévérante!! engendrèrent vingt décou-

vertes <trant;cres ta pierre phitosophatc, dont ta science

m"dcrne devait pr<tnter avec bonheur. Atbert.qui connaissait

CRatement ta recette de ta poudre, trouva ainsi pour la première

fois la composition du cinabre, du vif argent, ta préparation de

la potasse, les propriétés de l'acide nitrique, etc. En somme,

t'atchimie ne pouvait être absolument inutile elle agitait, au

fond, la grande question de la composition des métaux, et

cette question, nos savants modernes en poursuivent encore la

solution.

Je ne reviendrai point ici sur l'étude physique du globe.

Bien que f/MM~ </«wo~A*puisse nous fournir des explica-

tions curieuses sur la formation des nuages, de la pluie, des

orages, des vents, des marées, des étoiles filantes, de l'arc-en-

ciel, des tremblements de terre, cet examen nous entrai-

nerait quelque peu hors de notre sujet actuel. La géologie,

au reste, était encore à peu près inconnue, et la météorologie,

comme la minéralogie, comme la botanique, était dans l'en-

fance. Nous parlerons plus loin de la zoologie, de l'anatomie

Page 339: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES. 337

et de lu médecine, qui en est une dépendance Hx dehors de

ces dernières branches et df celles dont nou-i venons de

nous occuper, la science du moyen fige peut être cnnsidert'e

comme nulle.

Kn résumé, si les contemporains de saint Louis ne savent

pas encore tout ce que nous avons appris en physique et en

matht'matiques, ils cherchent avidement la tente sur tous

les points ils la poursuivent, ils ta traquent dans toutes ses

retraitef H'' )a iMHpçonncnt, ils la devinent, ils lit découvrent

souvent. Si leurs mathématiciens et teurs physiciens ne sont

pas de très grands savants, on ne peut leur refuser le mérite

d'être de Rrands chercheurs et de grands trouveurs. Matgre

le rote c<!ace,malgré la place restreinte quc l'esprit du tempsaccorde à la science de la matière, cette science devient par-tout le théâtre d'une admirable activité intellectuelle, et cette

activité enfante propres sur progrès. Cela nous parait peu

de chose, a nous, enfants gâtes, que Ics résultats obtenus

par les travaux de cette époque lointaine. Mais tout est

retati<, et je ne sais si la solution du fameux problème de la

direction des aérostats égatera jamais tes immenses services

rendus par la découverte de la boussole, par exemple. La

route de l'air n'est pas absolument nécessaire à l'homme la

voie de la mer lui était indispensable, et pour sa prospérité

matérielle et pour la diffusion des lumières. L'invention de

la boussole nous a donné le Nouveau-Monde. Que la science

moderne, si Dère de sa supériorité, en fasse autant qu'ellenous ouvre un autre univers, et, ce jour-là, nous la décla-

rerons recevable dans son dédain pour la science d'autrefois.

Mais, jusque-tà, il faut qu'elle s'incline devant ceux qui lui

ont (rayé le chemin au lieu de se séparer du passé, elle

Page 340: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.339

doit avouer hautement que ces âges prétendus barbares

ont préparé son propre règne, l'ont hâté, l'ont rendu possible.

L'origine de tous nos progrès scientifiques est dans le moyen

âge, et non dans l'antiquité. Beaucoup plus que notre

littérature, qui tient son existence de tous les deux à la fois,

notre cosmographie, nos mathématiques, notre physique.notrechimie sont les filles de la civilisation chrétienne, qui seule a

pu donner i\ l'esprit humain l'activité, la curiosité, la largeuret l'élévation nécessaire', pnnr s'approprier les immensités

mystérieuses du monde créé, pour pénétrer l'impénétrable,

pour concevoir et sonder l'infini.

t~our compléter l'examen des connaissances scientifiquesdu treixi~me siècle, il nous reste à rechercher ce qu'il pensait

ou ce qu'il savait sur la nature vivante, c'est-à-dire en fait

de zoologie et de physiologie, puis en fait de médecine,

science complexe, qui se rattache, au moins par l'anatomie, à

l'histoire naturelle et qui représente la pratique venant apr~sla théorie mais je réserverai la médecine et les médecins

pour un chapitre Apart.

La zoologie exerçait un attrait particulier sur les esprits du

moyen âge. On aimait beaucoup les animaux on en élevait

de toutes les sortes dans les jardins des riches. Est-ce à dire

qu'on étudiait avec fruit leur nature et leurs espèces? Ce

serait sans doute aller trop loin. Mais on s'occupait, du moins,

de leurs instincts, de leurs singularités, de leurs moeurs réeues

ou supposées, le tout pour en tirer des leçons utiles à l'adresse

des humains, en vertu de ce principe constant qui tendait àà

ramener toutes les sciences à un objectif spirituel ou moral.

Aussi les fables, rajeunies par l'éloquence des orateurs popu-

laires ou par le talent poétique de Marie de France,

Page 341: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES. 339

jouissaient-elles d'une faveur universelle. Aussi les ~rM,

ces compilations si curieuses et néanmoins si peu scientifiques,se répandaient-ils de tous côtés, presque à l'égal des manuels

de dévotion. Les bestiaires ne contiennent généralement que

des énumérations ou des descriptions fastidieuses d'animaux

indigènes, et surtout d'animaux <v/~M<t~M,destinées à frapper

l'imagination du lecteur et à lui présenter les emblèmes du

vice ou de la vertu. C'est du symbolisme ce n'est pas de

l'histoire naturelle. Les auteurs plus sérieux ne font guère

autre chose. Ainsi Jacques de Vitry, ainsi Honoré d'Autun

ou son traducteur s'en vont chercher, pour tes décrire, les

monstres plus ou moins fabuleux de l'extrême Orient, et leurs

peintures tiennent elles-mêmes de la légende plus que de

l'observation c'est une réédition des invraisemblables tradi-

tions antiques sur l'unicorne ou la licorne, sur les sirènes,

etc., et sur d'autres êtres moins imaginaires, mais dont le

portrait n'est pas moins fantaisiste, tels que la panthère, le

castor, l'aspic, le <w<MC~.Tous ces contes, métés cependant

de traits véridiques, dont la science moderne a confirmé

l'existence, avaient été rapportés des croisades ou puisés par

les auteurs du moyen âge dans tes récits anciens de Cal-

listhène, d'Alexandre, d'Isidore de Séville, empruntés eux-

mêmes en partie à Pline et à Solin.. Brunetto Latini a

inséré dans son vaste 7X&M«~<~un bestiaire fort développé,

dont les éléments sont pris dans Aristote, dans Pline, dans

l'ouvrage de l'empereur Frédéric U sur la fauconnerie, et

dans quelques autres traités antérieurs. Cependant il ne faut

pas nous laisser aller à la tentation de rejeter à priori tous les

phénomènes extraordinaires relatés dans sa compilation.

Plusieurs d'entre eux, après avoir longtemps passé pour des

Page 342: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.340

impossibitités, sont récemment entrés dans le domaine des

faits, de par l'autorité de l'expérience tel est, par exempte,l'instinct qui porte les cétacés à donner un refuge à leurs

petits au moment du danger. Combien d'absurdités appa-rentes peuvent passer ainsi, d'un jour l'autre, au rang des

vérités reconnues La science de nos pères est un peucomme les remMes de bonne femme on en rit, jusqu'àl'heure où quelque découverte inattendue vient faire dire

aux savants: « Il yi.vait tout de même quelque chose là-

dessous. za

Hruncttot.atiniaencore un autre mérite, une autre supé-

riorité sur ses émûtes c'est qu'it commence à joindre aux

notions puisées dans les livres le résultat de ses observations

personnelles. On a déjà fait remarquer celles qu'il enregistreau sujet des dinerentes variétés du chien de chambre eu

petit chien, désignées sous le nom générique de ~«KMOM.

diminutif du mot ~<wj, employé encore dans ce sens en

beaucoup de pays du midi. Ce progrès important, con-

sistant à tirer parti de l'expérience, se dénote aussi dans

les œuvres d'Albert le Grand qui part de l'étude de l'homme

pour aborder celle des animaux et qui arrive à reconnaî-

tre la grande loi de la stabilité des espèces, se montrant

plus avancé sur ce point que certains naturalistes de nos

jours, dont le transformisme a fait dévoyer tes idées. Pour

arriver à ces résultats, Albert ne se sert pas seulement d'Aris-

tote et d'Avicenne: it observe, it compare, il interroge la

nature. Et dans Vincent de Beauvais le caractère ou la ten-

dance scientifique est peut-être encore plus accusé. Le célèbre

encyclopédiste consacre à la zoologie sept livres entiers

de son .S~fs/MM H<Knt&, et il y étudie successivement

Page 343: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES. 34t

toutes les races animales,en suivant l'ordre de la création (').

L'intérêt de ses recherches est, du reste, assez indiqué

par l'usage qu'en a fait l'illustre Cuvier: inutile de cher-

cher un autre témoignage. Cet intérêt augmente encore

lorsqu'il envisage t'étude de l'homme, ce roi des animaux.

Sa théorie, qui est l'idée dominante des physiologistes du

temps, c'est l'intime union de l'âme et du corps. Il ne sépare

pas l'un de l'autre il étudie l'homme tout entier, et non la

brute humaine telle que la présente la science matcriaiiste.

Quoi de plus rationnel, au fond ? Et n'avais-je pas raison de

dire que la science du moyen Age,si elle était inférieure la

nôtre dans ses résultats, lui était souvent supérieure par le

principe, par le point de départ ? Qu'un vrai savant de nos

jours nous donne une étude complète sur l'homme, embras-

sant l'âme aussi bien que le corps, les facultés intellectuelles

comme les facultés physiques; qu'il joigne à cette largeur de

vues, à cette belle conception des anciens naturalistes, la

supériorité de méthode et d'analyse de leurs successeurs

actuels et tout le fruit de cinq cents ans de progrès qu'il

réunisse, en un mot, les bonnes idées d'autrefois et la bonne

pratique d'aujourd'hui et nous aurons enfin une œuvre qui

touchera de bien près à la perfection du genre.

Un autre maître en physiologie, l'auteur de la /M~M<«

w<w< traite à peu près comme Vincent de Bcauvais

des différentes parties du corps humain, de ses organes,

de ses fonctions. Mais il exagère la tendance du docte domi-

nicain à tout rapporter à t'inSuence de l'âme. Cela le conduit

à expliquer la formation même du corps par des f~/M,

absolument comme Molière, dans une de ses comédies,

L.XtM*~M<)ttt.«'ehBt. as

t. V. ~< & la ~a«-<. XVUt. 49~

Page 344: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME StÈCLE.342

explique te sommeil par une certaine !'<V<~<A'~w<«. C'est

là un de ces résuttats bigarres, un de ces excc:. inévitables

auxquels arrivent, tout en partant d'un bon principe, les

naturalistes qui se bornent a raisonner au Heu d'observer. Kt

ce n'est pas ta seule sinRutarité que nous offre t'ouvrant:

de ce physiotoHue, qui est ptutf't un philosophe, comme il

s'intitule tui )netne. U expose avec des détai):! étrangeii le

phénomène tic lt di~e-itinn,et, quand it en vient à )a barbe, it

se croit oMige d'expûquer pourquoi ta <emmcn'en a pas c'est

parce qu'eUe a le san~ fruid, dit-il. A côté du ccta, nous trou-

vons chez lui ta notion des cettutes cerebrates, nous trouvons

)a distinction des tempéraments, nous trouvons des remarquesutiles faites sur certaines blessures. Ainsi, même chez les

auteurs les plus arriéres, les plus superstitieux, la vérité com-

mence à se produire et t'experimentation à pénétrer.

C'est là, je le répète, c'est dans ce dernier fait qu'on aime à

saluer l'aurore de la science moderne, et c'est là le meitteur

côté de celle du treizième siècle; car tout ce quelle emprunteaux Arabes ou aux anciens ne sert souvent qu'à l'égarer, et

l'on ne sait vraiment si leur commerce n'a pas retardé son

développement plutôt qu'il ne t'a favorisé. Voici un exemple

qui tendrait à le prouver. L'auteur anonyme d'un traité De

MM/«fc~f/M,après avoir étudié Aristote et Galien, ou du moins

leurs commentateurs (car le texte même d'Aristote et de

Galien ne dit pas tout à fait la même chose), entreprend

d'expliquer le phénomène de la vie, et il est amené d'un

seul bond par les maîtres dont it se fait l'écho à la doctrine

du vitalisme. Or, qu'est-ce que le vitalisme? C'est tout sim-

plement un voisin du materiatisme. D'après notre auteur, le

cceur est le siège de Pâme (cor <&MM'</M<Mest <t<M'w~.n

Page 345: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES. 349

proche trnOoedavantage t'Onte r~ide dans t'atveote gauche

du cu-uf ~A<w~j' <w~ ~/tA-~ < «<~«f <<~w/t/«w~/

c'est de Mqu'elle préside tautc-< ic't fonctions du corps, lui

communiquant d'abord la vie, ensuite le tttouvoncnt et ta

sct)sibii)t~. Avec ette, dans te ett;ur, est l'intelligence. Dans ce

sy-itcntL',rïtmc et la vie arHvcnt Asu c~nfUttdrc; e))cs ne sont

plus qu'one même chose appetec de noms différents. Et

de ht découle une co))ch)si('t) (ittatc, c'est <)ue t'ne et la !e

(ttttsscnt en ntcmu temps « (~/«/ <<tA'<«w M<'M<t', ~('/<

~f~' ('). )t Onne saurait s'étonner, apr~ceta, que t'ctudf

de la /~)'jr~«' d'Aristote, tn\'oqn<it: par ce dtscipte trop fer-

vent, qui dépasse même la pensée du )na!tre, ait été interdite

par i'Égnse.ctque.de !2toa t23t.it ait été détendu de la tire,

soit publiquement, soit en partieutier.C'est, en effet, sous t'in-

Ouence de sa lecture qu'on vit éclore, vers ce temps, les idées

panthéistes auxquelles tes conciles firent une guerre impuis-

sante, et sourdre ce petit ruisseau qui devait peu a peu se

changer en torrent et miner par la base le spiritualisme

chrétien. La doctrine vitatiste a été, dn reste, energiquementcombattue par plusieurs ecclésiastiques. Saint Thomas, par

exemple, un disciple d'Aristote pourtant, mais qui avait su

se servir de ses livres sans céder au vertige, saint Thomas,

dans un traité intitulé également De wc//< «w//f, nie que te

cœur soit le siège de t'ame l'essence vraiment spirituelle de

l'âme, dit-il, n'a pris domicile dans aucun lieu du corps. Si

les mouvements du cœur précèdent et semblent déterminer

les mouvements de la substance animée, n'est-ce pas l'âme

elle-même qui détermine tes mouvements du cœur ? Et

t. V.toeMjt~unefMutedeM. H.)MrA)t),d:M)t)<-t M'M.<<<f~Ttf~/f'r~

t. XXVIII, i." partie, p. 3~ etsuiv.

Page 346: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtÈME SïÈCLE.344

pourquoi donc, répond de son côté Guillaume d'Auvergne,

placer l'âme dans le casur ? Est-ce plus raisonnable que de la

pti~cerdans la cervelle ou dans le pied ?Ces objections empêchèrent sans doute le vitalisme de se

répandre car il fit peu de conquêtes au treizième siècle. biais

on voit, par ce seul fait, quelle revotution amenait dans la

physiologie l'admiration exctutive des philosophes antiqueset i'on découvre en même temps a quette hauteur se trou-

vaient transportées toutes ces de)icatC!tquestions relatives a

l'organisme humain, a t'epoque ou ta psychologie n'était point

séparée de l'histoire naturelle, ni la métaphysique de la phy-

sique, ni l'étude de l'Ame de l'étude du corps.

Page 347: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

c6ap«M ~atM~mc. LA MÉDEc~E

ET LES MÉDECINS. "r.~M.M~~M~1

'HEUREUSEalliance dont je viens de parler pré-sidait aussi à l'exercice de )a médecine. Kn tMorie,

l'art du médecin n'était pas en faveur, parce qu'il

SOMMAtRK. DM'nce d'quetquM Mprttt A t'~rd de ta

Mtenct at<dtM!«. ta <a<d«!)ne e)tere<e et spiritualisée partM cierc*. Curleua manuel pfofM*)ont)et i rAte moral «t

tntt<r)et du nttMeetn ou))ttt<t ftqntM* chM lui Mt proc<J~ses henoMtft*. Renommée dM doettunt de Paris. Stttre*

contre leur ctaaae en e<"<rat. <ee!a de Mantpettter. La

thentpettMqtte reoettM singulières. JLa dtagnotOque t'uMt-

copte t.'<Mtom<e et ia chtruf~te. t~t femmes medectnt.

La ctmrtM dans la taëdectne.

avait pour premier objet le soin du corps, et non ta culture de

l'intelligence. C'est la raison textuelle qu'invoque l'auteur de

t'/w<~ <~< w<w~pour le rayer du nombre des arts libéraux,

et rien ne confirme mieux ce caractère si frappant de la doc-

trine du moyen âge, qui consistait à reléguer au second plan,

de propos délibéré, t'étude de la matière et tout ce qui s'y

rattache, pour donner la ptace la plus large aux choses de

l'esprit. Dans le ~t<~ <<!xfsept arts et des sept !'<«j, petit

poème allégorique de la famille des Débats et Disputes, la

Grammaire, après avoir marié ses filles, Dialectique, Géomé-

trie, Arithmétique, Musique, Rhétorique, Théologie, et s'être

mariée ette-meme à Clergie, voit se présenter :< elle dame

Physique (c'était te nom donné autrefois à la médecine, comme

le nom de physicien était celui des médecins), qui demande,

Page 348: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

346 LE TREIZIÈME StÈCLE.

elle aussi. pretx~ un epuux. Mais cette nuuveMovenue est

tr~ mal rcçne. On lui rë{Mnd

Vosn'estespasdesMMtes,ce MchiMMMcuid'er¡

t'or cene vosyotomde riensconseHier.

La dameh)hontouse si s'enala «ruer.

l'our la même raison, la médecine était mal vue dans tes

ctotrM. On Mimait ks r~i~icux qui mettaient leur conHance

t'n c))f plutôt que dans tes rcm~d<:sspirituel, et on tâchait de

tes en détourner par des exemples plus ou moins probants,

comme celui dont un compagnon de saint Domin!aue avait

transmis le récit a Èticnne de Bourbon. « Un individu versé

dans la médecine étant entré en religion, rapporte ce dernier

dans snn reeueit d'anecdotes, voulut continuer à vivre /t~K-

~<*w<w/ ~/fM/<~ !'<!w< c'cst-a-dire conformément aux

préceptes des physiciens. H se mit donc à s'abstenir des <evcs

et des mets les plus grossiers du couvent, alléguant qu'ils ne

convenaient point à sa complexion. Qu'advint-i! ? C'est que,

tandis que ses frères travaillaient aux (ouvres du Seigneur,

lui, toujours malade, demeurait couché à l'infirmerie, aHaibtis-

sant son corps par une infinité de remèdes et allant de mal en

pis. Une fois, étant venu manger au réfectoire, il vit la sainte

Vierge, accompagnée d'une jeune fille d'une grande beauté,

faire le tour des tables en tenant à la main un vase rempli

d'un électuaire précieux, dont elle versait une cuillerée à tous

les frères qui mangeaient la nourriture commune, et les mets

devenaient aussitôt pour ceux-là sains et savoureux. Quand

la Vierge arriva devant le moine médecin, il voulut comme

les autres avoir sa part de cette merveilleuse substance mais

elle retira sa main et lui dit Puisque vous suivez votre régime,

vous n'avez pas besoin du mien. Le frère alors se repentit, et

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LA MÉDECINE ET LES MÉMCÏNS. 347

se nourrit comme la communauté aussi devmt-it fort bien

portant et trouva-t-il de la saveur aux plats les plus insipi~

des(').it Y

Si les religieux ne devaient pas se montrer trop rigoureuxobservateurs des fois d'Hippocratc, ils ne devaient pu'!

davantage, en principe, exercer sa profession. Quelques con-

ciles, craignant qu'en passant du soin des ma)ades a ('étude

de la médecine lesctercs ne se détournassent de leur vocation

véritable, leur interdirent de s'adonner à un art qui pouvait,

d'ailleurs, en certains cas, les faire manquer aux devoirs de

leur état, par exemple aux régies de la pudeur. Mais cette

interdiction ne devint pas absolue et demeura même sans

effet car on trouve, au treizième siecte, des médecins distin-

gués parmi les clercs Gilles de Corbeil, chanoine de Paris~

Rigord.moine de Sainr-Denis.Odon.abbé de Sainte-Geneviève,

Jean de Saint-Amand, chanoine de Tournai, Jean de Saint-

Gilles, frère prêcheur, Roger de l'rovins, qui fut a la fois le

chapelain et le médecin de saint Louis, et ce Dudon.sur lequel

on racontait un trait charmant. H avait soigné le même prince

dans sa dernière maladie et, naturellement, n'avait pu le

guérir. A son retour de Tunis, il tomba malade à son tour et

vint prier sur le tombeau du saint roi celui-ci, comme pour

lui donner une leçon, le guérit aussitôt. Le pape Jean XXI,

avant de monter sur le trône pontificat, avait composé, dans

un but de charité, un manuel de fart de guérir, appeté le

trésor des pauvres. On peut donc dire que la médecine, bien

qu'elle ne fut pas tenue pour un art libéral, était un art en

partie clérical. Il y avait, d'ailleurs, un moyen bien simple

d'effacer la tache que cette science présentait aux yeux des

t. ~Mt'~At'tt'nyfM ~f&j <fJ~<<M'« de /!o«r~ p. 349

Page 350: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

348 LE TREMtÈME S!ÈCLE.

spiritualistes, c'était de la spiritualiser ette.meme, c'était d'as-

socier au soin du corps le soin de l'Ame,et de donner à la

profession du médecin cette noble et salutaire extension, si

naturelle et pourtant si rare aujourd'hui. C'est ce que l'on fit,non sans succès. !!umbert de Romans, entre autres, recom-

mande aux médecins de s'occuper du moral de leurs malades,de ne pas les laisser mourir sans les consolations d'usage.Leur ministère revotait ainsi un caractère grave et religieux

it devenait presque un sacerdoce, et c'est là, sans doute, ce

qui fit que, jusqu'en 1398, la Faculté de Paris ne voulut pasadmettre les hommes mariés et que, jusqu'en <452,elle refusa

de leur conférer le bonnet de docteur régent.

Veut-on savoir au juste comment procédaient tes médecins

jaloux de remplir consciencieusement leurs fonctions en partie

double ? Écoutons un auteur anonyme, un de leurs confrères

évidemment, qui avait entrepris de rédiger un petit manuel

du métier. Rien de plus instructif et de plus na)ffà àlafois.

« Quand vous serez appelé auprès d'un malade quelconque,« traitez convenablement le messager, et informez-vous si le

« malade auprès duquel it veut vous conduire souffre depuis

« peu ou depuis longtemps, et comment la maladie l'a pris.

< Enquérez-vous aussi des symptômes auprès du messager i

« et quand vous serez arrivé, lors même qu'il ne vous aurait

« rien appris, tirez de l'examen de l'urine et du pouls l'indi-

« cation de certains symptômes. Alors it surHra d'exposer

« avec précaution ceux que vous aurez reconnus, afin que le

« malade puisse, sur ces paroles, se confier à vous comme au

« guide de sa santé. Demandez en entrant si le malade s'est

« confessé, et s'il a reçu le corps du Christ, première cause de

« salut. Voici en quels termes it faut parler L'âme est plus

Page 351: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LK MÉDECÏNB ET LES M&DXCÏNS. 349

« digne que t<*corps ainsi son salut est pré<érab)e i\ tout.

< Qu'on a~rtiiMe le patient de chercher te salut de t'ame. S'it

«ne t'a pas fait, qu'il )c <assc ou promette de le faire car

< souvent les maladies naissent des pèches. Si t'en attend, pour

< t'avertir, que le médecin ait examiné les signes ordinaires,

«le malade concevra des craintes s'imaginant que le

< médecin désespère, il désespérera, et le désespoir aggravera

< te mal. Arrivé auprès de lui, vous prendrez un visage calme,

«et vous éviterez tout geste de cupidité et d'orgueil. Saluez

t d'une voix humble ceux qui vous saluent asseyez-vous

< quand ils s'asseoient. Puis reprenez haleine, parlant d'un ton

< modéré. Dans vos paroles, vous mêlerez ta mention du pays

« où vous vous trouvez et la louange du peuple qui l'habite.

« Enfin, vous tournant vers le malade, demandez-lui comment

« it va. Lorsqu'il tendra le bras pour que vous lui tatie:! le

« pouls, vous le sentirex mieux du coté gauche, comme le

« témoigne Egidius. Examine!! ensuite l'urine, quelle en est la

« couleur, la densité, quelles substances y sont contenues. Les

« variations en ce genre donnent souvent la connaissance de

<( diverses espèces de maladies. Le changement du pouls

< indiqua, à la vérité, que le sujet est malade mais l'urine

< révèle plus sûrement le genre de la maladie, et le malade est

« persuadé que vous distinguez celle-ci non pas seulement

« par le pouls, mais encore par l'urine aussi cette inspection« lui donne plus de confiance en vous. Au malade inquiet

< vous promettrez la guérison mais, en vous retirant, vous

<[pourrez avouer à ses proches que la maladie est grave.

« Vous n'y perdrez rien, car, si vous le guérissez, votre mérite

« paraîtra plus grand, et vous semHerez plus digne de faveur

« et de louange s'il succombe, on dira que vous avez déses-

Page 352: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZÏKME SÏ&CLE.3SO

< père des le début. Vous donnere!' une grande attention aux

< signes généraux et particuliers, si vous voulez garder le nom

< de prop))Ète. Quand ceux qui préside.!t A la maison vous

« mèneront .t table, ne soyex importun en rien, mais condui-

« sex-vous avec convenance. Refusez alors de vous mettre à

« la première place ne rehutex ni tes mets qu'on voussert, ni

< tes boissons qu'on vous offre. Ue ta sorte, on se reposera sur

<(vous chacun éclatera en louanges et en témoignages de

t faveur. Chaque fois qu'on apportera de nouveaux plats, ne

« manqucit pas de vous informer de t'etat du malade cela lui

< donnera une pleine confiance en vous, voyant que, malgré

« la variété du repas, vous ne l'oubliez point. Sorti de table et

« revenu auprès de lui, vous lui direz que vous avez très bien

« dîne, et que ce qu'on vous a servi a parfaitement suffi. Le

« malade, qui était préoccupe de ce soin, se réjouira de vos

« parolcs. 11

Les qualités requises du médecin sont ainsi retracées dans

ce curieux manuel <On choisira pour médecin celui dont la

« vie apparaitra pure et ndete. Il sera pleinement instruit dans

« les arts il aura étudié longuement en médecine, résidé en

« différents pays; il sera riche d'amis, connu de beaucoup,

« disert, noble d'origine ou d'éducation, convenable dans ses

« gestes, son aspect et sa démarche, agréable dans ses habits,

« orné de toutes les bonnes façons ('). 9

t. Un extérieur été~ant était égatement recommandé at médecin par l'école de

Sa)emeC/<mM< af~<~t«tf<H'f«t f<x f<~< ~<<M,'

~«fM< tX <~<tt ~«t'«~a j)'<')t«Mt«tt.

O~tarx M7«<f ~'x~~K' Mn<w MM.'

.M<<«f"j on(a«u~/ttW)Xtu dosa <ttM<.

(De Reo!), fXu««~M<<'<!tt<-to/«.%t~t~«,part. x,c.5.)t)fa)itpent-etrechetch<'rdana

ce conseil intéressé l'origine de la pompe dépteyée par le corps médical dans son

costume et ses cérémonies jusqu'au temps de MoMere.

Page 353: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA MÉDKCÏNE ET LES MÉDECINS. 3St

Puis vient la détieatc question du paiement des honoraires.

Notre auteur est ici plus pratique que jamais. < Quand par« ces moyens vous avez amené le malade a t'état de paix, i)

< reste à demander congé, de peur que plus attendre ne cause

« de la honte. Il convient de parler ainsi à l'intendant de la

< maison ou à ceux que vous saurez être Ics plus pruches< parents du malade Le Seigneur tout-puissant a dirigé

< nos actions et a daigné rendre la santé à votre parent par

« notre ministère. Nous souhaitons qu'il le conserve ultérieu-

« rement en santé, et qu'un congé honorable nous soit donné.

< S'il arrive que l'un de vous soit grevé de maladie, et veuille

< nous appeler, nous laisserons de côté tout le reste pour

« courir à son secours. La rémunération convenable du passé

« sera le gage de l'avenir. C'est alors qu'il vous servira

< de vous être conduit, dès les premiers moments, de manière

« à mériter la faveur de ces personnes en effet, le malade

« soucieux tes consultera ta-dessus. Cependant il est plus sûr

< (nous le savons tous) de recevoir quand le malade souffre

« encore autrement on court le risque de ne pas être payé,

< car la main prête à donner s'est plus ~d'unc fois retirée

< après la guérison. Une fois vos honoraires reçus, rendez

< de grandes grâces, dites adieu à tous, et retirez-vous en

« paix ('). »

Quelle jolie scène de mœurs nous offre ce petit tabteau

pris sur le vif! Les médecins, comme on le voit, étaient

accueillis et hébergés dans la maison de leurs clients ils ne

quittaient leur chevet qu'à la fin de la maladie et, en effet,

venant souvent de loin, il était naturel qu'ils demeurassent.

La délicatesse qu'ils témoignaient ne les empêchait cependantt. //M/./<< dela ~'M~<.XXn. M6et suiv.

Page 354: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

353 LE TREIZIEME StECLE.

pas de se faire payer séance tenante, et on leur recon-

naissaitce droit. Grâce à cette sage précaution, quelques-unsarrivaient à une jolie fortune. Jean de Saint-Gilles s'enrichit

tellement par l'exercice de sa profession, qu'il eut le moyen

d'acheter dans Paris l'hospice de Saint-Jacques, lequel tom-

bait en ruines, et de le rebâtir pour le donner aux Jacobins.tl est vrai qu'il avait été premier médecin de Philippe-Augusteet qu'il avait dû être généreusement récompensé par ceprince.Ses confrères ne parvenaient pas seulement à l'aisance ils

obtenaient le respect et l'estime publique. Leurs clients les

regardaient volontiers comme des pères, précisément parsuite des attributions morales qu'ils cumulaient avec le soin

du physique. Voici ce que l'on pensait d'eux à Paris, s'il faut

s'en rapporter à un admirateur de la capitale qui écrivait un

peu après la fin du treizième siècle

« Dans cette ville, où f~ manque aucune sorte de conso-

« lation ni de secours, tes médecins, préposés à la garde de

« notre santé, à la guérison de nos maladies, et que le Sage

« nous ordonne d'honorer comme créés par le Très-Haut

« pour nos besoins, sont en si grand nombre que, lorsqu'ils

< s'en vont par tes rues accomplir tes devoirs de leur état, avec

« leurs riches habits, leur bonnet doctorat ceux qui recourent

« à leur art n'ont pas de peine à les rencontrer. Oh qu'il

< faut les aimer, ces bons médecins, qui se conforment philo-

sophiquement, dans la pratique de leur profession, aux

« règles d'une savante physique et d'une longue expé-

< rience ('). )b

Longue, pas toujours; car Gilles de Corbeil reprochait pré-

cisément à quelques-uns leur trop grande jeunesse. Mais des

t. De<«N<MM~'aWMMTMM,traitéanonyme.

Page 355: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

3S3LA MÉDECINE ET LES MÉDECINS.

correctifs d'un autre genre viennent atténuer aussi la portéede cet étoge. Ce sont ces vieilles épigrammes, ces historiettes

malignes, qui ont poursuivi de tout temps tes médecins et

qui semblent avoir été imaginées, comme une innocente

vengeance, par les malades rebelles à leur traitement. Le

treizième siècle ne les a pas inventées mais it les a bien des

fois répétées. L'anecdote du ~y<M'<'Mw«~/ /«~ par exemple,

se retrouve dans beaucoup de recueils de nature dinérente,

et avec des variantes plus ou moins satiriques. Quelqucs

physiciens excitaient eux-mêmes la médisance, soit par leurs

querelles avec leurs confrères, soit par d'imprudents aveux.

Arnaud de Villeneuve, entre autres, ne craignait pas de

dire ceci à ses disciples « Vous ne saurez peut-être pasreconnaître le mal que vous étudierez. Dites alors Il y a

« obstruction au foie. Si le malade répond Non, maître, c'est

« à la tête que je souffre hâtez-vous de répliquer Cela vient

« du foie. Servez-vous de ce terme d'obstruction, parce qu'ils« ne savent pas ce qu'il signifie, et il importe qu'ils ne le

« sachent pas ('). Ce dernier mot est juste et sensé mais

dans le reste, on peut trouver le genne de toutes tes plaisan-teries de Motière.

Aussi la croyance dans refHcacité de la médecine n'était-

elle peut-être pas aussi fortement enracinée dans l'esprit

public que le respect pour la personne des médecins. Les

moines, comme nous l'avons vu, montraient à cet endroit

quelque scepticisme. Jacques de Vitry se plaignait des phy-siciens qui promettaient tout et ne tenaient rien, et de l'op-

position de leurs prescriptions à celles de t'Égtise « Dieu

« dit Veillez k médecin dit Dormez. Dieu dit jeûnez<.ArnanlddeVinmeaM,C~<MM~««i~M~M~.

Page 356: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.3S4

« le médecin dit Mangez. Dieu dit Mortifiez vos corps le

<(médecin dit Flattez-les. Tous ces torts d'une part, toutes

ces médisances de l'autre devaient ébranler quelque peu le

crédit généralement accordé aux membres de la docte Facutté.

Nous allons, du reste, examiner de plus près leur science et

leurs procédés car c'est assez parler des médecins il est

temps d'en venir à la médecine elle-même.

C'est à Montpellier qu'on allait de préférence étudier cette

partie, à moins qu'on ne voulût pousser jusqu'à Salerne, dont

la vieille école, fondée p~r les Bénédictin! jetait encore un

vif éclat. La faculté de Paris était moins célèbre son ensei-

gnement est moins connu, quoiqu'elle ait produit dès lors

des sujets distingués. Lorsqu'un étudiant voulait parcourir

tout le cycle des connaissances humaines, il allait apprendre

la médecine à Montpellier après avoir appris la théologie à

Paris et le droit à Bologne ou à Orléans. L'école de Mont-

pellier obtint, en 1220, les mêmes privilèges que l'Université

de Paris, ce qui augmenta encore l'arHuence de ses élèves, et

il fut réglé par ses statuts que nul ne pourrait y enseigner

sans avoir fait preuve de capacité devant t'évoque et les

professeurs. En t28t, Jacques, roi de Majorque et seigneur

de Montpellier, confirmant les privilèges antérieurs, ordonna,

en outre, de punir avec sévérité quiconque exercerait ou

professerait la médecine sans avoir été examiné et licencié.

On étudiait cette science dans Hippocrate, dans Galien,

dans Faut d'Égine, ou dans leurs commentateurs arabes Avi-

cenne, Rhaxès, Averroès. En effet, les Arabes s'en occupaient

beaucoup au moyen âge, et les Juifs suivirent leur exemple.Plusieurs de ces derniers arrivèrent même à forcer la consigne

qui leur interdisait d'exercer la médecine. Alphonsede Poitiers,

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LA MÉDECINE ET LES MÉDECINS. 355

le propre frère de saint Louis, employa dans ses provinces

du midi un médecin juif, contrairement aux canons. l'lus

tard, d'autres princes chrétiens ne se firent aucun scrupule de

l'imiter: le roi René, par exemple, trouva en Provence des

praticiens fort habiles appartenant à la race Israélite mais

la plupart étaient convertis au christianisme tel fut le père

du fameux Nostradamus. Les médecins français emprun-

tèrent surtout aux Orientaux l'usage de certains remèdes

simples, comme la manne, le séné, la casse, et de divers mé-

dicaments composés, en trop grand nombre même, comme

les sirops, les juleps, les électuaires. Mais, malgré le secours

de ces étrangers, la thérapeutique restait à peu près dans

l'enfance. Des remèdes anodins, comme te sirop de violettes,

passaient pour avoir une grande vertu. On cherchait et l'on

croyait trouver des panacées universelles, des antidotes sou-

verains, pouvant guérir ou prévenir tous les maux. Actuarius

et Roger Bacon tui-même ont donné dans ce travers. Actua-

rius composait son antidote de cannelle, d'euphorbe, de

mandragore, de safran, de myrrhe, de pavot, de rue, de poivreet de miel. Bonne recette à essayer pour ceux qui tiennent

à vivre longtemps 1 Onemployait aussi l'euphorbe contre la

fièvre quotidienne, et la scammonée contre la fièvre tierce

ces inflammations périodiques faisaient le tourment des pra-ticiens d'autrefois, comme la fièvre typhoïde fait encore celui

de leurs successeurs. On traitait la goutte au moyen d'onctions:

c'était bien mais on prétendait la guérir par là en quatremois c'était difficile. Il est vrai qu'en fait de prétentions et

de charlatanisme nous avons vu de nos yeux plus fort quecela. Gilbert l'Anglais nous cite des cas de goutte et de rhu-

matisme articulaire dont il triompha au moyen de saignées

Page 358: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREIZIÈME SIÈCLE.3S6

intelligemment pratiquées. La saignée, chacun le sait, était,elle aussi, une espèce de remède universel mais on en abusait

peut-être moins qu'au temps de Molière, car les traités quien recommandent l'usage indiquent aussi les précautions à

prendre à cet égard. D'autre part, certaines substances, regar-dées actuellement comme des auxiliaires très précieux de la

médecine, commençaient à être employées et à rendre les

plus grands services le soufre, pour le traitement des mala-

dies de peau: le sucre (denrée inconnue des anciens), pour la

préparation des médicaments de toute espèce etc. La no-

menclature pharmaceutique s'enrichissait peu à peu ctte

apparaît déjà assez fournie dans Vincent de Beauvais, qui a

consacré quatre livres du -S~fM/MMtdoctrinale à un abrégé des

sciences médicales. Jean de Saint-Amand s'en est occupé

également, et a posé sur la recherche des remèdes en général

des règles d'une justesse incontestable t Les principes de la

« raison, dit-il, s'obtiennent par l'intelligence les principes de

« l'expérience s'obtiennent par les sens; et comme les principes

<tde l'expérience nous sont plus connus que ceux de la raison,

« nous devons rechercher par voie d'expérimentation la con-

< naissance des médicaments simples (').)) Bien raisonné; mais

l'expérimentation, bonne en soi, ne saurait être poussée trop

loin sans avoir lieu aux dépens du malade, et, d'ailleurs, l'effet

réel d'une matière médicamenteuse a toujours été un pro-

blème des plus obscurs, même pour les princes de la science.

My avait là, toutefois, une bonne intention et un excellent

point de départ.

La diagnostique n'était guère plus avancée que la théra-

peutique. Cela tient à ce qu'on se bornait trop souvent à

<T~t<.N<Mr.de&ttnMM,XXI.963.

Page 359: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA MÉDECINE ET LES MÉDKCÏNS. 3S7

LeX!U*dM<Utt.« titnt.

analyser les résultats sans les causes, et en particulier certains

résultats dimcites à énoncer proprement en français. Gilles

de Corbeil, Gautier, Richard et beaucoup d'autres médecins

nous ont laissé des traités ou des parties de traités M~/MM,'

it y en a même qui n'ont pas craint de parler en vers d'un sujetaussi prosaïque. C'était là ce qu'on inspectait avec le plus de

soin pour reconnaître la nature ou le degré d'évolution des

maladies. Ne rions pas trop cependant on sait, en effet, que

depuis lors les progrès de la chimie biologique ont donné aux

recherches de cette nature une valeur séméiotogique de pre-

mier ordre. Le tort était d'exagérer le système et de l'ap.

pliquerdans toute espèce de cas. Vincent de Beauvais est un

des rares théoriciens qui aient échappé à cet excès. Dans le

quatorzième livre de son .S~M/MW,il présente une nosologie

assez méthodique, quoique incomplète, dans taquette les

fièvres de tout genre, tes maladies de la tête et de chacune

de ses parties, les affections de la poitrine et celles des organes

digestifs, l'hydropisie, la jaunisse et beaucoup d'autres infir-

mités sont énumérées ou décrites avec l'indication de leurs

symptômes, de leur marche, de leurs causes ordinaires.

Pour connaitre et apprécier ces causes, il fallait avant tout

connaître l'anatomie. Or, l'anatomie était-ette l'objet d'une

préoccupation quelconque de la part des médecins On l'a

nié, et Daunou répète que le développement de leur art était

entravé surtout par le préjugé fort ancien qui interdisait

comme sacrilèges les dissectijns anatomiques. li ne manque

pas de rappeler, à ce sujet, que Boniface VtH, par un décret

inséré dans le Serte, menaçait d'anathème ceux qui auraient

fait bouillir des cadavres pour les transformer en squelettes.

« Les anatomistes, ajoute-t-il, étaient donc forcés de recourir

Page 360: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREtZtÈME StÈCLE.358

et de s'en rapporter à Catien, sans pouvoir étudier immédiate-

ment le corps humain, ni par conséquent avancer la science

qui aspire a le conserver sain ou à le guérir ('). On comprend

cependant sans peine un scrupule dicté, au fond, par la véné-

ration des morts et l'horreur du sang humain. D'aitteurs, ce

scrupule a-t-il véritablement empêché l'étude de t'anatomie?

riusieurs auteurs, Jean de Gartande, dans son D«~«'M<tf«M,

te médecin Richard, dans son ~f/f~o/~M, Vincent de Beau-

vais, dans la partie du .S~<'f«/«wcitée tout à l'heure, se sont

occupés de décrire minutieusement la structure extérieure et

intérieure du corps. Ils l'ont fait principalement d'après les

iivres, je le veux bien mais ta dissection n'était cependant

pas absolument prohibée. Frédéric H venait de l'autoriser

sur les terres d'empire et de créer une chaire pour l'enseigne-

ment de l'anatomie. Dans le royaume de France, une licence

analogue fut donnée un peu plus tard. Charles VI confirma

la permission de délivrer annuellement un cadavre de sup-

plicié à la Faculté de médecine de Montpellier, et, ce jour-là,comme le dit Victor Le Clerc, il avait recouvré la raison i

ainsi cela se pratiquait déjà antérieurement. La chirurgie, du

reste, avait besoin de l'anatomie, et la chirurgie, comme nous

allons le voir, avait ses écoles et ses praticiens.

Saint Louis en personne créa, en t26o, sur la propositiond'un homme de l'art, nommé Jean t'itard, un coHège de chi-

rurgiens, régi par des statuts sévères, qui furent complétés et

t. ~«/. K«~.<& ff<MM.t XVt.tt.98.

développés sous Philippe le Hardi, puis sous Philippe le Bel,

dans un règlement célèbre. Antérieurement la chirurgie

était très arriérée, s'il faut s'en rapporter aux plaintes un peu

intéressées de l'italien Lanfranc, qui était venu de Milan

Page 361: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA MÈDECÏHE ET LES MÉDECtNS. 359

pratiquer à Paris. Elle n'était guère exercée que par les bar-

biers.et l'on sait combien longtemps ces derniers en ont partagéle privilège avec tes spécialistes. Cependant, dès sa première

croisade, saint Louis avait auprès de lui un chirurgien de

profession, Pierre de Soissons, auquel il donna, en )2$2, une

rente de vingt tivres. A partir de la fondation de ce prince, on

vit surgir un plus grand nombre de ces praticiens, et leurs

procédés, d'abord assez barbares (car ils allaient jusque traiter

la folie par des incisions dans le crâne), durent se perfectionner

par des études plus sérieuses. Roger de Parme, qui apporta en

France tes doctrines du médecin arabe Atboukasis, écrivit vers

cette époque une /~w/Mt f~Mwyh? dénotant déjà une certaine

entente de la matière dans un premier livre, il traite des

plaies ou lésions de la tête dans un second, des lésions du

cou dans un troisième, des lésions des dinerents organes

dans un quatrième enfin, de celles de la colonne vertébrale et

des fractures des jambes ou des pieds. !) caractérise briève-

ment la nature de chaque accident, et indique ensuite le mode

de traitement à suivre. Roger de Parme eut plusieurs imita-

teurs, et il est à remarquer que tous les auteurs qui ont écrit

sur des matières chirurgicales étaient en même temps méde-

cins. La médecine et la chirurgie ne formaient qu'une seute

science ou, si on les considérait comme deux branches dif-

férentes, elles étaient néanmoins enseignées par un même

professeur et pratiquées par un même individu. Un décret de

Boniface VU! et une ordonnance de Philippe le Bel eurent

beau prescrire la séparation de ces deux arts leur union

continua de subsister, au moins en théorie, et l'on entendait

encore Lanfranc déclarer, en t2o8, que nul ne saurait être

bon médecin sans être bon chirurgien, ni bon chirurgien sans

Page 362: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LE TREïZt&ME SIÈCLE.360

être bon médecin. Principe fondamental et trop longtemps

méconnu, auquel sont revenus de nos jours les esprits les

plus éclairés. Les clercs médecins ne pouvaient cependant

exercer la chirurgie ce qui se comprend, car ils n'auraient

pu opérer, dans certains cas, sans violer la décence imposée à

leur habit, et, en outre, ils auraient eu presque toujours à

verser le sang, ce qui leur était interdit.

Les femmes paraissent, au contraire, avoir été admises, au

moins à titre d'auxiliaires, dans quelques opérations chirur-

gicales. Elles pratiquaient la saignée parles ventouses, comme

il résulte d'un fabliau intitulé la .S<w«w.M< et il n'est pas

rare, dans les romans, de voir des damoiselles soignant de

leurs mains blanches tes chevaliers blessés. Le traitement des

plaics faisait partie de l'éducation des jeunes personnes de

qualité leurs frères, leurs pères, leurs maris recouraient à

leurs talents en revenant de la guerre ou des tournois. Et ce

n'est pas seulement en France que l'exercice de la médecine

était toléré chez le<!femmes en Angleterre, en Allemagne, en

Italie, un assez grand nombre l'abordaient bien plus, il leur

était concédé par les lois, et même elles étaient seules auto-

risées à traiter certaines maladies de leur sexe ('). Ainsi,

l'étonnement que nous éprouvons en voyant aujourd'hui nos

Facultés de médecine fréquentées par quelques aspirantes

doctoresses, nos pères ne l'éprouvaient point, et ce privilège,

tombé depuis en désuétude, tournait plutôt à l'avantage des

mœurs qu'à leur détriment

Du reste, ce que les femmes faisaient la plupart du temps

par dévouement, les chirurgiens laïques avaient l'ordre de le

t. V.Roquefort,/MM«<&~t/ttfMdefM«M.H,t9S ChhppeHi,~<K<«m~'<ttr.«M'o<&~)tM<Kt«M,Milan.iMs,inS",p.8.

Page 363: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

LA MÉDECINE ET LES MËOECÏNS. 30t

faire par charité: il leur était enjoint de soigner gratuitement

les malheureux et tes incurables, et cette obligation fut ins-

crite par saint Louis dans la charte même de leurs privilèges.

En beaucoup de pays, le médecin des indigents était, comme

l'avocat des pauvres, une institution traditionnelle. Il était

indemnisé ordinairement par t'État ou par tes municipalités.

Mais, dans l'esprit de t'Égtise, tout homme de l'art devait

strictement des soins désintéressés aux malades qui n'étaient

pas en situation de les rémunérer saint Antonin déclarait

même coupable de péché mortel celui qui ne prêtait pas aux

pauvres le secours gratuit de sa science et de ses médica-

ments (').

La charité, c'est là, en effet, le grand moyen par lequel le

moyen Ageparvint à suppléer à l'insuffisance de ses connais-

sances médicales. En multipliant partout les hôpitaux, les

maladreries, les léproseries, il rendit à l'humanité souffrante

plus de services que les savants n'en pouvaient rendre. Au

treizième siècle, d'après Mathieu Paris, la chrétienté ne comp-tait pas moins de dix-neuf cents léproseries aussi, devant

la guerre acharnée qu'on lui faisait, le néau de la lèpre dis-

parut-il bientôt de l'Occident, tandis que nous n'avons encore

pu venir à bout d'extirper la syphilis.

En résumé, l'infériorité scientifique de nos pères, bien que

réeUe, était loin d'être aussi grande qu'on t'a cru. Ils ont été,

on me permettra de le répéter, d'infatigables chercheurs, et

souvent d'heureux trouveurs. Qu'on explore l'un après l'autre,

et plus minutieusement encore, tous les coins du vaste domaine

de la science on y verra régner, de leur temps, non la loi

le l'immobilité, mais la loi du progrès. Notre civilisation tout

i. S.Antonin,/J«<B!/iMM«<,part.Mt,eh.6;CMapdU,< t'A,p.9t.

Page 364: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

entière est fille de la leur, et, s'ils ont, avec des instruments

imparfaits, avec des ressources bornées, accompli tant de pro-

diges et préparé tant de conquêtes, ceux qui ont pronté du

travail ingrat de ces rudes défricheurs ne leur en doivent que

plus de reconnaissance.

362 LE TREÏZt&MK SIÈCLE.

Page 365: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

~s@ TMK !~Maïat~rcc.

CHAt'tTRK CREMtEK

LA LANGUE.

Origine de la langue française. Part tout t\ fait prëpondétante de t'étément latin dans sa composition influence des

Mvres saints et de l'autonomie française. Déforniation gra-duelle des mots et de la syntaxe che/ tes peuples latins.

Premiers monuments de t'idiome vulgaire. Ses progrès et son

énorme extension au XIII' siècle. Règles grammaticatessuivies à cette époque. Le latin des clercs et des ét'otes

son usage. La connaissance du grec, des langues orientâtes,

des langues vivantes. 9

CHAPITREREUXthME.

L'ENSEIGNEMENT.

L'instruction primaire; multiplicité des petites écoles dans

les vittes et dans les campagnes. L'enseignement secon-

daire et supérieur. Organisation de t'Université de Paris

prospérité de ses écoles. Objet et division des études univer-

sitaires. Faculté des arts. Facultés de droit, de médecine,de théologie. Méthode d'enseignement role de t'étevu et

du professeur. Examens et collation des grades. 37

CHAPITRETROMttME.

LA THÉOLOGIE.

La théologie considérée comme la science supérieure et

universelle. La scolastique naissance et dévetoppemcntde cette méthode générale; ses avantages et ses inconvénients.

-Ses principaux adeptes: Albert le Grand, Alexandre de Halès,saint Thomas d'Aquin. La .S~w, ouvrage capital du

Docteur angélique; plan de cette vaste encyclopédie reli-

gieuse. Méthode particulière de fauteur exemples de sesgieuse.

~f) "ft "T w,r "TFACts

PRÉFACE. S

Page 366: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

364 TABLE DES MATÏ&RES.

démonstrations. Réaction anti-scolastique Guillaume d'Au-

vufgnf, sa'nt Honaventurt: Convfrsatio de ce dernier avec

saint Louis. 65CHAPITREQUATMKME.

LA PHILOSOPHIE.

Union étroite de la philosophie et de la théologie. Ï~a

dialectique. Influence dominante d'Aristote; abus de ses

doctrines. La philosophie de saint Thomas transfigure celle

d'AtMtote. Système suivi par te grand philosophe chrétien sa

théorie sociale. L'économie politique et la morale; exemples

divers. 9*cnADTRE CtNQVt~ME.

LA RHÉTORIQUE.

Rang assigné à la science de la rhétorique. Son caractère

gênera), abus de la tropologie. Premiers essais de l'élo-

quence politique. Le barreau, exercice et règles de la

profession d'avocat. Les jurisconsultes; Philippe de Beauma-

noir. 1 .'éloquence sacrée les sermons.- La AMA'~<M <afMM

ou l'art de prier Dieu. 118CHAPITREStXtÈME.

LA POÉSIE LATINE.

Amour des contemporains pour la forme versifiée. La

poésie liturgique. Substitution du syllabisme, du rhythme

et de l'assonance au mètre et à la prosodie antiques. Causes

de cette révolution; ses progrès. Les hymnes. Les

proses. Les tropes. La poésie extra-liturgique; sa forme

classique; sa froideur. Poèmes didactiques, historiques, sati-

riques. t54CHAPITRESEPTIÈME.

LA POÉSIE FRANÇAISE POÉSIE ÉPIQUE.

L'épopée nationale. Origine et formation des chansons de

geste. Modification de leur forme primitive au XIII'* siècle;la Chanson de Roland rajeunie. Décadence de la littérature

Page 367: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

TABLE DES MATIÈRES. 36S

épique ven la nn de cette période; tes romans de la Table-

Ronde. Leséditeurs despommespopulairesoutes jongleurs. )8o

CttAPtTttttHUtTttM)~

LA POESIE FRANÇAISE POÉSIE DRAMATIQUE ET

LYRIQUE.

Le mystère ou le drame sacré engendré par tes tropes litur-

giques. Sondéveloppementgraduel. Forme revêtueparce

genre de composition au XIII* siècle. Préparation des

acteurs; mise en scène. Décadence du théâtre du moyen

Age. Les troubadours. Les poètes lyriques français.Genres divers. La fable et le fabliau. <oo

CHAPITRENEUVtÈME.

L'HISTOIRE.

Conception dilférente de l'histoire dans l'antiquité et dans

le moyen âge. Les études historiques sous saint Louis

Vincent de Beauvais; son érudition, ses recherches. Les

archives des monastères et de la royauté. Les chroniqueurs;leur multiplication. Chroniques latines et chroniques fran-

çaises. Les grandes chroniques de Saint-Denis. ViUe-

hardouin. Joinville. Les hagiographes. a~

CHtPtTM DIXIÈME.

LA BIBLIOPHILIE ET LES COLLECTIONS DE LIVRES.

Origines des bibliothèques. Collections des couvents, des

églises, des éco!es. Le goût des livres chez les princes et les

particuliers. Plan d'une bibliothèque idéale au XIII* siècle.

Devoirs du bibliothécaire. Installation des livres local,

armoires, pupitres, chaînes, etc. Communication et prêt des

manuscrits. Ex-libris et marques bibliographiques. 9~7

CHAPITREONZt&ME.

LA GÉOGRAPHIE.

L'idée de la science géographique. Récits de voyages et

itinéraires. La sphéricité de la terre connue et expliquée.

Page 368: Albert Lecoy De La Marche - Le treizième siècle littéraire et scientifique (1894)

366 TABm DES MATIÈRES.

Mappemondes et cartes. Notion des contemporains sur les

différentes contrées de l'Europe et de l'Asie; explorations du

frère Brocard, de Marco-Polo, etc. L'Afrique traversée

dans sa région centrale. L'Amérique abordée par tes mission-

naires bien avant te XVI* siècle. a8~

CHAPITREDM!ttME.

LES SCIRNCES MATHÉMATIQUES.

!A cosmographie. L'astronomie et l'astrologie; guerre f.)ite

a cette dernière. La géométrie. L'arithmétique et la numé-

ration décimale singulier abus de l'art de compter. Rareté

des connaissances algébriques. 3t}

CHAPITRETREIZIÈME.

LES SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES.

L'observation introduite dans tes sciences physiques par

Albert le Grand. La boussole. Les verres convexes et les

lunettes. La poudre à canon. Découvertes prédites par

Roger Bacon. la chimie et l'alchimie. La zoologie et

tes bestiaires. La physiologie l'étude de l'âme unie à celle

du corps, théorie du vitalisme. 329

CHAHTM QUATOMt&ME.

LA MÉDECINE ET LES MÉDECINS.

Défiance de quelques esprits à t'égard de lascience médicale.

La médecine exercée et spiritualisée par les clercs.

Curieux manuel professionnel: rôle moral et matériel du

médecin; qualités requises chez h)i; ses procédés; ses hono-

raires. Renommée des médecins de Paris. Satires contre

leurs pareils. École de Montpellier. La thérapeutiquerecettes singulières. La diagnostique; l'uroscopie. L'ana-

tomie et la chirurgie. Les femmes médecins. La charité

dans la médecine. r- 345

tmpomtpu la SotMKde St-Anpmtx,BM<<~

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