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NUMÉRO 63 SAVOIR ALLEZ Le magazine de l’UNIL | Mai 2016 | Gratuit SOCIÉTÉ Les élites ne sont plus ce qu’elles étaient 16 ÉCOLOGIE La nature à la conquête de la ville 28 CULTURE Le jeu vidéo est devenu un spectacle 40 ! MÉDECINE MÉMOIRE NOS SENS AMÉLIORENT NOTRE

Allez savoir! 63 - Mai 2016

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Le magazine de l'Université de Lausanne (UNIL)

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NUMÉRO

63

SAVOIR ALLEZ

Le magazine de l’UNIL | Mai 2016 | Gratuit

SOCIÉTÉLes élites ne sont plus ce qu’elles étaient 16

ÉCOLOGIELa nature à la conquête de la ville 28

CULTURELe jeu vidéo est devenu un spectacle40 !

MÉDECINE

MÉMOIRENOS SENS AMÉLIORENT NOTRE

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Réseau ALUMNIL

Diplômées et diplômés de l’UNILdéveloppez votre réseau et maintenez

votre savoir vivant avec le

www.unil.ch/alumnilALUMNIL : le réseau des diplômé·e·sUNIL | Université de Lausanne – Bureau des [email protected] – tél. : +41 21 692 20 88

AUCUNE COTISATION

OFFRES D’EMPLOIS ET STAGES

CONTACTS À L’ÉTRANGER

ÉVÉNEMENTSEXCLUSIFS

ADRESSE MAIL À VIE

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Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 3

ÉDITOIS

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IMPRESSUMMagazine de l’Université de LausanneNo 63, mai 2016www.unil.ch/allezsavoir

Editeur responsableUniversité de LausanneUne publication d’UNICOM, service de communicationet d’audiovisuelQuartier UNIL-SorgeBâtiment Amphimax1015 LausanneTél. 021 692 22 [email protected]

Rédaction en chefJocelyn Rochat, David Spring (UNICOM)

Création de la maquetteEdy Ceppi (UNICOM)

RédacteursMélanie AffentrangerSonia ArnalMireille DescombesSaskia GalitchElisabeth GordonAlberto MontesissaNadine RichonAnne-Sylvie SprengerDavid Trotta

CorrecteursAlbert GrunFabienne Trivier

Direction artistiqueSecteur B Sàrlwww.secteurb.ch

PhotographieNicole Chuard

IllustrationEric Pitteloud (pp. 3, 21, 57)

CouvertureVirginie Lanz.Image : © Thinkstock

ImpressionGenoud Entreprise d’arts graphiques SA

Tirage17 000 exemplaires

ParutionTrois fois par an, en janvier,mai et septembre

[email protected] (p. 4)

LE CHANGEMENT,C’EST MAINTENANT

Notre pays est en train de muter. Cela va bien plus vite que nous l’ima-ginions. Et les changements sont bien plus significatifs que nous le pensions. C’est, du moins, le sen-

timent qui domine, quand on découvre les conclusions des chercheurs de l’UNIL qui observent les décideurs suisses, et notam-ment les élites économiques «qui ont été les premières à évoluer».

Les analyses que vous découvrirez dans ce numéro viennent en effet corriger une impression trompeuse. On se souvient que les mouvements xénophobes ont toujours cité quelques métiers manuels quand ils voulaient dénoncer ce boulanger étranger qui venait «manger le pain des Français» dans le célèbre sketch de Fernand Raynaud. Ou ce fameux «plombier polonais» qui est devenu, bien malgré lui, l’anti-héros du dé-bat français sur le traité européen de 2005.

Les données récoltées par les cher-cheurs de l’UNIL montrent en effet que la Suisse change de manière moins anec-dotique et plus qualitative qu’on l’imagi-nait. Ainsi, «quand on ne comptait que 3,7% d’étrangers parmi les top managers des 110 plus grandes entreprises suisses en 1980, ce pourcentage est passé à 34,5% en 2010», note le chercheur André Mach (c’est en page 19), avant d’observer que la mue est tout aussi «impressionnante» parmi les enseignants des hautes écoles du pays.

Notre monde change donc, rapidement, et à tous les niveaux de la société. Bonne nouvelle ? Les libéraux se réjouiront de vé-rifier que la porte est ouverte pour les meil-leurs, d’où qu’ils viennent, ce qui est un atout pour un pays qui vend ses produits

à la planète. Et ceux qui voient encore la Suisse comme un pâturage entouré de bar-belés seront rassurés d’apprendre qu’il «n’y a pas au monde, à part peut-être le Luxem-bourg, de pays où la proportion de travail-leurs étrangers est comparable».

Restent tous ceux que ces chiffres peuvent inquiéter. Car cette mue extraor-dinairement rapide des élites économiques ne fait pas que des gagnants. Tout le monde ou presque se retrouve «précarisé» par les effets de cette mondialisation du pays. Pour les ouvriers et les petites mains, on le sa-vait. On apprend en revanche dans ce nu-méro que c’est également le cas des élites.

Cette nouvelle insécurité profession-nelle généralisée explique évidemment les fortes tensions que l’on a pu ressentir ces dernières années dans les débats poli-tiques entre les tenants d’une Suisse hyper-ouverte, et ceux qui prônent le retour aux frontières. A ce sujet, il y a sans doute une leçon à tirer des analyses menées à l’UNIL. L’importance des changements en cours de-vrait nous inciter à sortir du débat stérile qui oppose trop souvent les «racistes» et les «bobos», dès qu’un sujet sensible provoque un débat animé. Nous pourrions, pour com-mencer, nous mettre d’accord pour regar-der la Suisse telle qu’elle est vraiment : un territoire très ouvert, en pleine mutation, et qui se retrouve avec des problèmes de pays mondialisé à régler. Ce n’est pas in-surmontable. Encore faudrait-il pouvoir dé-battre sans tabous ni œillères des change-ments en cours. Parce que l’incertitude est toujours anxiogène. Et parce que bien nom-mer les choses, c’est diminuer la confusion du monde.

JOCELYN ROCHAT Rédaction en chef

LA SUISSE EST UN TERRITOIRE TRÈS OUVERT, EN PLEINE MUTATION, QUI SE RETROUVE AVEC DES PROBLÈMES DE PAYS MONDIALISÉÀ RÉGLER.

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Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 5

UNIVERSITÉSous les pavés,le plagiat.

SOMMAIRE

BRÈVESL’actualité de l’UNIL :

formation, international,publications, distinctions.

PORTFOLIOParcours de vie,

Equateur,imagerie.

SPORTLes Suisses ne sont pas

des joueurs pros,ce sont des champions.

ÉCOLOGIELes nouvelles villes vertes.

De l’agriculture au cœurde nos cités.

ÉCONOMIE Et si la croissance

ne revenait pas ?

MOT COMPTE TRIPLEThanatologie.

Avec Isaac Pante.

IL Y A UNE VIEAPRÈS L’UNIL

André Locher, collectionneurd’images.

LIVRESBenjamin Constant, Cameroun,sport, histoire vaudoise, tourisme,climat, Houellebecq.

RÉFLEXIONLa transition écologiqueest davantage qu’un défitechnologique. Par Benoît Frund.

25 ANS D’HISTOIRERegards croiséssur la formation continue.«Internet of Things».

LIVRELe trésorde l’or rouge.Avec Jean-Daniel Tissot.

RENDEZ-VOUSEvènements,conférences, sortieset expositions.

CAFÉ GOURMANDAjouter un brinde fiction.Avec Marc Escola.

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SOCIÉTÉ Les élites suisses

ne sont plusce qu’elles étaient.

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CULTURELe jeu vidéo est devenuun spectacle. Entretien

avec Olivier Glassey.

RÉFLEXIONScientifiques,

faites-vous entendre !Par Frédéric Schütz.

MÉDECINEUtiliser plusieursde ses sens pour améliorersa mémoire.

SAVOIR ALLEZ

Le magazine de l’UNIL | Mai 2016 | Gratuit!

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DES VIESEN IMAGESFruit d’une collaboration entre le Pôle de recherche national LIVES et les Journées photographiques de Bienne, l’ouvrage Downs and Ups présente le travail de trois photographes suisses. En images, elles ont exploré la vulnérabilité et la résilience dans les parcours de vie, soit les points forts traités par les chercheurs de LIVES. Avec Bois des Frères (en haut à g. et dr.), Delphine Schacher s’est intéressée aux habitants des cabanes du Lignon (Genève). A l’origine, ces pavillons en bois abritaient les travailleurs saisonniers italiens. Ils sont toujours occupés aujourd’hui, par une population mélangée.Annick Ramp a suivi Sandra, née homme. Après une vie compliquée, menée sous le signe du combat pour son identité, elle a été opérée pour devenir une femme. Sandra accorde une grande importance à sa féminité, un thème que la photographe a placé au centre de son travail (en bas à g.). En noir-blanc, Simone Haug a suivi des acrobates à la retraite. Ces derniers se sont mis en scène dans une série d’images qui mettent l’accent sur le mouvement. DS

Downs and Ups. Ed. par Hélène Joye-Cagnard

et Emmanuelle Marendaz Colle. Ouvrage

trilingue FR/DE/EN. Snoeck (2016), 108 p.

www.lives-nccr.ch

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¡ BIENVENIDOA LA FIESTA !Peguche (nord de l’Equateur), le 9 février 2016. Ce jour de Mardi-Gras, de nombreux habitants de la province se retrouvent à proximité d’une cascade pour se livrer à une gigantesque bataille d’eau. En parallèle, cette communauté andine située à plus de 2500 mètres d’altitude accueille le «Pawkar Raymi Peguche Tío», un festival annuel très couru. La tête d’affiche de cette édition était Alpha Blondy. De nombreux affluents se rejoignent au sein de cet évènement : catholicisme et animisme, volonté de revaloriser les traditions indigènes et intégration de la culture internationale. Si l’on ajoute un tournoi de football, un concours de ñustas (princesses) en costume traditionnel et des aspects économiques, le résultat constitue un mélange aussi vivant que fascinant à observer. Dans le cadre de sa thèse en Sciences sociales, Jérémie Voirol étudie justement les fêtes qui se déroulent dans la région d’Otavalo, la ville la plus proche. Il s’intéresse aussi bien aux réjouissances privées (comme les mariages) qu’aux célébrations publiques annuelles. L’anthropologue, qui parle le kichwa (une langue autochtone, qui était celle des Incas), arpente son terrain de recherche depuis une dizaine d’années.Début 2016, Jérémie Voirol s’est à nouveau rendu dans la région avec Francis Mobio, chargé de cours à l’Institut religions, culture et modernité. Ce dernier a documenté la recherche, par la photographie et la vidéo. DS

Entretien complet avec Jérémie Voirol

et reportage photo sur

www.unil.ch/allezsavoir

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LE MONDE SECRET DE L’INTESTINCes deux images montrent des villosités intestinales comme on ne les a encore jamais vues. Présentes par millions dans l’intestin grêle (ici, chez la souris), elles sont responsables de l’absorption des nutriments. En rouge, le lactifère. Mesurant ici un peu plus d’un dixième de millimètre, ce capillaire lymphatique est chargé de transporter certains acides gras (dits à longue chaîne) et des vitamines vers la circulation systémique. Les autres acides gras ainsi que les sucres et les acides aminés sont véhiculés par des capillaires sanguins (en vert, la structure en forme de cage). Les filaments colorés en bleu sont des cellules musculaires. Il faut encore imaginer que ces structures complexes sont recouvertes par une monocouche de cellules épithéliales.Ces documents ont été obtenus grâce à une technique d’imagerie en 3D créée par Jeremiah Bernier-Latmani, post-doctorant au laboratoire dirigé par Tatiana Petrova (Département d’oncologie fondamentale UNIL-CHUV). Ses travaux, publiés notamment dans Journal of Clinical Investigation, ont de nombreuses implications. Ainsi, contrairement à ce que l’on pensait auparavant, les lactifères croissent et se renouvellent même chez l’adulte. Or, de nou veaux anticancéreux en cours de développement pourraient affecter cette régénération, et donc provo-quer des effets secondaires. DS

Le site du Vascular and Tumor Biology

Laboratory : www.unil.ch/deo/home.html

Article complet et images supplémentaires

sur www.unil.ch/allezsavoir

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BRÈVES

Une nouvelle «Maîtrise en cultures, sociétés et humanités numériques» va voir le jour en sep-tembre 2016. Elle est proposée conjointement par trois facultés (Lettres, Sciences sociales et politiques, Théologie et sciences des religions).Ce cursus contient un volet pratique (informa-tique et programmation, notamment dans une perspective d’application aux Sciences humaines et sociales). Au-delà, la place prise par le numé-rique comporte des enjeux sociaux, politiques et culturels (autour de l’industrie du divertisse-

ment par exemple). Les corpus étudiés dans ce cadre vont des textes aux sons, en passant bien sûr par les productions cinématographiques, télévisuelles ou vidéoludiques (lire également en p. 40).La moitié de ce cursus de 120 crédits se déroule dans l’une des trois facultés organisatrices, l’autre étant un programme commun. Un mé-moire qui problématise des questions relatives au numérique conclut la formation. (RÉD.)

www.unil.ch/masters

UNE FORMATION POUR LE MONDE NUMÉRIQUE

LE SITE

SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

CULTURE

CRITIQUE THÉÂTRALE AUX CHANDELLESComment les spectateurs et les lecteurs du XVIIe siècle recevaient-il les pièces de théâtre qui leur étaient présentées ? Cette question originale trouve une réponse sur le site «Naissance de la critique dramatique». Mené par Lise Michel, professeure assistante à la Section de français de l’UNIL, et Claude Bourqui, professeur associé à l’Université de Fribourg, ce projet propose plus de 1500 extraits de textes de l’époque. L’occasion de plonger dans les sensibilités, les goûts et les débats d’alors. (RÉD.)

www.unil.ch/ncd17

La proportion d’étudiants qui a un projet profes-sionnel précis.

Le nombre d’heuresde cours, de séminaires et d’étude par semaine.

39,543,3 %Une majorité s’adapte sans aucune difficultéà la vie universitaire.

65,7 %

ENQUÊTE

LES ÉTUDIANTS ONT DES IDÉES SUR LEUR AVENIRL’enquête «Comment allez-vous ?» est menée chaque année auprès des étudiants qui viennent de débu-ter leur parcours à l’UNIL. Elle est organisée par le Service d’orientation et carrières et la Fédéra-tion des associations d’étudiant-e-s. En novembre 2015, 1162 personnes ont été atteintes par télé-phone, soit un taux de réponse de 48 %. Les entre-tiens durent une vingtaine de minutes et sont l’oc-casion de rappeler les services que l’institution propose en cas de besoin.Pour cette édition, un accent a été placé sur le thème de l’avenir professionnel. Si l’intérêt pour la branche choisie est la raison principale du choix de leurs études pour un peu plus de la moi-tié des débutants, les débouchés ont été un fac-teur déterminant pour 67.5 % d’entre eux. 43,3 % des répondants déclarent même avoir un projet professionnel précis. Par exemple, la majorité des

étudiants en Lettres et en Sciences du sport visent l’enseignement.«Comment allez-vous ?», dont les résultats sont publics, livre bien d’autres informations. Ainsi, en moyenne, les débutants consacrent 22,5 h par semaine aux cours, travaux pratiques et séminaires, plus 17 h au travail personnel. Soit un total de 39,5 h. Ce chiffre monte à 53 h en médecine. Si plus de la moitié des répondants n’a pas d’activité professionnelle rémunérée, cette dernière prend 7,5 h par semaine en moyenne aux autres. Les varia-tions entre les cursus sont importantes.Enfin, il est intéressant de noter que la proportion d’étudiants qui prend part à la vie sociale de l’UNIL (sports, loisirs) grimpe sans cesse pour atteindre 51,4 %. Un signe que Dorigny devient petit à petit un campus. DS

www.unil.ch/soc/comment-allez-vous

MIEUX COMPRENDRE LA SUISSE

La plateforme DeFacto est desti-née à rendre davantage visible la recherche en Sciences politiques et en Sciences sociales. Financée par le FNS, elle est animée par des auteurs de plusieurs hautes écoles suisses, dont l’UNIL. Les articles, assez courts, sont rédigés à l’in-tention d’un public large. Ils sont issus de la plume de scientifiques ou d’étudiants et couvrent de nom-breux sujets. Par exemple, le droit de vote des étrangers ou la démo-cratie directe. Même si de nom-breuses contributions sont en alle-mand, il s’agit d’un moyen simple de suivre les recherches en cours sur des sujets d’actualité. (RÉD.)

www.defacto.expert.Sur Twitter : @defactoexpert

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Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 13

La future direction de l’UNIL, qui entrera en fonction le 1er août 2016, est connue. François Bussy, professeur à l’Institut des Sciences de la Terre, prendra en charge les questions liées à la recherche. Marc de Perrot, secrétaire géné-ral, continuera d’assumer cette fonction. Gior-gio Zanetti, professeur spécialisé en Médecine interne et en Infectiologie, prendra en charge les questions liées à l’enseignement. Nouria Hernandez, en tant que rectrice assurera la di-rection générale, ainsi que les questions liées à la gestion de la qualité et au soutien informa-

tique. Benoît Frund, actuel vice-recteur «Du-rabilité et Campus» prendra en charge la po-litique de durabilité de l’UNIL, ainsi que la gestion et le développement du campus. Mar-tial Pasquier, professeur en Management pu-blic, prendra en charge les Finances et les Ressources humaines. Déborah Philippe, pro-fesseure spécialisée dans les questions de res-ponsabilité sociale des entreprises, prendra en charge les questions liées à l’égalité des chances et les interactions entre l’Université et la société. (RÉD.)

LA NOUVELLE ÉQUIPE EST FORMÉEDIRECTION MÉDECINE

AVANCÉE EN PÉDIATRIE

Le 28 janvier dernier, la Fondation du Prix Pfizer de la Recherche a récompensé Marie-Hélène Perez (médecin associée au Service de pédiatrie du CHUV, à dr.), ainsi que Corinne Jotterand Chaparro (à g.) et David Longchamp, doctorants à la Faculté de biologie et de médecine. Ces trois chercheurs se sont vus remettre le Prix Pfizer pour leur travail intitulé «Sauver la vie des enfants en Soins intensifs». Les récipiendaires ont élaboré une méthode pour définir précisément la quantité de protéines et de calories qui convient aux enfants malades. En effet, les recommandations actuelles n’étaient jusqu’ici basées que sur un nombre très limité d’études. Ils ont pu tirer des conclusions concrètes des 402 mesures qu’ils ont réalisées sur 74 enfants. Ces derniers ont besoin de 1,5 g de protéine et de 58 calories par kg de poids corporel par jour jusqu’à l’âge de 4 ans. Cette découverte permet aux médecins de mieux alimenter les enfants en Soins intensifs pour qu’ils se rétablissent. (RÉD.)

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Gratuit et ouvert à tous, un cours en ligne propose de mieux comprendre les dimensions psycholo-giques, sociologiques, juridiques et biologiques du dopage. Piloté par Fabien Ohl, professeur de Sociologie du sport à l'ISSUL, ce MOOC (pour Massive Open Online Course) mobilise – en vidéo – plusieurs chercheurs de l'UNIL et des experts de l'UEFA, de l'Agence mondiale antido-

page, du Tribunal arbitral du sport et du Labora-toire suisse d'analyse du dopage. Une manière de croiser les regards et de décoller des jugements et des débats stériles «Pour/Contre» le dopage. Le cours en français a rassemblé 523 inscrits et la version anglaise 942. (RÉD.)

Le cours en français : www.coursera.org/learn/dopageLe groupe Facebook : www.facebook.com/groups/MOOCdoping

LE DOPAGE SOUS L’ŒIL DE LA RECHERCHEFORMATION

NOTRE MODERNITÉ A OUVERT L’ÈRE DES CAMPS. AUSCHWITZ N'EST PAS DERRIÈRE NOUS. L'IDÉOLOGIE DU CAMP EST DEVANT NOUS. C’EST UN MOYEN DE RÉGLEMENTER LES MOUVEMENTS DE POPULATION, DE RÉGLER LES PROBLÈMES DE PAUVRETÉ, DE TRAITER DE LA DISSIDENCE.Mondher Kilani, anthropologue et professeur honoraire, dans Le Temps du 14 mars 2016.

UN COURS EN LIGNE GRATUIT ET OUVERTÀ TOUS.

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14 Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne

571 Le nombre d’articles que les chercheurs de l’UNIL et du CHUV ont fait paraître dans des revues scientifiques cette année (d’après Ser-

val, au 11 avril 2016). La mobilité sociale a-t-elle progressé en Suisse au cours du XXe siècle ? Grâce à leur formation, les enfants d’ouvriers ac-cèdent-ils plus facilement qu’auparavant aux classes supé-rieures ? La «méritocratie» fonctionne-t-elle ? C’est à ces ques-tions (et à bien d’autres) que répond Julie Falcon, première assistante au LINES – Life Course and Inequality Research Center, à l’UNIL. Sur le site de Social change in Switzerland 1), la chercheuse a publié un bref et accessible article à ce su-jet. Il s’agit d’un condensé de sa thèse, soutenue en 2013.Nourries de données issues de 21 enquêtes, ses conclusions battent en brèche les idées reçues. Ainsi, pour les personnes nées entre 1935 et 1978, l’ascension sociale, c’est-à-dire l’accès à une position plus élevée que celle du père, reste à environ 40 % de la population concernée. La stabilité (ou reproduction sociale), également à 40 %. Enfin, le déclasse-ment touche les 20 % restants. Un mouvement vers le bas qui affecte davantage les femmes. Cette stagnation persiste malgré la tertiarisation de l’économie et le développement des hautes écoles (dont la classe moyenne supérieure est la principale bénéficiaire).Au cours du siècle dernier, les bonnes situations profession-nelles sont même devenues de moins en moins accessibles aux personnes peu diplômées. Avoir un diplôme de l’ensei-gnement supérieur est devenu la clé de l’accès au sommet, mais il n’est pas suffisant. «A niveau d’études égal, l’ori-gine sociale continue d’avoir une influence importante sur les chances d’accéder aux meilleures positions», résume Julie Falcon. Cette stabilité de la mobilité sociale s’observe dans d’autres pays industrialisés. La scientifique travaille d’ailleurs à des projets de recherches comparatives avec la France et l’An-gleterre. DS

1) www.socialchangeswitzerland.ch

La thèse est accessible sur www.unil.ch/unisciences. Chercher sous Julie Falcon puis Publications > Mémoires et thèses

1531 Le nombre de références faites à l’Université de Lausanne et au CHUV dans les médias en 2016, selon la revue de presse Argus au

11 avril 2016. Début février, une étude sur les effets néga-tifs de la consommation de cannabis sur la mémoire a fait le tour du monde et suscité de très nombreux tweets, prin-cipalement à l’étranger. Les manifestations organisées par l’Institut Benjamin Constant autour des 200 ans d’Adolphe, ont vivement inté-ressé la presse (lire également en p. 62). Plusieurs articles ont traité de l’héritage et de l’actualité de ce texte. Le recteur de l’UNIL Dominique Arlettaz a été interrogé par la RTS deux ans après la votation du 9 février 2014. Il a indiqué que la Suisse dirige beaucoup moins de projets de recherche en collaboration avec des partenaires euro-péens. Ces derniers ne nous font plus assez confiance. En parallèle, le nombre d’étudiants qui viennent en mobilité dans notre pays a diminué d’environ 20 %. Dans le domaine de la Santé, les pansements biologiques destinés à éviter des infections aux grands brûlés ont fait l’objet de nombreux sujets. Lee Ann Laurent-Applegate, professeure et responsable de l’Unité de thérapie régéné-rative du CHUV, a été mise à contribution (lire également Allez savoir ! 59).Le premier Printemps de la poésie romand, né à la Faculté des lettres, a permis de mettre en valeur un genre très pra-tiqué. L’UNIL a notamment organisé un concours de haï-kus sur Twitter (@haiku130). Le 1er mars, le vice-recteur Philippe Moreillon a témoigné devant la House of Lords britannique. Il a exposé la situa-tion des chercheurs suisses suite à la votation du 9 février. Son audition a suscité des débats, sur Twitter, entre pro- et anti-Brexit. DS

L’ASCENSEUR SOCIAL NE MARCHE PAS MIEUX QU’AVANT

CANNABIS, CONSTANTET BREXIT

HISTOIRE

BRÈVES

L’UNIL DANS LES MÉDIAS PASSAGE EN REVUE

MIEUX REGARDER LE PATRIMOINEEditée au sein de la Sec-tion d’histoire de l’art, la belle revue Monuments vaudois consacre une grande partie de son der-nier numéro à certains aspects du patrimoine bâti de Vevey. Au fil d’une longue étude, Paul Bis-segger présente l’Hôtel de Ville en détails. L’ar-chitecture, la construc-tion, les aménagements intérieurs et les objets mobiliers de cet édifice inauguré en 1710 sont détaillés. Une «visite» du bâtiment, illustrée de nombreuses photogra-phies, est proposée.Dans un autre article, Eloi Contesse nous plonge dans les débats et les conflits qui ont entouré la destruction du temple de Peney (VD), puis sa re-construction, au début du XXe siècle. La revue propose plusieurs autres textes, par exemple sur l’ancienne Ecole de com-merce, devenue le Gym-nase de Beaulieu. Un séminaire en Histoire de l’art a également dé-bouché sur une contribu-tion. Sous la plume d’étu-diantes de bachelor, des éléments peu connus de peinture médiévale dans plusieurs églises vau-doises, ainsi qu’une sta-tue payernoise sont pré-sentés. Agréable à lire, Monuments vaudois in-cite à regarder de plus près le patrimoine ro-mand. DSwww.unil.ch/monumentsvaudois

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Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 15

ENQUÊTES, MÉDECINE LÉGALE, PRODUCTIVITÉ ET CONFLITSÀ L’HONNEUR

Pour une phase initiale de trois ans, le FNS soutient un projet mené par Jürgen Maurer, profes-seur à l’Institut d'économie et de management de la santé (Faculté des HEC). Il s’agit de comprendre la relation entre maladies chro-niques et pauvreté dans les pays en voie de développement et émer-gents. Quel est l’impact de ces af-fections sur l'utilisation du système de soins et les dépenses liées à la santé ? Sur la capacité à travailler et la productivité, ainsi que sur des aspects socio-économiques, la santé et la mortalité ? La recherche implique des équipes au Malawi, au Sri Lanka, aux Philippines et en Inde, ainsi qu’aux Etats-Unis et au Pays-Bas. (RÉD.)

Professeur à la Faculté des HEC, Dominic Rohner a décroché l’un des «Starting Grants 2015». Dé-cerné par l’European Research Council (ERC), ce subside de re-cherche d’un montant de 1,1 mil-lion de francs financera un projet de recherche de 5 ans. Ce der-nier vise à étudier quelles insti-tutions principales et politiques sont plus aptes à réduire les inci-tations à se livrer aux conflits ar-més et aux appropriations ter-ritoriales. L’un des sous-projets mettra l’accent sur les politiques à court terme pour faire cesser les combats, en asséchant le finance-ment des groupes rebelles. (RÉD.)

www.unil.ch/hecimpact/people/dominic-rohner

CULTUREMA THÈSE EN 180 SECONDES

LES CHERCHEURS SUR SCÈNEComment résumer plusieurs années de travail en trois minutes, de manière simple et ludique ? Quatorze doctorants ont relevé ce défi lors de la finale UNIL de "Ma thèse en 180 secondes". Cette compétition est un acrobatique exercice de vulgarisation scientifique. Le premier prix a été attribué à Elsa Juan (Prédire la récupération après arrêt cardio-respiratoire grâce à l’électroencéphalogramme durant le coma). Avec deux collègues, cette chercheuse va participer à la finale suisse, le 9 juin à l’UNIL. Une finale francophone aura lieu au Maroc le 29 septembre. (RÉD.)

www.unil.ch/doctoriales

Dans le cadre du premier Printemps de la poésie romand, né au sein de la Faculté des Lettres, l’UNIL a organisé un concours de haïkus sur Twitter. 596 poèmes ont été en-voyés à cette occasion. Un jury a décerné plusieurs prix. Il était composé du journaliste et poète Jean-Noël Cuénod, du maître d’enseignement et de recherche et écrivain Isaac Pante (à dr.), du doctorant et spécialiste de la poésie Mathieu Depeursinge, ainsi que du journaliste David Spring. Le 1er Prix a été remis à Marie Sautier (à g.). Le 2e Prix à Olivier Sillig. Le 3e Prix à Jean Prod’hom. Un Prix de l’humour a été décerné à Anaïs Reichard et Jean Cornu. (RÉD.)

Découvrez les poèmes sur https://twitter.com/haiku130

Depuis début 2016, la professeure Silke Grabherr dirige le Centre universitaire romand de méde-cine légale (CURML). Reconnue au niveau international, cette cher-cheuse a développé un système d’angiographie post-mortem qui consiste à visualiser la circulation sanguine en utilisant une machine à perfusion spécialement dévelop-pée pour cette méthode. Elle a dé-veloppé deux autres applications : l’une constitue une base de don-nées anthropologique permettant de mieux estimer l’âge, la taille, le sexe et l’ethnie d’un cadavre très altéré ou d’ossements; l’autre vise à détecter des substances telles que la cocaïne dans les liquides. (RÉD.)

www.curml.ch

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Dès le 1er septembre, le profes-seur Georg Lutz dirigera FORS, Centre de compétences national en Sciences sociales installé dans le bâtiment Géopolis. Les collabo-rateurs de FORS sont des spécia-listes de la production de données dans le cadre d’enquêtes natio-nales et internationales (comme le «Panel suisse de ménages» ou les «Etudes électorales suisses – Selects»). Financé par la Confé-dération, le FNS, l’UNIL et des fonds tiers, le centre collabore avec de nombreux chercheurs en Suisse et à l’étranger. Il propose également les compétences de spécialistes des délicates ques-tions de méthodologie. (RÉD.)

http://forscenter.ch/fr

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TIDJANE THIAMFranco-Ivoirien, le CEOde Credit Suisse faitpartie des nouveaux top managers au profil globalisé. Donc moins insérés dans les réseaux nationaux suisses.© Dominic Steinmann / Keystone

SOCIÉTÉ

PATRONS, ÉLUS, PROFS, ACTIVISTES…

SUISSES NE SONT PLUSCE QU’ELLES ÉTAIENT

LES ELITES

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JOHANNSCHNEIDER-AMMANNDiplômé de l’EPFZ, colonel et PLR, le présidentde la Confédération est représentatif des élites qui ont marqué la Suisse au XXe siècle.© Peter Klaunzer / Keystone

Avant, les choses étaient simples comme une carica-ture. Quand on vous demandait de dessiner les élites du pays, vous esquissiez rapidement le portrait d’un homme de nationalité suisse, officier à l’armée, actif en politique, élu du Parti radical et probablement

juriste. Ce décideur ne cessait de rencontrer ses semblables dans des associations très masculines, d’abord dans des socié-tés d’étudiants, puis au Rotary et dans les conseils d’admi-nistration des entreprises du pays.

Mais voilà, ce décideur-type, qui a marqué le XXe siècle de son empreinte, est entré en crise dans les années 90. A tel point qu’il serait «désormais en voie de disparition, même si on en retrouve encore ici ou là quelques illustrations, comme Johann Schneider-Ammann, un ancien de l’EPFZ, colonel à l’armée, qui a été chef d’entreprise avant de deve-nir conseiller fédéral», observe André Mach. Professeur associé à l’UNIL, ce chercheur s’intéresse aux élites suisses comme aux groupes d’intérêt, et il observe depuis quelques années la mue «rapide», et parfois «impressionnante» des décideurs de ce pays.

Les élites, c’est qui ?Levons tout de suite une ambiguïté, car le terme est connoté. «Positivement, on considère les élites comme des personnali-tés au-dessus de la moyenne, explique André Mach. Et l’as-

pect négatif, c’est de les regarder comme un petit groupe d’ac-teurs qui décide entre soi de l’avenir de tous, sans consulter le reste du pays.» Pour échapper à cette ambiguïté, le cher-cheur définit les élites comme «des gens qui, par la position qu’ils occupent, exercent un pouvoir, qu’il soit politique, éco-nomique, administratif ou académique».

Pour comprendre le fonctionnement de ces décideurs, les chercheurs de l’UNIL réunis dans l’Observatoire des élites suisses (Obelis) ont rassemblé des informations sur plus de 20 000 personnes qui ont occupé une fonction dirigeante dans les sphères économique, politique, administrative ou acadé-mique dans les années 1910, 1937, 1957, 1980, 2000 et 2010(1).

Avant, l’élite était masculine...Sur la base de ces données, on vérifie que, durant l’essen-tiel du XXe siècle, les décideurs suisses se sont ressemblé comme des frères. En 1957, par exemple, on ne trouvait aucune femme parmi les élites répertoriées dans la base de l’UNIL. Ce pourcentage a heureusement (un peu) progressé puisqu’il atteignait 27,6 % de femmes parmi les élites poli-tiques en 2010, contre 17,6 % dans l’administration et 10% dans le domaine économique.

Faut-il y voir la preuve de la féminisation des élites suisses ? «L’évolution est surtout perceptible en politique; elle l’est moins en économie, répond André Mach. Si la

Alors que l'UNIL accueille le Forum des 100, Allez savoir ! vous invite à regarder les décideurs suisses sur une base scientifique avec des chercheurs qui les étudient et qui ont observé une mue spectaculaire. TEXTE JOCELYN ROCHAT

DURANT L’ESSENTIELDU XXe SIÈCLE,LES DÉCIDEURS SUISSES SE SONT RESSEMBLÉ COMMEDES FRÈRES.

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Suisse a accordé très tardivement le droit de vote aux femmes, on voit que le pays a rattrapé une partie de son retard initial, pour atteindre désormais des taux de 32 % de femmes au Parlement, sans parler de la situation excep-tionnelle de 2010, où l’on a vu quatre conseillères fédérales siéger ensemble au Conseil fédéral. Mais cette progression reste notable en comparaison internationale : si l’on trouve plus de femmes élues dans les pays scandinaves, il y en a moins au Parlement français.»

Avant, l’élite était gradée...Durant tout le XXe siècle, les officiers à l’armée, souvent de haut rang, ont occupé une place centrale parmi les élites du pays. Ainsi, alors que seuls 2 % de la population masculine avaient obtenu le grade de lieutenant en 1980, on comptait 42 % d’officiers parmi les parlementaires, et 46,8 % parmi les principaux décideurs économiques. Une surreprésentation qui tend à diminuer au XXIe siècle, où l’on ne retrouve plus que 23,3 % d’officiers parmi les élites politiques et 21,9 % parmi les élites économiques de 2010.

Notons qu’à l’époque, la carrière militaire servait aussi d’école de management à des élites qui avaient suivi «une formation commune dans l’armée», qui leur avait encore donné «un style de pensée et de direction homogène», analyse André Mach, avec les cosignataires de l’article «Transformation des élites en Suisse», paru sur le site Social Changes in Swit-zerland (2). Ce n’est plus le cas au XXIe siècle durant lequel les élites économiques mondialisées apprennent davantage leur métier en suivant des MBA dans des Business Schools, suisses ou étrangères.

Avant, les élites étaient plus radicaleset elles apprenaient le Droit...Si le grand vieux parti a longtemps été la référence des élites suisses, le Parti radical a lui aussi souffert ces dernières décennies, puisque l’ex-dominateur incontesté des scrutins n’a cessé de baisser pour devenir le 3e parti du pays, derrière l’UDC et les socialistes. «Dans les années 90, deux figures d’outsider ont fait mal à l’establishment, en ralliant des forces et des dirigeants qui, auparavant, allaient au Parti radical, c’est Christoph Blocher en politique, et Martin Ebner pour l’économie», note André Mach.

Autre étoile pâlissante, celle des Facultés de droit des Universités de Zurich et de Berne, qui ont formé une grande partie des élites helvétiques durant le XXe siècle. Ces filières ont été privilégiées par de très nombreux hauts fonction-naires, mais aussi de futurs directeurs de banque et par un grand nombre de parlementaires. En 1957, par exemple, 22,9 % des dirigeants économiques, 30,2 % des parlemen-taires et même 36 % des hauts fonctionnaires détenaient un diplôme en Droit.

«Les formations techniques de l’EPFZ, même si elles confèrent un statut quelque peu inférieur à celui des études de Droit, constituaient également un lieu de production des élites suisses», précise le chercheur de l’UNIL. Mais, là encore, les codes ont changé. «Alors que les juristes et les ingénieurs étaient les deux profils dominants jusqu’aux années 90, on constate une augmentation des élites qui ont suivi une for-mation économique, comme la gestion d’entreprise.»

Avant, les élites cumulaient les mandats...Non contentes de se ressembler, les élites suisses du XXe siècle avaient enfin pour caractéristiques de se croiser en permanence. «De nombreuses personnalités ont occupé plusieurs positions de pouvoir à la fois, comme officier à l’armée et parlementaire fédéral, mais encore membre de conseils d’administration de grandes entreprises», observe André Mach.

Mais cela, c’était avant. Car un changement rapide et spec-taculaire s’est produit ces deux dernières décennies. En 2010, «il est devenu beaucoup plus rare pour un dirigeant d’entre-prise de siéger simultanément dans plusieurs conseils d’ad-ministration», expliquent les chercheurs de l’UNIL sur le site Social change in Switzerland.

Social Changes in Switzerlandsocialchangeswitzerland.ch

ANDRÉ MACHProfesseur associéà la Faculté des SSP.Photo Nicole Chuard © UNIL

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GROUPES D’INTÉRÊTET POUVOIR POLITIQUEPar André Mach.Presses polytechniqueset universitaires romandes (2015), 144 p.

«en réaction à l’envie d’une majorité des élites de se rap-procher de l’Union européenne», estime le chercheur. La politique, parlons-en. Car, si les changements y sont aussi importants que dans la sphère économique, «ils ne relèvent pas de la même logique», estime André Mach, qui a notam-ment été frappé par l’évolution du Parti socialiste ces der-nières décennies.

«Au XXe siècle, le gros des parlementaires du PS était constitué de syndicalistes et des membres d’exécutifs can-tonaux ou communaux, avec quelques enseignants, se sou-vient le chercheur. C’était le parti qui, historiquement, comp-tait le moins d’universitaires. Mais la situation a changé du tout au tout en trois décennies, puisque ce sont désormais les socialistes qui comptent le plus grand nombre d’univer-sitaires, quand l’UDC est le parti qui en compte le moins.»Si la représentation du PS s’est fortement académisée, elle s’est aussi féminisée et professionnalisée. Une évolution que le chercheur de l’UNIL attribue notamment à deux réformes du système politique. «Dans les années 90, on a amélioré les indemnités des parlementaires fédéraux et on a créé des Commissions permanentes. Ce qui a permis au Parlement de devenir un acteur plus important dans la vie politique, avec une plus grande médiatisation, des débats plus polari-sés et une professionnalisation des élus. Aujourd’hui, un par-lementaire moyen touche environ 140 000 francs par année, ce qui permet de vivre de la politique, et qui a transformé nos élus de milice en quasi-professionnels.»

Les syndicalistes s’académisentCette mutation des personnalités qui «font le pays», comme l’écrit L’Hebdo à l’époque de son Forum des 100 (qui a eu lieu le 19 mai à Dorigny), ne se limite pas aux patrons et aux politiciens. Elle a aussi touché les syndicalistes et des activistes en tous genres qu’André Mach a étudiés dans son livre Groupes d’intérêt et pouvoir politique.

Comme les élus du PS, les représentants des salariés ont considérablement évolué ces dernières décennies, après une réorganisation sans précédent du mouvement syndical. «Alors que, historiquement, les principaux dirigeants se dis-tinguaient par un parcours professionnel au sein de l’orga-nisation (délégué syndical, secrétaire régional puis secré-taire central), on a vu apparaître des dirigeants d’un nouveau genre. Ils sont moins directement liés aux métiers de base du syndicat, ont un plus haut niveau de formation, souvent universitaire, ils ont une forte présence médiatique et ils occupent souvent un mandat politique, en général au sein du Parti socialiste», note le chercheur de l’UNIL.

Les nouvelles élites de gaucheAndré Mach consacre encore quelques pages de son livre à l’évolution des groupes d’intérêt, qui ont permis l’appa-rition de ce qu’on appellera les nouvelles élites de gauche. «Les principaux mouvements sociaux des années 60-70 qui se sont mobilisés pour l’environnement, les droits de

Alors qu’un réseau dense unissait les décideurs du pays au siècle passé, ce n’est plus le cas après l’an 2000. «Les membres du Parlement helvétique se consacrent plutôt à plein-temps à leur mandat politique, les directeurs d’entreprise se défi-nissent surtout comme des managers et le fait d’entretenir des liens avec d’autres sphères ne fait plus partie de leurs priorités», ajoutent les chercheurs.

Désormais, les élites économiques se mondialisentTout indique que la Suisse et ses élites sont entrées dans une période de transition. «Les anciennes structures dispa-raissent», observe André Mach. Si elles n’ont pas encore été remplacées par de nouvelles, clairement identifiables, on voit se dégager quelques tendances intéressantes. Notamment chez les élites économiques, qui ont été les premières à muter.

Avec la financiarisation croissante de l’économie, le phé-nomène de mondialisation et l’intégration progressive de la Suisse dans l’Europe, «les dirigeants des plus grandes entre-prises, directions générales, conseils d’administration, se sont internationalisés très rapidement. D’abord à l’échelon européen, et puis au niveau planétaire. Désormais, on ren-contre des Asiatiques dans les conseils d’administration, et des Qataris ou des Africains au Credit Suisse, ce qui était impensable il y a 15-20 ans», relève André Mach.

Les nouveaux top managers ont un profil globalisé, en particulier dans les multinationales, avec des exemples tels que Joseph Jimenez (le CEO américain de Novartis), et autres Tidjane Thiam (le directeur général franco-ivoirien du Credit Suisse qui a remplacé l’Américain Dougan), qui sont moins directement insérés dans les réseaux de pouvoir nationaux.

La Suisse, ce pays plus ouvert qu’on l’imagineLes chiffres traduisent l’importance de cette mue, puisque, quand on ne comptait que 3,7 % d’étrangers parmi les top managers des 110 plus grandes entreprises suisses en 1980, ce pourcentage est passé à 34,5 % en 2010 ! «Il n’y a pas de pays où l’internationalisation a été aussi forte dans les direc-tions générales des grandes entreprises. Même si les petits pays européens étaient prédisposés à subir ce type de change-ment, parce qu’ils hébergent souvent des multinationales, la rapidité et l’ampleur du changement sont impressionnantes», estime André Mach.

La mue est aussi nette chez les élites académiques. «Là encore, il n’y a pas de pays en Europe où la proportion d’en-seignants étrangers dans les hautes écoles est aussi impor-tante», ajoute le chercheur. Des chiffres qui viennent contre-dire le cliché montrant la Suisse comme un pays fermé. «Il n’y a pas de pays au monde, à part peut-être le Luxembourg, où la proportion de travailleurs étrangers est comparable», assure André Mach.

La mue du Parti socialisteCette ouverture du pays a eu des conséquences importantes, en permettant notamment à l’UDC de progresser fortement,

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l’homme ou de groupes minoritaires, les causes huma-nitaires, la défense des consommateurs, les migrants, se sont transformés pour devenir des groupes de plus en plus influents sur le plan politique. Des organisations comme WWF et Greenpeace comptent désormais un nombre impor-tant de membres et disposent de ressources financières qui en font des acteurs politiques incontournables dans le domaine de la protection de l’environnement. C’est aussi vrai pour des associations de consommateurs, des groupes caritatifs et humanitaires (Amnesty), ou des organisations féministes et de défense des homosexuels, des handicapés, des personnes âgées ou des migrants...»

Autant de groupes qui sont désormais représentés par des figures bénéficiant d’une «importante présence média-tique, qui leur a permis d’avoir des relais dans les commis-sions parlementaires qui étaient jusqu’alors dominées par les associations économiques, patronales et syndicales», observe André Mach.

Le nouveau mondeOn l’aura compris, le réseau des élites suisses qui a carac-térisé le XXe siècle a vécu. Ceux qui l’appréciaient regret-teront ce modèle de coordination et d’efficacité, et ceux qui l’ont critiqué s’en féliciteront. Reste à comprendre à quoi ressemblera le nouveau modèle. Et comment il s’imposera, car, dans ces phases de transition, «il n’est pas rare que des

conflits éclatent entre les élites en place et les élites émer-gentes», rappellent les chercheurs de l’UNIL sur le site Social Change in Switzerland.

Parmi ces tensions, on pense aussi aux critiques sévères des élites, venues du peuple et des partis populistes. «Le ras-le-bol des élites économiques et de leurs salaires astrono-miques s’est exprimé quand les citoyens ont accepté l’initia-tive Minder, répond André Mach. Et c’est vrai qu’on entend aussi des critiques du monde politique, mais il faut un peu les relativiser, parce qu’elles sont moins fortes en Suisse que dans d’autres pays. Si la confiance dans les institutions ou le Conseil fédéral a baissé, elle reste importante».

Cela dit, «dans ce nouvel univers mondialisé où la com-pétition économique et politique est plus intense, tout le monde est désormais fragilisé, estime le chercheur. C’est vrai pour les ouvriers, et, phénomène nouveau, c’est aussi le cas pour les élites qui sont bien plus vite remplacées que par le passé quand les résultats sont jugés décevants.» Une précarisation généralisée qui est certainement la différence la plus saillante entre le XXIe siècle et le monde d’avant.

(1) Une partie de la base de données élaborée dans le cadre de l’Obser-

vatoire des élites suisses est accessible à l’adresse : www.unil.ch/obelis

(2) Felix Bühlmann, Marion Beetschen, Thomas David, Stéphanie Ginalski &

André Mach (2015), «Transformation des élites en Suisse», Social Change

in Switzerland N° 1.

REBECCA RUIZUniversitaire, la conseil-lère nationale vaudoise incarne la mue du Parti socialiste, dont la repré-sentation à Berne s’est académisée et féminisée.© Jean-Christophe Bott/Keystone

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RÉFLEXION

LES MÉDIAS ACCUEILLERAIENT AVEC INTÉRÊT CETTE OPPORTU-NITÉ D’ENTENDRE DES OPINIONS PLUS DIVERSES.

SCIENTIFIQUES,FAITES-VOUS ENTENDRE !

Mais parmi ces commentateurs, com-bien ont été plus loin qu’un avis infor-mel, prenant leur plume ou leur clavier pour faire part de leur avis au journal ? Aucun. La seule réponse publiée par le quotidien est un texte d’une start-up vaudoise médiatique, qui, sans cri-tiquer frontalement l’entreprise valai-sanne ni se mettre vraiment en avant, arrive quand même subtilement à faire les deux.

L’influence de l’article original ne doit pas être sous-estimée ; il a été lu et a attiré l’attention de politiciens et de l’administration fédérale, jusqu’à son sommet. L’absence de réaction des scientifiques n’est pas anodine : sans contrepoids, ces lecteurs penseront que l’article original fait l’unanimité.

Prendre l’initiativeAutre exemple, au niveau politique cette fois. Depuis le 9 février 2014, des membres de la communauté universitaire suisse travaillent avec des parlementaires fédéraux au su-jet des repercussions de l’initiative «Contre l’immigration de masse» sur le monde académique. Le premier commentaire qu’on leur a fait est élo-quent : «Les scientifiques, vous étiez où lors de la campagne ?» Le message est clair : les scientifiques doivent prendre l’initiative.

Les médias, en tout cas, accueille-raient avec intérêt cette opportunité d’entendre des opinions plus diverses. Par exemple, les pages des quotidiens consacrées aux lettres de lecteurs, aux

avis d’experts ou aux textes d’opinion sont souvent occupées par des politi-ciens qui se prononcent sur tout et n’importe quoi, alors que les scienti-fiques, «on doit les tirer par le col pour qu’ils contribuent », comme l’a décrit un journaliste scientifique romand.

Le tableau n’est pas totalement sombre, et les scientifiques savent sor-tir de leur «tour d’ivoire» quand cela est nécessaire. En 1998, au moment du vote sur la première initiative pour la protection génétique, les biologistes avaient organisé des visites de labora-toire, préparé des conférences, et de façon générale participé au débat poli-tique – l’importance des enjeux l’avait emporté sur les obstacles, à commen-cer par le manque de temps. Depuis, la situation s’est encore améliorée, et cer-taines de ces activités de communica-tion sont devenues habituelles, en bio-logie comme dans d’autres branches. Mais on voit aussi qu’il faudrait certai-nement en faire plus – et le faire de façon préventive plutôt que réactive.

Les scientifiques ne doivent bien sûr pas se transformer en lobbyistes pur sucre. Mais s’ils ne font pas en-tendre leur point de vue au bon mo-ment, personne ne le fera pour eux.

FRÉDÉRIC SCHÜTZMaître d’enseignementet de recherche au Centre Intégratifde Génomique (Faculté de biologieet de médecine)

Les chercheurs de l’UNIL ré-pondent souvent présents quand ils sont sollicités pour fournir un éclairage lié à leur domaine d’ex-pertise. Il est par contre plus rare

qu’ils prennent l’initiative de s’adres-ser directement aux médias pour par-ticiper à un débat. Avec le risque, s’ils ne prennent pas la parole, que leur voix soit absente de la discussion.

Exemple concret. En août 2015, un quotidien suisse romand de référence publie un article au sujet d’une start-up valaisanne qui propose des tests de personnalité basés sur l’ADN – en paraphrasant, c’est un peu «donne-moi tes gènes et je te dirai si tu es optimiste, bon vivant ou extraverti». Paru dans la rubrique Economie du journal, le texte décrit les applications potentielles du produit et ses perspectives commer-ciales, mais malheureusement pas ses mérites scientifiques, comme ça aurait été le cas si l’information avait été traitée par un journaliste spécia-lisé en sciences.

Dans les couloirs de l’UNIL, la ré-action des biologistes est unanime, et elle n’est pas tendre – que ce soit en-vers l’invention elle-même ou la façon dont le journal a traité l’information. Pour Alexandre Reymond, directeur du Centre Intégratif de Génomique, «ces tests n’ont aucune base scienti-fique»; les autres commentaires ne sont pas plus charitables – et cer-tains sont exprimés en des termes qu’il serait malvenu de reproduire sur cette page.

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SPORT

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LES SUISSES NE SONT PAS

CE SONT DESCHAMPIONS

DES JOUEURS PROS

Que ce soit en football ou en tennis, les sportifs suisses se sont frayés un chemin vers les sommets. Comment fait un si petit pays pour former autant de vedettes ? Les réponses des experts de l’UNIL. TEXTE ALBERTO MONTESISSA

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FED CUPMartina Hingis, BelindaBencic, Viktorija Golubicet Timea Bacsinszkyfêtent leur victoirecontre l’Allemagne,le 7 février 2016 à Leipzig. Elles ont été éliminées ensuite par la République tchèque.© Walter Bieri / Keystone

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L’Institut des sciences du sportwww.unil.ch/issul

SPORT

Le fan suisse de sport qui s’apprête à vibrer devant l’Euro de football en France et les Jeux olympiques de Rio ne réalise pas toujours la chance qu’il a. Alors que de nombreux pays ne peuvent rêver d’une médaille ou d’un titre dans l’un de ces sports majeurs que sont le

tennis et le football, les athlètes helvètes ont une chance de briller sur tous les tableaux. Dans les derniers grands tournois internationaux de football, la Nati n’a raté qu’une seule phase finale d’un Euro ou d’un Mondial depuis 2004. A titre de comparaison, cette régularité au plus haut niveau fait de la Suisse une sélection comparable à l’Angleterre, et plus régulière que la Turquie ou les Pays-Bas, deux grandes nations de football.

Et en tennis, la Suisse peut tout simplement rêver de remporter trois médailles d’or qui seront mises en jeu à Rio, sous réserve, évidemment, de blessures éventuelles ou de calendrier surchargé. Car les Helvètes peuvent théorique-ment inscrire Martina Hingis et Belinda Bencic en double dames. Ils devraient encore voir évoluer le très mythique couple Hingis-Federer en double mixte. S’y ajoutent Roger Federer et Stan Wawrinka, qui devraient compter parmi les

favoris du simple messieurs, sans oublier que Stan et Roger ont déjà en poche la médaille d’or du double messieurs décro-chée aux JO de Pékin.

Les recettes du succèsReste à comprendre comment un petit pays comme la Suisse peut aligner autant de champions dans des sports quasi planétaires ? Si la réussite de l’équipe suisse de foot doit beaucoup au travail de la fédération (lire en page 26 l’entre-tien avec Yves Debonnaire), «le cas du tennis est un peu dif-férent», analyse Emmanuel Bayle, professeur de gestion à l’Institut des sciences du sport (ISSUL).

En France, depuis la victoire de Yannick Noah en 1983 à Roland-Garros, quasiment tous les joueurs pros sont des «produits» issus de la Fédération française de tennis (FFT). En Suisse, ce n’est pas vraiment le cas. Stan Wawrinka, Belinda Bencic, Timea Bacsinszky et Martina Hingis ont tracé leur voie soit grâce à leur famille, soit grâce à des structures privées. Et le seul qui a bénéficié de l’aide de la Fédération suisse (Swiss Tennis), c’est Roger Federer. Le seul qui, peut-être, vu son talent, n’en avait pas vrai-ment besoin... «Si bien qu’en Suisse, il est difficile de corré-ler les résultats d’un sportif à la politique de la Fédération», constate Emmanuel Bayle.

Le modèle françaisDans le tennis, depuis des années, trois modèles de forma-tion prennent le dessus. Le modèle fédéral, avec la France comme exemple. Ancien joueur, entraîneur et dirigeant, le professeur Bayle est un observateur avisé du milieu. «Dans l’Hexagone, la Fédération place beaucoup d’argent sur des enfants qui ont entre 8 et 9 ans, même avant, parfois. Envi-ron 20 000 francs pour l’entraînement de base par an pour les plus talentueux. Concrètement, la Fédération subven-tionne l’entraîneur et la participation aux tournois. Les meilleurs rentrent dans le Pôle France vers 12-13 ans. S’ils confirment ces prédispositions, ils passent par l’Institut national du sport (15-17 ans) et le Centre national d’entraî-nement à Roland-Garros avec de toutes nouvelles installa-tions (entre 18 et 22 ans). Là encore, la Fédération débour-sera entre 100 000 et 200 000 francs pour financer une saison, sachant que les joueurs ne gagnent pratiquement rien et qu’ils n’ont pas encore de sponsors.»

Les académies et le modèle suisseLes académies privées sont un deuxième modèle de forma-tion. Il y en a partout en Europe et aux Etats-Unis : l’une des plus connues, la Nick Bollettieri Tennis Academy, a formé ou formaté depuis 1978 plusieurs champions comme Agassi, les sœurs Williams, Courier, Capriati, Sampras, Seles ou encore Hingis. Dans ce cas, il faut un mécène pour finan-cer le joueur, que ce soit la famille, ou alors l’académie qui joue les mécènes et qui se rattrape ensuite sur les gains de ses poulains...

EMMANUEL BAYLEProfesseur associéà l’Institut des sciences du sport (ISSUL).Nicole Chuard © UNIL

POUR QU’UN JEUNE ATTEIGNE LES PORTES DU PROFESSION-NALISME, IL FAUT COMPTER ENVIRON DIX ANS DE FORMATION.

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Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 25

qu’il y a très peu d’élus et que la concurrence internationale est forte, les familles, les enfants et les ados doivent rapide-ment calculer leurs risques.

Une petite entreprise pour devenir un championLa précarité est plus grande au tennis. «En Suisse, les jeunes qui se lancent dans ce sport sont dans l’initiative privée. Ini-tiative qui fait partie intégrante de la culture nationale, libé-rale et entrepreneuriale. Ce sont des gens qui ont pris en main leur vie et leur destin afin de créer les conditions pour devenir champion. Trouver les conditions, c’est trouver l’en-traîneur, le préparateur physique, mental, la personne qui va s’occuper du marketing... créer une petite entreprise pour devenir champion. Federer comme Wawrinka répètent tou-jours qu’ils doivent beaucoup à leur entourage. Tous ces points pourraient expliquer la réussite suisse sur cet aspect “cham-pion”, car c’est bien ça la particularité ! Il y a peu de profes-sionnels, mais les joueuses et les joueurs suisses deviennent des champions !»

En Suisse, il y a environ 165 000 membres actifs qui sont adhérents à Swiss Tennis. Seuls la gymnastique et le football font mieux en termes de membres. L’image que véhiculent les Federer, Wawrinka ou Hingis aide à l’essor du tennis dans notre pays, mais avant eux les Günthardt, Hlasek, Rosset et Hingis avaient déjà décomplexé ce sport grâce à leurs nom-breux titres. «Ensuite, c’est à la capacité de Swiss Tennis et de ses clubs de fidéliser des gens qui vont jouer au tennis, des parents qui vont pousser leurs enfants à entrer dans la filière de la Fédération. Bien sûr que la politique de Swiss Tennis joue un rôle. Elle amène un vivier, elle fait émerger des jeunes qui ont envie de jouer à un bon niveau et ensuite les meilleurs devront faire des choix. Donc, on ne peut pas affirmer que les joueurs sont des “produits” de Swiss Tennis.»

«Il y a une bonne base en Suisse»Tous les joueurs, de Bacsinszky à Wawrinka, ont tapé leurs premières balles dans un club de tennis, près de chez eux. Ils ont disputé des interclubs ou des tournois nationaux. «Il y a donc une bonne base et la Suisse ne va pas s’effon-drer quand Federer et Wawrinka vont s’arrêter», poursuit Emmanuel Bayle. Pour le professeur de gestion à l’Institut des sciences du sport, cette base est suffisante pour «faire éclore» plusieurs joueurs professionnels. Mais, compte tenu de la taille de la population, ce ne sera pas 10 joueurs que la Suisse pourra placer dans le Top 100, mais plutôt deux ou trois dans le Top 200 ou Top 300 de l’ATP. «Et je parle de pro-fessionnels et non pas de champions !»

Depuis que Federer s’est mis à briller, il y a eu une forte émulation parmi toutes les étoiles. Le roi suisse a métamor-phosé la pensée du tennis helvétique. «Désormais en Suisse, on ne se dit plus qu’on espère le faire, on ne se donne pas le droit de ne pas y arriver !», conclut Emmanuel Bayle. Une nuance sémantique qui permet toujours à la Suisse de rêver en grand cet été sous le soleil de Rio.

Swiss Tennis est le troisième modèle, «hybride», analyse Emmanuel Bayle. «Swiss Tennis accompagne les joueurs, mais ne peut pas mettre autant d’argent que la Fédération française. C’est un modèle qui laisse beaucoup de place à l’initiative privée. Cela signifie que, à côté il faut aussi des mécènes ou des parents qui financent.» Swiss Tennis n’a pas les moyens de soutenir les joueurs jusqu’à leur éclosion professionnelle. La Fédération offre une structure solide, peu d’argent, mais une filière, un centre d’entraînement national à Bienne, de nombreux entraîneurs et des prépa-rateurs physiques.

«Les Suisses ne sont pas des joueursmais des champions»Pour qu’un jeune atteigne les portes du professionnalisme, il faut compter environ dix ans de formation. Dix ans pour acquérir et atteindre de bons niveaux techniques, phy-siques, tactiques et psychologiques. La suite est une ques-tion d’alchimie. «La particularité des joueurs suisses, c’est que ce ne sont pas des joueurs professionnels mais ce sont des champions», observe Emmanuel Bayle. «Même si l’ana-lyse est plus subtile, les experts estiment que l’entrée dans le professionnalisme commence lorsqu’un jeune entre dans le classement des 300 meilleurs joueurs mondiaux de l’As-sociation des joueurs de tennis professionnels (ATP). Mais pour gagner leur vie, ils doivent se classer dans le Top 100.» Ensuite, il faut bien faire la différence entre un profession-nel et un champion. Un champion est celui qui goûte au céleste et qui fait partie des dix meilleurs joueurs du monde et gagne des titres majeurs.

La prise de risque financière pour les joueurs qui veulent atteindre le sommet de la pyramide ATP est beaucoup plus grande en tennis que dans des sports collectifs comme le football ou le hockey. Compte tenu du fait que les joueurs de tennis sont des travailleurs indépendants et non salariés,

«LA SUISSE NE VA PAS S’EFFONDRER QUAND FEDERER ET WAWRINKA VONT S’ARRÊTER»EMMANUEL BAYLE

ROGER FEDERERTout comme Stan Wawrinka, le Bâloisrépète qu’il doit toutà son entourage.Ici, lors des Swiss Indoors 2015.© Georgios Kefalas / Keystone

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L’équipe suisse de football a dis-puté la phase finale de l’Euro, en 2004 au Portugal. Elle était en

Allemagne, pour le Mondial de 2006. Elle a évidemment participé à l’Euro 2008, puisqu’elle était co-organisa-trice avec l’Autriche. La Suisse est en-core montée dans le bus du Mondial 2010 en Afrique du Sud et dans celui de 2014 au Brésil. Et elle participera à l’Euro, cet été en France. Une seule ombre dans ce tableau, l’Euro 2012 en Pologne et en Ukraine, le seul grand rendez-vous manqué ces douze der-nières années. Un bilan, en termes de participation, qui est comparable à celui de l’Angleterre, et meilleur que celui de la Turquie ou des Pays-Bas. Comment expliquer cette réussite ? Yves Débonnaire, enseignant à l’Ins-titut des sciences du sport et sélection-neur des M17 (moins de 17 ans), nous livre son analyse.

AS : Que fait de juste la Suisse pour réussir à se qualifier pour une nou-velle phase finale d’un grand rendez-vous, comme l’Eurofoot en France ?Yves Débonnaire : Il faut clarifier un point. Pour la majorité des gens, il est devenu «normal», voire banal, que l’équipe de Suisse se qualifie pour une phase finale, que ce soit pour l’Euro-foot ou la Coupe du monde. Ce n’est pas du tout le cas ! Une qualification de la Suisse à une phase finale doit toujours être soulignée comme une

a eu un impact sur le plan de la vi-sibilité et surtout sur le plan finan-cier. Grâce au sponsoring, l’Associa-tion suisse de football (ASF) a pu se structurer et engager des entraîneurs professionnels. En 1995, Hansruedi Hasler a été nommé directeur tech-nique, Dany Ryser, chef de la forma-tion des entraîneurs et Hans-Peter Zaugg chef des sélections. Ces trois personnes et d’autres ont mis en place des fondations très solides. Le sélec-tionneur de l’époque, le Britannique Roy Hodgson (qui a guidé l’équipe de 1992 à 1995, et qui est aujourd’hui sélectionneur de l’Angleterre, ndlr) a donné une structure et une identité très forte au jeu helvétique avec à la clé une nouvelle philosophie de jeu : «La Suisse joue en zone, elle joue avec dynamisme et de manière offensive !» Sans cet amalgame, nous n’en serions pas là aujourd’hui.

C’est donc en profondeur que les changements ont eu lieu... ?L’ASF s’est professionnalisée, puis ce sont les clubs qui se sont profes-sionnalisés. Des partenariats ont été noués et aujourd’hui, 5 à 6 millions par année sont versés par la Swiss Football League et l’ASF pour la for-mation dans les clubs. Des entraîneurs sont devenus le relais entre l’ASF, les clubs et les joueurs. Notre idée est de former des jeunes joueurs dans les dif-férentes catégories d’âges à partir des

Depuis 2004, la Suisse est devenue une habituée des phases finales des grands tournois mondiaux et euro-péens. Comment expliquer cette réussite spectaculaire, eu égard à sa taille et sa population ? Entretien avec Yves Débonnaire.

très grande performance. De par ses infrastructures, ses ressources limi-tées et son petit bassin de joueurs, cela reste un exploit.

Qu’est-ce qui a amené la Suisse à ce niveau ? Quel a été le déclic ?Le tournant, c’est en 1994, avec la ré-apparition de l’équipe nationale à la Coupe du monde aux Etats-Unis, qui

EN FOOTBALL, LA SUISSEA PARIÉ SUR LA FORMATION

YVES DÉBONNAIREIl enseigne à l’Institut des sciences du sport de l’UNIL. Il est aussi responsable du Service de l’instruction à l’Asso-ciation suisse de football (ASF) et sélectionneur suisse des M17.Nicole Chuard © UNIL

SPORT

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moins de 15 ans et ainsi de suite pour in fine les retrouver en haut de la pyra-mide et avoir une équipe A de grande qualité. L’ancien directeur technique, Hansruedi Hasler, avait cette formule pour les jeunes : «Talent x possibilités x volonté = succès». Le talent, le joueur le possède puisqu’il évolue en équipe de Suisse. Les possibilités, c’est l’ASF qui va les offrir, comme par exemple de participer à des stages et des com-pétitions avec les diverses équipes nationales.

Et il reste le troisième point, une vraie inconnue. Quand l’ASF choisit un jeune joueur, elle ne connaît pas sa vo-lonté de vouloir progresser, s’amélio-rer, tout donner pour être meilleur. Et le «tout» nous pose un problème pour les jeunes entre 17 et 20 ans. Car c’est à ce moment que les choix s’opèrent, ce qui faisait dire à Hansruedi Hasler : «Si je mets 1 au talent x 1 aux possi-bilités x 1 à la volonté, ça donne 1 = réussite ! Mais si un des trois est 0, eh bien 1 x 1 x 0 = 0... donne un échec !» C’est très simple. Pour l’ASF, choisir sur le potentiel d’un jeune reste très aléatoire. il faut accepter qu’il y ait des hauts, des bas et des échecs.

Lorsque, en 2009, l’équipe natio-nale des moins de 17 ans remporte la Coupe du monde, premier titre majeur pour la Suisse en football, c’est une consécration, un aboutis-sement, une réussite ?C’est une performance absolument ex-ceptionnelle, mais ce n’est pas auto-matiquement un moment charnière pour le football suisse. Cette victoire permet de nous dire que nous avons bien travaillé, et qu’il faut continuer de cette manière. Comme nous avons continué en 2002, lorsque les moins de 17 ans ont été sacrés champions d’Europe. Attention, ce n’est pas de la fausse modestie. Mais depuis 2009, nous n’avons plus gagné de titre. Le but premier de notre formation, c’est que les joueurs qui ont disputé ces fi-nales se retrouvent un jour avec notre cadre A. De la volée championne d’Eu-rope, quelques joueurs y sont parve-nus : Barnetta, Ziegler, Senderos. De celle championne du monde aussi, comme Xhaka, Rodriguez, Seferovic et Drmic. Mais la volée 1991, qui n’a pas été championne d’Europe ou du Monde, a aussi fourni des joueurs de top niveau comme Mehmedi, Shaqiri

et Lang. Et pour nous, c’est juste ex-ceptionnel ! Le but d’un titre chez les jeunes, c’est de les faire évoluer, gran-dir, mûrir ! Malheureusement, beau-coup de ces jeunes se perdent en route... entre blessures, mauvais choix, mau-vais encadrement.

Ces titres servent tout de même à faire grandir l’ASF et les joueurs ?Les titres apportent la confiance et la force. Parce qu’ils montrent que, oui, c’est possible ! Oui, la Suisse peut le faire, et oui, elle y arrive. C’est déjà un premier pas. Mais ce n’est qu’un pas-sage. Pour l’instant, ces titres ne sont que l’œuvre de nos jeunes sélections. Il faudrait un aboutissement avec un titre, une grande performance avec l’équipe première pour couronner toutes ces an-nées de formation. En tant que petite nation, nous nous devons d’évoluer et d’être à la pointe. Nous n’avons pas les mêmes moyens que nos voisins, que ce soit sur le plan humain, financier ou structurel. Nous sommes obligés de rester créatifs. Et si la Suisse venait à ne pas se qualifier deux ou trois fois de suite pour une phase finale, cela nous mettrait en grande difficulté.AM

EN COUPEDU MONDEHaris Seferovic est talonné par l’Argentin Javier Mascherano,lors des 8e de finaledu Mondial 2014,au Brésil. Un match perdu par la Suisseaprès prolongations.© Frank Augstein / AP Photo / Keystone

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TENDANCELes citadins redécouvrent les bonheurs simplesdu jardinage.© Casarsa / iStock

LES NOUVELLES VILLES

VERTESDepuis une quinzaine d’années, la nature semble reprendre ses droits dans les milieux urbains, qui aiment à la redécouvrir, à coups de potagers urbains, pelouses en friche et autres réalisations végétalo-architecturales tape-à-l’œil. Le point avec Joëlle Salomon Cavin, spécialiste en Aménagement du territoire, et le biologiste Daniel Cherix. TEXTE ANNE-SYLVIE SPRENGER

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LES NOUVELLES VILLES

ÉCOLOGIE

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ÉCOLOGIE

JOËLLE SALOMONCAVINMaître d’enseignementet de rechercheà l’Institut de géographie et durabilité.Nicole Chuard © UNIL

Rat des villes ou rat de champs ? Longtemps, il fal-lait choisir son camp. Les amoureux de la nature se décidaient souvent à prendre le large pour la cam-pagne, tandis que les âmes citadines se rendaient dans les grandes villes, abandonnant leur bout de

terre familial pour un mode de vie jugé plus moderne.Aujourd’hui, la séparation entre milieu urbain et paysan

n’est plus aussi radicale. Alors qu’il y a encore quelques décennies, on cantonnait la nature en ville à quelques pelouses de ronds-points fleuries et millimétrées, à pré-sent les villes s’amourachent des espaces verts à gogo, entre talus laissés en friche, potagers urbains et autres créations architecturales invitant le végétal au cœur même de leur concept.

Sur ce point, l’exemple le plus récent et notoire n’est autre que ce gratte-ciel qui devrait prochainement être érigé à Chavannes, dans le quartier des Cèdres, soit une tour de 117 mètres de haut, avec 35 étages, mais aussi 80 arbres et 3000 mètres carrés d’arbustes sur ses terrasses ! A noter encore que cette «tour-forêt», imaginée par l’archi-tecte Stefano Boeri, a été votée à l’unanimité, et ce même

face aux projets présentés par des noms illustres comme Mario Botta – c’est dire l’engouement actuel pour ce genre de réalisations vertes.

Une «vraie» nature ?Mais que penser de cette tendance actuelle ? Augure-t-elle d’un vrai retour de la nature en ville, ou ne faut-il n’y voir qu’un attrait purement esthétique, et donc forcé-ment passager ?

Pour Joëlle Salomon Cavin, maître d’enseignement et de recherche en Politiques territoriales à l’UNIL, il est important de préciser que «la nature en ville a toujours existé, mais elle a longtemps été niée». La spécialiste en veut pour preuve le cas probant des naturalistes (biolo-gistes, écologues, etc.) qui ne s’étaient jusque-là jamais intéressés à cette nature au cœur des villes : «Celle-ci ne leur paraissait tout simplement pas digne d’intérêt, en tout cas pas comme pouvait l’être celle que l’on trouve dans des espaces sauvages.»

Or, depuis quelques années, fait remarquer la cher-cheuse, «les protecteurs de la nature reviennent en ville. Des acteurs comme Pro Natura se soucient de cette «sous-nature» urbaine qu’ils avaient toujours jugée sans valeur, soit parce qu’ils la considéraient inintéressante en soi ou comme trop modifiée par l’homme.» Joëlle Salomon Cavin évoque alors les pionniers de l’école d’écologie urbaine, à Berlin, dans les années 80 : «Ils ont été les premiers à s’in-téresser à la nature en ville et à démontrer qu’il y avait de la biodiversité en milieu urbain.» Mieux : «Que la ville pouvait même être un refuge pour certaines espèces chas-sées des périphéries urbaines par l’agriculture intensive !»

La chercheuse cite alors l’exemple emblématique du faucon pèlerin : «Cet oiseau est un chasseur de mulots, mais ceux-ci ont été décimés par l’agriculture. Le rapace s’est donc déplacé ces dernières années en ville, où il a pu trouver d’autres petits animaux à manger. Il est dès lors devenu une espèce urbaine.»

Changement de perspectiveEst-ce à dire que l’on aurait sous-estimé les villes en tant que terres d’accueil de la biodiversité ? «Totalement», répond Joëlle Salomon Cavin qui cite encore «la variété de mousses et lichens apparemment exceptionnelle en milieu urbain». Et de conclure : «Cette prise de conscience a bouleversé notre imaginaire traditionnel selon lequel il n’y aurait pas de nature en ville, ou qu’une pauvre nature, et que la campagne serait le lieu de la nature par excellence. Or il y a des zones extrêmement polluées et stérilisées dans les espaces agricoles, et de réels écosystèmes en milieux urbains. La distinction entre la ville qui serait stérile et la campagne fertile est aujourd’hui totalement dépassée.»

Ce changement de perception apparaît en effet des plus radical, et n’allait de ce fait pas manquer de modi-fier la manière même de gérer ces espaces de nature en

Institut de géographie et durabilitéwww.unil.ch/igd

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DANIEL CHERIXProfesseur honoraire au Département d’écologie et d’évolution.Nicole Chuard © UNIL

plein cœur de nos cités, comme nous le confirme Daniel Cherix, professeur honoraire au Département d’écologie et d’évolution : «Depuis une quinzaine d’années, beaucoup de choses ont changé. Principalement, on est passé de l’ob-session de la tondeuse à gazon à un entretien différencié.» Soit à des interventions qui se veulent aujourd’hui respec-tueuses des particularités de chaque site.

Même observation du côté de la spécialiste en Politiques territoriales de l’UNIL : «Dans les services de gestion des espaces verts, on a largement abandonné une perspective très horticole pour une vision plus orientée sur l’écologie et la gestion des biotopes. De nouvelles préoccupations ont émergé, en lien avec des soucis de conservation de la nature, alors qu’auparavant on ne considérait les espaces verts urbains que comme des espaces à aménager.»

Le grand retour du «naturel»Révolu désormais, le penchant très helvète d’entretenir tous les espaces verts d’une ville de manière standardisée ! Aujourd’hui, les villes souhaitent prendre en compte les spécificités de chaque zone verte, pour mieux les accom-pagner dans ce qu’elles nomment dorénavant «leur voca-tion». «Dans la pratique, et en caricaturant un peu, un jar-dinier ne sera plus amené à entretenir de la même manière le gazon d’une piscine et, à l’autre extrême, un talus en bord de route», expose, de façon des plus limpide, la bro-chure sur le sujet édité par la Ville de Lausanne, «véritable précurseur en la matière», selon le professeur.

Outre la mise en place d’une fauche tardive de ses talus en vue de préserver la biodiversité de leur flore et petite faune, la capitale vaudoise s’est également engagée à stop-per toute utilisation de pesticides, se réjouit le biologiste. A cela s’ajoute encore, précise-t-il, la participation de la ville à des programmes européens, comme le «Urban bees». Soit l’aménagement d’«hôtels pour les abeilles sauvages», qui jouent un rôle essentiel dans la pollinisation de toutes sortes de plantes, sauvages ou cultivées, et aussi des arbres frui-tiers. Des actions qui marquent, on ne peut que le constater, un réel progrès en matière de biodiversité. Ce d’autant plus que les initiatives des collectivités se conjuguent avec une réelle prise de conscience au niveau de la population, qui se révèle toujours davantage soucieuse de ces questions.

«Toutes les études montrent aujourd’hui que les gens, s’ils ont le choix, optent toujours pour un aménagement plus naturel», note le biologiste. «Il y a une véritable prise de conscience qui fait que la majeure partie des mesures prises par les différents services en faveur de l’environ-nement vont être bien acceptées.» Mieux : de plus en plus de particuliers se lancent dans des projets en lien avec ce retour de la nature en ville. Les jardins urbains et autres potagers associatifs sont dans ce sens en pleine expan-sion dans les villes. «Les citadins veulent aujourd’hui de la nature à leurs portes», relève Joëlle Salomon Cavin. «Ces potagers et pratiques jardinières urbaines sont, pour beau-

coup de gens, une manière de retrouver un lien avec la terre et les saisons, qui leur manquait.»

La biodiversité en fête ?Ville et nature seraient donc aujourd’hui à nouveau réu-nies pour le meilleur ? «Tout n’est pas aussi rose que cela», nuance Daniel Cherix. Car si la préservation de la biodi-versité est le principal avantage de cette révolution, «il faut encore habituer les gens aux conséquences de ces chan-gements», souligne-t-il. «Si un talus fleuri paraît sponta-nément très sympathique, le changement est plus diffi-cile à accepter pour ce qui est des parcs et autres zones de délassement...»

Certes, selon les différentes études, nous relate Daniel Cherix, une très grande majorité des citadins se déclarent en faveur de la protection de l’environnement. Mais le fait est que souvent ces derniers idéalisent cette nature qu’ils veulent à tout prix remettre dans leur quotidien. «Prenez l’exemple du loup», expose le biologiste. «En ville, près des deux tiers de la population sont favorables au loup, tandis qu’à la campagne vous n’en trouverez à peine que 2 %

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en sa faveur.» Le cas de figure est certes extrême, mais il illustre bien la différence de mentalités entre citoyens des villes et citoyens des champs, certainement plus conscients des problèmes que peut aussi poser la nature.

Le biologiste cite un exemple plus répandu pour illus-trer son propos : celui de cette mode des années 80 qui était de créer ce que les gens appelaient à tort des bio-topes, soit un petit étang dans leur jardin. «En théorie, ces initiatives étaient des plus heureuses car en Suisse, près de 70 % des zones humides avaient disparu en moins d’un siècle.» Pourtant, la réalité n’était pas celle escomptée par les propriétaires de ces jardins : «Ils s’imaginaient avec des libellules, des coléoptères aquatiques et n’avaient à aucun moment songé aux grenouilles qui viendraient chanter au printemps sous leurs fenêtres.» Et d’ajouter : «Ils ont pré-féré alors mettre dans leur mare des poissons rouges et des tortues qui n’ont rien à faire dans cet environnement. Le fait est que les gens adoptent une attitude nature, mais ne sont pas prêts à accepter les conséquences qui vont avec. Ils veulent bien d’une gouille d’eau dans leur jardin mais ne veulent pas les espèces locales qui vont s’y invi-ter parce qu’elles font du bruit ou en tout cas dérangent d’une manière qui ne leur est pas supportable.»

Problèmes de cohabitationHommes et faune sauvage ne font peut-être pas si bon ménage que ça, n’en déplaise aux utopistes. «Certains problèmes de cette cohabitation ne sont clairement pas réglés», expose le biologiste, en citant notamment les dégâts importants causés par certaines espèces comme les étour-neaux, les corneilles ou encore les fouines : souillures d’ex-créments, câbles rongés, graines déterrées, etc. Et le pro-blème se pose également dans l’autre sens : l’arrivée (ou

la prolifération) de certaines espèces en ville ne signi-fie pas pour autant qu’elles y trouvent un habitat qui leur soit bénéfique...

«Il ne faut pas oublier qu’en ville, on demeure dans un écosystème en partie artificiel», rappelle Daniel Cherix. «La lumière et le bruit représentent d’importants facteurs de stress sur certaines populations, notamment sur les pas-sereaux. Car s’il y a de la lumière, cela signifie qu’il peut y avoir un prédateur», explique-t-il. «Les oiseaux ne vont donc dormir que d’un œil et cela va avoir des impacts néga-tifs sur leur physiologie.»

Autre problématique urbaine, la nourriture trop grasse ingurgitée par les moineaux des villes : «Ce facteur grais-seux trop important chez les jeunes individus va avoir des conséquences sur leurs capacités à pondre des œufs à l’âge adulte. Ce qui au final va aller dans le sens d’un déclin de cette population urbaine», note encore le biologiste.

Mais alors, au final, que faut-il en déduire de ce rap-prochement entre le vert et le bitume ? «La cohabitation a ses limites. On n’a pas encore réussi à résoudre un cer-tain nombre de problèmes.» Et surtout : sera-t-on prêt à y apporter les solutions qui s’imposent ? «Il y a des aména-gements possibles pour limiter la lumière dans les villes par exemple, comme avec le système testé à Yverdon où les réverbères ne s’allument qu’au passage des promeneurs.» S’en donnera-t-on les moyens ? L’avenir nous le dira. Quant aux désagréments de la nature sauvage, le biologiste reste lucide mais confiant : «Il y aura encore tout un travail à faire pour expliquer aux gens qu’on ne peut pas vouloir un jar-din naturel sans moustiques ni araignées. C’est difficile pour nos générations de changer de mentalités, mais nos enfants grandissent avec ces idées. Nous avons fait le pre-mier pas, ils feront sûrement le deuxième.»

ÉCOLOGIE

TOUR DES CÈDRESCet immeuble végétalisé de 117 m va sortir de terre à Chavannes, non loin du campus de l’UNIL.Il a séduit les jurésà l’unanimité.© Stefano Boeri Architetti

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Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 33

Depuis plusieurs années, le monde agricole s’est également rappro-ché des villes. «Physiquement, c’est

une évidence», lâche Joëlle Salomon Cavin. «En périphérie des villes, il y a de plus en plus de champs côtoyant des constructions. Ce mélange entre urbanisation et agriculture se fait pour le pire et le meilleur.» Car si voitures et tracteurs ne font pas bon ménage et qu’il n’est jamais agréable de voir son champ enclavé par des bâtiments, «cette proximité favorise les circuits courts», note la spécialiste. «Il y a une demande urbaine très forte pour l’agri-culture de proximité, notamment ce

de paysagistes aussi qui nous donnent à voir des villes où l’on transformerait tous les toits et parcs en champs. Mais il y a aussi des choses concrètes qui se font.» Avec les étudiants du séminaire d’«agriculture urbaine», elle mène jus-tement «des réflexions quant aux possi-bilités réelles de développer en ville une agriculture sur les toits». Et de citer en-core «des projets, comme à Genève, d’in-tégration de fermes dans les espaces pu-blics, ces fameux parcs agro-urbains, qui sont une autre manière d’intégrer concrètement l’agriculture dans la fa-brique d’une ville. C’est intéressant, mais moins spectaculaire...» ASS

La demande pour des produits locaux et des circuits courts stimule le mélange entre urbain et rural. Même si nous sommes encore loin de transformer tous les espaces verts en champs.

qu’on appelle l’agriculture contrac-tuelle de proximité avec ces fameux paniers maraîchers», souligne la cher-cheuse. «C’est une manière de rappro-cher le consommateur et le producteur, mais aussi un engagement de la part du consommateur à soutenir un cer-tain type d’agriculture.»

Sur les toitsQue pense-t-elle de ces spéculations quant à ces «Edible Cities», soit litté-ralement ces «villes consommables» ? «Il y a beaucoup de fantasmes autour de cette notion de villes productives. Beaucoup de délires d’architectes ou

DE L’AGRICULTUREAU CŒUR DE NOS CITÉS

BÂLEExemple d’agriculture urbaine, le “Gemein-schaftsgarten Landhof” est également un lieude rencontre pourle quartier.© Keystone/Branko De Lang

Mystères de l’UNIL 2016Les portes ouvertes sont consacrées à la ville (4 et 5 juin)www.unil.ch/mysteres

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SHENZHENVue sur la ville depuis le sommet d’une grue, lors de la construction du Pingan International Financial Center.En 2015, la croissance économique chinoise a été de 6,9 %, la plus basse depuis 25 ans.©Mao Siqian/XINHUA-REA

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ÉCONOMIE

Quand il s’agit de lutter contre le chômage, les politiciens attendent la croissance économique qui devrait doper les emplois. Problème : elle tarde à réapparaître, et certains économistes pronostiquent qu’elle ne reviendra pas. C’est vrai ? C’est grave ? TEXTE SONIA ARNAL

ET SI LA CROISSANCE NEREVENAIT PAS ?L’

économie mondiale est tirée en avant depuis plus de vingt ans par la Chine, qui a longtemps connu une croissance à deux chiffres. Pourtant, ces der-niers mois, elle peine à atteindre les 7,5 %. Ce qui est toujours bien mieux que la zone Europe, qui n’a

plus passé la barre des 2 % depuis la crise financière née des subprimes il y a quelque huit ans. Bref, les pays déve-loppés stagnent et les pays émergents semblent avoir fini

d’émerger. Est-ce la fin de la croissance perpétuelle ? La question préoccupe évidemment beaucoup les politiques – la croissance est corrélée au chômage (lire ci-dessous), et, bien sûr, rien ne vaut le plein-emploi pour doper sa cote auprès des citoyens.

Au-delà de ces préoccupations électoralistes, on entend s’élever les voix d’économistes qui pensent que la crois-sance pourrait ne plus jamais revenir aux taux atteints

Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 35

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36 Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne

Institut Créa de macroéconomie appliquéewww.hec.unil.ch/crea

jadis. C’est en partie le cas par exemple de Daniel Co-hen, directeur du Département d’économie de l’Ecole Nor-male Supérieure de Paris, qui dans Le monde est clos et le désir infini, défend la thèse d’un monde devenu trop pe-tit pour permettre l’essor économique par la conquête de nouveaux marchés. Il soutient aussi l’idée que la révolu-tion technologique que nous vivons – contrairement à la révolution industrielle du XIXe siècle – ne créerait pas pour l’instant une vraie croissance. D’autres spécialistes estiment même que cette mutation numérique va ralentir l’économie : elle détruirait des places de travail en confiant le job à des ordinateurs et des robots. Pour y voir plus clair dans le débat, le tour des enjeux avec deux économistes de la Faculté des Hautes Etudes Commerciales de l’Univer-sité de Lausanne, Délia Nilles et Mathias Thoenig.

1 QU’EST-CE QUE LA CROISSANCE ?

Sur sa définition, tout le monde est assez d’accord : il s’agit d’exprimer l’évolution du PIB (Produit Intérieur Brut) d’un pays ou d’une région d’une année à l’autre. Si le territoire

étudié a plus créé de richesses (et évidemment trouvé un marché pour écouler sa production…) durant les douze derniers mois que pendant la période précédente, la crois-sance sera positive. Sinon, elle est négative. Les ennuis commencent quand les spécialistes discutent de ce qu’il faut intégrer ou exclure dans le comptage de cette produc-tion. Un exemple ? «Le travail domestique non rémunéré, répond Mathias Thoenig, professeur à la Faculté des HEC et directeur du Département d’économétrie et d’économie politique. Les heures passées à s’occuper des jeunes en-fants ou des parents âgés ont une valeur, mais elle n’est pas prise en compte dans la production nationale.»

Certains économistes souhaiteraient donc intégrer ce type d’activités dans le bilan, mais, pour l’heure, seuls sont intégrés les services et biens qui font l’objet d’une tran-saction et qui ont donc un prix. «Ce qui pose la question délicate des prestations non marchandes fournies par les administrations, rajoute Mathias Thoenig. Là on compte quand même, au coût de revient.»

2 COMMENT CRÉE-T-ON DE LA CROISSANCE ?

«Si j’avais la réponse, je serais politicien!», s’amuse Ma-thias Thoenig. Créer de la croissance, c’est toute la ques-tion en effet. Comme paramètre de base, Délia Nilles, qui travaille dans le même département ainsi qu’à l’Institut de macroéconomie appliquée, cite tout de même la démo-graphie : «Plus il y a de monde, plus les besoins, donc la consommation, augmentent.»

Ce n’est là qu’un début, puisque les critères sont in-nombrables : la démographie seule ne suffit pas, encore faut-il que le pouvoir d’achat suive. Et sans explosion dé-mographique, mais avec un pouvoir d’achat par habitant en hausse, on peut aussi accélérer la consommation. «Bref, fondamentalement, ici comme ailleurs, c’est la loi de l’offre et la demande», résume la chercheuse. Reste que, quand on regarde des économies aux démographies et aux opportu-nités assez comparables, comme par exemple la France et l’Allemagne, on observe de vraies différences. Pourquoi ? «Parce qu’il peut y avoir des problèmes structurels – c’est le cas avec le marché du travail en France», répond Délia Nilles. Qui cite aussi la variété des industries présentes dans un Etat : «Le canton de Vaud a un tissu économique plus diversifié que Genève par exemple, où la finance a re-présenté jusqu’à 25% du PIB, cette part ayant diminué ces dernières années. En cas de crise financière, notre canton verra moins de répercussion sur sa croissance.»

Pour Mathias Thoenig, si on veut une économie en es-sor, il s’agit de «libérer les forces créatrices. Pour un pays comme la Suisse, il faut miser sur l’innovation, l’entrepre-nariat, la recherche et développement».

On peut aussi influer sur la croissance en jouant sur l’organisation de deux aspects : la concurrence entre en-treprises d’une part, et la loi sur le travail, déjà évoquée

ÉCONOMIE

DÉLIA NILLESDirectrice adjointe de l’Institut Créa de macro-économie appliquée, Maître d'enseignementet de recherche.Nicole Chuard © UNIL

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Département d'économétrie et économie politiquewww.hec.unil.ch/deep/home

par Délia Nilles, de l’autre. Pour illustrer son propos, Mathias Thoenig compare la France et la Suisse. La concur-rence entre les entreprises est, contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord, bien plus exacerbée chez nos voisins. «Pensez aux télécoms : les très nombreux opé-rateurs sont en guerre et proposent vraiment des tarifs plancher par rapport à la Suisse, où Swisscom, l’opérateur historique, occupe encore une place prépondérante. Pa-reil avec la grande distribution : elle est très morcelée en France, où de très nombreuses enseignes se partagent les parts de marché, alors qu’ici, on est presque en situation de duopole.» La loi sur le travail est par contre bien plus rigide en France, ce qui freine l’embauche. Car si ces deux élé-ments, ou plutôt la façon dont ils sont organisés, jouent un rôle déterminant sur la croissance, ils ont aussi des consé-quences sur le chômage.

3 POURQUOI Y TIENT-ON TELLEMENT ?

On aime la croissance, par exemple quand on est président de la République française, précisément parce qu’elle est corrélée au taux de chômage : si la croissance augmente, le chômage diminue. «C’est donc important pour être réélu de pouvoir se targuer d’avoir amélioré la croissance», pré-cise Délia Nilles, qui, comme son collègue, souligne que le vrai enjeu, politiquement, est l’emploi. «Mais il n’y a pas systématiquement de lien de causalité entre les deux», in-siste Mathias Thoenig. Ce n’est en effet pas l’augmentation de la production d’un pays qui en soi fait baisser le taux de chômage. Le professeur d’économie souligne aussi que ne considérer la croissance que comme une sorte d’an-tidote au chômage n’est pas la bonne stratégie : «Je suis Suisse et Français, donc bien placé pour voir qu’en Suisse il y a une vraie politique de l’innovation, et la reconnais-sance sociale qui va avec. En France, c’est bien moins le cas. La croissance, c’est avant tout un choix de société et de son futur.»

4 QUE SE PASSE-T-IL EN CAS DE PANNE ?

«L’absence de croissance, c’est comme la fièvre : le symp-tôme d’un problème, mais pas une maladie précise, image Mathias Thoenig. Il y a plein de manières différentes de ne pas faire de croissance.» Parmi les innombrables facteurs qui peuvent influer négativement, il y a la géographie et le climat, la structure de l’économie, la réglementation, la corruption, la défiance entre individus...

Concrètement, sur le plan des conséquences, quand l’économie se contracte, c’est un cercle vicieux qui s’ins-talle : les ménages consomment moins, donc la demande diminue encore et la production aussi, les rentrées fiscales sont en chute libre, alors que les dépenses de l’Etat pour le filet social, par exemple les indemnités chômage, augmen-tent. Bref, pas une bonne nouvelle...

5 LE ZÉRO CROISSANCE OU MÊME LA DÉCROISSANCE, C’EST UNE BONNE IDÉE?

Avoir comme objectif la fin de la croissance, c’est un drôle de programme politique. «Je pense que le terme est mal choisi, nuance Délia Nilles. Militer pour ça, c’est mal venu, il y aurait énormément de conséquences négatives sur le plan social. Comme on n’imagine pas les gens qui lancent cette discussion vouloir moins de rentrées fiscales pour l’Education, la Santé, et tous ces postes des finances pu-bliques qui sont les premiers rabotés en cas de crise, je sup-pose qu’il y a autre chose derrière, notamment la volonté d’instaurer un changement dans nos modes de consomma-tion, pour qu’ils deviennent plus respectueux de l’environ-nement. Il s’agit de faire évoluer les mentalités pour une consommation plus pensée. A ce projet, oui, je peux adhé-rer. Mais vouloir une vraie décroissance, ça, non.» Même interprétation pour Mathias Thoenig, qui pense aussi qu’il y a maldonne : «Je ne crois pas qu’il s’agisse de réduire le PIB, ni d’une critique du système capitaliste. Pour ce que j’en comprends, les militants du zéro croissance veulent

MATHIAS THOENIGProfesseur à la Faculté des HEC et directeurdu Département d’éco-nométrie et d’économie politique.Nicole Chuard © UNIL

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ÉCONOMIE

plutôt mener une réflexion sur le fait que nombre de res-sources utilisées dans notre système de production ne sont pas infinies. Ce qui pose la question, intéressante, du projet de société que nous voulons. Mais se pencher par exemple sur les énergies renouvelables ne veut pas dire qu’on re-nonce à la croissance. Au contraire : exploiter au mieux les énergies propres, produire en polluant moins, implique d’investir dans la recherche et de développer de nouvelles technologies, ce qui va créer de la croissance dans le futur.»

6 GOOGLE, MICROSOFT ET LES AUTRES VONT-ILS

TUER LA PROSPÉRITÉ?

Si Mathias Thoenig pense que le développement de cer-taines nouvelles technologies est susceptible de participer à la croissance, les avis sur la question sont disputés. Le Fo-rum de Davos 2016 était précisément consacré aux consé-quences de la révolution technologique que vit le monde économique, par exemple avec une robotisation de tâches de plus en plus complexes, notamment sur l’emploi (lire éga-

lement Allez savoir ! 60, mai 2015). «Les premières études sur le sujet – mais il en faudra encore bien d’autres pour confirmer – concluent à un possible ralentissement du PIB, explique Délia Nilles. La productivité ne va pas connaître le même bond qu’avec la révolution industrielle, donc il y aura peu d’impact sur le PIB.» La chercheuse de l’UNIL souligne que, si les nouvelles technologies sont un élément de la ré-flexion sur la croissance dans le futur, il y a aussi le vieillis-sement de la population qui entre en ligne de compte. Avec les rentes à verser, les coûts de la santé, tout le système so-cial va devoir être réformé.

«C’est vrai que les robots vont remplacer certains jobs, et de ce fait participer aux mutations du marché du tra-vail, confirme Mathias Thoenig. Certains pessimistes en déduisent que la croissance ne sera jamais plus la même. Mais on peut voir ces mêmes changements comme une op-portunité, car la force de travail ainsi libérée pourra se re-déployer vers d’autres activités et contribuera, pourquoi pas, à une autre façon de créer de la richesse! Le défi me semble possible.»

FRANCELa ministre du Travail Myriam El Khomrià l’Assemblée nationale. Son projet de réformedu code du travail a suscité de fortes oppo-sitions. La croissanceest corrélée au tauxde chômage.© Charles Platiau / Reuters

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«La Rochefoucauld disait que ni le Soleil ni la Mort ne peuvent se regarder fixement, illustre d’em-blée Isaac Pante, maître

d’enseignement et de recherche à la Section des sciences du langage et de l’information de la Faculté des Lettres de l’UNIL. Puisqu’on ne peut pas l’observer directement, nous sommes contraints à adopter diffé-rents regards indirects pour l’étu-dier.» Là est le problème de la tha-natologie. Etude de la mort ? Donc de la vie ? Selon quelle discipline et quel champ ?

A l’inverse de la biologie, en tant que science de la vie au champ struc-turé et délimité, la thanatologie est un domaine très vaste qui englobe des savoirs très divers. Du grec tha-natos, la mort, et logos, le discours ou la science, elle ne dispose d’aucun ou-til pour mieux voir et comprendre ce qu’est la mort, en regard du micros-cope pour la médecine ou la biolo-gie. «Etudier la mort, c’est très sou-vent regarder la vie qui la recouvre. La datation d’un cadavre doit par exemple étudier les formes de vies qui reviennent l’habiter.»

Pour une vision plus ciblée et concrète de la thanatologie, il faut se tourner vers les acteurs qui rentrent dans son champ. «Si nous peinons à étudier la mort elle-même, nous pouvons tra-vailler sur toutes les manifestations qui l’accompagnent ou qui essaient de la nier. Et là, toutes les disciplines ont leur mot à dire.» Ainsi, des an-thropologues spécialistes des rites funéraires selon des époques et des cultures définies, un sociologue pro-duisant une analyse comparée des cimetières ou un prêtre aidant une famille durant une phase de deuil produisent chacun à leur manière un savoir thanatologique.

Tous thanatologues ?D’une certaine manière, nous serions donc tous, au niveau individuel, des thanatologues. Vrai ? «Jusqu’à un cer-tain point, oui. La confrontation à la mort nous amène presque automa-tiquement à sécréter une histoire, à mettre le ou la défunte en récit. Choi-sir une tombe, un cercueil, c’est déjà produire un discours sur la mort.»

Mais il y a aussi ceux dont le titre est protégé : les thanatopracteurs. Ceux dont le métier consiste à ré-

parer les corps, notamment après une détérioration due à un accident. Par là, il faut entendre une catégorie de personnes travaillant dans une morgue.

Est-on pour autant un spécia-liste de la mort ? «C’est bien le pa-radoxe de la chose : un thanatoprac-teur, quelqu’un qui retravaille les visages en permanence, peut totale-ment escamoter la thématique. N’ou-blions pas que quand nous parlons de la mort, le déni n’est jamais loin.»

En évolutionComme la mort concerne des do-maines en perpétuel développement, la thanatologie évolue logiquement selon les époques et les contextes. Le numérique, par exemple, suscite des questions nouvelles, dont celle du traitement des données en cas de décès en premier lieu. Comment des logiciels peuvent-ils identifier des profils d’utilisateurs décédés ? Que faire des comptes des défunts ? Qui pour les administrer ? Sur Face-book par exemple, les utilisateurs peuvent depuis un certain temps désigner un contact légataire. Les proches sont invités à transformer le compte en mémorial, ou simplement à le supprimer. Autant d’exemples qui montrent que la mort et son étude ne connaissent pas de contours défi-nis ni de fin. DAVID TROTTA

MOT COMPTE TRIPLE

Plus encore que la vie, la mort est un objet d’étude aux entrées multiples. Elle se décline de la médecine à la litté-rature, en passant par la sociologie, l’anthropologie, l’his-toire ou d’autres savoirs hors de la sphère académique.

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Ce mois, les très populaires «Angry Birds» et «World of Warcraft» deviennent des films. Mais les jeux vidéo ont aussi gagné les salles de concert symphoniques, ils sont déclinés en livres et en peluches, et ils sont même devenus un sport télévisé. Histoire d’une métamorphose qui rapporte des milliards, avec le sociologue Olivier Glassey. PROPOS RECUEILLIS PAR SASKIA GALITCH

LE JEU VIDÉOEST DEVENU UNSPECTACLEA

près Tomb Raider, Prince of Persia ou Resident Evil, c’est au tour d’Angry Birds et de World of Warcraft d’être transposés au cinéma. Comme on pourra d’ailleurs le voir ces prochains jours puisque les oiseaux fâchés ont pris leur envol

sur grand écran le 11 mai dernier, tandis que les vail-lants héros d’Azeroth envahiront les salles obscures dès le 25. Ces films sauront-ils satisfaire les millions d’afi-

cionados de ces deux mondes si particuliers ? Difficile à dire. Mais une chose est sûre : ces superproductions sont emblématiques de l’importance colossale du jeu vi-déo dans l’industrie culturelle. Et quand on dit «colos-sale»... Entre les consoles, les programmes, les applis et les produits dérivés comprenant des livres, des BD, des films, des dessins animés, des bandes-son ou encore des gadgets en tous genres, on estime que l’univers

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WARCRAFTCe film à gros budget, tiré des jeux vidéos,sort le 25 mai.© Legendary / Blizzard

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Laboratoire d'étude des sciences et des techniqueswww.unil.ch/stslab

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vidéoludique génère quelque 100 milliards de francs de revenus annuels. Comment comprendre et expliquer ce phénoménal succès ? Explications en compagnie du socio-logue, spécialiste des nouveaux médias et maître d'ensei-gnement et de recherche à l’UNIL, Olivier Glassey.

Le jeu vidéo est aujourd’hui la première industrie cultu-relle en termes de chiffres d’affaires. Comment cette épopée «ludico-économique» a-t-elle commencé ?Il faut remonter au début des années 70. A cette époque-là, il n’y avait pas de jeu vidéo à proprement parler, mais on voyait déjà pointer une soif pour quelque chose qui allierait l'infor-matique et le ludique. J'en veux pour preuve l’exemple de la première console de salon, Magnavox, sortie en 1972. Elle n'utilisait ni logiciel, ni processeur, ni mémoire et son gra-phisme était très limité (on pourrait le comparer au jeu de Pong, constitué de deux «raquettes» et d’une «balle» qui se baladait entre les deux). Concrètement, les joueurs étaient invités à prendre une feuille translucide correspondant au jeu désiré (course automobile, hockey sur glace...), puis à la

coller sur l’écran de leur TV. Ensuite, en faisant bouger un point lumineux, ils devaient respecter le tracé du circuit auto-mobile ou les limites du terrain dessinés sur le transparent ! Eh bien, malgré son minimalisme, cette console permettait déjà d’imaginer non seulement des mondes de simulations sportives mais aussi de fantasmer sur des univers fantas-tiques interactifs. A sa manière, elle annonçait les prémices de cette envie de plus en plus prégnante d’évasion dans le ludique numérique.

Malgré ce graphisme rudimentaire !En l’occurrence, ces gros pixels ont très rapidement été por-teurs d’une énorme part d’imaginaire. Evidemment, cet as-pect-là était largement encouragé par les services marke-ting des premiers producteurs de jeux. Mais au-delà de ça, nombreux sont ceux qui ont alors commencé à envisager la diversité des usages ludiques qu’on pourrait faire de ces systèmes-là ! Certains d’entre eux se sont lancés dans la conception de jeux vidéo et, petit à petit, ces programma-teurs amateurs qui travaillaient souvent seuls ou en toutes petites équipes ont constitué une communauté de passionnés – les ancêtres de ceux qu’on a appelés les geeks, par la suite.

Ils restaient tout de même assez marginaux...En fait, c’est à cette période que les appareils sur lesquels on pouvait jouer ont commencé à se diffuser : en plus des salles d’arcades et du début des consoles, ces années ont été mar-quées par l’arrivée des premières versions des ordinateurs domestiques. L’ordinateur, considéré jusqu’alors essentiel-lement comme un outil sérieux, s’est ouvert à des usages liés aux loisirs. Dès lors, une longue phase d’expérimenta-tions et de bricolages créatifs s’est déployée.

C’est-à-dire ?Ceux qui avaient envie de jeux les écrivaient eux-mêmes ! Au début des années 80, on trouvait par exemple un maga-zine appelé Hebdogiciel qui proposait, sur une dizaine de pages, des listings de codes que les lecteurs devaient reco-pier manuellement sur leur machine afin de pouvoir jouer au pendu ou à un autre petit jeu tout aussi basique !

Il fallait vraiment être motivé...A cette époque pionnière, il y avait cette idée que tout le monde pouvait coder son jeu et, en fait, on était même in-vité à le faire. Du coup, il y avait en effet un désir suffisant pour passer des heures à retaper des codes signe à signe – sachant que la moindre erreur de frappe invalidait tout. L’aspect ludique était souvent étroitement associé à l’idée de programmation.

Et aujourd’hui ?Cet univers paraît assez lointain : dans les moutures ac-tuelles, et notamment dans celles des consoles de jeux de dernière génération, cette capacité d’appropriation a quasi-

OLIVIER GLASSEYMaître d’enseignementet de rechercheà l’Institut des sciences sociales.Nicole Chuard © UNIL

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ment disparu. Des formes d’accès au code existent toujours mais elles sont rendues moins accessibles– voire considé-rées comme illégales.

Pour en revenir au passé... On a l’impression que tout a changé dans les années 80, non ?Oui. En plus du développement technologique, on assiste aussi à la naissance d’une nouvelle génération de héros po-pulaires assez improbables comme Pac Man, Super Mario, Q*bert ou Donkey Kong... A partir de là, il ne s’agissait plus simplement d’une collection de jeux mais aussi de palettes de personnages et de micro-histoires dans lesquelles les gens pouvaient s’investir. Le film Pixels, sorti l’été dernier, présente le monde moderne envahi par des figures emblé-matiques des jeux des années 80. En la détournant un peu, il reprend cette culture-là et témoigne de la fascination qui était train de se développer. Il faut aussi se rappeler qu’à l’époque, tout cela était absolument neuf et, logiquement, se révélait mystérieux et attirant, presque magique. Si, de nos jours, l’utilisation des ordinateurs et la pratique des ré-

seaux sociaux nous ramènent en permanence à notre quo-tidien et aux gens qu’on connaît déjà, dans ces années-là, le numérique était synonyme d’une dimension presque parallèle, un ailleurs à explorer... Un film comme Tron est emblématique de cette représentation du virtuel comme un nouveau monde.

Ce nouveau terrain de jeu permettait en outre qu’on y exporte des pratiques ludiques qu’on avait par ailleurs. On pouvait par exemple traduire les règles d’un jeu de rôle avec non seulement la possibilité novatrice d’y jouer seul mais, surtout, de déléguer à la machine la tâche de faire «vivre» ces mondes imaginaires à parcourir.

Dans les années 80-90, le jeu était surtout l’apanage des adolescents. Aujourd’hui, il est intergénération-nel. Comment expliquer cette bascule ?Les premiers adoptants de jeux vidéo ont vieilli et une par-tie non négligeable d’entre eux ont non seulement transmis cette pratique à leurs enfants mais, surtout, ne l’ont pas abandonnée malgré leur arrivée dans l’âge adulte. Ce

ANGRY BIRDSChuck, Red et Bombdans l’adaptation du jeu Angry Birds.© Rovio Animation

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qui brouille les cartes dans le sens où l’on ne peut pas faire un lien unilatéral entre une catégorie d’âge et la pra-tique du jeu vidéo ! En revanche, la pratique de certains jeux vidéo est clairement associée à des générations différentes.

On a l’impression que, depuis quelques années, prati-quement tout le monde s’est mis au jeu vidéo !Pour comprendre l’évolution de cette situation, on peut se pencher sur la question de la dématérialisation. Dans les an-nées 90, acheter un jeu vidéo impliquait de se déplacer dans un magasin pour aller y chercher une disquette ou un sup-port qu’on rapportait à sa machine. Mais le développement d’Internet et la prolifération des ordinateurs portables, puis des smartphones ou des tablettes ont considérablement sim-plifié l’accès aux jeux pour tout un chacun.

La mise en place de plates-formes de téléchargement a aussi permis l’émergence d’une offre indépendante foi-sonnante. Les concepteurs «indés» qui, contrairement aux gros éditeurs, n’avaient pas les capacités de production ni la possibilité logistique d’envoyer des jeux en magasin, ont tout à coup pu proposer des jeux originaux directement aux joueurs. Or, de nombreux gamers adultes qui n’étaient pas forcément satisfaits par les offres «grand public», qu’ils ju-geaient insipides, se sont reconnus dans ces créations en apparence marginale. Ils ont rapidement formé une masse critique qui a favorisé l’élaboration d’autres jeux – certains explorant des thématiques jusque-là délaissées, d’autres re-levant de paris artistiques différents. On a ainsi vu se déve-lopper des jeux qui allaient moins dans la surenchère pho-toréaliste mais reprenaient les codes de ce qu’on appelle le Pixel art et ceux du rétrogaming – soit des formes presque nostalgiques inspirées par l’esthétique et le gameplay des jeux des années 80/90. Au fond, on pourrait presque faire un parallèle avec le cinéma indépendant – qui a ses réseaux de distribution, ses publics, ses critiques, ses manières de légitimer et de distinguer ses œuvres par rapport à des pro-ductions plus commerciales dans lesquelles l’intérêt indus-triel conduit souvent à reproduire des recettes convenues et à prendre un minimum de risques artistiques !

Le monde entier se fédère autour de certains jeux comme Angry Birds ou Candy Crush. Comment ex-pliquer cette universalité ?Ce phénomène d’uniformisation est d’abord le produit d’un processus de marketing global guère différent de ceux vou-lus par de grandes compagnies de boissons gazeuses ou de vêtements de sport, par exemple. Un jeu comme GTA 5, manufacturé et développé dans une logique d’industriali-sation et de diffusion à très grande échelle, détient le re-cord toute catégorie du «produit de divertissement» ayant engendré le plus de revenus (1 milliard de dollars en trois jours), loin devant les plus gros blockbusters du cinéma. Et face au succès d’Angry Birds, les développeurs ont immé-diatement commencé à penser à... un parc d’attractions.

En définitive, la popularité des jeux vidéo est exploitée de manière assez classique par l’industrie culturelle avec son lot de produits dérivés.

Au-delà de ces aspects commerciaux, ce qui est sociologi-quement plus intéressant, c’est que la pratique d’un même jeu propose un cadre d’expérience commun à l’échelle planétaire. Il s’agit d’un référentiel partagé qui constitue une forme de lien potentiel entre les personnes qui ont parcouru le même univers ludique et vécu les mêmes situations virtuelles.

Stratégie marketing oblige, les jeux vidéo se déclinent de toutes sortes de manières. Les joueurs ont même leur chaîne de télévision sur Internet, «Twitch TV», qui réunit quelque 45 millions de gamers...«Twitch TV» est un phénomène fascinant et qui, de manière un peu provocante, permet de parler du jeu vidéo comme d’un art vivant. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’individus qui, souvent, se filment en direct en train de jouer et leur perfor-mance n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Présents physi-quement dans un coin de l’écran, ils jouent, ils commentent ce qu’ils sont en train de faire et, dans le même temps, ils essaient de maintenir un dialogue avec un ou plusieurs par-tenaires tout en remerciant les gens qui leur font des dons ou s’inscrivent à leur flux de vidéos... Il s’agit donc d’une prouesse multitâche qui, dans les faits, intègre le jeu vidéo comme un spectacle : l’«acteur» principal se met en scène et offre sa propre histoire sur un jeu, verbalise ses actions, se raconte et, ce faisant, habille sa pratique du jeu d’une couche narrative supplémentaire. Quant aux spectateurs, ils assistent à une représentation qu’ils peuvent commen-ter – ils ne s’en privent pas ! – et qui leur est potentiellement aussi utile qu’un tutoriel pour glaner des trucs et combines pour améliorer leur propre pratique.

Cela dit, en regardant plus précisément les flux de Twitch, on voit que l’attention se focalise aussi beaucoup sur des évé-nements d’E-sport. Et là, il s’agit encore d’une nouvelle dy-namique : les aficionados se retrouvent en direct pour com-menter un tournoi, apprécier les belles phases de jeu dans un cadre qui reproduit tous les dispositifs traditionnels d’une retransmission sportive – pubs et revenus liés à des spon-sors et/ou à des droits de diffusions compris !

Le jeu a décidément envahi tous les domaines !Sports, théâtre, télévision, livres, graphisme, cinéma... Le vidéoludique touche en effet à tous les domaines. A ce propos, il ne faut pas oublier que la production musicale associée au jeu est également très importante. Il y a même des concerts d’orchestres symphoniques qui reprennent les thèmes de jeux les plus connus !

D’une pratique de bricoleur dans son garage, le jeu est maintenant un univers qui draine l’ensemble des pratiques culturelles et, inversement, accepte aussi de se nourrir des autres médias. Et c’est probablement ce qui le rend si puissant.

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«LA PRATIQUE D’UN MÊME JEU PROPOSE UN CADRE D’EXPÉ-RIENCE COMMUN À L’ÉCHELLE PLANÉTAIRE.»OLIVIER GLASSEY

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Sur les rayons scintillent les reliures dorées de milliers de livres. Nous sommes dans la bibliothèque du Château d’Oron, réputée pour sa riche

collection de romans. «Ma pièce favo-rite...», murmure André Locher, le regard malicieux. Il ne fait pas plus de 7 degrés mais un rayon de soleil illu-mine un magnifique divan de velours rouge. «Quand je serai vieux, je vien-drai m’enfermer ici pendant quelques jours», révèle l’auteur de Châteaux et vestiges de Suisse occidentale (Ed. Favre).

Richement illustré par ses soins, le guide touristique paru en mars pré-sente une sélection de 138 bâtisses, forteresses et demeures anciennes. Une passion qui anime le physicien depuis son adolescence. «A 16 ans, je menais déjà les visites guidées du Château d’Oron.» Nous emboîtons le pas à notre hôte qui gravit, quatre à quatre, les escaliers qui mènent au donjon. A travers une meurtrière, il pointe du doigt sa villa. «J’ai une vue imprenable sur ces vieilles pierres.»

En 1997, André Locher lance son site swisscastles.ch. «Je souhaitais créer quelque chose autour du Château d’Oron et me suis vite rendu compte qu’il fallait élargir.» Aviateur et photographe, il commence à documenter, de haut, le territoire suisse. Pilotant d’une main et, de l’autre, photographiant à travers la fenêtre de son Piper Archer II. Sa caverne d’Ali Baba renferme aujourd’hui plus de 54 000 clichés, collectionnés au fil de ses 900 heures de vol. «Et encore, ce ne sont que les vues aériennes», s’empresse-t-il d’ajouter fièrement. Avant l’arrivée des drones, la vente de ses images couvrait une partie des heures de vol. Il continue aujourd’hui à piloter

au gré de ses envies, «pour laisser les soucis au sol et accéder à une liberté totale». A presque 64 ans, le président de l’Association pour la conservation du Château d’Oron n’est pas près de raccrocher. Il y a trois ans, il décolle de La Blécherette avec un ami – celui qui l’avait initié à l’aviation il y a près de trente ans – le temps d’un week-end à Prague. Cette année, il prévoit des voyages à San Francisco, Oslo et en Sardaigne avec son épouse. «Là je prends easyJet comme tout le monde», lance-t-il en rigolant.

Né à Bâle en 1952, André Locher débarque à Oron à l’âge de 6 ans. Il ne parle pas un mot de français. «A la fin de l’année, le président de la commission scolaire a mentionné dans son discours que j’avais des 10 partout. J’étais très gêné vis-à-vis de mes camarades...», se souvient-il. Une facilité qui le mènera naturel-lement au gymnase puis à l’UNIL, où il entame des études de physique en 1971. «Je louais une chambre à 100 fr., sans eau chaude, et utilisais les douches publiques de la gare, se remémore-t-il. Et nous n’étions que

trois étudiants en licence ! J’ai gardé contact avec la moitié d’entre eux», ajoute-t-il le sourire aux lèvres. Son moment favori : les travaux pratiques d’astronomie. A l’époque, l’assistant n’était autre que Claude Nicollier.

Jusqu’à sa retraite en 2011, André Locher a travaillé en tant qu’enseignant de physique, mathématiques et informatique, puis doyen de gymnase. Parallèlement, il a géré une Raiffeisen pendant quatorze ans, rédigé plu-sieurs ouvrages et assuré, entre autres, la vice-présidence de l’Association des châteaux vaudois. «Il faut simplement oser se lancer !» MÉLANIE AFFENTRANGER

ANDRÉ LOCHERLicence en sciences (physique) en 1975. Photographié dansla bibliothèquedu Château d’Oron.© Christophe Chammartin

La communauté des alumnide l’UNIL en ligne : www.unil.ch/alumnil

IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL

COLLECTIONNEURD’IMAGES

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ÉCONOMIEENSEIGNEMENT

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A Dorigny comme ailleurs, le pillage de la pensée d’autrui existe, même s’il est rare. Dans un esprit de préven-tion, l’UNIL vient de se doter de nouveaux outils réglementaires, pédagogiques et techniques afin de lutter plus efficacement contre le plagiat. TEXTE DAVID SPRING. ILLUSTRATIONS ORIGINALES DE JEHAN KHODL

SOUS LES PAVÉSLE PLAGIAT?

ORIGINALITÉCopier, c’est nierla possibilité de penser par soi-même.© Jehan Khodl

Le 1er mars 2011, le populaire ministre allemand de la Défense démissionna. La thèse en droit de Karl-Theodor zu Guttenberg, rebaptisé «Baron zu Goog-leberg», contenait en effet de nombreux passages co-piés ailleurs. Le politicien se fit même retirer son titre

de docteur. En avril 2012, ce fut au tour du président hon-grois Pál Schmitt de tomber pour la même raison. Et moins d’un an plus tard, c’est la ministre allemande de l’Educa-tion et de la Recherche, Annette Schavan, qui quitta ses fonctions suite à un scandale de plagiat concernant son

doctorat. Dans un autre registre, Michel Houellebecq se vit reprocher d’avoir retravaillé des extraits de Wikipedia ou de sites internet pour son roman La carte et le territoire.

Ces affaires récentes ont mis en lumière le plagiat, «une vraie question dans le monde universitaire contem-porain», estime Jérôme Jacquin, maître assistant en Sec-tions de français et des sciences du langage et de l’informa-tion, et président de la Commission de l’enseignement de l’UNIL. Dès 2013, cette dernière a entamé une réflexion et des travaux à ce sujet, en rassemblant des enseignants,

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des chercheurs et des étudiants de toutes disciplines. Depuis, l’institution s’est dotée d’un nouveau règlement concernant l’enseignement, de moyens pédagogiques de sensibilisation, ainsi que d’un logiciel de détection.

Voler les esclavesDe quoi parle-t-on ? «Le plagiat est la reprise – même ponc-tuelle, partielle ou reformulée – d’un texte d’autrui, en le fai-sant passer pour sien ou sans en indiquer la source», peut-on lire dans la directive ad hoc.1) La racine latine du terme, plagiarius, signifie «celui qui vole les esclaves d’autrui ou qui vend comme esclave une personne libre qu’il a kidnap-pée». Si l’idée de larcin persiste à travers les siècles, «au-jourd’hui, ce sont les mots qu’on vole», note Jérôme Jacquin.

Quelle est la réalité du phénomène à l’UNIL ? «Chaque année, nous traitons une poignée de cas», constate Danielle Chaperon, vice-rectrice en charge de l’Enseignement et des Affaires étudiantes. A sa suite, toutes les personnes interrogées par Allez savoir ! confirment que Dorigny n’est

pas «Notre-Dame du copier-coller». Naïveté ? Le professeur Marius Brülhart, vice-doyen de la Faculté des HEC, réfute l’objection classique à ce constat rassurant. «Nos étudiants travaillent-ils correctement dans leur immense majorité, ou n’est-on pas capables de repérer les plagiaires? Je suis certain de la première hypothèse.»

Il faut toutefois préciser que, avant l’entrée en vigueur du nouveau cadre législatif en juillet 2014, les enseignants n’osaient pas toujours signaler leurs doutes face à certains textes remis par des étudiants, notamment au niveau du bachelor. Ils craignaient d’activer une machinerie adminis-trative et de faire tomber une sanction trop lourde sur des jeunes en formation. Afin d’éviter cette autocensure sans pour autant verser dans le laxisme, la directive prévoit jus-tement une gradation des infractions (lire encadré p. 51).

C’est grave, docteur ?Une question fondamentale se pose d’emblée : copier, est-ce si grave que cela ? Dans l’institution, les réponses va-rient selon les sensibilités et les disciplines. Mais «de ma-nière axiomatique, le monde académique considère le plagiat très négativement. Notre culture a évolué vers le respect de la créativité, du travail et du droit d’auteur», pose Jérôme Jacquin.

Les raisons de cette détestation sont très nombreuses. «Nous cherchons à produire des individus autonomes, ca-pables de construire des postures critiques propres. Le pla-giat revient à abjurer cette possibilité de penser par soi-même», note Christian Grosse, professeur et vice-doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions. Etu-diant en bachelor et membre de la Commission de l’ensei-gnement, Eric Girodet estime également que «pratiquer le plagiat revient à se maltraiter soi-même. De plus, on court le risque de devenir une fabrique de tautologies.»

Outre un déni de soi, le tricheur ne remplit pas la part du contrat qu’il a passé avec l’Université. «Cette personne prouve seulement qu’elle sait trouver de l’information, par-fois habilement, mais en aucun cas qu’elle l’a comprise et intégrée», ajoute Jérôme Jacquin. En effet, certaines étapes du cursus académique imposent la réalisation d’exercices bien particuliers, comme les mémoires de master. A cette occasion, «il ne s’agit pas seulement de faire la preuve que l’on s’est approprié les outils, les modèles et les théories de la discipline étudiée, mais également que l’on maîtrise des compétences, comme la capacité à appliquer son sa-voir», ajoute Danielle Chaperon.

JÉRÔME JACQUINMaître assistant en Sec-tions de français et des sciences du langage et de l’information, président de la Commission de l’enseignement de l’UNIL.Nicole Chuard © UNIL

ENSEIGNEMENT

«DE MANIÈRE AXIOMATIQUE, LE MONDE ACADÉMIQUE CONSIDÈRE LE PLAGIAT TRÈS NÉGATIVEMENT.»JÉRÔME JACQUIN

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Christian Grosse est particulièrement allergique au pla-giat entre étudiants. «Il est normal que ces derniers s’en-traident. Mais l’exploitation du travail des autres grippe la confiance et génère de la méfiance. Celle-ci est déjà bien assez présente dans le milieu de la recherche sans en in-troduire dans les auditoires.»2)

Le «copier-coller» pose un problème déontologique, voire moral. «En tant que scientifiques, nous devons accorder une grande importance à l’intégrité intellectuelle», affirme Manuel Pascual, professeur et vice-doyen de la Faculté de biologie et de médecine. De son côté, Marius Brülhart qua-lifie le plagiat de «vol intellectuel», une pratique pour la-quelle il n’exprime pas davantage de compréhension que pour la fraude ou la tricherie aux examens.

Pour l’institution, il est dommageable de décerner des diplômes à des personnes qui ont emprunté leurs talents à d’autres. «Le savoir est collectif par son essence même. Mais il est injuste de ne pas reconnaître quelle est sa propre place dans cet ensemble», remarque Danielle Chaperon.

Enfin, si le règlement prévoit des sanctions parfois sévères, le doyen de la Faculté de biologie et de médecine, Jean-Daniel Tissot, a sa propre idée. «A titre de peine, j’oblige-rais les coupables à lire Montaigne. Sa manière d’utiliser la pensée d’autrui pour parvenir à développer la sienne touche au génie.»

C’est si simple de citerFace à cette avalanche de réprobation, la solution paraît simple. Il suffit de citer correctement ses sources, d’attribuer aux auteurs leurs idées et leurs citations. La paraphrase, ré-digée correctement, est également acceptée. Tous les étu-diants apprennent ces règles très tôt dans leur cursus.

De plus, ils ne doivent pas avoir peur de rendre un texte truffé de guillemets (à l’exemple de cet article). Les ensei-gnants interrogés par Allez savoir ! confirment qu’il est tout à fait légitime de ne pas avoir uniquement des pensées à soi. Un mémoire peuplé de citations, de notes et de références, dans lequel les idées d’autres auteurs sont articulées

FAUSSAIRESArtistes à leur manière, certains plagiairesutilisent des techniques sophistiquées.© Jehan Khodl

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entre elles de manière cohérente, est parfaitement nor-mal. La science s’est toujours construite sur les contribu-tions de prédécesseurs. «Citer, c’est montrer une vaste éten-due de lectures. Lire, c’est le premier travail de l’étudiant», synthétise Christian Grosse.

Plagiat involontaireToutefois, des nuances s’imposent. Contrairement aux idées reçues, il est possible de plagier sans le faire ex-près. C’est le cas classique de l’étudiant qui copie, dans un document provisoire, une phrase intéressante dénichée dans un article scientifique. Il oublie de reporter la référence, ou l’indique seulement dans sa bibliographie. Plus tard, cette citation peut se retrouver incluse – sans guillemets ni note – dans un travail rendu. En l’occurrence, cette situation est davantage un problème de méthode qu’une tentative de tri-cherie. Grâce à la nouvelle directive, elle pourra être réso-lue par l’enseignant entre quatre yeux (lire encadré p. 51).La situation devient plus complexe si l’on s’intéresse aux

pensées et non aux textes eux-mêmes. «Il peut arriver à tout le monde d’être persuadé d’avoir eu une idée lumi-neuse, alors qu’elle a été émise par quelqu’un bien avant vous !», constate Eric Girodet. Un enjeu pour des étudiants qui baignent dans les mots d’autrui, un cours après l’autre. «Il est nécessaire de mettre en place un flux de travail ri-goureux, qui garantisse une certaine vigilance», conseille Jérôme Jacquin.

De son côté, le professeur Jean-Daniel Tissot confesse une «intolérance raisonnée au plagiat». La pression pour publier toujours davantage, additionnée de l’emploi de la langue anglaise dans son domaine, constituent des dan-gers. «Si vous êtes Shakespeare, la richesse de votre voca-bulaire vous permet de vous en sortir. Dans le cas contraire, avec vos quelques centaines de mots, vous allez rapidement faire tourner vos idées en rond ! Il n’est pas possible d’être créatif à l’infini.» Le mélange d’une très grande spécialisa-tion et d’un lexique aussi pointu que limité constituent des sérieuses embûches à l’originalité.

Des copistesJérôme Jacquin reconnaît que la répulsion du monde acadé-mique pour le plagiat est propre à notre époque et à notre contexte. Elle est difficile à faire comprendre dans un monde où tout est fait pour faciliter la circulation (et donc la copie) des informations et des idées ! «Nous sortons d’une période de consécration du droit d’auteur, soutient Christian Grosse. Les liens entre le texte, l’autorité et l’autorialité se recom-posent.» Ainsi, la page de titre d’un livre, «monumentali-sée, indique que vous entrez dans un texte par une porte marquée du nom d’un auteur. Lorsque vous trouvez des in-formations sur le Net, vous y accédez directement, sans ce passage», ajoute le professeur.

A la Renaissance, il était largement accepté, et même sou-haitable, de couturer un écrit de fragments issus de travaux plus anciens. Cette situation a duré assez longtemps : le professeur cite le cas d’Alexandre César Chavannes (1731-1800), qui fut recteur et bibliothécaire de l’Académie de Lausanne. Dans l’œuvre de sa vie, Anthropologie ou science générale de l’homme, cet auteur respectable ne cite pas sou-vent ses sources et n’hésite pas à reprendre la pensée d’au-trui à son compte ! 3)

Les trois réponses de l’UNILLe plagiat n’est donc pas une question simple. Comme men-tionné plus haut, l’UNIL s’est dotée de trois outils : un rè-glement, une formation en ligne et un logiciel de détection.

DANIELLECHAPERON Professeure et vice-rectrice en chargede l’enseignement et des affaires étudiantes.Félix Imhof © UNIL

ENSEIGNEMENT

«CHAQUE ANNÉE, NOUS TRAITONS UNE POIGNÉEDE CAS.»DANIELLE CHAPERON

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Ce trio fonctionne de concert. La directive s’applique à tous les étudiants (du bachelor au doctorat), ainsi qu’à l’ensei-gnement (c’est-à-dire au contenu des cours donnés). La re-cherche n’est pas concernée par ce document2). «Un esprit de prévention gouverne ces mesures, affirme Danielle Cha-peron. Il ne s’agit en aucun cas de faire penser que l’Univer-sité est pleine de plagiaires en puissance.» Le but consiste à ce que tous les étudiants, au terme de leur cursus, sachent comment éviter le plagiat.

Un module de formation en ligne, développé par une société issue du Imperial College de Londres, va être dé-ployé dans les facultés ces prochains mois. Enrichi de nom-breux exemples, d’exercices, d’entretiens en vidéo et d’ar-ticles de presse, il propose de plus des quizz de révision. Quelques heures de lecture permettent ainsi d’obtenir une vision claire du problème et de bûcher sur certains aspects «limites», autour de la paraphrase par exemple. Ainsi, per-sonne ne pourra plaider l’ignorance.

On sensibilise déjàAujourd’hui déjà, une mauvaise foi en tungstène est néces-saire pour oser soutenir une ignorance totale du sujet. «Des cours de sensibilisation sur le plagiat et la fraude sont donnés au début des cursus de bachelor, indique par exemple Elena Martinez, adjointe au vice-décanat de l’enseignement en Fa-culté de biologie et de médecine. Nous effectuons de plus des rappels à certains moments-clés, comme par exemple lors de l’introduction au travail de master.» A ce sujet, il est très fréquent de devoir signer un engagement de non-

La directive adoptée par l’UNIL propose une gradation des fautes. Cette échelle, adaptée du modèle mis en place par le College of William and Mary (Virginie), amé-liore l’efficacité de la lutte contre la copie. Supprimant la question de l’intentionna-lité, souvent impossible à résoudre, elle donne une place centrale aux enseignants, qui décident si une infraction peut être qualifiée de plagiat ou non. Ainsi, on évite de mobiliser des instances lourdes pour des étourderies, sans pour autant sombrer dans le laxisme.

Selon ce cadre, une infraction est une faute légère si elle est unique, et que la source est mentionnée par ailleurs dans le document (par exemple en bibliogra-phie). Les conséquences sont laissées à l’appréciation de l’enseignant, qui peut par exemple rappeler les règles du travail scientifique.

Ensuite, les choses se gâtent. Si l’infraction est unique et que la source n’est mentionnée nulle part dans le document examiné, ou que l’infraction est répétée et la source est mentionnée ailleurs, il s’agit d’un plagiat de faible gravité. Dans ce cas, comme dans le suivant, le décanat de la Faculté est informé.

Enfin, si l’infraction est répétée et que la source n’est pas mentionnée dans le document examiné, ou qu’il s’agit d’un cas de récidive de la part de l’étudiant (dans un autre texte rendu), il s’agit d’un plagiat de forte gravité.

Dans les deux dernières situations, une palette de sanctions est prévue. Elle part de l’échec à l’évaluation et va jusqu’à l’exclusion de l’UNIL.

TROIS NUANCES DE PLAGIAT

plagiat avant de se lancer dans la rédaction d’un mémoire. Le logiciel de détection Compilatio vient compléter la pa-lette des mesures prises. Son fonctionnement est simple. Il suffit à l’enseignant de charger les contributions des étu-diants dans le système et ce dernier va les comparer avec le web en quelques minutes. Lorsque des similitudes (copies ou paraphrases) avec du contenu existant sont détectées, les sources apparaissent. Mais attention ! Cela ne signifie pas qu’un plagiat a été trouvé, loin de là : il peut s’agir de citations effectuées dans les règles de l’art. «Cet outil est destiné à aider l’enseignant dans sa décision», précise Ca-therine El Bez, ingénieure pédagogique au dicastère Qua-lité et Ressources humaines. Il ne s’agit donc pas d’une ca-méra de surveillance.

Souvent présentés comme la panacée par les médias, les programmes de détection sont très peu employés. Les enseignants utilisent plutôt leur propre connaissance de la matière (et leur astuce) pour repérer les faussaires. Ainsi, avec un certain humour, un chercheur avoue «copier-coller les paragraphes dépourvus de fautes d’orthographe dans Google, juste pour voir». Pour Jérôme Jacquin, les ruptures stylistiques ou la présence de notions «tombées du ciel» constituent des indices. Tout comme «l’apparition d’un vo-cabulaire saugrenu ou de phrases jargonnantes», complète Christian Grosse. Dans le cadre d’analyses de textes, un enseignant en Lettres réagit à l’irruption d’auteurs ou de citations non pertinents.

Bien sûr, certains faussaires revêtent les atours de véri-tables artistes. Un exemple ? La traduction d’un document qui n’existe que sous forme papier en de rares exemplaires, rédigé de plus dans une langue exotique. Mais à ce niveau-là de complexité, n’est-il pas plus simple de réaliser soi-même le travail demandé par l’université ? «Les étudiants ne doivent pas tricher. S’ils s’y risquent, je leur conseille d’être inventifs !», sourit Jean-Daniel Tissot.

La créativité trouve toutefois un meilleur champ d’ap-plication dans la réalisation d’un mémoire personnel, et plus tard dans une recherche originale et de qualité. A long terme, ce sont également les buts poursuivis par les dispositifs pédagogiques de lutte contre le plagiat mis en place à l’UNIL.

Cet article a été passé au crible du logiciel Compilatio

et ne contient aucune trace de plagiat.

1) Directive sur le traitement des cas de plagiat

dans le cadre de l’enseignement :

www.unil.ch/cdl/files/live/sites/ cdl/files/Documents/

Directives_Direction/dir3_15_plagiat-5.pdf

2) Article complémentaire sur le plagiat dans la recherche

sur www.unil.ch/allezsavoir

3) http://lumieres.unil.ch/projets/chavannes.

Lire également Allez savoir! 62

«LE LOGICIELDE DÉTECTIONDU PLAGIATEST DESTINÉÀ AIDER L’ENSEI-GNANT DANSSA DÉCISION.»CATHERINE EL BEZ

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MÉDECINE

SOUVENIRS L’étude de la perception ouvre de nombreuses pistes, par exemple vers des moyens d’améliorer la mémorisation.© Donvanstaden / iStock

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Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 53

Plus une personne est capable de combiner les informations visuelles et auditives, mieux elle parvient à mémo-riser ce qu’elle a appris. Cette conclusion de neuroscientifiques de l’UNIL démontre l’efficacité des méthodes d’enseignement qui sollicitent simultanément plusieurs sens, comme celle élaborée par Maria Montessori. Elle pourrait aussi permettre d’améliorer la rééducation des victimes d’AVC. TEXTE ÉLISABETH GORDON

UTILISER PLUSIEURSDE SES SENS

Imaginez qu’en compagnie de votre amie Julie, vous soyez témoin d’un cambriolage au cours duquel l’un des voleurs parle, alors que l’autre reste silencieux. Cette différence de comportement vous permettra-t-elle de reconnaître plus facilement le premier cambrio-

leur lors d’une séance d’identification au poste de police ? Probablement, car il semble que les évènements multisen-soriels, ceux qui mobilisent la vue et l’ouïe, renforcent la mémorisation et génèrent des souvenirs plus forts. A condi-tion toutefois que vous soyez capable de combiner les infor-mations visuelles et auditives, ce qui n’est peut-être pas le

cas de Julie. C’est ce qui ressort des recherches effectuées par Micah Murray, professeur associé à la Faculté de bio-logie et de médecine de l’UNIL, qui est aussi directeur du Laboratoire d’investigation neurophysiologique (The LINE) du CHUV et du module d’EEG au Centre d’Imagerie Bio-Médicale (CIBM).

Nos sens interagissentpour nous permettre de percevoirNous percevons notre environnement, au sens le plus large du terme, par l’intermédiaire des signaux que nous

MEMOIREPOUR AMELIORER SA

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MÉDECINE

transmettent nos cinq sens (la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher). Comment ces différentes informations interagissent-elles entre elles pour permettre à notre cer-veau de reconnaître un visage ou d’apprendre une langue étrangère ? Telle est la question qui a toujours passionné Micah Murray. Cet intérêt a conduit cet «expert en interac-tions multisensorielles», comme il se définit lui-même, à mener des recherches touchant à de nombreux domaines, allant de la cécité (lire encadré p. 55) à la mémoire.

Le cerveau fonctionne-t-il à l’image de la Suisse ?Avant de pouvoir stocker et restituer le souvenir d’une per-sonne rencontrée ou d’une chose vue, notre cerveau doit encoder l’information qu’il reçoit de ses sens. Or, on a long-temps cru «que les territoires cérébraux qui traitent les in-formation visuelles, auditives, etc. travaillaient indépen-damment les uns des autres» pour, ensuite, envoyer leurs données à une aire cérébrale supérieure. Au fond, résume le professeur de l’UNIL, dans cette interprétation, tout se

passe comme en Suisse où «les cantons sont indépendants, chacun traite ses propres données, puis ils se réunissent à Berne pour en faire la synthèse».

Regarder pour mieux comprendre la paroleC’était oublier, poursuit-il dans la même voie, «qu’il existe des lignes ferroviaires directes qui relient les différents can-tons». De la même manière, les recherches de ces dernières décennies ont montré «que ces différentes zones cérébrales communiquent entre elles» et que les aires visuelles peuvent aider les aires auditives à traiter l’information, ou inverse-ment. Micah Murray illustre son propos par l’exemple de la parole. «Lorsque vous écoutez quelqu’un qui parle dans votre langue maternelle, vous n’avez pas besoin de le re-garder pour le comprendre et, si vous le faites, vous fixez ses yeux. En revanche, quand votre interlocuteur s’exprime dans un idiome que vous maîtrisez mal, vous regardez sa bouche afin de mieux le comprendre.» Nous avons tous fait, intuitivement, l’expérience de cette perception multisenso-rielle dans laquelle deux de nos sens collaborent pour nous aider à mieux appréhender la réalité. Toutefois, «ce phéno-mène n’avait été que peu étudié scientifiquement».

Peut-on tirer bénéficed’une information multisensorielle ?Avec son équipe, Micah Murray a donc décidé de se pen-cher sur la question afin de savoir «si l’on pouvait tirer un bénéfice de cette interaction multisensorielle». Les tra-vaux antérieurs allaient plutôt dans le sens contraire et concluaient qu’il était contre-productif de mobiliser plu-sieurs sens en même temps lorsqu’on effectuait une tâche. «Ces conclusions étaient difficiles à croire», car elles contre-disent ce qui ressort de notre expérience quotidienne. Et le chercheur a trouvé le biais. Ces résultats surprenants s’ex-pliquent par le fait que, «jusqu’à récemment, les neuros-cientifiques ont mené leurs études sur des groupes de vo-lontaires». Leurs résultats avaient une valeur statistique, mais ils ne prenaient pas en compte les différences exis-tant entre les individus. Un son peut aider à mémoriser une image...Micah Murray et ses collègues ont donc refait l’expérience, en recrutant des étudiants de l’UNIL en bonne santé. Leur tâche était simple : ils devaient regarder des dessins et dire si c’était, ou non, la première fois qu’on les leur montrait. Parfois, l’image était aussi accompagnée d’un son «sans si-gnification, comme un “bip”». Parallèlement, les chercheurs enregistraient l’activité cérébrale des volontaires à l’aide de l’électro-encéphalographie (EEG).

Ils ont alors constaté que chez certains étudiants, la mé-morisation des images fonctionnait mieux en présence du son alors que chez d’autres, c’était l’inverse. «Certains en tiraient bénéfice, alors que d’autres étaient pénalisés», ex-plique le neuroscientifique

MICAH MURRAYProfesseur associéà la Faculté de biologieet de médecine.Nicole Chuard © UNIL

Laboratoire d’investigation neurophysiologiquewww.unil.ch/line

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... et une image à retenir un sonPour s’assurer que ce phénomène ne concernait pas uni-quement les informations visuelles, les chercheurs ont re-fait l’expérience avec un autre groupe d’étudiants auxquels ils faisaient entendre des sons reconnaissables – il s’agis-sait de «bruits de l’environnement quotidien comme celui d’un camion ou le miaulement d’un chat», parfois accom-pagnés d’un dessin abstrait. A nouveau, l’effet variait se-lon les individus : l’image aidait certains volontaires à mé-moriser le son et au contraire gênait les autres. Sans doute parce que «certaines personnes peuvent intégrer des per-ceptions mutisensorielles (ici visuelles et auditives), alors que d’autres se concentrent sur la tâche à accomplir en igno-rant les autres stimuli».

Des capacités prévisiblesMieux encore, grâce à l’EEG, les chercheurs ont constaté qu’ils pouvaient prédire la capacité de mémorisation des volontaires en fonction de la facilité de chacun à combiner les informations visuelles et auditives. «Nous avons établi pour la première fois qu’il existe un lien direct entre l’ac-tivité cérébrale en réponse à des informations multisenso-rielles à un moment donné et les capacités ultérieures de reconnaissance visuelle ou auditive d’un objet», résume Micah Murray.

Un dogme battu en brècheCes observations battent en brèche un dogme de la psy-chologie selon lequel la mémoire est plus performante si l’apprentissage et la remémoration se font dans le même contexte. On considérait jusqu’ici par exemple «qu’un plon-geur qui a appris quelque chose lorsqu’il était sous l’eau, s’en souvient mieux lorsqu’il se retrouve dans les mêmes conditions». Or, souligne le neuroscientifique, «notre étude démontre qu’une seule et unique présentation d’une image dans un contexte où plusieurs sens sont stimulés améliore mieux la mémoire que si l’on agit dans un contexte pure-ment unisensoriel». Il n’est donc pas nécessaire de replon-ger sous l’eau pour se remémorer ce que l’on a appris.

Confirmation scientifiquede la méthode MontessoriMicah Murray voit aussi dans ses travaux «une confirma-tion scientifique du bien-fondé de la méthode Montessori», du nom de Maria Montessori, médecin et pédagogue ita-lienne qui a élaboré ce mode d’apprentissage au début du XXe siècle. Son approche consistait à «traiter les enfants comme des individus, à laisser à chacun une certaine li-berté pour découvrir quelle était pour lui la meilleure ma-nière d’apprendre et mettre à disposition des élèves diffé-rents moyens qui faisaient appel à leurs sens tactile, visuel, etc.». En d’autres termes, sa pédagogie reposait sur une édu-cation multisensorielle, dont les chercheurs de l’UNIL ont montré les bienfaits.

Spécialiste de la manière dont notre cerveau perçoit et traite les informations

reçues par la vision ou l’ouïe, Micah Murray a tout naturellement été amené à

étudier aussi les possibilités de restaurer un sens perdu. Dans ce cadre, le pro-

fesseur de l’UNIL travaille sur la cécité, lui qui vient d’être nommé directeur de

l’Institut de recherches en ophtalmologie et neurosciences (IRON), soutenu par

la Fondation Asiles des aveugles et par la Fondation IRO à Sion.

L’une des voies explorées pour tenter de redonner la vue aux aveugles est

de leur implanter une rétine artificielle ou «œil bionique». L’Hôpital ophtalmique

Jules Gonin a d’ailleurs été le premier en Suisse à réaliser une opération de ce

type, en 2014. Mais ces prothèses électroniques «coûtent cher, constate Micah

Murray. En outre, pour l’instant, elles n’ont qu’une faible résolution et la vision

qu’elles redonnent n’est pas bien établie.»

Une application sur smartphoneC’est pourquoi le neuroscientifique a préféré explorer une autre approche, qui

vise à «utiliser un autre sens qui est intact, en l’occurrence l’ouïe, et de la redi-

riger vers l’aire cérébrale visuelle», afin qu’elle remplace la vision défaillante.

En collaboration avec un collègue israélien, il a entrepris de mettre en œuvre

cette méthode dite «substitution sensorielle» en utilisant un dispositif simple. Il

s’agit «d’une application, téléchargeable sur smartphone, qui prend des photos

et transforme l’image en informations sonores que le cerveau peut “voir” et trai-

ter. Ce procédé est non invasif et il ne coûte quasiment rien.» Ce système donne

des renseignements sur la nature et même la couleur de l’objet photographié.

Les études avec des personnes aveugles ont déjà démarré, en Israël d’abord

et maintenant à l’Hôpital ophtalmique lausannois. L’enjeu est de savoir comment

entraîner les patients afin qu’ils parviennent à tirer le meilleur parti de la subs-

titution sensorielle.

Profitant aussi de l’existence, à Lausanne, du Centre pédagogique pour

élèves handicapés de la vue, le neuroscientifiques compte tester sa méthode

sur des enfants. «Aucune étude de ce genre n’a encore été faite avec eux, alors

qu’ils sont beaucoup plus habiles que les adultes à manier les appareils électro-

niques», constate-t-il.

Une canne blanche électronique qui tient dans la mainPoursuivant sur sa lancée, le professeur de l’UNIL s’intéresse aussi aux cannes

blanches électroniques. Ces dispositifs, en forme de boîtiers un peu plus gros

qu’une télécommande de téléviseur, «contiennent un capteur à ultrasons qui vibre

d’autant plus intensément qu’un obstacle est proche». En outre, ils donnent des

informations dans les trois dimensions et il suffit de diriger le détecteur vers le

haut «pour éviter les objets, comme les branches d’arbre, qui se trouvent au-

dessus de la tête».

Pour les scientifiques, leur utilisation soulève des interrogations sur lesquelles

Micah Murray est en train de se pencher. Les non- et malvoyants ont en effet du

mal à «avoir une représentation de l’espace et de la position de leur corps dans

celui-ci. Nous cherchons donc à savoir si la canne électronique leur permettra

de retrouver tout ou partie de cette fonctionnalité.» Autant dire que ces études

soulèvent beaucoup d’espoir. EG

LA PERCEPTION MULTISENSORIELLEPEUT AIDER LES NON-VOYANTS

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Des expériences avec des élèvesPersuadé que ses études «ouvrent la voie à une stratégie d’apprentissage particulièrement efficace», le chercheur du CHUV, en collaboration avec une de ses collègues ge-nevoises, a d’ailleurs entrepris de renouveler ses expé-riences avec des élèves d’une Ecole Montessori et ceux d’un établissement scolaire public. Son objectif est de vé-rifier si «l’un des types d’enseignements renforce la capa-cité des enfants d’intégrer les informations multisenso-rielles et améliore leur mémoire».

Le rôle de l’art, de la musique et de la danseMais sans attendre les résultats de cette étude, qui de-vraient être publiés dans quelques mois, Micah Murray considère que l’enseignement devrait davantage prendre en considération les particularités de chaque enfant, en te-nant compte du fait que certains «ont plutôt une mémoire visuelle, d’autres une mémoire auditive, d’autres encore une mémoire mutisensorielle». Il préconise aussi de don-ner une plus grande place «à l’art, à la danse, à la musique et aux autres disciplines qui font appel à plusieurs sens» qui, au-delà du simple divertissement, pourraient amélio-rer les facultés d’apprentissage des jeunes.

Rééduquer les victimes d’AVCCes travaux pourraient aussi avoir des implications cli-niques, notamment, suggère le neuroscientifique, «dans la rééducation des personnes ayant eu un accident vascu-

laire cérébral». Pour les victimes d’un AVC, l’environne-ment devient très «bruyant»; il est surchargé en stimuli de toutes sortes dans lesquels ils n’arrivent pas à isoler ceux qui sont les plus importants. Puisque certains étu-diants testés à l’UNIL ont été capables, en présence d’in-formations multisensorielles, de s’isoler des bruits para-sites pour se concentrer sur leur tâche visuelle, il serait peut-être possible d’entraîner les victimes d’AVC à en faire autant. «C’est à voir», souligne Micah Murray.

Peut-on améliorer sa mémoire ?L’étude de la perception ouvre donc de très nombreuses pistes et on est tenté de se demander si elles pourraient permettre à M. et Mme Tout le monde d’améliorer sa mé-moire. «Il est facile de se tester pour savoir si l’on a une mémoire plutôt auditive ou visuelle», répond le neuros-cientifique. Rien ne nous empêche non plus de reproduire, chez nous, l’expérience faite avec les étudiants de l’UNIL pour tenter de savoir si, en présence d’un son, nous mé-morisons mieux, ou moins bien, une image. «Si cela vous tente, amusez-vous», dit le chercheur. En gardant toute-fois en tête qu’il ne s’agit que d’un jeu dont il ne faut pas attendre un grand effet. « A vrai dire, on ne sait pas si une personne qui tire avantage de stimuli multisensoriels pour faire une certaine tâche réagit de la même façon quand elle doit faire un autre type d’exercice », précise Micah Mur-ray. Les mystères de la perception sont donc encore loin d’être tous éclaircis.

EXPÉRIENCESession au Laboratoire des investigations neurophysiologiques (the LINE), dirigé par Micah Murray. La per-sonne photographiée porte un système EEG avec 128 électrodes. Elle doit identifier des oiseaux par leurs chants distinctifs. Une tâche très difficile. Pour l’aider, les noms et les photo-graphies des animaux s’ajoutent aux sons.Un exemple d’apprentis-sage multisensoriel.©Patrick Dutoit, SAM-CHUV

MÉDECINE

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Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 57

RÉFLEXION

LA TRANSITION VERS DES MODES DE VIE MOINS ÉNERGIVORES EST D’ABORD UNE QUESTION DE SOCIÉTÉ.

Nos comportements ne tiennent pas compte des limites des ressources naturelles. Notre consommation et notre mobi-lité ne sont pas durables, nos

habitations ne le sont pas vraiment. Gé-néraliser la façon de vivre des Suisses à toute la planète est matériellement impossible. Nous vivons aux crochets d’autres régions du monde et de nos descendants, notre mode de vie génère des inégalités qui s’accentuent. Nous puisons inlassablement dans les ré-serves des générations futures et nous exportons notre empreinte environne-mentale vers les pays pauvres, qui sou-haitent améliorer leur niveau de vie.

Face à ces déséquilibres colos-saux, quel est le rôle des sciences et des universités ? Suffira-t-il d’inven-ter les outils technologiques qui nous permettront de poursuivre sur cette lancée, alors que tous les indicateurs sont au rouge ? Nous savons bien que le nouveau panneau photovoltaïque à haut rendement, la voiture électrique, l’avion solaire ou la pile à hydrogène ne contribueront pas à réduire suffi-samment notre voracité énergétique : il faut diminuer nos besoins et revoir nos modèles en profondeur. La transi-tion vers des modes de vie moins éner-givores est d’abord une question de société. Les techniques ne régissent pas seules nos fonctionnements : notre éthique et nos valeurs aussi sont en jeu.

LA TRANSITIONÉCOLOGIQUE EST DAVANTAGEQU’UN DÉFI TECHNOLOGIQUE

Depuis 2011, en se dotant d’une po-litique de durabilité ambitieuse, l’UNIL a voulu encourager sa com-munauté à analyser les mécanismes qui conduisent à l’état actuel de notre planète et faire émerger des in-novations sociales, économiques et institutionnelles.

Très concrètement, notre cam-pus accueille les initiatives les plus diverses des étudiants ou des colla-borateurs. Outre les nombreux évé-nements sur ce thème qui rythment désormais l’année, nous avons ins-tauré une véritable culture de la dura-bilité qui permet à chacun de monter des projets. Par exemple, une asso-ciation de permaculture estudiantine promeut un mode de vie radicalement différent à travers un jardin, mais éga-lement des cours, des conférences, des rencontres. A l’initiative de la faîtière des étudiants,un espace d’échange de biens a été ouvert à la fin de l’an der-nier pour interpeler la communauté sur le gaspillage. Juste à côté, à l’An-thropole, une épicerie associative pro-pose des produits alimentaires fabri-qués localement et offre des postes de travail à des personnes en réin-sertion, etc.

De leur côté, les services tech-niques de l’Université sont à l’œuvre : l’usage de produits phytosanitaires chimiques a été banni, une réserve forestière a été créée, on a stoppé

la croissance de la consommation d’énergie, on tente de réguler celle du papier, la part modale de la voiture diminue depuis dix ans.

Mais c’est dans l’enseignement et la recherche que l’UNIL consacre le plus d’efforts. Ainsi, la Faculté des géosciences et de l’environnement a lancé un nouveau master interdiscipli-naire sur les fondements et pratiques de la durabilité. Un cours à option est offert aux étudiants en bachelor sur les enjeux de la durabilité. Un sémi-naire du même type est proposé aux étudiants en master de toutes les dis-ciplines. En créant, avec le concours de partenaires, une plateforme de re-cherche-action sur les aspects sociaux de la transition énergétique (www.volteface.ch), l’Université de Lau-sanne fait œuvre de pionnière. Avec les outils des Sciences humaines et sociales, nous tentons de répondre aux questions que la société se pose à propos de son avenir énergétique. Elles sont par exemple liées à l’habi-tat, aux conditions-cadres des loca-taires ou des PME, aux modes de vie ou à l’imaginaire.

Avec tout cela, l’Université n’appor-tera pas LA solution pour faire face aux changements climatiques, mais elle contribuera, comme institution de ser-vice public, à faire émerger des pro-positions que la société pourra faire siennes.

BENOÎT FRUNDVice-recteur «Durabilité et campus»

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58 Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne

FORMATION CONTINUE

En 1990, l’Assemblée fédérale décidait de soutenir la formation continue universitaire grâce à des mesures financières spéciales. Ces millions de subventions, oc-troyés diminuendo jusqu’à fin 1999, ont permis de dé-velopper les structures ad hoc ainsi qu’une offre dans

les hautes écoles du pays. Pour la Confédération, il s’agis-sait de donner une impulsion résolue au développement de la formation continue universitaire. Notre pays avait pris du retard, dans un environnement de plus en plus compé-titif et globalisé où l’idée de l’apprentissage tout au long de la vie allait devoir faire son chemin.

L’UNIL a joué sa partition dans cette histoire. Entretien avec Monique Baud (première responsable du Centre de formation continue de l’UNIL, de 1991 à 2004), Nicole Gal-land (directrice scientifique actuelle) et Pascal Paschoud (directeur opérationnel actuel).

1 LE TEMPS DES PIONNIERS

Comment la formation continuea-t-elle décollé à l’UNIL ?[MB] Les universités suisses se sont lancées toutes en même temps, suite aux décisions prises par la Confédération. Ce fut une démarche inhabituelle, partie du haut vers le bas.

REGARDS CROISÉS SUR LA FORMATION CONTINUEIl y a 25 ans, l’UNIL créait son Centre de formation continue. Avec les années, ce service est devenu la Formation continue UNIL-EPFL, pilotée par une fondation. Quelles furent les étapes de cette évolution ? Quelles sont les pistes pour l’avenir ? Trois acteurs de ce quart de siècle d’histoire répondent.

Une commission s’est constituée à l’UNIL en 1990. L’année suivante, j’ai été nommée responsable pour créer le Centre de formation continue et développer une offre, alors quasi inexistante. Il s’agissait aussi de faire évoluer la structure et les cours vers l’autofinancement dans un délai de cinq ans.

Quel était l’état d’esprit ?[MB] Il a fallu convaincre les enseignants et trouver un pu-blic. Nous étions un peu considérés comme des Martiens, tant la formation continue évoluait à l’écart des hautes écoles, à quelques exceptions près. Cette activité requiert des compétences pédagogiques particulières, car les «étu-diants» sont actifs professionnellement et souvent experts de leur domaine. De plus, la formation continue n’était pas considérée comme prestigieuse, en tous cas moins que la recherche.

Etiez-vous plutôt tournés vers l’offrede formation que vers la demande ?[MB] Oui. Les cursus naissaient essentiellement des idées et des envies exprimées par les enseignants motivés. D’où un catalogue plutôt éclectique au début, sans vraiment de lien avec les besoins de l’économie. Toutefois, certains mi-lieux professionnels nous ont approchés...

RENCONTRENicole Galland (directrice scientifique), Pascal Paschoud (directeur opérationnel) et Monique Baud (première respon-sable du Centre de for-mation continue).Photo Nicole Chuard © UNIL

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Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 59

REGARDS CROISÉS SUR LA FORMATION CONTINUEPar exemple ?[MB] A la fin des années 90, une association a souhaité la création d’une formation en «Gestion culturelle» (politique, droit, gestion, sociologie, etc.). Il n’existait rien de tel en Suisse romande. La première réunion entre les personnes chargées de donner les cours, qui venaient de facultés très différentes (Lettres, SSP et HEC) et de deux universités (Lausanne et Ge-nève), a été un extraordinaire exercice d’interdisciplinarité. Malgré un certain scepticisme initial, cette formation a déjà connu neuf éditions. Chaque fois, il a fallu refuser du monde. [NG] Aujourd’hui, ce cursus est un Diploma of Advanced Stu-dies qui marche très bien. Non seulement ce cours répondait à un besoin, mais il s’est imposé au fil des années comme un passage obligé pour les professionnels qui veulent exer-cer une fonction dirigeante dans le domaine.

Pourquoi la greffe de la formation continuesur l’université a-t-elle pris ?[MB] Les directions successives de l’UNIL nous ont beau-coup soutenus. De plus, nous avons eu la chance de mettre sur pied des formations qui ont trouvé leur public dès le dé-but. Par exemple, un cursus consacré aux mauvais traite-ments envers les enfants et les adolescents, l’un des pre-miers à s’autofinancer, a répondu aux besoins des assistants sociaux, du corps médical et des enseignants. Son contenu interdisciplinaire a contribué à sa réussite. Enfin, certains professeurs, enthousiastes pour la formation continue, ont joué le rôle de pionniers et de locomotives.

2 LA CONSOLIDATION

Dès 2004, le Centre de formation continue s’est doté d’une direction bicéphale : administrative et académique. Le but consistait à resserrer les liens avec l’institution.

La formation continue a évolué en parallèle dans les différentes universités suisses, et des collaborations se sont développées...[MB] Dès le départ, nous avons joué la carte de la collabora-tion entre universités. Notre catalogue n’était pas très étendu, ce qui a évité les collisions entre les offres des différentes institutions. De plus, les responsables romands des Centres de formation continue se rencontraient régulièrement. Au niveau suisse, une plateforme d’échanges, Swissuni (www.swissuni.ch), a été créée. [NG] Aujourd’hui, nous collaborons aussi avec la HES-SO et la HEP dans le cadre de plusieurs formations. Les liens entre les versants académiques et professionnels d’un domaine sont

intéressants et riches. De manière générale, nous évitons de lancer un cursus s’il entre en concurrence avec une activité existante, en particulier d’une autre haute école romande.

3 UNE FONDATION POUR LES RÉUNIR

En 2009, les directions de l’UNIL et de l’EPFL créent une Fondation afin de chapeauter et de mettre en commun leurs offres de formation continue. Cette collaboration vise à ren-forcer le positionnement du campus. Dans la lignée de la ré-forme de Bologne, l’uniformisation des titres délivrés (Mas-ters of Advanced Studies, etc.) facilite la comparaison entre les catalogues des institutions.

Quel est l’avantage de la Fondation ?[PP] Cette structure commune, indépendante juridiquement des deux institutions UNIL et EPFL, nous donne la possibi-lité de développer des synergies, nous donne une certaine flexibilité pour l’organisation des formations et nous permet de nous appuyer sur la force des marques UNIL et EPFL. La Formation continue UNIL-EPFL compte aujourd’hui 17 col-laborateurs, plus une douzaine de coordinateurs liés aux programmes. Elle occupe ses locaux et ses salles de cours dans un bâtiment de l’EPFL Innovation Park. Ces dernières années, une condition s’est vue renforcée : celle de l’autofi-nancement des formations. Dès lors, toutes les charges in-hérentes à l’organisation d’une formation doivent être prises en compte. Ceci explique notamment le prélèvement d’un overhead institutionnel servant à couvrir des frais d’infras-tructures, le travail des services centraux, etc. [NG] L’UNIL et l’EPFL sont des institutions publiques sub-ventionnées. Nous ne pouvons pas pratiquer de dumping sur le prix des cours. Nous devons donc jouer le jeu du mar-ché, au risque d’être fortement critiqués par le secteur privé.

L’un des points forts quevous revendiquez est votre flexibilité...[PP] Elle répond à la demande. Aujourd’hui, les profession-nels souhaitent de plus en plus de flexibilité dans leurs par-cours de formation. Nous offrons dès lors des Masters of Ad-vanced Studies, le cursus le plus long, pouvant être divisés en plusieurs Certificates of Advanced Studies, eux-mêmes com-posés de modules indépendants. Cette tendance à la flexibi-lisation va encore s’accroître à l’avenir, avec des parcours de formation pouvant combiner différents types de formations certifiantes, courtes, en ligne, etc. La question de la valida-tion de ces types de parcours se posera alors et les universi-tés devront se positionner par rapport à cela.

154LE NOMBRE DE PROGRAMMES PROPOSÉS PAR LA FORMATION CONTINUE UNIL-EPFL EN 2015.

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60 Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne

Equipés de senseurs, d’électronique et de moyens de communication sans fil, les appareils de la vie quotidienne forment petit à petit un nouveau réseau, l’internet des objets. Les applications existent pour le moment dans les domaines médical, industriel, sportif ou domotique (par exemple le système d’éclairage «intelligent» Hue de Phi-lips, ou le contrôle à distance de la consommation éner-gétique d’un appartement).

Appelé à prendre de plus en plus d’importance au cours des prochaines années, notamment dans le cadre des Smart Cities, l’internet des objets fait l’objet d’une nou-velle formation continue, pilotée par David Atienza, direc-teur du Laboratoire des Systèmes Embarqués de l’EPFL.

«Auparavant, les objets “intelligents” travaillaient de manière séparée. Maintenant, ils communiquent entre eux. Cela change beaucoup de choses. Les concepts sont dif-férents, et peu connus dans l’industrie», explique le pro-fesseur. Le cursus de trois jours qu’il propose va justement chercher à faire mieux comprendre comment élaborer un réseau d’appareils connectés.

Donnée en anglais, la formation requiert des connais-sances de base en ingénierie. En effet, les participants naviguent d’une salle de cours classique (pour les aspects théoriques) à un vaste laboratoire (pour les exercices pra-tiques). Le premier jour, ce sont les plateformes, le design et les questions d’alimentation énergétique qui sont trai-tées. Le deuxième jour, le professeur Andreas Burg de l’EPFL expose les questions liées à la communication (pro-tocoles, etc.). Enfin, la dernière partie du cours, axée sur la pratique, se concentre sur des champs d’application comme la domotique, les appareils médicaux connectés ou l’industrie 4.0.

Le cursus comprend des études de cas et fournit de nombreuses informations sur les derniers développements. «Je souhaite que les participants sachent, après le cours, ce qui existe, ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas», ajoute David Atienza. Il s’agit aussi d’être capable de faire les bons choix technologiques dès le départ d’un projet.

Le cursus va également aborder les Sciences sociales. Dans le monde de la Santé, les utilisateurs d’objets connec-tés sont souvent des personnes âgées. L’interface et la faci-lité d’emploi comptent donc beaucoup. David Atienza est l’un des fondateurs de la société SmartCardia, qui déve-loppe un appareil destiné à mesurer le rythme cardiaque d’un patient en continu. En cas de danger, les informa-tions sont transmises automatiquement à un médecin, via téléphone portable. Un exemple concret de l’internet des objets. DS

www.formation-continue-unil-epfl.ch/internet-of-things

INTERNET OF THINGS

Comment mettez-vous sur piedune nouvelle formation ?[NG] Nous n’avons pas les moyens de mener de véritables études de marché. Nous partons donc encore le plus souvent de propositions venant des enseignants. Mais nous leur po-sons des questions pointues, par exemple sur le public cible visé, sur leur réseau et sur leur connaissance du monde pro-fessionnel. Les objectifs pédagogiques et la faisabilité finan-cière du projet font bien sûr partie des critères de sélection.[PP] Lorsque le besoin pour une formation certifiante n’est pas avéré, nous pouvons proposer un format court (3 jours, typiquement). Il s’agit d’une sorte d’étude de marché gran-deur nature. Certains cursus fonctionnent très bien ainsi, et n’auraient aucune chance en version longue. Nous utilisons parfois d’autres moyens. Par exemple, une enquête menée auprès des alumni de l’EPFL a débouché sur la création des formations brèves «Internet of Things» (présentée ci-contre) et «Data Science».

Que vous réserve l’avenir ?[PP] Nous devons nous maintenir à la pointe de l’innovation pédagogique, en prenant en compte les caractéristiques de l’apprenant adulte, et en offrant des formats s’appuyant sur des scénarios pédagogiques dépassant la simple transmission de connaissance en présentiel. Nous devons également nous préparer à accueillir la génération d’étudiants qui se trouve actuellement à l’université et qui va s’intéresser à la forma-tion continue, d’ici à quelques années. Il va falloir être prêts à répondre avec une offre adaptée à leurs habitudes d’appren-tissage. D’où les expériences de MOOCs (cours en ligne ou-verts et massifs, lire également en p. 12). A titre d’expérience, l’UNIL a décidé d’en proposer un petit nombre mais de leur accorder des moyens afin d’obtenir une très haute qualité.[NG] Mais il faut aussi se rappeler que la formation conti-nue est un lieu de réseautage et d’échanges entre profession-nels. Certains programmes possèdent même leurs groupes d’alumni. Le réseau constitué pourra être régional ou inter-national en fonction du format du cours, qui peut dépendre de la thématique et du public cible. [PP] Les entreprises nous demandent davantage de cours in-tra-entreprise développés sur mesure, à destination de leur personnel. Parfois, elles souhaitent intégrer des composantes en ligne ou des éléments de coaching.

Votre mission a-t-elle changé depuis 1991 ?[PP] Elle est toujours la même : développer des passerelles entre l’université et le monde professionnel. Le but consiste à ce que la Suisse garde sa compétitivité grâce à une popu-lation bien formée. [NG] Le contexte a changé : l’université s’est de plus en plus ouverte à la société, à laquelle elle se doit même de rendre des comptes. La formation continue, tout comme l’Inter-face Science-Société par exemple, participe à cette nouvelle culture de l’institution.

NOUVELLE FORMATION

FORMATION CONTINUE

3500LE NOMBRE DE PARTICIPANTS AUX COURS DE LA FORMATION CONTINUE UNIL-EPFL EN 2015.

La Formation Continue UNIL-EPFLwww.formation-continue-unil-epfl.ch021 693 71 20

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Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 61

Le sang est-il magique ? Comment et pourquoi le cui-sine-t-on ? A quoi servent les globules blancs ? Autant d’in-terrogations qui animent un nouveau livre, simple et pra-

tique, pour tout savoir sur le sang et la transfusion. Corédigé par Jean-Daniel Tissot, doyen de la Faculté de biologie et de médecine (FBM) et an-cien directeur du Service vaudois de transfusion sanguine, l’ouvrage met l’accent, bien sûr, sur les aspects mé-dicaux et physiologiques. Mais pas seulement.

L’or rouge y est abordé sous toutes ses facettes, qu’elles soient socié-tales, éthiques ou historiques. On y apprend notamment que l’appari-tion de l’expression «avoir du sang bleu» remonte à l’Espagne du Moyen Age, lorsque les musulmans étaient combattus par les souverains chré-tiens. Ils devaient à leurs origines wisigothes une peau pâle laissant apparaître des veines bleues. Cette coloration est devenue la marque des chevaliers et le symbole de la pureté et de la noblesse chrétienne.

Paradoxe D’autres passages évoquent des as-pects davantage culturels et recèlent quelques curiosités. En dehors de ses fonctions physiologiques évi-dentes, le sang sert par exemple de pigment pour le revêtement de po-teries, d’aliment et même d’engrais pour les sols. «Il attire autant qu’il repousse, son évocation est souvent très paradoxale... Symboliquement,

ce liquide est associé à la pureté, au Christ et à la rédemption. Mais en vérité, il transporte les déchets, est rempli de cadavres. Cette dichotomie entre le regard porté et la réalité des faits me fascine depuis toujours», ré-vèle Jean-Daniel Tissot.

A quatre mainsRéalisé avec la complicité d’un ami de longue date, Olivier Garraud, pro-fesseur à l’Université de Lyon, le pe-tit livre s’adresse à un public très large. «Nous avions à cœur de par-tager notre amour pour l’hématolo-gie, l’immunologie et la médecine transfusionnelle.» Mais il s’agit avant tout d’un hommage à Jean-Jacques Lefrère, le «troisième lulu», hémato-logue et grand spécialiste de Rim-baud, disparu récemment. Les trois médecins avaient étroitement colla-boré à la création de deux précédents ouvrages (Le sang : Arts, sciences, vie, Favre, 2011 et L’immortalité, un sujet d’avenir, Favre, 2014).

«Un grand nombre d’idées et de va-leurs communes nous animaient, en particulier la dimension humaniste liée au don du sang.» Ces préoccupa-tions plus philosophiques, qui rap-prochaient «les trois mousquetaires» depuis toujours, se traduisent égale-ment dans ce nouveau livre. Des cha-pitres sont entre autres consacrés au bénévolat et au volontariat, deux grands principes éthiques du don. Un peu plus loin, les auteurs se de-mandent ce qui motive les individus à (re)donner leur sang. «On se pose la question de savoir si le premier don est réellement le reflet d’un acte de liberté ou s’il est guidé par un de-voir, une pression sociale, familiale ou professionnelle.»

Quant à la rédaction même de l’ouvrage, elle s’est faite «à quatre mains». Les deux amis se départa-geant les questions en fonction d’af-finités personnelles, tout en relisant et corrigeant les textes de l’autre. La source d’inspiration pour le choix des questions ? Les gens. Ceux que les auteurs côtoient au quotidien : étudiants, donneurs, collègues, soi-gnants... «Ils s’interrogent. Trouver 100 questions était aisé. Y répondre en une seule page, beaucoup moins !, plaisante Jean-Daniel Tissot. Abor-der le métabolisme du fer ou la coa-gulation sanguine – deux sujets qui m’interpellent depuis des années – en si peu de mots constituait un bel exer-cice, surtout pour un ba-vard comme moi... »MÉLANIE AFFENTRANGER

« «

LE TRÉSOR DE L’OR ROUGESymbole de vie. Symbole de mort. Le sang est au cœur d’un ouvrage qui rassemble 100 questions, et leurs réponses, au sujet du précieux liquide rouge et sa transfusion.

LIVRE

PRÉMICES Gravure présentantles mécanismes dela circulation sanguine, dont la découverteest attribuée au médecin anglais William Harvey (1578-1657).© Edimedia/WHA/Rue des Archives

Par Olivier Garraudet Jean-Daniel Tissot.Editions ellipses (2016), 160 p.

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LIVRES

Publié en 1816, Adolphe raconte la passion tragique entre un jeune homme et Ellénore, qui va tout perdre par amour pour son séducteur. Le récit de l’ef-

fondrement progressif de la relation entre ces deux êtres a traversé avec suc-cès les siècles, les continents, les modes et les cultures. C’est justement aux hé-ritages du roman que se consacre un ouvrage récent et richement illustré, publié sous la direction de Léonard Burnand et Guillaume Poisson (Insti-tut Benjamin Constant).

En quatre grands chapitres, le des-tin hors du commun d’un texte «vau-dois» (au sens large du terme) est ex-ploré. Adolphe, c’est une aventure amoureuse certes, mais également édi-toriale. La naissance du roman, dont le manuscrit est conservé à la Biblio-thèque cantonale et universitaire – Lau-sanne (BCU), est exposée.

Un chapitre est ensuite consacré aux illustrations dont le récit fait l’objet dès la seconde moitié du XIXe siècle. Certaines scènes, comme les amants en promenade ou la fin tragique de l’histoire, ont particulièrement inspiré l’imagination des artistes. Tour à tour charmantes, romantiques – bien sûr – et élégantes, ces œuvres ont contri-bué au succès d’Adolphe, que ce soit dans des éditions populaires ou pour bibliophiles.

Jalonnée de points-virgules et ponc-tuée de formules qui font mouche, l’écri-ture de Benjamin Constant représente un défi pour les traducteurs. Les pre-miers concernés traitent de cette ques-tion délicate dans un autre chapitre de l’ouvrage. L’occasion d’admirer les ver-sions japonaise et persane du roman.

La filiation d’Adolphe comprend de nombreuses réécritures, de Balzac (La Muse du Département, 1843) à Ches-

sex (L’imitation, 1998). Avec Ni toi ni moi (2006), Camille Laurens donne la parole à Ellénore, «délaissée par une homme qui ne l’aime pas». Autant de signes de la manière vigoureuse dont le bref texte de Benjamin Constant se joue du temps et de l’oubli.

Un dernier chapitre expose les adap-tations du roman sur la scène, en bande dessinée et au cinéma (une réalisation de Benoît Jacquot avec Isabelle Adjani, 2002). Enfin, en guise de cadeau, une série de livres-objets ou de livres-sculp-tures créés par des artistes contempo-rains est présentée par Silvio Corsini, conservateur de la Réserve précieuse de la BCU. Comme l’exprime Léonard Burnand dans l’avant-propos, «Adolphe n’a pas épuisé sa remarquable capacité à se réinventer». DAVID SPRING

Institut Benjamin Constantwww.unil.ch/ibc

Un ouvrage élégant et accessible, dirigé par des chercheurs de l’UNIL, explore l’héritage du célèbre roman de Benjamin Constant. Un texte dont le succès se prolonge.

ADOLPHE, C’EST UNE AVENTURE AMOUREUSE CERTES, MAIS ÉGALEMENT ÉDITORIALE.

«ADOLPHE»,200 ANSDE PASSION

ADOLPHE DE BENJAMIN CONSTANT. POSTÉRITÉD’UN ROMAN (1816-2016). Sous la dir. de Léonard Burnandet Guillaume Poisson.Slatkine (2016), 157 p.

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L’HISTOIREVAUDOISE DE A À Z

Chercheur à l’IDHEAP, Johann Dupuis s’intéresse aux politiques publiques en matière de gestion de l’environnement. Dans cet ouvrage scientifique, il traite de la notion d’adaptation au change-ment climatique, un discours apparu dans la dernière décennie. Outre un volet théorique, son texte comprend deux chapitres «de terrain», l’un en Inde et l’autre en Suisse. Dans notre pays, le tourisme hivernal est dépendant de l’enneigement et donc touché par le réchauffement. L’auteur s’intéresse aux stratégies d’adap-tation, aux mesures prises et aux scénarios possibles. DS

S’ADAPTER AU CHANGEMENT CLIMATIQUE. Par Johann Dupuis. Alphil (2016), 384 p.

Depuis 1945, la pratique sportive et la médecine ne cessent de dialoguer pour le meilleur (promotion de la santé, soins, entraî-nement) et parfois pour le pire (dopage, transformations cor-porelles). Codirigé par Grégory Quin, maître d’enseignement et de recherche en histoire et en pédagogie du sport à l’UNIL, cet ouvrage offre une compilation de regards de spécialistes, dont plusieurs chercheurs lausannois, sur la professionnalisation de la médecine du sport et la spécialisation des savoirs autour des activités physiques. RÉD.

LES LIAISONS DANGEREUSES DE LA MÉDECINE ET DU SPORT.Sous la dir. de G. Quin et A. Bohuon. Editions Glyphe (2015), 310 p.

Chercheur en Section de français, Samuel Estier s’est intéressé aux controverses engendrées par le style de Michel Houellebecq. Si, comme l’a écrit ce dernier, «la platitude de la mer dissipe le désir de vivre», que dire de celle de son écriture ? L’essai retrace les moments forts des débats littéraires, de 1998 (Les particules élémentaires) à 2010 (La carte et le territoire, Prix Goncourt). Bien entendu, la place de l’auteur dans la littérature contempo-raine, sa posture et ses ambiguïtés sont abordées dans cet ou-vrage bref mais riche. NR

A PROPOS DU «STYLE» DE HOUELLEBECQ.Par Samuel Estier. Archipel Essais (2015), 117 p.

Aux XVIIIe et XIXe siècles, nombreux furent les voyageurs russes à se rendre en Suisse. L’Association culturelle pour le voyage en Suisse consacre une grande partie de son bulletin n°18 à ce thème peu connu et passionnant. Le contenu est enrichi de recherches menées à l’Université Lomonossov de Moscou. Le plus célèbre de ces visiteurs fut le tsar Alexandre Ier (1777-1825), qui possé-dait un lien d’affection avec notre pays. Son précepteur n’était autre que Frédéric-César de La Harpe. Un délicieux chapitre de la revue est consacré aux préparatifs de la visite de l’empereur aux Vaudois, une rencontre qui n’eut finalement jamais lieu. DS

WWW.LEVOYAGEENSUISSE.CH.

Les Vaudois ont bien de la chance. Ils peuvent désor-mais revisiter leur histoire en détail à la lumière des dernières recherches. En 560 pages élégamment illus-

trées, ils passeront de la préhistoire à nos jours, s’intéres-seront aux premières traces du christianisme, découvri-ront comment Vaud se trouve un nom et apprendront qu’en matière d’architecture, les bâtisseurs du XVIIIe siècle pré-fèrent construire français. Avec 19 auteurs différents, cette

Histoire vaudoise offre en outre une grande diversité de points de vue et de styles. Certains chapitres sont assez austères. D’autres, fluides, vi-vants et accessibles, séduisent im-médiatement le lecteur.

«Les deux extrêmes de l’axe du temps ont connu de réels change-

ments : la préhistoire et l’époque romaine ont perdu leur statut d’alibi en intégrant les recherches récentes et la pé-riode contemporaine, enfin traitée, couvre même les débuts du XXIe siècle dans les domaines politique, économique et culturel», relève François Jequier dans sa préface. Consa-crée aux XIXe et XXe siècles, la dernière et quatrième par-tie du livre est effectivement riche en informations et en synthèses qui parfois résonnent de façon très actuelle.

Sous le titre «Vaud se confronte à la modernité», Pierre Jeanneret fait une place aux oubliés de l’histoire et rappelle que la dernière grande famine en Europe date de seulement deux cents ans. Il s’intéresse ensuite à l’essor des coopéra-tives de production souvent nées au début du XXe siècle à la suite d’une grève et qui fournissent «du travail à des ou-vriers licenciés et inscrits sur des “listes noires” patronales». Il évoque aussi l’espace emblématique représenté par «la Maison du peuple, “cathédrale ouvrière”, “forteresse du pro-létariat” et “cheval de Troie” érigé au cœur de la ville bour-geoise». Dans une approche plus politique, Olivier Meuwly relève pour sa part qu’en 1849 le chef du Département fé-déral de justice et police Henry Druey «est confronté à la délicate question de l’accueil des réfugiés européens, que les révolutions de 1848 ont jetés sur les routes de l’exil».

La richesse du canton de Vaud tient aussi à ses bâtis-seurs et ses artistes. Tandis que Dave Lüthi souligne le rôle fondamental de l’architecte Jean Tschumi et l’impact de l’Expo 64, Roger Francillon retraverse avec enthousiasme deux siècles de vie intellectuelle pour montrer comment «la culture ouvre le canton au monde». Une belle fin pour un voyage stimulant. MIREILLE DESCOMBES

HISTOIRE VAUDOISE. Ouvrage collectif dirigé par Olivier Meuwly.Co-édition Bibliothèque historique vaudoise / Infolio.

Des Confidences pour évoquer, sur un mode personnel, une his-toire collective énorme, celle d’un pays colonisé par l’Allemagne puis «confié» à la France et à l’Angleterre, le Cameroun. Le récit tissé par Max Lobe fait entendre la voix d’une ancêtre, Ma Ma-liga, en alternance avec l’expérience d’une immersion esquis-sée sur sa terre natale par l’écrivain genevois. Il ne se prive pas de critiquer l’état actuel de ce pays mais la part essentielle re-vient au passé, au sang versé par la France d’alors, et au com-bat pour l’indépendance d’un héros méconnu en Europe, Ru-ben Um Nyobè. NR

CONFIDENCES. Par Max Lobe. Zoé (2016), 285 p.

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RENDEZ-VOUS Toute l’actualité des événements, conférences, colloques, soutenances de thèses ou congrès organisés à l’Université de Lausanne se trouve sur www.unil.ch, rubrique mémento.

Je 9 juin

MA THÈSE EN 180 SECONDESIssus de tous les domaines, des jeunes chercheurs présentent leurs travaux de manière convaincante et ludique, en trois minutes. Le tout à destination d’un public profane. La finale suisse de ce concours aura lieu à l’UNIL. UNIL-Sorge. Amphimax. www.mt180.ch

 Jusqu’au je 2 juin 

SUPERFACESSuperfaces est une exposition d’Adrien Jutard proposée par Yves Guignard, au cœur de laquelle se trouveront les interrogations sur la surface picturale et sur la couleur. Une proposition du Cabanon, espace d’art contemporain de l’UNIL. UNIL-Dorigny. Anthropole. Le Cabanon. Du lu au ve 8h à 19h et sa 10h à 17h. www.lecabanon-unil.ch

 Du je 9 au sa 11 juin

JOURNÉES SUISSES D’HISTOIRELe pouvoir constitue le fil rouge de cet évènement, qui rassemble des historiens suisses et étrangers. De très nombreuses conférences (dont l’une est donnée par Peter Maurer, président du CICR) et des tables rondes sont organisées. UNIL.www.journeesdhistoire.ch

Du je 2 au di 5 juin

MYSTÈRES DE L’UNILSur le thème de la Ville, les cher-cheurs de l’UNIL accueillent les curieux et les familles dans leurs labo-ratoires et sur le campus. Des ate-liers et des conférences sont organi-sés. Les journées des 2 et 3 juin sont réservées aux écoles vaudoises (voir également au dos de cette édition d’Allez savoir !). UNIL-Sorge et Mou-line. www.unil.ch/mysteres

Ve 3 juin

DIES ACADEMICUSCette cérémonie annuelle ouverte au public mêle allocutions officielles, remise de prix et de doctorats hono-ris causa à des personnalités, ainsi que des intermèdes musicaux pro-posés par l’OSUL et le Chœur uni-versitaire. Le thème de cette année : «Savoir anticiper». UNIL-Amphimax. Auditoire Erna Hamburger, 10h. www.unil.ch

Je 9 juin

LITANIES DES VILLESMEURTRIESL’assemblage d’un ensemble vocal féminin et d’instruments électriques et percussifs crée des contrastes sai-sissants. Création de Jérôme Berney sur un poème d’Alain Rochat, avec le Chœur Callirhoé. Lausanne. Palais de Rumine, Corps central. 20h. www.bcu-lausanne.ch 021 316 78 63

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 Du lu 27 juin au ve 8 juillet

AU LONG DE LA RIVIÈREAfin d’assurer le monitoring des truites du Boiron, la Maison de la Rivière cherche des bénévoles. Pas besoin de connaissances particu-lières : toute personne est la bien-venue. L’occasion de partager des moments de convivialité. Tolochenaz. Maison de la Rivière. Inscriptions : [email protected] 021 802 20 75

 Jusqu’au di 28 août 

DANSE AVEC LES ÉTOILESIntrigante, cette exposition explore les liens entre la science-fiction et les arts. Utilisées dans des installations ludiques, les nouvelles technologies s’effacent au profit de la poésie. L’oc-casion de passer un moment hors du temps et de laisser vagabonder son imagination. Yverdon-les-Bains. Mai-son d’Ailleurs. Ma-di 11h-18h. www.ailleurs.ch 024 425 64 38

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Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne 65

 Ma 20 septembre

C’EST LA RENTRÉE D’AUTOMNEDébut des cours pour le semestre d’automne 2016-2017. Une semaine d’accueil pour les nouveaux étu-diants est organisée du 12 au 16 sep-tembre. Les cours prendront fin le 23 décembre.Calendrier académique : www.unil.ch/central/page4804.html

Jusqu’au sa 31 décembre 

« FAUT-IL CONSULTER ? »Cette exposition et le cycle de confé-rences associé donnent à voir des ar-chives psychiatriques et interpellent le chercheur et le citoyen. Une façon transparente de présenter l’approche des Archives cantonales en matière de données personnelles.UNIL-Mouline. Archives cantonales vaudoises. www.patrimoine.vd.ch/archives-cantonales/accueil

 Du lu 4 juillet au ve 2 septembre

COURS D’ÉTÉPour vivre au rythme du français au cœur de l’été ! L’UNIL propose des Cours de français intensifs de 3 semaines et de 6 semaines. Ils sont ouverts à tous les non-fran-cophones dès le niveau «Complet débutant» (âge minimum : 17 ans). Délai d’inscription : 21 juin.www.unil.ch/cvac021 692 30 90

Et encore...

VIOLENCESNotre société est-elle réellement de plus en plus violente ? Comment ex-pliquer une sensibilité accrue face à ces phénomènes et une fascination pour le spectacle violent ? Nom-breux évènements tout public or-ganisés en parallèle à l’exposition. Jusqu’au 19 juin. Lausanne. Musée de la main UNIL-CHUV. Ma -ve 12h-18h, sa-di 11h-18h. www.musee-delamain.ch 021 314 49 55

L’ÉPROUVETTEAménagé comme un vrai labora-toire de biologie, l’Eprouvette invite tous les publics (familles, enfants, associations, curieux, etc.) à se glisser dans la peau de chercheurs pour tester certains grands prin-cipes des sciences expérimen-tales et discuter des enjeux de la recherche, sur le campus.www.eprouvette.ch021 692 20 79

FRÉQUENCE BANANEPilotée par des étudiants de l’UNIL et de l’EPFL, la radio diffuse ses émissions 24h/24 et 7 jours sur 7. A retrouver sur le câble (94.55 MHz) et sur le Net. Au programme : beaucoup de musique, mais égale-ment des infos, des débats, des in-terviews et des chroniques. Pour ne rien rater de la vie du campus.www.frequencebanane.ch

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Di 9 octobre

SORTIE CHAMPIGNONSUne belle occasion d’apprendre à reconnaître certaines espèces et même d’en manger en fin de sortie, si la cueillette a été fructueuse ! Une autre sortie est organisée le dimanche 16 octobre.Tolochenaz. Maison de la Rivière.Sur inscription.www.maisondelariviere.ch021 802 20 75 ou 078 802 01 62

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 Jusqu’au di 7 août

CUIVRELe Musée de géologie propose une exposition sur le cuivre, un métal qui accompagne l’huma nité depuis 10 000 ans. L’occasion de décou-vrir cet élément peu connu. Les pro-priétés du cuivre ainsi que son impor-tance historique sont ainsi présentés. Lausanne. Palais de Rumine. Ma-je 11h - 18h, ve - di 11h - 17h. www.unil.ch/mcg 021 316 33 10

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66 Allez savoir ! N° 63 Mai 2016 UNIL | Université de Lausanne

Manger avec Marc Escola, c’est butiner entre La Bruyère, Pascal, la Ro-chefoucauld et un trio dont nous apprécions au-

jourd’hui encore différentes interpré-tations sur scène, Molière, Corneille et Racine. A l’UNIL, le professeur Escola conjugue l’histoire littéraire (l’ana-lyse des œuvres dans leur contexte d’apparition) et la théorie (qui traite des notions transversales). Cette der-nière s’intéresse, entre autres ques-tions délicates, aux critères permet-tant de départager les textes de fiction et de non-fiction : «La fiction est déce-lable dans les romans à la troisième personne, comme chez Flaubert ou Jane Austen. A la première personne, elle se donne toujours pour une imi-tation par la fiction des genres au-tobiographiques non-fictionnels», soutient-il.

Ce spécialiste des XVIIe et XVIIIe siècles a consacré sa thèse à La Bruyère, dont le discours discontinu ménage en réalité de subtiles tran-sitions, les fragments s’organisant en série, où se font jour des effets de composition. On lui demande un exemple issu du recueil des Carac-tères : «Onuphre, réécriture du Tar-tuffe de Molière, qui constituait pour La Bruyère le portrait caricatural d’un faux faux-dévot, dont il se proposait d’exposer quant à lui le vrai carac-tère». Mais s’il doit citer un auteur qu’il admire par-dessus tout, il men-tionne Pascal et Rousseau pour leur génie littéraire, politique, philoso-phique et scientifique.

Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (ENS), Marc Escola fut as-sistant à La Sorbonne-Nouvelle (Pa-ris 3), maître de conférence à La Sor-

bonne (Paris 4) et professeur à Paris 8 (Saint-Denis). De cette dernière ex-périence, il garde le souvenir de pro-fesseurs motivés dans un environne-ment défavorisé. Un contexte propice aux malentendus, quand la question religieuse revient au centre des préoc-cupations. «La plupart des étudiants musulmans n’ont pas appris que le Coran avait une histoire, ne peuvent pas admettre qu’il constitue un texte dans l’Histoire; ils le reconnaissent comme le seul texte “vrai”, renvoyant tous les autres au champ indistinct de la “fiction”, et il est très difficile de les amener à réfléchir sur le statut des genres, la pluralité des sens d’un même texte, la concurrence des in-terprétations», explique Marc Escola.

Pour ceux qui apprécient la littéra-ture et l’étudient, il anime le site Fa-bula.org, alimenté essentiellement par des chercheurs et des étudiants avancés de l’UNIL et de l’ENS. Les rubriques affichent les actualités re-

Entre la poire et le fromage, une plongée dans la littérature avec Marc Escola, professeur à la Faculté des lettres et spécialiste des XVIIe et XVIIIe siècles.

latives à la littérature mondiale; le site héberge aussi deux revues en ligne, l’une offrant des comptes ren-dus et l’autre explorant les relations entre l’histoire littéraire et la théo-rie. Il vient de déposer un projet d’in-novation pédagogique à l’UNIL, afin de développer une encyclopédie des notions de théorie littéraire.

Signalons (pour ne pas terminer) un séminaire de master où il invite ses étudiants à «renverser l’idée com-mune qui fait de l’inachèvement un accident pour considérer l’achève-ment en tant qu’exception et la conti-nuation comme loi de la création au-thentique». Il cite Stendhal dont la plupart des romans sont restés ina-chevés, ou Paul Valéry, incapable de mettre un terme à la composition de son poème Le Cimetière marin. Si l’échange doit s’interrompre, un dia-logue avec Marc Escola ne laisse pour-tant pas à ses interlocuteurs un sen-timent d’inachevé. NADINE RICHON

AJOUTER UN BRIN DE FICTION

CAFÉ GOURMAND

UN GOÛT DE L’ENFANCECelui des girolles cueil-lies le matin très tôtet préparées avec de l’ailet du persil.

UNE VILLE DE GOÛT ?Paris, où l’on peut trou-ver toutes les cuisines du monde et où j’ai longtemps vécu dans un quartier cosmopolite : celui désormais associé aux attentats de 2015.

AVEC QUI PARTAGER UN REPAS ?Un écrivain bien vivant : Eric Chevillard, le plus fantaisiste des écrivains français contemporains.

MARC ESCOLA Sur la terrasse de l’Hôtel

du Rivage, à Lutry.© Pierre-Antoine Grisoni / Strates

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