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Alternance et mélange codiques au Nigeria de l’oral à l’écrit Françoise Ugochukwu Open University UK & CNRS-LLACAN, Paris

Alternance et mélange codiques au Nigeria

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Alternance et mélange codiques au Nigeria

– de l’oral à l’écrit

Françoise UgochukwuOpen University UK &

CNRS-LLACAN, Paris

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Ce qui suit est un travail en cours portant principalement sur le vocabulaire, comparant oral et écrit, conversation et littérature, pour tenter de cerner l’éventail de la pratique de l’alternance et du mélange codiques et son évolution en ligne.

Elle est à replacer dans le contexte des efforts actuels pour assurer le maintien et la promotion de la langue igbo face à ce qui est perçu par beaucoup comme la menace de l’anglais.

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Cette étude démontre qu’au Nigeria, et en particulier en pays igbo, le mélange et l’alternance codiques, pratiqués au quotidien à l’oral comme à l’écrit, sont représentatifs d’un choix d’utilisation des langues à disposition – anglais, igbo et naija (le pidgin nigérian).

Ce choix est lui-même symptomatique d’une attitude générale vis-à-vis de ces langues, mais peut également être motivé par d’autres facteurs, qui seront brièvement examinés.

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Mélange et alternance codiques se retrouvant en littérature anglophone, nous considérerons trois écrivains de cette région:

Chinua Achebe: Le Monde s’effondre Chimamanda Ngozi Adichie: L’Hibiscus pourpre et L’ Autre moitié du soleil Adaora Ulasi: Many Thing You No Understand

qui ont utilisé mélange ou/et alternance dans leurs romans.

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DéfinitionsJ’utiliserai ici les définitions proposées par Banjo, selon lequel l’alternance codique est « un phénomène dans lequel deux interlocuteurs (ou le même locuteur) s’expriment tantôt dans la langue A et tantôt dans la langue B. Le mélange codique, lui, désigne un acte de parole constitué d’éléments de la langue A et de la langue B. […] En d’autres termes, l’alternance codique est du domaine du discours tandis que le mélange codique est du domaine de la phrase » (1982 : 18-19).

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Autre définition: pour Calvet, c’est toujours le passage « d’une langue à l’autre, que l’on appelle mélange de langues (sur l’anglais code-mixing) ou alternance codique (sur l’anglais code-switching) selon que le changement de langue se produit dans le cours d’une phrase ou d’une phrase à l’autre » (1993: 29).

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Conversations face-à-face

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Selon une enquête datant de 2008, “de nombreux Igbo adultes n’aiment plus qu’on les entende parler igbo; quand on leur parle en igbo, ils répondent en anglais […] Dans l’Etat d’Imo, 50% des parents – 80% dans l’Etat de Lagos – s’adressent la plupart du temps à leurs enfants en anglais ou dans un mélange d’anglais et d’igbo” (Madubuike 2011: 444).

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Conversations asynchrones

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Nous examinerons d’abord mélange et alternance codiques dans les courriels – ici des extraits de courriels échangés entre Igbo vivant, les uns au Nigeria, les autres à l’étranger (Angleterre & Etats-Unis).

Une seconde série d’exemples sera prise dans les entrées de forums en ligne, et une troisième sur Facebook.

Tous les exemples donnés ici proviennent de mes données personnelles et ont été anonymisés.

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CourrielsCes courriels ont été échangés entre Igbo vivant, les uns

au pays, les autres à l’étranger. A l’exception du premier, ils ont tous été envoyés à un groupe de participants à un colloque organisé par une association d’études igbo (ISA) dans les mois précédant l’événement.

L’anglais étant à la fois la langue officielle du Nigeria et une langue de communication internationale, il est attendu qu’il soit également la langue de communication au sein du groupe, bien que le communiqué de fin de colloque 2010 ait encouragé l’usage de l’igbo.

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1. 21 March 2011 02:04 […] The theoretical assumptions behind the establishment of Asusuigbo Teta Association International is to ensure that there are individuals and/or group dedicated to fighting extinction of igbo language:" ihina nkita madu niile nwe na nwu aguu". I will talk to the lady in the ministry first […]. Have a nice day. Prof. E.

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2. Mon 17/01/2011 20:12 […] This year, we are facilitating arrangement for conference participants from overseas to do a tour of Washington DC during the conference. […] Once the rental arrangement is confirmed with the car rental company, no cancellation will be allowed. I estimate that the cost per person would not be more than $20, and the day and time of tour is yet to be determined. Chetakwanu na agha eyiri eyi anaghi eri nwa-ngworo! Regards, A.

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3. Fri 26/02/2010 21:05 Dear Participants, […] Do not forget to pre-register for the conference. Visit the conference webpage on how the need for pre-registration and how to go about it. Ya gazienu! See you all soon in Washington, DC. Sincerely, A.

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Forums en ligne L’exemple choisi ici est celui d’un forum international asynchrone en ligne, [email protected], dont le nom, Uwandiigbo (uwa ndi Igbo = le monde des Igbo,) donné dans cette langue, indique qu’il s’agit d’un point de rencontre entre Igbophones. Il inclut cependant de nombreux membres (cf. entrée 6) qui ne parlent pas l’igbo mais souhaitent apprendre cette langue et mieux connaître la culture igbo. Au sein du forum, les discussions se font en majorité en igbo et en anglais, parfois en naija. Le forum offre cours d’igbo, exercices de traduction et discussions sur la langue et la culture.

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1. Thursday 14/4/11, 7h03

Chei, chei, chei!Kedi katapotu m? Udi mkpotu a ka m ji eji okwo mulumulu m agbali mmadu isi, lie mbombo!As Ikpa of the class, this type of “ogbaghara” offers me the opportunity for such mischief. However, teacher has arrived and with his “hawk” gaze, he is watching me attentively. I wouldn’t want bad testimonial that may force my father to disown me! Well....[…]C.

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2. Tuesday 5/4/11, 20h05 Ndeewo. If your system reads the sub dots, there will be no need to PDF. Let me know.I will miss the ISA meet again this year :(. Jeenu nke oma. M.

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3. Saturday 2/4/11, 5h11 Daalu for picking up the obvious typo. I am glad the "ntupo" comes thru. I can even read it here on my phone! This is why I came to Uwandiigbo. I will try and explain my writing style before posting the novel proper. Of course, "e telu ugba, e telu ose, YA na HA enweghi agbata maobu okeala."

Birikwe.

M.

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4. Friday 18/3/11, 15h38 Mazi J.,Anam anu k'inekwu. Chukwu gozie gi. By the way this forum slowed down some. Where are those questions that made us put on our thinking caps and remember what we did not know we knew?Folks, ask your Igbo language or culture questions as we all end up being enlightened and, yes, entertained. Juwanu ajuju. K.

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5. 22/12/10, 13h15 Ndi Klass Biko, o gini bu "busy body" na asusu Igbo?Merry Christmas, ka Chukwu gozie unu n'ile.Dalu N.

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6. 25/4/11, 22h21

Kedu!

Aha m bu [Mrs] G. B. I am new to this list and am in the process of reading ALL of the old posts in an attempt to "get up to speed". I am a rank beginner in learning Igbo, sadly. My dear Igbo husband of nearly 42 years is encouraging me to learn as much as possible as we are now regularly paying visits to his home village near Owerri and I am unable to communicate with his female relatives who speak no English. I am in USA.I have ordered the dictionary mentioned in the first few messages and studying every day so within three, YES 3, years I hope to at least be able to converse on a rudimentary level. My goodness, the tones are difficult for an older adult to learn! Imela for your anticipated patience with my future questions and current lack of understanding Igbo!G.

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Analyse

Dans tous les exemples notés, on remarque un mélange constant entre anglais et igbo. L’igbo est surtout utilisé dans les cas suivants :

salutations au début et/ou en fin de courrielNdeewo.Ya gazienu!Jeenu nke omaImela!où l’alternance se justifie par l’absence de ces marqueurs culturels dans la langue matrice.

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exclamations: Chei, chei, chei!C’est un fait connu que celles-ci, spontanées et non préparées, viennent habituellement de la langue première. pour citer des proverbes ou des slogans1. Ihina nkita madu niile nwe na nwu aguu2. Agha eyiri eyi anaghi eri nwa-ngworo!3. E telu ugba, e telu ose, YA na HA enweghi agbata maobu okeala. Les proverbes étant à la fois essentiels au discours igbo et notoirement difficiles à traduire.

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On trouve également l’usage de l’igbo pour désigner une particularité de l’écriture de la langue – ici le "ntupo“, diacritique (indiquant un o ouvert).

L’entrée 6 représente l’autre volet du forum, émanant d’apprenants non nigérians souhaitant apprendre l’igbo pour des raisons familiales. Après plus de 40 ans de mariage, cette épouse américaine dont le couple visite le village ancestral de plus en plus souvent, ressent le besoin de communiquer avec sa belle-famille et s’appuie pour cela sur des manuels et le forum. Les mots igbo insérés dans le texte souhaitent prouver ses efforts & progrès mais surtout son désir de s’identifier davantage au peuple igbo.

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L’entrée 4 :“Anam anu k'inekwu. Chukwu gozie gi. By the way this forum slowed down some. Where are those questions that made us put on our thinking caps and remember what we did not know we knew?Folks, ask your Igbo language or culture questions as we all end up being enlightened and, yes, entertained. Juwanu ajuju.”

représente un autre niveau d’alternance. L’igbo de la premiere phrase indique qu’elle est destinée à un individu; l’igbo est utilisé ici pour exprimer un cri du cœur, une proximité de l’interlocuteur, soulignant la différence entre la langue véhiculaire, qui reste une langue étrangère, et la langue première. Le reste est adressé au groupe. L’igbo de la fin renforce le sens.

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Facebook Il s’agit ici d’un site d’interaction sociale en ligne, de plus en plus utilisé, et qui, aux dires de ses utilisateurs, permet avant tout, dans ces temps d’extrême mobilité familiale et professionnelle, de garder le contact avec les membres de famille vivant loin. La page utilisée ici est celle d’une de mes ‘amies’, accédée via la mienne. L’exemple choisi est un extrait de fil de discussion trilingue – français – anglais – igbo ayant eu lieu entre le 30 décembre 2010 et le 6 janvier 2011 entre personnes vivant en Angleterre, en France et aux Etats-Unis. Le sujet de discussion est un calendrier électronique réunissant des photos de jeunes mamans amies et de leurs bébés.

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Les huit personnes participant à cette conversation appartiennent à deux générations différentes et connaissent toutes l’anglais et l’igbo. Trois seulement partagent le français. L’explication habituellement donnée pour l’alternance (difficulté à s’exprimer dans l’autre langue) ne s’applique donc pas ici. Le choix semble davantage lié aux émotions ressenties et à la langue habituellement utilisée par les participants pour exprimer ces émotions. Le français signale un aparté entre participants partageant cette langue.

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Dans cet extrait, on peut expliquer l’usage des langues à la lecture de Chamoiseau, par unerelativisation de plus en plus forte des langues, qui fait que la langue – ici l’anglais – “a pris des distances quant à la notion d’identité, c’est-à-dire que la langue ne sert plus à définir une culture, une identité” (Gauvin 1997: 37).

Cet emploi pragmatique, purement fonctionnel, de l’anglais, est caractéristique de la conversation de nombreux igbophones chez qui l’igbo est au contraire affectivement chargé.

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Publications destinées au grand public

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MusiqueIfunanya (3x)

Onye mu bu n’obi Verse 1

Girl I know say you dey wonder whyWhy do people fall in loveIt could be for the game of pleasureI don't know […]

HookGirl na you, be the one that makes me smileAnd it's true (nne nne)Na only you, fit give this love a chance to reignBaby don't go

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ChorusAll because of Ifunanya (Ifunanya)Ifunaya (Ifunanya)Because of ifunanya, onye m'bu n'obiNa because of Ifunanya (Ifunanya)Ifunanya (Ifunanya)Because of ifunanya, onye m'bu n'obi

Nne biko biko don't go (oh oh)Because of ifunanya, onye m'bu n'obi

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On a là un texte où l’igbo domine, mêlé au naija, langue de la rue.

Selon Babalola (abstract),”bien que la plupart des artistes de hip-hop nigérians chantent en anglais, ils marquent leur attachement à leurs racines en mêlant leurs langues locales à l’anglais. […] L’article met en évidence le sentiment identitaire généré par ce mélange, qui reflète la diversité ethnolinguistique du Nigeria.”

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Publicité

“Nwaanyi na-acomplain na afo na-anu ya oku ma o bu nwaanyi na-enwe painful menstruation […] I mara na o bu worm a na-aria ya.”

H.Igboanusi, Igbo English in the Nigerian Novel, Ibadan, Enicrownfit Publishers 2002 p.43

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Cet exemple tiré d’un ouvrage sur l’anglais nigérian est typique des publicités de rue en pays igbo – affiches ou boniments de colporteurs – destinées à un public qui n’a pas forcément suivi le cursus secondaire. Les deux mots anglais insérés dans la phrase igbo ont un but essentiellement commercial : donner une impression de savoir médical pour s’attirer la confiance des clients. Mais la phrase reste igbo: le verbe anglais ‘complain’ a été reconstruit selon le modèle des verbes igbo (o na-acomplain) pour faciliter son intégration au reste de la phrase.

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Travaux universitaires

Il est intéressant de noter l’usage, rare, de l’interférence dans une publication récente : Cf. I. Madubuike, The Igbo Language in the Twenty-First Century, in A.O.Nwauwa & C.J.Korie (EDS), Against All Odds: the Igbo Experience in Postcolonial Nigeria.

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“Engligbo cannot therefore be the ideal language policy to pursue. We cannot encourage the use of a dysfunctional hybrid language to dominate our speech community and ruin our conversation with the future. Those who know the value of kola nuts cover them with leaves. Anaghi eji ihe a na-agba na nti agba na anya.”

(Madubuike 2011: 428)

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Ce choix peut ici s’expliquer par le fait que le chapitre traite de l’avenir de la langue igbo et s’insère dans un ouvrage sur cette même culture, destiné en priorité aux Igbophones.

La phrase en igbo a d’ailleurs été préparée par l’usage d’un proverbe igbo traduit en anglais.

Là comme dans d’autres exemples, l’igbo peut être considéré comme un supplément destiné aux lecteurs igbophones, et qui vient enrichir leur réflexion tout en la replaçant dans le contexte d’un discours traditionnel appuyant son raisonnement sur la sagesse ancestrale.

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Littérature et

interférences

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Comme le note Bandia (1996:141), “les écrivains africains se servent le plus souvent de l’alternance et du mélange codiques entre les langues locales et les langues européennes.”

Son explication de cette pratique, par contre, apparaît discutable: “lorsque les écrivains […] ne peuvent pas exprimer de façon satisfaisante la réalité socioculturelle africaine dans une langue européenne, ils ont recours à des mots et expressions venus de langues locales.” Nous allons voir ce qu’il en est.

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Achebe, dont le roman Things Fall Apart (1958), traduit en 1963 (Le Monde s’effondre), est le premier roman igbo anglophone, a surtout utilisé le mélange codique.

Son texte est riche de nombreux mots igbo appartenant à différentes catégories, par exemple :

instruments de musique: ekwe, udu, ogene parures/vêtements: jigida Faune: nzaArchitecture: obi croyances: chi, osu, agbala, ogbanje, egwugwu parenté: umuada, umunna

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Adichie, qui a, comme Achebe, longtemps vécu à Nsukka et partage aujourd’hui sa vie entre le Nigeria et les Etats-Unis, est considérée comme la fille spirituelle d’Achebe.

On retrouve dans ses deux romans, L’Hibiscus pourpre (2004) et L’Autre moitié du soleil (2008), le même procédé de mélange codique.

Mais le choix des mots et leur insertion dans la phrase y sont radicalement différents, à commencer par la dédicace de 2004 à “mes parents, mes héros, ndi o ga-adili mma.”

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Le mélange codique chez Adichie:- nne, ngwa, va te changer (2004:17)

-Viens m’aider, biko! (p.17)

-N’as-tu rien à dire, gbo, Jaja? demanda de nouveau Papa.- Mba, il n’y a pas de mots dans ma bouche (p.25)

Trois hommes âgés, debout sous l’ukwa solitaire proche de notre portail, agitèrent la main en criant:- Nnonu! Nnonu! Etes-vous de retour?” (p.81)

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Un vieillard qu’on chasse de la maison:-Ifukwa gi! Tu es comme une mouche qui accompagne aveuglément un cadavre dans la tombe” (p.102)-Nwunye m, pour qui est-ce, tout ça? (p.105)-Tu as bien dit que les enfants arrivaient bientôt, okwia? (p.105)- ichu gba gi!Tatie Ifeoma claqua des doigts vers Papa; elle lui jetait un sort (p.259).

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L’alternance codique chez Adichie:On la trouve dans les deux romans, où elle signale un changement d’humeur, la présence d’un interlocuteur d’un autre groupe social , ou affiche un statut désiré:

-Papa parlait en anglais, tandis que Tatie Ifeoma s’exprimait en igbo (p.111)-Ngwanu, nous verrons, dit Papa. Il parlait en igbo pour la première fois […] Les choses s’arrangent-elles à Nsukka? demanda Papa en repassant à l’anglais” (p.139).- […] imaginant Papa venant lui-même nous chercher, imaginant la colère dans ses yeux […], la rafale d’igbo jaillissant de sa bouche (p.249).

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- Elle parlerait principalement en anglais. Il était facile d’être froid et solennel en anglais (p.257).

-Okeoma est parti, o jebego (p.450).

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Ulasi, dont le roman n’a pas été traduit, a choisi le pidgin comme langue principale. Le scénario fait revivre la région dans les années 1930 et rend compte des difficultés auxquelles se heurtent l’administrateur colonial et son assistant à l’occasion des funérailles du chef local.

C’est une sombre histoire de sacrifices humains qui se terminera mal pour les coloniaux. L’alternance ici est entre l’anglais, que parlent les Britanniques entre eux, et le pidgin qu’ils parlent avec leurs boys et que ceux-ci parlent parfois entre eux.

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Le roman s’ouvre sur un procès au cours duquel l’interprète navigue en pidgin entre l’igbo (quasi muet) des demandeurs et défendeurs et l’anglais du juge.

Le choix de la langue est déterminé par la catégorie sociale à laquelle appartiennent les personnes, le pidgin servant en outre de langue véhiculaire entre igbophones et anglophones.

Le fait que l’igbo ne soit jamais écrit participe à la fois du mystère entourant les funérailles et de la volonté de l’auteur de montrer la force tranquille de la culture igbo, qui aura le dernier mot.

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-Mr. Ananso, you bring a charge against Felix Mbaezue […]?-The ADO said that you, Felix Mbaezue, try for kill his brother?-Mba!-Mr. Mbaezue said, no! (p.7)

-Tell me, Ezekiel, I hear say they go bury him with heads. Which place they get the heads from? […]-Me no know, sir. […] Me be ordinary houseboy. I no hear nothing (p.35).

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L’engligbo, mauvais élève?

Alternance et mélange codique sont aujourd’hui la marque de l’engligbo, généralement considéré comme une menace pour la survie de l’igbo. Il est défini comme “un mélange bâtard d’igbo et d’anglais créé par l’inclusion, dans la phrase igbo, de mots anglais alors que ceux-ci ont leur équivalent en igbo”, et “pratiqué surtout par des Igbo bilingues parlant aussi bien l’igbo que l’anglais” (Madubuike 2011: 427).

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Le reflet d’un quotidien multilingueEn conversation, le mélange codique permet de préserver des éléments culturels absents de la langue européenne – salutations, remerciements traditionnels par exemple. Mais il peut aussi être lu comme un refus inconscient de la dichotomie imposée par le système scolaire et du conflit provoqué de l’extérieur entre langue première et langue officielle. C’est une reconnaissance implicite de la complexité linguistique vécue au quotidien entre l’igbo du marché, l’anglais des bureaux et le naija de la gare routière.

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La revanche de l’opacité

En littérature, ce même mélange a le plus souvent été considéré comme un procédé commode pour rendre compte d’une culture – chez Achebe par exemple.

Mais alternance et mélange codique y prennent également une autre dimension, et pourront être interprétés comme relevant d’un choix d’opacité, du refus de traduire, d’expliquer, de faciliter la lecture de l’œuvre par un lectorat étranger qui, lui, ne s’embarrasse pas de telles considérations.

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Le refuge de l’intimité

Enfin – et c’est surtout remarquable chez Adichie, le mélange codique a la chaleur des apartés, le ton de l’intimité. Il signale à chaque fois une connivence, le partage de quelque chose qui ne peut se dire que dans la langue première, rejoignant l’adage régulièrement cité pour justifier l’abandon temporaire mais systématique de l’anglais lors du partage de la kola : la noix de kola ne ‘parle’ pas anglais.

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