Alzheimer, maladie politique, par Philippe Baqué (Le Monde diplomatique, février 2016)

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    M .

    Des propos outranciers etcaricaturaux: cest ainsi que le

    lobby des laboratoires pharmaceutiques a qualifi lacampagne de Mdecins du monde contre le prix desmdicaments. 2,4 milliards deuros, cest ce que rapporte lecancer,4 milliards deuros, le chiffre daffaires dumlanome et 20 000%, cest en moyenne la marge brutedune leucmie sont quelques-uns des slogans[https://leprixdelavie.medecinsdumonde.org/fr/]que vous ne

    verrez pas dans lespace public, aprs que plusieurs rgiespublicitaires ont refus de les afficher. En fvrier dernier,Philippe Baqu se penchait plus prcisment sur la maladiedAlzheimer, enjeu de socit crucialprisonnier delindustrie pharmaceutique.

    L

    Alzheimer, maladie politiqueLaugmentation rapide du nombre de diagnostics de la maladie dAlzheimer reprsenteun dfi indit pour lhumanit. Misant sur un march potentiel colossal, lindustriepharmaceutique recherche frntiquement et jusquici sans succs unmdicament ou un vaccin miracle. Lintrt des personnes malades et de leurs prochesinvite cependant repenser les politiques publiques et lapproche thrapeutique duneaffection encore bien mal connue.

    P B

    vrier > , pages , et

    http://www.monde-diplomatique.fr/2015/01/RAVELLI/51928https://leprixdelavie.medecinsdumonde.org/fr/http://www.monde-diplomatique.fr/http://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/http://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/http://www.monde-diplomatique.fr/http://www.monde-diplomatique.fr/2015/01/RAVELLI/51928https://leprixdelavie.medecinsdumonde.org/fr/http://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/BAQUE/54695#ecouter
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    A

    Susan Aldworth. Cogito ergo sum # 3.12 (Je pense donc je suis n 3.12), 2006Bridgeman Images

    centre hospitalier de Marmande-Tonneins (Lot-et-Garonne), Mme M. est arrive

    en fauteuil roulant. A 78 ans, elle avait t diagnostique Alzheimer par unneurologue,raconte sa fille. Elle prenait beaucoup de mdicaments, avait vite perduson autonomie et devenait trs agite. Je me suis puise laider.A la fin desannes 2000, elle se rsout installer sa mre dans cette unit spcifique qui accueille

    en sjour de longue dure les patients un stade svre de la maladie. L, elle a bnfici debeaucoup de prsence et de bienveillance. Au bout de trois semaines, elle trottait et mangeait sans

    aide.

    Griatre et chef de ce service jusquen 2011, le Dr Franois Bonnevay avait pris le parti de ne

    garder que le strict ncessaire des mdicaments qui avaient auparavant t prescrits auxnouveaux pensionnaires, souvent en trop grand nombre et avec de graves effets secondaires. Ilexiste dautres mthodes que les camisoles chimiques pour les malades agits,explique-t-il. Il fautque les soignants soient forms des stratgies de communication qui leur permettent dtre en

    phase avec les pensionnaires. Ceux-ci doivent tre considrs comme des tres humains, avec des

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    dsirs et des motions.La priorit au sein de lunit tait de respecter le bien-tre et le rythme devie des patients. Le personnel tait form Humanitude, une mthode et philosophie de soinmise au point et enseigne par un couple de psychogrontologues qui permet de faire disparatreune grande partie des troubles psychocomportementaux,commente le mdecin.

    Lapproche bienveillante mise en pratique dans le service du Dr Bonnevay sest traduite de 2002 2011 par une quasi-disparition des patients grabataires, une diminution des pertes de poids, le

    ralentissement des processus infectieux et labsence de transfert en service dhospitalisation delongue dure.

    Ces rsultats nont t possibles que grce la prsence dun personnel en nombre suffisant. Letaux dencadrement tait de 0,8, soit huit soignants pour dix personnes accueillies. Ce ratiodemeure aujourdhui exceptionnel : La plupart des tablissements dhbergement pour personnesges dpendantes[Ehpad] ont aujourdhui un ratio situ entre 0,3 et 0,6, alors quils accueillent deplus en plus de personnes,constate le Dr Philippe Masquelier, mdecin coordinateur dans troisEhpad de lagglomration lilloise.

    Pour des raisons conomiques, on nivelle les moyens par le bas. Comme il nexiste pas encore demdicaments efficaces, on a surtout besoin de prsence humaine; or cest justement ce qui manque!

    En 2006, le plan solidarit grand ge prsent par M. Philippe Bas, ministre dlgu auxpersonnes ges, prvoyait daligner en cinq ans le ratio dencadrement des maisons de retraitesur celui des tablissements pour personnes handicapes, soit un professionnel pour une personneaccueillie. Cet objectif na jamais t atteint, et le plan Alzheimer 2008-2012 du prsident NicolasSarkozy ne la pas repris.

    Ce qui se joue ici, cest lhumanit de notre socit!,dclarait M. Sarkozy le 10 mars 2014

    Nice, lors de linauguration de lInstitut Claude-Pompidou (ICP), consacr la maladiedAlzheimer (1). La crmonie, fort mondaine, tait orchestre par Mme Bernadette Chirac,prsidente de la Fondation Claude-Pompidou. Le btiment de quatre tages, lallure dersidence luxueuse et scurise, runit plusieurs structures impliques dans le diagnostic, larecherche et la prise en charge diffrents stades des personnes touches. Comme lEtat nepouvait pas financer lui seul cet ambitieux projet vocation publique dun cot de 22 millionsdeuros, la Fondation Claude-Pompidou a fait appel la gnrosit de ses amis : la milliardairemongasque Lily Safra dont le portrait trne en bonne place dans le hall daccueil , la Conny-Maeva Charitable Foundation, M. Bernard Arnault et son groupe LVMH, le couturier KarlLagerfeld Lors de linauguration, lICP tait prsent comme un modle de russite dans lapolitique de lutte contre la maladie dAlzheimer mise en place par M. Sarkozy durant sonquinquennat. Une fois les paillettes envoles, cependant, linstitut a d faire face une tout autreralit.

    En six mois, il y a eu quinze dcs parmi les rsidents! Les conditions de travail du personnel

    taient si dures que les dmissions se sont multiplies,raconte Mme Monique Dinelli, qui a tinfirmire au sein de lEhpad de lICP gr par la Mutualit franaise. Elle-mme a dmissionnau bout de quelques mois, en dnonant lincomptence de la direction et des mdecins.Louverture a t hte pour des raisons politiques. Rien ntait prt!Mme Danielle Maroselli a

    plac son pre dans cette structure ds son ouverture ; il est dcd trois mois plus tard. Je naijamais pu voir les mdecins. Jai eu limpression dtre ignore et mprise.Elle sest alorsrapproche dautres familles de patients en conflit avec les responsables de lEhpad. Nous avonscrit la direction de la Mutualit franaise, Mme Chirac, au maire de Nice pour signaler tout ce

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    que nous subissions. Nous navons jamais reu de rponse!Les familles dnonaient linsuffisancede personnel, une srie de dysfonctionnements aux consquences parfois tragiques, desmaltraitances et la malveillance de la direction. Dbut dcembre 2014, une dizaine dentre ellesdposaient une plainte (toujours en cours) contre la Mutualit franaise auprs du procureur deNice. Un an aprs linauguration de lICP, M. Jol Derrives, directeur gnral de la Mutualitfranaise Provence-Alpes-Cte dAzur, tait contraint de se sparer de la directrice et du mdecinde lEhpad, sans vraiment prendre en considration les plaintes des familles. Nous avons

    seulement commis une petite erreur de casting,concde-t-il.

    Le plan Alzheimer de M. Sarkozy succdait deux autres plans gouvernementaux, mais tranchaitpar son ambition et ses moyens, avec un budget de 1,6 milliard deuros. Il devait sacheveren 2012, mais a t prolong de deux ans. Ancienne prsidente de lassociation de familles FranceAlzheimer, Mme Marie-Odile Desana reconnat des avances concrtes grce lamlioration dusoutien aux personnes malades et leurs familles, laugmentation des accueils de jour et desplates-formes daccompagnement et de rpit, ainsi qu la cration de maisons pour lautonomie etlintgration des malades. Mais elle dplore aussi linsuffisance de moyens humains : Il y a eu

    une sous-excution du volet mdico-social du plan. Seuls 41% du budget de 1,2 milliard qui lui taitattribu ont t dpenss. Je suis incapable de dire o sont passs les 700 millions qui manquent!

    Le bilan de laccompagnement mdical et social apparat bien en de des objectifs annoncs.Ainsi, 60 000 personnes proches des malades, les aidants, devaient bnficier dune formation,mais seules 15 000 ont pu la suivre (2). De son ct, lObservatoire national de la fin de viecontinue de pointer labsence dinfirmiers durant la nuit dans la trs grande majorit des Ehpad.Le plan maladies neurodgnratives 2014-2019 a succd au plan Alzheimer. Avec un budgettrs rduit, il comprend galement la lutte contre la maladie de Parkinson, contre la sclrose enplaques ou contre la maladie dHuntington. Plutt que dencourager le dveloppement dunaccompagnement humaniste et bienveillant des malades, les politiques publiques ont prfrprivilgier le soutien lindustrie pharmaceutique dans sa recherche dun traitement mdical sans rsultat jusqu aujourdhui. Premier mdicament suppos ralentir les effets de la maladiedAlzheimer, la tacrine a t retire de la vente en 2004 cause de graves effets secondaires.Depuis la fin des annes 1990, quatre traitements censs agir sur les symptmes de la maladiesont en vente. Les trois premires molcules (donpzil, galantamine et rivastigmine) sont desanticholinestrasiques, qui augmentent le taux dun neurotransmetteur impliqu dans leprocessus de la mmoire. La quatrime (mmantine) agit sur dautres transmetteurs et peut treassocie aux prcdents en bithrapie.

    99,6% dchecs pour les essais cliniques

    Ds lapparition des anticholinestrasiques, la revue mdicale indpendante Prescriredmontraitleur peu defficacit, leurs nombreux effets indsirables, leur dangerosit en cas de prescriptiondurant plus dun an, et dnonait leur cot excessif. Elle mettait aussi en garde contre lesinteractions avec dautres mdicaments qui augmentaient les effets secondaires et les risques dedcs. Malgr les critiques, la Haute Autorit de sant (HAS) publiait en 2008 une

    recommandation qui maintenait leur remboursement, avec un service mdical rendu jugimportant (3). Le Formindep, une association de mdecins pour une formation et uneinformation mdicales indpendantes,dposait alors un recours devant le Conseil dEtat ensoulignant la partialit des membres du groupe de travail de la HAS. Lassociation avait dcouvertdes conflits dintrts majeurs touchant la moiti des 24 experts, ceux-ci entretenant des liens

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    avec les laboratoires qui produisaient les mdicaments anti-Alzheimer.

    En 2011, la commission de la transparence de la HAS rtudiait donc ces mdicaments avec unnouveau groupe dexperts indpendants. M. Philippe Nicot, membre du Formindep, a particip cette rvaluation : Il y a eu une dgradation extrmement svre de la note des mdicaments. Leservice mdical rendu est devenu faible, abaissant le taux de remboursement 15%. A une voix prs,

    il devenait insuffisant. Cela a eu un impact immdiat et la prescription de ces mdicaments a chut.

    Chaque anne, la Scurit sociale conomise dsormais 130 millions deuros. Notre association asuggr que cet argent serve embaucher du personnel dans les Ehpad; nous navons jamais eu de

    rponse.

    Pour plaider leur cause, les laboratoires ont fait appel au Pr Jean-Franois Dartigues. Ceneurologue lInstitut des maladies neurodgnratives du centre hospitalier universitaire deBordeaux, qui fut membre du premier groupe dexperts de la HAS, a reconnu des liens avec lesprincipaux laboratoires impliqus dans les mdicaments anti-Alzheimer (4) notamment pour lefinancement de ltude pidmiologique Paquid (5), quil dirige depuis plus de vingt ans , mais atoujours affirm dfendre ces traitements par conviction. M. Bruno Dubois, professeur deneurologie lhpital de la Piti-Salptrire et directeur de lInstitut de la mmoire et de lamaladie dAlzheimer, Paris, a lui aussi reconnu des conflits dintrts (6), avant davouer au sujetde ces mdicaments : Je sais bien quils ne servent rien. Mais je suis oblig de dire quils serventun peu, car sinon, a dsespre le malade.Il mne actuellement des essais sur le donpzil lundes trois anticholinestrasiques pour dmontrer son efficacit dans le traitement de maladesdiagnostiqus avant lapparition des premiers symptmes. La socit pharmaceutique amricainePfizer, qui commercialise le donpzil, soutient cet essai et finance aussi limportante tudeInsight, quil dirige.

    La dpendance de la recherche vis--vis de lindustrie pharmaceutique se gnralise, constateM. Bruno Toussaint, rdacteur en chef de Prescrire: La recherche de mdicaments est confieaux socits pharmaceutiques, qui nouent des relations dargent et de prestations de services avec les

    mdecins spcialiss. Les pouvoirs publics rduisent ainsi leurs dpenses, mais ils enracinent les

    conflits dintrts dans le systme du mdicament. Et lintrt des industriels nest pas forcment

    celui de la population

    La recherche dun traitement contre la maladie dAlzheimer est aujourdhui en crise. Entre 2000et 2012, 1 031 essais ont t mens dans le monde, et 244 molcules ont t testes, avec un tauxdchec de 99,6% (7). Les vaccins et molcules tests parfois positivement sur des souristransgniques se sont les uns aprs les autres rvls inoprants sur les humains, voire dangereux.Malgr les normes sommes englouties, il nexiste aujourdhui aucun traitement efficace.

    Le leitmotiv du diagnostic prcoce

    Le plan Alzheimer de M. Sarkozy prtendait pallier cet chec en mobilisant lensemble desacteurs impliqus dans la lutte contre la maladie dans un modle de recherche dexcellence

    destin ouvrir des marchs rentables et tre comptitif au niveau mondial. Ce modle taitfond sur un partenariat public-priv de plus en plus troit. Une fondation de cooprationscientifique pour la recherche sur la maladie dAlzheimer et les maladies apparentes (Fondationplan Alzheimer) a ainsi t cre en 2008. Elle associe lInstitut national de la sant et de la

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    recherche mdicale (Inserm) cinq laboratoires pharmaceutiques (Sanofi, Servier, MSD, Ipsen etAstraZeneca) qui la financent et sigent son conseil dadministration, prsid par M. PhilippeLagayette, consultant financier et ancien banquier. Ce type de partenariat sest ensuite gnralisau niveau europen.

    Directeur gnral de la Fondation plan Alzheimer, le Pr Philippe Amouyel, spcialiste de lagntique, dfend les partenariats public-priv : Le secteur public nest pas quip pour faire du

    dveloppement. Cest pour cela que le programme europen Innovative Medicines Initiative a lancdes consortiums gigantesques, avec des dizaines de laboratoires publics et privs, pour encourager

    des interactions entre ceux qui gnrent des hypothses et ceux qui peuvent crer des mdicaments

    partir de ces hypothses. On parle aujourdhui dune recherche prcomptitive.

    Lui-mme fait le lien entre le monde de la recherche et celui du business. Il coordonne lelaboratoire dexcellence Distalz, qui fdre sept laboratoires publics, et le projet Medialz, quivise dvelopper, dans une logique concurrentielle, des traitements thrapeutiques et denouveaux outils de diagnostic. Distalz et Medialz entretiennent des relations privilgies avecdeux socits pharmaceutiques de biotechnologie lilloises : Alzprotect, qui dveloppe descandidats mdicaments anti-Alzheimer provenant de lInserm, et Genoscreen, spcialise ensquenage gntique, qui dveloppe des kits de diagnostic pour la maladie dAlzheimer mis aupoint par luniversit de Lille. M. Amouyel sige au conseil scientifique de ces deux socits.

    Le leitmotiv de la recherche prcomptitive est dsormais le diagnostic prcoce : il sagitdidentifier des personnes souffrant de quelques troubles de mmoire qui pourraient dvelopperdans dix ou quinze ans la maladie dAlzheimer. Ce changement dapproche repose sur unenouvelle dfinition de la maladie, labore en 2007 par une quipe de chercheurs internationauxdirige par le Pr Dubois. Jusqualors, la maladie dAlzheimer ntait diagnostique qu partir

    dun certain seuil de svrit : le stade de la dmence,explique-t-il. Nous proposons dsormais descritres de diagnostic qui incluent tous les stades de la maladie, notamment celui qui existe avant

    lapparition des symptmes, appel stade prodromal.Consquence de cette nouvelle dfinition :les laboratoires axent leurs recherches sur des mdicaments destins non plus aux personnesges, mais des malades plutt jeunes et en bonne sant, qui pourront tre traitsprventivement durant plusieurs annes

    Le diagnostic prcoce est encourag par de nombreuses universits et centres hospitaliers, et misen application par des centres de consultation mmoire. Ainsi, en Ile-de-France, le rseaummoire Alos peut se vanter davoir dpass les objectifs assigns par lagence rgionale de sant.En labsence de tout traitement, les personnes repres sont diriges vers les protocoles dessaisthrapeutiques (8).

    Pour tablir ces diagnostics, les mdecins spcialistes sont encourags user de nouvellestechniques telles que la neuro-imagerie ou la ponction lombaire, destine dtecter dans leliquide cphalo-rachidien la prsence de certaines protines. Ces outils permettent didentifier lescaractristiques biologiques de la maladie, les biomarqueurs. Un march fort rentable etplthorique souvre avec les outils de diagnostic en cours de dveloppement ou en attente debrevet. Mais leur utilisation ne fait pas lunanimit. Ainsi, le Pr Olivier Saint-Jean, responsable

    du service de griatrie de lhpital europen Georges-Pompidou, Paris, sinsurge : Si lesbiomarqueurs sont prescrits dans le cadre dun protocole de recherche, on peut penser que cela a un

    sens. Mais pratiqus la sauvage, comme le font certains centres, ils nont aucun intrt clinique

    pour les patients et ils ne doivent pas tre utiliss! Dans mon service, cest zro biomarqueur!

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    Pour contester les rsultats ngatifs dun essai thrapeutique, un laboratoire pharmaceutique ademand que la recherche des biomarqueurs soit pratique sur les patients diagnostiqusAlzheimer selon les anciens critres (9). Rsultat : 36% dentre eux ntaient plus considrscomme Alzheimer Le Pr Dubois en conclut : Je considre que tout ce qui a t fait avant lesbiomarqueurs est jeter la poubelle!Dans quelle mesure les diagnostics de la maladiedAlzheimer demeurent-ils fiables? Pour 1% des patients, porteurs dune mutation gntiquerendant la maladie hrditaire, le diagnostic bas sur ltude des gnes semble solide. Ce sont

    gnralement des personnes ges de moins de 60 ans. Les 99% restants dvelopperaient la formede la maladie dite sporadique, qui se dclenche en gnral aprs 70 ans, parfois avant. Poureux, le diagnostic, mme ralis avec les biomarqueurs, est toujours incertain. De plus en plus devoix slvent donc pour remettre en cause les diagnostics prcoces concernant des personnessaines.

    Autre sujet dinterrogation : les plaques de protines bta-amylodes, dont la prsence dans lecerveau fonde une grande partie des diagnostics et de la recherche de nouveaux traitements. Unetude ralise durant quinze ans sur les religieuses dun couvent aux Etats-Unis (10) a montr

    que, malgr limportance des plaques amylodes qui recouvraient le cerveau autopsi de certainesdentre elles, elles avaient conserv leurs capacits crbrales intactes jusqu la fin de leur vie. Lastabilit de leur existence et leur activit intellectuelle soutenue pouvaient expliquer leurrsistance la maladie. Linfluence de lenvironnement et des parcours de vie a aussi tdmontre dernirement par ltude Paquid. Nous avons mis en vidence une baisse dans le tempsde lincidence et de la prvalence de la maladie dAlzheimer!,clame le Pr Dartigues. La raison decette baisse tient principalement lamlioration globale du niveau dtudes des nouvelles

    gnrations. Cette dcouverte a rvl lextraordinaire capacit de rserve du cerveau.

    Des projections statistiques hasardeuses

    Professeur de neurologie aux Etats-Unis, Peter Whitehouse fut un expert rput de la maladie,avant den critiquer avec virulence les prsupposs. Dans son ouvrage Le Mythe de la maladiedAlzheimer,il entend dmontrer quil nexiste pas de profil biologique unique et que le diagnosticnest que probable pour les personnes ges. Il ny a aucune preuve que la maladie dAlzheimer sepropage parmi la gnration du baby-boom, si ce nest que le monde vieillit et quil y a davantage

    de personnes dge moyen qui risquent de prsenter un phnomne de vieillissement crbral(11).

    Professeur de psychopathologie et de neuropsychologie aux universits de Genve et de Lige,Martial Van der Linden mne une tude critique du modle biomdical dominant (12). Il a bannide son vocabulaire le terme maladie dAlzheimer et ne parle plus que de vieillissementcrbral cognitif problmatique. Avec les critres imposs de la maladie dAlzheimer, on rduitles personnes une tiquette stigmatisante,explique-t-il. Dans les annes 1980, je me suis renducompte que la ralit tait beaucoup plus complexe, quil y avait une trs grande diversit des cas, et

    des capacits prserves non prises en compte. Une grande partie des difficults cognitives des

    personnes ges sont dues des problmes vasculaires, du diabte ou de lhypertension et,

    surtout, lge!Avec la neuropsychologue Anne-Claude Juillerat Van der Linden, il a crlassociation Valoriser et intgrer pour vieillir autrement (VIVA), afin de promouvoir des mesuresprventives du vieillissement crbral bases sur lintgration sociale et culturelle des personnesges. Des expriences originales dans la prise en charge humaine des patients et leurparticipation la vie de ltablissement ont montr leur intrt, notamment au Qubec avec le

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    P BJournaliste.

    (1) LeParisien.fr, 12 mars 2014.

    (2) Indicateurs de suivi du plan Alzheimer et maladies apparentes 2008-2012 de la Caisse nationale de solidarit pourlautonomie (CNSA), www.securite-sociale.fr [http://www.securite-sociale.fr]

    (3) La maladie dAlzheimer tant une affection de longue dure (ALD), les mdicaments continuent tre rembourss 100%par la Scurit sociale.

    (4) Controverse : pour ou contre les anticholinestrasiques [http://archives.jnlf.fr/data/02-congres/2008/flashconf/1702/Media/index.htm], congrs 2008 des Journes de neurologie de langue franaise,http://archives.jnlf.fr [http://archives.jnlf.fr]

    (5) Personnes ges Quid, tude de cohorte constitue en 1988 pour suivre long terme en Aquitaine plus de 3 000 sujetsgs de plus de 65 ans.

    (6) Interception, France Inter, 11 janvier 2015.(7) Revue de presse de la Fondation Mdric-Alzheimer,no 105, Paris, juin 2014. A titre de comparaison, de 2002 2012,

    1 438 essais cliniques sur le cancer ont obtenu un taux de russite de 89%.

    (8) Rseau mmoire Alos, rapport dactivit 2011, Paris, www.reseau-memoire-alois.fr [http://www.reseau-memoire-alois.fr]

    (9) Cf.Maladie dAlzheimer, un diagnostic simplifi, avec les critres les plus fiables[http://www.inserm.fr/layout/set/print/espace-journalistes/maladie-d-alzheimer-un-diagnostic-simplifie-avec-les-criteres-les-plus-fiables], Inserm, Paris, 30 juin 2014.

    (10) Cf. LEnigme Alzheimer,film de Thomas Liesen diffus le 12 avril 2008 sur Arte.

    (11) Peter Whitehouse et Daniel George, Le Mythe de la maladie dAlzheimer. Ce quon ne vous dit pas sur ce diagnostic tantredout,De Boeck-Solal, Louvain-la-Neuve, 2009.

    (12) Martial Van der Linden et Anne-Claude Juillerat Van der Linden, Penser autrement le vieillissement,Mardaga, Bruxelles,2014.

    projet Carpe Diem. En voyant ses pensionnaires retrouver le sourire, voire sortir de leur mutisme,un groupe de praticiens, de personnes diagnostiques et de membres de leurs familles ont conusur ce principe, en France, le nouvel tablissement Ama Diem, qui vient douvrir Crolles (Isre).

    Ce que lon appelle maladie dAlzheimer, dont les projections statistiques hasardeusesproduisent une grande peur, devient un enjeu de socit crucial. Sera-t-il possible ces prochainesannes de dvelopper une recherche totalement indpendante des intrts de lindustrie

    pharmaceutique? Pourra-t-on envisager une exploration de toutes les causes potentielles de lamaladie, et pas seulement des pistes biomdicales? Les financements publics pourront-ilsencourager la prvention et promouvoir des rponses la hauteur des besoins? Saurons-nous tre la hauteur de ce dfi et trouver une place chacun pour le temps de la vieillesse?

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  • 7/26/2019 Alzheimer, maladie politique, par Philippe Baqu (Le Monde diplomatique, fvrier 2016)

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    20/06/2016 Alzheimer, maladie politique, par Philippe Baqu (Le Monde diplomatique, fvrier 2016)

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