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Amistad un film de STEVEN SPIELBERG Centre culturel LES GRIGNOUX Dossier pédagogique

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Amistadun film de Steven Spielberg

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■Amistad de Steven Spielberg évoque unépisodepeuconnudel’histoiredramatiquede la traitedesNoirs vers l’Amérique: en1839,lescaptifsd’unbateaunégriersesontrévoltéscontreleursgeôliersavantd’errerplusieurssemainesenmeretd’échouersurlescôtesaméricaines.PourlesautoritésdesÉtats-Unisseposaalorsunvéritablecasse-têtejuridique:desesclavesavaient-ilsledroitdebriserleurschaînesetdemassacrerleursoppresseurs?Ils’ensuivraunétrangeprocèsavecdesaccusésquineparlaientévidem-mentpasl’anglaismaisquirefusaientd’êtretraités,commelevoulaientlesesclavagistes,commedesmarchandisesoudesanimaux.SiceprocèsestpourStevenSpielbergl’occasiond’unvigoureuxplaidoyerpourlesdroitsdel’homme,lefilmmontreégalementàtraversunesériedeséquenceschocsquellefutl’hor-ribleréalitédelatraitedesesclaves.

Ce dossier consacré à Amistad proposeplusieursanimationsautourdufilm,desesprincipauxthèmesetdesonactualité.

■ Sommaire: 10questionsàproposd’Amistad Esclavageethistoire Donnersonimpressionsurlefilm Amistadoulechocdescultures

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AmistAdun film de steven spielberg

le Centre Culturel les grignouxet le C.t.l. - liège

michel Condé

avec le soutien de la Ville de Liège

de la Région Wallonne

de la Communauté française de Belgique

et avec l’appui de l’Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche scientifique. Service général des Affaires générales, de la recherche en Éduca-tion et du Pilotage interréseaux

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� Écran large sur tableau noir

Écranlargesurtableaunoir

« Écran large sur tableau noir » est une collection de dossiers pédagogiques, mais c’est aussi une program-mation de films à destination du public des élèves et des enseignants.

Chaque année, les cinémas participant à « Écran large sur tableau noir » proposent, en matinées scolaires, un vaste programme de films de qualité que les élèves, du maternel au supérieur, peuvent découvrir pour un prix modique avec leurs professeurs. Ces films sont retenus à la fois pour leur caractère acces-sible à un large public d’enfants et d’adolescents et pour la richesse de leur mise en scène ou l’intérêt des thèmes qu’ils abordent.

Les enseignants qui participent à ces matinées avec leurs élèves se voient remettre gratuitement un dossier pédagogique « Écran large sur tableau noir » sur le film choisi.

Pour la saison 1998-99, les cinémas participant à « Écran large sur tableau noir » sont les suivants :À Liège, les projections ont lieu au cinéma le parc, 22, rue Carpay, 4020 Liège-Droixhe ou au cinéma

Churchill, 20, rue du Mouton Blanc, 4000 Liège. Réservation et renseignements au 04 / 222 27 78.À Amay, les projections ont lieu au cinéma les variétés, 2, rue Entre deux Tours, 4540 Amay. Réservation

et renseignements au Centre Culturel d’Amay au 085 / 31 24 46.À Bruxelles, les projections ont lieu à l’Arenberg-galeries, Galerie de la Reine, 26, 1000 Bruxelles. Ré-

servation et renseignements au 02 / 511 65 15.À Charleroi, les projections ont lieu au cinéma paradiso, 4, place E. Buisset, 6000 Charleroi. Réservation

et renseignements au 071 / 31 44 80.À Huy, les projections ont lieu au Centre Culturel de Huy, avenue Delchambre 7a, 4500 Huy. Réservation

et renseignements au 085 / 23 53 18.À La Louvière, les projections ont lieu au cinéma stuart, 16, rue Sylvain Guyaux, 7100 La Louvière.

Réservation et renseignements au Centre Culturel régional du Centre au 064 / 21 51 21.À Namur, les projections ont lieu au cinéma Forum, rue du Belvédère, 41, 5000 Namur. Réservation et

renseignements au 081 / 73 64 69.À Mons, les projections ont lieu au cinéma plaza Art, 12, rue de Nimy, 7000 Mons. Réservation et ren-

seignements au 065 / 35 15 44.À Tournai, les projections ont lieu au multiscope palace, rue Hôpital Notre-Dame, 7500 Tournai. Ré-

servation et renseignements à la maison de la Culture (Bruno Delmotte : primaire; Jean-Marie Lefebvre : secondaire) au 069 / 22 13 21.

« Écran large sur tableau noir » est une manifestation organisée par le centre culturel Les Grignoux (Liège).

© Les Grignoux, 1999Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tout pays.

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PrÉSENtAtIoN

Ce dossier consacré à Amistad de Steven Spielberg propose plusieurs animations autour du film lui-même et de son thème principal, l’esclavage.

Les premières animations porteront sur la compréhension du film qui met en scène une situation historique révolue dont il n’est pas sûr que les jeunes spectateurs saisissent avec exactitude toutes les composantes. Plusieurs questionnaires devraient permettre de vérifier la bonne compréhension des participants tout en leur appor-tant quelques informations complémentaires. On leur donnera en outre l’occasion d’exprimer leur avis sur le film en se basant sur une liste d’arguments plus ou moins élaborés avec lesquels chacun marquera son accord ou son désaccord.

Les autres animations porteront sur le grand thème du film, à savoir l’esclavage. Les élèves seront invités à mener une recherche historique et sociologique sur les différentes formes d’esclavage hier et aujourd’hui, afin notamment de mettre en évi-dence la spécificité de la traite négrière vers l’Amérique dont parle le film de Spielberg et dont les traces sont encore présentes aux États-Unis aujourd’hui.

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ComPrENDrElEfIlm

AvANtlAProjECtIoN

Steven Spielberg a conçu son film, Amistad 1, de manière volontairement pédago-gique, et celui-ci ne demande donc pas de préparation particulière. Le seul élément qui mérite peut-être un éclaircissement est la différence entre la traite et l’esclavage. Bien que les deux aillent souvent de pair, il faut rappeler que la traite désigne la mise en esclavage forcée et le transport de ces esclaves en un autre lieu (un autre continent dans le cas des Noirs d’Afrique), tandis que l’esclavage désigne bien évidemment la condition de ces individus devenus légalement la propriété d’autres individus. Cette distinction joue, on le verra, un rôle essentiel dans le film.

APrèSlAProjECtIoN

Le film de Steven Spielberg, Amistad, se déroule dans un contexte historique très particulier, à un moment où la traite est interdite mais où l’esclavage est toujours légal aux États-Unis. Il faut également savoir qu’à cette époque, Cuba était une colonie de l’Espagne, ce qui explique l’intervention de la reine Isabelle II. Par ailleurs, plusieurs intervenants dans cette histoire — notamment les propriétaires des esclaves — ont intérêt à mentir et à cacher en particulier l’origine de ces esclaves. Enfin, certains évé-nements du film, racontés a posteriori, ne trouvent leur explication que tardivement dans les propos d’un personnage secondaire.

Tout cela est sans doute expliqué ou montré dans le film mais parfois de manière allusive, et l’enseignant aura intérêt à vérifier la bonne compréhension des jeunes spectateurs en leur soumettant le questionnaire de la page suivante qui passe en revue les principaux points pouvant poser problème. Pour que ce questionnaire ne soit pas perçu simplement comme une interrogation à sens unique (« Avez-vous bien tout compris ? »), on pourra leur remettre pour finir les réponses qui apportent plusieurs compléments d’information historique.

1. Conformément à l’usage, on écrira Amistad en italiques pour désigner le film de Steven Spiel-berg, tandis qu’Amistad en caractères droits désignera le bateau négrier mis en scène dans le film.

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Dixquestionsàproposd’AmistaddeStevenSpielberg

1. Les mutins de l’Amistad ont abordé finalement :❏ dans le nord des États-Unis;❏ dans le sud des États-Unis;❏ dans une région des États-Unis sous domination britannique.

2. Aux États-Unis au moment de l’affaire de l’Amistad,❏ la traite et l’esclavage étaient autorisés;❏ la traite était interdite, et l’esclavage aboli dans un certain nombre d’États seulement;❏ la traite était interdite mais l’esclavage autorisé dans tous les États.

3. Pourquoi la reine Isabelle II d’Espagne intervient-elle dans le procès de l’Amistad ?❏ Elle est la propriétaire des esclaves.❏ Cuba étant un pays indépendant, l’Amistad est bien un bateau cubain et non pas espagnol, mais Don

Pedro Montez et Don José Ruiz, propriétaires des esclaves étaient espagnols (le capitaine cubain du navire ayant lui été assassiné par les mutins).

❏ L’Amistad est un bateau espagnol, Cuba étant alors une colonie espagnole.4. Cinque et ses compagnons ont été transportés d’Afrique vers l’Amérique sur :

❏ l’Amistad;❏ le Tecora;❏ un autre bateau.

5. Pourquoi les marins du bateau esclavagiste ont-ils précipité des Noirs à la mer ?❏ Par cruauté, par sadisme, pour terroriser les Noirs et empêcher toute révolte.❏ Ils étaient poursuivis par un navire britannique.❏ Ils avaient prévu trop peu de nourriture pour la longueur du voyage.

6. Quelle est la base de la défense des Noirs révoltés de l’Amistad lors des deux premiers procès ?❏ La traite des Noirs étant interdite, on ne pouvait enlever de force Cinque et ses compagnons.❏ L’esclavage est contraire aux droits de l’Homme, et donc Cinque et ses compagnons sont des hommes

libres.❏ L’esclavage ayant été aboli dans le nord des États-Unis, Cinque et ses compagnons doivent retrouver

la liberté.7. Pourquoi John Quincy Adams n’accepte-t-il pas immédiatement de défendre les Noirs de l’Amistad ?

❏ Il considère que l’affaire n’est pas assez importante pour qu’il s’en occupe.❏ Il pense qu’une argumentation purement commerciale est à ce moment plus judicieuse.❏ Il est trop vieux pour s’occuper de cette affaire.

8. Pourquoi le président Van Buren nomme-t-il un nouveau juge et fait-il recommencer le procès ?❏ Il est partisan de l’esclavage et ne supporte pas que des esclaves révoltés puissent être libérés.❏ Il craint la réaction négative des États du Sud.❏ Il redoute la réaction négative de l’Espagne qui était alors la troisième puissance mondiale (après

l’Angleterre et la France).9. Que prouve le cahier saisi sur l’Amistad ?

❏ Les esclaves de l’Amistad n’ont jamais séjourné à Cuba.❏ L’Amistad a saisi des esclaves sur la côte africaine.❏ Les esclaves de l’Amistad ne sont pas nés à Cuba mais en Afrique.❏ L’Amistad est en fait le Tecora maquillé.

10. Quelle est l’argumentation du sénateur sudiste John Calhoun lors de la réception donnée par le pré-sident ?❏ Les Noirs sont des êtres inférieurs qu’il est légitime de maintenir en esclavage.❏ Moins riches que les États du Sud, les États du Nord veulent, par jalousie, l’abolition de l’esclavage.❏ Plus riches que les États du Sud, ceux du Nord considèrent les gens du Sud comme immoraux et

inférieurs et sont prêts à les ruiner en abolissant l’esclavage.

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Quelquesélémentsderéponse

1. L’Amistad a abordé dans le nord des États-Unis à l’extrémité est de Long Island, une île voisine (par l’ouest) de Manhattan. Mais Gedney, le capitaine du bateau américain qui arraisonna l’Amistad, préféra le remorquer vers New Haven dans le Connecticut, légèrement au nord, parce que l’esclavage n’était pas encore aboli dans cet État (même si les esclaves y étaient peu nombreux), ce qui était le cas en revanche à New York. Il espérait ainsi que les Noirs seraient plus facilement reconnus comme esclaves et qu’il pourrait en retirer une prime pour son « sauvetage ».

Le voyage de l’Amistad est reproduit (approximativement) sur la carte ci-dessous.

2. À cette époque, la traite était interdite aux États-Unis, mais l’esclavage encore pratiqué dans de nombreux États du sud du pays. Cela signifiait que les nouveaux esclaves étaient supposés être des enfants d’esclaves. Dans les faits, la demande était telle que la reproduction naturelle des esclaves (qui fut parfois pratiquée dans de véritables « haras ») était insuffisante et que la traite continuait illégalement. L’inter-diction de la traite a eu cependant pour effet que les propriétaires d’esclaves dans le Sud des États-Unis ont généralement mieux pris soin d’eux pour éviter qu’une mortalité trop élevée ne les prive définitivement de cette main-d’œuvre servile.

3. Cuba était à cette époque une colonie espagnole, et l’Amistad et ses passagers étaient considérés comme espagnols.

4. Le Tecora était en fait un navire battant pavillon portugais, car l’Espagne avait signé en 1817 un traité avec la Grande-Bretagne interdisant l’importation d’esclaves en provenance d’Afrique. Mais l’Espagne n’avait pas réellement l’intention de respecter ce traité (qui lui avait été imposé par la Grande-Bretagne) et ne faisait rien pour empêcher la traite. Les négriers utilisaient alors des pavillons de complaisance comme celui du Portugal. L’Amistad était, quant à lui, un bateau beaucoup plus petit qui n’était pas fait pour tra-verser l’Atlantique : il devait seulement servir à transporter les esclaves de La Havane (à Cuba) à un autre point de l’île (voir la carte ci-dessous).

5. Comme l’explique l’officier britannique chargé de réprimer la traite, ce n’est pas par cruauté (même s’il fallait une bonne dose de cruauté pour agir de cette façon) que les négriers du Tecora ont jeté une partie des esclaves à la mer mais parce qu’ils avaient mal calculé la quantité de nourriture nécessaire à leur cargaison humaine (ou bien la durée de la traversée qui durait à cette époque environ deux mois mais que le manque de vent pouvait considérablement allonger). Mais il est également arrivé que des négriers jettent leurs captifs à la mer lorsqu’ils étaient poursuivis par la marine britannique chargée de réprimer la traite des esclaves. Il faut savoir que la Grande-Bretagne fut à la pointe du combat antiesclavagiste, même si, comme, beaucoup d’autres pays européens, il y avait des esclaves dans ses colonies : c’est en 1807 que la Grande-

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Bretagne abolit la traite, mais ce n’est qu’en 1833 que le Parlement vota une loi d’émancipation qui devait permettre de libérer les esclaves (dans les colonies britanniques) dans un délai de cinq ans. Par ailleurs, la Grande-Bretagne incita d’autres pays comme l’Espagne à signer des traités interdisant la traite.

6. Pour plaider en justice, il faut nécessairement faire appel à des principes, à des lois qui sont déjà établies : les défenseurs de Cinque et de ses compagnons ne pouvaient donc pas faire appel aux principes des droits de l’Homme dont aucune convention n’avait été signée par les États-Unis à cette époque (la Déclaration universelle des droits de l’Homme date de 1948). Par ailleurs, si les esclaves fuyant le sud des États-Unis trouvaient la liberté en arrivant dans le Nord (on a signalé cependant au point 1 que le Connec-ticut était encore à l’époque un État esclavagiste), l’accusation portait sur des actes de « mutinerie », de « piraterie » et d’assassinat qui étaient punissables quel que soit le statut des accusés au moment des faits (un esclave pouvait fuir mais non assassiner ses maîtres). La défense des révoltés de l’Amistad a donc porté sur l’infraction commise à l’égard de Cinque et de ses compagnons, à savoir la traite, la mise en esclavage forcée qui alors était seule interdite (même si ce n’est pas évoqué dans le film, on signalera que l’accusation a essayé de démontrer que Cinque et ses compagnons avaient été mis en esclavage en Afrique même par des Africains, et qu’ils étaient donc esclaves lorsqu’ils ont été embarqués sur le Tecora puis l’Amistad, ce qui aurait permis de lever l’objection de la traite forcée). Enfin, si devant la Cour Suprême, John Quincy Adams évoque les grands principes de la Déclaration d’Indépendance (qui affirmait notamment que« tous les hommes sont créés égaux » et qu’ils sont « dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la vie, la liberté et la recherche du bonheur »), cette Déclaration n’a pas empêché que l’esclavage ne subsiste aux États-Unis jusqu’à la guerre de Sécession. Il faudra d’ailleurs ajouter un amendement à la Constitution pour que l’esclavage puisse être aboli d’un point de vue juridique.

7. Dans le film, John Quincy Adams répond à ses solliciteurs (dans le jardinet aux abords du Capitole) qu’ils doivent « viser plus bas ». Ces paroles sont sans doute à double sens : soit ils doivent s’adresser à un défenseur moins prestigieux que lui (ce qu’ils feront à la scène suivante), soit ils doivent recourir à une argumentation basée non pas sur des grands principes généraux (hostiles à l’esclavage) mais sur des lois plus précises mais clairement établies. Ce que fera l’avocat commercial Roger Baldwin lorsqu’il cherchera à prouver que Cinque et ses compagnons ne sont pas des esclaves au sens juridique du terme puisqu’ils ont été victimes de la traite illégale, ce qui revient tout de même à accepter — au moins temporairement — que l’esclavage soit une chose légale. On peut donc supposer que, dans le film, John Quincy Adams pense qu’à ce stade de la procédure, une argumentation « commerciale », purement juridique, sans recours aux grands principes est la plus judicieuse. Dans les faits, il semblerait qu’il fut néanmoins associé très tôt à la défense des mutins de l’Amistad, même s’il fut tenu en réserve jusqu’à l’appel devant la Cour Suprême.

8. Rien n’est dit dans le film des opinions esclavagistes ou antiesclavagistes du président Van Buren : en revanche, on évoque à plusieurs reprises les pressions exercées par les politiciens du Sud qui redoutaient qu’une décision favorable aux mutins de l’Amistad constitue une nouvelle étape vers l’abolition de l’esclavage. Van Buren, en pleine campagne pour sa réélection, craignait donc de mécontenter les électeurs sudistes alors que, dans l’ensemble de l’opinion publique américaine (Nord et Sud confondus), les antiesclavagistes restaient minoritaires. Le président se moque en revanche des demandes de la reine d’Espagne qu’il traite notamment de « gamine prépubescente ». Dans les faits cependant, il semble que les pressions exercées par ce pays (qui était alors une puissance mondiale) aient joué un rôle non négligeable (bien qu’en fin de compte inefficace) dans cette affaire.

9. Dans le film, ce cahier est un morceau du carnet de bord du Tecora sur lequel on a inscrit le nom africain des captifs auquel on a grossièrement ajouté ensuite (à Cuba) un nom espagnol. Ce carnet a ensuite été utilisé pour l’embarquement de l’Amistad. Comme document, il montre indirectement que les esclaves de l’Amistad ont été embarqués de force sur les côtes africaines puis transférés sur l’Amistad à Cuba.

10. À aucun moment, John Calhoun ne parle des droits des Noirs ni de leur situation, comme si c’était une chose qui ne se discute même pas. Il compare seulement la situation des Blancs du Sud à celle de ceux du Nord : riche, prospère (c’est le début de la révolution industrielle), le Nord n’a pas besoin d’esclaves; en revanche, le Sud agricole a besoin d’une main-d’œuvre servile essentiellement pour ses plantations et craint donc de s’appauvrir si l’on abolit l’esclavage.

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l’AffAIrEDEl’AmIStADDANSSoNCoNtExtEhIStorIQUE

L’histoire de l’Amistad ne peut évidemment pas se comprendre en dehors de son contexte historique particulier et a d’ailleurs été retenue par Steven Spielberg et ses scénaristes parce qu’elle constitue une étape importante dans le mouvement général d’émancipation des Noirs américains. Même si le film peut susciter certaines critiques — en 1839, dans le Connecticut, État encore esclavagiste, jamais un Noir comme Theodore Joadson (interprété par Morgan Freeman) n’aurait pu s’asseoir dans un restaurant avec deux Blancs, l’avocat Roger Baldwin et l’abolitionniste Lewis Tappan 1 — et s’il est parfois caricatural (par exemple dans le portrait d’Isabelle II), il montre bien la complexité d’une situation où interviennent de nombreux acteurs historiques confrontés à des exigences multiples : le président Van Buren par exemple, dont on ne connaîtra jamais les opinions sur l’esclavage, est ainsi prêt à renvoyer les mutins de l’Amistad à Cuba (où ils seront certainement mis à mort), juste pour ne pas déplaire à ses électeurs sudistes. Ainsi, tous les événements montrés dans Amistad ne doivent pas être compris comme des faits isolés mais comme étant liés entre eux par des relations « logiques » qui peuvent être plus ou moins facilement mises en évidence : si Van Buren n’avait pas été en campagne électorale au moment de cette affaire, il aurait peut-être agi d’une tout autre manière.

C’est à un tel exercice de reconstruction logique d’une chronologie que nous souhaiterions inviter à présent les spectateurs d’Amistad. Pour qui a vu le film, il est évident par exemple que la guerre de Sécession, qui a mis fin à l’esclavage aux États-Unis, a dû se dérouler après l’affaire de l’Amistad puisqu’à ce moment, l’esclavage était encore légal dans certains états américains. Dans l’exercice qui suit, il faudra situer sur un axe temporel huit événements évoqués plus ou moins directement dans le film sans recourir à des informations extérieures mais en se basant uniquement sur le raisonnement. Pour chaque événement, une seule des dates proposées est en effet logiquement possible.

À la fin de l’exercice, on pourra donner le corrigé qui se trouve aux pages 10 et 11 et qui apporte quelques informations historiques complémentaires.

1. La remarque a été faite par David Pesci, auteur de Amistad. A Novel. Mar-lowe & Co., 1997.

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Unexercicedechronologie

L’arraisonnement de l’Amistad par la marine américaine eut lieu en 1839 et le procès devant la Cour Suprême des États-Unis se termina en 1841.

Voici huit épisodes historiques, liés directement ou indirectement à l’histoire de l’Amistad : pour chacun d’entre eux, trois dates sont proposées. En vous basant sur les informations fournies par le film de Steven Spielberg, essayez de déterminer quelle est la date correcte de chacun de ces épisodes. Pour faciliter ce travail, vous pouvez situer les différents épisodes sur une ligne du temps. (Remarquez que ces épisodes ne sont pas nécessairement donnés dans l’ordre chronologique).

A. L’esclavage est aboli à Cuba en : 1796 1836 1886

B. Van Buren, 8e président des États-Unis de : 1827 à 1831 1837 à 1841 1837 à 1845

C. John Quincy Adams, 6e président des États-Unis de : 1797 à 1801 1825 à 1829 1833 à 1837

D. John Adams, (père du précédent), 2e président des États-Unis de : 1771 à 1775 1797 à 1801 1825 à 1829

E. La guerre d’Indépendance (qui permit aux États-Unis de devenir indépendants par rapport à la Grande-Bretagne) dura de : 1775 à 1782 1795 à 1802 1811 à 1815

F. Le Congrès américain interdit la traite des esclaves en : 1808 1840 1848

G. La guerre de Sécession entre le Nord et le Sud des États-Unis (qui mit fin à l’esclavage) dura de : 1831-1835 1841-1845 1861-1865

H. Cuba resta une colonie de l’Espagne jusqu’en : 1798 1838 1898

1770 19001780 1790 1800 1810 1820 1830 1840 1850 1860 1870 1880 1890

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réponsesetcommentaires

A. 1886.Pour décider de cette date, il faut reconstituer l’histoire de Cinque telle qu’elle est racontée, sous forme

de retours en arrière (flashes back en anglais), dans Amistad. Faits prisonniers en Afrique, Cinque et ses compagnons sont emmenés à bord d’un navire négrier, la Tecora, qui traverse l’Atlantique et qui les dépose à Cuba où ils sont vendus sur un marché d’esclaves. Ils seront ensuite emmenés sur un autre bateau, beaucoup plus petit, l’Amistad, où ils vont se révolter et dont ils prendront temporairement le commandement.

À cette époque, Cuba est donc clairement désigné comme un pays esclavagiste, tolérant la traite des Noirs. La seule date possible pour l’abolition de l’esclavage à Cuba est donc postérieure à l’histoire de l’Amistad, c’est-à-dire en 1886.

On remarquera le caractère tardif de cette abolition. Cuba, colonie espagnole, fut un des derniers pays d’Amérique avec le Brésil (en 1888) à abolir l’esclavage. (Cette abolition intervint dès 1829 au Mexique, en 1848 dans les colonies françaises, 1851 en Colombie, 1854 au Venezuela, 1862 aux États-Unis).B. 1837 à 1841.

Van Buren était président au moment de l’affaire de l’Amistad. Comme le raconte le film, il ne fut pas réélu et sa présidence ne dura donc que quatre ans.C. 1825 à 1829.

John Quincy Adams, 6e président, n’a pas pu précéder immédiatement Van Buren, 8e président dont nous savons qu’il exerça ce poste de 1837 à 1841 (voir point précédent). La date vraisemblable de sa présidence est donc de 1825 à 1829, même si on ne peut pas totalement exclure la date de 1797 à 1801.D. 1797 à 1801.

Ce personnage n’apparaît pas dans le film (sauf sous forme d’une statue !) mais est évoqué à plusieurs reprises par différents personnages dont son fils, John Quincy Adams, lors de sa plaidoirie devant la Cour suprême. Il faut donc déduire les dates de sa présidence de celles de son fils. Il n’a pas pu être président en même temps que celui-ci : on peut donc rejeter la date de 1825 à 1829. Il ne peut pas non plus avoir été président les années 1771 à 1775 qui sont antérieures aux premières dates proposées pour l’Indépendance américaine (point E).E. 1775 à 1782.

Cette guerre n’a pu avoir lieu qu’avant la présidence de John Adams (le père!), deuxième président des États-Unis. Donc avant 1787.F. 1808.

Toute l’argumentation de l’avocat dans Amistad repose sur l’interdiction de la traite (ce qui ne signifiait pas la fin de l’esclavage) : cette interdiction a donc été décrétée avant 1839.G. 1861 à 1865.

La guerre de Sécession eut pour cause (même si cette cause ne fut pas unique) la volonté des États du Nord de mettre fin à l’esclavage. Or celui-ci était encore pleinement d’actualité dans le sud des États-Unis lors de l’affaire de l’Amistad. Cette guerre, brièvement évoquée en images dans le film, se situe donc après 1841. Mais elle ne fut pas une conséquence immédiate de l’affaire de l’Amistad : les dates les plus vraisem-blables sont donc les dates tardives.H. 1898.

La reine d’Espagne Isabelle II n’intervient dans l’affaire de l’Amistad que parce que Cuba est une colonie espagnole et que les deux armateurs du bateau sont de ce fait des Espagnols. La seule date possible pour l’indépendance de Cuba est donc postérieure à 1839.

Une première insurrection eut lieu en 1868 mais fut réprimée. Une deuxième guerre d’indépendance commença en 1895 mais fut interrompue par la guerre entre l’Espagne et les États-Unis. À l’issue de celle-ci, l’île de Cuba fut déclarée indépendante mais devint pratiquement un protectorat des États-Unis jusqu’à la révolution menée par Fidel Castro en 1959.

Tout ceci est synthétisé sur le schéma à la page suivante.

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DoNNErSoNAvISSUrlEfIlm

Après la vision d’un film, chaque spectateur a sans doute une opinion, positive ou négative, à donner. Mais ces appréciations restent habituellement très générales, et il est souvent difficile, notamment pour de jeunes spectateurs, de développer leur opinion, de l’argumenter et de la justifier de manière approfondie.

Pour faciliter une telle expression et permettre un échange plus fructueux entre spectateurs, l’enseignant pourrait alors leur soumettre une série d’arguments plus ou moins élaborés auxquels ils n’auraient sans doute pas pensé par eux-mêmes mais qu’ils sont néanmoins capables de comprendre et de juger. On trouvera ci-dessous une telle liste, comprenant cinq opinions positives et cinq opinions négatives accompagnées d’autant d’échelles d’évaluation, l’ensemble du questionnaire devant convenir à des adolescents à partir de quatorze ans environ. Les élèves pourraient alors y répondre individuellement avant de confronter, de préférence en petits groupes, leurs diverses réponses.

Si la classe dispose d’un ordinateur, les réponses pourraient être encodées (grâce à une application de base de données ou à un tableur), ce qui permettra de calculer la moyenne de chaque réponse (et donc l’adhésion plus ou moins forte du groupe à chaque item) ainsi que l’écart-type, c’est-à-dire la dispersion des opinions par rapport à chaque item (plus cet écart est grand, plus l’opinion du groupe est divergente : on repère ainsi les items autour desquels la classe se divise).

On peut ainsi espérer obtenir une discussion entre les membres qui soit plus ar-gumentée et plus fructueuse. Cette démarche proposée autour du film de Spielberg peut bien sûr être utilisée à propos d’autres films ou d’autres œuvres artistiques. L’en-seignant ou l’animateur aura cependant toujours avantage à construire sa propre liste d’arguments adaptés au niveau de sa classe ou de son groupe plutôt que de recourir à des textes critiques professionnels, reposant le plus souvent sur des partis pris, des réflexions implicites, des jugements de valeur sous-entendus qui échappent à de jeunes spectateurs (même si ces textes peuvent bien sûr inspirer cette liste).

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monopinionàproposd’Amistad

Voici différentes opinions concernant Amistad de Steven Spielberg. Lisez-les attentivement puis mar-quez sur l’échelle graduée (de 1 à 5) en dessous de chaque opinion si vous êtes tout à fait d’accord avec cette opinion, plutôt d’accord, ni en accord ni en désaccord, plutôt en désaccord ou totalement en désaccord. Essayez également de trouver d’autres exemples qui justifient votre propre avis.

A. Amistad est un film important car il évoque une page d’histoire souvent méconnue et nous rappelle les souffrances de tous les Africains qui ont été réduits malgré eux en esclavage.

1 52 3 4tout à fait d’accord pas du tout d’accord

B. Amistad n’apporte rien de neuf sur un sujet — l’esclavage — dont on connaît déjà l’essentiel. En trai-tant d’un sujet dépassé, il évite en fait d’aborder des problèmes actuels beaucoup plus brûlants et beaucoup plus controversés (par exemple la situation des Noirs aujourd’hui aux États-Unis).

1 52 3 4tout à fait d’accord pas du tout d’accord

C. Le film est ennuyeux à cause de ces procès à répétition qui répètent toujours la même chose.1 52 3 4

tout à fait d’accord pas du tout d’accord

D. Le film est bien construit car chaque procès aborde un thème nouveau. Le premier permet à l’avo-cat de prouver, grâce au livre de bord, que les captifs ont été saisis sur les côtes africaines. Le deuxième est dominé par le récit dramatique de Cinque qui raconte la traversée du Tecora et qui convaincra ainsi certainement le juge de sa bonne foi. Le troisième enfin n’évoque plus les faits mais les grands principes de liberté et d’égalité qui justifient la révolte de Cinque et de ses compagnons.

1 52 3 4tout à fait d’accord pas du tout d’accord

E. Le film est réaliste et bien documenté : il nous permet de découvrir une époque révolue, différente de la nôtre, avec des personnages ayant chacun leur personnalité et leur intérêts propres. Il montre par exemple très bien l’ambivalence d’un personnage comme le président Van Buren qui, sans être esclavagiste, craint cependant de perdre les voix de ses électeurs sudistes.

1 52 3 4tout à fait d’accord pas du tout d’accord

F. C’est un film sans surprise et sans grand intérêt dramatique : on ne peut être que du côté des accusés et on attend seulement que leur innocence soit reconnue. Il n’y a pas d’enjeu, pas de véritable question — dès le début, on sait qu’ils viennent d’Afrique et qu’ils avaient le droit de se révolter —, pas d’incertitude qui provoquerait de fortes attentes.

1 52 3 4tout à fait d’accord pas du tout d’accord

G. Alors que, dans beaucoup de films, les problèmes de communication sont résolus de manière artifi-cielle — il y a toujours un indigène qui parle anglais ou français —, ces problèmes sont montrés de manière crédible dans Amistad : l’avocat ne comprend rien à ce que lui disent les Noirs dans la cour de la prison, et le linguiste qui l’accompagne prétendument compétent n’en sait pas plus que lui… Il faudra aux défenseurs de longues recherches pour trouver un traducteur réellement compétent.

1 52 3 4tout à fait d’accord pas du tout d’accord

H. L’image chez Spielberg n’est pas réaliste, elle est trop léchée, esthétisée, même dans les moments les

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plus dramatiques : dans la première séquence du film par exemple, la lumière bleutée, le gros plan sur les yeux de Cinque, les gouttes de sueur brillant comme des perles, le souffle rauque dramatiquement accentué laissent deviner un important travail de mise en scène (une lumière élaborée, une photographie recherchée, un découpage minutieux… ) qui nuit finalement à la crédibilité de l’histoire. Ainsi encore, quand on voit les captifs en haillons dans les rues de New Haven, l’on n’a ni froid ni peur et l’on n’oublie à aucun moment que ce sont des acteurs qui défilent à l’écran.

1 52 3 4tout à fait d’accord pas du tout d’accord

I. Spielberg accentue l’aspect manichéen de son histoire jusqu’à la caricature : les accusés soudainement tout de blanc vêtus apparaissent comme des enfants de chœur, le compagnon de Cinque qui déchiffre tout seul les images de la Bible et qui reconstitue ainsi l’histoire du Christ est totalement invraisemblable, les dialogues entre Cinque et John Quincy Adams dans la dernière partie du film, pleins de grandes paroles et de bons sentiments, sonnent de manière artificielle.

1 52 3 4tout à fait d’accord pas du tout d’accord

J. Sur un sujet en fait aride — un procès long et complexe —, Spielberg réussit a faire un film vivant et dynamique en alternant de manière inattendue moments forts et moments faibles, émotions et réflexions, séquences informatives et séquences spectaculaires, rire et larmes, ironie et grands sentiments. Par exem-ple, la séquence dramatique où les captifs de l’Amistad sont enfermés dans la prison de New Haven est immédiatement suivie de celle où l’on découvre pour la première fois la reine d’Espagne en train de jouer à la poupée; le récit terrifiant par Cinque de la traversée du Tecora (récit mis en images) est suivi par l’in-tervention apparemment froide et distanciée de l’officier de marine britannique d’un flegme absolu qui, par contraste, renforce le caractère dramatique de ses propos : au même moment, la caméra nous révèle le malaise de Cinque qui soudain se lève et crie qu’on lui rende la liberté. C’est toute l’habileté de Spielberg de montrer plusieurs choses en même temps, de passer en une seconde d’un sujet à l’autre, de faire progresser plusieurs histoires en même temps (les abolitionnistes et John Quincy Adams, le groupe d’esclaves, Baldwin l’avocat et Cinque, le président Van Buren, le reine d’Espagne… )

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Avez-vous une autre opinion à exprimer sur le film de Steven Spielberg, Amistad :

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Uneséquenceparticulièrementdramatique

Dans Amistad, une séquence vous a sans doute particulièrement frappé(e), celle où un groupe de captifs embarqués sur le tecora sont brutalement jetés à la mer par les marins et entraînés vers le fond par le lest auquel on les a accrochés. Essayez d’imaginer cette séquence mise en scène d’une autre manière : aurait-elle produit le même effet ? Voici quelques suggestions d’autres mises en scène possibles : à votre avis, l’impression que vous avez ressentie à la vision de cette séquence d’Amistad aurait-elle été la même ?

Est-ce que cette séquence aurait produit le même effet si elle avait seulement été racontée par Cinque sans être mise en images ?❏ Oui, car le récit de Cinque est en lui-même suffisamment terrifiant.❏ Non parce que le récit aurait sans doute été plus bref tandis que, dans la séquence telle qu’elle est filmée,

on sent la tension qui monte lorsque que les marins refusent de donner à manger à certains captifs puis lorsqu’on les voit préparer le filet rempli de pierres et de boulets : on devine qu’il va se passer quelque chose mais on ne sait pas quoi.

❏ Non parce que les images donnent toute une série de détails qu’un récit aurait nécessairement négligés : quand on voit la scène, on comprend intuitivement qu’il n’y a rien à faire, que les esclaves ne peuvent rien faire pour s’échapper, qu’ils ont été piégés de la plus horrible des façons. Et nous-mêmes, nous nous sentons piégés par les images sans pouvoir intervenir dans ce qui est montré. Dans un récit raconté en paroles, on se serait demandé pourquoi ils ne sont pas révoltés, comment ils ne se sont doutés de rien, comment on a pu les pousser à l’eau, etc.

❏ Autre réponse :

ANAlySErUNESÉQUENCED’AmistAd

Il est clair que la mise en scène de Steven Spielberg produit une série d’effets ou d’impressions chez le spectateur que d’autres choix de réalisation ou que l’utilisation d’un autre moyen d’expression (le récit littéraire par exemple) ne susciteraient sans doute pas. Comment cependant peut-on objectiver ces impressions ? Comment peut-on analyser cette composante subjective qui résulte de la mise en scène ciné-matographique ?

Nous proposons ici un petit exercice de réflexion imaginaire qui consiste à envisager par l’esprit d’autres choix de mise en scène que ceux de Spielberg et à essayer de déter-miner par cette comparaison l’effet propre dû à cette mise en scène. Cette démarche est en son principe similaire à celle du cinéaste qui expérimente, en particulier au stade du montage 1, différents choix de réalisation, raccourcissant ou allongeant tel plan, inversant l’ordre des plans ou des séquences, coupant un plan ou une séquence par un plan ou une séquence supplémentaire. Seule cette expérimentation permet le plus souvent au réalisateur de juger de l’effet réellement produit, de l’impression qu’il veut susciter chez le spectateur.

Dans cet exercice, on s’attachera à une seule scène, sans doute la plus dramatique, du film de Spielberg, mais, si ce questionnaire rencontre l’intérêt des jeunes specta-teurs, on peut en transposer le principe de variation imaginaire à d’autres séquences ou à d’autres films.

1. Le montage consiste à assembler, à mettre bout à bout les différents plans qui ont tournés lors de la prise de vues. Le monteur aidé du réalisateur choisit les meilleures prises, coupe les images jugées inutiles, ordonne les différents plans, modifie parfois l’ordre initialement prévu. Le montage son consiste à ajouter à la bande-image paroles, bruits et musique.

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Est-ce que cette séquence aurait eu le même impact si elle avait été placée au début du film ?❏ Oui sans doute.❏ Non, parce qu’à ce moment, on connaît mieux Cinque et ses compagnons, et on est beaucoup plus

affecté par ce qui leur arrive.❏ Non, parce qu’elle survient à un moment où il ne se passe plus rien de spectaculaire dans le film. On est

en plein procès, on ne s’attend qu’à des débats ou à des interrogatoires, et cette séquence surgit, horrible et terrifiante.

❏ Autre réponse :

Cette séquence a été inventée par les scénaristes du film (car on n’a aucun document sur la traversée), même si elle est basée sur des faits avérés mais qui se sont passés sur d’autres navires que le Tecora. Est-ce que cette séquence aurait produit un effet différent si les captifs noyés avaient été par exemple dévorés par les requins (comme cela est également arrivé lors de certains voyages négriers) ?❏ Non, ça aurait été aussi horrible.❏ Oui, ça aurait provoqué une autre impression, plus proche de celle des films d’horreur. Ici, on est confronté

à une violence pure, à la mort brute sans effet spectaculaire (du sang, des corps déchiquetés… ). C’est une séquence qui nous glace d’effroi, sans nous horrifier.

❏ Ce serait devenu complètement insoutenable. ❏ Autre réponse :

L’ensemble de cette séquence est extrêmement découpée, c’est-à-dire qu’elle se fait succéder des plans très brefs, gros plans (sur le filet rempli de pierres, sur la chaîne entassée qui commence à se dérouler, sur les pieds glissant sur le pont savonné, sur un corps tombant dans l’eau…), plans d’ensemble montrant tous les personnages sur le pont, plans moyens sur l’un ou l’autre personnage (une femme captive qui essaie de se raccrocher à un marin qui la rejette à la mer)… Àvotre avis, est-ce que l’effet aurait été différent si la séquence avait été montrée d’un seul point de vue, par exemple de l’extérieur du bateau sans multiplier les plans, rapprochés, éloignés, de l’intérieur, de l’extérieur, de gauche, de droite, d’en haut etc. ?❏ Non, en gros l’effet aurait été le même.❏ Oui, car l’effet aurait été moins fort. Ici, chaque plan est dramatique, ajoute un élément d’information

qui concourt à l’émotion produite par la scène. En découvrant la chaîne qui se déroule, on pressent que des captifs sont attachés à l’autre bout; en voyant les pieds qui glissent sur le pont, on comprend que le pont a été rendu artificiellement glissant; en montrant cette femme qui essaie de se raccrocher à un marin qui la repousse, le réalisateur accentue encore la dureté de ces hommes, leur cruauté et, en contrecoup, l’effroi que nous ressentons devant l’ensemble de la scène.

❏ La scène aurait été aussi horrible mais beaucoup plus glaciale. Le spectateur s’identifierait moins aux captifs (dont on verrait à peine les visages) et s’interrogerait beaucoup plus sur le comportement mons-trueux des marins : comment ont-ils pu agir ainsi ? comment des êtres humains ont-ils pu se comporter de façon aussi horrible ? Dans la mise en scène de Spielberg, on est totalement du côté des captifs, et on n’a pas le temps de considérer le point de vue des marins : ce sont juste des ombres, des monstres qui disparaissent : ce dont on se souvient, c’est du visage de la femme qui supplie, et des corps des captifs qui s’enfoncent inéluctablement dans l’eau.

❏ Autre réponse :

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AmistAd,lArENCoNtrEDEDEUxCUltUrES

Dans Amistad, Steven Spielberg aborde de multiples thèmes, le problème juridi-que posé par l’esclavage puisque cette affaire fit l’objet de trois procès successifs, mais également la réalité humaine terrifiante de la traite qui est évoquée notamment à travers un retour en arrière (flash-back) particulièrement dramatique, ou encore les divisions de l’opinion publique américaine qui constituent en particulier une me-nace pour la réélection du président Van Buren bien décidé à se débarrasser de cette encombrante affaire. Un autre thème moins apparent mais peut-être plus important parcourt cependant tout le film, celui de la rencontre, difficile, tâtonnante, maladroite mais finalement réussie (du moins dans le film) entre des individus appartenant à des cultures très éloignées l’une de l’autre, d’une part les Noirs de l’Amistad arrachés d’Afrique et d’autre part leurs défenseurs américains qui ne parlent pas leur langue et ne connaissent pratiquement rien du monde d’où ils viennent. Pourtant malgré tous les obstacles de la communication, les uns et les autres réussiront à se faire comprendre et parviendront, malgré certains heurts, à un respect mutuel.

Dans les faits, les choses ont certainement dû se passer de manière sensiblement différente : les Noirs étaient à l’époque, aux yeux des Blancs même abolitionnistes, des « sauvages » plus ou moins bons, proches de l’état de nature et au plus haut point éloignés de la « civilisation » (au sens le plus « noble » du terme) incarnée par les sociétés occidentales. Le courant abolitionniste était ainsi constitué notamment de membres de sectes protestantes, profondément religieux (notamment des Quakers), dont le but était d’évangéliser les captifs de l’Amistad. Mais, si les abolitionnistes ont cru au début avoir affaire à des « païens », il s’est révélé peu après que nombre d’entre eux étaient en fait musulmans ! Ce qui n’a pas empêché que l’on s’efforce rapidement de les christianiser. L’attitude des abolitionnistes (ou au moins d’une partie d’entre eux) a certainement été beaucoup plus paternaliste que ce n’est montré dans le film : les rapports pratiquement égalitaires qui s’établissent à la fin du film entre Cinque et John Quincy Adams sont sans aucun doute une invention des scénaristes du film, soucieux aujourd’hui d’éviter de tels reproches de paternalisme.

L’animation qui suit souhaite inviter les jeunes spectateurs à se souvenir de la manière dont ce thème est traité dans le film. Elle comprendra deux étapes :— Il s’agira d’abord de se rappeler toutes les difficultés de communication, les in-

compréhensions qui se dressent entre les captifs de l’Amistad et leurs défenseurs et plus largement les contrastes, les chocs culturels que fait surgir la présence de ces Africains brutalement transplantés en Amérique du Nord. On peut par ailleurs ordonner ces éléments en deux grandes colonnes qu’on pourrait intituler l’une « les Africains confrontés à la société américaine » et l’autre « les Américains confrontés aux captifs de l’Amistad ».

— On essaiera ensuite de se souvenir de tous les éléments qui ont permis que s’éta-blissent petit à petit des bribes de communication, puis des relations, des rap-prochements et enfin un véritable échange entre les principaux protagonistes.Pour répondre à ces questions, les participants se baseront d’abord sur leurs

souvenirs. Lorsque ceux-ci seront épuisés, l’on pourra leur fournir le résumé du film publié ci-dessous (pages 19 et suivantes) qu’il leur suffira de parcourir et de souligner au marqueur fluorescent. La recherche sera sans doute plus fructueuse si les élèves travaillent par petits groupes où les échanges multiples vivifieront plus

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facilement les souvenirs. Par la suite, l’on invitera tous les participants à partager le fruit de leurs réflexions.

Enfin, l’on trouvera publié en annexe de ce dossier un corrigé de l’exercice qui pourra leur être soumis pour qu’ils le confrontent à leurs propres impressions.

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1. Un Noir (on apprendra plus tard qu’il s’agit de Cinque) arrache un clou enfoncé dans le bois. Il s’en sert ensuite pour ouvrir le cadenas des chaînes qui les lient, lui et ses compagnons. Les captifs de l’Amistad vont alors saisir des machettes dans des caisses, monter sur le pont, massacrer plusieurs membres de l’équipage dont le capitaine que Cinque transperce avec son propre sabre à deux reprises.

2. Deux Blancs survivants sont obligés de manœuvrer le bateau qu’ils dirigent vers le soleil levant, c’est-à-dire vers l’Afrique.

3. La nuit cependant, Cinque ne peut contrôler la direction prise par le navire : un plan de la caméra révèle aux spectateurs qu’il ne se dirige pas vers l’est. Au petit matin, le Blanc à la barre rassure les Noirs en leur montrant la direction du soleil levant.

4. Au milieu de la nuit, on entend de la musique, et l’Amistad croise un navire sur lequel joue un orchestre : les passagers de l’un et l’autre bateaux se croisent interloqués, sans mot dire. Lors de cet épisode, l’un des deux Blancs de l’Amistad s’empresse de cacher un cahier dans une fente du bateau.

5. Six semaines plus tard, l’Amistad est à la dérive. L’eau manque et, une terre apparaissant, un groupe de Noirs descend avec une barque pour remplir des barriques. À terre, il rencontrent un Blanc à vélo qui, dès qu’il les voit, s’éclipse à grandes enjambées.

6. Lorsque le groupe de Noirs s’apprête à rembarquer, surgit un bateau américain à qui les deux Blancs de l’Amistad deman-dent de l’aide en hurlant. Un officier américain ordonne de tirer au-dessus des têtes de mutins pour les effrayer. Cinque refuse de se rendre et plonge à la mer : il nage dans la direction du soleil mais épuisé s’enfonce dans l’eau. Quand il remonte à la surface, un marin américain le saisit.

7. Les Noirs sont débarqués dans un port américain et emmenés dans une prison noire et humide. Les enfants sont séparés des adultes et mis dans une cellule à part. Un captif qui refuse d’entrer dans la cellule a la main écrasée par les gardiens.

8. Pendant ce temps, la reine d’Espagne Isabelle II joue à la poupée.

9. Le président Van Buren est en pleine campagne pour sa réélection et ne veut pas se préoccuper des « nègres » de l’Amistad.

10. À New Haven, deux antiesclavagistes évoquent le sort des mutins de l’Amistad : ils paraissent venir directement d’Afrique car certains d’entre eux portent des scarifications, mais l’Amistad n’est pourtant pas un navire transatlantique (parce que trop petit pour affronter la haute mer).

11. Les Noirs sont sortis de la prison, couverts de haillons et traversent la ville en direction du tribunal. Sur le chemin, ils croisent un fiacre conduit par un cocher noir : ils l’inter-pellent « Chef ! Chef ! », mais celui-ci ne répond pas.

12. Au tribunal présidé par le juge Andrew Judson, surgissent les différents plaignants : le procureur Holabird qui, au nom des États-Unis, accuse les révoltés de l’Amistad de mutinerie et de piraterie, puis John Forsyth, ministre des affaires étrangères qui exige que les Noirs soient rendus à l’Espagne au nom du traité mutuel de 1817, ensuite les deux officiers de la marine américaine qui, ayant sauvé le navire de la perdition, ont droit à un pourcentage sur la prise, et

enfin un avocat représentant Pedro Montez et José Ruiz, propriétaires des esclaves. Les Noirs sont défendus par Lewis Tappan qui exige à ce moment déjà leur libération.

13. À la sortie du tribunal, Tappan accompagné de Theodore Joadson est apostrophé par un jeune avocat d’affaires, Roger Baldwin, mais Tappan refuse son offre. Ce n’est pas une question de propriété mais de principes : il compte s’adresser à John Quincy Adams ancien président des États-Unis.

14. Au Congrès, John Quincy Adams fait semblant de dormir alors qu’il est interpellé par un autre représentant dont il se moque ensuite. À la sortie de la séance, il est abordé par Tappan et Joadson qui l’accompagnent dans le jardinet qui jouxte le Capitole, mais il refusera de les aider dans la défense des esclaves de l’Amistad. « Visez plus bas » leur conseille-t-il.

15. Tappan et Joadson se retrouvent dans une taverne avec Roger Baldwin qui remarque que les accusations multiples de mutinerie, piraterie, assassinats… ne sont recevables que si les Noirs de l’Amistad sont bien des esclaves, c’est-à-dire s’ils sont enfants d’esclaves, nés dans une plantation. À cette époque, la traite est interdite, et il est donc interdit de mettre un homme libre en esclavage : si c’est le cas pour les Noirs de l’Amistad, toutes les accusations à leur égard tombent immédiatement… Ce raisonnement purement juridique choque Tappan qui évoque le sort de Jésus-Christ monté en croix sans recourir à des arguties…

16. Devant la prison, un groupe religieux se met à chanter sans doute pour le salut des Noirs captifs. Ceux-ci se demandent cependant pourquoi ils ont l’air si malheureux, puis se disent que ce sont des artistes.

17. L’avocat arrive avec un linguiste et Joadson à la prison, mais un Noir s’insurge violemment lorsque Baldwin dépose sa table dans son « territoire ». Il s’en empare et va la mettre dans un endroit reculé. L’avocat ne comprend rien, pas plus que le linguiste, et les prisonniers, qui trouvent que Baldwin ressemble à un personnage méprisé surnommé « racleur d’excréments », concluent finalement qu’ils sont tous les trois idiots.

18. Les prisonniers sont emmenés au tribunal. En arrivant, un Noir fait face à un membre d’une secte religieuse qui veut le bénir avec sa Bible et lui lance « Je n’ai pas peur de votre magie ! ».

19. Dans sa plaidoirie, Baldwin, « racleur d’excréments », expli-que que les Noirs de l’Amistad sont des victimes de la traite : ils ne comprennent pas un mot d’espagnol (mais quand il se lève en leur faisant signe, ils en font autant), et l’un d’entre eux, qu’il a fait rire par imitation, a les dents limées selon une coutume africaine. Mais l’avocat des parties adverses exhibe un document officiel cubain qui authentifie la vente des Noirs de l’Amistad comme celle d’esclaves cubains. Le juge rejette donc l’argumentation de Baldwin. À la sortie du tribunal, Cinque essaie de parler à Baldwin mais est emmené par les gardes.

20. À la prison (le soir ou la nuit), Baldwin rencontre Cinque qui lui saisit la main et la serre contre sa poitrine. Il essaie ensuite de faire comprendre l’objet de sa visite : « J’ai besoin de prouver d’où vous venez », dit-il tandis que Cinque pense à voix haute (et en mendé) « Il faut te montrer d’où je viens ». Baldwin dessine alors sur le sol une carte représentant les

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États-unis, Cuba et l’Afrique, mais Cinque ne répond pas et s’en va même vers le fond de la cour. Revenant à petits pas à travers toute la cour, il signifie alors à Baldwin qu’il a dû faire un très long voyage.

21. Le jour, les deux Espagnols Pedro Montez et José Ruiz veulent monter à bord de l’Amistad, mais le garde leur en refuse l’accès. Baldwin et Joadson munis d’un laisser-passer peuvent en revanche explorer tout le navire. À la vue des chaînes, des cheveux arrachés, du sang, Joadson (qui est noir) se sent mal. Il est secouru par Baldwin qui, à cette occasion, découvre un carnet caché dans un recoin.

22. Au tribunal, l’avocat révèle que ce cahier est le manifeste de bord non pas de l’Amistad mais du Tecora, un navire négrier qui opère illégalement au large des côtes de la Sierra Leone, colonie britannique où l’esclavage est interdit. Sur ce carnet apparaissent les noms africains des captifs de l’Amistad, auxquels on a simplement ajouté un surnom espagnol dans la marge.

23. À la sortie du tribunal, Tappan et Joadson félicitent Baldwin mais un inconnu en profite pour frapper l’avocat avant de s’enfuir.

24. Isabelle II lit une lettre qu’elle va faire parvenir au président des États-Unis.

25. Van Buren, en campagne électorale, se moque des exigences de cette reine « prépubescente » mais s’inquiète des menaces formulées par un représentant du Sud, John Calhoun, qui voit dans cette affaire une menace de guerre civile (si les captifs étaient libérés). Sous l’influence de ses conseillers, Van Buren (qui pose à ce moment pour une photo officielle) décide de destituer le juge et d’en nommer un plus jeune et plus malléable.

26. Apprenant cette nouvelle, l’avocat Baldwin renverse sa table de fureur.

27. Joadson se rend chez l’ancien président John Quincy Adams en train de s’occuper des plantes de sa serre. Mais John Adams se contente de donner un conseil énigmatique : celui qui gagne un procès, dit-il, c’est celui qui est « le meilleur conteur ». Dépité, Joadson veut s’en aller, mais Adams le rappelle en lui demandant : « Quelle est leur histoire ? », et Joadson se rend compte qu’ils ne savent finalement rien des captifs de l’Amistad.

28. Joadson et Baldwin apprennent à compter en mendé puis se rendent sur le port où ils s’adressent en mendé à tous les Noirs qu’ils rencontrent. Leur quête semble infructueuse jusqu’à ce que sorte d’un groupe de marins un jeune Noir qui a compris les paroles de Baldwin.

29. À la prison, les captifs portent à bout de bras en criant l’un des leurs, mort pendant la nuit. James Covey, le traduc-teur, explique à Baldwin qu’ils veulent l’enterrer selon le rite « poro ». L’avocat conseille au directeur de la prison d’accepter leur exigence.

30. Dans une cellule, James Covey s’entretient avec Cinque. Celui-ci commence par s’étonner de ses vêtements occi-dentaux. Covey lui répond puis explique que le juge a été remplacé. Cinque s’étonne : un chef ne peut pas être remplacé. Baldwin explique à Cinque qu’il doit parler devant le juge. Il a confiance en lui car il sait que c’est un grand homme, un grand chasseur capable de tuer un lion. Mais Cinque répond qu’il l’a tué avec une pierre par réflexe sans savoir comment, et qu’il a obtenu la reconnaissance du village de manière imméritée. Baldwin insiste et affirme que ce n’est

pas seulement une question de chance car c’est également Cinque qui a conduit la révolte sur l’Amistad. « Il faut que je sache comment vous êtes arrivés ici ». Cinque évoque alors ses souvenirs.

31. Cinque, qui observe sa femme (?) de loin, est attrapé dans un filet par un groupe de Noirs qui le frappent et l’emmènent sur une plage où il est attaché avec d’autres captifs. Tous sont emmenés dans un fort négrier à Lamboko où ils sont échangés par leurs geôliers contre des armes. Puis ils sont emmenés en barque jusqu’à un navire, le Tecora. Ils sont déshabillés, arrosés d’eau, reçoivent des coups de fouets, certains sont même brutalement abattus lorsqu’ils font mine de se révolter. Tous sont enfermés à fond de cale, entassés, nus dans un espace réduit, et bientôt enchaînés.

En haute mer, pendant la nuit, beaucoup sont malades à cause de la tempête. Un bébé nu passe de main en main alors que sa mère agonise. Le lendemain son cadavre sera jeté à la mer.

Sur le pont, des femmes captives sont obligées de danser avec certains marins. Des captifs sont fouettés cruellement devant leurs compagnons d’infortune. Cinque remarque une femme avec son bébé, accoudée au bastingage, qui se jette à la mer. Le sang d’un des esclaves fouettés gicle à ce moment sur le visage de Cinque.

Dans la cale, les marins ne distribuent de la nourriture qu’à certains captifs et la refusent notamment à ceux ou celles qui paraissent malades.

Sur le pont rendu artificiellement glissant, un groupe de captifs enchaînés les uns aux autres et lestés d’un filet rempli de pierres ou de boulets sont précipités à la mer.

Le navire arrive à La Havane à Cuba où les captifs sont lavés avant d’être vendus aux enchères. Pedro Montez et José Ruiz assistent à cette vente du haut d’une terrasse.

Cinque et un groupe de captifs sont embarqués à bord de l’Amistad où l’on ajoute un nom espagnol dans le manifeste de bord du Tecora.

Cinque arrache le clou qui va servir à sa libération.

32. Cette histoire, Cinque vient de la raconter au tribunal où les Noirs sont à présent tout habillés de blanc. Mais le procureur Holabird contre-attaque en demandant à Cinque si, en Afrique, les Mendé eux-mêmes ne possèdent pas d’esclaves. James Covey, le traducteur, essaie d’expliquer qu’en mendé, un seul mot désigne à la fois les esclaves et les travailleurs. Le procureur souligne alors le paradoxe du récit de Cinque : pourquoi tuer des esclaves qui valent beaucoup d’argent ? « Votre récit est absurde » conclut-il.

Un capitaine de vaisseau britannique, appelé comme témoin, explique que de nombreux esclaves sont enlevés illégalement de Sierra Leone, un protectorat britannique. La description que Cinque a faite de la forteresse clandestine des esclaves lui paraît vraisemblable. Il ajoute que les négriers n’hésitent pas à jeter leur cargaison humaine à la mer lorsqu’ils sont pourchassés par la marine britannique chargée de réprimer la traite illégale. Il explique ensuite le paradoxe apparent du récit de Cinque : l’équipage du Tecora a sous-estimé la quantité de nourriture nécessaire à la traversée et a décidé en conséquence de jeter cinquante des captifs à la mer, fait qu’ils ont consigné, de manière voilée mais indéniable, dans le manifeste de bord.

Cinque, qui transpire de plus en plus et dont l’attention se fixe de façon maladive sur certains détails de l’assistance, se lève soudain et hurle en mauvais anglais : « Rendez-nous la liberté ».

33. À la prison, Cinque interpelle un de ses compagnons qui

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feuillette obstinément la Bible dont il s’est emparé précé-demment. Celui-ci explique alors à Cinque le sens qu’il donne aux images de Jésus, un homme bon qui guérissait et protégeait les faibles, à qui l’on amenait des enfants, capable de marcher sur la mer et qui, innocent comme les Africains, fut pourtant arrêté et mis en croix. Au même moment, le juge, catholique dans un pays majoritairement protestant, s’en va prier dans un église. Le compagnon de Cinque termine son interprétation en parlant de la résurrection et de la montée au ciel de Jésus : « C’est là, dit-il, que nous irons quand ils nous tueront ».

34. Alors que les captifs sont emmenés au tribunal, Cinque ordonne à l’un de ses compagnons de relever la tête. En arrière-plan, derrière les maisons, les mâts des navires se dressent comme autant de croix.

35. Au tribunal, le juge rend son verdict : « Ces hommes sont-ils nés en Afrique ? demande-t-il à deux reprises. Je crois que oui ! ». Et il ordonne leur libération ainsi que leur retour en Afrique et l’arrestation immédiate des deux Espagnols Pedro Montez et José Ruiz.

36. À la Maison Blanche, le président Van Buren s’entretient, lors d’un dîner officiel, avec l’ambassadeur d’Espagne qui se scandalise de l’indépendance des tribunaux américains. Survient le représentant sudiste John Calhoun qui s’en prend aux abolitionnistes du Nord qui considèrent les sudistes comme immoraux et inférieurs. Et il évoque la menace d’une guerre civile…

37. Tappan et Joadson se rendent à la prison où ils doivent annoncer que le cas de l’Amistad devra être rejugé devant la Cour suprême. Tappan, très sombre, en vient finalement à dire qu’il vaudrait peut-être mieux que les Noirs soient déclarés coupables (et donc exécutés) : pour la cause abolitionniste, ils seraient plus précieux morts et martyrs que vivants. Ces propos scandalisent Joadson.

38. À la prison, l’avocat Baldwin essaie d’expliquer ce dernier revirement juridique. Mais James Covey refuse de traduire ses propos car, dit-il, il n’y a pas de conditionnel en mendé. Baldwin utilise alors l’adverbe presque, mais Cinque s’em-porte en criant « Quel est donc ce pays où la loi est presque appliquée ? » Il arrache ensuite ses vêtements européens et se met à hurler devant le feu au milieu de la cour.

39. Une lettre est envoyée à John Quincy Adams pour qu’il prenne la défense des captifs de l’Amistad devant la Cour suprême dont sept des juges sont des sudistes possédant des esclaves. Mais Adams froisse la lettre et la laisse tomber à terre.

40. À la prison, Baldwin essaie de parler à Cinque, obstinément muet. Cinque est désormais son seul client, car tous les autres ont fui, l’avocat ayant même reçu des menaces de mort, notamment sous la forme d’une poupée percée d’aiguilles. Sur ces entrefaites arrive John Quincy Adams…

41. À la Maison blanche, l’on s’inquiète modérément de l’in-tervention de cet ancien président fils d’un autre président beaucoup plus illustre…

42. De sa prison, Cinque pose plusieurs questions juridiques à Baldwin et à Adams, quant aux limites de juridiction, aux différents traités entre nations européennes et américaines, au droit de propriété… Adams finalement s’énerve mais fait amener Cinque dans son bureau. Dans la serre, Cinque remarque une fleur, une violette d’Afrique qu’Adams a eu beaucoup de peine à obtenir.

Adams demande d’abord à Cinque s’il sait qui il est. « Un chef, répond-il — Un ancien chef, corrige Adams, — Mais un chef ne cesse jamais d’être un chef » affirme Cinque. Adams lui explique alors qu’il va leur falloir combattre à nouveau le lion, c’est-à-dire l’esclavage. Cinque répond qu’il aura l’aide de ses ancêtres car, dit-il « en cet instant, je suis la seule raison pour laquelle ils ont existé ».

43. Devant la Cour suprême, John Adams intervient après la plaidoirie de Baldwin (qu’on ne voit pas). Il condamne d’abord l’intervention de l’Espagne puis les manquements à la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. Il souligne ensuite que cette affaire n’est pas seulement une question de propriété mais concerne la nature même de l’homme. Et l’état naturel de l’homme est la liberté, ce qui fait que Cinque est le seul véritable héros dans cette affaire car il a tout fait pour reconquérir sa liberté. John Quincy Adams en appelle ensuite aux principes de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis et aux pères fondateurs de la nation américaine, George Washington, Benjamin Franklin… John Adams (son propre père) : « Nous comprenons maintenant que notre individualité ne nous appartient pas et que ce que nous sommes, c’est ce que nous avons été… Donnez-nous le courage de faire ce qui est juste malgré la guerre civile dont on nous menace et accomplissez la dernière bataille de la révolution américaine. »

44. La Cour suprême déclare que les mutins de l’Amistad ne sont pas des esclaves mais des individus libres qui avaient le droit de se révolter.

« Avec quels mots les avez-vous persuadés ? » demande Cin-que à Adams. « Avec les vôtres, bien sûr ». Tous se saluent. Cinque donne la dent du lion à Joadson, puis Baldwin serre la main de Cinque — qu’il appelle à présent de son nom africain Singhbe — en la serrant sur sa poitrine à la mode africaine.

45. L’officier de marine britannique, à bord de son navire, or-donne de canonner la forteresse des esclaves de Lamboko.

46. Van Buren, musicien amateur de harpe, ne sera pas réélu. Cinque, quant à lui, retournera en Sierra Leone avec ses compagnons. Isabelle II restera encore de longues années reine d’Espagne. La guerre de Sécession verra la défaite des Confédérés à Atlanta.

50. Le film s’achève sur l’image du navire qui ramène Cinque et ses compagnons en Afrique, la proue dirigée vers l’est, vers le soleil qui se lève.

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QU’ESt-CEQUEl’ESClAvAgE?

Dans Amistad, le procureur Holabird interpelle à un moment Cinque en lui demandant si lui-même ne possédait pas des esclaves en Afrique, mis en servitude à cause de dettes ou suite à des guerres, ce à quoi James Covey essaie d’expliquer qu’en mendé, il n’y a qu’un seul terme pour désigner à la fois les esclaves et les travailleurs. Si la mauvaise foi du procureur est évidente, sa question soulève cependant un véritable problème historique : sous le terme très général d’esclavage, l’on regroupe en effet des réalités extrêmement différentes — on parle même par métaphore d’un travail d’esclave pour désigner un travail très pénible —, réalités que seule une étude historique (ou ethnologique ou sociologique) permet de décrire et de comprendre de manière adéquate. L’esclavage en Afrique chez les Mendé n’avait manifestement pas le même sens, ne recouvrait pas la même réalité que l’esclavage dans le Nouveau Monde.

Il est donc intéressant à cette occasion de montrer à de jeunes élèves qu’il faut se méfier de dénominations très générales qui peuvent masquer des réalités extrê-mement différentes. Dans cette perspective, l’on peut leur proposer de mener une recherche historique sur l’esclavage tel qu’il s’est pratiqué à des époques et en des lieux éloignés les uns des autres comme l’antiquité gréco-romaine, le monde arabe, l’Afrique précoloniale et bien sûr l’Amérique. Ce travail, qui implique une recherche en bibliothèque, pourrait être mené en divisant la classe en différents groupes, chacun d’entre eux étant chargé de recueillir un maximum d’informations fiables sur une situation historique particulière. Il s’agirait essentiellement de répondre aux questions suivantes : pourquoi pratiquait-on l’esclavage ? dans quelles conditions, dans quelles circonstances ? quelle était la place des esclaves dans la société esclavagiste ?

Lorsque ce travail sera achevé, les groupes mettront le fruit de leurs recherches en commun en mettant en évidence ce qui unit les différentes situations historiques étudiées mais également ce qui les différencie.

Si les élèves ne sont pas préparés à un tel travail de recherche historique, l’on peut soumettre aux différents groupes les textes publiés dans les pages suivantes qui évoquent en résumé quatre de ces situations historiques. La réflexion devrait alors essentiellement porter sur ce qui différencie l’esclavage tel qu’il a été pratiqué en Amérique du Nord d’autres situations historiques.

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latraitedesNoirsetl’esclavageenAmériqueduNord

L’esclavage est indissolublement lié, à partir du XVIe siècle, à la conquête puis à la colonisation du Nouveau Monde par les puissances européennes (Espagne, Portugal, France, Grande-Bretagne) et ne sera aboli dans les différents pays d’Amérique que tardivement au cours du XIXe siècle : ce n’est en particulier qu’en 1865, à l’issue de la guerre de Sécession, qu’un amendement à la Constitution y mettra fin aux États-Unis.

pourquoi ?

Les colons qui arrivaient progressivement en Amérique étaient relativement peu nombreux par rapport aux vastes territoires qui s’ouvraient devant eux. Les cultures possibles dans le Nouveau Monde — café, coton, sucre, indigo essentiellement — exigeaient en particulier une main-d’œuvre abondante. S’il était théoriquement possible de faire venir une telle main-d’œuvre salariée d’Europe, il s’est rapidement révélé moins coûteux pour les planteurs d’utiliser des esclaves venus d’Afrique (la mise au travail forcé des Indiens s’étant révélée, semble-t-il, impraticable parce que ceux-ci connaissant le pays pouvaient trop facilement s’enfuir).

C’est ainsi que la traite négrière s’est développée entre l’Afrique et l’Amérique à partir du XVIIe siècle et surtout au XVIIIe siècle avant d’être progressivement interdite au XIXe. Destinée à fournir une main-d’œu-vre servile à bon marché, elle a touché majoritairement des hommes jeunes et en bonne santé, promis aux travaux agricoles les plus pénibles (femmes, enfants et surtout vieillards étant donc moins nombreux).

Les pays européens étaient cependant concernés au premier chef par la traite, car c’est de là que prove-naient les bateaux négriers pratiquant ce qu’on appelait le commerce triangulaire. Ces navires partaient de France, d’Angleterre, du Portugal ou d’Espagne chargés de produits divers (fusils, armes blanches, boissons alcoolisées, étoffes, ustensiles multiples, petits coquillages servant de monnaie locale et appelés cauris) destinés à acheter des captifs sur les côtes africaines. Chargés de leur cargaison humaine, ils traversaient alors l’Atlantique vers les colonies américaines où les captifs étaient vendus avec un premier bénéfice. Puis les cloisons et barrières en bois destinées à enfermer les captifs sur ces navires étaient démontées pour qu’ils puissent revenir vers l’Europe avec une pleine cargaison de denrées coloniales (sucre, café, cacao, indigo, coton, tabac… ), revendues ensuite avec un nouveau bénéfice. C’est ainsi que la prospérité de nombreux ports européens s’est bâtie sur le commerce des esclaves.

Comment ?

Il n’est pas possible actuellement de connaître avec précision le nombre d’Africains touchés par la traite, l’estimation la plus basse étant de 11 millions d’individus en quatre siècles dont 9 millions parvenus vivants en Amérique, les pertes en cours de route étant estimées (de façon toujours minimale) aux environs de 16%. D’autres estimations (les unes et les autres sont largement hypothétiques) parlent cependant de 21 millions d’individus capturés dont 15 millions parvenus en Amérique. Au plus fort de la traite à la fin du XVIIIe siècle, c’est entre 50 000 et 100 000 personnes par an qui furent ainsi réduites en esclavage. Même s’il paraît exagéré, comme certains l’affirment, de voir dans cette ponction d’hommes une cause essentielle du sous-développement actuel de l’Afrique, ces estimations sommaires montrent l’importance de ce com-merce monstrueux.

Comment un phénomène d’une telle ampleur fut-il possible ? Certaines formes d’esclavage existaient certainement en Afrique (ou dans certaines régions) avant que n’y débarquent les premiers explorateurs européens et concernaient notamment des prisonniers de guerre, sans doute en nombre limité. Les Européens achetèrent donc, d’abord à très bas prix, un certain nombre de ces prisonniers pour les envoyer au Nouveau Monde , et ils continuèrent ainsi à s’adresser aux peuples ou aux États africains plus ou moins proches des côtes pour se fournir en esclaves sans jamais pénétrer eux-mêmes en profondeur dans le continent. Mais à cause de leur demande sans cesse croissante au fil des siècles, ils poussèrent ces peuples à multiplier guerres et razzias dans les régions voisines ou plus lointaines afin de s’assurer des réserves d’esclaves qu’ils pouvaient revendre avec de plus en plus de profit aux commandants des bateaux négriers.

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sur les bateaux

Capturés à l’intérieur des terres, les captifs étaient amenés à marche forcée vers les côtes, un certain nombre d’entre eux mourant déjà en cours de route. Vendus aux capitaines européens (qui travaillaient pour le compte d’armateurs restés en Europe), ils étaient marqués au fer rouge, enchaînés puis embarqués sur le navire. Celui-ci ne se dirigeait cependant pas immédiatement vers la haute mer car il devait souvent naviguer plusieurs semaines le long des côtes avant que sa cargaison d’esclaves ne soit complète.

La traversée durait ordinairement de deux à trois mois, parfois plus en cas de calme plat. L’entassement, la promiscuité, les maladies, les épidémies, les brutalités, le désespoir, les craintes multiples (beaucoup de captifs ne savaient pas quel avenir leur était réservé et redoutaient que les Blancs ne soient en fait canniba-les !), les suicides semble-t-il très fréquents entraînaient une mortalité importante bien qu’encore une fois difficilement mesurable. Le nombre de révoltes fut également considérable, le plus souvent aux abords des côtes africaines car les captifs savaient qu’ils ne pouvaient manœuvrer seuls les navires en haute mer. Ces révoltes étaient généralement réprimées de manière sanglante par un équipage beaucoup moins nombreux que les esclaves.

Les négriers avaient cependant avantage à épargner la vie de leurs captifs qui représentaient chacun une somme importante. Ils procédaient d’ailleurs souvent à une remise en forme, notamment dans les îles des Petites Antilles, avant de procéder à la vente sur les marchés d’esclaves.

l’esclavage aux États-Unis

L’esclavage proprement dit ne commençait qu’en Amérique où les Noirs devenaient la propriété de leurs acheteurs blancs. Comme on l’a vu, la plupart de ces esclaves étaient destinés au travail agricole, notam-ment dans les plantations de coton du sud des États-Unis : grâce à la découverte de nouveaux procédés de filature et de tissage, le coton fut l’objet d’une demande croissante aux XVIIIe et XIXe siècles mais exigeait pour sa culture et sa cueillette une main-d’œuvre importante. Il est difficile de brosser un portrait général des conditions de vie des esclaves aux États-Unis �� parce qu’elles ont sans doute évolué au cours du temps (l’interdiction de la traite en 1808 a sans doute conduit les propriétaires à mieux garantir la survie et la reproduction de leurs esclaves), qu’elles ont pu varier en fonction des maîtres (de meilleures conditions assuraient souvent une meilleure productivité) et qu’un certain nombre d’esclaves n’étaient pas occupés aux lourdes tâches agricoles mais étaient artisans, contremaîtres parfois, serviteurs ou servantes souvent en grand nombre. (Beaucoup d’exploitations aux États-Unis étaient en outre de petite taille, et les esclaves vivaient alors dans une proximité beaucoup plus grande avec leurs maîtres, ce qui était de nature à limiter l’arbitraire et la violence de ces derniers.)

Mais la violence était au cœur du système, et la menace du fouet par exemple, même s’il n’était sans doute pas appliqué aussi souvent que décrit dans les campagnes abolitionnistes, était bien réelle. Semblablement, l’esclave était toujours considéré comme une propriété pouvant être revendue à tout moment, en brisant ainsi tous les liens conjugaux ou familiaux, même si, dans les faits, il semble que les Noirs soient parvenus au cours du temps à constituer des cellules familiales relativement stables. Ainsi encore, si les peines les plus cruelles comme les oreilles coupées ou les mutilations ont disparu au cours du XIXe siècle (mais fu-rent remplacées par l’usage du fouet), s’il est également difficile d’évaluer la proportion de femmes esclaves violées par leur maîtres, toutes ces violences, qu’elles fussent réellement subies ou seulement redoutées ��, marquèrent à jamais la conscience des esclaves et de leurs descendants. Elles expliquent également que des esclaves se soient révoltés à plusieurs reprises et que beaucoup d’autres aient choisi de fuir dans les États du nord des États-Unis ou au Canada où l’esclavage était interdit (une organisation secrète, l’« underground railway », le « chemin de fer clandestin », composée de Noirs et de Blancs abolitionnistes favorisa même dans la première moitié du XIXe siècle la fuite longue et périlleuse des esclaves).

Enfin et surtout, la société esclavagiste aux États-Unis, contrairement à ce qui s’est passé en Amérique

� Ce sont essentiellement les États du sud des Éta ts-Unis qui furent concernés par l’esclavage même s’il exista également dans le Nord où il fut aboli progressivement dans la première moitié du XIXe siècle.

�� Si les campagnes abolitionnistes ont sans doute exagéré la cruauté du système esclavagiste, nombre d’historiens contempo-rains tombent à présent dans l’excès inverse sans plus apercevoir l’arbitraire fondamental du système.

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du Sud notamment, fut une société fermée, étanche, qui ne permettait pas aux esclaves d’échapper à leur condition. Les esclaves naissaient, vivaient et mouraient esclaves après avoir donné le jour à de nouveaux esclaves. Plus important encore, l’esclavage se développa de pair avec un racisme de plus en plus intransi-geant : les esclaves étaient des Noirs, et, pour les Blancs, les Noirs étaient donc par nature condamnés à être des esclaves. Plus l’esclavage se développa, plus l’image des Noirs devint négative : ils furent ainsi réputés naturellement inférieurs, paresseux, passifs, inertes, fourbes, inéducables, criminels, porteurs d’une sexua-lité débridée et sans limites (une des grandes craintes fantasmatiques des Sudistes étant alors le viol d’une femme blanche par un homme de couleur)…

C’est ainsi que, lorsque la guerre de Sécession mit fin à l’esclavage, le racisme subsista dans toute sa virulence (augmenté encore du ressentiment de la défaite) et que les Blancs mirent sur pied dans le Sud une ségrégation raciale implacable (bus séparés, quartiers séparés, écoles séparées, magasins séparés… ) qui devait durer jusque dans les années 1960.

le principe du commerce triangulaire

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l’esclavagedansl’Afriqueprécoloniale

Le texte ci-dessous est un résumé de l’article de Jean Bazin, « Guerre et servitude à Ségou » dans Claude Meillassoux (études présentées par), L’Esclavage en Afrique précoloniale. Paris, François Maspero, 1975, p. 135-181.

Contrairement à l’image qu’en ont donnée généralement les premiers Européens pour qui les peuplades d’Afrique noire étaient composées de sauvages plus ou moins proches de l’état de nature, les sociétés afri-caines présentaient une grandes diversité, certaines étant sans doute peu hiérarchisées mais d’autres étant constituées en vastes royaumes organisés de manière complexe. Il est donc difficile de donner une image générale de l’esclavage en Afrique noire, même s’il est certain que des formes d’esclavage y ont existé en de nombreuses régions avant que ne commence la traite négrière dirigée par les Européens : ainsi, si la guerre entre peuples fut une des occasions essentielles de mettre les vaincus en esclavage, certaines peuplades préféraient néanmoins soit tuer leurs captifs soit les échanger contre rançons (sans donc pratiquer une forme quelconque d’esclavage).

Comme il n’est pas possible de généraliser les faits observés à l’échelle de tout un continent, l’on prendra seulement ici un exemple, celui de l’État de Ségou, un royaume bambara (les Bambaras sont un peuple d’Afrique) fondé au Mali au XVIIe siècle et qui subsista jusqu’au milieu du XIXe.

le royaume de ségou

Royaume guerrier, Ségou se procurait des esclaves essentiellement par la guerre, le rapt et la capture dans les régions avoisinantes, mais, si le statut d’esclave se transmettait par la génération (les enfants d’esclaves devenant à leur tour esclaves), il s’effaçait cependant petit à petit et, de ce fait, la société était obligée de saisir de nouveaux captifs.

Cette capture était nécessairement violente, les esclaves étant ensuite marqués de diverses manières (on leur rasait par exemple les cheveux et la barbe) pour qu’ils soient immédiatement repérés en cas de fuite. Ils étaient également éloignés au maximum du lieu de leur capture pour rendre toute évasion plus difficile. On leur donnait un nouveau nom et, de manière générale, leur statut était considéré comme vil et indigne, le plus bas dans la pyramide sociale. Il faut cependant remarquer que le royaume de Ségou, comme appareil militaire, imposait des rapports de stricte obéissance et de subordination complexe (à plusieurs étages) qui faisaient que, si chaque individu était un maître par rapport à ses subordonnés, lui-même se tenait dans une position de dépendance par rapport à son propre maître : le même terme « jòn » s’appliquait ainsi à la relation de subordination entre un maître et son esclave mais aussi entre le roi et ses subordonnés, comme si ceux-ci étaient, du point de vue du souverain, assimilables à des esclaves.

guerriers et marchands

Parmi les esclaves eux-mêmes, les captifs retenus par Ségou étaient moins dévalorisés que ceux qui avaient été vendus (au moins une fois) et qui étaient considérés avec le plus grand mépris. Les Bambaras en tant que guerriers prédateurs, ne conservaient en effet qu’un petit nombre de captifs, les femmes de préférence utilisées en particulier dans le travail aux champs (une fois épousées et mères, elles perdaient d’ailleurs leur statut servile). Les autres captifs étaient alors vendus (par les guerriers et surtout par le souverain qui pré-levait la plus grande partie du butin dans les expéditions) aux « Marka », terme qui désignait des groupes divers installés parmi les Bambaras mais s’en distinguant par l’ethnie, le type d’activités (les Marka étaient souvent commerçants ou artisans) ou l’origine géographique.

Les Marka servaient eux-mêmes d’intermédiaires avec des groupes extérieurs (Maures, Européens… ) à qui ils revendaient les esclaves achetés aux Bambaras. Ils en conservaient cependant eux-mêmes un grand nombre qui était affecté à différentes activités artisanales (culture, filage et tissage du coton notamment), agricoles (culture du mil) et commerciales (comme porteurs dans le trafic à longues distances). C’est ainsi que dans les cités marchandes du royaume de Ségou, les esclaves étaient sans doute aussi nombreux que les

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maîtres. Il existait également des villages de culture peuplés d’esclaves généralement placés sous l’autorité d’un contremaître lui aussi esclave, et dépendants des Marka.

Ces esclaves (dépendants des Marka) gagnaient cependant une autonomie progressive, d’abord par le mariage, puis par l’attribution d’un lopin de terre, qu’ils pouvaient cultiver pour eux-mêmes, enfin par l’autorisation de commercer et d’accumuler ainsi des petits profits… jusqu’à pouvoir pour certains d’entre eux acheter leurs propres esclaves. Cette autonomie n’était cependant jamais totale (le maître continuant à ponctionner la production de ses dépendants), mais la servitude imposée par la violence laissait peu à peu la place à une fidélité consentie au maître et à son lignage.

la caste des guerriers captifs

Parmi les captifs des Bambaras, il faut encore considérer un groupe particulier, ceux conservés par la royauté de Ségou car destinés à devenir des guerriers. Comment une telle transformation était-elle possible ? Appartenir au groupe des guerriers était considéré comme un honneur chez les Bambaras mais également chez la plupart des peuplades qu’ils attaquaient pour les asservir, et, pour le captif, remettre sa vie en jeu même en étant asservi à un autre royaume (ou directement à ses guerriers) était une manière de reconquérir cet honneur perdu. Les Bambaras ou leur souverain conservaient ainsi comme guerriers ceux de leurs adversaires qui, par leur bravoure, leur fierté, leur courage, prouvaient qu’ils partageaient le même code d’honneur qu’eux (on rasait ces guerriers captifs comme les autres esclaves mais en leur laissant une ou deux touffes sur le dessus de la tête). En revanche, ceux qui paraissaient ne pas posséder de telles vertus notamment parce qu’ils étaient déjà esclaves entièrement occupés à des tâches serviles (car beaucoup des peuples razziés par les Bambaras possédaient également des esclaves) étaient vendus, comme on l’a vu aux « Marka ». Ceux-ci n’achetaient d’ailleurs pas volontiers d’éventuels guerriers captifs car il était probable qu’ils cherchent, plus que d’autres, à s’enfuir.

D’un point de vue social, l’intégration des captifs au monde des Bambaras se déroulait donc très dif-féremment de celle chez les « Marka ». Pour ceux-ci, la distinction entre les esclaves et les hommes libres (eux-mêmes) restait très marquée, même si elle s’adoucissait avec le temps, et impliquait notamment une nette division du travail : aux esclaves étaient réservées les tâches les plus pénibles (notamment agricoles) ou jugées déshonorantes (comme le tissage). En revanche, les Bambaras, dont l’activité n’était pas uniquement guerrière, travaillaient aux champs avec leurs captifs et partageaient fréquemment leurs repas avec eux. À la guerre également, le sort du guerrier et de son captif étaient liés, ce dernier pouvant par exemple conserver une partie du butin qu’il avait conquis. En outre, comme les guerriers dans leur ensemble étaient placés sous la forte autorité du souverain (à qui tout le butin était théoriquement dû, même s’il le redistribuait) et qu’ils étaient l’instrument de la domination exercée par cette royauté sur tous les groupes dépendants (notamment de très nombreux villages asservis sans que les habitants soient individuellement esclaves), l’ensemble de ces guerriers comme caste pouvait se considérer comme « jòn » (esclave) du pouvoir central, tout en s’estimant plus honorable que les « Marka » qui ne combattaient pas.

L’on voit ainsi sur cet exemple (exposé ici de manière simplifiée) comment l’esclavage pouvait recouvrir une variété de situations différentes et était étroitement dépendant de l’organisation sociale dans laquelle il s’insérait, ce qui ne doit cependant pas masquer la violence originelle qui seule permettait de transformer des individus libres en esclaves.

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l’esclavagedanslemondearabeetl’empireottoman

Le texte ci-dessous est un résumé de Murray Gordon, L’Esclavage dans le mode arabe. Paris, Robert Laffont, 1987.

L’esclavage a existé pendant de longs siècles dans les pays arabes, notamment dans le golfe persique et dans l’empire ottoman, et ce sont certainement des millions d’Africains qui ont été victimes de la traite négrière à destination du monde musulman, même si l’on estime généralement que ce trafic fut moins intense et moins important que la traite atlantique pratiquée par les Européens.

la loi islamique et la réalité de l’esclavage

L’esclavage existait en Arabie avant la prédication de Mahomet qui l’accepta comme une institution normale même s’il recommanda aux maîtres de traiter leurs esclaves avec humanité. Mais la loi islamique interdit la mise en esclavage de croyants (musulmans), les païens de quelque race qu’ils soient devenant ainsi les seules victimes de la traite. Si, à certaines époques, des Blancs furent ainsi mis en esclavage, le principal réservoir d’esclaves fut néanmoins constitué par l’Afrique noire.

Dans le monde arabe, les esclaves n’étaient cependant pas traités uniquement comme une main d’œu-vre servile et ils étaient également considérés d’un point de vue personnel : il était ainsi déconseillé de séparer les familles des esclaves, de les accabler de travail, de les maltraiter de manière injuste… En outre, on distinguait généralement les esclaves achetés, dont le sort était très incertain, des esclaves nés dans la maison, qui étaient mieux traités et dont il était malvenu de se défaire. Enfin, il était bien vu moralement d’affranchir en certaines occasions des esclaves, même si cette mesure ne touchait dans les faits qu’un nombre très limité de personnes, et, dans certaines circonstances, l’esclave pouvait lui-même acheter sa liberté, ce qui constituait ainsi deux « sorties » possibles bien que rares de ce statut servile. Mais, comme l’esclavage était légitimé par l’Islam, il n’apparaissait comme nullement immoral et était accepté comme allant de soi sans poser de problème dans l’ensemble du monde musulman. Ce n’est que très tardivement au cours du XIXe siècle, à cause notamment des interventions des pays occidentaux, que ce statut fut progressivement mis en question et finalement aboli (mais il faudra attendre 1962 pour que ce soit officiellement le cas en Arabie Saoudite et 1981 en Mauritanie).

domestiques et concubines

Les esclaves n’étaient pas affectés prioritairement à la grande production agricole comme celle du co-ton aux États-Unis : beaucoup étaient occupés à des tâches ménagères ou servaient comme domestiques, jardiniers, gardiens, hommes à tout faire; d’autres étaient incorporés aux armées (ce fut le cas notamment en Égypte, au Maroc et en Turquie) ou travaillaient dans la bureaucratie ottomane tandis que les femmes peuplaient les harems, ce qui ne les empêchait pas de servir aussi de couturières, nourrices, domestiques, cuisinières ou femmes de chambre. Toutes les basses besognes notamment domestiques étaient jugées peu dignes des hommes et des femmes arabes et étaient alors accomplies, dans les familles suffisamment fortunées, par des esclaves. Un certain nombre d’entre eux parvenait néanmoins avec le temps à occuper des fonctions importantes par exemple dans l’administration ou l’armée. De manière générale, les esclaves étaient fortement intégrés dans la société musulmane dont ils devaient d’ailleurs adopter la religion � : ceux qui appartenaient à des paysans pauvres partageaient par exemple pratiquement les mêmes conditions de vie (évidemment médiocres) que leurs maîtres. Si la condition d’esclave dans le monde arabe est ainsi apparue aux observateurs extérieurs (comme les voyageurs) comme beaucoup moins pénible que dans les colonies américaines, il ne faut néanmoins pas en conclure que cette condition était enviable : preuve en est que de nombreux esclaves étaient en fuite.

En outre, la raison principale de l’esclavage dans le monde arabe était l’exploitation sexuelle des femmes. La loi islamique autorisait en effet les hommes à avoir quatre épouses au maximum et autant de concu-

� Cette conversion forcée ne supprimait pas la condition d’esclave : il fallait pouvoir prouver sa foi musulmane avant l’éven-tuelle mise en esclavage pour pouvoir l’éviter. Dans les faits, certains trafiquants n’hésitaient pas à asservir les membres de certaines peuplades africaines dont ils jugeaient fort judicieusement l’islamisation imparfaite…

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bines que leur fortune le leur permettait (c’est-à-dire des esclaves car une femme libre ne pouvait jamais être concubine). Comme le mariage avec une femme libre imposait de multiples contraintes et dépenses (notamment la dot) et que les épouses se montraient en général moins dociles �� que les concubines, la tentation était grande pour les hommes d’acheter dès qu’ils en avaient les moyens une esclave. Cette de-mande masculine explique ainsi que les jeunes femmes aient été beaucoup plus fréquemment victimes de la traite à destination du monde arabe et qu’elles aient eu beaucoup plus de valeur sur ce marché que les hommes (à l’inverse de la situation en Amérique où les esclaves mâles victimes de la traite et destinés aux lourds travaux agricoles étaient en surnombre par rapport aux femmes et valaient plus cher qu’elles). Dans le même esprit d’exploitation sexuelle, les Blanches (venues principalement des régions caucasiennes) et les Africaines à peau claire (comme les Abyssiniennes aux traits fins) étaient d’ailleurs plus recherchées par les acheteurs. Ces concubines s’intégraient largement dans le monde domestique et bénéficiaient rapidement de certains privilèges (dépendant néanmoins de l’état de fortune de leur maître), nombre d’entre elles pouvant d’ailleurs être épousées par leur maître.

Enfin, la sévère séparation des sexes dans le monde arabe (le harem était la partie de la maisonnée réservée aux femmes) explique le recours à ces esclaves particuliers qu’étaient les eunuques. Ceux-ci étaient en fait des objets de luxe, réservés aux plus fortunés, et leur prix pouvait être dix fois supérieur à celui d’un autre garçon esclave. La castration (que, d’après la loi islamique, les musulmans ne pouvaient pas opérer eux-mêmes et qui était donc pratiquée par les trafiquants) était en effet fréquemment mortelle, car elle consistait en général à couper pénis et testicules dans des conditions d’hygiène médiocres. Recherchés par les maîtres les plus fortunés, les eunuques (du moins ceux qui survivaient à l’opération) jouissaient souvent d’un statut privilégié et pouvaient dans certains cas accéder à de hautes fonctions (dues surtout à la puissance de leur maître). Sans doute minoritaire, le phénomène des eunuques ne fut certainement pas exceptionnel et dut concerner un nombre important de garçons bien que difficile à estimer.

les chemins de la traite

Deux voies principales servirent à la traite vers les pays arabes du XVe (mais peut-être bien avant) jusqu’au début du XXe siècle. La première empruntait les multiples pistes qui, venant d’Afrique noire, traversaient le Sahara vers les pays du Maghreb. Malgré les difficultés d’une telle traversée du désert, les caravanes de dromadaires sillonnaient ces pistes, chargées d’or, de sel, d’ivoire et d’esclaves. Ces « matières premières » étaient obtenues en échange de produits artisanaux ou manufacturés que le faible développement éco-nomique et technologique en Afrique noire ne permettait pas de produire. La traversée du Sahara n’était cependant pas sans risque et il est certain que de nombreux captifs, notamment des femmes et des enfants, moururent d’épuisement, succombant à la soif, à la faim, à l’alternance brutale de la chaleur du jour et du froid de la nuit.

L’autre voie était maritime et longeait les côtes de l’est africain. Les bateaux partaient du golfe persique (mais aussi de l’Inde) pour aboutir dans les régions du Mozambique et de la Tanzanie actuelle autour de ports comme Zanzibar ou Mombasa. La mousson d’hiver orientée du nord au sud-ouest poussait en effet facilement les navires arabes vers l’Afrique équatoriale, tandis que la mousson d’été en sens inverse les ra-menait vers leurs ports d’attache quelques mois plus tard.

Bien qu’il soit extrêmement difficile de faire des estimations, ce sont sans doute des milliers d’esclaves qui transitaient chaque année par ces deux voies (on cite le chiffre d’une dizaine de milliers par an dans la première moitié du XIXe siècle au moment de l’apogée de la traite, mais, encore une fois, ces chiffres sont largement hypothétiques).

�� On connaît la sévère séparation des sexes dans le monde musulman, qui faisait que les futurs époux avaient très peu l’occa-sion de se fréquenter et de se connaître avant leur mariage. Dans ces conditions, l’entente sexuelle était loin d’être assurée, et les hommes satisfaisaient alors plus facilement leurs désirs avec des esclaves soumises. Bien entendu, il n’était pas question qu’une épouse cherche une pareille satisfaction avec un esclave mâle (une telle infraction étant théoriquement punie de mort).

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l’esclavagedanslagrèceantique

Les renseignements suivants sont tirés des ouvrages d’Yvon Garlan, Les Esclaves en Grèce ancienne. Paris, François Maspero, 1982 et de Moses I. Finley, Esclavage antique et idéologie moderne. Paris, Minuit, 1981.

L’Athènes du Ve siècle avant Jésus-Christ est présentée comme le berceau de la démocratie — ce qui est sans doute vrai —, mais l’on omet souvent de signaler que cette singulière démocratie comprenait sans doute plus d’esclaves que de citoyens libres. Semblablement, si l’on signale que les Barbares désignaient chez les Grecs l’ensemble des étrangers, l’on oublie ou l’on ne sait pas que le mépris attaché à ce terme même de Barbares est étroitement lié au fait que c’est principalement parmi eux que les Grecs trouvaient leurs esclaves : il est clair qu’on ne met pas facilement quelqu’un qu’on estime en esclavage et qu’il faut d’abord mépriser l’autre, l’étranger, avant de le réduire à cette condition servile.

le statut des esclaves

Dans l’Iliade d’Homère (qui date sans doute du IXe siècle avant Jésus-Christ) qui traite d’un état de civilisation antérieur à celui de la Grèce classique, on voit que les combattants vaincus étaient massacrés, mais que les femmes étaient considérées comme une part de butin, destinées à être mises en esclavage et à devenir les concubines obligées des vainqueurs.

À l’époque classique (Ve siècle avant Jésus-Christ), le sort des vaincus était sans doute moins cruel, les prisonniers étant considérés comme une propriété, revendue d’ailleurs immédiatement par les guerriers vainqueurs aux marchands d’esclaves qui suivaient l’armée. Mais la guerre n’était certainement pas la seule source d’approvisionnement, et beaucoup d’esclaves étaient sans doute capturés lors d’expéditions de bri-gandage ou de piratage menées par les Grecs eux-mêmes ou par des peuplades barbares alliées.

Alors que la démocratie athénienne assurait aux hommes libres (mais pas aux femmes !) le droit essentiel de participer à l’assemblée qui décidait de la vie de la cité (la « polis »), l’esclave se caractérisait d’abord comme celui qui était privé de ce droit fondamental qui commandait tous les autres : c’était l’étranger absolu qui ne figurait en particulier sur aucun registre officiel.

Considéré à l’égal d’un animal domestique, il était entièrement soumis à l’autorité de son maître, même si la coutume (notamment religieuse) limitait l’arbitraire de ce dernier et proscrivait l’outrance dans la violence, tels que la castration ou des coups mortels. Semblablement, si l’esclave avait l’autorisation de se marier, ce mariage n’avait aucune valeur juridique et la famille pouvait être dispersée à tout moment. Quant aux enfants, ils héritaient nécessairement du statut de leurs parents.

La violence physique était d’ailleurs inscrite au cœur de la domination esclavagiste qui commençait par marquer les esclaves au fer rouge et qui réservait à eux seuls les châtiments corporels et l’usage de la torture. Les peines énoncées à l’encontre d’un esclave fautif visaient explicitement à le marquer dans sa chair, que ce soit par le fouet ou les chaînes.

Par manque de témoignage, le nombre d’esclaves à cette époque est impossible à estimer. Ils étaient en tout cas très nombreux, sans doute dans la proportion d’environ trois ou quatre par famille d’homme libre.

les fonctions occupées par les esclaves

Les esclaves devaient s’acquitter de toutes sortes de tâches, des plus lourdes aux plus qualifiées, et occupaient toutes sortes de postes, subalternes mais aussi de commandement. Il n’y avait en fait aucune occupation réservée spécifiquement aux hommes libres sauf la justice, la politique et l’armée (encore qu’on trouve des esclaves dans la marine et dans l’administration de l’État)

Les esclaves apparaissent, dans les témoignages notamment littéraires de cette époque, omniprésents dans la vie quotidienne. Il y a une foule de domestiques qui sont chargés des travaux de la maison et qui se consacrent à une grande variété d’occupations : valets, portiers, cuisiniers, danseurs, « courtisanes » (c’est-à-dire prostituées), intendants…

Mais beaucoup d’esclaves doivent sans doute également travailler la terre, même si ce n’est pas là leur

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unique fonction. La société athénienne était d’abord une société agricole, composée d’une majorité de petits propriétaires terriens qui exploitaient eux-mêmes leur domaine avec sans doute l’aide d’un ou de plusieurs esclaves domestiques. Dans les grands domaines (appartenant aux citoyens les plus riches), apparaissent également de nombreux esclaves qui étaient exclusivement chargés du labeur agricole sous la direction d’un contremaître lui-même esclave.

Mais il semble néanmoins que l’on trouvait le plus grand nombre d’esclaves dans l’artisanat des villes (cordonnerie, fabrique d’ustensiles, travail du bois, du métal…) ainsi que dans toutes sortes d’activités commerciales et bancaires. Dès que le nombre de travailleurs dépendants dans une entreprise dépassait les quelques unités (c’est-à-dire le maître et ses enfants éventuels), il s’agissait en fait d’esclaves. Il faut également citer le travail dans les mines (notamment les mines de plomb argentifères), particulièrement pénible et dangereux, qui était accompli en très grande majorité par des esclaves : mêmes les postes de contremaîtres y étaient généralement occupés par des esclaves.

Enfin, il y avait des esclaves publics (c’est-à-dire directement soumis à l’autorité de l’État, de la « polis ») occupés par exemple à l’entretien des routes ou même à des fonctions de simple police.

l’affranchissement

Si leur statut était fondamentalement subordonné et inférieur, la vie des esclaves pouvait néanmoins être extrêmement diverse, parfois extrêmement pénible comme pour les travailleurs des mines, parfois beaucoup plus aisée pour ceux qui occupaient des fonctions commerciales ou bancaires importantes chez un maître particulièrement riche.

Enfin, le portait de l’esclavage dans la Grèce classique ne serait pas complet si l’on omettait la pratique de l’affranchissement : généralement décidé par le maître, l’affranchissement impliquait très généralement un prix de rachat (ce qui implique que nombre d’esclaves pouvaient en fait travailler en partie pour leur compte personnel jusqu’à, pour certains d’entre eux, pouvoir payer le prix de leur liberté). Souvent certaines limites étaient cependant mises à la liberté de l’affranchi qui devait rester par exemple auprès de son ancien maître ou continuer à lui rendre certains services.

Par ailleurs, les affranchis n’accédaient jamais à la citoyenneté grecque et restaient assimilés juridique-ment à des étrangers, à des Métèques, ce qui les excluait de la vie politique, de la participation à l’assemblée du peuple et de l’accès aux magistratures. Plus important encore, ils ne pouvaient posséder de terres en Attique, la propriété étant réservée aux seuls Athéniens.

les raisons de l’esclavage

De manière générale, il semble que les Athéniens, dans leur majorité petits propriétaires terriens exploi-tant eux-mêmes leur domaine, répugnaient à travailler régulièrement pour autrui (même comme salariés) et que c’est donc les esclaves qui furent obliger d’effectuer ce travail « pour autrui », c’est-à-dire pour tous les Athéniens des classes supérieures, capables d’acheter ces esclaves et d’exploiter ensuite financièrement leur travail (que ce soit dans l’artisanat, les mines, les affaires ou les grandes exploitations agricoles). La liberté des citoyens athéniens et leur participation à l’assemblée démocratique ont ainsi eu pour contrepartie indirecte la mise en esclavage de milliers de métèques dont le travail était nécessaire à la prospérité de la cité.

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CommENtAIrES

Comme toute situation historique, la traite négrière vers l’Amérique et les États-Unis en particulier est sans doute unique, incomparable à d’autres situations d’esclavage dans l’Antiquité ou en Afrique précoloniale. Cette spécificité ne résulte cependant pas d’un seul trait ou d’une seule caractéristique (par exemple, le nombre de personnes victimes des pratiques esclavagistes) mais plutôt d’un ensemble de caractéristiques qu’on peut retrouver isolées en d’autres lieux ou à d’autres époques mais dont la combinaison est elle historiquement singulière. En outre, si cette combinaison est unique, cela n’empêche pas qu’on puisse trouver à l’ensemble des situations d’esclavage un ou plusieurs traits communs. Ainsi, comprendre une situation historique signifie qu’on mette en évidence, par la comparaison, à la fois ce qui différencie telle ou telle situation historique (ce qui constitue sa spécificité) mais aussi ce qui est commun à plusieurs situations pourtant éloignées les unes des autres.

Trois traits semblent ainsi communs à toutes les situations d’esclavage. Le pre-mier est l’aliénation totale d’un individu à un autre, sa transformation en propriété semblable à un objet ou un animal, qui permet notamment de le vendre à un autre propriétaire.

Le deuxième est la violence qui est toujours à l’origine de l’esclavage : seule cette violence permet de contraindre l’individu, de le soumettre ainsi totalement à la volonté d’autrui, d’obtenir son consentement forcé à ce qu’on exige de lui (le travail, la complaisance sexuelle…. ). Et cette violence, qui est essentielle dans la transforma-tion d’un individu libre en esclave (en particulier lors du rapt et de l’éloignement de l’individu de son lieu d’origine), est renouvelée à différentes étapes essentielles du processus (et peut donc affecter ceux qui n’ont pas été marqués directement par la violence originelle du rapt comme les esclaves nés de parents esclaves) : les esclaves sont fréquemment marqués au fer rouge, ils sont souvent enchaînés (notamment pour empêcher leur fuite), et les punitions qui leur sont infligées lorsqu’ils ne se conforment pas à la volonté du maître sont d’abord et essentiellement des punitions corporelles. S’il existe, dans certaines sociétés, des formes d’esclavage volontaire ou même d’esclavage pour dettes, cette servitude est alors toujours accompagnée de garanties données à celui qui s’y soumet (comme celle de ne pas être vendu à un autre maître ou celle de ne pas être soumis à des châtiments corporels) et s’éloigne donc de l’esclavage au sens strict.

Le troisième trait peut paraître moins nécessaire mais on constate pratiquement toujours que l’esclave est extérieur à la société qui le contraint à l’esclavage. La vio-lence de la mise en esclavage est telle que les esclavagistes choisissent presque obliga-toirement leurs victimes dans des sociétés extérieures à la leur (ou dans des groupes socialement si différenciés qu’une barrière psychologique les sépare déjà nettement de leurs maîtres). Ainsi, si, dans certaines sociétés africaines, des individus pouvaient être condamnés à l’esclavage pour des crimes ou des délits qu’ils avaient commis, ces tribus s’empressaient de vendre le coupable à une autre peuplade et n’exerçaient donc pas elles-mêmes la violence nécessaire au maintien de l’individu en esclavage. Cette distance sociale entre les esclaves et leurs maîtres se traduit d’ailleurs souvent par l’éloignement souvent maximum de ces esclaves par rapport à leur société d’origine notamment pour décourager toute tentative de fuite.

Si l’on retrouve ces différents traits dans la situation des Noirs africains mis en esclavage aux États-Unis, celle-ci présente néanmoins une série de caractéristiques propres.

La première est l’importance de la traite négrière vers l’Amérique (les États-Unis n’absorbant qu’une partie des victimes de cette traite). Jamais sans doute en aucun lieu ni à aucune époque, autant d’individus n’ont été mis en esclavage sur une période aussi courte (pendant un siècle et demi environ). Même si les pays européens n’étaient

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pas encore entrés dans la révolution industrielle, ce commerce triangulaire fut un négoce massif, régulier, aussi parfaitement organisé que possible (selon les conditions du moment) en obéissant à une logique de commerce de gros et non de détail (si l’on peut s’exprimer ainsi) : on ne vend pas simplement des esclaves de particulier à particulier, mais on organise le trafic de cargaisons entières d’hommes apparaissant alors dans les livres de comptes des armateurs européens qui n’ont jamais mis les pieds eux-mêmes en Afrique. On commerce avec des esclaves comme on commerce avec des tonnes de canne à sucre ou de cacao, sans jamais être soi-même en contact avec ces cargaisons, en les considérant uniquement comme des placements plus ou moins rentables.

Une deuxième caractéristique importante de l’esclavage aux États-Unis est la fer-meture totale de la société esclavagiste aux esclaves. Ceux-ci sont destinés à rester définitivement des esclaves (aucune mesure d’affranchissement n’est pratiquement possible), et ces esclaves sont destinés uniquement aux travaux les plus durs (essen-tiellement dans les plantations de coton) ou, à la rigueur, aux tâches domestiques les plus ingrates. Jamais on ne verra un esclave cultiver un lopin pour son propre compte, devenir petit commerçant ou encore soldat. Ce qui frappe dans la situation des esclaves nord-américains comparés aux esclaves dans l’Antiquité ou dans les pays Arabes (ou même en Amérique du Sud), c’est donc d’une part l’uniformité des conditions médiocres au plus bas de l’échelle sociale et d’autre part l’impossibilité pratiquement totale (sinon par la fuite) de sortir de cette condition.

Une troisième caractéristique propre aux États-Unis est le racisme qui s’est déve-loppé parallèlement à celui de l’esclavage, et c’est ce racisme qui explique sans doute la fermeture totale de la société esclavagiste aux esclaves qu’elle possédait pourtant en son sein. Au nom de la race, les Noirs étaient accusés de tous les vices possibles (paresse, luxure, stupidité, fourberie, infériorité congénitale… ), ce qui interdisait toute idée de mélange avec les maîtres : même les métis (car les Blancs ne se privaient pas toujours des plaisirs que pouvaient leur procurer leurs esclaves) ne sont pas considérés comme des Blancs (au moins pour une moitié… ) et sont exclus de leur monde 1. Ce trait distingue nettement l’Amérique du Nord de l’Amérique du Sud où le mélange interracial a été beaucoup plus profond et a produit une multitude de métis, effaçant toute coupure franche entre le monde des Blancs et celui des Noirs (ce qui n’empêche pas que certaines distinctions sociales se fondent encore de manière subtile sur la couleur plus ou moins foncée de la peau). C’est ce racisme enfin qui laisse sans doute aujourd’hui encore les marques les plus durables sur la situation des Noirs aux États-Unis.

1. Lors de la célèbre affaire O. J. Simpson, accusé du meurtre de sa femme (blanche) aux États-Unis, tout le monde — aussi bien ses défenseurs que ses accusateurs — a considéré que Simpson était noir (ce qui a cristallisé les tensions raciales entre les commu-nautés, les Blancs considé-rant plutôt l’accusé comme coupable tandis que les Noirs estimaient générale-ment qu’il était innocent). Or, du point de vue des caractéristiques physiques (couleur plus ou moins claire de la peau, forme du nez, aspect plus ou moins allongé du visage… ), on aurait tout aussi bien pu penser que Simpson ap-partenait au groupe blanc. Mais comme métis, il était spontanément « classifié » par l’ensemble des Amé-ricains comme Noir. Sans idéaliser la situation en Europe, il est certain que les caractéristiques pure-ment raciales (c’est-à-dire physiques) de l’individu y auraient été à peine remar-quées.

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l’ESClAvAgEAPrèSl’AbolItIoN

Comme Steven Spielberg le rappelle dans son film, l’affaire de l’Amistad ne fut qu’une étape dans le long processus qui devait conduire à l’abolition de l’esclavage aux États-Unis. Doit-on alors conclure que l’esclavage appartient à un passé dé-finitivement révolu et que l’on n’évoque cette terrible histoire que par devoir de mémoire ? Les choses ne sont malheureusement pas aussi simples, et il faut bien constater d’une part que les séquelles de l’esclavage ne sont pas partout effacées et d’autre part que de nouvelles formes d’esclavage peuvent apparaître aujourd’hui encore dans nos sociétés.

L’abolition de l’esclavage aux États-Unis a sans doute mis fin d’un point de vue juridique à une institution moralement condamnable mais a également fait surgir de nouvelles formes de discrimination parfois aussi graves que l’esclavage. On sait que les États du sud ont mis légalement en place, après la guerre de Sécession et leur défaite militaire, un système de ségrégation raciale particulièrement odieux que seul un nouveau combat de plus d’un demi-siècle a finalement mis à bas 1. En outre, aujourd’hui encore, la situation des Noirs américains pose de nombreux problèmes, notamment d’un point de vue économique, et, aux yeux de beaucoup, la lutte pour l’égalité raciale n’est pas encore terminée dans ce pays 2. L’on voit que, sur toute cette histoire récente, il est possible de mener avec les élèves des recherches stimulantes qui prolongeront naturellement les questions posées par la vision d’Amistad.

Par ailleurs et de manière plus générale, on peut se demander si l’esclavage a réelle-ment disparu partout dans le monde après son abolition officielle. À l’esclavage légal ont sans doute succédé différentes formes d’esclavage contre lesquelles il convient de lutter aujourd’hui. Différents organismes internationaux ainsi que des organisations non gouvernementales combattent ainsi actuellement le travail des enfants ainsi que la prostitution, tous deux assimilés à des formes modernes d’esclavage : le travail des enfants, qu’on pourrait croire marginal et limité à certains pays sous-développés, est, semble-t-il, en augmentation dans le monde à cause d’une demande croissante d’une main-d’œuvre extrêmement flexible, saisonnière et bon marché (par exemple dans tous les domaines de l’habillement soumis à des phénomènes de mode imposant des pics brutaux de production); quant à la prostitution, si elle est parfois volontaire, l’on sait bien que l’entrée y est le plus souvent provoquée par un mélange de ruse, de violence et de contrainte sur des personnes démunies ou vulnérables (ce qui justifie que l’on parle d’esclavage). Si les élèves sont intéressés par ces thèmes, ils pourront facilement trouver une première information en s’adressant à l’un ou l’autre organisme chargé de ces questions, en consultant en bibliothèque ou en médiathèque des journaux, des magazines (parmi lesquels il est facile de trouver des numéros spéciaux consacrés à ce type de sujets) ou des émissions d’actualité, ou bien en opérant une recherche sur le réseau Internet (de nombreux sites sont consacrés à l’esclavage aujourd’hui). Dans cette démarche, le rôle de l’enseignant sera sans doute moins d’apporter de l’information (qui abonde dans ces réseaux) que d’apporter un éclairage critique sur la documentation recueillie qui peut être de qualité très inégale.

Enfin, pour terminer ce dossier, l’on proposera un résumé de l’ouvrage récent d’Adam Hochschild, Les Fantômes du roi Léopold (Paris, Belfond, 1998), qui retrace la colonisation forcée du Congo sous l’égide du roi Léopold II. Même si cet ouvrage écrit par un journaliste n’a pas la rigueur d’un travail historique scientifique, même s’il est sans doute relativement unilatéral (en défaveur de l’action du roi), il est

1 L’on trouvera un rappel de l’histoire des Noirs américains dans le premier chapitre du dossier pé-dagogique réalisé par les Grignoux et consacré au film de Spike Lee, Do the Right Thing.

2. L’on trouvera une évoca-tion des problèmes soule-vés par la condition sociale des Noirs aux États-Unis aujourd’hui dans le deuxiè-me chapitre du dossier cité à la note précédente.

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indéniable que l’ampleur des faits rapportés est suffisamment grave pour imposer un réexamen sévère de la manière dont la colonisation (au moins jusqu’à ce que l’ad-ministration du Congo soit cédée à l’État belge et ne soit plus exercée directement par le souverain et ses hommes liges) est habituellement présentée dans les manuels d’histoire en Belgique. On verra en tout cas que l’esclavage en cette fin du XIXe siècle, théoriquement interdit, était encore pratiqué dans les faits.

LesFantômesduroiLéopoldd’Adamhochschild:résumé

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les Européens ne s’étaient pratiquement pas aventurés à l’intérieur du continent africain, se contentant de négocier avec les peuplades côtières notamment l’achat d’esclaves à destination de l’Amérique. Vers les années 1870, des explorateurs dont le célèbre Stanley vont se lancer à la conquête de ce continent inconnu pour la gloire (Stanley est journaliste et ses articles sont richement rétribués) ainsi que pour les richesses que ces régions sont supposées receler (l’ivoire des éléphants vaut à l’époque très cher). Cette exploration n’avait rien de pacifique, les expéditions (composées de centaines de personnes) étant obligées à partir d’un certain moment de vivre sur les réserves du pays exploré, et Stanley n’hésitant pas à obtenir par la force ce dont il avait besoin. On lit ainsi avec stupeur dans son journal des phrases comme : « nous avons attaqué et détruit vingt-huit villes importantes et trois ou quatre dizaines de villages » sans doute jugés hostiles ! Sur le lac Tanganyika où il s’est aventuré, il ne supporte pas les moqueries (?) des indigènes dont certains sont armés de lances. Cela l’ulcère à un tel point qu’il ouvre le feu sur les pirogues avec sa carabine à répétition Winchester : « six coups et quatre morts suffirent à faire cesser ces moqueries » !

Un empire colonial, propriété privée

Le roi Léopold II (1835-1909) va très rapidement patronner Stanley et l’utiliser pour se tailler un immense empire colonial sous le couvert d’une Association internationale du Congo dont le souverain était le véritable dirigeant (cette couverture faisait du Congo sa propriété privée, échappant de ce fait au contrôle du parlement et du gouvernement belges !). Agissant au nom de cette association, Stanley fera signer, en échange de divers articles de troc, à un maximum de chefs africains rencontrés au cours de ses nouvelles explorations, des accords selon lesquels ils abandonnaient « à ladite Association la souveraineté et tous les droits de gouvernement » ainsi que tous les droits de chasse, de pêche et d’exploitation minière ! Plus grave encore, ces traités, qui étaient évidemment incompris par des chefs africains qui les signaient en y apposant une simple croix, imposaient aux populations « d’aider, par des ouvriers ou autrement, tous ouvrages, améliorations ou expéditions que ladite Association entreprendra à n’importe quel moment ». C’était évidemment ouvrir toute grande la porte au travail forcé !

Car l’ère des explorateurs était à présent terminée (1889), et ce sont des ingénieurs, des planteurs, des prospecteurs, des constructeurs de bateaux et de voies ferrées qui allaient leur succéder, ainsi que des soldats. Ces premiers colons étaient en fait des aventuriers qui espéraient faire fortune rapidement et pour qui tous les moyens étaient sans doute bons pour y parvenir. Nombre d’entre eux se sont en effet rapidement révélés être des individus cupides, brutaux et sans scrupule. Mais tous ces hommes auront besoin de main-d’œuvre pour exploiter les richesses de la colonie, à savoir dans un premier temps essentiellement l’ivoire qu’il faut recueillir dans tout le pays, qui est immense, puis transporter jusqu’aux ports côtiers.

Il n’est évidemment pas question de faire venir une main-d’œuvre européenne trop coûteuse, et des mil-liers d’Africains seront bientôt mis au travail forcé pour porter les tonnes d’ivoire récoltées, pour construire les maisons dont les Blancs ont besoin et pour leur servir de valets, tandis que d’autres seront enrôlés dans

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l’armée qui se constitue rapidement sous l’appellation de Force publique. Enfin, un grand nombre de fem-mes africaines deviendront contraintes et forcées les concubines de ces colons qui vivaient d’abord isolés dans des postes souvent reculés où ils étaient laissés à leur propre initiative.

les travaux forcés

Un grand obstacle naturel empêchait la pénétration des Européens dans le pays : le fleuve Congo, qui s’était révélé à beaucoup d’endroits navigable, est néanmoins barré en aval par des chutes et des rapides impossibles à traverser par bateau entre le port de Matadi, non loin de l’embouchure, et les villes actuelles de Kinshasa et Brazzaville : il fallut donc d’abord démonter les navires qui allaient servir à envahir le pays et les faire porter au-delà des chutes à dos d’homme à travers des pistes difficilement praticables et particulièrement accidentées. Des porteurs nombreux furent enrôlés de force, et l’on commença à recourir à un instrument de punition qui allait rester tristement célèbre au Congo : la chicotte était un fouet en peau d’hippopotame qui laissait des cicatrices permanentes et qui était utilisé pour la moindre vétille sur des adultes mais aussi des enfants employés par exemple comme domestiques. Les Européens préférèrent cependant rapidement faire administrer la chicotte par d’autres Africains, transformés en garde-chiourmes.

De manière générale, seule la force pouvait contraindre les indigènes à travailler pour les Blancs, et les administrateurs coloniaux n’hésitèrent pas à recourir de manière systématique à la prise de femmes en otage pour obliger les hommes à se soumettre. Plus brutalement encore, les villages isolés pouvaient être envahis par la Force publique (l’armée coloniale) avant d’être détruits, brûlés, et les habitants enchaînés et déportés pour travailler au service des Blancs.

Aucune limite ne fut mise pendant longtemps à l’action des colons, et, dans les postes éloignés, ceux-ci se comportaient souvent en despotes sadiques et incontrôlés. Pour asseoir leur autorité, certains n’hésitaient pas à tuer, à pendre, à terroriser de multiples manières la population : c’est ainsi qu’un de ces colons fit planter sur des piquets autour de son jardin des dizaines de têtes coupées d’hommes accusés de s’être rebellés !

La terreur était si grande que les quelques rares observateurs extérieurs qui parcoururent le pays à cette époque constatèrent que nombre de villages étaient abandonnés, soit que les habitants aient été enlevés, soit qu’ils se soient enfuis.

le règne du caoutchouc

Une nouvelle étape dans l’exploitation du travail forcé fut accomplie avec le boom du caoutchouc qui se produisit dans les années 1890 quand Charles Goodyear puis John Dunlop découvrirent comment utiliser cette substance pour la fabrication de pneus et de bien d’autres objets de consommation courante. Durant toute cette décennie, la demande de caoutchouc ne cessa de croître, et, au Congo, il devint une matière première aussi recherchée que l’ivoire. Mais, pour récolter le caoutchouc, il fallait inciser des lianes poussant dans la forêt vierge et y suspendre un baquet où coulait alors une sève épaisse. Plus la demande augmentera, plus il faudra s’enfoncer loin dans la forêt, monter haut dans les arbres afin de trouver toujours de nouvelles lianes productrices de caoutchouc. Encore une fois, on contraindra les villageois, en prenant par exemple leurs femmes en otage, à s’enfoncer dans une jungle humide, hostile, transformée en bourbier pendant la saison des pluies, à y vivre des semaines durant dans des huttes sommairement aménagées sous la menace d’animaux sauvages comme les léopards, avec le risque d’une chute du haut des arbres dans des lieux isolés et sans secours possible, tout cela pour récolter le caoutchouc dont les colons fixaient des quotas toujours en hausse.

Des dizaines de milliers d’Africains furent ainsi transformés en forçats pour récolter le caoutchouc, de-vant pour cela laisser leurs cultures traditionnelles à l’abandon. Les Blancs et leurs soldats ponctionnaient en outre leurs maigres ressources — manioc, viande, poisson, bananes —, la désorganisation générale de l’agriculture entraînant bientôt des famines locales. D’autres indigènes devaient encore servir de porteurs pour amener tout le caoutchouc récolté jusqu’aux postes ou aux ports sur le fleuve. Le portage, de façon plus générale, fut une véritable calamité pour les indigènes car, en l’absence de voies de communication, tout devait être porté à dos d’hommes, des Noirs évidemment, et seule la force encore une fois pouvait les

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y contraindre. Beaucoup étaient enchaînés, et, lorsque l’un tombait, il entraînait bien sûr les autres dans sa chute.

le pays des mains coupées

Comme la demande de caoutchouc ne faiblissait pas, le travail touchait toujours de nouvelles régions. Et, si un village refusait de récolter du caoutchouc, la force publique pouvait alors massacrer la population entière afin de terroriser les villages avoisinants. Mais, comme les autorités coloniales n’avaient pas grande confiance en leurs soldats noirs, elles exigèrent que ceux-ci rapportent, pour chaque cartouche tirée, la main coupée de la victime : toutes ces mains qui, sous ce climat chaud et humide, risquaient de se décomposer rapidement, devaient alors être fumées lorsque la campagne militaire durait quelque temps. Cette pratique ignoble, lorsqu’elle fut connue, valut bientôt au Congo le surnom de pays aux mains coupées. Tous les moyens étaient donc bons pour ces colonisateurs sans scrupules pour obtenir la soumission des indigènes, et un témoin de cette époque rapporte avoir vu un soldat « prendre un grand filet, y mettre dix indigènes qui avaient été arrêtés, attacher de grosses pierres au filet et le faire basculer dans le fleuve ».

Un nouveau projet vit bientôt le jour, celui de contourner les rapides infranchissables entre Matadi et Stanley Pool (où se trouve la ville actuelle de Kinshasa) grâce à une voie de chemin de fer. Ce projet nécessita jusqu’à soixante mille ouvriers pour construire trois cent quatre-vingts kilomètres de voies à travers un ter-rain particulièrement accidenté, ainsi qu’une centaine de ponts nécessaires au franchissement des obstacles naturels. Ce fut un chantier particulièrement meurtrier à cause des maladies, des mauvais traitements, des accidents, du travail forcé, des coups de fouet des contremaîtres. Les chiffres officiels, certainement sous-estimés, donnent le chiffre de mille huit cents Africains morts sur ce chantier.

Une campagne de presse

Alors que le Congo exportait de plus en plus d’ivoire et de caoutchouc, les cargaisons à destination de la colonie étaient essentiellement composées d’armes, de munitions et de chaînes, c’est ce qu’observa, dans le courant des années 1890, Edmund Morel, un jeune employé britannique d’une compagnie maritime installée à Anvers. Alors, écrivit-il, « comment ce caoutchouc et cet ivoire étaient-ils acquis ? Certainement pas par transaction commerciale. Rien ne rentrait en paiement de ce qui sortait. […] Seul le travail forcé d’un genre terrible et continu pouvait expliquer de tels bénéfices cachés. » Les plantureux bénéfices réalisés au Congo étaient en effet masqués dans des budgets trafiqués, tandis que le roi Léopold (qui ne s’était jamais rendu dans sa colonie) avait toujours démenti les quelques accusations que différents témoins scandalisés avaient pu porter contre son administration au Congo.

Choqué par ce qu’il appelait « une société secrète d’assassins chapeautée par un roi », Morel lança en Angleterre une véritable campagne de presse qui révéla peu à peu au monde que la colonisation du Congo était basée systématiquement sur l’utilisation de la main d’œuvre forcée des indigènes, c’est-à-dire de l’escla-vage. Il publia par exemple des directives coloniales, théoriquement secrètes, qui révélaient que des femmes étaient bien prises en otage pour contraindre leurs maris à récolter le caoutchouc ou que des primes étaient offertes aux fonctionnaires pour les hommes enrôlés (nécessairement de force) dans la Force publique. Il montra des photographies de villages détruits, de mains coupées et séchées, d’enfants ou d’adolescents sau-vagement amputés. Il rapporta de nombreux témoignages qui prouvaient que dans les enclos sommaires où étaient enfermés les indigènes pris en otage régnait une mortalité terrible due aux mauvais traitements et aux conditions de vie misérables. Il fit enfin apparaître que le taux de natalité avait chuté dramatiquement entre 1896 et 1903 dans les régions où la campagne de caoutchouc battait son plein, ce qui témoignait de l’incroyable dégradation des conditions de vie des habitants de ces districts.

Cette véritable campagne de presse menée par Morel, puis relayée par de nombreuses autres person-nes, finit par convaincre l’opinion publique britannique puis internationale, et des pressions multiples s’exercèrent sur Léopold II pour qu’il mette fin à la gestion désastreuse de sa colonie. Le roi prit quelques timides mesures, mais l’ensemble du système resta en place jusqu’à ce que le Congo soit cédé à l’État belge en 1908 par le souverain un an avant sa mort (pour une somme estimée à plusieurs centaines de millions de francs !). L’État belge mit certainement fin aux excès les plus terribles de la période précédente, mais

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on ne peut nier que la colonisation, même adoucie, reste une forme plus ou moins brutale d’exploitation d’un pays par un autre…

Si, les Africains parlent aujourd’hui couramment d’une dizaine de millions de victimes pendant cette période noire de l’histoire congolaise (de 1885 à 1908), ce qui équivaudrait à la moitié de la population congolaise d’alors (chiffre repris par Adam Hochschild dans son livre), des historiens belges interrogés à ce propos comme Jean Stengers ou Jean-Luc Vellut préfèrent se réfugier derrière la difficulté de faire de pareilles estimations en dehors de tout document chiffré (il n’y a évidemment pas eu de recensement de la population indigène), soulignant que les pertes peuvent aussi bien être de 50%… que de 10%. On remar-quera néanmoins que, si l’on divise le chiffre de dix millions de victimes même par dix, l’on obtient encore un chiffre pour le moins conséquent…

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tabledematières

Présentation .................................................................................................................... 3

Comprendre le film ...................................................................................................... 4Avant la projection ......................................................................................................... 4Après la projection ......................................................................................................... 4

Dix questions à propos d’Amistad de Steven Spielberg ............. 5Quelques éléments de réponse ........................................................ 6

L’affaire de l’Amistad dans son contexte historique.............................. 8Un exercice de chronologie ............................................................. 8Réponses et commentaires .............................................................10

Donner son avis sur le film ...................................................................................12Mon opinion à propos d’Amistad ................................................12

Analyser une séquence d’Amistad ......................................................................15

Amistad, la rencontre de deux cultures .......................................................17Amistad : résumé ..............................................................................19

Qu’est-ce que l’esclavage ? .....................................................................................22La traite des Noirs et l’esclavage

en Amérique du Nord ...............................................................23L’esclavage dans l’Afrique précoloniale ........................................26L’esclavage dans le monde arabe et l’empire ottoman ...............28L’esclavage dans la Grèce antique .................................................30

Commentaires ...............................................................................................................32

L’esclavage après l’abolition ................................................................................34Les Fantômes du roi Léopold d’Adam Hochschild : résumé .....35

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Au nom du père de Jim Sheridan Aux bons soins du docteur Kellogg d’Alan Parker Babe de Chris Noonan Le Ballon d’or de Cheik Doukouré Bashu de Bahram Beyzaie Beaucoup de bruit pour rien de Kenneth Branagh Beaumarchais l’insolent d’Edouard Molinaro Le Bonhomme de neige de Dianne Jackson Le Bossu de Philippe de Broca Boyz’n The Hood de John Singleton C’est pour la bonne cause de Jacques Fansten La Championne d’Elisabeta Bostan Cheb de Rachid Bouchareb Le Cheval venu de la mer de Mike Newell Cœur de dragon de Rob Cohen The Commitments d’Alan Parker Contre l’oubli d’Amnesty International Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau Daens de Stijn Coninx Danger pleine lune de Bratislav Pojar Danny, le champion du monde de Gavin Millar Danse avec les loups de Kevin Costner Le Destin de Youssef Chahine L’Enfant au grelot de Jacques-Rémy Girerd L’Enfant lion de Patrick Grandperret Les Évadés de Frank Darabont La Ferme des animaux de John Halas La Flèche bleue d’Enzo d’Alò La Gloire de mon père & Le Château de ma mère d’Yves Robert Le Gone du Chaâba de Christophe Ruggia Good Will Hunting de Gus Van Sant La Haine de Mathieu Kassovitz Henry V de Kenneth Branagh Hors la vie de Maroun Bagdadi Le Huitième Jour de Jaco Van Dormael Il Postino de Michael Radford Jeanne la Pucelle de Jacques Rivette The Kid & Les Temps modernes de Charles Chaplin Linnea dans le jardin de Monet de Christina Bjork et Lena Anderson La Liste de Schindler de Steven Spielberg Little Nemo de M. Hata et W.T. Hurtz Looking for Richard d’Al Pacino Le Maître des éléphants de Patrick Grandperret Marion de Manuel Poirier Matilda de Danny DeVito Ma vie en rose d’Alain Berliner Michael Collins de Neil Jordan Microcosmos de Claude Nuridsany & Marie Pérennou Mondo de Tony Gatlif Mon Oncle de Jacques Tati Munk, Lemmy et Cie de Nils Skapáns et Jánis Cimermanis La Nuit des Rois de Trevor Nunn Les Nuits fauves de Cyril Collard Othello d’Orson Welles Les Palmes de M. Schutz de Claude Pinoteau Le Petit Grille-Pain courageux de Jerry Rees Pinocchio et l’Empereur de la Nuit de Hal Sutherland La Promesse de Luc et Jean-Pierre Dardenne Raining Stones de Ken Loach Roméo et Juliette de Baz Luhrmann Salut cousin ! de Merzak Allouache Smoke de Wayne Wang et Paul Auster Toto le Héros de Jaco Van Dormael La Vie est belle de Roberto Benigni Vincent et moi de Michael Rubbo Les Virtuoses de Mark Herman Voyage à Mélonia de Per Ahlin Les Voyages de Gulliver de Dave Fleischer Voyage vers l’espoir de Xavier Koller

L’Art de l’animation par Philippe Moins Simenon au cinéma : à propos de Monsieur Hire de Patrice Leconte Image par Image le cinéma d’animation La mer un dossier thématique L’animal et le règne humain une approche pédagogique Les Jeunes à l’ombre des familles sur six films récents

ÉgAlement AU CA-tAlogUe :Amadeus de Milos FormanAu revoir les enfants

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d’André MelançonLa Bamba de Luis ValdezBen-Hur de William WylerBirdy d’Alan ParkerChérie, j’ai rétréci les gosses

de Joe JohnstonCourt-circuit de John BadhamCrin Blanc & Le Ballon rouge

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de Bernardo BertolucciDo the Right Thing de Spike LeeLes Enfants du désordre

de Yannick BellonFievel et le Nouveau Monde

de Don BluthGreystoke de Hugh HudsonLa Guerre des tuques

d’André MelançonUn Homme parmi les loups

de Carroll BallardJean de Florette de Claude BerriMississippi Burning

d’Alan ParkerNé un 4 juillet d’Oliver StoneLe Nom de la rose

de Jean-Jacques AnnaudL’Ours de Jean-Jacques AnnaudLe Petit Dinosaure et la Vallée des

merveilles de Don BluthPlatoon d’Oliver StoneRain Man de Barry LevinsonUne Saison blanche et sèche

d’Euzhan PalcySalaam Bombay ! de Mira NairStand By Me de Rob ReinerTatie Danielle d’Etienne ChatiliezTrois hommes et un couffin

de Coline SerreauUnder Fire

de Roger SpottiswoodeLa Vie est un long fleuve tranquille

d’Etienne Chatiliez

lESDoSSIErSPÉDAgogIQUESéditésparlesgrignoux

&leC.t.l.-liège

Sursimpledemande,vouspou-vezobtenirlecataloguecompletdesdossierspédagogiqueséditésparlesgrignoux.Cecataloguecontient, à chaque fois, unebrèveprésentationdufilmainsiqu’un résumé des principauxchapitresdudossier.

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