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Amélie Haurhay

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AmélieHaurhay

6H66

Page 3: Amélie Haurhay

©AmélieHaurhay,2020

ISBNnumérique:979-10-262-4730-2

Courriel:[email protected]

Internet:www.librinova.com

LeCodedelapropriétéintellectuelleinterditlescopiesoureproductionsdestinéesàuneutilisationcollective.Toutereprésentationoureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudesesayantscause,estilliciteetconstitueunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelapropriétéintellectuelle.

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Prologue

18h45

Ilmefaudraitplusdeconcentration,maisJulies'impatiente.

—Thomas,tuviens?Lesgarçonst'attendent.

— Je vous rejoins d'ici dixminutes. J'ai une dernière sauvegarde à faire, etj'arrive.Rendez-vousdirectementaucafé.

—Entendu,maisnetraînepastrop.

Julie file vers l'ascenseur où les garçons – Olivier, Jean-Pascal dit « JP »,commeilaimeàseprésenter,etArthur–sontentraindejoueraveclesboutonsdecommande.

Commed'habitude, je suis ledernierà l'étage.Masauvegarde sepasse sansproblème.Underniercoupd’œilàmaboîtemail.RAS,sauflapetitefenêtrederappel qui clignote, affichant un petit smiley jaune hilare portant un gâteaud'anniversaire. Je souris. Encore un coup de Julie, qui est venue sur monordinateurpendantquej'étaisabsent.Unrappelpourmonanniversairesurmonpropreordinateur!Commesij'allaisl'oublier.

Je quitte mon bureau. Je prends les escaliers, après avoir éteint toutes leslumièresdel'étage.

Quandjesorsdubâtiment,unventcinglantm'accueille.S'ilmesurprendaudépart,ilavitefaitdemepousserhuitcentmètresplusloin,devantlaportedu« Geek Bar », là où les collègues m'attendent. C'est notre lieu habituel deretrouvaillesaprèsleboulot.Passeulementparcequec'estlecaféleplusprochedutravail,niparcequenoussommestousunpeugeek,maissurtoutparcequenousnousysentonsbienetquelepatronnousfaituneréductionsurtoutesnosnotes.Ilfautdireaussiquenousluiassuronsuneentréerégulièred'argent.

Julie et les garçons sont déjà installés autour d'une bière. Je les ai à peinerejointsqueGérard,lepatron,s'approche.

—SalutThomas.Lamêmechosequed'habitude?

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—SalutGérard.Oui,merci.

—Oualors,onpourraitluiservirquelquechosedepluscostaud,enprévisiondedemain,suggèreenriantOlivier.

—Ilyaunévénementspécialdemain,Thomas?demandeGérarddepuislebaroùilestdéjàentraindemeserviruneLeffepression.

—C'estmonanniversaire,jerépondssimplement.

— Oh, bon anniversaire en avance ! Dans ce cas, celle-ci est pour moi :cadeau!melance-t-ilensouriant,endéposantlabièredevantmoi.

—Mercibeaucoup,Gérard.

Aveclescollègues,noustrinquons.

—Etpuisc'estunebonneannéepourtoi,poursuitJulie.Comme2016estuneannéebissextile,tupeuxvraimentfêtertonanniversairelebonjour.

—C'estvrai.Decefait,Arthur,tun'espasobligédemetéléphonercesoiràminuitpourmesouhaitermonanniversaire,tuaurastoutelajournéededemainpourlefaire.

—C'estquoi,cettehistoire?demandeJulieàArthur.

—PuisquenotrecheramiThomasestnéun29février, répondArthur, trois

années surquatre, il fautviser juste entre le28 février et le1ermarspour lui

souhaiter sonanniversaire.Donc, les troisdernières années, je l'ai appelé à23heures 59 minutes et 59 secondes pour tomber sur la bonne seconde où,potentiellement,nouspourrionsêtrele29février.

—Cequi,vousvousendoutez,meprocureàchaquefoisunejoieimmense:celled'êtreréveillé!

Fouriregénéral.

—Maisaufait,demandeJP,commentçasepassepourlespersonnesnéesle29février?

—Commentça,commentçasepasse?

— Eh bien, par exemple, Thomas, quand tu as droit à un cadeau pour ton

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anniversaire,dansunmagasinparexemple,queljourtuchoisis?

Etc'estrepartipourlesmêmesréponseshabituelles.Chaqueannée,j'aidroitàlamêmeconversationavecaumoinsunepersonne.ÀladéchargedeJP,çanefait quequelquesmoisquenousnous connaissons, depuisqu'il a rejoint notreentreprisel'étédernier.Maisjen'aipasbesoindemelancerdansmesexempleshabituels«d'inexistenceadministrative»,lestroisautress'enchargentpourmoi.

Ilscommencentparraconterlesanecdoteshabituelles,surtoutOlivieretJuliequi les connaissent depuis si longtemps. Petit, je fêtais deux fois monanniversairelesannéesnonbissextiles,le28févrieretle1ermarsetj'envoulaisàmesparentsdenelefêterqu'uneseulefoislesannéesbissextiles.L'annéede

mes dix-huit ans, j'ai dû attendre le 1er mars pour me déclarer majeur. C'est

d'ailleurs la seule année où j'ai clamé haut et fortmon âge d'état civil, nemevieillissantd'habitudequed'uneannéetouslesquatreans.CommeleditJulie,jebénéficieainsid'uneformedejeunesseéternelle.

De la bande, c'est Olivier et sa sœur Julie que je connais depuis le pluslongtemps. J'ai rencontré Olivier sur les bancs de la fac d'informatique, lepremier jour de notre première année universitaire respective. Et depuis nousavons tout fait ensemble, y compris trouver du boulot dans les mêmesentreprises, aumêmemoment. Julie est plus jeuneque luide cinqans ; il y adeux ans, une fois diplômée, son frère a réussi à lui décrocher un poste auservicemarketingdenotreentreprise.Arthurestmonbeau-frère.MasœurAliceamislegrappindessusàlapremièresoiréeoùjel'aiinvitéalorsque,stagiairefraîchementarrivédanslaboîte,ilneconnaissaitpersonne,etlà,iltombesurmasœur !Aliceestunepersonnecompliquée,assez instabledanssespassionsousonmodedevie.Toutl'inversedemoi.

Ondiraitqu'Arthurlitdansmespenséescarilchangebrusquementdesujetdeconversation.

—Aufait,Thomas,tuconnaisladernièrelubiedetasœur?

—Aller nourrir les bébés phoques ou les baleineaux orphelins que laissentderrièreeuxlesnaviresdepêchejaponais?

Celalefaitrire.

— Non, encore que cette idée pourrait certainement lui plaire. Mais

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actuellement, elle estmoins portée sur les actions environnementales.Non, cequilamotiveactuellement,cesontlesactionsdémocratiques.Elles'estengagéedans une association qui agit pour le renforcement des valeurs citoyennes etnotamment,quipromeutlevoteparprocuration.

Laconversationredevientsérieuse,pourtoutlemonde.

—Ben,toutlemondesaitcommentfonctionnelaprocuration,intervientJP.Ilsuffitdeserendreaucommissariatouàlagendarmerie.

—Oui,maisellepensenotammentauxpersonnesâgéesquisontenmaisonsde retraite,ouceuxquinepeuventpas sedéplacer.Àcespersonnes-là, il fautrappelerqu'ilestpossibledefairevenirunofficierdepolicejudiciairechezsoipourétablir laprocuration.Peudegens lesavent ;en toutcas,c'estqueAlicepenseetelleveutremédieràça.

— Pourquoi s'en soucier : la moitié des personnes qui sont en maison deretraite a Alzheimer et ne se souvient plus qu'on vote, et l'autre moitié aParkinson:ceux-lànesauraientpasmettrel'enveloppedansl'urne,tellementilstremblent!

JPseprenddessiffletsetdeshuées.

—JP,commentpeux-tudiredeschosespareilles?Unpeuderespectenfin,luilanceJulie.

—D'accord,d'accord,admetJP,cen'étaitpasgentil.Bon,admettonsqu'elleinforme sur la possibilité de faire venir quelqu'un chez soi pour établir laprocuration ; le problème est réglé. Qu'est-ce qu'elle veut faire de plus, tafemme?poursuit-ilàl'adressed'Arthur.

—Ellecommenceàpenserqueleprocessusdeprocurationnepeutpasrendreserviceà tout lemonde.Taprocuration, tudois ladonneràquelqu'unquivotedans la même commune que toi, et les personnes cherchent quelqu'un deconfiance pour cette tâche. Donc si tu n'as pas de famille ou d'ami prochedisponible, tu n'utiliseras pas la procuration. EtAlice pense que c'est pour çaqu'onperddelaparticipationauxélections.

—Pour ceque ça changerait, je réponds.Ma sœur s'est encore trouvéeunelubiequinesertàrien.

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Cettefois-ci,c'estOlivierquiréagitàmespropos.

—Thomas,soisunpeuobjectifenversAlice.C'estvraiqu'elleal'habitudedes'embarquer dans des histoires rocambolesques, au grand dam d'Arthur, etsurtout depuis le décès de vos parents,mais là je trouve que ce n'est pas unelubie.

ArthurapprouveOlivier.

—Olivieraraison,Thomas.J'aimetasœur,maisjesuisparfoisdépasséparlesidéesqu'ellepeutavoir;saufquecettefois-ci,cen'estpasaussiécheveléqued'habitudeetqu'ellearaisondevouloirfairebougerleschoses.

—Maisqu'est-cequ'ongagneraitàavoirplusdeparticipationauxélections?

— Thomas, d'abord, on clouerait le bec aux opposants de tous poils quirappellentàcertainsélusqu'ilsnesontpaslégitimesparcequel'abstentionaétéforte.Çapermettraitdemesurerlavéritableabstention,celleprovoquéeparlespersonnesquineveulentpasvoter,etpasd'yincluredespersonnesquiauraientvouluvotermaisquin'ontpaspu.Etpuis, çapermettrait à certainspartisditsextrémistesdepesermoinslourddanslesrésultats.

—Commentça?demandeJulie,intéressée.

—Jen'ai pasdepreuvesde ça, c'est justeuneopinionpersonnelle, reprendArthur,maisaujourd'huicesont lesélecteurs lesplusmotivésquisedéplacentjusqu'auxurnes.Et parmi eux, il y a despersonnes trèsmotivées à ceque lespartisextrémistes–peu importe lesquels,maissurtoutceuxd'extrême-droite–remportentenfinplusdesiègespourchangerleschoses.Sicesontcesélecteursquisedéplacentleplus,nousauronsbientôtd'autresinstitutionsquedesmairiesquiserontextrémistes.Ramèneverslesbureauxdevoteplusd'électeursmesurés—jenesaispascommentlesdéfinirautrement–etlerapportdeforcechange.

— Et puis, il faut réapprendre aux gens à se réapproprier les outilsdémocratiques,ajouteOlivier.Pluslesélecteursprendrontl'habitudedeneplussedéplacer,etplusoncourtàlacatastrophe.

—Maisquellecatastrophe?

— Thomas enfin, ouvre les yeux, reprend Olivier. Le jour où un partid'extrême-droite remporte majoritairement des législatives voire la

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présidentielle,àquoiressembleranotrepays?

—Jevois trèsbienquellesmenacesplanentderrièrecetteéventualité, jemedéfends.Maisenmêmetemps,aujourd'huionabeauaspireràuneévolutiondesinstitutionsouàlafaçondefairedelapolitique,lesloisetdécisionssontprisesparceuxquinousgouvernent,etilsn'ontpasl'intentiondeselaisseravoirmoinsdepouvoir.Regardezcommelenon-cumuldesmandatsadumalàsemettreenplace.

—Là-dessus,noussommesd'accord,merépondOlivier.

—Donc,commentfaireévoluerleschoses?Lesdifférentshommespolitiquesdel'oppositiondisentquenoussommesaubordd'unerévolte,maisilssemblentsecrètement espérer qu'elle n'arrivera finalement pas. Sinon, leur sort seraitégalement réglé et ils ne semblent pas prêts à laisser leur place au nom durenouveauauquelilsaspirent.

—Alorscommentveux-tufairechangerleschoses?insisteJulie.

— Je ne sais pas. Mais Arthur, comment ma sœur pense-t-elle réussir àrenverserlavapeuravecsonaction?Aprèstout,Hitlerestarrivéaupouvoirparlesurnes.

— Justement. C'est le point de départ de sa réflexion. Si Hitler est arrivélégitimement au pouvoir, rien ne dit que ça ne recommencera pas. Voilàpourquoiellesemobilisepourramenerdumondeverslesurnes.

—J'aidumalàcroirequeçapuissemarcher,dis-jepourtenterdeclorecettediscussion.

— Thomas, je n'irais pas jusqu'à supposer que tu n'as pas de consciencepolitique,maisjetrouveunpeugênantquedenotregroupe,tusoisleseulàêtreaussi passif et indifférent à ce qu'il se passe au niveau politique, me lanceOlivier.Tunepeuxpasresteréternellementdanscetteposition.

—Non,mais de là à vouloirm'affoler avec un risque de régime totalitairedansnotrepays.

Oliviermefixedroitdanslesyeux,avecunpetitsourire.

—MoncherThomas,commelesaintdonttuporteslenom,tunecroisqueceque tu vois, n'est-ce pas ?Mais si, pour croire à la perte de liberté que nous

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procurerait l'arrivée d'un parti d'extrême-droite au pouvoir, tu dois le voir,permets-moi de ne pas vouloir la même chose. Je préfère m'alarmerpréventivementquedevoirtroptardquejenepeuxplusrienfaire.

Julienecomptepasnonplusenresterlà.

— Thomas, si à la fois tu ne veux ni d'une révolte, qui pourrait êtredestructrice,etquetunecroispasquelescitoyenspuissentpacifiquement,parlesurnes,faireévoluerleschoses,quellevoieenvisages-tu?

—Jenesaispas.Jen'aiaucunpouvoir;jeveuxdire,individuellement,jenepèserien.Seulonnepeutrien.Pourquoimedemandercequemoi,Thomas,jepourraisapporterpourrésoudreuntelproblème?Jenesuisrien.Ettous,nousnesommesquedesimplespersonnesquin'avonsaucunpouvoir.

—Non,Thomas,noussommesdesimplescitoyensquidisposonsd'ungrandpouvoir : lebulletindevote.Nousavons ledroitdevote,maisçadevrait êtreaussiundevoir.Situneteserspasdecedroit,quelsargumentsauras-tulejouroùontelesupprimera?

— Qui nous le supprimerait ? Je veux dire, aucun gouvernement, mêmeextrémiste,n'envisageraitsérieusementdelesupprimer.Lepeupleserévolterait.

—Thomas,tueslégèrementcontradictoire,melanceArthur,d'untonamusévoireironique.Tupensesqu'unerévolteneseraitpasunebonnechose,maistuimaginesvoirlepeupleserévoltercontrelasuppressiondudroitdevote.Etsijamaislepeupleneserévoltaitpas?Imaginequetoutlemonderéagissecommetoi.Onpourraitfairepassern'importequelleloiliberticide.

— Je ne sais pas, je tente à nouveau pour trouver une échappatoire à cetteconversation.

—Allez,onvalelaissertranquillepourcesoir,admetOlivier.

— OK, renchérit Arthur. Mais Thomas, ne t'estime pas tiré d'affaire pourautant,surtoutquetasœurnetelaisserapastranquillesurcesujet-là.Réfléchisbiencependantàcequisepasseraitsitouscespetitsgestesquotidiensquetuasledroitdefaire,disparaissaientdetonexistence.

— En tout cas, dit Julie en s'adressant à Arthur, moi, ça m'intéresse cetteaction.