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Septembre 2007 Index AI : AMR 41/031/2007 Mexique Oaxaca – une exigence de justice

AMR 41 031 2007 test - Amnesty International · 2 Rapport spécial de la CNDH sur les événements qui se sont déroulés dans la ville d’Oaxaca du 2 juin 2006 au 31 janvier 2007

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Septembre 2007Index AI : AMR 41/031/2007

Mexique Oaxaca – une exigencede justice

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Amnesty International est un mouvement mondial composéde bénévoles qui oeuvrent pour le respect et la protection desdroits de l’être humain internationalement reconnus.L’organisation compte plus de 2 200 000 membres et sympa-thisants dans plus de 150 pays et territoires.

© Amnesty International,Éditions francophones,ÉFAI, 2007, pour l’édition en langue française

© Amnesty International Publications 2007

Tous droits de reproduction réservés. Cette publication, quiest protégée par le droit d’auteur, peut être reproduitegratuitement, par quelque procédé que ce soit, à des fins desensibilisation, de campagne ou d’enseignement – mais nonà des fins commerciales. Les titulaires des droits d’auteurdemandent à être informés de toute utilisation de cedocument afin d’en évaluer l’impact.Toute reproduction dansd’autres circonstances, ou réutilisation dans d’autrespublications, ou traduction, ou adaptation nécessitentl’autorisation écrite préalable des éditeurs, qui pourrontexiger le paiement d’un droit.

Le texte du présent rapport peut être téléchargé sur le site :www.amnesty.org

Index AI : AMR 41/031/2007 - ÉFAILe texte original a été rédigé en langue anglaise.

Photo de couverture : La police fédérale près de la placecentrale de la ville d’Oaxaca, novembre 2006. © Alan Goodin

éditions francophonesÉFAI

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Index AI : AMR 41/031/2007 Amnesty International

MEXIQUEOaxaca – une exigence de justice

Introduction« Je discutais avec mes amies pour décider de l’endroit où aller lorsque deux camions ontsurgi à toute allure avec des policiers lourdement armés qui ont pointé leurs armes surnous… L’un d’entre eux m’a attrapée et jetée au sol en criant : "Tu te prends pour une vraierévolutionnaire, hein ? Une vraie rebelle. Maintenant tu vas comprendre ce que ça veut dire,espèce de traînée. Qu’est-ce que vous faites par ici, bande de vieilles putes ?" Il m’a frappéeet blessée au front, j’ai commencé à saigner. Deux autres policiers se sont approchés et ontcommencé à me donner des coups de pied, puis à me battre jusqu’à ce que je ne puisse plusbouger. Ils criaient : "On va vous baiser comme on a baisé les putes à Atenco !" Ils se sontensuite remis à frapper les autres, dont certains étaient déjà inconscients ou sur le point des’écrouler sous les coups. Ils sont revenus vers moi et m’ont traînée vers un groupe de gensentassés les uns sur les autres. »

Déclaration de Rosalba Aguilar Sánchez, arrêtée le 25 novembre 2006 par la Police fédéralepréventive dans le centre de la ville d’Oaxaca.

En juin 2006, de nombreux mouvements de protestation réclamant la démission du gouverneur del’État d’Oaxaca ont éclaté dans la région. La ville d’Oaxaca a été paralysée pendant plusieurs moiset la confusion politique, qui se poursuivait encore début 2007, a provoqué une importante crisedans le domaine de la sécurité publique. La plupart des manifestations étaient pacifiques, mais denombreux affrontements violents se sont produits entre des sections du mouvement d’opposition,les forces de sécurité et des sympathisants du gouvernement local de l’État. Au moins18 personnes ont été tuées dans des circonstances qui n’ont pas encore été bien définies, et denombreuses autres ont été grièvement blessées. Alors que la majorité des personnes tuées étaientdes manifestants, deux d’entre elles, peut-être davantage, étaient opposées au mouvement deprotestation. Les troubles ont également occasionné des dégâts importants aux sources de revenuset aux biens d’une partie de la population.

Le présent rapport s’intéresse à quelques-unes des graves violations des droits humains relevéespendant la crise, notamment l’usage excessif de la force (dont la force meurtrière), la détentionarbitraire ou au secret, les mauvais traitements et la torture, les menaces, le harcèlement dedéfenseurs des droits humains et de journalistes, ainsi que le non-respect des garantiesjurdictionnelles et la violation du droit à un procès équitable. Selon les informations reçues, lespolices nationale, fédérale et municipale seraient à l’origine de la plupart de ces faits. Dansplusieurs cas, les responsables étaient aussi des policiers en uniforme ou des groupes d’hommesarmés agissant, apparemment, de concert avec les forces de sécurité.

Il ne semble pas que les autorités de l’État d’Oaxaca aient mené des enquêtes sérieuses etimpartiales sur ces événements. Dans la plupart des cas, elles n’ont pas protégé les lieux descrimes et n’ont pas recueilli et enregistré les preuves en temps utile. Des victimes et des prochesont dû fournir eux-mêmes des éléments de preuve, sans l’aide et la compétence d’enquêteursofficiels, ou alors de façon très restreinte. Dans de nombreux cas, des sympathisants del’opposition ont été détenus et inculpés sur la seule base des déclarations de policiers ou defonctionnaires locaux. Des magistrats du parquet auraient omis de recueillir ou ont rejeté les

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dépositions de collègues des victimes, de membres de leur famille et d’autres témoins. Aucuneinitiative concrète n’a été prise pour mettre en place des mécanismes d’enquête fiables etimpartiaux. En outre, les enquêtes menées par les autorités fédérales sur des violations desdroits humains qui auraient été commises par des fonctionnaires fédéraux n’ont toujours pasabouti.

Des organisations nationales et internationales de défense des droits humains ont collecté desinformations sur quelques-uns des nombreux types de violations de droits humains qui ont eulieu à Oaxaca et ont formulé des recommandations1.

La Commission nationale des droits humains (CNDH) a recensé 15 morts et a reçu des plaintesémanant de 304 détenus et de 275 personnes qui ont été blessées2.

En juin 2007, la Cour suprême du Mexique a décidé d’enquêter sur les événements d’Oaxaca,étant habilitée par la Constitution à mener des enquêtes non judiciaires ad hoc dans le cas deviolations graves de libertés individuelles3. Toutefois, à l’heure de la rédaction de ces lignes, lacommission des juges chargée de mener cette enquête attendait que la Cour suprême mette enplace les procédures correspondantes.

Les cas cités dans le présent document ne sont qu’un aperçu des nombreux cas signalés pendantles événements d’Oaxaca. Lors de leurs visites en juin et en novembre 2006, les déléguésd’Amnesty International ont rencontré des victimes, des membres d’organisations des droitshumains et des avocats, ainsi que des représentants des autorités de l’État d’Oaxaca et de lafédération. Au fil de ses investigations, Amnesty International a constaté que de nombreusesvictimes de violations des droits humains craignaient de subir des représailles si elles déposaientune plainte. Les autorités, quant à elles, soutenaient que les enquêtes ne progressaient pas parceque « c’est très difficile quand les victimes présumées ne fournissent aucun élément depreuve4. » L’immobilisme dont les autorités font preuve dès lors qu’il s’agit d’enquêter sur lesallégations de violations des droits humains tranche avec les efforts que doivent déployer lesvictimes pour identifier les auteurs, convaincre les témoins de déposer et fournir des pistesd’enquête. Ce manque de diligence de la part des enquêteurs constitue un obstacle majeur à lafin de l’impunité, très répandue au sein du système mexicain de sécurité publique et de justicepénale5.

1 Par exemple, la Commission nationale des droits humains (CNDH), la Commission civile internationaled’observation des droits humains (CCIODH), le Service international pour la paix (SIPAZ).2 Rapport spécial de la CNDH sur les événements qui se sont déroulés dans la ville d’Oaxaca du 2 juin2006 au 31 janvier 2007 ; recommandation 15/2007 sur l’affaire de la section XXII du Sindicato Nacionalde Trabajadores de la Educación (SNTE, Syndicat national des employés de l’Éducation) et de laAsemblea Popular de los Pueblos de Oaxaca (APPO, Assemblée populaire du peuple d’Oaxaca) ; Mexico,le 23 mai 2007. www.cndh.org.mx.3 Article 97 de la Constitution des États-Unis du Mexique.4 Entretien avec Miguel Alessio Robles, ministère de l’Intérieur, février 2007.5 Voir les rapports suivants d’Amnesty International : Rejet des allegations de violation à Guadalajara : laréticence à enquêter sur les atteintes aux droits humains perpétue l’impunité (AMR 41/034/2004) ;Mexique. Violences contre les femmes et déni de justice dans l’État de Mexico (AMR 41/028/2006) ;Mexique. Des lois sans justice : les droits humains bafoués en toute impunité dans le domaine de lasécurité publique et de la justice pénale (AMR 41/002/2007).

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Amnesty International ne prend pas position sur le conflit politique qui s’est déroulé dans l’Étatd’Oaxaca. Ses préoccupations portent sur le devoir qu’ont les autorités de poursuivre en justiceles personnes impliquées dans des violations des droits humains. L’organisation reconnaît ladifficulté des situations auxquelles sont confrontées les autorités, qui évoluent dans desenvironnements de sécurité publique complexes où la police peut faire l’objet de menaces oud’attaques violentes et où elle doit maintenir l’ordre public et protéger l’ensemble de lapopulation. Amnesty International estime néanmoins qu’un maintien de l’ordre sûr et efficacepour tous repose sur une adhésion au droit international relatif aux droits humains, qui est engrande partie repris dans la législation nationale mexicaine. Une série de recommandations surles mesures à prendre par les autorités pour qu’elles puissent s’acquitter de cette obligationconclut ce document.

ContexteEn mai 2006, le syndicat des enseignants de l’État d’Oaxaca, la section 22 du Sindicato nacionalde Trabajadores de la Educación (SNTE, Syndicat national des employés de l’enseignement) aappelé à la grève pour appuyer les négociations annuelles portant sur les salaires et lesconditions de travail. Des milliers d’enseignants en grève ont occupé le centre-ville d’Oaxacapour protester et ont défilé en masse.

Le 14 juin 2006, à la suite de la montée des tensions et des pressions exercées sur lesenseignants pour qu’ils reprennent le travail, 700 policiers ont tenté de les déloger du centre-ville. De nombreux abus ont été signalés au cours de cette intervention : recours excessif à laforce, détentions arbitraires de plusieurs responsables syndicaux. Les protestations se sont alorsamplifiées et un groupe hétérogène d’enseignants, d’organisations sociales et politiques locales,d’étudiants et d’autres personnes s’est rassemblé pour former l’Asemblea Popular del Pueblo deOaxaca (APPO, Assemblée populaire du peuple d’Oaxaca) dans le but de soutenir lesenseignants. L’APPO exigeait principalement la démission du gouverneur de l’État, membre duparti à la tête du gouvernement local, le Partido Revolucionario Institucional (PRI, Partirévolutionnaire institutionnel).

En juillet et en août, des sympathisants du mouvement d’opposition ont occupé plusieursbâtiments publics ainsi que les locaux des principales stations de télévision et de radio locales. Le21 août, des hommes armés, dont des membres de la police de l’État, auraient tiré à trois reprisesau moins sur des manifestants non armés qui occupaient les stations de radio et de télévision,faisant au moins un mort. Des sympathisants de l’APPO ont dressé des barricades en de nombreuxendroits de la ville pour en interdire l’accès. La situation se dégradant, la police a arrêté un certainnombre de personnes, dont quelques-unes auraient été détenues au secret, maltraitées, torturées etinculpées pour des motifs qui auraient été forgés de toutes pièces.

Au cours des mois de septembre et octobre, la ville d’Oaxaca a été paralysée par plus de1 800 barricades et par une succession de manifestations. Les négociations menées pour mettrefin à la crise entre l’État d’Oaxaca et le gouvernement fédéral d’une part et, de l’autre, lemouvement d’opposition ont échoué, et plus d’un million d’enfants n’ont pas pu se rendre dansleurs établissements scolaires. Le gouvernement de l’État a demandé à plusieurs reprises auxforces de sécurité fédérales d’intervenir pour faire cesser les manifestations.

Le 27 octobre, au moins quatre personnes ont été tuées, et de nombreuses autres grièvementblessées, lors de violents affrontements à des barricades entre des sympathisants de l’APPO, des

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fonctionnaires de l’État d’Oaxaca et des partisans du gouvernement local. Le 29 octobre, legouvernement fédéral a donné pour instruction à 4 500 agents de la Police fédérale préventive(PFP) de mettre fin aux manifestations et de rétablir l’ordre. Au cours des cinq jours qui ont suivi,au moins un manifestant est mort des suites du recours à la force meurtrière par la PFP, et de trèsnombreuses personnes ont été arrêtées. Parmi celles-ci, un grand nombre ont déclaré avoir étémaltraitées et s’être vu refuser le droit aux garanties d’une procédure légale. D’après les autoritésfédérales, 19 agents de la PFP auraient également été blessés par des pierres, des cocktailsMolotov, des pétards et d’autres projectiles lancés par les manifestants6.

Manifestation à Oaxaca, novembre 2006. © Uta Rossberg

Le 25 novembre, de violents affrontements ont opposé la police de l’État d’Oaxaca et la policefédérale à des manifestants ; des bâtiments publics ont été gravement endommagés et149 personnes ont été arrêtées. Il semblerait toutefois qu’un grand nombre d’entre ellesn’avaient pas été impliquées dans les affrontements, et que certaines n’avaient même pasparticipé à la manifestation. De nombreuses personnes ont été détenues au secret et maltraitéesou torturées. Pratiquement toutes les personnes arrêtées ont été libérées au cours du mois dejanvier 2007, la plupart sous caution en attendant d’être poursuivies pour des infractions tellesque : sédition, association de malfaiteurs, sabotage et dégradations volontaires. Lors de l’entréeen fonction du nouveau gouvernement fédéral le 1er décembre 2006, plusieurs responsables del’APPO ont été arrêtés par les autorités de l’État d’Oaxaca. À l’heure où nous publions, aumoins huit militants de l’APPO sont toujours détenus.

6 Entretien, ministère de la Sécurité publique, novembre 2006.

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Détentions arbitraires, torture et fausses preuvesLes mécanismes relatifs aux droits humains des Nations unies et la Commission interaméricainedes droits de l’homme ont relevé à maintes reprises au Mexique des cas de détention arbitraireet au secret, de mauvais traitements et de torture. À Oaxaca, les autorités de l’État et lesautorités fédérales ont toujours nié ces assertions, affirmant que les personnes avaient étéarrêtées soit alors qu’elles commettaient un délit, soit à l’issue d’enquêtes qui apportaientsuffisamment de preuves pour qu’un mandat puisse être décerné. Dans de nombreux cas relevéspar Amnesty International, toutefois, les inculpations reposaient sur les déclarations des agentsayant procédé aux arrestations. À plusieurs reprises, semble-t-il, le ministère public et les jugesn’ont pas fait le nécessaire pour vérifier l’exactitude de ces déclarations ou s’assurer que le rôledu suspect dans les infractions qui lui étaient reprochées avait été correctement démontré.

Dans pratiquement toutes les affaires recensées par l’organisation, les arrestations, qu’elles aientété effectuées avec ou sans mandat, l’ont été de façon arbitraire. À maintes occasions lespoliciers ne se sont pas identifiés, n’ont pas dit aux suspects qu’ils étaient en état d’arrestation etne les ont pas informés de leurs droits. Il est souvent arrivé, en outre, qu’ils n’assurent pas lacommunication entre eux et leur famille ou qu’ils omettent de leur accorder rapidement le droitde consulter un avocat et un médecin7.

Selon les témoignages de Ramiro Aragón Pérez, ornithologue, de son beau-frère, enseignant, etde leur ami Juan Gabriel Ríos, ces trois hommes ont été arrêtés dans la nuit du 9 août 2006 dansla banlieue nord d’Oaxaca par des hommes armés non indentifiés. Ramiro Aragón Pérez a étéfrappé et brûlé au front avec une cigarette, il a eu des coupures à la nuque et des cheveux arrachés.Ses agresseurs auraient également menacé de violer et de tuer sa femme et ses enfants. ElionaiSantiago Sánchez a été à demi étranglé, frappé au ventre, à la poitrine et au visage, et il a eu uneoreille partiellement coupée. Juan Gabriel Ríos a également été violemment frappé. Les agresseursauraient ensuite téléphoné aux autorités et, une demi-heure plus tard, les trois hommes ont étéremis à des fonctionnaires de la police de l’État d’Oaxaca qui attendaient dans une rue voisine. Ilsont été emmenés à la prison municipale d’Ejutla où un médecin s’est contenté de noter leurs noms,sans leur apporter aucune assistance médicale. Le lendemain matin, un médecin du Bureau duprocureur général de la République (PGR) les a rapidement auscultés, mais il ne les a pasinterrogés en détail et n’a pas procédé à une évaluation de leur état physique ou psychologiquecomme l’exigent les procédures du PGR dans les cas de présomption de torture8.

7 Le Comité des droits de l’homme des Nations unies définit les arrestations comme arbitraires lorsqu’ilexiste des éléments attestant le caractère inapproprié, injuste imprévisible et contraire à la légalité de laprocédure. Affaire Womah Mukong c. Cameroun, communication n° 458/1991, doc ONUICCPR/C/51/D/458/1991 (1994), § 9-8.8 PGR, décision officielle A/05/2003.

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Ramiro Aragón Pérez, février 2007© AI

Elionai Santiago Sánchez,novembre 2006 © AI

Les trois hommes ont été emmenés dans les bureaux du PGR à Oaxaca et inculpés de détentionillégale d’armes à feux. D’après la police de l’État d’Oaxaca, ils avaient été arrêtés alors qu’ilsfuyaient une bagarre de rue et ils portaient des armes à feu. Ils ont tous les trois rejeté lesaccusations et ont informé le PGR qu’ils avaient été torturés, mais cela n’a été suivi d’aucuneaction.

Malgré des aspects incohérents des éléments de preuves produits par la police de l’État, aucuneenquête ultérieure n’a été menée. Ramiro Aragón a été placé en détention provisoire ; ElionaiSánchez et Juan Gabriel Ríos ont été libérés sous caution dans l’attente de leur jugement.Pendant ses trois mois de détention à la prison Zimatlán de Alvarez, Ramiro Aragón n’a jamaispu rencontrer un juge ou lui parler ; cet exemple illustre un mode de fonctionnement courant dusystème judiciaire mexicain, où les juges sont rarement présents lors des audiences et se fontreprésenter par d’autres fonctionnaires du tribunal.

Le 30 octobre, Ramiro Aragón et deux autres prisonniers, Germán Mendoza Nube et ErangelioMendoza González, ont été transférés sans préavis par avion jusqu’à la ville de Mexico, et remisen liberté devant la table des négociations officielles entre le ministère fédéral de l’Intérieur et lemouvement d’opposition. Ramiro Aragón n’a pas reçu la confirmation que les accusationsportées contre lui avaient été abandonnées et sa situation reste floue. Il craint d’être agressé ouarrêté à tout moment s’il retourne à Oaxaca. À la connaissance d’Amnesty International, aucuneenquête ne serait en cours sur les allégations selon lesquelles ces trois hommes auraient ététorturés ni sur leurs conditions de détention.

Felipe Sánchez Rodríguez, un fondateur de Capulli, une organisation communautaired’éducation qui s’occupe d’enfants des quartiers défavorisés d’Oaxaca, aurait été arrêté de façonarbitraire le 25 novembre 2006 et torturé par des membres de la PFP et de la police judiciaire del’État d’Oaxaca. Plus tôt dans la journée, il avait pris part à la marche de l’APPO avant que lestroubles n’éclatent.

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D’après son témoignage, alors qu’il marchait dans le centre de la ville avec Edgar AlejandroMolina, un ami, il a été bloqué avec ce dernier par des hommes armés en civil qui se trouvaientà bord d’un pick-up non immatriculé. L’un de ces hommes a armé son pistolet et a frappé FelipeSánchez à la tempe, l’a attrapé par les cheveux, lui a asséné des coups sur tout le corps et l’aobligé à monter à l’arrière de la camionnette. Felipe Sánchez Rodríguez et Edgar AlejandroMolina ont été forcés de se coucher par terre dans le pick-up ; ils ont ensuite été emmenés dansun lieu inconnu, où Felipe Sánchez a été contraint de se mettre en sous-vêtements avant d’êtreinterrogé sur les responsables de l’APPO. Ses yeux ont été recouverts de ruban adhésif et ilaurait reçu des décharges électriques sur le nez. Les hommes qui l’interrogeaient l’ont obligé àse coucher sur le ventre à même le ciment et ont menacé de lui couper les pouces, qu’on luiavait attachés dans le dos. Au bout d’un moment il a été détaché et il a reçu l’ordre de serhabiller et de rester assis sans bouger. Lorsqu’il a voulu changer de position, il a été frappé à latête, dans les côtes et aux jambes. On l’a ensuite obligé à s’agenouiller face au mur et il étaitfrappé s’il bougeait. Plus tard, il a été emmené à la prison d’État de Tlacolula en compagnied’Edgar Alejandro Molina et d’autres détenus. Une fois sur place, le ruban adhésif a été retiré etils ont été forcés de passer entre une haie de policiers qui les frappaient et les menaçaient.D’après Felipe Sánchez et d’autres détenus, ils n’ont pas été autorisés à rencontrer un avocat deleur choix.

Felipe Sánchez fait partie des 149 personnes arrêtées le 25 novembre à Oaxaca, selon la PFP et lapolice judiciaire de l’État d’Oaxaca, à l’issue d’une manifestation pacifique de l’APPO qui s’étaitterminée en affrontements violents. Au moins quatre des personnes arrêtées étaient mineures ;elles ont par la suite été présentées devant des tribunaux pour enfants, puis libérées. De nombreuxdétenus auraient été maltraités ou torturés ; ils se seraient vu refuser le droit de consulter un avocatou de recevoir une assistance médicale avant d’être transférés à la prison fédérale de l’État deNayarit. Celle-ci se situe à une distance d’environ 1 600 kilomètres, ce qui a empêché pendantplusieurs jours les avocats et les familles de se rendre auprès des détenus. La Commissionnationale des droits de humains a constaté qu’au moins 13 des détenus avaient été torturés par lapolice judiciaire de l’État d’Oaxaca et par la PFP9. Felipe Sánchez a été inculpé d’association demalfaiteurs, de dégradations volontaires et de sédition. Ce dernier chef d’inculpation a étéabandonné sur les ordres d’un juge fédéral, mais les poursuites pour les deux premiers étaienttoujours en cours à l’heure où nous écrivons.

« Ils m’ont tirée par les cheveux, jetée au sol et traînée par terre tout en me donnant des coupsde pied et en criant des choses comme "espèce de pute, on va te faire la peau". » Aurora RuízGarcía, une enseignante de trente-sept ans, a déclaré que le 25 novembre dans la soirée, alorsqu’elle attendait un taxi devant l’hôtel Fortín Plaza à Oaxaca, trois véhicules de la PFP ontbloqué la rue et l’ont arrêtée, elle et plusieurs autres personnes qui se trouvaient à proximité.Elles ont toutes été forcées de monter à l’arrière des véhicules, frappées et conduites au parc ElLlano où elles ont été fouillées et enregistrées, avant d’être emmenées à différents endroits de laville. Aurora Ruíz García a déclaré que les policiers avaient été grossiers et qu’ils avaientmenacé de la violer et de la tuer. À la prison d’État de Mihuatlán, des représentants de laProcuraduría General de Justicia del Estado (Bureau du procureur général de l’État) ont tenté delui faire faire sa première déposition sans la présence d’un avocat, et un médecin a refusé desoigner ses blessures. Le lendemain, elle a été autorisée à parler brièvement à sa famille avant

9 Recommandation de la CNDH sur l’affaire de la section XXII du SNTE et de l’APPO, op. cit.

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d’être emmenée à l’aéroport avec d’autres détenus ; un avion les a transportés à la prisonfédérale située dans l’État du Nayarit. Toutes les détenues ont eu leurs cheveux coupés trèscourt. L’organisation non-gouvernementale créée pour soutenir ces détenus, le Comité deLiberación del 25 de Noviembre, a fait observer que nombre de ces personnes avaient passécinq jours sans pouvoir contacter leurs familles, n’avaient pas été informées des accusationsretenues contre elles, et avaient dû se contenter des services d’avocats commis d’office.

En janvier 2007, du fait de considérations liées aux procédures judiciaires, les prisonniersdétenus dans l’État du Nayarit ont été renvoyés dans les prisons d’Oaxaca et progressivementlibérés sous caution dans l’attente des poursuites et des procès. Le seul fondement sur lequelreposent les accusations portées contre les personnes en attente de jugement, détenues ou non,serait un rapport de police établi par la PFP qui dresse la liste des personnes arrêtées dans lecadre des violences du 25 novembre. Comme l’a fait remarquer la CNDH, le rapport de la PFPne mentionne pas les faits précis qui sont reprochés à chacune de ces personnes ; il ne contientque des allégations générales. Un grand nombre des personnes arrêtées ce jour-là ont déclaréqu’elles n’avaient pas participé aux manifestations ou aux affrontements qui avaient suivi, maisqu’elles s’étaient retrouvées bloquées dans le centre de la ville et avaient été interpellées par desbrigades de police sans motif légal. À la connaissance d’Amnesty International, ni les autoritésfédérales ni les autorités de l’État n’ont pris les mesures nécessaires pour enquêter en bonne etdue forme sur les allégations de détention arbitraire, de torture et d’invention de preuves.

Selon certaines informations, David Venegas, l’un des principaux porte-parole de l’APPO, setrouvait dans le parc El Llano d’Oaxaca le 13 avril 2007 à 13 h 30 en compagnie de deux autrespersonnes de sa connaissance (dont un avocat défenseur des droits humains) lorsqu’un pick-upsans plaque d’immatriculation s’est arrêté près d’eux ; des policiers de l’État d’Oaxaca l’ontalors interpellé sans faire connaître leur identité et sans lui donner les raisons de son arrestation.Les agents l’auraient ensuite maintenu en détention pendant plusieurs heures, le questionnantsur l’APPO, tout en le menaçant de viol et en le frappant. Ils auraient tenté de l’obliger à tenirun paquet de drogue pour prendre des photos compromettantes. Lorsque David Venegas ainformé d’autres policiers qu’il avait été frappé, ces derniers lui auraient répondu que « celan’arrive plus dans ce pays ». De même, quand il a voulu se plaindre de la façon dont il étaittraité auprès d’un médecin, ce dernier lui a demandé de ne répondre qu’aux questionsconcernant sa dépendance présumée à la drogue10. Sa mise en détention a été officiellementenregistrée à 19 h 30 auprès de la Unidad Mixta de Atención al Narcomenudeo (UMAN, Unitémixte de lutte contre le trafic de stupéfiants sur la voie publique) et il a été autorisé à téléphoner.Inculpé d’infraction à la législation fédérale sur les stupéfiants, il a été placé en détentionprovisoire à la prison de Tlacolula. Il a ensuite été inculpé de sédition, d’incendie volontaire debâtiments publics et de crime organisé en rapport avec les événements du 25 novembre 2006.En juin 2006, une cour d’appel constitutionnelle fédérale a conclu que les preuves étaientinsuffisantes pour inculper David Venegas de ces faits, mais il demeure en détention pourinfraction à la législation fédérale relative aux stupéfiants. À la connaissance d’AmnestyInternational, aucune enquête n’a été ouverte sur ses allégations de détention arbitraire et demauvais traitements, ni sur les déclarations selon lesquelles des preuves auraient été forgées detoutes pièces.

10 Service international de la paix, Oaxaca, un conflicto todavía abierto, compte rendu de la visite duSIPAZ à Oaxaca du 20 au 27 avril 2007.

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Morts et homicides illégauxD’après les informations disponibles, 18 personnes au moins seraient mortes au cours de la crisepolitique d’Oaxaca, pour nombre d’entre elles dans des circonstances controversées. C’estnotamment le cas de 13 personnes tuées dans la ville même d’Oaxaca ou aux alentours11. Lesmorts n’ont pas donné lieu à une enquête en bonne et due forme et les circonstances exactes dechacune d’elles n’ont par conséquent pas été établies. D’après les recherches menées par AmnestyInternational, il semblerait toutefois qu’au moins une personne serait morte en raison du recours àla force meurtrière par les forces de sécurité, et les informations disponibles laissent entendre queplusieurs autres morts auraient été causées par des armes à feux utilisées pendant lesmanifestations par des agents de ces forces, des tireurs non identifiés ou des policiers en civil. Desenquêtes plus approfondies doivent être menées pour déterminer s’il s’agit d’homicides illégaux.Les responsables n’ont pas été identifiés ou inquiétés, et lors des investigations officielles il n’apas été tenu compte des éléments de base en matière de diligence requis dans les enquêtesjudiciaires sur les morts violentes12.

Florina Jimenez, novenmbre 2006 © AI

11 Les personnes tuées dans la ville d’Oaxaca sont : Marcos García Tapia, José Jiménez Colmenares,Lorenzo San Pablo Cervantes, Daniel Nieto Ovando, Jaime René Calvo Aragón, Alejandro GarcíaHernández, Pánfilo Hernández Vázquez, Bradley Roland Will, Esteban Zurita López, Emilio AlonsoFabián, Lucio David Cruz Parada, Jorge Alberto López Bernal. Les personnes tuées dans d’autres villesde l’État d’Oaxaca sont : Andrés Santiago Cruz, Pedro Martínez Martínez, Pablo Martínez Martínez àPutla de Guerrero le 9 août, Arcadio Fabían Hernandez à San Antonio del Castillo de Velasco le2 octobre, et Raul Marcial Pérez à Juxtlahuaca Santiago le 8 décembre. Eudacia Olivera Diaz Eustacia estmorte dans la ville d’Oaxaca le 27 octobre parce que des barricades ont empêché l’ambulance qui latransportait d’accéder à l’hôpital.12 La Cour interaméricaine des droits de l’homme a précisé que les enquêtes sur les morts violentesdevaient être menées dans le respect du Manuel sur la prévention des exécutions extrajudiciaires,arbitraires et sommaires et les moyens d'enquêter sur ces exécutions [ONU]. Voir l’affaire Ximenez Lopesc. Brésil, Cour interaméricaine des droits de l’homme, 4 juillet 2006, Série C N° 149, § 179.

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Le soir du 10 août 2006, une importante manifestation a eu lieu à Oaxaca pour exiger ladémission du gouverneur de l’État et réclamer la libération des militants qui avaient été arrêtés(et qui auraient été victimes de disparition forcée). José Jiménez Colmenares, mécanicien, etsa femme Florina Jiménez Lucas, enseignante, participaient à cette marche pacifique quand destirs ont été portés sur les manifestants, apparemment depuis les toits de deux bâtimentsappartenant au centre de santé Santa María. Touché de plusieurs balles à la tête et à la poitrine,José Jiménez Colmenares est mort peu après au centre de santé des suites de ses blessures. Deuxautres manifestants au moins ont été blessés par des tirs. Des manifestants auraient pénétré dansles bâtiments d’où provenaient les tirs et ont trouvé des douilles et des personnes qui, pensaient-ils, avaient aidé les tireurs, notamment deux agents de la police de l’État d’Oaxaca. Ceux-ci ontété remis au service local du PGR, qui les a à son tour remis au Bureau du procureur général del’État.

D’après l’avocat de la famille de José Jiménez Colmenares, le Bureau du procureur général del’État n’a recueilli aucune déposition et aucune mesure n’a été prise pour protéger les lieux ducrime ou rassembler d’autres preuves potentielles. Le lendemain, les suspects interpellés ont étérelâchés faute de preuves. Toujours d’après l’avocat, l’homicide n’a fait l’objet d’aucuneenquête ultérieure. Le procureur général aurait par la suite déclaré à la presse que José JiménezColmenares était mort lors d’une querelle d’ivrognes sur la voie publique.

En novembre 2006, le procureur général de l’État a informé les délégués d’AmnestyInternational que l’enquête était toujours en cours mais qu’elle n’avait pas pu progresser, lesmanifestants ayant détruit les preuves. Après l’entrée en fonction du nouveau gouvernementfédéral, des enquêtes ont été ouvertes au niveau fédéral sur les morts survenues pendant lesmanifestations. Toutefois, lorsque Florina Jiménez s’est présentée pour témoigner devant lesenquêteurs fédéraux, ceux-ci lui auraient dit de revenir lorsqu’elle aurait des preuves contre lesresponsables. À la connaissance d’Amnesty International, l’enquête n’a pas progressé.

Dans la soirée du 21 août, il a été annoncé à la radio que les policiers mettaient en place uneopération destinée à déloger les manifestants des locaux des stations de radio et de télévisionqu’ils occupaient. Des témoins ont rapporté que cette même nuit, un convoi avait traversé lesrues de la ville d’Oaxaca. Il était composé d’au moins 12 véhicules, dont cinq motos et des pick-up sans plaque d’immatriculation qui transportaient des hommes vêtus pour la plupartd’uniformes de policiers et équipés d’armes automatiques et de cagoules. Certains de cesvéhicules appartenaient à la flotte de la police municipale et de l’État. Dans ses annonces à laradio, l’APPO exhortait les sympathisants à se rassembler pour protéger les occupants desbâtiments en question. À minuit, Lorenzo Sampablo Cruz, un architecte de cinquante et unans, père de quatre enfants, ainsi que plusieurs voisins, ont répondu à l’appel et se sont dirigésvers les locaux de Radio Ley 710. D’après les témoignages, alors que ces hommes s’enapprochaient, dans le centre-ville, le convoi aurait ouvert le feu sur le groupe de manifestants,apparemment non armés. Lorenzo Sampablo aurait reçu une balle dans le dos alors qu’ilcherchait refuge derrière un arbre ; touché à la poitrine, il est mort plus tard à l’hôpital des suitesde ses blessures.

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Hommage à Alejandro García Hernández, abattu le 14 octobre 2006alors qu’il apportait à manger à des manifestants sur une barricade, près de chez lui.

Novembre 2006 © DR

Le 22 août, le corps de Lorenzo Sampablo a été remis à sa fille. Quelques jours plus tard, cettedernière a été convoquée au Bureau du procureur général de l’État pour faire une déclaration.Un membre de la famille aurait toutefois reçu un appel d’un représentant du Bureau duprocureur général de l’État qui enjoignait à la famille de ne pas poursuivre les recherches sur lescirconstances de la mort de Lorenzo Sampablo. De peur de représailles, sa fille n’a finalementpas fait de déclaration. Le dossier du Bureau du procureur général de l’État mentionneraitbrièvement les causes de la mort et contiendrait des copies des convocations envoyées à la fillede la victime pour qu’elle vienne déposer et que le corps lui soit remis, sans plus de précisions.En mars 2007, le PGR a réexaminé l’affaire et la fille de Lorenzo Sampablo a témoigné. À laconnaissance de la famille, l’enquête n’a toutefois pas progressé.

Le 27 octobre, le journaliste et documentariste américain Bradley Roland Will est mort dansdes circonstances non élucidées des suites de blessures par balles, et au moins cinq autrespersonnes auraient été blessées à Santa Lucía del Camino, une ville de la banlieue d’Oaxaca. Il aété touché alors qu’il filmait des heurts entre des manifestants et des habitants opposés auxmanifestations, qui étaient soutenus par des représentants locaux du PRI et par la policemunicipale. D’après les informations recueillies, les tireurs auraient ouvert le feu sur labarricade des manifestants. D’autres manifestants ont alors rejoint les premiers, obligeant leursadversaires – dont certains ont ultérieurement été identifiés sur des photographies parues dans lapresse comme des policiers municipaux en civil et des représentants locaux du PRI – à se replierdans les rues adjacentes. Des vidéos et des photographies ont permis de constater que despoliciers en civil armés de fusils semi-automatiques, de revolvers et de pistolets semblaient tirerau hasard sur les manifestants. Des images parues dans la presse montrent également que

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certains manifestants ont utilisé des pistolets, ainsi que des pierres, des pétards artisanaux etd’autres projectiles.

Bradley Will a été atteint par deux balles alors qu’il se trouvait parmi les sympathisants del’APPO pour filmer la révolte. Il est mort sur la route de l’hôpital. Des photos prises lors de cesévénements ont permis d’identifier des représentants du PRI et de la police municipale alorsqu’ils tiraient sur les manifestants avec des armes semi-automatiques et des pistolets, ce qui asuscité des inquiétudes aux niveaux tant national qu’international. Deux des policiers ont étéarrêtés par le Bureau du procureur général de l’État et inculpés du meurtre de Bradley Will, puisremis en liberté sans inculpation parce que les enquêteurs de ce service n’avaient pas rassembléde preuves contre eux. Les enquêteurs ont ensuite soutenu qu’au vu de certains élémentstechniques il apparaissait que des balles avaient été tirées à bout portant par un sympathisant del’APPO et que Bradley Will avait été abattu alors qu’il était emmené à l’hôpital par desmembres de cette organisation.

En novembre 2006, le Bureau du procureur général de l’État a publié un résumé de sesconclusions préliminaires selon lesquelles l’APPO était responsable de la mort de Bradley Will.Deux experts médicolégaux internationaux qui ont étudié l’affaire ont toutefois conclu que surla base des informations contenues dans ce dossier :

• aucune étude fiable de la distance de tir ne semble avoit été effectuée ;

• la théorie de l’accusation selon laquelle la trajectoire des balles laissait entendre qu’ellesavaient été tirées à bout portant n’a pas été étayée par l’autopsie et ne constituait pas unmoyen de calcul fiable de la distance de tir ;

• la méthode d’investigation la plus adéquate, qui aurait consisté à repérer les armes despoliciers identifiés sur les photos et à procéder à des vérifications ballistiques et à desrecoupements avec les balles récupérées lors de l’autopsie, n’a jamais été mise en placede façon concrète ; seuls deux revolvers de fonction du poste de police ont été examinés,bien qu’une photo indique clairement qu’au moins l’un des policiers avait utilisé un fusilsemi-automatique ;

• aucune des armes n’a jamais été formellement identifiée, et aucune enquête sur lespoliciers mis en cause n’a été réalisée.

En mars 2006, le Bureau du procureur général de l’État a transmis le dossier au PGR pour uneenquête séparée au niveau fédéral. À la connaissance d’Amnesty International, celle-ci n’a pasprogressé, et l’organisation craint que les vices de forme de l’enquête initiale et le manqued’impartialité affiché ne viennent entraver les tentatives visant à rechercher efficacement lescirconstances de la mort de Bradley Will. Amnesty International n’a été informée d’aucunevérification quant à la manière dont les autorités de l’État ont mené leur enquête.

Alberto Jorge López Bernal, un infirmier âgé de trente ans, est mort le 29 octobre après avoirété atteint par une grenade lacrymogène lancée de très près par des membres de la PFP. À la mi-journée, la PFP équipée pour la lutte antiémeutes était entrée dans Oaxaca avec des tanks, descanons à eau, des grues, des lance-grenades lacrymogènes et des matraques. Alors que lesartères principales de la ville s’étaient vidées assez rapidement, quelques manifestants avaientriposté en jetant des cocktails Molotov et des pierres, notamment avec des lance-pierres.Plusieurs policiers et manifestants avaient été blessés, et plus de 20 personnes arrêtées. Alberto

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Jorge López Bernal aurait été touché par un projectile lancé lors d’un affrontement avec lesmanifestants près du Puente Technológico. Il a été emmené dans une maison proche où il estmort peu après des suites de ses blessures.

L’autopsie officielle a conclu que la mort avait été causée par une grenade lacrymogène qui luiaurait transpercé la poitrine, touchant le coeur et le poumon gauche. Le projectile, qui étaitencore incrusté dans le corps de la victime lorsqu’il a été examiné, portait la référence SPEDE --- HEAT CS; SHORTT RANGLER 75 YD. L’autopsie officielle a conclu qu’il s’agissait d’unegrenade lacrymogène tirée par la police antiémeutes.

Amnesty International a été informée que certains des policiers de la PFP avaient tiré desgrenades lacrymogènes sur les manifestants, les visant directement et de très près, au risque decauser de graves blessures ou des accidents mortels. La PFP a toutefois déclaré qu’aucuneviolation des droits humains n’a eu lieu lors de son intervention à Oaxaca et qu’il n’existeaucune information à propos d’éventuelles enquêtes sur de prétendus recours excessifs à la forcepar des policiers au cours de l’opération13. Le rapport de la CNDH conclut que la mortd’Alberto Jorge López Bernal est due à l’utilisation d’une force excessive par des représentantsdes forces de sécurité fédérales14. À la connaissance d’Amnesty International, l’investigationofficielle sur la mort d’Alberto Jorge López Bernal est au point mort.

Menaces et harcèlementAmnesty International rassemble depuis plusieurs années des informations sur les menaces etles actes de harcèlement et d’intimidaton dont sont victimes les défenseurs des droits humains etles opposants politiques dans l’État d’Oaxaca. Bien que les différents gouvernements qui se sontsuccédé à la tête de l’État d’Oaxaca aient pris l’engagement de respecter et protéger les droitsdéfinis dans la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme, leharcèlement a toujours cours et les responsables n’ont pas été contraints de rendre compte deleurs actes15. Les activités des organisations locales des droits humains, qui aident les victimesde violations et leurs proches à faire enregistrer leurs plaintes et à saisir la justice, sont entravéespar la défiance de la population envers la police de l’État et les institutions judiciaires telles quele Bureau du procureur général de l’État, ainsi que par l’inexistence d’une commission desdroits humains indépendante et efficace dans l’État d’Oaxaca.

Lors des événements d’Oaxaca, les organisations locales ont occupé une place prépondérante enrassemblant des informations sur les violations des droits humains commises et en défendantl’importance du rôle de responsabilisation joué par la société civile à l’égard des autorités. Ellesétaient souvent les premières à recevoir des plaintes concernant des arrestations, des tortures,des mauvais traitements et des détentions au secret, et elles se sont rendues dans les prisons pourévaluer l’état physique et mental des détenus et déterminer leur statut vis-à-vis de la loi.Quelques défenseurs des droits humains ont participé directement aux mouvements de

13 Réunion d’une délégation d’Amnesty International avec le directeur de la PFP, Secrétariat de la sécuritépublique, novembre 2006.14 Recommandation de la CNDH sur l’affaire de la section XXII du SNTE et de l’APPO, op. cit.15 Le nom complet est : Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de lasociété de promouvoir et protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales universellementreconnus. Elle a été adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies dans sa la résolution 53/144 du8 mars 1999.

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protestation, d’autres se sont penchés sur des actions visant à traiter les causes mêmes duconflit. Ces personnes ont joué un rôle crucial en informant le monde extérieur de la crise quisévissait dans le pays, et en déposant des plaintes pour violations des droits humains auprès dela CNDH et d’autres instances.

Le père Francisco Wilfrido Mayrén Peláez, prêtre catholique et défenseur des droits humainsau sein du Centro Regional de derechos humanos “Bartolomé Carrasco Briseño” (Centre desdroits humains « Bartolomé Carrasco Briseño »), a été menacé de mort par un correspondantanonyme, dans un appel téléphonique du 19 octobre 2006. Après les arrestations massives du25 novembre, il avait fait savoir qu’il avait été suivi à plusieurs reprises par des véhiculesdépourvus de plaque d’immatriculation. El Imparcial, un journal local progouvernemental, l’atraîté de « prêtre de la guerrilla ». Radio Ciudadana, une station pirate également proche dugouvernement qui a diffusé des émissions tout au long de la crise en incitant ses auditeurs àattaquer les manifestants de l’APPO et les personnes perçues comme opposants augouvernement de l’État, l’ont accusé d’être un « subversif » et de protéger des criminels.

Dans la soirée du 26 novembre, trois inconnus ont tiré plusieurs coups de feu en l’air alorsqu’ils passaient en voiture devant l’église des Siete Príncipes (dans la ville d’Oaxaca), où officiele père Carlos Franco Pérez Méndez. Peu après, ce dernier est arrivé au volant de sacamionnette et s’est garé devant l’église. Alors qu’il se trouvait dans son bureau, les mêmesindividus sont revenus et ont tiré à plusieurs reprises sur son véhicule avant de repartir. Il sepeut que Carlos Franco Pérez Méndez ait été visé pour avoir donné les premiers secours à desblessés lors des affrontements entre les manifestants à la police. Dans les jours qui ont précédéces faits, il avait été dénoncé par des animateurs de Radio Ciudadana.

Au mois de décembre, des informations indiquaient que Yesica Sánchez Maya, la présidente dela Liga Mexicana para la Defensa de los Derechos Humanos (LIMEDDH, Ligue mexicaine desdroits humains) et Aline Castellanos Jurado du Consorcio para el Diálogo Parlamentario y laEquidad (Comité pour le dialogue parlementaire et l’équité) allaient être arrêtées en raison deleur implication présumée dans l’occupation illégale des locaux de la chaîne de télévision Canal9, le 1er août 2006. Cette accusation reposait, selon ces informations, sur la déclaration d’uneinconnue qui prétendait avoir été agressée. Les deux femmes ont nié ces allégations et ledirecteur de la chaîne de télévision a déclaré ultérieurement à une organisation de défense desdroits humains qu’aucun membre de son personnel n’avait été agressé16. Des avocats ont déposéavec succès auprès des autorités fédérales trois demandes d’annulation du mandat d’arrêt, quicontenaient six dépositions de témoins contredisant l’acte d’accusation. À l’issue de chacune deces requêtes, le juge de l’État d’Oaxaca a décerné un nouveau mandat d’arrêt contenant delégères modifications ; le mandat est donc exécutoire. L’avocat d’Aline Castellanos arécemment déposé une quatrième demande d’annulation. En avril 2007, quelqu’un a pénétré audomicile d’Aline Castellanos alors qu’elle assistait à une réunion d’organisations de femmes ; ils’agirait d’un acte d’intimidation.

Le 31 décembre 2006, plusieurs personnes qui avaient été arrêtées le 25 novembre 2006 et quiavaient adressé une lettre au gouverneur de l’État accusant Yesica Sánchez Maya de les avoirincitées à la violence et obligées à soutenir l’APPO ont tenu une conférence de presse. Elles ont

16 CCIODH, Vidéo de la cinquième visite, http://cciodh.pangea.org/quinta/070303_video_cciodh.shtml.

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déclaré à cette occasion aux médias avoir été contraintes par des représentants des autorités designer la lettre en échange de leur libération.

Le 27 novembre, des présentateurs de Radio Ciudadana ont soutenu que les locaux del’organisation de défense des droits humains et de développement communautaire Serviciospara una Educación Alternativa (EDUCA, Services pour une éducation alternative) servaient àla fabrication de cocktails Molotov, et en ont rejeté la responsabilité sur Marcos LeyvaMadrid, le directeur d’EDUCA. Ils auraient également incité leurs auditeurs à attaquer leslocaux d’EDUCA et à y mettre le feu. Au cours du même mois de novembre, des présentateursde Radio Ciudadana auraient aussi accusé Sara Méndez, du réseau pour les droits humainsd’Oaxaca Red Oaxaqueña de Derechos Humanos de faire partie de l’APPO et d’être des« défenseurs de délinquants ». La CNDH a relevé le rôle joué par cette station de radio dansl’incitation à la violence contre des membres des organisations non gouvernementales dedéfense des droits humains17.

Bien qu’il existe des preuves du harcèlement et de l’intimidation dont sont victimes lesdéfenseurs des droits humains, à la connaissance d’Amnesty International les autorités n’ontouvert aucune enquête pour demander des comptes aux responsables ou pour s’assurer que cespersonnes ne fassent pas l’objet, pour des raisons politiques, d’inculpations pénales ayant pourbut de faire obstacle à leurs activités légitimes.

Conclusions et recommandationsDe graves violations des droits humains ont eu lieu à Oaxaca entre juin 2006 et avril 2007. Dix-huit personnes au moins sont mortes dans des circonstances non élucidées et de très nombreusesautres, y compris des mineurs, ont été arbitrairement arrêtées et maintenues en détention ausecret. De nombreux cas de torture et de mauvais traitements ainsi que des procès inéquitablesont été signalés, et les personnes qui cherchaient à défendre et à promouvoir les droits humainsont été menacées et harcelées. Certaines de ces violations des droits humains ont été commisespar des policiers en civil et des hommes armés non identifiés agissant apparemment avecl’autorisation, l’appui ou l’assentiment des autorités de l’État d’Oaxaca. Les principalesvictimes étaient des enseignants ou des personnes considérées comme des sympathisants dumouvement d’opposition APPO.

Il semblerait que des représentants et des employés d’institutions étatiques ou municipales –telles que les instances du pouvoir exécutif de l’État, la police préventive de l’État, la policejudiciaire de l’État, le Bureau du procureur général de l’État, la magistrature, le Bureau del’assistance judiciaire et les autorités municipales qui appuyaient le parti local au pouvoir – aientété impliqués dans un grand nombre de ces violations. Les autorités fédérales ont également étéimpliquées, soit en prenant une part active dans les violations des droits humains soit enn’adoptant pas les mesures nécessaires pour les empêcher ou pour y remédier lorsque desviolences leur étaient signalées.

Les circonstances dans lesquelles sont mortes 18 personnes, peut-être plus, n’ont pas encore étéélucidées, et pratiquement toutes les personnes responsables de ces morts doivent encore êtreidentifiées ou appelées à rendre compte de leurs actes. Les informations recueillies par AmnestyInternational semblent indiquer que la raison principale de cette situation tient au fait que très

17 Recommandation de la CNDH sur l’affaire de la section XXII du SNTE et de l’APPO, op. cit.

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peu de violations des droits humains ont donné lieu rapidement à des enquêtes impartiales etapprofondies. Les enquêtes ultérieures ont été sérieusement limitées, voire compromises, par lemanque de protection des lieux des crimes, l’absence d’enquête sur les plaintes déposées et lefait que tous les tests médicolégaux n’aient pas été effectués en bonne et due forme, que lestémoignages disponibles n’aient pas été recueillis et que la fiabilité des éléments produits à titrede preuves n’ait pas été vérifiée.

Bien que les autorités fédérales, étatiques et municipales aient formellement accepté de mettreen œuvre la récente recommandation de la CNDH disposant que les allégations de violencesdevaient faire l’objet d’une enquête, il n’existe à ce jour aucune preuve de la volonté de cesautorités de réellement mener des enquêtes ou de modifier les procédures ou les méthodes pouréviter toute violation ultérieure des droits humains.

Amnesty International reconnaît que certaines des personnes agissant pour le compte dumouvement de protestation peuvent s’être rendues responsables d’infractions pénales,notamment d’utilisation d’armes à feu et de jets de pierres, de cocktails Molotov et de pétards.Elle reconnaît également que les manifestations et les barricades ont eu des répercussions sur ledroit à l’éducation et le droit de circuler librement de la population dans son ensemble, et sur lasécurité publique en général, et qu’elles ont contribué à la création d’un climat politiquecomplexe et à l’effondrement de l’ordre public. Néanmoins, les efforts déployés par les autoritéspour présenter tous ceux ayant sympathisé avec les manifestants comme des criminels et deséléments subversifs ne constituent qu’une tactique pour échapper à leur devoir d’investigation.Il semblerait que de tels propos aient aussi servi pour justifier certaines violations graves desdroits humains qui auraient été commises, telles que des homicides illégaux, des placements endétention arbitraire ou au secret, des actes de torture et autres formes de mauvais traitements, ledéni du droit à un procès équitable et l’absence de mesure devant des plaintes.

Amnesty International reconnaît aux autorités fédérales, étatiques et municipales le devoir demaintenir l’ordre et de protéger le droit à la sécurité de tous les membres de la communauté. Lesnombreuses violations des droits humains commises pendant la crise ont toutefois été encontradiction avec les traités internationaux relatifs aux droits humains que le Mexique s’estengagé à respecter18. Ces traités exigent de l’État partie qu’il se conforme aux obligations quisont les siennes à ce titre, en toute bonne foi et avec la diligence requise. Amnesty Internationalestime que les autorités n’ont pas à ce jour respecté totalement cette obligation.

La recommandation de la CNDH note à une occasion qu’au Mexique les mécanismes deresponsabilisation sont faibles, les institutions des États chargées d’enquêter sur les violencescommises à Oaxaca étant elles-mêmes impliquées. Dans le même temps, les autorités fédéralesdoivent encore prouver qu’elles veulent faire en sorte que des enquêtes réelles et impartialessoient menées sur toutes les violations des droits humains, que les responsables soient tenus de

18 Il s’agit notamment des articles suivants du Pacte international relatif aux droits civils et politiques :6 (droit à la vie), 7 (interdiction de la torture et des mauvais traitements), 10 (traitement humain despersonnes privées de leur liberté), 14 (droit à un procès équitable), 21 (droit de se réunir pacifiquement),22 (liberté d'association), et 26 (égale protection devant la loi) ainsi que des articles suivants de laConvention américaine relative aux droits de l’homme : 4 (droit à la vie), 5 (droit à l’intégrité de lapersonne), 7 (droit à la liberté de la personne), 8 (droit à un procès équitable), 15 (droit de réunion),16 (liberté d’association), 21 (droit à la propriété privée), 24 (droit à l’égalité devant la loi), 25 (droit à laprotection judiciaire).

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rendre des comptes, et que les pratiques en matière de sécurité publique et de justice pénales’alignent sur les normes internationales relatives aux droits humains.

Amnesty International espère que la Cour suprême mettra rapidement en place les procéduresnécessaires à l’ouverture d’une enquête sur les événements d’Oaxaca et veillera à ce que celle-ciet ses aboutissements soient impartiaux, exhaustifs, indépendants et conformes aux principesinternationaux relatifs aux droits humains. Bien que cette investigation n’enlève rien à laresponsabilité des autorités de traduire en justice les responsables présumés, il sembleraitqu’elle offre l’espoir le plus tangible pour les victimes et leurs familles de connaître la vérité etd’obtenir justice et réparation.

Le meilleur moyen d’empêcher que des violations des droits humains soient commises àl’avenir est de faire en sorte que tout acte de cette nature soit puni. Cela constituerait égalementpour la société mexicaine et la communauté internationale un signal clair que le gouvernementdu président Felipe Calderón s’engage à protéger, à garantir et à faire respecter les droitshumains.

Amnesty International recommande au gouvernement du Mexique,au gouvernement de l’État d’Oaxaca et aux autorités judiciaires fédéralesde prendre les mesures suivantes :

- veiller à ce que l’enquête ouverte par la Cour suprême du Mexique soit indépendante,impartiale et approfondie, qu’elle se fonde sur les normes internationales relatives auxdroits humains, que ses conclusions soient rendues publiques et que les preuvesrassemblées puissent être utilisées dans les actes d’accusation ;

- veiller à ce que la recommandation 15/2007 de la CNDH soit effectivement mise enœuvre et que toutes les autorités concernées rendent compte des mesures qu’ellesprennent en vue de son application ;

- faire en sorte que les autorités fédérales enquêtent sur toutes les allégations deviolations des droits humains et sur le fait que celles qui se sont produites à Oaxacan’ont pas été empêchées, et rendre les conclusions publiques ;

- garantir qu’une enquête exhaustive et impartiale soit menée sans délai sur le rôle jouépar des tireurs non identifiés ou par des policiers en civil agissant apparemment avecl’autorisation, l’appui ou l’assentiment des autorités de l’État, et rendre publiques lesconclusions de l’enquête ;

- établir des procédures claires et publiques sur l’utilisation, par les membres de la policeet des forces de sécurité, d’uniformes et de signes permettant de les identifier, ainsi quesur les enquêtes en cas de non-respect de ces règles et sur les sanctions à appliquerenvers ceux qui les enfreignent ;

- mener des enquêtes exhaustives, concrètes et impartiales afin de faire la lumière sur lescirconstances des morts survenues dans le cadre du conflit, conformément au Manuelsur la prévention des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et les moyensd’enquêter sur ces exécutions [ONU], et faire en sorte que les responsables soientcontraints de rendre compte de leurs actes et que tous membres des familles desvictimes obtiennent des réparations appropriées ;

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- veiller à ce que des enquêtes exhaustives et impartiales soient menées sans délai surtoute allégation de détention arbitraire ou au secret, de torture ou de mauvaistraitements, ainsi que sur toute autre violation des droits de la défense ;

- faire en sorte que toutes les victimes de violations des droits humains obtiennentréparation et bénéficient notamment d’un traitement médical et psychologique sinécessaire ;

- enquêter de manière impartiale sur toutes les informations selon lesquelles, durant cettecrise, des journalistes et des défenseurs des droits humains auraient fait l’objet d’actesde harcèlement, de menaces, d’attaques et de poursuites pénales motivés par desconsidérations politiques, et exiger des responsables qu’ils rendent des comptes ;

- veiller à ce que les défenseurs des droit humains soient en mesure de mener librementleurs activités sans restrictions ni crainte de représailles, conformément à la Déclarationsur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société depromouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentalesuniversellement reconnus [ONU] ;

- veiller à ce que les personnes détenues et dans l’attente de leur procès pour desinfractions commises pendant les troubles soient jugées lors de procès équitables etconformes aux normes internationales ;

- faire en sorte que les forces de sécurité, la police, le ministère public, les avocats del’assistance judiciaire et les juges soient formés au droit international et aux principesrelatifs aux droits humains et qu’ils agissent conformément à ces normes.

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariatinternational, Peter Benenson House, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre :

Mexico: Oaxaca – clamour for justice

La version en langue française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat internationalpar LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL – ÉFAI – septembre 2007

Vous pouvez consulter le site Internet des ÉFAI à l'adresse suivante : http://www.efai.org

Page 21: AMR 41 031 2007 test - Amnesty International · 2 Rapport spécial de la CNDH sur les événements qui se sont déroulés dans la ville d’Oaxaca du 2 juin 2006 au 31 janvier 2007

LES CAMPAGNESD’AMNESTY INTERNATIONALS’EFFORCENT D’OBTENIRLA JUSTICE ET LA LIBERTÉPOUR TOUS ET DE MOBILISERL’OPINION PUBLIQUE POURUN MONDE MEILLEUR, QUECE SOIT LORS DE CONFLITSTRÈS MÉDIATISÉS OU DANSDES ENDROITS OUBLIÉS DELA PLANÈTE.

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� Devenir membre d’AmnestyInternational et faire partied’un mouvement mondial, qui luttepour mettre fin aux violationsdes droits fondamentaux. Vous pouveznous aider à changer les choses.

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Page 22: AMR 41 031 2007 test - Amnesty International · 2 Rapport spécial de la CNDH sur les événements qui se sont déroulés dans la ville d’Oaxaca du 2 juin 2006 au 31 janvier 2007

Mexique

Oaxaca – une exigencede justiceEn juin 2006, des mouvements de protestation de grande ampleurdans la ville d’Oaxaca (Mexique) ont déclenché une grave crisepolitique qui a touché le domaine de la sécurité publique. Les réactionsdes autorités locales et fédérales face aux troubles se sont soldées parde graves violations des droits humains. Au moins 18 personnes ontété tuées dans des circonstances qui n’ont pas été élucidées, et nombred'autres ont été blessées. Des journalistes et des défenseurs des droitshumains ont été menacés. Des centaines de personnes ont étéarrêtées et maltraitées. Beaucoup ont été torturées ou ont fait l’objetde fausses accusations ou de procès inéquitables.Le présent rapport réunit des informations sur plusieurs cas deviolations graves des droits humains. Il fait état de l’inaction desautorités, qui n’ont pas mené d’enquête adéquate ni demandé auxresponsables de rendre des comptes. Il montre que l’inertie,l’incompétence et l’obstruction ont été les seules réponses desautorités face aux demandes de justice des victimes.Amnesty International ne prend pas position sur le conflit politiquequi s’est déroulé dans l'État d’Oaxaca. Ses préoccupations portent surle devoir qu'ont les autorités de poursuivre en justice toute personneimpliquée dans des violations des droits humains. Elle reconnaît quecertains manifestants ont fait usage de la violence, et qu’il appartientaux autorités de veiller au maintien de l’ordre public et de protégerl’ensemble de la population. Cependant, cette obligation ne sauraitjustifier un quelconque manquement aux normes en matière demaintien de l’ordre, ces normes étant fondées sur l’adhésion stricte àla législation nationale et au droit international relatif aux droitshumains. Le rapport se termine par une série de recommandations surles obligations qui incombent aux autorités et sur la justice due auxvictimes des violations des droits humains.

Septembre 2007Index AI : AMR 41/031/2007

www.amnesty.org

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