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1 Analyse des dynamiques sociales et des pouvoirs des parties prenantes pour la mise en place de Transferts Monétaires à Usage Multiple (TMUM) pluriannuels au Nord Mali. – Rapport final – Préparé pour le Cadre Commun des Transferts Sociaux (CCTS) au Mali (Programme Financé par ECHO) Laurence Touré Fabrice Escot Mai 2018

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Analyse des dynamiques sociales et des pouvoirs des parties prenantes pour la mise en place de Transferts Monétaires à Usage

Multiple (TMUM) pluriannuels au Nord Mali.

– Rapport final –

Préparé pour le Cadre Commun des Transferts Sociaux (CCTS) au Mali (Programme Financé par ECHO)

Laurence Touré

Fabrice Escot

Mai 2018

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Sommaire 1. Présentation de l’étude p. 4 1.1. Contexte de la recherche p. 4 1.2. Objectifs de la recherche p. 4 1.3. Méthodologie p. 5 a. Réflexion avec des acteurs concernés par les TM au nord Mali p. 5 b. Etudes de cas dans les cercles de Diré et Gourma-Rharous, région de Tombouctou p. 5 c. Phase de « problem solving » p. 6 2. Résultats détaillés des études de cas p. 7 2.1. Présentation des sites d’enquête p. 7 2.1.1. Tableau descriptif des communes rurales et des villages p. 7 2.1.2. Description détaillée de chaque site d’enquête p. 8 2.2. Etat des lieux : situation économique, sociale et politique des communautés étudiées p. 12 2.2.1. Focus sur le cercle de Diré : villages de Bourem et de Soudoubé p. 12 a. Un contexte globalement sécurisé et une dynamique positive p. 12 b. Les leaders et la gouvernance locale p. 16 2.2.2. Focus sur le cercle de Rharous : ville de Rharous et fraction Benguel p. 19 a. Un contexte globalement insécurisé, une dynamique peu propice à un redressement rapide p. 19 b. Les leaders et la gouvernance locale p. 24 2.2.3. Bilan et réflexion sur la situation des communautés étudiées et confrontation

aux représentations des acteurs nationaux p. 31 2.3. Perception et impact des transferts monétaires p. 36 2.3.1. Focus sur le cercle de Diré : villages de Bourem et de Soudoubé p. 36 2.3.1.1. Perception et acceptance des mécanismes de ciblage des programmes de TM p. 36 2.3.1.2. Les montants des fonds reçus lors des distributions sont conformes

à ce qui est prévu par le programme p. 38 2.3.1.3. Usages des transferts monétaires p. 38 2.3.2. Focus sur le cercle de Gourma-Rharous : Benguel et Rharous p. 47 2.3.2.1. Perception et acceptance des mécanismes de ciblage des programmes de TM p. 47 2.3.2.2. Les montants des fonds reçus lors des distributions semblent peu conformes

aux attendus et cette opération du programme fait l’objet de nombreuses critiques p. 50 2.3.2.3. Usages des transferts monétaires p. 51 3. Conclusions et principales réponses aux problématiques de la recherche p. 54 Bibliographie p. 65

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Liste des acronymes ACF Action Contre la Faim ADEMA Alliance pour la Démocratie au Mali AG Assemblée générale AGR Activité génératrice de revenu ATT Amadou Toumani Touré CCTS Cadre commun des transferts sociaux CSCom Centre de santé communautaire CSRéf Centre de santé de référence DRC Conseil danois pour les réfugiés F bénéf Femme bénéficiaire F non bénéf Femme non bénéficiaire FS Filets sociaux GATIA Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés GIZ Agence de coopération allemande GTZ Agence de coopération allemande (ancien nom, toujours en usage) H bénéf Homme bénéficiaire HCR Haut-commissariat aux réfugiés HI Handicap International H non bénéf Homme non bénéficiaire IMAMA Association des Imams du Mali IRC International Rescue Committee MBA Master of Business Administration MINUSMA Mission des Nations Unies pour le Mali Ndr Note du rédacteur NRC Conseil norvégien pour les réfugiés OCHA Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies ONG Organisation non gouvernementale PAM Programme alimentaire mondial PNUD Programme des Nations-Unies pour le Développement RPM Rassemblement pour la Mali (parti présidentiel) SOL Solidarités International TM Transfert monétaire TMUM Transfert monétaire à Usages Multiples UP Unité de production URD Union pour la république et la démocratie VAD Visite à domicile

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1. Présentation de l’étude 1.1. Contexte de la recherche Le programme de Transferts Monétaires à Usage Multiple (TMUM) s’inscrit dans le cadre de l´intervention du Cadre Commun Transferts Sociaux (CCTS) au Mali, une plateforme de 6 ONG internationales (ACF, Danish Refugee Council ou DRC, Handicap International ou HI, OXFAM, Solidarités International ou SOL INT et International Rescue Committee ou IRC) qui souhaitent mettre en œuvre pour une seconde fois une initiative collaborative pour la promotion des interventions de filets sociaux dans le pays avec un financement d’ECHO. Cette deuxième phase cible les communes les plus affectées par les crises et ayant un indice de vulnérabilité de très vulnérable à vulnérable. Pour cette deuxième phase du programme, les ONG du CCTS entendent mener une analyse approfondie des structures et des dynamiques sociales au moment où (i) le programme s´inscrit dans une volonté affirmée d´appui aux ménages les plus vulnérables sur du moyen terme et (ii) dans un contexte d´intervention complexe où la situation sécuritaire reste fragile. 1.2. Objectifs de la recherche A travers la réalisation de cette étude, les ONG membres du cadre commun, souhaitaient mieux appréhender les influences des structures et dynamiques sociales de pouvoirs locaux dans les zones d´intervention prévues pour la mise en place de TMUM pluriannuels, envisagés comme un vecteur de lutte contre la pauvreté et de transformation du conflit. L´étude a eu pour principaux objectifs :

- Définir l’environnement socio-anthropologique et politico-sécuritaire dans lequel le programme intervient,

- Définir la notion de pouvoir, ses fondements et ses enjeux, et faire une typologie des différents types et relations de pouvoir, formels comme informels, et des mécanismes sous-jacents qui régissent et régulent le fonctionnement des communautés et des ménages.

- Comprendre les interactions entre le programme envisagé et le contexte, en analysant les éventuels effets des transferts monétaires déjà mis en œuvre dans la zone sur les dynamiques sociales, et comprendre si ce type de programme contribue au renforcement des asymétries de pouvoir initiales ;

- Identifier les risques et opportunités pour la mise en œuvre du programme, sachant que le Gouvernement envisage la mise en place de programmes de protection sociale dans la zone,

Les résultats de cette recherche opérationnelle seront partagés au sein des différentes structures membres du CCFS2 et avec les autres acteurs intervenant dans le domaine de la protection sociale et des transferts monétaires au niveau national et sous régional.

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1.3. Méthodologie La méthodologie a comporté trois phases distinctes : a. Réflexion avec des acteurs concernés par les TM au nord Mali Cette approche visait un double objectif :

- Fournir un état des lieux succinct de l’approche des acteurs et de leur vision des TM (vision du nord Mali, perception des TM, stratégie, principales problématiques), en tenant compte des divergences potentielles entre acteurs

- Etablir une liste de problèmes jugés prioritaires par les acteurs du CCTS et de solutions afférentes en vue de les confronter au regard des communautés concernées.

Pour ce faire : - 10 entretiens ont été menés à Bamako, dont 8 auprès des structures suivantes impliquées

dans les programmes de TM : ECHO, CCTS, ACF, HI, SOL, NRC, Jigisèmèjiri, Banque mondiale. - Une séance de travail de type « focus-group » a été réalisée le 24 novembre 2016 parmi une

dizaine de représentants des ONG membres du CCTS (SOL, ACF, HI, IRC, le CCTS lui-même) et/ou intéressés par la problématique des TM au Nord (ACTED).

b. Etudes de cas dans les cercles de Diré et Gourma-Rharous, région de Tombouctou La région de Gao, retenue pour l’étude ciblage engagée en 2016, a été écarté pour permettre la diversification des sites d’enquête au sein de la zone concernée. Les deux cercles ont été choisis pour assurer la diversité des milieux : un milieu à dominante sonrai, agricole et sédentaire, l’autre à dominante touareg, pastoral et mobile. Dans chaque cercle, deux villages ont été retenus, avec les critères de sélection suivants : un chef-lieu de commune, avec des infrastructures dont un marché, et un village plus enclavé, plus petit, moins proche des centres de pouvoirs et économiques. Les sites retenus dans le cercle de Diré (monde du fleuve, majorité sonraï, moyennement « urbanisé », agricole) ont été, dans la commune rurale de Bourem Sidi Amar, le village de Bourem (chef-lieu de commune), et dans la commune rurale de Tindirma, le village de Soudoubé (village enclavé). Dans le cercle de Rharous (monde plus touareg et plus pastoral, nomadisme/mobilité, etc., distributions en coupons vs. cash, forte proportion de femmes bénéficiaires nominales), le village de Rharous (chef-lieu de cercle et de commune) et la fraction Benguel (communautés pastorales déplacées et récemment sédentarisées)

Carte des sites du cercle de Diré** Carte des sites du cercle de Gourma-Rharous***

** Fond de carte : OCHA, Cercle de Diré - Région de Tombouctou : carte de référence (octobre 2013) *** Fond de carte : OCHA, Cercle de Gourma-Rharous - Région de Tombouctou : carte de référence

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Lors de la mission dans le cercle de Diré, 45 entretiens individuels* ont été réalisés du 11 au 25 janvier 2017, d’une durée moyenne de 2h15 (cinq en français, la majorité en bambara avec un traducteur (8 en français, 3 en sonrai, 20 avec un traducteur en touareg). Lors de la mission dans le cercle de Gourma Rharous, 32 entretiens individuels (ou collectifs avec les personnels de Handicap International) ont été réalisés du 24 février au 8 mars 2017, d’une durée moyenne de 2h (8 en français, 3 en sonrai, 20 avec un traducteur en touareg).

Tableau récapitulatif des échantillons

Leaders dans les communautés Tombouctou/Diré Gourma Rharous Total

Bourem Soudoubé Rharous Benguel

Représentants de l’Etat (préfet, sous-préfet, maire)

4 4

Responsables de l’ONG 3 2 5

Leaders dans les communautés 4H, 1F 3H, 1F 4H, 1F 3H, 1F 18

Bénéficiaires 5H, 6F 4H, 4F 3H, 3F 2H, 3F 30

Non bénéficiaires 3H, 3F 2H, 3F 2H, 2F 4H, 2F 21

L’identification des ménages bénéficiaires a été opérée à partir d’un tirage aléatoire à partir des listes présentées par les équipes locales lors de la réunion préparatoire de chaque terrain. La prise de contact avec les ménages a été effectuée avec l’aide des chefs de quartiers ou village. Pour les deux sites de Diré, ce protocole a pu être mené sans encombre, en revanche, pour les sites de Gourma-Rharous, notre équipe a dû faire face à un grand nombre de bénéficiaires non présents, présents mais trop malades et/ou âgés pour être interviewés dans de bonnes conditions d’échange, d’où un choix d’interviewés au final plutôt opéré par les conseillers villageois. Toutefois, notre équipe s’est assurée d’une répartition des âges et des quartiers de résidence des personnes retenues pour assurer la diversité des cas de figure. c. Phase de « problem solving » Cinq sessions de travail d’une journée ou une demi-journée chacune (26 heures au total) ont été organisées à Bamako du 10 mai au 14 juin. Chacune portait sur une thématique spécifique, identifiée comme une problématique clé lors de l’état des lieux :

- Pincipes du « Do no harm » - Positionnement des TM et problématique du ciblage - Impacts négatifs et ONG comme facteurs de changement social : - Suivi-évaluation : - Focus sur Ménaka, plutôt une discussion :

Les participants à ces sessions étaient presque exclusivement des personnels d’ECHO, du CCTS et d’ONG associées (chefs de mission, chefs de projet, coordinateurs sécurité alimentaire/résilience, responsables du suivi-évaluation…).

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2. Résultats détaillés des études de cas 2.1. Présentation des sites d’enquête 2.1.1. Tableau descriptif des communes rurales et des villages

Cercle Diré Gourma Rharous

Commune Bourem Sidy Amar Tindirma Rharous

Rang dans le classement du PNUD des 709 communes du Mali*

588ème, très pauvre 525ème, pauvre 584ème, très pauvre

Superficie de la commune 99 km² 180 km² 7000 km²

Nombre d’habitants de la commune 15 400 5 000 37 236

Dont femmes 52% 50% 52%

Densité commune Très élevée : 155 hab./km² Faible : 28 hab./km² Très faible : 5,4 hab./km²

Village/fraction Bourem Soudoubé Rharous Bengel

Groupes ethniques Sonraïs majoritaires, plus

Touaregs sédentaires, minorités bozo et peule

Sonraïs majoritaires, plus Touaregs sédentaires,

minorité peule

Sonraïs, Touaregs, Maures, minorités arabe, bozo et peule

Sonraïs, Touaregs, Maures, minorités arabe, bozo et peule

Statut village Chef-lieu de commune Village secondaire Chef-lieu de commune Plusieurs fractions

Géographie/enclavement Peu enclavé, accessible par le fleuve (bac sur le fleuve,

canal) et la route depuis Diré

Plutôt enclavé, loin du fleuve, à 20-25 km de piste de Diré (environ 45 mn en

véhicule)

Accessible par fleuve et route depuis Tombouctou (3 - 4 h en véhicule) ou par route depuis Gossi-Gao, mais difficilement

Proche du fleuve, à 30 km à l’ouest de Rharous sur la rive

sud (environ 45 mn en véhicule)

Nombre approximatif d’habitants 4 000 600 2 600** 1 300**

Nombre estimatif de ménages au sein du village

Env. 465*** Env. 70*** Env. 1 100** Env. 200**

Nombre de ménages bénéficiaires 66 **** 15 **** 225

dont 162 femmes 27

dont 16 femmes

Ratio de ménages bénéficiaires Env. 1/7 Env. 1/5 Env. 1/5 Env. 1/7 * source : PNUD, Profil de pauvreté des 703 communes du Mali, 2014 ** Données des rapports PDSEC 2016 – 2020 pour chacune des communes *** Nous avons retenu pour établir cette estimation le chiffre moyen de 8,6 personnes par ménage, source : ENSAN Mali 2016, INSTAT, 2016 **** Procès-verbal de distribution du 16/08/2016

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2.1.2. Description détaillée de chaque site d’enquête Nous présentons ici quelques traits descriptifs saillants. Les mécanismes et dynamiques qui y sont présentées, seront largement détaillés dans l’analyse. Le village de Bourem est un vieux village fondé au 18ème siècle au bord du fleuve et entouré d’eau, disposant de terres cultivables et exploitables en toute saison. En termes d’infrastructures, le village compte :

- Une mairie ; - Plusieurs services de base :

o Plusieurs classes de premier et second cycle primaire (écoles publiques), medersa villageoise,

o Dispensaire avec un médecin et un dépôt de médicaments (Bourem a remporté le prix « Ciwara » du cercle en 2014 pour avoir dégagé le plus grand bénéfice dans la vente des médicaments et le bon état de gestion, avec plus de 7 millions de francs CFA dans les caisses de l’association du centre de santé communautaire) ;

o Deux systèmes d’adduction d’eau avec deux bornes fontaine (panneaux solaires offerts par la MINUSMA, 10 francs le seau), et plusieurs puits à grand diamètre, avec un projet de station d’eau plus importante ;

o Réseau téléphonique Malitel stable ; - Un marché quotidien, avec une foire hebdomadaire le jeudi ; poisson et viande disponibles

tous les jours ; - Une mosquée du vendredi.

Le village de Soudoube est un village enclavé, au milieu d’un paysage de dunes, implanté au bord d’un bras du fleuve asséché depuis l’installation du barrage de Markala. Le village est très peu équipé en infrastructures et services de base :

- Pas d’école, les enfants ne sont pas scolarisés hormis quelques cours coraniques ; - Pas de dispensaire ; - Pas de système d’adduction d’eau, deux puits à grand diamètre fournissent l’eau à

l’ensemble du village ; - Réseaux téléphoniques Malitel et Orange disponibles uniquement par endroits ; - Pas de mosquée du vendredi ; - Une bancotière à environ 1km du village est utilisée pour la construction des maisons en

banco (encore peu nombreuses) ; - Une chambre d’accueil des étrangers de passage ;

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Pour illustration : vues « comparatives » des deux villages du cercle de Diré

Bourem Soudoubé

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Le village de Rharous a été fondé par des « Touaregs noirs » venus de Benguel. L’agriculture concerne une moyenne portion des villageois : elle commence vers juillet-août. On cultive principalement du riz et un peu de maïs. L’activité de maraichage a lieu à partir des dernières grandes pluies hivernales jusqu’au mois d’avril. Elle est exercée par les jeunes et les femmes du village, en groupe ou de façon individuelle. Les périmètres situés dans le village sont arrosés avec de l’eau de puits via des motopompes ; ceux au bord du Niger puisent directement l’eau du fleuve. Au l’est du village, des périmètres de plusieurs hectares ont été grillagés par la GIZ mais ne sont quasiment pas exploités (quelques pieds d’eucalyptus et quelques parcelles d’oignon) car les groupes électrogènes et les panneaux solaires qui devraient alimenter l’irrigation ont été enlevés pendant la période d’occupation, et surtout du fait de litiges entre les villageois (les enclos bloqueraient le passage des animaux…). Des activités commerçantes sont exercées lors de la foire hebdomadaire. En termes d’infrastructures, le village compte :

- 3 écoles de premier cycle et une de second cycle ; - Centre de Santé de Référence (Csref) et un Cscom ; - Un système d’adduction d’eau à domicile a été réalisé avec l’ONG SOS Sahel et donné en

gestion à un entrepreneur local ; tout le village n’est pas couvert. Le m3 coûte 605 Fcfa. Aux bornes fontaines dans le village, le seau de dix litres coûte 15f ;

- Télécom : réseaux Orange et Malitel ; - Un complexe artisanal financé par la MINUSMA est en chantier.

A l’origine, la zone de Benguel comptait de nombreuses mares entourées de forêts, mais la crise climatique a provoqué une déforestation, la raréfaction des points d’eau, des pâturages et des sites de culture dunaire, avec une pression accrue sur les ressources. A date de l’étude, un risque élevé de pénurie de nourriture pour les animaux était annoncé dans toute la région pour la saison sèche 2017. Les populations disent posséder des terres agricoles et certains veulent faire du maraichage, mais attendent des aides pour les clôtures et des motopompes. En termes d’infrastructures, le village compte :

- Une école accueillant 200 élèves et une medersa accueillant 120 élèves. Ecole fondamentale nomade qui va jusqu’à la sixième année ;

- Un CScom fonctionnel, avec un médecin récemment recruté sous contrat et un infirmier qualifié ;

- Une adduction par château d’eau avec des bornes fontaines autour d’une mosquée, non fonctionnelle en permanence ;

- Une pompe à motricité humaine, qui tarit à certaines périodes de l’année ; - Deux mosquées construites en dur via les fonds envoyés par des résidents en Arabie

Saoudite ; - Un jour de foire hebdomadaire et de récents commerces ouverts tous les jours ; - La sédentarisation de la fraction à partir de 2005 a été causée par la mort du cheptel, avec

une tendance encore faible à construire « en dur » ; la fraction offre un paysage de tentes parsemé de maisons en banco sans murs de clôture.

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Pour illustration : vues « comparatives » des deux villages du cercle de Gourma Rharous

Rharous Benguel

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2.2. Etat des lieux : situation économique, sociale et politique des communautés étudiées 2.2.1. Focus sur le cercle de Diré : villages de Bourem et de Soudoubé a. Un contexte globalement sécurisé et une dynamique positive Le cercle de Diré a été relativement peu affecté par les effets de la crise, climatique comme politique et sécuritaire. Le cercle n’a pas été occupé par des forces étrangères nouvelles. Au déclenchement de la crise, les Touaregs appartenant à un même groupe ethnique se sont transformés en occupants pour protéger eux-mêmes leurs localités. Ce qui a donné une plus grande autonomie aux habitants qui n’observaient les règles de la charia que lorsque des délégations venues d’autres localités se présentaient dans la zone. Les nouveaux occupants eux-mêmes ont utilisé les radios communautaires pour avertir les habitants de se conformer aux règles imposées dans les autres territoires occupés, le temps du séjour de la délégation visiteuse. Bien que la peur ait toujours été présente, l’insécurité a été ressentie pendant un laps de temps relativement court, et a moins entravé la mobilité des paysans par exemple. Les superficies cultivées ont néanmoins diminué et la limitation des déplacements des commerçants a réduit la disponibilité des biens de consommation, particulièrement le carburant. Si les autorités locales (coutumières) parlent de l’occupation du cercle par les « Peaux-Blanches » comme une action positive, les habitants de façon générale considèrent ces voisins comme des rebelles ayant rejoint le mouvement de rejet de l’Etat. Ils ne font pas une grande différence entre ceux-ci et les autres groupes d’occupation. Les mairies et chefferies parlent globalement d’une bonne cohabitation des différents groupes ethniques, un niveau élevé de cohésion sociale et d’interaction : les « Peaux-Blanches » et les « Peaux-Noires » ne vivent pas dans des mondes séparés. Les groupes armés/l’économie criminelle sont très peu actifs au niveau des populations elles-mêmes, néanmoins quelques leaders ou quelques groupes sont impliqués. A la demande du maire de Bourem, un groupe d’autodéfense d’une quarantaine d’hommes relevant de la CMA dont certains issus de la commune assure la protection du village. Leur présence semble efficace contre le banditisme lors des jours de foire ou le vol de bétail. La contribution du village consiste à leur fournir de la nourriture. La présence de ce détachement est perçue positivement par les habitants, qui espèrent qu’avec les accords de paix, ils trouveront une place au titre de la réinsertion des groupes armés. Le maire garde bien le contrôle sur ce groupe, il arbitre les conflits survenant entre eux et les habitants, par exemple les exactions ou intimidations. La crise apparaît finalement surtout comme la confirmation d’une hégémonie des groupes armés, et particulièrement d’une prise de contrôle par certaines communautés touarègues. Le maire de Bourem déclare verser jusqu’à 200 000 Fcfa à ces groupes pour l’escorter à chacun de ses voyages vers Bamako ou Tombouctou. Un traitement renouvelé dans le territoire de chacun des groupes armés pour pouvoir passer tranquillement avec son véhicule.

« Ici c’est des mouvements C’est un mouvement armé de la CMA c’est nous qui les avons sollicités pour hum … parce qu’il y a eu des cas de morts ici, des actes de banditisme, donc on a demandé à l’Etat d’envoyer un contingent militaire, à un certain moment donc c’est nous qui avons entamé la démarche d’appeler la CMA de créer une base. Ils sont une quarantaine ici et font des patrouilles. Nous, on les prend en charge en nourriture en attendant que le DDR (le Déploiement pour la Réinsertion) soit cantonné, au moins s’ils sont là ça permet d’avoir une apparence de sécurité. C’est juste une présence de force dissuasive. » Maire – chef de village de Bourem SA

Les populations sont relativement inclusives, pour autant peu ouvertes sur l’extérieur et restent sur leur « quant à soi ». Dans les deux villages/communes, la population et les leaders revendiquent une parenté, réelle à l’origine et fortement valorisée. La population de la commune de Bourem SA parle une forme de sonrai proche de celui de Bourem (Gao), d’où elle est originaire. Les autres

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communes sont déjà considérées comme des milieux « étrangers », avec lesquels les relations s’établissent sur un mode moins harmonieux, avec des conflits intercommunaux. L’une des fonctions des leaders est justement l’ouverture sur l’extérieur et la création de liens. Les communautés sont relativement homogènes et, malgré des clivages sociaux et économiques, peu différenciées au plan des systèmes de valeurs, des mentalités et des aspirations, qui reposent sur un cadre largement conformiste.

« Nous sommes dans une communauté vraiment homogène. La spécificité de la commune de Bourem, c’est que nous sommes entourés par d’autres communes dont nous ne parlons même pas le dialecte. Nous parlons le dialecte de Bourem, nous sommes tous frères et sœurs. Nous sommes arrivés ensemble ici. Il n’y a même pas un étranger parmi nous. Les huit villages c’est nos communautés à nous. C’est notre communauté qui s’est transformée en commune. » Maire-chef de village de Bourem SA

L’agriculture est le moteur de la dynamique actuelle. Les ressources principales d’un milieu reposant largement sur l’agriculture, soit la terre et l’eau, ont été épargnées. Pour autant, la culture dunaire et la culture de décrue sont de moins en moins productives du fait du manque de pluie, d’autre part l’un des impacts négatifs majeurs de la crise est la perte des bras valides, du fait des jeunes partis en migration économique. La culture irriguée a été initiée depuis des dizaines d’années, pour autant elle est en fort développement. Les enjeux actuels des moyens d’existence des communautés sont largement conditionnés par le développement agricole, y compris les innovations agricoles.

« La crise a vraiment dispersé le village parce que beaucoup de personnes qui sont parties avant la crise ne sont revenus. Elle nous a dépourvu des bras valides, les jeunes sont partis et ne sont plus revenus par manque d’activités. » Maire-chef de village de Bourem SA

Dans le village-même de Bourem, l’agriculture irriguée se développe via des motopompes et un système de canalisations, dominé par les grands propriétaires fonciers, avec un système de métayage historiquement et toujours largement pratiqué, selon des modalités variables car les personnes fournissant la motopompe, le champ et la force de travail ne sont pas toujours les mêmes (combinaisons différentes). Le plus souvent, et selon la règle coutumière du métayage dans la zone, le prix des intrants (semences, engrais, carburant, parfois les frais d’amortissement des équipements) sont déduits de la récolte avant que le reste ne soit partagé en deux parts égales entre propriétaire du champ et métayer. Les producteurs ont créé de nombreuses coopératives ou groupements villageois, notamment dans le domaine du maraichage (laitues, oignon, betterave, etc.). Le maraîchage est surtout pratiqué par les femmes sur des périmètres aménagés et clôturés avec l’appui de projets. Il rencontre des problèmes de surproduction, de conservation et d’exportation. Les plantations privées d’eucalyptus remplacent progressivement les rôniers (dont les produits sont dorénavant importés pour la toiture des maisons). Les cultures de rente, notamment de riz, d’oignon, d’anis et de cumin exportés vers le Togo augmentent au détriment des superficies allouées au blé, qui diminuent dans certaines exploitations. La filière anis bénéficie de l’aide des acheteurs, avec un accès à l’engrais notamment. Le non agricole est peu développé. 30 jeunes ont bénéficié d’une formation professionnelle dans divers métiers (couture, mécanique-moto, menuiserie) sur initiative de la mairie avec l’appui de l’APEJ. Certaines femmes pratiquent le commerce de céréales (blé, riz), souvent en coopératives. Dans le domaine économique, les femmes sont essentiellement organisées autour des périmètres maraichers et des activités de commerce de céréales.

« La seule activité que je connais et que je mène c’est l’agriculture. Je cultive souvent un demi ou un quart d’hectare. Je n’ai pas de terre, (le propriétaire terrien) me laisse ses terres, je lui demande ses conditions, si on procède au métayage ou une autre méthode. Moi je n’ai rien que mes semences, mon énergie et ma houe pour exécuter le travail. Concernant l’engrais si j’ai les moyens je l’achète, dans le cas contraire, le propriétaire l’achète et moi je le mets dans les champs et au moment de la récolte on enlève le prix de l’engrais, et c’est après ça que nous allons passer au partage. Le propriétaire prend une part et l’autre me revient. Ça n’assure même pas

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mes dépenses de trois mois, on arrive à peine à rembourser nos dettes avec. Le reste de l’année, je fais des petits travaux comme le travail du banco, aller couper du bois pour le vendre afin de subvenir à mes besoins. Les propriétaires sont des gens du village. Avant je faisais du commerce mais j’ai arrêté depuis longtemps, je me concentre sur l’agriculture seulement. Je n’ai pas de bétail, je n’ai même pas un âne je vous ai même montré ma charrette là-bas, je n’ai pas d’âne pour faire marcher ça. » H non bénéf, Bourem

A Soudoubé, l’agriculture est quasi exclusivement masculine, dunaire (gombo, petit mil, melon), très dépendante de la pluviométrie et très précaire, les puits devant être creusés à grande profondeur. De nombreuses terres sablonneuses ne sont pas arables, sont improductives et occupées par le bétail. Les paysans cultivent aux abords d’une rivière éloignée du village et doivent se rendre comme métayers dans d’autres villages pour pratiquer l’agriculture sur des champs qui reçoivent de l’eau. Le partage des récoltes se fait alors que le blé est encore sur pied, la parcelle (souvent ¼ d’ha) est divisée en deux et le propriétaire terrien (qui n’apporte pas d’autres intrants que les semences pour les cultures) choisit sa part. Les rendements sont irréguliers d’année en année, les récoltes toujours données comme insuffisantes ne peuvent nourrir le ménage que pendant deux ou trois mois. Le village compte très peu de propriétaires de bétail hormis quelques petits ruminants. L’artisanat est peu pratiqué et se limite à la fabrication de nattes, la boulangerie, la maçonnerie. La migration de certains membres du ménage voire du chef de ménage est souvent nécessaire, et les transferts constituent un moyen d’existence essentiel. La culture irriguée et le système de motopompes se développe, mais est encore en émergence et se pose au détriment des paysans du village, puisque pratiqué sur des champs d’une autre commune. A noter également la complexité des relations agricoles, à l’intérieur (champs de la grande famille, de l’UP, potentiellement de la personne, travail pour le compte d’autrui) et à l’extérieur de la famille (diversité des types de collaboration sur les périmètres).

« J’ai des champs au niveau collectif mais pas individuellement. Je loue souvent des terres. Nous cultivons ensemble puis nous partageons la récolte. Nous cotisons pour payer le gasoil. Je prends en charge les engrais et le gasoil, à la récolte je déduis ce coût et nous partageons le reste. Notre projet c’est un périmètre irrigué qui nécessite beaucoup de chose : le drainage, les engrais, le gasoil… La terre appartient au propriétaire. Je travaille sur une parcelle de deux fois 0,25. Ça fait ma deuxième année mais cette année est meilleure que l’année précédente. Ça me fait deux campagnes de système d’irrigation. J’ai eu trente-deux (32) sacs cette année. L’année dernière je n’avais pas eu grand-chose, seulement quatre sacs et demi. » H bénéf, Soudoubé

La question foncière est ainsi au cœur des dynamiques « politiques » et sociales via notamment la réorganisation des terres arables et la création de périmètres « collectifs », ou cultivés collectivement, ainsi que la réflexion sur la contractualisation (coutumière ou plus actualisée) entre propriétaires fonciers, pourvoyeurs des équipements, exploitants. La question foncière est également l’objet de contentieux familiaux (héritages, partages…). Dans cette perspective, la relation entre pouvoirs locaux et populations est synergique. Les leaders sont très occupés par la question foncière, et certaines décisions jugées inégalitaires ou abusives, y compris par le maire pourtant très respecté, peuvent faire l’objet de litiges importants, y compris le recours à la justice formelle (plaintes à la gendarmerie).

« Quand la coopérative s’est installée, c’était avec des champs presque abandonnés avec la décrue. La crue était très mauvaise à cette période, à cause de la mauvaise pluviométrie. Les gens avaient même abandonné les terres. C’est avec la coopérative qu’on a essayé de les mettre en valeur et ça a créé d’autres GIE personnels que les gens ont créés en plus des coopératives. J’ai assisté à toutes ces réunions, même pour installer les périmètres, c’était des champs individuels qui étaient abandonnés depuis longtemps. Mais le chef comme c’était un chef traditionnel, il réunissait les gens, ils leurs disait bon maintenant là avec le système de culture qui est venu, il faut qu’on s’associe pour pouvoir exploiter nos terres avec la culture irriguée. Avant c’était la pluie, mais maintenant le nouveau système cultural il faut l’adopter. Je connais individuellement les champs que les gens ont accepté de donner à la coopérative pour que tout le monde en

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profite. Par rapport à ça il y a les GIE qui sont formés, qui appartiennent à des groupes de personnes qui ont fait leur GIE. » Conseiller village, Bourem

Ce contexte de développement agricole permet à quatre dynamiques semblent émerger (Bourem surtout) :

- Un accroissement tendanciel du bien-être économique, des moyens d’existence, (très difficilement mesurable par l’étude vu les objectifs et la méthodologie) : augmentation de l’autosuffisance, meilleures conditions matérielles de vie.

- Une plus grande harmonie au sein des ménages, entre époux et entre parents et enfants, les chefs de famille pouvant être de meilleurs pourvoyeurs.

- L’émergence ou le renforcement d’une classe de paysans aisés. Certains leaders, dotés du capital foncier et entrepreneurial (comme le maire de Bourem), la plupart simples entrepreneurs ruraux.

- Le retour, dans ce contexte positif, de certains migrants, notamment des jeunes actifs

« Il y en a plus d’une dizaine, il y a des gens qui n’ont pas une seule machine justement, ils ne sont même pas d’ici. Je connais quelqu’un qui a des machines dans les autres communes, une quinzaine de machines à lui seul. » H leader, Bourem

« Maintenant avec la culture irriguée les gens commencent à venir s’installer. Par exemple tout récemment tous ceux qui sont à Bamako, qui sont en train de faire le manœuvre, de vendre dans les petites boutiques, beaucoup viennent pour la culture des oignons. Après la récolte ils repartent la vendre. » H leader, Bourem

Les clivages sociaux sont assez largement déterminés par ces évolutions agricoles. Les ménages les plus en difficultés sont ceux qui ne possèdent pas de terre, de bras valides pour cultiver, pas de bétail, les veuves, les personnes handicapés, malades… Ces clivages sont plus perceptibles à Bourem, où les pauvres sont perçus comme ceux qui n’ont pas de récoltes suffisantes, pas de bétail, pas d’autres sources de revenus. Les personnes perçues comme nanties sont des propriétaires terriens » et/ou des commerçants possédant des terres de culture, des équipements dont les motopompes, du bétail, ce qui se traduit par un habitat en banco voire en ciment. Le dénuement est bien plus perceptible à Soudoubé qu’à Bourem dans le mode d’habitat les biens d’équipement et les facteurs de production. Il ne semble pas y avoir de personnes très aisées économiquement. Les clivages entre pauvres et très pauvres sont relativement peu perceptibles. Si quelques rares familles ont pu construire des cases en banco, toutes conservent des cases de paille. Le président des jeunes de Bourem fournit un exemple minoritaire de leader non issu de la chefferie, néanmoins d’une « grande famille » aisée. Le principal clivage reste celui qui distingue les nobles des gens de caste. La condition des forgerons-griots reste très conditionnée par cet héritage, socialement (rang social subordonné, relations de clientélisme avec les familles de nobles auxquelles les familles de caste sont rattachées) et économiquement (pas ou très peu de terres possédées, activités artisanales de métal, de poterie pour les femmes). Les hommes de caste conservent le rôle social (et presque politique) de représentation ou de « porte-parole » de « leurs » nobles : le maire de Bourem se fait toujours accompagner par son forgeron pour arbitrer les litiges dans la commune. L’organisation communautaire intègre toujours les associations villageoises des jeunes et des femmes, mais sans pouvoir politique stricto sensu. A Bourem, la jeunesse mène de façon ponctuelle des activités citoyennes : assainissement du marché, du centre de santé. Elle a participé à la mise en place du système d’adduction d’eau potable pour le village avec la construction d’un château d’eau et à la construction des hangars pour le marché. La jeunesse a également été mobilisée lors du pic de la crise pour parer au banditisme. A Soudoubé, l’esprit du travail collectif est très présent. Le sens de l’entraide est très développé, et partager avec les voisins et les parents est une obligation morale. Une association regroupe toutes les femmes du village, notamment lors de la construction des cases des nouvelles mariées. La jeunesse est perçue comme la plus grande ressource et la plus grande force du village. Elle est organisée et très impliquée dans la vie du village pour les travaux agricoles,

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la construction des habitats, les actions de développement (réfection des pistes). Elle se regroupe à chaque fois qu’un jeune se marie, pour confectionner les briques et construire sa maison. Les plus démunis et/ou les familles ne disposant pas de bras valides font recours à la jeunesse pour construire des maisons ou pour cultiver leurs champs ; les travaux collectifs s’effectuent à tour de rôle dans chaque famille. Les jeunes et les femmes jouent un rôle très secondaire en politique hormis une adjointe au maire (une première à Bourem) qui est également la présidente des femmes. Les personnes qui parviennent à des positions de leadership sont toujours liées à la chefferie ou aux grandes familles. En général, les femmes pauvres et plus encore les femmes de caste sont plus démunies et plus « enfermées » que les femmes plus aisées, issues de familles parfois plus respectées, plus de savoir, avec une surface sociale plus importante, cf. les présidentes des femmes. b. Les leaders et la gouvernance locale Le chef dispose d’un double pouvoir coutumier, de patriarche sur une communauté perçue comme familiale, et formel, d’administrateur d’une société en évolution. Dans les deux villages, la chefferie et l’imamat sont héréditaires, mais comme vu précédemment, les conseillers sont également issus des grandes familles. Le maire de la commune de Bourem est jeune (42 ans). Il dispose d’un pouvoir coutumier et symbolique fort (chef de village du chef-lieu de commune, désigné comme « amirou »), est instruit (MBA aux Etats-Unis). Le village est manifestement le fait de relations de pouvoirs de type clientéliste très centralisées autour du maire et de quelques notables. Néanmoins, une ouverture politique a été rendue possible lors des dernières élections communales (2016), avec l’ouverture du conseil communal à divers autres groupes. Le maire est lié aux groupes armés, tout au moins sous forme clientéliste. Le chef de village de Soudoubé est âgé de 70 ans et son influence se limite au village. Il est de fait le président de la grande association villageoise. Le maire doit spécifiquement gérer les services de l’Etat (santé, éducation) et le développement (électrification par exemple). L’absence de l’Etat proprement dit (préfet, gouverneur) durant le pic de la crise a contribué au pouvoir local des maires.

« Je m’occupe pratiquement de tous les aspects du développement de la commune. Je m’occupe aussi des aspects de la santé, de l’éducation. Au niveau de la commune j’essaye d’amener le maximum de partenaires possibles. (…) Parce que depuis la crise jusqu’aujourd’hui, on essaye au maximum de montrer, de prouver l’existence de l’Etat. Ce qui n’est pas facile parce qu’en réalité cette présence de l’Etat n’existe pas. Nous sommes au dernier échelon de l’autorité de l’Etat mais les grands problèmes c’est qu’il n’y a pas de contact avec l’administration. Ils ne viennent pas, on n’y va pas. Il y a une rupture de l’administration qui fait que les gens commencent à ne plus avoir confiance en l’administration que nous représentons. » Maire-chef, Bourem

Les conceptions et l’organisation des pouvoirs impliquent des décisions concertées, voire déléguées. La légitimité du pouvoir par droit familial et/ou par personnalité ne s’accompagne pas de formes d’absolutisme ou d’autoritarisme, qui seraient vraisemblablement peu acceptées par les populations. Nous le verrons, les différents pouvoirs s’organisent de façon globalement cohérente et harmonieuse, mais peuvent fonctionner en contre-pouvoirs réciproques le cas échéant. Cet aspect « collégial » du pouvoir se traduit par les mécanismes de concertation, d’élections ou de décisions collectives, de délégation à des conseillers, de prise en compte des propositions alternatives.

« C’est tout le village qui choisit les conseillers. Ce sont des gens intègres, qu’on prend. Les conseillers aussi, toute décision qu’ils prennent ensemble, ils ne sont pas contestés. Bon, moi mes méthodes sont très simple, quand je leur dis quelque chose et que dans la masse quelqu’un d’autre dit quelque chose de meilleur, je dis « on laisse tomber, nous prenons pour lui c’est aussi simple que ça. » Chef de village, Soudoubé

« Chez nous, les conseillers sont élus à leurs places respectives. Chaque conseiller a ses attributions. Mais le 1

er conseiller est le chef de village de Horogoungou, donc ne résidant pas ici,

à chaque fois, il y a son adjoint qui assure son intérim. » Président des jeunes, Bourem

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La relation de type patriarcal s’accompagne d’attributs moraux du pouvoir (certainement justifiés dans une large mesure) : probité, sagesse, rigueur, compétence, confiance, patience… les principaux leaders sont globalement associés à des modèles de vertu. De plus, cette relation relativement bienveillante est favorisée par le degré de proximité des membres des communautés à leurs leaders : parenté réelle ou reconstruite (lointains cousins), faible différenciation économique (Soudoubé surtout), partage du même héritage mental, culturel et religieux, des mêmes valeurs, enfin proximité sociale avec la plupart des citoyens ; visibles, abordables, connus, sympathiques et accueillants, généreux… Le chef de village de Soudoubé est notamment assimilable à chaque villageois en termes d’éducation/formation, de conditions de vie (mêmes sources de revenus et même niveau matériel de vie que les autres villageois). De fait, les leaders gèrent essentiellement les événements du quotidien (rassemblement des habitants du village pour des bénédictions face à la crise, réfection d’un puits, gestion de la caisse villageoise, conflits interpersonnels, accueil des étrangers). On attend d’eux qu’ils soient des pourvoyeurs de la communauté, redistributeurs et généreux. Cette bienveillance attribuée aux leaders est cohérente avec des fonctions d’organisation, de régulation, de protection. En retour, les « administrés » leurs vouent estime, respect, confiance… Néanmoins avec circonspection et des formes de recul et de critique.

« Quand il y a un travail collectif il nous convie et nous répondons à son appel pour venir travailler Quand il y a un travail collectif au tour du banco, le creusage des puits, il nous fait appeler. Par exemple, pour crépir la mosquée. Souvent la margelle des puits se gâte donc les villageois sortent pour aller chercher du gravier puis viennent renforcer la margelle. Il nous réunit pour tous les travaux collectifs. » H bénéf, Soudoubé

« Une fois il y a eu une pénurie de gasoil pour la campagne agricole, ce sont les mêmes, S. et les autres, qui ont débloqué la situation. Il a mis la main à la poche c'est toujours comme ça quand qu'il y a un problème dans la commune » H bénéf, Bourem

« Chaque fois que je le rencontre (conseiller), et que je le salue, il me donne mille francs ou deux mille francs. » F bénéf, Bourem

Les pouvoirs de chefferie, mairie et de l’imamat sont essentiellement mobilisés pour exercer la justice, l’administration du territoire foncier, la gestion des conflits entre pasteurs et agriculteurs (divagation ou champs sur les pistes de transhumance).

« En tant que chef du village, je suis quand même la garantie morale du village. Il faut savoir que nous avons une société qui est très féodale. Pratiquement je m’occupe de tout au niveau du village. J’essaie d’être l’arbitre des conflits, jusqu’au niveau familial, les conflits intercommunautaires, j’essaye de garantir la stabilité du village. » Maire-chef de Bourem

« Le chef a hérité son pouvoir, il fait l'arbitrage entre les populations. En cas de différend entre deux notables du village, il tranche entre eux et il donne raison à qui de droit, si le paiement d'une amende est nécessaire il contraint le partie qui doit payer ça à le donner et ça été toujours comme ça. » F bénéf, Soudoubé

Les relations avec l’extérieur sont l’une des attributions importantes des leaders, qu’elles soient menées directement ou via des conseillers/délégués. Ces relations sont de trois ordres : conflits intercommunautaires (y compris le foncier entre communautés agricoles), représentation du village à la commune ou de la commune au niveau cercle ou supérieur, enfin plaidoyer et/ou captation de l’aide extérieure.

« Si nous avons quelque chose à prendre au niveau du chef-lieu de la commune ou bien à Tondigame, je désigne des gens qui vont l’apporter ici. » Chef de village, Soudoubé

« Quand on a un problème, la parole vient des conseillers d’abord avant d’informer le village. C’est eux et le maire qui vont se concerter et c’est à ce moment que le maire informe le village. Par exemple il y a un village où il y a eu un instant de désaccord entre ces villageois, donc l’affaire a dépassé ce niveau jusqu’aux autorités. Donc les conseillers et le maire ont été mis au courant et ils ont décidé comment mettre fin à ce désaccord. » Président des jeunes, Bourem

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Dans le cas des deux communes étudiées, l’autorité formelle de l’Etat est présente et accessible à Diré, mais autant que possible, les communautés, leaders comme administrés, semblent privilégier un mode d’organisation et de règlement des conflits qui reposent sur des normes internes, et n’ont recours à des niveaux supérieurs que dans des cas très spécifiques (violence, absence de médiation possible et recours direct d’un plaignant) et rares (les cas cités sont souvent antérieurs à l’étude de plusieurs années). Les leaders sont relativement ouverts sur les opportunités économiques, néanmoins conservateurs, tout au moins au plan politique et moral. Les familles influentes et notamment les chefferies traditionnelles, au-delà de leur légitimité coutumière, semblent soucieuses de conserver leur pouvoir politique, notamment face à des pouvoirs économiques émergents. Les paysans aisés qui animent le développement économique, même s’ils sont mis à contribution de la vie sociale des communautés et accèdent au statut de pourvoyeurs, semblent ainsi tenus à l’écart du pouvoir politique. Les présidents des femmes et des jeunes sont membres des grandes familles et certaines femmes issues de ces lignages dominants occupent la plupart des fonctions de responsabilité et de représentation des femmes, ce qui est à la fois une conséquence et un facteur du faible pouvoir d’expression et surtout de revendication des « cadets sociaux ». Les jeunes et les femmes, lorsqu’ils ne sont pas dans une posture de conformisme et ainsi de soumission à l’ordre établi (primauté des générations antérieures et des hommes), expriment des frustrations par rapport à cette subordination.

« Moi, j’ai hérité le pouvoir de chef du village de mon père. Nous faisons en sorte de ne pas frustrer les gens c’est-à-dire que nous essayons de faciliter les choses, nous aidons aussi dans beaucoup d’activités, l’accès à la terre ou autre chose, et en contrepartie eux ne se mêlent pas de notre pouvoir traditionnel. Ce n’est pas un arrangement écrit mais c’est comme ça que la société fonctionne. Je vais vous donner un exemple : sauf dans les communes où il y a eu beaucoup de frustration des populations, si tu remarques, tous les maires et chefs de village du cercle de Diré sont issus des familles du pouvoir traditionnel. » Maire-chef de village, Bourem

« On a une fois fait quelque chose sur lequel il y avait désaccord. C’était pour avoir un terrain pour la jeunesse et on pourrait chercher une ONG pour nous le construire comme maison pour la jeunesse et là, il y a eu désaccord. – Qui ont été les opposants ? – Ce sont les anciens. Les vieux, qui disaient qu’avec ça, il y aura des ratés, du vandalisme et autres. – Donc les opposants de la jeunesse, ce sont les adultes ? Effectivement. » Président des jeunes, Bourem

Les règles de la démocratie heurtent potentiellement les légitimités coutumières en permettant à des cadets sociaux (jeunes, femmes, familles hors chefferies, personnes de castes) d’accéder à des fonctions politiques, ce qui crée des intrigues de pouvoirs et des contestations diverses. Néanmoins, ces cas sont très spécifiques (élection d’une femme comme conseiller municipal à Bourem) et vraisemblablement rares dans les villages. Certaines décisions des leaders suscitent néanmoins des formes de contestation et de tensions. Il est possible (voire plausible) que les règles sociales aient minimisé l’expression des tensions et des remises en cause des personnes des chefs. La contestation fait l’objet d’une certaine ambivalence, car elle est perçue comme légitime et valorisable au nom de la transparence et comme preuve de l’harmonie, mais dans le même temps, formellement, elle est perçue comme socialement incorrecte. Les décisions de leaders restituées comme contestées le sont, soit par des personnes qui se jugent matériellement flouées, soit par la prise d’intérêts particuliers sur le collectif, enfin au contraire, et d’une façon assez révélatrice de certains modes du fonctionnement communautaire, d’une redistribution « centralisée » d’une aide destinée à une partie de la population.

« Premièrement la crise a affecté l'alimentation parce que notre alimentation principale est le riz donc les agriculteurs ont souffert, mais ceux qui ont plus souffert sont les dépendants de l'Etat c'est-à-dire les salariés. Ensuite les produits que nous importons et les dons que nous recevons comme les engrais maintenant, pour résoudre le problème de tout le monde le chef enlève une partie d'engrais de chaque paysan bénéficiaire pour ensuite le partager entre les non-

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bénéficiaires, mais il y a des gens qui ont pris ça comme mal alors que c'est pour arranger tout le monde. » H bénéf, Bourem

2.2.2. Focus sur le cercle de Rharous : ville de Rharous et fraction Benguel a. Un contexte globalement insécurisé, et une dynamique peu propice à un redressement rapide Le cercle de Gourma-Rharous a été très largement affecté par la crise climatique, politique et sécuritaire. Les principaux effets de la crise ont été les exactions des nouveaux occupants : saisie des biens, dispersion des populations, séparation des membres des familles, exil des chefs touareg et de leurs familles, l’obligation pour certains de laisser tout ou partie de la famille à Benguel car malades ou faute de quoi payer le transport jusqu’au Burkina, avec une perte de contact entre les deux parties séparées, la perte du bétail resté sur place (on évite d’estimer le nombre exact), la perte des biens laissés sur place, et pour les personnes non déplacées la limitation des activités, des mouvements de personnes et biens. Les élus, les ONG, les populations du cercle disent se sentir aujourd’hui en sécurité. C’est souvent que l’on entend dire « Il n’y a jamais eu d’attaque sur les routes autour de Rharous ». Les élus, le chef de village et les conseillers pensent que les conditions sécuritaires sont sous contrôle et se félicitent des équilibres trouvés. La question du pouvoir est très sensible dans le cercle, peut-être parce que les populations viennent d’élire un maire membre d’un groupe armé reconnu et de surcroit proche du gouvernement, stratégie qui garantit la sécurité des communautés mais qui montre la faiblesse de l’Etat central. Il semble que depuis l’élection de l’actuel maire ce sentiment de sécurité s’est renforcé. Originaire de Benguel, ce maire et les Touaregs de sa fraction sont membres du GATIA (un des groupes armés progouvernemental) qui contrôle une partie du cercle. On ne rencontre pas d’éléments des groupes armés dans les rues mais on sent une tension qui indique que ces groupes sont là, parmi les populations. De nombreuses personnes ont vécu des situations très dures, parfois traumatisantes, notamment restituées par une majorité des femmes.

« La première des choses que la crise m’a fait subir c’est de m’enlever de mon pays. Je suis partie en laissant la maison, elle était construite, elle a été rasée, le matériel était là-dedans, le tout a été pillé, j’ai laissé la maison là comme ça et puis je suis rentrée dans le véhicule et je suis partie. » F non bénéf, Benguel

« Il y a des gens qui viennent, ils pillent tout ce qu’ils trouvent chez quelqu’un, que tu sois riche ou pauvre, ils torturent les gens. Oui je les ai vus le jour où ils venaient piller le domicile de S. le forestier, mon garçon était de passage, l’un d’entre eux l’a fait rentrer dans la maison pour les aider à faire sortir les bagages en lui braquant l’arme sur la colonne vertébrale. Ce n’est pas fini, le soir il s’est mis à le chercher partout en ville, j’ai été obligée de le faire dormir sur le toit jusqu’au matin. » F bénéf, Rharous

Les groupes armés et l’économie criminelle sont très présents et actifs au niveau des communautés elles-mêmes et des leaders. Le préfet et ses adjoints sont semble-t-il présents mais tout le quartier administratif est gardé par des militaires de l’armée malienne. Cette armée est présente et visible aux entrées et aux environs de la ville. Plusieurs cas d’attaques de l’armée ont eu lieu à Rharous même, en fin 2016 des équipements militaires ont été brûlés par les groupes armés le soir même de leur arrivée à Rharous. Il s’agissait de pick-up, ambulances, etc. Quelques mois auparavant, onze membres de la Garde Nationale ont été égorgés dans le village de Rharous. La tension est palpable dans le village : pas d’entrée de véhicules à partir de 18h ; pas de circulations de véhicules à partir de 19h et 20h pour les motos à l’intérieur du village. Les agents de HI pensent que les jihadistes se trouvent dans certains villages qu’ils ont classés « no go » et eux-mêmes ne s’y rendent pas. Ce sont les leaders communautaires qui prennent les fonds à distribuer en se faisant accompagner de quelques bénéficiaires. Au cours de la mission, lors de la traversée du bac, un véhicule de Handicap International a été dépouillé par deux hommes armés : ordinateur, argent…

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Signalisation marquant l’appartenance du « territoire » au GATIA, Benguel

Le retour des populations déplacées, des leaders communautaires voire des représentants de l’Etat, la (relative) régression du banditisme et des violences civiles, l’assistance des ONG, sont perçus comme des signes de stabilisation sociale et fournissent un certains supports d’optimisme… mais ce sentiment est loin d’être unanime. On note certaines formes d’apathie, de « renoncement », ou des formes d’anxiété et d’instabilité.

« Dieu merci, chez nous maintenant, nous espérons même la paix, puisse que tous nos chefs sont installés, nous prions le bon Dieu seulement qu’il leurs accorde sa grâce afin qu’ils puissent continuer leur travail. Quand il y a eu la crise, les personnes là sont rentrées, ils ont fait ce qu’ils ont fait puis ils sont partis, les gens ont eu de quoi vivre, parce que les ONG sont venus, elles leur ont apporté de l’argent, à manger et voilà. » F bénéf, Rharous

« Présentement là où je vous parle, vraiment je n’ai plus envie de rester dans ce nord du Mali, je n’ai plus besoin, ce n’est pas possible quoi, parce que je vois que ça ne s’améliore pas, ça s’aggrave de jour en jour, l’autre jour des gens sont venus avec des véhicules, ils ont quitté Tombouctou. La MINUSMA est là, la France est là, l’armée est là, tout le monde est là, ils viennent, ils occupent les alentours de Tombouctou, ça c’est le désordre vraiment. Moi présentement c’est les enfants seulement qui me disent qu’il faut rester sinon on attend le bon Dieu quoi. Moi personnellement, je n’ai pas envie de rester, à mon âge je n’ai pas voulu me déplacer, je ne veux pas que mes enfants restent dans ce nord-là, j’ai fait l’idiot aussi, le fait de faire toute ma vie ici donc tout ça là quand même je regrette trop, trop. Le nord du Mali ce n’est pas bon quoi, toi tu peux prendre des armes pour tuer des gens et il ne se passe rien. » H bénéf, Rharous

La société apparaît fortement concurrentielle et agressive. Au niveau des valeurs, la société reconnaît collectivement la loi du plus fort (dévalorisation du faible, de la vulnérabilité, légitimité du fort à agresser le faible). Ce trait du monde touareg a été énoncé lors d’entretiens « d’experts » à Bamako (cf. les références aux razzias) et est saillant des discours des interviewés de l’étude de cas. La violence émerge comme un mode relativement banalisé des relations sociales, qui se traduit par les démonstrations de force, l’intimidation, la critique frontale… ou la valorisation du « fort » lorsqu’il n’est pas brutal.

« Culturellement il y a ce qu’on appelait ici les razzias, tout ça. Quand tu es le faible on te prend et tu n’as nulle part pour aller te plaindre. Culturellement les nomades n’aiment pas les faibles. En milieu nomade il ne faut pas être faible, quand tu es faible on ne te respecte pas. Même si on te tape tu ne dois même pas pleurer. On dit que se plaindre c’est une faiblesse, donc tu ne dois pas te plaindre. Un homme qui se plaint est considéré comme un faible. (…) quand tu sors ta faiblesse devant un homme il n’a aucun respect pour toi et moi je veux que tu me respectes. » Entretien personnel ONG, Bamako

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En termes d’attitudes individuelles, on remarque une méfiance sociale, rationnelle mais aussi très émotionnelle. Les discours, souvent sans recul ni pondération, signent ou traduisent un certain niveau d’anxiété mentale et/ou sociale :

- Exaltés, de parti-pris, des jugements ou perceptions sans recul voire emphatiques et manichéens, polarisés : tout bon ou tout mauvais (et de fait, souvent mauvais)

- Mépris, haine, rancœur vs. amour, compassion, empathie - Des références récurrentes à la folie, la bêtise, le harcèlement - L’alternance peu cohérente entre la dépréciation de soi et la valorisation de soi (femmes les

plus anxieuses surtout) La situation économique extrémise des clivages sociaux très importants. L’agriculture pluviale est très peu productive. La culture irriguée est émergente dans la commune mais se heurte à des freins politiques (un litige foncier entre les notables a provoqué l’arrêt d’un important projet d’irrigation des terres aux abords du village de Rharous) et économiques (faiblesse des financements publics ou privés). Les terres agricoles, le non agricole et surtout le grand commerce sont détenus par quelques familles. A l’échelle communale, il existe une association des éleveurs pour intervenir auprès des partenaires pour la cause des éleveurs, mais la plupart des familles pastorales ont perdu leur bétail, et apparemment, seules celles disposant de revenus agricoles, commerciaux ou bénéficiant d’une assistance extérieure peuvent reconstituer un cheptel. La ville de Rharous offre plus d’opportunités non agricoles (fonctionnaires ou assimilés, tertiaire et notamment les employés et agents des projets, commerce, artisanat), qui permettent l’émergence d’une certaine classe moyenne minoritaire. L’essentiel de la population, et notamment celle d’origine pastorale/nomade, reste globalement en marge de ces dynamiques et de ces opportunités. Certains hommes anciennement éleveurs s’inscrivent dans l’agriculture (obtention de terres, métayage), avec des revenus très faibles.

« Mon activité principale, c’est l’agriculture. J’ai un champ de 0,25 ha. Je n’ai pas de véhicules, ou motos, ou charrettes. Je cultive à la houe. Je ne peux prendre des gens qu’une seule journée. Je cultive le riz. Avant, quand la mare était cultivée, ça produisait pour 6 mois, mais il y a longtemps qu’elle n’est plus cultivée. Les 6 autres mois, je ne fais rien. A moins que je ne trouve quelqu’un qui veut m’envoyer quelque part, ou bien qui veut que je lui travaille du banco, parce que je n’ai pas d’animaux à conduire ni rien. » H bénéf, Benguel

« Nous avons des champs, mais nous les avons abandonnés, à cause du manque de moyens, sinon avant, nous partions prendre de l’eau sur nos têtes ; aujourd’hui il n’y a pas d’eau, ce qui nous préoccupe parce qu’il y a le ménage et le travail des champs, et nous ne pouvons plus transporter l’eau sur nos têtes depuis là-bas. On cherche quelqu’un pour l’arrosage puis on le paye. Parce que moi je ne peux pas associer mon ménage et les travaux champêtres. Donc si je prends quelqu’un pour le champ je serai obligée de le payer parce que je ne peux pas aller au champ et dire que je vais préparer aussi. Le maraîchage, ce n’est pas mon mari qui le travaille, hein ! C’est moi qui travaille dans les 2 hectares, parce que c’est un grand champ. Et tout le campement Iguiwaddaran est dedans. Toutes nos femmes qui sont là, le travaillent. Nous ne gagnons pratiquement rien, ce que nous gagnons ne peut pas nous prendre en charge plus de 2 mois, parce que ce n’est pas un très grand champ et que nous ne trouvons pas de semences de qualité, comme la pomme de terre, l’oignon etc. » F bénéf, Rharous

Au sein d’un tissu social fortement déstructuré, les populations sont organisées en petits réseaux repliés sur eux-mêmes. La reconstruction des collectifs détruits par la crise, perçue comme une nécessité, s’amorce mais se heurte à de nombreux freins. La classe moyenne semble notamment active dans la reconstruction des collectifs voire d’une vie sociale plus apaisée, organisée, « citoyenne », en bref dans la diffusion des valeurs du vivre-ensemble. Certains habitants de Rharous sont insérés dans ces collectifs, tontines, associations professionnelles, de quartier, des jeunes… Ces collectifs semblent pour la plupart peu actifs, pour autant ils fournissent un cadre social, parfois économique, et/ou facteur d’intégration. A Benguel, communauté récemment sédentarisée (2005) et fortement déplacée, la majorité des interviewés ne sont inclus dans aucun collectif.

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« C’est vrai que dans le temps c’était à un point que, par exemple si cette famille-là préparait son repas, elle pouvait faire manger plus de 5 autres familles, donc avec la crise, tout est effacé, parce que les gens ne s’aiment plus, ils ne veulent plus cohabiter ensemble. Mais par la grâce de Dieu, ils commencent aussi à comprendre, à se revenir, à instaurer cette cohésion ils comprennent petit à petit. » H non bénéf, Rharous

« Je suis dans l’association « Cœur Ouvert », qui est au rond-point là, qui regroupe tous les jeunes de Rharous. Juste pour rendre la ville propre, et on veille sur la circulation en ville. » H non bénéf, Rharous

« Nous avons une tontine d’un dépôt de mille francs par membre chaque samedi, et chaque lundi, nous partons faire des vermicelles chez un membre, jusqu’à faire le tour de tous les membres. Quand on reçoit, ça ne doit faire que 20 000 francs. Il m’arrive d’acheter des sacs de charbon et du Plumpy que je revends aussi. J’ai payé deux sacs de charbon et 5 000 francs de Plumpy. » F non bénéf, Rharous

« Je ne suis dans un parti que par mon doigt. Je ne suis dans aucun groupe, ni association. Notre milieu n’est pas un milieu des associations. » H bénéf, Benguel

« Je suis dans le parti où se trouvent nos femmes, le RPM. Nous avions un groupe avant notre départ, mais nous sommes parties et c’est fini. » F bénéf, Benguel

Sur les deux sites, de nombreuses personnes expriment de plus une méfiance vis-à-vis des collectifs, qu’ils soient associatifs ou politiques, avec un déficit manifeste quant à la confiance nécessaire, entre membres et entre membres et représentants, pour motiver l’adhésion à des structures « publiques ». Certains responsables associatifs eux-mêmes témoignent des tensions qui existent au sein de leurs structures, de la pression qu’ils peuvent subir et des conflits sous-jacents. Certains assument par ailleurs le fait d’avoir des visées clientélistes, ce qui suppose, au-delà d’actes bénévoles d’organisation, un désir de prise de leadership et de contrôle sur les membres, potentiellement facteur de dissensions et de tensions.

« Nous avons créé une association, mais ça a coïncidé avec la crise, donc elle n’a pas fonctionné. Je ne suis pas dans une tontine parce que dans ces tontines, il faut payer de l’argent alors que moi je n’ai pas cet argent pour adhérer. Si je prends ton argent, il faut que je te le rembourse et si je ne l’ai pas, comment je dois faire, mourir un jour avec le crédit des gens ? Non, je préfère rester ainsi. Parce que je viens de revenir ici, je cherche comment mon frère va m’aider à m’installer, comment je vais dire aussi que j’adhère dans des fausses tontines, ce n’est pas possible. » F bénéf, Rharous

« Les femmes font des associations, mais moi, je ne suis pas dedans. Parce que nous les femmes, nos affaires ne sont pas sérieuses. Elles peuvent faire quelque chose aujourd’hui et le lendemain, le défaire. Ce que je fais, c’est de déposer ma participation, je la laisse, il arrive des moments où cela se gâte, donc finalement je suis fatiguée et j’ai tout laissé tomber, tout cela c’est du fait que je n’aime pas que les gens apprennent que j’ai adhéré à une chose et que je suis sortie. C’est des femmes qui ne sont pas intellectuelles. En ce qui concerne les associations, c’est parce qu’une fois membre, tu n’es plus maître de toi-même, on peut te faire déplacer à tout moment, donc à cause de mes occupations je ne peux pas être membre. Je ne peux pas être aussi leur chef et que cela se gâte avec moi, donc je me verrai dans l’obligation de tout restituer. Si je reçois quelque chose moi-même, je m’en occuperai à ma manière, ça se gâte, ça se régénère, je n’ai de compte à rendre à personne. Alors qu’avec les associations, quand ça se gâte, les membres m’obligeront au remboursement, alors que je suis allergique à cela. » F bénéf, Benguel

Au sein des « mini-réseaux » constitués, la solidarité joue un rôle essentiel au quotidien, aussi bien pour les femmes que les hommes. Les règles de l’hospitalité et de la générosité, la capacité à aider des proches sont des valeurs sociales qui ont « résisté » à la crise et qui, actuellement, constituent des leviers importants de la survie économique et sociale ou de la résilience de bon nombre de personnes. La participation aux dépenses mineures ou importantes de proches, le don ou le prêt d’argent, de biens, de matériel, sont posés comme des actes normaux voire évidents de la vie sociale qui concernent l’alimentation, les cérémonies sociales, les voyages, voire l’économique.

« Je demande souvent à mon ami de me donner des céréales et du thé quand j’ai besoin, il le fait à chaque fois. » H bénéf, Benguel

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« L’autre jour, j’avais un crédit de 20 000 francs à payer, je suis allée voir M., il me les a donnés. J’ai une amie qui est là, si je n’ai pas de condiment et que je vais chez elle, elle m’en donne. » F non bénéf, Benguel

« Je connais quelqu’un qui a dû recevoir des invités alors qu’il était dans le besoin, il est venu me voir, je lui ai donné la moitié de ce que j’avais comme nourriture et condiments. » F bénéf, Rharous

« J’ai une voisine qui elle aussi, à chaque fois qu’elle a un problème, elle vient me voir. Il n’y a même pas une semaine, elle est venue me voir comme quoi elle a fini sa nourriture, et je lui ai donné du grain, une deuxième fois aussi, je venais de prendre ma tontine, elle est venue me demander un service encore, je lui ai donné 5 000 francs, elle a résolu son problème et après quand elle a eu, elle me les a remboursés. » F non bénéf, Rharous

« Je me rappelle bien, même mon dernier baptême, je n’avais pas d’animal pour le faire, et je suis parti chez mon parent, il m’a donné un bélier pour le baptême. Il me l’a donné seulement. Il y a un de mes vieux qui est là aussi, à chaque fois que je le saisis pour un problème quelconque ou un conseil, il me le règle. C’est le cousin de ma grand-mère. Même une fois il m’est arrivé de ne pas pouvoir payer la redevance d’une de mes parcelles au niveau des champs, c’est un parent qui me l’a payé. » H non bénéf, Rharous

Les femmes semblent subir l’essentiel de ces ruptures, économiques mais surtout sociales. A Benguel notamment, certaines femmes nobles, qui selon la coutume sont servies et non actives, acceptent mal de devoir travailler pour dégager des revenus propres. Même lorsque cette nécessité est acceptée voire désirée dans une logique d’autonomisation, d’une part la zone offre très peu d’opportunités aux femmes au-delà de quelques périmètres maraîchers dans les bas-fonds de Rharous, d’autre part les femmes disposent de très peu de capital productif. Au niveau familial et/ou social, de nombreux interviewés (femmes surtout) témoignent de cas d’exclusions familiales par conflits de succession, jalousies, négligence, refus de prise en charge d’autrui, etc. Sachant que de nombreuses femmes ont de fait le statut de chefs de ménages : mères célibataires ayant des enfants sans jamais s’être mariées (dont on dit aux étrangers que les maris sont absents), divorcées, veuves vivant avec leurs enfants. Certains ménages comptent les enfants des filles de la cheffe de ménage selon le même schéma familial hors mariage. Lorsque les femmes ne se sentent pas épiées par les hommes, elles parlent avec beaucoup d’aisance, et pour certaines l’entretien semble être leur première occasion échanger avec des enquêteurs. Le cadre du ménage semble relativement insécurisant pour certaines femmes, notamment parmi les plus pauvres. Certaines femmes subissent et/ou redoutent une rupture des liens familiaux voire matrimoniaux.

« Ce que je veux, c’est juste rester couchée, que même les repas, que des gens me fassent manger, alors que cela n’existe pas, c’est juste des imaginations. » F bénéf, Benguel

« Je ne suis pas concernée par le genre de champs dans lesquels on cultive le riz. Moi, je cultive les pastèques. » F non bénéf, Benguel

« Mon souci aujourd’hui, c’est d’avoir de quoi améliorer mon commerce, faire aussi un commerce de bétail, c'est-à-dire de l’embouche. Donc, avec ça, j’aurai vraiment un soutien dans la prise en charge du ménage. C'est-à-dire avoir quelque chose que je vends, avoir un bénéfice qui pourra me servir à quelque chose. Ou bien faire du négoce, acheter des animaux, revendre. » F bénéf, Benguel

« Je fais des vermicelles, mais je vends juste assez pour acheter des nattes. » F bénéf, Benguel « J’ai été mariée à l’âge de six ans, c’est la coutume de notre milieu, depuis cet âge je vis dans

la famille de mon mari » F leader, Benguel « Pourquoi c’est lui qui est le chef de ménage ? – C’est parce que c’est lui qui a construit le

ménage. Il a payé la dot, marié la femme et l’a faite venir, c’est ce qui fait de lui le chef de ménage. » F bénéf, Benguel

« Je m’occupe de la cuisine, l’eau, le balayage de la maison, l’entretien de la maison tout cela c’est moi, le linge également. Parce que c’est pour ça que je suis venue (me marier). – Est-ce qu’il y a des décisions que tu prends avant d’informer ton mari ? – Non, je n’ai jamais fait quelque chose sans l’informer, tout ce que je fais je lui demande d’abord. » F non bénéf, Rharous

« Il faut le dire que moi là, même parler comme cela, aujourd’hui c’est ma première fois. Parce que c’est pour la première fois que je vois quelqu’un qui me fait parler. » F bénéf, Benguel

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« Non, je ne prends aucune décision dans le campement, parce qu’aujourd’hui lui, mon mari est couché il ne peut pas aller chercher quelque chose, donc même si tu demandes quelque chose avec quelqu’un, il te dira qu’il ne l’a pas. Donc je me vois dans l’obligation de garder mon sang-froid. (…) je n’ai personne ici sur qui j’aie une responsabilité si ce n’est la petite fille là. Sinon les autres que tu voyais ici se disputer, ils ne considèrent personne. Parce que des fois quand je parle avec mes gens, ils ne me répondent même pas. » F bénéf, Rharous

« J’étais là-bas, après mes frères (même père mais pas même mère) ont créé un problème avec le vieux, la pire des choses c’est qu’ils m’ont laissée jusqu’à ce que j’ai construit une maison et ensuite ils m’ont fait déguerpir de force. Ils m’ont demandé de leur céder le terrain et je suis partie. Depuis que je suis venue ici, je suis en train de faire faire des briques pour chercher un abri sur ce terrain que mon petit frère m’a donné. C’est dans cette fatigue que je suis. Celui qui m’a donné le terrain est un frère maternel. » F bénéf, Rharous

« Je souhaite commander tout ce qui arrive à la maison, que tout ce que le mari possède soit dans mes mains. » F non bénéf, Benguel

« Mon mari a peut-être trois vaches et quelques chèvres. Mais moi personnellement je n’ai rien. (…) je vois qu’il amène du bourgou, je ne sais pas s’il l’achète ou non. - Donc tu ne sais pas si ton mari travaille ses champs ou bien il fait travailler avec des gens qu’il paye ? Non je ne sais pas. (…) (sur les partages entre époux) Parce que le mari quand il bénéficie (d’une aide) il veut que le tout soit pour les problèmes de la famille, alors que moi la femme, je veux qu’il m’en donne une partie pour mes besoins privés, comme des couchettes ou d’autres choses. Donc si c’est moi qui en bénéficie, il voudra que je lui en donne pour d’autres besoins et moi je ne serai pas d’accord. Parce que moi, mes ambitions se limitent à l’embellissement de la maison, les habits des enfants par contre lui son inquiétude, c’est notre nourriture. » F non bénéf, Benguel

Les femmes les moins insécurisées sont membres d’associations (tontines) qui constituent autant de réseaux de solidarité.

« Il y a une association qui s’appelle Tanmidhalt. Nous avons une tontine d’un dépôt de 1 000 francs par membre chaque samedi et chaque Lundi, nous partons faire du vermicelle pour un membre, jusqu’à faire le tour des membres. Nous sommes toutes des femmes. Ce à quoi ça me sert, c’est que le jour de mon tour de prendre l’argent, il servira à beaucoup de chose, car je fais plusieurs achats. Nous sommes au nombre de 20 personnes. La deuxième association c’est celle où on cotise 125 francs. » F non bénéf, Rharous

« Dans la tontine, bien-sûr, quand tu as des cérémonies de mariage, tu es aidée et aussi quand tu as des cérémonies de baptême. » F bénéf, Rharous

b. Les leaders et la gouvernance locale La zone de Rharous est le théâtre de conflits de pouvoir historiques entre Touaregs et Armas/Sonrais, catalysé par le pouvoir colonial. La structure actuelle des pouvoirs et la relation pouvoirs-administrés y sont différentes de celles de Benguel. A Rharous, la structure des pouvoirs est complexe, avec des leaders locaux en (re-)conquête du pouvoir et concurrentiels, au détriment de la gouvernance Certaines personnes parmi les non bénéficiaires, plus aisées, plus inscrites dans les collectifs, les responsabilités et pour certains proches des familles et/ou des personnes détentrices du pouvoir, ont une connaissance plus approfondie de la structure politique de leur communauté et notamment des différents types de pouvoirs et attributions. Pour les autres, la structure des pouvoirs se résume à des types : les groupes armés, le préfet, les élus (politiciens), le chef religieux et le chef séculaire. Les groupes armés sont parfois associés au retour de la paix.

« C’est grâce à ceux qui sont sur les dunes que nous sommes en sécurité. Les détenteurs du feu. » F bénéf, Rharous

Les représentants de l’Etat sont cités par majorité des citoyens (mais pas tous, et notamment pas par certains bénéficiaires) : le préfet surtout, le député. Leurs pouvoirs sont jugés affaiblis par la crise par

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rapport à ceux des leaders locaux, et sont perçus comme très distants des populations, les pouvoirs locaux étant plus associés à la vie politique, sociale, morale.

« Le commandant représente le président de la République ici dans le cercle. » H non bénéf, Rharous

« Le pouvoir du député, c’est qu’il représente sa localité au niveau de l’Assemblée Nationale. » F non bénéf, Rharous

« Le pouvoir du commandant a faibli, sinon avant quand on dit seulement que : c’est le commandant qui a dit, c’est fini. Chez le Maire aussi c’est augmenté. Chez le député aussi c’est augmenté, ainsi que chez le chef de village aussi parce que tout ce qui vient maintenant il y a son nom. » H non bénéf, Rharous

« C’est les gens politiques. Les gens du parti politique ont plus de pouvoir ici au village. Il y a aussi le commandant, l’imam et le chef du village. » H bénéf, Rharous

« Il y a A., après le commandant, les conseillers du village, parce que quand tu as un problème, c’est à eux que tu t’adresses. » F bénéf, Rharous

Le maire nouvellement élu de Rharous est un chef touareg de la fraction de Benguel, démographiquement majoritaire dans la commune. Il est membre du parti présidentiel (RPM) et a exercé deux mandats de député. Il n’est pas francophone et est rarement présent à Rharous, son premier adjoint administrant la commune. Pendant la campagne électorale, le maire a promis que la commune ne connaitrait pas de problème d’insécurité s’il était élu, et de fait il apparaît très lié aux groupes armés (territoire du GATIA). La commune n’a toujours pas de conseillers habilités, la dernière liste a été contestée avec un recours porté jusqu’à Bamako. Elle a été annulée pour la deuxième fois. Le maire sortant, frère du maire actuel, est à la fois le chef de tribu de Benguel (le terme tribu étant parfois utilisé en français pour désigner l’ensemble des différentes fractions ou « sous-fractions » du site, terminologie que nous avons reprise pour plus de clarté) et le chef local du mouvement armé Gatia et aurait également « ses entrées à Bamako, ce qui lui permet d’agir au plus haut niveau. » (leader, Rharous). Il tente de placer un conseiller mais son réseau clientéliste semble moins développé. Le maire fait l’objet d’une contestation quasi générale à Rharous. Il est associé au pouvoir des urnes, donc à une force de « masse » clientéliste, égale voire supérieure au pouvoir de l’Etat. Selon certaines rumeurs, il aurait profité de la situation d’insécurité pour se faire élire et aurait, avec son groupe armé, « bourré » les urnes, ce que d’autres leaders réaffirment avec force. Néanmoins la mairie, et donc la personne du maire, sont associées au développement du village (écoles, éclairage public), liées à son influence politique au niveau national.

« Le pouvoir du commandant et celui du parti politique, ce sont tous des pouvoirs, mais ils sont différents parce que le commandant est venu par papier alors que le pouvoir du parti majoritaire, c’est grâce à nous donc ce ne sont pas les mêmes, mais les gens politiques ont plus du pouvoir. Seuls les gens politiques peuvent contester le commandant après Dieu. » H bénéf, Rharous

« Les ampoules qu’ils ont mis dans toute la ville, c’est une bonne chose. » H non bénéf, Rharous

« Tous ceux qui sont là et qui, travaillent c’est lui leur chef. Ce qu’on sait des maires, se sont eux qui sont les responsables de leur zone, et tout ce qu’ils demandent de faire, ça se fait. L’ancien, S., Dieu merci, il a aidé, il a beaucoup fait aussi, il a fait des écoles, il aime les gens aussi. » F bénéf, Rharous

Le conseiller interviewé, chef de la fraction maure, fait état des dissensions et concurrences inter-ethniques au sein de la zone, de la mairie, et des modalités de violence et de tension dans lesquelles le jeu « démocratique » s’exerce localement.

« Moi, je ne suis pas dans les partis des Touaregs, j’ai fait 15 ans avec le monsieur que tu as vu, on n’a pas de relation avec les Touaregs, seulement moi et lui. Sinon tous les grands chefs des villages sont de leur côté par crainte. Nous sommes là avec le peu de la population, on était là jusqu’aux dernières élections de l’ADEMA. C’était le maire arabe mais, il a vécu aussi avec les Sonrhaïs et il était dominé par les Touaregs. On a fait plusieurs années de vote, on a échoué à la dernière élection, on a eu 7 conseillers. Chez nous, on n’a jamais eu de conseillers si ce n’est maintenant avec beaucoup de travail. Avec tout ça, on avait rien, par contre les Touaregs avaient

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des voitures, des motos, eux ils ont beaucoup d’argent. On a pris des conseillers et on est restés jusqu’au jour où le bureau communal a été mis en place. On a été complétés par 2 conseillers de l’ADEMA pour être 9 conseillers. On les embarquait à 1h00 dans la journée ici dans des voitures et c’était la saison chaude. Le jour même à 9h00 quand le commandant a voulu que le bureau soit mis en place, on est venus dans nos voitures. On a saisi la mairie et un ex-chef d’arrondissement, c’est un Touré handicapé, on a partagé le pouvoir. Et on exerçait ainsi nos pouvoirs jusqu'à l’occupation. On est rentrés après que l’occupation nous ait chassés. Maintenant, on voit que les Touaregs nous ont tout pris. Ils ont du pouvoir, leurs armes, l’Etat n’écoute qu’eux. Nous aussi, on s’est ralliés avec les Touaregs dans leur parti bien-sûr. On a laissé notre parti l’URD. Maintenant ils ont pris les gens de l’ADEMA. Mais je suis un homme, je n’ai pas peur des Touaregs car ils savent que je suis un Arabe et les Arabes, tout le monde se méfie d’eux. Maintenant on s’est ralliés, les Touaregs descendent chez moi. On dit que je suis avec eux aujourd’hui, mais il faut que mes camarades, avec qui j’ai fait 15 ans, soient au moins dans le bureau. » Chef de fraction Maure, conseiller communal, Rharous

Les conseillers de mairie sont relativement peu cités, leurs fonctions et actions peu connues, hormis par les personnes qui les connaissent personnellement et qui peuvent bénéficier de leur assistance.

« H. est une femme bien, c’est la 3ème

adjointe au maire, parce que moi là je suis une pauvre, il lui arrive des fois, à l’insu de tout de le monde, elle vient jusque moi ici pour me donner de l’argent. Mon garçon a fait l’école au sud, il a eu un diplôme, mais le diplôme a été égaré d’une manière, c’est grâce à Dieu, et grâce à H. que le diplôme a été récupéré, bon, des choses comme ça. » F bénéf, Rharous

« Y., Je ne le connais pas très bien, je ne connais comme ça seulement, sinon que nous avons même fait l’école ensemble, la 5

ème année. Il est à la mairie. J’aurais appris qu’il est le secrétaire

du monsieur d’avant là, le maire. Je ne sais pas ce qu’il fait » F bénéf, Rharous « Ce qu’il a fait, ce que depuis est conseiller, il n’a jamais mangé la part de quelqu’un, il est

comme un enfant, il marche avec ses pieds, ce vieux là que vous voyez, auprès de ses pauvres pour s’enquérir de leurs problèmes, c’est ce que je connais. C’est le chef du village d’abords après le maire le suit, mais en tout cas ce sont eux qui entendent sur tout ce qui se passe ici, avant cela ne s’applique, et après la décision revient à la mairie. » F bénéf, Rharous

Le chef de village de la ville de Rharous appartient au groupe « arma » et son pouvoir est héréditaire ; il a exercé comme vétérinaire. Il possède des attributs comparables aux chefs de Diré : entouré de conseillers et collégial, et notamment organisateur, pourvoyeur et redistributeur… Lorsqu’une délégation de Tombouctou ou de Bamako est en visite à Rharous, les familles cotisent parfois 200 000 francs CFA à la demande du chef du village pour organiser la réception et l’accueil. Il arrive que le chef avance cette somme avant de se faire rembourser progressivement par les habitants.

« Tout ce qui vient ici il est au courant, ça passe aussi par lui. Je sais seulement qu’il est chef, tous les projets qui viennent à Rharous, il faut qu’il soit au courant. C’est parce que les Armas sont les propriétaires d’ici, tout ce qui vient c’est eux. Son père a été le chef de village et après sa mort, c’est lui qui a pris la place de son père. Celui qui est chef, rien ne se passera dans une localité sans lui. » H bénéf, Rharous

« Oui, j’ai vu qu’à chaque distribution de don, il (le chef) donne à ses conseillers une part à lui. » H non bénéf, Rharous

Mis à part quelques personnes qui ont des liens personnels de proximité avec tel ou tel leader et qui peuvent notamment bénéficier d’une aide matérielle de leur part, les pouvoirs sont fréquemment contestés et envisagés comme arbitraires. Trois aspects de cette « privatisation » du pouvoir émergent notamment de la part des administrés : la prédation, le clientélisme et le déni de justice.

- La prédation, la captation des ressources (préfet, maire, chef de village) Quelle que soit la nature de leur pouvoir (Etat, urnes, légitimité coutumière), les leaders ont été personnellement mis à mal par la crise, surtout économiquement et surtout les chefs de communautés pastorales et nomades (très peu propriétaires terriens, perte du bétail, destruction

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des biens matériels, du capital, rupture des réseaux de commerce / d’affaires), d’où la nécessité de reconstituer le capital matériel nécessaire au clientélisme (capital propre, capital à redistribuer). Le pouvoir local ouvre sur la gestion du capital foncier (Etat, chef de village) et, entre autres, sur l’accès aux fonds représentés par l’assistance (représentants des communautés pauvres, pastorales déplacées surtout), sachant que pour certains, la captation de l’assistance se trouve entravée par les « nouvelles » règles des acteurs. Certains semblent ouvertement peu enclins à accepter ces règles.

« A l’époque, quand l’ONG Handicap donnait, elle pouvait prendre 20 ménages ou même 30 ménages dans la fraction. Moi, j’ai une fraction, je suis né ici. C’est en gros comme ça on faisait pour gagner nos vies. Même avec les transferts passés, j’ai eu 40 ménages bénéficiaires dans ma fraction et si c’était d’une manière correcte que les fonds venaient comme la première fois, comme la deuxième fois… mais c’était carrément la troisième fois où les données ont changé. Ils ont changé de système, il faut qu’ils prennent un commerçant et que toi, tu prennes avec ce dernier et en nature aussi au lieu du numéraire. Cette fois-ci, on n’a rien gagné. » H leader, Rharous

« Ca a été dit que ce commandant aussi a vendu des terrains du domaine de l’Etat à des civils. » H non bénéf, Rharous

« Actuellement les maires ne sont même pas aimés par les populations parce que tout ce qui vient ce sont eux qui détournent ça, tout ce qui vient pour les pauvres ce sont eux qui profitent quoi, il y a certains Rouges aussi qui ne l’aiment pas du tout, il manigance des choses pour faire disparaitre un peu. » H bénéf, Rharous

« Hé ! Nous ne connaissons aucun maire, il est maire pour lui-même. Car Handicap a bien fait, seulement les maires ont mis leurs mains dans Handicap pour tout mélanger, sinon Handicap, vous les jeunes, NRC, ainsi que les musulmans s’occupent de nous, ainsi que les commerçants avec lesquels nous nous arrangeons. Mais les maires, c’est autre chose ! » F bénéf, Rharous

« J’aurais appris qu’une fois il y a un agent du maire qui est allé voir le commandant confidentiellement ; ce n’est même pas celui-là, le partant pour lui dire qu’ils lui ont réservé une tonne de riz quelque part au cours de la distribution du don, donc d’envoyer quelqu’un la chercher ; immédiatement il a dit à l’intéressé, de leur dire de faire retourner tout le grain au magasin et de le distribuer aux pauvres que lui il n’est pas ici pour manger le bien des pauvres. Bon c’est une bonne chose et cela m’a vraiment plu, si tout le monde faisait ainsi ça serait une bonne chose. » H non bénéf, Rharous

« L’année passée la gendarmerie a saisi des dons destinées à la distribution, dans des magasins, cela ne pouvait pas se faire sans que le chef ne soit au courant. » H non bénéf, Rharous

« Avant la crise, c’est lui qui est chef, mais depuis que les dons-là ont commencés à venir, d’autres personnes en profitent, c’est pour cela que chacun veut être chef pour détourner ce qui est destinés aux pauvres. » F bénéf, Rharous

- Le clientélisme

Comme nous l’avons vu, les relations sociales, de pouvoir et économiques sont étroitement imbriquées, et le leadership d’associations, y compris féminines et non politiques, est envisagé comme un levier d’accès à une position personnelle privilégiée dans le cadre du développement local.

« Mon souhait est d’avoir quelque chose et de ne plus être pauvre. C’est-à-dire, avoir des vaches, des moutons, des chameaux, de l’argent, des boutiques, etc. Cela va me créer des nouvelles amitiés et de nouveaux parents qui n’ont jamais existé. Car c’est la richesse qui amène tout. L’être humain qui n’a pas des proches, ni des parents et si les gens ne voient rien avec lui, ils ne le choisissent jamais comme chef. (…) Je ne veux pas être leur supérieure, au contraire, je veux les aider et au retour ils vont me soutenir. » Présidente des femmes, Benguel

- Le déni de justice (avec des formes d’intimidation)

« Si tu pars voir le chef de village pour un problème tout de suite, il va te dire de voir la mairie. Le chef que tu vas voir pour un problème qui t’oppose à une personne, il ne fait que parler sans résoudre le problème. Il m’est arrivé d’aller le voir à deux reprises pour un problème me concernant, mais il a refusé d’aller examiner le problème dont je parlais. J’avais acheté un terrain avec quelqu’un ici, l’intéressé m’a coupé trois mètres, je suis allé le voir, pour trancher entre nous,

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il me renvoie soit à la gendarmerie, ou soit à la justice. Je suis allé le voir jusqu’à trois reprises mais avec tout cela il ne s’est pas déplacé venir voir. (…) Je t’ai dit qu’il m’a dit : gendarmerie, commandant, justice ! » H bénéf, Rharous

A Rharous, où le tissu de commerçants voire de grands commerçants aisés est plus développé, on cite ces derniers comme personnes ressources à même d’assister les pauvres. Dans cette logique, les commerçants ont été fréquemment cités spontanément parmi les détenteurs de pouvoirs au niveau local, bien que dans les faits, sans légitimité ou force politique, leur sphère d’influence se limite à celle des leaders auxquels ils peuvent être apparentés et/ou liés par des liens clientélistes. Il semble en effet que bon nombre de commerçants aisés soient issus des « grandes familles », avec une certaine collusion entre pouvoir et argent, ou plus largement entre pouvoir et « business ». On notera qu’à la différence de Diré, les leaders sont très peu cités spontanément comme un recours direct d’assistance, alors que dans les faits, ils semblent exercer cette fonction de redistribution et d’aide aux pauvres, aux proches… mais peut-être dans un cadre restreint et non à destination de l’ensemble de leur communauté. Pour les personnes sans réseau de proches et sans lien privilégié avec les « clans » constitués ou les personnes des leaders, l’assistance des ONG est citée comme la seule source de solidarité.

« Les puissants commerçants que nous avons vus ici à Rharous, que nous connaissons, c’est A. Ce sont eux qui nous arrangent à chaque fois que nous sommes dans le besoin. Tout ce que je leur demande, ils le font. D. (grand commerçant) n’a aucun pouvoir. La puissance qu’il a c’est qu’il a ses marchandises, lorsque tu viens le voir toi, une pauvre personne, il va t’arranger. Moi je dis d’ailleurs qu’il arrange plus les pauvres que les riches. Lui et A., vraiment ils font leur devoir de musulmans. Lorsque je viens te voir, par nécessité et que tu m’arranges mon problème, pour moi c’est comme un don que tu m’as fait. Et il ne m’a jamais harcelée quand il a un crédit avec moi. Ils font même crédit à ceux qui viennent d’ailleurs. Nous leur sommes vraiment reconnaissants de ce qu’ils font. Ils sont tous les mêmes. Moi je n’ai aucune reproche à leur faire, parce que si je vais chez B., il va m’arranger, Y. c’est la même chose et M. c’est plus encore parce que je représente une charge pour lui. Parce que chaque fois que mon grain est fini, je vais chez lui, je prends un sac pour nourrir mes enfants, jusqu’à ce que je puisse le rembourser. » F bénéf, Rharous

De ce fait, parmi les leaders, les imams apparaissent comme des recours privilégiés de règlement des contentieux et des conflits, du fait de leur capacité d’écoute et de leur rôle de médiation entre individus. Certaines personnes mentionnent par ailleurs un pouvoir magico-religieux des imams, comme à Diré (faire venir la pluie, écarter la maladie).

« Même tout de suite si j’ai des maux de tête, j’irai le voir pour lui dire de me faire des bénédictions pour que ces maux-là guérissent, si je savais faire ça je n’allais pas aller le voir, je le ferais pour moi-même. C’est Dieu et ses études qui lui ont donné son pouvoir. (…) au moment de la crise, lorsque les ennemis sont venus, c’est grâce à Dieu, grâce à lui et des gens comme lu i qui ont fait des bénédictions, c’est pour ça que cela n’a pas pris une autre ampleur. Ça, ça m’a beaucoup plu en lui et d’ailleurs là où il n’y pas d’Imam ce n’est même pas bon. » F bénéf, Rharous

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Portrait d’un leader communautaire de Rharous

Chef communautaire, adjoint au maire, inséré dans le politique, la société civile, l’associatif, l’humanitaire, le développement ; médiatisé ; chef de grande famille, de réseau, des ramifications nationales et internationales ; à fort pouvoir de captation de l’assistance.

« Je suis le chef de la communauté, officiellement et avec des pouvoirs de décision, je suis également conseiller communal. Je suis issu d’une grande famille de Tombouctou, tous les Arabes qui sont là-bas me parlent ; même les réunions qu’ils font dans le cercle de Taoudéni, je suis au courant. J’ai des parents à Gao, j’ai mes filles qui sont mariées là-bas. J’ai aussi mes frères avec lesquels nos pères sont même père et même mère, qui sont des patrons à Niamey, j’ai une maison que j’ai héritée de mon frère qui est mort et qui m’a laissé ses enfants. A Bamako également, j’ai beaucoup de famille et si je compte me déplacer avec des marchandises et que j’ai des difficultés, ils m’envoient des camions. Je te dis, le jour où on a quitté Rharous, le jour même de l’attaque de Gao, il y avait tous les Bambaras travailleurs, la santé, les commandants, ils sont tous partis. J’ai aussi des frères qui travaillent à Bamako, il y a des maisons qu’ils ont construites là-bas avec l’ONG américaine. Donc je suis un bras long. Je n’ai pas de biens, mais j’ai des hommes. (…) J’ai beaucoup de titres, je suis le président du comité de développement, je suis conseiller communal de la coopérative des éleveurs, et rien ne se fait sans moi. Tu me vois à la télé chaque fois si tu es à Bamako dans les magazines. Oui, et à chaque fois on m’envoie en mission et je dis tout ce que je sais. Et si tu as besoin de mon numéro, je peux te le donner aussi. Je suis le président d’une association des éleveurs, une coopérative dont je suis le président qui a le récépissé des éleveurs de Rharous, ensuite je suis président d’une association des chefs de village et fractions. Je suis aussi le président du Cscom central de Rharous. En fin je suis membre du comité des fractions. Oui je suis chef de ma fraction. (…) Je suis le vice-président du comité administratif du Cscom et président du comité de gestion. Voilà en gros, quelques détails. Je suis un conseiller communal. Si je veux une place, je l’occupe. On a fait 10 à 15 ans ensemble à l’URD avec le président actuel de ce parti politique. On est rentrés ensemble en 1964. C’est mon ami. La place à laquelle il est aujourd’hui, je peux dire que c’est grâce à moi. Je suis aussi le chef d’un site de réfugiés et ce site se trouve à 70km d’ici et moi-même, je suis réfugié. (…) Bon, on peut dire côté humanitaire ou côté médicament aussi. Je connais en plus des ONG qui viennent et qui financent. J’ai un intérêt et aussi un budget et c’est moi qui gère et je motive les agents, les femmes qui travaillent là-bas. Je gagne aussi avec certaines ONG qui me donnent des budgets forfaitaires. Et quand tu suis une formation, tu as ton per diem. Tu peux aussi de ce fait assister tes voisins plus pauvres. Je connais la zone et je sais réellement les gens qui en ont besoin. La communauté aussi, c’est ma fraction, mon ethnie. Quand je pars à la mairie, je parle sur l’intérêt de la mairie et de l’ensemble de la commune ainsi que des villageois et fractions. Je donne des idées, c’est pour ça, dans beaucoup d’émissions je passe à la télé car je sais ce que je dois dire. Je connais les choses ici et même quand l’affaire économique a envoyé un certain Touré qui est directeur du journal de l’affaire sociale avec un autre camarade du bureau du ministre, ils sont venus ici et les gens les ont accueillis. Je leur ai dit que voilà, je m’engage à les saluer. Je suis parti dans de nombreux sites à des centaines de kilomètre avec eux pour visiter. Voilà, c’est ça mon travail parce que j’ai des connaissances et pour ça quand tu vois un homme, il a ses plans et les gens l’aiment pour ça. J’ai fait aussi 8 ans à la mairie. (…) C’est l’embouche, mon activité principale. J’achète des animaux avec l’argent que je perçois, de l’aliment bétail aussi. Il y a des ONG qui nous fournissent aussi, elles nous en donnent et je fais manger mes animaux jusqu’à ce qu’ils grossissent et je les revends à 40 000 francs CFA. Voici ma principale activité. Parfois, je peux posséder 16 vaches, 20 vaches souvent, et quand les premières sont bien engraissées avec l’embouche, je les vends. J’en vends, d’autres restent. Oui, je peux acheter 20 ou 30 que je paie moins cher ou bien malades que je soigne. (…) Oui, quand il n’y a pas de projet, je vis de l’élevage et maintenant surtout que la vie est très dure, il n’y a pas d’électricité. Il te faut payer des panneaux, trop souvent il te faut payer aussi des groupes électrogènes, les téléphones également puisque les femmes en ont besoin, aussi les enfants ont besoin de motos pour aller à l’école. Tout ça, c’est des dépenses. Les médicaments, l’éducation, et j’en passe, il te faut prendre des enseignants pour l’encadrement des enfants à domicile sinon leur éducation sera ratée. »

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A Benguel, la structure des pouvoirs est plus simple et s’organise sous un angle coutumier, avec une prégnance du respect de la hiérarchie et des attributs de l’autorité, y compris la force et l’intimidation (« pouvoir de violence »). L’appartenance au Gatia est clairement affichée (les drapeaux et emblèmes du Gatia sont visibles sur le site). La présence d’hommes armés est discrète (check point). Pour autant, les groupes armés sont moins présents dans les discours et mis à (une certaine) distance. Les pouvoirs sont concentrés dans les mains du chef de tribu, qui s’appuie sur les chefs de fraction. Sachant que l’imamat et la chefferie peuvent être détenues par une même personne, à l’image de l’un des interviewés (cf. encadré ci-dessous).

« Il y a le chef de tribu de tout Benguel, après, A., il est chef de la fraction Ikorchatane, il y a les marabouts, il y a le chef des docteurs. » H bénéf Benguel

« Des nouveaux pouvoirs il y en a. Les propriétaires des armes. Mais c’est une autre force (…) La force aujourd’hui, c’est seulement ceux qui ont les armes. (les docteurs) aussi parce qu’ils sont surveillés par des armes. Toutes les personnes pauvres ont vues leur pouvoir affaibli. » H bénéf, Benguel

Le chef de tribu est détenteur du pouvoir formel héréditaire à Benguel. L’autorité de la famille des notables de Benguel leur a été conférée à travers des actes établis à l’époque coloniale. A une légitimité coutumière incontestable et incontestée (droit de naissance) semble s’ajouter une autorité relativement absolue, une forme de « toute puissance », qui se traduit par l’allégeance et la soumission des membres de la tribu. Le chef concentre les pouvoirs de décision, d’organisation (ou régulation) sociale, d’arbitrage des conflits, de développement local et de représentation communautaire auprès des ONG et ainsi de pourvoyeur en termes d’assistance. On notera qu’une partie de ses attributs positifs expriment l’absence de violence brutale (pouvoir « clément »).

« La personne que je connais, que je suis, je fais ce qu’il dit, je vais là où il me dit de partir, c’est lui aussi que je considère, c’est à lui aussi que j’ai fait obéissance, c’est seulement (chef de tribu). L’homme qui détient le pouvoir ici, c’est lui. La preuve en est que, tout de suite, s’il déménage d’ici, là tu l’as vu toi-même, le jour où il a quitté ici pour le Burkina, tout ce monde-là s’est dispersé et le jour où il est revenu aussi, tout le monde est revenu avec lui. Si tu es là aujourd’hui entrain de poser des questions, c’est parce qu’il est là, donc si on cherche un chef ce n’est que lui. Ce qu’il fait, c’est d’unir les gens, il ne les embête pas. Tu fais le tour de cette zone-là, tu ne verras jamais un pauvre qui te dira qu’il lui a retiré son bien ou l’a torturé, tu le trouveras toujours avec ces mêmes pauvres. Il leur veut du bien aussi, c’est ce qu’on appelle un chef. » H bénéf, Benguel

« Depuis que moi je suis né, j’ai trouvé que cette force là, ce pouvoir-là existe, maintenant je ne sais pas d’où il vient. En tout cas depuis que moi j’ai connu quelque chose c’est son père qui détenait le pouvoir, mais je ne sais pas comment il l’a eu. C’est qu’ici à Benguel, pour tout conflit, c’est lui qui est chargé de la réconciliation. S’il y a litige de terre ou de bien, c’est lui qui tranche. N’importe quel problème entre les gens, c’est lui qui a le dernier mot. Et il les réconcilie. Il a instauré la paix dans sa zone. Il ne tue pas les gens. – Oui j’ai vu les puits. Il nous a fait faire des pompes hydrauliques. Il nous a fait faire aussi une digue. » H bénéf, Benguel

Les nombreux chefs de fraction et imams sont supposés exercer une partie des attributions et fonctions du chef de tribu, sociale, politique pour les chefs/conseillers de fraction, religieuse pour les imams, sous son égide, avec des pouvoirs discrétionnaires Les populations semblent peu consultées.

« Les gens l’aiment. Il leur cherche des ONG, il collabore avec sa population par la patience. – Il cherche des ONG, et il est patient avec eux, il y a des gens qui se sont disputés, et c’est lui qui les a réconciliés. » H bénéf, Benguel

« C’est le chef de tribu qui renforce le pouvoir des chefs de fractions. Ils font tout, créer l’entente entre les gens et chercher à subvenir à leurs besoins. Il cherche des ONG pour la communauté et cherche l’aide au niveau de partenaires. Il n’a rien fait de nouveau récemment. Parce qu’il ne peut y avoir des nouveautés ici à part ce qui concerne les champs ou bien les ONG qui ne sont pas d’ailleurs arrivées chez nous dernièrement, malgré les efforts du chef. » H non bénéf, Benguel

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Certaines personnes citent les agents de santé comme détenteurs du pouvoir de guérir (pouvoir également associé à l’imam).

Portrait d’un leader communautaire de Benguel

Chef de fraction et imam, inséré dans le politique, la société civile, l’associatif, le développement ; à forte latitude d’autorité sur les collectifs qu’il préside/gère et de gestion « autonome » de leurs fonds.

« Moi personnellement, chez moi oui bien sûr la crise m’a touché. J’ai perdu mon petit frère avant-hier seulement. Nous avons perdus tous nos animaux. Benguel était grand, bien vrais que personne n’est mort ici, mais il y a eu beaucoup de dégâts, il y a eu du bétail qui est partit, d’autres ont perdus leurs parents, d’autre ont abandonné le village pour d’autres localités, les champs n’ont plus de semences. Rien n’a changé la cohésion entre la gens ici à Benguel, sauf qu’il y a des malfaiteurs qui viennent ; Ils enlèvent le bétail des gens, ils font du mal aux gens. (...) Je n’ai pas beaucoup d’hectares, je n’ai qu’un hectare seulement. Il y a une partie que je cultive, et l’autre c’est quelqu’un d’autre qui la cultive et à la récolte, nous partageons. Je l’ai partagé 0,50 ha/0,50 ha. (…) Je suis dans une association d’élevage, Anmittaf (qui veut dire solidarité). Je suis le président. Ce que cela me rapporte, toutes les décisions me reviennent. Ce à quoi cela m’a servi, c’est tout ce qui vient, ou qui va venir, serait adressé à moi d’abord en tant que président. Dans l’association s’il y a lieu de partir quelque part c’est moi, et s’il y a du bonheur aussi je le partagerai avec les membres, s’il y a des décisions à prendre aussi c’est moi. (…) Il y a une association que je partage avec les femmes. J’ai oublié le nom. Elles font du maraichage. Je suis aussi le président. C’est la même chose, ici aussi le tout dépend de moi, tout ce qui se passe c’est moi. (…) Je suis dans un parti, le RPM. Je suis un conseiller du parti. Ce que ça me rapporte c’est que je suis au milieu des hommes, tout ce que les hommes font ici, c’est avec moi. Il n’y a pas plus important que tout ce que font les hommes je suis avec eux. (…) Je suis dans l’association des religieux, celui des imams, IMAMA, c’est l’association des religieux, ainsi, que dans le syndicat des transporteurs fluviaux. Je suis le trésorier. – Qu’est-ce que cela vous a rapporté ? – Tout l’argent se trouve avec moi, et je gagne aussi tout ce que gagne un trésorier, j’arrange des gens aussi en cas de besoin. »

2.2.3. Bilan et réflexion sur la situation des communautés étudiées et confrontation aux représentations des acteurs nationaux a. Les caractéristiques des deux milieux résonnent largement avec les grands traits de la perception du nord Mali par les personnels des équipes nationales à Bamako. Face à la difficulté de schématiser un espace très étendu et mosaïque, le critère ethnique tend à prédominer dans les représentations, avec l’opposition de deux mondes relativement stéréotypés :

- Le monde sonrai : le fleuve, l’urbanité, une forme de modernité, de démocratie, des possibilités de contestation des leaders, plus proche de l’Occident et du Sud Mali. On associe au monde sonrai l’ouverture d’esprit, des formes avancées de démocratie, et l’émancipation des captifs/dépendants, aujourd’hui plutôt métayers.

- Le monde touareg : le désert, la ruralité, la tradition et la coutume inchangées, la centralisation du pouvoir communautaire dans un système d’organisation clanique voire féodal (clientélisme très affirmé), avec une oligarchie et des pouvoirs verticaux et autoritaires, l’enclavement et le repli géographique. On associe au monde touareg les rapports de force, des tensions entre groupes sociaux/fractions, la relation de dépendance des captifs voire des subsistances de l’esclavage.

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« D’abord on fait la part des choses. Quand on dit société du nord, c’est vraiment vaste, il y a la partie sédentaire. Il faut séparer la partie sédentaire, de la partie nomade, c’est deux dynamiques totalement différentes, on ne peut pas vraiment les prendre au même pied. » Acteur Bamako « Moi, je vois cette société du nord en deux groupes, le groupe des Touareg et le groupe des Sonrhaï. Les Sonrhaï qui sont fortement sédentaires dans les gros villages, les villages bien structurés. Et les Touaregs de l’autre côté avec les histoires de fraction. Evidement même dans les grandes villes, on a aujourd’hui un groupe de Touareg qui est là, qui sont essentiellement des Bellahs, qui sont dans les villes, par exemple à Diré. Ils sont quand même nombreux… » Acteur Bamako

b. La qualification du contexte comme « post-crise » apparaît optimiste et peu à même de prendre en compte certaines réalités prégnantes, surtout en milieu pastoral. Les populations expriment des besoins et des attentes similaires en termes matériels, sociaux et politiques. Chacun aspire à la paix sociale et à un vivre-ensemble (la sécurité, l’intégration dans les collectifs, la reconnaissance de soi, de l’autre). Ces aspirations s’inscrivent toutefois dans des rapports sociaux inégalitaires selon le statut socioéconomique, familial et individuel. Les valeurs dominantes s’inscrivent dans un concept social exprimé comme « honneur et grandeur ». Il convient à chacun de tenir son rang, incluant des droits et devoirs parfois précis selon l’âge, la génération, le statut et la « qualité » sociale… Certains standards de confort matériel de vie se sont diffusés : satisfaction et bien-être alimentaire, biens d’équipement du foyer (ustensiles de cuisine, télé, réfrigérateur, literie, moto, beaux vêtements…). L’aisance économique participe à la fois du statut social (riche = respectable, fort, puissant, influent) et la propriété marque, dans des relations de solidarité souvent clientélistes, la différence entre les « détenteurs » et les « demandeurs », ces derniers étant dépendants, redevables, voire subordonnés, avec une connotation morale (irresponsables, fainéants, moins honnêtes).

« L’honneur, le respect, la sociabilité, tout ça c’est quelque chose. » F leader, Rharous

Mais les situations des deux communautés par rapport à la crise climatique et politico-sécuritaire sont très contrastées. Les villages étudiés à Diré sont engagés dans des dynamiques post-crise, mais, l’ampleur de cette dernière y a été exceptionnellement faible par rapport au nord en général, et au cercle de Rharous pour ce qui concerne l’étude (permanence des structures familiales, communautaires, des pouvoirs et des moyens de production agricoles dans la premier cas, déstabilisation, dégradation voire disparition dans le second). Les contextes économique, social et politique dans lesquels les communautés de Gourma-Rharous évoluent à date de l’étude ne remplissent pas les conditions nécessaires à la réalisation des aspirations. De façon symptomatique, une majorité conditionne sa survie à l’assistance extérieure, notamment l’action des ONG. c. Les flux de solidarité internes aux communautés sont très conséquents mais très variables selon les ménages, et à prendre en compte lors de la définition et de l’identification des cibles (très pauvres vs. pauvres). Le besoin de mobilité est historique et antérieur à la crise. Les familles et les réseaux sont très étendus et dispersés. Ces réseaux ont plusieurs vocations : économique (plus grande pour les pasteurs et les commerçants, mais également pour les agriculteurs, dont les champs sont souvent situés à grande distance des lieux d’habitation), sociale, accès à la santé, à l’eau, à l’éducation et à la justice le cas échéant. De nombreux cas observés de redistribution, partage et usages mêmes des transferts monétaires illustrent ces relations complexes parfois non prises en compte lors du ciblage. Globalement, les flux peuvent être schématisés en trois types :

- L’aide « extérieure » : des transferts et/ou dépenses prises en charge par les migrants, parfois assez importantes (aide ponctuelle, voyages, prise en charge lors des déplacements ; cérémonies, etc.)

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- L’aide « horizontale » : solidarité au sein des « classes » d’individus, parents, amis, confrères, membres d’associations, femmes, soit par nécessité et demandée, soit spontanée.

- L’aide « verticale » : a priori « descendante », impliquant la notion de jigi en bambara (le soutien, l’espoir, soit la personne qui aide de façon régulière), liée à la nécessité de tenir son rang, parfois « ascendante » (aide au chef, à l’imam).

Ces flux sont très difficiles à estimer, y compris lors des enquêtes ménages, vu leur multiplicité, les différences de montants, de fréquences et de régularité. Néanmoins, certaines personnes, y compris parmi des bénéficiaires, sont ou semblent soutenues par des aides extérieures.

« On ne se gêne pas pour dire à notre frère qu’aujourd’hui on n’a rien, surtout dans notre ethnie. » H leader, Bourem

« Je participe à un collectif, quand je rencontre des difficultés je demande un prêt de 50 000 FCFA auprès de la caisse du collectif avec quoi acheté du riz et survenir aux autres besoins ; après pour le remboursement du prêt, c’est le frère de mon mari qui est au sud qui envoie de l’argent en plus des bénéfices de mon commerce pour avoir les 50 000 F cfa. » F bénéf, Bourem

d. Les acteurs mobilisent une vision de l’unité ménage (l’unité bénéficiaire) qui ne prend pas en compte les réalités familiales et sociales de la zone. L’unité ménage est extrêmement polymorphe et difficile à modéliser. De nombreux ménages vivent en unités familiales, dont la structure et l’organisation peuvent être complexes, et échappent apparemment souvent aux enquêtes par questionnaires, y compris celles mises en œuvre par les programmes d’assistance. Ces unités peuvent être de deux types. Celles pouvant être qualifiées de « patriarcales » rassemblent le ménage d’un patriarche (ou d’une matriarche) et un ou plusieurs ménages de descendants et/ou collatéraux : fils et neveux mariés, filles ou nièces mariées mais vivant avec leur propre famille et non dans la famille de leur mari, voire les ménages de dépendants. Celles pouvant être qualifiées de « fratries » rassemblent des ménages de frères, avec leurs descendants respectifs le cas échéant. Au sein de notre échantillon, ces unités comptent souvent de 2 à 4 ménages et jusqu’à 16 ménages (ex. chef de fraction, Rharous). Elles peuvent de plus inclure ou rester en liens très étroits avec des migrants économiques (frères, fils, etc.). Cette organisation inclut des hiérarchies et des inégalités socioéconomiques internes (ex. une épouse de frère aîné qui se considère comme supérieure à ses belles-sœurs ; détention du patrimoine économique et du pouvoir de décision par le père), qui s’accompagne de tensions et conflits intrafamiliaux assez fréquents et parfois très durs, à Rharous surtout.

« Chez moi il y a une seule femme et huit enfants. Nous, nous ne sommes pas comme les gens de la ville qui notent la date de naissance de l’enfant, nous ne faisons qu’estimer, mais je pense que l’aîné doit avoir au moins 30 ans. Ici j’ai des ménages qui m’entourent. Il y a mon ménage et deux autres qui sont à ma charge, donc en tout 3 ménages. Le premier ménage est constitué d’une femme et ses quatre enfants, dont le mari est parti en exode pour chercher de quoi survivre, l’autre est une veuve malade mentale, elle a 3 enfants. » H leader touareg, Benguel

En elle-même, l’unité « ménage nucléaire » (cible théorique des transferts monétaires, non documentée de façon systématique au niveau des données du suivi-évaluation) peut être relativement complexe. Au-delà de la polygamie et du veuvage, elle est marquée par des cas de divorce, de remariage, de mariages « fonctionnels » (lévirat, mariage d’une sœur cadette avec le mari de sa sœur décédée). La garde des enfants issus de ces différentes unions est potentiellement partagée par plusieurs unités. A cela s’ajoute la mobilité des enfants, voire le « don d’enfants » (ex. fille « prêtée » à une jeune mariée pour l’assister, enfants gardés par une grand-mère âgée…). Un ménage apparemment nucléaire peut ainsi être constitué de plusieurs sous-unités difficiles à cerner, avec des relations potentiellement conflictuelles voire concurrentielles (cf. le concept de rivalité entre enfants de même mère mais pas de même père).

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Enfin, dans son fonctionnement interne : les relations entre conjoints (bénéficiaires nominaux des transferts monétaires) sont régies par la subordination de l’épouse, néanmoins avec des droits respectifs (à la propriété foncière, de l’habitat et de biens économiques par l’épouse, obligation pour le mari de pourvoir à l’alimentation du ménage). Notre échantillon compte des ménages avec différents niveaux d’entente et de solidarité entre époux : tantôt entente et partage, tantôt relations marquées par une certaine indifférence (ex. certaines femmes ne sont pratiquement pas au fait des activités de leurs époux), tantôt des relations tendues et de pressions avec des craintes de rupture de la part des épouses.

« J'ai une coépouse. Je suis la première. Je suis avec mon mari, j’ai cinq enfants. Avant nous préparions un repas commun avec ma coépouse, mais tel n'est plus le cas. C'est juste dû au fait que les femmes ne s'entendent pas, ce n'est pas dû à la crise. » F bénéf, Bourem

e. Les leaders coutumiers sont incontournables, pour autant les conseillers « techniques » sont des interlocuteurs à davantage mobiliser, peut-être plus que des « représentants » de fait très liés aux intérêts des chefferies. La chefferie héréditaire est le pouvoir emblématique de la zone. La présence des leaders (le retour des chefs de fraction ou de tribu en milieu pastoral à Rharous par exemple, ou le retour des représentants de l’Etat pour certains) fonctionne comme marqueur de la stabilité sociale. L’appartenance familiale et le droit de naissance sont nécessaires pour occuper les fonctions de pouvoir, y compris de maire, de conseiller, de présidente des femmes (issues des familles de chefferie ou de grandes familles dans les 4 villages) voire des jeunes. Ils procurent la respectabilité, l’autorité formelle et symbolique des chefferies et « grandes familles ». Ces fonctions confèrent aux chefs des vertus de sagesse, de patience, de rigueur, d’impartialité, de magnanimité et de générosité… au global les termes d’une bienveillance active, bien que ces attributs prennent des valeurs très différentes dans les deux milieux. Globalement, l’administration des leaders communautaires se partage en quatre domaines :

- L’organisation de la vie économique et sociale communautaire (l’organisation d’assemblées, l’allocation des terres, la gestion des périmètres, les associations coutumières, les travaux des jeunes, le cas échéant la sécurité).

- La justice/le règlement des contentieux et des conflits (en recours direct ou le plus souvent après médiation familiale), tantôt par consensus (ex. conflits entre époux), tantôt par décision (ex. droit d’héritage).

- La représentation des quartiers et/ou des groupes sociaux au sein du village, du village au sein de la commune, de la commune au sein du cercle. Cette représentation est perçue comme une nécessité de principe (être reconnu, présent dans les discussions, être informé), mais également comme une nécessité pour bénéficier des opportunités de « l’extérieur », y compris les services publics de techniques de l’Etat… et en l’état des TM. Nous avons vu que les représentants des femmes et des jeunes sont le plus souvent apparentés à la chefferie et personnellement proches des détenteurs du pouvoir.

- La générosité, être « provider »/redistributeur. Et notamment à Rharous, l’argent est assez indissociable du pouvoir (avec un clientélisme plus affirmé).

Les qualités morales et sociales des chefs coutumiers s’avèrent insuffisantes car la vie publique moderne exige des compétences qui excèdent le simple droit de naissance et ne permettent pas aux leaders les plus traditionnels, souvent peu instruits voire peu ouverts sur l’extérieur, d’exercer seuls leurs fonctions. L’action de techniciens que sont aujourd’hui certains conseillers de village et de mairie est incontournable. Dans les quatre villages étudiés, certains conseillers se sont avérés très informés sur le système de santé, l’histoire, les règlementations, etc., et engagés dans des réflexions, des tentatives de compréhension (des dispositifs des transferts monétaires entre autres). Ces entretiens ont toujours été les plus informatifs pour une vue d’ensemble des communautés, ce qui

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traduit à la fois les compétences des interlocuteurs, mais également leur capacité à communiquer, transmettre, expliquer.

« J’appelle les conseillers pour prendre des dispositions parce que moi seul je ne peux pas tout gérer dans le village. Les conseillers, tout ce qui est problème, ils peuvent trancher. » Chef de village, Soudoubé

f. Le jeu démocratique moderne (élections communales et pouvoir des élus des collectivités) renforce les pouvoirs coutumiers déjà puissants et ne favorise pas la représentation des minorités et/ou des plus pauvres. L’adhésion aux partis relève assez largement du clientélisme. La vie politicienne semble très liée aux périodes électorales, et un parti peut-être, outre des liens avec des niveaux supérieurs de pouvoirs, une « bannière » de représentation de certains groupes. Les règles de la démocratie (droit de vote, démographie) ne favorisent pas les plus petits villages/fractions, surtout lorsque plusieurs partis s’opposent, ce qui tend à renforcer les chefferies des chefs-lieux/gros bourgs. Les mécanismes politiques échappent largement à la partie de la population la moins proche des leaders, des débats et des enjeux : femmes et/ou pauvres surtout. Certains bénéficiaires sont très peu informés sur les mécanismes de pouvoirs liés à l’Etat et aux collectivités territoriales, et s’inscrivent plus dans les relations coutumières, normatives et conformistes. De façon significative, certains d’entre eux, à Bourem, citent et décrivent le chef de village en omettant sa fonction de maire. De façon similaire aux chefferies, les questions municipales sont souvent gérées par des conseillers techniques et non par les têtes de listes.

« Je n’ai pas d’avantage à être membre de l’URD mais j’ai un ami intime qui est le chef de village de Tindirma, c’est à cause de lui que je suis à l’URD. Là où il est, moi je suis. Si demain il quitte je quitte aussi. Sinon je n’y ai pas d’autre avantage. » Conseiller, Soudoubé

« Je suis le secrétaire général de la sous-section après je suis le secrétaire politique de section RPM de Diré. Je ne vois vraiment pas de contraintes, ce sont des gens qui m’ont choisi. J’ai accepté le poste comme ça. Mais personnellement je ne suis pas très actif en tant que secrétaire politique, toutes les activités je les laisse à mon secrétaire adjoint. Je suis vraiment très occupé. » Maire-chef de Bourem

« On n’a pas pu obtenir le nombre de voix qu’il faut pour avoir un conseiller, parce que le village ne compte que deux cent cinquante votants et pour être conseiller il faut avoir cent cinquante personnes. Avant les élections, il y a eu de nouveaux partis qui sont venus ici, quatre partis plus l’URD, donc les suffrages de deux cent cinquante personnes se sont répartis entre les différents partis, le nôtre a eu quatre-vingt-deux voix et une liste d’alliance a eu quarante-huit voix, l’ADEMA treize voix, c’est ça qui nous a empêché d’être au conseil communal. » Conseiller village, Soudoubé

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2.3. Perception et impact des transferts monétaires 2.3.1. Focus sur le cercle de Diré : villages de Bourem et de Soudoubé 2.3.1.1. Perception et acceptance des mécanismes de ciblage des programmes de transferts monétaires La majorité des populations, y compris les leaders « mineurs » (présidents des jeunes, présidentes des femmes, certains conseillers) sont très mal informés des processus et des conditions de ciblage, des listes de bénéficiaires (beaucoup apprennent qu’ils sont bénéficiaires lors de l’annonce de la première distribution) et des modalités des transferts (y compris la durée pour certains). De ce fait, les questions relatives à la mise en œuvre des programmes de transferts monétaires et entre autres aux processus de ciblage sont essentiellement maîtrisées et gérées au niveau des chefs et des conseillers « techniciens » dédiés aux différents volets du processus. Le principe de ciblage est jugé acceptable vu que l’aide est insuffisante pour tous, et que des inégalités existent.

« Même à l’intérieur d’un poulailler, tu verras que certains ont plus que d’autres. » Homme leader, Soudoubé

Néanmoins, le ciblage pose problème dans ses aspects pratiques et certains points de méthodologie sont questionnés. Le processus est jugé trop long pour une intervention d’urgence.

« Ça fait plus de trois fois qu’ils sont passés. Je dis que c’est pour un problème d’urgence. Vous faites quatre mois d’enquête, c’est trop. » Homme leader, Bourem

Le principe de quotas pose problème, car il oblige les communautés à opérer des choix jugés injustes, voire arbitraires (nombre de ménages non sélectionnés n’étant pas perçus comme moins nécessiteux que certains sélectionnés).

« Quand vous prenez Bourem, je ne crois même pas qu’il y ait 10% de la population qui ait reçu l’argent. Donc même si on parvient à déterminer les démunis, si tous les plus démunis n’ont pas reçu cet argent ça crée des frustrations. Parce que les gens ne comprennent pas comment telle personne peut recevoir et moi je ne reçois pas. Et ça se sent même dans les familles. Parce que les gens se disent qu’ils se trouvent dans la même situation, comment Untel reçoit de l’argent et nous non ? Je reçois les plaintes tous les jours après les distributions. Ce n’est pas que parce que l’autre a eu mais parce qu’ils n’ont pas été choisis. Mais on leur dit qu’il fallait un tel nombre de personne qu’on ne peut pas dépasser. C’est selon les critères puisque lui, il tombe dans ces critères. C’est-à-dire les personnes qui entrent dans les critères de choix sont de très loin plus nombreuses que personnes qui sont prises en charge. Quels que soient les critères il y a des gens qui seront restés parce que je crois le nombre c’était 58 personnes. Non, le ciblage en réalité, nous on leur a toujours dit que ce n’est pas nous qui faisons le ciblage, c’est l’ONG qui a fait le ciblage. » Maire-chef, Bourem

Les exemples restitués montrent une réelle implication de bon nombre de leaders en temps de réflexion, d’organisation et de mise en œuvre. Cette implication s’accompagne de potentielles manipulations. Pour autant, le contrôle de la population sur les choix opérés par les leaders peut être effectif lorsqu’elle est informée, formée et mobilisée ; dans ce cas, l’AG fonctionne comme contrepouvoir en dénonçant les inclusions. Des inclusions peuvent faire l’objet d’un consensus lorsqu’il s’agit de personnes nanties dont le rôle de redistributeurs est reconnu par tous.

« On a même géré des cas au moment de la sélection même. (…) Même les conseillers qui sont là-bas disent que c’est la raison pour laquelle ils sont tous d’accord pour que son nom soit sur la liste parce que c’est quelqu’un qui prend en charge toutes les familles qui sont autour de lui. » H leader, Bourem

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« Quand on y est allés, le maire et moi on a été là-bas, on a dit vraiment de remplacer la personne, parce que tout le monde sait que la personne est nantie dans le village. Mais pour le chef du village c’est quelqu’un qui a plusieurs pauvres à côté de lui, s’il arrive à avoir cet argent il le distribuera entre ces gens. » H leader, Bourem

Le ciblage en deux phases, communautaire en AG puis validation suite aux visites à domicile, est contesté par les leaders à trois niveaux :

- Les VAD sont vécues comme une remise en cause publique des choix opérés en AG et notamment des listes validées par les conseillers, les chefs, les maires, sur deux registres : la pertinence même du choix communautaire et du temps passé (inutilité de la première phase), et les compétences et toutes les « vertus » des leaders : jugement, sagesse, expertise de leurs milieux, rigueur, etc. Soit au final une mise à mal des principes fondamentaux du leadership communautaire ;

- Les leaders eux-mêmes dénoncent les biais de manipulation de méthodes d’enquête par questionnaire auprès des ménages, les enquêtés dissimulant les biens productifs compris comme discriminants du point de vue de la classification économique, soit au final un faible degré de fiabilité ;

- Enfin, le principe double de sélection à la fois par quotas et par critères est peu compris, les quotas exigeant une sélection relative, comparative, les critères exigeant une sélection catégorielle. Soit au final une approche méthodologique peu cohérente.

« Le jour où ils ont établi la liste, ils ont fait le choix eux-mêmes selon les critères. Ils sont passés dans les ménages pour demander. Les gens ne sont pas bêtes, quand tu dis que tu exploites ½ ha tu es exclu, tu as une moto tu es exclu, ou que tu as deux bœufs, tu es exclu. C’est la personne-même qui se fait exclure dès qu’elle dit qu’elle a ça. Moi j’ai un cousin qui a une vieille moto, réellement il doit faire partie des vulnérables. On a dit qu’il a une moto, on l’a exclu. (…) Les gens qui sont à côté de lui et qui ont des motos et qui ne l’ont pas dit, reçoivent l’argent. » Homme leader, Bourem

« Ceux à qui on donne c’est des gens pauvres, sinon ceux qui peuvent subvenir à leurs besoins, ils n’en font pas partie, mais ce n’est pas tous les vulnérables qu’on a pris. » Présidente des femmes et conseillère mairie, Bourem

Le ciblage des femmes est emblématique de cette flexibilité et acceptance. Le fait de cibler des femmes est assez bien accepté du fait de la composante féminine de la pauvreté et de raisons pratiques liées à l’organisation du ménage. Néanmoins, le ciblage de femmes s’inscrit dans la remise en cause des hiérarchies traditionnelles ; il suscite ainsi des réticences de la part des leaders « conservateurs », et des plaidoyers de la part des leaders féminins.

« Quand c’est l’homme et la femme il vaut quand même prendre l’homme pour ne pas te créer des problèmes. » H leader, Bourem

« Il faut qu’on donne plus aux femmes qu’aux hommes parce que ce qui est en train de se faire actuellement, les bénéficiaires hommes sont plus nombreux que les femmes, or toutes les dépenses de la famille et l’entretien des enfants, c’est la femme, ça c’est un cri de cœur que j’envoie à l’endroit de Solidarités. » F leader, Bourem

Les résultats du ciblage suscitent de nombreux litiges au sein des villages, soit au niveau de jalousies, soit en termes de reproches aux membres des comités de ciblage et leaders impliqués. D’autant que la situation de certains ménages échappe aux comités.

« Le village de Bourem c’est presque une seule famille. Donc si ton voisin on le prend comme vulnérable, c’est ton parent même, c’est ta cousine ou bien c’est ta sœur. Personne ne peut dire qu’il n’est pas satisfait de cet argent mais c’est le fait de limiter les gens qui pose problème. Si on essaye de faire la part des choses, si on a 150 bénéficiaires dans le cercle de Bourem, tu peux trouver qu’il y a plus de 200 vulnérables. Ceux qui sont exclus, comme c’est la politique maintenant, ils risquent de te dire que tu as choisi ton propre parent et que tu les as laissés, ou bien parce c’est parce qu’il a fait ça, que vous êtes parents etc. que tu l’as choisi par rapport à

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moi. Tu sais la première fois qu’on a fait les enquêtes, j’ai eu tellement à défendre ça. » Conseiller village, Bourem

« En fait ça a créé des jalousies envers le comité de ciblage même. C’est des effets négatifs, il y en a même qui ont demandé de ne plus les mettre dans le bureau, de ne plus faire partie du comité de ciblage. Il y a un qui a le problème avec un de ses cousins. On sait que c’est lui qui n’a pas voulu qu’il soit ciblé. Ils se sont disputés, celui qui était dans le comité de ciblage était revenu frustré, il a dit qu’il n’en fera plus partie. » Maire-chef, Bourem

Au final, les modalités de l’aide sont parfois critiquées par les leaders (mais peut-être à cause de la méthodologie), qui expriment un certain malaise et préféreraient des listes établies par les ONG, avec un élargissement du nombre des bénéficiaires, quitte à diminuer les montants par ménage.

« Nous on se dit que même s’il faut un peu diminuer les montants et augmenter le nombre des familles, c’est bon. Oui ça peut résoudre le problème. » Maire-chef, Bourem

« Nous voulons que le programme lui-même choisisse les bénéficiaires c’est mieux. Parce que, quelqu’un qui ne va pas bénéficier, croira que c’est le chef de village et les conseillers qui sont responsable de ça. » Chef de village, Soudoubé

2.3.1.2. Les montants des fonds reçus lors des distributions sont conformes à ce qui est prévu par le programme Les bénéficiaires comme leurs conjoints, hommes ou femmes, déclarent avoir reçu trois versements dont les montants respectifs peuvent différer mais dont le montant total s’établit à 110 000 ou 120 000 francs, ce qui semble indiquer une relativement bonne gouvernance des distributions. 2.3.1.3. Usages des transferts monétaires Nous aborderons les usages des transferts à quatre niveaux : les redistributions, le partage entre époux, les usages des fonds et les bénéfices (ou impacts) de ces usages. a. Les redistributions : l’argent partagé hors ménage Les redistributions sont presque systématiques, y compris de la part de conjoints ayant reçu de leur époux(se), et pour les bénéficiaires directs, très souvent décidées et/ou effectuées avant de rentrer chez soi (de fait, le premier usage). Le fait de redistribuer n’est pas perçu ou vécu comme une obligation, mais comme une pratique sociale, engagée par les valeurs morales de solidarité et de vivre-ensemble. Les types de redistribution identifiés sont très variés, selon le degré de volonté, les montants et le « destinataire », des plus spontanées, volontaires et valorisantes (le prestige, tenir son rang), aux plus « socialement normales » et horizontales (partage entre voisins), aux plus subies, « forcées » voire « sous pression ». Les redistributions positives sont majoritairement engagées par devoir-être social, dans un esprit de solidarité et de réciprocité. Certaines d’entre elles s’inscrivent dans une forme d’investissement social, où l’attente de réciprocité prime potentiellement sur la spontanéité.

« La dernière tranche que j'ai touchée, les trente mille, moi j'étais à Bamako, j’ai ordonné de donner cinq mille à chacun de mes deux voisins, deux mille à la veuve de mon frère, mille francs à la femme de mon frère qui est à Bamako et cinq-cents francs à mes deux neveux qui sont là, et les quinze mille qui restent, de les donner à ma femme comme prix de condiment. (…) C'est des considérations sociales, eux aussi quand ils vont trouver, ils vont me donner, ils ne sont pas dans le programme et moi je suis dans le programme, ils ont entendu que j'ai eu de l'argent et je suis obligé de leur donner, eux aussi si ils gagnent ils vont nous donner, c'est notre principe de vie. » H bénéf, Bourem

« Ça renforce notre relation. J'ai assisté nos frères, nos voisins. Certains deux mille francs, cinq-cents, mille ou mille cinq-cents francs. Quand tu trouves quelque chose il faut penser à ton voisin.

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Avant l'arrivée même du fonds nous étions comme ça et quand l'argent est venu aussi, ça continue ainsi. » F épouse de bénéf, Bourem

Dans le village de Soudoubé, le chef de village et l’imam reconnaissent recevoir des dons de la part des bénéficiaires, qui s’inscrivent dans un cadre de proximité aux leaders, et notamment de la solidarité « verticale » de ce groupe très homogène, où la reconnaissance du pouvoir des leaders, eux-mêmes relativement démunis, s’accompagne de leur prise en charge par la communauté. Au sein des UP « multi-ménages », où les ressources sont pour tout ou partie mutualisées, la redistribution entre ménages de la grande famille, aux ménages des frères décédés ou absents (prise en charge indirecte) revêt une forme d’obligation morale car liée aux liens familiaux, même si ces liens sont « hors cadre » de la définition/attribution par les TM.

« Mon frère a une fois bénéficié du fonds, et il a partagé entre nous. Chacun a eu sa part à parts égales. Il a eu quarante mille francs et chaque ménage a eu dix mille francs, le père et nous les trois fils » H, leader, Bourem

« Et, pour les femmes de tes frères ? – Si je suis là, tous les petits besoins de leurs ménages, c'est moi qui m'occupe de ça, si je ne suis pas là et que j'ai eu de l'argent, je vais leur donner pour leurs petits besoins, c'est la même chose pour les neveux aussi. » H bénéf, Soudoubé

Enfin, certaines formes de redistributions sont plus subies, « forcées » ou « sous pression », cf. le cas d’une femme divorcée qui, d’après un leader, reverse l’intégralité à son mari, qui a la charge des enfants. Dans le village de Soudoubé de façon avérée, et potentiellement à Bourem (vu le différentiel faible mais récurrent des fonds reçus par rapport à l’attendu), une partie est reversée au « conseiller/agent » distributeur. Au final, il est extrêmement difficile d’évaluer la part des redistributions sur les fonds reçus en qualitatif. En revanche, il semble que le principal du montant des redistributions soit engagé de façon volontaire et positivement vécue, au service de la solidarité et de la cohésion, et non « subi » ou « détourné ». b. Le partage entre époux Le partage des fonds reçus lors des transferts avec son époux/épouse est presque systématique. La majorité des bénéficiaires partagent une partie des fonds reçus avec leur conjoint, hommes comme femmes, sans discrimination avérée des femmes au profit des hommes. Les montants partagés sont très variables, mais apparemment relativement équilibrés. Le partage peut concerner la totalité des fonds reçus en cas de besoin spécifique coïncidant avec la distribution (ex. Tabaski). Les conjoints qui ne partagent pas ou que très peu, hommes comme femmes, sont ainsi minoritaires. Ce partage est opéré dans le cadre d’une gestion « ménage » plutôt concertée ou raisonnée des fonds. Par ailleurs, on note une large autonomie des femmes quant à l’usage des fonds qu’elles reçoivent.

« La première tranche, j'ai reçu cinq mille francs de ma femme. C'est elle-même qui me l'a donné, je n'ai pas demandé. La deuxième tranche, elle m'a donné dix mille francs. Elle a eu quarante mille francs mais elle m'a donné dix mille francs. » H époux de bénéf, Bourem

« Bien sûr que j'ai donné à madame, parce qu'on a mangé ensemble. J'ai donné mille francs à madame pour acheter la paille pour confectionner les nattes pour les cases. Elle était contente en recevant les mille francs et avait même fait des bénédictions à l'ONG Solidarités. » H bénéf, Soudoubé

Certains hommes expriment un bénéfice personnel lié au fait que leurs épouses soit bénéficiaire directe (nominale) des transferts : au-delà d’une certaine remise en cause des liens de subordination, ils reconnaissent être dégagés de certaines charges familiales… dans ce cas, l’absence ou la faiblesse de partage entre époux s’accompagne néanmoins d’un « gain » pour le mari.

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« Ces fonds ont renforcé mes revenus. Parce que avant ces fonds je me débrouillais pour faire certaines activités pour subvenir aux besoins de ma femme, mais depuis l'arrivée de ces fonds ma femme parvient à satisfaire ses besoins. Donc ce que je gagne je le consacre à autre chose. Tout ce qui concerne les ustensiles, les nattes… c'est moi qui prenais ça en charge mais depuis que ces fonds sont arrivés c'est elle qui s'en charge. » H époux de F bénéf, Soudoubé

c. Les usages des TM sont multiples et très diversifiés La majorité des usages sont destinés à couvrir des besoins essentiels, et ce pour la majorité des bénéficiaires. Les usages alimentaires sont systématiques et importants en volumes. Il s’agit d’achat de produits de première nécessité (céréales, « condiment »), qui permettent trois repas par jour, ou de produits qui permettent de varier l’alimentation et de « bien manger » au sens plus gustatif (poisson, huile sucre…).

« Avant les fonds il pouvait même arriver des jours où nous ne gagnions rien, et souvent c'est le reste du petit-déjeuner que nous mangions au déjeuner et le reste du déjeuner nous le mangions au dîner, contrairement à aujourd'hui où nous mangeons les trois repas quotidien. » H époux de bénéf, Soudoubé

« Il se trouvait que j'avais faim donc j'ai acheté du riz et des condiments pour manger. J'ai acheté les habits sinon tout le reste j'ai mangé. Je ne sais rien sauf que j'ai acheté de la nourriture pour manger. Ça m'a trouvé dans le besoin et je ne faisais rien. C'est les gens qui faisaient tout pour moi. A vrai dire j'ai acheté de la nourriture donc c'est là où il y a eu un grand changement. J'avais vraiment souffert, mais dès que j'ai reçu l'argent, beaucoup de choses ont été réglées. Sans cet argent, j'allais attendre mon mari qui fabrique des briques. S'il parvient à vendre ses briques nous allons acheter à manger dans le cas contraire nous allons rester sans manger. » F bénéf, Bourem

Dans les deux villages, les TM favorisent l’accès aux soins de santé.

« Ça nous a beaucoup servi parce qu’à l'arrivée de l'argent, nous étions dans le besoin car ma femme était malade. C'est grâce à cet argent qu'on a pu la soigner. Avant l'arrivée des fonds, quand mes enfants ou moi on tombait malade, c'est mes produits de la contresaison comme le gombo ou le haricot que je vendais pour aller soigner les enfants jusqu'à Diré. Avec l'arrivé des fonds, vraiment Dieu m’a facilité les choses et chaque fois que les enfants tombent malades, je les soigne avec ça. Je suis très content de ça, je suis arrivé à payer mes ordonnances avec ça. » H bénéf, Soudoubé

Dans le village de Bourem, où certains enfants ont accès à l’éducation, une partie (apparemment limitée) permet de régler des frais scolaires, cahiers, stylos. Dans un contexte où une majorité des ménages ne peut survivre sans le recours au crédit (après de proches, de voisins ou surtout de commerçants), le remboursement de crédits contractés pour des besoins alimentaires et des produits de première nécessité entre souvent dans les tous premiers usages avec les achats alimentaires, et est considéré comme une obligation morale, qui permettra de plus d’avoir de nouveau recours au crédit ultérieurement le cas échéant. Les TM offrent ainsi une forme de solvabilité aux bénéficiaires, qui participe de leur résilience, même si cela ne permet pas de capitaliser/épargner.

« La troisième fois c'était trente mille francs. J'ai utilisé la moitié de l'argent à rembourser une dette et l'autre moitié j'ai acheté de la nourriture. C'était une urgence. (Dettes en premier) parce qu'on ne sait pas quand on va mourir et puis je ne sais pas non plus si j'aurai encore une occasion de la sorte pour pouvoir les payer, donc je préfère payer mes dettes que de manger tout cet argent. » F bénéf, Bourem

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On note quelques rares cas d’usages pour des vêtements ou des biens d’équipement du foyer : ustensiles de cuisine, nattes, batterie. Les investissements économiques sont fréquents, de la part des hommes comme des femmes. Trois formes d’investissement ont été recensées :

- Le petit bétail, qui correspond à une épargne sur pied et/ou à l’initiation d’une petite activité d’élevage. Un ou deux moutons, embouche, parfois liée à d’autres investissements.

« J'ai aussi une fois acheté un mouton pour l'embouche en vendant les petits et gardant la brebis. La brebis est morte et j'ai vendu les petits à un moment où je traversais des difficultés, ce qui m'avait permis de subvenir à certains besoins. » H bénéf, Bourem

- Le capital agricole et notamment l’acquisition d’un âne : un investissement plusieurs fois mentionné, qui modifie très sensiblement les moyens de production des bénéficiaires-exploitants, notamment dans le village de Soudoubé, où les champs exploités sont très distants du village et où le transport avec charrette est une nécessité première.

« Les avantages sont infinis, je ne pourrais pas tout dire, c'est cet âne qui a transporté tout ce que j'ai produit cette année. » H bénéf, Soudoubé

- Notamment pour les femmes, bénéficiaires ou épouses de bénéficiaires, les transferts fournissent un capital non agricole pour des activités existantes ou en création.

« Mon mari m’a donné quinze mille francs, c'est grâce à ça que j'ai commencé mon petit commerce ; j'ai acheté du charbon que je revends, et j’achète de la farine pour faire des petits gâteaux que je revends aussi. » F épouse de bénéf, Bourem

Les transferts peuvent également être utilisés pour des usages sociaux, cérémonies et notamment les événements de la vie religieuse, mariages, baptêmes, Tabaski (y compris parfois à crédit sur le prochain transfert), néanmoins ce type d’usage est moins souvent restitué. L’habitat apparaît moins prioritaire que l’alimentation. Les usages dans l’habitat sont très rares et uniquement restitués à Soudoubé. Il s’agit pour les plus démunis de la rénovation (cases ou en dur), à savoir la couverture d’un besoin essentiel. L’usage des transferts pour la construction d’une case en banco n’a été relevé que dans un cas, potentiellement un cas d’inclusion. d. Les impacts des TM perçus par les bénéficiaires : un spectre de bénéfices très larges, et largement individualisés Les bénéfices individuels des transferts se situent aux trois niveaux bio-psycho-sociaux, mais très largement au niveau du psychosocial. L’un des premiers impacts, et en relation directe avec la situation d’urgence qui en a constitué le contexte, est la sécurisation émotionnelle des bénéficiaires face à la frustration, la peur de l’avenir. Ces personnes expriment le fait de se projeter plus positivement dans l’avenir, ne serait-ce qu’au niveau du « lendemain »

« Je garde ma dignité, le fait de rembourser mes dettes me rend libre, et puis je ne serai pas une esclave des autres personnes, c'est-à-dire je me libère psychologiquement. Avant que je ne reçoive cet argent, quand je faisais le petit-déjeuner, c'était très difficile pour moi de faire le repas de la journée à plus forte raison le repas de la nuit. Avant il m’était très difficile de payer mes dettes, mais maintenant que j’ai reçu ces fonds, je paie mes dettes facilement et je prépare à manger facilement. Aujourd'hui je vis tranquillement sans souci grâce aux transferts monétaires. » F bénéf, Bourem

« J'étais tout le temps frustré. (…) Ça m'a permis d'avoir confiance en moi. » H bénéf, Soudoubé

Cette projection positive s’accompagne (ou est soutenue par) chez certains de trois bénéfices fonctionnels :

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- Meilleur état de santé (biologique et psychologique), associé à la force de travail et à la productivité des activités.

« Du fait de manger ces aliments, ça a changé mon aspect physique » H bénéf, Bourem « Je deviens courageuse. Je suis en forme, heureuse avec mes amies, je mange bien. Sinon

quand je n'ai pas d'argent, je reste à la maison. » F bénéf, Soudoubé « Ça m’a donné beaucoup de force, maintenant je mange bien et je peux mener à bien mes

activités parce que je n’ai pas faim. Les enfants mangent bien, ils ne tombent pas malades, ils sont en bonne santé. » F bénéf, Soudoubé

- Au-delà du remboursement des crédits déjà engagés, le fait de bénéficier des fonds (et ce de

façon publique, connue) permet aux bénéficiaires un plus large accès au crédit et ainsi aux biens de consommation de première nécessité.

« En même temps les fonds m'ont facilité l'accès au crédit auprès de notre association parce que j'étais devenu un bon payeur. » H bénéf, Bourem

« Cela a renforcé mon pouvoir. Ces fonds m'ont rendu plus crédible vis-à-vis de mes débiteurs même en cas d'une maladie lorsqu'on prescrit une ordonnance à un membre de la famille, je peux demander au pharmacien de donner les médicaments à crédit en attendant. C'est avec l'arrivée de ces fonds. C'est surtout la crédibilité parce que grâce à ces fonds nous sommes devenus de bons payeurs des dettes ensuite le commerce, toujours grâce à ces fonds, on pouvait même faire des gestes vers d'autres personnes, ce qui a aussi renforcé les liens et les gens vous respectent. Il y a eu beaucoup des cas. Par un exemple je peux voir un boutiquier avec qui je prends de l'huile, des Jumbos, du thé et du sucre, jusqu'à hauteur de cinq mille francs que je rembourse à l'arrivée des fonds. Et ce dernier accepte. (Avant ces fonds) je contractais des dettes, mais pas avec les commerçants. » H bénéf, Bourem

- Les transferts s’inscrivent également dans le cadre des relations familiales, où les fonctions de provider des époux/parents conditionnent l’harmonie.

« Le pouvoir que ça m’a donné, c'est le fait d'assister mon mari quand il est dans le besoin. Parce que j'ai déjà dit ça et j'insiste la dessus mon mari quand il a de l’argent, il m'assiste et moi aussi je dois l'assister en cas de besoin. Vraiment l'entente a augmenté entre mon mari et moi. » F bénéf, Soudoubé

« Avec ces fonds, mes décisions étaient respectées à la lettre. Avant oui, souvent, certaines de mes décisions n'étaient pas respectées. Ces fonds ont contribué à renforcer l'entente entre les membres de de la famille, entre mon épouse et moi. » H bénéf, Bourem

Le niveau de vie favorisant l’harmonie et donc le respect des hiérarchies, le fait que les femmes soient bénéficiaires favorise « l’empowerment » féminin. Au premier degré, les transferts favorisent l’autonomie économique des femmes, et d’une façon plus générale, leur participation à la vie économique du ménage (une forme d’égalité avec leur mari face à la fonction de provider), voire ultimement, le fait de pouvoir acter (au sens décider et agir) elles-mêmes en tant que cheffes de ménage, en l’absence du mari, ou face à des contraintes auxquelles celui-ci doit faire face. Il n’est pas étonnant que ce type d’impact soit développé à Soudoubé vu le plus fort degré de pauvreté des ménages (absence d’agriculture irriguée) et/ou le fait que cela induit des absences plus structurelles des maris, et la nécessité pour les femmes de prendre en charge les besoins du ménage, organisationnels et économiques.

« Avant même ces fonds je faisais des petites activités, mais les fonds avaient trop diminué pour subvenir à mes besoins. Quand j’ai eu ces fonds, ça m’a permis de faire face à certains besoins du ménage sans même passer du temps sur la fabrication des cordes. Le fait d'avoir ces fonds a augmenté mon capital, avant c'était pour cent francs mais avec ce fonds j'arrive jusqu'à cinq-cents francs. Et avec cinq-cents francs je peux avoir jusqu'à deux mille francs comme bénéfice. Ça me permet d'acheter des chaussures et de venir en aide à mon mari en cas de besoin. Je suis contente de fait que souvent j'arrive à venir en aide à mon mari. » F bénéf, Soudoubé

« Grâce aux fonds, j'ai pu occuper la place du chef de ménage en son absence et c’est ça qui m'a beaucoup plu puisque c'était grâce à cet argent. Quand j’ai eu l'argent, je n'ai eu aucune difficulté, tout ce que je devais assumer comme responsabilités, je l’ai fait. Avant d'avoir cet

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argent, ça n'allait pas, mais depuis que j'ai eu cet argent ça va. Ça m'a rassurée, je suis très contente de pouvoir faire ce que mon mari ferait s'il était là et qu’en son absence j'aie pu tout faire comme lui. » F bénéf, Bourem

Via ces divers bénéfices, les transferts permettent une meilleure appartenance et reconnaissance sociale, au niveau des collectifs et de la communauté, qui contribue à renforcer l’estime sociale et personnelle de soi et ultimement, une meilleure réalisation sociale de soi et une adéquation aux valeurs dominantes (dignité, fierté, noblesse, « honneur »).

« Je me sens important et très fier quand j'ai l'argent. Même si tu as cinq mille francs, tu es content d'aller au marché et tu te sens important, dans le cas contraire tu ne te sens pas du tout considéré. Comme le dit le proverbe nigérien : ‘Quand tu as l'argent tu deviens bête, tu penses que tu peux tout avoir mais quand tu n'as pas d'argent tu n'es rien tu ne te sens pas considéré, et même ton frère de lait ne te considère pas’. Mais quand tu as quelque chose on te prête l'oreille. » H bénéf, Bourem

« J'ai eu la sensation d'être vraiment libéré de certaines charges, je ne suis plus endetté. Les gens étaient vraiment contents de moi, parce que ça a vraiment fait du bien à ces gens-là et ils m'ont beaucoup remercié pour cela. En ce sens j'ai eu plus de considération, et ça a rehaussé mon image et mon rang auprès des autres dans le village. Tout ce que je pose comme acte dans le village est entendu avec beaucoup plus d'attention, et beaucoup d'estime à mon égard ; vraiment c'est bien. » H bénéf, Soudoubé

« Ça a beaucoup renforcé mon pouvoir au sein du village, parce que j'ai l'habitude de donner quelque chose aux gens, donc pour eux quand je trouve quelque chose tout le monde me prête une oreille attentive, ça a beaucoup renforcé mon pouvoir. » F épouse de bénéf, Bourem

« Ça m'a permis de progresser. Ça m'a rehaussée. Je m'exprime comme je veux au sein de la tontine. » F bénéf, Bourem

De ce point de vue, le fait de « progresser » via le fait d’être assisté ne semble pas discriminant, et ne pas déclasser socialement les bénéficiaires.

« Je suis à l'aise, et ça tout le monde le sait que c'est grâce à ce fonds que j'ai pu acheter mon âne. Le fait que j'ai eu un âne m’a aussi permis d'être considéré dans la société, et je suis à l'aise parce que quelqu'un qui au départ n'avait rien, et aujourd'hui tout le monde voit qu'il a pu payer un âne, je suis vraiment à l'aise. (…) En termes de confiance je pourrais dire que ça m’a permis vraiment d'avoir confiance en moi parce que tout le monde sait que je n'avais pas les possibilités d'acheter un âne, donc ça m'a rassuré. » H bénéf, Soudoubé

« En s'acquittant de ses dettes on s'anoblit. Quand tu dois à quelqu'un tu ne peux même pas aller dans sa direction. Donc je me sens noble. Le plus important, c'est la noblesse, donc ce qui m'a le plus plu, c'est le fait de m'acquitter de mes dettes donc de retrouver ma noblesse. » H bénéf, Bourem

Du point de vue des leaders, les transferts ont apporté une amélioration des conditions matérielles de vie, avec un impact économique décrit au niveau du village et de la commune par la dynamisation de l’économie via l’injection de liquidités : dynamisation des circuits commerciaux, accès aux biens de consommation, création d’emploi, disponibilité de produits de consommation courante (pain), capacité de certains ménages à accéder à l’agriculture irriguée (acquisition d’un âne notamment), contrepoids aux facteurs de migration.

« De ce que j’ai entendu, il y a des gens qui ont acheté des animaux, d’autres c’est l’alimentation, d’autres étaient endettés ils ont payé leurs dettes. Moi, mon analyse d’après le constat que j’ai eu à faire, c’est que j’ai vu des vulnérables qui ont pu améliorer leur alimentation grâce à ces transferts, et c’est la même chose partout donc je crois que c’est une bonne chose pour eux. (…) Les inégalités se sont réduites vraiment parce que tu trouves que certains, avant que l’argent ne vienne, avaient des problèmes, soit ils n’ont pas d’âne et immédiatement ils vont acheter un âne, ou bien d’autres ont une partie de leurs murs qui sont tombés, donc avec cet argent ils arrivent à refaire leurs mur. » Imam, Soudoubé

« Voilà c’est ça que je comprends là je peux vraiment répondre parce que grâce à cet argent tu sens réellement qu’il y a une vie dans notre village, l’argent circule comme il faut, il y a des biens

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de consommation qu’avant on était obligé d’aller chercher très loin mais grâce à ces bénéficiaires qui mènent des activités, tu arrives à les avoir ici même sans te déplacer. L’exemple que je vais vous donner c’est le pain que vous avez mangé ce matin, la dame qui a fait ça elle n’avait rien, c’est grâce à votre fonds qu’elle a pu avoir de l’argent pour faire ça et ça c’est l’avantage de ce programme. » H leader, Soudoubé

« Vraiment, ça a renforcé nos capacités, ça a permis à certaines femmes qui n’avaient pas d’âne d’en avoir ; ça a aussi permis à d’autres d’aller jusqu’à Diré, ce qui ne leur était pas du tout facile ; ça a beaucoup aidé pour la préparation des mariages aussi, ça a servi pour l’achat de meubles tels que lit, armoire, vraiment les fonds ont fait du bien à toutes les femmes bénéficiaires du village. Il y a beaucoup de femmes comme ça dans le village, vraiment ces fonds ont augmenté nos capacités. » Présidente des femmes, Soudoubé

« Un homme était même prêt à partir en Guinée, il n’est plus reparti. Il a même eu un grand-frère là-bas qui est dans une société guinéenne. Il était là-bas mais il est revenu s’installer. Avec ce fonds, ça lui a permis de ne plus partir. C’est ça qui a fait qu’il a pu avoir de l’engrais pour son champ, il vit de ça. » H leader, Bourem

En tant que pourvoyeurs et « jigis » de bon nombre de nécessiteux, les leaders ressentent une forme de tranquillisation et une baisse de la pression exercée par les quémandeurs.

« Ce que je pourrais dire sur la cohésion, c’est qu’ici il y a certaines personne qui, avant d’être bénéficiaires, n’avaient aucun revenu, rien, tous les jours ils étaient obligés d’aller voir certains de leurs parents dans le village pour leur demander quelque chose et maintenant avec l’arrivée de ces fonds, ces personnes sont devenues autonomes, ils ne se déplacent plus pour aller voir leurs oncles pour leur demander quelque chose, ils se suffisent à eux-mêmes, tu ne vas plus aller demander à tort et à travers. » H leader, Soudoubé

« Même toi qui es là tu sens que ça va. Nous qui sommes les responsables, même si tu n’as rien, le nombre de personnes qui peuvent passer chez nous pour quémander, pour dire qu’ils n’ont pas le prix du condiment, on sent que ce nombre a diminué. On a quelques jours de repos. Le maire, lui il reçoit chaque matin des gens chez lui qui viennent lui demander une aide, mais depuis que les gens reçoivent cet argent on le laisse tranquille pendant un moment. C’est un village où les gens sont presque de la même famille. » H leader, Bourem

Un cas emblématique d’impact résolument positif : un ménage pauvre du village de Soudoubé, un usage rationnalisé, et des bénéfices multiples.

« Vraiment cet argent nous a apporté un grand soulagement étant donné qu'on était dans le besoin. Ça a été d'une importance capitale pour notre famille parce qu'on s'en est servi pour passer des moments très difficiles surtout sur le plan de l'alimentation. D'ailleurs la majeure partie de cet argent a été investi dans les vivres, vraiment Dieu merci on a pu aussi acheter du rônier pour finir la construction de notre toit. Mon commerce a vraiment fleuri, ça a un peu augmenté mon fonds de roulement et j'arrive à faire un peu plus de bénéfices, et je l'utilise même pour le prix de condiment. Je vois vraiment qu'il y a eu un grand changement. Par là je veux dire que je vends plus de quantité de produit qu'avant, et mon commerce a connu une grande croissance. Avant je manquais de moyens suffisants et il faut aussi tenir compte du fait que la crise a coïncidé avec le début de mon commerce et c'est ce qui a fait que ça a été difficile d'accroitre mon commerce. Vraiment je suis contente et surtout que ça m'a permis de contribuer à des cérémonies et d'acquérir plus de paille ; j'ai aussi acheté des pagnes et des nattes à huit mille francs. Cela fait que je suis aussi aidée et épaulée en retour pour les cérémonies chez moi ; et ça renforce aussi le sens de l'entraide et de la solidarité. Quand j'ai eu l'argent, j'ai constaté des changements dans mes relations sociales, et cela s'explique par le fait que j'ai assisté des parents qui sont dans le besoin et je me suis beaucoup souciée des gens qui sont dans le besoin. J'ai aidé bien d'autres personnes y compris ma propre maman, je lui ai acheté des céréales pour 2 500 francs, et mon oncle. Ça m'a procuré un grand soulagement dans ma tête de les avoir aidés et Dieu m'a récompensée par le fait d'accroitre mes activités. (…) J'ai eu plus de pouvoir et de responsabilités, qui m'ont permis d'acheter sans le concours de mon mari des matériaux de construction qui se trouvent dans cette case. Tout ceci m'a couté environ 15 000 francs. Je le tiens de mon petit commerce. Vraiment ça n'a pas été facile autant que ça, je tiens aussi à souligner que mon mari y a contribué indirectement, parce qu'il avait assuré l'alimentation et ensemble on a fait des sacrifices en nous privant de

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certains privilèges. (…) D'une part je suis soulagée de l'état des choses, mais d'autre part je ne le suis pas car cette réussite a été suivie de la faillite de mon commerce, et du coup toutes mes réserves se sont épuisées. Ça a aussi joué sur notre niveau de vie, et voilà on se retrouve à vivre hors du village. Ces difficultés étaient liées au fait que je ne dispose plus de fonds pour relancer mes activités et de subvenir aux besoins. Et maintenant c'est dans la construction des cases en paille pour d'autres personnes que je me fais quelques sous, afin de pouvoir relancer mes activités en achetant deux kilos de beurre de karité ou plus et aller le revendre ensuite. Vraiment je me sens bien, et j'ai un état d'esprit très ouvert, aussi un grand soulagement dans ma tête Dieu merci. On n'en serait pas là où nous en sommes aujourd'hui, il n'y aurait plus cette ouverture de mon état d'esprit et ce soulagement dans mon cœur. Brièvement, on ne peut pas voir d'un seul coup l'impact des fonds sur le niveau de vie dans ma famille, étant donné aussi que les fonds ont été réattribués à d'autres finalités telles que l'alimentation, l'achat de rônier et des matériaux de constructions etc. Les fonds ont vraiment apporté plus d'entente entre nous et on vit tranquillement dans cette atmosphère et les fonds ont permis de couvrir notre toit. C'est le fait qu'on ait pu avoir notre toit qui est le plus important à mes yeux. C'est le plus important parce que sans ça, tu n'es pas en capacité d'accueillir des gens chez toi et c'est ce que tout le monde désire le plus. Après le toit vient l'alimentation, et je suis très contente du fait que mes enfants mangent à leur faim dans mon ménage. Avant je me soignais traditionnellement avec les excréments des vaches que je piétinais et après je l'appliquais sur ma tête. » F bénéf, Soudoubé

e. Ces impacts très positifs semblent devoir être minorés ou en tout cas problématisés Ceci, sous deux angles. En premier lieu, parmi les ménages dont les usages sont les moins purement alimentaires et les plus « résilients », certains ne semblent pas être les plus vulnérables, notamment si l’on tient compte de plusieurs types de fonds reçus par pension, salaires, transferts, parfois cumulés.

- Cas n°1 : chef de ménage indépendant polygame, 65 ans, époux de bénéficiaire, ménage relativement complexe et étendu… mais propriétaire terrien, déclarant recevoir une pension de retraite largement supérieure aux montants des TM, propriétaire (modeste) de petit bétail.

« J’ai 65 ans. Je ne suis pas allé à l'école. Mon père ne vit plus et je n'ai pas de frères. Je suis chef de famille. J'ai deux femmes, la principale depuis 1992, la seconde depuis cinq ans. Ma première femme a six enfants. L'ainé des enfants a 22 ans, le deuxième est décédé, le suivant aussi, celui qui suit est de 2005. Cette maison m’appartient. Dieu merci nous avons des habits, mes femmes ont des ustensiles de cuisine, les tasses, les marmites. Je travaillais au port d'Abidjan et je suis à la retraite. (Mon activité principale) est beaucoup plus l'état de retraité que l'agriculteur, je ne gagne rien dans l'agriculture, le champ est mon activité secondaire. J'ai fait vingt-neuf ans au port d'Abidjan et chaque trimestre je reçois deux cent soixante-quatorze mille francs. Actuellement ce que j'exerce comme activité c'est l'agriculture. Je n'ai pas de terre mais je fais de la culture dunaire car j'ai des dunes qui m’appartiennent. C'est la culture du mil, du sorgho des choses comme ça. Je possède deux hectares. J'ai une daba, pas de moto ni autre équipement. J'ai quatre moutons, trois chèvres et un âne. » H époux de F bénéf, Bourem

- Cas n°2 : Chef de ménage marié vivant avec sa mère à charge, pas de terre possédée,

l’habitat appartient à son frère, cultive en métayage. Mais il est enseignant communautaire, travaille comme journalier et a une sœur en RCI qui l’aide financièrement.

« Mon activité principale est l’agriculture mais comme je suis arabisant, la commune m’a pris comme enseignant. Je suis enseignant communautaire. J’ai des brouettes, des houes. En dehors de cela pour bien travailler j’ai de l’aide. D’ailleurs c’est pourquoi j’emploie deux personnes et il m’arrive très souvent de les rémunérer. J’ai les rémunère mille francs par jour chacun. Je cultive le riz, on partage avec le propriétaire, les récoltes peuvent suffire six mois. Je fais le travail journalier en gagnant mille francs par jour, je subviens comme ça aux besoins de la famille. J’ai une grande sœur qui est mariée en Côte d’Ivoire. Bon souvent on lui demande de nous envoyer des habits et des chaussures. Et elle envoie. » H bénéf, Bourem

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- Cas n°3 : Chef de ménage indépendant, 60 ans, vivant avec sa mère à charge, sans main-

d’œuvre, mais propriétaire terrien, bénéficiant de la solidarité villageoise (groupe de travail des jeunes), éleveur de poulets, et recevant des transferts de son fils et autres parents, migrants à Bamako.

« Je pense avoir soixante ans. Je ne suis même pas imposable. J’ai fait l’école coranique que j’ai abandonnée pour émigrer. J’ai une femme. C’est un seul ménage. Je suis à la fois le chef de ménage et de famille. Je vis avec ma mère qui est là. Elle est malade. J’ai des champs. Je ne sais pas exactement mais ça vaut une vingtaine d’hectares. J’ai une maison en construction que j’ai commencée avec les fonds de la solidarité. Je suis le chef de ménage. Tous mes parents qui devraient être chefs de ménage sont décédés donc les charges familiales me reviennent. Je cultive le sorgho, le blé, le riz, le gombo Je cultive le sorgho dans la mare et le mil sur la dune. Les deux m’appartiennent. Ça ne nous suffit pas, ça ne fait même pas la moitié de l’année. J’ai deux ânes, ils me servent de transport pour aller au marché, et je les utilise pour cultiver mes champs. Je fais la volaille mais je ne connais pas le nombre, je les consomme puis en cas de besoin je les vends. Bon j’en consomme deux ou trois fois par semaine. J’emploie d’autres personnes. Je prends dix ou quinze personnes qui passent toute la journée à travailler une seule fois. Je ne les paie pas, ils le font pour l’amour de Dieu. Ce sont les jeunes du village. Ils viennent du matin jusqu’à 16 heures. C’est moi-même qui fais la demande et prends le petit déjeuner et le déjeuner en charge. C’est ça seulement. Même l’argent que j’ai reçu cette année je l’ai utilisé dans ça. Quant aux filles, elles ne travaillent pas mais le garçon est à Bamako. Il est parti au moment de carême dernier. Il est parti de lui-même sans mon autorisation. Il a vu ses camarades partir et il est parti avec eux. Je suis d’accord parce que j’étais obligé d’être d’accord. Il m’envoie souvent vingt-cinq mille, cinq mille, dix mille, vingt mille francs. Grâce à la bonne volonté de mes neveux et parents résidant à l’extérieur que je sollicite. Ceux-ci m’envoient de l’argent ce qui me permet de subvenir aux besoins de la famille. Cet argent m'a beaucoup servi. En recevant cet argent j'ai eu du bonheur. Quand quelqu'un passe il va dire voilà j'ai commencé à construire puis les gens vont dire ah maintenant ça va chez ce type. » H bénéf, Soudoubé

En second lieu, pour les plus démunis qui ne peuvent investir ou qui perdent leur investissement (mort du petit bétail ou arrêt d’exploitation), les impacts des transferts semblent peu pérennes et s’arrêter à la fin du programme, sans bénéfice à terme parmi les ménages les plus pauvres ou pauvres… Ce qui est fortement ressenti par une partie des bénéficiaires. Les perceptions des leaders confirment que les impacts des transferts monétaires sont peu pérennes, et surtout au bénéfice des bénéficiaires les plus résilients pré-transferts, donc moins au cœur de la cible. Sur cette base, et ceci rejoint le point précédemment abordé, les transferts fournissent peu de support de résilience aux ménages les plus vulnérables, mais plutôt aux moins pauvres parmi les bénéficiaires, voire à des ménages inclus par erreur de ciblage. La capacité fournie à certaines personnes, femmes surtout, pour initier ou redémarrer des petites activités, est avérée mais avec des performances apparemment très limitées.

« Les très pauvres sont restés comme avant, ils consomment tout, et les moins pauvres peut-être qu’ils avaient quelque chose donc ça les renforce, et les très pauvres ce n’est pas le cas. » Chef de village, Soudoubé

« Si on arrête les transferts, les gens vont tomber dans la vulnérabilité. Ils se sont déjà mis dans la tête, ils font leurs calculs à partir de ça. » Conseiller village, Bourem

- Cas n°1 : pauvres sans revenus, amélioration du quotidien sans investissement « Ça n’a rien changé à ce niveau. Je mène ma vie comme avant, je ne peux pas m'habituer à

une vie que je ne peux pas continuer. Ce programme peut s'arrêter à tout moment. Il peut se trouver que je ne n’ai pas d'argent sur moi, si on me demande le prix de condiment, je le prends sur les fonds, je donne, ça m'empêche de prendre des dettes par ci par là, le thé, la même chose. (…) On peut t’aider mais toi aussi tu dois chercher à t'aider toi-même parce que ce n'est pas éternel, et essaie de limiter tes dépenses. Même si je trouve cinquante mille, c'est cinq-cents francs que je donne comme prix de condiment, je ne vais pas changer à cause de cette somme. Je ne peux pas commencer quelque chose que je ne peux pas continuer, je peux les (ma famille)

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rendre heureux si je trouve assez. Je peux acheter de la salade, de la viande, préparer une nuit pour qu'ils puissent dire que le vieux a quelque chose aujourd'hui. Mais ça ne peut pas durer toujours, on n’a rien, quelqu'un qui vit de dettes ne peut pas faire ça. » H bénéf, Bourem

« Quand on a eu ces fonds, on était dans le besoin, on avait beaucoup de difficultés, mais maintenant la vie est mille fois meilleure qu'avant. Ça a amélioré notre alimentation, quand tu ne t'attends pas à quelque chose et qu'on vient te faire cadeau, vraiment il y a un changement dans ta vie. Maintenant je suis tranquille et je suis même confiante dans mes actes, mais quand ce sera fini je serai encore dans la galère totale. » F bénéf, Bourem

- Cas n°2 : famille multi-ménages, fonds partagés entre quatre ménages et ainsi dispersés « Ce qu’il faut comprendre, c’est que le plus nécessiteux aussi vit dans une famille, il a des

frères, des sœurs. Ils ne mangent pas s’il ne mange pas. Même s’il n’est pas pourvoyeur Les gens sont très liés (…) Ils sont contents de recevoir de l’argent. Après, comment, ça dépend, les gens prennent cet argent, ils distribuent entre leurs frères dans leurs familles. (Les bénéfices) c’est dans l’immédiat seulement, mais à long terme je ne crois pas. Puisque les sommes sont dérisoires ! On ne peut pas faire de commerce avec des crédits. Il y a certains qui remboursent des prêts au niveau des boutiquiers avec cet argent. » Maire-chef, Bourem

Cet état de fait apparaît fortement lié au montant des TM, eux-mêmes dimensionnés pour garantir la couverture de besoins élémentaires (alimentation, accès aux services de base et notamment la santé) et non en vue de renforcer l’économie des ménages via le développement d’activités rentables et surtout durables, même modestes. 2.3.2. Focus sur le cercle de Gourma-Rharous : Benguel et Rharous 2.3.2.1. Perception et acceptance des mécanismes de ciblage des programmes de transferts monétaires Les leaders montrent une assez bonne connaissance et compréhension du principe du ciblage, y compris du nouveau processus de ciblage opéré en 2016. Certains ont été largement impliqués, ayant été abordés et sensibilisés par HI.

« C’est à partir de leur enquête qu’ils prennent des gens dont ils pensent qu’ils sont des vulnérables, c’est à eux qu’ils donnent le grain, c’est à eux qu’on donne même le cash, donc quand ils ont su qu’il y avait beaucoup d’erreurs, ils sont venus faire des assemblées pour dire aux gens de les aider à identifier réellement les pauvres, leurs agents et les conseillers ont fait des assemblées générales ici pour l’identification, ils ont classé les gens en quatre catégories : les très, très pauvres, les pauvres, les moyens et les nantis. C’est dans cette catégorie des très, très pauvres qu’ils ont puisé le nombre des gens qu’ils peuvent servir, dans les très, très pauvres je pense qu’ils ont été tous servis. Ils posent un quota pour chaque village et pour chaque fraction, qu’ils ne peuvent pas dépasser, et c’est dans ce quota qu‘on puise les très, très pauvres, cette année quand même les gens ne peuvent rien dire, en réalité ce sont les pauvres qui ont été choisis. » Chef de village, Rharous

« Oui les gens (de ma fraction) ont bénéficié. Nous avons recensé des gens pour Handicap, ils sont partis avec les listes. C’est nous qui avons donné les noms. Nous avons donné les noms aux agents du projet, ils sont partis avec et après ils sont revenus avec les noms de ceux qu’ils ont retenus qui doivent bénéficier l’argent. » Chef de fraction et imam, Benguel

Les leaders ont le sentiment que la classe des très pauvres inclut de très nombreux ménages au sein de leurs communautés : pas de moyens de production, déficiences physiques, trop de monde à nourrir.

« C’est des gens qui n’ont rien, ils n’ont ni chèvres ni moutons, ils n’ont pas d’âne, ils sont sans ressources, il y en a même qui n’ont aucune force, qui ne peuvent pas travailler, c’est comme ça qu’on a fait le ciblage, il y en a d’autres qui ont des grandes familles qui ne peuvent même pas subvenir à leurs besoins, des gens extrêmement pauvres, on n’a même pas touché à un seul

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pauvre, mais aux très, très pauvres, c’est dans cette catégorie qu’on a puisé le quota. » H leader, Rharous

La population a globalement conscience d’un processus de sélection visant à produire une liste de bénéficiaires. Mais la méthodologie et les critères d’identification et de sélection des bénéficiaires lui échappent. Certains ont appris qu’ils étaient bénéficiaires bien après la fin du processus de ciblage. La cible peut être identifiée comme les personnes déplacées (Benguel surtout), ou comme les pauvres, les vulnérables, les veuves, les handicapés… des critères assez diffus et parfois vagues.

« Le critère sur lequel les gens sont pris, c’est la vieillesse et être aveugle, car je suis vieux et je ne vois que d’un seul œil. Je n’ai pas grand-chose d’autre à dire. Parce que ce qui a été dit, c’est : les personnes âgées, les aveugles, c’est tout ce que je sais. Les gens qui sont faibles, qui sont pauvres, ce sont ces gens-là, qu’ils prennent. » H bénéf, Benguel

« Mon mari était décédé, il ne possédait rien, donc il ne m’a rien laissé, C’est la raison pour laquelle ils ont mis mon nom. » F bénéf, Rharous

A Benguel et de la part du chef de village sonrai de Rharous, les commentaires sont assez similaires à ceux entendus à Diré : compréhension et acceptation d’une assistance non disponible pour l’ensemble de la population, d’un principe de ciblage par la communauté, de la possibilité de trouver une catégorie de très pauvres, mais une incohérence perçue de la double méthode de désignation par la communauté et d’enquête par questionnaire (enquête sociale), et le sentiment d’une dépossession par l’ONG du choix des bénéficiaires.

« Nous avons donné les noms aux agents du projet, ils sont partis avec et après ils sont revenus avec les noms de ceux qu’ils ont retenus qui doivent bénéficier de l’argent. C’est le projet qui a décidé. » H leader, Benguel

- La fiabilité des enquêtes sociales est parfois remise en cause du fait d’une attitude peu professionnelle des enquêteurs face à des enquêtés qui mentent dans leurs déclaratifs pour satisfaire aux critères.

« S’il y a des erreurs, c’est dans leur catégorisation avec les jeunes, les jeunes ils s’en fichent pas mal, quand tu leur demande de faire des enquêtes, ils font du n’importe quoi, ils ne connaissent pas les gens, tu viens chez les gens tu écris ce qu’ils te racontent, ils vont dire tout ce qu’il faut pour qu’ils soient acceptés. Les critères, les gens comprennent très bien les critères de sélection mais ils font exprès de faire la guerre, parce que quand on dit qu’il y a une inscription aujourd’hui ici, la cour va se remplir, c’est toute la population qui va se retrouver ici, tout le monde vient, que tu aies les moyens ou pas tu viens pour t’inscrire, si tu n’es pas inscrit tu seras même mécontent. » Chef de village, Rharous

En revanche, à Rharous, le processus de ciblage est quasiment exclusivement décrit sous l’angle des dérives (manipulations, inclusions clientélistes, détournements) potentielles, suspectées ou avérées.

- Des réticences des leaders à accepter que la gestion du ciblage leur échappe, - Des dérives clientélistes, « détournement », exclusions

« Ce qui amène la bagarre c’est quoi, on amène pour la communauté mais on donne à certains et pas à d’autres. Ça a amené l’insécurité pour la population et les agents des ONG. Quand on donne à certains et pas à d’autres, c’est ce qui amène le conflit. Parce que vraiment, ces responsables sont des politiciens. Une fraction qui n’est pas avec ceux-là, ils vont l’exclure. Mais si l’ONG est envoyée par ECHO ou une ONG américaine qui a recruté des Maliens pour qu’ils donnent, ces Maliens vont prendre la liste de chaque village et fraction et ils leur donnent leur quota. L’autre jour, quand Handicap est venu, nous étions 7 personnes, le maire, moi et d’autres personnes. On nous a invités et nous a fait manger. Ils nous ont dit qu’ils sont venus avec cet argent. Il y a tant de bénéficiaires cette année mais il faut qu’on sélectionne parmi les plus vulnérables. On leur a dit non, il faut laisser. D’autres ont dit, les villages qui ont un grand nombre, il faut qu’on enlève. On a dit non. Mais le fait de se coucher sur une base, cela a amené beaucoup de problèmes. S’ils travaillent avec les chefs de village et les leaders religieux, car chaque de village en a, ce problème n’allait pas exister. Le marabout ne va jamais témoigner pour le faux. » Chef de fraction, Rharous

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- Le choix des femmes comme bénéficiaires nominales est critiqué par certains leaders qui y

voient une remise en cause des hiérarchies sociales fondamentales. « Quelqu’un, quand il vient dire que non, nous, nous travaillons seulement avec les femmes,

donc tu peux plus commander ta femme ni ta fille. On appelle les enfants et on leur dit bon, nous sommes à votre écoute, est-ce que tu pourras les commander après ? J’ai dit ça dans la conférence, j’ai dit de laisser les femmes, car à chaque fois, on ne parle que des femmes, des enfants, nous, nous sommes des musulmans, il faut donner aux femmes la part que Dieu leur a donné et lorsqu’ATT a nommé une femme Premier ministre, il est tombé dans le trou. » Chef de fraction, Rharous

- Certains leaders non pauvres se mobilisent pour orienter l’aide vers des membres de leurs ménages qui peuvent entrer dans les critères de vulnérabilité à titre personnel (ex. une femme leader non pauvre, dont le mari aveugle a été exclu des listes malgré ses efforts).

« Mon mari malade, il a eu. Il l’a eu en argent, il a eu les bons, et les deux fois il n’a pas eu au début. C’est par mon intervention qu’il a été compté à la place des absents (de la première distribution). Ou bien je ne sais pas, quand on a demandé d’ajouter des handicapés, ça c’est au niveau même de Handicap que je suis allée, ils sont venus, ils l’ont vu. La première tranche, ça c’est au début ; la deuxième fois il a raté la première tranche, la distribution sinon la première fois il a tout eu parce que c’est après le recensement que son nom est sorti. Je ne vois même pas quelqu’un qui n’est pas pauvre ici, tout le monde a besoin de cet appui-là. Tout le monde a besoin de ça, moi je suis enseignante, bien que je sois enseignante, j’ai mon mari qui est malade il est là, même-moi si je gagne cet appui ça m’aide même. On disait les vulnérables, mais cette année on a dit les très pauvres, c’est ce qu’on nous a dit, raison pour laquelle cette année mon malade, il n’en fait pas partie. » F leader, Rharous

La majorité des populations est peu informée et peu intéressée par les processus de ciblage, avec le sentiment de ne pas avoir prise sur le processus, par manque d’information, par habitude de soumission, et certainement du fait de l’image très négative des leaders impliqués, avec en corollaire ou en conséquence, un manque de confiance dans la fiabilité et la régularité des processus. Les autorités (mairies et notabilités du village) sont accusées de détourner une partie des aides. A noter que les dérives clientélistes, de favoritisme, de népotisme, de manipulations partisane, ethnique (confiscation des transferts par les Sonrais au détriment des autres groupes de Rharous) ou politicienne, peuvent être critiquées par des personnes qui ont déjà bénéficié de ces mêmes pratiques.

- Favoritisme, priorisation, clientélisme « Je ne sais pas, mais les gens des partis majoritaires enregistrent d’abord les gens qu’ils

connaissent et ensuite enregistrent les autres après. » H bénéf, Rharous « Oui, il y a des gens qui n’ont pas bénéficié parce qu’ils ne sont pas dans un parti politique.

Parce que je sais que même moi je n’ai pas bénéficié alors que mes camarades elles ont bénéficié parce qu’elles sont dans un parti politique dans lequel moi je ne suis pas. » F non bénéf, Rharous

« Oui je connais le vrai pauvre, qui des fois il lui arrive de ne pas préparer le repas du jour et de la nuit. Non, pour moi, les pauvres ne sont pas bénéficiaires, les bénéficiaires ne sont même pas des pauvres, ils ont de quoi. Oui ça existe ici, parce que si tu as un parent dans l’ONG et que tu bénéficies, les gens diront que c’est lui qui t’a fait bénéficier. Oui c’est vrai, parce qu’une fois M. nous a recensés dans un projet et nous avons bénéficié, donc cette personne me dit voilà comme ton frère est dans le projet vous avez bénéficié. » F non bénéf, Rharous

Sur les deux sites, les programmes de transferts sont très fréquemment décrits comme ayant créé des querelles, des jalousies, des tensions, y compris entre leaders et « administrés ».

« Ça crée des querelles entre les gens, parce que même moi je me suis querellée avec quelqu’un à cause de cet argent. Les gens se querellent parce que celui qui ne gagne pas, il va croire que c’est son prochain qui l’a empêché, ou bien si tu te fais recensé, et que tu n’es pas retenu, tu diras que c’est un tel qui a fait que je ne suis pas retenu, avant il n’y avait pas tous ces problèmes. Il y a des familles qui se sont querellées à cause de ça parce que des fois les

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bénéficiaires se moquent des non bénéficiaires et cela crée des cas d’impatience des querelles au sein des familles voici. La solution c’est de donner à tout le monde. » F non bénéf, Rharous

« Bon, moi j’étais parmi les gens qui écrivent les noms des gens, mais j’étais dérangé parce qu’à chaque fois on m’accusait, certains disent que leurs noms ne sont pas écrits parce que c’est moi qui donne l’ordre de ne pas écrire leur nom. » Imam, Rharous

« Ça amené la paix, la stabilité mais aussi un mécontentement pour ceux qui ne veulent de ce programme. Parce que si certains en ont eu et d’autres n’ont pas gagné, ils ne seront pas contents. Ces mécontentements ne sont autres que : Si toi tu es bénéficiaire et moi je ne le suis pas, je te garderais une dent, je ne serais pas content de toi, pourquoi toi tu es bénéficiaire et que moi je ne le suis pas. Bon alors ce qui est venu ne peut pas couvrir tout le monde. Ce qui pouvait se faire, c’est qu’il faut que ceux –ci bénéficient pour une première phase et d’autres pour une seconde phase. Mais c’est un système que les gens ne veulent pas, c’est ce qui les fatigue trop. » F bénéf, Rharous

2.3.2.2. Les montants des fonds reçus lors des distributions semblent peu conformes aux attendus et cette opération du programme fait l’objet de nombreuses critiques La régularité des distributions est particulièrement suspectée. Nombreux sont ceux qui suspectent les leaders de détourner une partie de l’aide (discours qui résonnent fortement avec la vision des leaders comme « prédateurs ») au détriment de la bonne gouvernance de l’assistance. Ces craintes motivent également certaines précautions de la part des bénéficiaires.

« Je suis membre de la commission de distribution. Oui, au moment où on doit donner aux gens, on nous appelle, on nous réunit et on nous dit le nombre de gens à qui on doit distribuer, mais maintenant le maire donne ses bénéficiaires parce que c’est lui le président. On nous paye 3 500 francs par jour » F leader, Rharous

« Beaucoup de gens parlent de ce problème, quelqu’un est une fois venu me dire ça chez moi, que son nom est apparu mais O. a détourné cet argent ; le maire et le chef du village aussi détournent souvent les parts des personnes absentes. Même quand j’étais absent, j’ai laissé ma carte avec S. et quand ils sont arrivés à mon nom, c’est S. qui a pris mon ticket et me la gardé jusqu’à mon arrivé. » H bénéf, Rharous

Les montants reçus déclarés sont inférieurs à ceux prévus. A Benguel, 2 ou 3 fois 33 000 francs CFA (précisément ou approximativement). À Rharous, de fortes disparités, annuellement entre 70 et 110 000 francs CFA. Ce différentiel entre les montants annoncés et les montants reçus est pointé par quelques bénéficiaires.

« Je n’ai eu que deux fois. J’ai eu une première fois 30 000 francs et une seconde fois, j’ai eu 34 000 F. » H bénéf, Benguel

« Pour le dernier mois, cette fois ci nous n’avons reçu que 17 000 francs, sur les mêmes coupons, alors que la valeur sur le papier c’est 30 000 francs, et nous sommes partis à la boutique pour ne prendre que la valeur de 17 000 francs. » F bénéf, Rharous

« Ils nous ont donnés pour une première fois 30.000 francs, puis il y a eu diminution, ils nous ont donné 25 000 francs moins 1 000 francs c'est-à-dire 24 000 francs, puis la dernière fois, ils ont donnés 22 000, il y a eu encore une diminution. En tout cas, chaque fois ça diminue. » F bénéf, Rharous

« Je vais te parler sincèrement, le nom de ma femme est une fois sorti sur les listes, mais deux mois après son nom ne se trouve plus sur les listes. J’ai tout fait pour que son nom puisse réapparaitre sur les listes, mais jusqu’à présent je n’arrive pas à savoir comment son nom a été effacé ; elle a bénéficié de ça pendant deux mois et après son nom a été effacé ; il y a une femme dans ma deuxième famille qui a aussi son nom sur les listes, mais elle quand même son nom n’a pas été effacé. Elle a eu environ soixante-cinq mille francs je pense. Elle l’a reçu deux fois. » Imam, Rharous

On notera toutefois qu’une confusion est possible entre les TM et certaines distributions en vivres du PAM, qui complexifie la mémorisation de ce qui a été réellement perçu lors des distributions.

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De plus, à Rharous, trois problèmes sont restitués (et surtout par les bénéficiaires) quant aux distributions par coupons :

- La dépréciation ou dévaluation de la valeur des coupons chez les commerçants/l’inflation des prix pratiqués par ces mêmes commerçants

- Des injonctions sur le choix des commerçants auprès de qui utiliser les coupons - La qualité des produits délivrés contre présentation des coupons des bénéficiaires

« Avec un coupon d’une valeur de 30 000 francs, nous sommes partis chez les boutiquiers pour prendre des marchandises d’une valeur de 22 000 francs, sur instruction des agents qui distribuaient car ils nous ont fait savoir que le principe a changé, et ça c’est juste pour les 2 derniers mois, sinon pour le tout début nous trouvions correctement. Ce n’est pas fini, pour le dernier mois, cette fois ci nous n’avons reçu que 17 000 francs, sur les mêmes coupons, alors que la valeur sur le papier c’est 30 000 francs CFA, et nous sommes partis à la boutique pour ne prendre que la valeur de 17 000 F. » F bénéf, Rharous

« Parce que tout dernièrement c’est chez un seul commerçant que tout le monde va prendre et ce commerçant, le bidon d’huile c’est (normalement, ndr) à 3 500 francs, et à cause des transferts il l’a amené à 5 000 francs. » F leader, Rharous

« Quand ils nous donnent les coupons, ils nous disent de partir chez A. le boutiquier, alors que A. n’a rien, il a du mauvais riz il n’a pas de cube Maggi, il n’a que du mauvais riz et de la mauvaise huile, le sucre et le lait, c’est tout. Tout le monde part là-bas parce que son grand grand-frère est le chef du village, et ils font ce qu’ils veulent. (…) Il arrive des moments où quand on nous donne l’argent, ils nous disent que si jamais vous partez payer dans une quelconque boutique, excepté telle, nous enlèverons votre nom pour la prochaine fois, sinon que pour la première fois, nous sommes libres de partir dans la boutique qui nous convient, et maintenant au retour, ils nous ont notifié que celui qui ne part pas dans la boutique de A. ils enlèveraient son nom. » F bénéf, Rharous

2.3.2.3. Usages des transferts monétaires a. Les redistributions : l’argent partagé hors ménage Les mécanismes de redistribution ont été largement moins développés que dans le cercle de Diré. Néanmoins, des actes de partage, surtout en faveur de parents, voisins, amis, a été largement plus dévoilée par les destinataires que par ceux qui redistribuent… Ces usages semblent prescrits par les règles sociales, le réseau, l’empathie, et elles résonnent avec les pratiques de solidarité (actes peu publics, opérés au sein des petits collectifs soudés et tenus à l’écart des autres formes de vie sociale, plus tendus).

« Tout ce que je n’ai pas mangé, je l’ai donné à des parents à cause de Dieu. Mes voisins, je me mets dans l’obligation de leur en donner, parce que nous sommes appelés à vivre ensemble. Mais, il n’y a personne qui m’oblige à leur donner. Parce que, eux aussi, Dieu leur a donné des chances, leur tour arrivera et ils m’en donneront aussi. » H bénéf, Benguel

« Il y a une vieille voisine, avec sa fille, à chaque fois quand elles gagnent des céréales, elles nous en donnent chacune une mesure, mais pas d’argent. C’est une grand-mère. Je ne lui demande pas, elle me donne d’elle-même. Ça m’arrange, car quand cela coïncide avec un moment où je n’ai rien, et c’est ce que j’utilise pour cuisiner pour mes enfants, Je peux faire deux repas avec. Je vais la remercier, et si mon mari vient, je lui dis que c’est ma vieille qui nous a envoyé cela, c’est tout. » F non bénéf, Rharous

La redistribution aux leaders communautaires semble être une règle, mais là encore, vu les relations complexes et peu harmonieuses qui régissent le rapport leaders-administrés, cette « reconnaissance » semble s’exercer dans le cadre de liens privilégiés. Il semble que les chefs de fraction (associés à l’existence même des transferts dans leur zone d’influence) fassent l’objet de ces redistributions, signes à a fois d’allégeance et de lien social plus personnel. b. Le partage entre époux

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La majorité des bénéficiaires partagent une partie des fonds reçus avec leur conjoint, hommes comme femmes. Les montants sont variables, de quelques milliers de francs à presque la moitié. Certains hommes ne partagent pas mais dépensent (en déclaratif) l’intégralité au bénéfice du ménage.

« Mon mari me donnait souvent 15 000 francs, 10 000 francs ou bien même 20 000 francs. C’est tout ce qu’il me donnait, parce que c’est lui qui est chargé de la nourriture. Pour moi, c’est juste de quoi acheter les habits de mes enfants et pour moi-même. » F épouse de bénéf, Benguel

c. Les usages des fonds semblent très normés et axés sur des besoins essentiels, bien que certains commentaires laissent supposer plus de diversité Les fonds sont vraisemblablement utilisés prioritairement pour des besoins de première nécessité, alimentaires surtout pour les chefs de ménage, hommes et femmes (veuve), ainsi que les femmes épouses de bénéficiaires à Rharous : céréales, pâtes, thé.

« Tout ce que j’ai eu, a été destiné à la nourriture. A chaque fois que je gagne mes 33 000, j’achète un sac de céréales. Parce qu’un sac de mil ici est à 22 500 francs. Donc si tu déduis 22 500 de 33 000 francs, il ne te restera pas grand-chose. Avec le reste, j’achète les condiments et mon thé. Ce qui est le plus important pour quelqu’un, c’est le fait de se nourrir, et parvenir à nourrir sa famille. Parce que le premier souci de quelqu’un c’est la nourriture. » H bénéf, Benguel

« Le jour où je l’ai eu, tout de suite je suis allée acheter un sac de riz pour les enfants, à 17 500 francs, il me restait 7 500 et j’ai acheté de l’oignon avec. Parce que c’était mon souci, la première des choses dans une famille c’est la nourriture. Je sais aussi que le sac pourrait au moins durer un petit moment. Ce à quoi ça m’a servi, c’est le fait que même si c’est un seul jour que tu as quelque chose dans ta famille, c’est important. Mon enfant n’est pas allé chez un voisin pour chercher à manger. C’est très important. Donc j’ai eu aussi le temps de chercher quelque chose avant que ce qui est là ne finisse. Cela m’a évité d’aller chercher du crédit quelque part. (…) Quand je l’ai eu, après avoir acheté la nourriture et les condiments, j’ai pu m’occuper des soins de mon garçon et envoyer 5 000 francs à celui qui est à l’école qui n’est pas là. » F bénéf, Rharous

En revanche, à Benguel, les femmes, bénéficiaires directes ou indirectes, tendent plutôt à privilégier l’équipement du foyer et notamment la literie qui en constitue l’essentiel (nattes, couvertures, tapis, coussins), puis à considérer les besoins alimentaires, sachant que nous avons vu que d’une façon générale, certaines tensions au sein du couple, et apparemment indépendamment des transferts, sont créées autour de cette question de priorisation différente des besoins essentiels entre hommes et femmes.

« La première fois, j’ai acheté des couchettes, la seconde fois c’est le tapis puis les oreillers, du lait, des macaronis, jusqu’à ce que ce soit fini. A chaque fois que je reçois, je paye quelque chose, jusqu’à la fin des dons. » F bénéf, Benguel

L’investissement des fonds des transferts dans les activités économiques est très peu restitué par la cible bénéficiaire (une seule femme épouse de bénéficiaire à Rharous), mais plus par certains leaders.

« Avec l’argent que mon mari me donne, je fais du petit commerce. » F bénéf, Rharous « Il y a eu des choses qui ont changé au niveau des familles, peut-être que ce n’est pas

totalement suffisant, mais ça a quand même amené un petit changement, un homme qui est à côté de moi, il n’avait rien mais il a ouvert une boutique, c’est avec le transfert qu’il a pu ouvrir sa boutique, il fait du commerce. Surtout les femmes aussi, ça leur a permis de faire fructifier leur commerce, de faire leur petit commerce, les femmes bénéficiaires. » Chef de village, Rharous

d. Les impacts des transferts sont essentiellement perçus au niveau de la survie

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Les impacts perçus se situent surtout au niveau individuel, comme un levier de survie et de protection contre la honte (ne pas quémander, ni ses enfants). Ceci se traduit par une moindre pression exercée sur les « pourvoyeurs, jigis », au sein desquels notamment les leaders.

« Ce que ça a apporté, c’est qu’avant il y avait des gens qui ne savaient même pas avec quoi ils vivaient, aujourd’hui, ils se réjouissent, parce qu’ils ont eu de quoi manger et de quoi travailler dans leur champ. Car ça ne leur permet pas de faire d’autres réalisations que ça. » H leader, Benguel

« Ça a amené beaucoup de changement, à savoir la capacité de rembourser les dettes, renforcer la confiance entre les clients et les commerçants. » H non bénéf, Benguel

« Moi il y a beaucoup de pauvres que j’aide si je trouve quelque chose, mais une fois qu’ils sont classés dans cette dynamique-là, du cash, j’ai un répit parce que lorsqu’ils auront reçu, eux-mêmes ils auront honte de venir me demander, ils savent que je sais ce que chacun doit percevoir. » Chef de village, Rharous

Les montants sont jugés trop réduits (surtout ceux effectivement reçus, et dans la durée des transferts effective) pour engager des activités économiques. Et ce aussi bien par les populations que par les leaders.

« Je ne vois pas le changement que ça peut leur apporter, 45 000 francs deux fois et 30 000 francs dans l’année, quelle amélioration ça pourrait apporter à la personne, ça te permet de souffler un peu seulement, un chef de famille avec trois distributions dans l’année, 45 000 francs, on peut faire quatre mois, quatre mois encore 45 000 francs les quatre mois suivants 30 000 francs, les montants ne sont pas significatifs quand même. C’est difficile ce ne sont pas des montants qui amènent un changement visible, c’est des petits montants, ce que les très, très pauvres continuent à déplorer. » Chef de village, Rharous

Au niveau des impacts collectifs, certains interviewés imputent aux programmes de transferts monétaires certaines évolutions positives : baisse des prix, réhabilitation de l’habitat, retour de certains migrants… néanmoins ces commentaires sont très isolés, surtout exprimés à Rharous, et les impacts décrits semblent peu cohérents avec la dynamique globale des usages des transferts.

« Je vois une ville dans laquelle cet argent a changé beaucoup de chose, les gens, il y a certains même qui construisent, ceux qui en bénéficient aussi ça leur a beaucoup apporté, parce que même ces constructions sont dues aux projets. Je ne sais pas grand-chose, mais j’ai vu quelques-uns qui ont acheté des chèvres avec, d’autres ont même acheté des vaches et beaucoup d’autres choses, d’autres encore on mêmes fait des boutiques. » F non bénéf, Rharous

« Le constat que j’ai fait, ce qu’il y a des gens qui ont eu à faire du petit commerce de condiments, du négoce, d’autres aussi ont crépi leurs maisons avec du ciment afin d’éviter le crépissage de chaque début d’hivernage. Il y a ceux aussi qui n’avaient que ce qu’on leur donnait et le consommaient au fur et à mesure. » H non bénéf, Rharous

« Oui, cela a renforcé la cohésion entre les gens, ça permis aussi le retour des gens. » H non bénéf, Rharous

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3. Conclusions et principales réponses aux problématiques de la recherche Les acteurs impliqués par l’étude s’orientent vers une stratégie d’intervention « post-crise » et envisagent une évolution de la configuration des transferts, à l’origine ancrés dans l’aide d’urgence, vers une aide plus mixte, « urgence et post-crise », via une aide au développement. Le positionnement de l’intervention en soi, des registres d’objectifs/impacts attendus et des indicateurs du suivi-évaluation traduit bien un ancrage initial sur le pôle de l’aide d’urgence, avec une évolution assez nette vers l’aide sociale et l’aide au développement économique. Le volet mené à Bamako et les deux études de cas fournissent des résultats très cohérents quant à la perception des certains mécanismes des dynamiques locales, pour autant les études de cas permettent de relativiser certaines perceptions des acteurs, y compris certaines orientations stratégiques. 3.1. Il semble peu pertinent de qualifier la situation du nord-Mali en termes de « post-crise ». Bien que la crise politico-sécuritaire soit moins aigüe que lors du pic de 2011-2013, le contexte d’intervention est toujours marqué par une crise climatique persistante, par une très forte instabilité politique et de gouvernance au sens large, par la prégnance des pouvoirs illégaux et de l’économie criminelle dans la plupart des zones, qui n’offrent pas les conditions sécuritaires requises pour des interventions réellement efficientes (accès aux sites, aux plus vulnérables) et sans danger pour les acteurs de terrain. De nombreux personnels, cadres des équipes nationales, ayant participé à l’étude expriment ainsi la nécessité pour leurs structures de replacer la question sécuritaire et l’analyse des risques au premier plan et leur état d’anxiété face aux conditions d’exercice de leurs activités et de celles des équipes terrain. Les impacts perçus comme à la fois les plus dangereux et les plus avérés relèvent très largement des registres politiques, sécuritaires et dans une moindre mesure sociaux. Les personnes en charge du suivi-évaluation admettent (cf. prblem solving sur le suivi-évaluation) leurs craintes face à la perspective d’intégrer des indicateurs de type politiques et sécuritaires, vu la difficulté mais aussi la mise en péril associée à la diffusion de ce type d’informations. Le premier impact attribué à la crise est la perte du contrôle réel des territoires et des populations, par l’Etat et ses représentants, avec un morcellement en zones selon les groupes rebelles/armés/djihadistes en présence, parfois difficiles à dissocier. Une carte politique d’autant plus brouillée et complexe que l’opposition entre forces de l’Etat et forces supposément antiétatiques est de fait perçue comme « de surface », avec des leaders étatiques et politiques parfois ou sur certain plans en (nécessaire) collusion avec les groupes armés et l’économie criminelle. Dans ce contexte on note surtout un affaiblissement du pouvoir des chefs traditionnels coutumiers lorsqu’ils ne sont pas affiliés au pouvoir politique/armé, avec en corollaire une concentration du pouvoir local dans les mains des maires lorsque ces derniers parviennent à réunir deux conditions (outre un pouvoir électif parfois remis en question : bourrage des urnes) : la filiation coutumière et le pouvoir symbolique, et le clientélisme avec les groupes armés « non étatiques » et le pouvoir de la force. Sur le plan économique, l’impact majeur associé à la crise est une perte de mobilité (liée à l’insécurité) préjudiciable à des communautés dont les activités, qu’elles soient à tendance agricole ou pastorales, sont liées aux déplacements, à la mobilité voire au nomadisme. La mainmise de pouvoirs de type mafieux entrave la capacité à reconstituer une dynamique économique en dehors de la « zone grise » ou de l’économie criminelle. Les études de cas indiquent que les conditions de vie des communautés concernées sont toujours marquées par l’instabilité du contexte. Les quatre sites concernés par l’étude de cas montrent une grande diversité potentielle dans la région. Au-delà du caractère très spécifique du cercle de Diré, les situations apparaissent largement déterminées non seulement par les moyens d’existence mais aussi par le degré d’homogénéité et de cohésion sociale des communautés, au niveau ethnique surtout, économique ensuite, également liées à la taille des villages/fractions, enfin par la relation engagée entre les leaders locaux et les populations qu’ils administrent. Les communautés étudiées dans les

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deux cercles sont très différentes à ces divers points de vue. Les communautés pastorales sont structurellement celles qui souffrent le plus de la crise économique. En termes de moyens d’existence, l’accès à la terre (et surtout aux périmètres irrigués) est le principal facteur de sécurisation économique des familles et/ou des ménages. Sous cet angle, les communautés « autochtones » (notamment sonrais mais non exclusivement selon l’histoire de chaque site) sont aujourd’hui plus à même de (re)-construire leur développement sur une base stable. Les communautés pastorales, notamment déplacées, qui ont à la fois perdu leur cheptel et ont en général moins de droits fonciers sur les terres agricoles, sont les plus défavorisées. La situation économique de nombreux ménages sans grande ressource est extrêmement précaire (cf. la fraction Benguel). De plus, certains signes forts montrent un certain degré de fortes tensions sociales, notamment en défaveur des femmes en milieu touareg. Les communautés pastorales sont également celles qui souffrent le plus de l’instabilité de la gouvernance et du manque de cohésion sociale. La cohésion influe sur la structure des pouvoirs locaux, leur mode de gouvernance, la relation qu’ils entretiennent entre eux et avec leurs administrés et l’acceptance par ces derniers des règles qu’ils promeuvent. Dans les deux communautés du cercle de Diré, relativement homogènes (large majorité sonrai, activités essentiellement agricoles, assez large partage des valeurs et des modes de vie entre pauvres et non-pauvres, nobles et castés), les leaders locaux s’organisent selon une hiérarchie très peu concurrentielle et plutôt pyramidale (maire, chefs de village – conseillers, représentants de groupes/associations) qui s’appuie fortement sur les légitimités coutumières (la quasi-totalité des leaders est issue des familles de chefferie) qui sont acceptées par l’ensemble de leurs communautés. Dans les deux communautés du cercle de Rharous, au contraire très hétérogènes (Sonrais, Touaregs, Maures, Peuls entre autres ; autochtones et allochtones avec des droits différents sur les ressources ; agriculteurs – commerçants – éleveurs ; valeurs et modes de vie très différenciés ; hiérarchies sociales très marquées et fortement inégalitaires), les leaders locaux sont concurrentiels et s’organisent de façon « mosaïque », à la fois verticale et horizontale (chefs de tribus, de fraction, de village, détenteurs du pouvoir coutumier, économique, des urnes…). Ces détenteurs de diverses formes de pouvoirs sont eux-mêmes sujets à la pression sur les ressources et engagés dans des rapports de force très tendus voire conflictuels (remise en cause réciproque des légitimités, accusations de corruption, etc.). Ces leaders entretiennent avec leurs administrés des relations parfois fondées sur les légitimités coutumières mais auxquelles se juxtaposent des relations clientélistes, potentiellement plus opportunistes. Les administrés sont ainsi mis en nécessité de reconnaitre certains systèmes (ex. les pouvoirs de l’Etat) au détriment d’autres (ex. le lien clanique, d’allégeance ou le lien économique, d’opportunité). Au final, certains parmi ces leaders semblent plutôt exacerber les tensions inter et intracommunautaires, et peu jouer leur rôle de régulation/organisation de la société et de justice/règlement des conflits. Les termes utilisés pour qualifier la société et ses leaders dans les deux sites de Rharous et Benguel témoignent d’une violence prégnante dans les rapports sociaux et d’attitudes très axées sur l’intimidation ou des réactions de repli/soumission face aux démonstrations de force arbitraires. L’émergence des forces « démocratiques » est perçue par certains acteurs comme des leviers qui accélèrent les processus d’émancipation des groupes dépendants/soumis (anciens esclaves), notamment dans la zone « touarègue » très conservatrice sur ce plan. Les études de cas, sans remettre en cause ce point qui est d’ordre purement démographique dans certaines villes (ex. Tombouctou) ou zones (ex Ménaka), tendent plutôt à montrer qu’à un niveau plus villageois et dans une ville comme Rharous marquée par de forts conflits à caractère ethniques instrumentalisés par le politique, ces mécanismes permettent certes une pluralité des représentations au niveau communal. Néanmoins, dans tous les cas, ils excluent les minorités (du même fait démographique), et potentiellement les groupes sociaux les plus défavorisés. De plus, même au niveau des groupes dominants, ils s’inscrivent dans des relations conflictuelles et ne permettent pas de les régler, voire ils en deviennent un enjeu supplémentaire, la voix des urnes (réelle ou faussée) devenant également une arme dans des rapports régis par la « loi du plus fort ». Le cas de Rharous est relativement

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symptomatique de ce type de situation, avec un chef de village sonrai, un maire touareg, chef de tribu et un conseiller communal influent maure, chef de fraction, ouvertement en conflit. L’organisation interne des acteurs intervenant au nord-Mali doit ainsi prendre en compte la relation des équipes avec un contexte de crise. Le respect du « do no harm » est une problématique embarrassante et peu prise en compte : « Choisir entre Satan et le Diable ? ». La situation politique entraîne en effet une inévitable collusion de l’espace humanitaire mis en œuvre par les acteurs des TM avec les « zones grises » et l’économie criminelle, en infraction manifeste avec les principes du « do no harm ». Cette collusion intervient à tous les niveaux et à toutes les étapes de l’intervention, les groupes non étatique/mafieux étant désireux que l’assistance des ONG soit effective, mais également la contrôler (tutelle, regard), la « faire fructifier », en tirer les avantages de fonctionnement, voire la détourner au moins partiellement pour en profiter directement. En amont, l’autorisation « politique » à intervenir sur le territoire suppose des négociations et donc des tractations avec les groupes armés. Le fonctionnement implique le recrutement d’agents locaux des ONG et de partenaires à même de dialoguer avec les communautés et les leaders (maires, chefs), avec deux biais possibles : des agents trop extérieurs et non considérés voire trop facilement manipulés, ou des agents trop peu extérieurs et une corruption possible (manipulateurs). Il implique également le recours forcé à des prestataires et des intermédiaires « clientélisés » par les groupes armés et leur reversant une partie de leurs revenus/bénéfices : loueurs de véhicules, commerçants habilités à recevoir les bons, les achats. Cette collusion pose ainsi deux problèmes éthiques majeurs : un problème de relation avec des pouvoirs non légitimes, et un problème plus direct du financement plus ou moins direct et indirect des groupes mafieux par l’humanitaire. Comment gérer l’inévitable collusion de l’action humanitaire avec les pouvoirs illégaux et l’économie criminelle. Dans ce contexte, on parle parfois de « sortie de crise » ou de gestion « post-crise » (ce qui suppose un règlement du contexte), ce qui pourrait indiquer un désir d’évacuer ou de contourner la question d’intervention « au cœur de la crise ». Les problèmes récurrents posés par les personnels des acteurs relèvent de quatre registres : la corruption, l’opacité et la désinformation en interne, la non harmonisation des pratiques et l’insécurité des personnels. Chacun de ces registres est cité à la fois comme cause et conséquence, dans un système dynamique très négatif associé à une mauvaise identification des besoins, à une attitude de négociations vs. l’intransigeance, à des dérapages éthiques, au non-respect du droit, et enfin à une perte de contrôle de la situation. Les inquiétudes exprimées sur le volet « interne » révèlent un sentiment de frustration des équipes sur leur propre travail (cf. do no harm et insécurité ressentie), mais dans le même temps une certaine dramatisation de la capacité des TM à influer sur les communautés bénéficiaires : un « syndrome de supériorité » ou un « effet de bascule » psychologique face à la une perte de confiance dans son travail même ? Quels que soient les mécanismes réels, les discours anxiogènes des personnels sont le signe manifeste de la nécessité de remobiliser les équipes en interne autour d’une proposition plus en cohérence, mieux communiquée, plus rassurante objectivement sur la prise en compte des risques et plus crédible en termes de prise en compte du contexte, des objectifs et des moyens mis à disposition pour y parvenir :

- Renforcer les analyses de contexte - Formulation d’une idéologie/d’un cadre éthique de référence - Définition du contexte, du positionnement, etc. et surtout des objectifs et des indicateurs

afférents Au niveau de la méthode :

- Plus d’engagement moral, logistique et financier de la part des bailleurs - Faire évoluer l’implication et la communication intra et inter-structures

Au niveau de l’interaction entre PTF et acteurs locaux, étatiques et non étatiques - Meilleure collaboration entre les ONG et les structures de l’Etat / Valorisation des élus / Plus

d’implication des autorités étatiques sans contrepartie (financière) - Réduction de l’influence des leaders

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- Sensibiliser les leaders locaux sur les principes auxquels sont soumis les ONG Dans ce contexte, la perspective de KEY, « consortium des consortia », et la stratégie d’harmonisation des pratiques, peuvent présenter un nouvel antagonisme (ou un renforcement de l’antagonisme déjà présent au sein du CCTS) : nécessaire mais irréalisable ? Les perspectives énoncées ci-dessus se heurtent d’une part à une réalité structurelle et difficilement surmontable : comment sortir des logiques « propriétaires » ? L’harmonisation idéologiquement prévue par KEY résonne avec la nécessité exprimée de réviser la « théorie » mais une difficile mise en concordance des acteurs et des « doctrines ». Ces perspectives sont d’autre part questionnables sur leur temporalité vs. l’historique des interventions/ des programmes : elles ouvrent certes sur l’opportunité de mieux négocier avec les pouvoirs illégaux ou manipulateurs, de mieux gérer les freins politico-sécuritaires, mais prennent-elles en compte la potentielle mise en danger des agents de terrain, qui devront gérer les tensions politiques, inter et intracommunautaires très diverses, l’insécurité, imposer d’autres conditionnalités voire remettre en cause les conditions déjà négociées face à des pouvoirs/personnalités/organisations à caractère violent ?

Les principaux axes de propositions du groupe de travail sur la problématique du do no harm :

- Plus d’engagement moral, logistique et financier de la part des bailleurs - Collaboration entre les ONG et les structures de l’Etat / Valorisation des élus / Plus

d’implication des autorités étatiques sans rien à donner derrière, vraie implication derrière - Adopter des approches plus sensibles aux conflits, qui prennent en compte les interactions

entre l’intervention et les conflits - Renforcer les analyses de contexte - Réduction de l’influence des leaders - Sensibiliser les leaders locaux sur les principes auxquels sont soumis les ONG - Faire évoluer l’implication et la communication intra et inter-structures

3.2. Le positionnement et la configuration des transferts monétaires semblent aujourd’hui s’écarter du contexte de vie et des besoins essentiels des populations bénéficiaires. L’évolution vers des objectifs de résilience et des indicateurs d’impacts économiques doit être revue vs. les exigences de l’urgence. Les stratégies d’intervention sont divergentes, y compris sur la nature même de l’aide. L’ensemble des acteurs assigne aux filets sociaux et notamment aux transferts monétaires un premier objectif survie/assistance. Pour les structures de mise en œuvre (SOL, ACF, HI, JSJ), globalement, cet objectif est central et s’ancre dans une stratégie « urgentiste » : répondre à la crise alimentaire, ce qui suppose d’identifier les personnes/ménages plus vulnérables. Les bailleurs (ECHO, BM) expriment des attentes supérieures quant aux impacts des TM, avec au-delà de la subsistance une ligne de développement additionnelle (des montants ainsi supérieurs aux 120 000francs annuels actuels) liée à la capacité d’investissement. Cette vision s’ancre plus dans une stratégie de développement dans la logique « AGR » : structuration économique autour de ces flux financiers, tontines, coopératives, etc. ; objectif de développement individuel, briser le « cercle » de la pauvreté. Cette évolution apparaît très adéquate avec la situation des communautés de Diré (l’exception) mais moins avec celle des communautés de Rharous (un cas bien plus généralisable) où les conditions de l’urgence sont encore très prégnantes :

- Au niveau individuel, nécessité de répondre à des besoins de survie alimentaire et sociale, - Un besoin de stabilisation sociale et d’apaisement des tensions communautaires, - Des communautés non encore engagées dans la reconstruction économique.

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Les usages individuels des fonds indiquent que les besoins couverts par les TM dépendent des besoins ressentis par les bénéficiaires, directs ou indirects (conjoints, destinataires des redistributions) et non de la « vocation » théorique de l’assistance.

- A Diré, des besoins essentiels mais également, des besoins sociaux et économiques (et notamment, dans un cadre de développement économique axé sur les périmètres irrigués distants, cf. l’acquisition d’un âne),

- A Rharous, des besoins de survie, de première nécessité, essentiels : alimentation et couchage.

Mapping qualitatif des usages des TM par les bénéficiaires

et positionnement global des zones d’étude selon les usages identifiés

Les montants des fonds alloués par les transferts sont une des problématiques exprimées par les personnels des acteurs. Les fonds sont jugés insuffisants, pour certains pour la survie de populations sans ressources par d’autres pour l’atteinte des objectifs de résilience économique. Les études de cas confirment que, même dans un milieu « favorable » comme les sites de Diré, ces fonds permettent à certains bénéficiaires d’engager des activités économiques, mais avec des perspectives de pérennisation économiques post-interventions assez faibles. De plus, dans un milieu d’extrême précarité comme les sites de Rharous, ces fonds contribuent de façon significative mais non totalement suffisante à la survie économique et sociale des bénéficiaires. Le montant des transferts est souvent critiqué, et bien plus dans le cercle de Rharous, ce qui correspond à deux réalités :

- Le fait que les bénéficiaires ne reçoivent qu’une partie (même importante) des 120 000 francs CFA prévus par les programmes,

- Le fait que les personnes pauvres de cette zone sont objectivement plus pauvres que dans les sites de Diré, et que les fonds alloués, surtout utilisés pour la survie économique et sociale, sont perçus comme certes indispensables mais très imités.

3.3. Le ciblage est emblématique des difficultés rencontrés par les acteurs du CCTS pour appliquer la « doctrine ». Le principe de ciblage communautaire est largement questionné par les acteurs à Bamako. Le ciblage est en théorie justifié par la nécessité de privilégier la cible la plus nécessiteuse, quel que soit le « concept (pauvreté, vulnérabilité) retenu. De nombreux personnels des structures actuellement en charge des TM questionnent la pertinence des processus de ciblage et témoignent des difficultés rencontrées à plusieurs niveaux : la méthodologie et les objectifs du ciblage, la définition des cibles et des critères d’identification, l’identification concrète des bénéficiaires (pauvres vs. indigents voire non pauvres). L’ensemble des personnes interviewées à Bamako s’étant prononcées sur cette

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problématique admettent à la fois le caractère insatisfaisant des méthodologies actuellement utilisées et le caractère insatisfaisant d’autres méthodologies hypothétiques. A noter que chacune des méthodes (HEA ou PMT) est jugée plus fiable que l’autre par les personnels des structures qui l’utilisent. Le caractère insatisfaisant des méthodologies actuellement utilisées relève de quatre niveaux très différenciés :

- Le faible degré de fiabilité et de pertinence des critères utilisés - Les conditions politico-sécuritaires, notamment l’impossibilité d’accès aux sites - La faible pertinence des méthodes (manipulations par les leaders, les populations elles-

mêmes) - Le coût en ressources humaines et financières très élevé en regard de la fiabilité jugée très

faible Plusieurs voix proposent de faire un ciblage plus pragmatique, moins coûteux, et notamment un ciblage géographique plus resserré avec des taux de couverture plus élevés voire progressifs selon les sites. Mais cette orientation stratégiques de mode d’allocution « rationnalisé » voire « rationnaliste » des ressources pose problème dans son principe-même : comment choisir les communautés ? Sur quels critères ? Les études de cas, très limitées géographiquement et donc peu extrapolables sur l’ensemble du nord-Mali renseignent toutefois sur la difficulté de formuler des indicateurs de zone pertinents :

- Les populations déplacées de pasteurs sinistrés pouvant être considérées comme des cibles prioritaires. Néanmoins, un village comme Soudoubé, stable mais sans ressource interne, étant tout aussi éligible sur des bases tout à fait contraires (agricole, stable, homogène…)

- Les sites enclavés apparaissent comme à privilégier par rapport aux villes et chefs-lieux de commune… mais un ciblage au niveau villageois/de la fraction vs. un ciblage au niveau communal ? quelle acceptance politique ? et quid des pauvres « urbains » ?

Le ciblage, surtout lorsqu’il est opéré via les approches communautaires, est perçu comme fortement manipulable, surtout par les leaders, à tous les niveaux. Au niveau des représentants de l’Etat, le processus peut être manipulé pour détourner de certains sites, ou concentrer sur d’autres, dans des perspectives de récupération politicienne, électoraliste et/ou clientéliste. Au niveau des chefs de village ou de fraction, ainsi qu’au niveau des comités de ciblage, on peut craindre des exclusions à base sociale (dépendants) ou politique (opposants, avec la création de dissidences internes et le désir de créations de fractions indépendantes). Enfin, à tous niveaux, y compris à celui des agents des ONG-mêmes et de leurs partenaires, les malversations et le détournement de fonds (sites ou bénéficiaires fictifs, mécanismes de distributions partielles ou de redistributions forcées, etc.) sont apparemment suspectées. Les études de cas indiquent que les relations entre leaders et « administrés » se reflètent largement dans l’administration générale des programmes extérieurs d’assistance, y compris les transferts monétaires, par les leaders. A « Diré », une gestion relativement transparente, des leaders plutôt engagés dans la mise en œuvre efficace des interventions, même si, selon une conception coutumière ou opportuniste, certains peuvent manipuler les fonds et/ou notamment faire valoir des droits de « redevance » (ex. membres des comités de ciblage, de distribution). Les leaders montrent un désir de compréhension des mécanismes de ciblage, qui achoppe sur la double méthode de ciblage communautaire et de questionnaires individuels. A « Rharous », une acceptation de surface des règles, mais leur refonte au réel en vue de trois objectifs : la reconstitution du capital économique des leaders (ponction directe), le désir d’orientation clientéliste (inclusions-exclusions motivées), mais aussi la nécessité perçue de distribuer les fonds de l’assistance à une cible plus large (plus grand nombre de bénéficiaires) que les quotas prévus par les programmes et perçus comme « imposés », et ce sans lien, ou indépendamment du fait que les montants sont assez

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transversalement perçus comme insuffisants, les deux problématiques (cible et montant) étant dissociées. On notera que ces données résonnent fortement avec les résultats préliminaires de l’étude sur la gouvernance des méthodes de ciblage menée dans le cercle de Gao par Miseli sur le volet ONG - HEA. Les populations et les leaders villageois fonctionnent comme des contrepouvoirs réciproques (AG vs comités de ciblage, et questionnaires individuels vs. choix communautaires). La plupart des personnes non leaders rencontrées montrent un réel manque d’information sur les questions relatives, non seulement au ciblage, mais aux programmes de transferts monétaires (principe, montants). Les populations peuvent s’approprier les mécanismes de ciblage et se positionner, lors des AG du ciblage communautaire, en refus des listes proposées par les membres des comités de ciblage. Ce point est particulièrement abordé par les leaders qui défendent des valeurs plus « démocratiques » de gouvernance et de respect des protocoles de ciblage (Diré, chef de village sonrai de Rharous). Néanmoins, plus la population est informée, plus elle peut elle-même manipuler les enquêtes (fausses déclarations des actifs). Dans cette perspective, la communication aux populations des principes des TM apparaît à la fois comme une nécessité (éthique, contrepouvoirs aux leaders) et comme une source de biais (manipulation). La première distribution pourrait être une occasion de communiquer aux bénéficiaires les modalités de leurs droits (montants, durée, période, usages envisagés). La notion de ménage est diversement intégrée et gérée selon les acteurs. Les problématiques sont posées différemment et les réponses sont très variables concernant la définition même du ménage, la taille des ménages et notamment la question des femmes chefs de ménage. Les données prévues par les outils du CCTS, de façon tangible, ne prennent pas en compte la polygamie (le nombre d’épouses au sein du ménage) et la question des mariages polygames est gérée différemment : soit un seul ménage, soit un ménage par épouse. Le programme Jigisèmèjiri (approche PMT) prend en compte la polygamie et exclut les ménages trop petits ou trop grands en vue d’une efficacité maximale des TM (ménages de 3 à 12 membres seulement). La définition de l’unité ménage apparaît lors des études de cas comme une problématique majeure, qui achoppe sur au moins trois niveaux. En amont : la « grande famille » (l’unité souvent « oubliée » des TM). Bon nombre de ménages fonctionnent en UP (2 à 4 ménages), Incluant ou restant en liens très forts avec des migrants économiques (frères, fils, etc.), et avec des tensions et conflits intrafamiliaux assez fréquents et parfois très durs, sites « urbains » et cercle de Rharous surtout. En elle-même, l’unité « ménage « nucléaire » (cible théorique des TM, encore mal documentée au niveau des données du S-E), qui doit inclure la polygamie, la question du divorce, du remariage, des mariages ou remariages fonctionnels (formels, lévirat, sœur cadette d’une femme décédée, etc.) et la garde des enfants voire le « don d’enfants ». Dans son fonctionnement interne : les relations entre conjoints (bénéficiaires nominaux des TM), qui sont fondés sur la hiérarchie et la subordination de l’épouse, mais qui admettent des droits respectifs. On observe différents niveaux d’entente et de solidarité entre époux : des cas d’entente et de partage, des cas de rupture, voire de pressions. En général, les femmes pauvres sont plus « enfermées » : les femmes issues de familles de chefferie et/ou plus riches sont plus respectées et ont une plus grande surface sociale ; c’est parmi elles que l’on retrouve notamment les présidentes des femmes. Les cas observés de redistribution/partage/usages mêmes des transferts monétaires illustrent ces relations complexes parfois non prises en compte lors du ciblage, par exemple partage entre ménages de l’UP, entre différentes « sous-unités » d’un ménage certes sous la direction d’un chef unique mais étendu et complexe, redistribution à l’époux divorcé en charge des enfants.

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La question du statut de la femme est très peu consensuelle parmi les personnels des acteurs. Tantôt on reconnaît aux femmes du nord un réel pouvoir de décision économique voire politique, avec une implication des femmes dans la vie politique, politicienne et communautaire, tantôt à l’inverse on déplore leur infériorisation et leur soumission au monde masculin, tantôt enfin, dans une vision intermédiaire, on leur reconnaît un pouvoir décisionnaire mais limité à la sphère domestique. Les études de cas renseignent sur le partage entre époux et indiquent que les femmes, bénéficiaires nominales ou épouses de bénéficiaires, ont largement accès aux fonds et en définissent elles-mêmes les usages. De ce point de vue, les stratégies de ciblage spécifique des femmes sont, bien entendu favorables à ces dernières. Pour autant, les femmes bénéficient directement (partage) ou indirectement (usage des fonds pour le ménage par les hommes) des transferts dont les hommes sont les bénéficiaires indirects, et ce dans les deux milieux étudiés.

Les hypothèses de travail du groupe de travail sur le ciblage :

- Renforcer la communication auprès des communautés - Offrir plus de latitude aux communautés dans l’identification des critères de vulnérabilité - Laisser la communauté faire son ciblage à travers un processus d’AG par exemple, sans

intervention ou « correction » de la part des « ONG » - Implication des autorités communales, réel engagement - Inclusion de critères sociaux, critères de vulnérabilité clairs - Ciblage géographique et progressif, par exemple une fourchette de taux de couverture

variant selon la vulnérabilité des villages entre 20 et 40%, mais avec les mêmes montants pour chaque bénéficiaire

- Actualiser les listes régulièrement (annualisation) - Renforcer la coordination entre acteurs

On notera que parmi ces propositions, certaines posent (et ont posé dès leur formulation) des questions de mise en œuvre et de faisabilité, et renvoient à la difficile (voire impossible) conciliation de la fiabilité et des moyens des méthodes de ciblage.

3.4. Les impacts économiques et sociaux négatifs sur les communautés bénéficiaires semblent surestimés L’étude ne permet de travailler sur les impacts que de façon partielle. Globalement, les études de cas ne peuvent fournir que très peu d’indices sur les impacts politico-sécuritaires. Elles ont été configurées pour cerner surtout les impacts au niveau des personnes, et de façon plus spéculative sur les communautés (village, fraction). Au niveau des individus, l’étude montre des impacts structurellement positifs. Au niveau des impacts politico-sécuritaires, l’étude « interne » (perception des équipes nationales) pointe un non-respect manifeste des principes du « do no harm » à deux niveaux majeurs : d’une part, la collusion avec l’économie criminelle : droits d’entrée dans les territoires contrôlés par des groupes rebelles et/ou illégaux, recours à des intermédiaires et/ou sous-traitants eux-mêmes inféodés à ces groupes (ONG, loueurs de véhicules, commerçant « accrédités »), d’autre part, le « laisser-faire » par manque de contrôle et manque d’accompagnement institutionnel (bonne foi) ou par crainte de la publicité (mauvaise foi) des pratiques de corruption/détournements, y compris par les agents-mêmes des ONG et des leaders communautaires. Les études de cas indiquent que, même dans le cadre « sécurisé » de Diré, avec l’inféodation des leaders (maire surtout, mais aussi communautés villageoises via les groupes de jeunes), la sécurité est négociée et nécessite des fonds conséquents (ex. 200 000 francs pour un maire pour un déplacement « sans inquiétude » à Tombouctou). Les fonds ainsi nécessaires au fonctionnement « normal » de représentants par

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ailleurs plutôt « démocratiques et bienveillants » doivent trouver des sources de financement. Sur les sites de Rharous, un degré supplémentaire de nécessité de « ponction » relève de la nécessité exprimée en demi-teinte par certains leaders, personnellement mis à mal par la crise et engagés dans des modes de pouvoirs clientélistes, de reconstituer un capital financier à visée personnelle et également politique le cas échéant. Les impacts négatifs des transferts monétaires sont probablement surestimés au niveau infra (sur les populations-cibles). L’étude auprès des acteurs indique que les impacts économiques/nutritionnels et sociaux sont perçus comme moins effectifs, et surtout moins graves, que les impacts politiques et sécuritaires. Les études de cas apportent des éléments objectifs sur les usages des transferts, y compris les redistributions, qui apparaissent comme des indicateurs potentiellement intéressants et pertinents de l’analyse des impacts sur les bénéficiaires. Il apparaît ainsi qu’une documentation précise des usages et bénéfices de ces usages par le suivi-évaluation pourrait fournir un outil d’évaluation d’impact pertinent. Les mécanismes de redistribution sont aujourd’hui pris en compte par le suivi-évaluation mais peu étayés, peu documentés et de plus différemment interprétés. Ils sont perçus, tantôt comme une entorse ou une défaillance au principe de ciblage (limitation des fonds des bénéficiaires, remise en cause du ciblage), tantôt comme une donne incontournable du fonctionnement communautaire et à des valeurs positives (partage, cohésion, entente, création de lien social, de dynamiques de solidarités dans le terme), tantôt même comme un potentiel « mécanisme de redressement » des inévitables erreurs de ciblage (bénéfices « indirects ») Les mécanismes de redistributions étudiés lors des études de cas indiquent que les transferts monétaires dynamisent les liens de solidarités. D’une part, dans des contextes de forte précarité où même les personnes pourvoyeuses sont à la limite de leurs capacités face à une demande d’aide de solidarité trop importante, ils stabilisent la tension entre « nécessiteux » et « sollicités ». Ils permettent ainsi aux plus pauvres, soit les plus « solliciteurs » dans ces mécanismes, de s’affranchir ne serait-ce que momentanément de la déconsidération sociale qui accompagne les sollicitations, voire de devenir eux-mêmes des pourvoyeurs, et dans le même temps ils dégagent les « pourvoyeurs » plus aisés d’une partie de leurs charges sociales de solidarité. Les études de cas indiquent ainsi que les pratiques de redistribution sont multiples et traduisent un impact social positif, selon trois types d’analyse :

- La comparaison entre les liens de solidarité et les modes de redistribution montrent l’intégration des TM dans les réseaux de solidarité préexistants : apparemment aucun nouveau réseau créé, aucun réseau préexistant non concerné.

- Les bénéfices associés aux redistributions se positionnent autant en réponse à des besoins statutaires (volontaires et valorisants) qu’à des besoins ressentis du vivre-ensemble et de l’empathie,

- Les usages des fonds redistribués par les bénéficiaires indirects sont majoritairement ancrés dans des besoins essentiels (alimentaires notamment), donc de première nécessité, ce qui renforce l’impact positif des transferts.

Les transferts semblent peu à même de remettent structurellement en cause les liens de solidarité. Les mécanismes de redistribution plus ou moins imposés aux membres des comités (distribution notamment) semblent, bien que peu documentés, peu pérennes car plus « contractuels » et liés à la situation de distribution, et sans création de lien social particulier, bien que cette question mériterait d’être étudiée. Les transferts ne remettent ainsi pas structurellement en cause les liens de conformité aux usages sociaux. Les mécanismes de redistributions montrent également qu’une partie d’entre elles sont liées aux mécanismes de flux monétaires coutumiers au sein des communautés : participations aux charges collectives à destination des leaders dans les communautés de Diré (rénovation de l’habitat du chef et de l’imam). De plus, quelles que soient les

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cibles, les transferts sont en termes d’opinion, plus subjectifs, associés à une recréation des réseaux de solidarité, à une dynamisation du commerce et à une plus grande accessibilité des biens de consommation courante. Un registre d’impacts de type manipulation au niveau individuel très souvent exprimés par les personnels des équipes nationales pendant les diverses sessions de travail semble vraisemblablement sans effectivité importante : la création d’un système d’assistanat, selon lequel certaines personnes renonceraient à des activités économiques pour rentrer dans les critères de pauvreté du ciblage. Un tel mécanisme semble relativement improbable, tout au moins à large échelle. Au contraire, il semble bien plus probable et effectif que des personnes hors critères cachent leurs actifs et activités pour manipuler le ciblage, ou par omission, ex. transferts reçus des migrants, des réseaux, ce qui est notamment pointé par les leaders dans le cercle de Diré et certains dans le cercle de Rharous. Enfin, un registre d’impacts de type sécuritaire au niveau individuel très souvent exprimés par les personnels des équipes nationales semblent vraisemblablement sans effectivité importante : la mise en danger des bénéficiaires vs. le banditisme (en tout cas dans nos sites d’étude) semble très improbable ; elle n’est jamais énoncée en spontané, et même sur relances, elle est soit considérée comme très improbable (Diré) soit admise comme possibilité mais jamais vérifiée par les faits par les personnes interviewées (Rharous). 3.5. Pistes de stratégie opérationnelle innovante à même de limiter les impacts négatifs du projet et maximiser les impacts positifs en vue de garantir l´atteinte des objectifs du programme. Il est peu pertinent pour l’étude de conclure sur des recommandations « objectives » du fait même du contexte d’intervention marqué par des mécanismes de corruption, opaque, mouvant, manipulable à tous les niveaux et par des rapports de force, l’intimidation, « l’intoxication ». Les déficits d’adhésion aux protocoles actuels d’intervention exprimés par les participants aux sessions de travail, et dans le même temps leurs difficultés à envisager des solutions plus pertinentes/efficientes montrent la complexité de penser et repenser les stratégies d’intervention. Il ressort néanmoins qu’à date de l’étude, les mécanismes les plus contraires au principe du « Do no Harm » se situent assez largement en amont du cycle d’intervention :

- Dans la relation, les « négociations » avec les leaders locaux (participation à l’économie criminelle, exclusions de masse, mise en danger des personnels)

- De façon certainement corrélée, dans les premiers temps de la mise en œuvre, par des mécanismes de corruption interne, très souvent mises en avant au niveau national lors des entretiens et des sessions de travail.

Deux registres d’éléments transversaux émergent ainsi comme pistes permettant aux ONG du CCTS de mieux intégrer le principe de « Do no Harm » tout au long du cycle de projet : a. Un dispositif d’organisation (ou, au sens large, de « management ») plus inclusif et participatif Les mécanismes d’opacité des acteurs des TM au Nord Mali en interne (entre personnels) comme en externe (face aux autres acteurs) apparaissent transversalement comme un frein à l’atteinte des objectifs. Le niveau local apparaît comme l’espace à la fois le plus concerné et le plus déterminant. Le recrutement des agents, la formation, la transmission des consignes, mais également le rapportage et la prise en compte du ressenti, sont autant d’éléments à renforcer. Il s’agit, d’une part de permettre à chaque type de personne impliquée (ou « catégorie de personnel ») d’avoir une perception plus juste des objectifs et des contraintes des interlocuteurs, d’autre part de mieux conscientiser l’environnement/contexte des interventions. Les indicateurs à développer en interne porteraient potentiellement sur :

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- Le sentiment de sécurité, au sens large, des personnels Face à leurs interlocuteurs, notamment les représentants des communautés

(légitimité, reconnaissance, crédibilité, capacité de persuasion) Au sein de leur propre structure (critères de communication, de bien-être,

d’appartenance, de prise en compte du stress) - L’adhésion de ces mêmes personnels, aux objectifs, à l’éthique, aux dispositifs, aux méthodes

mises en œuvre : clarté, pertinence, faisabilité, efficacité… b. Un dispositif de prise en compte du bien-être des populations-cibles Le ciblage géographique est aujourd’hui opéré sur des critères essentiellement matériels (dont les aspects nutritionnels) qui sont perçus comme les déterminants de l’efficacité de l’action. Dans cette perspective, les questions sociales et sécuritaires sont envisagées comme des leviers ou freins potentiels. Or, il semble que ces questions socio-sécuritaires soient largement déterminantes de l’efficience et/ou efficacité des interventions, et des préconisations ont émergé sur la possibilité d’intégrer le degré sécuritaire/d’opacité (ceci afin de prendre des mesures dont la préconisation échappe à l’étude, mais pour exemple de choix stratégiques décisifs, exclure un site perçu comme trop sujet à manipulations, ou trop insécurisé pour être soumis à contrôle/évaluation). Les indicateurs à développer porteraient potentiellement sur :

- Des scores donnés par des mécanismes d’observation, structures externes et agents locaux Dangerosité politico-sécuritaire Gouvernance

- Le sentiment de sécurité, au sens large, des personnes membres des communautés Sécurité personnelle : biologique, économique, psychologique Sentiment d’appartenance sociale, liens sociaux, capacité de recours économiques et

sociaux Reconnaissance des structures de pouvoir : légitimité, modalités d’administration

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Bibliographie

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(Tombouctou, Gao, Kidal), Y . Ag Youssouf, F. Bouhlel, André Marty, Jeremy Swift, PSPSDN, 2012

4. Effets économiques et financiers de la crise politique et sécuritaire au Mali : analyse de la situation et énoncé de mesures conservatoires, EDHD/PNUD/République du Mali

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6. Ethnicité et Management des Staffs locaux dans les ONG internationales au Burundi, Christian Munezero, Université Catholique d’Afrique Centrale (UCAC) – Master en Développement et Management des Projets 2007 (http ://www.memoireonline.com/07/08/1415/m_ethnicite-management-staffs-locaux-ong-internationales-burundi10.html), qui expose notamment les principes « Do no Harm »

7. Programmes de transferts conditionnés au Pérou et en Bolivie : entre ciblage et universalisation de l’assistance sociale, Nora Nagels, Revue internationale de politique comparée, 2014 (vol.21), p. 111-132

8. ENSAN Mali 2016, INSTAT, 2016 9. Profil de pauvreté des 703 communes du Mali, PNUD, 2014 10. PDSEC 2016 – 2020 de la commune rurale de Sidy Amar 11. PDSEC 2016 – 2020 de la commune rurale de Tindirma 12. PDSEC 2016 – 2020 de la commune rurale de Rharous 13. La base de données du CCTS à date du 06 12 2016

a. Suivi Outils et Rapports S&E CCTS b. Recueil des valeurs de référence par Cercle VF c. Recueil des valeurs de référence par ONG VF