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Analyse du film "Le masque du démon" - Culture et documentation du cinéma

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En partant du principe que « La marche du démon », de Mario Bava, est un film dit de« genre », donc à priori tributaire d'une conception classique du cinéma, on cherchera à démontrerles jeux d'influences de certaines cinématographies plus « modernes », qu'elles lui soientcontemporaines ou antérieures, et ce sur le plan de considérations esthétiques (iconographiques)comme épistémologiques - sémiotique donc -. Si le film mélange classicisme et modernité, cela enfait-il pour autant le tenant d'une post-modernité avant l'heure, ou s'agit-il d'un film maniériste oubaroque (n'est-ce pas là comme chez Bava une forme d'art sur le thème de la décadence) ? Dans l'unou l'autre cas, comment cette conception de la réalité et du cinéma s'exprime-t-elle au long du film ?Il s'agit là d'une perspective philosophique sur l'œuvre étudiée. Dans l'obsessive recherche de lasignification, devant un film qui ne livre pas son rapport à la réalité directement, mais dans uneconfrontation entre les différentes figures et formes qu'il met en œuvre, il s'agira de préciser nosquestions en même temps que l'on tente d'y répondre, en nous intéressant successivement à unesérie d'opposition : entre l'ombre et la lumière, le cadre et l'espace, et enfin entre la matière etl'esprit

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Page 1: Analyse du film "Le masque du démon" - Culture et documentation du cinéma

Guenais Baptiste

GUEB09058809

CIN 1003 – Groupe D

Culture et documentation du cinéma

Travail Final

Black Sunday, Mario Bava, 1960

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Après s'être débarrassé de Mussolini et être passé in extremis du côté des vainqueurs, l'Italie

s'est reconstruite et jouit de la croissance économique de l'époque. Les audiences n'ont cessé

d'augmenter, l'industrie a gagné des parts de marché sur les films Hollywoodiens, et même l'arrivée

de la Télévision en cette année de 1960 ne permet pas de faire chuter l'affluence. Le cinéma

d'horreur et du fantastique n'est pas encore reconnus par le public Italien plus familier avec le neo-

réalisme d'après-guerre et la comédie classique. Pourtant aux États-unis le genre est déjà bien assis

et a trouvé ses pionniers. Substituant à la rigidité protestante des films de la Hammer une

décontraction toute méridionale, la violence et la sexualité exposées à l'écran dans un ton beaucoup

plus cru que ce qui se faisait à l'époque, Bava assurera les beaux jours des producteurs Italiens.

S'inspirant d'une nouvelle de Nicolaï Gogol « Vij » il met en scène l'histoire d'une malédiction

ancestrale qui s'abat sur une famille de nobles. Alors que la plupart des films se font maintenant en

couleur, Mario Bava, chef opérateur de formation, opte dans le « Masque du Demon » pour un noir

et blanc très esthétisant afin de profiter des effets d'ombres et de lumière essentiels à l'ambiance

inquiétante du film. Si le film déploie l'imagerie du romantisme gothique (la brume, les ruines, les

arbres morts, les châteaux à l'architecture gothique), ainsi que son architecture en termes de styles, -

les arcs brisés, les arcs boutans - et de matières, c'est bien parce qu'il s'agit de s'inscrire dans les

codes du genre fantastique en vigueur de l'époque. Nous ne sommes pas dans un cinéma moderne,

au sens plein du terme, même si on constate certains éléments de modernisme. Ce qui à pour effet

cette ambiguïté dans le film, qui semble procéder à la fois d'un contenu classique et de formes

esthétiques originales.

En partant du principe que « La marche du démon », de Mario Bava, est un film dit de

« genre », donc à priori tributaire d'une conception classique du cinéma, on cherchera à démontrer

les jeux d'influences de certaines cinématographies plus « modernes », qu'elles lui soient

contemporaines ou antérieures, et ce sur le plan de considérations esthétiques (iconographiques)

comme épistémologiques - sémiotique donc -. Si le film mélange classicisme et modernité, cela en

fait-il pour autant le tenant d'une post-modernité avant l'heure, ou s'agit-il d'un film maniériste ou

baroque (n'est-ce pas là comme chez Bava une forme d'art sur le thème de la décadence) ? Dans l'un

ou l'autre cas, comment cette conception de la réalité et du cinéma s'exprime-t-elle au long du film ?

Il s'agit là d'une perspective philosophique sur l'œuvre étudiée. Dans l'obsessive recherche de la

signification, devant un film qui ne livre pas son rapport à la réalité directement, mais dans une

confrontation entre les différentes figures et formes qu'il met en œuvre, il s'agira de préciser nos

questions en même temps que l'on tente d'y répondre, en nous intéressant successivement à une

série d'opposition : entre l'ombre et la lumière, le cadre et l'espace, et enfin entre la matière et

l'esprit.

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Ombres et Lumières, le romantisme gothique

Mario Bava l'affirme lui-même, la direction photo est essentielle à un film d'horreur réussit.

On ne manque pas de remarquer certains jeux de lumières particuliers dans le film. La lumière en

tant que « trucage », tout d'abord ou d'effet spécial, c'est à dire la lumière comme illusion. On pense

à une des scènes à la fin du film où la sorcière Asa aspire l'énergie de la princesse Katia pour revenir

à la vie (mais il lui manquera toujours son corps). En changeant l'orientation des sources

lumineuses, avec un jeu de filtres, Mario Bava fait rajeunir l'une et vieillir l'autre en quelques

minutes sans recourir à un quelconque montage ou morphing. L'illusion fonctionne parfaitement ici,

mais ce n'est pas forcément le cas dans tout le film, (on pense au tonnerre, un projecteur

allumé/éteint rapidement). Plutôt que de proposer un manque de moyens techniques en tant

qu'explication (et ce serait peu fondé puisqu'à l'époque la question ne se posait sûrement pas en ces

termes), on préfèrera supposer un recours à un courant antérieur du cinéma ayant lui aussi

développé des thèmes fantastiques du romantisme et du gothique. L'expressionnisme

cinématographique, dans sa version allemande, allait travailler la dramatisation du noir et blanc afin

d'exprimer des inquiétudes métaphysiques. Il fallait représenter l'omniprésence du mal par

l'intermédiaire de procédés de mise en scène, entre autres l'utilisation d'un « clair-obscur »

découpant des zones d'ombres et de lumières fortement (dé)marquées dans l'image.

On peut s'arrêter ici à « la peinture du Nord » qui avait défini le rendu de la lumière comme

la quintessence de la peinture, et plus particulièrement à Rubens, tel que décrit par H. Wolfflin ;

« Écartant son chemin de la surface et la structure tectonique au bénéfice du mouvement, il ne

rencontre la vie qu'en ce qui est apparemment obscur 1». Vidant l'espace d'une partie de sa

matérialité, on permet une mise en phase expressive sur les parties éclairées (on pense également

aux portraits de Wermeer), ainsi que la projection d'un monde illusoire dans l'obscurité, monde des

possibles où la métamorphose est offerte à l'imagination. Ainsi, chez Bava, la lumière et l'illusion

qu'elle crée fait sens. C'est une lumière étrange, surnaturelle, car elle se comporte d'une façon

irrégulière presque contre-intuitive.

Les Vampires, personnages de l'ombre sont des maîtres dans l'illusion. Leur seule présence

(surtout celle de l'amant d'Asa, Janouvitch) oblige la lumière à changer sa propre nature. Quand

Janouvitch accompagne le professeur Kruvajan dans le château, on ne peut même pas l'apercevoir,

malgré la lanterne qu'il tient à la main, lanterne qui semble flotter toute seule dans le noir. La

lumière et l'ombre semblent parfois animés d'un mouvement propre et il est parfois difficile d'en

deviner la source. Dans le premier tiers du film, alors que le pater familias est allé se couché, il

reçoit la visite de Janouvitch, qui ne vient pas pour ses beaux yeux. Au bout d'un long jeu de

1 - Wölfflin, Heinrich. 1992. Principes fondamentaux de l'histoire de l'art. Paris : Gerard Monfort, Imago Mundi. p.239

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travellings et de panoramiques (on reviendra à la construction filmique de l'espace un peu plus

loin), la caméra cadre un espace sombre. La porte s'ouvre soudain, mais derrière c'est le noir total.

Soudain, le visage du vampire apparaît éclairé de profil et en contre-point ce qui à pour effet

d'accentuer les rides et les défauts du visage. On coupe ainsi l'axe de symétrie du visage en mettant

l'emphase sur la laideur de la créature à la lumière. C'est dans cette obscurité que le vampire trouve

sa définition, sa raison première et sa cause finale, comme si c'était l'ombre qui animait le corps, le

précédent de peu, projection du mal premier animant leur inconscient ( Kruvajan tentant

d'approcher la princesse Katia, ou quand Janouvitch agenouillé près d'Asa lui promet de lui amener

le corps de sa descendance c'est d'abord leurs ombres qui sont montrées) . Le monde du «  masque

du démon » est sombre, menaçant. Il est voué à la décadence, à la ruine, à ce que l'ombre déborde

de la lumière et l'aspire dans les tréfonds de l'inconscient.

Si dans l'expressionnisme comme dans le cinéma classique la lumière à pour vocation de

signifier, nous avons tenté de démontrer qu'elle n'a pas la même connotation (le classicisme vise à

une lecture maximale de l'image par l'éclairage en trois points ). Le monde ici est illusion. Or dans

ce cas les images ne seraient que des reflets trompeurs, des copies « appauvries », qui ne peuvent

prétendre à être un double du réel, d'entrer en rapport avec lui. Nous allons tenter de réfuter la

logique présentée ici, car elle s'avérerait être fondée, elle nous mènerait droit dans un cul de sac

argumentatif dont il serait bien difficile de se dépêtrer. Dans un film qui mise sur la mise en phase

de la dégénérescence, la décadence, et la laideur esthétisée, on peut d'ores et déjà se rassurer en

citant Nietzsche : « tout ce qui rappelle de près ou de loin la dégénérescence suscite en nous le

jugement «  laid ». (...) C'est une haine qui surgit – qui donc l'homme hait-il à ce point ? Il n'y a à

cela aucun doute : c'est la déchéance de son propre type. Sa haine surgit du plus profond instinct de

l'espèce : dans cette haine il y a de l'horreur, de l'appréhension, de la profondeur, de la

clairvoyance – c'est bien la plus profonde haine qui soit. C'est par elle que l'art est profond .2 ». Les

vampires du films ne sont-ils pas ces créatures de haine ? Asa sommant le jeune premier de le

rejoindre dans les ténèbres ne lui demandera-t-elle pas si il ressent « la joie et la beauté de pouvoir

haïr »? Reste à creuser.

La figure, le cadre, et l'espace. D'un certain maniérisme.

Le problème du cinéma de fantastique avec le réel, c'est qu'il paraît trop...réel. Sinon

pourquoi déréaliser le mouvement des chevaux tirant une calèche en jouant la scène au ralentit ?

Comme le soulignait Edgar Morin, « nous vivions le cinéma dans un état de double conscience [car]

l'illusion de la réalité est inséparable de la conscience qu'elle est réellement une illusion sans pour

2 - Nietzsche, Friedrich. 1907 « Divagations d'un inactuel » dans Le crépuscule des idôles. Trad Albert, Henry. Paris : Flammarion. §20.

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autant que cette confiance tue le sentiment de réalité »3. Autrement dit, si nous pouvons opérer la

distinction entre la « pensée rationnelle » empirique et la « pensée imaginaire », elles n'existent

pourtant pas séparément, la réalité ayant toujours besoin de l'imagination pour prendre forme dans

la conscience (les empiristes, Bacon et Hume en tête, remarquaient que nos idées dérivent de nos

perceptions et sont copiées de ces mêmes perceptions par l'imagination). Inversement, l'imaginaire

ne peut jamais se concevoir sans la réalité dont elle s'abreuve, ne serait-ce que parce qu'elle lui

fournit les formes esthétiques nécessaires pour la création d'images nouvelles. Or le cinéma permet

cette combinaison de figures et de formes en un tout nouveau, une création d'espace, plus vive que

dans notre imagination.

On remarquera d'abord, dans « Le masque du démon », la récurrence de certaines figures. La

branche, le feu ainsi que le dragon. L'omniprésence de branches d'arbres mortes devant le cadre

(pour les plans en extérieur) ne passe pas inaperçue. Comme si la caméra, soustraite à l'action,

l'observait sans vouloir intervenir. Parfois mobile, parfois statique, ces bouts de bois effilés tracent

des lignes irrégulières et serpentent le long du cadre. En quand il n'y a pas dans le plan, on nous

ressert un insert de branche, histoire de rappeler, sommes toutes, qu'elles ne sont pas très loin. Un

plan significatif dans un des jardins du château, prend même le temps d'effectuer un panoramique le

long d'un tronc d'arbre tordu et noueux. Ensuite, aux vues de l'obscurité de l'image, des sources

lumineuses sont souvent présentes à l'écran. Outre la présence significative du démon (la

vampirisation de la lumière par les créatures de la nuit, on brûle la sorcière sur un bucher) leur

omniprésence marque le mouvement ondulatoire, le crépitement, la désintégration de la matière

(alors que le père de la famille est jeté dans le feu, son visage se liquéfie). Enfin le dragon, le

serpent ailé symbole de la famille, ou formant un S sur la tunique de Janovitch ou encore, présent

dans plusieurs plans (notamment un plan dans le château qui revient plusieurs fois, où l'on observe

les personnages au travers d'une toile d'araignée, posée entre un dragon et l'excroissance d'un pilier).

La récurrence d'une, et parfois de plusieurs, de ces figures ne peut manquer de faire penser à la

« figura serpentinata », la marque stylistique de l'esthétique maniériste. Ce « courant » de l'art

pictural qui prolonge le romantisme, marqué par des grands noms de la peinture comme Michel-

Ange ou Raphaël, utilise une image troublée et assombrie (on peut faire un parallèle avec le réveil

de la princesse où elle aperçoit le visage du docteur dans un halo flou). La figura serpentinata,

anime, met en mouvement la composition. C'est la dynamique et la fluidité qui l'emporte sur la

cohésion de l'anatomie des corps. C'est un « oxymoron visuel multiplié par deux, par trois 4». En

créant une contradiction visuelle, en réalisant la synthèse spatiale d'une série d'oppositions, on crée

la sensation que la figure est en train de bouger, on lui « donne grâce ».

3 - Morin, Edgar. 2003. Le cinéma ou l'homme imaginaire. Paris : Editions de Minuit. p.XII 4 - Berenguer, Ester Amenos. Octobre 2009. Le maniérisme en Europe. En ligne. Apparences <http://www.aparences.net/index.html>

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Pourtant, cette définition reste assez limitée dans le cadre du cinéma et de ce film en

particulier. Certes il utilise cette figure dans la composition esthétique en donnant l'impression que

ces objets inanimés possèdent une vie - on reviendra sur cette question particulière dans la dernière

partie de notre argumentation. Le feu possède d'ailleurs déjà cette vitalité, par sa nature même, qu'il

insuffle aux deux autres figures (on pense à la princesse qui regarde le tableau de son aïeule en

disant « c'est comme une flamme qui ne peut pas s'enfuir »). Mais la figura serpentina trouve ses

mécanismes impliqués à des niveaux spécifiquement filmiques, à savoir dans les mouvements et les

angles de la caméra. On retrouve une certaine idée de la déformation des corps, de leur

désagrégation dans la lumière telle que nous avons tenté de la décrire auparavant, dans la façon dont

elle découpe l'espace.

Le film procède d'une description de l'espace particulière. Par des mouvements combinés de

zooms, de panoramiques et de travellings, on nous dévoile les relations des personnages, les

intrications d'un espace sans que cela soit évoqué dans les dialogues. On pense au plan ou l'on

découvre la famille Vajda dans un travelling « en forme de S ». On cadre d'abord Katia profil

gauche, puis la caméra effectue un pan-travelling vers la gauche, en cadrant d'abord le frère et la

sœur, ensuite le frère et le père (on remonte la généalogie, vers l'origine), puis elle cadre le père

profil gauche avant d'effectuer une rotation qui permet de cadrer le père, le frère, et la fille. On

comprend le rôle du travelling: nous dévoiler un espace, le château familial, en nous donnant à voir

la lignée Vajda (comme le remarquait Jean-Louis Leutrat la présence du dragon sur le torse de

Janovitch permet de déduire une relation incestueuse avec l'ancêtre Asa). On remarque dans le film

un grand usage de ces travellings et panoramiques, qui nous présentent les relations entres les

personnages, les objets, entre personnages et objets : lorsque le professeur Kruvajan et son assistant

découvrent le tombeau, on les suit descendant l'escalier, puis ils s'arrêtent. La caméra effectue un

tour complet sur elle-même et les recadre. On aperçoit ensuite le tombeau de la sorcière. De

nouveau en face des deux hommes, un traveling rassemble les deux éléments (les hommes et le

tombeau) dans un même espace. Un panoramique, à partir du caveau, jusqu'à une obscure cheminée

où sont disposés des ossements humain, crée une nouvelle tension significative dû au

rapprochement des deux objets.

Parfois, il s'agit même d'unir plusieurs espaces entres eux, par exemple l'espace de l'auberge

et du cimetière, dans un travelling dans la première partie du film : on suit une fillette, à travers les

bois, chargé de traire une vache. Alors qu'elle arrive à destination la caméra change d'axe pour se

placer dans son dos, présentant côtes à côtes le cimetière et l'étable. On suit ensuite les

protagonistes de la crypte au château ( ici le montage est plus présent, marquant la segmentation de

cet espace, mais possède une certaine logique continue). Ainsi, à ces plans-séquences on peut

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opposer l'utilisation d'un montage rapide et saccadé, qui « surgis », matérialisant la menace latente

qui plane sur les personnages. C'est généralement lorsque la scène tourne autour de la frayeur, d'une

manière ou d'une autre, que le montage s'accélère. On pense à la scène où Janovitch sort de terre (on

utilise des raccords dans l'axe).

Si le monde est segmenté, il n'en possède pas moins une certaine continuité, non pas logique

mais sensitive. On peut y voir ici un jeu d'opposition, un oxymore autant spatial que temporel, une

altération d'un rythme naturel où le temps des personnages et le temps des spectateurs se

confondent, acquérant une certaine valeur ontologique de vérité. Car plutôt que d'une opposition

entre ces deux modes (montage et plan-séquence), on préférera parler d'une continuité, d'une

contamination. Pour preuve, avant que le vampire ne rentre dans la chambre du père Vajda pour lui

régler son compte, une série de panoramiques balayant la pièce dans des directions opposées

annonce la prochaine accélération du rythme, et l'apparition de la créature. Et que dire de ces

« effets » de cadre présents dans tous les jeux de caméras décrits plus tôt ? C'est ainsi que l'espace

du monde diégétique et l'espace du monde de la réception, se confondent dans l'esprit du spectateur.

Les ténèbres, qui avaient divisées l'espace, désintègrent ce rythme naturel, par pulsation, par

accélération, en le ramenant dans ses limites perceptives dont on nous fait prendre conscience.

A ce point de notre argumentation, il nous paraît intéressant de faire intervenir la conception

de l' « effet-montage », tel que développée par Jean Mitry, à partir de la « double nature du

cadrage», (cadre ou cache) qui tend d'un côté à enfermer les images dans une composition

esthétique et de l'autre à rendre possible pour les objets, ainsi composés, d'évoluer temporellement,

comme s'ils étaient « infinis » (Kracauer) « prolongés indéfiniment dans le temps » (Bazin)5. Le

film ne livre pas son sens dans un rapport direct au monde réel, mais agit plutôt comme le résultat

d'une synthèse. Il en résulte la perception d'une continuité dynamique projetant sur les images du

films une signification symbolique d'un ordre nouveau. Bien qu'il ne renie pas complètement l'idée

d'une réalité absolue si chère à Bazin – un faisceau d'énergies et de vibrations – celle-ci reste

toujours limitée à l'appareil perceptif humain, une structure permettant de traduire ces

« potentialités pures » en des objets distincts et reconnaissables dans le monde.

Dans cette perspective Hégelienne, la valeur suprême de l'art serait en fait une médiation

entre l'homme lié à sa condition et sa propre impuissance provoquée par le sentiment de

« disharmonie » avec l'univers. Afin de contrôler cet insaisissable présent, il élabore des outils et

des techniques de manière à en posséder un « simulacre ». L'art, comme la religion, répondrait à ce

besoin de se sentir chez-lui dans le monde par la production d'images destinées à rassurer l'homme

sur le pouvoir qu'il exerce sur ce dernier, et ceci en s'intensifiant depuis la mort de Dieu dont parlait

Nietzsche. Dans ce sens « il n'y a aucune vérité absolue dans l'art, aucune réalité absolue, et pas

5 - Lewis, Brian. 1981. Jean Mitry and the Aesthetics of the cinema. Michigan : UMI Research Presse. p.16

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plus au cinéma que dans les autres arts6». Reste simplement la vérité subjective de l'auteur, comme

puissance de création.

Ce qui affirme notre hypothèse de départ et nous éloignant des considérations intellectuelles

du maniérisme(références obscures et pas forcément cohérentes par l'art de la citation) pour nous

amener aux considérations viscérales visant l'idée d'absurdité du monde propre au Baroque. En se

définissant comme un art de l'ornement, il emploie une iconographie directe, simple, évidente et

dramatique. On tentera à présent de développer cette idée de la caméra enfermée dans sa puissance

subjective qui interprète le monde qu'elle voit, une entité qui n'est ni le regard d'un personnage, ni

celui de l'auteur. On pourra peut-être ainsi dépasser la considération phénoménologique pour

retrouver une nouvelle vérité dans l'œuvre, la vérité substantielle de l'étendue et des corps qui la

perçoivent.

Le visuel et le tactile. L'œil du vampire.

En effet, la caméra oscillant entre une position de voyeur et une participation active, voire

significative adopte un caractère particulier dans le film. On pense à des séquences que nous avons

déjà évoquées. La découverte de la crypte par les deux médecins, ou encore la traite de la vache. Le

travelling nous avait accompagné jusqu'à l'étable, pour nous présenter une jeune fille qui tire du lait.

Le tonnerre éclate, la fillette se lève pour regarder par l'ouverture de la porte, la caméra cadre

ensuite l'ouverture (l'extérieur) puis revient avec elle dans la grange. Le point du vue se départit

alors de la présence de la fillette pour venir inscrire l'ouverture du juda dans son cadrage, et nous

montre la résurrection du Vampire qui s'extirpe de son tombeau. On joue ici sur la continuité

dramatique et le décalage des savoirs, entre le spectateur et les personnages. Nous utiliserons pour

le prochain paragraphe un commentaire d'un texte de Jean-Louis Leutrat, pour venir appuyer notre

conception.

C'est comme si ce qu'on avait pu identifier comme un regard subjectif se détachait des corps

présent, se dépersonnifiait, devenait autre, comme si «  à un moment ce regard [avait] cessé d'êtres

le leur 7». Ce regard, n'est pas motivé par la présence d'un personnage, mais a pour fonction

d'enfermer ceux-ci, de les faire prisonnier d'un espace clos d'où leur regard ne peut s'échapper. Il

s'agit moins de marquer la présence d'un « autre » être substantiel dans la position du

voyeur/spectateur que l'enfermement du personnage face à lui-même, et de la peur intense

qu'engendre cet enfermement. Leutrat cite Bava «  tout ce qui m'intéresse, c'est l'homme seul dans

sa chambre qui finit par avoir peur de lui-même 8» . Le mouvement de la caméra est devenu une

substance autonome, portant en lui-même la promesse d'une menace latente, telle une présence 6 - Ibid. p.477 - Leutrat, Jean-Louis. 1994. « Le Regard Vampire ». Dans Leutrat, Jean-Louis (dir) Mario Bava, p.41-48. Liège : Éditions du CEFAL. p. 468 - Ibid. p. 46

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fantomatique planant au dessus de ses victimes. C'est un nouveau personnage, un nouveau regard

qui se crée; drainant littéralement l'œil du spectateur, emprisonnant son regard et annihilant sa

volonté. C'est le regard d'un vampire. Si le monde réel est absurde, l'art, le regard de l'artiste sur ce

monde, peut lui rendre sa signification. On pourra définir plus précisément ce regard en analysant le

rapport objet/sujet et leurs comportements respectifs (leur « façon d'être dans le monde »).

L'enfermement physique guette la majorité des personnages : Asa dans son tombeau gardé

par la croix, Janovitch dans son cercueil, Kruvajan dans la crypte, le prince dans son passage secret.

Enfermement psychologique aussi, par l'intermédiaire de son regard, le vampire pousse les gens à la

folie. « Loose yourself deep into my eyes » dit Asa à Andre Gorobek (si nous n'avons pas traduit

cette citation, c'est afin de garder la vivacité de l'idée d'égarement contenue dans l'expression).

Alors que le monde acquiert une tendance signifiante par le biais de l'illusion, une sensation

d'absurde, de contradiction et d'illogisme, se dégage des personnages du film, ou plutôt de leurs

actions. Les décisions qu'ils prennent ne semblent jamais venir ni de la raison, et leur sentiments ne

nous suffisent pas à nous expliquer leur comportement, à l'instar de la princesse qui, se réveillant,

ne trouve personne à son chevet et se met à courir dans tous les sens en hurlant. On veut souligner

qu'ici c'est bien plus souvent les personnages qui servent le déroulement du monde dans ses

dimensions spatiales et temporelles, et qui se plient à ses contraintes que l'inverse, un monde qui

s'adapte à la personnalité des personnages en déterminant leurs actions suivant une logique interne

(on parlera d' instrumentalisation). Les traits psychologiques sont ignorés ou se résument à des

stéréotypes bien campés. En fait, l'enfermement s'étend à l'ensemble du monde diégétique jusque

dans ses structures les plus profondes.

Le glissement effectué par les sujets vivants, vers des rôle d'objets dans le regard du

vampire, implique que ces derniers n'ont plus aucune prises sur les transformations du monde.

Réduits à leurs fonctions primaires ce sont les objets qui les déterminent (qui ont eux-mêmes glissés

vers un rôle de sujet, acquérant une existence, un mouvement qui leur est propre – on à déjà

expliqué cela un peu plus tôt). Le vampire chez Bava ne semble jamais ni pouvoir ni vouloir sortir

de sa condition, il est réduit dans ses comportements à des mécanismes, non pas instinctifs, mais

érigés et figé par les lois du cinéma, de l'art. C'est sa haine envers ce monde qui lui impose ce

regard. Il ne peut s'élever au dessus de l'animal, du « parasite suceur de sang », au dessus de sa

condition en se donnant un choix. Le démon ne laisse pas le choix. A ce titre, leur manque de

finesse dans les rapports humains est flagrant. Le docteur Krouvajan, vampirisé à son tour, insiste

de manière excessive pour que Katia le laisse seul avec son père malade (qu'il veut tuer bien

évidemment). Pas très subtiles pour des créatures pourtant habituées à porter le masque (sic). Eux

mêmes sont réduits à une fonction primaire, d'objets déterminés par un monde d'illusion, un monde

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dans lequel ils existent sans pouvoir tout à fait accéder à la conscience. En fait seule Barbara Steele

et son duo Asa/Katia semble faire exception, dans l'opposition antithétique entre la sorcière

sensuelle et la vierge effarouchée, dans l'expression de la haine du monde exprimée dans le regard

de l'une, l'amour dans celui de l'autre.

Car l'œil, dans le film, est la condition du vampire, destiné à regarder les autres

personnages. Le regard, c'est à la fois le pouvoir du vampire, le pouvoir d'hypnose qu'il exerce sur

les hommes, les vidant de leur substance (d'ailleurs Asa fait remarquer à Katia qu'elle n'est qu'une

coquille vide). Le regard est ce qui permet d'exprimer l'amour chez les vivants, la haine chez les

morts et la peur chez les deux. Il est d'ailleurs singulier que seuls les objets soient effectifs pour

blesser les vampires. La technique de l'homme elle seule peut vaincre le mal, puisque selon le statut

qui est accordé aux objets, (s'ils ont étés sanctifiés ou non) leur efficacités varie. Si l'homme à

investit ses objets de certains de ses concepts, de certaines de ses croyances, il semble que ces

objets l'on dépassé, gagnant le mouvement pour les figures du mal (le dragon, la branche, le feu,

tout ce qui rappelle le S de Satan) et l'idée pour les images du bien (la croix, une sorte de T pour

« theos », signifiant soit « le dieu »en grec soit « le peuple » en germanique). Ainsi l'homme s'est

débarrassé de ses idées au moment où il réalise ces artefacts, et ceux-ci deviennent indépendant de

lui ou de sa volonté. Le vampire s'est désolidarisé de son mouvement (d'ailleurs il est intéressant de

constater la raideur des corps vampires, qui semblent glisser ; Asa ne bougera d'ailleurs pas de sa

stèle pendant les trois-quarts du film) pour devenir pure substance, se nourrissant des corps, mais ne

pouvant vraiment distinguer le sien.

Alors que l'idée est enfermée dans l'artefact, la matière, elle, obtient une vie propre. Elle

paraît presque à l'étroit dans le cadre, qu'elle déborde de toute part, provoquant même chez le

spectateur la sensation d'un « toucher visuel ». Qu'elles soient représentées séparément ou au

contact les unes des autres (dans cet esprit de débordement) le feu, l'eau, la terre, la pierre, le fer et

le verre, ont pour particularités d'interagir toutes principalement avec les os et la chair. Que ce soit

le corps brulé du prince, les clous enfoncés dans le visage de la sorcière, le mort s'extrayant de son

tombeaux de terre et de pierre, l'écharde qu'on plante dans l'œil du vampire, tous ces éléments

contribuent à un certain « tactilisme » dans le film, et imposent un mouvement ouvert vers la

pluralité des matières (mais toujours sous le même dénominateur commun, l'étendue). « C'est

comme si une même chair adoptant une série d'états passager ne savait mettre fin à son déplissage

infini, comme si elle ne cessait de se répandre dans tout l'espace [du film] 9». L'infinie complexité

du corporel, l'irréductibilité de l'étendue qui vient s'opposer à l'unicité de l'esprit et l'individualité de

sa perception. C'est ici qu'on se démarque de la phénoménologie pure de Jean Mitry. Le corps n'est

pas intellectualisé, ce n'est un corps conscient ou savant. « La sensation brute ou l'affect touche 9

- L'atelier d'esthétique. 2002. Esthétique et philosophie de l'art : repères historiques et thématiques. Bruxelle : De Boeck Université. P 198

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d''abord un corps qui n'est pas structuré, un corps non organique, [...] un corps anonyme qui n'est

pas en mesure de déchiffrer la sensation, de l'ordonner, de la rapporter à un dehors séparable d'un

dedans 10». En d'autres termes, un corps pré-conscient, que l'impact de la force qui s'exerce sur lui

laisse dans le plus grand dénuement.

Oppositions entre la vie et la mort, la corps et l'esprit. Car l'être, lorsqu'il investit les objets

d'un pouvoir singulier de représenter le monde de manière signifiante, dans un mouvement ou dans

une idée, cela inévitablement conduit à la perte de son essence, de son unité. C'est dans cette

optique que sa perception fait sens, pas dans les idées qu'elle élabore, mais les sensations du corps

qui s'impriment en elle, en une suite d'impression vives, infinies. C'est le multiple qui est présent

dans l'indivisible, l'indivisible dans le multiple, la synthèse de ces impressions, qui se divisent de

nouveau selon une impulsion singulière : le regard de l'artiste et du spectateur, du mort et du vivant,

réunit par le temps de la projection et l'espace du monde filmique.

Selon Deleuze, on l'a dit plus haut, la division de la matière serait plutôt à envisager comme

un pli. Selon Leibniz, les monades-simples qui composent notre corps sous l'égide d'une monade

dominante (l'esprit) ne peuvent pas se distinguer en entités spirituelles distinctes dans la réalité. Ce

qui à lieu d'être distingué par l'esprit n'implique par forcément une séparation équivoque dans la

réalité. La série d'opposition que le film déploie apparaît être de l'ordre de la dichotomie bien plus

que de la contradiction. Si division du continu il doit y avoir, il faut concevoir ces dernières non sur

le mode des grains de sables mais sur celui des plis d'une feuille. L'infinie complexité du corporel,

l'irréductibilité de la matière vient s'opposer à l'unicité du spirituel qui est contenue en elle, et

pourtant qui la définit dans son essence. Dépassant, ou mieux, déplaçant la figuration, Bava

s'efforce d'exhiber non « la forme en tant qu'elle représente quelque chose, mais la forme en tant

qu'elle est travaillée par les forces qui la soulèvent 11». Les figures se contractent sous l'effet d'une

force extérieure, puis se dilatent pour sortir d'elles-même et devenir ce qu'elles ne sont pas. Le

monde, par ces plis et ces replis va en se complexifiant, les figures se différenciant au gré des

forces, mais agissant toujours sous un dénominateur commun. La création d'un simulacre, ne

refusant l'absurde du monde que pour en proposer une illusion orientée, un monde cyclique (les

mêmes événements peuvent se répéter à deux siècles d'intervalles) et dégénéré (rongé par le mal, la

perversité : la morsure du vampire est une métaphore de la pénétration sexuelle, une violation du

corps) où l'on échappe pas à sa destinée, ou à sa nature. Mais cette illusion se sait illusion, et se

présente comme telle, effectuant un (re)pli du sens. Ainsi la vision du réalisateur qui s'exprime dans

le masque du démon est résolument baroque.

Maintenant que ceci est démontré, on peut revenir rétrospectivement sur les critères

1 0 - Ibid. p. 1961 1 - L'atelier d'esthétique. Opp. Cit. p.196

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esthétiques et narratifs de ce courant de l'art et du cinéma. En fait la plupart des caractéristiques

s'appliquent ici, la multiplication et l'exacerbation des artifices et des procédés de mise en scène ; la

surcharge ornementale signifiante dans l'image, la présence d'objets inusités au premier plan

brouillant la vision de la scène, les mouvements de caméras virtuoses, la grande profondeur de

champ, la théatralisation du monde (ou chacun avance masqué), bref la prolifération des symboles

et des figures de styles mis en exergue par une certaine emphase stylistique. Mais c'est ici l'idée du

rapprochement entre l'art et la chair, la déformation du corps (identifiée par Deleuze), cette

dimension anthropophagique, incestueuse, dégradante et décadente menant à l'hyper-sexualisation

de la réalité et du cinéma, un art de l'impureté, du faux, un art de l'illusion, qui fait de ce film un

film baroque.

Puisque nous venons de proposer une réponse à notre argumentation, nous allons surtout

tenter de la synthétiser afin d'en faire ressortir la structure. Nous avons tout d'abord tentés de décrire

ce « monde d'illusion », un deuxième monde à opposer au monde de lumière, et donc de la vision.

Si le cinéma permet la combinaisons des formes et des figures en un « tout » nouveau, comme cela

fut le cas dans l'art pictural, ce tout étant l'illusion d'un monde où tout fait sens, il s'agissait de

préciser la nature de ces figures et de ces formes. La première figure que nous avons analysés, la

« figura serpentinata », réalisant la synthèse spatiale d'une série d'opposition à pour effet d'animer

les objets, mais en contrepartie éloigne la position du spectateur de l'action en tant que telle. On à

également remarqué la récurrence de cette figure dans la forme du film elle-même. En creusant un

peu nos exemples, on s'est rendu compte que les mouvements de caméras, unissant les personnages

et les objets créent une synthèse spatiale (elle lie les lieux du film de manière continue), alors que

« l'opposition » entre les plans-séquences et un montage plus nerveux crée par débordements une

temporalité homogène, un suite d'impressions selon une perception subjective (celle de l'auteur, ou

plutôt celle du « méga-narrateur »). Ce qui est d'autant plus singulier que le film effectue une élipse

de 200 ans dans le temps.

Dans l'optique de préciser notre idée, on se sera alors appuyé sur la théorie de l' «  effet-

montage » de Jean Mitry, au niveau de ses implication philosophiques de la phénoménologie, qui

justement tend à voir tous films (figuratif et narratif) comme cette résultat d'une synthèse

dynamique entre les idées d'espace et de temps. Il s'agit dès lors d'envisager le cinéma comme

tributaire d'une conscience subjective, elle même limitée à cette subjectivité, à son « esprit ». Or

nous avons remarqués que si une conscience subjective s'exprime dans le monde diégétique, il

fallait tenter de mettre à jour les mécanismes qui la dirige, et la façon dont ils influencent les figures

du film (ce qui doit nécessairement mener à une appréciation de la vision du monde exprimée). En

Page 13: Analyse du film "Le masque du démon" - Culture et documentation du cinéma

nous aidant de la notion de « regard vampire », on à décrit l'enfermement des personnages face à

eux même, aussi bien mentalement que physiquement.

Si le monde est déchiré par le manichéisme, et donc qu'il fait sens (opposition révélée par la

lumière), les comportements particuliers eux, semblent parfois difficiles à comprendre, comme s'il

nous manquait une vision globale de ce monde (ce que, d'une manière ou d'une autre, on n'atteint

jamais vraiment). C'est en inversant le sens, en accordant au monde réel une signification qu'il n'a

pas, puisque monde réel et fantastique sont confondus, que l'on peut mettre en évidence l'absurdité

des manières de chacun d'exister dans ce monde, véritables instruments aux services de forces qui

les dépassent. Il s'agit là d'un effet de miroir d'autant plus saisissant qu'il ne nous apparaît pas tout

de suite. Cette instrumentalisation, ce glissement des sujets vers le rôle d'objets sans volontés

propres (annihilées par le regard du vampire, une volonté supérieur) et des artefacts qui acquièrent

le mouvement et l'idée, (c'est à dire que d'objets il deviennent sujets), nous permet de mettre à jour

un nouveau rapport signifiant : si on enlève à l'homme son « idée », le libre arbitre, la possibilité de

faire un choix qui en fait un être moral, il ne reste que le corps.

Par la sensation de toucher qu'on stimule tout au long du film, de manière répulsive, dans

l'esprit du spectateur – et cela à grandement joué dans la réputation de ce film – on aboutit à l'idée

que la perception subjective n'est plus intellectualisée selon la conception phénoménologique, mais

que c'est bien le corps comme entité perceptive, qui est à l'origine de ce monde. L'idée vient ensuite,

dans un second temps, mais déjà le rapport est faussé, la réalité n'est plus qu'une image. La

meilleure façon d'appréhender un objet n'est-ce pas par le touché, qui prend conscience de l'étendue,

plutôt que par la vue qui peut seulement la déduire ? En ce sens il s'agit d'un monde diégétique

« organique », orienté selon une conception philosophique de la nature au 17e siècle, reprise par

Gilles Deleuze. Conception selon laquelle l'art baroque ne renvoie pas à quelques caractéristiques

essentielles d'une époque, étant trans-historique, mais « à une fonction opératoire » par lequel l'élan

de la vie va en se diversifiant en genres, espèces et individus, celle de «  l'un [qui] se désagrège

dans l'océan du multiple » dépliant un monde de formes variées, à partir d'une même texture

matricielle qui, ainsi, s'infléchit, se ramifie, et prolifère dans une sorte de joie cosmique 12» . Bien

sûr chez Mario Bava, on est bien plus dans la peur, et la haine qu'elle engendre, que dans la joie.

Car si le baroque peut se définir par ses caractéristiques esthétiques et formelles, il lui faut aussi

qu'il soit garant de l'« idée », inhérente à la condition humaine (et donc universelle, ce qui lui

permet de traverser les âges), de l'incompréhension du monde qui entoure l'être et l'oppresse chaque

jour.

1 2 - L'atelier d'esthétique. Opp. Cit. p. 198

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Bibliographie

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Leutrat, Jean-Louis. 1994. « Le Regard Vampire ». Dans Leutrat, Jean-Louis (dir) Mario Bava, p.41-48. Liège : Éditions du CEFAL.

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Wölfflin, Heinrich. 1992. Principes fondamentaux de l'histoire de l'art. Paris : Gerard Monfort, Imago Mundi.