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André Z. Labarrère L'image publicitaire et l'œuvre d'art In: Communication et langages. N°39, 3ème trimestre 1978. pp. 103-116. Résumé L'article qui suit est extrait d'une thèse préparée sous la direction de Roland Barthes et intitulée : « Le discours sur l'art. Peinture et musique dans les messages iconiques de systèmes mixtes imprimés. » L'auteur, André Z. Labarrère, est docteur en sociologie et assistant à l'Université de Nice. Il s'intéresse plus particulièrement à la sémiologie du texte et de l'image. Cet extrait concerne l'image publicitaire utilisant, de différentes façons, une œuvre picturale à laquelle s'ajoute un texte : une analyse très intéressante des œuvres et des thèmes. Citer ce document / Cite this document : Labarrère André Z. L'image publicitaire et l'œuvre d'art. In: Communi cation et langages. N°39, 3ème trimestre 1978. pp. 103- 116. doi : 10.3406/colan.1978.1235 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1978_num_39_1_1235

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André Z. Labarrère

L'image publicitaire et l'œuvre d'artIn: Communication et langages. N°39, 3ème trimestre 1978. pp. 103-116.

Résumé

L'article qui suit est extrait d'une thèse préparée sous la direction de Roland Barthes et intitulée : « Le discours sur l'art. Peinture

et musique dans les messages iconiques de systèmes mixtes imprimés. » L'auteur, André Z. Labarrère, est docteur en sociologie

et assistant à l'Université de Nice. Il s'intéresse plus particulièrement à la sémiologie du texte et de l'image.

Cet extrait concerne l'image publicitaire utilisant, de différentes façons, une œuvre picturale à laquelle s'ajoute un texte : une

analyse très intéressante des œuvres et des thèmes.

Citer ce document / Cite this document :

Labarrère André Z. L'image publicitaire et l'œuvre d'art. In: Communication et langages. N°39, 3ème trimestre 1978. pp. 103-

116.

doi : 10.3406/colan.1978.1235

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1978_num_39_1_1235

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L'IMAGEPUBLICITAIREET L'ŒUVRE

D'ARTpar André Z. Labarrère

L'article qui suit est extrait d'une thèse préparée sous la direction deRoland Barthes et intitulée : « Le discours sur l'art. Peinture et musique» dans les messages iconiques de systèmes mixtes imprimés. » L'auteur,André Z. Labarrère, est docteur en sociologie et assistant à l'Universitéde Nice. Il s'intéresse plus particulièrement à la sémiologie du texte etde l'image.Cet extrait concerne l'image publicitaire utilisant, de différentes façons,une œuvre picturale à laquelle s'ajoute un texte : une analyse très in téressante des œuvres et des thèmes.

L'image publicitaire reproduite par la presse illustrée a étéinvestie par la photographie. Elle l'a prise d'assaut, opérantune révolution interne qui détrônait le dessin, vieillot et dépassé,au même moment où la société française basculait, découvrantbrusquement les charmes de la consommation, avant d'enéprouver, plus tard, les vicissitudes, et se laissant séduire parceux, tout aussi retors, de l'audio-visuel. Cela se passaitily aune vingtaine d'années. La télévision entrée dans chaque foyer,la France allait, selon l'expression, changer de visage, commela publicité changeait de visage avec l'irruption de la photographie.

Dans ses bagages, cette dernière amenait toutes les techniqueset tous les trucs des nouveau-nés des industries américaineet japonaise1, ainsi que tout le savoir-faire et tout le talent deses professionnels, qui s'ajoutaient aux progrès considérablesréalisés dans le domaine de sa reproduction par l'imprimé. Enréinterprétant à son profit des réglas empruntées à l'art pictural, combinées à celles qu i lui étaient propres, elle s'affirmaitcomme moyen d'expression autonome et comme art à partentière. Elle était — elle est — désormais capable de restituerla réalité revêtue de son épaisseur existentielle ou , au contraire

de la sublimer, les objets les plus banals pouvant être transfigurés grâce à sa « magie ». Infiniment plus riche que le texteou le dessin, tant sur le plan de la dénotation que sur celui

l. Dont l'un des moindres n'était pas le degré de perfection désormais atteintpar la photographie en couleurs.

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L'image publicitaire et l'œuvre d'art

de la connotation, elle offrait, d'un coup, des perspectivesconsidérables qu i ne manquèrent pas d'être rapidement exploitées.Une ère nouvelle s'est ainsi ouverte, prolongée jusqu'ici. Laphotographie de publicité s'est forgé un langage sophistiqué.Ses mécanismes rhétoriques sont maintenant largement connus.

UN CONSTAT PREALABLECependant, un aspect de l'image publicitaire semble être resté

dans l'ombre, à l'écart des analyses, sans doute parce que sesapplications sont limitées. Il s'agit de l'usage des œuvres picturales (peinture à l'huile, plus rarement aquarelle ou gravure)au sein de certaines publicités. Nous nous proposons ici deprocéder à leur examen 2.Leur nombre est très faible. Le survol, certes non systématique,mais étalé dans le temps et. effectué sans exclusive dans lechoix des supports analysés, d'une quantité élevée de périodiques appartenant à des genres .différents (hebdomadairesd'opinion et d'information, mensuels, etc.) n'a permis de releverguère plus d'une douzaine d'exemples2. Aussi, les conclusions

auxquelles nous sommes parvenus doivent-elles être interprétéesvec quelque précaution, même si elles ne fondent pas leurpertinence sur l'abondance des cas étudiés-. Ce corpus peutêtre analysé selon divers angles de vue. On adoptera chacund'entre eux à tour de rôle.

DES ŒUVRES D'ART POUR QUELS PRODUITS ?La première question vise à savoir quels sont les produits prisen charge par ces publicités. Ceux-ci se regroupent dans troiscatégories, d'inégale importance au demeurant :

2. Précisons que nous ne prenons pas ici en compte les œuvres graphiquesoriginales, créées à des fins publicitaires par des artistes affichistes (parexemple, Cappiello, Cassandre ou Paul Colin, pour le passe, Savignac ouVillemot, pour le présent), même si, bien évidemment, elles relèvent de l'art.3. Ont naturellement été rejetées de ce corpus les publicités faites en vuede la vente . d'œuvres d'art (lithographies, par t exemple) ou de produitsreproduisant des œuvres d'art (histoires de l'art, fichiers d'art, papiers

co peints, tapisseries), dans lesquelles ces dernières ne renvoient qu'à elles-o> mêmes. De la même manière, bien que les publicités portant sur l'ameu-g, blement contiennent. parfois des tableaux, nous ne les avons pas retenues,c sauf si l'attention est expressément attirée sur eux. Il est clair, en effet,qu'ils ne relèvent pas de la même pertinence que ceux utilisés dans les

publicités émunérées et' étudiées ici.c 4. Remarquons, toutefois, que si les exemples sont peu nombreux, en

particulier par comparaison avec la masse considérable des annonces publi-S citaires qui ont recours à la photographie, en revanche, ils se retrouventdans un nombre élevé de périodiques, soit » simultanément, dans le cadre

§ d'une même campagne, soit successivement, lors de campagnes étalées dansg le temps. Aussi, nous sommes-nous contenté d'indiquer ci-après le titreS des supports dans lesquels nous les avons relevés, sans autre précision.

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Publicité 105

1 . Produits de consommation alimentaire :— nourriture: fromage Port-Salut', yaourt La Laitière5;— boissons: champagne Mercier", saumur Gratien et Meyer7,cognac Baron Otard \ bière Kronenbourg 9, Indian TonicSchweppes \2. Téléviseurs : Grammont3, Schneider7, Telefunken \3. Divers: sièges Roset "', le diamant (publicité compensée)5.

Aussi risquée, que puisse paraître une interprétation appuyéesur un corpus aussi restreint, il est difficile de ne pas releverla concentration réalisée autour de- la première catégorie et,

à l'intérieur de celle-ci, autour des boissons, qui, remarquons-le,ne sont pas, en principe, et à l'exception de la bière, des boissons courantes. Champagne, cognac et saumur peuvent êtreconsidérés comme réservés à des mets ou à des circonstancesexceptionnels. De la même façon, la concentration faite, dansune moindre mesure, autour de la seconde catégorie, celle destéléviseurs, mérite d'être soulignée. La troisième catégorie,enfin, qui comprend un produit de luxe (le diamant) et du mobilier oderne de haut de gamme, est trop sous-représentée pourpermettre d'être définie de façon plus précise. On notera, cependant, que l'un comme l'autre impliquent une notion de confort

(fût-elle entendue au sens large) et participent de l'idée de décor,celui que l'on crée et dans lequel on vit ou celui dont on est,en quelque sorte, le propre support.A l'évidence, il apparaît que les produits rassemblés dans lacatégorie 1 (ainsi que le premier produit de la catégorie 3)remplissent une fonction de satisfaction physiologique (le palais,le ventre, le corps), et que les produits de la catégorie 2 (ainsique le deuxième produit de la catégorie 3) remplissent une fonction de satisfaction spirituelle (l'œil, l'esprit). En somme, uncaractère commun se dégage nettement de cet ensemble enapparence hétéroclite. Tous ces produits ont pour objectif lasatisfaction d'un plaisir, plaisir de la table, plaisir de l'œil,plaisir de l'esprit.

COMMENT CES ŒUVRES SONT-ELLES PRESENTEES ?La deuxième question a pour but de révéler le mode de représentation de l'œuvre d'art. Quatre formules, semble-t-il, s'imposent :

1. Le tableau, suspendu dans son cadre, est inscrit dans unespace clos (généralement un salon) dont il n'occupe qu'une

petite partie (bien qu'il puisse y avoir plusieurs tableaux). Purélément décoratif, son contenu importe peu ou pas. Le tableau

5. Elle. 8. L'Express. .6. Le Point. 9. Télérama et Femme pratique.7. Paris-Match.

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Fig. 1

est ici employé pour signifier des valeurs esthétiques, économiques, idéologiques. Le tableau, c'est l'ordre établi, c'est l'ordrebourgeois.Cette utilisation s'apparente à celle qui en est faite dans lesphotographies de mode de certains hebdomadaires (notammentJours de France) axés sur la mise en valeur d'un univers conservateur et conformiste (par opposition, par exemple, à £//efconservateur plus discret et moins conformiste)." Le tableau n'estqu'un élément parmi d'autres du message iconique de l'espacepublicitaire (fig. 1).2. Le tableau, unique, est inscrit dans son cadre 10 . Il est vu enplan rapproché, car sa lecture est nécessaire à la compréhensionu message publicitaire, mais la présence du cadre énonceque, comme dans le cas précédent, celui qui le regarde, c'est-à-dire le lecteur, se trouve placé à l'extérieur du tableau. Cedernier occupe une partie essentielle de l'espace iconique del'annonce (fig. 2).3. Le tableau" est reproduit dans sa totalité ou sa quasi-totalité, mais sans son cadre, parce que le plan très rapprochéne permet pas de le montrer. Dès lors, le spectateur n'est plus

à l'extérieur de la scène, mais comme à l'intérieur de celle-ci.Le tableau peut ou non occuper la totalité de l'espace iconique12(fig. 3).4. Le tableau n'est reproduit que de façon partielle, l'imageprivilégiant un détail au sein de celui-ci. Le lecteur-spectateurse trouve au premier rang ; il est presque un acteur de la scène

Fig. 2

La galerie des ancêtres et un siège Roset?RHiiquoipas.

I

§

Iligne Roset.

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t uni qu cm rut pern fmr* du ht

Qm <fr» pvrt^nmnemeni* *»«* «•« N» *«*« P«t

Fig. 3

\vtx un récepteur Grammonr. la télévision est oeuvre d'Art

Fig. 4

représentée". Le tableau peut ou non occuper la totalité del'espace iconique (fig. 4).

10. Avec ses moulures,! ses dorures et sa plaque de cuivre portant le nomde l'artiste ou le titre du tableau, le cadre signifie l'enfermement. Une foisencadré, celui-ci est apprivoisé, prisonnier de la bienséance.11. Qui est, parfois, remplacé dans ce cas par une gravure.12. A l'exclusion du message linguistique contenu dans cette image.13. On notera que la publicité télévisée, qui fait parfois appel à l'œuvred'art, peut combiner dans un même film publicitaire * les situations 2 et 4.

Dans un premier temps, l'image montre le tableau dans son cadre. Puis,un ■travelling ou un zoom nous fait progressivement pénétrer à l'intérieurde celui-ci. Les personnages se mettent alors à vivre et vont jusqu'à sortirdu tableau. Ce sont de véritab'es métalepses cinématographiques (voir,par exemple, les publicités pour Apéricubes et pour Port-Salut, Antenne 2,1976 et 1977).

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QUELLES ŒUVRES ?La troisième question permet d'établir une typologie des œuvres.Celle-ci se décompose en trois catégories :

Les tableaux de maîtresII s'agit de tableaux célèbres peints par des artistes célèbres,dont la spécificité historique, géographique et thématique estfortement affirmée. Dans notre corpus, ils sont au nombre detrois : Botticelli, c'est la grâce florentine de la Renaissance ;La Tour, c'est l'équilibre du classicisme français du xvni" siècle ;

Renoir, c'est la joie de l'impressionnisme français de la fin duxixeU. Chacun est un symbole de perfection rassemblant lessignifiés propres à l'artiste, à ceux du lieu et de l'époque decréation. Pour plus de sûreté, le nom du peintre, voire le titredu tableau sont clairement indiqués, lisibles sans aucune difficulté en dessous ou à côté de la reproduction (fig. 5 et 6). Chacun d'entre eux fonctionne comme une référence de prestigeet condense l'idée de perfection. C'est l'œuvre d'art sacralisée.

Les pastiches

Bien qu'il soit un peu particulier, ce cas entre, selon nous, dansle contexte de ce corpus. Mais, au lieu de s'appuyer sur lesœuvres originales d'artistes connus, l'image se sert de pastiches. Ceux-ci imitent la facture d'un peintre ou, plus souvent,rappellent un style, une époque, un genre. Ce sont des « à lamanière de... » non dépourvus d'humour qui investissent unepartie de leur sens dans l'écart qui sépare l'œuvre originale deson pastiche et dans l'introduction impertinente à l'intérieurdu tableau d'objets ou de personnages insolites. Cette distanciation entraîne une désacralisation de l'œuvre d'art qui n'exclut cependant pas, au moins dans une certaine mesure, le maint

ien de la caution de l'art. De la sorte, l'art est tiré hors dumusée, ramené, pour ainsi dire, dans la rue.Cette catégorie réunit des pastiches de gravures fin de siècle(fig. 3 et.7)r> et de peintures de genre dans le style du xix6(fig. 2). Elle comprend aussi un surprenant tableau qui inclut

le portrait d'une jeune femme directement inspiré du Portraitg*de Mademoiselle Rivière peint par Ingres, mais représenté dans

è? une position inversée, comme vu dans un miroir, dans un cadre

14 . A ces trois maîtres, il faut, certes, ajouter Vermeer et sa Laitière.Cependant, l'annonce publicitaire qui utilise ses services se fonde moins

c sur la référence à l'auteur du tableau et à ce qu'il représente au sein de

l'histoire de l'art que sur la référence au « récit » qu'expose sa toile.La relation de ■ type métonymique entre cette dernière et le produit y estplus affirmée.

§ 15. L'annonce- pour le chamnagne Mercier reproduite ici est, en fait, lag première d'une série de pastiches de gravures dus au même dessinateurS (M. Dubré) et consacrés à la promotion de ce produit.

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KronenbounB."&nt qu'il y aura de bons moments.

Fig. 5Fig. 6

i 5T Tin pu m"

Fig. 7

de kermesse rustique emprunté sans vergogne à /a Danse despaysans de Bruegel (fig. 8).Il convient, ici, de distinguer les gravures des peintures pastiches. En se substituant à la photographie, ces gravures, soigneusement imitées dans leur facture, cherchent à restituerl'authenticité d'une époque jusque dans la manière de la représenter. La dimension humoristique y est plus discrète ou mêmeabsente, car son réalisme journalistique (la gravure illustre unévénement qui a très bien pu se produire ou une scène de lavie quotidienne) permet d'intégrer sans trop surprendre lesproduits concernés par la publicité. Le jeu peut consister à

introduire un élément incongru en raison de son anachronisme,dont la présence fait naître de l'insolite. Mais le traitement graphique que cet élément subit facilite une réduction de la distancesémantique qui le sépare de l'espace d'accueil.

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Fig. 8

Au contraire, les peintures pastiches, grossièrement imitées,contiennent toujours, à des doses variables, cette dimensionhumoristique qu i procède de l'intrusion dans un espace plastique sacralisé1" d'un objet insolite parce que trivial. Il y a doncsacrilège. Mais un sacrilège qui prête à sourire, car le tableaun'est lui-même qu'une imitation de l'original.Ces deux genres (peintures et gravures) se rejoignent, toutefois, n ce qu'ils se fondent tous deux sur des œuvres qui appartiennent en majorité au xix* siècle et, plus exactement, à la fin

de ce siècle. C'est que loin de se donner en modèle, comme ilen allait dans le cas précédent, la peinture et la gravure sontici un moyen de recréer un cadre de vie, une atmosphère, à lafois valorisés par les œuvres dont ils s'inspirent, mais, dans unmême mouvement, humanisés, mis à la portée de tous, par letraitement irrévérencieux dont celles-ci sont l'objet. Le tableauest utilisé comme référence d'un mode de vie.

Les toiles anonymes

La dernière catégorie comprend des reproductions de tableaux(ou de détails de tableau) authentiques, mais dont les auteurssont anonymes (fig. 9 et 10). C'est dire que ce qu i compte ici,ce n'est pas le nom de l'artiste ni le titre de l'œuvre, maisl'idée même de peinture, sans autre référence particulière.Sans doute n'est-ce pas un hasard si les quatre exemples denotre corpus sont composés de portraits parmi lesquels deuxseulement représentent des personnages identifiés et un seulpersonnage célèbre (la reine Victoria). Le sens investi est celuide la bonne société, nantie de portraits de famille, témoignagesde tradition, voire de noblesse. La reine Victoria est à la société

ce que le tableau (la peinture) est à l'image en général. Letableau est utilisé ici comme repère social.

16. Dans la hiérarchie de l'art, la peinture à l'hu'ie se situe bien au-dessusde la gravure, l'unicité supplantant la reproduct^bilité.

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Publicité 111

Fig. 9 Fig. 10

QUEL ESPACE OCCUPENT-ELLES ?Les relations spatiales que le produit entretient avec l'œuvred'art au sein de l'image publicitaire sont de deux types. Le produit est placé soit dans, soit hors l'espace diégétique du tableau.Nous étudierons tour à tour chaque situation (tableau I).

Tableau I:Nature des œuvres/Nature des produits

ŒUVRESD'ART

Tableauxde

maîtres

Tableauxou

gravurespastiches

Tableauxanonymes

P R O DU 1 TS

Produits al

Nourriture

X

X

imentaires

Boissons

X

XX

XX

le palais

TV.

XX

X

Divers

XX

l'oeil - le corps

Valeur sémantique publicitaire

dansl'espace

diégétiquedu te

(X)17(X)

xxxx

horsl'espace

diégétiquebleau

XX

xxxx

Le produit est dans l'espace du tableauorsque le produit est placé dans l'espace du tableau, il est clairu'il y a été introduit, en quelque sorte, de force. Mais il se7. Les parenthèses introduisent une nuance. Elles veulent dire que laépartition dans ou hors l'espace diégétique du tableau n'est pas touioursrès significative. Le classement dans une colonne ne fait donc alorsu'indiquer la tendance préférentielle.

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trouve alors impliqué dans une relation anecdotique avec l'espace et les personnages qui l'entourent et, par là même, commele dit Barthes 18f il est « frappé de sens », ce qui innocente, aumoins en partie, cette irruption faite contre nature. Le tableau(ou la gravure) raconte une histoire dans laquelle le produit joueun rôle primordial. De fait, celle-ci n'a. d'autre fonction que demettre en valeur le produit, même si, dans certains tableaux(Saumur, Mercier), l'accent est d'abord mis sur l'action despersonnages, généralement engagée, il est vrai, par le geste ou

par le regard, dans la direction du produit19.L'œuvre d'art, qu i ne peut être que créée de toutes pièces etqui appartient, par conséquent," à la catégorie des pastiches,est ici le support d'un récit anecdotique qui aurait pu en empruntern autre (la photographie, par exemple). Son utilisations'explique en partie par un souci de vraisemblance, la scènereprésentée étant censée se dérouler il y a cent ou cent cinquante ans, environ. Elle ajoute ainsi de la crédibilité, tout enintroduisant la dose d'insolite nécessaire pour capter l'attention. n même temps, elle introduit des signifiés de connotationqui renvoient au « bon vieux temps », à « l'acquis de l'expé

rience », etc., connotation que reprendre message linguistique,ainsi qu'on le verra plus loin..La lecture correcte du. tableau livre les clés de l'ensemble del'image publicitaire, ce qui nous autorise à affirmer que nousavons affaire,, pour employer la terminologie de Peninou, à une« publicité de l'exemplification » et de l'« anecdotisation » c'est-à-dire à une métonymie. Cette relation s'exprimera schémati-quement de la façon suivante : OA > P.

Le produit est hors de l'espace du tableauII est un cas intermédiaire entre celui-ci et le précédent. C'est

celui exemplifié ici par la bière Kronenbourg, qui a recours àun détail d'un tableau de Renoir [le Bal à Bougival). Le bockde bière figure déjà à l'intérieur du tableau. Cependant, ils'agit d'une bière non nommée, sans marque, assez discrètepour qu'il soit apparu nécessaire de la redoubler avec vigueurpar la photographie d'un second bock, placé, celui-ci, au premierplan et dans le prolongement de la marque inscrite en lettresrouges. Ce cas, également illustré ici par l'usage de la Laitièrede Vermeer, nous paraît autant relever de la première que dela seconde catégorie.

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Publicité 113

En revanche, les autres cas ne prêtent pas à confusion an.Ils distinguent sans ambiguïté l'espace ■ du tableau de l'espace de l'image publicitaire dont le tableau n'est qu'unepartie, certes importante. Cette importance, le tableau la tirede son statut de chef-d'œuvre, attesté par la célébrité del'artiste qui l'a peint ou par celle de son titre. D'où la nécessitéde souligner ce nom ou ce titre et d'où, au contraire, larelative indifférence à la qualité diégétique du tableau. Ce queraconte le tableau importe peu. Il vaut par la notoriété de son

créateur, dont l'évocation, on l'a dit,* le rend synonyme deperfection 2\ Le produit, quant à lui,- n'y a pas sa place, qui estrejeté sur un plan parallèle, à l'extérieur du tableau, dansl'espace de l'image publicitaire laissé libre.La démarche ne consiste pas ici à raconter une histoire dontle produit serait le héros. Elle vise à créer une homonymie entrele produit et le tableau, à affirmer que la perfection du' produitest égale à celle du tableau. Ce n'est pas un hasard si lesdeux exemples les p!us purs dans cette catégorie sont précisément eux qui intéressent des- appareils de télévision22. Lafidélité de la reproduction, la beauté de l'image de la télévision

renvoient à la beauté parfaite du chef-d'œuvre. L'image de latélévision reproduit la vie aussi fidèlement que la photographiereproduit le tableau qu i lui-même reproduit la vie M.~ Le chef-

20 . On réservera le cas particulier, unique dans notre corpus- (sièges Roset),où, le tableau étant seulement un élément du décor qui compose l'espacediégétique de l'image publicitaire, son déchiffrage se révèle inutile. Ilsuffit alors de lire qu'il s'agit d'un tableau dont la présence : renvoie à unsignifié de confort bourgeois. Le produit est yalorisé-par son environnement,a périphérie, auxquels le tab'eau participe. La valorisation se faitpar contiguïté. On représentera cette relation < de la manière suivante :OA < P.21 . L'exemple de Schweppes présente une variante : la notoriété glisse del'artiste ou du tableau à celle du personnage portraituré (Victoria) peint

par un peintre anonyme* II y a, en outre, une relation historique qui unitle produit au personnage puisque, ainsi que le signale le message linguistique, « c'est l'année du couronnement de Sa Très Gracieuse Majesté lareine Victoria [18371 qu'une nouvelle boisson [...3 va connaître une trèsgrande vogue. dans l'aristocratie».On relèvera, en outre, la qualité de cet exemple qui montre bien que,là où le tableau ne raconte rien (c'est-à-dire lorsqu'on ne lui fait rienraconter), la narration est prise en charge par le message linguistique.La publicité pour le cognac Baron Otard fonctionne avec des mécanismesassez similaires. A cette nuance près que le tableau est davantage maintenudans une sphère diégétique, en ce qu'il est l'objet d'une lecture placée àl'origine, de la ' narration . développée par le message * linguistique (voirnotamment « Portrait, de l'intransigeance»).22 . Voir les messages textuels suivant : « Avec un récepteur Grammont, latélévision est œuvre d'art » et « la perfection n'existe pas • seulement dans

l'œuvre d'art » (Telefunken).23. Voir Grammont : « Vous ouvrez la porte aux plus belles images sonoresde la vie du monde. » On notera : — l'équivalence entre la beauté et la vie ;— l'extension du domaine des images aux sensations auditives.Remarquons aussi que cette même remarque va jusqu'à baptiser l'un desmodèles de sa gamme d'appareils du nom de « Botticelli ».

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L'image publicitaire et l'œuvre d'art

d'œuvre, « terme métaphorisant », caractérise donc le produit,« objet métaphorisé » 2l. A la métonymie des cas précédentss'est substituée la métaphore "\ Cette relation se traduira ainsi :OA = P.

LES MESSAGES LINGUISTIQUESil reste à examiner brièvement les textes qui accompagnentles messages . iconiques, afin de vérifier s'ils ne comportentpas des aspects susceptibles de compléter notre analyse. I! est

possiblede relever

cinq thèmesrécurrents

dont on seconten

terae faire rémunération.

Le tempsIL s'agit, du thème le plus fréquent, mais il est évoqué dediverses manières :— repère historique (Schweppes : « Londres, 1837. C'est» l'année du couronnement de Sa Très Gracieuse Majesté la» reine Victoria » ; Mercier : « 14 novembre 1900. Au-dessus du» Champ de Mars, les Parisiens sablent leur Mercier en plein» ciel ») ;

— évocation nostalgique du temps passé (« 1828 : il faisait bon» habiter aux alentours de l'abbaye du Port du Salut ») ;— garantie de l'expérience (« Certains fromages ont un passé,» d'autres pas. Port-Salut, un fromage de 150 ans » ; « Kronen-» bourg. Trois siècles d'amour de la bière en Alsace » ; « Mercier«depuis 120 ans»; «Diamant: depuis des siècles, l'homme» donne à la femme qu'il aime cette pierre précieuse... ») ougarantie d'une lente" préparation artisanale (Baron Otard :

« [A] ce cognac longuement vieilli sous les voûtes du châ-» teau [...], il [...] ajoutait encore quelque chose: d'autres» années de patience ») ;

— négation du temps, par inaltérabilité de la matière (« Un» diamant est éternel. Un gage inaltérable d'amour ») ou dépassement des styles (« Un siège Roset va avec tous les styles.» Un siège dessiné pour durer plus que la mode »).

Le plaisirCette idée est exprimée à l'aide du signifiant /bon/ qu i revientà plusieurs reprises dans des syntagmes publicitaires différents(Mercier : « Dieu que c'est bon la fantaisie » ; Port-Salut : « II» faisait bon habiter...»; Kronenbourg : «Tant qu'il y aura de» bons moments » ; Schneider : « Pour faire du bon feu, il faut

» du bon bois »).24 . Suivant toujours la terminologie de Peninou.25 . Métaphore métonymique par le partage de l'idée d'image, dans le casdes publicités pour les appareils de télévision, et par le partage d'une idéede temps dans le cas de la publicité pour Schweppes.

7/15/2019 André Z. Labarrère - L'image publicitaire et l'œuvre d'art

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La fêteProche ou complémentaire de la notion précédente, celle-cipeut cependant en être dissociée, car elle y ajoute une spécificité. Fête mondaine (Mercier : « II y a toujours un brin de» folie dans notre champagne » ; Schweppes : « Les réceptions» se succédaient, brillantes, fastueuses. Entre deux tours de» valse, on boit du Schweppes ») ou fête populaire (Kronenbourg:« Une foule joyeuse danse. Entre deux danses, on savoure la» fraîcheur légèrement amère de la bière »).

La fidélité (de la reproduction), la qualité (de la recette, de latechnique)Avec ce thème, on passe à un registre placé sur un versantopposé au précédent. Au plaisir, à la fête, se substitue le soucide sérieux, poussé jusqu'à « l'intransigeance » (Baron Otard :

« Pour fson cognac] le baron Otard exigeait les meilleures, les» plus nobles eaux-de-vie de petite et de grande Champagne » ;

Grammont : « Œuvre de technicien : d'ingénieux dispositifs se» déclenchent •[...] pour conserver une reproduction intégrale» des images et du son. Votre oreille sera sensible [...] au» respect total de la sonorité des timbres » ; Telefunken : « Elle«est aussi dans la restitution fidèle du chef-d'œuvre [...]:» fidélité absolue des couleurs, de la lumière et des volumes [...].» Une gamme garantie par la technicité allemande2". »)

La beauté, la perfectionL'équivalence est ici établie entre la beauté et la perfection(Baron Otard : « Et quand ce cognac [...] semblait, pour tous,» avoir atteint la perfection, il lui ajoutait encore quelque» chose... » ; Grammont : « Œuvre d'artiste : votre œil sera» immédiatement séduit par les harmonieuses proportions de» son architecture asymétrique », «

avec unrécepteur Grammont,

» la télévision .est œuvre d'art » ; Telefunken : « La perfection» n'existe pas seulement dans l'œuvre d'art. »)

II est possible de ramasser cet ensemble dans un tableau (voirtableau II). Celui-ci confirme ce que l'analyse avait déjàcommencé à faire ressortir plus haut. La métaphore, qui correspond la convocation des grands maîtres, joue sur le signifié« perfection de la beauté ». La métonymie, qu i correspond àl'usage des pastiches, joue sur le signifié « plaisir de la fête ».La première, qui porte surtout sur des biens d'équipement,

concerne la satisfaction de l'œil (et de l'oreille) et de l'esprit.

26 . On relèvera une notion de temps (la tradition allemande) exprimée icide façon implicite. En tant que telle, nous ne l'avons pas retenue.

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L'image publicitaire et l'œuvre d'art

Tableau II : Messages linguistiques

Port-SalutLa LaitièreMercierSaumurBaron OtardKronenbourgSchweppesRoset

DiamantSchneiderGrammontTelefunken

Temps

XXXXXXXX

X

Plaisir

X

X

X

X

Fête 27 '

X '

XX ,

Fidélité/Qualité

X

XX

Beauté/Perfection

X

XX

Elle table donc, sur des signifiés élevés dans la hiérarchieéthique et esthétique. L'art, immuable, éternel, inaccessible yest une référence et aussi une caution. En se promouvant surle plan culturel par la mise en parallèle avec les chefs-d'œuvre,ces produits, à leur tour, promeuvent leurs possesseurs surun plan social. La société à laquelle ils renvoient est celle dubon ton, derrière laquelle se profilent des valeurs aristocratiques.a seconde, qui porte, pour l'essentiel, sur des produitsalimentaires (et, surtout, sur des boissons), concerne la satisfaction du corps. Elle table sur des signifiés plus « chaleureux »,souvent situés en amont dans le temps. Le xix* siècle, la BelleEpoque, auxquels les pastiches utilisés font allusion, évoquentces « bons vieux temps », ceux pas si lointains de nos grands-pères où la vie pouvait encore être goûtée, au travers, notamment, de la gastronomie considérée comme un des beaux-arts.L'art y est lié à la vie quotidienne, aux plaisirs faciles, à lafête. Dans le premier cas, le produit est haussé au niveau del'œuvre d'art : le

produit se faitœuvre d'art.

Dansle

second,l'œuvre d'art est ramenée au niveau du produit: l'œuvre d'artn'est plus que l'art de vivre.»

André Z. Labarrère

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27 . Il est à noter que le signifié « fête », absent du message linguistique,st en revanche évident au sein du message iconique (le tableau). Inverse

ment, le signifié « fête », présent dans le message linguistique (voirSchweppes), est absent 'du message iconique. Les publicités Kronenbourg etMercier l'actualisent, . pour leur pari, dans les deux messages.