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décembre 2012 • NUmérO 110 PrIX : 23 ANNALES DES MINES GÉRER & COMPRENDRE N° 110 Décembre 2012 UNE SÉRIE DES ANNALES DES MINES FONDÉES EN 1794 ISSN 0295.4397 ISBN 978-2-7472-2022-4 LE NEUROMARKETING, ENTRE SCIENCE ET BUSINESS UNE MYTHOLOGIE DES LUMIÈRES À propos du livre de Philippe d’Iribarne, L’envers du moderne LES STRATÉGIES JURIDIQUES ET MARKETING POUR LUTTER CONTRE LE PSEUDO- PARRAINAGE Publiées avec le soutien du ministère de l’Économie et des Finances couv_couv 04/12/12 17:58 Page1

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décembre 2012 • NUmérO 110

PrIX : 23 €

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N° 11

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bre 2012

UNE SÉRIE DES

ANNALESDES

MINESFONDÉES EN 1794

ISSN 0295.4397

ISBN 978-2-7472-2022-4

LE NEUROMARKETING, ENTRE SCIENCE ET BUSINESS

UNE MYTHOLOGIE DES LUMIÈRESÀ propos du livre de Philippe d’Iribarne,L’envers du moderne

LES STRATÉGIESJURIDIQUES ET MARKETINGPOUR LUTTER CONTRE LE PSEUDO-PARRAINAGE

Publiées avec le soutien du ministère de l’Économie

et des Finances

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2013, année de la sortie de crise ? Ou 2014 ? Ou 2015, peut-être ? Sauf à spéculer surles bienfaits du malheur des autres, nous sommes nombreux à souhaiter que cette crisecesse au plus tôt. Enfin, je l’espère… J’espère également que nous gardons encorequelque peu prise sur nos vies, que notre destin ne nous échappe pas totalement, que desmalfaisants obscurs ne nous guident pas inéluctablement vers quelque précipice sour-nois… J’espère aussi que les Lumières brillent toujours sur nos têtes, que la Liberté guidenos pas et que l’Avenir sera meilleur... Oui, je sais, cela ne coûte rien d’espérer, et le piren’est jamais certain.En revanche, ce qui m’inquiète, c’est lorsque je découvre, dans l’article de Bertille Fouesnant etAlain Jeunemaître, que des chercheurs en neurosciences et des consultants en marketing utilisentce merveilleux outil qu’est l’IRM, innovation majeure pour la médecine, à seule fin de savoircomment et pourquoi je préfère boire du café que du thé, utiliser le gel douche Machin plutôtque le savon Truc, avec l’intention bien établie, une fois le bouton On/Off localisé dans mon cer-veau, de me les faire consommer sur commande. Jusqu’à présent, j’avais pourtant bien l’impres-sion d’y parvenir sans l’aide de personne ! C’est cela, l’innovation ? Eh bien, parlons-en ! Ou plutôt parlons, avec Jean Béhue, de l’innovateur,ce héros de l’entreprise moderne, ce paladin de la compétitivité. De la Sainte Inquisition à l’Académiefrançaise, du XVIe siècle à nos jours, l’auteur nous retrace la genèse du mythe : tour à tour apostat ougénie, le quidam inspiré finissait usuellement sur le bûcher... Ou au pinacle, selon l’humeur dutemps. Mais aujourd’hui, l’actionnaire n’est guère romantique, et la noble étincelle porteuse durenouveau ne l’intéresse plus. Alors, l’innovateur, pourtant objet de tant d’incantations dans les dis-cours convenus, n’est plus apprécié qu’à l’aune du succès en Bourse de ses petites trouvailles. Fermonsdonc nos labos et nos centres de recherche, qui pèsent si lourd sur nos dividendes, et laissons le pro-fit du génie à ceux qui ont le temps de le laisser éclore. Le boutiquier se méfie fort de l’incertain et ilsera toujours bien temps pour lui d’acheter à d’obscurs Chinois ou de patients Indiens leurs brevetsà bon prix. À moins que, d’ici là, il ne soit déjà plus temps…Le mythe de la rationalité guidant l’Humanité vers la Civilisation et vers un Avenir forcément meil-leur, mythe particulièrement enraciné dans la culture française comme le rappelle Philippe d’Iribarnedans son dernier ouvrage, lu pour nous par Michel Matheu, me semble bien relever désormais d'unedouce nostalgie. Dans ce monde, non seulement infiniment plus complexe, mais aussi d’une toutautre nature que celui des grands philosophes d’antan, leur lumière semble désormais bien vacillanteet fort en peine d’éclairer nos très humaines incertitudes. Crise de l’environnement,crise de la finance, crise du politique, crises du sens pour le dire en un mot, toutes nousinvitent à repenser le réel et à reprendre le chantier entamé à l’aube de la révolutionindustrielle par ces hommes à la pensée audacieuse. 2013 qui commence nous pressera, à notre tour, de trouver de nouvelles voies, de nou-veaux modèles, de nouvelles stratégies. Il nous faut innover, partout, et prendre lerisque de redonner du sens à nos actions individuelles et collectives. À tout le moins, ilest permis de l’espérer, et Gérer & Comprendre s’efforcera, modestement mais avecconviction, d’y contribuer, cette année encore. Alors, bonne année à tous !

Pascal LEFEBVRE

décembre 2012, Numéro 110

ÉDITORIAL

GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 110 1

GÉRER & COMPRENDREest une série des

Annales des MinesCréée à l’initiative de l’Amicale desingénieurs du

Corps des MinesRéalisée avec le

concours du Centrede recherche en gestion de l’ÉcolePolytechnique

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GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 1102

LE CHOIX DES RAPPORTEURSChaque article est donné, selon la règle du« double aveugle », à au moins deux rappor-teurs, membres du comité de rédaction. Lecomité fait appel à des évaluateurs extérieursquand l’analyse d’un article suppose de mobi-liser des compétences dont il ne dispose pas.

LES DÉBATS DU COMITÉ DE RÉDACTIONLe comité se réunit huit fois par an, chaquerapporteur ayant préalablement envoyé soncommentaire au président du comité derédaction. C’est le comité de rédaction deGérer et Comprendre qui décide collective-ment des positions à prendre sur chaque arti-cle. Chaque rapporteur développe son avis, cequi nourrit un débat quand ces avis divergent.Après débat, une position est prise et signifiéeaux auteurs. Il arrive que les désaccordsgagnent à être publiquement explicités, soitparce que cela peut faire avancer la connais-sance, soit parce que les divergences ducomité sont irréductibles. L’article est alorspublié avec la critique du rapporteur en dés-accord, un droit de réponse étant donné àl’auteur. Ces débats permettent d’affiner pro-gressivement la ligne éditoriale de la revue etd’affermir son identité.

LES INTERACTIONS ENTRE LES AUTEURSET LE COMITÉLes avis transmis aux auteurs peuvent êtreclassés en quatre catégories :• oui car : l’article est publié tel quel et lecomité explique à l’auteur en quoi il a appré-cié son travail ; il est rare que cette réponsesurvienne dès la première soumission ;• oui mais : l’article sera publié sous réservede modifications plus ou moins substan-tielles, soit sur le fond, soit sur la forme ;• non, mais : l’article est refusé, mais unenouvelle version a des chances d’être acceptéemoyennant des modifications substantielles ;les auteurs peuvent avoir un dialogue avec leprésident du comité ; cela n’implique toute-fois pas une acceptation automatique ;• non car : l’article est refusé et l’auteur doitcomprendre qu’il n’a pratiquement aucunechance de convaincre le comité, même aprèsréécriture.Gérer et Comprendre peut aussi évaluer lesarticles écrits en allemand, anglais, espagnolet italien.

LES CRITÈRES DE REJETPour préciser quels articles la revue souhaitepublier, le plus simple est d’indiquer ses cri-tères de rejet :• DES CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES FONDÉES SUR AUCUNE OBSERVA-TION OU EXPÉRIMENTATION : mêmesi Gérer et Comprendre déborde la seule tra-dition clinique et expérimentale dont elleest née, elle se méfie des considérationsthéoriques déployées sans confrontationavec les faits. Le plus souvent, les méthodesde validation statistiques laissent sceptiquele comité, bien que plusieurs de ses mem-bres (qui ne sont pas les moins critiques…)aient par ailleurs une large expérience de

l’enseignement des méthodes mathéma-tiques et statistiques ;

• DES DESCRIPTIONS SANS CONCEPTS :à l’opposé du cas précédent, c’est ici ledéfaut de la narration sans structurationthéorique qui est visé ;

• DES TRAVAUX SANS PRÉCISION DESSOURCES : le fait de restituer des observa-tions ou des expériences pose naturellementun problème : le chercheur n’étant ni unobservateur invisible, ni un investigateurimpassible, il importe de préciser commentont été effectuées les observations rappor-tées, cela afin que le lecteur puisse juger parlui-même des perturbations qu’ont pu occa-sionner les interactions entre l’auteur et lemilieu dans lequel il était plongé ;

• UN USAGE NORMATIF DES THÉORIESET DES IDÉES : on a longtemps rêvé de loiset de solutions générales en gestion, mais cetespoir ne résiste pas à l’observation ; les arti-cles qui proposent, soit des théories implicite-ment ou explicitement normatives, soit desrecettes présentées comme générales, sontpratiquement toujours rejetés ;

• DES ARTICLES ÉCRITS DANS UNSTYLE ABSCONS : considérer que les textessavants ne doivent s’adresser qu’aux cher-cheurs est un travers étrange de la rechercheen gestion : c’est pourtant dans le dialogueentre théorie et pratique que naissent le plussouvent les connaissances les plus nouvelles,comme le montrent les dialogues desLumières, dont les Annales des mines portentl’héritage ; mais il faut pour cela que le stylesoit suffisamment clair et vivant pour encou-rager la lecture de ceux qui n’ont pas d’enjeuxdirects de carrière pour lire ; il arrive alors quele comité aide les auteurs pour amender laforme de leurs textes.

Mais nul papier n’est parfait : ainsi, certainsarticles publiés pèchent au regard des critèresci-dessus. Mais c’est aussi le travail du comitéque de savoir de quels péchés on peut absou-dre. Gérer & Comprendre est toujours atten-tive à favoriser les pensées vraiment originales,quand bien même elles seraient en délicatesseavec les règles énoncées ci-dessus.

INFORMATIONS PRATIQUESLes articles ne devront pas dépasser les 40 000signes, espaces compris.Ils devront être adressés par l’internet (de pré-férence) à l’adresse suivante :

[email protected] par voie postale en triple exemplaire à :

Caroline ELISSEEFFÉcole de Paris du Management,187, boulevard Saint-Germain

75007 PARIS.Merci de ne laisser dans le corps du texte(soumis au comité de façon anonyme) aucuneindication concernant l’auteur.Toutes les informations nécessaires aux rela-tions entre le secrétariat du comité et l’au-teur (titre de l’article, nom et qualités del’auteur, coordonnées postales, télépho-niques et Inter net, données biographiques,etc.) seront rassemblées sur une page séparéejointe à l’envoi.Les titres, les résumés et l’iconographie sontde la seule responsabilité de la rédaction.

RÉDACTION DES ANNALES DES MINESConseil Général de l’Économie,

de l’Industrie, de l’Énergie et des Technologieswww.annales.org

Pierre COUVEINHES, Rédacteur en chefGérard COMBY, Secrétaire général

Martine HUET, Assistante de la rédactionMarcel CHARBONNIER,

Lecteur

GÉRER & COMPRENDRERÉALISATION

Manne HÉRON (†), Maquette intérieure

Hervé LAURIOT DIT PRÉVOST,ESE, Génie Atomique

Mise en pageStudio PLESS,

Maquette de couvertureChristine de CONINCK,

IconographeMarise URBANO,

Réalisation

ABONNEMENTS ET VENTESÉditions ESKA

12, rue du Quatre-Septembre 75002 Paris

Directeur de publicationSerge KEBABTCHIEFFTél. : 01 42 86 56 65 Fax : 01 42 60 45 35

TARIFSVoir encart p. 89-90

FABRICATIONAGPA Éditions

4, rue Camélinat42000 Saint-ÉtienneTél. : 04 77 43 26 70 Fax : 04 77 41 85 04

COUVERTURECang Jie, ministre de l’empereur Jaune,Chine vers -2750. Inventeur mythiquedes caractères chinois. De ses quatreyeux, il perce les secrets du Ciel et de

la Terre. Peinture in Portraits dequelques-uns d'entre les principauxChinois qui se sont rendus célèbres,

1685. Paris, BNF. Photo Raffael/LEEMAGE

PUBLICITÉEspace Conseil et Communication,

2, rue Pierre de Ronsard 78200 Mantes-la-JolieTél. : 01 30 33 93 57Fax : 01 30 33 93 58

TABLE DES ANNONCEURSAnnales des Mines : 2, 3 et 4e de couverture

GÉRER & COMPRENDRECOMITÉ DE RÉDACTION

Tél. : 01 42 79 40 84Gilles ARNAUDESCP Europe

Rachel BEAUJOLIN BELLETReims Management School

Michel BERRYPrésident

École de Paris du ManagementHamid BOUCHIKHI

Groupe ESSECThierry BOUDÈS

ESCP EuropeFrançoise CHEVALIER

Groupe HECBernard COLASSE

Université de Paris-DauphineCaroline ELISSEEFF

Secrétaire de rédactionPierre COUVEINHES, Rédacteur en chef

des Annales des MinesHervé DUMEZ

Centre de recherche en gestion de l’École polytechnique

Daniel FIXARICentre de gestion scientifiquede l’École des mines de Paris

Dominique JACQUET Université Paris X Nanterre

Pascal LEFEBVREUniversité d’Évry-Val d’Essonne,

Éditorialiste de Gérer & ComprendreChristian MOREL

SociologueFrédérique PALLEZ

Centre de gestion scientifique de l’École des mines de Paris

Francis PAVÉCentre de sociologie des organisations

Jérôme TUBIANAGroupe DanoneMichel VILLETTEAgro Paris Tech

Jean-Marc WELLERLATTS – École Nationale des Ponts et Chaussées

GÉRER & COMPRENDRERELECTEURS HORS COMITÉ

Aurélien ACQUIERESCP Europe

Franck AGGERICentre de gestion scientifique de

Mines ParisTechPierre-Jean BENGHOZI

Centre de recherche en gestion del'École polytechniqueClaire CHAMPENOIS

Audencia NantesFlorence CHARUE DUBOC

Centre de recherche en gestion del'École polytechnique

Sylvie CHEVRIERUniversité Paris-Est Marne-la-Vallée

Pascal CROSETPraxéo ConseilFrançois ENGEL

Centre de gestion scientifique deMines ParisTechAlain FAYOLLE

EMLYON Business SchoolPatrice FOURNAS (DE)

Russell et Reynolds AssociatesFrancis GINSBOURGER

Cabinet ATEFOBenoît HEILLBRUNN

ESCP Europe - Chercheur associé Alain JEUNEMAÎTRE

Centre de recherche en gestion del'École polytechnique

Sihem JOUINI BEN MAHMOUDUniversité Paris Sud Faculté JeanMonnet - Chercheur au Centre de

recherche en gestion de l'École poly-technique et au PESOR

Frédéric KLETZCentre de gestion scientifique de

Mines ParisTechHervé LAROCHE

ESCP EuropePhilippe LORINOGroupe ESSEC

Eléonore MARBOTESC Clermont

Etienne MINVIELLEINSERM

Jean-Claude MOISDONCentre de gestion scientifique de

Mines ParisTechPhilippe MONIN

EMLYON Business SchoolNicolas MOTTISGroupe ESSEC

Séverin MULLERUniversité de Lille 1

Michel NAKHLAAgroParisTechThomas PARIS

Chargé de recherche au CNRS, profes-seur affilié à HEC, chercheur associéau Centre de recherche en gestion de

l'École polytechniqueJean-Louis PEAUCELLE

IAE - Université de la RéunionFrançois PICHAULTUniversité de Liège

Nathalie RAULET-CROZETIAE de Paris, Centre de recherche engestion de l'École polytechnique

Claude RIVELINEÉcole des mines de Paris

Jean-Claude SARDASCentre de gestion scientifique de

Mines ParisTechBlanche SEGRESTIN

Centre de gestion scientifique deMines ParisTech

Fabien SERAIDARIANMazars

Jean-Baptiste SUQUETReims Management School

Dominique TONNEAU Centre de gestion scientifique de

Mines ParisTechThierry WEIL

Mines ParisTech

ANNALES

DES MINESFONDÉES EN 1794

ISSN 0295.4397

SÉRIE TRIMESTRIELLEN° 110 • décembre 2012

LE FONCTIONNEMENT DU COMITÉ DE RÉDACTION DE

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GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 110 3

En 1981, a été créé un séminaire “Ethnographie des organisations”, dont l’enjeu était de promouvoir dans nos orga-nisations modernes des approches semblables à celles menées par des ethnologues dans des territoires lointains. Ce séminaire mensuel, qui s’est tenu de 1981 à 1988, a été le lieu de nombre de séances stimulantes, dont l’une desretombées a été la création, en décembre 1985, d’une revue dédiée à l'observation et au débat, une revue appelée…Gérer et Comprendre.Nous sommes donc heureux d’encourager cette nouvelle initiative dans le droit fil de nos principes fondateurs.

APPEL À CONTRIBUTIONJournées Doctorales

Ethnographie dans l’entrepriseApproches interdisciplinaires des pratiques managériales

Sociologie et sciences de gestion

Michel BerryPrésident du Comité de Rédaction

de Gérer et Comprendre

10 et 11 avril 2013ENS, 48 boulevard Jourdan, 75014 Paris.

Ces journées donneront la parole à 12 doctorants qui souhaitent présenter des enquêtes de terrain réalisées dans des entre-prises privées du secteur concurrentiel, afin de mieux comprendre des processus, des événements, des logiques d’action dumanagement.

Elles sont organisées par le Centre Maurice Halbwachs, en coopération avec le Centre de Recherche en Gestion de l’ÉcolePolytechnique, l’École Doctorale de l’ESCP Europe, l’Université Paris Ouest et l’Université Paris Dauphine.

Les interventions des doctorants seront commentées par les membres du comité scientifique composé de : – Marlène Benquet, Sociologie, Université Paris Dauphine, IRISSO.– Valérie Boussard, sociologie, IDHE, Université Paris Ouest.– Hervé Dumez, gestion, CRG Polytechnique.– Hervé Laroche, gestion, ESCP Europe. – Michel Villette, sociologie, CMH–PRO, AgroParisTech.

Pour participer :

Transmettre les propositions d’intervention sous la forme d’un résumé d’une page au format PDF, avant le 25 janvier 2013à : <[email protected]>

Transmettre un projet d’article de 40 000 signes maximum au rapporteur, au plus tard le 30 mars 2013

Les articles les plus aboutis pourront être soumis à la revue Annales des Mines, série Gérer et Comprendre :

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GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 1104

Présentation

« Les sociologues aiment parler de fonctionnement de processus, mais leurs méthodes les empêchent, en général, de saisir concrètementles processus dont ils parlent si abondamment » (Howard BECKER, 1970, Sociological Work, Aldine, New York).

L’observation d’un processus social prend beaucoup de temps et pose des problèmes de comparabilité et d’objectivité dans lerecueil des données. On peut donc comprendre que les chercheurs en sciences sociales recourent le plus souvent à des expé-dients pour parler savamment de processus qu’ils n’ont pas vraiment pris le temps de suivre dans leurs tours et détours. Desdonnées fragmentaires (questionnaires, interviews, archives, dénombrements statistiques) sont alors utilisées pour reconstituerpar la pensée le processus complet dont on prétend rendre compte. Pourtant, et pour citer encore Howard Becker, « l’inter-prétation par les sociologues de données fragmentaires n’est juste que si leur conception du processus sous-jacent est exacte ».Autrement dit, pour parler comme Pierre Bourdieu (1980), il faut être équipé d’une « théorie de la pratique » exacte pourinterpréter correctement les indices et les traces fragmentaires recueillis au cours d’une enquête sociologique, fragments qui nedonnent que des indications partielles sur des conduites humaines continuellement remodelées.

Si l’on appelle « démarche ethnographique » un séjour prolongé dans le lieu de travail choisi et une participation aussi com-plète que possible aux activités que l’on essaie de comprendre, alors on peut dire que c’est une occasion unique pour le doc-torant de satisfaire à l’idéal d’une sociologie compréhensive avant de s’essayer à l’interprétation, à la remontée en généralité et,éventuellement, à la critique.

Une telle immersion est d’autant plus nécessaire que le doctorant est encore étranger au milieu professionnel qu’il étudie. Ellelui permet d’acquérir les « compétences indigènes » indispensables pour accéder à une compréhension intime de la vie descadres, ingénieurs et dirigeants dont il prétend expliquer l’activité. Elle l’oblige à s’engager dans des épreuves, à accomplir desperformances, à partager des émotions. Surtout, elle le fait accéder à la part ésotérique du management des entreprises, condi-tion pour réaliser des travaux susceptibles de concurrencer avec force les idées reçues véhiculées par la communication d’en-treprise, les consultants et les médias.

En donnant la parole à des doctorants dont les travaux s’approchent autant que possible de ce mode d’investigation, ces jour-nées contribueront à mettre à l’honneur la narration détaillée de processus d’entreprise observés in situ et en temps réel pardes professionnels s’efforçant de devenir chercheurs ou par des chercheurs s’efforçant de partager un temps l’expérience desprofessionnels.

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6L’IMPROBABLE PÉRENNITÉDES JOURNAUX INTERNESPar Gérald GAGLIO et Olivia FOLI

15LES STRATÉGIES JURIDIQUESET MARKETING POUR LUTTER CONTRE LEPSEUDO-PARRAINAGEPar Gerlinde BERGER-WALLISER, Björn WALLISER et Franck VALENCIA

24COMPRENDRE LESAMBIGUÏTÉS DU COACHING, À L’ÉCLAIRAGEDU FONCTIONNALISMEPar Jean NIZET et Pauline FATIEN DIOCHON

34GÉNÉALOGIE DE L’INNOVATEURPar Jean BÉHUE

43PEUT-ON DIRE QUE LESFILIALES OCCIDENTALESIMPLANTÉES EN TUNISIEONT UN COMPORTEMENT« ÉTHIQUE » ? Par Rym HACHANA

54LE NEUROMARKETING,ENTRE SCIENCE ET BUSINESSPar Bertille FOUESNANT et Alain JEUNEMAÎTRE

64UNE MYTHOLOGIE DES LUMIÈRESÀ propos du livre de Philipped’Iribarne, L’Envers du modernePar Michel MATHEU

70Pierre-Jean BENGHOZIL’ÂGE DE LA MULTI-TUDE – ENTREPREN-DRE ET GOUVERNERAPRÈS LA RÉVOLUTIONNUMÉRIQUEÀ propos de l’ouvrage de Nicolas Colin et HenriVerdier, L’Âge de la multi-tude, Entreprendre et gou-verner après la révolutionnumérique, Ed. ArmandColin, 286 p., 2012.

Sylvie CHEVRIERLE MANAGEMENT INTERNA-TIONAL : UNE PERSPECTIVEFRANCOPHONE À propos de l’ouvrage de UlrikeMayrhofer et Sabine Urban,Management international. Des pra-tiques en mutation, Pearson, 2011

Hervé DUMEZLES MÉGA-PROJETSÀ propos du livre de FlyvbjergBent, Megaprojects and Risk. Ananatomy of ambition, Cambridge,Cambridge University Press, 2010

Hervé DUMEZCOMMENT LES PONTS PEUVENT-ILS ENCORES’ÉCROULER AU XXIe SIÈCLE ?À propos du livre de PetroskiHenry, To Forgive Design.Understanding Failure, CambridgeMA, Harvard University Press, 2012

Arnaud TONNELÉLA NOUVELLE GUERRE DE SÉCESSIONÀ propos du livre de Thierry Pech,Le Temps des riches – Anatomied’une sécession, Paris, Seuil, 2011

80BIOGRAPHIES DES AUTEURS

83ANGLAIS, ALLEMAND, ET ESPAGNOL

GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 110 5

AUTRES TEMPS,

AUTRES LIEUX

NOUS

AVONS LU

MOSAÏQUE

EN QUÊTE

DE THÉORIE

L’ÉPREUVE DES FAITS

RÉALITÉS

MÉCONNUES

décembre 2012 • Numéro 110

SOMMAIRE

AUTEURS

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Multimédia, réseaux sociaux, médias participa-tifs… : tels semblent être les nouveaux hori-zons de la communication interne. C’est en

tout cas ce qu’inspirent les positions relayées dans lessphères professionnelles sur les pratiques communica-tionnelles. Mais l’étude des activités des communi-cants internes en entreprise nuance cette représenta-tion. Une enquête réalisée en 2010 auprès d’unepopulation de communicants internes (responsablesde service, chargés de communication interne) dansde grandes organisations productives a ainsi montréque les dispositifs numériques étaient souvent balbu-tiants et nous a donc renvoyés vers un support certesmoins « innovant », mais indéboulonnable : le journalinterne (JI). Nous avons en effet constaté que ce sup-port continue à être très largement répandu dans lesgrandes entreprises. La pérennité contemporaine des JI « papier » destinésaux salariés est donc une énigme. Leur continuité estassurée, malgré des arguments militant en faveur de

leur arrêt, mis en saillance par l’enquête. Ces argu-ments sont de trois ordres (au moins) :– Premièrement, leur coût. La rédaction, le maquet-tage, l’impression, l’enveloppage plastique (parfois) etla distribution auprès (dans certains cas) de milliers desalariés représentent un poste budgétaire conséquent ;– Deuxièmement, une relative indifférence de la part deceux qui en sont destinataires. Par exemple, une coordi-natrice d’un JI dans le secteur de la Défense nousindique que d’après une étude interne, les salariés de sonentreprise ne connaissent pas, dans leur grande majorité,le nom du JI de l’entreprise. Autre illustration, dans lespremiers numéros du JI d’une nouvelle société de ges-tion d’actifs figure un guide de lecture rapide : « Prenez5 minutes pour découvrir les 3 sujets phares du numéro » ;

GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 1106

L’IMPROBABLEPÉRENNITÉ DES JOURNAUX INTERNESPlusieurs arguments militent pour l’arrêt des journaux internes impri-més (coût, relatif désintérêt des salariés, etc.). Pourtant, ces supportssont toujours publiés. Les raisons de cette improbable pérennité sontanalysées dans cet article à l’aune d’une enquête menée auprès decommunicants internes de grandes firmes. Après avoir retracé lagenèse de ce support, nous montrons que les journaux internes mettent en scène un « ordre organisationnel », qui comble un vide de prescription pour les communicants et recueille l’assentiment des

milieux dirigeants. Trois hypothèses exploratoires complètent l’analyse. Le journal interne :a) simule le contrôle, dans des contextes de plus en plus instables, b) il permet de témoigner d’une harmonie apparente entre discours etactions et, enfin, c) il renforce des croyances dominantes (sur le lien social et l’acceptation du changement).

Par Gérald GAGLIO* et Olivia FOLI**

RÉALITÉS MÉCONNUES

* Sociologue, maître de conférences à l'Université de Technologie deTroyes.

** Maître de conférences à l'Université Paris Sorbonne, CELSA.

006-014 Gaglio monté_• pages paires G&C 96 05/12/12 11:06 Page6

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GÉRALD

GAGLIO ET OLIVIA FOLI

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le concepteur de ce JI tente de sa propre initiative d’en-rayer le risque d’une non lecture. Nous déduisons del’enquête que les JI sont globalement ignorés, lus en dia-gonale, voire carrément tournés en dérision(LLEWELLYN, HARRISON, 2006) par les salariés, sauf lesarticles les concernant directement ;– Troisièmement, un décalage temporel. Le rythme deparution des JI, souvent aléatoire, est lent (trois à qua-tre numéros par an en moyenne d’après l’enquête),comparativement à la vitesse de circulation de l’infor-mation par ailleurs. En outre, les JI ne permettent pasde riposter à la publication, en avant première, d’in-formations contrariantes distillées dans les médias parles syndicats, par les pouvoirs publics ou, encore, dif-fusées sur Internet.Malgré ces limites, les JI « centraux » (ceux à destina-tion de l’ensemble des salariés) continuent d’êtrepubliés. C’est ce que nous avons noté lors de notrerecherche effectuée dans le cadre du programmeCOMUT (Communication et Multi-activité auTravail) financé par l’Agence Nationale de laRecherche. Notre enquête a donné lieu à vingt-quatreentretiens semi-directifs (avec seize femmes et huithommes) au sein de firmes relevant de secteurs variés(automobile, secteur de la banque et de l’assurance,transport, énergie, défense). Nous avons égalementprocédé à une observation non participante pendantquatre demi-journées, assisté à deux comités édito-riaux de JI et collecté des matériaux écrits (échangesde courriels, to do lists, versions intermédiaires, puisfinales de JI). Dans notre panel d’entreprises enquê-tées (onze, au total), une seule a abandonné son JI,deux en ont repris la publication, les autres ne l’ontjamais stoppée : le remplacement par un support enligne ne s’opère pas, pour l’heure, et des communi-cants continuent de se consacrer exclusivement au JIdans le cadre d’une parcellisation des tâches assezpoussée dans ces services.Nous considérons que le maintien des JI représente latendance générale et que la continuité de leur publi-cation procède d’une décision des dirigeants ou, dumoins, qu’elle profite de l’assentiment des sphèresdirigeantes.Afin d’analyser la persistance des JI dans cette perspec-tive, nous emprunterons librement la notion nodale ducouple signifiant/signifié du linguiste Ferdinand deSaussure (1857-1913). Le point de départ de ladémonstration est le fait que la valeur de ces JI résidemoins dans leur substrat informationnel (le signifiant,ici) que dans leur signifié (ce qu’ils suggèrent). Ilconviendra alors de qualifier ce signifié : nous le nom-merons « ordre organisationnel ». Notre propos est demontrer que la représentation d’un ordre organisation-nel, soit en l’occurrence une vision positive et ordonnéede l’organisation, concourt au maintien des JI, car ellesied aux dirigeants. Cette explication sera étayée et com-plétée par d’autres hypothèses qui emprunteront en par-tie au registre du symbolique.

Nous débuterons notre parcours par un détour histo-rique sur l’avènement et l’évolution des JI, car l’his-toire et la littérature académique éclairent sur les rai-sons de leur survie. Puis, nous proposerons unenotion ad hoc, l’ordre organisationnel, à l’aide de lacatégorisation du contenu de JI collectés au cours denotre enquête. Enfin, forts de cette notion, nous for-mulerons des hypothèses relatives aux sphères diri-geantes, en réponse à l’énigme de départ.

GÉNÈSE, ÉVOLUTION DES JOURNAUX INTERNESET DE LA LITTÉRATURE AFFÉRENTE

Le contexte de l’émergence des JI sera une premièresource de leur survivance. Cette émergence a été pro-gressive. Elle s’est produite au cours du dernier tiersdu XIXe siècle pour les États-Unis, les Pays-Bas, laGrande-Bretagne, l’Allemagne et la Suisse, puisconnaît un essor en France au début des années 1920(MALAVAL, 2001). Les constructeurs automobiles ensont les premiers promoteurs, de même que l’entre-prise Casino. Les thèmes de l’alcoolisme, des accidentsdu travail et de la lutte contre les grèves sont très pré-sents (op.cit.). À noter également que de jeunes diri-geants issus de Polytechnique ou de Centrale emboî-tent le pas à ces pionniers : en quête de légitimité, carn’appartenant pas à la famille fondatrice de l’entre-prise, ils voient dans le JI un organe de promotion deleur action (op.cit.).Au-delà des spécificités nationales, un même mouve-ment historique est impliqué : l’avènement des grandessociétés verticalement intégrées dans les économiesoccidentales, soit les firmes « chandleriennes ».Cette période se caractérise par une transformation dumode de gouvernement des hommes et de leur coor-dination prescrite, du fait d’un changement d’échelle.Une communication de proximité entre les supérieurset les subordonnés n’est plus suffisante. Il convient demettre en place une communication du proche aulointain et d’assurer la circulation des informationsdans tous les espaces de l’organisation. Cela passe parune « révolution de l’information » (YATES, 1989) : ledéploiement de l’écrit (au plan administratif et com-mercial), de techniques de production, de duplica-tion, d’enregistrement et d’archivage des informations(1) ayant à circuler dans ces firmes, de même que l’ap-parition de nouveaux types d’écrits (rapports, corres-pondances,…). Des procédés de contrôle et de communication top-down se mettent également en place. Les procédures,qui se multiplient alors, en sont emblématiques, demême que les circulaires et les règlements intérieurs

(1) Comme la machine à écrire, le bordereau ou le stencil (ce pochoirservant à reproduire des documents par un procédé sérigraphique)(LICOPPE, 2000).

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(MALAVAL, 2001). Le JI s’inscrit dans ce sillage. Undirecteur d’usine américain note ainsi, à la fin duXIXe siècle : « si l’on compose un journal assez attirant etléger pour retenir l’attention du début à la fin, et quel’on élimine les sermons trop brutaux, il est alors possi-ble de temps en temps de transmettre des recommanda-tions et des conseils assez bien enrobés pour pénétrer lacarapace du lecteur et rester imprimés en lui » (cité parLicoppe, 2000, p. 14). Le JI apparaît également commeune tentative de re-personnalisation des rapports au tra-vail, de redonner vie à des relations chaleureuses fondéessur une solidarité de type traditionnel (YATES, op.cit.),souvent sur fond de paternalisme. Deux polarités, ayant

la même origine, se font donc face : d’un côté, un sup-port permettant de s’adresser à l’ensemble des salariés etde « faire passer des messages » et, de l’autre, un supportstimulant la convivialité, valorisant l’être ensemble, ainsique le travail opérationnel. Ces orientations persistent àl’heure actuelle au travers des JI « papier », mais aussi desblogs et d’autres productions locales (papier ou numé-riques) émanant des ramifications territoriales des orga-nisations – que nous n’avons pas eu cependant la possi-bilité d’étudier. C. Malaval (2001) distingue à ce titre les

journaux d’« organisation » des journaux « sociaux ».Dans le prolongement, nos enquêtés proposent unedichotomie entre les journaux « business » et les jour-naux « terrain », ou, variante, entre le « code institution-nel » et le « code magazine ». Contrairement à aujourd’hui, à l’époque des TrenteGlorieuses, l’orientation de convivialité l’emporteclairement. La prolifération de journaux de sites,comme l’Entre Nous des chantiers navals deDunkerque (DELCAMBRE, 1998), a renforcé cettetendance. Il s’agissait alors de valoriser un « espritmaison » et des initiatives sociales l’alimentant (pourles vacances, les loisirs, la vie collective), dans la fou-

lée de la création des comités d’entreprise après laSeconde guerre mondiale.Par la suite, les JI évoluent du fait de la professionna-lisation croissante des communicants internes (DE LA

BROISE, 2006). Ils se chargent progressivement de leurrédaction. De nos jours, les communicants internesassurent de manière privilégiée la coordination destâches d’écriture à l’interface entre une agence spécia-lisée et les membres de l’organisation. Comme lemontre N. Deley (1995), à propos de la trajectoire du

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« Si l’on compose un journal assez attirant et léger pour retenir l’attention du début à la fin, et que l’on élimine les sermons tropbrutaux, il est alors possible de temps en temps de transmettre des recommandations et des conseils assez bien enrobés pour péné-trer la carapace du lecteur et rester imprimés en lui », gravure de Louis-Léopold Boilly (1761-1845), « Les journaux », 1823,Musée Carnavalet, Paris.

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JI de Merlin Gerin entre 1943 et 1985, la multiplicitédes prises de parole libres dans le JI (expression patro-nale directe) (2), rubriques réservées aux salariés pourdes récits ou des poésies, billets d’humeurs ou articlesconférences) s’en est trouvée affectée : pris en chargepar des professionnels, le JI redevient préférentielle-ment un espace d’expression de la direction et dumanagement. Ce trait se retrouve dans notre panel deJI consultés : par exemple, un seul donne la parole àdes élus syndicaux.D’autres travaux proposent une piste différente pourinterpréter la persistance du support. Ainsi, N.d’Almeida (2001) note que les JI procèdent d’uneffort de mise en récit de l’organisation par elle-même, en prenant ses salariés et ses réalisationscomme vedettes. Dans le prolongement, en parlantdes films d’entreprise, T. Heller (2000) indique quel’organisation y est le « représenté ». De plus, pour cetauteur, les différents commanditaires négocient, autravers de ce qu’il s’agit de montrer, la nature de« leur » entreprise. Le JI peut s’appréhender ainsi. N.Deley (1995) détaille différents mécanismes qui assu-rent la représentation des personnels dans un JIcomme le fait de les citer (verbatim inséré dans unarticle), ou encore de les montrer (avec des photogra-phies) ou encore de les nommer (en associant patro-nyme, prénom et fonction).Cette idée de « représenté » est à approfondir et à pré-ciser. En effet, les JI façonnent et véhiculent unereprésentation de l’organisation ; mais quelle est-elle ?Autrement dit, quel est le signifié des JI ? Pour yrépondre, nous explorerons et catégoriserons lescontenus de JI collectés au cours de notre enquête.

LES TRAITS CARACTÉRISTIQUES DE L’ORDREORGANISATIONNEL DANS LES JOURNAUXINTERNES

Les constats qui vont suivre résultent de l’examend’une trentaine de JI « centraux » recueillis lors denotre enquête, dans huit entreprises. Ils concernent lapériode 2008-2010. Quelques exemplaires de jour-naux thématiques (par exemple, sur la santé/sécurité)ou issus d’une direction particulière de l’entrepriseont aussi été étudiés. Les JI très institutionnels domi-nent, mais l’orientation « sociale » précédemmentévoquée se retrouve également. Afin de faire émergerce que nous nommons « ordre organisationnel », lestraits communs à ces JI, plus que leurs différences,seront mis en évidence.

Arrêtons-nous pour commencer sur des éléments destructure. Les articles ne sont généralement pas signés,seule l’adresse e-mail d’un « contact » du projet pré-senté est parfois indiquée en fin de papier. Dansl’« ours » (3), le « directeur de la publication » est leplus souvent le haut dirigeant de l’organisation,comme s’il s’en portait garant. L’expression « le jour-nal des salariés », souvent employée comme sous-titre,est donc quelque peu trompeuse. S’agissant justementdes sous-titres et des titres de ces supports, ceux-cis’inscrivent dans un champ de représentations balisécomme suit :– l’expression d’une diversité (Multi) ou de la tailleimportante du groupe (Global) ;– l’appartenance (Vox Assurance (4), « le magazine detous les collaborateurs d’Assurance » ; UniversMutuelle, Global Automobile, « le magazine des salariésde l’automobile »), – la reconnaissance (Énergie infos, « le magazine deceux qui font Énergie » ; Multi, « le magazine deséquipes qui assurent »),– le mouvement, le progrès (Avancées, Ambition)… Pour ce qui est des rubriques, on retrouve une partie« actualités » (résultats d’élections au comité hygiènesanté et sécurité (CHSCT), par exemple, un (ou plu-sieurs) dossier thématique central et une partie « pers-pective » (points stratégiques, points sur le marché,regard sur l’extérieur en vue d’en tirer de « bonnes pra-tiques », etc.). Cette structure se décline de diversesmanières, parfois en tentant d’engager le lecteur : « jerencontre », « je veille », « j’ai l’info », « je découvre »,parmi les rubriques relevées dans Énergie Infos. VoxAssurance adopte une structure plus classique, quirecoupe le schéma triadique évoqué plus haut : larubrique « décrypter rapidement » (actualités), « parta-ger nos savoirs » et « approfondir nos expertises » (l’équi-valent du dossier), « regarder autour de nous » et« découvrir autrement » (pour la partie « perspec-tives »). Ces structurations se déclinent, par ailleurs,dans les formats rédactionnels courants (l’article, lereportage, la brève, l’interview et l’éditorial).En se penchant sur le contenu de ces JI, cinq traitsstructurants apparaissent.Premièrement, les JI constituent un espace privilégiépour mettre en avant l’« activité organisatrice », c'est-à-dire les moyens mis en œuvre (démarches, disposi-tifs) pour structurer la coopération et tenter d’orienterle travail des salariés vers des performances indivi-duelles et collectives optimales (ALTER, 2000). Unekyrielle d’occurrences se donne ici à lire. Il peut s’agirde la description d’une démarche d’« excellence opé-rationnelle » à l’échelle de l’organisation, de la mise en

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(2) Comme la rubrique intitulée « De ma fenêtre », puis « Le premierMerger s’adresse aux autres », de 1946 à la fin des années 1950.

(3) L’ours est un espace qui comporte des mentions légales obligatoires :les noms de l’éditeur, du directeur de publication, de l’imprimeur et lelieu d’impression. Il énumère l’ensemble des personnes et des entités

ayant participé à la confection du journal (à l’origine, l’ours aurait été lesurnom donné, dans les imprimeries du XIXe siècle, au compagnon pres-sier qui était chargé d’encrer les caractères, en raison de ses gestes amplespour assembler les lettres relativement lourdes).

(4) Afin de préserver l’anonymat des firmes enquêtées, leur nom a étéchangé.

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place d’un nouvel outil d’aide à la décision, des« Trophées de l’Innovation » (permettant de louer à lafois un dispositif organisationnel et l’ingéniosité decertains salariés), d’entretiens annuels d’échanges, etc.L’attention est également marquée vis-à-vis des nou-velles technologies (par exemple, pour les démarchesd’e-learning) et des réseaux sociaux (mise en placed’un réseau social d’entreprise, d’un réseau d’expertsinternes).Deuxièmement, le JI relaie des initiatives visant àmontrer l’organisation comme un acteur responsablede la société civile. La culture d’entreprise s’étend aucaractère responsable de l’entreprise. Il sera alors ques-tion de mécénat, de sponsoring, d’actions prenant encharge les enjeux du handicap et du développementdurable (covoiturage, mesures pour réduire laconsommation d’énergie en interne), ou, plus précisé-ment, pour un distributeur d’énergie, d’actions pourprotéger les oiseaux se posant sur des lignes à hautetension. Certains des communicants rencontrésemploient le terme journalistique de « marronniers »pour désigner ces articles, au sens où ils servent à rem-plir le JI quand les sujets manquent. Ces articles sontégalement consensuels et se renouvellent facilement.Le concept de « ressource sûre » (GOFFMAN, 1988)rend compte de ce mécanisme : il relève de situationsdans lesquelles il convient d’éviter les silences en ali-mentant la conversation avec des « menus propos »non conflictuels et quasi inépuisables (comme le faitde parler de la pluie et du beau temps).Le JI témoigne de l’implantation internationaleet/ou régionale des groupes dans lesquels nousavons enquêté. La tension entre intégration et diffé-rentiation, qui est critique pour les organisations detaille importante (LAWRENCE, LORSH, 1967-1989),s’y rejoue et demande à être maîtrisée symbolique-ment. Les JI sont, de ce fait, traduits en plusieurslangues, ils peuvent avoir un verso en français et unrecto en anglais, ou encore être divisés entre unepartie consacrée à l’international et une autre dévo-lue à la France. Le JI sous-tend ainsi un enjeu nonnégligeable de représentation non seulement desramifications locales et nationales de l’entreprise,mais aussi de ses différentes entités fonctionnelles etde ses personnels. La présence de photographies desalariés quasiment à toutes les pages des JI enatteste. Surtout, il s’agit de montrer une organisa-tion cohérente, cohésive et en ordre de marche. Celava de pair avec la valorisation des sans grades (agentsde lignes de production, employés de centres d’ap-pels) ou de services méconnus, que l’on montre entrain de travailler, en utilisant la forme du reportage(du type « 24 heures aux Moyens Généraux »). Quatrièmement, sans qu’il soit montré, le « client »

est néanmoins un personnage central des JI. Il faut lesatisfaire, l’écouter, en prendre soin (5). Ce projet col-lectif mobilisateur se superpose à ceux de l’adaptationpermanente et de la nécessité de changer pour pro-gresser. En plus d’être en ordre de marche, l’organisa-tion est en ordre de bataille.Enfin, dans certains cas, le ton des JI frise la languede bois et l’exhortation via l’emploi de formulesincontestables : « Être réactif, rigoureux et se mettreen mode amélioration permanente », « La prise d’ini-tiatives et le sens de l’intérêt général sont des piliers dela culture du progrès », etc. La présence de ces for-mules est variable selon les entreprises. Plus large-ment, l’accent est mis sur les effets bénéfiques desprojets entrepris, sur les réussites, mais jamais surles déboires ou les retards. Ceux-ci ne sont mention-nés que pour indiquer qu’ils sont identifiés, et solu-tionnables, qu’ils sont normaux en phase dedéploiement d’un projet et que celui-ci est en voied’amélioration. Dans les JI de l’année 2008 quenous avons analysés, seuls ceux d’une firme de ban-cassurance mentionnent la « crise », et encore sur lemode « Se réinventer pour préparer l’avenir ». Dansune perspective proche, la formule « Un bilan glo-balement positif » est courante. On lit ainsi, dans unnuméro de Global Automobile, un diagnostic cri-tique s’agissant des méthodes de travail et de la coo-pération : trop-plein de réunions, processus de déci-sion long et lourd, rétention d’informations. Ceconstat est rattaché à une démarche (« Simplifierl’automobile ») portée par les dirigeants : l’expres-sion critique ne vaut que si elle est reconnue par lemanagement et si elle est de nature à déclencher uneaction corrective d’envergure. Le JI sert ainsi àrelayer l’action dirigeante et managériale, à lui don-ner un espace d’exposition et d’explicitation. Legrand nombre d’interviews de managers, encorerares dans les premiers JI (DELEY, 1995), l’illustreparfaitement.Ces traits caractéristiques des JI permettent de formu-ler notre définition de l’« ordre organisationnel, entant que signifié des JI » : l’ordre organisationnelconsiste en la représentation d’une organisation cohésive,cohérente, en ordre de marche et de bataille. Cette orga-nisation est soucieuse de son environnement et de ses sala-riés. Elle défend leur professionnalisme, mais les enjointà évoluer, notamment dans le but annoncé de satisfaireses clients et de faire face aux changements. L’ordre orga-nisationnel consiste aussi à mettre en scène l’activitéorganisatrice déployée à des fins d’amélioration, ainsique l’action managériale et dirigeante, qui pense etdéploie cette activité organisatrice. Par conséquent, l’or-dre organisationnel constitue une vitrine de « ce quifonctionne » et/ou de « ce qui est en passe de fonction-ner ».N’oublions pas, à ce stade, que l’ordre organisationnelest une représentation, une proposition de sens, etnon un calque de la réalité. Cette représentation ne

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(5) Dans l’éditorial d’un JI d’un opérateur de téléphonie, on apprendainsi que le programme d’amélioration de la relation client s’appelle« care » (sans doute en raison de l’éthique que véhicule ce même nom).

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saurait ainsi se confondre avec l’« ordre social négo-cié » (STRAUSS, 1963-1992), qui participe de la coo-pération et de la réalisation concrète du travail au seind’un ensemble organisé.Cette représentation d’un ordre organisationnelarrange les communicants internes comme les diri-geants. Pour les communicants internes, notrerecherche conduit à cette interprétation : la repré-sentation d’un ordre organisationnel qui se façonnenon sans vicissitudes, de JI en JI, d’après les diresdes interviewés, comble une absence de prescriptions’agissant de l’orientation de leur travail. Ils inter-prètent alors ce qui est attendu d’eux en produisantcet ordre organisationnel. Pour les dirigeants et lehaut management, l’ordre organisationnel (en tantque) signifié des JI sert, par hypothèse, davantage àmettre en valeur et en mots leurs actions dans unedirection qui leur convient : comme nous l’avonsvu, les JI contribuent à embellir le paysage(VILLETTE, 2011), à gratifier des salariés en les mon-trant en train de travailler et à insister sur certainesinitiatives louables. Le JI ne consiste donc pas sim-plement en des « paillettes » (op.cit.) et en un refletde la doxa managériale (BOTH, 2006) : il constitue

plutôt une vitrine joliment achalandée de la vie del’organisation.Pour ce qui est plus spécifiquement de la valorisationde l’action dirigeante, celle-ci s’opère d’abord vial’éditorial : comme notre enquête l’a montré, celui-ciest signé par un dirigeant et figure en début de JI.Mais il est écrit, la plupart du temps, par les commu-nicants internes. La parole dirigeante leur est délé-guée, sans qu’ils en soient des porte-parole nomina-tifs. Ensuite, le JI donne à lire des stratégies qui n’exis-tent pas dans la réalité et que les dirigeants et le mana-gement ne se hasardent pas toujours à formuler. C’estce qu’indique un des enquêtés à propos de la respon-sabilité sociale :« Faire le dossier sur la Responsabilité Sociale del’Entreprise, ça a été folklorique. Parce qu’on leur [a]dit : « C’est quoi ? Qu’est-ce qu’on cherche à obtenir ? Çava être illustré comment ? Qu’est-ce qui va étayer cettedémarche ? » Et F. (la coordinatrice en interne)demande : « Quels vont être mes interlocuteurs ? ».« Ben, là, ça va pas être possible, parce qu’il n’y a per-sonne qui sait répondre ». Alors, on demande à [ceux de]la RH, qui sont normalement en charge de ce relais-là…Ils disent : « Y’a personne… ». Personne n’a une vision

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« N’oublions pas, à ce stade, que l’ordre organisationnel est une représentation, une proposition de sens, et non un calque de laréalité », « Les Régents de l’orphelinat », huile sur toile de Jan de Bray (1627-1697), Frans Hals Museum, Haarlem (Pays-Bas).

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d’ensemble pour dire : « Voilà ce que l’on fait… » (Jean-Philippe, 56 ans, responsable de la communicationinterne d’une banque).

SPHÈRE DIRIGEANTE ET PÉRENNITÉ DU JOURNAL INTERNE

L’étude du contenu des JI a mis en évidence la représen-tation d’un « ordre organisationnel ». Notre recherchemontre que l’activité des communicants internes estlargement orientée vers la production de ce signifié enlequel ces professionnels croient et auquel ils accordentde l’importance. Néanmoins, cela est insuffisant pourexpliquer la pérennité des JI. Les communicants nesont en effet ni les décideurs ni les financeurs du JI. Unacteur déterminant est à intégrer dans la réflexion, ledirigeant commanditaire des JI qui peut, s’il le désire,interrompre leur publication du jour au lendemain. Laposition des dirigeants, et plus largement de la sphèredirigeante (le top management), à l’égard des JI est doncà considérer. Pour ce faire, notre enquête ne nous ayantpas donné directement accès à cette population, nousnous appuierons sur les témoignages des communi-cants internes rencontrés et sur nos notes d’observa-tion. Ces éléments empiriques nous permettent in fine,en complément des éléments démontrés plus haut, deposer des hypothèses exploratoires sur la pérennité desJI au regard des motivations des dirigeants. La princi-pale de ces hypothèses, que nous avons déjà évoquée,est qu’il existe un lien entre l’ordre organisationnel,représenté dans les JI et le maintien de ces supports : latournure de ce signifié sied à la sphère dirigeante.Poursuivons sur cette voie (6) en nous situant parfoisdans le registre du symbolique.Premièrement, il convient de relier la pérennité des JIà la forte incertitude, en cette période de crise et demutations constantes, qui frappe les grandes organisa-tions, comme leurs dirigeants. Au contraire d’un envi-ronnement qui se dérobe, le JI est synonyme decontrôle et tire sa force d’un effet de contraste. Ledétour par l’histoire des JI avait déjà fait écho à lanotion de contrôle. Désormais, elle renvoie à uncontexte d’incertitude. D’une part, en plus de consti-tuer une tribune actionnable à l’envi, les dirigeantspeuvent changer des mots, des titres d’articlesjusqu’au dernier moment, recaler ou ajourner un arti-cle, en sus du processus de validation formel.Symboliquement, le JI prêt à être imprimé est mêmesouvent déposé sur le bureau du principal dirigeant del’organisation, afin que celui-ci donne son accordfinal à sa publication, rappelant ainsi son droit sur cesupport qu’il a « à sa main ». Tous les communicants

internes interviewés décrivent cette contraintelorsqu’ils dépeignent leur activité et ne tarissent pasd’exemples quant aux interventions auxquelles ils ontun jour ou l’autre été confrontés dans leur pratique.D’autre part, l’ordre organisationnel signifié dans lesJI représente un milieu social harmonieux dont lesmembres se sentent bien et où les dirigeants tiennentles rênes malgré les bourrasques. En somme, le JI ren-voie à une demande de crédit de la part des dirigeants,ainsi qu’à une théâtralisation de leur maîtrise decontextes mouvants, et donc difficilement lisibles.Cela marque l’entrée dans une nouvelle période, selonnous, pour cette forme sociale résistante qu’est le JI.Deuxièmement, les JI constituent une prouesse ausens où ce support parvient, de par son existencemême, à faire cohabiter discours et actions. Cetenjeu est crucial pour les dirigeants. En effet, lesorganisations sont en permanence sommées de s’ex-primer et de s’expliquer auprès de différents publics,dont celui de leurs salariés. Or, les actions menéesau sein des organisations sont nombreuses, pas tou-jours claires et parfois incompatibles entre elles, sur-tout en ces temps troublés. Cela met structurelle-ment les organisations en position d’hypocrisie(DUMEZ, 2012), c'est-à-dire qu’un décalage abyssalentre les paroles et les actes est souvent observé. LesJI, par le biais de leur signifié, qui n’est autre quel’ordre organisationnel, permettent (tout au moins,aux yeux des communicants internes et des diri-geants) d’éviter ce travers et de mettre en cohérencediscours et actions. Cet exercice d’équilibriste estpérilleux tant la difficulté est grande de devoir navi-guer entre deux pôles d’attraction (BOUZON,MORILLON, 2009) : représenter la parole dirigeanteet managériale, tout en ne trahissant pas la réalitévécue (mais aussi crainte) par les salariés et par lesdirigeants eux-mêmes. Cela étant, parvenir à cetteharmonie apparente entre discours et actions au seind’un support confère à celui-ci de la valeur. Au plansymbolique, toujours, une esthétique du JI en tantque production visuelle s’associe à cette prouesserelative au contenu. Des enquêtés nous ont ainsiexprimé leur satisfaction de tenir en mains et depouvoir montrer ce beau support sur papier glacé aumaquettage raffiné et aux photographies soignées.Gageons que les dirigeants partagent ce jugementde goût et qu’ils concourront eux aussi au maintiendes JI papier.Troisièmement, le sentiment du caractère indispen-sable des JI participe de croyances qui en favorisenten retour la pérennité. Les croyances, rapportées audomaine des organisations (ALTER, 2000), se concré-tisent dans des choix (un nouveau système d’infor-mation, une nouvelle méthode d’organisation dutravail, etc.) qui ne relèvent pas d’une efficacité attes-tée, mais d’une efficacité potentielle (ALTER, 2009,p. 184). Les croyances peuvent être normatives(c’est-à-dire d’imitation, faire parce que les autres

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(6) Considérons comme acquis que les dirigeants se reposent sur lescommunicants internes afin de parler (avantageusement) de la vie orga-nisée et de s’exprimer en leur nom.

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font) ou positives (faire parce que l’on croit à l’effica-cité future de tel ou tel dispositif ) (op.cit.). La persis-tance des JI procède, selon nous, d’une combinaisondes deux. Plus encore, leur maintien émane d’unaccord tacite, d’une rencontre de croyances entre lescommunicants internes et les dirigeants. Cette ren-contre n’exclut pas des tensions et des incompréhen-sions. Aussi, les dirigeants désirent quelquefois d’al-ler au-delà, en quelque sorte, de l’ordre organisation-nel. Ils désirent, par exemple, éradiquer des nuancesdans la présentation déjà positive d’un projet : unenquêté dit dans ces cas, tout en le regrettant, devoir« rosifier » la réalité. Mais communicants internes etdirigeants sont globalement en phase. En réson-nance avec une « perspective relationnelle et intégra-trice » (GIROUD, 1994) développée dans la littéra-ture, les JI aideraient ainsi à promouvoir auprès dessalariés des valeurs jugées positives par l’organisa-tion, avec une volonté de faire adhérer ceux-ci à uneculture d’entreprise partagée et de fortifier leur sen-timent d’appartenance. Un enquêté se réfère parexemple à l’acte symbolique consistant à déposer leJI dans les boîtes aux lettres personnelles des salariés.Autrement dit, le JI contribuerait à renforcer le liensocial dans l’organisation : la genèse et l’évolutiondes JI nous avaient enseigné cela, mais ce qui étaitautrefois un simple vœu devenant parfois la réalité(comme avec les JI « familiaux » et communautairesen période de forte croissance) devient largementcroyance, tout en restant un moteur partagé de l’ac-tion. Plusieurs de nos interviewés relaient cettecroyance : « Les objectifs de la communication internesont d’informer les collaborateurs, les motiver, les fédé-rer et développer un sentiment d’appartenance, et doncde mettre en œuvre des plans d’action pour tout cela »(Christelle, 32 ans, chargée de communication dansune compagnie d’assurance).On peut raisonnablement penser que les dirigeantsadmettent cette croyance, ce cadre de pensée impli-cite. Une autre zone d’accord concerne le supposé lienmécanique entre la lecture du JI et la vulgate del’« acceptation du changement ». Dans les sphèresdirigeantes, par hypothèse, « communiquer », faireœuvre de « pédagogie », notamment au travers du JI,sont des moyens légitimes et efficaces pour favoriserl’adhésion au changement. Lors de notre investiga-tion, des enquêtés font leur cette croyance pour justi-fier leur activité, en particulier les rédacteurs des JI,lorsqu’ils s’interrogent sur leur utilité. Notons, par ail-leurs, que le maintien des JI revêt un aspect systé-mique : les agences de communication interne ontintérêt à ce qu’ils continuent d’exister et donc adhè-rent (ou font mine d’adhérer) à ces croyances relativesaux JI ; de nombreux journalistes pigistes y trouventrefuge. Enfin, il est courant pour un directeur généralfraîchement nommé, d’ordonner une refonte du JIpour pouvoir lui apporter sa touche personnelle, sui-vant en cela les conseils de consultants.

CONCLUSION

Élucider l’énigme de départ a supposé que nous nousdétournions du signifiant des JI pour nous rapprocherde leur signifié. Le recours à l’histoire des JI nous afourni des pistes pour appréhender leur improbablepérennité, de même que la littérature du domainenous a permis de confirmer le fait que l’organisationest le « représenté » de ces supports. Un retour auxcontenus des JI étudiés dans notre enquête nous a per-mis de les classifier et de mettre en évidence que lesignifié des JI consiste en un « ordre organisationnel ».La projection d’un ordre organisationnel dans les JIsied aux dirigeants, ce qui est l’une des clés permettantde comprendre pourquoi leur publication estpérenne. Trois hypothèses exploratoires ont ensuite expliqué cesoutien tacite :– a) Dans un contexte de forte incertitude, le JI a lavertu de mettre en scène le contrôle, car il fournit lareprésentation d’une maîtrise de l’organisation par lasphère dirigeante. Cela lui confère une certaine force ;– b) Les JI font montre d’une harmonie apparenteentre discours et actions qui convient globalementaux dirigeants (par hypothèse), ainsi qu’aux commu-nicants (l’enquête en atteste). Leur valeur de supports’en trouve augmentée. Leur esthétique y participeégalement ; – c) Enfin, des croyances, identifiées dans l’histoiredes JI en tant que projets, contribuent au maintiendes JI. La question de la crédibilité des JI aux yeux des sala-riés relève d’un autre débat. En effet, de l’avis mêmede nos interviewés, le JI gomme souvent les aspérités,occulte ou attenue les contradictions, grandes etpetites, qui constituent pourtant l’expérience subjec-tive du travail. Ce support risque ainsi de s’éloigner defaçon irréversible de la réalité perçue et vécue dansl’organisation. �

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GÉRALD

GAGLIO ET OLIVIA FOLI

GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 110 13

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RÉALITÉS MÉCONNUES

GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 11014

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GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 110 15

LES STRATÉGIES JURIDIQUES ET MARKETING POURLUTTER CONTRE LEPSEUDO-PARRAINAGECet article présente les différentes formes de pseudo-parrainage, ainsi que les mécanismes juridiques et les mesures marketing visant à contrer celui-ci. Que ce soit en France, en Allemagne ou aux États-Unis, l’arsenal juridique contre le pseudo-parrainage, qui reposeessentiellement sur le droit des marques, le droit des contrats et lalutte contre la concurrence déloyale, s’avère surtout efficace dans les cas de pseudo-parrainage direct. Quand l’embuscade est plus subtile, il est difficile de lutter en raison du principe de la liberté du commerce et de celui constitutionnel de la liberté d’expression.Il est donc indispensable que les parrains et les organisateurs d’événementscontribuent également à la délimitation du problème. Ces derniers ont intérêt à parfaitement définir et exploiter les droits acquis, à réduire les catégories et les niveaux de parrainage, et à dénoncer les actions depseudo-parrainage pour que le consommateur puisse faire la différence entre un parrain, un pseudo-parrain et un simple annonceur.

Par Gerlinde BERGER-WALLISER*, Björn WALLISER** et Franck VALENCIA*** (1)

L’ÉPREU

VE DES FAITS

Àl’instar de la rivalité sportive dans les stades,une compétition acharnée se joue égalementen dehors entre des marques cherchant à tout

prix à ravir le statut envié de parrain officiel des plusgrandes compétitions internationales.

En France, l’un des derniers exemples fortementmédiatisés de ce phénomène remonte au mois defévrier 2011, lorsque le sponsor historique de laFédération française de football, Adidas, a souhaitéfaire un pied-de-nez au nouveau venu, Nike, profitant

* Professeur associé, ICN Business School Nancy-Metz et CEREFIGE.

** Professeur des Universités, ISAM-IAE, Université de Lorraine etCEREFIGE.

*** Professeur associé, ICN Business School Nancy-Metz.

(1) Les auteurs tiennent à remercier les deux lecteurs anonymes de larevue Gérer & Comprendre, ainsi que les deux lecteurs anonymes du col-loque « État de la recherche en management du sport », qui s’est tenu àStrasbourg, les 16 et 17 juin 2011, pour leurs remarques et leurs sugges-tions précieuses qui ont permis d’améliorer cet article.

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de la rencontre France-Brésil pour associer une nou-velle fois son image à l’équipe de France sans en êtrele sponsor officiel (notamment en achetant de l’espacesur Internet et en étant très présent dans les réseauxsociaux – le célèbre équipementier créant ainsi laconfusion dans l’esprit des supporters). Le pseudo-parrain se comporte en passager clandestin(OLSON, 1965) qui souhaite obtenir un avantage –notamment son association à un événement ou à uneautre entité parrainée – sans avoir payé les droits deparrainage. Procédé commercial inventif pour les uns,pratique déloyale pour les autres, il ne s’agit pas ici detrancher sur le caractère moral ou éthique du pseudo-parrainage (voir à ce sujet, par exemple, MEENAGHAN,1994 ; DOUST, 1997). En revanche, cet article abor-dera les questions suivantes : a) En quoi consiste exac-tement le pseudo-parrainage ?, b) Quelles sont lesmotivations, les bénéfices et les risques pour les entre-prises qui s’adonnent à cette pratique ? et, enfin, c) Pourquoi est-il difficile d’établir un cadre réglemen-taire limitant cette pratique ?Ainsi, la présentation des différentes formes de pseudo-parrainage, des principaux facteurs contribuant à sondéveloppement et des mesures marketing prises à sonencontre fera l’objet de la première partie. La deuxièmepartie passera en revue les mécanismes juridique mis enplace pour lutter contre le pseudo-parrainage sur troismarchés importants du parrainage, à savoir la France,l’Allemagne et les États-Unis. Avec des investissementsdans le parrainage de plus de 1 milliard d’euros enFrance (IREP, 2011), de plus de 3 milliards d’euros enAllemagne et d’environ 13 milliards d’euros aux États-Unis, les marchés sélectionnés comptent pour presquela moitié des investissements globaux dans cet instru-ment de communication, qui sont estimés à 36 mil-liards d’euros (IEG, 2011). La troisième partie de notrearticle mettra en exergue les points forts et les pointsfaibles de la protection juridique et traitera en quoi lesmesures juridiques identifiées sont complémentairesaux mesures marketing.

DESCRIPTION DES DIFFÉRENTES FORMES DEPSEUDO-PARRAINAGE ET DES CONTRE-MESURESPOSSIBLES

Les différentes formes du pseudo-parrainage

Dans un des tout premiers travaux sur le pseudo-par-rainage, Sandler et Shani (1989, p. 11) le définissentcomme : « …un effort planifié [une campagne] par uneorganisation de s’associer indirectement à un événementdans le but de profiter d’au moins d’une partie de lareconnaissance et des bénéfices qui sont attachés au faitd’être un sponsor officiel ». Similairement, pour Fuchs(2003, p. 31), il s’agit : « …d’une technique où un

annonceur – non accrédité par les ayants droit d’unemanifestation – cherche à détourner l’attention dupublic d’un événement à son profit, au moyen des tech-niques du marketing, dans le but de récupérer les avan-tages que procure le parrainage ». En français, les syno-nymes les plus utilisés pour pseudo-parrainage sontmarketing par embuscade, marketing parasitaire et marketing pirate. Il existe un si grand nombre d’expressions du pseudo-parrainage qu’il est difficilede les énumérer ici de façon exhaustive. Néanmoins,le tableau 1 de la page suivante en présente les princi-pales formes.Ce tableau permet de distinguer quatre niveaux depseudo-parrainage. L’utilisation non autorisée de lapropriété intellectuelle d’autrui (décrite par les deuxpremières formes de pseudo-parrainage mentionnéesdans le tableau) est généralement qualifiée de« pseudo-parrainage direct ». Les cas 3 et 4 sont spéci-fiques au regard de la pratique décrite en tant quepseudo-parrainage, du fait qu’il s’agit bien d’un par-rainage effectif. Cependant, au lieu de parrainer l’évé-nement, l’entreprise considérée comme pseudo-par-rain soutient une entité liée à cet événement (équipeou individu participant à l’événement, retransmissionde l’événement via les médias). D’un point de vuesémantique, l’expression marketing par embuscadeserait ici peut-être plus appropriée que l’expressionpseudo-parrainage. Dans les cas 5, 6 et 7, le pseudo-parrain essaie de détourner l’attention du public verslui-même aux dépens des parrains en occupant unepartie de l’espace médiatique de l’événement, unespace physique proche de l’événement ou en média-tisant un contre-événement. La dernière forme depseudo-parrainage du tableau 1 (cas n° 8) fait étatd’un rapprochement avec un événement médiatisépar l’utilisation d’images, de textes ou d’autres sym-boles qui y sont associés, par au moins une partie dupublic. Les formes 3 à 8 sont généralement qualifiéescomme du pseudo-parrainage indirect. Le cas des « Bavaria Girls » permet de bien compren-dre le caractère indirect de certaines actions depseudo-parrainage et l’importance des médias dansleur réussite. Lors de la Coupe du monde de footballorganisée en Afrique du Sud, en 2010, dont lamarque de bière Budweiser était un des parrains prin-cipaux, le brasseur néerlandais Bavaria avait engagéune trentaine de filles qui, mêlées au public, se met-taient à danser pendant un match du tournoi. Ellesportaient toutes une robe orange – la couleur de lamarque Bavaria et celle du maillot de l’équipe defootball néerlandaise – arborant sur le côté un petitlogo de Bavaria. Ces mêmes robes avaient été distri-buées aux Pays-Bas par Bavaria pour tout achat de sixcanettes de bière de la marque. Personne ou presquene se serait rendu compte de cet incident si les camé-ras de télévision n’avaient pas montré les filles entrain de danser, et si la FIFA n’avait pas accuséBavaria de pseudo-parrainage. Le logo de la marque

L’ÉPREU

VE DES FAITS

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Bavaria était bien trop petit pour pouvoir être distin-gué par les téléspectateurs de l’événement (voir laphoto de la page suivante). Dans un cas de figuresimilaire, lors d’un match de la Coupe du monde derugby organisée en 2011, le logo de la marque Opro– leader mondial du protège-dents – affiché sur leprotège-dents d’un joueur de l’équipe anglaise derugby serait passé inaperçu si les médias n’avaient pasattiré l’attention du public sur ce fait.

Le développement du pseudo-parrainage et les contre-mesures marketing

Historiquement, les premières manifestations mas-sives de pseudo-parrainage sont associées aux JeuxOlympiques de Los Angeles, en 1984. L’intérêt aussitardif qu’inespéré manifesté pour cet événement parles médias et le grand public a sonné le réveil pourplusieurs grandes marques américaines, qui avaient,dans un premier temps, boudé un événement affaiblipar deux boycotts successifs. Kodak, par exemple, s’est

ainsi emparé, dans l’urgence, du parrainage de laretransmission de l’événement à la télévision et duparrainage de l’équipe américaine d’athlétisme afin decontrer son rival japonais Fuji, parrain officiel desJeux (PAYNE, 2005). Depuis cette époque, il n’y a plusde Jeux Olympiques, ni d’ailleurs d’autre grand événe-ment sportif, sans la présence de pseudo-parrains. Il n’y a pas, à notre connaissance, de statistiqueconcernant les investissements dans le pseudo-parrai-nage. Il est cependant fort à parier que cette forme decommunication s’est développée plus ou moins dansles mêmes proportions que les investissements dans leparrainage. Ces derniers s’élevaient à environ 2,5 mil-liards de dollars en 1985, à 10 milliards en 1993, à20 milliards en 2000 et ils sont estimés aujourd’hui àpresque 50 milliards de dollars (IEG, 2011).Trois facteurs principaux contribuent au développe-ment du pseudo-parrainage (WALLISER, 2010). Labonne compréhension de ces facteurs conditionnel’appréciation des contre-mesures susceptibles d’êtreprises. Le premier facteur concerne l’accès au statut de

GERLINDE BERGER-W

ALLISER, B

JÖRN W

ALLISER ET FRANCK VALENCIA

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Tableau 1 : Principales formes du pseudo-parrainage. Sources : tableau partiellement inspiré de Fuchs (2003) et de Walliser(2010).

1

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4

5

6

7

8

Formes de pseudo-parrainage

Pseudo-parrainage direct

Présentation en tant que parrain d’un événement sans en avoir acquis lesdroits.

Utilisation du logo (ou d’autres symboles) d’un événement dont on n’est pas parrain.

Pseudo-parrainage indirect

Parrainage audiovisuel.

Parrainage d’une entité (célébrité,équipe) participant à un événement.

Achat d’espace publicitaire a) sur le site même de l’événement, b) dans le programme de l’événement, c) ou dans les médias lors de la retransmission de l’événement.

Occupation physique d’un terrainproche du site protégé.

Organisation ou soutien d’un contre-événement qui a lieu au mêmemoment.

Adaptation de la communication(notamment de la publicité) au contextede l’événement.

Exemples

La marque de bière Kirin Ichiban qui se présente comme « parrain officiel » de la FIFA Coupe du monde de football au Japon…

… et qui affiche le logo de l’événement dans sa publicité.

Philips est le parrain de la retransmission d’un match de foot-ball de l’UEFA Ligue des Champions parrainée par Sony.

Puma est le parrain de l’équipe de football de l’Afrique du Sudpendant la FIFA Coupe du monde de football parrainée parAdidas.

Renault achète de l’espace publicitaire dans le programme dela manifestation ou à la télévision pendant les Internationauxde France de tennis de Rolland Garros parrainés par Peugeot.

Sans être parrain des Jeux olympiques organisés à Atlanta,l’équipementier Nike monte un « village Nike » à proximité dustade olympique.

Nike soutient la Coupe du monde de football des sans-abri quia lieu au même moment que les qualifications de la Coupe dumonde de football – FIFA.

La compagnie aérienne Quantas se vante dans sa publicité de « L’esprit d’Australie » (Spirit of Australia) pendant que sonconcurrent principal, Ansett, est le parrain officiel des Jeuxolympiques organisés en Australie.

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parrain officiel d’un événement. Le nombre de parte-naires officiels d’un événement étant limité et lesdroits de parrainage atteignant parfois des sommesimportantes, les marques recherchent d’autres voiespour se donner de la visibilité. Le deuxième facteur estlié à la reconnaissance des marques qui soutiennentun événement, ou plus précisément le manque relatifde leur reconnaissance. Le public ne fait guère la dif-

férence entre le parrain d’un événement, un pseudo-parrain ou un simple annonceur. Environ un tiers desspectateurs nord-américains des Jeux Olympiquespense que toute marque qui fait de la publicité pen-dant la diffusion de l'événement est un sponsor offi-ciel (SANDLER & SHANI, 1998). La même étude révèleque les consommateurs ne sont pas préoccupés par lepseudo-parrainage : environ 40 % d’entre eux esti-ment que cette pratique n’est pas déloyale et plus de lamoitié déclarent qu'ils ne sont pas « gênés par le faitque les entreprises essaient de s'associer aux JeuxOlympiques sans être sponsor officiel » (p. 378). Enfin,le pseudo-parrainage a d’autant plus de chances deréussir que les parrains utilisent peu l’espace média-tique à leur disposition. Selon une « règle d’or » duparrainage, souvent citée mais sans fondement scien-tifique, les parrains devraient investir autant dans l’ex-

ploitation médiatique de leurs droits de parrainageque dans l’acquisition de ces droits. Toutefois, certainsparrains ne disposent pas du budget nécessaire pouractiver leurs droits dans le monde entier, ou bien ilssous-estiment l’importance de ce type d’action. Le Comité International Olympique (CIO) a nonseulement été la première victime importante dupseudo-parrainage, mais il est aussi, en toute logique,

à l’origine des premiers efforts massifs déployés pourcontrer cette pratique. Le catalogue des mesures ima-ginées dès la fin des années 1990 (PAYNE, 1998) àcette fin est toujours d’actualité. Il s’agit, pour lesorganisateurs d’événements de :– concentrer les différents droits liés à un événementdonné,– protéger leur propriété intellectuelle,– définir soigneusement les droits accordés aux parrains,– limiter le nombre et les catégories des parrains(exclusivité, harmonisation des dénominations desparrains),– contrôler les actions des parrains,– enfin, révéler les actions de pseudo-parrainage etmenacer les responsables de poursuites judiciaires. Nous allons maintenant analyser en quoi les cadresjuridiques européen et nord-américain, illustrés par

L’ÉPREU

VE DES FAITS

GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 11018

« Lors de la Coupe du monde de football organisée en Afrique du Sud, en 2010, dont la marque de bière Budweiser était un desparrains principaux, le brasseur néerlandais Bavaria avait engagé une trentaine de filles qui, mêlées au public, se mettaient àdanser pendant un match du tournoi. Elles portaient toutes une robe orange – la couleur de la marque Bavaria et celle dumaillot de l’équipe de football néerlandaise – arborant sur le côté un petit logo de Bavaria. », photo des Bavaria Girls lors dela Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud.

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l’étude des cas de la France, de l’Allemagne et desÉtats-Unis, permettent ou non une protection effi-cace des parrains.

MESURES JURIDIQUES VISANT LE PSEUDO-PARRAINAGE

En France

Le droit français apporte à ce problème un ensemblede solutions souples et variées dont les principaux ins-truments sont empruntés au droit de la propriétéintellectuelle, au droit de la responsabilité civile délic-tuelle et, dans une moindre mesure, au droit descontrats.

• La protection assurée par le droit de la propriété intel-lectuelle

– Une protection générale par le droit des marquesLe droit des marques français repose sur la directiveeuropéenne sur les marques. Pour bénéficier de la pro-tection du droit des marques, l’organisateur (ou leparrain) d’un événement sportif doit, au préalable,procéder à l’enregistrement des signes relatifs à cetévénement. Ainsi, le droit de la marque protège lesparrains ou les organisateurs d’événements contre lesactions de pseudo-parrainage direct qui utiliseraientune marque enregistrée.

– Une protection spécifique au monde du sportComme beaucoup d’autres droits nationaux, le droitfrançais a mis en place un régime spécifique de pro-tection applicable dans le domaine sportif. Cette lexsportiva concerne deux domaines particuliers, la pro-priété intellectuelle des signes olympiques et le droitd’exploitation des manifestations sportives. Le statut privilégié octroyé aux signes olympiquesdécoule de la loi n°2000-627 du 6 juillet 2000 codi-fiée à l’article L. 141-5 du Code du sport. Quiconquechercherait par une utilisation promotionnelle dessignes olympiques à tirer profit de la notoriété qui leurest attachée, sans autorisation du Comité NationalOlympique, s’exposerait à une action en justice pou-vant conduire au versement de dommages et intérêts.La seule exception opposable ne pourrait résulter quede l’utilisation informative des signes par la presse spé-cialisée. Le second pilier de la lex sportiva propre au droit fran-çais trouve également son fondement dans le Code dusport en son article L. 333-1. Le régime de protectionaccordé aux fédérations sportives ainsi qu’aux organi-sateurs de manifestations sportives résulte de la loin°84-610 du 16 juillet 1984. Bien que les pratiquesliées au pseudo-parrainage n’y soient pas expressé-

ment visées, le texte prévoit un corps de règles quipermet de protéger les organisateurs de manifestationssportives en leur octroyant le monopole de l’exploita-tion des droits liés aux événements qu’ils organisent.Récemment étendu aux paris, le monopole d’exploi-tation permet d’interdire toute exploitation non auto-risée d’un événement sportif, que ce soit en termesd’image, de droits audiovisuels ou, plus généralement,de droits liés à l’exploitation de cet événement. Ilconfère ainsi à l’organisateur un droit exclusif (excep-tion faite des images ou des extraits qui pourraientêtre diffusés par la presse en dehors de toute finalitécommerciale dans le cadre du droit du public à l’in-formation), dont la violation reconnue exposeraitl’auteur au versement de dommages et intérêts.

• La protection contre la concurrence déloyale

Si le droit français consacre le principe de la liberté ducommerce et de l’industrie, et celui, tout aussi fort, dela libre concurrence, les dispositions du Code civilpermettent de sanctionner certains comportementsfaussant le jeu normal de la concurrence.Les comportements déloyaux sont donc proscrits etsanctionnés sur le terrain de la responsabilité civile.Cependant, l’action en concurrence déloyale dans saforme la plus pure n’apparaît pas toujours comme lasolution la mieux adaptée pour lutter contre lepseudo-parrainage, le succès de cette action supposantla démonstration d’une faute commise par un concur-rent. Or, l’auteur d’une telle pratique ne se situe pastoujours sur le même niveau de concurrence que l’or-ganisateur d’un événement, le premier cherchant àtirer profit de la notoriété de la manifestation organi-sée par le second en nourrissant la confusion sur sesliens prétendus avec celle-ci sans en avoir payé le prix.L’action en parasitisme, autre déclinaison prétoriennede l’action en concurrence déloyale, semble convenirdavantage. Si les conditions relatives au préjudice etau lien de causalité demeurent identiques, la faute neconsiste plus ici à créer la confusion ou à dénigrer sonconcurrent, mais à tirer profit de façon injuste de laréussite d’une autre entreprise en cherchant à utiliserson succès commercial, sa notoriété et ses investisse-ments intellectuels. La transposition de cette notionau pseudo-parrainage semble plus aisée, à la conditionde démontrer l’existence d’un préjudice (qui prendgénéralement la forme d’un trouble commercial).

• La protection assurée par le droit des contrats

L’organisation de grands événements, sportifs ou non,implique la conclusion de contrats avec de nombreuxpartenaires. L’occasion est belle pour insérer dans cescontrats un certain nombre de dispositions pouvantprévenir ou, à tout le moins, limiter l’ampleur despratiques de pseudo-parrainage. L’organisateur de lamanifestation peut notamment imposer le contrôle de

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la publicité sur les sites accueillant des épreuves,conférer aux partenaires officiels des droits de prioritésur les espaces publicitaires, interdire les opérationsconjointes de promotion (avec des entités non parte-naires), organiser les modalités de rediffusion de l’évé-nement en limitant ou en imposant le choix des par-tenaires de l’entité chargés de la rediffusion afin, parexemple, d’éviter de favoriser des concurrents d’unpartenaire officiel, etc.Les clauses contractuelles prévenant les pratiques depseudo-parrainage peuvent également être inséréesdans les contrats conclus entre les organisateurs etles fédérations sportives ou les différentes équipes,voire individuellement avec les sportifs. La libreorganisation des relations contractuelles entre cesdifférents protagonistes, dans la limite des règle-ments prévus au niveau de chaque fédération, per-met de mettre en place un système préventif de pro-tection contre les pratiques de pseudo-parrainage,dont la méconnaissance entraînerait l’applicationdes sanctions classiques prévues par le droit descontrats, principalement l’octroi de dommages etintérêts, ou, plus rarement, la résiliation du contratde parrainage.

En Allemagne

• Le droit des marques

Fondé également sur la directive européenne sur lesmarques, le droit allemand face au phénomène despseudo-parrainages ne varie guère du droit français.Pourtant soucieux de prendre en compte les besoinsexprimés par les organisateurs d'événements, lavaleur économique du nom et des signes relatifs auxévénements sportifs ou culturels importants, ainsique l’évolution économique du marketing, certainschercheurs ont développé en Allemagne ce qu'ilsont nommé « marque événementielle » (FEZER,2003). Selon Gaedertz (2009), elle est en opposi-tion avec la définition traditionnelle des marques.La fonction d’une marque événementielle est defaire savoir au public que les produits (ou les ser-vices) commercialisés utilisant le nom ou le logo del'événement ont été autorisés par l'organisateur del'événement et contribuent au financement de l'évé-nement. À cet égard, il est intéressant de noter quelors du Championnat d'Europe 2008 de football,organisé conjointement par la Suisse et l’Autriche,le Bureau des brevets et marques suisse, malgré unedécision contraire de la Cour fédérale allemandeprise lors de la Coupe du monde de football en2006 (organisée en Allemagne) et malgré l’influenceindéniable du droit allemand et de sa jurisprudencesur le droit suisse, a enregistré les marques événe-mentielles « EURO 2008 », « EM 2008 » et« Österreich/ Schweiz 2008 » en tant que marquescommerciales.

• Le droit allemand de la concurrence déloyale

Le droit de la concurrence déloyale en Allemagne estprécisé par une loi récemment révisée visant laconcurrence déloyale. Cette loi fixe notamment uneliste noire des activités illégales, qui peuvent êtreconsidérées comme déloyales par les tribunaux. En cequi concerne le pseudo-parrainage, seule une activitéde marketing dans laquelle l’auteur prétend explicite-ment être sponsor officiel sans l’être en réalité est clai-rement visée sous le n°4 de la liste noire. Mais, en pra-tique, le fait de se déclarer faussement être « sponsorofficiel » ou simplement « parrain » d’un événementse produit rarement (KÖRBER & MANN, 2008).D'un point de vue pratique, l’article 5 (1) n°4 UWGsemble représenter une protection plus pertinente. Ilcaractérise comme déloyale une pratique commerciale« …si celle-ci contient des informations mensongères oud’autres informations entraînant la confusion dans lescirconstances suivantes :[…] 4. toute déclaration ou symbole relatif au partena-riat direct ou indirect ou l’approbation de l’entrepreneurou des biens ou des services [...] »Dans la mesure où une activité de commercialisationindirecte crée l’impression dans l’esprit du consom-mateur que le pseudo-parrain est un sponsor officiel,cette pratique est visée par l'article 5 UWG.Néanmoins, cet article exige l’existence d’une « infor-mation mensongère ou d'autres informations en relationavec le partenariat ». Les activités de pseudo-parrai-nage qui ne provoqueraient pas dans l’esprit duconsommateur l’impression que le pseudo-parrain estun sponsor officiel, mais qui se contenteraient debénéficier de l’image positive de l’événement, commec’est le cas pour la plupart des campagnes sophisti-quées de pseudo-parrainage, continueraient sansdoute à être légales (KÖRBER & MANN, 2008 ;HERRMANN, 2006).

Aux États-Unis

Dans le droit américain, deux outils essentiels permet-tent de répondre au pseudo-parrainage : le premier estd’origine législative, le second, d’origine jurispruden-tielle, découle de la common law.

• La solution d’origine législative – le Lanham Act

La première approche relève de la loi Lanham. Cetteloi fédérale proche du droit européen des marquesprévoit une protection en matière de publicité men-songère. Les articles 32 et 43 (a) de cette loi interdi-sent l’utilisation dans le commerce de toute marqueenregistrée susceptible de provoquer une confusion,une erreur ou une tromperie. Pour avoir gain decause, le demandeur devra démontrer une utilisationnon autorisée d’une marque ou d’un nom commer-cial, cette utilisation non autorisée devant, en outre,

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être susceptible d’entraîner une confusion dans l’es-prit des clients. La loi Lanham ne permet donc pasune application à l’ensemble des cas de pseudo-parrai-nage dans la mesure où ce dispositif est facilementcontournable pour peu que le fraudeur évite de recou-rir à l’utilisation d’une marque protégée. Par ailleurs, la démonstration d’une utilisation abu-sive ne saurait suffire, le demandeur devant égalementapporter la preuve (plus difficile à établir) d’un risquede confusion chez les clients. Or, en matière depseudo-parrainage, il n’est pas facile de prouver que laconfusion dans l’esprit des consommateurs résultedirectement de l’opération de pseudo-parrainage. Ils’avère ainsi que la loi Lanham ne proscrit pas effica-cement les activités associées à la pratique du pseudo-parrainage indirect.

• L’action en concurrence déloyale tirée de la common law

Grâce à la solution dégagée par la common law, uneentreprise ou un organisme peut poursuivre l’auteurd’un pseudo-parrainage sur le fondement de laconcurrence déloyale. Si l’interprétation dégagée encommon law peut différer quelque peu d’un État amé-ricain à l’autre, il est incontestable que la protectionofferte est bien plus large que sous le régime de la loiLanham. Dans certains États, comme par exemple enCalifornie, la loi relative aux pratiques commercialesdéloyales est assez souple. Elle a été codifiée demanière à inclure toute pratique commercialedéloyale indépendamment de toute perte financière.Dans d’autres États, les solutions jurisprudentiellesissues de la common law ont été interprétées d’unemanière plus traditionnelle, exigeant la preuve que lespratiques fausses et trompeuses entraînent pour uneentreprise ou une organisation une perte de clientèle.La pratique du pseudo-parrainage est dès lors difficileà combattre, car il peut s’avérer délicat de démontrerl’existence d’un préjudice (tout du moins, au sensjuridique traditionnel). Si, au sens économique duterme, la perte peut être chiffrée, il est cependant dif-ficile, en pratique, d’isoler la contribution spécifiqueliée à un parrainage ou à une opération de pseudo-parrainage en regard de variables, telles qu’une pertede clientèle ou la baisse des ventes ou des profits.

DISCUSSION

Les arsenaux juridiques des trois pays étudiés (quenous avons rappelés plus haut), reposent essentielle-ment sur trois types d’instruments concernant :– le droit des marques,– le droit des contrats,– la concurrence déloyale.À cela se rajoutent des textes spécifiques protégeantcertains acteurs du sport, ainsi que des initiatives nou-

velles, telles que l’idée de la création d’une marqueévénementielle en Allemagne. Il convient donc d’ana-lyser une par une les formes de pseudo-parrainageprésentées dans le tableau 1 en distinguant les actionsde pseudo-parrainage direct de celles de pseudo-par-rainage indirect. Contre les premières, le droit desmarques et le droit de la concurrence déloyale sem-blent offrir des moyens de protection plus ou moinsefficaces. En revanche, comme le montre l’analyse ci-dessus, la protection juridique semble beaucoupmoins efficace en ce qui concerne le pseudo-parrai-nage indirect. Il existe, du moins en théorie, des mécanismes effi-caces pour empêcher le pseudo-parrainage ayantrecours au parrainage audiovisuel ou au parrainaged’une autre entité participant à un événement (formes3 et 4 du pseudo-parrainage, dans le tableau 1). Il suf-fit que l’organisateur de l’événement concentre tousles droits liés à l’événement. Certaines fédérationssportives internationales, telles que le ComitéInternational Olympique (CIO) et la FédérationInternationale de Football-Association (FIFA) contrô-lent très largement à la fois les droits de diffusion deleurs événements phares et le droit de parrainage desentités participant à l’événement. Elles sont ainsicapables de proposer aux parrains de l’événement uneoption d’acquisition du statut de parrain de la retrans-mission. Malgré tout, ce dispositif échoue, si les par-rains n’exercent pas cette option, faute de disposer dubudget de parrainage nécessaire. Les stations de télévi-sion sont alors libres de vendre les droits de parrainageà d’autres entreprises, pseudo-parrains potentiels.D’ailleurs, même pour les événements les mieuxcontrôlés, il existe quelques possibilités d’association,ne serait-ce qu’au niveau des équipements. Il est parexemple impossible, pour la FIFA, d’imposer à toutesles équipes nationales participant à une coupe dumonde de s’équiper auprès du parrain de l’événement(traditionnellement, Adidas). Ainsi, d’autres équipe-mentiers (tels que Puma et Nike) profitent de l’occa-sion pour être présents lors de ces événements plané-taires. Le droit des contrats constitue une protection effi-cace contre les formes 5a et 5b (voir le tableau 1) dupseudo-parrainage. L’organisateur de la manifesta-tion peut notamment imposer le contrôle de lapublicité sur les sites accueillant des épreuves, confé-rer aux partenaires officiels des droits de priorité surles espaces publicitaires et interdire les opérations depromotion conjointe avec des entités non parte-naires. Le droit des contrats est certainement moinsefficace quand il s’agit de se prémunir contre lapublicité des pseudo-parrains lors de la retransmis-sion de l’événement (forme 5c). Il est certes possible,pour l’organisateur d’un événement très prisé, d’im-poser aux médias de réserver les espaces publicitaireslors de la retransmission aux parrains. Mais, toutcomme pour le parrainage de la retransmission, cette

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protection n’est efficace que si les parrains exercentleur option. En réalité, les parrains ne disposent querarement du budget nécessaire pour acheter tout l’es-pace publicitaire au niveau national et encore moinsau niveau international.Seules quelques fédérations, telles que le CIO, réussis-sent à imposer aux villes organisatrices d’un événe-ment de garantir un « lieu propre » (forme 6), consis-tant à empêcher d’autres marques d’être visibles dansla ville durant l’événement. En prévision des JeuxOlympiques de 2012, les organisateurs ont ainsiréservé la plupart des espaces publicitaires de la villede Londres.Il n’existe pas, à ce jour et pour les pays analysés plushaut, d’instrument efficace pour contrer les formes 7et 8 du pseudo-parrainage. Empêcher une marqueconcurrente de communiquer simultanément audéroulement d’un événement – même s’il s’agissaitd’un contre-événement créé de toute pièce – serait eneffet contraire à toute liberté d’expression commer-ciale. Il est donc illusoire de croire qu’il est possibled’empêcher des concurrents de s’engager en tant queparrains dans des activités proches. Enfin, l’adaptation de la communication du pseudo-parrain au contexte de l’événement « embusqué » estelle aussi difficile à contrer. En effet, il ne semble exis-ter aucune limite à la créativité des responsables marke-ting, et les agences proposeront toujours de nouvellesformes d’association indirecte, contre lesquelles il estdifficile de lutter eu égard au principe de la liberté ducommerce et au droit constitutionnel relatif à la libertéd'expression. Les campagnes de marketing, telles quel’ancien slogan d’American Express « Vous n'avez pasbesoin d'un visa [en allusion au concurrent VISA] pouraller en Norvège », seraient probablement encore consi-dérées comme légales, même sous l’empire d’une loi surles marques adaptée aux besoins des organisateursd'événements et de leurs partenaires.

CONCLUSION

En réponse aux questions posées au début de cet arti-cle, nous avons décrit les différentes formes depseudo-parrainage, en distinguant notamment sesformes directes des formes indirectes. Nous avonsensuite montré que la motivation principale despseudo-parrains consiste à attirer l’attention des foulesqui s’intéressent à un événement ou à une autre entitéparrainée, sans pour autant s’acquitter des droits deparrainage. Du fait que les pseudo-parrains investis-sent souvent des sommes importantes dans la com-munication sur leur association prétendue et que lepublic ne fait guère la différence entre le parrain d’unévénement, un pseudo-parrain ou un simple annon-ceur, les pseudo-parrains sont capables d’atteindre lesmêmes objectifs principaux que les parrains, à savoir

l’augmentation de leur notoriété, un transfertd’image, voire l’augmentation de leurs ventes. Que ce soit en Europe ou aux États-Unis, la protec-tion juridique des parrains et des organisateurs d’évé-nements n’est efficace que dans des cas de pseudo-par-rainage direct. Quand l’embuscade est plus subtile, lesvoies de recours juridiques sont très limitées, voireinexistantes. Comme le constate le ComitéInternational Olympique, féroce opposant au pseudo-parrainage (PAYNE, 1998, p. 328) : « La plupart despseudo-parrains ne violent pas la loi ». Si le pseudo-par-rain adopte donc un comportement que la théorieéconomique qualifie de « passager clandestin », l’ac-tion du pseudo-parrain est par définition visible et,dans la plupart des cas, tout à fait légale.La délimitation du problème devrait venir du côté desparrains et des organisateurs d’événements qui contri-buent incidemment à la confusion générale dans lamesure où ils ne cessent de modifier les catégories etles niveaux de parrainage. Pour illustrer ce phéno-mène, il suffit de citer la myriade de ces titres, tels que« sponsor officiel », « TOP sponsor », « sponsor or(argent, bronze, voire platine) », « fournisseurs offi-ciels », « titulaire de licence », etc. Certains événe-ments et certaines équipes ne sont pas loin d’une cen-taine de marques qui leur sont « officiellement » asso-ciées, des dizaines d'autres faisant de la publicité télé-visuelle avant, pendant et après la diffusion des événe-ments (WAKEFIELD et al., 2007). Dans de telles cir-constances, le consommateur n’a guère la possibilitéde distinguer entre parrains et pseudo-parrains. Par ailleurs, l’étude de Trendel et Mazodier (2011)montre que les consommateurs qui sont informés desagissements des pseudo-parrains ont tendance à reje-ter cette pratique. Plus précisément, ces auteursconstatent, dans deux expériences, qu’un article depresse révélant une action de pseudo-parrainageinfluence négativement l’attitude explicite desconsommateurs à l’égard des pseudo-parrains. Ainsi,des actions de dénonciation de pseudo-parrains parvoie de presse, telles que celles menées par exemplepar le CIO, peuvent être efficaces. �

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« Confusion », « chaos », « ambiguïté »,« éclectisme » : telles sont certainesdes caractéristiques que des acteurs

de terrain, mais aussi certains analystes, attribuentvolontiers au coaching professionnel (CLEGG,RHODES et KORNBERGER, 2007 ; GARVEY, 2011 ;NATALE et DIAMANTE, 2005), cette pratique d’ac-compagnement qui a pénétré les organisations occi-

dentales depuis la fin des années 1980. La plupartdu temps, une connotation négative est associée àces termes. L’ambiguïté peut être supprimée, ou

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COMPRENDRE LES AMBIGUÏTÉS DU COACHING, À L’ÉCLAIRAGE DUFONCTIONNALISMELe coaching professionnel est fréquemment considéré, tant par sesanalystes que par certains acteurs de terrain comme une pratiqueambiguë, confuse et chaotique. Ces caractéristiques sont perçuesnégativement et donnent lieu à des discours et à des écrits qui visent à clarifier les objectifs et les postures des coachs, à distinguer

le coaching d’autres pratiques d’accompagnement, comme le conseil, le mentoring ou encore la formation, etc. À ces tentatives qui visent àréduire, voire à supprimer les ambiguïtés, nous opposons ici une autre analyse, qui considère ces caractéristiques comme inhérentes au coaching.Nous nous efforcerons d’éclairer ces caractéristiques en mobilisant le cadre fonctionnaliste de Merton et de montrer, à partir de l’étude d’un cas, que le coaching remplit généralement plusieurs fonctions, les unes manifestes,les autres latentes, d’autres encore constituant des dysfonctions. Suivant cette approche, les pratiques de coaching se caractérisent donc comme un enchevêtrement, chaque fois spécifique, de fonctions. Nous concluronsen étendant cette hypothèse à d’autres pratiques de gestion, telles que le management de la qualité.

Par Jean NIZET* et Pauline FATIEN DIOCHON**

L’ÉPREUVE DES FAITS

* Professeur de sociologie à l’Université Catholique de Louvain et auxFacultés de Namur (Belgique).

** Professeur associé de management, Menlo College, Californie, cher-cheur associé, Magellan, IAE Lyon, Université Jean Moulin - Lyon 3.

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tout du moins réduite, par divers moyens : en dis-tinguant le coaching d’autres pratiques, en clarifiantla posture spécifique du coach ou en identifiant dif-férents « modèles » ou « perspectives », auxquels lescoachs peuvent se référer dans leur pratique profes-sionnelle (ARNAUD, 2003 ; BACHKIROVA, COX etCLUTTERBUCK, 2010).Cet article offre un autre regard sur ces ambiguïtés,cette confusion, ce chaos qui caractériseraient le coa-ching professionnel. À partir de l’analyse secondairemenée au moyen du cadre fonctionnaliste de Merton(1961) d’un cas exemplaire, nous montrerons que cescaractéristiques sont des traits inhérents au coaching.Plus précisément, nous montrerons que les ambiguï-tés s’éclairent dès lors que l’on peut établir qu’une pra-tique de coaching remplit généralement plusieursfonctions, les unes manifestes, d’autres latentes etd’autres encore négatives – ce que Merton appelle desdysfonctions. Dans cette perspective, les ambiguïtésne seraient pas des caractéristiques négatives du coa-ching qu’il conviendrait de supprimer, mais, aucontraire, des caractéristiques consubstantielles à cettepratique, qu’il importe de prendre pleinement encompte.Cet article se compose de quatre parties. La premièrefera le point sur les reproches d’ambiguïté formulés àl’encontre du coaching, puis relèvera les tentativesproposées tant par les acteurs de terrain que par lesanalystes pour réduire ces ambiguïtés. La deuxièmepartie présentera le cadre fonctionnaliste de Merton etfera état des différentes recherches qui ont mobilisécelui-ci, explicitement ou implicitement, pour analy-ser les pratiques de coaching. La troisième partie pro-cèdera à l’analyse secondaire d’un cas de coaching àpartir des notions de fonction manifeste, de fonctionlatente et de dysfonction ; elle illustrera donc l’hypo-thèse selon laquelle une pratique de coaching rempli-rait conjointement plusieurs (dys)fonctions. Enfin, laquatrième partie montrera que cette hypothèse de lamultiplicité des (dys)fonctions (nous parlons aussid’« enchevêtrement de (dys)fonctions ») éclaire lesambiguïtés généralement reprochées aux pratiques decoaching ; elle étendra ensuite cette analyse à d’autrespratiques de gestion elles aussi perçues comme présen-tant des ambiguïtés, comme le management de laqualité.

DIAGNOSTIC DES AMBIGUÏTÉS DU COACHING

Nous montrerons dans un premier temps que le coa-ching est une pratique d’accompagnement fréquem-ment qualifiée d’ambiguë ; nous caractériseronsensuite l’évaluation, généralement négative, qui estfaite de cette ambiguïté pour examiner, enfin, dans untroisième temps, les réponses qui sont apportées enlien avec le diagnostic fait.

Le coaching, une pratique ambiguë

Après avoir été considéré comme une pratique sédui-sante et prometteuse, le coaching a rapidement faitl’objet de questionnements, d’interrogations(ROUSSILLON, 2002). Des termes comme « ambi-guïté(s) » (au singulier ou au pluriel), « confusion »,« chaos », etc., sont aujourd’hui fréquemment associésà cette pratique d’accompagnement. On les retrouvesous la plume de bon nombre d’analystes (qu’ils soientchercheurs et/ou professionnels) qui publient sur lesujet. Ainsi, pour Natale et Diamante, « l’ambiguïtéentoure la définition, la méthodologie et les résultatsdu coaching » (2005 : 361). Sperry (2008) estime,quant à lui, qu’il y a peu de consensus sur la nature ducoaching des dirigeants et sur ses fonctions. Se situantd’un point de vue un peu plus large, Seghers,Vloeberghs, Henderickx et Inceoglu estiment que lemarché actuel du coaching se trouve dans un état« chaotique » (2011 : 219).À côté des analystes, certains acteurs de terrain(coachs, (futurs) coachés, responsables d’entreprisesmettant en place des programmes de coaching)emploient des termes similaires en parlant du coa-ching. C’est ce que montre notamment l’étude deClegg et de ses collaborateurs (2007) portant sur lamanière dont des dirigeants de cabinets de coachingaustraliens définissent l’identité de leur profession.Les interviewés se disent très préoccupés par le faitque leurs clients potentiels peinent à saisir la spécifi-cité du coaching, car ils distinguent mal cette pratiqued’autres formes d’accompagnement. Ainsi, selon unedirigeante, « le public est un peu dans la confusion. Jepense que si l’on parvenait à faire passer une imageplus uniforme du coaching, cela aiderait les gens àl’accepter » (CLEGG, RHODES et KORNBERGER, 2007 :501). La difficulté de faire le distingo entre le coachinget d’autres pratiques d’accompagnement se retrouvedans les entretiens que d’autres chercheurs ont menéstant avec des coachés (FATIEN DIOCHON et NIZET,2012) qu’avec des coachs (DE HAAN, 2008) ; dans lesdeux cas, c’est plutôt la frontière entre coaching etthérapie qui est mal perçue.

Des évaluations majoritairement négatives des ambiguïtés

Ces appréciations en termes d’ambiguïté, de confu-sion, de chaos, portent sur différents aspects de la réa-lité du coaching : certaines pointent la porosité de sesfrontières avec d’autres pratiques, d’autres relèventl’imprécision de ses méthodes ou l’incertitude de sesrésultats, d’autres encore portent globalement surl’état de la profession de coach. Elles ont toutefois encommun, au moins pour la plupart d’entre elles,d’être connotées négativement. Ainsi, pour Natale etDiamante (2005), l’ambiguïté qui entoure le coa-ching nuit clairement à son efficacité. Les coachs

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interrogés par Clegg et ses collaborateurs (2007) esti-ment, quant à eux, que la confusion dans laquelle setrouvent leurs clients potentiels fait obstacle à l’accep-tation et à la diffusion du coaching. Une exceptiontoutefois : Fatien Diochon et Nizet (2012) sont d’avisque les ambiguïtés du coaching permettent uneappropriation personnelle spécifique de la part desdifférents acteurs concernés ; l’évaluation que cesauteurs font de l’ambiguïté est donc (partiellement)positive.Si elle se vérifiait, la prépondérance des évaluationsnégatives ne devrait pas nous étonner. Percevoir uneréalité comme ambiguë peut en effet poser problème,comme le montrent certains sociologues de laconnaissance qui s’intéressent à la manière dont nous« construisons » la réalité qui nous entoure et qui sepenchent tout particulièrement sur ces moments « oùla réalité quotidienne semble perdre de sa consistance,de sa solidité, de son ordonnancement » (BERGER etLUCKMANN, 1989 : 38). Ces auteurs considèrent quegénéralement ces moments de confusion ne se prolon-gent pas (GOFFMAN, 1991) : les acteurs vont, par lelangage, tenter de « réintégrer [cette réalité devenueproblématique] dans le secteur non problématique dela vie quotidienne » (BERGER et LUCKMANN, 1989 :39).

Les réactions face aux ambiguïtés du coaching

Rendre la réalité du coaching non problématique :c’est bien ce que l’on observe chez les analystes et lesacteurs de cette pratique, qui vont mobiliser un cer-tain nombre de catégories langagières pour tenter delever la « confusion » et les « ambiguïtés » dont elle estentourée. Ainsi, en est-il des responsables de sociétés de coa-ching qui, pour affirmer l’identité de la profession,font continuellement référence à d’autres professionsmieux établies – essentiellement la consultance, lathérapie et les formations – qui constituent ainsi descontre-images. Ils opposent alors le rôle de « facilita-teur » du coach au rôle d’« expert » adopté par leconsultant, ou bien ils disent mettre l’accent, dansleur pratique, plutôt sur le « processus » que sur la« réponse » (CLEGG, RHODES et KORNBERGER, 2007 :501). De la même manière, certains analystes propo-sent de distinguer le coaching d’autres « pratiquesd’accompagnement » (PAUL, 2004) ou de définir clai-rement les différentes étapes par lesquelles doit passertoute expérience de coaching (NATALE et DIAMANTE,2005). Les tentatives les plus nombreuses pour lever lesambiguïtés, qu’elles soient à visée prescriptive ouanalytique, sont toutefois celles qui cherchent à met-tre de l’ordre parmi les différentes pratiques de coa-ching en distinguant, selon les auteurs, les diffé-rentes « approches » des coachs (à dominante psy-chologique, spirituelle, managériale, etc.)

(WESTERN, 2012), leurs « ancrages théoriques »(psychologie humaniste, sociologie interactionniste,etc.) (BRASSEUR, 2009), ou encore leurs « modèlesimplicites » (modèle clinique, modèle comporte-mental, etc.) (BARNER et HIGGINS, 2007). Certainesde ces tentatives sont assez sophistiquées. Ainsi, dansleur introduction au Complete Handbook ofCoaching, Bachkirova et ses collaborateurs présen-tent une matrice qui, traduite sous forme de tableau,comprend, en lignes, pas moins de treize traditionsthéoriques et, en colonnes, onze « genres » ou« contextes » (coaching de pairs, coaching d’équipe,coaching assuré par le manager, etc.), ce qui donneplus de cent quarante pratiques différentes(BACHKIROVA, COX et CLUTTERBUCK, 2010).D’autres auteurs font le choix de multiplier lesdimensions, imaginant tantôt une pyramide(BRESSER, 2011), tantôt un cube (SEGHERS,VLOEBERGHS, HENDERICKX et INCEOGLU, 2011).La thèse que nous développerons dans cet articles’opposera à cette manière de voir. En nousappuyant sur les apports du fonctionnalisme, nouschercherons en effet à comprendre les ambiguïtésdu coaching, sans pour autant chercher à lesréduire.

LE CADRE D’ANALYSE DE MERTON ET SON APPLICATION AU COACHING

Le courant fonctionnaliste et les apports de Merton

Le fonctionnalisme est un courant de la penséesociologique qui tente de comprendre les phéno-mènes sociaux en identifiant les fonctions qu’ilsremplissent dans l’ensemble auquel ils appartien-nent. On sait que ce mode de raisonnement trouveses origines dans les développements de la physiolo-gie, au XIXe siècle, qui s’intéresse à la manière dontles différents organes du corps contribuent à l’équi-libre de l’organisme et à la préservation de la vie. Lefonctionnalisme a notamment inspiré une partie del’œuvre de Durkheim (1858-1917) et de son école,puis, à partir des années 1930, les travaux de l’an-thropologie anglaise (Malinowski et Radcliffe-Brown), puis l’œuvre complexe et ambitieuse deParsons (1902-1979). Dans les années 1950 et 1960, Merton propose desdéveloppements originaux, qui sont de deux ordres.Il considère, tout d’abord, que tous les phénomènessociaux ne remplissent pas nécessairement des fonc-tions positives, autrement dit, qu’ils ne contribuentpas tous à l’équilibre ou à l’adaptation du systèmedont ils font partie : ils peuvent aussi être dysfonc-tionnels, c’est-à-dire « réduire l’adaptation ou l’ajus-tement du système » (MERTON, 1961 : 51). Il consi-

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dère, ensuite, qu’à côté des fonctions manifestesdont les conséquences sur le système « sont voulueset reconnues par les participants du système », ilexiste aussi des fonctions latentes, celles-ci n’étant« ni voulues ni reconnues » (MERTON, 1961 : 50). Fonctions manifestes, fonctions latentes, dysfonc-tions, telles sont les trois notions principales que nousemprunterons ici à Merton (mais d’autres apports decet auteur seront toutefois repris et discutés dans lecours de notre analyse).

Le coaching : ses fonctions manifestes, ses fonctions

latentes et ses (dys)fonctions

C’est à partir des années 2000 que la recherche sur le coa-ching connaît un fort essor, donnant lieu à une produc-tion particulièrement abondante (1). Dans ce vasteensemble, nous nous sommes penchés sur un corpus par-ticulier : celui des recherches qui traitent des apports ducoaching aux organisations qui en bénéficient. Certains

de ces travaux utilisent explicitement les notions de fonc-tion et/ou de fonction manifeste, et/ou de fonctionlatente, et/ou encore de dysfonction (KRAMER, VONALMEN et STARK, 2007 ; SALMAN, 2008). Mais la majo-rité d’entre elles adopte des notions plus communes, enparlant d’« apports », ou de « contributions » ou de« bénéfices » (FELDMAN et LANKAU, 2005) du coaching,ou encore de « réponse », par le biais du coaching, aux« besoins » des organisations (GODIN et GOSSELIN, 2004 ;KRAMER, VON ALMEN et STARK, 2007).

Parmi ces recherches, plusieurs peuvent se rattacherà la notion de fonction manifeste de Merton. Onretiendra ici deux thématiques : d’abord celle desrecherches qui examinent dans quelle mesure le coa-ching est mis en œuvre dans le but de promouvoirles changements organisationnels (CLOET, 2007) ;

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(1) Ainsi, Grant (2011) observe, en 2011, que 634 articles scientifiquesont été publiés sur le coaching depuis 1937 et que, sur cet ensemble,74 % l'ont été postérieurement à 2000.

« Le fonctionnalisme est un courant de la pensée sociologique qui tente de comprendre les phénomènes sociaux en identifiant lesfonctions qu’ils remplissent dans l’ensemble auquel ils appartiennent. […] Le fonctionnalisme a notamment inspiré une partiede l’œuvre de Durkheim (1858-1917). […] Dans les années 1950 et 1960, Merton propose des développements originaux… »,portraits du sociologue français Emile Durkheim (1858-1917) et de Robert Merton, économiste américain qui a reçu le prixNobel d’économie en 2007.

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ensuite, celle des recherches, plus abondantes, quiétudient l’impact du coaching sur l’amélioration desperformances, qu’elles soient financières (augmen-tation des profits, réduction des coûts) ou organisa-tionnelles (réduction du turnover, réduction desconflits, accroissement de la satisfaction au travail,etc.) (MC GOVERN, LINDEMANN, VERGARA,MURPHY, BARKER et WARRENFELTZ, 2001 ;ANDERSON, 2001 ; WELLER et WELLER, 2004 ;SCHLOSSER, STEINBRENNER, KUMATA et HUNT,2006 ; MOEN et SAAVIK, 2009 ; etc.).Le coaching remplit-il aussi des fonctions latentes, àsavoir des fonctions qui ne sont ni voulues ni recon-nues par les membres du système ? À notre connais-sance, une seule recherche aborde cette question. Onla doit à Salman (2008), qui parle de « fonction pal-liative » pour désigner la manière dont le coachingcontribue à faire accepter, par des cadres, des réorien-tations de carrières non souhaitées.Un certain nombre de recherches se sont penchées surles dysfonctions du coaching, à partir de deux hypo-thèses. Selon la première, certains coachs peuventavoir tendance à prendre en charge des tâches relevantde la hiérarchie et/ou de la direction de l’organisation,ce qui peut avoir des effets négatifs sur le fonctionne-ment de l’organisation considérée (BERGLAS, 2002).Pour la seconde, le coaching participerait d’une« individualisation », ou encore d’une « psychologisa-tion » des rapports sociaux à l’intérieur des organisa-tions en réduisant les problèmes organisationnels àdes dysfonctionnements de nature uniquement indi-viduelle ou psychologique (ALEXANDRE, 2003 ;ENRIQUEZ, 2005 ; TOBIAS, 1996). Toutes ces recherches, malgré leur grand intérêt,présentent une limitation importante du point devue de notre interrogation relative aux ambiguïtésdu coaching. En effet, la plupart d’entre elles abor-dent les différentes fonctions séparément, en sefocalisant tantôt sur certaines fonctions manifestes,tantôt sur des fonctions latentes, tantôt encore surdes dysfonctions. C’est alors faire abstraction de lacomplexité des pratiques et du processus de coa-ching, davantage mis en lumière par certainesrecherches (SCHNELL, 2005 ; FATIEN, 2008 ;LEVENSON, 2009). Parmi ces dernières, nous avonssélectionné l’analyse consacrée par Schnell à uneexpérience d’accompagnement sur une longuedurée (cinq ans) par un coach interne de deux diri-geantes d’un Centre d’éducation à la santé rattachéà un important hôpital public, aux États-Unis.

Le coaching : des (dys)fonctions poursuivies conjointement

Divers épisodes de cette expérience narrée par Schnell(2005) révèlent de manière assez éclairante la coexis-tence de diverses (dys)fonctions. Mais voyons d’abordle contexte dans lequel l’expérience se déroule.

• Le contexte

Éric est responsable d’une unité de développementorganisationnel rattachée à un grand hôpital publicdes États-Unis. Dans le cadre de cet hôpital, a étéfondé, il y a une dizaine d’années, un Centre d’éduca-tion à la santé dirigé, depuis sa création, par GloriaC., une femme de quarante-cinq ans, fille d’unhomme politique connu de la région. Avant de pren-dre la direction du Centre, elle avait obtenu un doc-torat en sociologie, puis occupé un poste à responsa-bilités dans un service public de santé. Gloria estconnue pour ses contacts avec les milieux politiques ;les fonds qu’elle parvient à collecter grâce à ses rela-tions expliquent d’ailleurs en grande partie la crois-sance importante du Centre, dont le personnel estpassé, en dix ans, de cinq à quarante-deux personnes.Elle est moins appréciée pour ses compétences scien-tifiques, que certains responsables de l’Universitétrouvent insuffisantes ; par ailleurs, elle est régulière-ment rappelée à l’ordre par les services administratifs,qui lui reprochent certaines négligences dans le res-pect des procédures. À vrai dire, Gloria ne marque pasun très grand intérêt pour les tâches de gestion.Récemment, elle est d’ailleurs parvenue à faire nom-mer comme directrice adjointe Anne H., qu’elle a ren-contrée dans le cadre d’une activité de formation etdont elle a apprécié les conceptions en matière de lea-dership. À l’époque, Anne avait engagé un travail dethèse, qu’elle n’avait pas mené à son terme.

• Premier épisode : le démarrage

Six mois après l’engagement d’Anne, Gloria prendcontact avec Éric auprès de qui elle se plaint que leCentre a perdu sa « culture familiale » des débuts. Ellesollicite un accompagnement, pour elle et Anne. Elleespère aussi, par cette initiative, redorer le blason duCentre aux yeux de certains responsables del’Université, qu’elle sait très favorables aux démarchesd’innovation et d’amélioration de la qualité. Lors despremières rencontres entre les trois personnes, il appa-raît à l’évidence que le Centre manque d’une missionexplicite, d’un organigramme clair et de procéduresformelles. Éric accepte d’accompagner ces deux per-sonnes à raison d’une réunion par semaine. Démarreainsi une action de coaching dont les objectifs sontrepris dans un document interne intitulé « Répondreaux besoins de base de la direction en matière demanagement, liés à la croissance rapide que le Centrea connue ; clarifier les rôles et les devoirs en matièrede leadership, à tous les niveaux de fonctionnement[...] ; accompagner Gloria et Anne dans l’acquisitionde compétences en matière de leadership » (SCHNELL,2005 : 5).Ce premier épisode montre comment, dès le début,les fonctions manifestes du coaching, reprises dans lecontrat (soutien au management et développement

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du leadership, clarification des rôles), s’accompagnentd’une fonction latente : améliorer l’image du Centreauprès des autorités de l’hôpital.

• Deuxième épisode : réflexion, ou action ?

Les réunions des premiers mois sont marquées par deséchanges intellectuellement très stimulants. « Annesemblait se comporter dans les discussions comme siles séances de coaching étaient des séminaires d’étudessupérieures (graduate seminars). Gloria, de son côté,fit remarquer que les séances l’aidaient à encadrer (tomentor) Anne et à assurer son développement (...).Éric commença à s’inquiéter du fait que les deux diri-geantes étaient l’une et l’autre prises par leur proces-sus de réflexion et ignoraient le rôle critique qu’ellesavaient à remplir comme actrices dans l’organisation »(SCHNELL, 2005 : 5).Ce deuxième épisode est significatif de l’ambiguïtéqui caractérise les premiers mois de travail. Les deuxdirigeantes apprécient ce qui constitue à leurs yeuxdes séances de coaching et, accessoirement, pourGloria, ce qu’elle qualifie de mentorat. Ces séancessont positives, fonctionnelles, de leur point de vue.Tel n’est pas le cas pour Éric qui perçoit ces premiersmois d’accompagnement comme une formationavancée, ce qu’il trouve plutôt dysfonctionnel, étantdonné la nécessité de prendre à bras-le-corps les pro-blèmes de l’organisation.

• Troisième épisode : l’intervention du vice-doyen

Éric reçoit un appel téléphonique du vice-doyen, suiteà l’écho qu’a eu celui-ci d’un conseil donné, il y a peu,par Éric aux deux directrices. « Le vice-doyen n’étaitpas d’accord avec cet avis et il se disait préoccupé dufait que les deux responsables se défaussaient de leurspréoccupations managériales sur Éric, au lieu de lesaborder dans le cadre normal de la ligne de comman-dement » (SCHNELL, 2005 : 5). » On retrouve ici une dysfonction du coaching – auxyeux du vice-doyen, tout du moins – qui rejoint lesanalyses de Berglas (2002) citées plus haut en ce quiconcerne les risques de voir un coach empiéter sur lesresponsabilités de la hiérarchie et/ou de la direction del’organisation. Il est intéressant de mettre cette obser-vation en lien avec une (auto-)critique émise par Éricquelques mois plus tard, par rapport à la manière dontil a travaillé avec Anne et Gloria. Il lui est apparu queles séances très régulières qu’il a eues pendant de nom-breux mois avec les deux responsables avaient ten-dance à réduire la quantité et la qualité des échangesqu’elles avaient avec leurs subordonnés (SCHNELL,2005 : 11). Nous sommes en présence ici d’une autredysfonction du coaching, proche de la précédente,puisque l’on voit l’accompagnement court-circuiteren quelque sorte la communication descendante(alors que la dysfonction précédente pointait plutôt le

court-circuit des communications avec les responsa-bles de l’organisation).

• Quatrième épisode : l’audit et ses suites

Les questions organisationnelles, que les deux res-ponsables avaient tendance à éluder, réapparaissentde manière brutale avec la décision prise par ledoyen de procéder à un audit organisationnel duCentre. Ses conclusions sont assez accablantes pourle Centre et sa direction, ce qui provoque de fortesréactions émotionnelles chez Gloria. Éric essaied’amener la directrice à prendre en charge lesrecommandations émises, ce qui lui vaut, de la partde celle-ci, le reproche d’être « depuis longtemps ducôté du doyen ». Éric tente, en vain, d’aider Gloriaà mieux comprendre et contrôler ses états émotion-nels. Gloria s’absente pour un congé de maladie,pendant lequel elle est prise en charge par un théra-peute. Quelques semaines plus tard, elle informe sescollègues qu’elle est atteinte d’un cancer du sein.Elle reste absente dix-huit mois au cours desquelsAnne continue à travailler avec Éric. Il est fréquentque lors de leurs rencontres, Éric invite un autreconsultant de l’équipe de DO qu’il dirige ; c’est unemanière, pour lui, de souligner à nouveau la prioritéqu’il convient de donner aux questions organisa-tionnelles. Ce quatrième (et long) épisode nous paraît dominépar une tension, déjà perceptible antérieurement,entre deux fonctions du coaching : une première, quimet en avant la dimension organisationnelle des pro-blèmes, et une seconde, qui se centre sur la dimensionde développement personnel. Éric, qui entend réaliserprioritairement la première fonction, combine, à cettefin, les séances de coaching avec des interventions enmatière de développement organisationnel.

• Cinquième épisode : apparition de difficultés relation-nelles entre les deux directrices

Le retour de Gloria au Centre n’est pas facile à vivrepour Anne. Celle-ci lui reproche de se mettre du côtédes cadres du Centre, plutôt que de la soutenir dansses initiatives. Anne ressent le besoin de prendremomentanément ses distances et de terminer la thèsede doctorat qu’elle avait entamée il y a quelquesannées. Elle prend un congé de huit mois. À sonretour, Gloria admet qu’avec un doctorat en mains, ilconvient qu’Anne assume désormais la direction duCentre, elle-même prenant le titre de directrice-fon-datrice, chargée de la récolte de fonds et des relationsextérieures. Malgré cet abandon officiel du poste dedirection, Gloria continue à interférer dans des déci-sions importantes, en particulier en gardant descontacts avec les autorités de l’Université. Cet épisode est dominé par les difficultés relation-nelles entre Anne et Gloria, des difficultés qui sont

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prises en charge dans le cadre des séances de coaching.Éric consacre notamment plusieurs séances à exploreravec Anne les émotions qu’elle ressent par rapport àGloria, depuis le retour de cette dernière. Une nou-velle fonction manifeste du coaching apparaît ici : élu-cider les tensions, les conflits interpersonnels entre lesdeux dirigeantes.

• Sixième épisode : la nouvelle directrice acquiert sonautonomie

Anne reprend contact avec Éric – qu’elle considèredésormais comme son « mentor » – pour qu’il l’aide àse différencier de Gloria. Éric propose à Anne de ren-forcer son autonomie, de deux manières. D’abord,Anne remplacera progressivement des membres duconseil d’administration que Gloria avait amenés avecelle, par d’autres personnes qu’elle recrutera elle-même. Ensuite, elle entreprendra de mettre en placepour le Centre un plan de développement stratégique.Celui-ci impliquera notamment de définir des plansde carrière pour les cadres du Centre.Apparaît ici une nouvelle fonction manifeste du coa-ching : permettre à la personne coachée d’acquérir del’autonomie par rapport à une collègue qui interfèredans sa sphère de responsabilités. Il est notable quedans le cas particulier qui nous occupe, cette fonctioninduit elle-même d’autres initiatives, comme la miseen place d’une stratégie organisationnelle, la défini-tion de plans de carrière pour les cadres supérieurs,etc. Nous y reviendrons infra.

DISCUSSION DES RÉSULTATS

Le coaching : un enchevêtrement ad hoc et évolutifde (dys)fonctions

Quel bilan peut-on tirer de cette confrontation entrele cadre mertonien et les recherches sur le coaching ?Au premier repérage proposé plus haut à partir de lalittérature, l’analyse secondaire que nous venons defaire de cette expérience d’accompagnement sur unelongue durée nous permet d’ajouter de nouvelles(dys)fonctions possibles du coaching : depuis l’amé-lioration de l’image de l’organisation jusqu’à la forma-tion et le développement personnel des dirigeantes, enpassant par la définition de plans de carrière pour lescadres supérieurs, etc.Lorsqu’il discute la distinction entre fonction(positive) et dysfonction, Merton suggère que« certaines réalités peuvent être fonctionnelles pourcertains individus ou sous-groupes, et dysfonction-nelles pour d’autres » (MERTON, 1961 : 52). Cettehypothèse est bien vérifiée ici, puisque l’on voitque certaines fonctions sont considérées positive-

ment par certains acteurs, tandis qu’elles apparais-sent négatives aux yeux d’autres acteurs, pour quielles constituent des (dys)fonctions. Ainsi, parexemple, la fonction formative est positive pour lesdeux directrices, mais elle est dysfonctionnelle auxyeux du coach et à ceux de certaines autorités uni-versitaires. Et c’est l’inverse que l’on observe pourla fonction de prise en charge des problèmes orga-nisationnels. Si Merton laisse donc entendre que le caractèrefonctionnel ou dysfonctionnel d’une réalité peutvarier d’un individu à l’autre (ou d’un groupe à l’au-tre), il ne suggère pas qu’il pourrait en être de mêmepour le caractère manifeste ou latent. Or, cela noussemble être également le cas. Prenons l’exemple dela fonction d’amélioration de l’image de l’organisa-tion. Elle est probablement latente aux yeux de plu-sieurs des acteurs externes concernés qui ne perçoi-vent pas l’intention de Gloria, mais ce n’est évidem-ment pas le cas du point de vue de la directrice elle-même, pour qui la fonction est assurément mani-feste. Nous prenons donc sur ce point certaines dis-tances par rapport au cadre fonctionnaliste. Plusgénéralement, cette étude de cas nous incite à relier,plus que ne le fait Merton, les (dys)fonctions à lamanière dont les différents acteurs se représentent,perçoivent, ou encore – nous faisons ici le lien avecla perspective annoncée en introduction –« construisent » la réalité du coaching. L’analyse nous montre encore combien les(dys)fonctions identifiées sont spécifiques au casanalysé et renvoient à des caractéristiques parfoistrès particulières du contexte (la croissance de l’or-ganisation) ou des personnes (telle origine familiale,tel problème de santé, tel vécu émotionnel). Ellesévoluent d’ailleurs en fonction de ce contexte et deces acteurs.Selon nous, cette analyse permet surtout de mieuxrendre compte du « flou », des « confusions » ouencore des « ambiguïtés » qui caractérisent le coa-ching. Elle montre en effet qu’une action de coachingremplit conjointement différentes fonctions (mieuxstructurer l’organisation et redorer son image ; acqué-rir de l’autonomie comme directrice et développer desplans de carrière pour les cadres ; etc.) ; certaines sontexplicites, pour certains acteurs, mais latentes, pourd’autres ; certaines sont positives pour les uns, etnégatives, pour les autres, constituant à leurs yeux desdysfonctions. Et si, comme on vient de le montrer, laplupart des (dys)fonctions repérées apparaissaient trèsspécifiques au cas analysé, il en va de même, a fortiori,de la manière dont elles se combinent, dont elles s’en-chevêtrent ; un enchevêtrement qui, par ailleurs, évo-lue en raison des événements qui affectent les per-sonnes et l’organisation. C’est en ce sens que l’on peutconsidérer les pratiques de coaching comme étantfaites d’un enchevêtrement ad hoc et évolutif de(dys)fonctions.

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La transversalité des pratiques de gestion

Nous avons évoqué, en introduction, le fait que les pra-ticiens et les chercheurs veillaient généralement à distin-guer le coaching d’autres pratiques. Or, lorsque l’on s’in-terroge sur la nature de certaines des fonctions identifiéesdans l’analyse du cas évoqué ci-dessus, il apparaît queplusieurs d’entre elles relèvent bien davantage d’autrespratiques d’accompagnement, voire d’autres pratiques degestion, que du coaching. Selon les moments et lesacteurs, ce sont d’ailleurs les termes de « mentorat », de

« formation », voire d’« éla boration de stratégies » ou de« gestion des carrières » qui sont utilisés pour désigner lapratique à l’œuvre, plutôt que celui de « coaching ».Ainsi, l’hypothèse de l’enchevêtrement des fonctions vade pair avec ce que l’on peut appeler la « transversalité »de la pratique : faire du coaching, c’est aussi, dans un cascomme celui que nous venons de décrire, faire (à certainsmoments) de la formation, du mentorat, du développe-ment organisationnel, de la stratégie, etc.Dans quelle mesure ces résultats valent-ils, plus large-ment, pour d’autres pratiques de coaching que celle

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« Selon les moments et les acteurs, ce sont d'ailleurs les termes de “mentorat”, de “formation”, voire d’“élaborationde stratégies” ou de “gestion des carrières” qui sont utilisés pour désigner la pratique à l’œuvre, plutôt que celui de“coaching” », lithographie (1914) d’Anatole Bonamy, « Le jeune Télémaque part à la recherche d’Ulysse guidépar Minerve, qui se présente à lui sous les traits de Mentor ».

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que nous avons pu observer en proposant une nou-velle analyse du cas décrit par Schnell ? Et si nous élar-gissons encore notre propos, dans quelle mesure cesrésultats valent-ils également pour d’autres pratiquesde gestion ?Incontestablement, d’autres pratiques de coachingmériteraient d’être examinées à partir des mêmeshypothèses. Le cas analysé présente en effet plusieurscaractéristiques spécifiques qui peuvent contribuer àmultiplier les fonctions et à complexifier leurs rela-tions : il s’agit d’un coaching de deux dirigeantesmené sur une longue durée par un coach interne dansle cadre d’une organisation qui passe par des stades dedéveloppement différents, etc. Il se présente donccomme un cas « extrême » (HLADY RISPAL, 2002 : 78)du point de vue de nos hypothèses de recherche. Dans quelle mesure nos résultats valent-ils, par-delàcertaines pratiques de coaching, pour d’autres pra-tiques de gestion ? Divers travaux de recherche peu-vent nous amener à penser que cette question appelleune réponse positive. Nous illustrerons brièvementnotre propos en nous référant au management de laqualité, tel qu’il est analysé par Segrestin (2004 : 163-195). Comme pour le coaching, les acteurs évoquentl’« ambiguïté », l’« ambivalence », l’« hybrid(ité) », la« malléabilité » ou encore les « paradoxes » qui carac-térisent les pratiques de management de la qualité(2004 : 167, 176, 185, 194). Par ailleurs, les analysesproposées par l’auteur peuvent également être relues àpartir de l’hypothèse de l’enchevêtrement ad hoc etévolutif de (dys)fonctions. Outre des fonctions expli-cites (mieux contrôler les processus dans les entre-prises ; renforcer la sécurité des échanges entre parte-naires des réseaux et la confiance qu’ils s’accordent ;etc.), le management de la qualité remplit aussi desfonctions latentes et des (dys)fonctions. Un exemple de fonction latente : dans certaines cir-constances, la certification qualité n’améliore en riendes relations réciproques durables constitutives despartenariats ; bien au contraire, elle rend les firmesoffreuses interchangeables aux yeux de la firme clienteet permet à cette dernière de maintenir une relationmarchande fluide. Autrement dit, le management dela qualité contribue alors à « défaire le partenariat, àforce d’accroître la mobilité des acteurs sur les mar-chés » (SEGRESTIN, 2004 : 179). Autre exemple defonction latente : lorsque l’organisation qui appliquela qualité partage une culture éloignée de celle-ci, oulorsqu’elle dispose de peu de moyens – ce sera souventle cas des PME – elle peut viser à obtenir la certifica-tion « au plus juste » : en affichant des procédures quin’ont pas de rapport avec l’activité réelle de l’entre-prise (SEGRESTIN, 2004 : 183-185). Ce second cas defigure illustre aussi la notion de dysfonction, dans lamesure où cette certification de façade représente descoûts pour l’entreprise, sans présenter les avantagesd’un réel contrôle des processus, ce que la qualitétotale est pourtant censée assurer.

CONCLUSION

Dans un contexte où praticiens et chercheurs pointent(voire dénoncent) les ambiguïtés du coaching, cet arti-cle a mobilisé le cadre fonctionnaliste de Merton pourtenter de donner un sens à ces ambigüités. Un premierexamen des recherches portant sur les apports du coa-ching aux organisations, s’il révèle différentes fonctionsdu coaching, ne nous aide pas vraiment à penser l’am-biguïté de celui-ci, dans la mesure où les fonctions ysont analysées séparément. Une seconde démarche, quiprocède, quant à elle, à l’analyse secondaire d’un cas decoaching décrit dans la durée, se révèle plus satisfai-sante. En effet, elle révèle une multiplicité de (dys)fonc-tions se combinant d’une manière spécifique. Cecinous conduit à éclairer les ambiguïtés du coaching àpartir de l’idée que celui-ci est constitué d’un enchevê-trement ad hoc et évolutif de (dys)fonctions. Nousmontrons en outre que le coaching peut se combineravec d’autres pratiques d’accompagnement ou de ges-tion, comme le mentorat, le conseil, le tutorat, le déve-loppement organisationnel, la gestion des carrières…,ce qui nous amène à parler d’une transversalité du coa-ching. Ces deux hypothèses de l’enchevêtrement et dela transversalité permettent également de comprendreles ambiguïtés d’autres pratiques de gestion, commenous le montrons avec l’exemple du management de laqualité. De manière plus générale, notre approcheconsiste à éviter de dissoudre les ambiguïtés des pra-tiques de gestion pour, au contraire, tenter d’en saisir lacomplexité. �

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L’ÉPREUVE DES FAITS

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JEAN NIZET ET PAULINE FATIEN-DIOCHON

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Avec la multiplication des incantations à l’inno-vation, le terme innovateur s’est introduit dansles discours. Se présentant au premier abord

comme une déclinaison naturelle du terme innova-tion, il n’en semble pas moins utilisé avec une signifi-cation variable, avec le risque de laisser la confusions’installer au cœur d’un sujet jugé stratégique. Dans la tradition de l’histoire des idées, il devientdonc intéressant d’explorer les différentes significa-tions et représentations qui sont associées au termeinnovateur en reconstituant les origines du mot et sonhistoire. Ce faisant, il s’agit d’établir la généalogie decelui qui s’affirme, jour après jour, comme le hérosnaturel de la société de l’innovation.Pour donner vie à ce projet, nous proposons d’explorer au cœur des archives conservées par la

Bibliothèque nationale de France, qui constitue l’undes plus anciens et des plus exhaustifs fond de languefrançaise, en privilégiant les documents de référenceque sont les dictionnaires et les encyclopédies. Enfin,et prenant acte de la contingence de l’approche histo-rique, nous avons choisi de suivre la méthode reven-diquée par Carlo Ginzburg (1), en considérantchaque document comme une des traces d’un récitqu’il s’agit de reconstituer par la preuve, et de complé-ter par l’empathie.

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GÉNÉALOGIE DE L’INNOVATEURHéros naturel de la société de l’innovation, l’innovateur n’en est pasmoins une figure renvoyant à des réalités différentes, qui font échoaux références culturelles des locuteurs. Pour lever la confusion, nous proposons ici de reconstituer l’histoire de ce mot dans la langue française à travers une exploration des archives de référencede la Bibliothèque nationale de France. Tout en précisant les liens qui unissent l’innovateur au novateur, au génie ou à l’innovation, nous mettons en lumière deux grandes significations qui lui sont associées : celle, historique, qui, spécialement dans les arts et dansles sciences, incarne l’individu porteur de l’étincelle du renouveau, etcelle, plus contemporaine et forgée par l’économie, qui fait référenceà l’organisation collective qui se donne pour objectif d’en tirer profit.Enfin, constatant l’usage prééminent qui est fait de nos jours de laseconde définition et le risque réel de ne plus entendre ceux qui, par

l’emploi du terme innovateur, continuent de faire référence à tous ces indivi-dus qui sont à la source du renouveau, nous formons la proposition qu’ilsadoptent la déclinaison langagière, peut-être plus explicite, d’innovateur degénie.

Par Jean BÉHUE*

AUTRES TEM

PS, AUTRES LIEUX

* Docteur en humanités et sciences sociales.

(1) Carlo GINZBURG, Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire,Paris, éd. Flammarion, 1989.

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UNE ÉTINCELLE DE LUMIÈRES

C’est à la fin du XVIIe siècle que le mot innovateur faitson apparition dans un écrit, sous la plume de PierreRichelet, auteur du premier dictionnaire de la languefrançaise (2). Mais, il faut aussitôt ajouter que l’inno-vateur n’est pas né de la plume de l’auteur, ce dernierayant composé son dictionnaire à partir du recense-ment des mots ayant cours dans les conversations deslettrés de l’époque. Ainsi, peut-on en déduire que lemot innovateur a été inventé avant 1680, c’est-à-direavant l’édition du Dictionnaire francois contenant lesmots et les choses. Si l’inventeur du mot n’est pasconnu, il est par contre possible, grâce à la définitionqu’en donne Pierre Richelet, de reconstituer pardéduction son milieu intellectuel d’appartenance.L’ouvrage, édité en Suisse par Jean HermanWiderhold, nous apprend que le mot inovateur, quel’on trouve également épelé innovateur, est un nom.Que c’est donc la première différence significativeavec le terme novateur, qui lui est un adjectif reconnude la langue française, que l’on retrouve toutefois uti-lisé comme nom. En effet, s’empresse d’ajouter l’au-teur du dictionnaire, « ce mot innovateur n’est pasapprouvé, on dit novateur ». À la lumière de cetindice, il devient nécessaire de comprendre pourquoice nom a été inventé. Introduire un nouveau mot, alors qu’il en existe déjà,peut sembler curieux. Et cela d’autant plus que lesdeux termes affichent leur filiation commune avec leverbe innover dérivé du verbe latin in-novare, quisignifie « introduire de la nouveauté, renouveler ».Pourtant, l’invention d’un nouveau mot n’est jamaisanodine : elle signale l’existence d’un besoin non satis-fait ; l’incapacité de la langue à signifier quelque chosequi devient réalité. Que Pierre Richelet nous signaleque le mot n’est pas approuvé est donc important. Ilpointe ainsi du doigt l’incapacité de l’adjectif et dunom novateur à incarner celui qui porte la nouveautéet, en même temps, la nécessité, qui se manifeste pourune certaine partie de la population qu’il fréquente etreprésente, d’inventer un nom qui incarne avec plusde justesse leur conception de la nouveauté. À cestade, il est possible de comprendre qu’il y a commeun signe de rupture, sinon de révolution, dans cettevolonté de faire évoluer la langue et d’adopter officiel-lement, par écrit, le nom innovateur. On peut par là-même en déduire que l’auteur du mot était tout, saufun conservateur. Qu’il faisait probablement pleine-ment partie d’une certaine classe du XVIIe siècle fran-çais animée par l’idée d’introduire des nouveautés, etsoucieuse de le revendiquer ouvertement. Nul auteur

ne saurait mieux convenir à cette description qu’unesprit éclairé, qu’un esprit appartenant au mouvement(alors en gestation) des « Lumières ». Si le mot inno-vateur est introduit par l’avant-garde des philosophesde la modernité, c’est donc pour offrir un qualificatif,et plus encore une incarnation à celui qui porte lanouveauté. Mais une incarnation qui se distingueradicalement du novateur, dont la signification est àl’époque très fortement marquée.

VADE RETRO, MAUDITS NOVATEURS !

À l’époque, l’adjectif novateur, qui est aussi utilisécomme nom, a une signification très marquée, àconnotation négative. C’est ce qui peut en être déduità la lecture du premier dictionnaire édité parl’Académie française, en 1694. Avec une portée offi-cielle que n’avait pas l’ouvrage de Pierre Richelet, le« Dictionnaire de l’Académie Françoise dédié auRoy » (3) offre un point de vue privilégié sur cettesociété qui se dirige inexorablement vers sa dispari-tion. Imaginé comme le recueil de la pensée des plusgrands auteurs de langue française, le Dictionnairepuise dans le glorieux passé pour ouvrir l’avenir. Cequi explique qu’aucune entrée spécifique n’ait été pré-vue pour le terme innovateur, encore peu, sinon pasusité. Plus étonnante est l’absence d’entrées pour lestermes novateur et innovation, qui semblent enfouisdans la nomenclature générale, comme… pour conju-rer l’irruption de toute innovation ! S’agissant determes hérités des civilisations grecque et latine, doncde termes dont l’usage a certainement eu le temps des’imposer, cela peut sembler étrange. C’est qu’il fautchercher tous ces termes à l’entrée neuf, qui figure enpage 118 du tome 2 du Dictionnaire. Une entrée quel’on devine potentiellement dangereuse pour lasociété qui rayonne autour de l’Académie française,tant les commentaires et les exemples se font critiques,voire condamnatoires. Alors que l’on reprend l’idéequ’innover signifie « introduire quelque nouveautédans une couftume, dans un ufage desja receu, &c. »,et que l’innovation caractérise l’« introduction dequelque nouveauté dans une couftume, dans un ufagedesja receu », un jugement de valeur est aussitôt asso-cié : « C’eft un eftabliffement fort ancien, il n’y fautrien innover. Il eft dangereux d’innover quoy que cefoit dans les chofes de la Religion, &c. », ou encore« Il ne faut point faire d’innovation. Ces innovationsfont dangereufes ». Le jugement est sans appel etexplique pourquoi se côtoient, dans le même article,le terme novateur au sens de « Celuy qui introduit

(2) Pierre RICHELET, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses,plusieurs nouvelles remarques sur la langue française : ses expressions propres,figurées et burlesques, la prononciation des Mots les plus difficiles, le genre desNoms, le régime des Verbes : avec Les Termes les plus connus des Arts et des

Sciences, Le tout tiré de l’usage et des bons auteurs, Genève, Jean HermanWiderhold, éd., 1680.

(3) Le Dictionnaire de l’Académie Françoise dédié au Roy, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1694.

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quelque nouveauté, quelque dogme, contraire auxfentimens & à la pratique de l’Églife », avec, en guised’exemple, « Les Novateurs fons dangereux. »Pour mieux comprendre la signification négative, etmême taboue, qui colle au mot novateur, dontessaient de se départir ceux qui militent en faveur del’adoption du nouveau mot innovateur, on voit qu’ilest nécessaire de s’intéresser à ce qu’il incarne dans lasociété catholique du Moyen Âge. Suivant l’exemplede Pierre Richelet, qui partait de l’usage de la languepour fonder ses définitions, il peut s’avérer intéressantet pertinent de partir de l’emploi du mot novateur parl’un des Pères de l’Église pour mieux en saisir la por-tée. Ainsi, au VIIIe siècle de notre ère et alors que l’em-pereur byzantin Léon s’est convaincu de détruire lesimages saintes de son royaume, Jean Damascèneprend la parole pour condamner sa décision :« L’ombre ou la ceinture des apôtres guérissait lesmalades et chassait les démons ; pourquoi leur imagene serait-elle pas honorée ? Ou n’adorez rien de maté-riel, ou ne soyez point novateur, et n’ébranlez point lesbornes séculaires plantées par vos pères, qui ont établiles usages de l’Église, non seulement par leurs écrits,mais par la tradition » (4). Si ce discours nous permetde percevoir sans ambiguïté toute l’autorité de l’au-teur, qui est en passe de s’affirmer comme l’un despiliers de la doctrine catholique, il nous permet ausside comprendre qu’être qualifié de novateur, c’est êtreaccusé de remettre en cause la coutume de la religioncatholique, et donc les décisions prises par l’Église.C’est être accusé de faire front à une puissante institu-tion qui, au travers d’assemblées d’évêques – ouconciles – qu’elle organise depuis l’an 325, établit lesrègles de la foi et de la discipline catholiques. Si le motnovateur est utilisé, c’est donc d’abord et exclusive-ment par l’Église, comme adjectif pour désigner lesagissements d’un ennemi qui conteste son autorité. Utilisé pour qualifier toute volonté de changementcontraire à la coutume de l’Église, le terme novateurvéhicule une signification qui le rapproche du termehérétique, qui a dans le langage ecclésiastique unevaleur officielle. En effet, se faire hérétique sous lerègne de l’Église au Moyen Âge, ce n’est pas seulementfaire un choix, comme l’origine grecque du mot héré-tique le supposerait, c’est surtout faire un choix déli-bérément contraire à une proposition de foi catho-lique définie par l’Église comme vérité révélée. Toutcomme le novateur, l’hérétique remet en questionl’ordre établi. Il fait peser le spectre dangereux duchangement et de la nouveauté. Ce qui, dans lecontexte de l’époque, où l’Église est engagée dans unprocessus d’institutionnalisation, constitue une desaccusations les plus graves. C’est d’ailleurs à la lumière

de ce contexte qu’il est possible de comprendre uncertain nombre de décisions prises par l’Église pourcombattre tous ceux qui sont susceptibles de remettreen cause l’ordre établi, au premier chef les protestants,mais également les scientifiques et les philosophes.Pour mieux prévenir l’introduction de toute nou-veauté, et briser toute volonté novatrice, le PapePaul III fonde, le 21 juillet 1542, la Congrégationpour la doctrine de la foi, qui s’entend sur laConstitution Licet ab initio conçue pour défendrel’institution contre les hérésies. Son successeur,Paul IV, renforce sa lutte contre les mouvementsnovateurs en créant, en 1559, le célèbre IndexLibrorum Prohibitorum, qui établit la liste desouvrages interdits et des auteurs condamnés. Avecl’émergence progressive d’un droit canonique et latenue de quelques procès restés célèbres comme celuide Galilée, on voit se dessiner plus clairement lescondamnations, et on mesure à quel point il peuts’avérer dangereux d’être recensé parmi les hérétiquesou simplement de se voir qualifier de novateur.

INNOVATEURS ET FIERS DE L’ÊTRE !

Dans un contexte historique où l’adjectif novateursemble tout entier enveloppé de la signification néga-tive que lui attribue l’Église, l’introduction du nominnovateur, au XVIIe siècle, s’apparente à un choix déli-béré des philosophes modernes de faire évoluer lasignification de l’acte d’innover pour lui donner uneconsonance positive, sinon héroïque. L’adoption et ladiffusion du terme innovateur doivent donc être com-prises comme des actes profondément militants. Suiteà la publication du Dictionnaire de l’Académie fran-çaise, qui apparaît pour un certain nombre de lecteurstrop conservateur, un ouvrage satirique est publié parun anonyme qui s’empresse d’en faire la critique géné-rale, et d’en appeler à l’adoption du mot innovateurintroduit par Pierre Richelet. À la page 149 de l’ou-vrage, qui paraît sous le titre L’Apothéose du diction-naire de l’Académie et son expulsion de la région céleste(5), apparaît un article consacré au mot innovateur :« Richelet dit que le mot innovateur n’eft pasapprouvé, & qu’on dit novateur ; cependant, il eftconftant qu’on dit innover, innovation. Il eft dange-reux de rien innover dans la Religion. Les innovationsen fait de Religion font dangereufes. Ainfi il y a lieude croire qu’innovateur qui eft le verbal d’innover, doitêtre reçu. » Mais, l’adoption du nouveau mot estlente, et progresse, comme toujours dans l’histoire, aurythme de l’évolution des changements des mentali-

AUTRES TEM

PS, AUTRES LIEUX

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(4) L’Abbé Rohrbacher, Histoire universelle de l’Église catholique, tome V,4e édition, Paris, Gaume frères et J. Duprey, 1865.

(5) L’apothéose du dictionnaire de l’Académie et son expulsion de la régioncéleste : ouvrage content cinquante remarques critiques sur ce dictionnaire,auxquelles on en a joint cinquante autres sur divers auteurs célèbres, LaHaye, A. Leers, éd., 1696.

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tés, et surtout du renouvellement des autorités,notamment intellectuelles. Près d’un siècle plus tard,le terme n’est toujours pas adopté officiellement,comme en atteste le Dictionnaire critique de la languefrançaise (6) écrit par l’Abbé Féraud, en 1787 :« Quoiqu’on dise innovation et innover, on ne dit pasinnovateur : le mot usité est novateur. On peut dire

pourtant qu’innovateur manque à la langue ; et quenovateur ne le supplée pas. Celui-ci ne se dit que desopinions, surtout de celles qui sont opposées à la foi ;et pour d’aûtres objets, il ne peut exprimer le sens decelui qui innove. Il serait donc à souhaiter que l’usageadmît innovateur. L’Auteur de L’Apothéose duDictionnaire approuvait ce mot, mais son opinion n’apas fait fortune ».À la fin du XVIIIe siècle, en dépit du militantismed’une classe d’intellectuels, le terme innovateur peinetoujours à s’imposer dans le langage officiel, ce quijoue sur sa signification, qui n’est toujours pas fixée.Alors que Pierre Richelet avait introduit le nom pourincarner et offrir une dimension positive, sinon

héroïque, à « celui qui innove », celui qui « introduitdes nouveautés », l’auteur anonyme de l’Apothéose dudictionnaire de l’Académie avait cru bon d’introduireune différence avec le terme novateur : « Voici donc ladifférence de ces deux mots : Novateur eft celui quiproduit quelque chofe de nouveau, où il n’y a rienencore de commencé, comme celui qui invente une

mode nouvelle : mais innovateur eft celui qui intro-duit, ou fait quelque innovation, où il y a quelquechofe de commencé. Ainfi, celui qui change quelquechofe dans une mode reçue eft un innovateur. Voilà ladifférence qu’il y a entre novateur & innovateur. » Endépit de l’effort de clarification des deux termes, quidoit également être perçu comme une volonté de ren-forcer la valeur positive de celui qui innove, l’auteurne parvient pas à imposer sa distinction. Ainsi, l’AbbéFéraud se contentera-t-il de faire coïncider le termeavec « celui qui innove », sans essayer de préciser unquelconque référentiel de départ, sans faire mentiondu terme novateur. Sous la plume de ce jésuite de pro-vince, on peut imaginer que l’intention n’était pastant d’accentuer la valeur positive associée à ce nou-veau personnage de la société des Lumières, que d’effacer toute référence au terme novateur, et donc

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« Dans un contexte historique où l’adjectif novateur semble tout entier enveloppé de la signification négative que lui attribuel’Église, l’introduction du nom innovateur, au XVII e siècle, s'apparente à un choix délibéré des philosophes modernes de faire évo-luer la signification de l’acte d’innover pour lui donner une consonance positive, sinon héroïque. », « La querelle des anciens etdes modernes, Boileau (1636-1711), Racine (1639-1699) et Huet (1629-1721) à l’Académie française », dessin de Franckpublié, en 1859, dans Musée des familles.

(6) L’Abbé FÉRAUD, Dictionnaire critique de la langue française, Marseille,Jean Mossy, éd., 1787

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aux connotations négatives qu’il avait pour l’Église.Mais la démarche de l’Abbé Féraud peut également secomprendre d’un autre point de vue : si la définitiondu terme innovateur semble s’imposer sous une formeneutre, sans jugement de valeur, ni négatif ni positif,c’est peut-être parce qu’elle s’impose de fait.Le mot innovateur a beau continuer à errer en dehorsde la langue française officielle, cherchant son sens audétour de quelque commentaire savant, il peut s’ap-puyer sur une définition de l’innovation qui va mar-quer la société savante du XVIIIe siècle. En effet, tandisque les dictionnaires érudits se multiplient, unfameux projet mobilise quelques représentants desLumières, parmi les plus lumineux : L’Encyclopédie.Ardent contributeur à ce projet, aux côtés de DenisDiderot et de Jean Le Rond d’Alembert, Louis deJaucourt indique que l’innovation est une « nouveautéou changement important que l’on fait dans le gou-vernement politique d’un État, contre l’usage & lesrègles de sa constitution. » Nul doute, dès lors, quel’innovateur devient, en toute logique, celui qui s’ef-force de réformer les usages. À ce titre, le mot innova-teur se retrouve évoqué par l’auteur, dans l’un des18 000 autres articles qu’il rédige, à l’entrée nou-veauté. Rappelant que la nouveauté peut évoquer« tout changement, innovation, réforme bonne oumauvaise, avantageuse ou nuisible », l’Encyclopédisteprofite d’une citation de Bacon pour inscrire le motinnovateur dans les colonnes de L’Encyclopédie et pourrappeler qu’à l’image du temps qui s’avère être le plusgrand des innovateurs, tout changement n’est pas tou-jours positif. Ce détour par le terme innovation et parle projet de L’Encyclopédie s’avère donc intéressant ence qu’il offre une référence sur le sens attribué par lesLumières au terme innovateur. Sous leur plume, l’in-novateur est certes « celui qui innove », celui qui, lit-téralement, « introduit des nouveautés ». Mais nuljugement de valeur ne lui est plus associé. Bien plus,on voit se dessiner en filigrane de leurs articles, desmises en garde, comme s’il fallait redouter qu’aprèsplusieurs siècles passés à confondre novateurs et héré-tiques, la société se mette à associer, sans retenue,innovateurs et sauveurs.

QUAND INNOVATION RIME AVEC RÉVOLUTION

Avec la Révolution française, une nouvelle classe d’in-tellectuels prend le pouvoir qui fait triompher lesidéaux des Lumières et impose sa langue. Alors quel’on célèbre ce qui apparaît à beaucoup comme la plusmanifeste des innovations, le terme innovateur s’im-pose dans les usages, avec une connotation révolu-tionnaire marquée. À tel point qu’il fait son entrée

dans la sixième édition du Dictionnaire de l’Académiefrançaise, publiée en 1835 (7). Et, par là-même, dansle langage français officiel. Si la reconnaissance duterme innovateur par les Immortels pour désigner« Celui qui innove, qui fait des innovations » est unepetite innovation en soi, il est également intéressantde noter qu’elle résulte d’un changement profond dela méthode adoptée par les gardiens du Dictionnaire.Plus que toute autre, cette édition post-révolutionfrançaise souhaite signifier sa rupture avec la premièreédition du XVIIe siècle. Outre le fait que leDictionnaire n’est plus dédié au roi, mais qu’il est dés-ormais édité sous le seul sceau de l’Institut de France,une longue préface s’attache à justifier l’adoptiond’une nouvelle méthode de recensement qui, adoptéepar presque tous les auteurs de dictionnaires depuisPierre Richelet, embrasse la vie des mots et leur usagedans et par la société. Le résultat offre un recueil trèséloigné de la version à la fois stricte et précieuse de1694, qui n’hésite pas à agrémenter chaque définitiond’exemples fortement empreints de jugements devaleur. Ainsi, se permet-on d’ajouter, à propos de l’in-novateur, que « Les innovateurs ont en général plus dehardiesse que de prudence. En parlant de religion, ondit mieux Novateur ». Ce qui fait écho à la définitionquelque peu foisonnante et assurément marquée ausceau de l’enthousiasme du terme innovation :« Introduction de quelque nouveauté dans le gouver-nement, dans les lois, dans un acte, dans unecroyance, un usage, une science, etc. » S’imposant avec éclat dans le langage officiel duXIXe siècle, « celui qui introduit la nouveauté » estmis en garde. Alors que la France a choisi laMonarchie de Juillet et qu’elle hésite à poursuivre lechangement jusqu’au bout, le poète Anne Bignanprend la parole en séance publique devant lesImmortels pour lancer un avertissement à cettenouvelle génération qui ne semble plus être animéeque par le désir de changer, presque par seul amourdu changement. Faisant tout d’abord l’éloge deCuvier pour mieux dénoncer l’incursion des idéestransformistes de l’école lamarckienne, celui quisiège à l’Académie pour ses traductions de l’Iliade etde l’Odyssée adresse « Quelques conseils à un nova-teur » (8), sous la forme d’un poème dont voici lespremiers vers :

Jeune homme qui, rêvant un prochain âge d’or,Emporté loin de nous par un aveugle essor,Voudrais, de l’avenir dévorant la semence,Des siècles en un jour finir la tâche immense,Laisse de la raison le rigide compasDans un cercle prudent emprisonner tes pas,Et, marchant à ce terme où tu courais sans guide,Par un chemin moins prompt cherche un lien plus solide.

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(7) Dictionnaire de l’Académie française, Paris, éd. Firmin Didot, 1835. (8) Anne BIGNAN, Épître à Cuvier, et Conseils à un novateur, Séancepublique de l’Académie française du 27 août 1835.

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L’orateur a beau recourir aux rythmes et aux rimes, iln’en est pas moins clair dans son message : les innova-teurs courent le risque d’aller trop loin. Comme lesadeptes de Lamarck qui rejettent Cuvier, pour mieuxrejeter la religion mais surtout la foi, et faire éclaterleur seule vérité, ceux qui courent après le change-ment pour la seule raison qu’un changement est envue, ne méritent pas mieux que d’être relégués au rangde novateurs, c’est-à-dire de vulgaires destructeurs.

CELUI QUI VOULAIT ÊTRE UN GÉNIE

Mais l’avertissement aura fait long feu. Cinq ansplus tard, seulement, le poète est tourné en ridiculepar une caricature du flamboyant Victor Hugo, quirêve, comme le reste de la jeune génération desromantiques, de mener le changement jusqu’à sonterme en faisant éclore un homme nouveau, le seulvéritable représentant de la société citoyenne : legénie. Alors que jusque-là le terme innovateurrésonnait comme un cri de ralliement permettantaux philosophes de revendiquer un changement desociété, et donc de s’ériger en adversaires de l’ordremonarchique et religieux, il devient, après laRévolution, un terme officiel, certes, mais un termequi s’efface en faveur du terme génie. Glorifié parL’Encyclopédie, le génie est en effet l’homme del’imagination et de l’enthousiasme par nature, etplus encore l’homme du mouvement perpétuel.Celui qui, contrairement au philosophe guidé parl’activité de la raison et la soif de la vérité, se trouveguidé par l’activité de l’âme et la soif de liberté.Homme du mouvement par définition, il est, sousla plume de Saint-Lambert qui en rédige l’articlepour L’Encyclopédie, celui qui « Dans les Arts, dansles Sciences, dans les affaires […] semble changer lanature des choses ». Un peu à l’image du mythiquealchimiste, il est l’homme inspiré, mais l’hommeinspiré par la Nature, et non par Dieu. En effet,alors que le génie grec d’Aristote était inspiré par lesMuses et que le génie de la Renaissance l’était parDieu, le génie des Modernes a perdu toute auradivine. Il est une sorte de surhomme. Un « humaintrop humain », comme le signera Nietzsche. Et c’esten cela que l’homme de génie romantique s’affirmecomme un novateur qui s’assume et, plus encore,comme un innovateur accompli. S’éclipsant petit à petit au profit du génie qui l’in-carne dans toute sa splendeur et dans tous ses excès,comme l’hérétique avait pu autrefois incarner l’abo-minable et effroyable novateur, l’innovateur n’en restepas moins dans la ligne de mire de l’Église catholique.En effet, l’homme de la nouveauté a beau s’imposerdans le Dictionnaire de l’Académie française et s’affir-mer comme le héros des sociétés modernes, il restel’ennemi juré de la Congrégation de l’Index, et mérite

plus que jamais d’être mis à l’Index. Perdant chaquejour un peu plus d’autorité dans une République quiaffirme son choix pour la laïcité, l’Église met un pointd’honneur à garder sa position, et même à la réaffir-mer en ce qui concerne les novateurs. Et c’est pour-quoi tous ceux que le XIXe siècle porte aux nues pourleurs découvertes, leurs inventions et leurs créationsdans le domaine politique, mais aussi économique et,surtout, scientifique et artistique, sont aussitôt identi-fiés par les religieux catholiques et presque systémati-quement répertoriés sur la longue liste des hérétiques,des immoraux, des subversifs et autres auteurs prohi-bés recensés par l’Index. Ainsi, Montaigne, Voltaire,Diderot et d’Alembert ne tardent-ils pas à rejoindreCopernic et Galilée, comme le feront à leur tourRousseau, Hugo, Flaubert, Renan, Balzac ou Zola, ettant d’autres encore. Chose étonnante : même ceuxqui, comme Descartes ou Kant, conçoivent un sys-tème philosophique au sein duquel un dieu trône tou-jours, sont également mis à l’Index. Malgré laRévolution et le désir des peuples de s’affranchir del’autorité dogmatique de la religion, il restera long-temps condamnable par l’Église d’adopter des posi-tions novatrices. Jusqu’au 14 juin 1966, au moins,date à laquelle l’Index Librorum Prohibitorum seraofficiellement aboli par le pape Paul VI, qui se feraainsi l’un des artisans de la réconciliation des peuplesaprès la Seconde guerre mondiale.

LE MAL-AIMÉ DE L’ÉCONOMIE DE L’INNOVATION

Pleinement reconnu comme celui qui introduit de lanouveauté en toute chose, l’innovateur entre dans leXXe siècle sous une définition générale et synthétique,qui abandonne tout jugement de valeur, délaisse toutenthousiasme. Ainsi, le dictionnaire Larousse, quiparaît en 1919, en fait-il le nom d’une « personne quiinnove », mais aussi l’adjectif qui désigne celui « quiinnove, qui tend à innover » (9). Avec un destin quifait écho, mais dans le sens inverse, à celui du termenovateur, d’abord utilisé comme adjectif, puis usitécomme nom, le terme innovateur devient de moins enmoins l’incarnation du héros de la nouveauté et duchangement, et de plus en plus le qualificatif del’homme de génie en tout domaine. Ce faisant, l’usagecommence à préférer à l’emploi du qualificatif d’inno-vateur, le nom, qui permet de désigner l’explorateurde l’inconnu et le vecteur du changement dans chaquedomaine. Après avoir parlé d’innovateur, on se met àparler, plus précisément, d’inventeur, de découvreurou encore de créateur, tout en sachant que chacune deces figures est une des diverses sources et formes

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(9) Claude AUGÉ, Larousse Classique illustré. Nouveau dictionnaire ency-clopédique, Paris, Librairie Larousse éd., 1919.

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d’ex.pression de l’innovation (10). Disparaissant pro-gressivement de la mémoire collective, l’innovateurn’en a pas moins fortement déterminé l’usage qui estfait des termes inventeur, découvreur ou créateur.Premièrement, ces termes sont tous utilisés commedes dérivés analytiques du terme innovateur, pourdésigner l’incarnation de l’innovation. Deuxièmement,ils font tous référence, systématiquement et sans qu’ilsoit besoin de le préciser, à un individu. Au sens d’in-dividualité. Et c’est peut-être à ce niveau que leXXe siècle marquera l’innovateur, en opérant un glisse-ment de sens, aussi imperceptible qu’effectif. Si innovateur s’éclipse petit à petit au profit de termesplus précis, l’innovation fait, quant à elle, un retourtriomphal dans les discours du XXe siècle sous le coup del’appropriation du concept par la science économique.Après la Seconde guerre mondiale, et alors que lacontribution des sciences et des techniques à l’activitééconomique ne semble plus faire aucun doute, desstructures institutionnelles se mettent en place pourprofiter des découvertes, des inventions et autres créa-tions, et pour systématiser l’activité de recherche scien-tifique. Plus que jamais, l’innovation émerge alors aucœur des enjeux économiques. Un nouveau paradigmede pensée se forme autour de Joseph Schumpeter,auteur d’une théorie de l’évolution économique (11).Tout en s’inscrivant dans la lignée d’autres grands pen-seurs de l’économie qui, à l’instar de Jean-Baptiste Say(12), avaient déjà perçu à quel point la contribution dessavants pouvait s’avérer déterminante dans la produc-tion des richesses nationales, le professeur de l’influenteUniversité de Harvard insiste sur le rôle essentiel etcatalyseur de l’entrepreneur. Un personnage clef agissantà l’interface entre l’individu (avec tout son génie) et lecollectif (avec toute son efficacité). La question de l’in-novation faisant écho aux enjeux économiques, peu àpeu, on oublie qu’innover signifiait simplement « intro-duire de la nouveauté ». D’un point de vue d’écono-miste ou de gestionnaire, innover c’est bel et bien com-biner des facteurs de production en vue d’introduireune nouvelle valeur économique. Comme si la restric-tion de sens s’imposait d’elle-même, on parle d’innova-tion pour mieux parler de profit et d’investissement,mais aussi d’organisation, de processus ou de manage-ment. Dès lors, si l’on parle d’innovateur ce n’est qu’ac-

cessoirement, comme dérivé du terme innovation, pourdésigner l’organisation économique porteuse de l’inno-vation (13). Et le glissement de sens se fait d’autant plusfacilement qu’à la figure du découvreur, de l’inventeuret du créateur du XIXe siècle, succède, au XXe, un sys-tème de recherche institutionnalisé qui considère ladécouverte, l’invention ou la création comme le résul-tat d’une action collective plus qu’individuelle etcomme le premier pas dans la création de valeur écono-mique. Un premier pas que l’on considère désormaiscomme à la fois nécessaire et insuffisant.

AU COMMENCEMENT, IL Y A TOUJOURS UN INNOVATEUR…

Éclipsé par les préoccupations économiques au profitde l’entrepreneur, l’innovateur fait son retour dans lesdiscours au tournant du troisième millénaire.Conséquence directe du glissement de sens qu’a subile terme innovation au cours de la seconde moitié duXXe siècle, théoriciens et praticiens de l’économie sesont mis à parler d’innovateur pour qualifier uneorganisation ou un collectif agissant dans le sens de lavalorisation économique. Que l’on désigne ainsi uneuniversité, une entreprise ou une nation, l’emploi duterme innovateur se fait toujours en conformité avecl’usage qu’introduisit Schumpeter. Sensible en fran-çais, cette tendance s’est particulièrement affirmée enanglais, langue globale de l’économie et de l’innova-tion. Le Cambridge Advanced Learner’s Dictionary andThesaurus (14) et l’Encyclopaedia Britannica (15) ontbeau estimer que le terme innovator doit être utilisécomme un nom pour désigner « someone who intro-duces changes and new ideas », et s’en servir pour dési-gner ces inventeurs, ces découvreurs et créateurs quiont marqué l’histoire anglo-saxonne, la définition nereflète plus l’usage qui en est fait par un certain nom-bre de personnes évoluant dans les milieux de l’inno-vation. De façon presque systématique, la littératureéconomique emploie les termes innovateur et innova-tor pour qualifier une organisation et pour expliciterles moyens, pour elle, de, littéralement, profiter del’innovation (16), autrement dit d’utiliser les étin-

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(10) On comprend alors pourquoi, depuis le XIXe siècle, on utilise leterme innovateur pour désigner les savants et les artistes qui ont marquéleur époque de leur empreinte, mais aussi pour qualifier les personnesévoluant dans les milieux politiques, économiques ou religieux et qui seseront imposés dans l’imaginaire collectif comme de grands hommes.

(11) Joseph SCHUMPETER, Théorie de l’évolution économique. Recherchesur le profit, le crédit, l’intérêt et le cycle de la conjoncture, 1911, Trad.1935.

(12) Jean-Baptiste SAY, Traité d’économie politique, ou simple exposition dela manière dont se forment, se distribuent ou se consomment les richesses,1803.

(13) Joseph SCHUMPETER, Business Cycles, New York, Toronto, London,Mc Graw-Hill Book Company, 1939.

(14) http://dictionary.cambridge.org/dictionary/learner-english/

(15) http://www.britannica.com/

(16) Il est intéressant de noter que c’est par le titre Profiting from techno-logical innovation que l’un des articles les plus souvent cités dans ledomaine de l’économie de l’innovation s’est justement fait connaître, cequi confirme l’influence incontestable de ce type d’approche de l’innova-tion centrée sur l’idée de profiter. À titre anecdotique, on peut alorsconstater que l’article commence par les innovators et que ceux-ci sontdésignés comme “those firms which are first to commercialize a new pro-duct or process in the market”, Ce qui confirme notre analyse : dans le dis-cours contemporain, innovateur rime avec valorisation économique etavec organisation collective. Voir David TEECE (1986), “Profiting fromtechnological innovation: Implications for integration, collaboration,licensing and public policy”, Research Policy, vol.15, pp. 285-305.

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celles produites par ces quelques hommes de talent oude génie, que l’on appelle encore aujourd’hui inven-teurs, découvreurs et créateurs. Personnes qui persis-tent pourtant entre elles à se revendiquer de l’héritagede l’innovateur, figure héroïque du changement. Avecl’absolu succès de la pensée de Schumpeter et lareprise de l’usage par les grandes autorités de la penséeéconomique, une page de l’histoire de l’innovateur degénie aura donc été tournée, ou presque…

Avec l’installation d’une crise économique durable etla multiplication des incantations à la croissance éco-nomique, une exploration s’est engagée au cœur duphénomène de l’innovation, qui réhabilite petit àpetit l’innovateur. Préoccupés de mieux comprendrela logique de l’innovation pour mieux l’accompa-gner, des spécialistes de l’étude des organisationss’essaient depuis quelques décennies à appréhenderles acteurs de l’innovation, auxquels l’adjectif d’in-novateur a été logiquement donné (17). Pour ces spé-

cialistes qui parlent d’« entrepreneur-innovateur »,de « chercheur-innovateur », ou encore de « cher-cheur-entrepreneur-innovateur », ou simplementd’« innovateur », il est clair que l’innovation est,conformément à la définition de Schumpeter, unacte de combinaison des facteurs conduisant à unecréation de valeur économique. Aussi, exclut-ond’emblée de ces catégories ceux qui sont à l’originedes inventions, des découvertes ou des inventions,

sauf s’ils ont également entrepris une démarche devalorisation économique. Que l’on qualifie ThomasEdison ou Steve Jobs d’innovateurs n’a rien de cho-quant pour un économiste ou un sociologue desorganisations, mais rares sont ceux qui osent ainsidésigner Marie Curie ou Einstein. Et pourtant, aufur et à mesure que s’accentuent les pressions aurenouveau économique et que la réflexion sur l’inno-vation se construit, l’attention se recentre autour deces quelques personnes clefs qui, dans les sciencescomme dans les arts, sont à la source des évolutionsmajeures de notre société, que Kuhn qualifie derévolutions pour mieux insister sur le caractère non

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« Que l’on qualifie Thomas Edison ou Steve Jobs d’innovateurs n’a rien de choquant pour un économiste ou un sociologue desorganisations, mais rares sont ceux qui osent ainsi désigner Marie Curie ou Einstein. », portraits de Thomas Edison, inventeuraméricain (1847-1931), et de Steve Jobs, entrepreneur américain et co-fondateur d’Apple (1955-2011).

(17) On pensera notamment à Norbert ALTER, L’Innovation ordinaire,Paris, Presses Universitaires de France, 2000. .

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linéaire de la dynamique du progrès (18). De jour enjour, on redécouvre qu’il ne suffit pas de savoir pro-fiter de ceux qui inventent, découvrent ou créent,mais que, sans eux, aucune innovation économiquen’est jamais possible. Qu’il faut donc, dans la pers-pective d’une révolution de l’innovation, placer cesindividus de talent et de génie au centre de notreréflexion et de notre attention, et penser les ressortsde la « créativité » comme un pré-requis d’uneréflexion sur l’innovation. Ainsi, en vient-on, à par-tir d’une réflexion sur les acteurs de l’innovation, àdéconstruire les catégories imaginées parSchumpeter et adoptées par la communauté écono-mique, pour mieux redécouvrir l’innovation dansson sens le plus simple, et l’innovateur sous ses traitsoriginels : l’homme du renouveau et de l’espoir.

CONCLUSION

Il est difficile de lutter contre les usages, surtoutlorsqu’à l’image de l’innovateur, on a l’honneur et laprétention de traverser les siècles. Forgé au XVIIe sièclepar l’avant-garde moderne pour le distinguer du nova-teur et marquer d’une valeur positive les velléités dechangement de toute une société, l’innovateur a connuson apogée au XIXe siècle, lorsqu’il s’est imposé dans leDictionnaire de l’Académie française. Signe que l’usageprécède toujours les institutions, c’est à cette époqueque l’on a commencé à l’oublier pour lui préférer lafigure plus héroïque du génie ou les déclinaisons, à lafois plus neutres et plus précises, d’inventeur, dedécouvreur ou de créateur. Aujourd’hui, avec l’omni-présence de l’innovation dans l’imaginaire collectif,l’innovateur effectue son grand retour, mais en véhicu-lant une signification fort différente de celle portée parles Lumières et revendiquée par la communautésavante. Sous l’influence d’une réappropriation des

enjeux d’innovation par l’économie, l’innovateur nefait plus tant référence à celui qui porte l’étincelle degénie et annonce le renouveau, qu’à ces organisationscollectives et anonymes capables d’en tirer profit.Figure de référence des discours de la société de l’in-novation, l’innovateur n’en est pas moins mobiliséavec des significations très variables en fonction dumilieu culturel auquel appartient le locuteur et desréférences culturelles qui le constituent. Et cette situa-tion n’est pas sans créer la confusion sur un sujet quidevrait pourtant rassembler. Tout en appelant les par-ties prenantes aux débats sur l’innovation à prendreacte de ces différentes significations, une solutionpourrait consister à introduire une déclinaison de lan-gage qui permette aux locuteurs de préciser la figurede l’innovateur à laquelle ils font référence. Sansremettre en question l’usage devenu majoritaire quiconsiste à assimiler l’innovateur à l’organisation col-lective porteuse des espoirs de révolution écono-mique, peut-être pourrait-on inviter les héritiers desLumières et de la tradition savante à faire référence àl’innovateur de génie, pour faire valoir la nécessité deconsidérer celui qui, quel que soit son domaine d’ac-tivité, mais spécialement dans les arts et les sciences,est la source du renouveau ?Source de potentielles confusions et d’injonctionscontradictoires à l’action, l’innovateur n’en reste pasmoins la figure qui porte les espoirs de notre société,une figure qui semble être de plus en plus invoquée.Mais une figure qui semble plus que jamais en mal dereconnaissance. À l’heure où les espoirs de l’innova-tion s’associent de plus en plus fréquemment à desespoirs de rupture, autrement dit à de véritables révo-lutions, une voie de recherche fructueuse serait sansdoute d’interroger plus avant cette figure renaissante,symbole de l’étincelle du renouveau. �

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(18) Thomas KUHN, The Structure of Scientific Revolutions, Chicago,Chicago University Press, 1962

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PEUT-ON DIRE QUE LES FILIALESOCCIDENTALESIMPLANTÉES EN TUNISIE ONT UN COMPORTEMENT« ÉTHIQUE » ? Adoptant une approche instrumentale appuyée par une démarche quali-tative menée auprès de onze filiales d’entreprises occidentales implan-tées en Tunisie, notre but est d’analyser le degré d’adhésion aux normeséthiques des processus managériaux de planification, d’organisation, dedirection et de contrôle observables dans les filiales étrangères en Tunisie.L’analyse de contenus thématiques que nous avons menée grâce aux proposrecueillis auprès de vingt-deux directeurs appartenant à onze filiales occidentales implantées en Tunisie a permis l’établissement d’une grille comprenant quatre types de filiales, qui sont les filiales a) éthiques, b) responsables, c) neutres et d) non éthiques. Cette typologie est le résultat dela conjugaison de deux paramètres, qui sont le degré de l’engagement éthiquede la maison-mère envers sa filiale et celui de l’engagement de la filiale elle-même envers les standards éthiques.

Par Rym HACHANA*

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Cet article a pour objectif d’analyser la dimen-sion éthique des processus managériaux de pla-nification, d’organisation, de direction et de

contrôle observables dans les filiales des multinatio-nales occidentales implantées en Tunisie.Aucune étude n’a été faite, à notre connaissance, surles engagements éthiques des filiales occidentalessituées en Tunisie et de leurs maisons-mères. Et pour-tant, la question devient particulièrement sensible enraison des évolutions politiques que connaît actuelle-

ment le pays. La révolution du 14 janvier 2011 a ren-versé un système de népotisme extrême ayant régnépendant plus de vingt-trois ans. Plusieurs probléma-tiques d’ordre sociétal et éthique ont alors émergé surla scène politique et économique. Le système déchupuisait sa force dans un réseau solide de partenaireslocaux et étrangers qui ont participé de façon directe

* Maître assistante habilitée, Tunis Business School.

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ou indirecte à pérenniser ce régime autoritaire et cor-rompu. Parmi les partenaires externes figurent lesmultinationales occidentales implantées en Tunisie,dont certaines sont accusées aujourd’hui d’avoir coo-péré avec l’ancien régime. Pouvons-nous qualifier le processus managérial mis enplace par les filiales implantées en Tunisie d’éthique-ment acceptable ? Comment se manifeste la violationdes principes éthiques au sein de ces filiales ? Quelssont les facteurs qui expliquent le degré d’adhésiondes filiales implantées en Tunisie à des exigenceséthiques ? Pour répondre à ces questions, une approche qualita-tive à visée exploratoire s’appuyant principalement surdes entretiens semi-directifs a été menée au cours desannées 2010 et 2011 auprès de vingt-deux managersoccupant des postes clés et appartenant à onze filialesde multinationales occidentales européennes et nord-américaines implantées en Tunisie. Cette recherches’est faite en deux temps : avant la révolution du14 janvier 2011, et après cette date.Au départ, et durant l’année 2010, notre enquêtevisait à étudier plus particulièrement l’engagementéthique de la maison-mère envers sa filiale implantéeen Tunisie. À ce stade, nous considérions l’éthiquecomme une variable exogène, dont seule la maison-mère était responsable. Le but était d’évaluer la portéeéthique des décisions prises par la maison-mère etprescriptes à sa filiale en Tunisie. Durant cette pre-mière étape, les entretiens semi-directifs visaientexclusivement les expatriés chargés de mettre enœuvre les stratégies fixées par leurs maisons-mères. Leguide d’entretien visait principalement à évaluer laportée éthique des décisions ayant trait à la politiquede recrutement et de rémunération, ainsi qu’à lamanière avec laquelle de telles décisions étaient appli-quées au sein des filiales (centralisation du pouvoir,supériorité du siège, empowerment, délégation, colla-boration, etc.).Dans un deuxième temps, après la révolution de jan-vier 2011, nous avons jugé intéressant d’étendre l’en-quête aux cadres locaux en focalisant notre intérêt surles filiales qui ont réussi à acquérir un certain seuil dematurité et se sont développées pour devenir unacteur stratégique à part entière dans le réseau de lamultinationale. De ce fait, le but poursuivi n’était plusuniquement d’évaluer la portée éthique des décisionsprises par les maisons-mères, mais d’évaluer égale-ment l’engagement éthique des filiales en mettantl’accent sur les processus managériaux mis en place, ettout en impliquant les managers tunisiens qui peu-vent jouer un rôle dans l’amélioration du potentieléthique de leurs filiales.Même s’il est en principe possible, aujourd’hui, des’exprimer librement sur des sujets jadis bannis, nousnous sommes heurtés à plusieurs obstacles liés à lapeur et à la crainte des managers tunisiens et des expa-triés de se prononcer sur des questions éthiques ou

politiques. La généralité de leurs propos, le refus derépondre à certaines questions jugées confidentielles,la méfiance ressentie à l’égard de certaines notions,telles que « la corruption », « la conspiration », « lechantage », « le harcèlement sexuel » ou « le licencie-ment abusif », nous conduisent à conclure que la cul-ture de la peur instaurée par le régime déchu continueà produire ses effets.

LES DILEMMES ÉTHIQUES DES FILIALES IMPLANTÉES DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

Telle qu’elle a été définie par Mercier (1999 : 6),« l’éthique regroupe un ensemble de principes, devaleurs et de croyances qui dirigent la conduite desindividus ». D’une manière générale, l’éthique faitréférence à la conduite humaine, en insistant sur cequi est bon et sur ce qui est mauvais (TSENG et al.,2009). À l’échelle internationale, une confrontation peutexister entre le système de valeurs organisationnellespropagées dans la maison-mère et les valeurs installéeset répandues dans les filiales. Même si certainesnormes éthiques standards demeurent valables quelleque soit la culture dans laquelle elles se situent(DONALDSON, 1989), la diversité culturelle peutaccentuer les conflits éthiques entre la maison-mère etles filiales, surtout lorsque la filiale est implantée dansun pays où des pratiques non éthiques, telles que lacorruption, sont répandues (SANYAL, 2005). Il existede ce fait un manque de congruence entre les stan-dards éthiques du pays d’origine et ceux du pays d’ac-cueil.Ce manque d’alignement entre les valeurs et les pra-tiques éthiques instaurées dans le pays d’origine etcelles établies dans le pays d’accueil engendre des vio-lations éthiques (1) qui peuvent, sous certaines condi-tions, aboutir à une dérive éthique. Selon Elango et al.(2010), il y a dérive éthique lorsque l’expatrié va pas-ser outre aux normes éthiques exigées par sa maison-mère et adhère aux normes éthiques constatées dans lepays d’accueil pour en tirer profit.Dans son chapitre intitulé The moral foundation ofmultinationals, Donaldson (1989) précise que lesmultinationales sont tenues par un contrat socialenvers les pays dans lesquels elles se trouvent. Ellesdevraient participer au développement économiquesans violer les droits fondamentaux des employés et

(1) Par violation éthique, nous faisons allusion au non-respect desnormes éthiques. À titre d’exemple, octroyer une rémunération plus éle-vée à un expatrié par rapport à un manager local qui justifie des mêmescompétences et qui exerce les mêmes fonctions, est une violationéthique. Cette violation, conjuguée avec d’autres manquements éthiques,conduira nécessairement à une dérive éthique, c’est-à-dire à la marginali-sation de l’éthique, voire à son absence.

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des consommateurs. Halter et Coutinho de Arruda(2010) avancent que les multinationales s’appuientaujourd’hui sur les rapports de responsabilité socialequ’elles diffusent afin de communiquer avec les diffé-rentes parties prenantes. Pourtant, ces rapports negarantissent pas la transparence dont les différentspartenaires ont besoin, et constitueraient plutôt uninstrument marketing. Les auteurs concluent que lesmultinationales se comportent d’une manière diffé-rente selon qu’elles se trouvent dans leur pays d’ori-gine ou dans un pays tiers, notamment si ce dernierest un pays en développement, tels que les pays del’Amérique latine ou de l’Afrique.Tirer profit d’un cadre légal plus souple et fuir des res-trictions juridiques trop rigides du pays parent consti-tuent parfois les seules motivations qui incitent lamaison-mère à s’implanter dans un pays en dévelop-pement. Dans ce cas, il ne serait pas étonnant deconstater des violations éthiques multiples de la partde la filiale, des violations qui peuvent prendre desformes diverses, telles que l’exploitation de la main-d’œuvre (travail des enfants, conditions inhumainesde travail), le licenciement abusif, la corruption, leharcèlement sexuel, etc.

Éthique et processus managériaux

Les établissements enquêtés sont des filiales de multi-nationales occidentales (européennes et nord-améri-caines) détenues à plus de 60 % par leurs maisons-mères. Seules les filiales « marché » ont été retenuesdans le cadre de cette enquête. En effet, les filiales quine sont que de simples ateliers de production à bascoût de main-d’œuvre auraient posé des problèmesd’analyse encore plus délicats, puisqu’elles ne sontsouvent implantées en Tunisie que dans le seul but detirer profit d’une main-d’œuvre docile et bon marché,et que les problèmes éthiques y sont encore plus pré-gnants et délicats à aborder. Le choix des participants a été conditionné dans unegrande mesure par leur disponibilité et leur accepta-tion de faire partie de cette recherche. Dix-sept inter-viewés sont des expatriés nommés par la maison-mère,les cinq autres sont des employés locaux qui ne dispo-sent pas de compétences élevées et occupent des fonc-tions administratives ou techniques.Les entretiens ont été enregistrés avec un magnéto-phone, retranscrits ou traduits de l’arabe, du françaisou de l’anglais. La retranscription des entretiens a per-mis de constituer un corpus documentaire sur le degréde diffusion des préoccupations éthiques au sein desfiliales occidentales implantées en Tunisie.Pour réaliser notre enquête, nous ne disposions pasd’une grille théorique qui nous aurait permis d’iden-tifier les différents mécanismes qui influencent letransfert éthique de la maison-mère vers ses filialesimplantées dans des pays en développement. En l’ab-sence d’une approche instrumentale précise, nous

avons donc cherché à montrer par quelle voie sedécline l’éthique dans le management quotidien deces filiales. De cette approche qualitative a émergé laproposition d’une typologie réunissant les différentsconstruits d’une manière logique (EISENHARDT,1989).Nous avons conçu le guide d’entretien autour de qua-tre thèmes correspondant aux quatre fonctions mana-gériales : planification, organisation, direction etcontrôle. Chaque thème comprend quatre à septquestions ayant pour objet d’expliquer le degré d’en-gagement éthique de la maison-mère envers sa filialeimplantée en Tunisie et le degré d’engagementéthique des managers locaux de la filiale.

Y a-t-il une place pour l’éthique dans le processusde planification ?

La planification des activités d’une filiale est une fonc-tion managériale qui dépend du degré de décentralisa-tion de la maison-mère. Dans le cadre d’une multina-tionale centralisée, les filiales sont fortement dépen-dantes du siège qui conçoit au niveau central la straté-gie du groupe et l’organisation des opérations, et leurfournit l’assistance et le support qui leur sont néces-saires. Le siège maintient un contrôle rigoureux sur lesopérations des filiales, qui tendent à n’être que de sim-ples exécutants de la stratégie décidée par celui-ci :« Notre métier consiste à appliquer (et non à concevoir)les plans adoptés par la maison-mère. Notre stratégiemarketing nous est imposée par le siège. Nous ne déci-dons pas des montants des ressources ni de la manièreavec laquelle nous allons les utiliser » (Responsablecommunication dans une filiale opérant dans le sec-teur des détergents).S’aligner sur la politique générale de la maison-mèreaccroît la dépendance de la filiale et réduit sa marge demanœuvre, cela d’autant plus que certaines maisons-mères agissent délibérément pour limiter la latitudemanagériale des dirigeants des filiales implantées enTunisie :« La Tunisie est un marché certes exigu, mais stratégique.Notre multinationale considère le marché tunisiencomme le maillon fort de son réseau maghrébin, et nousne tolérons pas la perte de contrôle sur ce marché »(Directeur général d’une filiale de consulting).Les filiales appartenant au modèle centralisé établis-sent des plans opérationnels qui ne traitent que desactivités courantes de la filiale (telles que la gestion dela paie, les autorisations d’absence, le paiement desfactures des fournisseurs, etc.).Le degré de centralisation semble s’atténuer quelquepeu après la révolution et certains dirigeants desfiliales implantées en Tunisie s’impliquent plus direc-tement dans le processus décisionnel : « Avant la révolution, rares étaient les fois où nous étionsappelés au siège pour discuter de l’état de la filiale. Nousrecevions des plans formalisés et détaillés, qui nous expli-

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quaient les modalités de leur exécution. Cette manière deprocéder a changé, après la révolution. Aujourd’hui, lesdirigeants du siège font appel à nous pour comprendrenos besoins (humains, logistiques, financiers et autres),nous consultent avant de prendre une décision straté-gique, nous font savoir le contenu des plans stratégiquesavant qu’ils nous soient parvenus pour exécution »(Directeur d’une filiale).Les filiales de multinationales plus décentralisées éta-blissaient déjà avant la révolution leurs plans straté-giques, tactiques et opérationnels par elles-mêmes,après approbation par le siège. Ces filiales se sontdéveloppées et ont pu atteindre un certain seuil dematurité qui leur permet de recourir à leurs maisons-mères uniquement pour consultations ou conseils :« Notre métier, c’est innover. Notre planification suit lerythme de notre production. Nous ne recevons pas d’or-dres de notre siège, nous fixons nos propres objectifs (quisont la plupart du temps à moyen terme). Nous décidonsde la stratégie qui sera déployée pour les atteindre. Lesliens qui nous unissent au siège se rapportent aux opéra-tions financières, telles que le versement des dividendes, lefinancement des opérations coûteuses et de logistique ».(Responsable planification d’une filiale opérant dansle secteur de la nouvelle économie).Le degré de décentralisation des décisions n’est en lui-même ni favorable ni défavorable à l’adoption decomportements plus ou moins éthiques. C’est unevariable qui doit être considérée en même temps qued’autres. Cependant, il semblerait raisonnable deconsidérer qu’une planification plus « éthique » seraitaussi une planification encourageant la participationdes filiales au processus de prise de décision, à la fixa-tion des objectifs et à la formulation des stratégies.Elle devrait permettre d’établir des relations plus éga-litaires entre la maison-mère et les filiales, et de faireplus de place à la communication, au dialogue et à lacoordination.

Organisation éthique ou éthique organisationnelle ?

Au regard des données recueillies, trois principauxmodes de coordination des relations maison-mère/filiales apparaissent : a) la coordination bureau-cratique fondée sur la formalisation et les procédures,b) la coordination par les personnes à travers les expa-triations et les impatriations et, enfin, c) la cohésionnormative basée sur la diffusion des valeurs de la mai-son-mère.Certaines filiales combinent ces trois modes de coor-dination, comme le laisse supposer un directeur d’unefiliale canadienne :« La standardisation des tâches, des procédures et desrésultats est notre souci permanent ; nous sommesconvaincus qu’une compréhension des stratégies envigueur est un gage pour leur bonne exécution. Nousfavorisons la communication, la formalisation de cer-taines tâches complexes, nous privilégions également la

formation des équipes pour les mettre au courant detoutes les nouveautés ». D’autres filiales comptent sur la socialisation commemécanisme principal de coordination. La maison-mère jouissant d’une forte notoriété, les filiales onttendance à s’inspirer de ses valeurs et de ses normes decomportement :« Le but est de créer un système commun, qui lie notrefiliale au siège, mais aussi aux autres filiales du groupe.À titre d’exemple, nous avons mis en place des progicielsde gestion intégrés. L’intérêt n’est pas d’encombrer nosmanagers avec des règles et procédures administratives,parfois pénibles, mais, plutôt, de puiser dans les richessesculturelles de notre entreprise. Notre organisation tourneautour de nos principes fondamentaux, qui sont la res-ponsabilité et l’efficacité » (Directeur production d’unefiliale belge opérant dans le secteur de l’électronique).Une comparaison entre la période qui a précédé la révo-lution et celle qui la suit révèle l’existence de plusieursconflits quant à la répartition des postes et des responsa-bilités. Ainsi, un gestionnaire tunisien nous dit : « Les postes clés sont toujours détenus par les expatriés.Nous (les Tunisiens) occupons des postes d’exécution et desupport. Il est temps de réviser la politique de recrute-ment faite par le siège, car des managers tunisiens peu-vent parfaitement accomplir des tâches plus complexesque celles dont ils sont investis ».Selon les propos d’un employé tunisien, « La révolution a été faite pour mettre fin à l’injustice et àl’humiliation. Je me sens parfois humilié et traité commeun outil de production, dans cette entreprise […] Ils(l’équipe dirigeante) ne nous (employés tunisiens) considè-rent pas comme des pairs, mais comme des subordonnés.Même si je ressens une réelle envie de la part des dirigeantspour améliorer l’organisation de la filiale en impliquantdavantage les employés tunisiens, cet effort reste limité etbeaucoup de travail reste à faire dans ce sens ».Les données recueillies après la révolution suggèrentune plus forte tendance de la part des maisons-mèresà promouvoir une éthique organisationnelle fondéesur le partage des valeurs et des principes éthiques aumoyen de chartes éthiques et de guides de bonnes pra-tiques. L’établissement de structures transversales(équipes de résolution des problèmes, de pilotage, decrise) constitue aussi un levier organisationnel quipeut avoir des conséquences directes sur la persistanceou, au contraire, l’abandon de comportements éthi-quement contestables.

Les dirigeants des filiales étrangères présentes enTunisie se préoccupent-ils assez des questionséthiques ?

Selon la littérature en management, le leadershipéthique implique trois composantes principales : a)avoir un système de valeurs éthiques, b) traiter lesautres d’une manière juste et équitable et c) encoura-ger les comportements normatifs qui sanctionnent les

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manquements aux devoirs éthiques et qui rétribuenttoute manœuvre visant à diffuser les pratiqueséthiques (BROWN et al., 2005).La littérature managériale considère que le leadershipéthique contribue à améliorer les relationsemployeurs/employés, favorise la communication etest à l’origine de la diffusion d’une culture éthique.Ainsi, il jouerait un rôle crucial pour limiter lesconflits internes et faire converger les intérêts detoutes les parties prenantes.Le leadership éthique revêt une importance straté-gique dans le cadre des relations maisons-mères/filiales. En effet, sans un leader porteur devaleurs éthiques, certains auteurs considèrent qu’au-cune tentative ne sera entreprise dans la filiale pourlutter contre les dérives éthiques.Mais jusqu’à quel point peut-on parler de « leader-ship », dans le cadre d’une filiale implantée dans unpays en voie de développement ? Les managersinterrogés, qu’il s’agisse d’expatriés ou de managerslocaux, considèrent qu’il est exagéré de parler de« leadership » à l’échelle de la filiale dans laquelle ilstravaillent : « Énoncer les orientations générales du groupe et ledoter d’une vision claire qui lui permettra de se proje-ter dans le futur constituent la responsabilité des lea-ders qui siègent dans la maison-mère. Il ne faut pasconfondre leader et dirigeant. Il serait erroné d’évo-quer le terme leadership, dans notre contexte »(Directeur des ressources humaines dans une filialeopérant dans le secteur du textile).En outre, ces managers pensent que le respect desprincipes éthiques n’incombe pas aux seuls leaders,mais à toute personne travaillant dans une organisa-tion. Ce qui veut dire que l’absence de leaders dans lecadre des filiales ne constitue pas une présomption del’absence de l’éthique. « Avoir des leaders dans notre filiale n’est pas un gage durespect des principes éthiques. Le respect des principeséthiques est de la responsabilité de tous ». (Directeur res-sources humaines d’une filiale française du secteurpharmaceutique).Les entretiens menés avec quatorze dirigeants defiliales occidentales implantées en Tunisie, dont qua-tre sont des directeurs généraux, nous permettentd’avancer les remarques suivantes :– la révolution a intensifié le besoin visant à doter lesfiliales de dirigeants respectueux des droits del’homme ;– les fonctions de recrutement, de sélection, de rému-nération et autres doivent être désormais envisagéesen respectant mieux les principes d’équité et d’inté-grité ;– il serait important de rétribuer les agissements denature éthique (promotions, primes, etc.) ;– le non-respect des standards éthiques pourrait êtreplus lourdement sanctionné par les employés locaux,qui peuvent désormais manifester leur mécontente-

ment de diverses façons (grèves, perturbations, vio-lences, etc.).

Le contrôle dual peut-il être non éthique ?

Les leviers de contrôle des filiales peuvent être de dif-férentes sortes : mobilité des expatriés, contrôle infor-mel, formalisation des procédures, contrôle par lesrésultats, centralisation des décisions. Certains de cesmécanismes ont un caractère positif, d’autres ont uncaractère négatif et peuvent être à l’origine d’unedérive éthique. Un mécanisme de contrôle est consi-déré comme positif lorsqu’il est utilisé uniquementpour évaluer la performance réalisée et prévoir lesmesures correctives nécessaires. En revanche, un ins-trument de contrôle est considéré comme négatiflorsqu’il s’éloigne de la mission de contrôle et autorisedes manœuvres non éthiques. À titre d’exemple,Geringer et Hebert (1989) considèrent le conseild’administration d’une filiale comme un mécanismede contrôle négatif, dans la mesure où il permet à lasociété-mère d’empêcher que des décisions qui luisont défavorables soient prises, notamment à travers lacomposition du conseil et grâce au droit de veto de sesreprésentants.Toutes les filiales étudiées combinent la supervisiondirecte et le contrôle bureaucratique (ou formalisé).En ce sens, on peut dire qu’elles sont soumises à uncontrôle dual : « Le contrôle peut être verbal, à travers une simple ques-tion sur le bon déroulement du processus productif,comme il peut être formel, grâce à des procédures écriteset bien précises », indique un gestionnaire d’une filialeitalienne opérant dans le secteur du textile.« Nous privilégions le contrôle continu et non a poste-riori. Le contrôle est l’activité de tous […]. L’envoi desexpatriés n’est pas le seul instrument de contrôle utilisé,nous recourons également à nos propres moyens decontrôle, à savoir la coordination, la standardisation etla supervision directe » (Directeur ressources humainesd’une filiale allemande opérant dans le secteur desdétergents).« Nous sommes autonomes, nous contrôlons nous-mêmesnotre processus productif. Le siège n’intervient que si laperformance réalisée est très en-dessous de la performanceescomptée. Il est inapproprié, aujourd’hui, surtout avec ledéveloppement des outils de transmission d’information,de recourir aux modes traditionnels et classiques decontrôle : c’est une perte de temps et d’argent, pour nouset pour la maison-mère » (Directeur général d’unefiliale canadienne appartenant au secteur de laconstruction).Actuellement, le caractère dual du contrôle des filialessituées en Tunisie tend à s’atténuer, non pas tant en rai-son de considérations éthiques ou politiques, mais plu-tôt dans le but de réduire les coûts, de limiter les fraisd’expatriation, de mieux responsabiliser les filiales et defaciliter les coopérations directes entre filiales.

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« La révolution a intensifié le besoin visant à doter les filiales de dirigeants respectueux des droits de l’homme […] », gravureanonyme représentant L’Égalité portant la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, vers 1789, Musée des Arts etMétiers (Paris).

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TYPOLOGIE DES FILIALES TUNISIENNES SELON LEUR MODE DE PRISE EN COMPTE DES PROBLÈMES ÉTHIQUES

À l’issue de nos entretiens, il nous a paru judicieux declasser les filiales de multinationales implantées enTunisie selon deux variables : le degré d’implication(ou d’engagement) de la maison-mère dans la prise encompte des problèmes éthiques rencontrés en Tunisieet le degré d’implication du management de la filialetunisienne dans la prise en compte de ces mêmes pro-blèmes. Le croisement de ces deux variables conduit àune classification en quatre catégories comme le mon-tre le tableau ci-dessous :Lorsque ni la maison-mère ni le management local nese préoccupent d’éthique, on se trouve en présenced’un établissement où les dérives éthiques seraient trèsrépandues. À l’opposé, lorsque la maison-mère et lemanagement local se déclarent l’un et l’autre respon-

sables du traitement de ces questions, on pourrait s’at-tendre à ce que les difficultés éthiques de la vie desaffaires y soient mieux prises en compte. Les deuxautres cas correspondent à une absence de préoccupa-tion éthique manifeste soit de la part de la maison-mère soit de la part des responsables locaux de lafiliale. Toutes les multinationales ne s’engagent pas avec lamême intensité pour prendre en compte les pro-blèmes éthiques rencontrés par leurs filiales. Certainesveulent lutter contre toute violation éthique, d’autresessaient de détourner les standards éthiques, d’autresencore tentent de les violer, auquel cas la filialedeviendra un terrain favorable pour se prêter à desdérives éthiques non tolérées dans le pays d’origine. Dans notre échantillon, nous avons identifié trois éta-blissements qui semblaient ne pas du tout se préoccu-per des questions éthiques, ni sous l’impulsion dusiège ni à l’initiative du management local. Trois éta-blissements peuvent être qualifiés de « plutôt

Filiales

neutres

Filiales

éthiques

Filiales

non éthiques

Filiales

responsables

Engagement

éthique de la filiale

elle-même

Engagement

éthique de la

maison-mère

envers

sa filiale

+

-

Tableau 1 : Typologie éthique des filiales occidentales implantées en Tunisie

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neutres », et trois autres peuvent être classés dans lacatégorie « éthiques ». Enfin, deux établissementspeuvent être classés dans la catégorie des filiales « res-ponsables », c’est-à-dire dotées d’un managementlocal se préoccupant des questions d’éthique, alorsque la maison-mère semble peu concernée.

Les filiales éthiques

Cette première catégorie est constituée par les filialesdont l’adhésion aux standards éthiques est très rigou-reuse. L’engagement éthique de la filiale est appuyépar celui de la maison-mère, qui encourage la morali-sation de ses affaires internationales. Ainsi, ces filiales se comportent en bons citoyenslocaux, engagés et responsables.« Respecter les employés et l’environnement dans lequelnous agissons est un impératif dicté par notre maison-mère et adopté par notre filiale », précise le directeurgénéral d’une filiale française.Ces filiales illustrent la convergence ou la congruenceéthique entre la maison-mère et ses filiales, ce qui estde nature à atténuer les différences culturelles entre lesdifférents pays.« Nous sommes convaincus de l’existence d’une cultureuniverselle qui dépasse les frontières nationales et quiaide les peuples à se rapprocher davantage. Cette cultureprône le respect, l’égalité et l’équité. Nous estimons queces valeurs éthiques sont communes à toutes les cultures »(Directeur adjoint d’une filiale suédoise).Une réelle complicité existe entre les expatriés et lestravailleurs tunisiens et un fort degré d’engagementest ressenti par les expatriés envers ce que leurs col-lègues ont vécu durant la révolution. Un directeur defiliale déclare ainsi :« Le 17 janvier 2011, en pleine révolution et malgrél’insécurité qui régnait, tous nos employés tunisiensétaient là, motivés plus que jamais à travailler.Contrairement à d’autres filiales, à aucun moment lachaîne de production ne s’est interrompue ».Ces filiales éthiques avaient rencontré plusieurs diffi-cultés sous l’ancien régime et menaçaient de se délo-caliser si les pressions gouvernementales persistaient.Un directeur de filiale canadienne précise ainsi :« Nous avons commencé à réfléchir à la possibilité de quit-ter le territoire tunisien, car nous ne voulions pas céder àdes pratiques illégales et de moins en moins éthiques. Sousl’ancien régime, la corruption était un phénomène enpleine croissance. Nous étions appelés à verser des sommesde plus en plus importantes pour accélérer la procédure dedédouanement, pour accéder à certaines offres publiquesd’achat de matières premières. Après la révolution, nous neressentons aucune pression, c’est la loi de la concurrence quirégit le marché ».La socialisation est un mécanisme de coordinationfortement utilisé par les filiales éthiques. Grâce à unecollaboration étroite entre les différents échelons, à ladiffusion d’une culture éthique et à une communica-

tion sans faille, ces filiales ont réussi à relever le défi dela révolution.

Les filiales responsables

Les maisons-mères des filiales responsables nedéploient aucun effort en matière de diffusion d’uneculture éthique au sein de la filiale soit parce qu’ellesen sont dépourvues dans leur pays d’origine, soitparce qu’elles estiment qu’il est inutile de doter unefiliale implantée dans un pays émergent de valeurséthiques, soit encore parce qu’elles veulent donner àleurs filiales une grande latitude en matière d’éthique.Malgré le désengagement éthique de la maison-mère,les filiales responsables ont propagé une culture baséesur le respect, la droiture et l’égalité, ce qui a facilité lacollaboration entre les expatriés et les travailleurslocaux.À ce propos, le directeur d’une filiale italienneavance :« Nous ne disposons d’aucun code éthique envoyé par lesiège, et pourtant nous faisons en sorte que les principeséthiques soient respectés. À titre d’exemple, lors de la pro-cédure de sélection d’un gestionnaire de production oud’un “buyer”, nous publions des annonces dans desrevues spécialisées. Certaines personnes au pouvoir veu-lent faire profiter leurs parents de ces postes, et nous har-cèlent pour [que nous acceptions] leurs candidatures.Devant ce dilemme, nous informons notre siège, quiporte peu d’attention à la question et nous laisse le librechoix de retenir ou non la candidature. Notre politiquede sélection est basée uniquement sur le mérite : nousn’avons jamais cédé à ces pressions ».Les dirigeants des filiales responsables jouent un rôlecapital dans la promotion de la culture éthique. Ils ontinstauré un système de valeurs interne, qui est en adé-quation avec les standards éthiques internationaux. Àcet égard, un directeur de filiale précise :« L’insécurité qui régnait après la révolution a conduit lesiège à songer à délocaliser notre filiale au Maroc. Nousavons réussi à convaincre les dirigeants de la maison-mère que le basculement vers la démocratie, même s’il estdouloureux, ne porterait pas atteinte à nos intérêts, bienau contraire ».

Les filiales neutres

Les filiales neutres manifestent une divergenceéthique qui puise ses sources dans la diversité cultu-relle qui sépare le pays d’origine du pays d’accueil.Dans les filiales neutres, l’engagement éthique de lamaison-mère est élevé, contrairement à celui de safiliale située en Tunisie. Ce désaccord éthique peutconduire vers un non-respect des normes éthiques parla filiale et intensifie la myopie culturelle entre la mai-son-mère et sa filiale en matière d’éthique.« Notre maison-mère prône des valeurs éthiques qui sontdifficilement transposables en Tunisie. Nous considérons

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que l’aspect éthique ne revêt pas une importance capitale,ici, en Tunisie, car, de toutes les manières, nos salariés ontpris l’habitude de travailler efficacement sans exiger denotre part un effort supplémentaire en matière d’éthique.Nous pensons que les choses vont changer, avec la révolu-tion, car les Tunisiens aspirent de plus en plus à plus deliberté et de moralité ».Les filiales neutres sont préoccupées essentiellementpar les considérations économiques et financières.Leur objectif est de maximiser le profit et de préserverles parts de marché. L’impératif éthique ne constitueune priorité que s’il participe à l’amélioration desrésultats financiers de la filiale.Les relations avec l’autorité, telles qu’elles sontdécrites par les cadres interviewés, apparaissent trèsambiguës. Un des cadres décrit son patron comme« manipulateur », « soumis à l’autorité de la maison-mère », mais « sérieux » et « bosseur ». La caractéris-tique principale qui émerge de nos entretiens est « lesérieux dans le travail », « un sentiment d’êtreexploité », ou « pas rémunéré équitablement euégard à l’effort fourni », ce sont des exemples quiexpriment ce que ressentent les employés des filialesneutres.Il ressort d’un entretien mené avec un gestionnairetravaillant dans une filiale française que « la politiquede notre société est que nul n’est indispensable », cequi implique un sentiment de précarité et d’insécuritéau travail.

Les filiales non éthiques

Les filiales non éthiques révèlent un manquementaux engagements éthiques de la part de la maison-mère et de sa filiale. Cette absence de toute considé-ration éthique est à attribuer, dans une largemesure, à l’intention de la maison-mère de tirerprofit du laxisme éthique que l’on peut trouver enTunisie : l’implantation en Tunisie est faite pourfuir les standards éthiques du pays parent, qui sontjugés trop stricts.« La Tunisie a un emplacement stratégique qui nous per-met de satisfaire le marché nord-africain et le marché euro-péen. Le Code des Incitations aux Investissements accordede multiples avantages aux investisseurs étrangers. Cettesouplesse fortement appréciée par notre maison-mère estinexistante dans notre pays d’origine, où la rigidité et le res-pect strict des règles sont de mise », précise un responsableplanification d’une filiale allemande.Les employés travaillant dans ces filiales se plaignentde discrimination, de favoritisme, et accusent leursdirigeants d’être de connivence avec le système déchu.Il est à remarquer que ces filiales sont soumisesaujourd’hui à de fortes pressions de la part des mou-vements syndicalistes. Parmi les trois filiales nonéthiques de l’échantillon, une a été contrainte de sedélocaliser récemment, car « elle a perdu tout appuipolitique », selon un employé tunisien.

CONCLUSION

Notre recherche visait à souligner l’importance straté-gique de la dimension éthique dans un contexte inter-national caractérisé par des filiales dispersées dans despays en voie de développement, avec une faible corres-pondance entre les normes éthiques du pays d’origineet celles du pays d’accueil. L’étude du degré d’adhésiondes filiales occidentales implantées en Tunisie aux stan-dards éthiques a révélé l’existence de filiales ayantconsenti des efforts louables pour adopter des compor-tements plus éthiques et plus responsables, alors qued’autres veulent conserver leur mode de managementnon éthique. Nous avons montré que ces efforts sonttantôt fait avec le soutien de la maison-mère et tantôtà l’initiative des seuls responsables locaux. Nous suggé-rons que les filiales éthiques et responsables améliorentle sentiment d’identification et d’appartenance desemployés locaux, tandis que des attitudes non éthiquesou indifférentes aux questions d’éthique tendent àdégrader le climat social. Ces dernières entretiennentaussi le cercle vicieux en vertu duquel le pays d’accueil est choisi et utilisé justement en raison destolérances éthiques que l’on peut y trouver.En dépit des difficultés théoriques et de méthode etde la limitation des sources disponibles, il nous a paruutile d’enrichir le débat relatif à la question de la rela-tion de la maison-mère avec sa filiale située dans unpays en voie de développement. Notre but n’est pas desuggérer ce qu’il est nécessaire de faire afin d’amélio-rer la donne éthique en Tunisie, mais plutôt d’expli-quer comment les managers des filiales, les cadresexpatriés et les dirigeants des sièges sociaux des multi-nationales peuvent contribuer, ou non, à la diffusionde pratiques éthiques. �

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Filiale 1

Filiale 2

Filiale 3

Filiale 4

Filiale 5

Filiale 6

Filiale 7

Filiale 8

Filiale 9

Filiale 10

Filiale 11

Année d’établissement

2004

1998

1999

2005

2007

2003

1994

1997

2008

1993

2001

Secteur d’activité

Nouvelle économie

Textile

Pharmaceutique

Nouvelle économie

Électronique

Consulting

Textile

Détergents

Nouvelleéconomie

Construction

Consulting

Nombre d’employés

148

154

210

58

69

81

257

540

63

230

74

Pays d’origine

États-Unis

Italie

France

Suède

Belgique

France

Italie

Allemagne

États-Unis

Canada

Italie

Mode d’entrée

Détention 100 %

Détention 100 %

Détention 100 %

Société commune

Détention 100 %

Détention 100 %

Détention

100 %

Détention 60 %

Détention

100 %

Détention 100 %

Joint venture

Nombre d’entretiens

1

2

3

2

3

2

1

3

2

2

3

Interviewés

* ResponsablePlanification

* Gestionnaire* DirecteurRessourcesHumaines

* Responsablecommunication* DirecteurRessourcesHumaines * Simple employé

* DirecteurGénéral* Directeur adjoint

* DirecteurRessourcesHumaines* ResponsablePlanification* DirecteurProduction

* DirecteurGénéral* DirecteurRessourcesHumaines

DirecteurRessourcesHumaines

* DirecteurRessourcesHumaines* ResponsablePlanification* Simple employé

* ResponsableCommunication* Gestionnaire

* DirecteurGénéral* DirecteurRessourcesHumaines

* DirecteurGénéral* DirecteurRessourcesHumaines* Simple employé

Tableau 2 : Les caractéristiques des filiales étudiées

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Le terme neuromarketing est apparu en 2002. Ils’agit d’une nouvelle branche du marketing fon-dée sur les techniques résultant des neurosciences

dans le but d’identifier et de mieux comprendre lesmécanismes cérébraux qui régissent le comportementhumain, pour augmenter l’efficacité de l’action decommunication des entreprises. À ce titre, il relève dela neuroéconomie (SCHMIDT, 2010), que Zak définitainsi (2004, p. 1 737) : « La neuroéconomie est unchamp interdisciplinaire émergent qui recourt aux tech-niques de neuro-imagerie pour identifier les substratsneuraux associés aux décisions économiques ». Plus pré-cisément, le neuromarketing est « l’étude des processusmentaux explicites et implicites et des comportements duconsommateur dans divers contextes marketing concer-nant aussi bien des activités d’évaluation, de prise dedécision, de mémorisation que de consommation, quis’appuie sur les paradigmes et les connaissances des neu-rosciences », Droulers et Roullet (2007, p. 4).Ce courant de recherche se propose d’aider à décou-vrir ce qui attire l’attention du consommateur, ce quiengage ses émotions, et ce qu’il mémorise et com-ment. Cette nouvelle discipline est apparue aux États-Unis, dans les années 1990 lorsque des études confi-dentielles menées en collaboration avec de grandsgroupes industriels ont été rendues publiques. Peu àpeu, le nombre des publications scientifiques sur lesujet a augmenté et, rapidement, des cabinets spécia-lisés proposant leurs services aux grands groupes

industriels ont vu le jour. Il y aurait aujourd’hui dansle monde quatre-vingt-dix laboratoires privés de neu-roscience ayant des contrats avec des groupes indus-triels pour mener des études sur le comportement desconsommateurs, sans compter tous les centres derecherches universitaires sponsorisés par des entre-prises. Coca-Cola, BMW, Procter & Gamble ouencore Motorola font partie des grands groupes quiont expérimenté le neuromarketing.S’il est indéniable que ce courant apporte de nouvellesperspectives d’un point de vue scientifique, la ques-tion reste ouverte d’un point de vue opérationnel : àquoi sert le neuromarketing en pratique ? Quelimpact a-t-il sur les décisions prises par les entre-prises ? Comment définir cet objet scientifico-pra-tique encore mal identifié ? Pour répondre à ces questions, nous verrons que le neu-romarketing s’inscrit tout d’abord dans le cadre derecherches scientifiques sur la théorie de la décision. Dece nouveau champ de recherches découle un nouveauchamp de pratiques, avec l’apparition de cabinets deconseil en neuromarketing qui proposent leurs servicesaux marketeurs. Nous avons choisi de nous intéresser aucas de L’Oréal, un des leaders mondiaux du secteur descosmétiques, qui, de par sa position, a eu recours auneuromarketing. Nous verrons ainsi que le neuromarke-

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LE NEUROMARKETING,ENTRE SCIENCE ET BUSINESSLes neurosciences étudient la manière dont les individus opèrent deschoix en situation d’interaction. Le neuromarketing se propose, quantà lui, d’appliquer cette approche à la conception et à la vente de produits. Cependant, que représente exactement cette perspective quimet en réseau des scientifiques travaillant sur le fonctionnement ducerveau, des consultants et des entreprises ? Peut-elle être à l’origine d’une évolution radicale dans les manières de concevoir le pourquoi et la façon de consommer ?

Par Bertille FOUESNANT et Alain JEUNEMAÎTRE*

EN QUÊTE DE THÉORIE

* École polytechnique-PREG/CRG CNRS et London School ofEconomics.

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ting présente certains aspects des modes managériales,mais qu’il s’en différencie par son rapport à la science.

LE NEUROMARKETING, NOUVEAU CHAMP DE RECHERCHES

D’origine scientifique, le neuromarketing s’inscrittout d’abord dans le cadre de recherches sur le com-portement du consommateur. Il renvoie à l’applica-tion des résultats de cesrecherches dans ledomaine managérial.Le terme neuromarke-ting a été introduit en2002 par Ale Smidtspour désigner « the useof identificaton tech-niques of cerebralmechanisms to unders-tand the consumer’sbehaviour in order toimprove the marketingstrategies » [le recours àdes techniques d’iden-tification de certainsmécanismes mentauxpour appréhender leschoix du consomma-teur aux fins d’amélio-rer les stratégies marke-ting, Ndlr]. À l’époque, l’expéri-mentation neurolo-gique coûte cher.Complexe, elle resteréservée à un usagemédical. En 1998,Dehaene et d’autreschercheurs avaient misen évidence la réellevaleur des études neu-rologiques pour lesmilieux marketing enétudiant l’influencedes stimuli générésdans le processus dedécision via les tech-niques d’imageriemédicale IRMf (imagerie par résonnance magnétiquefonctionnelle) et EEG (électroencéphalogramme). En2004, une célèbre expérience portant sur les sodasCoca-Cola et Pepsi est réalisée aux États-Unis parMcClure et d’autres chercheurs. Deux tests compara-tifs sont menés auprès de consommateurs dont l’acti-vité cérébrale est mesurée par IRMf. Le premier test,consistant en une dégustation des deux marques « à

l’aveugle », donne la préférence à Pepsi. En revanche,lorsqu’il y a connaissance des produits, les résultatsmontrent une préférence pour Coca-Cola. Les étudesneurologiques montrent que dans le premier cas, lazone du putamen – siège du plaisir et de l’instinctif –est active, alors que dans le second cas, c’est une autrezone cérébrale qui va être activée, celle du cortex pré-frontal et de l’hippocampe, c’est-à-dire la zone de laconscience et de la mémoire, le putamen restant net-tement en retrait. Cette expérience met en évidencel’influence de la mémorisation sur la préférence.

Le neuromarketing,qui a profité du déve-loppement des tech-niques d’imageriemédicale, fait appel àdifférentes méthodesexpérimentales. Cestechniques permettentd’étudier la réponse duconsommateur danscertaines situations(visionnement d’unepublicité, test de pro-duit, acte d’achat) etde répondre à deuxquestions : « où ? »,c’est-à-dire « quel est leréseau de neuronesactivé ? », et « quand ? »,c’est-à-dire « à quelmoment suivant l’ap-parition d’un sti -mulus ? ». Ces méthodesdiffèrent selon leuraccessibilité, leur coût,leur précision spatiale,leur précision tempo-relle et leur innocuité(nous présenterons cesméthodes dans le para-graphe suivant, qui,par conséquent, pré-sentera un caractèreassez « technique »).Les techniques utiliséesactuellement peuventêtre classées en deuxcatégories suivant lesmécanismes mesurés : la

première mesure directement l’activité électrique du cer-veau, alors que la seconde réalise des mesures indirectesen étudiant les processus métaboliques du cerveau.Parmi les techniques électromagnétiques, l’électroen-céphalographie (EEG) utilise des électrodes appli-quées sur le scalp pour mesurer les fluctuations depotentiel électrique dans la région externe du cerveauentraînées par l’activité des neurones du cortex céré-

« On ne peut donc pas faire du neuromarketing seul et se passer des techniques classiques. […]. Par exemple, une image avec une per-sonne sans eye contact ne marque pas. » Carte postale (vers 1930).

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bral. La résolution temporelle de cette méthode estexcellente (de l’ordre de la milliseconde) et peut ainsipermettre de détecter des événements neuronaux trèsbrefs. En revanche, la résolution spatiale de l’EEGreste limitée (de l’ordre du centimètre, suivant lenombre d’électrodes utilisées) et l’EEG ne permet pasd’atteindre les régions profondes du cerveau. Le grandavantage de cette méthode est son coût relativementfaible (moins de dix mille dollars pour l’instrumenta-tion) qui permet de réaliser des expérimentations surdes échantillons composés d’un nombre suffisant depersonnes. Cette technique est aussi pratique et facileà implémenter, ce qui permet des expérimentations ensituation réelle, à domicile ou en magasin, par exem-ple. Autre technique électromagnétique, la magné-toencéphalographie (MEG) est sensible aux change-ments intervenant dans des champs magnétiquesinduits par l’activité neuronale. Cette méthode,encore difficile à mettre en place, est coûteuse (unéquipement de MEG coûte environ deux millions dedollars) et son utilisation à des fins commerciales n’estdonc pas encore envisageable. La MEG a une bonnerésolution temporelle et une meilleure résolution spa-tiale que l’EEG, même si elle reste limitée. Elle estcapable de détecter l’activité de zones du cerveau plusprofondes que ne permet de le faire l’EEG.Parmi les méthodes mesurant les réponses métabo-liques ou hémodynamiques à l’activité des neurones,la tomographie par émission de positrons (PET) estbasée sur l’injection de traceurs radioactifs. Aprèsinjection (et inhalation) de très petites quantités deces molécules modifiées, leur distribution spatialepeut être détectée par scanner, et des informations surle métabolisme du cerveau sont ainsi obtenues. Larésolution spatiale est élevée, mais la résolution tem-porelle est faible. En raison de l’utilisation de traceursradioactifs, l’utilisation de cette technique est res-treinte. Autre méthode, l’imagerie fonctionnelle parrésonance magnétique (IRMf) est la technique d’ima-gerie cérébrale la plus utilisée. Cette méthode utiliseun scanner IRM pour mesurer un signal appelé bold(pour blood oxygenation level-dependant). Les change-ments du bold sont généralement corrélés à l’activitédes neurones, et l’hémoglobine a, quant à elle, diffé-rentes propriétés magnétiques suivant son niveaud’oxygénation. L’avantage de cette technique estqu’elle peut être répétée plusieurs fois sur un mêmesujet sans risque. Sa résolution spatiale est de l’ordrede 1-10 mm et sa résolution temporelle de l’ordre de1-10 s, mais en général, plus la résolution spatiale estbonne, et plus la résolution temporelle est faible.Dans les prochaines années, ces différentes techniquesdevraient pouvoir être couplées et permettre ainsi derésoudre ce problème. Autre limitation, le coût resteencore élevé et le nombre de scanners IRM restreint.Un scanner IRM Tesla coûte aujourd’hui un millionde dollars, avec un coût opérationnel annuel allant100 000 à 300 000 dollars.

Le neuromarketing fait aussi appel à d’autresméthodes expérimentales, comme l’eye tracking, pourmesurer où se porte le regard du sujet, ou encore lalatence de ses réponses, qui mesure le temps de réac-tion après un stimulus. En général, ces méthodes sontutilisées en complément des techniques présentéesplus haut. Toutes les méthodes possèdent des avan-tages et des inconvénients. Alors que l’imagerie fonc-tionnelle par résonance magnétique ou la tomogra-phie par émission de positrons permettent une locali-sation plus précise des signaux, les techniques d’élec-troencéphalographie et de magnétoencéphalographiedonnent plus de précision temporelle. Dans cesconditions, il est important de garder à l’esprit le faitque ces techniques sont encore jeunes et que, parconséquent, les recherches appliquées au champ dumarketing doivent pour l’instant rester basiques.L’utilisation de ces techniques d’imagerie dans l’étudecomportementale du consommateur a donné nais-sance à un nouveau champ de recherches. Hubert etKenning (2008, p. 274) suggèrent deux termes dis-tincts pour désigner l’application des techniques neu-roscientifiques au marketing : la « neuroscience duconsommateur » (consumer neuroscience) et le neuro-marketing. L’expression « neuroscience du consom-mateur » renvoie à la procédure scientifique, alors que« neuromarketing » désigne l’application des résultatsde ces recherches dans le domaine managérial. Le neuromarketing en tant que neuroscience duconsommateur n’est donc pas seulement l’applicationde la neuro-imagerie au comportement du consom-mateur en vue d’intérêts commerciaux. Il s’inscritd’abord dans un cadre de recherches beaucoup pluslarge, des recherches qui visent à analyser et à com-prendre le comportement humain dans un contextede marchés et d’échanges, et un cadre qui inclut, parexemple, la recherche inter- et intra-organisationnelle.Il s’agit, par le recours à différentes techniques d’ima-gerie, d’une approche scientifique, qui s’inscrit, defaçon générale, à l’intérieur de recherches sur la théo-rie de la décision face à des choix multiples.Selon Plassmann, Zoëga Ramsoy et Milosavljevic(2011), les neurosciences du consommateur sont inté-ressantes pour deux raisons au moins. Tout d’abord,elles permettent d’accéder à de l’information cachée etd’observer le processus de décision sans avoir à inter-roger un sujet sur ce qu’il pense et à interpréter sesdires. De plus, elles sont vues comme une sourcegénératrice de théorie, en supplément à des théoriestraditionnelles basées sur la psychologie et l’économie.Les sciences cognitives sont utilisées comme un outilpour comprendre les mécanismes sous-jacents à lapsychologie du consommateur (processus de décision,formation des préférences), pour prédire le comporte-ment des consommateurs et pour évaluer leursréponses à des stimuli « marketing ».Plassmann, Zoëga Ramsoy et Milosavljevic (2011)présentent un modèle simple du processus de prise

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de décision à partir de différentes composantesdynamiques et donnent un aperçu de ce qui estconnu en termes de représentation neuronale. Ilsmontrent ainsi les perspectives ouvertes par l’utilisa-tion des neurosciences en matière de théorie de ladécision. Dans la prise de décision, le premier processus à l’œu-vre est la représentation du problème. L’apprentissageinfluence la formation des préférences, ainsi que lafaçon dont l’attention module les différents processusd’évaluation. Le consommateur doit traiter les infor-mations entrant en identifiant les différentes optionspour un choix (par exemple, différentes marques debière). Au même moment, il doit intégrer d’autresinformations émanant de lui-même (par exemple, lasoif ) ou de l’extérieur (par exemple, la localisation, lecontexte social) qui vont peser sur son choix.L’inconscient joue aussi un rôle. La quantité d’infor-mations à laquelle le consommateur est exposé esténorme et sa capacité à la traiter est, elle, limitée.L’attention est donc le mécanisme en charge de sélec-tionner l’information. Les recherches en neurobiologie ont permis de mon-trer que la sélection a lieu en quatre phases succes-sives : bottom-up (ou saliency) filters, top-down control,competitive selection et, enfin, working memory(KNUDSEN, 2007).

L’information passe d’abord par les filtres qui identi-fient ce qui est important. La sélection est principale-ment basée sur le champ visuel : couleur, luminance,forme, taille (ITTI, KOCH & NIEBUR, 1998 ; WOLFE

& HOROWITZ, 2004). D’autres facteurs plus élaboréspeuvent aussi entrer en jeu, comme les visages, letexte, la nouveauté, etc. La disposition spatiale joueaussi un rôle. Par exemple, des études ont montré queles gens avaient tendance à regarder la partie située leplus en hauteur dans un champ visuel donné(GLAHOLT, WU & REINGOLD, 2010) et la partiesituée sur la droite (EFRON & YUND, 1996) (ce quipeut avoir une influence, par exemple, dans le casd’un achat en ligne). Au même moment, une grandequantité d’informations est stockée dans le cerveau,qui portent sur l’environnement, les souvenirs, lesétats intérieurs, etc. Ces informations vont être sélec-tionnées via un processus compétitif et entrer dans lamémoire opérationnelle (working memory). Le processus de sélection et la mémoire de travail sontmodulés par le contrôle du haut vers le bas (top-down), qui dépend des objectifs et des attentes et quiva réguler la force relative des signaux des différentesinformations. Par exemple, si un consommateurrecherche une bouteille de Coca Cola, sa sensibilitépour la couleur rouge sera augmentée (THEEUWES,2010 ; VAN DER LANS, PIETERS & WEDEL, 2008).

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D’autres concepts entrent aussi en jeu, comme lavaleur de choix (choice value), qui correspond, dansl’exemple de la bière, à l’évaluation relative de la bois-son que le consommateur veut boire (eau, bière…), lapredicted value, qui correspond à la quantité de laboisson choisie qu’un consommateur pense consom-mer. Si le consommateur a par exemple choisi unebière Beck’s, l’outcome value (ou experienced value) estl’utilité engendrée par sa consommation et la remem-bered value est le souvenir que le consommateur agardé de cette bière depuis la dernière fois qu’il en aconsommé. Ces différents concepts sont tous liés les uns auxautres et s’influencent mutuellement. Par exemple, sile consommateur a vu une publicité pour la bièreHeineken récemment, celle-ci a pu changer le souve-nir qu’il conservait de son goût. Voire, si le consom-mateur a en tête que la Beck’s est meilleure, il peutavoir envie de changer et d’opter pour une Heineken,sous l’effet de cette publicité. Les neurosciences duconsommateur permettent d’identifier les méca-nismes biologiques sous-jacents et les relations entreles composantes décrites plus haut.Hubert et Kenning (2008) ont présenté une vue d’en-semble des principales études réalisées sur le sujet. Ilss’intéressent notamment à des thématiques, telles quele design du produit, les diverses politiques en matièrede prix, de communication, de distribution et derecherche sur la notion de marque. Prenons l’exemple du prix d’un produit. Il est souventobservé qu’un même prix peut être perçu de deuxmanières différentes par l’acheteur. D’un côté, un prixélevé peut dissuader un consommateur d’acheter unproduit car ce prix est considéré pour celui-ci commeune perte. D’un autre côté, un prix élevé peut êtreconsidéré comme un indicateur de qualité et augmen-ter la valeur du produit et la probabilité qu’unconsommateur l’achète. On peut notamment penser àl’exemple du vin. Il est cependant souvent inefficace d’interroger lesconsommateurs sur leur perception des prix. Ils sonten effet souvent incapables de se rappeler des prix et illeur est très difficile de parler de concepts écono-miques abstraits comme la propension à payer (wil-lingness to pay), qui correspond à ce qu’ils sont prêts àdépenser pour un produit. De plus, ils répondent sou-vent de manière stratégique. Là encore, les neuros-ciences pourraient aider à la compréhension de cesphénomènes. Par-delà le produit et son prix, la communication joueun rôle essentiel dans le marketing. Dans ce domaine,la neuroscience du consommateur pourrait aider àcomprendre comment le cerveau traite et stocke lesstimuli publicitaires. Deux études, réalisées parKenning et al. et Plassmann et al. en 2007, se sontintéressées aux corrélations entre l’activité cérébrale etl’attractivité d’une publicité en réalisant des mesurespar IRM. Les données obtenues montrent qu’une

publicité jugée attractive entraîne l’activation deszones du cerveau associées à l’intégration des émo-tions dans le processus de décision (cortex préfrontalventromédial) et à la perception des récompenses(strie ventrale/nucleus accumbens septi). Kenning et al.en conclurent que des publicités attractives pouvaientagir comme un stimuli de récompense. Les étudesrévèlent aussi que des expressions faciales positivessont une composante essentielle dans l’attractivitéd’une publicité.Les neurosciences du consommateur constituent doncun nouvel éclairage dans les recherches sur la théoriede la décision. Le terme de neuromarketing désigneplus particulièrement l’application des résultats de cesrecherches au domaine managérial. Qu’apporte-t-il deplus par rapport au champ du marketing traditionnel ?Commençons par étudier ce qui existe actuellement.Ariely et Berns (2010) se sont intéressés à l’applicationdes neurosciences du consommateur au monde desaffaires. Selon eux, l’objectif du marketing consiste àfaire correspondre des produits avec des personnes, enprésentant des produits compatibles avec les préfé-rences des consommateurs et ainsi faciliter le processusde choix du consommateur. Pour cela, les marketeursont besoin de recueillir un maximum d’informationssur leurs consommateurs. À cette fin, ils utilisent unepanoplie de méthodes d’étude de marché plus oumoins sophistiquées, plus ou moins coûteuses, plus oumoins faciles à mettre en place, et plus ou moins fiables.Les méthodes les plus simples (focus groups et études)sont peu coûteuses à mettre en place, mais elles four-nissent des données qui peuvent être biaisées. Desméthodes plus complexes, comme les tests de marché,fournissent des données plus fiables, mais pour uncoût plus élevé, et prennent place à la fin du proces-sus de design. Toutes ces approches fournissent dessolutions se situant à différents niveaux de coût, desimplicité, de réalisme et de qualité des données. Cestechniques interviennent principalement dans laphase post-design du produit.Pourquoi utiliser les techniques d’imagerie cérébrale ?Quelle est la plus-value du neuromarketing par rap-port aux outils d’étude de marché traditionnels ?Selon Ariely et Berns (2010), le recours aux tech-niques des neurosciences est intéressant pour deux rai-sons. Premièrement, ces techniques pourraient per-mettre de rationaliser les processus marketing et deréaliser ainsi des économies en matière de coûts dedéveloppement. Deuxièmement, le neuromarketingpourrait fournir aux marketeurs des informations quine pourraient pas être obtenues par des techniques demarketing conventionnelles. En d’autres termes, grâceau neuromarketing, on espère pouvoir accéder à denouvelles informations, non explicitables de la part duconsommateur, qui pourraient doper les ventes etcompenser le coût de la démarche, tout en s’affran-chissant des biais que l’on retrouve dans les méthodestraditionnelles, plus subjectives, et obtenir ainsi des

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informations très tôt dans le processus de développe-ment d’un produit, et donc optimiser l’allocation desressources en ne développant que les projets qui s’annoncent prometteurs.Pour étudier l’apport du neuromarketing pour lesmarketeurs, il existe deux perspectives : l’une, ex post,qui consiste à utiliser le neuromarketing dans la phased’après conception du produit, et l’autre, ex ante, quiconsiste à utiliser le neuromarketing avant mêmequ’un produit n’existe. Dans ces deux phases, le neu-romarketing peut apparaître comme complémentairedes autres techniques, voire potentiellement substi-tuable à celles-ci. Dans la phase post-design, l’apport du neuromarketingpar rapport aux techniques classiques d’étude de mar-ché semble pour l’instant limité. Cette méthode appa-raît comme un outil de vérification de choix marke-ting qui ont déjà été faits, mais elle ne semble pas pourl’instant être en mesure de se substituer aux tech-niques de marketing traditionnelles. D’une part, leneuromarketing permet de s’affranchir des biais parconfrontation avec ces méthodes plus traditionnelles.D’autre part, il peut permettre, par accumulationd’expériences, de fournir des directives aux marke-teurs. Cependant, il ne semble pas substituable (pourl’instant, tout du moins) aux autres techniques. Lesrecherches sont encore très jeunes et nécessitent d’êtreapprofondies avant de pouvoir concurrencer lesméthodes d’étude de marché traditionnelles. Enfin,leur expérimentation reste chère.Développons ces points :– Le neuromarketing permet de revoir les interpréta-tions subjectives faites avec les méthodes classiques etde s’affranchir des biais de ces dernières par confronta-

tion des méthodes. Si l’on prend l’exemple des focusgroups, qui consistent à rassembler un groupe deconsommateurs autour d’une table pour discuter d’unproduit, on s’aperçoit que plusieurs étapes peuventintégrer des biais. Chaque membre du groupe aurapeut-être du mal à exprimer clairement et totalementses vraies préférences, il pourra être influencé par lesdires des autres personnes interrogées. Ces dires seronteux aussi réinterprétés par les marketeurs. Cependant,bien que se parant d’objectivité scientifique, les neuros-ciences du consommateur elles-mêmes n’évitent pas lesbiais. Le protocole expérimental reste délicat. Le choixdes techniques a lui aussi une influence sur les résultats.Il est important d’avoir un nombre suffisant de mesures(une centaine) pour pouvoir réaliser des traitementsstatistiques, ce qui en pratique n’est pas forcément trèsréalisable. – Pour l’instant, le neuromarketing explique, plusqu’il ne permet de prédire. Or, pour des applicationsau niveau managérial, il est plus important de prédireun comportement que d’en comprendre le pourquoi.Par l’accumulation d’expériences, le neuromarketingpourrait construire une sorte de base de données descomportements observés et permettre d’en tirer desdirectives à l’intention des designers et des marketeurs.Le neuromarketing apparaît ainsi comme un outilutile de vérification des résultats obtenus grâce auxautres techniques d’étude de marché. – Cependant, dans l’état actuel des recherches, le neu-romarketing ne semble pas pour l’instant substituableaux autres techniques. Il ne consiste pas seulement àidentifier des zones de réaction dans le cerveau et à entirer des conclusions par corrélation. Il fournit aussides éléments sur le rôle joué par les exigences et les

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attentes d’un consommateur (par exemple, si un vinest cher, le consommateur s’attendra à déguster unbon vin), par la culture, la publicité et d’autres phéno-mènes, comme l’effet placebo, mais il nécessite unecompréhension plus approfondie avant de pouvoirréellement démontrer son efficacité. La capacité duneuromarketing à prédire ou à influencer la phasepost-design des décisions d’achat semble limitée. SelonPlassmann et al. (2011), trois critères sont à remplirpour que les techniques de neuro-imagerie soient uti-lisables et fiables dans un contexte commercial : a)éviter des informations non pertinentes ou redon-dantes par rapport aux techniques traditionnelles, b)utiliser des équipements expérimentaux rigoureux, lesinstruments de neuro-imagerie sont des outils derecherche et non des thermomètres mesurant desintentions d’achat ou des degrés d’attention desconsommateurs, et, troisième critère, c) établir desstandards pour éviter d’éventuelles dérives.– Enfin, comme nous l’avons déjà mentionné, l’expé-rimentation du neuromarketing reste d’un coût élevé.Il est difficile de le chiffrer précisément : sur une basede dix à douze personnes étudiées, en leur consacrantà chacune une heure, on peut estimer son coût directde l’ordre de 25 000 à 30 000 €, en tenant compte desfrais d’étude, soit un coût équivalent à une dizaine deréunions de groupe traditionnelles. Ariely et Berns(2010) ne pensent pas que le neuromarketing seraplus rentable que les instruments d’étude de marchéclassiques. Or, à l’heure actuelle, il n’est pas sûr qu’ilfournisse de meilleures données que d’autresméthodes traditionnelles dans la phase post-design.– Par contre, dans la phase ex ante, l’application duneuromarketing pourrait aider à des choix marketing.Pour l’instant, les recherches permettent d’observer letraitement de l’information par le consommateur,mais ne permettent pas de prédire les intentions desconsommateurs. De nouvelles techniques d’analysesmulti-variables sont utilisées, aujourd’hui, qui étu-dient les inter-connectivités dans les schémas d’activa-tion du cerveau. Ces méthodes permettent aux cher-cheurs de mieux comprendre (et de prédire) les méca-nismes causaux des décisions. Ces approches permet-tent la construction de modèles qui peuvent être for-malisés en termes mathématiques. Le décryptage desschémas du cerveau en utilisant ce genre d’algo-rithmes sophistiqués sera un tournant décisif pour lefutur du neuromarketing, et peut-être une réelle révo-lution dans le marketing. Selon Ariely et Berns (2010),c’est là que réside l’aspect le plus prometteur du neu-romarketing et les applications pourraient être trèsvariées, allant de l’alimentation au monde du specta-cle en passant par l’architecture et la politique, l’enjeuprincipal étant le délai nécessaire à la mise en pratiquede ces nouvelles applications.Le neuromarketing est donc un nouveau champ derecherches, avec, d’une part, les neurosciences duconsommateur et, de l’autre, l’application de ces neu-

rosciences du consommateur au domaine managérial.L’articulation entre les deux reste cependant floue etcela rend les choses compliquées en pratique.

LE NEUROMARKETING, NOUVEAU CHAMP DE PRATIQUES

Objet scientifique au départ, le neuromarketing aentraîné l’émergence d’un nouveau marché.Comment les entreprises répondent-elles face à cephénomène ? Nous nous intéresserons au cas deL’Oréal. Les informations de cette partie ont étérecueillies en consultant des sites Internet, en recher-chant des articles et en effectuant des entretiens.

Diffusion du neuromarketing : l’apparition d’un nouveau marché

Les recherches en neuromarketing se sont dévelop-pées aux États-Unis au début des années 1990, dansdes laboratoires de recherche spécialisés dans ledomaine des neurosciences, en collaboration avecde grands groupes industriels. Emory University,MIT, Stanford University ont par exemple fait desrecherches dans ce domaine. Les plus grandes entre-prises, comme Coca-Cola, L Mart, Levi-Strauss &Co, Ford, Delta Airlines, Alcatel, Procter &Gamble, Motorola… se sont intéressées à ce nou-veau champ émergent et, peu à peu, des cabinetsspécialisés se sont développés, tout d’abord auxÉtats-Unis, profitant de ce contexte favorable. Alorsque la plus-value managériale du neuromarketingreste encore à prouver, environ quatre-vingt-dixcabinets de conseil auraient vu le jour aux États-Unis et en Europe, avec pour clients les plus grandsgroupes industriels, les entreprises de productioncinématographique, les grandes banques et mêmequelques hommes politiques. Ces agences aux appa-rences plus ou moins sérieuses et aux méthodes plusou moins avancées proposent leurs services en neu-romarketing.Un exemple, trouvé sur le site de SalesBrain.

Neural PainProbe$48,000 for 12 interviews fMRI is the most sophisticated technology availabletoday to image brain activation in the oldest layers, suchas the limbic system where most emotions are mediated.SalesBrain has developed a unique model to map activa-tion of your customer’s brains in response to marketingand advertising stimuli of all kinds. Reporting includesactivation maps. For testing of video assets, we deliver ashort movie showing the pattern of activation second bysecond.[Essai de douleur neurologique48 000 dollars pour douze interviews

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L’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle per-met aujourd’hui de donner une image de l’activationcérébrale dans les couches les plus archaïques, telles que lesystème limbique, où la plupart des émotions sont pro-duites. SalesBrain a mis au point un modèle unique enson genre permettant de cartographier l’activité cérébralede vos clients en réponse à des stimuli de marketing et àdes stimuli publicitaires de toute sorte. Le reportinginclut des cartes d’activation. En matière de tests portantsur des supports vidéo, nous fournissons un court-métragemettant en évidence le processus d’activation [neuro-nale], seconde après seconde, traduction de la rédaction.]

Le cas de NeurofocusFondé en 2005 par le Dr A.K. Pradeep, Neurofocus seconsidère comme le leader mondial des entreprises detest neurologique.

Son siège est basé à Berkeley en Californie, où estsitué son principal laboratoire de recherche EEG, leplus grand et le plus sophistiqué de ce type au monde.Parmi ses clients, Neurofocus compte L’Oréal, BlueCross/Blue Shield, CBS, Citigroup, Google,Microsoft, PayPal, Scottrade, Starcom MediavestGroup et Yahoo. Neurofocus opère dans différentscentres neuroscientifiques dans le monde. Neurofocuspossède plus de vingt-cinq brevets pour ses décou-vertes concernant l’équipement et les procédures detests neurologiques, et compte parmi ses équipes desneuroscientifiques provenant d’universités presti-gieuses. Un des neuroscientifiques de Neurofocus est

d’ailleurs Prix Nobel. Neurofocus propose six types detests : Brands, Products, Advertising, Packaging, In-storemarketing et Entertainment. Selon Neurofocus, « étantdonné que les cerveaux humains sont remarquable-ment semblables, un projet de recherche de neuro-marketing complet et scientifiquement fiable commeceux menés par NeuroFocus ne nécessite que 10 %des personnes nécessaires à une étude classique. Donc,un projet de neuromarketing peut tester vingt partici-pants pré-qualifiés et fournir des résultats aussi fiables,statistiquement, qu’une étude devant atteindre aumoins deux cents personnes ». J’ai pu m’entretenir

brièvement par téléphone avec Thom Noble,Managing Director de la zone Europe de Neurofocus.Selon lui, il existe un énorme fossé entre les articlesacadémiques, ce que l’on peut trouver dans les médiaset ce qui se passe réellement dans le business du neu-romarketing. Pour des raisons de protection de la pro-priété intellectuelle et de confidentialité pour leursclients, les agences de neuromarketing ne partagentpas leurs informations et leurs trouvailles. Il existeénormément de contradictions sur ce sujet et, pources raisons, il est très difficile de discerner le vrai dufaux. Malgré ces débats, Neurofocus ferait des cen-taines de tests chaque année, pour différentes marqueset toutes sortes de produits.

La réaction d’une entreprise face au développementdu neuromarketing : le cas de L’Oréal

L’Oréal a réalisé quelques expérimentations dans ledomaine des neurosciences, des travaux intéressantsmais qui restent encore très expérimentaux et surtoutenvisagés comme un éclairage complémentaire auxtechniques d’étude de marché classiques (principale-

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Le site de Sales Brain.

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ment des interviews de consommateurs). Une expé-rience a été réalisée sur une publicité télévisée pourune marque de shampoing en novembre 2010, avecNeurofocus. À l’aide de vingt-six électrodes, qui cap-tent et mesurent l’activité cérébrale, et d’un encépha-logramme, Neurofocus a mesuré le pouvoir émotion-nel des publicités, en étudiant trois courbes :– l’attention (est-ce que les images éveillent/captiventl’intérêt ?) : définie comme le degré d’intérêt cognitif,cette mesure indique la réussite d’un matériel de sti-mulation à attirer l’attention du client potentiel,– l’engagement émotionnel : défini comme uneréponse affective, il indique à quel point les consom-mateurs répondent, sur le plan émotionnel, à unmatériel de stimulation,– la mémorisation (est-ce que les images se marquentdans la mémoire ?) : définie comme le degré d’enco-dage mémoire et de rappel des acquis, elle mesure laquantité d’encodage mémoire que le matériel de sti-mulation engendre.On observe des courbes en dents de scie sur un filmde 30 secondes, avec des pics.D’après le site Internet de Neurofocus, lorsque cestrois indicateurs primaires sont associés, ils présententune mesure composite de l’efficacité globale du maté-riel de stimulation.De ces indicateurs dérivent trois autres indicateurs,appelés indicateurs de performance du marché :– l’intention d’achat, définie comme le degré auquelle matériel de stimulation génère des indications d’in-tention d’achat ou de vision,– la nouveauté, définie comme la mesure qui indiqueà quel point le matériel de stimulation se détache dudésordre du marché et aide, de cette manière, à for-muler des défenses contre les messages compétitifs,– la conscience, définie comme le degré auquel lematériel de stimulation parvient à communiquer despoints et des thèmes du message clé.Les résultats obtenus avec les méthodes neuroscienti-fiques ont été confrontés à des méthodes classiques aumoyen d’interviews portant sur le même film. Pour lacourbe des émotions, les réactions étaient différentesde celles obtenues par des interviews de consomma-teurs classiques, apportant ici une plus-value par rap-port aux méthodes classiques. L’algorithme de traite-ment reste cependant une boîte noire mystérieuse, ducôté des clients, et même si l’on observe une réaction,il n’est pas possible de la qualifier de positive ou denégative. L’interprétation reste risquée et, pourL’Oréal, le neuromarketing fournit un éclairage inté-ressant mais pas suffisant, et seulement complémen-taire des techniques classiques. On ne peut donc pasfaire du neuromarketing seul et se passer des tech-niques classiques. Grâce à toutes les expériences réali-sées, Neurofocus arrive cependant à dégager des ten-dances et des règles, et à identifier les plans qui fonc-tionnent mieux que d’autres. Par exemple, une imageavec une personne sans eye contact ne marque pas, le

geste de la main passée dans les cheveux augmentel’impact d’une image, les plans de nature sans la pré-sence d’une personne humaine ne marquent pas. PourL’Oréal, le neuromarketing apparaît (pour l’instant)plus comme une aide à la construction d’un filmpublicitaire qu’un diagnostic de nature à contribuer àla performance.Une autre expérience avec les sciences cognitives a étéréalisée par l’agence Impact Mémoire. Un film publi-citaire a été analysé par des experts via une grille dedeux cent cinquante critères identifiés comme cléslors de leurs recherches : y a-t-il un changement derythme, un eye contact, le nom de la marque est-il visi-ble, etc. ? Cette grille testait la capacité de la publicitéà s’inscrire dans la mémoire. Encore une fois, cetteméthode reste une aide à la construction d’un filmpublicitaire, mais ne permet pas de dire si le messageest perçu dans le bon sens.Enfin, pour aider à l’évaluation sensorielle de leurs pro-duits, très difficile et biaisée avec les techniques tradi-tionnelles, les laboratoires « soins » ont embauché, fin2010, une neuroscientifique pour travailler sur desméthodes d’évaluation des qualités sensorielles des pro-duits. L’objectif est de construire des protocoles pourl’évaluation sensorielle. Cette dernière est difficilementréalisable avec des techniques d’interview classiques, lesconsommateurs ayant du mal à exprimer leur opinion etcelle-ci étant difficilement interprétable. Par exemple,pour décrire la texture d’une crème, les termes « fluide »,« légère », « grasse », ou « collante » relèvent de l’appré-ciation de chaque consommateur.La position de L’Oréal face au neuromarketing est uneposition d’attente. Après le précédent du film publici-taire, les équipes de L’Oréal ne pensent pas recommen-cer tout de suite ce genre d’expérience, qui ne remplacepas les techniques classiques et coûte encore très cher.Face à la position prudente des entreprises, quicontraste avec l’enthousiasme des cabinets de neuro-marketing, se pose la question de l’avenir même duneuromarketing.

CONCLUSION

L’idée, en elle-même assez étrange, qu’un être humainest essentiellement son cerveau – que Stéphane Ferret(1993) a exprimée sous la forme : deux personnes P etP’ sont identiques, si elles possèdent le même cerveaufonctionnel – a donné lieu au développement denombreux domaines scientifiques nouveaux (VIDAL,2009). La neuroesthétique, la neuro-éthique et laneuro-économie sont en plein développement(ORTEGA & VIDAL, 2011). Le neuromarketing pré-sente, quant à lui, l’originalité de mêler démarchescientifique et démarche commerciale, puisque descabinets de conseil sont apparus, s’efforçant de tra-duire les avancées scientifiques en capacité de mieux

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vendre (renforcement des marques et amélioration desventes). Les neuro-économistes n’apprécient d’ailleurs pas cemélange : « La neuroéconomie est une disciplinepurement scientifique s’occupant des mécanismes debase de la prise de décision. Au contraire, le neuro-marketing est un champ plus appliqué s’occupantd’appliquer les technologies d’imagerie neuronale auxquestions et objectifs traditionnels des marketeurs,ceux de la sphère académique et de l’industrie. Mêmesi ces deux disciplines sont reliées, elles sont aussi dis-tinctes. Cette distinction est souvent ignorée desmédias. » (GLIMCHER, 2008).Par cette double appartenance au champ scientifique etau domaine des affaires, le neuromarketing pose sansdoute un problème d’analyse intéressant. D’une part, ilrévèle et, en même temps, crée (enacts) une vision parti-culière du consommateur. Schneider & Woolgar (2012)parlent en ce sens d’une « révélation ironique » : oncherche à révéler des pensées secrètes, non conscientes,du consommateur et, en même temps, on les crée et onles formate. D’autre part, il présente certains des traitscaractéristiques des modes managériales classiques, tellesqu’analysées par Midler (1986), Abrahamson etFairchild (1999), tout en présentant des traits plus ori-ginaux liés à la mise en œuvre d’un corpus scientifiqueélaboré et de technologies sophistiquées (ARIELY &BERNS, 2010). Après un cycle de controverses intenses,entre 2003 et 2007, il semble que la démarche se soitinstallée pour durer (LEVALLOIS et al., en cours de sou-mission). Il est loisible de se demander si un nouveautype de mode managériale – et, donc, de marché – neserait pas en train d’apparaître, à savoir des modes fon-dées sur des recherches et des technologies scientifiquesde pointe ? �

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Livré sous forme de questions-réponses, L’Enversdu moderne est un livre trompeur. On croitouvrir une longue interview. On s’attend à trou-

ver des notations impressionnistes sur cinq conti-nents, à sauter d’une science sociale à l’autre, à bavar-der avec un conteur qui a beaucoup lu et beaucoupvu.Il y a de tout cela. Pour autant, c’est une autre traceque laisse la lecture. Une trace qui dans mon cas, si lelecteur autorise une notation personnelle, a éveillél’écho d’une boutade de professeur : les doctorantsreconnaîtraient l’achèvement de leur travail à ce que lathèse – au sens d’idée maîtresse – de leur thèse – ausens d’épais volume légitimant leur titre – finit partenir sur un ticket de métro (cet enseignant écrit petit,malgré tout). C’est profondément exact, momentané-ment déprimant, mais surtout jubilatoire. Eh bien, c’est précisément avec jubilation que le lec-teur de Philippe d’Iribarne notera, en refermant lelivre, qu’une œuvre qui embrasse les continents, lesdisciplines scientifiques et les champs de l’action s’or-donne finalement autour de quelques idées-phare.Elles tiennent, disons, sur un billet de Thalys et nonseulement elles aimantent les thèmes traités par l’au-

teur, mais encore elles ouvrent potentiellement d’im-menses espaces de recherche.C’est autour de ces idées, telles que la subjectivitéd’un lecteur précis est tentée de les reformuler, ques’organise le présent article. Perspective d’une certainefaçon malhonnête : figer ainsi l’ouvrage, c’est appau-vrir un foisonnement qui participe à l’agrément de lalecture. Mais incitation, peut-être, à se plonger dans lelivre et, après lui, dans les autres ouvrages de l’auteur.

LA MODERNITÉ DES LUMIÈRES COMME MYTHEIMPOSSIBLE

Première idée-clé qui court dans l’ouvrage, la visiondu monde sur laquelle s’est construit l’Occident, etqu’il s’est appliqué à propager, ne peut s’inscrire dansla réalité. L’homme issu des Lumières croit en une humanitérégénérée par la raison, libérée de dépendances et de

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UNE MYTHOLOGIEDES LUMIÈRES À propos du livre de Philippe d’Iribarne,L’Envers du modernePourquoi la production et la maintenance entretiennent-elles des relations si différentes dans les usines françaises et américaines ?Pourquoi n’importe-t-on pas partout les politiques anti-chômage quiont fait leurs preuves en Europe du Nord ? Pourquoi les Français se

défient-ils tant de l’argent et de ceux qui en gagnent beaucoup ? Philipped’Iribarne, dans ses livres, a éclairé des questions aussi diverses. Il livre, sousforme d’entretien, son fil conducteur : une théorie de la modernité commemythe.

Par Michel MATHEU*

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* Docteur ès-sciences de gestion et cadre d’entreprise.

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peurs présumées archaïques. Le triomphe de la rai-son, augure-t-il, va s’exprimer de deux façons privi-légiées. L’une est la notion de citoyens libres etégaux, devenus en un sens tous des maîtres. L’autreest la place centrale de la rationalité économiquedans la décision. Ce double affranchissement mènevers des valeurs universelles. Il va logiquement ren-dre inutiles des particularismes culturels quin’étaient que symptôme des sujétions antérieures. Levocabulaire des droits de l’homme et de l’analyseéconomique rationnelle vaut pour tous les hommeset les rassemble tous.Bien sûr, exprimée ainsi,nous savons tous que lavision est idéalisée.Philippe d’Iribarne enconvient volontiers. Maisil observe que pour autantnous sommes rarementdisposés à y renoncer.Nous sommes prêts ànuancer et à amodier, c’estvrai. Mais nous sommessûrs que d’une certainefaçon les hommes sontégaux, nous pensons quela science économiquepeut être perfectionnée defaçon à simuler toutes lesfacettes de la naturehumaine, et nous croyonsqu’en dernier ressort seuleune sorte de perversionempêche les hommes poli-tiques d’écouter la voix dela raison économique.Là est bien la preuve, nousdit l’auteur, que nousavons affaire à un discoursmythique ou religieux. Lapensée des Lumières, àl’origine, est eschatolo-gique. Les grands auteurs,du XVIIIe et d’après, racon-tent des histoires qui partent d’une situation primitivede liberté et d’égalité à laquelle l’humanité doit finirpar revenir. En définissant le citoyen égal à tous lesautres, abstrait de toutes les particularités de soncontexte social et économique, ils procèdent d’unedémarche qui n’est pas sans lien avec une vision reli-gieuse.Pour beaucoup le mythe est bien vivant : il fonc-tionne. Parfois, son sens se perd : il se dévoie, on nesait plus pourquoi on fait ce que l’on fait. La référenceà la raison s’estompe et l’égalité s’égare dans le politi-quement correct. Ou encore la pression, légitime, dela majorité censure la pensée créatrice. Mais globale-ment, le mythe produit du sens collectif.

Reste à analyser, et c’est à quoi tendent toutes lesrecherches de l’auteur, de quelle façon la réalité s’enécarte.

L’AFFLEUREMENT DU PRÉ-MODERNE

Pour Philippe d’Iribarne, deuxième idée-clé, le« non » ou « pré- » moderne affleure à tous les niveauxde la vie politique et organisationnelle. Les sociétés et

les entreprises ne se res-semblent pas comme ellesdevraient le faire si lesvaleurs universelles de lamodernité s’inscrivaientdans les faits. Aucontraire, on perçoit enréfraction dans toutes lesorganisations humainesdes particularismes que lelangage de la modernitéveut qualifier d’« archaï-ques ». D’une certainefaçon, nous dit l’auteur,les sociétés sont schizo-phréniques. En théorie,l’autonomie de l’individudevrait pleinement s’ex-primer dans le cadre de lamodernité égalitaire. Enpratique, elle se heurtetoujours à la nécessitéd’un ordre collectif. Or, siles valeurs du mythe sontuniverselles, en revancheles modalités de l’ordrecollectif sont enracinéesdans chaque société : lepré-moderne fait toujoursretour dans la singularité.Ce retour donne lieu à laformation de compromis.Un esprit moderne ne les

perçoit pas comme équilibrés ni symétriques. Bienplutôt sa vision est que « ça résiste » : des pesanteursde l’ordre ancien s’opposent à la mise en place de laréalité nouvelle. En un sens c’est vrai, car quand une volonté politiqueou managériale entend imposer une rationalité quin’est pas acceptée, c’est bien une résistance qui semanifeste. Le problème est que les résistances de cettenature sont insurmontables. Les tentatives d’imposerles mêmes solutions dans des contextes différents,qu’il s’agisse d’arrangements institutionnels démocra-tiques, de recettes de politique économique ou deméthodes de management, échouent systématique-ment devant une réalité trop diverse.

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Insister relève de l’hybris, au demeurant consubstan-tielle à la raison modernisatrice, toujours prête à rele-ver les défis les plus fous ou à s’acharner sur des causesperdues. Philippe d’Iribarne rappelle ainsi le délirerévolutionnaire qui voulait créer des départementscarrés, limités par des parallèles et des méridiens, et adû reculer face à des réalités géographiques ethumaines, sans pour autant revenir aux réalités histo-riques des provinces. Il décrit aussi comment lascience économique perfectionne ses modèles dansl’espoir d’embrasser toujours plus de singularitéshumaines et, impuissante à tout appréhender, remetsans fin son ouvrage sur le métier. Et si, questionne-t-il renversant la perspective, l’économie était finale-ment un symptôme et non un principe explicatif ?On accompagne volontiers l’auteur au long de ce che-min. Pour autant, Philippe d’Iribarne apparaît sou-vent très sévère à l’égard de la pensée économique. Onest tenté d’objecter qu’elle conserve des vertus dansl’instruction des décisions publiques.Sans doute a-t-elle entraîné de nombreuses décisionsirréalistes. L’auteur, échaudé par des fonctions dans lahaute administration française à l’époque des TrenteGlorieuses, où triomphait l’économisme sans conces-sion, est bien placé pour le savoir. Mais privé de cetteboussole imparfaite, des gouvernements se sont aussilaissé entraîner vers les tempêtes. Et, en tout état decause, l’analyse économique offre un instrument demesure permettant de savoir si le prix des nécessairessolidarités, ou de la satisfaction de l’électeur-roi, estélevé ou raisonnable. Bref, sur ce sujet on aimerait seglisser dans la peau de l’intervieweur et titiller l’auteurde questions supplémentaires.

UN « VIVRE ENSEMBLE » CONSTRUIT SUR DES BASES NATIONALES

Faut-il souscrire alors à un relativisme absolu, croireque les inévitables compromis avec les singularitéslocales balayent les principes universels ? Philipped’Iribarne ne va pas tout à fait jusque là. Le fondauthentiquement universel lui semble simplementrestreint : il se réduit peut-être à l’idée de « pouvoirjuste », principe à l’œuvre dans toutes les cultures.Dès que l’on s’attache à la déclinaison des principes,les différences apparaissent.Une troisième idée-phare de l’œuvre de Philipped’Iribarne est que ces différences se structurent auniveau national. La raison profonde en est simple : cequi affleure dans la modernité est de l’ordre du « vivreensemble ». Sont en cause en effet l’ordre collectif, lesrègles qui s’imposent aux individus, supposés libres etégaux par le mythe des Lumières mais, dans la vie de lacité et dans celle des entreprises, inévitablement engagésdans des relations de subordination. Or, pour Philipped’Iribarne, historiquement les modalités de ce vivre

ensemble, exercice du pouvoir, rapport aux règles, ges-tion des conflits, se sont cristallisées dans l’organisationdes pouvoirs publics, c’est-à-dire dans une constructioninstitutionnelle nationale. Elles font retour dans lamodernité selon cette même logique nationale. Lesexceptions ne font que confirmer la règle : des minori-tés imparfaitement intégrées dont les repères viennentd’ailleurs, comme en France, les gens du voyage, lesCorses, voire les populations issues de l’immigration.Dans son ouvrage le plus lu, qui est aussi un des plusanciens, La Logique de l’honneur, l’auteur a caractérisédes aspects du « vivre ensemble » de trois cultures natio-nales au sein desquelles il avait étudié des usines techni-quement semblables. Le lecteur en retient une opposi-tion tranchée de modèles, s’agissant de relations tanthiérarchiques que transversales. Philippe d’Iribarne en aabstrait une vision du rapport hiérarchique et de la prisede décision, dont voici deux illustrations partielles.Dans le modèle américain, le trait saillant est la culturedu contrat, dont chaque partie respecte la lettre, toute lalettre et rien que la lettre. Chacun en situation profes-sionnelle s’inquiète de la fairness de ses relations avec sonentourage professionnel, notamment avec ses supé-rieurs. Pareil modèle limite l’espace de l’obéissance auxdispositions du contrat. Il est donc garant de liberté,dans un système de nature individualiste. Mais, enmême temps, l’application littérale de la règle peut êtrecruelle et affecter gravement le destin d’un individu.C’est dans les structures communautaires, souvent sous-estimées mais bien présentes, de la société individualisteaméricaine que Philippe d’Iribarne repère les dispositifscapables d’équilibrer les risques extrêmes auxquelsexpose l’obsession du contrat.Pour le Français, la question de savoir « si c’est s’abais-ser qu’accepter l’autorité de celui qui prétend vousdonner des instructions » est centrale. Il oppose deuxformes de dépendance hiérarchique : l’obéissance« servile », déshonorante, qui est historiquement enra-cinée dans le rapport du paysan à l’intendant, roturiersans dignité ; et l’obéissance « aristocratique », accep-table, qu’incarne le rapport d’un soldat de l’arméeimpériale à son sous-officier, où d’une certaine façonchacun ne se soumet qu’aux règles de l’honneur mili-taire. Dans toutes les professions est présente l’idéed’une éthique de métier à laquelle chacun trouve sadignité à se conformer librement. Et cette préoccupa-tion s’insère dans une vision plus globale imprégnéede morale aristocratique, où la grandeur est systéma-tiquement recherchée, tandis qu’est rejeté ce qui estperçu comme « vil ».

LA FRANCE, ABOUTISSEMENT – VOIRE CARICATURE – DU MYTHE

La France est le pays qui a le plus retenu l’attention dePhilippe d’Iribarne. Le fait qu’elle soit familière ne

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l’explique sans doute pas. Au contraire, peut-être, carla distance facilite la tâche du chercheur. À parcourirl’ouvrage, on a le sentiment que c’est en France que lemythe de la modernité se déploie sous sa forme la pluspure.C’est, parmi d’autres, un point sur lequel l’auteur éveilleattention et écho chez qui a été confronté à l’image dela France à l’étranger. Notre pays, en un certain sens,incarne l’universalisme dans ses valeurs fondatrices : iln’est que de voir l’identification passionnée des Françaisà la Révolution et leur conviction que leur pays, inven-teur des droits de l’homme, incarne mieux que d’autresl’égalité et la démocratie. Assez logiquement, la Franceprétend donc plus que d‘autres pays absorber les parti-cularismes culturels : elle est assimilatrice, se défiant dumulti-culturalisme perçu comme synonyme de ségréga-tion et de communautarisme. Dans un autre domaine,il est significatif que la science économique ait connu enFrance un particulier essor et y ait imprégné les déci-sions publiques.Cet universalisme alimente aussi, vraisemblablement,un sentiment de supériorité : la France inventrice desLumières se sent meilleure que des pays qui n’ont faitque s’y rallier tardivement et imparfaitement. Philipped’Iribarne voit d’ailleurs un lien, ou à tout le moinsune continuité, entre une véritable obsession de lanoblesse et de la grandeur, issue de la période anté-rieure, et la passion avec laquelle le Français affirme sasupériorité.Dans un pays qui s’identifie ainsi au mythe moderne,rien d’étonnant à ce que les tensions entre l’idéologieégalitaire et la réalité de la hiérarchie soient exacer-bées. Les compromis sont donc difficiles à trouver etempreints de contradictions. Ainsi, l’égalitarisme va paradoxalement de pair avec lescastes : des groupes sociaux se sentent et se posent ensituation de supériorité. Certains tentent d’échapper à lacontradiction en se légitimant par une formation sco-laire supérieure, qui les valorise tout au long de l’exis-tence, comme si la méritocratie était un avatar de l’aris-tocratie d’Ancien régime. Selon le mot de l’auteur, lerejet de la hiérarchie « est d’autant plus passionné qu’ildoit combattre une sorte d’évidence » : la France est unesociété de rangs qui se prétend égalitaire. L’obsession de la grandeur est à l’origine d’une fortedifférence avec la société américaine. Elle conduit àrelativiser l’importance de l’argent : la recherche duprofit n’est acceptable que « pour la beauté du geste ».Si la grandeur est légitime, et même recherchée, laquête de ses apparences est suspecte : de là la stigma-tisation des « parvenus ».On pourrait multiplier les exemples. L’auteur excelle àmultiplier les notations de détail, donnant de la chairà ce constat que faisait Louis Dumont il y a un demi-siècle : « les Français », disait-il en substance, « necomprennent pas que leur universalisme est un parti-cularisme ». Un particularisme qui a trouvé enPhilippe d’Iribarne son portraitiste.

UN ENRACINEMENT PROFOND, DONC DES DIFFÉRENCES DURABLES

Si la France est un sujet d’étude répété de Philipped’Iribarne, ses équipes et lui-même ont parcouru lemonde. Bien au-delà des trois exemples de La Logiquede l’honneur, il ressort de leurs voyages une impressiond’extrême diversité. Celle-ci, quoi que l’on en diseparfois, s’exprime entre les pays occidentaux, quipourtant se partagent l’héritage des Lumières, etmême à l’intérieur de la seule Europe, en dépit d’uneintégration avancée dans certains domaines. Philippe d’Iribarne juge donc illusoire l’espoir detransférer des « bonnes pratiques » d’un État membrede l’Union à un autre, ainsi que la Commission euro-péenne rêve de le faire dans les domaines les plusdivers. De même, la fascination qu’inspirent lesmodèles scandinaves est trompeuse : ainsi le Françaisest trop perturbé dans son identité et sa dignité demétier, et trop rétif aux injonctions étatiques, pouraccepter facilement la grande flexibilité du systèmed’emploi danois.Entre les pays de tradition occidentale et les autres, lesdifférences deviennent immenses. Tout exemple,résumé de surcroît, apparaîtra trop simple. On enévoquera pourtant deux. Ainsi, Philippe d’Iribarnejuge le rapport des Chinois à l’autorité complètementirréductible au nôtre. Selon ses observations, le statutde la critique est faible en Chine et un individu n’estpas légitime à s’opposer à l’autorité. Une attitude decontestation est perturbatrice de l’ordre de la sociétéou de l’entreprise. Le pouvoir peut être bon, commelorsque l’empereur dispose du mandat du Ciel, oumauvais, auquel cas il tombera de lui-même, maisc’est ouvrir la porte au désordre que l’attaquer fronta-lement. Tout aussi exotique est l’Afrique, où laméfiance est systématique. Tout propos ou comporte-ment, fût-il l’expression évidente de la rectitude, ysera soupçonné d’intentions malveillantes dissimu-lées.On imagine donc bien, continue Philipped’Iribarne, l’extrême difficulté qu’il peut y avoir àtransférer des modèles d’organisation politique del’Occident vers des pays où le « vivre ensemble » estprofondément différent. Il y a lieu d’être très pru-dent, voire franchement sceptique, à l’égard des ten-tatives visant à acclimater un fonctionnementdémocratique occidental dans des pays aux racinestrès différentes des nôtres.Par nature ces racines sont antérieures à l’époque desLumières. Ainsi, Philippe d’Iribarne remonte jusqu’auMoyen Âge pour repérer des différences structurantesdans la vision que chaque peuple a de l’homme libre.Celle-ci aurait alors été fondée : en Allemagne, sur lefait d’avoir voix au chapitre qui régit la vie d’ungroupe soudé ; en France, sur l’exercice d’une activité« empreinte de noblesse » ; en Angleterre, sur le fait

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d’être protégé par la loi et non soumis à l’arbitraired’un maître. Lorsqu’arrive la contestation duXVIIIe siècle, l’Angleterre renouvelle ses modèles enpréfigurant les visions d’aujourd’hui : ainsi, observel’auteur, Locke voyait dans le contrat la base du travaillibre. Bref, les Lumières transforment puissamment,en posant l’idéal d’une liberté accessible à tous et eninscrivant pour une part cet idéal dans les faits, maiselles ne font pas table rase de ce qui les précède.

L’ESPACE NATIONAL, HORIZON INDÉPASSABLE ?

Ce qui vient d’être résumé est une théorie des ori-gines, nouvelle idée-phare de l’ouvrage. Est-elle suffi-sante à rendre compte des observations ? Philipped’Iribarne s’est souvent trouvé confronté au scepti-cisme, s’agissant de la primauté du déterminismenational en matière de pratiques collectives. Aussi,s’attache-t-il à convaincre sur ce point.Pour lui, la stabilité des pratiques organisationnellesdans un contexte national, bien au-delà du momentsingulier où déferle la vague des Lumières, est hors dedoute. Les « résistances » à la modernité s’ordonnentautour d’un « idéal » permanent, référence communede ceux qui s’y identifient et de ceux qui le combat-tent. Souvent, en s’y opposant, on est conduit à l’ex-primer d’une manière différente, évoluée, comme sipour le faire bouger il fallait lui emprunter. Ainsi, laméritocratie française renouvelle, sans la renverser, latradition aristocratique.S’il en va ainsi, c’est sans doute qu’au-delà des origineshistoriques s’exprime un facteur de permanence pro-fondément ancré. Philippe d’Iribarne veut le chercherdans une crainte durable qui soude la collectivité.Pour les États-Unis, ce ciment serait la peur de dépen-dre d’autrui. En France, ce serait l’inquiétude dedéchoir. Faut-il se laisser convaincre ? Philippe d’Iribarnebalaye la critique selon laquelle il aurait induit sesthèses de trop peu d’exemples. La densité des simili-tudes et oppositions entre les terrains d’observation deson équipe rend peu vraisemblable qu’il ait été abusépar des coïncidences.Au lecteur, finalement, de juger selon son expériencepropre de la diversité. Chacun retrouvera sans doutedans son propre vécu cette intuition par laquelle, dansl’ambiance d’une réunion, dans le style d’un patron,dans le déroulement d’une négociation, on reconnaîtpresque infailliblement la nationalité des protago-nistes : un peu, suggère Philippe d’Iribarne, commeon identifie une musique de Mozart à quelquesmesures.Sur d’autres points, ce serait peut-être plus difficile. Lemodèle de la « logique de l’honneur » dira-t-il pour-quoi notre pays, à l’État le plus centralisé d’Europe,est obsédé par l’éclatement en hypothétiques « féoda-

lités », par la crainte de singularités locales qu’il améthodiquement broyées au fil des siècles ? Ontouche là un thème sur lequel on aimerait interpellerl’auteur. On peut penser, évidemment, que la France réduit lessingularités régionales par obsession de l’égalité. Celas’inscrit dans la ligne des analyses de l’auteur. Pourautant, on est tenté de se poser une question : et si,finalement, il y avait d’autres explications ? S’il existaitdes cultures infra-nationales, ou transnationales, pluspuissantes que les exceptions qui confirment à la règleanalysées par Philippe d’Iribarne ? On peut resterdubitatif face aux corrélations statistiques qu’unEmmanuel Todd tente d’établir entre des structureséconomico-familiales et des particularités sociolo-giques (1). Il reste troublant qu’un socialiste lillois aitmoins de points communs avec son camarade mar-seillais qu’avec un social-démocrate européen, ou quedes incompréhensions profondes séparent un Bavaroisd’un Allemand de la Baltique. Un autre programmede recherche commence peut-être où s’arrête celui dePhilippe d’Iribarne. Ce qui n’enlève rien à la puissanceexplicative de celui-ci.

UN ÉTAT SCHIZOPHRÈNE ET UNE ENTREPRISEQUI BRICOLE DES COMPROMIS

Revenons, pour finir, au point de départ, le mythe, età la manière dont l’auteur de La Logique de l’honneurs’en est saisi : c’est en étudiant le terrain des entre-prises qu’il a posé les fondations de ses théories. Riend’étonnant à cela.Dès lors que le choc entre le mythe de la modernité etle substrat du « vivre ensemble » s’appréhende defaçon privilégiée dans la relation supérieur-subor-donné, l’entreprise apparaît comme un « lieu avancéde la modernité ». Elle est naturellement un endroitoù « ça résiste » : il s’agit de décider sans arrêt et deproduire au moindre coût. Par conséquent, une réellesubordination est inévitable, et, en même temps,celle-ci ne doit pas dysfonctionner, sans quoi la pro-ductivité se perdrait. D’une certaine façon l’entreprisen’a pas le choix. Les compromis doivent se formerpragmatiquement sous la pression de l’efficacité éco-nomique. Quiconque travaille dans une entreprise aura étéfrappé, de fait, par la conjonction de deux lignesdirectrices. D’un côté, il est bien clair pour les diri-geants et les dirigés que « l’entreprise n’est pas une

(1) Dans plusieurs ouvrages, dont L’Invention de l’Europe, (Seuil, 1990),Todd (E.) suggère que des différences religieuses et sociologiques entredes espaces dont les contours ne coïncident pas avec les frontières natio-nales s’expliquent largement par des écarts entre les formes d’organisa-tions familiales. Celles-ci sont classifiées en fonction de l’étendue de l’au-torité du chef de famille et de l’égalité dans les fratries et s’exprimentnotamment dans les modes de gestion et de transmission du patrimoine.

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démocratie », formule que beaucoup de salariés ontentendu à la lettre au moins une fois dans leur vie.De l’autre, il est clair qu’elle est capable d’inventerdes aménagements que l’État qui, lui, est une démo-cratie, ne pourrait concevoir et mettre en œuvre.Qu’on songe, par exemple, au contraste entre l’atti-tude de l’État, empêtré dans l’intégration des pra-tiques religieuses non chrétiennes dans la vie de lacité, et celle des entreprises, qui inventent sans cessedes règles précises et pragmatiques concernant leport du voile, l’alimentation ou le respect des calen-driers religieux.Bref, l’entreprise bricole du compromis avec un certainsuccès. C’est donc un lieu de recherche privilégié. Pourle chercheur, elle est une sorte de miroir grossissant quiaide à observer l’affleurement des structures pré-modernes. Dans la vie politique, il en va tout autrement. On y bricole moins de solutions, car tout bricolagecontrevient aux principes fondateurs du mythemoderne. Pour le dire d’un vocabulaire qui n’est pascelui de l’auteur, on gère la contradiction. Une contra-diction que Philipe d’Iribarne perçoit entre ce qu’ilappelle le « corps spirituel », un État mythifié, et le« corps social », lieu réel où se forment les relationssociales. Elle ne se résout jamais, tant il est vrai quejamais la vie sociale au concret ne se conforme auprincipe d’égalité universelle qui fonde le vote démo-cratique.Cette contradiction indépassable ouvre un autrechamp de recherche de l’auteur. Pour une large classemoyenne, elle est gérable. Certains sont plus égauxque les autres, mais on peut faire « comme si ».S’agissant des couches sociales en difficulté, le pro-blème est plus complexe. À leur égard, la pensée desLumières connaît un échec radical : elle ne sait pasrécupérer les opprimés dans son mythe. Elle lesinvite donc à se révolter, sans être reconnus commeégaux. Tout se passe comme si le modèle du citoyenétait le maître et que le pauvre ne puisse pas s’yconformer.Cette situation paradoxale hante certains partis poli-tiques de gauche, en France notamment. Si la diver-sité des hommes libres et égaux est acceptable, cellequi résulte du pouvoir des dominants sur les dominésne l’est pas. Il en résulte des tensions dans l’exercicedu pouvoir, voire une difficulté à appréhender correc-tement la réalité du corps social.Voici une dernière idée-clé de l’ouvrage, qui ramène à lapremière. Si l’entreprise bricole, la politique est schizo-phrène. La boucle est bouclée : l’égalité radicale relèvede l’espace du sacré, elle ne peut pas s’incarner. Il s’agit encore d’un point où l’on suit volontiersPhilippe d’Iribarne. Son analyse éclaire des particula-rités de notre vie et de notre symbolique politiquesmal comprises à l’étranger : le culte voué à la notionfloue de « République », avec un « r » en capitales,affirmation aussi sacrée qu’irréelle de notre collectivitéégalitaire, par exemple ; ou encore la ferveur pour

l’idée intraduisible de « service public », prestationque seul un avatar de l’État sacralisé peut fournir defaçon théoriquement égale – mais inégale dans lesfaits. La France, parce qu’elle se réclame du mythe àl’état le plus pur, incarnerait finalement de la manièrela plus tranchée la schizophrénie de l’État démocra-tique. L’analyse de l’auteur jette enfin une lumière nouvellesur un débat qui a occupé les historiens et socio-logues du XXe siècle : dans quelle mesure la démocra-tisation de l’État et l’essor de l’économie de marchéont-ils partie liée ? On aimerait entraîner Philipped’Iribarne sur ce terrain, en partant de sa vision del’État schizophrène, libéral au sens politique, et del’entreprise bricoleuse, actrice du libéralisme au senséconomique, qui baignent tous deux dans les mêmescultures. Encore un champ de réflexion pour l’ave-nir.

UN COUP D’ŒIL À L’AUTEUR PARL’ENTREBAÎLLEMENT DE LA PORTE

Pour conclure, il faut bien venir à ce que le présentarticle, par son parti, a méthodiquement tu : lamanière dont l’ouvrage est construit.Philippe d’Iribarne parle à la première personne dusingulier. Il narre un parcours personnel et profession-nel hors du commun, s’exprimant de façon trèsdirecte. On peut le lire au second degré : essayer decomprendre comment on en vient à construire uneœuvre comme la sienne. Les indications ne manquentpas. Comme tant d’auteurs intéressés par la diversitéculturelle, une enfance dans un autre pays ; commebeaucoup de penseurs critiques, une expériencedirecte de ce qu’il s’agit d’analyser, ici l’économie et lepouvoir ; comme bien des auteurs majeurs, un dia-logue soutenu avec les grandes œuvres de toutes lesépoques.Par instants le premier degré devient possible. Ainsi,l’homme s’exprime dans sa sympathie ouverte pour lemodèle français, que son expérience pourrait leconduire à moquer, ou sa science à tenir à distancecomme un entomologiste. Au contraire, il cajole laFrance, dont il apprécie le subtil dosage de contradic-tions où le culte du « travail bien fait » fait bonménage avec la grandeur aristocratique. À cette indul-gence répond une aversion assumée pour la sphèreanglo-saxonne où l’esprit d’entreprise se paie de laprécarité.À la fin, peu importe. Le coup d’œil par l’entrebaîlle-ment de la porte est un côté plaisant du livre, c’est cer-tain. Mais ce qui vaut le détour, c’est l’immense diver-sité des pistes de recherche ouvertes pour les décenniesà venir. L’auteur en tire lui-même, à juste titre, de lafierté. Une fierté « à la française » : dépourvue devanité. �

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À propos de l’ouvragede Nicolas Colin etHenri Verdier, L’âge de la multitude.Entreprendre etgouverner aprèsla révolutionnumérique, Ed.Armand Colin,286 p., 2012.

L’ouvrage quenous proposent

Verdier (H.) et Colin (N.)tombe à propos à l’heureoù le Minitel 3615 s’éteintdéfinitivement. Il dresse,en effet, un tableau parti-culièrement documentédes enjeux de cette révolu-tion numérique qu’aouverte le Minitel, et dontla force s’est déployée avecl’Internet. Ouverture, rup-ture, capital-risque, parti-cipation des utilisateurs,interopérabilité… Telssont les traits les plus cou-ramment mis en avantpour caractériser cettenouvelle économie. Maisl’évolution portée par lenumérique s’accompagneégalement de changementsplus structurels, aux enjeuxplus profonds et dont les auteursmontrent clairement, au fil deschapitres, les conséquences pourl’organisation sociale comme pourl’action publique. La première deces conséquences, la plus manifestesans doute, concerne l’accélérationtechnologique et le flux permanentd’innovations qui l’accompagne.Elle dessine un monde industrielen plein mouvement, dans lequelles acteurs peuvent disparaître

rapidement du fait de la conjonc-tion d’une baisse des coûts et d’in-novations continues, et doncjamais achevées. Mais ce mouve-ment traduit également un mondehyper-fluide qui change en perma-nence les règles d’engagement desindividus tout autant que cellesdes organisations.La seconde conséquence notablede la révolution numérique donneson titre à l’ouvrage. Il s’agit del’importance du rôle de la multi-tude dans la création de valeur.Elle tient au constat qu’il y a

davantage de créativité et d’inno-vation à l’extérieur qu’à l’intérieurdes organisations établies. En effet,la masse des individus instruits,équipés et interconnectés est uneformidable richesse qui bouleverseles ordres traditionnels. Comme lemontrent les sites participatifsUsers Generated Content, tels queWikipedia ou Dailymotion, lesnouveaux modes d’action collectifsconstituent un support d’innova-

tion renouvelée et contribuent, cefaisant, à une massification des ser-vices et à une véritable économiede la contribution participative.Celle-ci repose sur une redéfini-tion des frontières entre amateurset professionnels, entre secteurmarchand et secteur non mar-chand. Elle a également, plus lar-gement, des conséquences à tousles niveaux de la société, sur lesinfrastructures, les types d’entre-prise, la nature des services, lespratiques individuelles et les pra-tiques collectives.

Cette force de la multi-tude où chacun devientun des principauxacteurs de l’économienumérique, a plusieursconséquences en termesde gestion. Un premierenjeu est d’abord, pourles entreprises du numé-rique, de savoir susciter,recueillir et valorisercette créativité des indi-vidus. Pour les auteurs del’ouvrage, la réponsepasse notamment parl’évolution des formesd’entrepreneuriat et, plusprécisément, par ledécouplage inédit quis’opère désormais en lamatière, entre applica-tions et plateformes, quicorrespondent chacunesà des économies très dif-férentes : stimulation dela créativité, ouverture etitération, dans un cas,intégration et investisse-ments d’infrastructures,dans l’autre. La thèse que développent

les auteurs repose justement surl’idée qu’il existe une conjonctionentre la place de la multitude et lerôle central des plateformes.Amazon, Apple, ou Facebook, ceschampions du numérique, sontainsi tous des opérateurs de plate-formes. Leur démarche (et aussisans nul doute leur succès) tient auconstat qu’aucune organisation nepeut concevoir et réaliser avec sesseules ressources un produit qui

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L’ÂGE DE LA MULTITUDE.ENTREPRENDRE ET GOUVERNERAPRÈS LA

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soit à même de séduire tous les uti-lisateurs potentiels : il s’agit donc,pour l’opérateur d’une plateforme,de permettre à la multitude d’yconcevoir et d’y développer denouvelles applications.Mais l’apport de l’ouvrage n’est passeulement de pointer l’importancede la multitude, il est aussi d’entirer les conséquences du point devue de la gouvernance et de l’ac-tion publique, de la nécessité derepenser les politiques de soutienà l’innovation, de faire évaluer lafiscalité, d’échapper à une visiondu numérique en seuls termes defilières... Car demain, l’État et lesentreprises de l’économie maté-rielle seront, eux aussi, en situationde développer des stratégies faisantde la multitude un relais dans leursefforts de création de valeur.Pourtant, les structures de lasociété peinent à s’adapter à unenouvelle donne qui appelle deschangements radicaux en matièrede management, comme demodèles d’affaires. Les auteursregrettent, à ce propos, que lenumérique ne soit pas envisagé parles dirigeants pour ce qu’il est réel-lement, c’est-à-dire une complèterévolution économique et sociale.En effet, la plupart des institutionsvoient Internet soit comme unemenace, soit comme un levier deproductivité, mais peu le prennentau sérieux comme l’impression-nant réservoir de créativité qu’ilreprésente.Le livre essaie de dégager la pro-fonde cohérence de ces multiplestransformations et d’en tirer lesconséquences économiques, sociales,stratégiques et politiques. Il estbien écrit, pédagogique et très clairdans sa progression. Grâce à leurtrès bonne connaissance dudomaine, ses auteurs sont notam-ment à même de nourrir leur argu-mentation d’exemples pertinents.Le seul regret, finalement, tient àla place – paradoxalement insuffi-sante – faite à la gestion et à l’éco-nomie. La question des plate-formes soulève notamment celledu partage (ou non) de la valeur(limites existantes dans l’offre et la

qualité des services des sites parti-cipatifs, formes de concurrenceentre plateformes, notammentautour des standards d’interopérabi-lité ouverts, modalités du partagede la valeur entre applications, pla-teformes et… utilisateurs-contri-buteurs).

Par Pierre-Jean BENGHOZIDirecteur de recherche au CNRS

À propos de l’ouvrage de UlrikeMayrhofer et Sabine Urban,Management international. Despratiques en mutation, Pearson,2011.

Pearson Education est un éditeurinternational de manuels bienconnus des étudiants d’économieet de gestion. Implanté dans denombreux pays, cet éditeur contri-bue à diffuser une approche anglo-saxonne de la gestion en fournis-sant souvent des traductions enlangue locale d’ouvrages anglo-phones de référence. Mais une fois n’est pas coutume,Management international. Despratiques en mutation est unmanuel écrit par deux professeursqui enseignent en France, et non latraduction d’un autre ouvragepublié par le même éditeur,International Management d’HelenDeresky (lequel en est à sa sixièmeédition).Les deux ouvrages sont prochesdans leur contenu : ils traitent toutdeux de l’environnement global dumanagement international, desnouvelles responsabilités sociales,de l’élaboration et de la mise enœuvre d’une stratégie à l’interna-tional, de la structure de l’entre-prise internationale, de la gestionde ses opérations à l’échelle plané-taire, du management d’un per-sonnel diversifié, ainsi que des

mécanismes de contrôle. À cesthèmes communs, l’ouvrage fran-çais ajoute l’innovation, qui y estperçue comme un levier incon-tournable de compétitivité à l’in-ternational. Les deux manuels sontégalement proches dans leurdémarche : dans chaque chapitresont présentés les concepts clés,des illustrations, des questionsd’approfondissement et des casd’espèce, même si ceux-ci sontmoins développés dans l’ouvragefrançais. Cependant, l’ouvrage français,outre les exemples d’entrepriseseuropéennes, se distingue de sonhomologue anglophone par sonton et son propos, notammentdans l’analyse de l’environnement. Ce n’est pas dans l’ouvrage anglo-phone que l’on pourra lire : « Lafinance, chemin faisant, s’est décon-nectée du monde réel en jouant sonpropre jeu avec des valeurs spécula-tives virtuelles qui l’éloignent d’uneéconomie au service des hommes[…]. Pour résister aux influencesdominatrices de la finance, il fautsavoir garder ses distances par rap-port aux sirènes des marchés finan-ciers. C’est la force de beaucoupd’entreprises petites ou moyennes detype patrimonial (à capital familial)qui sont à la source de la vitalitéindustrielle allemande ou italienne,mais également d’autres pays euro-péens » (pp. 21-22). Les auteurs développent une visioneuropéenne du management inter-national qui offre une alternativesalutaire au discours anglo-saxon.On retrouve par ailleurs les grandsmodèles classiques de l’analysestratégique, dont la plupart sontaméricains : le modèle des cinqforces concurrentielles et de lachaîne de valeur de Porter, lestypologies des modes d’entrée surles marchés étrangers, la typologiedes relations siège-filiale dePerlmutter, etc. En d’autres termes, l’ouvrage lui-même incarne la thèse qu’ildéfend : en chaque lieu, il fautcombiner une analyse à l’échelleplanétaire et s’inscrire dans lecontexte local. Certes, ce « gloca-

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lisme » n’est pas nouveau. Maisencore faut-il parvenir, dans la pra-tique, à conjuguer ces approchesen tension. C’est le pari de cetouvrage que de proposer un état del’art très à jour des outils du mana-gement international, tout en atti-rant, en permanence, l’attentiondu lecteur sur la nécessité d’enfaire un usage contingent. Cemanuel n’est donc pas un vade-mecum, mais une riche série dequestions, de grilles d’analyse, depistes et d’exemples récents, quisensibilisent les étudiants auxenjeux et aux défis du manage-ment international. Parmi lesexemples proposés par les auteurssur la conciliation de l’internatio-nal et du local, citons la réjouis-sante histoire à succès del’Aquatique Show Inter national(p. 27). Cette entreprise de specta-cles de son, de lumière et de jeuxd’eau est née de l’initiative d’uninstituteur strasbourgeois à l’occa-sion d’une fête d’école. Quelquesannées plus tard, le père et le filscréent et animent des spectaclesdans le monde entier, s’adaptant àchaque fois au contexte local – jar-dins, demeures privées ou sitesnaturels publics – et à la théma-tique – jeux olympiques, cente-naire du pont de San Francisco,Nouvel An chinois, etc. L’ouvrage est bien écrit et clair,même si, pour certains conceptscomplexes (comme les produitsdérivés ou les partenariats public-privé), les étudiants devront trou-ver d’autres sources pour en avoirune compréhension fine. Commetout bon manuel, on peut le lired’une traite ou choisir un chapitreselon son intérêt du moment. Surla forme, on peut seulementregretter un système de notesregroupées en fin d’ouvrage et àdouble détente, ce qui s’avère peucommode pour accéder aux réfé-rences qui fondent ce que l’on esten train de lire. Pour en revenir au fond du mes-sage, l’ouvrage dépasse le vieuxdébat portant sur la question desavoir si le management interna-tional est une discipline à part

entière ou si l’on doit traiter ladimension internationale dans lecadre de chaque fonction de l’en-treprise : stratégie internationale,marketing international, financeinternationale, gestion internatio-nale des ressources humaines, etc.Le management international estd’abord un angle d’approche desaffaires, une vue large qui prend encompte la complexité des interdé-pendances dans un monde désor-mais global, un enrichissement dela pensée sur les questions d’entre-prise. Ce manuel français est le bienvenudans un pays, le nôtre, qui a tardéà aborder cette dimension autre-ment qu’à la marge.

Par Sylvie CHEVRIER, maîtrede conférences à l’UniversitéParis-Est Marne-la-Vallée.

À propos du livre de FlyvbjergBent, Megaprojects and Risk. An anatomy of ambition,Cambridge, CambridgeUniversity Press, 2010.

Les grands ou méga-projets semultiplient dans les infrastruc-tures de transport, mais aussi dansla haute technologie (civile oumilitaire). Trois raisons présidentà leur prolifération. L’une esttechnologique : le progrès tech-nologique les rend possibles, dansde nombreux domaines, et atti-rants. La deuxième est politique :ils sont très visibles et assurent lacélébrité des hommes ou desfemmes politiques qui annoncentleur lancement. La troisième rai-son, enfin, est économique : denombreux acteurs ont intérêt à cequ’ils soient décidés et développés– à méga-projets, méga-profits.Par ailleurs, plutôt l’apanage despays riches, ils tendent à se démo-

cratiser : quand un pays accède audéveloppement, il se lance dansl’aventure et le mouvement semondialise. Bent Flyvbjerg aconsacré un livre de référence auphénomène (1).

• Catastrophes annoncéesLa réalité n’est pas nouvelle et leproblème se pose clairement depuisau moins le XIXe siècle. Achevé en1869, le canal de Suez a coûté vingtfois le montant estimé à l’origine.Les surcoûts du canal de Panama sesont situés dans une fourchetteallant de 70 à 200 %. Les étudesrétrospectives sur les dérives decoûts de ce type de méga-projets nesont pas très nombreuses (ce qui esten soi un symptôme). Mais lerésultat qu’elles indiquent est clair.Les dérives de coûts et de délaisd’aujourd’hui sont du même ordreque celles constatées au XIXe siècle.Aucun apprentissage n’a eu lieu.Tous les domaines sont touchés àdes degrés divers. Sur huit projetsde routes étudiés par des cher-cheurs suédois, la dérive moyenneen coût (average capital cost over-run) a été de 86 %, l’écart allant de2 à 182 %. Une étude américaineconsacrée aux projets ferroviairesdonne 61 % en moyenne (avec despourcentages allant de - 10 à106 %). L’étude la plus complète aété menée par l’Universitéd’Aalborg, au Danemark, qui aétudié 258 projets. Elle confirmeque tous les grands projets connais-sent des dérives de coûts, dans tousles pays (un peu plus dans les paysen développement), qu’il n’y aaucune variation dans le temps, etdonc aucun phénomène d’appren-tissage, et que l’explication ne peutpas être l’erreur. On sait que le phé-nomène touche d’autres types degrands projets : le Concorde acoûté douze fois plus que prévu etl’opéra de Sidney, quinze fois plus.Les coûts et délais, au moment dela décision, sont systématiquementsous-évalués. Cela se conjugue avec

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LES MÉGA-PROJETS

(1) Pour une discussion, voir DUMEZ Hervé(2012) « Les méga-projets », Le Libellio d’Aegis,vol. 8, n°1, pp. 37-43.

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une surestimation des revenusgénérés. Un point important estconstitué par les aléas. Au total, surchaque projet, on ne sait pas biende quelle nature vont être les sur-coûts, mais on sait qu’ils seront là.

• La surestimation de la demande etla sous-estimation des coûtsLes prévisions de la demande deméga-projets sont systématique-ment surévaluées. Dans le casd’Eurotunnel, on prévoyait(Eurostar et Shuttle) 30 millionsde voyageurs pour la pre-mière année. En 1997, onen était à moins de lamoitié. On prévoyait7,2 millions de tonnes defret, on en était à 1,3 mil-lions en 1995, c’est-à-dire18 % des prévisions. En2001, on était monté à24 %. Mais, ce qui estplus intéressant est lafluctuation des prévisionselles-mêmes : quand ellescommencent en 1985,elles sont déjà optimistes.Mais en 1989-91, ellesaugmentent, comme s’ilfallait rassurer les investis-seurs. Après l’achèvementdu tunnel, elles restentoptimistes, mais baissentnéanmoins. Il faut d’ail-leurs noter que les prévi-sions demandées parBritish Rail et cellesdemandées par la SNCFn’étaient pas en phase.Quand on étudie ces pré-visions, on se rendcompte que :– les méthodes utilisées ne jouentpas un rôle décisif,– la qualité des données a, parcontre, beaucoup plus d’impor-tance,– des facteurs difficilement modé-lisables jouent un rôle : par exem-ple, pour une voie ferrée, l’exis-tence (ou non) d’un parking, deboutiques dans les gares, d’accèsfaciles,– la sensibilité est très grande à cer-tains facteurs exogènes (les prix del’énergie, par exemple),

– de même, la sensibilité aux déci-sions politiques et aux décisions derégulation est importante – onaffiche des politiques écologiquesvolontaires et l’on pense qu’enconséquence le train va se dévelop-per fortement, alors que, dans laréalité, on ne décourage pas letransport par route,– les consultants qui réalisent lesétudes ont souvent des biais impli-cites,– les biais des promoteurs du pro-jet sont encore plus forts.

Très clairement, la question qui estposée n’est pas la difficulté de pré-voir le futur. Quel type de méca-nisme peut alors expliquer cettesystématicité de la surévaluationdes revenus générés et de la sous-estimation des coûts ? D’une part,du fait de l’échelle de temps, lesdécideurs ne sont généralementplus en fonction quand les pro-blèmes apparaissent. Au momentde la décision, ils ont donc ten-dance à faire des prévisions excessi-vement optimistes. D’autre part,des groupes d’intérêt multiplient

les actions de lobbying. Enfin, laconcurrence pour obtenir lecontrat fait que les offres reposentsur des scénarios embellis.

• La surestimation des effets écono-miques indirects des méga-projetsLa plupart des grands projets repo-sent sur l’idée qu’ils vont dynami-ser l’économie des régions directe-ment concernées et de l’économieen général. Une fois de plus, il y apeu d’études en la matière, surtoutex post. Pourtant, les raisons de

douter sont nombreuses.La principale tient au faitque, dans l’économiemoderne, les coûts detransport représententune partie infime descoûts des produits. Laréduction des coûts detransport entraînée par laréalisation d’un grandprojet d’infrastructure detransport ne représentedonc qu’une très faibleproportion de ces coûtsqui sont peu élevés. LeTunnel sous la Mancheest, là encore, un bonexemple. Ses effets éco-nomiques n’ont pas étéréellement mesurés, maisils semblent très faibles etparfois négatifs pour lesrégions directementaffectées (notamment dufait de la disparition descompagnies de ferries).De toute façon, une vraieanalyse économique n’estjamais tentée : elle

devrait porter sur l’allocation opti-male de ressources rares – entre leseffets économiques générés par unméga-projet et les effets écono-miques générés par une autre utili-sation des milliards d’euros mobi-lisés –, afin de déterminer quelleest la meilleure solution.

• La sous-estimation du risqueLe risque est un point central. Laplupart des méga-projets sont pré-sentés dans l’idée qu’ils vont sedérouler comme prévu. Des étudesde sensibilité sont faites, mais elles

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estiment à chaque fois les surcoûtsà + ou -10 % ou à + ou -20 %.Dans le cas d’Eurotunnel, le docu-ment distribué aux investisseurspotentiels expliquait que c’était ungros tunnel, mais que les tech-niques de tunneling étaient bienéprouvées et que le risque encourune devait pas excéder un surcoûtde 10 % en cas d’imprévu. Mêmediscours de la part du ministredanois dans le cas du Great Belt,alors même que ce projet était dixfois plus important que le plusgros projet jamais réaliséjusqu’alors au Danemark.On peut identifier quatre types derisques : ceux liés au projet, ceuxliés aux marchés, ceux liés aux sec-teurs connexes et, enfin, les risquesliés aux marchés de capitaux.La réponse conventionnelle aupremier est le pooling. On rassem-ble plusieurs acteurs et on divise lerisque. Le deuxième est le risqueéconomique : selon le taux decroissance, un projet peut être ren-table ou se révéler être une catas-trophe totale. C’est particulière-ment le cas avec les infrastructuresde transport, parce que lademande en la matière est trèsdirectement liée à la situation éco-nomique. Le troisième risque estlié aux politiques sectoriellesconnexes. Il inclut le risque derégulation. Un projet ferroviairen’a pas la même rentabilité si lataxation sur les carburants et celledu transport routier augmententou si elles baissent. De même, lesvoies d’accès rendent rentable ounon une infrastructure. Ce risqueest en donc en grande partie denature politique. Le quatrième estle double risque lié aux empruntssur les marchés internationaux :risque de taux et risque de change.Il faut, enfin, faire une place parti-culière à un risque qui a émergé, lerisque environnemental.

• Le problème des risques dans laréalisation de méga-projetsLe fait majeur est évidemment lasous-estimation systématique detous ces risques : l’étude rétrospec-tive de ce genre de méga-projets

montre que l’on peut avoir desdérives de coûts atteignant aisé-ment les 50 % et quelquefois100 %, sinon plus (pour des pro-jets de l’ordre de plusieurs milliardsd’euros ou de dollars…). Or, cesprojets sont lancés sans que cetteampleur des risques soit jamaisévoquée. On sait d’ailleurs d’oùvient cette ampleur : ces projetssont des sunk costs, ils sont extrême-ment sensibles au taux de crois-sance et à la santé économique glo-bale. Or, on les aborde selon unmodèle EGAP (Everything GoesAccording to Plan), au lieu de lesaborder avec un modèle MLD(Most Likely Development). Cinqpoints peuvent être soulignés :– ces projets sont lancés sans queles investisseurs (publics ou pri-vés), les parlements, les médias, lepublic soient informés des risquesréels,– tout projet devrait faire l’objetd’une réelle analyse MLD,– l’analyse de faisabilité devraitcomporter systématiquement uneprésentation des scénarios du pire(worst case scenarios),– une interrogation systématiquedevrait porter sur les arrangementsinstitutionnels, qui jouent un rôleimportant à la fois sur les risqueseux-mêmes, puis sur leur gestion,– le financement public n’est pasune garantie contre le risque : endiluant le risque et en le reportantsur le contribuable (futur), il l’ac-croît même probablement.Pourquoi lance-t-on ces méga-pro-jets dans ces conditions irration-nelles ? En deux mots, parce qu’il ya interaction quasi exclusive entreles gouvernements et des groupesd’intérêt économique extrême-ment puissants, et parce que lesgouvernements jouent deux rôlescontradictoires : celui de promo-teur du projet et celui de garant del’intérêt général.– Les différentes parties prenantessont peu impliquées (a contrario,les lobbies économiques le sonttrop).– Les objectifs d’intérêt généralsont trop peu clairement identifiéset posés.

– Enfin, les rôles des gouverne-ments et des autres acteurs sonttrop mal spécifiés.Cette situation est générale. Onsait que l’on n’a pas encore trouvéle bon montage institutionnel,sinon on ne se trouverait pas dansune telle situation. On est sûrd’une chose : la privatisation n’estpas en elle-même la panacée. Maiselle peut aider à faire baisser lesrisques, à mieux les gérer en lesplaçant là où ils sont le mieux àmême d‘être gérés. On retombepourtant sur le point central : ilfaut trouver le bon arrangementinstitutionnel. L’auteur proposequelque chose d’assez classique enla matière. Il faut instaurer latransparence, la spécification desperformances, la formulationexplicite des régimes de régulationet le partage des risques entre leprivé et le public. À partir de là,pense l’auteur, il sera peut-êtrepossible d’améliorer les choses.

Par Hervé DUMEZ, Centre de Recherche en Gestion,

École Polytechnique, Paris.

À propos du livre de PetroskiHenry, To Forgive Design.Understanding Failure,Cambridge MA, HarvardUniversity Press, 2012.

Le samedi 5 mai 2012, à Bayonne,des ouvriers travaillent à laconstruction d’un nouveau pontferroviaire sur l’Adour destiné àremplacer l’ancien, en servicedepuis 1862. Brusquement, deuxéléments, de plusieurs centaines detonnes chacun, basculent et tom-bent dans le fleuve, blessant grave-ment deux de ces ouvriers et met-tant en péril le vieux pont voisin.Notre première réaction est ambi-valente : événement finalement

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COMMENT LES PONTSPEUVENT-ILS ENCORE

S’ÉCROULER AU XXIe SIÈCLE ?

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banal, ou du moins « normal », et,en même temps, événement sur-prenant au regard des technologiesd’aujourd’hui. On se dit que cetaccident s’explique sans doute parune succession exceptionnelle etimprévisible d’erreurs grossières.Dans son dernier livre, HenryPetroski, professeur d’ingénieriecivile et d’histoire à l’Universitéaméricaine de Duke, nous donne,à partir de cette question,sa réflexion sur l’enginee-ring, et plus profondé-ment, sur le rapport denotre société à la techno-logie. Ce livre simple(assez peu théorique), pré-cis et concret, repose surl’analyse de nombreux cas.On n’y trouvera pas degrandes explications, maisplutôt des analyses de bonsens. Elles ne sont sansdoute pas inutiles (1).

• Le design comme com-promisUn pont est analogue àune machine : c’est unassemblage technologiquede parties interdépen-dantes entre elles. Le des-ign d’un système techno-logique de ce type, ditHenry Petrovski, est unesérie de décisions et decompromis. Ces compro-mis sont techniques,esthétiques, politiques etéconomiques. Ce qui estrecherché, c’est un équilibre entredes contraintes contradictoires.Tout design, toute structure, peutêtre critiqué. Mais il faut garder àl’esprit l’ensemble des contraintestechniques, politiques, écono-miques, qui ont déterminé leschoix faits, les décisions prises. Ladifficulté du design, et tout son art,consistent alors à identifier lespoints de faiblesse qui résultent deces compromis pour rendre le sys-

tème plus sûr du point de vue de saconception et ce, tout au long desa maintenance. Repérer les échecset les catastrophes possibles dans ledesign n’est pas tâche aisée, dans lamesure où les failles sont souventpeu visibles. C’est tout l’art del’engineering. Celui-ci doit prendreen compte ce syllogisme : « Latechnologie est faite par des êtreshumains. Les humains sont failli-

bles, donc la technologie est failli-ble ». Pourtant, la confiance en latechnologie est souvent la plusforte et les petits signaux inquié-tants sont parfois ignorés. Pourcomprendre le phénomène, il fautle considérer en dynamique.

• La dynamique des succès et deséchecs de l’engineeringDes études ont montré que l’his-toire des accidents de ponts pré-sentait une configuration cycliqueassez régulière, avec une amplitudede trente ans. En effet, quand unnouveau type de pont se développeautour de la résolution de pro-

blèmes techniques difficiles, lesingénieurs font très attention audesign et en cela, ils sont soutenuspar leur environnement. Tout lemonde est inquiet et prête atten-tion aux détails. C’est ce qui s’estpassé lorsqu’il s’est agi deconstruire le pont GeorgeWashington au-dessus de l’HudsonRiver pour relier le haut deManhattan au New Jersey. La peur

de l’échec pèse sur tout lemonde. Si le succès est aurendez-vous, le systèmetechnologique est déclinédans de nouvelles réalisa-tions. Insensiblement, troisphénomènes s’installent.Le premier est laconfiance dans la techno-logie retenue : puisqu’iln’y a pas eu de problème,c’est qu’elle fonctionne. Le deuxième est le chan-gement. En même tempsque l’on gagne enconfiance du fait des suc-cès passés, on a tendanceà innover, à changer deschoses, à relâcher cer-taines contraintes, à ten-ter des solutions plusaudacieuses. Or, les chan-gements dans le designmènent souvent au désas-tre. L’exemple le plus célè-bre est le Dee Bridge, enÉcosse. Une partie de lastructure de ce pont esten bois. Or, quelque

temps avant sa construction, unpont de chemin de fer londonienavait pris feu à cause de cendresbrûlantes tombées d’une locomo-tive. Des travaux sont donc entre-pris pour éviter ce problème et lastructure en bois est recouverted’un ballast. Au passage du pre-mier train, après la réalisation deces travaux, le pont s’écroule, le24 mai 1847. Sans ballast, il sup-portait le poids des trains suscepti-bles de l’emprunter, sans passagede trains, il supportait le poids dunouveau ballast, mais il ne sup-porta pas le poids du ballastcumulé avec celui d’un train…

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(1) Voir DUMEZ (Hervé), « Pourquoi les pontscontinueront-ils à s’effondrer ? Ou l’ingénieuret l’échec technologique », Le Libellio d’Aegis,vol. 8, n°2, pp. 59-65, 2012.

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Le troisième phénomène est liéaux interactions entre les ingé-nieurs et les managers. En l’ab-sence de problème, les managerspoussent aux économies, à la ren-tabilité et donc, souvent, au relâ-chement de certaines contraintes.Tout fonctionne bien… : quevient-on leur rebattre les oreillesavec des risques potentiels ? Unsystème technologique de grandeampleur (comme un pont, unenavette spatiale, ou un grand logi-ciel), est toujours inséré dans unenvironnement économico-poli-tique qui peut créer des risques. Ces trois facteurs – un excès deconfiance, des changements techno-logiques de toutes sortes affectant ledesign et les pressions économiques– sont à l’origine de la configurationcyclique des accidents : lors desphases d’invention de nouvellestechnologies, la prudence règne. Sile succès est au rendez-vous, laconfiance gagne, des changementsallant dans le sens de déclinaisonsplus audacieuses des solutions trou-vées sont tentés. Jusqu’à la catas-trophe. Il faut voir dans ce processusun effet de génération, les raisons dela prudence des anciennes généra-tions disparaissant dans l’oubli etn’étant plus présentes à l’esprit desjeunes ingénieurs, toujours tentéspar l’audace de solutions inno-vantes. Il y a comme une loi d’airainde l’engineering, qui fait que l’onfranchit, à chaque fois, sans s’en ren-dre compte, par excès de confiance,la limite entre le savoir et le non-savoir, et que les échecs sont inscritsdans le développement technolo-gique.Pour l’auteur, la prochaine catas-trophe devrait toucher les pontshaubanés, qui sont aujourd’huitrès prisés des ingénieurs. On adéjà constaté que les haubansvibrent, dans ce type de design. Ona cherché à stabiliser ces vibrationspar des solutions techniques(amortisseurs hydrauliques,notamment). Mais aucune grandecatastrophe n’étant encore interve-nue, les ingénieurs restent trèsconfiants. Ce qui laisse Petroskisongeur.

• Engineering et science : les échecsPourquoi les ponts continuent-ils– et continueront-ils à l’avenir – des’effondrer ?Parce que l’on est dans l’enginee-ring. Ce dernier s’appuie certes surdes disciplines scientifiques faisanttoujours des progrès, essentielle-ment les mathématiques et la phy-sique, mais il reste ce qu’il est : ladétermination d’un design quirepose sur des choix faits souscontraintes, des choix qui sont denature technico-économique. La question demeure ce qu’elle atoujours été, selon Petroski, àsavoir celle de la prise deconscience des limites du savoirscientifique dans des situationsmultidimensionnelles complexes,et donc celle du jugement. Chaquecatastrophe donne lieu à enquête.Celle-ci fait fleurir des théoriesdiverses. Mais on ne sait quasi-ment jamais avec certitude, demanière scientifique, ce qui s’estréellement passé.Les ponts, qui continuent auXXIe siècle de s’effondrer, jettent unéclairage réflexif sur ce que sontl’engineering et le travail d’un ingé-nieur. Des succès, on n’apprend rien. Ilsinduisent au contraire peu à peu enerreur. Des catastrophes et des échecs, onpeut sans doute apprendre. Maisencore faut-il, là aussi, être capablede prendre du recul. Or, on ne saitsouvent pas de manière scienti-fique, prouvée sans aucun doutesubsistant, pourquoi une catas-trophe est intervenue. Penser que l’on a compris les rai-sons d’un échec, alors que rien n’estcertain, est encore pire que tout. On touche là à la grandeur et auxlimites de l’engineering, qui se porteforcément, dans son développementpratique, aux limites de la connais-sance, à la frontière entre savoir etnon-savoir, et qui se matérialise parun échec à chaque fois que l’on croitsavoir ce que l’on ne sait pas. L’échecprovenant aussi du fait, on l’a vu,que l’engineering se déploie toujoursdans un environnement politico-économique qui pèse sur lui.

Comment un ingénieur doit-ilalors procéder, dans sa pratique ? Il doit, c’est le message de l’auteur,toujours avoir la possibilité del’échec à l’esprit et anticiper cettepossibilité, plutôt que de dévelop-per une confiance excessive en laréussite. Pour cela, il doit garder àl’esprit les catastrophes passées ettravailler sur l’histoire de ces cas.La sécurité consiste à garder unetrace de ces choix et compromis,puisque le design, on l’a vu, estaffaire de décisions. Or, paradoxalement, les choses nevont pas en s’améliorant sur ceplan. Les ingénieurs d’antanétaient beaucoup plus rigoureuxde ce point de vue que beaucoupd’ingénieurs d’aujourd’hui.Certaines questions simples, revisi-tées, touchent à ce que nous vivonsde plus profond : « Pourquoi desponts s’effondrent-ils toujours auXXIe siècle ? » est de celles-là.L’échec technologique nous ren-voie au rapport entre l’engineering,les sciences et l’économie, et auxillusions que nous développonsautour du développement techno-logique. Derrière l’analyse de Petroski seprofile par ailleurs la question de laformation des ingénieurs : ceux-cisont-ils suffisamment confrontés àl’histoire des échecs de l’enginee-ring, qui devrait être un élémentfondamental de cette formation ?

Par Hervé DUMEZ, Centre de Recherche en Gestion,

École Polytechnique, Paris.

À propos du livre de ThierryPech, Le temps des riches -Anatomie d’une sécession, Seuil,2011.

« Erreur de la banque en votrefaveur : recevez 20 000 francs. »

MOSAÏQUE

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LA NOUVELLE GUERREDE SÉCESSION

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Pour combien d’entre nous cettephrase n’a-t-elle pas résonné, lorsde dimanches pluvieux passés àjouer au Monopoly, madeleineproustienne des jeux d’enfant ?Au risque de désenchanter le lec-teur d’entrée (de jeu), il est plusque probable que nos enfants n’en-tendront plus cette phrase. Nonque le Monopoly ait disparu, maisle monde a changé, et avec lui lesordres de grandeur de notreenfance.Ce n’est pas simplement quenous sommes entrés dans l’ère del’euro. C’est aussi qu’a débuté,selon Thierry Pech, ex-directeurde la collection La République desIdées, jolie collection d’essais auSeuil, et actuel rédacteur en chefd’Alternatives économiques, « letemps des riches ». Et, avec lui,une nouvelle façon de vivreensemble, ou, plutôt, de ne plusvivre ensemble. L’homme riche du Monopoly d’an-tan était un homme ordinaire(« banal », pour reprendre un adjec-tif en vogue). Il gagnait des sommescertes élevées, mais raisonnables. Savie était peuplée d’événements« normaux », compréhensibles parle commun des mortels : il fêtait sonanniversaire, avait des frais d’hospi-talisation, payait des impôts sur sespropriétés.

FIN DE PARTIE

Ce temps est discrètement en trainde se clore. Le riche d’aujourd’huin’achète plus des maisons : ilachète une île, une ville entière. Làoù l’on comptait avec des unités de100, de 1 000, il faut désormaispenser en millions. Le Monopolyd’aujourd’hui, où l’on fête sonanniversaire sur une plage austra-lienne spécialement privatisée, oùl’on se fait construire une piscinesur le toit de son appartement àMontmartre, où l’on reçoit500 000 euros pour « remise d’im-pôts », est le symbole de ce nou-veau monde en émergence, lemonde des « ultra-riches ».Posons quelques ordres de gran-deur, pour fixer les idées :

– Pour rentrer dans la catégorie des5 % de Français les plus aisés, ilfaut disposer d’un revenu mensuelnet supérieur à 5 400 euros ;– Pour intégrer le club des 1 % lesplus fortunés (58 000 personnes),le billet d’entrée est fixé à10 000 euros ;– Enfin, tout en haut, dans l’atmo-sphère raréfiée des 0,01 % les plusriches (5 800 personnes), l’air serespire à hauteur de 89 000 eurosmensuels, soit plus de 1 milliond’euros par an.En plaine, où réside 90 % de lapopulation, les revenus mensuelsne dépassent pas 3 000 euros ; lerevenu médian (celui qui sépare lapopulation en deux parts égales)est, quant à lui, inférieur à1 600 euros.Autant les basses terres sont bienconnues, autant certains sommetsle sont mal tant les institutions encharge de produire des statistiques– cette chose étrange – ont mis dutemps à s’y aventurer. À ce titre, le livre de Thierry Pechest salutaire en ce qu’il rend acces-sibles ces données. Il s’attache àdécrire et à comprendre ce (toutpetit) monde qui s’affranchit pro-gressivement des normes démocra-tiques, notamment les critères decomparabilité.Comment, aujourd’hui, parvient-on à justifier l’ultra-richesse ?Qu’est-ce qui rend acceptable qu’unThierry Henry gagne en un anl’équivalent d’un siècle de SMIC ?Ou qu’un Bernard Arnault gagne3 000 euros de l’heure ?Thierry Pech avance deux grandescatégories d’arguments.

« RUISSELLEMENT » OU« HOLD-UP » ?

Premier argument : il est accepta-ble que certaines personnesgagnent beaucoup, beaucoup,beaucoup d’argent, car c’est toutela société qui en profite. C’est la théorie du trickle down :plus une société comporte deriches, plus c’est bénéfique, car cetargent va « ruisseler » sur toute lasociété sous la forme de consom-

mation, d’investissements, d’im-pôts, d’emplois. « Quand les richespaieront moins [d’impôts], lespauvres vivront mieux. Cette éliten’est pas nécessairement sympa-thique, mais elle travaille et sonlabeur profite à l’ensemble de lasociété » (1).Ces propos ayant la douce saveurde l’évidence, on ne nous en vou-dra pas si nous nous permettonsd’aller chercher les traces de cefameux « ruissellement » dans« l’ensemble de la société ».C’est là où les choses se gâtent : iln’apparaît nulle part. L’enrichis -sement démesuré de certains, carac-téristique de la période qui s’estouverte avec les années 1980, s’estaccompagné d’une croissance ané-miée et d’un chômage élevé. Unrapport remis au gouvernement enavril 2010 estime que les différentesbaisses d’impôts consenties depuisl’année 2000 ont causé 400 mil-liards d’euros de dette publiquesupplémentaire, sans que ces géné-rosités aient produit un quelconqueeffet sur le revenu médian ou lacourbe du chômage.À l’inverse, lors des TrenteGlorieuses, la situation écono-mique et sociale se caractérisait parune croissance forte, un chômageréduit et une échelle des revenusinfiniment plus resserrée.Donc, bien que séduisante (sur lepapier), la théorie du trickle down nefonctionne pas. « Non seulement lemiracle du trickle down ne s’est pasproduit, mais on peut se demanders’il n’a pas eu un effet inverse : [là]où l’on attendait une salutaire diffu-sion de la richesse vers le bas, on asurtout assisté à une captation de larichesse par le haut ».

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(1) Guy SORMAN, Le Figaro Magazine, 7 sep-tembre 1985. Les lecteurs courageux pourrontaussi aller voir du côté de Jean-PhilippeDELSOL, À quoi servent les riches, Lattès, 2012.Ils y trouveront quelques perles : « Plus lenombre de riches augmente, moins on a depauvres ». Ou encore : « À force de s’attaqueraux riches du privé, on oublie souvent ceuxqui s’enrichissent sur le dos de l’État et descontribuables : politiques, hauts fonction-naires, certaines catégories d’agents du servicepublic ». Les intéressés, tous assujettis à l’impôtsur la fortune, comme chacun le sait, apprécie-ront…

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Sur la base des travaux d’OlivierGodechot (2), Thierry Pech suggèrede remplacer la théorie du « ruissel-lement » par celle du « hold-up » : lamise en place de mécanismes decaptation de la richesse au profitd’une infime minorité. « Aux États-Unis, où ces évolu-tions ont été les plus spectacu-laires, les deux tiers des augmenta-tions de salaires perçues entre2002 et 2007 sont allés aux 1 %des Américains les plusriches. »Ce retournement de pers-pective relativise du coupfortement la ritournelle sisouvent entendue, selonlaquelle si les ultra-richessont « trop » imposés, ilspartiront. L’auteur mon-tre, travaux de ThomasPiketty à l’appui, que c’estloin d’être avéré : d’autresépoques ont connu desniveaux de prélèvementsensiblement plus élevéssans que cela ait entraînédes départs massifs. Etmême si, par le plus granddes hasards statistiquescela était, le « ruisselle-ment » attendu ne se véri-fiant pas, leur éventueldépart n’aurait pas d’inci-dence économique forte.Regardons maintenant lesecond argument rendantsocialement acceptablel’éclatement de l’échelledes revenus.

L’EFFET « FINANCE »

« Si certaines personnes empo-chent d’énormes émoluments,c’est qu’elles le méritent : elles sontdotées de talents exceptionnels quijustifient des revenus exception-nels ». Et les tenants de cette thèsede citer Steve Jobs, ZinedineZidane, Bill Gates,…Cet argument peut porter dans

une société démocratique dontl’une des valeurs est le mérite indi-viduel. Comment, en effet, contes-ter le fait que Steve Jobs soit unentrepreneur de génie ? Qu’il fau-drait des dizaines de Steve Jobs,qui créeraient des dizaines desociétés Apple, avec tous les emploisqui vont avec ? L’argument sembleimparable.Pourtant, la réalité diffère de ceconte de fées.

L’explosion des hauts revenus n’estnullement due à la recrudescenced’êtres « exceptionnels » – ce qui,après tout, ne serait pas si mal. Elleest le fait du développement extra-ordinaire d’une profession : lafinance. « Les gains des traders etdes cadres de l’industrie financièresont les premiers responsables del’essor récent des très hauts reve-nus ». Cette profession a réussi, au fil desannées, à créer un contexte propiceà la concentration des richessesproduites entre quelques mains(quelques portefeuilles, devrait-on

plutôt dire). Ce contexte n’est pastombé tout cru du ciel pur desannées 1980 : il a été le fruit d’uneaccumulation de décisions, prisespar des gouvernements démocrati-quement élus, et donc avec l’ac-cord (au moins tacite) de la majo-rité.

DE BELLES PLANTES ÉLEVÉESEN SERRE

Mais l’argument essentieln’est pas celui-là. Il est, nous dit Pech, dansle fait qu’il n’y a pas d’au-tonomie individuelle dansla création des richesses.L’être le plus génial ne sefait pas tout seul. Mêmeles individus les plusdoués sont nés dans unenvironnement donné,qui les a nourris, soignés,éduqués, protégés. À cetitre, ils sont en dette vis-à-vis de la société qui les avus naître, s’est occupéed’eux et les a mêmechoyés.C’est ce sentiment den’être redevable de rien,cette « histoire pourenfants », cette « séces-sion », que Pech dénonce.La vertu des mécanismesredistributifs est de rappe-ler à toutes ces « bellesplantes élevées en serre »tout ce qu’elles doivent auterreau qui leur a permisde pousser. « Nous vivons

dans les sociétés parmi les plussûres non seulement du monde,mais de l’histoire humaine. Et,pour y parvenir, il a fallu considé-rer que la richesse des individus nerelevait pas intégralement de lasphère privée et qu’il était légitimed’en socialiser une partie ».

« MAUVAISE » PASSE, OURETOUR À LA NORMALITÉ ?

Les amateurs de l’émission deFrance Culture L’esprit publicretrouveront dans ce livre les qua-lités de Thierry Pech : clarté d’ex-

(2) GODECHOT (O.), Working Rich – Salaires,bonus et appropriation des profits dans l’industriefinancière, Paris, La Découverte, 2007 ; LesTraders – Essai de sociologie des marchés finan-ciers, Paris, La Découverte, 2005.

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pression, modération du ton etsolidité de l’argumentation.Le livre pose une des questionscentrales de la démocratie : l’équi-libre entre égalité et inégalité, et lesmécanismes concrets favorisantl’une ou l’autre. Par rapport à cettequestion, il y a deux façons, mesemble-t-il, de considérer l’époqueactuelle : comme une aberrationpar rapport à une norme égalitairede nature « anthropologique »(c’est le modèle que défend, parexemple, un Emmanuel Todd), oucomme une parenthèse qui seferme pour revenir à une forme denormalité historique et géogra-phique.Par tropisme personnel, je seraisdavantage porté à pencher pour laseconde hypothèse. En effet, j’aidu mal à croire au modèle égali-taire de Todd, et ce pour deux rai-sons :– a) Les comportements quoti-diens visant à obtenir des passe-droits et à échapper à la règle com-mune paraissent trop nombreuxpour valider l’hypothèse. Les bour-

geois de 1789, comme ceux d’au-jourd’hui, se moquaient passable-ment de l’égalité. S’ils ont coupé latête du roi (Louis XVI), c’est parcequ’ils en avaient assez de se fairemanger la laine sur le dos de façonéhontée. Les Français aiment l’éga-lité, oui… mais pour les autres.Pour eux-mêmes, ils souhaitentbénéficier de privilèges. D’où uncertain mélange d’envie et de res-sentiment envers ceux qui « réus-sissent ». On trouve cela peut-êtreinjuste, mais au fond, on n’aqu’une envie : « en être » ;– b) La seconde raison, c’est lavitesse de changement des sociétésactuelles, qui bouscule les pesan-teurs anthropologiques. Ce quiétait vrai il y a trente ans ne l’estplus forcément aujourd’hui du faitdes ruptures induites par les tech-nologies de la communication :découplage entre le temps finan-cier et le temps social, mise enconcurrence mondiale des facteursde production (dont les salaires),possibilités infinies de comparai-sons à l’échelle internationale…

L’égalisation des conditionsdemande une volonté peu com-mune maintenue sur des décen-nies, voire des siècles, et surtoutsuppose de pouvoir mener despolitiques communes dans uncadre commun. Or, ces conditionset cette énergie ne sont pas là, oune sont plus là. Les tentatives,louables, de constituer un ensem-ble européen ne doivent pas nousfaire oublier les lois de la démogra-phie.Le capitalisme crée de la richesse,c’est incontestable, mais il se dés-intéresse de sa répartition. C’est aupolitique de s’en occuper. Or, au-delà des déclarations d’intentions àfinalité électoraliste, il n’est pasévident que le politique ait encorela capacité de le faire. Il n’est passûr, non plus, que les citoyens,dans leur majorité, en aient eux-mêmes encore l’envie.

Par Arnaud TONNELÉConsultant, coach,

Groupe Bernard Julhiet

MOSAÏQUE

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BÉHUE Jean

Jean Béhue est docteur de l’ÉcolePolytechnique en Humanités et SciencesSociales. Chargé de mission en stratégie etprospective, il s’intéresse tout spécialement àla dynamique humaine des sciences, destechniques et de l’innovation.

BERGER-WALLISER Gerlinde

Gerlinde Berger-Walliser était professeurassociée à l’ICN Business School Nancy-Metz et membre du Centre Européen deRecherche en Économie, Finance et Gestion(CEREFIGE) de l’Université de Lorraine àl’époque où elle a accepté de rédiger son arti-cle. Désormais, elle est Assistant Professor ofBusiness Law à l’École de Commerce del’Université du Connecticut (Etats-Unis).Ses principaux axes de recherche portent surle droit du commerce international, lesaspects comparatifs du droit de l’entreprise,notamment le droit de la consommation, lescontrats, la propriété intellectuelle ainsi quela stratégie juridique. Elle a publié de nom-breux articles sur ces sujets dans des revuesjuridiques allemandes, françaises et nord-

américaines, notamment Recht der InternationalenWirtschaft, Zeitschrift für Europäisches Privatrecht,Revue Trimestrielle de Droit Commercial et Écono-mique, Northwestern Journal of International Law andBusiness et Journal of Law, Business & Ethics.

BENGHOZI Pierre-Jean

Pierre-Jean Benghozi est directeur de recherches auCentre National de la Recherche scientifique(CNRS). Il dirige le Pôle de Recherche en Economieet Gestion à l’École Polytechnique (Paris, France) et yest en charge de la Chaire « Innovation et Régulationdes services numériques ». Il a notamment développédepuis de nombreuses années une équipe de recherchesur « Technologies de l’Information et de laCommunication, Télécommunications, Audiovisuelet Culture ». Ses projets de recherche actuels portentplus spécifiquement sur le développement et l’usagedes TIC dans les grandes organisations, la structura-tion des chaînes de valeur et des nouveaux modèlesd’affaires associés aux marchés en ligne, notammentdans les industries créatives. Pierre-Jean Benghozipublie régulièrement sur ces questions en français eten anglais. Il est co-fondateur et co-animateur duMaster de référence dans ce domaine (Industrie deRéseaux et Économie numérique). Il enseigne dansplusieurs grandes universités parisiennes et étrangères,

et intervient comme expert auprès d’administrationspubliques et d’entreprises privées.

CHEVRIER Sylvie

Sylvie Chevrier est professeur de gestion à l’UniversitéParis-Est Marne-la-Vallée et chercheur à l’Institut deRecherche en Gestion. Elle est co-responsable dumaster Gestion des Ressources Humaines et Mobilitéinternationale. Ses recherches portent sur la dimen-sion culturelle du management et du fonctionnementdes organisations. Elle a notamment publié Gérer deséquipes internationales. Tirer parti de la rencontre descultures dans les organisations (PUL, 2012), LeManagement interculturel (coll. Que sais-je ?, PUF,2010), Le Management des équipes interculturelles(PUF, 2000) et a contribué aux ouvrages Cultures etmondialisation (Seuil, 1998), Gérer en contexte inter-culturel (PUL, 2008) et Cross Cultural Management inpractice: Culture and Negotiated Meanings (EdwardElgar Publishing, 2011).

DUMEZ Hervé

Hervé Dumez est directeur de recherches au CNRS,directeur du Centre de Recherche en Gestion(PREG École Polytechnique-CNRS). Il est ancienélève de l’École Normale Supérieure (Ulm) et a étu-dié la philosophie, l’épistémologie des sciences éco-nomiques et la sociologie, avant de poursuivre sesrecherches dans le champ de la stratégie. Il a étéprofesseur invité au MIT (2001) et au SCORE(Université de Stockholm et Stockholm School ofEconomics, en 2012). Il a publié plus de dixouvrages et plusieurs dizaines d’articles en stratégie,régulation, méthodologie et épistémologie de larecherche. Il est l’éditeur d’une publication électro-nique trimestrielle, Le Libellio d’AEGIS.

FATIEN DIOCHON Pauline

Pauline Fatien Diochon est enseignant-chercheur,actuellement Professeur Associé à Menlo College, enCalifornie (États-Unis). Elle est aussi chercheur asso-cié au Centre Magellan, à l’IAE de Lyon-UniversitéLyon 3, où elle a cofondé une formation de coachingen entreprise. Elle est diplômée de l’École HEC Paris,du DEA Paris 7 en Sociologie du Pouvoir et d’unDoctorat en Sciences de Gestion (HEC Paris). Sesrecherches visent à approfondir la connaissance de lapratique du coaching au travers de thématiquescomme le pouvoir, les paradoxes, les postures cri-tiques. Elle a publié, avec Jean Nizet, en 2012, LeCoaching dans les organisations, collection Repères, LaDécouverte.

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FOLI Olivia

Olivia Foli est docteure en sociologie, maître deconférences à l’Université Paris Sorbonne. Elleenseigne la sociologie générale du travail et des orga-nisations, et elle dirige deux masters en RH etCommunication au Celsa – Paris Sorbonne. Elle estmembre du Groupe de Recherches Interdisciplinairessur les Processus d’Information et de communication(GRIPIC) et chercheuse associée au LaboratoireInterdisciplinaire pour la Sociologie Économique(CNAM–CNRS). Ses recherches portent principale-ment sur l’expression des plaintes en organisation et,plus généralement, sur la reconnaissance et les identi-tés au travail. Ses travaux et interventions concernentégalement la régulation sociale et les processus d’inno-vation et de changement, en particulier dans des orga-nisations bureaucratiques.

FOUESNANT Bertille

Bertille Fouesnant est diplômée de l’ÉcolePolytechnique (Promotion X2007). Elle a suivi le par-cours Doctis du Master en Ingénierie de l’InnovationTechnologique en partenariat avec la London Schoolof Economics, au cours duquel elle a réalisé un travailde recherche d’un an sur le neuromarketing (2010-2011). Elle est actuellement associate consultant chezBain et Compagnie.

GAGLIO Gérald

Gérald Gaglio est maître de conférences en sociologieà l’Université de Technologie de Troyes.Sa recherche porte principalement sur la thématiquede l’innovation et sur celle de l’usage des nouvellestechnologies. Il s’intéresse également à la dynamiquedes organisations, à leurs transformations, au traversde l’étude d’artefacts ou de pratiques très répandus(les présentations de type Power Point, l’usage desétudes qualitatives de marketing, les journauxinternes), qui demandent de ce fait à être passés aucrible du regard sociologique.

HACHANA Rym

Titulaire d’un doctorat de l’Université Paris IXDauphine, Rym Hachana est Maître AssistantHabilité à Tunis Business School.Elle est membre de l’unité de recherche Finance etStratégie des Affaires à l’Institut Supérieur de Gestionde TunisSes axes de recherches portent notamment sur la gou-vernance, l’éthique, le management international etl’encastrement des connaissances.

JEUNEMAÎTRE Alain

Alain Jeunemaître est directeur de recherches auCNRS et professeur chargé de cours à l'ÉcolePolytechnique en stratégie et régulation. Il est attachéà l’université d’Oxford en tant que chercheur auCentre for Socio Legal Studies et à la London Schoolof Economics au Department of Managment. Il estmembre du Comité Scientifique de la Commissioneuropéenne SESAR JU (Single European Sky AirTraffic Management Research).

MATHEU Michel

Michel Matheu dirige actuellement le pôle Stratégieeuropéenne de la direction des Affaires institution-nelles d’EDF, après s’être consacré plusieurs années àl’économie, à la prospective et à la régulation du sec-teur électrique, successivement au sein des directionsde la Stratégie et des Énergies renouvelables duGroupe.Il a rejoint EDF en 2003 après une carrière dans lafonction publique, en dernier lieu comme chef de ser-vice au Commissariat du Plan, en charge notammentdes industries de réseaux et des questions environne-mentales. Précédemment, il avait également acquisune expérience de l’administration régionale au seindu ministère de l’Industrie, pratiqué la recherche etl’enseignement à l’École Polytechnique et animé larédaction des Annales des Mines.Il a édité avec C. Henry et A. Jeunemaître l’ouvrageRegulation of network utilities. The European experience(Oxford University Press, 2001) et publié de nom-breux articles dans des revues de gestion et d’écono-mie.

NIZET Jean

Jean Nizet est professeur émérite à l’Université deNamur et à l’Université Catholique de Louvain, où ilconserve des enseignements à la Faculté ouverte depolitique économique et sociale (FOPES). Il enseigneaussi dans plusieurs universités africaines. Il mèneactuellement des recherches sur le coaching, la forma-tion des adultes ainsi que sur l’agriculture paysanne. Ilest l’auteur de nombreux ouvrages et articles dans lesdomaines précités, ainsi que dans le domaine desorganisations et de la gestion des ressources humaines.

TONNELÉ Arnaud

Arnaud Tonnelé est consultant et coach. Il accompagne les personnes, les équipes et les organi-sations depuis plus de 20 ans. Il a commencé à laSOFRES en réalisant des audits de climat social. Il a

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poursuivi chez BOSSARD Consultants pendant5 ans, puis chez BLEDINA (Groupe DANONE),comme consultant en conduite du changement. Il estconsultant et coach au sein du Groupe Bernard JUL-HIET, depuis 2007.Il intervient à Grenoble École de Management, enMaster, et au DU Executive Coaching de l’Universitéde Cergy-Pontoise. À ses heures perdues, il est amateur de course à pieden montagne.Il est l’auteur des ouvrages suivants :* Coacher votre équipe, Insep Éditions (à paraître) ;* 65 outils pour accompagner le changement individuelet collectif, Eyrolles, 3e tirage 2012 ;* Stratégie et pilotage des systèmes d’information,Dunod, 2009 (chapitre sur la conduite du change-ment) ;* Équipes Autonomes, guide de mise en œuvre –Organisation, gestion des compétences, conduite duchangement, Eyrolles, 2007 ;* À paraître en 2013 : Conduire les changements collec-tifs – Intégrer le facteur humain, Éditions Julhiet ;Coacher votre équipe, Éditions Julhiet.

VALENCIA Franck

Professeur associé à l’ICN Business School, FranckValencia y enseigne le droit des affaires. Son premiertravail de recherche a porté sur la comparaison dessystèmes français et espagnol en matière de protection

des intérêts de l’actionnaire dans la société anonyme.Depuis, différents domaines dépassant le cadre dudroit comparé ont fait l’objet d’études de sa part,comme par exemple la notion d’accès à la justice enmatière d’arbitrage international, le principe d’extra-territorialité à l’heure d’Internet ou encore le principede responsabilité des prestataires de services del’Internet au regard du droit du commerce électro-nique et à l’aune du droit de la concurrence et dudroit des marques. Parallèlement à ses activités derecherche et d’enseignement, Franck Valencia a exercécomme avocat au Barreau de Nancy. Il est désormaischargé de mission au ministère de l’Économie et duCommerce extérieur du Grand-Duché deLuxembourg, spécialiste des questions de règlementa-tion appliquées aux fonds structurels européens.

WALLISER Björn

Agrégé des Facultés, Björn Walliser est Professeur desUniversités à l’ISAM-IAE de Nancy, Université deLorraine. Au sein de cette même université, il est res-ponsable de l’équipe marketing du centre derecherche CEREFIGE et co-directeur du Master mar-keting et vente. Ses recherches portent sur le marketing internationalet la communication d’entreprise. Il est l’auteur d’ou-vrages sur le parrainage et le marketing international,ainsi que de nombreuses publications dans des revuesscientifiques.

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080-082 Biographies auteurs monté _• pages paires G&C 96 04/12/12 18:05 Page82

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COMPANY NEWSLETTERS, THEIR IMPROBA-BLE DURABILITYGérald GAGLIO and Olivia FOLI

There are several arguments, such as costs or the lack ofinterest by employees, for stopping paper editions ofinhouse newsletters. Nonetheless, the latter are still beingprinted. A survey of “communicators” inside big firmsserves to analyze the reasons for this improbable durabi-lity. After describing their origins, it is shown how com-pany newsletters present an “organizational order” that,approved by top executives, makes up for the lack ofdirections given to “communicators”. Three exploratoryhypotheses are formulated. The company newsletter: a)simulates control in ever less stable contexts; b) seeks toprovide evidence of an apparent harmony between wordsand deeds; and c) reinforces prevailing beliefs about socialbonds and the acceptance of change.

LEGAL AND MARKETING STRATEGIES FORFIGHTING AGAINST PSEUDO SPONSORSGerlinde BERGER-WALLISER, Björn WALLISER andFranck VALENCIA

Various forms of “pseudo” sponsorship as well as the legaltools and marketing strategies for countering them aredescribed. Whether in France, Germany or the UnitedStates, the legal arsenal — mainly grounded on rightsderived from brands and brand names, from contractsand from laws on unfair competition — has proven espe-cially useful in combating direct cases of pseudo sponsor-ship. In the case of subtler forms however, it is hard toundertake legal action given the freedom of commerceand the constitutional freedom of speech. It is, therefore,indispensable for sponsors and the organizers of events towork together to delimit the problem. The interest oforganizers is: to clearly define vested rights and turn themto account; to reduce the categories and levels of sponsor-ship; and to decry actions of pseudo sponsors so thatconsumers can tell the difference between a sponsor, apseudo sponsor and a mere advertiser.

THE AMBIGUITIES OF COACHING IN THELIGHT OF FUNCTIONALISMJean NIZET and Pauline FATIEN DIOCHON

Professional coaching in the field of management isoften considered, both by those who study it and bypersons in the field, to be ambiguous, confused, andchaotic. These negatively perceived characteristicsunderlie what has been said and written for the pur-pose of clarifying the objectives and postures ofcoaches, and distinguishing coaching from other fol-low-up actions such as counseling, mentoring or trai-ning. In contrast with these attempts to reduce or eveneliminate ambiguities from this activity, this articletakes the aforementioned characteristics to be inherentto coaching. Light is shed on them by adoptingMerton’s functionalism and showing, through a casestudy, that coaching usually fills several functions —some obvious, others latent, and still others dysfunctio-nal. In line with this approach, coaching practices aredescribed as a tangle of functions specific to each case.This hypothesis is applied to other managerial prac-tices, such as the management of quality.

THE GENEALOGY OF “INNOVATOR”Jean BÉHUE

The natural hero of the society of innovation is, forthose who use the word “innovator, a figure thatrefers to different realities with cultural connota-tions. To clear up the confusion, a history, based onan exploration of archives at the BibliothèqueNationale de France, is presented of this word inFrench. While clarifying the relations between inno-vator, on the one hand, and novateur, genius andinnovation on the other, light is shed on two majormeanings: the historical one that, especially in thearts and sciences, refers to the individual who incar-nates what is new by bearing the embers for a renais-sance; and the more contemporary meaning in eco-nomics, which refers to the company or other orga-nization that seeks to draw profit from an innova-tion. Given the currently prevailing usage in thesecond sense and, thus, the quite real risk of no lon-ger paying heed to those who continue using “inno-vator” to refer to persons who spark a renaissance,speakers who want to refer to the latter should adoptthe perhaps more explicit expression of “innovator ofgenius”.

IS THE CONDUCT OF WESTERN SUBSIDIA-RIES IN TUNISIA “ETHICAL”?Rym HACHANA

A practical, qualitative approach to the study of ele-ven subsidiaries of Western firms in Tunisia wasadopted to analyze the degree to which the manage-rial processes of planning, organization, directionand control fall in line with ethical standards. Thetopics brought up in accounts collected fromtwenty-two directors in these eleven subsidiarieswere analyzed to draw up a grid of four types of sub-sidiaries: ethical, responsible, neutral and unethical.This typology comes out of a combination of twoparameters, the degree of the parent firm’s ethicalcommitments toward its subsidiary and the subsi-diary’s adherence to ethical standards.

NEUROMARKETING, BETWEEN SCIENCEAND BUSINESSBertille FOUESNANT and Alain JEUNEMAÎTRE

The neurosciences study how individuals make choicesduring interactions. Neuromarketing proposes toapply these sciences to designing and selling products.What are the prospects for this approach, which setsup a network joining scientists who study how thebrain operates with consultants and firms? Will it radi-cally change our understanding of the why and how ofconsumer actions?

A MYTHOLOGY OF ENLIGHTENMENT:PHILIPPE D’IRIBARNE ON THE REVERSE SIDEOF MODERNITYMichel MATHEU

Why do production and maintenance differ so muchin French and American factories? Why have we notimported the policies for fighting against joblessness

GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 110 83

RÉSUMÉS ÉTRANGERS

OVERLOOKED

WHILE

READING…

OTHER TIMES, OTHER PLACES

TRIAL BY FACT

IN QUEST

OF THEORIES

FOR OUR ENGLISH-SPEAKERS READERS

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GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 11084

RÉSUMÉS ÉTRANGERS that have proven their mettle in northern Europe?

Why do the French distrust money and those whomake a lot? Philippe d’Iribarne’s books shed light onthese questions. In an interview, he proposes a guide-line: a theory of modernity as a myth.

Pierre-Jean BENGHOZI: THE ERA OF THE MULTITUDE — ENTREPRENEURSHIP ANDGOVERNANCE FOLLOWING THE DIGITALREVOLUTION: On Nicolas Colin and Henri Verdier’s, L’Âge de lamultitude, Entreprendre et gouverner après la révolu-tion numérique (Paris: Armand Colin, 2012).

Sylvie CHEVRIER: INTERNATIONAL MANAGE-MENT — A FRENCH-SPEAKER’S PERSPECTIVE: On Ulrike Mayrhofer and Sabine Urban’s,Management international. Des pratiques en mutations(Pearson, 2011).

Hervé DUMEZ: MEGAPROJECTS: On Flyvbjerg Bent’s, Megaprojects and risk: An ana-tomy of ambition (Cambridge: Cambridge UniversityPress, 2010).

Hervé DUMEZ: WHY CAN BRIDGES STILL FALLDOWN IN THE 21ST CENTURY? On Petroski Henry’s, To forgive design:Understanding failure (Cambridge MA, HarvardUniversity Press, 2012).

Arnaud TONNELÉ: THE NEW WAR OF SECESSION: On Thierry Pech’s, Le Temps des riches – Anatomied’une sécession (Paris, Seuil, 2011).

MOSAICS

MOSAICS

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INNERBETRIEBLICHE ZEITUNGEN : DIEUNWAHRSCHEINLICHKEIT IHRES FORTBES-TEHENSGérald GAGLIO und Olivia FOLI

Mehrere Argumente sprechen für das Einstellen derinnerbetrieblichen Zeitungen (Kosten, relativesDesinteresse der Beschäftigten, etc.). Trotzdem wer-den diese Informationsträger veröffentlicht. DieGründe für diesen unwahrscheinlichen Fortbestandwerden in diesem Artikel anhand der Ergebnisseeiner Umfrage analysiert, die bei innerbetrieblichenKommunikationsteilnehmern großer Firmen durch-geführt wurde. Wir schildern die Genese diesesInformationsträgers und zeigen anschließend, dassdie innerbetrieblichen Zeitungen das Vorhandenseineiner „Organisationsstruktur“ vermitteln wollen, dieein Defizit an Anweisungen für die Teilnehmer aus-gleicht und die in den Kreisen der FührungskräfteZustimmung findet. Drei Forschungshypothesenergänzen die Analyse : die innerbetriebliche Zeitunga) simuliert Kontrolle in immer instabilerenZusammenhängen, b) ermöglicht den Anscheineiner Harmonie zwischen Diskurs und Handeln,und c) bekräftigt letzten Endes die dominierendenDenkweisen (über den sozialen Zusammenhalt unddie Akzeptanz von Veränderungen).

DIE RECHTLICHEN STRATEGIEN UND DASMARKETING FÜR DEN KAMPF GEGEN DASPSEUDO-SPONSORINGGerlinde BERGER-WALLISER, Björn WALLISERund Franck VALENCIA

Dieser Artikel stellt die verschiedenen Formen desPseudo-Sponsorings sowie die rechtlichenMechanismen und Marketingmaßnahmen vor, diediesen Praktiken entgegengesetzt werden sollen. Sei esin Frankreich, in Deutschland oder in den VereinigtenStaaten, das rechtliche Arsenal gegen das Pseudo-Sponsoring, das im wesentlichen auf demMarkenrecht, dem Vertragsrecht und derBekämpfung des unlauteren Wettbewerbs beruht,erweist sich vor allem in den Fällen des direktenPseudo-Sponsorings als wirkungsvoll. Wenn derHinterhalt subtiler ist, ist es aufgrund des Prinzips derHandelsfreiheit und des Verfassungsprinzips derFreiheit der Meinungsäußerung schwer dagegen vor-zugehen. Es ist also unbedingt notwendig, dass die Sponsorenund die Eventorganisatoren auch zur Eingrenzung desProblems beitragen. Es liegt ganz in ihrem Interesse,die erworbenen Rechte genau zu definieren und zunutzen, die Kategorien und die Bereiche desSponsorings zu reduzieren, und die Aktionen desPseudo-Sponsorings anzuprangern, damit derVerbraucher zwischen einem Sponsor, einem Pseudo-Sponsor und einem einfachen Auftraggeber unter-scheiden kann.

DIE AMBIGUITÄTEN DES COACHINGS AUSDER SICHT DES FUNKTIONALISMUSJean NIZET und Pauline FATIEN DIOCHON

Oft wird das professionelle Coaching sowohl vonseinen Analytikern als auch von gewissen Akteurenals eine zweifelhafte, konfuse und chaotische Praktik

angesehen. Diese Charakteristika werden negativbeurteilt und lösen kritische Reaktionen undBesprechungen aus, die auf eine Klärung der Zieleund Ansprüche des Coachings abzielen, um es vonanderen Betreuungspraktiken wie Beratung,Mentoring oder Ausbildung, etc. zu unterscheiden.Diesen Versuchen, die die Ambiguitäten reduzierenoder sogar beseitigen wollen, stellen wir hier eineandere Analyse entgegen, nach der dieseCharakteristika dem Wesen des Coachings inhärentsind. Wir bemühen uns darum, dieseCharakteristika zu erklären, indem wir den funktio-nalistischen Rahmen von Merton heranziehen, undmöchten anhand einer Fallstudie zeigen, dass dasCoaching im allgemeinen mehrere Funktionenerfüllt, von denen die einen manifest und die ande-ren latent und wiederum andere dysfunktional sind.Diese Untersuchung lässt erkennen, dass sich diePraktiken des Coachings jeweils durch eine spezifi-sche Verflechtung von Funktionen auszeichnen.Zum Abschluss weiten wir diese Hypothese aufandere Praktiken der Betriebsführung, beispielsweiseauf das Qualitätsmanagement, aus.

GENEALOGIE DES FRANZÖSISCHENBEGRIFFS INNOVATEURJean BÉHUE

Als natürlicher Held der sich als innovatorisch defi-nierenden Gesellschaft, ist der innovateur (Neuerer)nichtsdestoweniger eine Figur, die auf die unter-schiedlichen Realitäten und auf die mit ihnen ver-bundenen kulturellen Referenzen der jeweiligenSprecher verweist. Zur Beseitigung der Unklarheitschlagen wir hier vor, im Anschluss an unsereNachforschungen in den einschlägigen Archiven derBibliothèque nationale de France die Geschichtedieses Wortes im Französischen zu rekonstruieren.Dieser Artikel stellt den Bedeutungszusammenhangklar, der innovateur mit novateur (Neuerer) und génieaber auch mit innovation verbindet, möchte aber diezwei Bedeutungen differenzieren, die mit innovateurassoziiert werden : die historische, die insbesonderein den Künsten und Wissenschaften das Individuumbezeichnet, dem der zündende Funke des Neuen zuverdanken ist, und die modernere, die durch dieWirtschaft geprägt ist und in Beziehung zur kollek-tiven Organisation steht, die sich das Ziel setzt,Vorteil aus dem Neuen zu ziehen. Da wir feststellenmüssen, dass der heute vorherrschendeSprachgebrauch der zweiten Definition zuneigt unddas wirkliche Risiko besteht, diejenigen zu überhö-ren, die mit dem Terminus innovateur weiterhin die-jenigen Geistesgrößen bezeichnen, die alsWegbereiter des Neuen auftreten, machen wir denVorschlag, dass sie die vielleicht explizitereAusdrucksweise innovateur de génie (genialerNeuerer) wählen sollten.

KANN DAS VERHALTEN DER WESTLICHENTOCHTERGESELLSCHAFTEN, DIE IN TUNE-SIEN ANGESIEDELT SIND, ALS „ETHISCH“BEZEICHNET WERDEN ?Rym HACHANA

Auf der Grundlage einer instrumentalenBetrachtungsweise, die sich auf eine qualitative

GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 110 85

RÉSUMÉS ÉTRANGERSAN UNSERE DEUTSCHSPRACHIGEN LESER

VERKANNTE REALITÄTEN

AN TATSACHEN GEMESSEN

AN TATSACHEN GEMESSEN

ANDERE ZEITEN, ANDERE ORTE

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Analyse stützt, die bei elf in Tunesien niedergelasse-nen Tochtergesellschaften westlicher Unternehmendurchgeführt wurde, möchten wir analysieren,inwieweit die Betriebsführungsprozesse hinsichtlichder Planung, der Organisation, der Leitung und derKontrolle in den ausländischen Filialen in Tunesienden ethischen Normen entspricht. Die Analyse des thematischen Inhalts, die auf derAuswertung der Aussagen von 22 Leitern aus elfwestlichen Niederlassungen in Tunesien beruht, hates ermöglicht, ein Schema auszuarbeiten, das vierKategorien von Tochtergesellschaften umfasst, näm-lich die ethischen, die verantwortungsvollen, dieneutralen und die nicht ethischen. Dieser Typologieliegen zwei zusammentreffende Parameter zugrunde,nämlich der Grad des ethischen Engagements desStammhauses gegenüber seiner Tochtergesellschaftund der Grad des Engagements derTochtergesellschaft gegenüber den ethischenStandards.

DAS NEUROMARKETING, ZWISCHEN WISSENSCHAFT UND BUSINESSBertille FOUESNANT und Alain JEUNEMAÎTRE

Die Neurowissenschaften gehen der Frage nach, wiedie Individuen in InteraktionssituationenEntscheidungen treffen. Das Neuromarketing seiner-seits zielt darauf ab, dieses Wissen auf die Konzeptionund den Vertrieb von Produkten anzuwenden. Dochwas genau stellt diese Perspektive dar, die Neurologen,Berater und Unternehmen miteinander vernetzt. Kannsie eine radikale Entwicklung im Verständnis derMotive und der Art des Konsumierens anstoßen ?

EINE MYTHOLOGIE DER AUFKLÄRUNGZum Buch von Philippe d’Iribarne, L’Envers dumoderneMichel MATHEU

Warum unterhalten Produktion und Wartung in fran-zösischen und amerikanischen Betrieben so unter-schiedliche Beziehungen zueinander ? Warum impor-tiert man nicht überall die Politiken gegen die

Arbeitslosigkeit, die sich in den nordeuropäischenLändern bewährt haben ? Warum misstrauen dieFranzosen so sehr dem Geld und denen, die viel ver-dienen ? In seinen Büchern hat sich Philippe d’Iribarnemit solch unterschiedlichen Fragen befasst. In Formvon Gesprächen entrollt er seinen roten Faden : eineTheorie der Modernität als Mythos.

Pierre-Jean BENGHOZI: DAS ZEITALTER DERGROSSEN MASSE – UNTERNEHMEN UNDREGIEREN NACH DER DIGITALEN REVOLU-TIONZum Werk von Nicolas Colin und Henri Verdier,L’Âge de la multitude, Entreprendre et gouverner aprèsla révolution numérique, Ed. Armand Colin, 286 S.,2012.

Sylvie CHEVRIER: DAS INTERNATIONALEMANAGEMENT : EINEFRANZÖSISCHSPRACHIGE PERSPEKTIVEZum Werk von Ulrike Mayrhofer und SabineUrban, Management international. Des pratiques enmutations, Pearson, 2011.

Hervé DUMEZ: DIE MEGA-PROJEKTE Zum Buch von Flyvbjerg Bent, Megaprojects andRisk. An anatomy of ambition, Cambridge,Cambridge University Press, 2010.

Hervé DUMEZ:WIE KÖNNEN BRÜCKEN IM21. JH. NOCH EINSTÜRZEN ?Zum Buch von Petroski Henry, To Forgive Design.Understanding Failure, Cambridge MA, HarvardUniversity Press, 2012.

Arnaud TONNELÉ: DER NEUE SEZESSIONS-KRIEGZum Buch von Thierry Pech, Le Temps des riches –Anatomie d’une sécession, Seuil, 2011.

GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 11086

RÉSUMÉS ÉTRANGERS

MOSAIKE

AUF DER SUCHE

NACH THEORIEN

WIR HABEN

GELESEN

WIR HABEN

GELESEN

ANDERE ZEITEN, ANDERE ORTE

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GÉRER ET COMPRENDRE • DÉCEMBRE 2012 • N° 110 87

RÉSUMÉS ÉTRANGERSA NUESTROS LECTORES DE LENGUA ESPAÑOLA

DIARIOS INTERNOS, UN FUTURO INCIERTOGérald GAGLIO y Olivia FOLI

Los argumentos para detener la producción de diariosinternos impresos en las empresas son variados (coste,desinterés relativo de los empleados, etc.). A pesar deello, estos diarios siguen siendo publicados. En esteartículo se analizan las razones de esta supervivenciaimprobable a la luz de una encuesta realizada con losequipos de comunicación interna de las grandesempresas. Tras rastrear la génesis de este soporte, semuestra que los diarios internos representan un "ordenorganizativo", que llena un vacío de prescripción paralos comunicantes y reúne el consentimiento de los diri-gentes. Tres hipótesis complementan el análisis: losdiarios internos simulan el control en contextos cadavez más inestables, son el testimonio de una aparentearmonía entre las palabras y las acciones, y finalmenterefuerzan creencias dominantes (sobre los vínculossociales y la aceptación del cambio).

LAS ESTRATEGIAS JURÍDICAS Y DE MARKE-TING PARA LUCHAR CONTRA LOS FALSOSPATROCINIOSGerlinde BERGER-WALLISER, Björn WALLISER etFranck VALENCIA

Este artículo analiza las diversas formas de falsospatrocinios al igual que las medidas jurídicas y demarketing para contrarrestarlo. Ya sea en Francia,Alemania o los Estados Unidos, el arsenal jurídicocontra los falsos patrocinios, que se basa principal-mente en el derecho de marcas, el derecho contrac-tual y la lucha contra la competencia desleal es máseficaz en el caso de falsos patrocinios directos.Cuando la estrategia es más sutil, es difícil de lucharcontra ellos debido al principio de la libertad decomercio y la libertad de expresión.Por ello, es importante que los patrocinadores y losorganizadores de eventos contribuyan a la definicióndel problema. Dichos organizadores deben identifi-car y explotar plenamente los derechos adquiridos,reducir las categorías y niveles de patrocinio ydenunciar las acciones de falsos patrocinios para queel consumidor pueda distinguir la diferencia entreun patrocinador, un falso patrocinador y un simpleanunciador.

ENTENDER LAS AMBIGÜEDADES DEL COA-CHING, DESDE LA PERSPECTIVA DEL FUN-CIONALISMOJean NIZET y Pauline FATIEN DIOCHON

Frecuentemente el coaching profesional es conside-rado, tanto por sus analistas como por algunos actoresde campo, como una práctica ambigua, confusa y caó-tica. Estas características se perciben negativamente ydan lugar a discursos y artículos destinados a clarificarlos objetivos y las posiciones de los coaches, distinguirel coaching de otras prácticas de acompañamiento,como el counseling, el mentoring o incluso la forma-ción, etc. En el artículo se comparan estos intentos,que tratan de reducir o incluso eliminar las ambigüe-dades, con otros análisis que consideran estas caracte-rísticas como inherentes al coaching. Trataremos deaclarar estas características mediante el marco funcio-

nalista de Merton y mostrar, a partir del estudio de uncaso, que el coaching en general cumple varias fun-ciones, algunas obvias, otras latentes, otras incluso dis-funcionales. Con este enfoque las prácticas de coa-ching se caracterizan como una maraña de funcionesespecíficas. Concluiremos extendiendo esta hipótesis aotras prácticas de gestión, tales como la gestión de lacalidad.

GENEALOGÍA DEL TERMINO INNOVADORJean BÉHUE

Héroe natural de la sociedad de la innovación, elinnovador no deja de ser una figura que representarealidades diferentes que expresan las referencias cul-turales de los hablantes. Para aclarar la confusión, enel artículo se trata de reconstruir la historia de estapalabra en la lengua francesa a través de una explora-ción de los archivos de referencia de la BibliotecaNacional de Francia. Al mismo tiempo que se espe-cifican los vínculos entre el innovador y el pionero,el ingenio o la innovación, se trata de diferenciar dossignificados principales: el histórico, que, sobre todoen las artes y las ciencias, encarna al individuo por-tador de la chispa de la renovación, y el más contem-poráneo forjado por la economía, que se refiere a laorganización colectiva que tiene como objetivo ellucro. Por último, teniendo en cuenta el uso promi-nente que se hace hoy de la segunda definición y elriesgo real de no escuchar a quienes, a través del usode la palabra innovador, siguen haciendo referencia atodas aquellas personas que son la fuente de renova-ción, proponemos que adopten la variación lingüís-tica, tal vez más explícita, de innovador de ingenio.

¿SE PUEDE DECIR QUE LAS FILIALES OCCI-DENTALES IMPLANTADAS EN TÚNEZ TIENENUN COMPORTAMIENTO “ÉTICO”? Rym HACHANA

Adoptando un enfoque instrumental apoyado poruna estrategia cualitativa aplicada en once filiales deempresas occidentales que operan en Túnez, nuestroobjetivo es analizar el grado de cumplimiento de lasnormas éticas de los procesos de gestión de la plani-ficación, organización, dirección y control observa-ble en las filiales extranjeras basadas en Túnez.El análisis de contenido temático realizado gracias ala información colectada con 22 jefes de 11 filialesoccidentales implantadas en Túnez dio lugar a lacreación de una tabla con cuatro tipos de filiales: éti-cas, responsables, neutras y poco éticas. Esta tipolo-gía es el resultado de la combinación de dos paráme-tros: el grado de compromiso ético de la sociedadmatriz con sus filiales y el compromiso de la filialcon las normas éticas.

EL NEUROMARKETING, ENTRE CIENCIA YNEGOCIOBertille FOUESNANT y Alain JEUNEMAÎTRE

Las neurociencias estudian la forma en que los indi-viduos toman decisiones en situaciones de interac-ción. El neuromarketing propone, a su vez, aplicareste enfoque al diseño y la venta de productos. Sinembargo, ¿qué es exactamente esta perspectiva que

REALIDADES DESCONOCIDAS

LOS HECHOS LO DEMUESTRAN

LOS HECHOS LO

DEMUESTRAN

OTROS TIEMPOS, OTROS LUGARES

EN BUSCA DE

TEORÍAS

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reúne científicos que trabajan sobre el funciona-miento cerebral, consultores y empresas? ¿Puede pro-vocar un cambio radical en las formas de pensar porqué y cómo consumir?

UNA MITOLOGÍA DE LAS LUCESComentarios sobre el libro de Philipped’Iribarne, L’envers du moderneMICHEL MATHEU

¿Por qué la producción y el mantenimiento tienenrelaciones tan diferentes en las fábricas francesas yestadounidenses? ¿Por qué no se adoptan en todaspartes del mundo las políticas contra el paro que handemostrado su eficacia en el norte de Europa? ¿Porqué los franceses desconfían tanto del dinero y dequienes ganan mucho? En sus libros, Philipped'Iribarne ha dado respuestas a cuestiones tan diver-sas. A través de una entrevista, nos habla de su hiloconductor: una teoría de la modernidad como unmito.

Pierre-Jean BENGHOZI : LA EDAD DE LA MUL-TITUD, EMPRENDER Y GOBERNAR TRAS LAREVOLUCIÓN DIGITALComentarios sobre el libro de Nicolas Colin yHenri Verdier, L’Âge de la multitude, Entreprendre etgouverner après la révolution numérique, Ed.Armand Colin, 286 p., 2012.

Sylvie CHEVRIER : LA ADMINISTRACIÓNINTERNACIONAL, UNA PERSPECTIVAFRANCÓFONAComentarios sobre el libro de Ulrike Mayrhofer ySabine Urban, Management international. Des pra-tiques en mutations, Pearson, 2011.

Hervé DUMEZ : LOS MEGA-PROYECTOSComentarios sobre el libro de Flyvbjerg Bent,Megaprojects and Risk. An anatomy of ambition,Cambridge, Cambridge University Press, 2010.

Hervé DUMEZ :¿CÓMO ES POSIBLE QUE CIER-TOS PUENTES SE DESPLOMEN AÚN EN ELSIGLO XXI?Comentarios sobre el libro de Petroski Henry, ToForgive Design. Understanding Failure, CambridgeMA, Harvard University Press, 2012.Hervé DUMEZ

Arnaud TONNELÉ : LA NUEVA GUERRA DESECESIÓNComentarios sobre el libro de Thierry Pech, Le Tempsdes riches – Anatomie d’une sécession, Seuil, 2011.

RÉSUMÉS ÉTRANGERS

HEMOS LEÍDO

MOSAICOS

MOSAICOS

© 2012, ANNALES DES MINES Directeur de la publication : Serge KEBABTCHIEFFEditions ESKA, 12, rue du Quatre-Septembre 75002 Paris Imprimé en EspagneRevue inscrite à la CPPAP sous le n° 0614 T 85015 Dépôt légal : Décembre 2012

083-088 Résumés étrangers_Mise en page 1 05/12/12 11:17 Page88

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ANNALES DES MINES

RÉALITÉS INDUSTRIELLES

et

GÉRER & COMPRENDRE

et

RESPONSABILITÉ

& ENVIRONNEMENT

DEMANDE D ES P É C I M E N

Publié par

ANNALESDES

MINESFondées en 1794

F ondées en 1794, les Annales des Mines comp-tent parmi les plus anciennes publications éco-

nomiques. Consacrées hier à l’industrie lourde,elles s’intéressent aujourd’hui à l’ensemble de l’ac-tivité industrielle en France et dans le monde, sousses aspects économiques, scientifiques, techniqueset socio-culturels.

D es articles rédigés par les meilleurs spécialistesfrançais et étrangers, d’une lecture aisée,

nourris d’expériences concrètes : les numéros desAnnales des Mines sont des documents qui fontréférence en matière d’industrie.

L es Annales des Mines éditent trois séries com-plémentaires :

Réalités Industrielles,Gérer & Comprendre,

Responsabilité & Environnement.

Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines fait le point sur un sujet technique, un

secteur économique ou un problème d’actualité.Chaque numéro, en une vingtaine d’articles, pro-pose une sélection d’informations concrètes, desanalyses approfondies, des connaissances à jourpour mieux apprécier les réalités du monde indus-triel.

Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines pose un regard lucide, parfois critique,

sur la gestion « au concret » des entreprises et desaffaires publiques. Gérer & Comprendre va au-delàdes idées reçues et présente au lecteur, non pas desrecettes, mais des faits, des expériences et des idéespour comprendre et mieux gérer.

Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines propose de contribuer aux débats sur

les choix techniques qui engagent nos sociétés enmatière d’environnement et de risques industriels.Son ambition : ouvrir ses colonnes à toutes les opi-nions qui s’inscrivent dans une démarche deconfrontation rigoureuse des idées. Son public :industries, associations, universitaires ou élus, ettous ceux qui s’intéressent aux grands enjeux denotre société.

GÉRER & COMPRENDRE

RÉALITÉS INDUSTRIELLES

RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT

089 encart 2013 1/2_RI Novembre 2011 04/12/12 18:06 Page89

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8 numéros France Etrangerau tarif de :Particuliers � 171 € � 206 €Institutions � 215 € � 278 €

La plupart des premiers numéros de « GÉRER &COMPRENDRE » sont encore disponibles. N’hésitez pas à comman-der ceux qui vous manquent. Vous trouverez au sommaire des : N° 68• La France dans les deux processus de globalisation • Asymétriesd’information et organisation bancaire • La démocratie technique endébat – N° 69 • AXA, une croissance exponentielle • 2 300 ans avant lagestion • Le commis voyageur : mort d’un mythe ? – N° 70 •Comprendre le montage d’un financement sur projet • Les PME sont-elles créatrices d’emploi ? • René Bedenne : un fonctionnaire entre-preneur du social – N° 71 • Bertrand Collomb : de la recherche en ges-tion au management • Monastères d’antan et entreprises d’aujour-d’hui • Le juge, l’économiste et l’abonné – N° 72 • Groupes mafieux ouréseaux vertueux ? • La médiation, une compétence ingérable ? •Comment instiller l’esprit d’entreprendre ? • Travail collectif etgroupes transitoires – N° 73 • Entretien avec Jean-Daniel Reynaud • Laparticipation financière au XIXe siècle • Du dépeçage à l’assemblage :l’invention du travail à la chaîne • La professionnalisation dans lesorganisations associatives – N° 74 • Dossier « Les petits Modes desgrandes entreprises » • De la science des affaires aux sciences de ges-tion • Pour une histoire de la gestion de projet – N° 75 • Sciences degestion et expéditions polaires • Entretien avec Alain de Vulpian •Maintien de l’ordre et organisation • Sociologie d’intervention, socio-logie plastique – N° 76 • François Ceyrac, patron du social • Unhomme à tout savoit ? • Responsabilité sociale des entreprises • LeMINEFI en modernisation – N° 77 • Dossier : un débat électrique •L’invention de la mécanographie • L’influence internationale de larecherche en gestion française – N° 78 • Agir intentionnellementcontre ses valeurs • Des bureaux réels pour une entreprise virtuelle •Mobilité et gestion des carrières dans la recherche – N° 79 •Expérimentons, expérimentez ! • Université et entrepreneuriat • Lamédiation dans les relations professionnelles • Comment développerla performance collective ? – N° 80 • Michel Crozier, à contre courant• Nouvelles menaces et gouvernance • La femme objet d’innovation •L’enfer des boutons – N° 81 • La LOLF : outil de management oudogme écrasant ? • Gérer des chercheurs en entreprise • Financer laqualité des soins hospitaliers – N° 82 • Débat public et expertise •Globalisation et emploi • Edison contre Westinghouse • Quand laFrance découvre l’audit – N° 83 • Entretien avec André Bergeron •L’entreprise qui aurait pu ne pas être délocalisée • La construction dela concurrence – N° 84 • Les start-up ou l’art du tâtonnement • Lathéorie financière classique : une parenthèse de 50 ans ? • Des raisinset des hommes – N° 85 • Violence au travail et placardisation • Mafiauniversitaire et Mafia tout court • La Logan sur les pas de la 2 CV ? •Entretien avec Xavier Fontanet – N° 86 • L’Égypte et les experts • Laguerre des temps • Aventures chinoises de PME françaises – N° 87 •Le CNES et la sous-traitance • Genèse d’un entrepreneur social •Vauban et Taylor – N° 88 • La mort de Mobilien • Culture et pouvoirschez EADS • La méthode Triz et l’innovation • Surveiller les comp-tables – N° 89 • Commerce équitable et marketing • Ambiguïtés dessystèmes d’alerte éthique • Fraude et changements de gouvernance •Entretien avec Jean-Claude Rouchy – N° 90 • La boîte noire du licen-ciement pour motif personnel • Le côté sombre des projets • L’USArmy et l’US Navy face aux TIC • Max Pagès, L’électron libre de la psy-chosociologie – N° 91 • L’obligation de rendre des comptes – N° 92 •Retour sur la faillite de la Barings • Le modèle entrepreneurial del’Oréal • Valoriser la recherche publique – N° 93 • Comment gérer unnavire de haute mer ? • Philatélie : une passion et son marché •Gratitude et ingratitude – N° 94 • Trente années d’histoire de la pres-se économique • Comment promouvoir la chirurgie ambulatoire ? •L’Europe des masters en formation – N° 95 • Quand la psychosocio-logie fait son entrée dans l’entreprise • Viagra® : Création d’uneopportunité et performation d’un marché • PME : peut-on choisir dene pas délocaliser ? – N° 96 • En Chine, entre Guanxi et bureaucratiecéleste • Comment tenir compte de la subjectivité du manager en for-mation ? • Les accidents à l'atterrissage par mauvais temps – N° 97 •Rencontre avec un militant de la création d’entreprise • La quête éper-due du consensus : le complexe de Babel ? • Point de référence etaversion aux pertes : Quel intérêt pour les gestionnaires ? – N° 98 •Le stress des vendeuses dans un contexte de pays émergent : entremépris et marginalisation • Un organisme de santé… malade de «gestionnite » • Est-il dans l’intérêt d’un CV de « faire des histoires » ?– N° 99 • L’ultralibéralisme ennemi du management moderne ? –Territorialité et bureaux virtuels : un oxymore ? – La haute coutureaujourd’hui : comment concilier le luxe et la mode ? – ISSUE 100 : Areader’s eclectic collection of articles on management with a Frenchtouch – N° 101 • Les relations entre la production et la distribution :le cas du partage de la valeur ajoutée dans la filière laitière française• Dans la fabrique de la réglementation • Le vignoble bordelais et l’in-fluent critique américain Robert Parker – N° 102 • Management à dis-tance et santé au travail • La FIAT 500 : gestation et bilan d'une renais-sance • Le monde de la Défense : une nouvelle stratégie de dévelop-pement s’inspirant des méthodes agiles – N° 103 • L’iPad et la guer-re de la « maison numérique » • Génèse et gestion d’une crise : lemarathon de Chicago (Edition 2007) • Gestion d’une alliance avec unconcurrent (Options réelles et théorie des jeux) – N° 104 •L’investissement socialement responsable en France : opportunité de« niche » ou placement « mainstream» ? • Vers l’instauration d’uneculture du « droit à l’erreur » dans les entreprises innovantes • Crisede la motivation : pour un renouvellement de l’approche gestionnai-re – N° 105 • Gérer la déviance des clients – N° 106 • Le managementdu changement à l’épreuve de l’homéostasie des systèmes • Les jeuxde la gastronomie et de la négociation • La coopérative, un modèled’avenir pour le capitalisme ? – N° 107 • Les corps ne mentent pas.Une traversée éthique dans les technologies de la surveillance • «Jouer, ce n’est pas travailler » et autres stéréotypes en management• Un « éléphant blanc » : les grandes tables de logarithmes de Prony– N° 108 • La représentation managériale : Pour en finir avec la géné-ration Y • La coproduction de service : la prestation dyadique desguides de haute montagne • Le désenchantement du management deproximité – N° 109 • Dauphins et requins : Flipper, les dents de la meret Orca • L’industrialisation des soins et la gestion de l’aléa : le « tra-vail d’articulation » au bloc opératoire, déterminants et obstacles •Pourquoi les entreprises sont-elles désormais reconnues commesocialement responsables ?

UNE SÉRIE DES

ANNALESDES

MINESFONDÉES EN 1794

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