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    NOTE DE L'DITEUR

    Sij'ai prisla responsabilitdel'ditiondecemanuscritc'estparce quel'ouvrage que voici estndanslescirconstancesquevoici.

    Antoine Berman estmort quarante-neufans, le22 novembre 1991.Au cours des trois mois pendant lesquels a svi sa brutale maladie, il acritcelivre, nuitetjour,sansrelche.Ilcrivait surdescahiersd'colier,d'unecriturefineet prcise,suruncoindelatabledelasalle manger,entourdesesenfants,dans uneconcentrationextrme. l'hpital,ilnesecouchaitpas, transformantson lit enunetenduecouvertedelivresetde papiers.Amesurequ'ilavanait danssontravail,ilreprenaitsontextesurde nouveaux cahiers et medemandait dejeterlescahiers antrieurs.C'est sous cette forme quece livre est n dans sept cahiers d'colier, spirale, couverturecossaisebleu etrouge. Surla couverture ducahier7, unephotocopie encouleur, dcoupe et colle, d'un portrait de JohnDonne unvisagemaciet,d'aprsMichelDeguy maisjelecrois aussiune certaine ressemblance avec Antoine. Parfois Antoine me lisait des

    passagesqu'ilvenaitd'crire. Illefaisaitgalementpourdes amisqui luirendaientvisite, l'hpital, ou la maison. C'taient deslectures voixhaute maisje nesavaispas encore quel point cette voix rsonneraitdans lelivre. Lectures rptesde l'Introduction' , ou encore Pguy,Pasternak, Benjamin. Nousl'coutions, prisdanslavoixde l'critureetdans sa permanence. Les mots que nous entendions dmantelaient laforteressemdicale. Lepoten'estjamais malade.

    Mon corps, ce papier, ce feu2. Corps transmu en criture. Lepomeest peut-tre la seuleformed'criture avoir unevoix. Nonpasdanslesenso ilseraitfait pour tredit maisdans la manire dont leditdupomesefaitentendre. Est-ce causede cela, parla prsenceuniquede cettevoixdu pome,rsonancepuredel'critureessentielle,que,danslatristesse,lepomeestconsolation ? Au-deldesoppositionsdel'oralet de l' crit ily a la voix de l'criture. Ce livre, o nous entrane lapense heureuse et calme, premptoire et ouverte de son auteur, parcequ'ilest tout entierpris dansle rayonnementdu pomede Donne, a luiaussi une voix.

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    Parce que celivre estunacte d'criture il est lirecomme un livreachev. Acte singulier, irrversible, qui nous donne penser. La

    littrature [.]abienpouridalce moment [.]o "lavieportela mortetse maintientdansla mortmme"pourobtenird'ellela possibilitet lavrit de la parole'.. La mort [.]est l'extrme [.]. Qui disposed'elle disposeextrmementdesoi ,critBlanchot.

    Respectant l'intgrit du texte, letravail d'dition de cet ouvrage aseulement consist complterce qui devait l'tre quelques citationsmanquantesoudesnoteslaissesenblanc. L'auteurprvoyaitun chapitrede plus, peut-tre un pilogue (comme entmoigne un plan dactylogra-phi) et dans le cahier 5 six pagesblanches pourraient indiquer une

    lacune. Un seul chapitre celui qui traite de la traduction de Donne parAuguste Morel, crit sur des feuilles volantes tait inachev. Dansl' Introduction, l'auteur lui accordait une place entre l'analyse de latraduction de Philippe de Rothschild et celle d'Octavio Paz. Pourprserverla continuit du texte existant,le chapitre sur Morel a t placaprs l'analyse de la traduction de Paz, sans changer pour autant l' In-troduction .

    Il afallu galementmodifier la tabledes matires qui comportait desimprcisions ou des rptitions. L'auteur voulait-il diviser l'ouvrage en

    deux grandes parties (cf. leplan) ou en trois ? Laseconde solution atretenue elleplaceau cur dulivreles analysesdestraductionsde Donne.Deuxnotes onttajoutes, signales par un astrisque etplaces en

    basde page.

    JetiensremerciericiPierreLeyris ainsiqu'vanghlosBitsorispourl'aide qu'ils m'ont apporte.Je dois notre ami Pierre Leyris plusieurslectures claires etminutieusesdu manuscritet unedisponibilitde tousles instants. Grce vanghlos Bitsoris la plupart des rfrencesmanquantes ont pu treretrouves,etsesconseilstoujours justes ontguidl'dition du livre.

    JeremerciegalementClaire Miqueldontl'attentionporte la saisiedu manuscrit et lesnombreuses remarques onttprcieuses.

    Merci enfin Georges-Olivier Chteaureynaud et laSocitdesgensde lettres, Marie-Claude Bernage, Ccile Gaudin, Nathalie Savary,Michel Camain, Jean-Pierre Berman, Brigitte Fichot, Nella Melega,

    Rebecca Peyrelon, Vincent Orssaud, Paul Bensimon, Yves Bonnefoy.

    Isabelle Berman.

    1. Introduction "Pourune critique destraductions John Donne" ,publiepar Michel Deguy, dsjanvier 1992, in Po&sie, n59, Belin, Paris.

    2. M.Foucault,Histoiredelafolie l'ge classique,Gallimard,coll.Bibliothque desHistoires,Paris, 1972, Appendice 2, p.583.

    3. M. Blanchot citant Hegel in DeKafka Kafka, Gallimard, coll. Folio/Essais,Paris, p.35.

    4. Ibid., p. 133.

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    Isabelle

    Nicolas

    Alexandre

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    INTRODUCTION

    L'ouvrage quevoici estndanslescirconstancesquevoici.Depuis plusieurs annes (1985 exactement),je travaillais unlivre sur la traduction en France duXIV* au XVIIesicle, centrsurles figures de Nicole Oresme,Jacques Amyot,Joachim duBellay et Perrot d'Ablancourt. Mais le livre, comme on dit,tranait lapatte. Pourtoutes sortes deraisons,letempsmefaisaitdfautpour ytravailler continment.Par ailleurs,ilexigeait deslectures tendues de sources primaires et secondaires et, plusfondamentalement, une pntrationdesmondesdesxiv, XVIeet XVIIesicles qui n'allait pas de soi. Habiter l'univers duromantisme allemand, c'est--dire la fin duXVIIIesicle,m'avait

    t beaucoup plus ais. La remonte archologique versAmyot et a fortiori Oresme n'autorisait aucune intimit imm-

    diate. Nanmoins le livre avanait, lentement, anne aprsanne, nouvelle version, enrichie de nouvelles lectures, aprsnouvelle version. Mon impression d'ignorance, ou plutt, desavoir lacunaire, diminuait. Maisle travail accomplirrestaitconsidrable. Et le temps queje pouvais lui accorder toujoursaussi rduit. Par ailleurs, un sentiment tenace m'habitait ce

    livre serait-il la vraie suite de L'preuve de l'tranger ? Ne

    serait-il pas trop rudit, trophistorique ? En meposantcesquestions,jepensaisvidemmentauxlecteursdeL'preuvedel'trangerdont j'avaispuconnatre lesractions. N'attendaient-ilspas un autre livre quecelui queje prparais laborieuse-ment ? Il me le semblait parfois. Mais quel livre? Je n'avaisaucun autrelivreentte, dumoins pourl'immdiat.Enfin, toutcela taitme donner trop d'importance.

    Il y a un an, je dus entreprendre, pour l'universit, la

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    rdaction d'une synthse demes travaux sur la traduc-tion, c'est--dire de L'preuve del'trangeret desdivers textes et

    articles que j'avais publis depuis 1984, ou mme avant. Lencore, leschoses furent au dbut trs laborieuses. Synthti-ser L'preuve de l'tranger fut particulirement difficile. Maistout changealorsquej'en vins l'undeschapitresdelasynthseconsacr mes analyses de traductions. Dans mes sminai-res du Collge international de philosophie, j'avais fait beau-coup d'analyses de traductions, par exemple de La tche dutraducteur de Walter Benjamin, par Maurice de Gandillac, du

    Paradis perdu de Milton, par Chateaubriand, d'Antigone, parHlderlin, deL'nide, parKlossowski,d'uncontedeGrimm,par Armel Guerne et Marthe Robert, etc. Peu peu, encoreque de manire improvise et embryonnaire, s'tait bauche,sinon une mthode, du moins une forme d'approche destraductions. Pourmasynthse,j'avais choisiladernire analysefaite au Collge internationaldephilosophie (1989), celled'unpome deJohn Donne, l'lgie XIX Going to bed, un des plus

    beaux pomes d'amour queje connaisse. Dans mon smi-naire, je commentais l'lgie et la confrontais deux traduc-tions franaises (Yves Denis, Philippe de Rothschild) et unetraduction mexicaine (Octavio Paz).

    En reprenant le texte de mon sminaire et en cherchant l'adapter pour ma synthse, il se passa quelque chose d'im-prvu le chapitre en question se mit grandir, grandir,

    jusqu'au moment o il me devint clair que cette partie de lasynthse (intitule initialementLesanalysesde traductions )dsirait devenir un livre. Un livre qui tait la fois, ou restait,comme dans lasynthse, un ouvragesurla critiquedes traduc-tions, surle genre critiquedes traductions etun ouvrage surJohn Donne, ses traductions (anciennes) et sa (future, dsira-ble) retraduction.

    Tout alorssemit aller trsvite, etle livres'crivitdans une

    sorte d'impatience qui n'excluait cependant pas la patience de

    multiplesrcritures et detrs nombreuses lectures ou relecturesvenant tayerle travail d'criture. Dj, en avanant,je voyaisun certain nombre d'interlocuteurs, de lecteurs du livre, dont

    plusieurstaientd'ailleursmaintesfoisvoqusdanscelui-ci.Jen'crivais pas tant pour euxqu'aveceux.

    J'ai dit que l'ouvrage, tout en s'tant dsormais dploy

    comme ouvrage, tait restce qu'il tait dans lasynthse. Cela

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    renvoie sa division en deuxparties bien distinctes, la premiretant, tout fait acadmiquement, la propdeutique pistmo-

    logique de l'autre. Cette propdeutique, peut-tre utile, voirencessaire dans la synthse, n'tait pas obligatoire pour unouvrage surJohn Donne et ses traductions. Mais j'ai prfrlaisser leschoses telles qu'elles avaient t fixes initialement.

    La premire partie de l'ouvrage traite dela critique des traduc-tions, prsente comme l'un desgenres dela Critique, avec unC majuscule. Pour moi, la Critique, outre qu'elle reprsente

    une vritable institution, est relle dans les grands critiquesoccidentaux depuis le XVIIIe sicle, et surtout depuis le prefondateur de la critique moderne, Friedrich Schlegel auxxesicle, elle est relle pour moi avec des figures commeWalterBenjamin, LeoSpitzer, Hugo von Hofmannsthal, EzraPound, Boris Pasternak, Valery Larbaud, Maurice Blanchot,Roland Barthes, Grard Genette, Octavio Paz, Jorge LuisBorges, Hans Robert Jauss, Roman Jakobson, Jean Staro-

    binski, Giuseppe Ungaretti, Michel Deguy je cite ple-mlelesnomsquimeviennentl'esprit, mlangeantles plus grandsaux moins grands, ceux qui n'ont t que critiques etceuxqui ontt surtoutpotesou crivains, ceux qui ontvoulu tre scientifiques etceux pourlesquelsla critique appartenait aumouvement de leur propre oeuvre. Tous, avec passion etrigueur, ont crit sur d'autres uvres tous ont contribu btir ce grand difice de la Critique qui est au service desuvres, de leur survie et de leur illustration, et des lecteurs.

    partirdecesgrandesuvrescritiquesquejen'aicessdelire et derelire depuis trente ans, partir, surtout, de Schlegelet de Benjamin, je dessine dans cette premire partie lescontours d'une critiquedes traductions qui viendraitconstituerl'unedesailesde l'dificecritique.J'essaiede montrersonsens,sa ncessit et sa positivit.

    Mais cettecritiquen'existe-t-ellepas dj ? Etsouslesformeslesplus diverses ? Et sans doute depuis leXVIIIesicle? Oui etnon. Ilexistedepuisl'geclassiquedesrecensionscritiquesdetraductions, o critique signifiejugement (en langage kan-tien) ou valuation (dans le langage d'une moderne cole detraducteurs). Mais si critique veut dire analyse rigoureused'une traduction, desestraits fondamentaux, duprojet quiluia donn naissance, de l'horizon dans lequel elle a surgi, de la

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    position du traducteur; si critique veut dire, fondamentale-ment, dgagement dela vritd'une traduction, alorsil faut dire que

    la critique des traductions commence peine exister.Ce que l'on trouve le plus souvent, ce sont des analyses

    comparatives, produites dans lescontextes les plusvaris. Il yena beaucoup, qui vontdesplusnavesetdes plussimples auxplus fouillesettendues. Maisjustement parcequ'ellesappa-raissent dans des contextes d'criture chaque fois diffrents,elles n'ont pasde formespcifique. Elles ne nous aident donc pas constituer un genre.

    C'est ailleurs qu'il faut chercher, sinon des modles, dumoins des exemples consistants d'un tel genre. Il en est, dansl'tat actuel de mes connaissances, deux, qui produisent parconsquent deux formes d'analyses ou de critiques de traduc-tions.

    La premire estcelle qu'a inaugure, il faut ledire, HenriMeschonnic avecses fameux textes sur les traductionsde Celan,

    delaBible,deTrakl,etc. Cetteforme de critiqueaiciune formengative, et mme polmique, qui correspond ce que Benja-min a appel l'invitable moment ngatifde ce concept [decritique engnral] . Meschonnic,sansnuldoute, acrunevritableforme, liechez lui tout un difice thorique qui nenous concerne pas ici (potique, thorie du rythme, etc.).J'essaie de dgager la logique de cette forme et ses traitsfondamentaux je souligne sa positivit et, en mmetemps, ceque cettelogiquecomporte(peut-tre causedela personnalit

    mme de l'auteur) d'unilatral et, parfois, d'injuste au sein desajustesse mme.

    La seconde forme est celle que propose l'cole dite deTel-Aviv (Even-Zohar, Toury) qui dveloppe une smioti-que de la traduction elle-mme coiffe par une sociocritiquedes traductions, ou plutt de ce qu'elle appelle la littraturetraduite . C'est au sein de cetensemble sociocritique que l'ontrouve et des analyses de textes traduits, et une rflexionthoriquesur l'analyse detraductions. L'cole deTel-Avivn'est

    pas trop connue en France, mais ily a longtemps qu'elle a desadeptesailleurs, notamment enBelgique (Lambert, etc.) et auCanada (Brisset,etc.).Desemblables courants, quivisent une

    I. CMM~<

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    thorie culturelle dela traduction, sedveloppent aussi enAllemagne et en Autriche (Snell-Hornby, etc.) sans donner

    nanmoins lieu, que je sache, des analyses de traductionsstricto sensu.Dans l'ensemble, les analyses de l'cole de Tel-Aviv et de

    leursadeptesbelgeset canadienssont de type fonctionnalisteetdterministe elles cherchent tudier systmatiquement ceque Meschonnic se contente de dnoncer expditivement, savoir les idologies et les doxas qui marquent la pratiquetraductive etfontdes traductions cequ'ellessont. SiMeschon-

    niccritenmilitant, encombattant, nossmiologues/fbnction-nalistes,eux,seveulentdesobservateursneutresetscientifiques,de vrais traductologues. L encore, j'analyse les traitsfondamentaux de la forme d'analyse que l'on trouve, surtout,chez Toury et Brisset. L encore, le positifest soulign, et lengatifgalement.

    Voil pour les deux premiers chapitres de la premirepartie. Le troisime est consacr l'exposition de mon propre

    projetcritique,quiserclame,lui,del'hermneutiquetelleque l'ontdveloppe Paul Ricur et Hans Robert Jauss partir deL'treet le Temps de Heidegger. Demme que Meschonnic,pour sa potique, se rclame de noms comme Humboldt,Saussure, Benveniste de mme que Brisset se base sur diversdiscours smiologiques, sociologiques et structuralistes (Grei-mas, Foucault, Duvignaud, Jakobson, etc.), je me base, moi,surl'hermneutiquemoderne. C'est monchoix. L'hermneuti-que moderne, sous la formesobre qu'elle revt chez Ricur etJauss,me permet d'clairer monexprience de traducteur, de lecteurde traductions, d'analystede traductions et,mme, d'historiende la traduction.

    Mais mon analyse des traductions, tant etse voulant unecritique, sefondegalementsurWalterBenjamin, carc'estchezluiqu'on trouveleconcept lepluslevetle plusradical delacritique littraire et de la critique tout court. Non seule-mentBenjaminestindpassable, maisilestencore en avant denous. Nous ne cessons d'essayer de le rejoindre, comme enposie nous ne cessons d'essayer de rejoindreHlderlin, Hop-kins et Baudelaire.

    Hermneutique post-heideggrienne et critique benjami-nienne me servent donc ici expliciter et ordonner (nonsystmatiser) mon expriencede l'analysede traductions.

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    Commecette analyseest toujours et d'abord constituedelecturesetderelectures, montrajetcommence parlleslectures

    de la traduction, puis, bien spares de celles-ci, celles del'original. La dialectique propre ces lectures me mne l'auteurdu texte traduit, le fameux sujet traduisant dont tousles thoriciens dela traduction parlent sans parvenir mettrela main dessus. Cette partie s'intitule logiquement: larecherchedu traducteur . Elle n'a absolument rien desubjec-tif elleveutcertessavoir, etconcrtement,quiestletraducteur,mais surtout elle veut dterminer saposition traductive, sonprojet

    detraduction et sonhorizontraductif. Cestrois catgories hermneu-tiques sontlonguementetprcisment explicites.

    Aprs quoi,je passe l'analyse comparative dela traduc-tion et de l'original. Comment s'effectue la confrontation avec l'original ? Quelle est la forme langagire et scripturaire(textuelle ) de cette confrontation ? C'est--dire com-ment estcrite cette partie de la critique ? Question en vritcruciale, car bon nombredesanalyses de traduction existantes

    sont caractrises par leur touffeur, leur opacit, leurherm-tisme et leur langue de bois (smiotique au premier chef)mme,en partie,cellesdeMeschonnicetdeBrisset. Jeprsentequatre principes destins rendre la critique de traductionslisible et, si possible, captivante, ouvrante d'horizons la clart de l'exposition (pour reprendre l'expression deHlderlin),la rflexivit,ladigressivitet la commentativit (lecaractre de commentaire au sens traditionnel).

    Sil'analyse d'une traduction doittre aussi un jugementsurcelle-ci, etelle doitl'tre paressence (onn'est jamaisnaturelle-ment neutre face une traduction), quelle devra tre la based'un tel jugement? Existe-t-il une base non subjective, etsurtoutnon dogmatique, nonnormative, nonprescriptive, unebaseconsensuelledejugement ?J'essaiede montrerqueoui, qu'ily ena une, malgr lesoppositions desurface commecelle des

    partisansdela littralit et ceux dusens,

    oucelle (qui

    recouped'ailleurs l'autre) des sourciers etdesciblistes.Le chapitre suivant est consacr l'tude de la rception

    immdiate delatraduction. Ici,lacritique mdiatesepenche surlacritiqueimmdiate,cellequiareulatraductionsaparutioneta,partiellement,faonnsonimageauprsdes lecteurs.Pourchaque traduction importante (ou d'une uvre importante),cette critique immdiate est rassemble dans les dossiers de

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    pressedes maisonsd'ditions.L'analysedecesdossiersconstituetout un trajet passionnant, qui peut cependant difficilementvaloir comme une fin en soi.

    Le dernier chapitre dfinit les tches d'une critique pro-ductive (l'expression est de Schlegel) dans le domaine destraductions. Quand la traduction est bonne, excellente,grande, lacritiqueestproductiveenceque satcheestdereflter, de renvoyer au lecteurcetteexcellenceoucettegran-deur. Schlegelditpropos delacritiquepotique qu'elle

    voudra exposer nouveau l'exposition, donnerforme nouvelle cequia dj forme, [.]et l'uvre, ellelacompltera, la rajeunira, lafaonnera neuf2.

    Toutetraduction,commed'ailleurs touteuvre,a toujoursbesoind'treainsireflte, illustreausensdeDante 3.Lacritiqueest enson fond illustrative illumine par l'uvre ellel'illumine sontour (c'est pourquoiillui faut la clart del'exposition).Si la traduction est moyenne, insuffisante, laide, gauche, mauvaise,excrable,fausse, errone, aberrante, tousprdicatsimpressionnistes quiontleur vritet que l'analyse vrifie gnralement4, alors il ne faut pas secontenter, comme le fait Meschonnic, d'un simple travail dedestruction. Ilappartientaucritique,etd'clairerle pourquoide l'chec traductif (nous retrouvons l, d'une certaine ma-nire,nossocio-smio-critiques,mais sansleursconceptsetleur

    type de discours), etde prparer l'espacede jeud'uneretraductionsans faire le donneur de conseils. Cet espace de jeu estlui-mme pris dans un espace plus vaste, celui de la translationd'une uvre trangre dansune langue-culture. Cettetransla-tionn'advientpasqu'aveclatraduction.Elleadvientaussiparla critique et de nombreusesformesde transformations textuel-les (ou mme non textuelles) qui ne sont pas traductives.L'ensembleconstituelatranslation d'uneuvre. Ilya unedialectique

    entrelestranslationsnon traductiveset lestraductions. Onpeut

    2. In Walter Benjamin, Leconcept de critique esthtique dans le romantisme allemand,op.cit., p. 112.

    3. Par celaque nous nommons illustre nous comprenonsce qui, illuminant etillumin, rayonne, Del'loquencevulgaire, trad. F. Magne, LaDlirante, Paris, 1985,p. 30.

    4. la diffrence de prdicats comme brillant, lgant, magistral,beau oubelle,ilsnerefltent en gnralpas la doxaambiante,maisl'tre dutextetraduit.

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    considrer qu'une uvre n'est vraimenttransplante etimplante (ce qui neveut pasdire intgre, naturalise)

    que lorsqu'elle est traduite stricto sensu (et non, par exemple,adapte).Mais une traductionnese dploieet n'agit vraimentdans cette langue-culture que si elle est taye et entoure pardes travaux critiques etdes translations non traductives.

    son tour, la translation desuvres fait elle-mmepartied'un plus vaste ensemble de translations ou circulations(comme la revue Changele postulait) qui vont dans deux sensd'une certaine faon antagonistes celui de la communication, etpar consquent de l'humanit en tant que productrice decommunication (mot forg au XIV* sicle par Nicole Oresme,l'undesthoricienset praticiensde latranslatio studii mdivale),celui de la migration, et par consquentde l'humanit commeralit migrante, et migrante, mutante et mtissante. Entre lacommunication et la migration, il y a un autre ensemble quiconcerneaussila traduction, quiestlatradition,etl'humanitentant que productrice de traditionalit. Si la traduction est aucur de la communication, de la migration et de la tradition,celasemanifestehistoriquement,enOccident, parlefaitquesafigure appartient au rseau des mots latins fondamentaux detraditio, translatio, augmentatio, etc. La traduction occidentale esttraditionalisante, translative et augmentative. Et elle est,d'abord et surtout, chose latine, chose romaine. C'est Romequ'elle apris, ou commenc prendre, safigure propre, etpasseulement chez ceux qu'on cite sempiternellement, Cicron,Horace et saint Jrme5. C'esttoute laculturelatinequi, uncertain moment, et parce qu'elle tait fonde sur la traditio etl'augmentatio, est devenue translative. La chose tait sinouvelle,etimpliquaitun rapport lalanguesidiffrent, qu'iln'y avait pas encore de nom pour elle. Ainsi nous l'apprendLohmann, loin de tous lieux communs

    5. La vision que Nietzsche donne de la traduction Rome dans Le GaiSavoir(Gallimard, coll. Folio/Essais , Paris, 1985, p. 110), qui se rsume par autrefoisc'tait conqurir quede traduire, rejoint celle de saintJrme propos d'un autretraducteur romain Sedquasicaptivosensus insuam lingua victoris jure transposuit. Maisni la figure latine de la traduction ni la pratique de saintJrme ne se limitent unacte deconqute. LerapportdesRomains la traductionnesauraittrespardeleurlien la traditio,auxPresfondateurset la Grce. Encrivantque la romanitsedfinitengrande partieparuntraductionnismeconqurantetsansscrupules (Latraduction et la lettre ou L'auberge du lointain , in Les tours deBabel, Trans-Europ-Repress, Mauvezin, 1985, pp. 50-51),j'ai nettement pch par ignoranceet prjug.Dans celivre,j'ai reconnatre maintspchsde ce genre.

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    Le concept de traduction prsuppose la possibilit de l'identit decontenu dece quiest linguistiquement vis dansles diversesformes

    d'expression langagire. Ceconceptde traduction, pourtretout fait prcis, n'existe quedepuis Cicron, dans lescrits philosophi-ques et rhtoriques duquel nous assistons, d'une certaine manire, la naissance dece concept (qui reprsente un rapport entirementnouveau de l'homme au langage) [.]. Cela s'exprime, entre autreschoses, par le fait que Cicron ne dispose pas encore de conceptverbalement fix pour cette opration (il dit par exemple vertere,convertere, aliquid (latine) exprimare, verbum e verbo, adverbum exprimere,(graece,latine) reddere, verbumproverbo reddere.). Lelatin estdoncce

    lieu o ce nouveau rapport de l'homme au langage s'est d'abordform en Europe, ce pour quoi on peut le caractriser comme lapremire langue au sens strict du mot (c'est--dire une langue qui,pour ses locuteurs, est faite de termes non de paroles termes qu'onsereprsentcommetranscendant d'unecertainefaonleur sens et qui, par l, sont par rapport ce sens essentiellementconvertibles)6.

    In-nomme et pluri-nomme, latranslatio (mot fondamental

    delalatinit)taitpartout,etc'estunautreAllemand quinousl'a rcemment appris, FrederickM. Rener, dans son ouvragesur l'histoire de latraductionoccidentale,Interpretatio Languageand Translation from Cicero to Tytler', et ici il faut lire toutl'ouvrage pour s'en rendre compte. Il suffira seulement derapporter ce fait tonnant, quimontrel'extensionde l'esprit dela traduction Rome

    l'poquede la romanit tardive, les trois uvres deVirgile, LesBucoliques, Les Gorgiques, etL'nide, taientconsidres commedestraductions de trois potes grecs, Thocrite, Hsiode et Homredans cet ordre. Cette ide se trouve chez Aulu-Gelle, quand ilmentionne lescomdiesromainesquiont ttraduites ( versas )dugrec sumptas acversasde Graecis8[.].

    Plus originairement, les fameuses valeurs romaines, la

    fides,laconstantia,laseveritas,la gravitas,Vauctoritas9peuventtreelles-mmes considres comme les vertus cardinalesdu traduc-

    6. J. Lohmann, Philosophie undSprachwissenschaft, Dunker und Humblot, Berlin,1965, p. 15.

    7. d.RodopiB.V.,Amsterdam-Atlanta, 1989.8. Interpretatio Languageand Translation fromCicero\o Tytler,op. cit.,pp. 309-310.9. Cf. Arnaldo Momigliano,Sagesses barbares, Gallimard,coll. Folio/Histoire,

    Paris, 1991, p. 27.

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    teur en train de natre. Bien plus tard, Luther, l'ennemi de Rome, s'ensouviendra probablementen s'criant

    Ah Traduiren'estpasunartpour tout unchacuncommelepensentlessaintsinsenss il faut,pourcela, uncurvraimentpieux,fidle,zl,prudent,chrtien,savant, expriment, exerc'.

    Sans doute des flux de traductions nt-ils exist dans l'Anti-

    quit bien avant Rome il y a eu les traductions de l'espacemsopotamien,laBible desSeptante;etc.LaBibledesSeptanteatunvnement pourlesJuifs Maisildemeure quec'est

    seulement Rome, danslaRome paenne, puisdans laRomechrtienne (uneRomedanstousles casdomine parlareligio),que la traduction a pris forme, figure, stature, sinon encorestatut etnompropre. Lorsque Leonardo Bruni, au XVe sicle,crela forme renaissante dela traduction, qui estsapremire

    forme moderne avant celle du romantisme allemand, en crantsimultanmentlemotmme de traduction'2, illefait partirdela totalit rhtorico-grammaticale de la forme romaine de latraduction, alors que le Moyen ge n'avait retenu de cetteforme queletransfertde la sentence (dusens),la translatio

    10. Luther, uvres, tomeVI, LaboretFides, Genve, 1964, p. 198. L'allemanddit pourlesattributs ducur ein rechtlfrumltrewlvleissiglforchtsamlchristlichlgeleretlerfamjgebethertz inH.-H.S. Rkel, Diesacheselbs,der sprachenart,ein christlichhertz Lesprincipesd'unethorie dela traductionselonMartinLuther TTR,vol. 3,n2,universitduQubec Trois-Rivires, 1990,p. 93.Rkeltraduit,enordreinvers [.]un coeur habitu, expriment, renseign, chrtien, respectueux, dili-gent,fidle,pieuxetdroit. Neufattributs pourlecurtraductif loLaboretFidesn'en numrentquehuit, traduisantrechtlfrum par vraiment pieux au lieu dedroit/pieux. Rener, leseul prendreausrieux cettelistede qualits, dit Ilestimprobable que cettelistesoitde l'inventionde Luther. Ilestprobable queLutherautilisunematrice traditionnellequ'ila adapte sapropresituation. Destracesdelamatrice pouvant avoir servi de modle peuvent tre trouves dans le portrait del'orateur idal chez Quintilien {Interprtt Language and Translationfrom Cicero toTytler, op.cit.,p. 316).LawrenceHumphrey,danssonInterpretatiolinguarumseu derationeconvertendi et explicandiautores tantsacras quamprophanos (1559), demandeau traducteur,comme Luther, d'avoir fidelitas et religio (ibid., p. 320). Toutes les qualits dutraducteur, on le voit, sont romaines.

    11. Les livres sacrs taient devenus accessibles ceux qui s'intressaient aujudasme.Riennemontre cependantquelesGentils,d'unefaongnrale,aientjamaisconnu laBible c'taitdu mauvaisgrec. Aucunpote, aucun philosophehellnistiquene l'ajamais cite [.].Le texte des Septante demeura un bien exclusivementjuif

    jusqu'aumoment oles chrtiensl'adoptrent leurtour. Nousnesavonsmmepassil'ouvragefutdposdanscettegrandefondationdesPtolmesqu'taitlabiblioth-qued'Alexandrie (A.Momigliano,Sagesses barbares,op. cit.,pp. 103-104).

    12. Cf. mon article Tradition-translation-traduction, in Po&sie, n47, Belin,Paris, 1988.

    13. Pour les concepts mdivaux de translatio, translatio studii, etc., lire SergeLusignan, Parlervulgairement, Pressesde l'universitde Montral, 1986.

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    Ainsila traduction, en tantqueforme, n'estpoint du tout,comme on ne cesse de le rpter sottement, le plus vieux

    mtierdumonde.Pournous,Occidentaux,elleauneorigine,un lieu et un temps de' naissance. Hors Rome, il n'y a quebalbutiements, traductions pragmatiques, actes translatifs fer-ms, bref, tout ce qui alieu avant le Commencement 14.

    Nous, traducteurs,sommes etresteronsdes Romains,mmes'il nous faut lutter contre certains aspects de la romanit ennous mme si, dans une certaine mesure, ilnous faut devenirdesGrecs et des Juifs.

    Surcesconsidrationss'achvelapremiregrande partiedel'ouvrage.

    Laseconde partieestconsacre JohnDonneetses traduc-tions. On peut la considrer comme l' application de lapremire partie.

    Traiterde John Donne et de ses traductionsen France, c'estvoquerunesituation lamentable toutepersonnedsireusedelirele grandpoteanglais enestrduitealleren biblioth-queconsulterdesanthologies bilingues puises enlibrairie, etde toutes les manires insatisfaisantes. Il n'existe aujourd'hui (ma connaissance) que deux traductions accomplies et accessi-

    14. Ceciclaired'unjourdgrisantlespropossurle rleparadigmatiquede latraduction biblique etsur l'impens thologique dela traduction (J.-R. Ladmi-ral). Iln'ya pas lemoindrefondement historique ce typed'assertion latraductionbiblique, qui s'initie en effet avec saint Jrme, est en elle-mme dj une choseromaine,structureselonlafigureromainedelatraduction. Autrechoseestdedire quetoutetraductiond'uneuvre(quellequ'ellesoit Pindare, PlatonoulaBible) supposeunesprit,un coeur pntr dereligio saint Jrme,Oresme,Luther,Amyot,Perrotd'Ablancourt, A.W. Schlegel, Tieck, Hlderlin, Voss, Chateaubriand, Baudelaire,George, Celan, pour citer ple-mle, tous genres confondus, de grands traducteursoccidentaux,onttousun curreligieux (et peuimportelaconfession).Cela n'arienvoiravecdela thologie sculariser. Religieux,ici,n'est d'ailleurspaspensablesansthiqueet potique. Lecaur traductifestpotique, thique,religieux. Rilke aussiparlait propos du pote de cur exerc. En ce qui concerne le prtendu impensthologique, cf. J.-R. Ladmiral, Pourune thologie de la traduction, in TTR,vol. 3,n2, op. cit., p. 121. D'unefaongnrale, la traductionbiblique chrtienne,

    juiveou autre sedonne dernirement plus d'importancequ'ellen'ena. Certes, troisdesplusgrandes traductionsde l'histoirede l'Occidentsontdes traductionsdela Biblela Vulgate, l'Authorized Version et la Bible de Luther. Mais si ces traductions sontgrandes, c'est parce que ce sont de vritables ouvres. ct de ces trois Bibles-uvres, il ya descentaines (desmilliers?) de traductionsde la Biblequin'ontaucunintrt. Btirune thoriedelatraduction partir des problmes de latraductionbiblique n'a pasde sensparticulier. Elleest fonde cheznosscularisateurs surunereligion du Livre, du Livre unique dont onconnat leseffets nfastes. Cf. cetgard les remarques fondamentales deJ.-C. Bailly dans Leparadis du sens, Bourgois,Paris, 1988, pp. 62-66.

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