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Appendice 1 La flotte yougoslave face à l’invasion germano-italienne (1) La Marine Royale yougoslave au 1 er mai 1941 Navires et aéronefs La marine royale yougoslave comprenait, à quelques jours de l’entrée en guerre contre l’Allemagne et l’Italie, les navires opérationnels suivants (compte non tenu des unités fluviales) : * Croiseur léger (CL) : 1 Dalmacija, ex-allemand Niobe (lancé le 18 juillet 1899, acheté en 1925). Déplacement : 2 640 t. Vitesse : 20 n. Armement : 6 x 84 mm, 4 x 47 mm, 2 mitrailleuses. Utilisé comme navire-école. * Contre-torpilleurs (DD) : 4 (plus une unité en construction) – Classe « Dubrovnik » : 1 unité. Dubrovnik : entré en service en 1931. Conducteur de flottille. Déplacement : 1 880 t. Vitesse : 37 n. Armement : 4 x 140 mm, 2 x 84 mm, 6 x 40 mm, 2 x 12,7 mm, 6 x TL 533 mm (2 x III), 40 mines. – Classe « Beograd » : 3 unités, plus une en construction (le Split, sur cale aux chantiers de Kotor). Déplacement : 1 210 t. Vitesse : 38 n. Armement : 4 x 120 mm (2 x II), 4 x 40 mm (2 x II), 2 x 12,7 mm, 6 x TL 550 mm (2 x III), 30 mines. Beograd, entré en service en juin 1939. Ljubljana, entré en service le 23 septembre 1939. Coulé accidentellement le 24 janvier 1940, renfloué le 10 juillet suivant et réparé. Zagreb, entré en service en novembre 1939. * Torpilleurs (TB) : 6 Six unités ex-austro-hongroises, lancées entre 1913 et 1916, sur huit allouées à la jeune marine yougoslave à l’issue de la Première Guerre Mondiale (T 2 rayé dans des circonstances inconnues ; T 4 perdu par échouage en 1932). 240 t, 21 nœuds. Armement : 6 x 65 mm, 2 mitrailleuses, 2 x TL 450 mm. La marine austro-hongroise distinguait trois sous-séries suivant le chantier naval de construction : T pour Trieste, Stabilimento Tecnico ; F pour Fiume, Danubius ; M pour Monfalcone. Les T 1 à T 4 provenaient du chantier de Trieste, les T 5 à T 8 du chantier de Fiume (comme les Pergamos et Proussa grecs). T 1 (ex Tb 76T), lancé en 1913 ; T 3 (ex Tb 78T), lancé en 1914 ; T 5 (ex Tb 87F), lancé en 1915 ; T 6 (ex Tb 93F), lancé en 1915 ; T 7 (ex Tb 96F), lancé en 1916 ; T 8 (ex Tb 97F), lancé en 1916. * Sous-marins (SS) : 4 – Classe « Hrabri » : 2 unités. Déplacement : 975 t (surface)/1 165 t (plongée). Vitesse : 15,7/10 n. Armement : 6 x TL (tous à la proue) 533 mm (12 torpilles), 2 x 102 mm, 1 x 7,62 mm. Hrabri, lancé en 1927 ; Nebojsa, lancé en 1927. – Classe « Osvetnik » : 2 unités. Déplacement : 630/809 t. Vitesse : 14,5/9 n. Armement : 6 x TL (4 proue, 2 poupe) 550 mm, 1 x 100 mm, 1 x 40 mm. Osvetnik, lancé en 1929 ; Smeli, lancé en 1929. * Patrouilleur/yacht armé (PY) : 1 Bjeli Orao, entré en service en 1939. 570 t, 18 n. Armement : 2 x 20 mm, 2 mitrailleuses. Yacht royal en temps de paix, patrouilleur en cas de guerre. * Mouilleurs de mines (CM) : 6 Six unités de la classe « Galeb », ex-allemandes, datant des années 1917- 1919, achetées en 1920. 330 t, 15 n. Armement : 2 x 84 mm, 2 mitrailleuses, mines. Galeb ; Jastreb ; Kobac ; Labud ; Orao ; Sokol. * Dragueurs de mines (MS) : 6 – D 2 (ex Tb 36, ex Uhu). 80 tonnes. Bâtiment ex-austro-hongrois. Entré en service en 1886 comme torpilleur, reclassé comme dragueur de mines entre 1911 et 1913. Navire-école.

Appendice 1 La flotte yougoslave face à l’invasion germano ... · Perun, 3 400 tonnes. ... leur port d’attache par l’Axe. Les envoyés alliés ne purent que s’incliner devant

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Appendice 1

La flotte yougoslave face à l’invasion germano-italienne

(1) La Marine Royale yougoslave au 1er

mai 1941 Navires et aéronefs La marine royale yougoslave comprenait, à quelques jours de l’entrée en guerre contre l’Allemagne et l’Italie, les navires opérationnels suivants (compte non tenu des unités fluviales) : * Croiseur léger (CL) : 1 Dalmacija, ex-allemand Niobe (lancé le 18 juillet 1899, acheté en 1925). Déplacement : 2 640 t. Vitesse : 20 n. Armement : 6 x 84 mm, 4 x 47 mm, 2 mitrailleuses. Utilisé comme navire-école. * Contre-torpilleurs (DD) : 4 (plus une unité en construction) – Classe « Dubrovnik » : 1 unité. Dubrovnik : entré en service en 1931. Conducteur de flottille. Déplacement : 1 880 t. Vitesse : 37 n. Armement : 4 x 140 mm, 2 x 84 mm, 6 x 40 mm, 2 x 12,7 mm, 6 x TL 533 mm (2 x III), 40 mines. – Classe « Beograd » : 3 unités, plus une en construction (le Split, sur cale aux chantiers de Kotor). Déplacement : 1 210 t. Vitesse : 38 n. Armement : 4 x 120 mm (2 x II), 4 x 40 mm (2 x II), 2 x 12,7 mm, 6 x TL 550 mm (2 x III), 30 mines. Beograd, entré en service en juin 1939. Ljubljana, entré en service le 23 septembre 1939. Coulé accidentellement le 24 janvier 1940, renfloué le 10 juillet suivant et réparé. Zagreb, entré en service en novembre 1939. * Torpilleurs (TB) : 6 Six unités ex-austro-hongroises, lancées entre 1913 et 1916, sur huit allouées à la jeune marine yougoslave à l’issue de la Première Guerre Mondiale (T 2 rayé dans des circonstances inconnues ; T 4 perdu par échouage en 1932). 240 t, 21 nœuds. Armement : 6 x 65 mm, 2 mitrailleuses, 2 x TL 450 mm. La marine austro-hongroise distinguait trois sous-séries suivant le chantier naval de construction : T pour Trieste, Stabilimento Tecnico ; F pour Fiume, Danubius ; M

pour Monfalcone. Les T 1 à T 4 provenaient du chantier de Trieste, les T 5 à T 8 du chantier de Fiume (comme les Pergamos et Proussa grecs).

T 1 (ex Tb 76T), lancé en 1913 ; T 3 (ex Tb 78T), lancé en 1914 ; T 5 (ex Tb 87F), lancé en 1915 ; T 6 (ex Tb 93F), lancé en 1915 ; T 7 (ex Tb 96F), lancé en 1916 ; T 8 (ex Tb 97F), lancé en 1916. * Sous-marins (SS) : 4 – Classe « Hrabri » : 2 unités. Déplacement : 975 t (surface)/1 165 t (plongée). Vitesse : 15,7/10 n. Armement : 6 x TL (tous à la proue) 533 mm (12 torpilles), 2 x 102 mm, 1 x 7,62 mm. Hrabri, lancé en 1927 ; Nebojsa, lancé en 1927. – Classe « Osvetnik » : 2 unités. Déplacement : 630/809 t. Vitesse : 14,5/9 n. Armement : 6 x TL (4 proue, 2 poupe) 550 mm, 1 x 100 mm, 1 x 40 mm. Osvetnik, lancé en 1929 ; Smeli, lancé en 1929. * Patrouilleur/yacht armé (PY) : 1 Bjeli Orao, entré en service en 1939. 570 t, 18 n. Armement : 2 x 20 mm, 2 mitrailleuses. Yacht royal en temps de paix, patrouilleur en cas de guerre. * Mouilleurs de mines (CM) : 6 Six unités de la classe « Galeb », ex-allemandes, datant des années 1917-1919, achetées en 1920. 330 t, 15 n. Armement : 2 x 84 mm, 2 mitrailleuses, mines. Galeb ; Jastreb ; Kobac ; Labud ; Orao ; Sokol. * Dragueurs de mines (MS) : 6 – D 2 (ex Tb 36, ex Uhu). 80 tonnes. Bâtiment ex-austro-hongrois. Entré en service en 1886 comme torpilleur, reclassé comme dragueur de mines entre 1911 et 1913. Navire-école.

– Cinq unités de la classe « Malinska », toutes entrées en service en 1931. 125 t, 9 n. Armement : 1 x 47 mm. Malinska ; Marjan ; Meljine ; Mljet ; Mosor. * Vedettes lance-torpilles (MTB) : 10 – 2 unités type Thornycroft, entrées en service en 1927. 15 t, 40 n. Armement : 2 x TL 457 mm, 2 mitrailleuses. Chetnik ; Uskok. – 8 unités type Lürssen, entrées en service entre 1936 et 1939. 60 t, 33 n. Armement : 2 x TL 550 mm, 2 x 20 mm, 1 mitrailleuse, mines. Dinara ; Durmitor ; Kajmakcalan ; Orjen ; Rudnik ; Suvobor ; Triglav ; Velebit. * Ravitailleur d’hydravions (AV) : 1 Zmaj, entré en service en 1931. 1 870 t, 15 n. Armement : 2 x 84 mm (2 x I), 4 x 40 mm (2 x II). * Ravitailleur de sous-marins (AS) : 1 Hvar: navire marchand transformé, 2 650 tonnes. * Pétrolier (AO) : 1 Perun, 3 400 tonnes. ** L’aviation navale mettait en ligne 74 hydravions et avions, dont une quarantaine (tous des hydravions) pouvaient être considérés comme aptes au combat : 12 Dornier 22Kj (ou Do-H) 10 à 12 Dornier Wal (ou Do-W) 15 Rogozarski SIM-XIV 1 à 4 Rogozarski PVT (H)

Bases navales La marine yougoslave disposait de deux bases majeures : Kotor (Cattaro) et Sibenik (Sebenico), mais utilisait aussi d’autres ports. Il ne faut pas oublier que Pola, Fiume et Zara étaient alors des villes et des bases italiennes. Pour une meilleure compréhension du récit qui va suivre, il est nécessaire de décrire brièvement la base de Kotor ou, plus exactement, le complexe des Bouches de Kotor. Couvrant une superficie de 87 km2, celles-ci comprennent (en allant de l’Adriatique vers l’intérieur des terres) : – les Bouches au sens strict, soit le chenal d’accès faisant communiquer avec la pleine mer les quatre bassins intérieurs (profonds de 40 à 60 m). L’entrée en est délimitée au nord par la péninsule de Prevlaka, qui s’achève par la pointe d’Ostro, au sud par celle de Lustica, terminée par la pointe d’Arza. – un premier bassin : la baie de Topla ou golfe d’Herceg Novi (Castelnuovo), que le large canal de Kumbor fait communiquer avec le bassin suivant. – la baie de Tivat (Teodo), de forme triangulaire, qui est le bassin le plus vaste. – la baie de Tivat communique avec les bassins les plus à l’intérieur des terres par le détroit des Chaînes (Verige, stretto delle Catene), long de 2 km et d’une largeur minimale de 300 m. – les deux derniers bassins, les plus petits, sont les golfes de Risan (Risano) au nord-ouest et de Kotor au sud-est. Comme la marine austro-hongroise avant elle, la marine yougoslave exploitait largement les possibilités offertes par ce vaste port naturel. Si le mouillage principal de la flotte se trouvait dans le golfe de Kotor, devant la ville même, un autre point fort était Tivat (Teodo), où se trouvait l’arsenal. Tandis que les sous-marins, pour sortir plus rapidement, pouvaient stationner au plus près des Bouches mêmes, les forces légères utilisaient les petits ports, également plus proches de l’entrée des Bouches, de Djenovic (près d’Herceg Novi) et de Kumbor (sur le canal du même nom). Quant à l’aviation navale, elle n’avait pas moins de quatre hydrobases : deux sur le golfe de Kotor (Dobrota et Orahovac), une sur la baie de Tivat (Krtole) et une sur celle de Topla (Rose).

Ordre de bataille Sur le plan opérationnel, les navires dépendaient soit du commandement de la Flotte (de haute mer), soit du commandement de la défense des côtes, articulé en trois secteurs, nord (Selce), centre (Sibenik/Split) et sud (Dubrovnik/Kotor).

1. La Flotte 1.1. A Kotor (Cattaro) : 1ère division de torpilleurs : Dubrovnik (chef de division), Beograd, Zagreb, Ljubljana Division de sous-marins : ravitailleur Hvar (chef de division), Hrabri, Nebojsa, Osvetnik, Smeli Divers : CL Dalmacija ; TB T 1 et T 3 ; PY Bjeli Orao ; AO Perun 1.2. A Sibenik (Sibenico) : 2e division de torpilleurs : Velebit (chef de division) et les neuf autres vedettes lance-torpilles 3e division de torpilleurs : T 7 (chef de division), T5, T 6 et T 8, soit les 4 TB les plus récents

2. La défense des côtes 2.1. Secteur nord (Selce, golfe du Quarnaro) : AM Malinska 2.2. Secteur centre (Sibenik/Split): CM Galeb, Labud, Sokol; AM Mosor, Marjan 2.3. Secteur sud (Dubrovnik/Kotor): CM Orao (Dubrovnik), Jastreb et Kobac (Djenovic, Bouches de Kotor); AM Meljine, Mljet, D 2 (Kumbor, Bouches de Kotor)

3. L’aéronautique navale Les appareils déployés dans la zone des Bouches de Kotor devaient être les seuls à jouer un rôle notable. Il s’agissait des escadrilles suivantes : – 1er Groupe d’hydravions : 15 appareils de reconnaissance. 1ère escadrille (à Krtole) : 5 SIM-XIV ; 2e escadrille (à Rose) : 5 SIM-XIV, 5 divers. – 2e Groupe d’hydravions : 12 appareils de bombardement. 20e escadrille (à Orahovac) : 6 Dornier 22 ; 21e escadrille (à Dobrota) : 6 Dornier Wal.

(2) Une marine pour deux D’après l’article de Francesco Folcini publié dans le n°34 de la Revue d’Histoire

Méditerranéenne, Marseille, 1972 : « Un pays, une marine… deux nationalités – La flotte

yougoslave face à l’invasion germano-italienne ».

Des projets trop optimistes

A la suite de la rencontre du 27 avril 1941 entre Sir John Dill, Charles de Gaulle et le Général

Simovic, de discrets contacts furent noués entre les envoyés des amirautés britannique et

française et l’amirauté yougoslave, conclus par une réunion tenue le 1er

mai. Les participants

furent d’accord pour reconnaître que la situation stratégique et les possibilités d’agir

efficacement de la marine royale n’étaient pas enthousiasmantes. Certes, la marine

yougoslave pouvait envisager d’engager ses navires afin de ralentir la progression ennemie le

long des côtes dalmates. Mais, compte tenu de la supériorité aérienne italo-allemande, cela

confinerait au suicide. Pour la même raison, seuls les sous-marins seraient vraiment en

mesure d’agir offensivement, mais ils le feraient aussi bien depuis des bases alliées.

Les officiers britannique et français pressèrent donc leurs homologues d’imiter la conduite des

Polonais en septembre 1939 et d’établir sans tarder un plan d’évacuation précoce, sinon de la

flotte entière, du moins de ses meilleures unités. Cela serait d’autant plus aisé que, de ces

dernières, les principales (les quatre contre-torpilleurs et les quatre sous-marins) se trouvaient

déjà dans la plus méridionales des bases navales, Kotor (Cattaro). Il suffisait d’y regrouper

préventivement les autres bâtiments de quelque valeur.

Les Yougoslaves ne purent se résoudre à, dirent-ils, « déserter le champ de bataille au

premier coup de canon », arguant, non sans raison, que l’on accuserait les marins,

majoritairement croates, d’abandonner leurs frères serbes dans l’épreuve et que cela serait

politiquement contre-productif. Sans oser escompter de longs mois de résistance, comme en

1914-1916, ils espéraient bien disposer d’un délai évaluable en semaines. Aussi plaidèrent-ils

pour ne lancer l’ordre d’évacuation que lorsque la tournure des combats terrestres serait

devenue franchement mauvaise. De plus, cet ordre ne concernerait que les navires présents à

Kotor. Les autres bâtiments, placés sous l’autorité du commandement de la défense des côtes,

resteraient sur place pour combattre jusqu’au bout. Il allait sans dire qu’à Kotor ou ailleurs,

tous les bâtiments encore intacts qui ne pourraient partir seraient sabordés en cas de prise de

leur port d’attache par l’Axe.

Les envoyés alliés ne purent que s’incliner devant des propos qui paraissaient sensés. S’ils

avaient su à quelle vitesse le royaume des Slaves du Sud allait voler en éclats, ils auraient sans

doute insisté davantage pour une évacuation de Kotor dès les premières heures des

hostilités…

Dès le lendemain de cette rencontre, le haut commandement naval yougoslave arrêta un plan

d’évacuation concernant la quasi-totalité de la flotte de haute mer et ordonna en conséquence

un certain nombre de mouvements. La 2e division de torpilleurs (soit les dix vedettes lance-

torpilles) quitta Sibenik (Sebenico) pour Kotor, suivie du torpilleur T 8, qui avait besoin de

passer quelque temps à l’arsenal de Tivat (Teodo). Mais ce dernier ne fit que permuter avec le

T 1, qui vint de Kotor compléter la 3e division de torpilleurs. En effet, l’amirauté ne put se

résoudre à ne garder sous la main aucun bâtiment armé de torpilles. Puisqu’elle ne serait pas

de l’évacuation, la 3e division fut enlevée à l’autorité du commandement de la Flotte et

rattachée à celui de la défense des côtes. Celui-ci dut faire la part du feu en abandonnant le

secteur nord, isolé entre l’Istrie italienne et Fiume (aujourd’hui Rijeka) d’une part et Zara

(Zadar) de l’autre. Sibenik pouvant être la cible d’une attaque terrestre ou combinée italienne

lancée depuis Zara, il regroupa tous ses moyens à Split (Spalato). Seuls firent exception le

mouilleur de mines Jastreb et l’antique dragueur D 2, qui demeurèrent dans les Bouches de

Kotor.

D’après le plan d’évacuation originel, les 1ère

et 2e divisions de torpilleurs, rassemblant les

quatorze unités de surface les plus modernes et rapides, partiraient ensemble et gagneraient le

port de Patras ou tout autre port grec, tandis que la division de sous-marins (moins le

ravitailleur Hvar, trop lent) évacuerait isolément. Les contre-torpilleurs et vedettes lance-

torpilles marcheraient à 30 nœuds jusqu’à la hauteur de Corfou, de manière à permettre aux

vedettes d’aller bien au-delà de cette île avant d’être à court de carburant.

Dans un second temps, mue par un accès d’optimisme, l’amirauté ajouta au programme une

tentative d’évasion des navires pouvant donner 20 nœuds, ce qui incluait le croiseur

Dalmacija et les deux torpilleurs présents à Kotor (en supposant le T 8 sorti de l’arsenal, mais,

rappelons-le, les marins yougoslaves pensaient avoir du temps devant eux). Quelqu’un ayant

fait remarquer qu’il serait bon aussi de sauver le yacht royal Bjeli Orao, non tant pour sa

valeur militaire, assez réduite, que pour sa valeur symbolique1, on finit même, pour ne pas le

faire partir seul, par fixer la vitesse du « groupe lent » à 18 nœuds, vitesse maximale de ce

bateau presque neuf (1939). Pour renforcer les chances de succès de ce groupe, on prévit de

lui adjoindre comme escorte quatre des vedettes de type Lürssen.

Compte tenu de ces modifications, le plan définitif prévoyait, au jour J, le départ à 18h30 du

« groupe lent », fort de huit bâtiments, de façon à ce qu’il soit à 02h30 du jour J+1 à la

hauteur d’Otrante et 4 heures plus tard environ à celle de Corfou, avant de rejoindre Patras

1 D’autant plus que son nom, “Aigle (Orao) Blanc (Bjeli)”, faisait référence à l’aigle héraldique des armes

royales.

vers 13h45. Le « groupe rapide », réduit à dix unités, partirait à 21h30 pour rejoindre le

« groupe lent » au moment de la traversée du canal d’Otrante puis, le laissant derrière lui,

doubler Corfou peu après 04h30 et, ayant réduit l’allure à 25 nœuds, arriver à Patras un peu

avant 10h00. Les sous-marins partiraient les derniers et navigueraient individuellement. Ces

horaires fixés pour le mois de mai seraient révisés et ajustés en fonction de la date, et donc de

la saison, de départ. Les événements allaient mettre en pièces ce bel échafaudage…

Le calme avant la tempête (1)

Hormis quelques alertes aériennes dues au survol de ses bases par des appareils de

reconnaissance ennemis opérant en toute impunité (l’aéronavale n’avait pas de chasseurs et

l’aviation terrestre était bien trop occupée ailleurs), le 4 mai, première journée de guerre, se

passa sans incidents notables pour la marine yougoslave. Elle put donc mettre en place les

mesures défensives prévues, notamment les patrouilles aériennes chargées de faire la chasse

aux éventuels submersibles italiens.

A Kotor, la division de sous-marins gagna, avec son ravitailleur, l’entrée des Bouches. Dès

l’après-midi, elle commença à tenir, par roulement, un sous-marin aux aguets entre les

Bouches et Dubrovnik (en plongée de jour, en surface de nuit), un autre à une heure

d’appareillage et un troisième au repos. Quant au dernier, le Smeli, il partit à la tombée du

jour pour une mission de reconnaissance le long des côtes albanaises jusqu’à Durazzo

(aujourd’hui Dürres) et si possible Valona (auj. Vlorë) : le renseignement primant, il ne devait

pas attaquer le trafic ennemi avant d’être sur le chemin du retour et encore la cible devait-elle

en valoir la peine.

Le même soir, les cinq mouilleurs de mines de Split sortirent pour poser des champs défensifs

de Sibenik aux îles de Vis et Korcula. Le Jastreb en fit autant à partir de Djenovic, plaçant ses

engins devant Dubrovnik et l’île de Mljet. Tous rentrèrent à bon port.

Le calme avant la tempête (2)

Le 5 mai à Kotor fut presque une nouvelle journée d’attente, si ce n’est que la 20e escadrille

d’Orahovac fut rejointe par la 25e escadrille venue de deux bases proches de Sibenik

2 avec six

autres Dornier 22. Les deux formations réunies entreprirent, le jour même et les suivants,

quelques vols offensifs contre l’Italie et l’Albanie.

Dans la journée, un appareil de la 20e escadrille aperçut un sous-marin – évidemment italien –

en surface, et le força à plonger.

Le soir, le Jastreb compléta son travail de la veille en posant des mines en protection des

Bouches de Kotor elles-mêmes. Mais devant Durazzo, en remontant à l’immersion

périscopique, le Smeli fut aperçu sous l’eau par un hydravion Cant Z.506B en patrouille : le

bombardement qui s’ensuivit le secoua assez rudement pour le contraindre à prendre le

chemin du retour. Ayant pu échapper aux forces de surface sorties de Durazzo, il rentra dans

les Bouches le 6 au matin et fut aussitôt admis à l’arsenal de Tivat pour plusieurs jours de

réparations.

La mésaventure du Smeli illustrait en fait la ligne de conduite adoptée par les Italiens à l’égard

de la marine yougoslave. Ils entendaient d’abord éviter tout bombardement inutile des ports

dalmates, même militaires, qu’ils espéraient occuper voire annexer sous peu, et avaient réussi

à convaincre sur ce point les Allemands. Vu l’état d’esprit des Croates, les Italiens

escomptaient bien aussi mettre la main sur le plus grand nombre de bateaux possible. Les

ordres donnés à la Regia Marina et à la Regia Aeronautica étaient donc de ne pas attaquer les

navires yougoslaves à moins qu’ils ne montrassent une attitude hostile (ce qu’avait fait le

Smeli). La définition d’une « attitude hostile » englobait bien sûr la tentative de fuite vers la

2 Sur l’île de Krapanj et dans la baie de Jadrtovac.

Grèce.

La rébellion (1)

Les choses se précipitèrent le 6 mai. Par une de ces transmissions spontanées propres aux

temps troublés, commença à filtrer, tant à Split qu’à Kotor, la nouvelle de la mutinerie des

soldats croates de la 4e Armée. Or, les responsables de la marine yougoslave ne nourrissaient

guère d’illusions. Les marins croates n’étaient pas tous des partisans des Oustachis et ne

rêvaient pas d’une annexion par l’Italie ou d’une occupation allemande. Mais ils étaient

majoritaires dans les équipages et la mutinerie de l’armée ne pouvait que contaminer à terme

leurs unités et les réduire à la paralysie. L’ordre d’évacuer Kotor et de gagner un port grec fut

donc donné pour le lendemain 7 mai. Il agit comme un révélateur des tensions sous-jacentes.

Certains officiers croates se voyaient bien servir dans la marine d’un état croate indépendant

(oubliant un peu vite que l’Italie serait plutôt encline à supprimer toute concurrence dans la

Haute-Adriatique). Ils agitèrent donc en sous-main les sous-officiers et matelots sur lesquels

ils pensaient pouvoir s’appuyer. En peu de temps, ils parvinrent à improviser une action afin

d’empêcher le départ de la flotte.

En revanche, les hydravions continuaient de remplir leur mission. Un nouveau sous-marin (à

moins que ce ne fût le même, obstinément revenu à son poste) fut aperçu et attaqué par un

Dornier Wal de la 21e escadrille de Dobrota. Des traces huileuses ayant été observées à la

surface après l’attaque, l’équipage du Wal se vit accorder un sous-marin “probable”. En fait,

le Narvalo, vétéran des opérations de la Méditerranée orientale et du Dodécanèse, put rentrer

à Brindisi légèrement endommagé.

La rébellion (2)

Pour mieux comprendre ce qui va suivre, précisons la position au matin du 7 mai des navires

qui devaient essayer de gagner la Grèce. Des vingt-deux navires prévus pour tenter l’aventure,

deux (le torpilleur T 8 et le sous-marin Smeli) étaient en réparations à l’arsenal de Tivat : si le

cours des événements le permettait, ils pourraient ultérieurement tenter leur chance isolément.

Les trois autres sous-marins étaient dans les Bouches avec leur “nourrice”, le Hvar, qu’ils

allaient laisser derrière eux. Les dix-sept unités restantes étaient toutes regroupées dans le

golfe de Kotor et devraient donc franchir le détroit des Chaînes pour s’échapper.

Le 7 mai en milieu de matinée, ces navires eurent à peine commencé à se préparer à

appareiller pour gagner la baie de Topla, où ils devaient attendre leurs heures respectives de

départ définitif, que des incidents techniques “fortuits” se multiplièrent : surchauffe ici,

pannes électriques là, ennuis de guindeau là-bas, il semblait ne plus y avoir un bâtiment intact

en rade. Quelques bâtiments purent cependant mettre en route et se diriger vers le détroit des

Chaînes. Ils eurent la surprise d’en trouver l’entrée partiellement obstruée par le ravitailleur

de sous-marins Hvar, lequel, quoique n’étant pas censé quitter son poste avancé des Bouches,

était bien là sous leurs yeux, fâcheusement au sec. Il restait cependant un passage suffisant, où

le vieux croiseur Dalmacija, qui ouvrait la marche, s’engagea résolument… pour aller

s’échouer à son tour. Ces deux échouages, très certainement concertés, bloquèrent toute issue

aux navires qui avaient échappé à l’épidémie d’avaries ou tenté d’y passer outre. La base de

Kotor se retrouva alors au bord de la guerre civile, entre les marins désireux de rejoindre les

Alliés pour continuer à combattre et ceux voulant régler d’abord les affaires internes du futur

ex-royaume de Yougoslavie, aidés de ceux qui désiraient simplement rentrer chez eux. On fut

à deux doigts du drame quand le contre-torpilleur Zagreb, place forte des loyalistes, pointa ses

canons sur le Dalmacija pour dissuader son équipage d’en aggraver la situation et se retrouva

aussitôt sous la menace des tubes lance-torpilles du torpilleur T-3 et de la vedette Uskok. Par

chance, il ne s’agissait pas d’un affrontement entre Serbes et Croates, mais d’une situation

plus complexe, où des Croates se trouvaient dans les deux camps.

La scission

Pour calmer le jeu et faire préférer les négociations aux horions, il se trouva un homme

providentiel en la personne du commandant du Bjeli Orao, le capitaine de corvette (Kapetan

Korvete) Janko Curkovic : on ne devient pas commandant du yacht royal sans ajouter à de

souhaitables qualités de marin de tout aussi souhaitables qualités diplomatiques. Le

commandant Curkovic parvint à convaincre ses confrères de s’asseoir autour d’une table et

d’examiner posément les options possibles. Au terme de plusieurs heures de discussions

animées, lui-même et quelques autres firent prévaloir la voix du bon sens. Les nouvelles du

front, pour autant que l’on pût parler de front, montraient que le royaume de Yougoslavie était

militairement perdu et qu’il ne tarderait sans doute pas à l’être politiquement (le départ du

gouvernement des ministres croates s’était su à Kotor). Certes, l’Allemagne et l’Italie avaient

pris la main dans les Balkans. Mais Grecs, Français et Britanniques tenaient bon. La

résistance française, poursuivie depuis l’été 1940 à partir de l’Empire, la conquête de toute

l’Afrique par les Alliés et bien d’autres signes encore indiquaient clairement que cette guerre

n’était pas finie. Les Serbes avaient choisi leur camp, mais pourquoi ne serait-il pas bon pour

la Croatie que ses fils eussent un pied de chaque côté…

Il fut donc décidé de laisser les hommes libres de leur choix. En fonction du nombre

d’officiers, sous-officiers et hommes d’équipage choisissant de poursuivre le combat, on

déterminerait combien de navires pourraient tenter l’évasion vers la Grèce. Quant aux autres,

afin de satisfaire les loyalistes qui ne voulaient pas les voir tomber aux mains des Italiens, les

scissionnistes leur promirent qu’à Kotor comme à Split (tenue au courant des événements), ils

seraient rendus inutilisables pour longtemps. En fait, parmi les hommes qui allaient rester,

l’espoir de voir naître une marine croate allait l’emporter sur la crainte des Italiens.

A l’heure des comptes, il se trouva assez d’officiers et de matelots pour permettre le départ

des quatre contre-torpilleurs, avec des équipages réduits de 30% (nul ne fut assez naïf pour

prétendre que la Regia Marina ne ferait pas tout pour s’en saisir), de deux sous-marins sur

quatre et de quatre vedettes lance-torpilles de type Lürssen sur huit. Quant aux sous-marins, il

fut aisé de savoir lequel accompagnerait le Nebojsa, volontaire pour le départ : le Smeli était

encore indisponible pour quelques jours et l’Osvetnik, trop bien endommagé le matin même,

devait le rejoindre à l’arsenal ; ne restait donc que le Hrabri. Pour les vedettes lance-torpilles,

en revanche, si les Durmitor et Kajmakcalan étaient volontaires pour tenter l’aventure, il

fallut tirer au sort les deux autres bateaux chanceux (ou malchanceux, suivant le point de

vue) : le hasard désigna les Orjen et Suvobor. Il restait encore à défaire tout ce qui avait été

fait pour empêcher le départ : réparer toutes les avaries volontaires et dégager l’entrée du

détroit des Chaînes de l’un au moins des bâtiments qui l’obstruaient. L’heure très avancée fit

repousser ces travaux au lendemain.

L’accord conclu pour la flotte avait été étendu à l’Aéronavale : là aussi, liberté de choix avait

été laissée aux hommes. Les trois quarts des équipages des Dornier 22 des 20e et 25

e

escadrilles (9 sur 12) choisirent de partir, de même que six équipages de Rogozarski SIM-

XIV sur dix. Néanmoins, tous les hydravions devraient d’abord assurer la défense de Kotor et

de ses abords jusqu’au départ des navires avant de tenter eux-mêmes de s’échapper.

Des yeux ennemis vous regardent…

Le 8 mai, malgré la concorde provisoirement retrouvée, vérifier soigneusement l’état des

navires qui devaient partir et procéder à quelques essais sur les plans d’eau des golfes de

Kotor et de Risan prit du temps. Surtout, dégager les Hvar et Dalmacija de leur mauvaise

posture fut plus long qu’espéré, car les conjurés avaient pris soin, dans la nuit du 6 au 7,

d’envoyer les plus puissants remorqueurs à Tivat. L’on choisit de ne déplacer que le croiseur,

mais, pour que les remorqueurs restés du bon côté du détroit arrivassent à un résultat, il fallut

commencer par alléger drastiquement le bâtiment. Et aussi, son équipage n’ayant pas fait les

choses à moitié en l’échouant, aveugler provisoirement la superbe voie d’eau qui mettait sa

survie en péril. Finalement, le croiseur put être remorqué avec précaution jusqu’à l’arsenal.

De fil en aiguille, il apparut plus raisonnable de remettre le départ au lendemain 9 mai de

façon à permettre aux équipages, éprouvés par deux jours de dures tensions, de prendre

quelque repos. La chose valait également pour les deux sous-marins, qui avaient eu leur lot

d’essais à accomplir avant d’être définitivement reconnus aptes au départ.

Mais les événements des 7 et 8 mai n’avaient pas échappé aux Italiens. Dans cette zone jadis

soumise à la République de Venise (c’était “l’Albanie vénitienne”) et où une partie de la

population parlait encore le dialecte vénitien, leurs services secrets n’avaient pas eu de mal à

recruter des agents prêts à aider l’Italie, pour la plupart par conviction irrédentiste (il en allait

d’ailleurs de même en d’autres lieux de la Dalmatie). Dûment équipés de moyens de

transmission modernes (Marconi n’était-il pas une des gloires de l’Italie ?), ces agents

pouvaient au jour le jour tenir Rome, et notamment Supermarina, au courant. Bref, les Italiens

s’étaient frotté les mains au soir du 7 mai. Le 8 mai les fit déchanter. Ils avaient néanmoins

prévu de longue date quelques parades.

L’une d’elles, l’envoi de sous-marins aux aguets devant les Bouches de Kotor, avait déjà fait

long feu. Deux sous-marins avaient été chassés par les hydravions yougoslaves et un

troisième, envoyé patrouiller de nuit, avait failli périr dans le champ de mines mouillé par le

Jastreb.

Restaient deux possibilités.

Tout d’abord, une attaque aérienne au moment où les navires yougoslaves seraient rassemblés

au plus près de la sortie des Bouches (ce qui éviterait de toucher la ville de Kotor et, de plus,

la DCA serait moins dense) : en l’absence de tout chasseur yougoslave, les Cant Z.506B du

86e Groupe BM déployés à Durazzo

3 feraient l’affaire, aidés par des Heinkel 111 de la

Luftwaffe.

Ensuite, le recours à l’une des spécialités de la Regia Marina : les MAS, qui lanceraient une

attaque nocturne à l’endroit le plus propice. Après discussion, il fut décidé de monter non pas

une, mais deux embuscades. La première dans le canal d’Otrante, la seconde un peu au nord

de Corfou : arrivés presque en vue du salut, les équipages yougoslaves baisseraient peut-être

leur garde. Quatre MAS (les MAS-540, 541, 451 et 452, de la 3e escadrille) furent donc

envoyées à Otrante, tandis que quatre autres (les MAS-522 et 523, de la 11e escadrille, et les

MAS-536 et 537, de la 16e) devaient opérer de Valona.

Bombes sur Kotor

Les plans d’évacuation yougoslaves en étaient pratiquement revenus au projet initial de

l’amirauté, si ce n’est qu’en l’absence de tout groupe “lent”, il n’y avait plus que dix

bâtiments concernés au lieu de dix-huit. Les huit navires de surface sortiraient des Bouches à

21h30 et, marchant à 30 nœuds, fileraient en droite ligne vers Corfou. Les deux sous-marins

partiraient peu après, chacun suivant sa propre route vers la Grèce.

Dans journée du 9 mai, le ciel de Kotor fut sillonné par des avions de reconnaissance

adverses, qui parfois s’attardaient tout en se tenant hors de portée de l’artillerie antiaérienne.

En contrepartie, les Dornier Wal et Dornier 22 disponibles menèrent par roulement d’actives

patrouilles, sans apercevoir cette fois de sous-marin ennemi.

A 16h00, les quatre contre-torpilleurs, précédés des quatre vedettes, entrèrent sans encombre

dans le détroit des Chaînes et se dirigèrent à petite vitesse vers la baie de Topla. S’ils ne

3 Rattaché au 35

e Stormo de Bombardement Maritime (BM), ce Groupe, composé des 190

e et 191

e escadrilles,

avait été redéployé de Brindisi à Durazzo aussitôt les Grecs et Britanniques repoussés par la contre-attaque de

Rommel. Les effectifs des deux escadrilles, éprouvées dans les combats d’avril 1941, avaient été complétés dans

les tout premiers jours de mai : chacune alignait six machines.

disposaient pas d’aviation de chasse, les Yougoslaves avaient établi sur les hauteurs proches

et lointaines entourant Kotor (tel le Mont Lovcen, devenu célèbre pendant la guerre

précédente) un dense réseau de guet aérien. Celui-ci fonctionna efficacement et repéra d’assez

loin deux groupes d’avions, venant de deux directions différentes, qui convergeaient vers

Kotor. L’alerte fut aussitôt donnée. Elle atteignit l’escadre alors qu’elle venait de s’engager

dans le canal de Kumbor. Pour les vedettes lance-torpilles, il n’y avait guère de problèmes :

elles allaient pouvoir manœuvrer à pleine vitesse, même dans le canal. Au contraire, les

contre-torpilleurs non seulement avaient besoin d’un plus long laps de temps pour accroître

leur vitesse, mais ne pouvaient courir le risque d’être bombardés dans cette voie d’eau

relativement étroite. Il leur fallait atteindre des eaux libres avant que les bombardiers ne

fussent là : exécutant un spectaculaire tête-à-queue, ils choisirent de retourner vers la vaste

baie de Tivat, suivis par les vedettes qui entendaient les appuyer de leurs armes légères. Quant

aux sous-marins Nejbosa et Hrabri, ils se contentèrent de plonger dans la baie jouxtant la

pointe d’Arza, en espérant que l’ennemi n’aurait prévu que des bombes classiques.

Il restait aux Yougoslaves une dernière carte à jouer, testée de longue date dans les

simulations d’attaque aérienne des Bouches de Kotor : envoyer les SIM-XIV de

reconnaissance et les Do 22 disponibles (respectivement 8 sur 10 et 6 sur 12) jouer les

chasseurs et perturber l’attaque ennemie. A peu près incapables de nuire à des Heinkel 111

avec leurs faibles vitesses maximales et leur armement étique4, ces hydravions avaient une

petite chance contre des congénères. Or, le guet avait annoncé que le groupe venant du sud-est

semblait être composé d’une douzaine d’hydravions. On les dirigea donc contre les Cant

Z.506B, qui d’ailleurs étaient les premiers à arriver. Les aviateurs yougoslaves firent de leur

mieux et, sans obtenir de victoire ni perdre d’appareil (mais il y eut un mort et quelques

blessés parmi les équipages), ils parvinrent à rompre la formation italienne, endommageant

même trois appareils qui durent se débarrasser de leurs bombes. Seuls neuf Cant purent

bombarder, individuellement. Cependant, au prix de deux appareils abattus par la DCA des

navires et de la base de Krtole, les résultats ne furent pas négligeables. Une bombe destinée au

Beograd, manquant assez largement sa cible, ouvrit une voie d’eau dans la coque de la vedette

Durmitor qui le suivait comme son ombre, tirant furieusement de ses pièces de 20 mm : son

équipage n’eut que le temps de l’échouer à l’entrée de la baie de Krtole. Surtout, l’un des Cant

réussit, en prenant de tels risques qu’il fut abattu, à placer sur le Dubrovnik une bombe qui

pénétra dans la chaufferie, causant de lourdes pertes humaines et contraignant le bâtiment à

réduire fortement sa vitesse. Le grand contre-torpilleur offrit ainsi une cible plus aisée à la

quinzaine de Heinkel 111 qui attaquaient à leur tour. Un coup direct entre ses cheminées

alluma un violent incendie au centre, un autre dévasta sa passerelle et plusieurs explosions

proches lui causèrent de fortes voies d’eau. Le dernier officier valide sur la passerelle, un

jeune Porucnik Fregate5, choisit d’aller l’échouer sur l’île San Marco. Pendant que se jouait

ce drame, les trois autres contre-torpilleurs et les trois vedettes restantes zigzaguaient de leur

mieux au milieu des gerbes. Tout cela n’alla pas sans dégâts : des bombes tombées fort près

criblèrent d’éclat les Zagreb et Ljubljana et firent souffrir leurs coques.

Quand le double raid s’acheva, outre les sous-marins que nul n’avait inquiétés, seuls le

Beograd et trois vedettes étaient encore intacts. Par chance pour les Yougoslaves, les pilotes

allemands et italiens surestimèrent les résultats obtenus et annoncèrent avoir mis

définitivement hors de combat trois grands bâtiments sur quatre. Supermarina renonça donc à

réclamer une nouvelle attaque, estimant que, si les navires restés indemnes persistaient à

4 Les Rogozarski SIM-XIV avaient une vitesse maximale de 245 km/h et étaient armés de deux mitrailleuses

légères Browning de 7,5 mm, l’une dans une tourelle de nez, l’autre à l’arrière de l’habitacle. Les Dornier 22

étaient mieux lotis avec une vitesse maximale de 355 km/h et un armement de trois Browning, l’une tirant à

travers le moyeu de l’hélice, une autre en position dorsale arrière et la dernière en position ventrale. 5 Mot-à-mot “lieutenant de frégate” – soit un EV1.

vouloir fuir, les MAS suffiraient à en finir avec eux.

Dans la baie de Tivat, une fois remis du choc de la bataille, les marins yougoslaves dressèrent

le bilan. Il se révéla moins mauvais que redouté. Les Zagreb et Ljublana pouvaient envisager

de partir, à condition, surtout le Ljubljana, de ne pas donner plus de 25 nœuds. Après un bref

conseil de guerre, la décision fut prise de tenter l’aventure à cette vitesse et non plus à 30

nœuds. Cela rallongeait la durée du voyage et donc l’exposition au danger, mais le jeu en

valait la chandelle. On débarqua les morts et blessés des deux contre-torpilleurs endommagés

et l’on répartit à leur bord, ainsi qu’à celui du Beograd, une partie des hommes valides du

Dubrovnik, les autres demeurant à son bord pour combattre les incendies avec l’aide des

marins accourus de Kotor ou de l’arsenal de Tivat. L’on fit droit aussi à la requête de

l’équipage du Durmitor, qui, volontaire pour partir, ne voulait pas prendre passage sur l’un

des contre-torpilleurs mais souhaitait qu’on lui trouvât une nouvelle monture : un nouveau

tirage au sort désigna le Triglav.

Dans la crainte d’un nouveau raid aérien, diurne ou nocturne, il fut décidé que les sept

bâtiments de surface restants partiraient dès que possible. Le temps de tout mettre au point, ils

purent sortir des Bouches à 20h30, avec une heure d’avance sur l’horaire initial. Les sous-

marins les suivirent comme prévu : tous deux parvinrent à Patras et de là gagnèrent

ultérieurement le Pirée après une navigation sans histoire. Il n’en alla pas de même pour la

petite escadre que conduisait le Zagreb, promu chef de division en remplacement du

Dubrovnik.

L’escadre gagne, perd et passe

Le 10 mai, peu après 02h30, les Yougoslaves se trouvaient dans le canal d’Otrante : les trois

contre-torpilleurs Zagreb, Ljublana et Beograd avançaient en ligne de file dans cet ordre,

éclairés sur l’avant par les quatre vedettes Lürssen déployées en râteau. Ayant laissé passer

leurs grandes sœurs ennemies, les MAS d’Otrante se lancèrent à l’assaut des contre-

torpilleurs. Mais la fortune avait pour l’heure décidé de pencher du côté yougoslave et leur

mouvement fut repéré suffisamment tôt pour que les quatre Lürssen eussent le temps de

revenir s’interposer. Elles n’eurent guère de mal à prendre le dessus sur les petites MAS,

certes plus rapides mais peu armées. Les canons de 20 mm firent merveille pour stopper leur

élan et les contraindre à lancer de trop loin pour espérer faire mouche. Trois d’entre elles

purent se retirer en ayant subi des dégâts légers et quelques pertes, poursuivies un moment par

les Orjen et Suvobor. En revanche, la MAS-540 fut fermement crochée par les Kajmakcalan et

Triglav, qui la mirent méthodiquement en pièces, obtenant ainsi la première victoire

confirmée de l’histoire de la marine yougoslave.

Malheureusement, la fortune inconstante décida d’abandonner les vainqueurs provisoires

deux heures et quart plus tard environ alors que, largement sortis du canal d’Otrante, ils

approchaient de Corfou. Non qu’ils eussent perdu toute vigilance. Mais, se trouvant

désormais dans des eaux censément amies, ils surveillaient davantage leur côté tribord, vers

l’Italie : d’ailleurs, au lieu de marcher en avant des contre-torpilleurs, les vedettes étaient

venues leur faire écran de ce côté-là. Or, les MAS de Valona s’étaient cachées derrière la

petite île connue jadis comme Fano (et aujourd’hui comme Mathraki). Quand la petite escadre

yougoslave l’eut dépassée et laissée à bâbord arrière, elles se ruèrent à l’assaut. Ne

rencontrant aucun obstacle, leur attaque fut parfaitement coordonnée et couronnée de succès.

A 04h48, une torpille de la MAS-536 atteignit le Beograd qui naviguait en serre-file et, le

touchant dans la salle des machines, le laissa immobile sur l’eau. La vive réaction des contre-

torpilleurs et la rescousse des Lürssen ne purent faire mieux qu’endommager légèrement deux

des assaillantes, qui se retirèrent victorieuses. Les Yougoslaves durent se résigner à

transborder sur les Zagreb et Ljubljana les hommes du Beograd (dont certains, venus du

Dubrovnik, en étaient à leur deuxième abandon de navire en moins de douze heures !) et à

hâter la fin de celui-ci : le coup de grâce lui fut donné par une torpille lancée par le Suvobor.

Cela fait, les six navires survivants repartirent vers le sud à 25 nœuds.

Parvenus à la hauteur de Céphalonie, ils se scindèrent en deux groupes. Les vedettes

gagnèrent l’île pour s’y ravitailler en carburant ; une fois ravitaillées, elles mirent le cap sur

Patras, d’où elles furent rapidement redirigées, via le canal de Corinthe, vers le Pirée, où,

comme il a été dit, arrivèrent aussi les deux sous-marins. Quant aux deux contre-torpilleurs,

arrivés à Patras un peu après 10h00, ils furent, au vu de leur état, dirigés d’abord sur Malte

puis de là vers les chantiers navals anglais pour une remise en état et une modernisation bien

méritées : ils devaient revenir au combat en Méditerranée en avril 1942.

Huit unités de la marine yougoslave – deux destroyers, deux sous-marins et quatre vedettes

lance-torpilles – avaient donc réussi leur évasion.

Il n’est pas inutile de préciser ici que les 71 bateaux de commerce yougoslaves qui se

trouvaient hors de l’Adriatique à ce moment rejoignirent eux aussi le camp allié avec leurs

équipages (en tout, 2 500 hommes environ).

Fin de partie à Split et Kotor

Le 10 mai fut calme à Split, mais aussi à Kotor, sauf à l’arsenal de Tivat, qui reçut deux

nouveaux pensionnaires, le Hvar, déséchoué à son tour, et le Durmitor. Sauf aussi sur les

quatre hydrobases, d’où s’envolèrent machines et équipages volontaires. Comme prévu,

d’Orahovac partirent en vol groupé neuf Dornier 22, dont huit parvinrent sans encombre en

Grèce : suite à une panne de moteur, le neuvième dut faire un amerrissage de fortune, un peu

rude, près de l’île de Paxos ; l’appareil coula mais les trois membres d’équipage furent

recueillis par des pêcheurs grecs. Comme prévu encore, de Krtole et Rose prirent l’air au total

six SIM-XIV, qui tous arrivèrent à bon port. La surprise vint des équipages de deux Dornier

Wal de Dobrota, qui se décidèrent tardivement à imiter leurs camarades : partis au crépuscule

en raison de la lenteur des Wal (180 km/h), ils réussirent eux aussi à gagner la Grèce. C’était

ainsi près de la moitié des meilleurs appareils de l’aéronavale yougoslave – et surtout leurs

équipages – qui avaient choisi de continuer le combat6.

Les illusions croates (1)

Le 11 mai, à la suite de l’appel lancé la veille par le tout nouveau gouvernement croate,

officiers et marins amenèrent le drapeau yougoslave sur tous les bâtiments de la base de Split

et le remplacèrent par le drapeau du nouvel état, entendant ainsi créer de facto une marine

croate. Un commandement supérieur naval provisoire s’installa à Split. L’une de ses

premières décisions fut d’envoyer sans tarder le mouilleur de mines Kobac à Sibenik, avec à

son bord quelques officiers, de façon à affirmer la mainmise croate sur la base largement

désertée peu de jours auparavant.

Les illusions croates (2)

L’existence d’une marine croate indépendante fut brève. Dès le 13 mai, une colonne terrestre

italienne venue de Zara arriva à Sibenik et occupa sans plus de façons et la ville et la base

navale, réduisant en un tournemain les marins croates à un état qui ressemblait à s’y

méprendre à celui de prisonniers de guerre. Voyant la tournure que prenaient les événements,

le commandant du Kobac n’eut que le temps d’ouvrir les purges pour couler son bâtiment, qui

s’enfonça bien droit dans la vase du port.

Déjouant la surveillance italienne, un officier réussit à quitter la base habillé en civil et à

prévenir Split, en utilisant le téléphone public qui fonctionnait encore normalement. Les

6 Ils constituèrent deux escadrilles autonomes, volant en coopération avec l’Aéronavale française. Celles-ci

accomplirent de nombreuses missions aussi longtemps que les avions purent être entretenus. En avril-mai 1942,

les deux escadrilles furent rééquipées avec des appareils cédés par la France.

Italiens ne paraissant pas pressés de distinguer les Croates des autres Yougoslaves, il conseilla

vivement de s’en tenir aux termes de l’accord de Kotor et de préparer sans tarder un

sabordage des navires propres à les rendre inutilisables pendant de longs mois.

Malheureusement, le commandant en chef provisoire de la flotte croate était un marin

“politique”. Pesant longuement le pour et le contre, il finit par conclure que l’attitude italienne

reposait sur un malentendu que le gouvernement croate finirait par dissiper avec l’appui des

Allemands, a priori mieux disposés. Il convenait donc de s’abstenir de toute mesure extrême

qui risquât de gêner les autorités croates. D’un autre côté, comme l’écrasante majorité de ses

subordonnés, il ne tenait pas du tout à voir des marins italiens arpenter les ponts de ses

bateaux. Il suffisait sans doute de gagner quelques semaines tout au plus, le temps que la

nouvelle Croatie fût en place. Il donna des instructions pour un sabordage “léger”, excluant

notamment l’emploi de toute charge explosive. Les bateaux pouvaient être coulés, droits ou

non, mais il était exclu de les faire chavirer (et a fortiori d’aller les couler en eaux profondes).

On pouvait enlever les pièces vitales des machines mais non pas les détruire. On pouvait de

même rendre l’armement inutilisable, mais de façon à pouvoir le remettre rapidement en état.

C’était en somme un pari sur l’avenir… qu’il perdit.

Les illusions croates (3)

Le 15 mai, les Italiens, approchant de Split, prirent contact avec les dernières forces

constituées, c’est-à-dire la “marine croate”, pour réclamer, comme à Sibenik, une reddition

sans condition. L’ordre fut aussitôt donné à Split même et transmis à Kotor de procéder

suivant les instructions préalables.

A Split, trois unités seulement furent coulées : les mouilleurs de mines Orao et Sokol, ainsi

que le dragueur Malinska. Presque tous les commandants, notamment ceux des torpilleurs et

du ravitailleur d’hydravions Zmaj, choisirent de saboter “a minima” leurs bâtiments plutôt que

de les saborder. Compte tenu de la faible valeur de leurs unités, les commandants des quatre

autres dragueurs se contentèrent même de mesures symboliques, telles que bloquer le

cabestan et ôter la culasse du canon de 47 mm.

A Kotor, considérant qu’ils étaient déjà indisponibles pour un temps plus ou moins long, on

ne toucha ni au Dubrovnik réduit à l’état d’épave, ni aux unités en réparations à l’arsenal de

Tivat : le croiseur Dalmacija, le torpilleur T 8, les sous-marins Smeli et Osvetnik, la vedette

Durmitor et le ravitailleur Hvar. On ne jugea pas plus utile de faire quoi que ce soit au très

vieux dragueur D 2, ce qui pouvait se comprendre, ni au contre-torpilleur Split en

construction, ce qui était plus risqué. Le pétrolier Perun, le torpilleur T 3, le mouilleur de

mines Jastreb et les vedettes lance-torpilles Chetnik, Uskok et Rudnik furent légèrement

sabotés. Les vedettes Dinara et Velebit furent endommagées de telle sorte que les Italiens ne

purent les remettre en service qu’au bout de six mois pour la première et de neuf mois et demi

pour la seconde. Enfin, le commandant Janko Curkovic ne voulut pas courir le risque de voir

le Bjeli Orao servir de trophée : outrepassant l’ordre reçu, il n’hésita pas à en faire pétarder

les machines7.

Les illusions croates (4)

Le 16 mai, les Italiens prirent le contrôle de Split et se saisirent de tous les navires, à flot ou

coulés. Simultanément, des troupes débarquèrent à Dubrovnik au prix d’un dragueur, le RD-

16, qui sauta sur une des mines posées le 4 mai par le Jastreb. Ces forces se dirigent aussitôt

vers Kotor.

7 Le commandant Curkovic devait devenir l’une des figures de la Résistance royaliste, puis l’un des négociateurs

des difficiles compromis politiques d’après-guerre.

Les illusions croates (5)

Le 17 mai enfin, les troupes italiennes débarquées la veille à Dubrovnik s’emparèrent de la

base de Kotor et de tous les navires qu’elles y trouvèrent. La marine croate ne disparut pas

officiellement, mais devint une marine sans bateaux, malgré une intervention allemande

finalement assez tiède. L’Italie lui refusa en effet tout moyen : propriété d’un royaume de

Yougoslavie rayé de la carte mais qui pourtant demeurait en guerre, tous les navires présents à

Sibenik, Split ou Kotor furent déclarés de bonne prise pour la Regia Marina (voir ci-après). Il

en alla de même pour les avions restants de la marine yougoslave : les Italiens saisirent tous

ceux qui pouvaient encore voler et les utilisèrent, suivant les modèles, pour l’entraînement de

base ou avancé.

(3) Le butin italien De toutes ses prises de guerre yougoslaves, la Regia Marina ne renonça guère qu’au

ravitailleur d’hydravions Zmaj, qu’elle consentit à céder à la Kriegsmarine : celle-ci le

renomma Drache et finit par le transformer en mouilleur de mines. Pour le reste, elle tira

partie d’à peu près tout (ce qui ne la consola guère des résultats catastrophiques de la double

bataille de l’île Gaudos et de la Mer Ionienne).

– Le vieux croiseur Dalmacija. Rebaptisé Cattaro, réparé et reclassé canonnière, il fut

employé comme bâtiment-école à partir de janvier 1942.

– Le contre-torpilleur Dubrovnik. Rebaptisé Premuda, il était très sévèrement endommagé

mais compte tenu de ses pertes, la Regia Marina n’hésita pas à entreprendre les longues

réparations nécessaires. Le navire en sortait à peine à la veille du déclenchement de

l’opération Torche.

– Le contre-torpilleur en construction Split, rebaptisé Spalato. La Regia Marina ne put

parvenir à l’achever. Après le changement de camp italien, les Allemands, qui occupèrent

Kotor, n’y parvinrent pas plus. Après la libération de leur pays, les Yougoslaves le

retrouvèrent en assez bon état, lui rendirent son nom d’origine et en terminèrent la

construction.

– Les six torpilleurs T 1, T 3, T 5, T 6, T 7 et T 8 furent intégrés dans la Regia Marina sous les

mêmes noms. Assez rapidement remis en service, ces vieilles coques furent cantonnées à des

tâches secondaires en Adriatique. Le T7 sera coulé le 8 décembre 1942 par le sous-marin

Hrabri.

– Les deux sous-marins Smeli et Osvetnik, rebaptisés Antonio Bajamonti et Francesco

Rismondo, furent réparés et modernisés. Ils ne furent cependant pas employés pour des

missions de guerre, mais affectés à l’école des sous-marins de Pola, libérant ainsi de cette

tâche deux autres sous-marins.

– Contrairement aux espoirs du commandant Curkovic, le yacht royal Bjeli Orao, rebaptisé

Zagabria, fut, malgré le piteux état de sa machine, jugé digne de servir de trophée. Remorqué

à Tarente, il y demeura mouillé, dans l’attente d’une remise en état que de plus graves

urgences firent sans cesse différer. Les Yougoslaves devaient l’y retrouver et en reprendre

possession après l’armistice italien.

– Les six mouilleurs de mines, qui pourtant se faisaient vieux, furent tous, même les trois

sabordés, remis en service avant la fin de l’année 1941, pour jouer le plus souvent un rôle

d’escorteurs anti-sous-marins. Ils furent respectivement rebaptisés : le Galeb, Selve ; le

Jastreb, Zirona ; le Kobac, Unie ; le Labud, Zuri ; l’Orao, Vergada et le Sokol, Eso.

Le 23 décembre 1941, un mois à peine après sa remise en service, le Sokol/Eso fut coulé dans

l’Adriatique par le sous-marin grec Nereus ; le Jastreb/Zirona suivit, coulé en juillet 1942

près des côtes grecques par des DB-73 français ; enfin, le Labud/Zuri fut coulé lors du

bombardement d’Augusta le 17 septembre 1942 et le Kobac/Unie lors du bombardement de

Pescara le 13 décembre 1942.

– Les six dragueurs de mines furent aussi tous remis en service, même le très vieux D 2,

rebaptisé D 10 et qui demeura dans les Bouches de Kotor. Les cinq dragueurs modernes

servirent dans l’Adriatique. Ils furent respectivement rebaptisés : le Malinska, Arbe (qui

coulera après avoir sauté sur une mine dans le canal de Corinthe le 22 août 1941) ; le Marjan,

Ugliano ; le Meljine, Solta ; le Mljet, Meleda et le Mosor, Pasman.

– Sur les six vedettes lance-torpilles capturées, trois furent remises en service presque

immédiatement, les autres au bout de plusieurs mois : la Durmitor début septembre 1941, la

Dinara le 15 novembre 1941 et la Velebit le 1er

mars 1942. Tout d’abord désignées MAS,

elles furent ensuite reclassées MS (Moto[scafo]Silurante) le 1er

juillet 1942, ainsi que la

vedette type Thornycroft survivante à cette date. Au total :

(i) Type Thornycroft

Uskok : devient MAS-1D. Coulée par accident le 19 avril 1942.

Chetnik : devient MAS-2D puis MS-55. Utilisée comme bâtiment-école.

(ii) Type Lürssen

Durmitor : devient MAS-3D puis MS-51.

Velebit : devient MAS-4D puis MS-52.

Dinara : devient MAS-5D puis MS-53.

Rudnik : devient MAS-6D puis MS-54.

– Le ravitailleur de sous-marins Hvar, sommairement réparé, fut utilisé comme bâtiment-

dépôt par les Italiens (sous le nom de Quarnerolo), puis par les Allemands. Les Yougoslaves

le retrouvèrent à Kotor et purent le remettre en état. Il servit jusqu’en 1953, année où il fut

condamné.

– Le pétrolier Perun, réparé et renommé Devoli par les Italiens, fut restitué à la Yougoslavie

après l’armistice italien.

Appendice 2

Les troupes italiennes engagées dans la campagne contre la

Yougoslavie (mai 1941)

2e Armée (général désigné d’armée Vittorio Ambrosio)

Ve Corps d’Armée (général de corps d’armée Riccardo Balocco) ! 15

e Division d’infanterie Bergamo (général de division Pietro Belletti) : 25

e et 26

e régiments

d’infanterie Bergamo, 89e légion de Chemises Noires d’assaut Etrusca, 4

e régiment d’artillerie

divisionnaire Carnaro

! 57e Division d’infanterie Lombardia (général de division Vittorio Zatti) : 73

e et 74

e RI Lombardia, 137

e

légion CC.NN. d’assaut Monte Maiella, 57e RAD

! 5e Commandement de la Guardia alla Frontiera (général de brigade Arturo Torriano) :

XXVe secteur de couverture Timavo

LVIIIe bataillon CC.NN. de montagne

XXVIe secteur de couverture Carnaro

LIVe bataillon CC.NN. de montagne

CXVe bataillon de mitrailleurs de position

10e groupement d’artillerie de la Guardia alla Frontiera (4 groupes)

! Troupes de corps d’armée :

4 bataillons de mitrailleurs

5e groupement d’artillerie de corps d’armée (2 groupes de canons lourds de campagne, 2 groupes

d’obusiers lourds de campagne, 2 batteries anti-aériennes)

10e groupement d’artillerie d’armée (4 groupes de canons lourds, 3 groupes d’obusiers lourds, 1 groupe

antiaérien)

5e groupement du génie de corps d’armée

VIe Corps d’Armée (général de corps d’armée Lorenzo Dalmasso) ! 12

e Division d’infanterie Sassari (général de division Furio Monticelli) : 151

e et 152

e RI Sassari, 73

e

légion CC.NN. d’assaut Matteo Boiardo, 34e RAD

! 20e Division d’infanterie Friuli (général de division Vito Ferrari) : 87

e et 88

e RI Friuli, 88

e légion

CC.NN. d’assaut Alfredo Cappellini, 35e RAD

! 26e Division d’infanterie de montagne Assietta (général de division Emanuele Girlando) : 29

e et 30

e RI

Pisa, 17e légion CC.NN. d’assaut Cremona, 25

e RAD Assietta

! Troupes de corps d’armée :

2 bataillons de mitrailleurs, dont 1 motorisé

6e regroupement d’artillerie de corps d’armée (2 groupes de canons lourds de campagne, 2 groupes

d’obusiers lourds de campagne)

3 regroupements d’artillerie d’armée (2e, 7

e et 9

e, totalisant 9 groupes de canons lourds, 3 groupes

d’obusiers lourds, 1 groupe de mortiers lourds, 1 groupe antiaérien)

6e groupement du génie de corps d’armée

XIe Corps d’Armée (général de corps d’armée Mario Robotti) ! 3

e Groupe d’Alpins Valle (colonel A. Bruzzone) : 3 bataillons alpins (Val Pellice, Val Cenischia, Val

Toce), groupe d’artillerie alpine Val d’Adige

! 13e Division d’infanterie Re (général de division Benedetto Fiorenzuoli) : 1

er et 2

e RI Re, 75

e légion

CC.NN. d’assaut Italo Balbo, 23e RAD

! 14e Division d’infanterie Isonzo (général de division Federico Romero) : 23

e et 24

e RI Como, 98

e légion

CC.NN. d’assaut Maremmana, 6e RAD Isonzo

! 3e Division d’infanterie de montagne Ravenna (général de divison Edoardo Nebbia) : 37

e et 38

e RI

Ravenna, 5e légion CC.NN. d’assaut, 11

e RAD

! 11e Commandement de la Guardia alla Frontiera (général de brigade Carlo Viale) :

4 secteurs de couverture (XVIIe Brennero, XXI

e Isonzo, XXII

e Idria, XXIII

e Postumia)

1 bataillon de mitrailleurs de position (9 compagnies)

4 bataillons CC.NN. de montagne

2 bataillons CC.NN. d’assaut

2 groupements d’artillerie de la Guardia alla Frontiera (9e et 17

e : 15 groupes)

! Troupes de corps d’armée :

2 bataillons de mitrailleurs, dont 1 motorisé

11e regroupement d’artillerie de corps d’armée (3 groupes de canons lourds de campagne, 2 groupes

d’obusiers lourds de campagne, 2 batteries anti-aériennes)

2 regroupements d’artillerie d’armée (1er et 3e, totalisant 3 groupes de canons lourds et 2 groupes

d’obusiers lourds)

11e groupement du génie de corps d’armée

Corps d’Armée semi-motorisé (général de corps d’armée Francesco Zingales) ! 9

e Division d’infanterie semi-motorisée Pasubio (général de division Vittorio Giovannelli) : 79

e et 80

e

RI Roma, 8e régiment d’artillerie motorisée Pasubio

! 52e Division d’infanterie semi-motorisée Torino (général de division Luigi Manzi) : 81

e et 82

e RI Siena,

52e régiment d’artillerie motorisée Torino

! 133e Division cuirassée Littorio (général Gervasio Bitossi) : 12

e régiment de bersagliers (2 bataillons

motorisés, 1 bataillon cycliste), 33e régiment d’infanterie carrista à 4 bataillons de chars légers, 133

e

régiment d’artillerie cuirassée

! Troupes de corps d’armée :

30e groupement d’artillerie de corps d’armée (général de brigade Mario Tirelli) : 3 groupes de canons

lourds de campagne, 2 batteries antiaériennes

Corps d’Armée Rapide (général de division Federico Ferrari Orsi) ! 1

ère Division Rapide Eugenio di Savoia (général de division Cesare Lomaglio) : 3 régiments de cavalerie

(1er

Nizza Cavalleria, 12e Cavalleggeri di Saluzzo, 14

e Cavalleggeri di Alessandria), 11

e régiment de

bersagliers (3 bataillons cyclistes et 1 compagnie motocycliste), Ier

groupe de chars légers (carri veloci)

San Giusto, Ier

groupe à cheval du régiment d’artillerie rapide

! 2e Division Rapide Emanuele Filiberto Testa di Ferro (général de brigade Carlo Ceriana Mayneri) : 3

régiments de cavalerie (2e Piemonte Reale Cavalleria, 9

e Lancieri di Firenze, 10

e Lancieri Vittorio

Emanuele II), 6e régiment de bersagliers (3 bataillons cyclistes et 1 compagnie motocycliste), II

e groupe

de chars légers San Marco, IIe groupe à cheval du régiment d’artillerie rapide

! 3e Division Rapide Principe Amedeo Duca d’Aosta (général de brigade Mario Marazzani) : 3 régiments

de cavalerie (3e Savoia Cavalleria, 4

e Genova Cavalleria, 5

e Lancieri di Novara), 3

e régiment de

bersagliers (3 bataillons cyclistes et 1 compagnie motocycliste), IIIe groupe de chars légers San Giorgio,

IIIe groupe à cheval du régiment d’artillerie rapide

! Troupes de corps d’armée :

16e groupement d’artillerie de corps d’armée

Place militaire de Fiume (général de brigade Ottorino Battista Dabbeni) 1 groupe de carabiniers royaux Fiume, XXXIIe secteur de couverture Fiume, 1 bataillon CC.NN. de

montagne, 2 groupes d’artillerie de la Guardia alla Frontiera

Front de Zara Commandement des troupes de Zara (général de brigade Emilio Giglioli)

2 secteurs de couverture Est et Sud Est

3 bataillons de mitrailleurs de position

1 bataillon de bersagliers Zara

1 compagnie mécanisée Zara

1 groupe d’artillerie de la Guardia alla Frontiera

Troupes d’armée 15 bataillons territoriaux mobiles, 2 bataillons de garnison, 3

e groupement du génie d’armée

Unités devant rejoindre l’Albanie

XIVe Corps d’Armée (général de corps d’armée Giovanni Vecchi)

! 38e Division d’infanterie de montagne Puglie (général de division Alberto D’Aponte) : 71

e et 72

e RI

Puglie, 23e légion CC.NN. d’assaut, 15e RAD Montenero

! 41e Division d’infanterie Firenze (général de division Paride Negri) : 127

e et 128

e RI Firenze, 92

e légion

CC.NN. d’assaut Francesco Ferrucci, 41e RAD

! Groupement CC.NN. Struga (luogotenente generale8 Alessandro Biscaccianti) : 80

e légion CC.NN.

d’assaut, 109e légion CC.NN. d’assaut Filippo Corridoni, 1 bataillon CC.NN. d’assaut

! Troupes de corps d’armée :

2 bataillons de carabiniers royaux

2e régiment d’Alpins à 2 bataillons (Dronero et Saluzzo)

1 régiment de cavalerie (Lancieri di Aosta)

XVIIe Corps d’Armée (général de corps d’armée Giuseppe Pafundi)

! 18e Division d’infanterie Messina (général de division Francesco Zani) : 93

e et 94

e RI Messina, 2

e RAD

Metauro

! 32e Division d’infanterie de montagne Marche (général de division Riccardo Pentimalli) : 55

e et 56

e RI

Marche, 49e légion CC.NN. d’assaut San Marco, 32

e RAD

! Groupement CC.NN. Giorgio Castriota (luogotenente generale Filippo Diamanti) : 28e légion CC.NN.

d’assaut Giovanni Randaccio, 108e légion CC.NN. d’assaut Stamura, 115

e légion CC.NN. d’assaut Del

Cimino, 136e légion CC.NN. d’assaut Tre Monti, 152

e légion CC.NN. d’assaut Acciaita

! Troupes de corps d’armée :

1 bataillon de bersagliers motocyclistes

17e groupement d’artillerie de corps d’armée

21e régiment d’artillerie motorisée

8 Grade de la MVSN équivalant à général de division.

Appendice 3

Les forces italiennes en Albanie au 5 mai 1941

9e Armée (général d’armée Alessandro Pirzio Biroli)

IIIe Corps d’Armée (général de corps d’armée Mario Arisio)

19e Division d’infanterie de montagne Venezia (général de brigade Silvio Bonini)

53e DIM Arezzo (général de brigade Ernesto Ferone)

48e Division d’infanterie Taro (général de division Gino Pedrazzoli)

Groupement de Milice Forestière : 12e légion de Milice Forestière

4e régiments de bersagliers

XXVIe Corps d’Armée (général de corps d’armée Gabriele Nasci)

4e Division Alpine Cuneense (général de division Emilio Battisti)

29e DI Piemonte (général de division Adolfo Naldi)

49e DIM Parma (général de brigade Ugo Adami [remis de sa blessure])

11e Armée (général d’armée Carlo Geloso)

Les survivants du Groupement rapide Rivolta ont été partagés entre les unités de la 11e Armée.

VIIIe Corps d’Armée (général de division Gastone Gambara)

5e Division Alpine Pusteria (général de division Giovanni Esposito)

47e DI Bari (général de division Matteo Negro)

51e DI Siena (général de division Angelico Carta)

XXVe Corps d’Armée (général de corps d’armée Carlo Rossi)

3e Division Alpine Julia (général de brigade Mario Girotti)

11e DIM Brennero (général de division Paolo Berardi) : 231

e et 232

e RI, XLV

e légion CC.NN.

d’assaut, 9e RAD

23e DIM Ferrara (général de division Licurgo Zannini)

37e DIM Modena (général de division Alessandro Gloria)

Corps d’Armée Spécial (général de division Giovanni Messe)

6e DI Cuneo (général de division Carlo Melotti) : 7

e et 8

e RI, XXIV

e légion CC.NN. d’assaut,

27e RAD

33e DIM Acqui (général de division Luigi Mazzini)

Division Alpine Spéciale (général de division Michele Scaroina), intégrant notamment des

éléments de la la 101e DI motorisée Trieste (RAD Po)

Réserve (à la disposition du général Cavallero)

7e DI Lupi di Toscana (général de division Gustavo Reisoli Matthieu) : 77

e et 78

e RI, XV

e

légion CC.NN. d’assaut

Division cuirassée Centauro (général de division Gavino Pizzolato), pas encore

opérationnelle

La 2e Division Alpine Tridentina (général de division Ugo Santovito) opère avec le

Skandenberg Korps de Rommel.

Appendice 4

Les Hussards de Kumanovo

Du sous-lieutenant Hubert de Poulpiquet (chef de peloton au 6e GRCA) à son cousin Charles

de Kerdonval.

Le Pirée, le 2 juin 1941

Cher cousin,

J’ai appris les exploits et les malheurs de ton croiseur en Méditerranée. Moi qui croyais que

les marins se la coulaient douce sur les flots bleus, j’en suis pour d’humbles excuses à te

présenter à l’occasion notre prochaine rencontre. J’embarque en effet tout à l’heure pour

rentrer en AFN après que nous ayons été relevés. Je crois que tu n’es pas encore parti vers

les Amériques, mais si tel était déjà le cas, tu sauras par cette lettre que nous autres cavaliers

de l’Armée d’Orient ne restons pas inactifs non plus, en dépit des replis successifs que nous

subissons aujourd’hui en Grèce.

Il y a un mois, nous avons quitté Salonique pour remonter vers la Macédoine, où nos

nouveaux alliés Yougoslaves et Grecs subissent de plein fouet le choc des panzers ennemis.

Mon peloton d’AMD (trois voitures : la mienne, armée d’un 25 anti-char, et deux autres,

dotées d’un 37 court) s’est bien comporté pendant le trajet. Les moteurs américains s’avèrent

robustes et fiables malgré la charge à mouvoir.

Nous sommes arrivés à Kumanovo, une petite ville où le patron – le général Dentz – a établi

son PC. Je soupçonne qu’il l’a choisie parce que les noms de la plupart des autres villes sont

imprononçables – sais-tu que la capitale de cette province, à une dizaine de kilomètres au

sud-ouest, s’appelle Skoplyé ou quelque chose d’avoisinant. C’est un pays de montagnes et de

vallées où se côtoient indifféremment, accrochés à leur piton rocheux, des monastères

orthodoxes et des mosquées. La ville elle-même est un incroyable capharnaüm ou se croisent

réfugiés et troupes yougoslaves ou autres, encombrant les rues étroites de véhicules

hétéroclites. En plus, ils sont loin de tous parler la même langue, imagine : au nord il y a des

Serbes et des Kosoviens (Kossovois ? variens ?…), à l’est des Bulgares, à l’ouest des

Albanais et au sud, bien sûr, des Grecs, mais je suis bien incapable de différencier toutes ces

populations ou leurs combattants. Reste donc une tactique simple : on tire sur tout ce qui

ressemble de près ou de loin à du « gris fer foncé » ou du « fedlgrau » et pour les autres on

avise… S’ils veulent négocier, ils n’ont qu’à apprendre le français – oui, je sais, j’étais très

bon en grec au lycée, bien meilleur que toi du moins, mais à mon grand désappointement, il

semble que la langue ait pas mal évolué depuis Sophocle et Xénophon. Et puis, de fait, il y a

pas mal d’officiers qui parlent un excellent français.

Dès notre arrivée, nous avons lancé des opérations de reconnaissance vers le nord-est, en

direction de… Vranié (Vragné ? Vranje ?) et des hauteurs de la vallée de la Morava. L’une

d’elle a été assez chaude.

………

– Départ à 06h45, armez vos canons et approvisionnez vos mitrailleuses !

Mon peloton, renforcé par deux motos des dragons portés, se dirige vers la côte 731, près de

la ferme de Kanculi, qui me paraît offrir une bonne vue sur la vallée. La route est pentue et

sinueuse et les AMD souffrent. J’ordonne une halte pour reposer les moteurs, dans une

épingle à cheveux d’où je peux surveiller la route dans les deux sens.

Soudain, trois motos déboulent à toute allure du virage supérieur et sont sur nous en quelques

secondes, dans un fracas de moteurs. Des Allemands, bien reconnaissables à leur casque, qui

foncent comme s’ils ne nous avaient pas vus, à tel point qu’ils nous croisent et tentent de

s’échapper en filant tout droit. Le MdL/C Evrard, qui était resté dans son AM, fait pivoter sa

tourelle et tire un coup de 37 dans leur direction avant qu’ils soient hors de vue, au virage

suivant. Mais seul un petit nuage de poussière est visible à proximité de la moto de tête. C’est

ma faute, nous attendant à tomber sur des blindés, j’ai fait charger les 37 avec des obus de

rupture. Evrard à juste le temps de lâcher une rafale de FM avant que nos Boches soient à

couvert du parapet, mais aucune balle ne fait mouche. Puis, plus rien. Ils se seront arrêtés pour

ne pas réapparaître plus bas, dans l’épingle suivante, qui est sous notre feu. Je laisse Evrard et

les deux dragons en position au cas où les Allemands continueraient leur descente et je pars

prudemment avec les deux autres AM pour leur tomber dessus. Je n’ai pas le temps

d’atteindre leur virage que plusieurs rafales de FM et un coup de 37, explosif cette fois, se

font entendre. Les Boches ont tenté le tout pour le tout et se sont fait allumer par Evrard.

Quelques instants plus tard nous arrivons à la sortie du virage pour apercevoir deux motos à

terre ; le troisième larron a dû réussir à s’échapper. Je vérifie dans mes documents de bord à

quoi correspondent les signes tactiques blancs peints sur les garde-boue des motos détruites.

Ils doivent appartenir à la 9.PzDiv. Sur la carte, deux solutions s’offrent à moi : ou les

Allemands viennent du nord-est et ont eu la même idée que moi en voulant observer la vallée

de la Morava depuis la côte 731, ou bien, et c’est plus grave, ils arrivent de l’ouest – ce qui

laisse supposer que Kumanovo est d’ores et déjà menacé d’encerclement. Cette dernière

solution me paraît hélas plus probable car dans l’autre cas, les Boches nous auraient vu

monter la route et se seraient méfié.

La réponse ne se fait pas attendre. Sur le parapet supérieur, des rafales signalent qu’Evrard

vient d’être engagé par l’ennemi venant de l’ouest. J’escalade le parapet pour avoir une idée

de ce qui se passe : deux Pz-II s’en prennent à la Chevrolet restée en arrière. Un coup de 37

impacte un des panzers avec un éclair vif, mais aussitôt l’autre char fait mouche sur l’AMD

en détruisant la protection de pare-brise, elle se met bientôt à brûler et je vois Evrard et son

pourvoyeur qui abandonnent le véhicule en lâchant des rafales de PM vers les Allemands. Les

deux dragons, avec Evrard et son coéquipier assis sur les tansads, nous rejoignent aussitôt. Le

chauffeur et le mitrailleur ont été tués sur le coup. Un des dragons confirme avoir aperçu une

colonne de blindés et de transports d’infanterie en arrière des Pz-II. Je l’envoie prévenir le

capitaine et nous descendons la côte le plus rapidement possible, en faisant crisser les pneus à

chaque virage.

Arrivé en bas de la vallée, je repère un lieu propice à l’embuscade pour tenter de retarder cette

colonne le temps que des renforts puissent arriver. Le hameau de Lucane me semble

approprié : de là, on peut prendre en enfilade la route qui sort de la vallée. Je positionne les

deux Chevrolet entre les fermes du hameau et j’envoie le deuxième dragon avec mission de

rameuter des renforts en nombre si l’on veut tenir la route de Kumanovo. J’essaye de

camoufler grossièrement mes deux AM et j’utilise Evrard et son pourvoyeur ainsi que les

deux mitrailleurs comme protection rapprochée, avec le FM prélevé sur mon engin et leurs

PM.

Une demi-heure plus tard, les panzers débouchent de la vallée. En tête, cinq ou six Pz-II

suivis de deux-trois PzIII accompagnés par des grenadiers, au moins deux sections si j’en

crois le nombre de camions et motos que je vois dans mon épiscope. Nous laissons

s’approcher les chars de tête, toujours en colonne.

– Feu !

J’actionne la pédale de tir et je vois mon obus de 25 qui frappe le premier Pz-II sur le barbotin

gauche, mon pourvoyeur recharge, l’engin est stoppé, je corrige le tir et j’obtiens un deuxième

impact sur la tourelle. J’insiste – un troisième puis un quatrième coup au but mettent le feu au

panzer. Entre temps, l’autre Chevrolet a pris pour cible le deuxième Pz-II qui, doublant son

chef, s’est suffisamment rapproché pour être à portée de tir efficace du 37. Les autres chars

ennemis commencent à se déployer et sortent petit à petit de la route pour se mettre en ligne

dans les champs bordant les fermes du hameau. Je sors la tête par le panneau de tourelle,

appelle le mécanicien Chesnay et lui ordonne de transmettre à l’autre AM la consigne de

s’occuper des Pz-II avec son 37 pendant que j’engage les Pz III qui débordent.

Les tirs continuent, je stoppe un Pz-III en le déchenillant mais je suis repéré et des obus de 20

et 37 commencent à pleuvoir autour de moi, faisant exploser les briques du mur de la ferme

où je suis abrité. Je vais ordonner le repli, quand une forte secousse, un bruit métallique sur

l’avant et un dégagement de vapeur m’indiquent que le moteur et le radiateur viennent d’être

touchés. Très vite, une canalisation d’essence ayant sûrement été percée, le feu se déclare sous

le capot. Nous évacuons la voiture et, longeant les murets de clôture de la ferme, rejoignons

l’AMD 37 qui vient d’ajouter un Pz-II à son score.

Il est temps de se replier, car des rafales de FM à proximité m’indiquent qu’Evrard et ses

hommes sont tombés sur des grenadiers qui essaient de nous tourner. J’embarque tant bien

que mal tout mon monde dans l’AMD 37 survivante, Evrard et son FM accrochés à la

tourelle, et nous nous échappons par la route à vitesse maximum, tout en lâchant des coups de

37 et des rafales de FM vers l’infanterie, qui nous répond à coups de MG34. Les impacts des

balles de 7,92 ricochent sur les tôles du compartiment de combat et sur la tourelle, derrière

laquelle Evrard continue furieusement de vider ses chargeurs de FM.

Nous atteignons bientôt le carrefour avec la route Kumanovo – Vranje (allez, disons Vranje),

où nous retrouvons le reste du groupe de reconnaissance en profondeur. Le chef d’escadron

Connan nous félicite – on est comme ça dans la cavalerie, j’ai perdu deux engins sur trois,

mais j’en ai fait baver à l’ennemi, je suis un vrai Hussard !

Ma dernière AMD est intégrée au dispositif déployé pour donner un coup d’arrêt aux panzers

qui descendent de la montagne. Connan a en particulier « récupéré », grâce à la puissance et à

l’autorité de son organe vocal, légendaire dans la cavalerie, une batterie de 47 portée sur

camions Dodge qui se repliait vers Kumanovo et dont les artilleurs ont visiblement été

impressionnés par le charisme de mon chef…

Les trois autres pelotons d’AMD vont tendre des embuscades pour amener les chars ennemis

sur les 47, eux-mêmes protégés par l’escadron de dragons portés. Quelques temps plus tard,

les panzers déployés en formation d’attaque se font allumer par les 47. Des colonnes de fumée

noire montent dans les champs de la vallée pendant que les mortiers des dragons sèment des

petits champignons gris qui empêchent les grenadiers d’approcher nos positions.

Mais nous ne profiterons pas de ce spectacle très longtemps, car hélas une autre menace

pointe dans le ciel. Les panzers, stoppés net par l’action de notre groupe, ont appelé les stukas

à la rescousse et leurs bombes commencent à marteler notre position défensive. Il faut

décrocher avant de subir trop de pertes.

Nouveau repli vers une position à cinq km en arrière, sur la côte 507, près de Samoljicka (ou à

peu près). Là nous attend l’escadron d’appui-feu avec ses 13,2 AA et nos 47 Chevrolet, ainsi

que les restes du groupe de reconnaissance qui s’est fait étriller la veille à l’est de Kumanovo

en essayant de dégager une unité yougoslave. Il y a là des sections de 13,2, qui devraient nous

offrir une protection relative contre les stukas le temps que la chasse intervienne.

Mais je n’ai pas pu participer à ce nouveau combat. Lors du décrochage sous les bombes, un

éclat m’a frappé à l’épaule gauche et m’a cassé la clavicule. Rien de très grave, mais, n’ayant

plus mon AMD, je n’ai pas de raison d’être héroïque et je suis évacué par le peloton

d’ambulance vers Kumanovo puis Skoplje, où la situation est un peu plus calme. Je te

raconterai plus tard comment et par qui j’ai été soigné, car tu ne me croirais pas.

………

Voilà, cher cousin, une histoire qui te changera de tes aventures maritimes. A bientôt à Oran

peut-être. Je t’embrasse

Cousin Hub.

PS : Allez, je vois que tu meurs de curiosité. Te rappelles-tu cette jeune Parisienne qui venait

passer ses vacances à Morgat, à côté de la maison d’oncle Philippe ? Mais si, une rousse aux

yeux bleus avec des taches de rousseur sur un petit nez en trompette. Ne faisait-elle pas des

études d’infirmière ? Ah ah !