6
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013 174 Cellules tumorales et ADN libre circulant dossier thématique RÉSUMÉ Summary » La progression tumorale est associée à une augmentation de la concentration en ADN circulant dans le cancer bronchique non à petites cellules comme dans la plupart des cancers. L’utilisation de ces résultats pour la mise en place d’un dépistage ou d’un test pronostique reste encore largement discutée. En revanche, ces dernières années, les altérations moléculaires tumorales ont pu être détectées dans l’ADN circulant, positionnant ce matériel comme “biopsie liquide”. L’ADN circulant devient ainsi une source alternative de matériel tumoral lorsque le prélèvement fait défaut et rend également envisageable le suivi des changements moléculaires au cours du traitement. Les aspects technologiques et les applications à la routine sont discutés ici en prenant comme exemple les mutations de l’EGFR. Mots-clés : Cancer du poumon – ADN circulant – EGFR – Suivi. Changes in the levels of circulating nucleic acids have been associated with malignant progression in non-small-cell lung cancer (NSCLC) as in many others cancers. But the potential use of circulating nucleic acids quantification for NSCLC screening and prognosis is still debated. During the past decade, tumor molecular alterations have been detected in cell-free DNA of patients and therefore their use as a “liquid biopsy” has been proposed. Cell-free DNA could be used as a substitute for non-contributive tumor biopsies, and allow tracking molecular changes during treatment. Technological issues and routine applications are discussed based on EGFR alterations as an example. Keywords: Lung cancer – Circulating DNA – EGFR – Follow-up. Une biopsie liquide Soixante-dix pour cent des cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) sont diagnostiqués alors qu’ils sont déjà à un stade avancé et inopérable. Ces stades avancés sont de mauvais pronostic, et le développe- ment d’outils de dépistage précoce et de suivi amélio- rerait considérablement la prise en charge des patients. Les ADN circulants ont été découverts en 1948 (1), et les mécanismes cellulaires impliqués sont maintenant assez bien connus (2). Une partie de ces ADN provient de la tumeur, et les altérations moléculaires du tissu d’origine peuvent être détectées en faible proportion dans l’ADN circulant. Actuellement, dans le cadre de la thérapie ciblée par inhibiteurs de l’activité tyrosine kinase (ITK) de l’EGFR, les mutations du récepteur sont recherchées dans l’ADN extrait de tissus fixés au formol et inclus en paraffine (figure 1). Ces ADN sont souvent dégradés, les blocs sont parfois épuisés et/ou pauvres en cellules cancéreuses, et, chez certains patients, il n’est pas possible d’effectuer un prélèvement tissulaire. À l’inverse, il est facile de réaliser des prélèvements sanguins. Ces “biopsies liquides” peuvent servir à la fois pour dénombrer et caractériser les cellules tumorales circulantes qu’elles peuvent contenir (cf. notamment articles de E. Pailler et al., p. 162, et de P. Hofman, p. 168) et pour quantifier et analyser les ADN présents dans la phase acellulaire de ces échantillons (figure 1). On peut alors imaginer utiliser ces biopsies pour la recherche des altérations tumorales avant traitement mais éga- lement pour le suivi des patients, selon des conditions techniques qui restent à affiner. La quantification freinée par la technique Concentration augmentée au diagnostic Depuis quelques années, l’ADN circulant est au cœur d’études quantitatives évaluant le potentiel diagnos- tique et pronostique de leur dosage. Dans le plasma Apports potentiels de l’ADN circulant pour la prise en charge des cancers bronchiques non à petites cellules Cell-free circulating DNA and the management of non-small-cell lung cancer Audrey Vallée*, Marc Denis* * Laboratoire de biochimie, CHU de Nantes.

Apports potentiels de l’ADN circulant pour la prise en

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013174

Cellules tumorales et ADN libre circulant

d o s s i e r t h é m a t i q u e

SU

Su

mm

ar

y » La progression tumorale est associée à une augmentation de la

concentration en ADN circulant dans le cancer bronchique non à petites cellules comme dans la plupart des cancers. L’utilisation de ces résultats pour la mise en place d’un dépistage ou d’un test pronostique reste encore largement discutée. En revanche, ces dernières années, les altérations moléculaires tumorales ont pu être détectées dans l’ADN circulant, positionnant ce matériel comme “biopsie liquide”. L’ADN circulant devient ainsi une source alternative de matériel tumoral lorsque le prélèvement fait défaut et rend également envisageable le suivi des changements moléculaires au cours du traitement. Les aspects technologiques et les applications à la routine sont discutés ici en prenant comme exemple les mutations de l’EGFR.

Mots-clés : Cancer du poumon – ADN circulant – EGFR – Suivi.

Changes in the levels of circulating nucleic acids have been associated with malignant progression in non-small-cell lung cancer (NSCLC) as in many others cancers. But the potential use of circulating nucleic acids quantifi cation for NSCLC screening and prognosis is still debated. During the past decade, tumor molecular alterations have been detected in cell-free DNA of patients and therefore their use as a “liquid biopsy” has been proposed. Cell-free DNA could be used as a substitute for non-contributive tumor biopsies, and allow tracking molecular changes during treatment. Technological issues and routine applications are discussed based on EGFR alterations as an example.

Keywords: Lung cancer – Circulating DNA – EGFR – Follow-up.

Une biopsie liquide

Soixante-dix pour cent des cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) sont diagnostiqués alors qu’ils sont déjà à un stade avancé et inopérable. Ces stades avancés sont de mauvais pronostic, et le développe-ment d’outils de dépistage précoce et de suivi amélio-rerait considérablement la prise en charge des patients. Les ADN circulants ont été découverts en 1948 (1), et les mécanismes cellulaires impliqués sont maintenant assez bien connus (2). Une partie de ces ADN provient de la tumeur, et les altérations moléculaires du tissu d’origine peuvent être détectées en faible proportion dans l’ADN circulant. Actuellement, dans le cadre de la thérapie ciblée par inhibiteurs de l’activité tyrosine kinase (ITK) de l’EGFR, les mutations du récepteur sont recherchées dans l’ADN extrait de tissus fi xés au formol et inclus en paraffi ne (fi gure 1). Ces ADN sont souvent dégradés, les blocs sont parfois épuisés et/ou pauvres en cellules cancéreuses, et, chez certains patients, il

n’est pas possible d’eff ectuer un prélèvement tissulaire. À l’inverse, il est facile de réaliser des prélèvements sanguins. Ces “biopsies liquides” peuvent servir à la fois pour dénombrer et caractériser les cellules tumorales circulantes qu’elles peuvent contenir (cf. notamment articles de E. Pailler et al., p. 162, et de P. Hofman, p. 168) et pour quantifi er et analyser les ADN présents dans la phase acellulaire de ces échantillons (fi gure 1). On peut alors imaginer utiliser ces biopsies pour la recherche des altérations tumorales avant traitement mais éga-lement pour le suivi des patients, selon des conditions techniques qui restent à affi ner.

La quantifi cation freinée par la technique

Concentration augmentée au diagnosticDepuis quelques années, l’ADN circulant est au cœur d’études quantitatives évaluant le potentiel diagnos-tique et pronostique de leur dosage. Dans le plasma

Apports potentiels de l’ADN circulant pour la prise en charge des cancers bronchiques non à petites cellulesCell-free circulating DNA and the management of non-small-cell lung cancerAudrey Vallée*, Marc Denis*

* Laboratoire de biochimie,

CHU de Nantes.

Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013 175

Apports potentiels de l’ADN circulant pour la prise en charge des cancers bronchiques non à petites cellules

de patients de stade I à IV, les concentrations établies par PCR en temps réel varient, pour 1 ml de plasma, de quelques nanogrammes à une centaine de nano-grammes dans les populations contrôles et d’une dizaine à plusieurs centaines de nanogrammes chez les patients atteints d’un cancer du poumon (3, 4). Si les valeurs diff èrent, les conclusions se rejoignent sur la diff érence entre les populations : les patients présentent de 2 à 4 fois plus d’ADN circulant que les contrôles sains. Si la concentration est parfois corrélée au sexe (3), aucune association n’a été retrouvée avec l’âge, le statut tabagique ou le type histologique. Le stade de la maladie, la taille de la tumeur, sa localisation ou le nombre de sites métastatiques sont des critères encore discutés, par manque de cohortes de taille suf-fi sante pour conclure sur ces diff érents paramètres (5). Les diff érences de concentration seraient signifi catives jusqu’à 1 an avant le diagnostic du cancer par scanner thoracique, comme ont pu l’observer Sozzi et al. sur un suivi de 1 035 fumeurs pendant 5 ans (6).

Valeur pronostique de la concentration avant traitementAvant traitement, les fortes concentrations en ADN circulants sont presque toujours associées à une survie globale diminuée chez les patients traités par chimio-thérapie (4, 7) ou géfi tinib (5). En revanche, peu de résultats ont été publiés sur la valeur prédictive. Dans une étude concernant des patients traités par chimio-thérapie, les auteurs n’observent aucune diff érence signifi cative de la concentration en ADN circulants avant traitement entre les patients répondeurs et les non-répondeurs. Cependant, les dosages en cours de thérapie montrent une concentration signifi cativement plus élevée chez les patients en progression que chez les patients en rémission partielle ou stables (4). De manière générale, ces résultats sont obtenus dans le cadre d’études qui n’étaient pas destinées à évaluer la valeur prédictive des ADN circulants ou sur des petites cohortes. Un projet dédié répondrait plus clairement à la question.

Variations signifi catives en cours de traitementQuelques équipes ont poursuivi les tests après une chirurgie ou après le début du traitement et observent que, chez les patients en progression, les concentrations en ADN circulants resteraient élevées ou augmente-raient, alors que les patients en rémission ou au moins stabilisés verraient leurs concentrations plasmiques se stabiliser, voire diminuer. C’est ce que montre l’étude de Sozzi et al. (6). Au cours du suivi de 38 patients, ils observent, chez les 35 patients qui ne rechutent pas,

une concentration moyenne en ADN circulants plasma-tiques nettement inférieure à la concentration moyenne mesurée au moment de la chirurgie, et qui devient comparable aux concentrations du groupe contrôle. Cette diminution aurait lieu essentiellement dans les 6 mois suivant la chirurgie. À l’inverse, ils observent, chez 3 patients, une augmentation de 2 à 20 fois la concen-tration en ADN plasmiques initiale sur une période allant de 7 à 23 mois après la chirurgie. Deux de ces patients ont développé des métastases hépatiques et sont décédés 2 mois plus tard, et le troisième a rechuté localement 2 ans après (6).

Un frein méthodologiqueLa fi gure 2, p. 176, présente schématiquement les diff é-rents types de profi ls qui peuvent être obtenus par ces études quantitatives. Si, actuellement, les concentrations en ADN circulants ne sont pas utilisées comme outil diagnostique ou pronostique, c’est par manque d’une standardisation des méthodes d’extraction et de dosage qui permettrait d’établir les seuils nécessaires (seuils 1

Figure 1. Les ADN circulants, alternative aux prélèvements tissulaires ? Les altérations moléculaires de la tumeur sont généralement recherchées dans des prélèvements tissulaires. Ceux-ci peuvent être “épuisés”, pauvres en cellules cancéreuses, voire diffi ciles à obtenir. De l’ADN provenant de la destruction des cellules normales circule librement dans le sang chez toute personne. Chez les patients ayant un cancer, on retrouve, en plus, de l’ADN provenant de la tumeur. Avec des techniques sensibles, il est possible de mettre en évidence ces altérations moléculaires présentes dans les ADN circulants.

Prélèvement tissulaire

Biopsie liquide

ADN fragmenté

ADN circulant

Altération moléculaire

Cellulestumorales circulantes

Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013176

d o s s i e r t h é m a t i q u e

Cellules tumorales et ADN libre circulant

et 2 ; fi gure 2). Récemment, El Messaoudi et al. (8) ont proposé les premières “bonnes pratiques” préanalytiques spécifi ques aux ADN circulants. Ils recommandent de travailler avec du plasma collecté dans des tubes EDTA, de centrifuger le tube de sang au plus tard 6 h après le prélèvement, de conserver le plasma entre − 20 et − 80 °C, de conserver les ADN circulants extraits à − 20 °C et d’éviter les cycles de décongélation-recongélation répétés (8). Le respect de ces recommandations devrait permettre aux prochaines études d’aider à conclure sur l’intérêt de ces approches quantitatives (8).

Approches qualitatives : recherche d’altérations moléculaires

Les concentrations en ADN circulants refl ètent des processus pathologiques mais également physio-logiques (2). L’identifi cation de marqueurs spécifi ques au cancer est donc une garantie de suivre exclusivement l’ADN tumoral. Deux choix sont possibles : rechercher soit des marqueurs du cancer bronchique, soit des marqueurs personnalisés, comme le marqueur thé-ranostique EGFR.

Marqueurs diagnostiques et pronostiquesL’hyperméthylation des promoteurs de gènes suppres-seurs de tumeurs est un mécanisme classique de la tumorigenèse. La méthylation de marqueurs comme RASSF1A et RARB2 a ainsi été analysée par traitement de l’ADN circulant par du bisulfi te de sodium suivi de pyroséquençage (9). L’hyperméthylation de ces mar-queurs est eff ectivement détectable dans le plasma des patients, et leurs indices de méthylation sont 2 à 3 fois plus élevés chez les patients atteints d’un can-cer du poumon que dans les populations contrôles. Les auteurs proposent un test diagnostique sensible à 87 % et spécifi que à 75 %. De façon intéressante, ils observent également une diminution de l’indice de méthylation après une résection chirurgicale ou après le début d’une chimiothérapie, sauf dans le cas des patients qui rechutent quelques mois plus tard, chez lesquels l’indice aurait tendance à augmenter.Au-delà d’une sensibilité souvent imparfaite, proba-blement liée aux conditions préanalytiques, l’absence d’implications cliniques fortes fait que la plupart des marqueurs testés ne trouvent pas non plus leur place dans les examens de routine actuels. En revanche, la détection de marqueurs prédictifs de la réponse aux traitements (marqueurs théranostiques) aurait un réel intérêt clinique.

Choix thérapeutique : recherche de marqueurs théranostiquesLes mutations du gène EGFR sont recherchées en rou-tine pour la prescription des ITK de l’EGFR sur ADN extrait de tissus fi xés au formol et inclus en paraffi ne. Mais, pour environ 10 % des patients (rapport d’activité des plateformes de génétique moléculaire des cancers, INCa, 2011), l’analyse n’aboutit pas, soit à cause d’une qualité insuffi sante de l’ADN extrait, soit parce que le bloc est épuisé ou que le prélèvement n’est pas suffi -samment riche en cellules cancéreuses. L’analyse des ADN circulants pourrait donc se substituer aux tests sur tissus lorsque ceux-ci ne sont pas fructueux. Pour compenser les faibles quantités de matériel extrait sur plasma et la faible représentation des copies mutées dans les ADN circulants, un travail technique important a été réalisé pour garantir les meilleures sensibilités de détection des altérations moléculaires. Une sélection des techniques les plus sensibles et des résultats les plus prometteurs est présentée dans le tableau.Lors d’une analyse comparative récente de sérums et de plasmas collectés avant traitement chez des patients dont la tumeur portait une altération d’EGFR, nous avons observé une meilleure sensibilité avec le plasma (10). Ceci explique probablement pourquoi, malgré des tech-

Figure 2. Valeurs diagnostique et pronostique des concentrations en ADN circulants. Représentation schématique des diff érents types de profi ls théoriques qui peuvent être obtenus par quantifi cation des ADN circulants. La ligne pleine correspond aux concentrations en ADN circulants chez un patient de mauvais pronostic, et la ligne discontinue aux concentrations chez un patient de bon pronostic. Le seuil 1 délimite le passage d’une concentration normale à une concentration pathologique en ADN circulants, et le seuil 2 distingue les patients de bon et de mauvais pronostic. La zone encadrée par les 2 lignes pointillées verticales identifi e une période théorique pour la mise en place d’un diagnostic précoce par quantifi cation. La zone en aval propose un suivi de la réponse au traitement par quantifi cation.

Diagnostic/traitement

Diagnosticprécoce ?

Progression

Seuil

Seuil

Conc

entra

tion

en A

DN ci

rcul

ant

2

1

Rémission/stabilisation

Temps

Suivi ?

Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013 177

Apports potentiels de l’ADN circulant pour la prise en charge des cancers bronchiques non à petites cellules

niques sensibles (PCR avec acide nucléique peptidique [PNA] et kit DxS de Qiagen), les résultats des études EURTAC et IPASS ne retrouvent que 43 % (22 mutations sur 51) et 47 % (51 mutations sur 109), respectivement, des mutations tumorales dans le sérum (11, 12). Sur le plasma, les meilleures sensibilités ne sont pas obliga-toirement obtenues par les dernières technologies de moyen et haut débit. Parmi les techniques que nous appellerons classiques, parce qu’elles ne nécessitent pas d’investissement technologique particulier, le kit Therascreen® EGFR RGQ de Qiagen (PCR spécifi que d’allèle avec sonde scorpion) a prouvé sa sensibilité en détectant 18 mutations sur les 19 recherchées dans les plasmas collectés avant traitement (10). Parmi les tech-nologies les plus récentes, le pyroséquençage donne également de très bons résultats : sur 52 plasmas testés, l’équipe d’Akca a détecté 84 % des mutations recher-chées (13). Enfi n, le séquençage de nouvelle généra-tion, même s’il est prometteur, n’a été testé que sur une cohorte de 30 patients ne comportant que 5 patients porteurs de mutations. Les 5 mutations sont néanmoins retrouvées dans cette étude préliminaire (14). Ces résultats ne refl ètent parfois le travail que d’une seule équipe sur des cohortes généralement de faibles

eff ectifs, et, même si certaines techniques garantissent désormais une concordance presque parfaite entre ADN tumoral et ADN circulant, ces résultats méritent d’être confi rmés dans le cadre d’études prospectives multicentriques à plus grande échelle. C’est l’objet de l’étude ASSESS, qui vient de débuter. Il s’agit d’une étude internationale (Japon et Europe) dont l’objectif est de comparer les résultats des tests EGFR réalisés simultanément et de manière prospective sur tissus et sur ADN circulants chez 1300 patients (détails sur clinicaltrials.gov ; étude n° NCT01785888).

Suivi des marqueurs : réponse au traitement et progressionSi la sensibilité au diagnostic est validée, une autre utilisation de ces biopsies liquides pourrait être envi-sagée. En eff et, la plupart des patients rechutent dans l’année qui suit le traitement par ITK. Il existe plusieurs mécanismes de résistance, dont l’acquisition de la muta-tion T790M sur l’exon 20 du gène EGFR dans 50 % des cas. Réaliser une seconde biopsie renseignerait sur les mécanismes moléculaires en jeu et pourrait aider au choix de la thérapie de la ligne suivante, mais l’état des patients rend souvent diffi cile ce second prélèvement.

Tableau. Principales techniques utilisées pour la détection des mutations de l’EGFR dans l’ADN circulant.

Référence Prélèvement Technique Nombre de patients (mutés et sauvages)

Sensibilité (n détectés/n mutés)

Spécifi cité

TECHNIQUES CLASSIQUES ET ADAPTATIONS

Punnoose et al. (15) Plasma Kit DxS pour EGFR et KRAS ; essais Taqman pour KRAS, PIK3CA,

BRAF, NRAS

25 9/10 (90 %) ND

Vallée et al. (10) Plasma Kit PCR Therascreen® EGFR RGQ

85 18/19 (94,7 %) 100 %

Nakamura et al. (20) Plasma WIP-QP* pour l’exon 19, MBP-QP**

pour l’exon 21

39 39/39 (100 %) ND

TECHNIQUES À ÉQUIPEMENT DÉDIÉ

Taniguchi et al. (18) Plasma BEAMing 21 12/21 (62 %) ND

Yung et al. (16) Plasma PCR digitale 35 15/19 (79 %) 100 %

Akca et al. (13) Sérum Pyroséquençage + confi rmation par

séquençage

52 21/25 (84 %) 100 %

Yam et al. (19) Plasma PCR avec PNA puis extension

fl uorescente allèle-spécifi que sur puce

51 36/37 (97,2 %) ND

Narayan et al. (14) Plasma NGS 30 5/5 (100 %) 100 %

ND : non déterminé.* Détection des délétions de l’exon 19 par PCR avec acide nucléique inhibiteur de la séquence sauvage et sondes fl uorescentes.** Détection des mutations de l’exon 21 par PCR spécifi que d’allèle et sondes fl uorescentes.

Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013178

d o s s i e r t h é m a t i q u e

Cellules tumorales et ADN libre circulant

En revanche, les prélèvements de sang n’ont pas de contre-indications et sont répétables pour un suivi pré-cis des changements moléculaires. Leur signifi cation en termes de réponse au traitement, de progression et de rechute reste cependant à établir.Les études cinétiques de suivi sont en eff et encore rares, la diffi culté étant de réussir à suivre régulière-ment un nombre suffi sant de patients porteurs de mutations et sur un temps assez long pour recueillir des données statistiquement signifi catives. Dans la plupart des cas, un seul prélèvement est récolté pen-dant ou après le traitement pour réaliser des analyses rétrospectives en fonction de la réponse au traitement. La persistance de la mutation a ainsi été associée à la progression alors que, à l’inverse, chez les patients stabilisés ou en réponse partielle ou complète, on observe une diminution ou la disparition de la frac-tion mutée, quantifi able avec les techniques de PCR spécifi que d’allèle, BEAMing, PCR digitale et séquence de nouvelle génération (NGS) [14-16]. Dans les études dédiées aux mécanismes de résistance, la mutation T790M est retrouvée dans le plasma de 28 à 44 % des patients (17, 18), des chiff res cohérents avec les don-nées connues sur tissus.

Yam et al. (19) ont réalisé l’un des rares suivis de cohorte. Au total, 21 patients ont été suivis jusqu’à 18 mois après l’instauration du traitement par ITK. Avant le traitement, 18 des 21 mutations étaient détectées dans le plasma par PCR avec PNA puis extension allèle-spécifi que sur puce. Chez les 16 patients qui ont répondu aux ITK, 9 mutations sont devenues indétectables. On ne sait malheureusement pas si une diff érence de survie ou de progression a été observée entre les 2 groupes. Enfi n, le plasma de 44 % des patients en progression présente la mutation de résistance T790M, ce qui rejoint les résultats sur tissus cités précédemment (19).Quelques cas cliniques intéressants ont également été rapportés et fournissent peut-être les résultats les plus complets avec à la fois la réponse aux traitements, l’évolution de la maladie, les choix thérapeutiques et les résultats des analyses de biologie moléculaire sur tissus et/ou plasmas récoltés à chaque visite. Dans leur publication de 2012, Nakamura et al. (20) relatent ainsi le cas d’un patient qui a rechuté après une résection chirurgicale. La délétion de l’exon 19 étant présente dans la tumeur primitive, le patient a été traité par géfi tinib. Avant le traitement, ni la délétion ni la mutation T790M n’étaient détectables dans le plasma. Suite à une der-matite sévère, l’ITK d’EGFR a dû être arrêté, et le patient a été placé sous chimiothérapie. Il a développé une métastase pulmonaire. À ce stade, la délétion de l’exon 19 était devenue détectable dans le plasma. Le patient a été placé cette fois-ci sous erlotinib pendant 1 an avant de développer une résistance au traitement. La muta-tion T790M était alors détectable avec la délétion de l’exon 19 dans le plasma. D’autres auteurs ont rapporté ce même genre de profi l, et une question majeure est maintenant de savoir si les modifi cations moléculaires du plasma précèdent les observations par imagerie et autres outils traditionnels de suivi, auquel cas les ADN circulants deviendraient un outil puissant du suivi des patients (fi gure 3). Des études prospectives sont donc encore nécessaires pour évaluer le pouvoir pronostique et prédictif des ADN circulants dans le CBNPC.

Conclusion

Les analyses quantitatives de l’ADN circulant ont été les premières développées ; leurs résultats sont pourtant encore loin de trouver leur place dans la routine en cancérologie. Beaucoup d’espoirs ont été placés dans le diagnostic précoce par quantifi cation, mais l’applica-tion de cet outil en clinique se heurte à des problèmes fondamentaux d’homogénéisation des conditions pré-analytiques. Bien que ce sujet ait été soulevé très tôt

Figure 3. Les mutations de l’EGFR sur plasma comme marqueurs de la réponse au traitement. Représentation schématique des diff érents types de profi ls théoriques qui peuvent être obtenus par recherche de mutations dans les ADN circulants. L’exemple choisi est celui d’un patient pré-sentant une altération activatrice d’EGFR (délétion de l’exon 19). Cette altération est retrouvée dans le plasma au diagnostic. Le patient est traité par ITK de l’EGFR. 1. Le patient ne répond pas au traitement, la délétion de l’exon 19 reste détectable dans des proportions équivalentes à celle de départ sur les prélèvements consécutifs. 2. Le patient répond au traitement. Dans le deuxième prélèvement, la mutation activatrice n’est plus détectée ; elle reste indétectable après plusieurs mois de traitement. 3. Le patient commence par répondre, et la délétion de l’exon 19 n’est plus détectable dans le plasma. Après quelques mois de traitement, le patient rechute. La délétion de l’exon 19 est de nouveau détectable ainsi que la mutation de résistance T790M.

Délétion 19

ITK 1. Pas de réponse au traitement

2. Bonne réponseau traitement

3. Rechute avecacquisition de

résistance

Changementde traitement ?

Changementde traitement ?

Maintien de l’ITK

Diag

nost

ic

Frac

tion

mut

ée p

lasm

atiq

ue

Temps

T790M

Seuil de positivité

Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013 179181 mm

Apports potentiels de l’ADN circulant pour la prise en charge des cancers bronchiques non à petites cellules

dans l’histoire des analyses quantitatives, peu de travaux se sont attachés à identifi er les meilleures pratiques pour la manipulation des ADN circulants. Il faut espérer que les recommandations publiées récemment seront prises en compte pour les études futures (8).L’avenir proche de l’ADN circulant se trouve plus pro-bablement dans son rôle de biopsie liquide. En eff et, la détection des altérations moléculaires de la tumeur dans la circulation trouve un écho immédiat avec les thérapies ciblées. La prescription des nouvelles molé-cules est conditionnée par la recherche de mutations de biomarqueurs prédictifs. Mais les biologistes et les pathologistes moléculaires sont régulièrement confron-tés à du matériel en quantité ou de qualité insuffi santes. La possibilité d’utiliser les ADN circulants ouvre donc de nouvelles perspectives. Si les résultats actuels doivent

être enrichis et validés par des études prospectives multicentriques, l’évolution des technologies de bio-logie moléculaire devrait garantir des résultats aussi précis sur ADN circulants que sur les tumeurs dont ils sont issus. Mieux encore, des technologies comme le séquençage nouvelle génération permettent d’envi-sager un suivi complet et personnalisé de panels de marqueurs moléculaires de la réponse au traitement, de la résistance, de la progression et de la rechute. Ce type de suivi cinétique donnerait une chance de réa-dapter au plus tôt et plus spécifi quement les traite-ments des patients. Enfi n, les questions qui subsistent sur les mécanismes moléculaires de la réponse et de la résistance trouveront peut-être leurs réponses dans l’association de cette biopsie liquide aux derniers outils les plus sensibles. ■

1. Mandel P, Metais P. Les acides nucléiques du plasma sanguin chez l’homme. CR Seances Soc Biol Fil 1948;142:241-3.

2. Schwarzenbach H, Hoon DS, Pantel K. Cell-free nucleic acids as biomarkers in cancer patients. Nat Rev Cancer 2011;11:426-37.

3. Catarino R, Coelho A, Araujo A et al. Circulating DNA: dia-gnostic tool and predictive marker for overall survival of NSCLC patients. PLoS One 2012;7:e38559.

4. Kumar S, Guleria R, Singh V, Bharti AC, Mohan A, Das BC. Effi cacy of circulating plasma DNA as a diagnostic tool for advanced non-small-cell lung cancer and its predictive uti-lity for survival and response to chemotherapy. Lung Cancer 2010;70:211-7.

5. Lee YJ, Yoon KA, Han JY et al. Circulating cell-free DNA in plasma of never smokers with advanced lung adenocarcinoma receiving gefi tinib or standard chemotherapy as fi rst-line the-rapy. Clin Cancer Res 2011;17:5179-87.

6. Sozzi G, Conte D, Mariani L et al. Analysis of circulating tumor DNA in plasma at diagnosis and during follow-up of lung cancer patients. Cancer Res 2001;61:4675-8.

7. Gautschi O, Bigosch C, Huegli B et al. Circulating deoxyri-bonucleic acid as prognostic marker in non-small-cell lung cancer patients undergoing chemotherapy. J Clin Oncol 2004;22:4157-64.

8. El Messaoudi S, Rolet F, Mouliere F, Thierry AR. Circulating cell free DNA: Preanalytical considerations. Clin Chim Acta 2013;424:222-30.

9. Ponomaryova AA, Rykova EY, Cherdyntseva NV et al. Potentialities of aberrantly methylated circulating DNA for diagnostics and post-treatment follow-up of lung cancer patients. Lung Cancer 2013;81:397-403.

10. Vallée A, Marcq M, Bizieux A et al. Plasma is a better source of tumor-derived circulating cell-free DNA than serum for the detection of EGFR alterations in lung tumor patients. Lung Cancer 2013;82:373-4.

11. Goto K, Ichinose Y, Ohe Y et al. Epidermal growth factor receptor mutation status in circulating free DNA in serum: from IPASS, a phase III study of gefi tinib or carboplatin/paclitaxel in non-small-cell lung cancer. J Thorac Oncol 2012;7:115-21.

12. Rosell R, Carcereny E, Gervais R et al. Erlotinib versus standard chemotherapy as fi rst-line treatment for European patients with advanced EGFR mutation-positive non-small-cell lung cancer (EURTAC): a multicentre, open-label, randomised phase 3 trial. Lancet Oncol 2012;13:239-46.

13. Akca H, Demiray A, Yaren A et al. Utility of serum DNA and pyrosequencing for the detection of EGFR mutations in non-small cell lung cancer. Cancer Genet 2013;206:73-80.

14. Narayan A, Carriero NJ, Gettinger SN et al. Ultrasensitive measurement of hotspot mutations in tumor DNA in blood

using error-suppressed multiplexed deep sequencing. Cancer Res 2012;72:3492-8.

15. Punnoose EA, Atwal S, Liu W et al. Evaluation of circula-ting tumor cells and circulating tumor DNA in non-small-cell lung cancer: association with clinical endpoints in a phase II clinical trial of pertuzumab and erlotinib. Clin Cancer Res 2012;18:2391-401.

16. Yung TK, Chan KC, Mok TS, Tong J, To KF, Lo YM. Single-molecule detection of epidermal growth factor receptor muta-tions in plasma by microfl uidics digital PCR in non-small-cell lung cancer patients. Clin Cancer Res 2009;15:2076-84.

17. Sakai K, Horiike A, Irwin DL et al. Detection of epidermal growth factor receptor T790M mutation in plasma DNA from patients refractory to epidermal growth factor receptor tyrosine kinase inhibitor. Cancer Sci 2013;104:1198-204.

18. Taniguchi K, Uchida J, Nishino K et al. Quantitative detec-tion of EGFR mutations in circulating tumor DNA derived from lung adenocarcinomas. Clin Cancer Res 2011;17:7808-15.

19. Yam I, Lam DC, Chan K et al. EGFR array: uses in the detec-tion of plasma EGFR mutations in non-small-cell lung cancer patients. J Thorac Oncol 2012;7:1131-40.

20. Nakamura T, Sueoka-Aragane N, Iwanaga K et al. Application of a highly sensitive detection system for epidermal growth factor receptor mutations in plasma DNA. J Thorac Oncol 2012;7:1369-81.

R é f é r e n c e s

A. Vallée déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. M. Denis n’a pas déclaré ses éventuels liens d’intérêts.