7/31/2019 Apprendre faire silence

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Apprendre faire silence

On peut envisager le silence sous diffrents points de vue : une absence de parole, une

attitude intrieure de recueillement, une lutte contre ses mauvaises conduites, mais c'est

aussi une attitude positive. Faire silence, en tant qu'attitude active, ne consiste pas

s'abstenir de parler et de penser, mais renoncer nos penses et notre discours. La

capacit de quelqu'un faire silence ne se mesure pas l'importance de ses paroles, mais

son aptitude s'oublier. Il arrive mme que quelqu'un qui se tait extrieurement, refuseparfois ce renoncement, qui est l'enjeu effectif du silence. Il se retranche dans son silence,

afin d'tre insaisissable ou pour esquiver le combat de la vie, afin de pouvoir s'accrocher

lui-mme et son image idale. Pour beaucoup, le silence est une rgression, un retrait

dans l'irresponsabilit du sein maternel. Ce danger existe avant tout chez les jeunes gens,

qui veulent se prescrire de faon prmature le silence comme voie unique. Ils voudraient

se sentir protgs dans le silence, se refusant voir leurs rves rprims par la lutte de la

vie. Le silence devient en ce cas un attachement obstin soi. Or parler, c'est toujours

s'exposer autrui : on prte le flanc l'attaque et les parole peuvent tre objet de critique

ou de moquerie. Nos paroles peuvent nous couvrir de ridicule. Bon nombre de personnesse taisent par orgueil, de peur de s'exposer. On ne peut pas renoncer soi et l'image qu'on

a de sa perfection. Mais il vaudrait mieux courir le risque de se laisser couvrir de ridicule

en s'exprimant. Si je dcouvre quel point j'ai parl de faon burlesque et si je rends

grces Dieu d'avoir t drisoire en parlant, je renonce vraiment moi. Car je cesse de

m'en tenir l'image difiante que les autres devraient se faire de moi, et je puis rendre

grces Dieu, en reprenant les paroles du psalmiste : "(C'est) un bien pour moi que d'tre

afflig : apprends-moi tes volonts !" (Ps 118, 71). Je ne m'occupe pas de savoir comment

j'aurais pu parler d'une autre faon qui soit plus difiante, mais je renonce moi et ces

images idales, pour m'en remettre totalement Dieu. C'est de ce renoncement qu'il estfinalement question dans le silence.

Le silence, au sens de l'abandon, de la mort et de l'migration, ne se rapporte pas seulement

au discours, mais toute notre activit. Il marque toute notre vie et serait mme de la

rendre plus authentique, plus libre et plus humaine ; parce qu'il nous dpouille de tout ce

qui peut altrer notre tre, de ce qui menace d'touffer le fond de notre cur, et qui nous

loigne de cette image que Dieu a dpose en nous. Le but du silence est de nous rendre

plus disponibles Dieu, de sorte que l'Esprit divin se rpande dans toutes nos entreprises,

dans notre pense et notre action. Le silence devrait nous rendre transparents l'Esprit deDieu, au point que Dieu puisse prendre la direction de notre vie. Ce n'est pas nous qui

dterminons notre vie, vu notre troitesse et notre gosme, mais c'est l'Esprit de Dieu lui-

mme auquel dans notre silence nous nous remettons et nous nous confions.

Anselm Grn, Apprendre faire silence,Descle de Brouwer 2001

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