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Approche documentaire sur la synthèse asymétrique
3 articles pour cette approche documentaire.
Questions :
1) Définir la synthèse asymétrique, en montrant les différentes catégories selon la
fonction de l’auxiliaire chiral.
2) Qu’appelle-t-on l’homochiralité du vivant ?
3) Quelle piste est évoquée pour expliquer cette homochiralité du vivant ?
Vol. 97 - Mars 2003 Alfred MATHIS
B U L L E T I N D E L ’ U N I O N D E S P H Y S I C I E N S 489
Prix Nobel de chimie 2001
par Alfred MATHIS
Lycée Jean Rostand - 67000 [email protected]
RÉSUMÉ
Le prix Nobel de chimie de l’année 2001 récompense trois chimistes pour leurs travaux
sur la synthèse asymétrique. Quelques caractéristiques de ces synthèses sont discutées.
1. LES LAURÉATS ET LEURS TRAVAUX
L’Académie Royale des Sciences de Suède a décerné le prix Nobel de chimie à :
♦ William S. KNOWLES chimiste américain, né en 1917, retraité depuis 1986 ;
♦ RYOJI NOYORI de nationalité japonaise, né en 1938, professeur à l’université de
Nagoya ;
♦ K. Barry SHARPLESS de nationalité américaine, né en 1941, professeur à l’Institut de
recherche Scripps, La Jolla, en Californie.
Les deux premiers se partagent la moitié du prix pour leurs travaux sur l’hydrogénation
catalytique utilisant des catalyseurs chiraux, l’autre moitié du prix allant au troisième chi-
miste pour ses travaux sur les réactions d’oxydation catalysées par chiralité. Le montant
total du prix est de dix millions de couronnes suédoises, soit environ un million d’euros
[1-2].
L’importance de la notion de stéréochimie a déjà été reconnue par l’attribution du
prix Nobel de chimie en 1969 à :
♦ BARTON, né en 1918, (Grande-Bretagne) et HASSEL, norvégien (1897-1981)
pour leur contribution à l’évolution et à l’application de l’idée de la conformation en chimie.
Il convient également de citer, ici, les travaux du professeur KAGAN (né en 1930)
directeur du laboratoire de synthèse asymétrique de la faculté des sciences d’Orsay en
1970 qui a apporté au domaine de la chimie moléculaire contemporaine une contribution
essentielle. Ses travaux ont d’ailleurs été récompensés avec ceux de RYOJI et SHARPLESS
par le prix Wolf. Le professeur KAGAN s’est également vu remettre le « Prix de la mai-
son de la chimie » le 22 janvier 2002 [3].
2. LA SYNTHÈSE ASYMÉTRIQUE
2.1. Définition
C’est la synthèse d’une substance chirale à partir d’un précurseur achiral dans
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laquelle un des énantiomères prédomine par rapport à l’autre. La chiralité est introduite
par le biais d’un catalyseur chiral d’origine biologique (enzyme) ou non [4-5].
2.2. Historique
Alors que la nature avait, au cours de l’évolution, résolu de façon géniale le pro-
blème de la synthèse asymétrique par l’utilisation d’enzymes comme catalyseurs chiraux,
les chimistes ne progressaient que très lentement. Les travaux de L. PASTEUR sur la sépa-
ration des énantiomères d’un mélange racémique (1848-1851) peuvent être considérés
comme initiateur de la synthèse asymétrique.
Le tableau ci-dessous dresse une chronologie rapide des synthèses asymétriques [6].
1894 E. FISCHER Synthèse asymétrique in vitro
1904 W. MARCKWALD Première définition de la synthèse asymétrique
1958-1960 J. A. BESON et H. C. BROWN Première synthèse asymétrique non enzymatique
1968 J. R. KNOWLES Première synthèse asymétrique industrielle (L-DOPA)
1971 H. KAGAN Hydrogénation asymétrique des alcènes
2.3. Exemples
2.3.1. Synthèse de l’acide malique dans la nature
Dans la nature la synthèse de l’acide malique se fait par hydrolyse de l’acide fuma-
rique en présence de l’enzyme fumarase (cf. figure 1).
Tableau 1
Figure 1 : Synthèse de l’acide malique.
Figure 2 : 3-hydroxybutanoate d’éthyle.
2.3.2. Synthèse au laboratoire
La réduction de l’acétylacétate d’éthyle CH COCH CO CH CH3 2 2 2 3
par le dihydrogène
conduit au mélange racémique des deux énantiomères du 3-hydroxybutanoate d’éthyle
(cf. figure 2).
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En présence du dihydrogène, de nickel et d’acide tartrique de configuration absolue
(2R, 3R), on obtient à 94 % (masse) le dérivé R alors qu’avec l’acide tartrique de confi-guration absolue (2S, 3S), on obtient à 94 % (masse) le dérivé S [6].
2.4. Catalyse asymétrique
Dans la synthèse classique l’énergie d’activation pour obtenir l’énantiomère R estla même que celle nécessaire à l’obtention du dérivé S. Il y a donc autant de chancesd’obtenir l’un ou l’autre des deux énantiomères, d’où obtention du mélange racémique.
Pour obtenir préférentiellement l’un des deux énantiomères il faut abaisser la valeurde l’énergie d’activation nécessaire pour l’isomère souhaité. C’est justement ce qui sepasse quand on utilise un catalyseur chiral.
La figure 3 illustre cet aspect cinétique de la catalyse asymétrique. Dans le cas dela figure 3 on obtiendra préférentiellement l’énantiomère S.
Figure 3 : Aspects énergétiques de la catalyse asymétrique.
Ces réactions permettent la synthèse préférentielle de l’un des deux énantiomèresavec un excès énantiomérique élevé.
3. ACTIVITÉS BIOLOGIQUES DES ÉNANTIOMÈRES
L’activité biologique de deux énantiomères est souvent différente. L’exemple clas-sique du limonène est bien connu : l’énantiomère S a le goût de citron alors que son iso-mère a le goût de l’orange. La figure 4 (cf. page ci-après) représente les deux structurescorrespondantes.
Dans le cas d’un médicament dont le principe actif est une molécule asymétriquel’un des énantiomères peut donc avoir l’effet recherché mais l’autre peut être à l’originede dysfonctionnement très graves de l’organisme.
Comme exemples on peut citer :♦ L’éthambutol, composé antituberculeux, où seul l’isomère S, S est tuberculostatique
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tandis que le dérivé R, R rend aveugle (cf. figure 5).
Figure 4 : Énantiomères du limonène.
Figure 6 : Pénicillamine.
Tableau 2
Figure 5 : Éthambutol.
♦ La pénicillamine, composé antiarthritique, où seul l’isomère S donne l’effet désiréalors que l’isomère R est très toxique et, de plus, est suspecté d’être cancérigène (cf.
figure 6).
4. QUELQUES APPLICATIONS PHARMACEUTIQUES INDUSTRIELLES
La production à l’échelle industrielle d’énantiomères purs reste un défi, en particu-lier, pour l’industrie pharmaceutique.
Pour la synthèse des médicaments on constate la répartition approximative donnéepar le tableau 2 (% en masse).
Racémiques Achiraux Énantiomériquement purs
17 % 32 % 51 %
4.1. Synthèse de la L-DOPA (dopamine)
Cette synthèse fut la première de type asymétrique à avoir été développée dans l’in-
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dustrie. Elle a été mise au point par William S. KNOWLES qui réalisa l’hydrogénation d’unprécurseur (dérivé de l’acide cinnamique) pour obtenir la L-DOPA ou acide-2-amino-3-(3,4-dihydroxy phényl)-propanoïque en présence d’un catalyseur chiral à base de rho-
dium (complexe chiral dérivé du complexe de Wilkinson) [6 à 8]. Cette synthèse utilisée
par MONSANTO au début des années 1970 n’est plus réalisée actuellement de cette façon.
La figure 7 donne un aperçu des différentes structures mises en jeu.
Figure 7 : Synthèse de la (L)-DOPA.
On obtient 97,5 % (masse) de l’énantiomère désiré qui est un précurseur de la dopa-
mine, un neuromédiateur, utilisé comme médicament dans la maladie de Parkinson.
La dopamine est par ailleurs aussi synthétisée dans la peau, sous l’action des rayons
UV, à partir de tyrosine, pour donner l’eumélanine responsable de la pigmentation de la
peau et donc de la protection contre les effets du soleil.
4.2. Cas de la thalidomide
4.2.1. Historique de la thalidomide
La thalidomide ou (R, S) N-(2,6-dioxo-3-piperidyl)-phtalimide a été mise sur le
marché en 1956 comme sédatif destiné à calmer les nausées des femmes enceintes.
Dès 1961 la corrélation entre la naissance d’enfants ayant des malformations aux
membres (atrophie des segments moyens des membres) et la prise du médicament thali-
domide a été établie. Le médicament fut donc retiré du marché mais, de par le monde, il
y avait tout de même environ dix milles victimes.
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4.2.2. Les énantiomères de la thalidomide
Seul l’énantiomère R a les propriétés sédatives recherchées alors que l’isomère S
est tératogène. La figure 8 donne la formule de la thalidomide.
L’utilisation du médicament sous forme de mélange racémique explique donc les
malformations observées.
On pourrait donc penser utiliser l’énantiomère R pur pour échapper aux effets
secondaires. Mais auparavant il faudra vérifier que l’isomère R ne subit pas d’inversion
après son ingestion dans l’organisme (conditions de pH, de température, ...).
4.2.3. Le retour de la thalidomide
La thalidomide revient au devant de la scène, non pas comme antalgique, mais pour
ses effets très intéressants dans de nombreuses maladies impliquant le système immuni-
taire [9].
La thalidomide permet en effet de lutter contre :
♦ la lèpre ;
♦ certains cancers ;
♦ la tuberculose ;
♦ des dermatoses résistantes aux corticoïdes ;
♦ les complications des greffes de moelle osseuse.
5. SYNTHÈSE CLASSIQUE ET SÉPARATION DES ÉNANTIOMÈRES
Le dédoublement des racémiques obtenus par synthèse classique représente encore
toujours une voie importante d’accès industriel aux composés énantiomères purs.
Le dédoublement par cristallisation de diastéréoisomères est certainement la
méthode la plus employée dans l’industrie.
Pour cela on combine le racémique (R, S) à dédoubler avec une substance chirale
auxiliaire (énantiomère pur, par exemple R). On obtient alors un mélange de deux com-
posés (R, R) et (R, S) que l’on peut généralement facilement séparer par cristallisation
ou des techniques chromatographiques. En éliminant ensuite le composé auxiliaire on
passe à l’énantiomère pur recherché. Cette technique est utilisée, par exemple, pour la
synthèse de la phénylglycine avec un tonnage d’environ 1500 t.a1-
.
Une technologie chromatographique de séparation s’est beaucoup développée ces
dernières années. Elle est basée sur la reconnaissance chirale [10].
Figure 8 : Thalidomide.
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Des molécules chirales, greffées sur la phase stationnaire, vont retenir de façon dif-férente les deux énantiomères par l’intermédiaire d’interactions faibles de type liaisonshydrogène, liaisons π - π, dipôle - dipôle, Van der Waals, comme le montre la figure 9.
Figure 9 : Technique de séparation d’énantiomères à l’aide d’une phase stationnaireoptiquement active.
Bien évidemment le modèle des trois points de reconnaissance est une représenta-tion simplifiée de la réalité.
Dans les réactions de synthèse asymétrique il reste toujours des produits résiduels(stéréoisomères par exemple). Une étape de purification est donc généralement nécessaireet en particulier au stade final de la synthèse. Différentes technologies chromatogra-phiques sont actuellement disponibles [11].
6. CHIRALITÉ ET NATURE
La nature a clairement fait son choix. Les protéines ne contiennent que des acidesaminés de configuration (L). FISCHER avait exprimé ce fait en disant que lorsqu’une molé-cule est asymétrique, son extension se fait de manière asymétrique. Cependant ceci n’ex-plique pas la structure des composés naturels.
On peut citer ici également les expériences de H. B. KAGAN qui a montré dans lesannées 1970 qu’on pouvait synthétiser les hélicènes chiraux à partir de réactifs achirauxet de la lumière polarisée.
Une découverte récente pourrait contribuer au débat sur l’origine de l’homochiralitéde la vie. En effet deux chercheurs (CNRS - Max Planck Institut de Stuttgart) viennentde montrer expérimentalement qu’un champ magnétique couplé à un flux de lumière nonpolarisée était capable d’induire la formation, en excès, d’un des deux énantiomères dansune solution racémique [12].
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CONCLUSION
Une fois de plus l’actualité chimique peut être intégrée dans notre enseignement etdonner l’occasion d’intéresser les élèves et les étudiants en utilisants non pas des exemplesde réactions quelconques mais des réactions qui correspondent à des réalités quotidiennes.Un enseignement, basé sur ces réalités, peut aussi contribuer à rehausser l’image, sansdoute souvent négative, de la chimie auprès des élèves, comme d’une grande partie de lapopulation.
BIBLIOGRAPHIE
[1] L’Actualité Chimique, 2001, n° 11, p. 42.
[2] http://www.nobel.se
[3] L’Actualité Chimique, 2002, n° 5-6, p. 123.
[4] ELIEL E. L. et WILEN S. H. Stéréochimie des composés organiques. Éditions Tec Doc.
[5] COLLET A. Chiralité, vivant et médicaments. Revue du Palais de la découverte,1996, n° 237, p. 23.
[6] ENDERS D. et HOFFMANNS R. W. Synthese. Chemie in unserer Zeit, 1985, 19/6,p. 177.
[7] Prix Nobel de Chimie 2001. Revue du Palais de la découverte, 2001, n° 293, p. 9.
[8] CARPENTIER J.-F. et BULLARD M. Applications industrielles récentes de la catalysehomogène. L’Actualité Chimique, 2002, n° 5-6, p. 59.
[9] Informations Chimie, 1997, n° 388, p. 125.
[10] RÜEDI P. Enantiomerentrennung mittels HPLC. C.L.B., 1989, n° 40/7, p. 357.
[11] GATTUSO M. J. et coll. Sorbex, lit fluidisé simulé. Informations Chimie, 1996, n° 383,p. 105.
[12] Spectra analyse, 2000, n° 217, p. 6.
Comme articles résumant l’ensemble des aspects fondamentaux de la synthèse asy-métrique on peut citer :
♦ AGBOSSOU-NIEDERCORN F. Synthèses asymétriques. L’Actualité Chimique, 2002, n° 5-6.
♦ http://www.faidherbe.org/site/cours/dupuis/ethyl2.htm
Alfred MATHIS
Professeur de physique-chimieLycée Jean RostandStrasbourg (Bas-Rhin)
Molécules et matériaux d’intérêt médical
l’actualité chimique - novembre-décembre 200310
La synthèse asymétriquede composés biologiquement actifsHenri Kagan
Abstract Asymmetric synthesis of biologically active compounds
The importance of enantiomerically pure compounds is recalled as well as the principle of asymmetricsynthesis. Three main types of asymmetric synthesis are possible, using a chiral auxiliary as the controllerof the stereochemistry. Some examples are given.
Mots-clés Asymétrique, énantiosélective, catalyse, auxiliaire chiral, chiralité.
Key-words Asymmetric, enantioselective, catalysis, chiral auxiliary, chirality.
Activité biologique et configuration absolue
De nombreux composés, simples ou complexes, ont la
possibilité d'exister sous la forme de deux structures images
l'une de l'autre, non superposables. Ce phénomène avait été
découvert par Pasteur en 1848, grâce au dédoublement du
tartrate double de sodium et d'ammonium. Les deux
structures images sont dénommées énantiomères. Ce type
particulier de stéréoisomérie a une importance capitale en
chimie ; il apparaît quand la molécule impliquée possède
certaines caractéristiques structurales (voir encadré 1). Les
activités biologiques de deux énantiomères peuvent être
différentes (voir encadré 2). Le premier exemple reconnu
semble être dû à Piutti qui, en 1894, avait remarqué que la
(L)-asparagine, amide de l'acide aspartique (un aminoacide
naturel) était insipide, tandis que la (D)-asparagine avait un
goût sucré. Il est intéressant de rappeler que l'aspartame, un
dipeptide formé entre l'acide aspartique et l'ester éthylique
de la phénylalanine, est un excellent agent sucrant non
calorique. Toutefois, cette propriété utile ne caractérise que
la molécule qui est formée à partir des deux composants
sous la configuration (L). De multiples exemples sont
maintenant connus où une activité biologique donnée est
essentiellement liée à un seul des deux énantiomères. En
1970, un nouveau sédatif doux, la thalidomide (mélange
racémique), avait été commercialisé en Allemagne sous le
nom de Contergan. Ce médicament était surtout utilisé
par les femmes enceintes. Après quelques années de
commercialisation, de nombreuses malformations chez les
nouveau-nés ont été attribuées à l'usage de la thalidomide.
Une étude pharmacologique sur des animaux a montré que
l'activité tératogène néfaste était essentiellement due à
l'énantiomère (D). Des études plus récentes indiquent
toutefois que la thalidomide se racémise aisément dans le
sang, ce qui montre que même l'emploi thérapeutique de la
(L)-thalidomide était voué à l'échec. D'une manière
inattendue, la thalidomide est redevenue un objet d'étude
pour les biologistes qui lui ont trouvé d'intéressantes
propriétés antitumorales (elle est actuellement en phase II
Glossaire
AsymétriqueAbsence de tout élément de symétrie (une structure asymétrique
est chirale).
Auxiliaire chiralMolécule chirale utilisée dans une synthèse asymétrique pour
contrôler la formation d’une nouvelle unité chirale (habituellement
un carbone asymétrique).
ChiralitéDu grec « keir », la main. Propriété géométrique qui caractérise un
objet ayant une image dans un miroir qui ne lui est pas identique.
Par exemple, la main droite et la main gauche ne sont pas
équivalentes et sont images l'une de l'autre dans un miroir.
Configuration absolueInformation permettant de connaître la stéréochimie dans l'espace
d'un énantiomère donné (voir nomenclature de la configuration
absolue).
DédoublementEn anglais : « resolution » : opération permettant d'isoler un
énantiomère à partir d'un mélange racémique. Pasteur a donné les
premiers exemples des divers types de dédoublement.
DiastéréoisomérieToute stéréoisomérie autre que l'énantiomérie. Un cas fréquem-
ment rencontré : deux carbones asymétriques dans la même molé-
cule engendrent les combinaisons possibles (R, R), (S, S), (R, S)
et (S, R). Le composé (R, R) est diastéréoisomère des composés
(R, S) ou (S, R), et il est énantiomère du composé (S, S).
Éléments de symétriePoint, droite ou plan autour desquels on effectue une opération
qui ramène le système en coïncidence avec lui-même. La chiralité
est incompatible avec certains éléments de symétrie (voir
encadré 1).
ÉnantiomèresMolécules chirales images l'une de l'autre.
Excès énantiomérique (ee)ee (%) = [(R - S)]/[(R + S)] × 100. Il est nul pour le mélange
racémique et de 100 % pour un énantiomère pur. Par exemple,
90 % ee signifie 95 % de l'énantiomère majoritaire et 5 % de
l'énantiomère minoritaire.
Nomenclature de la configuration absolueL/D (selon Fischer) ou R/S (selon Cahn, Ingold et Prelog). Des
règles précises fixent l'emploi des descripteurs D, L ou R, S. Le
système R, S est d'emploi très général.
Mélange racémiqueMélange équimoléculaire des deux énantiomères.
11l’actualité chimique - novembre-décembre 2003
Molécules et matériaux
sous le nom de Thalimid). Cette affaire a eu des
répercussions profondes sur l'industrie pharmaceutique,
en mettant l'accent sur la prudence nécessaire à la
commercialisation d'un médicament racémique. Un cas
fréquent est celui où un énantiomère est biologiquement
actif, l'autre énantiomère ne possédant aucune activité et
agissant comme un simple ballast. Il en est ainsi avec la
(L)-dopa utilisée comme agent anti-parkinsonien à des
doses journalières de l'ordre du gramme. Une situation plus
rare est celle où la synergie entre les actions des deux
énantiomères rend le médicament racémique plus efficace
que le médicament énantiopur.
La législation distingue actuellement très clairement un
énantiomère de son mélange racémique. La FDA (Food and
Drug Administration) n'impose pas l'usage systématique
d'un énantiomère, mais exige une étude biologique poussée
des deux énantiomères du mélange racémique. Cette
contrainte incite la plupart des laboratoires pharmaceutiques
à commercialiser les médicaments sous forme d'un
énantiomère. Aujourd'hui, une autre tendance se fait jour :
prolonger un médicament racémique efficace arrivant en fin
de brevet par le « nouveau » médicament énantiopur,
stratégie appelée « racemic switch » par les Anglo-saxons.
Par exemple, l'omeprazole (Prilosec/Losec de chez Astra)
est un anti-ulcéreux qui s'est longtemps placé dans le
peloton de tête des ventes mondiales des médicaments. La
société Astra-Zeneca a lancé en 2001 l'isomeprazole, qui est
l'énantiomère possédant l'essentiel de l'activité biologique
Encadré 1
Exemples de structures énantiomères en chimie organique
Encadré 2
Activité biologique et configuration absolue : quelques exemples
12 l’actualité chimique - novembre-décembre 2003
Molécules et matériaux
de l'omeprazole racémique. Un médicament ténor arrivé en
fin de protection de brevet sera donc sans doute relayé ou
remplacé par un médicament quasi-identique.
La discussion précédente montre qu'il est essentiel de savoir
préparer un médicament sous forme d'un seul énantiomère,
de configuration bien définie. Diverses méthodes, présen-
tées ci-après, sont à la disposition du chimiste pour résoudre
ce problème.
Des méthodes analytiques ont aussi été mises au point pour
caractériser la pureté chimique (> 99,9 %) du composé final
et sa pureté énantiomérique. Cette dernière s'exprime
habituellement soit par le rapport énantiomérique (L/D, si
L > D), soit par l'excès énantiomérique (%) (voir glossaire). La
législation impose actuellement un excès énantiomérique
d’au moins 98 % pour tout médicament commercialisé
comme un seul énantiomère. La chromatographie avec
phase stationnaire chirale est la méthode la plus utilisée pour
évaluer les excès énantiomériques.
La synthèse asymétrique
La synthèse asymétrique consiste à préparer un produit sous
forme d'un énantiomère en partant d'une matière première
achirale. Cette transformation nécessite l'aide d'un
auxiliaire chiral qui est temporairement lié au substrat, à un
réactif ou à un catalyseur [1]. Dans ce dernier cas, on parle
de catalyse asymétrique, situation la plus avantageuse en ce
qui concerne l'auxiliaire chiral qui, en principe, peut être
utilisé en quantité minime pour engendrer une très grande
quantité du produit désiré [2-3]. Dans cet article, on ne
considérera pas les réactions enzymatiques qui font
intervenir des biocatalyseurs. Les trois principaux types de
synthèse asymétrique (diastéréosélective, énantiosélective
stœchiométrique ou catalytique) sont illustrés figure 1. Les
aspects fondamentaux de la synthèse asymétrique ont été
récemment développés dans L'Actualité Chimique [4], le
lecteur pourra s'y référer pour un certain nombre de détails,
de même pour la catalyse asymétrique [5-6]. Nous nous
contenterons ici de donner quelques principes de base. Par
exemple, durant la formation d'un carbone asymétrique de
configuration L, l'auxiliaire chiral joue un rôle équivalent à
celui d'un contrôleur de travaux sur un chantier ou à celui
d'un chef d'orchestre : les instructions « à droite » ou « à
gauche » viennent de l'auxiliaire chiral.
Les réactifs chiraux transforment directement le substrat
chiral en l'énantiomère désiré, l'auxiliaire chiral étant
employé en quantité stœchiométrique par rapport au
substrat. Il existe diverses classes de réactifs chiraux très
efficaces qui sont d'usage courant au laboratoire. Par
exemple, H.C. Brown (prix Nobel 1979) a développé une
chimie du bore au départ de l'α-pinène (l'auxiliaire chiral), un
terpène très bon marché et disponible dans la nature sous
forme de l'un ou l'autre énantiomère. Nous citerons un
représentant de la famille des réactifs de Brown, le
chlorodiisopinocamphénylborane (DipCl). Ce borane est
capable de réduire énantiosélectivement de nombreuses
cétones en alcools ayant des excès énantiomériques
compris entre 95 et 99 %. La réaction fait intervenir un état
de transition cyclique où les interactions stériques
défavorisent l'une ou l'autre des deux attaques possibles de
la double liaison prochirale. Les deux énantiomères de DipCl
sont disponibles commercialement et sont couramment
utilisés en synthèse asymétrique.
L'hydrogénation asymétrique de déhydroaminoacides
conduit à des aminoacides ayant de très forts excès énantio-
mériques. La première synthèse asymétrique industrielle
Figure 1 - Les principales classes de synthèses asymétriques.
13l’actualité chimique - novembre-décembre 2003
Molécules et matériaux
a été la préparation de la (L)-dopa chez Monsanto en 1975
par W.S. Knowles (prix Nobel 2001) en utilisant un cataly-
seur chiral (figure 2). Celui-ci était un complexe de rhodium
ayant une diphosphine chirale (dipamp) comme ligand ché-
latant. La dipamp est ici l'auxiliaire chiral qui permet de réa-
liser la synthèse énantiosélective catalytique de la (L)-dopa.
Le catalyseur était employé en quantité infime (de l'ordre du
ppm), rendant viable le procédé. La (L)-dopa préparée
chez Monsanto était ensuite commercialisée par la société
Hoffmann-La-Roche comme médicament anti-Parkinson.
L’époxydation asymétrique d’alcools allyliques selon la
méthode de Sharpless (prix Nobel 2001) donne accès à
d’innombrables synthons chiraux qui sont ensuite utilisés
pour construire des molécules complexes (voir [4] par exem-
ple). L’auxiliaire chiral est un ester de l’acide tartrique qui fait
partie d’un complexe de titane utilisé comme catalyseur.
Les quelques exemples développés ci-dessus laissent
entrevoir la grande variété d'auxiliaires chiraux disponibles
pour le chimiste désirant effectuer des synthèses asymétri-
ques du type diastéréosélective ou énantiosélective.
De nombreux livres ou revues font le point dans ce domaine
qui suscite un très grand intérêt dans les laboratoires acadé-
miques ou industriels.
Synthèse asymétrique et préparation de composés biologiquement actifs
Les composés biologiquement actifs chiraux dont on désire
faire la synthèse peuvent être des composés naturels
simples ou de structures complexes. Ils peuvent aussi
être des composés non naturels identifiés lors d'essais
biologiques ou d'optimisation de l'activité thérapeutique.
La synthèse asymétrique est très adaptée pour la prépara-
tion de molécules de structures simples telles que celles
trouvées chez les α et β-aminoacides, les monoterpènes,
les amines ou aminoalcools, etc. La synthèse asymétrique
installera en général un ou deux centres asymétriques qui
seront à leur tour des contrôleurs chiraux pour l'introduction
de centres asymétriques supplémentaires. Par exemple, la
synthèse industrielle asymétrique du (-)-menthol (figure 3)
Figure 2 - Synthèse asymétrique industrielle de la (L)-dopa.
Figure 3 - Synthèse asymétrique industrielle du (-)-menthol.
14 l’actualité chimique - novembre-décembre 2003
Molécules et matériaux
consiste d'abord à créer le carbone asymétrique n° 3, lequel
sera à l'origine de la configuration absolue des carbones
asymétriques n° 1 et 6.
Les médicaments modernes sont majoritairement de masse
moléculaire inférieure à 1 000, mais de structure complexe.
Ils peuvent, en principe, être préparés par les voies de la
synthèse organique. Celle-ci sera simplifiée si la structure
finale est construite par la combinaison de fragments
préparés indépendamment les uns des autres. Ces
fragments, de taille réduite, sont souvent chiraux. Dans ce
cas, la synthèse asymétrique est un outil de choix. Les
parfums ou les composés agrochimiques sont aussi des
cibles intéressantes pour la synthèse asymétrique, comme
illustré par les synthèses industrielles du (-)-menthol (vide
supra), de la Paradisone (figure 4) ou d'un herbicide, le (S)-
métolachlor (figure 5). Ce dernier composé (Dual Magnum)
est employé dans les
cultures du maïs. Sa
préparation représente
actuellement la synthèse
asymétrique industrielle
la plus importante (en
tonnage).
Conclusion
L'emploi des outils et des
concepts de la synthèse
asymétrique est d'usage
courant pour la prépara-
tion des molécules chira-
les. Un auxiliaire chiral
est toujours nécessaire,
sa quantité peut être
minime dans le cas de
la catalyse asymétrique
dont l'importance a été
reconnue par le comité
Nobel en 2001. Des
méthodes enzymatiques
sont en compétition avec
les approches non enzymatiques développées dans cet arti-
cle. Le dédoublement d'un racémique reste aussi très utilisé
sur le plan industriel. L'ensemble des méthodes permettant
d'accéder à des molécules chirales est souvent baptisé du
nom de « chirotechnologie » et des livres sont régulièrement
publiés sur ce thème [7]. Le marché des composés chiraux
représente un enjeu économique important : le total des ven-
tes des produits pharmaceutiques énantiopurs a été estimé
à 150 milliards de dollars pour l'année 2002 [8]. La synthèse
asymétrique (stœchiométrique ou catalytique) est de plus en
plus utilisée sur le plan académique lors de l'élaboration de
molécules complexes. Elle rend aussi de réels services dans
l'industrie pharmaceutique pour la préparation rapide
d'échantillons des deux énantiomères nécessaires aux
premiers essais biologiques (quantités jusqu'à 100 g). Par
contre, la synthèse asymétrique est encore relativement peu
courante dans les procédés industriels, mais elle tend à se
développer.
Références
[1] Seyden-Penne J., Synthèse et catalyse asymétriques, Auxiliaires etligands chiraux, CNRS Édition et EDP Sciences, Paris, 1994.
[2] Kagan H.B., Pour la Science, 1992, 172, p. 42.[3] Noyori R., Asymmetric Catalysis in Organic Synthesis, Wiley, New York,
1994.[4] Agbossou-Niedercorn F., L’Act. Chim., 2002, 5-6, p. 80.[5] Carpentier J.-F., Bulliard M., L’Act. Chim., 2002, 5-6, p. 59.[6] Riant O., L’Act. Chim., 2003, 4-5, p. 39.[7] Sheldon R.A., Chirotechnology, Marcel Dekker Inc., New York, 1993.[8] Rouhi A.M., Chiral business, Chem. Eng. News, 2003, 5 mai, p. 45.
Figure 4 - Synthèse asymétrique industrielle d'un parfum.
Figure 5 - Synthèse asymétrique industrielle d'un herbicide et d'un précurseur chiral d'antibiotiques.
Henri Kagan
est professeur émérite à l’Université
Paris-Sud* et membre de l’Académie des
sciences.
* Laboratoire de catalyse moléculaire(UMR 8075), Institut de Chimie Moléculaire
et des Matériaux d’Orsay, Université Paris-Sud, 91405 OrsayCedex.Courriel : [email protected]
l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394
Chimie organique
31
Chiralité et synthèse asymétriqueen chimie thérapeutiqueHenri B. Kagan et Michel Tabart
Résumé La chiralité joue un rôle clé dans les phénomènes de reconnaissance moléculaire dans le monde du vivant.
Les chimistes s’efforcent donc de synthétiser un seul énantiomère de grande pureté d’une molécule cible.
Parmi les différentes stratégies possibles, la catalyse asymétrique est la plus avantageuse car elle permet à
partir d’une faible quantité de catalyseur chiral de produire de grandes quantités d’un énantiomère pur.
Différents exemples d’applications industrielles de catalyse asymétrique homogène sont donnés, en
particulier dans l’industrie pharmaceutique où les besoins sont importants car la plupart des « petites
molécules » sont chirales.
Mots-clés Chiralité, catalyse asymétrique, applications industrielles, chimie organométallique, hydrogénation
asymétrique, oxydation asymétrique, parfumerie, agrochimie, agroalimentaire, industrie pharmaceutique.
Abstract Chirality and asymmetric synthesis in therapeutic chemistry
Chirality plays a key role in recognition phenomenon in living organisms. Therefore chemists aim at obtaining
a single pure enantiomer of a target molecule. Among the different possible strategies to reach this goal,
asymmetric catalysis is the most attractive one due to the fact that starting from a small amount of chiral
catalyst, it makes it possible to obtain large amounts of a pure enantiomer. Different examples of industrial
applications of homogenous asymmetric catalysis in various domains are given, especially in the
pharmaceutical industry where the needs are important since most “small molecule” drugs are chiral.
Keywords Chirality, asymmetric catalysis, industrial applications, organometallic chemistry, asymmetric hydro-
genation, asymmetric oxidation, perfumery, agrochemicals, food industry, pharmaceutical industry.
Cet article est dédié à la mémoire du professeur Bertrand Castro décédé en juin 2014.
es structures utilisées et générées par le monde vivant
sont souvent chirales (protéines, sucres, ADN, métabo-
lites…) ; donc si l’on veut concevoir des molécules interfé-
rant avec des processus biologiques dans le but de corriger
une situation pathologique, il est nécessaire de prendre en
compte ce phénomène de chiralité.
La notion de chiralité
Le premier médicament utilisé par l’homme pour soula-
ger la douleur est très vraisemblablement la morphine, alca-
loïde extrait du pavot, dont les propriétés antalgiques sont
dues à son action agoniste des récepteurs opiacés centraux,
et plus particulièrement du récepteur µ, dont les ligands
naturels sont les enképhalines (petits peptides constitués
d’amino-acides chiraux). C’est une molécule chirale, c’est-à-
dire un objet tridimensionnel non superposable à son image
dans un miroir (comme une main droite et une main gauche,
le terme de chiralité venant du grec kheir qui signifie précisé-
ment la main), ce qui se traduit en termes mathématiques par
une absence de centre de symétrie ou de plan de symétrie
ou plus généralement d’axe impropre de symétrie (c’est-à-
dire la combinaison d’une rotation autour d’un axe et d’une
symétrie par rapport à un plan perpendiculaire à cet axe). Le
nombre maximal de stéréoisomères d’une molécule possé-
dant n centres asymétriques est 2n. Dans le cas de la molécule
de morphine qui présente cinq carbones asymétriques, ce
nombre est donc de 32, à minorer à 30 du fait de la présence
d’un pont (figure 1).
Pour se convaincre de l’importance cruciale de la notion
de chiralité dans les phénomènes de reconnaissance molé-
culaire qui gouvernent les processus biologiques fondamen-
taux du vivant (comme par exemple le fonctionnement des
enzymes ou la reconnaissance d’un antigène par un anti-
corps, processus de base de l’immunologie), il suffit
d’essayer d’enfiler sa main droite dans un gant gauche : le
gant gauche ne va qu’à la main gauche ! De la même façon,
un récepteur ou une enzyme reconnaît le plus souvent un
seul énantiomère de la molécule médicament.
Deux énantiomères (du grec enantios, opposé, et meros,
partie, autrefois appelés inverses optiques puisqu’ils ont la
propriété de « faire tourner » le plan de polarisation de la
lumière polarisée d’un angle de même valeur absolue mais
de signes opposés) ont les mêmes propriétés physico-
chimiques vis-à-vis d’agents non chiraux ; seuls les agents
eux-mêmes chiraux permettent en effet de les distinguer.
Ainsi leurs propriétés biologiques peu-
vent-elles être très différentes, comme
par exemple leurs propriétés olfactives
(le (R)-limonène a une odeur d’orange,
le (S) une odeur de citron), gustatives (le
(S,S)-aspartame est sucré alors que le
(R,R) est amer), ou encore leurs proprié-
tés pharmacologiques (la (S)-thalido-
mide est tératogène, la (R) est séda-
tive ; le (S,S)-éthambutol est utilisé
dans le traitement de la tuberculose,
le (R,R) entraîne la cécité) (figure 2).
L
Figure 1 - La morphine.
32 l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394
Chimie organique
C’est pourquoi il est essentiel pour les chimistes
de synthétiser un seul énantiomère : celui qui a
l’activité recherchée, appelé l’eutomère, avec la
meilleure pureté possible (l’autre énantiomère, le
distomère, étant considéré comme une « impu-
reté »). Il existe quelques cas où l’activité des deux
énantiomères est équivalente ou voisine, et où il est
donc possible d’utiliser le mélange racémique.
Accès aux composésnon racémiques
La synthèse asymétrique (sur cette notion, on peut se
reporter aux différents articles parus dans L’Actualité
Chimique [1]) consiste à préparer un énantiomère pur à partird’un composé non chiral, ce qui implique à une étape de lasynthèse l’utilisation en quantité stœchiométrique ou biencatalytique d’un composé lui-même déjà chiral et non racé-mique qui va « transmettre » l’information « droite » ou« gauche ». En résumé, on ne crée pas un excès d’un énan-tiomère par rapport à l’autre sans utiliser un agent déjà chiralet non racémique.
La notion de pureté d’un énantiomère par rapport à l’autre(considéré comme une impureté) peut se quantifier grâce àl’excès énantiomérique (ou ee) qui est défini de la façon sui-vante : si r est le nombre de moles (ou la masse) du com-posé R et s le nombre de moles (ou la masse) du composé S
dans le mélange, avec r s, alors l’excès énantiomériqueee = 100x(r-s)/(r+s). Si ee = 90 %, on a un mélange de 95 %deR et 5 %de S. Si ee = 100 %, cela signifie que la méthodede mesure utilisée (le plus souvent la chromatographie surphase chirale) n’a pas permis de détecter l’énantiomère S.
Pour obtenir un énantiomère le plus pur possible, leschimistes disposent de trois stratégies : la séparation desdeux énantiomères d’un mélange racémique, la synthèseasymétrique stœchiométrique, et la catalyse asymétrique.
Séparation des deux énantiomères d’un mélangeracémique
Cette séparation est effectuée selon trois méthodes :- soit parcristallisationdirectedans lecasoù lacristallisationaboutit à un mélange de cristaux énantiomères (situation duconglomérat), ce qui a été la méthode utilisée par Pasteurpour séparer à la pince à épiler les énantiomères du tartratede sodium et d’ammonium. Cette méthode « historique »concerne un cas rare, elle est peu utilisée, contrairement à cellede Gernez (élève de Pasteur) qui consiste à initier la cristalli-sation de l’énantiomère désiré par ajout d’une faible quantitéde cet énantiomère à une solution sursaturée de mélangeracémique ;- soit par formation de sels diastéréoisomères (ou decomposés covalents) puis cristallisation suivie de la libérationde l’énantiomère séparé ;
- soit par chromatographie sur phase chirale.L’inconvénient de ces deux dernières méthodes est la
perte de la moitié de la masse synthétisée, sauf si l’on sait« racémiser » l’énantiomère non désiré afin de le recycler.
La stratégie de dédoublement par salification à l’aided’un agent chiral est celle qui a été choisie par Gates en 1952[2], lorsqu’il a publié la première synthèse totale de la mor-phine en 31 étapes et 0,06 % de rendement global (voirl’étape de dédoublement figure 3).
La synthèse de Gates, qui part de 2,6-dihydroxynaphta-lène, dérivé non chiral, ne permet pas de rivaliser avec la bio-synthèse effectuée par Papaver somniferum album, le pavotà opium, pas plus qu’aucune des nombreuses autres syn-thèses publiées à ce jour. Néanmoins, le dédoublement d’unmélange racémique reste encore très utilisé dans divers pro-cédés industriels car samise enœuvre est relativement simple.
Synthèse asymétrique stœchiométrique
Cette synthèse utilise des matières premières ou desréactifs chiraux (synthons chiraux) en quantité stœchiomé-triquepour obtenir l’énantiomère souhaité. L’inconvénient estsouvent le prix et la disponibilité des réactifs chiraux. Desexemples typiques de cette approche sont la réductionasymétrique de cétones prochirales par l’Alpine borane® [3a],ou bien l’alkylation asymétrique utilisant l’auxiliaire chirald’Evans [3b] (figure 4).
NH
OOH
O NH2
O
O
NH
NH
OH
OH
N
NH
O
O
O
O
edimodilahT-)R(ematrapsA-)S,S( enènomiL-)R( (S,S)-Ethambutol (R)-limonène (S,S)-aspartame (R)-thalidomide (S,S)-éthambutol
Figure 2 - Exemples d’énantiomères ayant des propriétés biologiques particulières.
O
NH
O
OH
NH
O
O
1) Acide dibenzoyltartrique (dédoublement)
2) H2SO4 , H2O
3) N2H4 , KOH
4) tBuOK , Ph2CO
rdt =36%
racémique un seul énantiomère
rendement 36 %
racémique un seul énantiomère
Figure 3 - Étape de dédoublement dans la synthèse totale de la morphine proposéepar Gates [2].
Figure 4.
B
NHO
O
Alpine borane® Exemple d’auxiliaire chiral d’Evans
33l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394
Chimie organique
Catalyse asymétrique
La catalyse asymétrique est la méthode la plus avanta-
geuse des trois approches puisqu’à partir d’une faible quantitéde catalyseur chiral – qui peut être une enzyme extraite d’unorganisme vivant, comme l’estérase de foie de porc, ou bienune molécule organique ou un complexe organométalliquechiral(e) spécialement synthétisé(e) à cet effet –, on peut pro-duire de grandes quantités d’un énantiomère, par une sortede « multiplication » de l’information chirale contenue dansla molécule de catalyseur.
Le dédoublement cinétique d’un mélange racémique estuncasparticulier decatalyseasymétrique. Il consiste àutiliserpar exemple une enzyme pour transformer sélectivement unénantiomère d’un mélange racémique en un composé pos-sédant une fonction chimique différente (cas de l’estérase quipeut hydrolyser un ester en acide), que l’on peut séparer del’autre énantiomère inchangé par les techniques classiques.Ce procédé est basé sur la différence de vitesse de réactionde chaque énantiomère catalysée par un composé chiral.Quand il y a racémisation du substrat durant la réaction (soitracémisation spontanée, soit induite par un catalyseur), onparle de dédoublement cinétique dynamique, qui permetthéoriquement d’atteindre un rendement de 100 %. De nom-breux procédés industriels de synthèse de médicaments uti-lisent cetteméthode, commeparexempledans lapréparationde l’atorvastatine (dédoublement cinétique de l’épichlorhy-drine par la méthode de Jacobsen [3c]) (figure 5a), ou danscelle du clopidogrel (dédoublement cinétique dynamique del’acide chloro-mandélique [3d]) (figure 5b).
C’est sur les avancées récentes et les applications indus-trielles (essentiellement dans le domaine de la pharmacie) dela catalyse homogène organométallique asymétrique quenous allons nous focaliser.
Applications industriellesde la catalyse asymétrique
Les exemples d’applications indus-trielles de la catalyse asymétrique pourobtenir un composé énantiopur sont nom-breux. La majorité des applicationsconcerne la pharmacie, mais il y a aussides exemples significatifs et intéressantsdans l’industrie des parfums, l’agrochimieet l’industrie des arômes alimentaires.
En parfumerie
La synthèse industrielle de la Paradisone®, moléculeodorante qui amène une note florale jasminée et qui entredans la composition de nombreux parfums, comme Acquadi Gio® (Armani) ou Eau sauvage® (Dior), est réalisée grâceau procédé d’hydrogénation asymétrique Genêt-Firmenich[4] sur une échelle de plusieurs centaines de kilogrammes(figure 6). Ce procédé fait suite aux premiers résultatssignificatifs en hydrogénation catalytique obtenus avecla DIOP (O-isopropylidène-2,3-dihydroxy-1,4-bis(diphényl-phosphino)butane) en 1970 [5].
En agrochimie
Dans ce domaine également la réduction catalytiqueasymétrique joue un rôle prépondérant, comme dans lasynthèse du (S)-métolachlor [6] (Dual Gold®, figure 7), undésherbant pour le maïs très utilisé aux États-Unis.
Dans l’industrie des arômes alimentaires
Le menthol est obtenu à l’échelle de plusieurs centainesde tonnes grâce au procédé Takasago [7] d’isomérisationasymétrique d’une allylamine en énamine catalysée par lecomplexe rhodium/BINAP de Noyori (figure 8). Il est princi-palement utilisé dans l’industrie du tabac pour parfumer lescigarettes, mais aussi comme arôme alimentaire ou anesthé-sique local.
Dans l’industrie pharmaceutique
C’estdanscedomaineque lacatalyseasymétrique trouveses applications les plus nombreuses et les plus remar-quables. Historiquement, la première application industriellepour la synthèsed’unmédicament a été le procédéMonsanto
Co(III)
N N
O OOAc
R
OH
OH
R
O
R
O
R
O
Catalyseur de type salen (R,R)
H2O+ +
Racémique Séparation en général par distillation
Cl
CN
OH Cl OH
O
OH
Cl
CN
OH
Cl O
H
Nitrilase
++ HCN
- HCN
- HCN
(Rapide)
(Racémisationspontanée)
a b
Figure 5 - Préparation de l’atorvastatine (a) et du clopidogrel (b).
O
OO
O
OO
P
P
H2
Ru / Me-DuPHOS
(+)-cis-dihydrojasmonate de méthyle
Paradisone®
cis / trans = 99/1
ee = 90%
Me-DuPHOS =
Figure 6 - Procédé d’hydrogénation asymétrique Genêt-Firmenich [4].
34 l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394
Chimie organique
[8] d’hydrogénation asymétrique de Knowles, au début desannées 1970, qui a conduit à la L-Dopa, médicament anti-parkinsonien (figure 9a).
La catalyse asymétrique de réactionsd’oxydation a également des applicationsindustrielles importantes, comme parexemple l’époxydation asymétrique par lecatalyseur de Jacobsen [10] dans la syn-thèse industrielle de l’indinavir (Crixivan®,figure 9b), inhibiteur de la protéase du VIH.
C’est également le cas de la sulfoxyda-tion asymétrique [11a-b] utilisée dans la syn-thèse industrielle de l’esoméprazole d’Astra-Zeneca (énantiomère (S) de l’oméprazole,anti-ulcère, figure 9c) qui était le 4emédica-ment le plus vendu au monde en 2012 (entermes de chiffres d’affaires).
La sulfoxydation asymétrique a été éga-lement employée par Cephalon (États-Unis)dans la préparation de l’armodafinil [11c-d],énantiomère (R) du modafinil, sulfoxyderégulateur dusommeil qui agit commestimu-lant dans le traitement de la narcolepsie oude l’hypersomnie idiopathique (figure 9d).
Chiralité et industriepharmaceutique
La notion de chiralité est donc au cœurde l’activité de l’industrie pharmaceutique,comme par exemple dans le domaine desagents anti-infectieux, dont la majeure par-tiesontdescomposéschirauxpour lesquelsgénéralement un seul énantiomère possèdel’activité antibactérienne [12]. Les pro-blèmes rencontrés dans les années 1950 et1960 lors de l’utilisation de mélanges racé-miques, avec notamment l’exemple drama-tique de la thalidomide, ont poussé lesindustriels de la pharmacie à développerdes produits énantiomériquement purs.Ceci explique que la majorité des nouvellespetites molécules possédant des centresasymétriques sont développées depuis lesannées 1980 sous forme d’un seul énantio-mère. La recherche pharmaceutique, enconstante évolution, propose depuis la findes années 1990 des molécules de poidsmoléculaires élevés (« biomédicaments »,ou « biologics » en anglais) qui sont desprotéines ou des dérivés de protéines quiprennent de plus en plus d’importance.
Dans ce contexte changeant rapide-ment, il est intéressant decomparer lesdon-nées concernant les chiffres d’affaires 2010et 2012 des dix médicaments les plus ven-dus au monde, afin de mieux comprendrecette évolution (voir tableaux I et II).
L’analyse comparée de ces deuxtableaux de données sur un intervalle detemps trèscourt (deuxans) permetdedéga-ger quelques éléments intéressants :• Sur la notion de blockbuster et de géné-
rique : en 2010, deux produits font deschiffres d’affaires considérables : le Lipitor®
de Pfizer (12,7 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB2010 de pays comme l’Islande ou le Sénégal) et le Plavix®
de Sanofi. En 2012, ces deux produits sont passés dans le
NO
NH
ON
O
OCl
PPh2
PH
Fe2
H2
[Ir]/ Xyliphos
(S)-Métolachlor
Xyliphos=
ee= 80%
ClCH2COCl
NEt2
NEt2 OH
PPh3
PPh3
(S)-BINAP=
[Rh (S)-BINAP]+
ee=97%
(-)-Menthol
COOH
NHAc
MeO
AcO
COOH
NHAc
MeO
AcO
COOH
NH2
OH
OH
PPMeO OMe(R,R)) DiPAMP=
H2
[Rh((R,R)-DiPAMP)COD]+BF4-
ee= 95%
Hydrolyse
L-Dopa
N
N
N
OH
O
NH
NH
O
OHO
OH
N N
tBu
tBu OH tBu
tBu
N+
O
[Mn (Salen)]
(P3)NO
ee = 88%
Salen = (P3)NO =
Indinavir (Crixivan®)
NaOCl
NS
NH
N
OMe
OMeN
S
NH
N
OMe
OMe
O
[Ti(OiPr)4.(S,S)-tartrate de diéthyle]
ee = 93%..
ROOH
Esoméprazole
L-Dopa
Indinavir
Esoméprazole
a
b
c
d
SNH
2
O
SNH
2
OO[Ti(OiPr)4.(S,S)-tartrate de diéthyle]
ee = 99,5%
Armodafinil
ROOH
Armodafinil
Figure 7 - Synthèse du (S)-métolachlor [6].
Figure 8 - Synthèse du menthol par le procédé Takasago [7].
Figure 9 - Exemples d’utilisation de la catalyse asymétrique dans l’industrie pharmaceutique :synthèse de la L-Dopa (a) ; de l’indinavir (b) ; de l’esoméprazole (c) ; et de l’armodafinil (d).
35l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394
Chimie organique
Tableau I - Médicaments les plus vendus en 2010 (classés par chiffre d’affaires mondial).*Chiffres 2010 d’IMS Health Midas (entreprise américaine spécialisée dans les solutions d’information dédiées à l’industrie pharmaceutique). Ces chiffres etces classements peuvent différer notablement selon les sources, mais les comparaisons des tableaux issus de ces différentes sources donnent les mêmestendances. La colonne « source de la chiralité » fait référence à des voies de synthèse industrielles publiées, mais pas forcément à la synthèse actuellementemployée pour produire ces médicaments.
N° Nom/DCI SociétéVentes* 2010Milliards $
IndicationsMode d’action
Structure Source de la chiralité
1 Lipitor®
(atorvastin)Pfizer 12,7
Hyperlipidémie ;Hypercholestérolémie ;Inhibiteur d’HMG CoA
réductase
Synthon chiral :(S)-épichlorohydrine
préparée pardédoublement cinétiqueRéduction asymétrique
2 Plavix®
(clopidogrel)
Bristol-MyersSquibb/Sanofi
8,8
Prévention del’athérothrombose ;
Antagoniste du récepteurP2Y12 de la purine
Dédoublement cinétiquedynamique par biocatalyse
3Advair®
(fluticasone/salmeterol)
GlaxoSmithKline
8,5Asthme ; Agoniste durécepteur Bêta 2adrénergique
Salmeterol racémiqueFluticasone produit dedépart chiral d’origine
naturelle
4 Nexium®
(esomeprazole)AstraZeneca 8,4
Infection à Helicobacterpylori ; Reflux
gastroœsophagien ;Ulcère duodénal ;Œsophagites
Inhibiteur d’H+ K+
ATPase
Oxydation asymétrique parcatalyse organométalique
5Seroquel®
(quetiapinefumarate)
AstraZeneca 6,8
Dépressionschizophrénie ;
Insomnie ; Troublesbipolaires ; Antagonistedu récepteur D2 de ladopamine ; Antagonistedu récepteur 5-HT 2 de la
sérotonine
Produit achiral
6 Crestor®
(rosuvastatine)AstraZeneca 6,8
Hyperlipidémie ;Hypercholestérolémie ;Inhibiteur d’HMG CoA
réductase
Stéréochimie de la chaînelatérale contrôlée parbiocatalyse (aldolase)
7 Enbrel®
(etanercept)
Amgen/Pfizer/Takeda
6,2Spondylarthrite ; Arthriterhumatoïde ; Psoriasis ;Antagoniste du TNFα
Protéine de fusion, 934 amino-acidesrécepteur TNF + fragment d’anticorps
150 kDa
Peptide produit parfermentation (amino-acidesnaturels du métabolisme
cellulaire)
8 Remicade®
(infiximab)
Johnson &Johnson/
Merck & Co.6,0
Spondylarthrite ; Arthriterhumatoïde ; Psoriasis ;Antagoniste du TNFα
Anticorps monoclonalanti TNF149 kDa
Peptide produit parfermentation (amino-acidesnaturels du métabolisme
cellulaire)
9 Humira®
(adalimumab)
AbbottLaboratories
6,0Spondylarthrite ; Arthriterhumatoïde ; Psoriasis ;Antagoniste du TNFα
Anticorps monoclonalanti TNF148 kDa
Peptide produit parfermentation (amino-acidesnaturels du métabolisme
cellulaire)
10 Zyprexa®
(olanzapine)Eli Lilly 5,7
Schizophrénie ; Troublesbipolaires (I et II),
épisodes maniaques ;Antagoniste des
récepteurs D1, D2, D3,D4 de la dopamine ;
Antagoniste du récepteur5-HT 2 de la sérotonine
Produit achiral
NNH
O
O
OH
F
OHOH
N
S
O O
Cl
NH
OH
OH
OH
O
O
F
F
H
H
OHOH
H
SO F
N
NH
S
N
O O
O
N
S
N
N
OH
O
N
NN
S
OH
F
O O
OH
OH
O
N
NH S
N
N
36 l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394
Chimie organique
Tableau II - Médicaments les plus vendus en 2012 (classés par chiffre d’affaires mondial).*Chiffres 2012 d’IMS Health Midas.
N° Nom/DCI SociétéVentes* 2012
Milliards $
Indications
Mode d’actionStructure Source de la chiralité
1Advair®
(fluticasone/salmeterol)
GlaxoSmithKline
8,9Asthme ; Agoniste durécepteur Bêta 2
adrénergique
Salmeterol racémique
Fluticasone produit de
départ chiral d’origine
naturelle
2Humira®
(adalimumab)
AbbottLaboratories
8,5
Spondylarthrite ;Arthrite rhumatoïde ;
Psoriasis ;Antagoniste du TNF
Anticorps monoclonalanti TNF148 kDa
Peptide produit parfermentation (amino-acides naturels du
métabolisme cellulaire)
3Crestor®
(rosuvastatine)AstraZeneca 8,3
Hyperlipidémie ;
Hypercholestérolémie ;
Inhibiteur d’HMGCoA
réductase
Stéréochimie de la
chaîne latéralecontrôlée parbiocatalyse
4Nexium®
(esomepra-zole)
AstraZeneca 7,5
Infection àHelicobacter pylori ;
Refluxgastroœsophagien ;Ulcère duodénal ;Œsophagites ;
Inhibiteur d’H+ K+
ATPase
Oxydation asymétriquepar catalyse
organométalique
5 Enbrel®
(etanercept)
Amgen/Pfizer/Takeda
7,5
Spondylarthrite ;Arthrite rhumatoïde ;
Psoriasis ;Antagoniste du TNF
Protéine de fusion, 934 amino-acidesrécepteur TNF + fragment d’anticorps
150 kDa
Peptide produit parfermentation (amino-acides naturels du
métabolisme cellulaire)
6 Remicade®
(infiximab)
Johnson &Johnson/
Merck & Co.7,3
SpondylarthriteArthrite rhumatoïde
PsoriasisAntagoniste du TNF
Anticorps monoclonalanti TNF149 kDa
Peptide produit parfermentation (amino-acides naturels du
métabolisme cellulaire)
7 Abilify®
(Aripiprazole)
OtsukaPharmaceuti-
cal7,0
SchizophrénieTroubles bipolaires(I et II), épisodes
maniaquesAgoniste partieldopaminergiqueAntagoniste du
récepteur 5-HT 2A dela sérotonine
Produit achiral
8Lantus®
(insulineglargine)
Sanofi 6,6Diabète
Analogue de l’insulineInsuline modifiée :
6063 Da
Peptide produit parfermentation (amino-acides naturels du
métabolisme cellulaire)
9Rituxan®
(rituximab,MabThera)
Roche 6,0
Lymphomes nonhodgkiniens
Leucémie lymphoïdechroniquePolyarthriterhumatoïdeAnti-CD20
Anticorps monoclonalanti CD20145 kDa
Peptide produit parfermentation (amino-acides naturels du
métabolisme cellulaire)
10 Cymbalta®
(duloxetine)Eli Lilly 5,8
Épisodes dépressifsmajeursAnxiété
Inhibiteur derecapture denoradrénalineInhibiteur de
recapture 5-HT 2
Dédoublement parsalification
NH
OH
OH
OH
O
O
F
F
H
H
OHOH
H
SO F
N
NN
S
OH
F
O O
OH
OH
O
N
NH
S
N
O O
O
NH
OO
N N
Cl Cl
OS
NH
37l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394
Chimie organique
domaine public (donc génériques) et n’apparaissent plusdans le top 10. Il semble que la tendance qui se dessine ac-tuellement soit la disparition progressive de blockbusters (quireprésentent à la fois une source de profits important et unfacteur de risque considérable pour un portefeuille produitd’une société) au profit de produits ciblés sur des marchésplus restreints.• Sur la nature des entités chimiques commercialisées : en2010, sept « petites molécules » (dont cinq sont chirales) oc-cupent les premières places du tableau, laissant les dernièresplaces aux trois « biologics » (ou médicaments macromolé-culaires complexes obtenus par des processus biologiquesplutôt que par synthèse chimique et qui sont uniquement in-
jectables). En 2012, ce ne sont plus que cinq « petites molé-
cules » (dont quatre chirales) qui figurent dans ce classement
contre cinq « biologics » (dont un occupe la deuxième place)
qui génèrentglobalementunchiffred’affaireséquivalent.Bien
que les « biologics » soient par nature desmolécules chirales,
elles nécessitent peu ou pas de chimie de synthèse pour les
obtenir. Ces composés sont essentiellement produits par des
procédés biotechnologiques mettant en jeu des cellules
modifiées de microorganismes comme des bactéries, des
levures, ou encore des cellules de mammifères.
Les médicaments complexes (biomédicaments) pren-
nent une place de plus en plus importante dans l’industrie
pharmaceutique. C’est ce que montre cette analyse, ainsi
que les nombreux articles d’experts qui prédisent un avenir
très prometteur à ces nouvelles thérapies [13]. Elles ont déjà
obtenu des résultats probants et suscitent beaucoup
d’espoirs dans des domaines aussi divers et variés que le
cancer, l’arthrite rhumatoïde, la dégénérescence maculaire
liée à l’âge ou encore les dyslipidémies. Ces molécules pré-
sentent évidemment un grand nombre de carbones asymé-
triques ; leur purification peut rencontrer de nombreux pro-
blèmes, comme la dégradation ou l’épimérisation de certains
centres asymétriques fragiles. Ils constituent actuellement
une approche complémentaire à celle basée sur les petites
molécules qui présentent toujours un avantage majeur : la
possibilité d’une administration par voie orale.
On peut constater que sur vingt-sept nouvelles entités
moléculaires approuvées par la FDA en 2013, vingt-trois sont
de petites molécules, chirales pour la majeure partie [14].
Ces chiffres montrent que la chimie organique, et particuliè-
rement la synthèse asymétrique, joue toujours et va très cer-
tainement continuer à jouer un rôle très important dans la
découverte et la production demédicaments innovants. Il est
à noter que parmi ces nouvelles entités figure un dérivé de la
thalidomide (tristement célèbre dans les années 1960 pour
les effets tératogènes d’un énantiomère). Il s’agit du pomali-
domide, composé racémique indiqué dans le traitement du
myélome multiple, ce qui illustre le fait que d’anciennes
séries chimiques déjà travaillées et brevetées peuvent être
« revisitées » et trouver des applications thérapeutiques
dans de nouveaux domaines.
La chimie organique moderne a une remarquable capa-
cité d’adaptation et d’ouverture à l’évolution des sciences,
des techniques et des nouveaux défis ; elle peut jouer un rôle
dans des domaines frontières émergents comme la biologie
synthétique [15]. Des approches comme la mutagenèse diri-
gée d’enzymes [16] peuvent aussi être complémentaires de
la catalyse asymétrique développée dans cet article.
La synthèse organique est une science qui a accompli en
moins de deux siècles des progrès remarquables, depuis la
première synthèse d’un composé organique, l’urée (un seul
carbone, pas de centre asymétrique) par Wöhler en 1828,
jusqu’à la synthèse de la vitamine B12 par Woodward et
Eschenmoser en 1972, puis la palytoxine par Kishi en 1994
(129 carbones dont 62 centres asymétriques, soit un maxi-
mum de 262 stéréoisomères possibles, un chiffre « astrono-
mique » puisqu’il est supérieur à l’estimation du nombre
d’étoiles dans l’univers !) (figure 10).
En comparaison, la nature amis des centaines demillions
d’années pour mettre au point, grâce à l’alphabet des quatre
lettres de l’ADN commun à tous les organismes vivants
connus, des synthèses demolécules parfois très complexes.
Qui peut dire ce que les chimistes seront capables de réaliser
sur une durée beaucoup plus courte ?
Michel Tabart remercie Jean-Marc Paris, Antony Bigot et Baptiste
Ronan pour des discussions fructueuses sur le sujet.
Références
[1] a) Kagan H.B., La synthèse asymétrique de composés biologiquementactifs, L’Act. Chim., 2003, 269-270, p. 10 ; b) Agbossou-Niedercorn F.,Synthèses asymétriques, L’Act. Chim., 2002, 253-254, p. 80 ; c) Riant O.,Catalyse énantiosélective, L’Act. Chim., 2003, 263-264, p. 39.
[2] Gates M., Tschudi G., The synthesis of morphine, J. Am. Chem. Soc.,1952, 74, p. 1109.
[3] a) Midland M.M., Mc Loughlin J.S., Asymmetric reductions of prochiralketones with B-3-pinanyl-9-borabicyclo[3.3.1]nonane (alpine-borane) atelevated pressures, J. Org. Chem., 1989, 54, p. 159 ; b) Evans D.A.,Helmchen G., Rüping M., Chiral auxiliaries in asymmetric synthesis,Asymmetric Synthesis - The Essentials, M. Christmann (ed), Wiley-VCH,2007, p. 3 ; c) Tokunaga M., Larrow J.F., Kakiuchi F., Jacobsen E.N.,
Urée Vitamine B12 Palytoxine Wöhler, 1828 Woodward et Eschenmoser, 1972 Kishi, 1994
Figure 10.
38 l’actualité chimique - février-mars 2015 - n° 393-394
Chimie organique
Asymmetric catalysis with water: efficient kinetic resolution of terminalepoxides by means of catalytic hydrolysis, Science, 1997, p. 936 ;d) Wang H., Sun H., Gao W., Wei D., Org. Process Res. Dev., 2014, 18,p. 767.
[4] a) Dobbs D.A., Vanhessche K.P.M., Brazi E., Rautenstrauch V., Lenoir J.-Y., Genêt J.-P., Wiles J., Bergens S.H., Angew. Chem. Int. Ed. Engl.,2000, 39, p. 1992 ; b) Rautenstrauch V., Genêt J.-P., Lenoir J.-Y., Pat.Appl. WO 9718894, Firmenich SA, 1996.
[5] a) Kagan H.B., Dang T.P., Brevet France IFP n° 7044632, 1970 ; b) DangT.P., Kagan H.B., The asymmetric synthesis of hydratropic acid andamino-acids by homogeneous catalytic hydrogenation, J. Chem. Soc.Chem. Comm., 1971, p. 481.
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[8] Knowles W.S., Acc. Chem. Res., 1983, 16, p. 106.[9] a) Ohta T., Takaya H., Kitamura M., Nagai K., Noyori R., J. Org. Chem.,
1987, 52, p. 3174 ; b) Chan A.S.C., US Patent 4 994 607, 1991 ; c) ChanA.S.C., Laneman S.A., US Patent 5 144 050, 1992 ; d) Chan A.S.C.,Chemtech, 1993, p. 46.
[10] a) Senanayake C.H., Jacobsen E.N., Process Chemistry in thePharmaceutical Industry, K.G. Gadamasetti (ed.), Marcel Dekker, 1999,p. 347 ; b) Hughes D.L., Smith G.B., Liu J, Dezeny G.C., SenanayakeC.H., Larsen R.D., Verhoeven T.R., Reider P.J., Mechanistic study of theJacobsen asymmetric epoxidation of indene, J. Org. Chem., 1997, 62,p. 2222.
[11] Emploi d’un complexe de titane du type Sharpless modifié par laprésence d’eau [11a], puis optimisé par la société Astra-Zenecca [11b] :a) Pitchen P., Dunach E., Deshmukh M.N., Kagan H.B., An efficientasymmetric oxidation of sulfides to sulfoxides, J. Am. Chem. Soc., 1984,106, p. 8188 ; b) Cotton A., Elebring T., Larsson M., Li L., Sörensen H.,Von Unge S., Asymmetric synthesis of esomeprazole, Tetrahedron.Asym., 2000, 11, p. 3819 ; c) Hauck W., Adam P., Bobier C., LandmesserN., Use of large-scale chromatography in the preparation of armodafinil,Chirality, 2008, 20, p. 896 ; d) Rebiere F., Duret G., Prat L., Process forenantioselective synthesis of single enantiomers of modafinil and relatedcompounds by asymmetric oxidation, Int. Patent WO 2005/028428.
[12] Lesuisse D., Tabart M., Importance of chirality in the field of antiinfectiveagents, p. 1 et 8-29 et Paris J.-M., Chirality in antibacterial agents, p. 1 et30-53, in Comprehensive Chirality, E.M. Carreira, H. Yamamoto (eds),Elsevier, 2012.
[13] Jarvis L.M., Pharma growth still stagnant, Chem. Eng. News, 2014,92(10), p. 22.
[14] Jarvis L.M., The year in new drugs, Chem. Eng. News, 2014, 92(4), p. 10.[15] First total synthesis of eukaryote chromosome achieved, Chem. Eng.
News, 2014, 92(13), p. 9.[16] Kille S., Zilly F.E., Acevedo J.P., Reetz M.P., Regio- and stereoselectivity
of P450-catalysed hydroxylation of steroids controlled by laboratoryevolution, Nature Chem., 2011, 3, p. 738.
Henri B. Kaganest professeur émérite à l’Uni-versité Paris-Sud* et membrede l’Académie des sciences.Michel Tabartest docteur-ingénieur, respon-sable d’équipe de rechercheen chimie médicinale oncolo-gie à Sanofi**.
* Laboratoire de catalyse moléculaire, UMR 8075, Institut de ChimieMoléculaire et des Matériaux d’Orsay, Université Paris-Sud, F-91405 OrsayCedex.Courriel : [email protected]
** Centre de recherches de Vitry-Alfortville, Sanofi, 13 quai Jules Guesde,F-94403 Vitry-sur-Seine.Courriel : [email protected]
H. Kagan M. Tabart