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Chapitre 5 Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures 5.1. Introduction La fatigue des matériaux soumis à des sollicitations cycliques est un phéno- mène éminemment aléatoire, quelle que soit l’échelle de description à laquelle on s’intéresse. Si l’on considère par exemple des matériaux sans défauts, les sites d’amorçage correspondent généralement à la formation de bandes de glis- sement dans les grains superficiels et sont influencés par la taille et la position de ces grains comme par la rugosité de la surface. Dans des matériaux présen- tant des inclusions (par exemple les carbures dans les alliages à base nickel) ou des défauts (micro-retassures dans les aciers moulés), ce sont ces derniers qui peuvent devenir des sites d’initiation préférentiels. La position et la taille de ces défauts dans un volume élémentaire de matériau sont naturellement com- plètement aléatoires (volume 1, chapitre 3). Chapitre rédigé par BRUNO SUDRET. 1

Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

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Page 1: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Chapitre 5

Approche probabiliste du dimensionnement à

la fatigue des structures

5.1. Introduction

La fatigue des matériaux soumis à des sollicitations cycliques est un phéno-

mène éminemment aléatoire, quelle que soit l’échelle de description à laquelle

on s’intéresse. Si l’on considère par exemple des matériaux sans défauts, les

sites d’amorçage correspondent généralement à la formation de bandesde glis-

sement dans les grains superficiels et sont influencés par la taille et la position

de ces grains comme par la rugosité de la surface. Dans des matériaux présen-

tant des inclusions (par exemple les carbures dans les alliages à base nickel) ou

des défauts (micro-retassures dans les aciers moulés), ce sont ces derniers qui

peuvent devenir des sites d’initiation préférentiels. La position et la taille de

ces défauts dans un volume élémentaire de matériau sont naturellement com-

plètement aléatoires (volume 1, chapitre 3).

Chapitre rédigé par BRUNO SUDRET.

1

Page 2: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

2 Fatigue des matériaux et des structures

Une fois la fissure initiée à l’échelle microscopique, sa propagation trans-

granulaire en stade I est pilotée par l’orientation cristalline du grain et de ses

voisins : la description fine de ce phénomène peut se faire de façon déterministe

à l’échelle des grains. Cependant, lorsqu’on considère l’échelle macroscopique

de la structure, la propagation des micro-fissures est là encore aléatoire.

A l’échelle de l’éprouvette, les différents mécanismes succinctement évo-

qués ci-dessus ne peuvent être prévus de façon déterministe : la duréede vie

d’une éprouvette d’un matériau particulier (i.e.dont la composition est parfai-

tement maîtrisée) soumise à un chargement identique, varie d’une éprouvette

à l’autre : c’est la dispersion observée par tout expérimentateur, et qui se re-

présente par un nuage de points dans le plan(log N , S), oùS est l’amplitude

de sollicitation etN le nombre de cycles à rupture mesuré selon les normes en

vigueur [AFN 90].

Lorsque l’on considère le phénomène de fatigue sous l’angle de la propa-

gation d’une fissure sous chargement cyclique à l’échelle macroscopique, on

constate également que les paramètres qui régissent la propagation (les para-

mètres de la loi de Paris [PAR 63]) sont aléatoires, comme le montrent par

exemple les expériences de [VIR 78] sur l’aluminium.

Ainsi, l’aspect aléatoire du phénomène de fatigue semble bien présent à

toutes les échelles de description. Pourtant, du point de vue de la réglemen-

tation en vigueur pour la justification de la tenue de structures sollicitées en

fatigue, c’est une philosophie essentiellement déterministe qui domine (code

RCC-M pour l’industrie nucléaire [AFC 00], règles AC25.571-1 de laFederal

Aviation Administrationdans l’aéronautique, etc.). S’appuyant sur des critères

dits conservatifs(c’est-à-dire tels que le dimensionnement effectué avec ces

critères soit du côté de la sécurité), les approches de l’ingénieur ont le mé-

rite d’être simples d’application. A l’opposé, les travaux académiques sur la

fatigue cherchent souvent à expliquer dans un cadre déterministe le pourquoi

des phénomènes. Forcément basés sur des paramètres à identifier par des essais

Page 3: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 3

expérimentaux, les modèles de fatigue ne peuvent pourtant s’avérer prédictifs

que s’ils tentent de prendre en compte l’aléa intrinsèque.

Au vu de ces remarques liminaires, il semble important de développer une

approche probabiliste cohérente du phénomène de fatigue, alliant une descrip-

tion fine de la physique à l’échelle d’intérêt à un traitement rigoureux de l’aléa.

Depuis une dizaine d’années, le traitement d’incertitudes dans les modèles

physiques a fait l’objet de nombreuses recherches dans d’autres contextes (fia-

bilité des structures, mécanique aléatoire, éléments finis stochastiques). Il est

donc souhaitable d’appliquer la méthodologie générale de traitement des in-

certitudes et les méthodes numériques associées aux problèmes de fatigue des

matériaux et des structures : c’est l’objet du présent chapitre, qui est organisé

comme suit.

Un cadre général de traitement des incertitudes dans les modèles méca-

niques est tout d’abord proposé dans la section 5.2. Différentes méthodes de

traitement statistique des données de fatigue sont ensuite détaillées dans la sec-

tion 5.3. Une méthodologie de dimensionnement probabiliste d’une structure

vis-à-vis de l’amorçage est ensuite proposée dans la section 5.4. Puis onconsi-

dère plus spécifiquement le problème des incertitudes dans la propagation de

fissures existantes dans la section 5.5, avec notamment la prise en compte de

données d’examens non destructifs pour l’actualisation des prédictions.

5.2. Traitement de l’aléa dans les modèles mécaniques

5.2.1. Schéma général

Le traitement des incertitudes dans les modèles mécaniques a fait l’objet

de nombreuses recherches depuis une trentaine d’années, prenantselon la dis-

cipline (et l’objectif recherché) le nom demécanique aléatoire[KRE 83], fia-

bilité des structures[DIT 96, LEM 05, MEL 99],éléments finis stochastiques

Page 4: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

4 Fatigue des matériaux et des structures

[GHA 91] ou encoreanalyse de sensibilité[SAL 00, SAL 04]. Sous ces diffé-

rents vocables se retrouvent des étapes communes qui permettent une présen-

tation unifiée illustrée schématiquement sur la figure 5.1 [SUD 07].

Figure 5.1. Schéma général du traitement des incertitudes dans les modèles

mécaniques

Dans une première étape (notée A), il convient de définir lemodèledu

système mécanique considéré, et notamment ses paramètres d’entrée et saré-

ponse (aussi baptiséequantité(s) d’intérêt). On noterax le vecteur des para-

mètres d’entrée, qui décrivent la géométrie du système (longueur des éléments,

forme des sections droites, etc.), le comportement (modules d’élasticité, para-

mètres des lois de comportement) et les chargements appliqués. La réponse

y = M(x) est en général vectorielle et comprend, au sens large, des com-

posantes de type déplacements, contraintes, déformations, variables internes

(d’écrouissage, d’endommagement, etc.), mais également des quantités post-

traitées (amplitudes de cycles extraits par la méthode Rainflow, dommage cu-

mulé, etc.). Si nécessaire, il faut également définir le(s) critère(s) portant sur les

quantités d’intérêt (seuil admissible, dans le cadre d’une analyse de fiabilité).

5.2.2. Modèle probabiliste des paramètres d’entrée

Le modèle et ses paramètres d’entrée ayant été définis, il faut s’interroger

Page 5: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 5

sur ceux d’entre eux qui sont incertains et en proposer unemodélisation proba-

biliste. Les sources d’incertitudes, qui peuvent être multiples, sont en général

regroupées en deux catégories :

– les incertitudes ditesépistémiques, qui sont dues à une méconnaissance

(imprécision des mesures, manque de données ne conduisant pas à un échan-

tillon statistique de taille suffisante, etc.). Celles-ci sont en généralréductibles

au sens où une acquisition de données supplémentaires ou plus précises permet

(au moins par la pensée) de les diminuer ;

– les incertitudes ditesaléatoires, qui sont intrinsèques au paramètre ob-

servé et ne sont donc pas réductibles. C’est typiquement le cas pour laquantité

« nombre de cycles à rupture d’un matériau sous sollicitation cyclique d’am-

plitude donnée » : plus on testera d’éprouvettes dans les mêmes conditions ex-

périmentales, plus on aura de chance de trouver des valeurs extrêmes (basses

ou hautes) de ce nombre de cycles. Cette incertitude aléatoire peut également

montrer unevariabilité spatialecomme c’est le cas pour les propriétés des

géomatériaux.

La construction d’un modèle probabiliste des paramètres (étape B) consiste

à définir la loi de probabilité du vecteur aléatoireX des paramètres d’entrée.

Lorsque l’on ne dispose pas de données permettant de modéliser la variabilité

d’un paramètre, on peut avoir recours aujugement d’expert: on suppose une

forme pour la distribution du paramètre considéré (par exemple loi gaussienne,

uniforme, lognormale, Weibull, etc.) puis on fixe à dires d’expert la moyenne

et l’écart-type de la loi. On peut s’appuyer pour ce faire sur des données bi-

bliographiques [JCS 02].

Lorsque l’on dispose d’échantillons de données, on utilise les techniques

classiques d’inférence statistique[SAP 06]. Il convient en général de chercher

la meilleure loi dans différentes familles (par exemple, par la méthode du maxi-

mum de vraisemblance) puis de faire des tests d’adéquation pour valider ou

non les choix. Pour les problèmes de fatigue, ce genre d’analyse statistique est

Page 6: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

6 Fatigue des matériaux et des structures

mené pour traiter les données d’essais en vue d’établir des courbes de Wöh-

ler probabilistes, comme on le verra à la section 5.3. Lorsque les échantillons

disponibles sont de petite taille, on peut les combiner avec une informationa

priori sur la distribution (de type jugement d’expert) en utilisant lesstatistiques

bayésiennes[DRO 04, ROB 92].

Il peut arriver que les paramètres dont on souhaite modéliser la variabi-

lité ne soient pas accessibles directement à la mesure (par exemple les para-

mètres d’un modèle d’amorçage de fissure), mais que cette variabilité puisse

s’appréhender au travers de mesures de quantités d’intérêt qui en dépendent

(nombre de cycles à rupture). Il convient alors d’avoir recours à des méthodes

inverses probabilistes. Ces problèmes inverses sont encore largement ouverts,

et font l’objet de recherches récentes notamment dans le domaine de la fatigue

[PER 08, SCH 07]. Quelle que soit l’approche retenue, l’étape B produit une

description probabiliste des données d’entrée sous la forme de la densité de

probabilitéfX(x) du vecteur aléatoire des paramètres d’entréeX (voir l’an-

nexe A pour les notions élémentaires de probabilités).

5.2.3. Méthodes de propagation

Une fois le modèle mécanique et le modèle probabiliste de ses paramètres

d’entrée établis, on s’intéresse à lapropagationdes incertitudes (étape C de

la figure 5.1). Il s’agit de caractériser la réponse aléatoire du modèle, notée de

façon génériqueY = M(X)1.

Selon l’information recherchée surY (supposé être une quantité scalaire

ici pour simplifier la discussion), on distingue conventionnellement différents

types d’analyses, pour lesquelles des méthodes spécifiques ont été proposées

(figure 5.2) :

1. Si la variabilité de certains paramètres du modèle est nulle ou négligeable,on peut les consi-

dérer comme déterministes. Les regroupant dans un vecteurd, on notera alorsY = M(X , d).

Page 7: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 7

Figure 5.2. Classification des méthodes de propagation d’incertitudes

– l’analyse de la tendance centrale, dans laquelle on s’intéresse essentielle-

ment à la moyenneµY et à la varianceσ2Y de la quantité d’intérêtY (éventuel-

lement aux moments statistiques d’ordre supérieur). Si la distribution (c’est-à-

dire la densité de probabilité) de la réponse était gaussienne, ces deux scalaires

suffiraient à la caractériser. Cette hypothèse est cependant généralementfausse

en pratique, et il convient de n’utiliser les moments statistiques que pour ce

qu’ils sont, sans vouloir en déduire des informations sur la distribution deY ;

– l’analyse de fiabilité, dans laquelle on s’intéresse à la probabilité que la

réponseY dépasse un certain seuily. Il s’agit alors d’estimer la forme de la

queue de la distribution deY . La probabilité associée (appelée probabilité de

défaillance) est en général faible, de l’ordre de10−2 à10−8 ;

– l’analyse de distribution, dans laquelle on cherche à caractériser complè-

tement la densité de probabilité deY .

A chacune des classes de problèmes correspondent des méthodes spéci-

fiques, qui sont énumérées sans souci d’exhaustivité ci-après. Lelecteur cu-

rieux pourra trouver un état de l’art plus complet dans [SUD 07].

Page 8: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

8 Fatigue des matériaux et des structures

– La méthode de Monte Carloest la plus connue des méthodes de pro-

pagation d’incertitudes [RUB 81]. Elle permet, au moins théoriquement, de

résoudre les différents problèmes énoncés ci-dessus. Elle s’appuie sur la si-

mulation de nombres aléatoires par des algorithmes spécifiques qui génèrent

des échantillons de paramètres d’entrée conformes au modèle probabiliste

construit à l’étape B (i.e. selon la distributionfX). En général efficace pour

le calcul des premiers moments statistiques, elle s’avère coûteuse et en pra-

tique inopérante dans le contexte de la fiabilité ou de l’analyse de distribution.

– La méthode des perturbations, largement utilisée en mécanique dans les

années 80, s’appuie sur un développement de Taylor du modèleM autour de la

valeur nominale des paramètresx0 et permet d’estimer moyenne et écart-type

des quantités d’intérêt très efficacement. Elle nécessite de calculer les gradients

du modèleM et redevient d’actualité depuis que ceux-ci sont implémentés

directement dans les codes de calcul aux éléments finis (par exemple dans

Code_Aster [EDF 06]).

– La résolution des problèmes defiabilité (estimation de probabilité de dé-

passement de seuil) a conduit historiquement à des méthodes spécifiques de-

puis les années 70. Les méthodes FORM/SORM (First resp.Second order re-

liability method) sont bien établies depuis les années 80 et d’application cou-

rante dans certains secteurs industriels (offshore, nucléaire) depuisune dizaine

d’années. Ce sont des méthodes d’approximationde la queue de distribution,

qui ne permettent pas directement d’estimer la qualité du résultat obtenu. Elles

sont donc en général couplées à des méthodes de simulation avancées (simula-

tion directionnelle, tirages d’importance (importance sampling), subset simu-

lation, etc.).

– Initialement introduites dans la méthode deséléments finis stochastiques

spectraux[GHA 91], les représentations de la réponseY par chaos polyno-

mial sont aujourd’hui une piste prometteuse pour le traitement des incerti-

tudes. Le principe est de considérer la réponse aléatoireY dans un espace

de variables aléatoires adéquat, dans lequel on construit une base. Laréponse

Y est alors complètement connue par ses « coordonnées » dans cette base,

Page 9: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 9

qui sont les coefficients du développement sur le chaos polynomial. Ces co-

efficients peuvent être notamment calculés par des méthodes ditesnon intru-

sives, c’est-à-dire à partir d’un nombre limité d’évaluations du modèle, soit

Y = y(i) = M(x(i)), i = 1, . . . , N. Le post-traitement analytique des

coefficients fournit ensuite à un coût de calcul quasi nul la distribution de

Y , ses moments statististiques, les probabilités de dépassement de seuil, etc.

[SUD 07].

– La plupart des méthodes de propagation d’incertitudes fournissent

comme sous-produit (c’est-à-dire avec pas ou très peu de calculs supplémen-

taires) des informations sur l’importance relative des paramètres d’entréedu

modèle : on appelle ces sous-produitsfacteurs d’importanceou indices de sen-

sibilité selon les méthodes. Cette phase de hiérarchisation des paramètres en

fonction de leur importance est baptisée « étape C’ » sur la figure 5.1.

5.2.4. Conclusion

Dans cette première partie introductive, on s’est attaché à définir un cadre

général de traitement des incertitudes dans les modèles mécaniques. On a dé-

fini les différents ingrédients nécessaires puis passé en revue les méthodes de

calcul les plus courantes. Le schéma général va maintenant être explicité pour

différents problèmes liés à la fatigue des matériaux et des structures.

5.3. Etablissement de courbesS/N probabilistes

5.3.1. Introduction

Le traitement des données d’essais de fatigue sur éprouvettes permet d’in-

terpréter les points expérimentaux sous la forme de courbes dites de Wöhler

dans le plan (amplitude – nombre de cycles à rupture), cf. volume 1, chapitre2.

Au niveau français, le traitement statistique proprement dit fait l’objet d’une

norme [AFN 91] (notamment inspirée des travaux de Bastenaire [BAS 60]),

qui explicite différentes méthodes pour obtenir la limite d’endurance par la

Page 10: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

10 Fatigue des matériaux et des structures

méthode de l’escalier (paragraphe 5), la courbe de Wöhler médiane (para-

graphe 6), ou des courbesS/N probabilisées (méthode ESOPE, paragraphe 8).

Cette dernière est résumée dans le paragraphe 5.3.2. On propose ensuite une

approche globale pour l’établissement de courbesS/N probabilisées. Elle s’ap-

puie sur les développements de Guédé [GUE 05], Perrin [PER 08] et Pascual

et Meeker [PAS 97, PAS 99]. Elle a été utilisée récemment dans un contexte

industriel par EDF et par EADS [SCH 06, SCH 07].

Dans les différentes approches, on considère un échantillon d’observations

(nuage de points) :

E = (Si, Ni), i = 1, . . . , Q (5.1)

où Ni désigne le nombre de cycles à rupture mesuré sous une sollicitation

alternée d’amplitudeSi et Q est la taille de l’échantillon. On considère que

l’échantillon comporte des essais effectués dans des conditions suffisamment

proches pour qu’il soit licite de traiter tous les points expérimentaux ensemble.

On tiendra également compte dedonnées censurées, c’est-à-dire d’essais pour

lesquels on n’a pas observé la rupture au bout deNi cycles, instant où l’essai

a été interrompu : on noteraN∗i ces dernières.

5.3.2. Méthode ESOPE

La méthode ESOPE recommandée par la norme AFNOR A 03-405 para-

graphe 8 [AFN 91] est fondée sur l’hypothèse suivante : dans un échantillon

E tel que défini plus haut, onsupposeque la fractionF (S, N) des éprouvettes

ayant rompuavantN cycles d’amplitudeS a la forme bien particulière sui-

vante :

F (S, N) = Φ

(

S − µ(N)

σ

)

(5.2)

oùσ est un paramètre de dispersion,Φ est la fonction de répartition gaussienne

(voir Eq.(5.31)) etµ(N) est une courbe dont on choisit la forme et dont on va

estimer les paramètres à partir deE . Remarquons que lacourbe de durée de vie

médiane(correspondant à l’ensemble des points(N, S) tels queF (S, N) =

Page 11: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 11

0, 5) a pour équationS = µ(N) d’après (5.2), puisqueΦ−1(0, 5) = 0. Cette

courbe médiane donne pour chaque niveau de sollicitationS la valeurN50 %

telle qu’il y ait autant de chance pour une éprouvette sollicitée sous chargement

S de rompre avant ou aprèsN50 % cycles.

Sous un autre point de vue, la quantitéF (S, N) est une estimation de la

fonction de répartitionFNS(N ; S) de la variable aléatoireNS(ω) définie2

comme le nombre de cycles à rupture du matériau considéré, sous amplitudeS.

Par conséquent, d’après (5.2) les courbes d’iso-probabilitép de rupture notées

Np(S) et définies par :

P (NS(ω) ≤ Np(S)) = p (5.3)

sont définies dans le plan(N, S) par l’équation :

S = µ(N) + σ Φ−1(p) (5.4)

On les obtient donc en décalantverticalementla courbe médiane deσ Φ−1(p).

En pratique, on se donne une forme paramétrique pour cette durée de vie mé-

diane, par exemple :

µ(N) = a + bN c (5.5)

Comme le propose la norme AFNOR A 03-405, on estime ensuite les pa-

ramètresa, b, c par la méthodedu maximum de vraisemblance(voir para-

graphe 5.7.3) : en combinant les équations (5.2) et (5.5), il vient :

FNS(N ; S) = Φ

(

S − [a + bN c]

σ

)

(5.6)

dont on peut déduire la densité de probabilité de la durée de viefNS(N ; S).

On exprime ensuite la vraisemblance des paramètresa, b, c, et l’on estime ces

paramètres en maximisant cette quantité.

2. Dans tout le chapitre, la notationω souligne le caractère aléatoire de la quantité considérée.

Quand il n’y pas d’ambiguité,ω pourra être omis pour alléger les expressions.

Page 12: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

12 Fatigue des matériaux et des structures

Remarque L’équation (5.6) est souvent interprétée par abus de langage

de la façon suivante : « la variabilité de la contrainteS, pour une durée de vie

fixéeN est gaussienne, d’écart-typeσ ». Cette assertion n’a en fait pas de sens,

puisqu’expérimentalement ce n’est pasN mais l’amplitude de chargementS

qui est fixée (et qui n’a donc rien d’aléatoire !), et qu’inversementc’est bien la

durée de vieN sous chargementS qui est aléatoire, car liée à l’apparition de

mécanismes de fissuration à l’échelle microscopique qu’on ne peut pas décrire

par un formalisme déterministe à l’échelle macroscopique des essais, comme

on l’a vu dans la discussion introductive.

5.3.3. Méthode Guédé-Perrin-Pascual-Meeker (GPPM)

La méthode ESOPE décrite ci-dessus ne donne pas explicitement la loi des

variables aléatoiresNS(ω) modélisant la durée de vie des éprouvettes, et n’est

donc pas directement exploitable dans un calcul probabiliste complet d’une

structure en fatigue, comme on le verra ci-après. Il est donc nécessaire de po-

ser le problème sous un angle nouveau, celui de la modélisation directe des

quantités physiquement incertaines (au sens de l’incertitude aléatoire définie

plus haut), à savoir lenombre de cycles à rupture des éprouvettes sous am-

plitudeS. On cherche ainsi à caractériser conjointement la loi de ces variables

aléatoiresNS(ω). Plusieurs formulations ont été proposées au cours de la thèse

de Guédé [GUE 05, SUD 03a] et complétées par Perrin [PER 05]. Le forma-

lisme final s’avère très proche de celui proposé indépendamment par Pascual

et Meeker [PAS 97, PAS 99], d’où l’acronyme GPPM.

5.3.3.1. Hypothèses de Guédé

La méthode de Guédé comprend les étapes suivantes :

– le choix de la distribution pour les variablesNS(ω) : une loi lognormale

est classiquement postulée (le logarithme du nombre de cycles à rupture est

supposé suivre une loi gaussienne). Il est important de souligner que d’autres

choix sont possibles (en particulier une loi de Weibull). L’hypothèse doitêtre

validéea posterioripar l’utilisation de tests statistiques d’adéquation ;

Page 13: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 13

– la description, en fonction deS, des paramètres de la loi deNS(ω). Les

travaux initiaux de Sudretet al. [SUD 03a] supposent que la moyenneλ(S) de

lnNS s’exprime comme suit (formule de Stromeyer) :

λ(S) = A ln(S − SD) + B (5.7)

On peut ensuite considérer soit un écart-type constant [LOR 05] (ce qui peut

être raisonnable si on s’intéresse à un échantillon ne comportant que despoints

dans le domaine oligocyclique), soit un écart-type variable en fonction de l’am-

plitude de sollicitationS :

σ(S) = δ λ(S) (5.8)

Ce dernier choix permet de rendre compte de la dispersion plus grande des

données habituellement observée dans le domaine à grand nombre de cycles ;

– le type de dépendance entre les variables aléatoiresNS(ω) pour diffé-

rentes valeurs deS. L’hypothèse deparfaite dépendanceest retenue : elle

correspond à l’idée intuitive que si l’on pouvait tester la même éprouvette à

différents niveaux de sollicitations (ce qu’on ne peut pas réaliser en pratique

puisque les essais sont destructifs), la résistance à la fatigue serait uniformé-

ment bonne ou mauvaise, c’est-à-dire que le nombre de cycles à rupture ob-

servé serait, indépendamment deS, éloigné dans les mêmes proportions de la

valeur médiane (en plus ou en moins).

5.3.3.2. Identification du modèle

Les hypothèses précédentes permettent d’écrire la variable aléatoireNS(ω)

comme suit :

lnNS(ω) = λ(S) + σ(S) ξ(ω) = (A ln(S − SD) + B)(1 + δ ξ(ω)) (5.9)

où ξ(ω) est une variable gaussienne centrée réduite (i.e. de moyenne nulle et

d’écart-type 1). À ce stade, le modèle probabiliste dépend donc des 4 para-

mètresA, B (allure de la courbe médiane),SD (asymptote, que l’on interprète

comme une limite d’endurance à l’infini) etδ (augmentation de la dispersion

Page 14: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

14 Fatigue des matériaux et des structures

dans le domaine polycyclique). Le fait d’avoir une seule variableξ(ω) dans

(5.9) (et non pas une variableξS(ω) pour chaque amplitudeS) traduit l’hypo-

thèse de parfaite dépendance posée précédemment. Des équations (5.7)-(5.9),

on tire la densité de probabilité de la variableNS(ω) :

fNS(n, S; A, B, SD, δ) =

1

δ [A ln(S − SD) + B] nϕ

(

lnn − [A ln(S − SD) + B]

δ [A ln(S − SD) + B]

) (5.10)

où ϕ(x) = e−x2/2/√

2π désigne la densité de probabilité gaussienne centrée

réduite.

Si l’on dispose maintenant d’un échantillonE (Eq.(5.1)), on peut exprimer

la vraisemblancedes paramètresA, B, SD, δ sur cet échantillon :

L(A, B, SD, δ; E) =

Q∏

i=1

fNS(Ni, Si; A, B, SD, δ) (5.11)

La méthode du maximum de vraisemblance consiste à estimer les paramètres

inconnusA, B, SD, δ en maximisantla quantité précédente (ou en minimi-

sant la log-vraisemblance−2 ln L). L’interprétation intuitive de la méthode est

simple : elle conduit à choisir les paramètres qui maximisent la probabilité

d’avoir observé l’échantillon dont on dispose. Notons que les donnéescensu-

réesN∗i (pas de rupture observée avantNi cycles d’amplitudeSi) peuvent être

prises en compte dans l’équation (5.11) en remplaçant la densité de probabilité

fNS(Ni, Si; A, B, SD, δ) par1−FNS

(N∗i , Si; A, B, SD, δ), où la fonction de

répartitionFNSest définie par :

FNS(n, S; A, B, SD, δ) = Φ

(

lnn − [A ln(S − SD) + B]

δ [A ln(S − SD) + B]

)

(5.12)

etΦ(x) est la fonction de répartition gaussienne centrée réduite.

Une fois les paramètres identifiés à partir de l’échantillon (notons les dé-

sormais avec un chapeau), les courbesS/N probabilisées s’obtiennent natu-

rellement à partir de (5.9). La courbe d’iso-probabilité de rupturep a pour

Page 15: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 15

équation :

Np(S) = (A ln(S − SD) + B)(1 + δ ξp) (5.13)

oùξp = Φ−1(p) est le quantile de niveaup de la loi gaussienne centrée réduite.

On peut alors tracer aisément la courbe médiane (ξp = 0) et, par exemple, les

quantiles à 5 % et 95 % (ξp = ±1, 645).

5.3.3.3. Méthode GPPM

Dans ce qui précède, le paramètreSD est un paramètre déterministe de ca-

lage des courbesS/N sur les données. On peut s’interroger sur la signification

de ce paramètre :

– on peut interpréterSD simplement comme unelimite de fatigue détermi-

niste, c’est-à-dire une valeur d’amplitude telle que, si l’on effectuait des essais

à nombre de cycles infini et à amplitude inférieure àSD on n’observerait ja-

mais de rupture. C’est ce que l’on a considéré dans le paragraphe précédent. Il

en résulte alors que les courbes d’iso-probabilité ont toutes la même asymptôte

horizontale enSD ;

– on peut aussi considérer que la limite de fatigue est en fait un véritable

paramètre matériau, différent pour chaque éprouvette : ce serait alorsl’ampli-

tude critique telle que,pour l’éprouvette considérée, il n’y ait jamais rupture

pour toute sollicitation cyclique d’amplitude inférieure à cette valeur. Dans ce

cadre, il est alors naturel de considérerSD comme une variable aléatoire, dont

la valeur est différente (et bien sûr inconnue) pour chaque éprouvette testée.

On peut alors parler de loi, de moyennne et d’écart-type de la limite de fatigue

du matériau, et essayer de la déterminer : c’est l’objet du modèle GPPM.

Précisément, on conserve les hypothèses du paragraphe 5.3.3.1 et on sup-

pose maintenant que le paramètreSD est une variable aléatoire, de densité

de probabilité notéefSD(sD; θ), où θ est le vecteur des paramètres de la loi

(θ = (λSD, ζSD

) pour une loi lognormale). La densité de probabilité don-

née dans l’équation (5.10) devient alorsconditionnelleà ces paramètres, on la

notefNS |SD(n, sD, S; A, B, δ). Pour calculer la vraisemblance (Eq.(5.11)) il

Page 16: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

16 Fatigue des matériaux et des structures

est nécessaire d’exprimer la loifNSnon conditionnelle, ce que l’on obtient par

intégration :

fNS(n, S; A, B, δ,θ) =

fNS |SD(n, sD, S; A, B, δ) fSD

(sD; θ) dsD

(5.14)

On aboutit finalement à un problème de maximum de vraisemblance, dont la

résolution fournit conjointement les estimateurs des paramètres pilotant les

courbes d’iso-probabilité de ruptureA, B, δ et de la loi de la limite de fatigue

θ (voir les détails dans [PER 08]).

5.3.4. Validation des hypothèses

Dans la méthode ESOPE comme dans l’approche GPPM, des hypothèses

sont faites sur la forme des distributions. La théorie des tests d’adéquation

statistiques [SAP 06, chapitre 14] permet de valider ou non ces hypothèses,

une fois l’estimation des paramètres de chaque modèle effectuée. Précisément

ces hypothèses (baptisées « hypothèse nulle »H0 dans le formalisme des tests)

sont les suivantes :

– méthode ESOPE : la variable aléatoireS − [a + bN c] suit une loi gaus-

sienne centrée d’écart-typeσ (voir Eqs.(5.2),(5.5)). Pour chaque point de

l’échantillon (Ni, Si), i = 1, . . . , Q, on calcule la quantité précédente et

l’on obtient donc un échantillonξi, i = 1, . . . , Q sur lequel on testeH0 ;

– méthode de Guédé : la variable((lnNS(ω)/[A ln(S − SD) + B]) − 1) /δ

(baptiséeξ(ω)) suit une loi gaussienne centrée réduite. Pour chaque point

de l’échantillon(Ni, Si), i = 1, . . . , Q, on calcule la quantité précédente

et l’on obtient donc un échantillonξi, i = 1, . . . , Q dont on teste la

normalité ;

– méthode GPPM : pour chaque amplitudeS, la variable aléatoireNS(ω)

suit la distribution donnée par l’équation (5.14).

Il est donc possible de comparer quantitativement les différentes méthodes

d’ajustement et de valider a posteriori les hypothèses faites.

Page 17: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 17

5.3.5. Exemple d’application

Pour illustrer les différentes méthodes présentées ci-dessus, on reprend les

résultats de Perrin [PER 08], qui a traité un échantillon de 153 résultats d’es-

sais sur éprouvettes en acier austénitique à 20° C. Comme on le voit sur la fi-

gure 5.3, les différentes approches donnent des résultats très proches en termes

de courbe médiane.

0

2000

4000

6000

8000

10000

101 102 103 104 105 106 107

Am

plitu

de (

MP

a)

Nombre de cycles à rupture

RuptureNon rupture

GuédéESOPEGPPM

Figure 5.3. Traitement statistique d’essais de fatigue sur éprouvettes en acier austénitique –

courbes médianes obtenues par la méthode ESOPE et les modèles Guédéet GPPM

Les courbes des quantiles à 2,5 % et 97,5 % sont donnés sur la figure 5.4.On

observe cette fois une grande différence dans l’allure générale des intervalles

de confiance associés. La méthode ESOPE semble sous-estimer la variabilité

à faible nombre de cycles.

On peut également tracer, pour différentes amplitudesS, la densité de pro-

babilité de la durée de vieNS(ω) par les différentes méthodes [PER 08]. On

note en particulier que sur l’échantillon de points considéré, les tests d’adé-

quation permettent d’infirmer la validité du modèle ESOPE, contrairement aux

Page 18: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

18 Fatigue des matériaux et des structures

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

101 102 103 104 105 106 107

Am

plitu

de (

MP

a)

Nombre de cycles à rupture

Méthode ESOPE

RuptureNon rupture

Quantile 2,5%Quantile 50%

Quantile 97,5%

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

101 102 103 104 105 106 107

Am

plitu

de (

MP

a)

Nombre de cycles à rupture

Méthode Guédé

RuptureNon rupture

Quantile 2,5%Quantile 50%

Quantile 97,5%

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

101 102 103 104 105 106 107

Am

plitu

de (

MP

a)

Nombre de cycles à rupture

Méthode GPPM

RuptureNon rupture

Quantile 2,5%Quantile 50%

Quantile 97,5%

Figure 5.4. Traitement statistique d’essais de fatigue sur éprouvettes en acier austénitique –

courbes des quantiles à 2,5 % et 97,5 % pour les différentes méthodes

Page 19: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 19

deux autres. Les courbes médianes et de quantiles obtenues par la méthode de

Guédé et la méthode GPPM sont très similaires, de même que les densités

de probabilité de la durée de vie pour des niveaux d’amplitudes grands. La

différence entre les approches apparaît pour des niveaux proches de la limite

d’endurance. Celle-ci est estimée à la valeur (fixe) de 236,9 MPa par la mé-

thode de Guédé, et par une variable lognormale de moyenne de 257,8 MPa et

d’écart-type 28,4 MPa par la méthode GPPM.

5.3.6. Conclusion

Le traitement statistique des données d’essais est une étape incontournable

dans le processus de dimensionnement à la fatigue. On a rappelé dans cette

section les principes de la méthode ESOPE qui est la plus connue, notamment

auprès des industriels. Une formulation alternative (baptisée GPPM) basée sur

l’inférence directe des distributions des durées de vieNS(ω) a été proposée

et permet notamment de considérer une limite d’endurance aléatoire, dont les

paramètres sont estimés conjointement avec ceux décrivant la courbe deWöh-

ler médiane. Cette approche permet en particulier de traiter d’un coup tout un

nuage de points expérimentaux (y compris les non rompus) sans qu’il soit né-

cessaire d’avoir un certain nombre de niveaux d’amplitude bien identifiés et de

nombreux points par niveaux, au contraire de la méthode ESOPE qui est ba-

sée sur l’estimation de la fraction d’éprouvette rompues avantN cycles, pour

chaque niveau d’amplitudeS.

5.4. Dimensionnement probabiliste à l’amorçage

5.4.1. Introduction

L’objectif de l’établissement de courbes de Wöhler à partir de données sur

éprouvettes est en général une première étape dans le dimensionnement de

structures à la fatigue, qui permet simplement de caractériser l’endurance du

matériau. Très schématiquement, pour dimensionner une pièce, il faut ensuite

Page 20: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

20 Fatigue des matériaux et des structures

caractériser les sollicitations appliquées (chargement cyclique, périodique ou

aléatoire) et leurs effets (calcul mécanique des contraintes, extraction des cycles

de contraintes), puis calculer l’endommagement généré par ces cycles decontraintes.

Dans un cadre d’analyse probabiliste, on va retrouver les mêmes étapes et l’on

va s’efforcer de prendre en compte pour chacune les incertitudes de lafaçon la

plus cohérente possible.

Pour ce faire, on prend exemple dans cette section sur le schéma de dimen-

sionnementdéterministeà la fatigue de composants de centrales nucléaires

(code RCC-M [AFC 00]), et de sa transposition à un cadre probabiliste (tra-

vaux de Guédé [GUE 05, SUD 05]. Conformément au schéma général detrai-

tement des incertitudes présenté à la section 5.2.1, on va successivement dé-

crire le modèle déterministe réglementaire du RCC-M (étape A), caractériser

les différentes sources d’incertitudes (étape B) puis propager les incertitudes à

travers le modèle pour en déduire la fiabilité de la pièce soumise à la fatigue.

On illustrera la démarche complète sur le calcul d’une tuyauterie soumise à de

la fatigue thermique.

Il est important de noter que la démarche globale est indépendante des mo-

dèles utilisés à chaque étape du calcul déterministe, qui sont ici très simpli-

fiés. La même approche générale a notamment été utilisée récemment avec des

critères de fatigue multi-axiaux par Schwob [SCH 06, SCH 07] en collabora-

tion avec EADS et par [PER 06] en collaboration avec Renault. On peut noter

également que la méthode ditecontrainte - résistance[THO 99] développée

notamment dans l’industrie automobile par PSA Peugeot Citroën se rattache à

ce schéma général.

5.4.2. Modèle déterministe

On reprend ici les principales étapes de la justification réglementaire de

tuyauteries de centrales nucléaires soumises à la fatigue [AFC 00] :

Page 21: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 21

– description du chargement: on s’intéresse à un problème de fatigue ther-

mique due aux fluctuations de température du fluide contenu dans l’élément de

tuyauterie. Il est donc nécessaire de préciser, pour chaque séquence de fonc-

tionnement particulier, l’historique de température en paroi interne de la tuyau-

terie. Cette historique peut provenir d’un calcul de mécanique des fluides, de

mesures sur maquette extrapolées, etc. ;

– modèle mécanique: à partir de la description de la géométrie de la

structure (rayon interne, épaisseur, etc.), des propriétés matériaux (module

d’Young, coefficient de Poisson, paramètres de lois de comportement élas-

toplastiques), des conditions aux limites (coefficient d’échange thermique

fluide/structure) et du chargement, on calcule les champs de déformations et

de contraintes en fonction du temps ;

– extraction de cycles de fatigue: du tenseur des contraintes on déduit un

historique de contrainte équivalente (obtenu ici par le critère de Tresca), dont

on extrait les cycles par la méthode Rainflow [AMZ 94]. On en déduit une

séquence d’amplitudesSi, i = 1, . . . , Nc. Les valeurs obtenues sont corrigées

pour tenir compte de l’effet de la contrainte moyenne (droite de Goodman dans

le diagramme de Haigh) ;

– choix de la courbe de conception: dans le code RCC-M, la courbe de

dimensionnementNd(S) s’obtient en pénalisant la courbe de Wöhler médiane

Nbf (S) obtenue à partir des essais sur éprouvettes par des coefficients (appelés

égalementfacteurs de marge) qui tiennent empiriquement compte de tous les

facteurs conduisant à une durée de vie à l’amorçage réduite pour la structure

par rapport aux éprouvettes, et visant à être conservatif. Le code RCC-M définit

ainsi la courbe de dimensionnement par :

Nd(S) = min(Nbf (S)/γN , Nbf (γS S)) (5.15)

Les facteurs de marge valent respectivementγN = 20 (pénalisation du nombre

de cycles dans le domaine oligocyclique) etγS = 2 (majoration des contraintes

appliquées dans le domaine à grand nombre de cycles) ;

Page 22: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

22 Fatigue des matériaux et des structures

– règle de cumul de dommage: la règle de cumul de dommage linéaire de

Miner est appliquée [MIN 45] : on considère que chaque cycle d’amplitude

Si génère un dommage élémentaire équivalent àdi = 1/Nd(Si), et que ce

dommage se cumule additivement pour tous les cycles extraits par la méthode

Rainflow :

D =

Nc∑

i=1

di =

Nc∑

i=1

1/Nd(Si) (5.16)

Le critère de dimensionnement impose que le dommage cumulé reste inférieur

à 1 pour la durée de service envisagée pour l’équipement. Lorsque le charge-

ment appliqué à la structure est constitué de séquences supposées identiques,

on peut calculer le dommage cumuléDseq associé à une séquence (qui com-

prend elle-même un certain nombre de cycles de contrainte) et en déduire une

durée de vie en fatigue de la structure définie parTd = 1/Dseq, exprimée en

nombre de séquences admissibles.

Les différentes étapes du calcul sont représentées schématiquement sur la fi-

gure 5.5.

5.4.3. Modèlisation probabiliste des incertitudes

La chaîne de calcul présentée au paragraphe précédent, bien que simplifiée,

fait intervenir de nombreux paramètres, qui sont en pratique mal connus(par

exemple le coefficient d’échange fluide/structure) ou intrinsèquement aléa-

toires (la durée de vie des éprouvettes). Il est donc nécessaire de répertorier

toutes les sources d’incertitudes, puis de les modéliser dans un cadre probabi-

liste cohérent en fonction des données disponibles (étape B du schéma général,

figure 5.1). Reprenant dans l’ordre les étapes du calcul, on va s’intéresser suc-

cessivement aux paramètres suivants.

– chargement thermique: si l’on souhaite concevoir un élément de tuyau-

terie pour une gamme de fonctionnement spécifiée, on définira un signal ther-

mique de dimensionnement, soit à partir de mesures sur structures réelles ou

Page 23: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 23

Figure 5.5. Schéma déterministe simplifié de dimensionnement à la fatigue

thermique des tuyauteries de centrales nucléaires

maquettes, soit à partir de scénarios de fonctionnement et de calculs thermo-

hydrauliques associés. L’incertitude peut être prise en compte par la modélisa-

tion parprocessus aléatoirede la température du fluide. Pour ce faire, on peut

identifier les propriétés du processus à partir de séries de mesures suffisam-

ment longues (soit dans le domaine temporel, soit dans le domaine fréquentiel

par l’intermédiaire de ladensité spectrale de puissance). On peut également

simplifier le problème en se donnant une trajectoire temporelle représentative

des fluctuations thermiques, que l’on vient moduler par un coefficient modélisé

par une variable aléatoire ;

– modèle mécanique: les paramètres entrant classiquement dans la défini-

tion du modèle mécanique (dimensions géométriques, propriétés élastiques ou

élastoplastiques des matériaux) présentent une variabilité que l’on peut modé-

liser par des variables aléatoires. L’incertitude sur la géométrie est reliée aux

spécifications de fabrication de la tuyauterie. Les incertitudes sur les propriétés

Page 24: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

24 Fatigue des matériaux et des structures

matériaux peuvent être appréhendées par des essais sur les matériaux considé-

rés ou à défaut, à partir de données bibliographiques [JCS 02] ;

– courbe de conception: la courbe de conception a été définie plus haut à

partir d’une part de la courbe de Wöhler médiane des éprouvettes et d’autre

part de facteurs de marge. On a donné dans la section 5.3 une méthodologie

rigoureuse d’analyse statistique permettant d’obtenir les courbes de Wöhler

probabilisées. Il faut maintenant discuter le contenu des facteurs de marge.

Les facteursγN = 20 et γS = 2 définis plus haut sont introduits dans le

dimensionnement déterministe pour couvrir de façon conservative deux effets

de nature très différentes, la dispersion naturelle de la durée de vie en fatigue

des éprouvettes d’une part, et la réduction de durée de vie entre l’éprouvette

de laboratoire et la structure dans son environnement réel d’autre part. On peut

donc décomposer ces facteurs comme suit :

γN = γNdisp · γN

passage

γS = γSdisp · γS

passage

(5.17)

Dans ces expressions,γ.disp etγ.

passage correspondent à la part associée à cha-

cun des effets. On trouve des décompositions empiriques de ces facteursdans

la littérature, par exempleγNdisp = 2 pour γN = 20 andγS

disp = 1.19 pour

γS = 2 [COL 98]. Cependant, aucun consensus réel n’existe sur le sujet,

les données étant essentiellement empiriques et très liées au type de matériau

testé. Les complémentsγSpassage and γN

passage sont appelésfacteurs de pas-

sage éprouvette - structureet permettent de tenir compte de façon forfaitaire

de l’effet de taille de la structure, de l’état de surface et de l’environnement

(notamment chimique, en température, etc.).

Il va de soi que les facteurs de passage ainsi définis ne sont pas mesurables.

Il faudrait en effet connaître à la fois la durée de vie à l’amorçage d’une éprou-

vette et d’une structure constituée d’un matériaustrictement identique(au sens

de sa microstructure) pour obtenir, par comparaison, le facteur de passage as-

socié, ce qui n’est physiquement pas réalisable. Pour avoir une représentation

Page 25: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 25

probabiliste rigoureuse des facteurs de passage, il est donc nécessaire d’avoir

recours à desméthodes inverses probabilistes, qui permettent d’estimer ces

facteurs et leur dispersion à partir de données de durée de vie à l’amorçage

d’un échantillon d’éprouvettes et d’un ensemble de structures similaires (par

exemple des maquettes de tuyauterie caractéristiques du système réel consi-

déré, comme par exemple les essais INTHERPOL [CUR 04, CUR 05]). Le

détail de cette technique d’identification dépasse le cadre de ce chapitre : le

lecteur pourra se reporter à [PER 07a] pour les détails.

5.4.4. Dommage cumulé aléatoire

Le dommage cumuléD peut être considéré comme le résultat scalaire de

la chaîne de calcul résumée sur la figure 5.5. Lorsqu’on considère maintenant

comme aléatoires les paramètres d’entrée de chaque sous-modèle de la chaîne

de calcul (modèle thermo-mécanique, extraction des cycles, courbe de dimen-

sionnement, etc.), le dommage cumulé devient aléatoire. La définition naturelle

dudommage élémentaire aléatoireassocié à un cycle d’amplitudeS fixée est :

d(S, ω) ≡ 1/N struc(S, ω) = 1/ min[

NS(ω)/γNpassage , NγS

passage(ω)

]

(5.18)

Dans cette équation,N struc(S, ω) est la durée de vie de la structure sous char-

gement d’amplitude constanteS, qui est reliée à la courbe de Wöhler probabi-

listeNS(ω) par les facteurs de passage. Si le calcul thermo-mécanique suivi du

comptage Rainflow conduit à un nombre de cyclesNc (potentiellement aléa-

toire), le dommage cumulé aléatoireD(ω) est alors défini par :

D(ω) =

Nc∑

i=1

d(Si(ω), ω) (5.19)

Dans cette expression, le caractère aléatoire du dommage provient à la fois:

– de l’aléa sur le chargement, qui est propagé à travers le modèle mécanique

dans le calcul de l’amplitude des cyclesSk(ω), k = 1, . . . , Nc, amplitudes

qui deviennent donc elles-mêmes des variables aléatoires ;

Page 26: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

26 Fatigue des matériaux et des structures

– de l’aléa sur l’endurance du matériau, à travers la courbe de Wöhler.

Dans le cas d’un chargement aléatoire stationnaire, pour des séquences de

chargement suffisamment longues, le nombre de cycles extraitsNc devient

grand et on peut le considérer en première approximation comme déterministe

[TOV 01]. On peut alors représenter les amplitudes des cycles extraits defaçon

continue par leur densité de probabilitéfS(s). Celà conduit à une définition

« continue » du dommage cumulé aléatoire :

D(ω) =

∞∫

0

Nc fS(s) dS

N struc(S, ω)= Nc ES

[

1

N struc(S, ω)

]

(5.20)

où ES [.] désigne l’espérance mathématique par rapport à la densité de pro-

babilité des amplitudesfS(s). Sous les hypothèses de cumul linéaire et d’un

grand nombre de cycles extraits indépendants, on peut montrer que le dom-

mage cumulé défini par l’équation (5.19) converge vers celui défini parl’équa-

tion (5.20) [SUD 03b]. On voit par ailleurs dans l’équation (5.20) que, sous

ces hypothèses, l’aléa sur le dommage ne provient plus que de l’aléa sur ladu-

rée de vieN struc(S, ω) (donc de l’endurance aléatoire dumatériau) puisque

la part provenant du chargement aléatoire se retrouve moyennée. Cetteconclu-

sion peut ne plus être valable pour des chargements instationnaires, comme

c’est le cas par exemple dans l’industrie offshore.

La formulation continue précédente s’applique bien à une approche en fré-

quence du calcul de dommage de fatigue. A partir de la densité spectrale de

puissance (DSP) du chargement, et si le modèle mécanique est linéaire, on

peut obtenir la DSP de la contrainte équivalente résultante. Des formules em-

piriques telles que celles de Dirlik [BEN 06, DIR 85] permettent alors de re-

construire la densité de probabilité des cycles extraits par la méthode Rainflow,

qui peut être enfin injectée dans (5.20). Le lecteur intéressé pourra consulter

le détail de l’ensemble de la méthode dans les travaux de Guédé [GUE 05,

chapitre 6],[GUE 07].

Page 27: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 27

5.4.5. Application au dimensionnement d’une tuyauterie

5.4.5.1. Définition du problème et modèle déterministe (étape A)

A titre d’illustration des différents concepts présentés dans cette section, on

considère un tronçon de tuyauterie typiquement rencontré dans un circuit de

réacteur à eau pressurisée. On reprend ici les résultats de Guédé ([GUE 05],

chapitre 7). Le lecteur pourra se reporter à cette référence pour uneanalyse pa-

ramétrique approfondie du problème sous différents chargements, ainsiqu’une

comparaison des approches probabilistes dans les domaines temporel et fré-

quentiel.

On considère une section de tuyauterie de rayonRint et d’épaisseurt, sou-

mise à une température de fluide en peau interne modélisée par un processus

aléatoire Gaussienθ(t, ω), dont la moyenne vaut 130° C, l’écart-type 20° C. Ce

processus est un pseudo-bruit blanc de densité spectrale de puissance constante

sur l’intervalle [0,5 Hz]. A partir de ces données on simule une trajectoireθ(t)

sur un intervalle de temps suffisamment long (ici [0,360 s]) et l’on considère

ensuite que ce signal se reproduit périodiquement. À titre indicatif, les dix pre-

mières secondes du signal sont représentées sur la figure 5.6. On considère

dans la suite une durée de service deNseq = 10 000 séquences de 360 se-

condes.

En zone courante, les contraintes dans la tuyauterie peuvent être calculées

par un modèle 1D axisymétrique en déformations planes généralisées (la com-

posante de déformationεzz est supposée constante dans l’épaisseur). Confor-

mément au code RCC-M, on effectue un calcul élastique. La température du

fluide est transmise à la tuyauterie en peau interne à travers un coefficient

d’échange fluide/structure. La peau externe de la tuyauterie est isolée (calori-

fuge). Compte tenu de la forme simplifiée du modèle, le tenseur des contraintes

obtenu est diagonal et les composantes sont en phase. Il suffit doncde consi-

dérer l’historique de contrainte orthoradialeσθθ(t) pour effectuer le comp-

tage Rainflow. Les amplitudes de cycles extraits sont corrigées par la droite

Page 28: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

28 Fatigue des matériaux et des structures

Figure 5.6. Dimensionnement probabiliste d’une tuyauterie

à la fatigue thermique : historique de température

de Goodman dans le diagramme de Haigh pour tenir compte de la contrainte

moyenne.

5.4.5.2. Modèle probabiliste (étape B)

Les différentes variables aléatoires modélisant les incertitudes sur les para-

mètres du modèle sont rassemblées dans le tableau 5.1. Le choix des lois de

probabilité et de leurs paramètres (étape B) a été effectué comme suit3 :

– Les propriétés des matériaux sont modélisées par des lois lognormales

habituellement bien adaptées à ce type de paramètres (elles respectent notam-

ment la positivité). Les coefficients de variation sont fixés à dires d’expert. Les

paramètres géométriques sont également modélisés par des lois lognormales,

avec un coefficient de variation volontairement grand.

– Les variables physiquement bornées (coefficient de Poisson, facteur de

passage) sont modélisées par des loi Bêta.

3. NB : les données prises pour le calcul (et notamment les dispersions des paramètres) ne sont

pas représentatives de structures réelles.

Page 29: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 29

Paramètre Distribution Moyenne C.V †

Rayon interneRint lognormale 127,28 mm 5 %

Épaisseurt lognormale 9,27 mm 5 %

Capacité calorifiqueρCp lognormale 4 024 000 J/kg 10 %

Conductivité thermique λ lognormale 16,345 W.m−1.K−1 10 %

Coefficient d’échangeH lognormale 20 000 W.K−1.m−2 30 %

Module d’Young E lognormale 189 080 MPa 10 %

Coefficient de Poissonν Bêta [0,2 ; 0,4] 0,3 10 %

Coefficient de dilatationα lognormale 16,95 10−6 10 %

Limite élastique Sy lognormale 190 MPa 10 %

Résitance ultimeSu lognormale 496 Mpa 10 %

Facteur de passageγNpassage Bêta [7 ; 11] 9,39 10 %

Facteur de passageγSpassage Bêta [1 ; 2] 1,68 10 %

Dispersion des données gaussienne 0 écart-type : 1

éprouvettesξ (Eq.(5.9))† coefficient de variation, égal au rapport de l’écart-type à la moyenne.

Tableau 5.1.Dimensionnement probabiliste à la fatigue thermique :

modèle probabiliste des paramètres

– La courbe de Wöhler probabilisée (Eq.(5.9)) a été établie par la méthode

de Guédé (paragraphe 5.3.3.1) et s’exprime ici comme suit :

N(S, ω) = exp [(−2, 28 log(S − 185, 9) + 24, 06 ) (1 + 0, 09 ξ (ω))]

(5.21)

oùN(S, ω) est la durée de vie à l’amorçage des éprouvettes.

5.4.5.3. Analyse de fiabilité (étape C) et de hiérarchisation (étape C’)

On étudie laprobabilité d’amorçaged’une fissure pour un nombre nombre

de séquences de fonctionnementNseq. Pour ce faire, on définit la fonction

d’état limiteg suivante (les valeurs négatives deg correspondent aux valeurs

des paramètres entraînant l’amorçage) :

g (Nseq, X) = 1 − Nseq dseq(X) (5.22)

Page 30: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

30 Fatigue des matériaux et des structures

Paramètre Facteur d’importance ( %)

Dispersion des données éprouvettesξ 40,3

Coefficient d’échangeH 20,8

Facteur de passageγSpassage 13,7

Module d’Young E 8,9

Coefficient de dilatationα 8,9

Autres variables 7.4

Tableau 5.2.Dimensionnement probabiliste à la fatigue thermique :

facteurs d’importance

où dseq(X) désigne le dommage cumulé aléatoire associé à une séquence de

360 secondes de fonctionnement, etX désigne le vecteur des variables aléa-

toires listées dans le tableau 5.1 et qui interviennent dans le calcul dedseq.

En utilisant la méthode FORM (annexe A), on obtient une probabilité d’amor-

çagePf = 8, 59.10−2 pour une durée de service de 10 000 séquences. Ce ré-

sultat est confirmé par des tirages d’importance, qui donnent finalementPf =

7, 65.10−2.

La méthode FORM utilisée pour le calcul de la probabilité d’amorçage

fournit également lesfacteurs d’importancedes différentes variables aléatoires,

ce qui permet de hiérarchiser les paramètres d’entrée du modèle. Ces facteurs

normalisés (exprimés en pourcentage) sont listés par ordre décroissant dans le

tableau 5.2.

Au delà des strictes valeurs numériques de ces facteurs d’importance (qui

dépendent en particulier des lois de probabilité choisies pour les paramètres

d’entrée), les ordres de grandeur ainsi que le classement obtenu appellent des

commentaires : il apparaît clairement que le paramètre prépondérant pourex-

pliquer la variabilité de la durée de vie à l’amorçage sur la structure est ici la

dispersion de l’endurance des éprouvettes (modélisée à travers les courbes de

Wöhler probabilisées). Viennent ensuite le coefficient d’échange fluide/structure,

le facteur de passageγSpassage majorant les amplitudes de contrainte, enfin le

Page 31: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 31

module d’Young et le coefficient de dilatation. Les autres paramètres ont une

importance négligeable, ce qui signifie que leur variabilité ne contribue pas

à la variabilité du dommage cumulé (et donc à la probabilité d’amorçage) :

en conséquence ils peuvent être considérés comme déterministes dans ce type

d’analyse.

5.4.6. Conclusion

Dans cette section, on a proposé un cadre général de traitement des in-

certitudes pour le dimensionnement vis-à-vis de l’amorçage de structures sol-

licitées en fatigue, en mettant l’accent sur la prise en compte cohérente de

toutes les sources d’incertitudes apparaissant dans la chaîne de calcul.A titre

d’exemple, on a estimé la probabilité d’amorçage de fissure dans une tuyaute-

rie sollicitée en fatigue thermique. On obtient en particulier une quantification

de l’influence de chaque paramètre incertain sur cette probabilité. S’il faut être

prudent sur les valeurs proprement dites, on peut tout de même tirer les conclu-

sions qualitatives utiles pour la compréhension du problème.

5.5. Modèles probabilistes de propagation

5.5.1. Introduction

Tout comme l’amorçage, la propagation de fissures pré-existantes sous char-

gement cyclique présente un caractère aléatoire marqué. Une étude expéri-

mentale approfondie de Virkleret al. [VIR 78] sur des éprouvettes en alumi-

nium 2024-T3 montre clairement la dispersion de la vitesse de propagation

d’une fissure dans des éprouvettes identiques (figure 5.7) : 68 plaques rectan-

gulaires de longueurL = 558, 8 mm, de largeurw =152,4 mm et d’épaisseur

t =2,54 mm) préfissurées (taille initialea0 = 9 mm) sont sollicitées en trac-

tion alternée (∆σ = 48, 28 MPa,R = 0.2). Les essais sont arrêtés lorsque

la longueur de fissure atteint49, 8 mm. On observe que cette longueur finale

Page 32: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

32 Fatigue des matériaux et des structures

est atteinte entre 223 000 et 321 000 cycles selon les éprouvettes, avec une

répartition intermédiaire à peu près continue.

0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5

x 105

5

10

15

20

25

30

35

40

45

50

Nombre de cycles

long

ueur

de

fissu

re (

mm

)

Figure 5.7. Propagation de fissures – courbes expérimentales

de propagation de Virkleret al.[VIR 78]

L’observation de la figure 5.7 montre deux types d’aléa dans la propagation

de fissures :

– une dispersion des courbes, qui ne sont pas superposables dansleur allure

globale ;

– pour chaque courbe, une irrégularité locale, qui montre que les incréments

de taille de fissure le long d’une trajectoire donnée sont eux-mêmes aléatoires.

Page 33: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 33

5.5.2. Modèle déterministe

La propagation de fissures sous chargement cyclique est couramment mo-

délisée par la loi de Paris-Erdogan [PAR 63] (volume 1, chapitre 6) :

da

dN= C (∆K)m (5.23)

Dans cette expression,a est la longueur de la fissure,∆K est l’amplitude du

facteur d’intensité de contraintes pour un cycle d’amplitude∆σ et(C, m) sont

les paramètres caractéristiques du matériau étudié. Dans le cas d’une plaque

de largeurw ayant une fissure en son centre, l’amplitude du facteur d’intensité

de contraintes est donnée par :

∆K = ∆σ F( a

w

)√πa F

( a

w

)

=1

cos(

π aw

)

poura

w< 0.7

(5.24)

oùF(

aw

)

est le facteur de correction de Feddersen.

Pour reproduire par la simulation la dispersion globale des courbes expéri-

mentales, on peut simplement rendre aléatoire les paramètres de la loi de Paris

(5.23) : c’est l’approche retenue dans la suite de ce chapitre. Pour chaque réa-

lisation des paramètres(C , m), on obtient une courbe régulière, qui reproduit

bien l’allure générale des courbes expérimentales. Par contre, la modélisation

des irrégularités de ces courbes nécessite une modification de la loi de Paris-

Erdogan par l’introduction d’un processus aléatoire modulant les incréments

de taille au cours de la propagation elle-même. Ce type d’approche a été étu-

dié notamment par Ditlevsen et Olesen [DIT 86], Yang et Manning [YAN 96],

voir également [ZHE 98] pour une revue détaillée.

5.5.3. Modèle probabiliste des données

Pour chaque courbe de propagation de fissure, on peut estimer par recalage

le meilleur couple de paramètres(C, m) permettant de reproduire la trajectoire

Page 34: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

34 Fatigue des matériaux et des structures

Paramètre Distribution Bornes Moyenne Coef. de variation

m normale tronquée [−∞ ; 3, 2] 2,874 5,7 %

log C normale tronquée [−28 ; +∞] -26,155 3,7 %

Coefficient de corrélation :ρ = −0, 997

Tableau 5.3.Propagation de fissures – lois de probabilité des paramètres

(log C , m) de la loi de Paris pour les essais de Virkler [KOT 98]

(da/dN en mm/cycles)

observée. La dispersion des trajectoires se retrouve alors naturellement à tra-

vers l’échantillon des 68 couples ainsi déterminés. On peut faire un traitement

statistique de cet échantillon pour inférer les densités de probabilité les mieux

adaptées. Kotulski [KOT 98] montre qu’on peut raisonnablement représenter

les paramètresm et log C par des lois normales tronquées (tableau 5.3).

−28

−27

−26

−25

−24

−23

−22

2.2 2.4 2.6 2.8 3 3.2

log

C

m

Figure 5.8. Propagation de fissures – échantillon des paramètres de la loi

de Paris-Erdogan pour les essais de Virkler (da/dN en mm/cycles)

Page 35: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 35

On observe en particulier la très forte corrélation entre les deux paramètres

m et log C (figure 5.8), ce qui laisse à penser qu’il y a en fait un unique pa-

ramètre sous-jacent dont la variabilité d’une éprouvette à l’autre expliquede

façon pertinente la dispersion des courbes de propagation.

5.5.4. Prédiction de la propagation

A partir du modèle de Paris et de la description probabiliste des paramètres

de propagation donnés dans le tableau précédent, on peut obtenir par simu-

lation de Monte Carlo un faisceau de courbes de propagation et établir ainsi

un intervalle de confiance sur la longueur de fissure en fonction du nombre de

cycles de chargement appliqués. La figure 5.9 montre la courbe de propagation

mediane obtenue ainsi que les quantiles à 2,5 et 97,5 %.

0

5

10

15

20

25

30

35

40

0 50000 100000 150000 200000

Long

ueur

de

fissu

re (

mm

)

Nombre de cycles N

intervalle de confiance à 95%médiane

Figure 5.9. Propagation de fissures – prédiction de la courbe médiane de

propagation et de l’intervalle de confiance à 95 %

On observe que la dispersion simulée est du même ordre de grandeur que

celle observée sur les courbes expérimentales, ce qui valide le traitement sta-

tistique des données sur(log C , m) réalisé précédemment (voir également

Page 36: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

36 Fatigue des matériaux et des structures

[BOU 08] pour une investigation détaillée de l’influence de la corrélation entre

log C etm sur les prédictions).

Les résultats présentés sur la figure 5.9 sont cependant peu informatifs

dans un contexte industriel ou l’on souhaiterait avoir la meilleure prédiction

de la longueur de fissure en fonction du temps. Le graphe permet simple-

ment de conclure qu’une fissure de taille initiale 9 mm atteindra au bout de

200 000 cycles une taille comprise entre 23,5 et 35,8 mm avec une probabi-

lité de 95 %. Il va de soi qu’une meilleure estimation serait souhaitable pour

prévoir par exemple de façon optimale un plan d’inspection. La section sui-

vante va montrer comment on peut combiner les résultats précédents avec des

mesures effectuées sur une structure d’intérêt au cours de la phase initiale de

propagation, de façon à réduire l’intervalle de confiance de la prédiction.

5.5.5. Actualisation bayésienne pour la propagation de fissure

5.5.5.1. Introduction

Les statistiques bayésiennes permettent de combiner des informations dites

a priori sur des paramètres d’un modèle ou d’une loi de probabilité et un

échantillon de réalisations de ce modèle. Le lecteur non familier avec ces no-

tions pourra se reporter à l’annexe A pour une courte introduction sur ce sujet.

Dans le contexte de la mécanique probabiliste, on peut appliquer les approches

bayésiennes pour combiner de façon cohérente, d’une part les prédictions d’un

modèle dont les paramètres d’entrée incertains sont modélisés par des variables

aléatoires, d’autre part des mesures de la réponse du système mécaniqueréel

ainsi modélisé. Pour l’exemple précis de la propagation de fissures, on vaainsi

pouvoir introduire desmesuresde longueur de fissures obtenues pour diffé-

rents nombres de cycles et la prédiction faitea priori à la section précédente

(dont on a vue qu’elle était trop dispersée pour être suffisamment informative).

Page 37: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 37

5.5.5.2. Ingrédients pour une approche bayésienne de la propagation des fis-

sures

Le modèle mécano-probabiliste de propagation développé au paragraphe5.5.4

comprend le modèle de propagation (loi de Paris-Erdogan) et le modèle proba-

biliste des paramètres (tableau 5.3). Les lois normales tronquées ainsi retenues

sont considérées comme une information ditea priori (dans le vocabulaire

bayésien) sur les paramètres de propagation pour l’aluminium 2024-T3.

On s’intéresse maintenant à une éprouvette particulière, et pour l’illus-

tration, l’essai ayant conduit à la propagation la plus lente est retenu. Lafi-

gure 5.10 montre clairement que cet essai est atypique, puisque la courbe de

propagation est largement à l’extérieur du faisceau de prédictions à 95 %de

confiance.

0

5

10

15

20

25

30

35

40

0 50000 100000 150000 200000

Long

ueur

de

fissu

re (

mm

)

Nombre de cycles N

Intervalle de confiance à 95%

médiane

courbe expérimentale

Figure 5.10.Propagation de fissures – prédictiona priori de la propagation (courbe médiane

et intervalle de confiance à 95 %) et courbe expérimentale de propagation la plus lente

Page 38: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

38 Fatigue des matériaux et des structures

Pour confronter les observations aux prédictions, il convient de définir un

écart dit demesure/modèle, qui tient compte du fait qu’une mesure d’une quan-

tité physique n’est jamais exacte et que tout modèle mathématique de la réalité

est forcément plus ou moins imparfait. On notera, pour chaque observation

(supposée être ici une quantité scalaire) :

yobs = M(x) + e (5.25)

où yobs est la valeur mesurée etM(x) est la prédiction du modèle pour la

« vraie valeur »x du vecteur des paramètres d’entrée. Cette vraie valeur est en

pratique elle-même inconnue, mais on suppose qu’elle est une réalisation par-

ticulière du vecteurX. L’écart e est lui-même une réalisation d’une variable

aléatoire de loi supposée connue (en général gaussienne, de moyenne nulle et

d’écart-typeσe fixé). Ces hypothèses conduisent à considérer queyobs est une

réalisation d’une variable aléatoireYobs dont on a défini la loi conditionnelle-

ment àX = x :

Yobs|X = x ∼ N(

M(x); σ2e

)

(5.26)

L’équation précédente permet ensuite de formuler une fonction de vraisem-

blance pour les observations, et dans le cadre bayésien, de calculer une loi de

probabilitéa posterioripour le vecteurX.

5.5.5.3. Méthodes bayésiennes d’actualisation

Les aspects théoriques de l’actualisation bayésienne de modèles méca-

niques par les observations dépassent le cadre de ce chapitre. Le lecteur in-

téressé pourra se reporter à [PER 08] pour les détails. Pour résumer,on peut

distinguer deux grandes classes de méthodes de résolution pour le problème

qui nous préoccupe :

– les méthodes qui vont actualiser le modèle probabilistea priori des para-

mètres d’entrée du modèle (ici, les lois de probabilité delog D et m) à partir

des mesures de la réponse du système, et qui permettent donc d’estimer une

loi de probabilitéa posterioripour ces paramètres [PER 07b]. La propagation

Page 39: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 39

de ce nouveau modèle probabilistea posterioriva permettre de calculer un in-

tervalle de confiance actualisé sur la courbe de propagation. Du point devue

algorithmique, les méthodes de Monte Carlo par Chaînes de Markov (MCMC)

[ROB 96] sont bien adaptées à la simulation de la loia posteriori.

– les méthodes qui vont s’intéresser directement à l’actualisation de la ré-

ponse du modèle en définissant un intervalle de confiance sur celle-cicondi-

tionnellementaux observations. Ces méthodes s’appuient sur l’approximation

FORM en fiabilité des structures [PER 07c, SUD 06]

5.5.5.4. Application

On suppose avoir mesuré l’avancée de la fissure dans la première par-

tie de la propagation pour quelques valeurs de nombre de cycles (inférieur

à 100 000). Les méthodes bayésiennes vont permettre d’actualiser la prédic-

tion, c’est-à-dire de calculer un intervalle de confiance à 95 % pour la courbe

de propagation en tenant compte des observations effectuées. On prend ici en

compte 5 mesures reportées dans le tableau 5.4.

Longueur de fissure (mm) Nombre de cycles

9,4 16 345

10,0 36 673

10,4 53 883

11,0 72 556

12,0 101 080

Tableau 5.4.Propagation de fissures – longueurs de fissure mesurées en vue

de l’actualisation bayésienne

Le courbe médiane et l’intervalle de confiance à 95 % actualisés sont re-

présentés sur la figure 5.11. Il apparaît clairement que la prédiction actualisée

est cohérente avec les observations, et que l’intervalle de confiance est for-

tement réduit par rapport à la prédictiona priori. La longueur de fissure à

200 000 cycles prédite après actualisation à partir des 5 mesures est comprise

Page 40: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

40 Fatigue des matériaux et des structures

avec une probabilité de 95 % entre 17,4 mm et 19,8 mm, la valeur mesurée

correspondant à la valeur haute.

Il est important de noter que le formalisme probabiliste intègre ici direc-

tement la notion d’erreur de modèle : en effet, les mesures expérimentales de

longueur de fissure sont très précises et l’erreur de mesure peut donc être consi-

dérée comme nulle. Par contre, le modèle de la loi de Paris simplifié ne per-

met clairement pas de reproduire les irrégularités de la courbe de propagation.

L’erreur de modèle introduite dans la méthode (d’écart-typeσe = 0, 2 mm

pour l’application numérique) permet cependant d’obtenir un intervalle de

confiance satisfaisant, ce que ne permettrait pas de faire un simple lissage par

moindres carrés d’une courbe de Paris sur les cinq mesures du tableau (5.4).

0

5

10

15

20

25

30

35

40

0 50000 100000 150000 200000

Long

ueur

de

fissu

re (

mm

)

Nombre de cycles N

IC à 95% a priorimédiane a priori

IC à 95% actualisémédiane actualisée

données d’actualisationcourbe expérimentale

Figure 5.11.Propagation de fissures – prédictiona priori et actualisée de la propagation

(courbe médiane et intervalle de confiance à 95 %). Les carrés correspondent aux mesures

utilisées pour l’actualisation, les étoiles au reste la courbe expérimentale considérée

Page 41: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 41

5.5.6. Conclusion

Dans cette section, on a appliqué le cadre général de traitement des incer-

titudes à la propagation de fissures en utilisant le modèle classique de Paris-

Erdogan. On a pu constater que la dispersion observée sur la vitesse depro-

pagation de fissures pour des éprouvettes identiques était bien reproduite en

propageant les incertitudes identifiées sur les paramètres(log C , m) à travers

ce modèle. L’intervalle de confiance à 95 % prédit a tendance à devenir très

large lorsque le nombre de cycles augmente. Cependant, on a pu montrer que

la prise en compte de données d’auscultation (ici, longueurs de fissure me-

surées en début de propagation) dans un cadre bayésien permet d’améliorer

considérablement les prédictions, d’une part en donnant une courbemédiane

actualisée conforme aux observations, d’autre part en réduisant l’intervalle de

confiance à 95 %.

Les approches probabilistes présentent l’avantage d’être applicablesquelle

que soit la finesse du modèle physique sous-jacent. Ainsi, l’utilisation de la

méthode des éléments finis étendus (X-FEM) appliquée à la propagation de

fissures peut être couplée avec les méthodes de traitement d’incertitudes évo-

quées dans la section 5.2, voir par exemple [NES 06, NES 07].

5.6. Conclusion

Le caractère aléatoire du phénomène de fatigue dans les matériaux et les

structures est reconnu depuis de nombreuses années. Cependant, l’intégration

cohérente et rigoureuse de toutes les sources d’incertitudes dans le dimension-

nement de structures réalistes est un sujet d’intérêt récent. Dans ce chapitre,

on s’est attaché à décrire tout d’abord une méthodologie générale de traite-

ment des incertitudes applicable en mécanique, mais aussi à tout domaine où

la simulation numérique des phénomènes physiques est nécessaire (mécanique

des fluides, thermique, neutronique, électromagnétisme, chimie des procédés,

Page 42: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

42 Fatigue des matériaux et des structures

etc.). On a montré comment ce cadre général s’applique bien au dimension-

nement à la fatigue de pièces mécaniques, soit sous l’angle de l’amorçage de

la fissuration (approcheS/N ) soit pour l’étude de la propagation de fissures

existantes (approche de type Paris-Erdogan).

D’un point de vue plus général, il faut noter une certaine réticence cultu-

relle très française à l’utilisation des méthodes probabilistes dans l’industrie,

notamment pour la justification de la tenue des structures. La plupart des codes

de dimensionnement (nucléaire, aéronautique, génie civil) sont en effet de phi-

losophie essentiellement déterministe (calculs de dimensionnementconserva-

tifs du fait de l’introduction de « coefficients de sécurité »), même si certains

points des réglements (notamment le choix de valeurs caractéristiques pour les

paramètres de calcul) ont un contenu probabiliste. La fatigue étant un domaine

dans lequel les aléas sont présents à tous les niveaux (matériau, chargement,

etc.) et non réductibles, il apparaît nécessaire de disposer de méthodesprenant

en compte de façon cohérente toutes ces incertitudes pour une prévision plus

fine de la durée des vies des structures. Les approches présentées dans ce cha-

pitre fournissent des pistes de travail qu’il conviendra d’approfondir, notam-

ment par l’intégration de critères de fatigue plus élaborés (voir par exemple

[ALE 04, SCH 07]).

5.7. Annexe A : quelques rappels de probabilité

La présente annexe vise à préciser le vocabulaire probabiliste utilisé dans

tout le chapitre. Elle ne prétend ni à la rigueur mathématique, ni à l’exhaus-

tivité. Le lecteur soucieux de rafraîchir ou approfondir ses connaissances en

statistique et probabilités pourra se référer avec profit aux ouvragesde Lacaze

et al. [LAC 97] et Saporta [SAP 06].

Page 43: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 43

5.7.1. Variables aléatoires

L’approche axiomatique classique de la théorie des probabilités consiste à

construire un espace de probabilité abstrait par la donnée d’un triplet(Ω, F , P),

où Ω désigne l’ensemble des résultats possible d’une expérience aléatoire,Fdésigne une tribu d’évènements, c’est-à-dire un ensemble de sous-ensembles

deΩ stable par passage au complémentaire et union finie, etP () désigne une

mesure de probabilité, qui permet d’associer à chaque évènementA ∈ F sa

probabilitéP (A), qui un réel compris entre 0 et 1.

Dans les problèmes de mécanique probabiliste, lesvariables aléatoires

(et par extension les vecteurs aléatoires) servent à modéliser l’incertitude qui

existe sur les paramètres du modèle mathématique décrivant le système méca-

nique. On définit une variable aléatoire (réelle)X(ω) comme une application

X : Ω 7−→ DX ⊂ R. Uneréalisationd’une variable aléatoirex0 ≡ X(ω0) ∈DX est une des valeurs possibles que peut prendre le paramètre modélisé par

X. On parle de variable discrète ou continue selon que le supportDX (c’est-

à-dire l’ensemble des réalisations possibles de la variable) est dénombrable ou

continu.

Une variable aléatoireX(ω) est complètement définie par safonction de

répartitionnotéeFX(x) : DX 7−→ [0 , 1] :

FX(x) = P (X(ω) ≤ x) (5.27)

La fonction de répartition calculée enx est donc la probabilité que la variable

aléatoire4 X prenne des valeurs inférieures ou égales àx. Pour une variable

aléatoire continue, on définit également ladensité de probabilitépar :

fX(x) =dFX(x)

dx(5.28)

4. On omet dorénavant la dépendance enω dans la notation en prenant la convention que les

lettres majuscules désignent des variables aléatoires.

Page 44: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

44 Fatigue des matériaux et des structures

La quantitéfX(x) dx s’interprète donc comme la probabilité qu’X prenne une

valeur comprise entrex et x + dx. Par définition, l’intégrale defX sur son

domaine de définition vaut 1, c’est également la limite deFX(x) lorsquex

tend vers la borne supérieure deDX . Lorsqu’on dit modéliser les paramètres

incertains par une loi gaussienne, lognormale, uniforme, de Weibull, etc., cela

signifie qu’on prescrit la densité de probabilité (appelée aussi distributionou

loi de probabilité par abus de langage). Par exemple, la loi uniforme sur un

intervalle[a , b] a pour densité de probabilitéfU (x) = 1/(b − a) si x ∈ [a , b]

et 0 sinon. Une loi gaussienne (appelée aussi normale)N (µ σ) est définie par

la densité de probabilité suivante pour toutx ∈ R :

fN (x) =1

σϕ

(

x − µ

σ

)

(5.29)

oùϕ(x) est la densité gaussienne centrée réduite qui s’écrit :

ϕ(x) =1√2 π

e−x2/2 (5.30)

La fonction de répartition gaussienne centrée réduite, notée habituellementΦ

et définie par :

Φ(x) =

∫ x

−∞

1√2 π

e−t2/2 dt (5.31)

n’a pas d’expression analytique, mais est tabulée dans de nombreux logiciels

de calcul (Excel, Matlab, Scilab, etc.).

On utilise dans ce chapitre les distributions diteslognormales. Par défini-

tion, une variable aléatoire suit une loi lognormale si son logarithme suit une

loi gaussienne. On notera ainsi :

X ∼ LN (λ, ζ) : X = eλ+ζ ξ avecξ ∼ N (0, 1) (5.32)

La densité de probabilité d’une variableLN (λ, ζ) s’écrit :

fLN (x) =1

ζxϕ

(

lnx − λ

ζ

)

(5.33)

Page 45: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 45

La valeur « la plus probable » d’une variable aléatoire correspond à la réa-

lisation x0 qui maximise la densité de probabilitéfX(x) : c’est ce que l’on

appelle lemode. Les lois de probabilité courantes présentes un seul maximum

(elles sont dites unimodales) mais il est possible de construire des loi multi-

modales.

5.7.2. Espérance, moments, quantiles

On définit l’espérance mathématiqued’une variable aléatoire par :

E [X] ≡∫

DX

x fX(x) dx (5.34)

C’est ce que l’on appelle communément lamoyennedeX, qu’on note égale-

mentµX . Pourvu que l’intégrale soit définie, on peut définir de façon générale

l’espérance d’une fonctiong(X) par :

E [g(X)] ≡∫

DX

g(x) fX(x) dx (5.35)

Lesmomentsstatistiquesmk (resp. moments centrésµk) correspondent au cas

particulier oùg(X) = Xk (resp.g(X) = (X − µX)k, k ∈ N) :

mk =

DX

xk fX(x) dx (5.36)

µk =

DX

(x − µX)k fX(x) dx (5.37)

La varianceσ2X ≡ µ2 = E

[

(X − µX)2]

est le moment centré d’ordre 2.

L’écart-type deX notéσX est la racine carrée de la variance, et on appelle

coefficient de variation (exprimé en pourcentage) le ratioCVX = σX/µX .

Lesquantilesd’une variable aléatoire sont définis à partir de la fonction de

répartion inverse. Précisément, le quantilexq d’ordreq est tel que :

xq : P (X ≤ xq) = q (5.38)

Page 46: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

46 Fatigue des matériaux et des structures

soit :

xq = F−1X (q) (5.39)

si la fonction de répartitionFX est strictement croissante.

5.7.3. Maximum de vraisemblance

L’étape B du schéma général de traitement des incertitudes consiste à pro-

poser un modèle probabiliste des incertitudes affectant les paramètres d’entrée

du modèle mécanique, c’est-à-dire proposer une loi de probabilitéfX(x) pour

le vecteurX de ces paramètres.

On se limite ici au cas où les variables d’entrée peuvent être considérées

comme indépendantes (dans ce cas,fX(x) se réduit au produit des densités

de probabilité de chaque variablefXi). Si l’on dispose d’un échantillon de

donnéesE = x(1), . . . , x(Q) d’un paramètre, on peut utiliser les techniques

d’inférence statistiquepour déterminer une loi de probabilité cohérente avec

ces données. L’inférence paramétrique consiste à supposer une forme pour la

densité de probabilitéfX (gaussienne, lognormale, etc.) et à estimer ensuite les

paramètres de cette densité pour qu’elle reproduise au mieux l’échantillon. Soit

f(X; θ) cette densité, dans laquellef() est une fonction connue définissant

la famille de la loi (Eq.(5.29)) etθ est le vecteur des paramètres à estimer

(par exempleθ = (µ , σ)). La fonction de vraisemblance de l’échantillon est

définie par :

L(θ ; E) =

Q∏

i=1

f(x(i); θ) (5.40)

Une fois évaluée sur l’échantillon, cette fonction ne dépend plus que deθ.

Le principe de maximum de vraisemblance indique que le meilleur choix de

paramètres (notéθ) est alors celui qui maximise la fonction précédente, ou de

façon équivalente, minimise la log-vraisemblance :

θ = arg minθ

[− log L(θ ; E)] = arg minθ

[

−Q

i=1

log f(x(i); θ)

]

(5.41)

Page 47: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 47

En pratique, à partir de l’observation de l’échantillonE par les outils de

statistique exploratoire comme les histogrammes [SAP 06, chapitre 5], on pro-

pose différentes choix pourf(X; θ). Puis on estime les meilleurs paramètres

pour chaque choix et on validea posteriori les hypothèses en utilisant les

tests d’adéquation (test de Kolmogorov-Smirnov, Anderson-Darling,χ2, etc.)

[SAP 06, chapitre 14]). On peut également sélectionner parmi les différents

modèles qui n’auraient pas été rejetés par les tests celui qui est le plus perti-

nent (critères de vraisemblance pénalisée AIC ou BIC [SAP 06, chapitre19]).

Ces notions classiques d’inférence statistique peuvent être généralisées au

cas où l’on a une ou plusieurs variable(s) de contrôle des données de l’échan-

tillon, par exemple le niveau d’amplitudeS pour les essais de fatigue (para-

graphe 5.3.3).

5.7.4. Inférence bayésienne

Les statistiques bayésiennes ont pour origine le théorème de Bayes, résul-

tat élémentaire de la théorie des probabilités qui, pour deux évènements quel-

conquesA etB, s’énonce comme suit :

P (A|B) =P (B|A) P (A)

P (B)(5.42)

où la quantitéP (A|B) est laprobabilité conditionnelle deA sachantB définie

par la quantitéP (A ∩ B) /P (B). Le résultat précédent se généralise aisément

aux densités de probabilité (resp. conditionnelles) de variables aléatoires.

Une application pratique des statistiques bayésiennes est l’inférence de loi

de probabilité pour un échantillon de données de petite taille. En effet, la mé-

thode du maximum de vraisemblance présentée précédemment ne permet pas

dans ce cas d’obtenir une représentation satisfaisante des données (l’incerti-

tude surθ est en effet très grande). L’approche bayésienne consiste à intégrer

dans l’inférence une information ditea priori sur les paramètresθ à estimer.

On choisit donc non seulement une famille de loif(X; θ) mais également une

Page 48: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

48 Fatigue des matériaux et des structures

loi de probabilitépΘ(θ) (dite a priori) sur les paramètresθ, appelés dans ce

cadre leshyperparamètres: par exemple, on prendraf(X; θ) gaussienne de

moyenneµ et d’écart-typeσ et on supposera en plus que la moyenne est a

priori comprise entre deux bornes, ce qui revient à modéliser l’hyperparamètre

µ par une variable uniforme entre ces deux bornes. On en déduit la loi dite

a posteriorif ′′Θ

en combinant la loi a priori et la vraisemblance de l’échan-

tillon E :

f ′′Θ(θ) = c L(θ ; E) pΘ(θ) (5.43)

où L est la fonction de vraisemblance définie en (5.40) etc est une facteur de

normalisation assurant quef ′′Θ

est bien une loi de probabilité. Cette formule

est identique dans son principe à (5.42) et peut se lire : “la loi deΘ sachant les

observationsE est égale, à un facteur près, à loi deΘ a priori multipliée par la

loi des observations sachantΘ (i.e. la vraisemblanceL(θ , E)).

Revenant au problème initial qui est de proposer la meilleure loi de pro-

babilité possible pour le paramètreX, on peut alors choisir la moyenne ou le

modeθ′′ a posterioridef ′′Θ

comme meilleur paramètre, et la loi de probabilité

f(X; θ′′) pourX.

Dans le cadre de l’actualisation des prédictions d’un modèleY = M(X)

par des observationsYobs = y(1), . . . , y(Q) (voir paragraphe 5.5.5), le mo-

dèle probabiliste a priori porte surX (qui joue le rôle des hyperparamètresΘ)

et l’on propagein fine la loi a posteriorif ′′X à travers le modèleM.

5.7.5. Problème de fiabilité et méthode FORM

Un problème de fiabilité des structures est défini par la donnée d’un mo-

dèle mécanique de calculM, d’un modèle probabiliste pour ses paramètres

d’entréeX, soit fX(x), et d’un critère de défaillance5 (voir [LEM 08] pour

5. Il faut entendre ici défaillance au sens large de « non remplissage d’une fonction assignée au

système » et pas forcément rupture ou ruine du système mécanique considéré.

Page 49: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

Approche probabiliste de la fatigue des structures 49

une introduction pédagogique à la fiabilité des structures). Celui-ci se formule

mathématiquement à l’aide d’unefonction d’état limiteou fonction de perfor-

mancenotéeg(X) qui doit par convention prendre des valeurs négatives (resp.

positives) pour les réalisations deX telles que le système mécanique soit dé-

faillant (resp. non défaillant) pour le critère considéré. L’ensemble desx tels

queg(x) = 0 définit la surface d’état limite. Une situation courante corres-

pond au cas où l’on souhaite qu’une quantité d’intérêty obtenue comme ré-

ponse d’un modèle ne dépasse pas un seuil donnéy. La « défaillance » corres-

pond alors au dépassement du seuil et la fonction d’état limite associée s’écrit :

g(X) = y −M(X) (5.44)

La probabilité de défaillance est alors définie par :

Pf ≡ P (g(X) ≤ 0) = P (M(X) ≥ y) =

Df

fX(x) dx (5.45)

où Df = x : g(x) ≤ 0 désigne le domaine de défaillance. La méthode

de Monte Carlo permet d’estimer la probabilité de défaillance ci-dessus de fa-

çon algorithmiquement élémentaire : on effectue des tirages aléatoires du vec-

teur des paramètres d’entrée, c’est-à-dire qu’on crée un échantillon artificiel de

vecteurs d’entrée selon la distributionfX, soitX = x(1), . . . ,x(N). Pour

chaque tiragex(i) on évalue la réponseM(x(i)) puis le critèreg(x(i)). On

estime la probabilité de défaillance par le nombre de tiragesNf ayant conduit

à une valeur négative deg(x(i)) divisé par le nombre de tirages totalN :

Pf =Nf

N(5.46)

Cette méthode d’usage très général n’est pas applicable en pratique auxcas

(courants) où la probabilité recherchée est très faible (de10−2 à10−6) : il faut

en effet de l’ordre deN = 400 × 10k tirages pour estimer à 5 % près une

probabilité de l’ordre de10−k. Ce coût de calcul n’est donc pas envisageable

lorsque chaque évaluation deM correspond à un calcul aux éléments finis.

La méthode FORM est une méthode d’approximation qui permet à moindre

coût d’estimerPf . On commence par transformer le vecteur des paramètresX

Page 50: Approche probabiliste du dimensionnement à la fatigue des structures

50 Fatigue des matériaux et des structures

en un vecteur de variables aléatoires gaussiennes centrées réduitesX = T (ξ),

ce qui permet d’écrire (5.45) comme suit :

Pf ≡ P (g(T (ξ)) ≤ 0) =

Df=ξ:g(T (ξ))≤0(2π)−n/2 e−‖ξ‖2/2 dξ (5.47)

où n est la dimension deξ. Dans cette intégrale, l’intégrande diminue expo-

nentiellement avec‖ ξ ‖2. C’est donc la région du domaine d’intégration (do-

maine de défaillance) la plus proche de l’origine de l’espace deξ qui contri-

bue le plus à l’intégrale. On cherche donc dans un premier temps lepoint de

conceptionξ∗, point du domaine de défaillance le plus proche de l’origine. On

linéarise ensuite la surface d’état limite autour deξ∗. On montre alors que la

probabilité de défaillance est égale au premier ordre à :

Pf,FORM = Φ(−β) (5.48)

où β =‖ ξ∗ ‖ est l’indice de fiabilité de Hasofer-Lind. Pour un problème de

fiabilité dans lequel la dimension du vecteur d’entréeX est inférieure à 10, la

méthode FORM donne en général de bons résultats pour un nombre d’évalua-

tions deg (nécessaire à la recherche du point de conceptionξ∗) inférieur à 100,

indépendammentde l’ordre de grandeur dePf . Cependant, la méthode FORM

ne fournit qu’une approximation dePf dont on ne peut pas dire si elle est

proche ou non, conservative ou non. On utilise donc en général des techniques

complémentaires comme la simulation d’importance pour valider le résultat

obtenu par FORM [LEM 05].

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