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Approche systémique et communicationnelle des organisations

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Alex Mucchielli

Approche systémique et communicationnelle

des organisations

ARMAND COLIN

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Ce logo a pour objet d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, tout particulièrement dans le domaine universitaire, le développement massif du « photocopillage ». Cette pratique qui s'est généralisée, notamment dans les établissements d'enseignement, provoque une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des oeuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée. Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans autorisation, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites. Les demandes d'autorisation de photocopier doivent être adressées à l'éditeur ou au Centre français d'exploitation du droit de copie : 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. Tél. : 01 44 07 47 70.

Collection U, série « Sciences de la communication » dirigée par Alex Mucchielli

Dans la même collection

MUCCHIELLI A. (sous la dir.), Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, 1998.

MUCCHIELLI A. et coll., Théorie des processus de la communication, 1998. MUCCHIELLI A. (sous la dir.), Douze cas et exercices sur la communication, 1998. MUCCHIELLI A. (sous la dir.), Nouvelles méthodes d'étude des communications,

1998.

Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l'autorisation de l'éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d'une part, les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d'autre part, les courtes cita- tions justifiées par le caractère scientifique ou d'information de l'œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).

© S.E.S.J.M./Armand Colin, Paris, 1998 ISBN : 2-200-21813-3

S.E.S.J.M./Armand Colin - 34 bis, rue de l'Université - 75007 Paris

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COLLECTION « SCIENCES DE LA COMMUNICATION »

Notre société est devenue une société de communication, notamment avec l'avène- ment des médias de masse dans les années d'après-guerre et le développement plus récent des technologies de communication. Depuis un peu plus de vingt ans, un champ disciplinaire appelé «Sciences de l'Information et de la Communication» (SIC) essaie de se constituer. Il se veut « interdisciplinaire », prenant ses théories et ses concepts à de nombreuses sciences humaines et sociales : psychologie, socio- logie, philosophie, linguistique, anthropologie, gestion... Mais il reste encore à structurer ce champ disciplinaire au plan de sa réflexion épistémologique. La tyrannie de «l'idéologie de la communication» comme la tyrannie des pratiques diverses semblent être des freins permanents à la constitution d'une vraie « communicologie ».

Les ouvrages de cette collection veulent d'abord ouvrir des débats épistémologi- ques, théoriques et méthodologiques conduisant à l'autonomie intellectuelle du champ de recherche sur la communication. Ils veulent ensuite apporter des outils théoriques, des méthodes nouvelles et aussi proposer des concepts nouveaux pour permettre les avancées scientifiquement nécessaires à la communauté des chercheurs.

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INTRODUCTION

Les sciences de l'information et de la communication doivent appréhender les phéno- mènes de communication qui se déroulent dans les organisations. Les « communications organisationnelles » sont parties intégrantes de leur domaine d'investigation.

Un de leurs problèmes, pour investir ce champ, est un problème de positionnement scientifique par rapport à d'autres sciences. Elles doivent donc d'abord proposer un point de vue différent des points de vue connus, proposés par exemple par la psycho- sociologie, la sociologie, les sciences politiques ou les sciences de gestion. Ce sont en effet principalement ces sciences qui ont depuis longtemps investi le domaine des organisations, de la communication organisationnelle et du management.

Les approches des phénomènes communicationnels organisationnels de ces sciences sont essentiellement fondées sur les communications interpersonnelles intervenant dans des processus complexes comme la négociation et les luttes de pouvoir, l'information, le commandement et le leadership, la participation et les outils de motivation, les iden- tités culturelles, l'image de marque et les interventions marketing, ...

Il faut aussi remarquer que les approches de ces sciences s'appuient sur des théo- ries de moyenne portée, plus ou moins cohérentes et achevées, qui se réfèrent pratiquement toutes, implicitement, à une conception linéaire de la causalité (un phénomène est expliqué par une cause ou un ensemble de causes). C'est donc dire que ces sciences, pour l'instant, n'ont pas le positionnement épistémologique des sciences de l'information et de la communication (lesquelles se situent dans le para- digme de la complexité).

Il faut noter encore et en conséquence de notre précédente remarque, que ces sciences, actuellement maîtresses du domaine organisationnel, utilisent pratiquement toujours, pour étudier les phénomènes de communication, des modèles positivistes. Ces modèles positivistes, nous les connaissons bien en sciences de l'information et de la communication. Ce sont des modèles fondés sur d'archaïques modèles de la transmission de l'information : le modèle émetteur-récepteur, le modèle de l'influence à deux étapes, le modèle de la communication marketing. Or, nous savons désormais que ces modèles ne peuvent prétendre donner de quelconques armes intel- lectuelles aux chercheurs pour comprendre la réelle complexité des phénomènes de communication organisationnelle 1

1. Nous renvoyons pour cela à l'ouvrage : Nouvelles méthodes d'études de la communication de cette collection.

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Ainsi, si les sciences de l'information et de la communication veulent investir «d'une nouvelle manière» le domaine organisationnel, leur point de vue épistémolo- gique fondé sur le paradigme de la complexité (s'appuyant sur le systémisme et le constructivisme) et sur l'utilisation d'autres modèles que le modèle émetteur- récepteur peuvent répondre à cette intention. Bien entendu, les SIC devront aussi utiliser leurs propres concepts et essayer de forger leurs propres méthodes d'investigation.

Cet ouvrage veut poser quelques éléments de base pouvant servir à une approche spécifiquement «sciences info-com» des organisations. Cette approche est appelée pour l'instant «approche systémique et communicationnelle». Cela pour bien montrer qu'elle se veut centrée sur les phénomènes de communication et systémique, c'est-à-dire se référant au modèle interactionniste-systémique (lequel touche au cons- tructivisme comme on le sait par les travaux de l'école de Palo Alto).

L'approche développée dans ce livre trouve donc ses sources dans les travaux des années 60 à 80, menés par Éric Berne d'une part et par Paul Watzlawick, d'autre part. La communication y est toujours conçue comme une participation à un ensemble communicationnel ou à un système de relations (modèle de «l'orchestre»). Ce système est très souvent repérable à travers sa ritualisation. Il forme alors un «jeu» qui a ses « coups » réglés ainsi que sa finalité. Le fonctionnement de cet ensemble de communications est beaucoup plus que la somme des échanges qui se déroulent entre les acteurs. Il crée en effet des émergences de sens. Émergence du sens des diverses interactions dans le système global, émergence du sens collectif du système rela- tionnel lui-même pour l'ensemble des acteurs.

Pour parvenir à l'explicitation et à l'analyse — en compréhension — du fonction- nement de ces jeux, l'ouvrage propose une méthode menant à une modélisation. Cette méthode commence par une observation particulière (centrée sur les «formes relationnelles » et les récurrences) ; elle se poursuit par des efforts de schématisation graphiques des échanges, intégrant d'ailleurs les «communications implicites» des acteurs; elle s'achève par la description du fonctionnement du tout, compte tenu des relations de ce tout avec les autres systèmes sécants ou englobants. L'analyse finale devant faire apparaître les «valeurs» émergentes du système, celles qui, implicite- ment, peuvent être considérées comme «menant le jeu », presque à l'insu des acteurs.

Les études de nombreux cas présentés dans cet ouvrage permettent même de formuler des éléments d'une théorie qui reste encore à construire plus avant. L'orga- nisation y est présentée comme une «réalité secondaire », constituée d'un enchâssement de jeux collectifs, dont le fonctionnement global est réglé par un métajeu. Chaque jeu, ou rituel d'échanges, révélant, à son niveau, le thème d'une négociation impossible à faire avancer entre des acteurs de l'organisation.

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CHAPITRE I

APPROCHE DES SYSTÈMES ET RÉSEAUX DE COMMUNICATIONS DES ORGANISATIONS

Objectifs de connaissance - Comprendre comment différents modèles donnent des représentations diffé-

rentes des mêmes phénomènes. - Connaître les différents modèles graphiques utilisés pour représenter les

communications organisationnelles. - Savoir distinguer les différents types d'échanges d'une organisation. - Connaître ce que sont un système relationnel interne et un jeu d'interactions.

1. LE RÔLE DES MODÈLES DANS L'ÉTUDE DES PHÉNOMÈNES ORGANISATIONNELS

1.1. L'intervention des modèles dans la lecture du phénomène étudié

En sciences humaines, l'intelligibilité d'un phénomène est faite de sens partagé. Le sens, on le sait, naît toujours d'un rapport à quelque chose, un environnement, un contexte, un cadre de référence... Le sens (et donc l'intelligibilité d'un phénomène) naît de la confrontation de ce que nous appelons la « réalité » à un certain nombre de référents servant implicitement ou non au projet de décodage. Un des principaux référents constitutifs de cette appréhension de la «réalité» pour la transformer en « représentation intelligible » est le modèle implicite (ou la métaphore qui le traduit) utilisé par le chercheur.

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En communication, comme dans les autres domaines, «le modèle sert donc d'assise à différents types d'études et de moyens d'analyse et de réflexion » Il illustre de manière simplifiée le fonctionnement d'un phénomène. Il sert alors à la vulgarisation en facilitant l'explication d'une théorie. Le modèle finit par créer «une image d'une partie du réel ». Un modèle de référence est alors la concrétisation, sous la forme d'un schéma, d'un ensemble d'éléments théoriques et conceptuels, cohé- rents, qui servent de cadre d'analyse.

Ainsi, par exemple, le fonctionnement abstrait et complexe de la communication interindividuelle peut-il être remplacé par la métaphore de l'émission-réception d'un télégramme par deux personnes se tenant au bout d'une ligne télégraphique. La concrétude de la métaphore permet de faire des comparaisons avec ce que l'on observe. La métaphore utilisée pour lire le phénomène agit comme un mécanisme perceptif et cognitif qui transforme la « réalité » en « représentation » conforme aux structures de la métaphore La métaphore est partie prenante dans le processus trans- formateur que l'observateur met en œuvre dans son effort de construction de l'objet en vue de son intelligibilité. Dès que la réalité est un tant soit peu complexe, la méta- phore est forcément réductrice. D'où l'importance qu'il faut accorder aux métaphores utilisées pour penser les phénomènes.

En fait, le modèle comme la métaphore interviennent sur la lecture que l'on peut faire d'un phénomène à travers ce que l'on appelle la réduction métaphorique La réduction métaphorique est donc le processus inverse de la construction d'une méta- phore : on prend un élément concret perçu dans la «réalité» observée et on se demande ce qu'il peut bien représenter, étant donné la métaphore prise comme réfé- rence (dans le champ de cette métaphore). Ainsi je « perçois », chez moi, lorsque je parle à autrui, un effort de mise en forme de mes paroles, ramené au modèle de l'émission-réception d'un télégramme me servant de métaphore, l'effort fait devient un effort de « codage », c'est-à-dire de transcription de quelque chose pensé dans une langue en quelque chose d'émis dans une autre. Il est bien évident que cette réduction métaphorique «oriente» l'analyse. Dans le cas pris ici en exemple, on voit bien que la notion de «codage» — qui s'impose parce que venant de la transformation d'une pensée en un écrit dans la métaphore du télégramme — scotomise tout un ensemble d'autres phénomènes comme ceux de compétence interactionnelle, de message para- linguistique, de simultanéité de la réception du paralangage, de double intentionnalité... autant de phénomènes mis en évidence en pensant la communica- tion interindividuelle avec d'autres modèles

Les modèles ne peuvent donc donner qu'une traduction partiale de la «réalité», laquelle est une construction, faite avec leur aide, des seuls phénomènes qu'ils permettent de percevoir. Aussi, aucun des modèles que nous évoquerons ci-après, ni le modèle privilégié que nous utiliserons ultérieurement (le modèle interactionniste),

1. G. Willett, «Paradigme, théorie, modèle, schéma : qu'est-ce donc?», Organisation et communication, n° spécial : La recherche en communication, 10, 2 semestre 1996, p. 48-81. 2. J.-L. Le Moigne, La Théorie du système général, PUF, 1984. 3. A. Mucchielli, L'Analyse formelle des rêves et des récits d'imagination, PUF, 1993, p. 16. 4. Cf. l'ouvrage de cette collection : Nouvelles méthodes d'édude en communication.

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n'a la prétention de révéler «la réalité ». La réalité, en sciences humaines, est une construction. Elle dépend de l'observateur et de ses instruments d'observation. Chaque modèle est un de ces instruments imparfaits.

1.2. La difficulté de la représentation de l'organisation

Le concept d'organisation est une abstraction alors qu'on nous la présente classique- ment comme un ensemble de phénomènes matériels (locaux, structure, textes de référence, ...), économiques (création de richesses, transformation de matière...), culturels (normes, représentations, mentalités...) et relationnels (relations infor- melles, hiérarchie et pouvoir, dépendance, gratification...). Si l'on y réfléchit, personne n'a jamais «vu» une organisation. On peut y avoir vécu, en connaître certaines parties matérielles, en avoir une «représentation» (qui n'est d'ailleurs pas la même que celle d'un collègue)... Finalement il faut se rendre à une évidence : «L'organisation n'appartient pas au monde matériel puisque ce n'est pas un objet que nous pouvons voir, toucher, flairer, goûter ou, d'une manière générale, percevoir par les sens. Elle appartient à l'univers des objets imaginés » Elle est donc une «réalité secondaire» au sens de l'école de Palo Alto.

Il existe donc un problème de conceptualisation de l'organisation qui a été résolu, jusqu'à présent, par des présentations de « cartes », de parties de son «territoire» et donc par un découpage à partir d'approches et de concepts originaires de différentes disciplines: sociologie (culture, pouvoir,...), psychologie sociale (réseaux de communication, attitudes, implication, ...), sciences de gestion (procédure, définition de poste, organigramme, fonction, responsabilité, réglementation)... L'organisation est une réalité vivante que l'on saisit donc habituellement, essentiellement par des descriptions disciplinaires. Chaque théorie disciplinaire découpe et éclaire un aspect particulier de cette totalité. Chaque approche est donc partielle, saisissant seulement une partie de l'organisation. Partie que l'on peut appeler un «agrégat» avec J.- L. Le Moigne, c'est-à-dire : «Un ensemble au sein duquel nous nous résignons à ne pas tout dénombrer, et que nous ne connaîtrons que par quelques étiquettes qui nous diront sa position relative dans son environnement »

Les quelques modèles systémiques passés en revue ci-dessous vont nous permettre, tout d'abord, de poser les décors essentiels dans lesquels se situe tout phénomène organisationnel (contexte sociétal, contexte économique, contexte des luttes de pouvoir, contexte des échanges, ...) et vont nous sensibiliser à la question fondamentale du «cadrage» adopté pour l'observation des phénomènes communica- tionnels sur lesquels nous allons ensuite nous centrer.

5. J.R. Taylor, «La dynamique de changement organisationnel. Une théorie conversation/texte de la communication et de ses implications », Communication et organisation, n° 3, mai 1993, p. 52. 6. J.-L. Le Moigne, La Théorie du système général, PUF, 1984, p. 42.

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2. QUELQUES MODÈLES CLASSIQUES DE RÉSEAUX ET D'INTERACTIONS

Les modèles et métaphores implicites pris comme référence pour l'étude des organi- sations sont donc essentiellement sociologique, gestionnaire, psychosociologique ou socio-politique. Ils essaient d'intégrer les phénomènes communicationnels sans cependant en saisir vraiment l'essentiel.

2.1. Les modèles et métaphores organiciste et sociologique 2.1.1. L'analogie organique L'analogie la plus connue pour saisir une organisation est l'analogie organiciste : l'organisation est comparée à un organisme vivant. Déjà, en 500 avant J.-C., à Rome, le tribun Menesius Aggripa expliquait au peuple le fonctionnement de la société romaine à l'aide de la fable des membres, de l'estomac et de la tête. Cette métaphore est simple. On peut comparer la direction au cerveau, la hiérarchie à l'ensemble du système nerveux, l'ensemble des bâtiments au squelette osseux, les principaux organes aux divers services de l'organisation... et la circulation du sang à la circula- tion des informations.

Cette métaphore amène à penser à deux types de dysfonctionnements des organisa- tions : les dysfonctionnements internes dus aux dérèglements d'une des fonctions remplies par les organes principaux (la direction générale, les diverses directions, les grands services fonctionnels...); les dysfonctionnements d'adaptation à l'environne- ment où l'organisation-organisme ne sait pas faire face aux changements de son environnement et s'y adapter comme un animal doit s'adapter, pour survivre, à son biotope.

2.1.2. La synergie des éléments internes à l'organisation Dans cette conception, la bonne marche de l'organisation est fondée sur l'harmo- nieuse synergie de chaque «fonction» avec l'ensemble des autres.

Dans la figure 1, il y a donc, pour chaque fonction, un optimum d'activité, et un minimum en deçà duquel l'insuffisance de sa contribution perturbe l'ensemble. Chaque fonction a d'autre part des «dysfonctions» propres qui perturbent le système global. La pathologie de l'organisation est donc d'abord l'étude des dysfonctionne- ments des différentes fonctions du système global, puis l'observation des perturbations entraînées. En conséquence, pour Argyris la santé d'une organisation se définit à partir du degré «d'intégration» du système qu'elle représente. La mesure de cette intégration peut alors se faire selon six dimensions :

7. C. Argyris, Participation et organisation, Dunod, 1985, p. 145 sqq.

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FIG. 1. — La bonne synergie des «fonctions» de l'organisation.

1. La nature des relations entre les éléments du système. Il y a un degré faible d'intégration lorsqu'un seul des éléments du système organisationnel domine les autres ou lorsque les différents éléments proposent tous des orientations différentes avec des pouvoirs égaux.

2. La conscience ou non de la configuration formée par l'ensemble des compo- santes de l'organisation. Il y a un faible degré d'intégration lorsque de nombreux acteurs organisationnels n'ont pas conscience d'appartenir à une totalité où chacun dépend des autres.

3. L'orientation vers des objectifs généraux organisationnels. Il y a un faible degré d'intégration lorsque les membres poursuivent des objectifs contradictoires.

4. La possibilité d'influer ou non sur les activités organisationnelles orientées vers l'intérieur. Il y a faible degré d'intégration lorsque les acteurs sociaux sont incapables d'influer sur les activités internes essentielles.

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5. La possibilité d'influer ou non sur les activités organisationnelles orientées vers l'extérieur. Il y a un faible degré d'intégration lorsque la capacité des différents acteurs internes d'influencer les actions organisationnelles à destination du milieu extérieur est faible.

6. Les répercussions de l'avenir sur les activités essentielles de l'organisation. Lorsque seul le présent intervient pour déterminer les activités fortes de l'organisa- tion, on considère que l'organisation a un faible degré d'intégration.

2.1.3. L'adaptation du système interne à l'environnement

Dans cette conception, la bonne marche de l'organisation est aussi fondée sur l'adap- tation de l'organisation à son environnement. Cette idée a souvent été reprise par les diverses théories des organisations. C'est une des idées des théories de Schein (1965), de Katz et Kahn (1966), de Lawrence et Lorch (1967) ou de Beckard (1969)... L'environnement de l'organisation y est analysé comme un contexte contraignant qui induit les adaptations internes, lesquelles sont nécessaires à la survie de l'organisation. Certaines de ces théories allant jusqu'à dire que «la meilleure manière de s'organiser» dépend de la nature de l'environnement (théorie de la «contingence» de Lawrence et Lorch). Il est donc plus ou moins implicitement postulé un «besoin» de survie (ou de s'adapter) de l'organisation. Il y a, ensuite, le présupposé que l'environnement de l'organisation est quelque chose qui existe en dehors de toute relation avec l'organisation elle-même.

2.1.4. Le modèle de la micro-société ou du système social On peut utiliser aussi, pour parler de l'entreprise, la métaphore du système social de T. Parsons Dans cette métaphore, l'organisation, comme la société, est un système qui a des besoins propres pour vivre et se développer.

Une organisation, pour survivre, nous venons de le voir, doit s'intégrer dans son environnement avec lequel elle est en interaction. Les «besoins» de l'entreprise pour perdurer tiennent donc, tout d'abord, à des exigences externes. En deuxième lieu, l'entreprise, comme une société, est elle-même composée d'unités différenciées qui ont entre elles des rapports. Ces unités doivent fonctionner avec une certaine cohé- rence. Les «besoins» de l'organisation tiennent alors aussi à des exigences internes. L'externe et l'interne sont donc les deux contraintes fondamentales qui apparaissent immédiatement par l'analyse faite à l'aide de cette métaphore. Une société se main- tient aussi en atteignant les buts qu'elle recherche (biens matériels, satisfactions psychologiques ou idéaux) ; elle utilise pour cela un ensemble de moyens. Le système social a alors des fonctions exprimables en termes de buts et de moyens.

Pour Parsons, l'utilisation simultanée de ces distinctions (interne-externe, buts et moyens) révèle la présence nécessaire de quatre « fonctions » : les fonctions adaptation,

8. T. Parsons, The Social System, The Free Press, New York, 1964.

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poursuite de buts, coordination et motivation. Un système social existe seulement si ces quatre éléments trouvent à s'exprimer au moins d'une manière relative. C'est pourquoi Parsons croit pouvoir affirmer que ces quatre fonctions sont les «prérequis fonction- nels» de tout système social (cf. tableau 1).

Tableau 1. — Prérequis fonctionnels d'un système d'action selon Parsons

Moyens Buts

Externe S'adapter Poursuivre des buts Adaptation Réalisation

Interne Être motivé Coordonner Motivation Cohésion-culture

Ainsi pour qu'un système vivant, tel l'organisation, vive et se développe, il doit générer un ensemble d'activités qui répondent nécessairement à ses besoins en tant que système. Ces besoins sont l'adaptation, l'organisation, la cohérence et la motiva- tion. C'est là ce que le sociologue Parsons appelle «les prérequis fonctionnels d'un système d'action ».

À ces « besoins » correspondent des sous-systèmes du système global. Ainsi peut- on distinguer: le sous-système économique (gérant l'adaptation); le sous-système politique (gérant la réalisation ou la poursuite des buts) ; le sous-système communau- taire (gérant la cohésion) ; le sous-système de socialisation (gérant les engagements et les motivations). Nous obtenons alors une représentation systémique de l'organisa- tion conforme à la figure 2.

Ce modèle «fonctionne» grâce à un réseau d'échanges. Les sous-systèmes sont en perpétuelle communication avec les autres par l'intermédiaire de médias particuliers. Le premier de ces médias est le pouvoir qui est la capacité du sous-système politique à obliger les acteurs (par la force liée aux contraintes et aux règles) de l'organisation à remplir les obligations que leur impose les buts collectifs visés. Le deuxième médium est la «monnaie» qui est la capacité de donner de la valeur aux choses à travers l'utilisation d'un ensemble des moyens symboliques régissant la circulation des biens et des services. Le troisième médium d'échange étant l'influence, qui, pour Parsons, est la capacité (liée au prestige et à l'appel aux normes culturelles) d'obtenir l'adhésion et la loyauté des membres de l'organisation. Le dernier médium d'échange est «l'engagement», c'est-à-dire la capacité (liée aux valeurs internes) d'intégrer les membres de l'organisation dans la collectivité qu'ils forment.

Ce modèle de «l'analyse fonctionnelle» de l'organisation permet de ranger dans des catégories les défaillances qui mènent à la «crise» organisationnelle. Nous trou- vons alors des défaillances relevant des quatre différents sous-systèmes de l'entreprise : des défaillances de l'adaptation, de la réalisation, de la cohésion et de la motivation. En outre, pour le structuro-fonctionnalisme, les organisations deviennent inefficaces lorsque l'on accorde trop d'attention aux problèmes de stabilité et de cohésion interne. Ces fonctions freinent alors les rôles normaux des fonctions écono- mique et politique.

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FIG. 2. — Les sous-systèmes et leurs échanges

Souvent un raisonnement cause-effet a été introduit dans le schéma parsonnien. Il faut, dit-on, que le manager (le responsable, le chef, le leader...) fasse les actions (produise les causes) qui permettront la réalisation des «besoins nécessaires» (adap- tation, organisation, motivation, cohésion) pour atteindre le fonctionnement performant (effet final recherché).

Les structures de fonctionnement global d'une organisation et les structures d'adaptation à son environnement sont toujours les toiles de fond sur lesquelles tous les phénomènes de communication internes se déroulent. Les modèles ci-dessus nous rappellent que les phénomènes que nous étudions s'inscrivent toujours dans un contexte plus large qui peut avoir des répercussions sur ces phénomènes.

Ainsi, le «cadrage» global proposé par les schémas organiciste et sociétal est un cadrage assez «managérial» définissant la situation globale de l'organisation dans son contexte concurrentiel. C'est un cadrage que les directions s'efforcent souvent de faire partager à d'autres niveaux de l'organisation qui n'ont pas les mêmes préoccupations.

9. D'après G. Rocher, Talcott Parsons et la sociologie américaine, PUF, 1972, p. 96.

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2.1.5. Les limites d'utilisation de ces modèles

La principale limite de ces modèles relève de leur extrême généralité. D'une part, le cadrage qu'ils adoptent est large, et, d'autre part, les phénomènes d'échange sur lesquels ils se concentrent sont très généraux. Ils sont donc aussi peu utilisables, pour une approche qui se veut privilégier les communications, que le modèle de la théorie des systèmes complexes formalisée par J.-L. Le Moigne (cf. figure 3).

FIG. 3. — La modélisation du neuvième niveau (d'après Le Moigne, p. 64).

10. J.-L. Le Moigne, La Modélisation des systèmes complexes, Dunod, 1990.

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L'approche systémique et communicationnelle des organisations consiste à expliciter et à analyser sous forme d'un modèle relationnel les principaux systèmes de communications rituels centrés sur les problèmes clés d'une organisation.

Comme la lecture politique ou sociologique des organisations, elle propose aux chercheurs des concepts spécifiques, une méthodologie propre et une quasi-théorie qui se situe au même niveau que la théorie de la lutte pour le pouvoir de la sociologie des organisations. En effet, sur ce dernier point, on peut considérer que les concepts de «système relationnel », de «valeur émergente du système», de «négociation impossible sur des problèmes clés », « d'imbrication des jeux dans des métasystèmes réglés par des métajeux», fournissent une vision théorique de l'organisation du même degré de généralité que les concepts de «zones d'incertitude », de «maîtrise de ces zones», de « ressources » des acteurs et de « lutte pour le pouvoir » de la sociologie des organisations. En fait, l'approche systémique et communicationnelle généralise aux organi- sations l'approche interactionniste et systémique de l'école de Palo Alto. Elle permet aussi d'intégrer l'étude des jeux de l'analyse transactionnelle dans une modélisation systémique plus vaste. Elle permet également de revisiter les concepts de « style de management » pour proposer des « jeux managériaux typiques». Elle renouvelle les études sur la manipulation, les contraintes et la liberté, le changement et la sécurité, la valeur professionnelle et la reconnais- sance identitaire ainsi que les études sur le pouvoir dans les organisations. L'approche systémique et communicationnelle des organisations ouvre donc de nouvelles pistes de recherche en communication organisationnelle.

Alex Mucchielli est directeur-fondateur du Centre d'Étude et de Recherche en Information et en Communication (CERIC) de l'université Paul-Valéry de Montpellier-III, centre de recherche spécialisé sur l'épistémologie des sciences de la communication et les applications des nouvelles lectures communicationnelles aux utilisations des N. TIC et aux communications organisationnelles et managériales. Il est l'auteur de nombreux ouvrages de théorisation et de vulgarisation sur la communication qui proposent un renouveau de l'approche des phénomènes de communication.

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