150
Fabienne Leconte APPROPRIATION DES LANGUES ET CONSTRUCTION DES IDENTITÉS EN CONTEXTES PLURILINGUES ET PLURICULTURELS Dossier présenté pour l'habilitation à diriger des recherches Volume 1 Synthèse de l’activité de recherche Composition du jury Véronique CASTELLOTTI, Professeure, Université F. Rabelais, Tours, rapporteure Régine DELAMOTTE-LEGRAND, Professeure, Université de Rouen, directrice Christine DEPREZ, Professeure, Université R. Descartes, Paris, rapporteure Foued LAROUSSI, Professeur, Université de Rouen Bruno MAURER, Professeur, Université Montpellier 3 Danièle MOORE, Professeure, Université S. Fraser, Vancouver, Canada, rapporteure Université de Rouen Laboratoire LiDiFra EA4305

APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

  • Upload
    lydat

  • View
    216

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Fabienne  Leconte  

APPROPRIATION  DES  LANGUES  ET  CONSTRUCTION  DES  IDENTITÉS    

EN  CONTEXTES  PLURILINGUES  ET  PLURICULTURELS  

 

Dossier  présenté  pour  l'habilitation  à  diriger  des  recherches    

Volume  1  Synthèse  de  l’activité  de  recherche  

 

 

 

 

Composition du jury

Véronique CASTELLOTTI, Professeure, Université F. Rabelais, Tours, rapporteure Régine DELAMOTTE-LEGRAND, Professeure, Université de Rouen, directrice

Christine DEPREZ, Professeure, Université R. Descartes, Paris, rapporteure Foued LAROUSSI, Professeur, Université de Rouen

Bruno MAURER, Professeur, Université Montpellier 3 Danièle MOORE, Professeure, Université S. Fraser, Vancouver, Canada, rapporteure

 

Université de Rouen Laboratoire LiDiFra EA4305

Page 2: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage
Page 3: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Remerciements  

 

Je tiens à remercier les personnes qui m’ont fait confiance tout au long de ce

parcours de recherche et qui y ont à titres divers participé. Sans eux, ce travail n’aurait

tout simplement pas existé.

Mes remerciements vont tout particulièrement à :

• Tous ceux et toutes celles qui ont accepté de collaborer à mes recherches,

élèves, enseignants, amis, responsables associatifs, formateurs, ou simples

citoyens.

• A Régine Delamotte-Legrand dont le suivi attentif et chaleureux m’a

permis de mener à bien ce travail.

• A Claude Caitucoli qui m’a formée à la recherche et qui m’a

accompagnée (presque) tout au long de ce parcours.

• Aux membres de l’EA 4305 Lidifra, Linguistique, didactique et

francophonie.

• Aux collègues avec qui j’ai mené des recherches

 

Page 4: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Organisation  du  dossier  

Ce dossier, élaboré en vue de l’obtention de l’habilitation à diriger des recherches,

présente mon activité de 1996 à 2011 et regroupe un certain nombre de travaux publiés

à la même période. Une sélection de publications figure dans le volume 2, accompagné

d’un ouvrage, tandis que le volume 1 présente la synthèse de mon activité de recherche

à cette période. Un curriculum vitae est joint à l’ensemble.

Les travaux présentés sont numérotés de 1 à 41 par ordre chronologique de

parution. Cette liste établie par ordre de parution se trouve en fin de note de synthèse.

Une liste récapitulative de mes travaux, organisée en fonction du type d’ouvrage, figure

dans le CV qui fait l’objet d’un troisième document.

La réalisation de ce dossier a bénéficié du concours de Nathalie Avenel. Qu’elle

en soit ici remerciée.

Page 5: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Introduction  

5

Sommaire  

Introduction ...................................................................................................................... 7  

Chapitre 1 : Décrire des situations plurilingues complexes ........................................... 19  

Chapitre 2 : Retour sur quelques notions transversales : Identité, (in)sécurité

linguistique, légitimation................................................................................................ 51  

Chapitre 3 : L’appropriation du français en contexte plurilingue et plurilectal : genres et

normes ............................................................................................................................ 77  

Chapitre 4 : Des recherches historicisées en contextes minoritaires et minorés :

Quelques remarques éthiques et méthodologiques......................................................... 93  

Chapitre 5 : Littératies et cultures d’apprentissage ...................................................... 107  

Perspectives .................................................................................................................. 125  

Références bibliographiques ........................................................................................ 129  

Bibliographie personnelle par date ............................................................................... 142  

Page 6: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage
Page 7: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

 

Introduction  

Mettre en perspective son parcours de recherche n’est pas chose aisée : le genre

n’apparaît pas stabilisé, y compris pour des scripteurs qui ont eu un parcours classique

au sein de l’Université. Le mien ne l’est pas. Je profite donc de la relative liberté que

laisse l’absence de stabilisation du genre pour conduire d’abord le lecteur à un retour en

arrière, avant mon inscription à l’Université. Mon parcours atypique explique en partie

mes choix de recherche ultérieurs.

En  guise  de  préambule  :  un  parcours  atypique  

Les quelques données biographiques ci-après sont destinées à éclairer le lecteur

tant il est vrai que mes choix de recherche sont aussi le résultat de curiosités et de

rencontres qui ont commencé bien avant le début de mes études universitaires et a

fortiori d’un parcours de recherche. La genèse de mes réflexions est antérieure à mon

inscription à l’université proprement dite. Elle relève de rencontres, avec un groupe

d’amis africains, sénégalais surtout au tout début des années quatre-vingt, qui me

donneront le goût de leur pays, que je visiterai plusieurs fois dès 1985, une curiosité

pour ses habitants et les phénomènes de plurilinguisme qui m'apparaissait alors comme

une bizarrerie forte. Française et fille de directrice d’école primaire et rurale, je

connaissais surtout la variation linguistique par le biais du français régional parlé en

pays de Caux, le patois que parlait ma grand-mère paternelle, variété très fortement

dévalorisée. Cette rencontre forte avec l’altérité sera d’autant plus importante que jeune

institutrice, j’étais dans ma pratique enseignante confrontée à ces mêmes phénomènes

d’altérité linguistique et culturelle, peu voire pas pris en compte par l’éducation

nationale. Au milieu des années quatre-vingt, au plus fort du regroupement familial,

nous accueillions dans nos classes une majorité d’élèves non francophones lors de leur

Page 8: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Introduction  

8

entrée à l’école maternelle, et ce sans aucune formation spécifique. Les

recommandations de la hiérarchie oscillaient entre « débrouillez-vous, faites au mieux »

et « surtout pas de parents dans l’école qui ne parleraient un français châtié », ce qui

revenait à exclure les migrants, majoritaires, mais aussi les « Français de souche » dont

les pratiques langagières restaient marquées par des particularités régionales et

populaires. Il ne nous restait plus grand monde pour accompagner les sorties ou animer

des ateliers. Cette exclusion des familles de l’école, sur des bases qui se révélaient avant

tout sociales bien que prenant le linguistique comme prétexte, était à l’opposé de la

conception de la majorité de l’équipe pédagogique qui, à l’inverse, souhaitait réconcilier

les parents avec l’école – pour les Français de classes populaires qui avaient souvent un

vécu douloureux avec la scolarisation – ou la rendre moins inaccessible pour les

migrants. Beaucoup d’entre eux, et en particulier les mères, n’avaient pas ou peu été

scolarisés. C’était aussi l’époque, les années quatre-vingt, de ce qu’on appelle

désormais avec une certaine condescendance « la pédagogie couscous » qui consistait à

présenter en classe et valoriser la culture d’origine des enfants d’origine étrangère.

Assez vite, après les travaux de M. Abdallah-Preitceille et L. Porcher notamment sur la

pédagogie interculturelle, cette approche a été considérée comme ringarde enfermant les

enfants dans une culture folklorisée. Pourtant, à cette période où le regroupement

familial était en train de se faire, la culture d’origine restait proche des enfants,

beaucoup étaient nés au pays, et sa valorisation dans l’école une réelle reconnaissance.

L’absence de réponses institutionnelles et l’insatisfaction devant une situation

professionnelle parfois difficile ont certainement joué dans ma décision de m’inscrire

pour la première fois à l’Université après dix ans de carrière1. L’existence de formations

à distance le permettait. Ce fut d’abord un DEUG de Lettres modernes mais, très vite, la

formation en sciences du langage est apparue plus proche de ce que je vivais dans ma

pratique d’enseignante en banlieue, que l’on n’appelait pas encore « pluriethnique ». Je

me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE où j’ai enfin pu

avoir des éléments de réponse aux questions sociolinguistiques et pédagogiques que je

1 J’ai fait partie d’une des dernières promotions d’élèves-instituteurs qui ont passé le concours en troisième (j’avais alors 13 ans et demi). Mon avenir semblait tout tracé, une formation professionnelle payée de deux ans à école normale d’institutrice après le baccalauréat dans un lycée général. Nous devions rembourser les salaires perçus pendant la formation si nous n’assurions pas dix ans de carrière. L’école normale – encore non mixte - préparait à trente-sept années et demi de carrière d’enseignement dans le premier degré. Tout ceci semble aujourd’hui appartenir à la préhistoire.

Page 9: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Introduction  

9

me posais. Outre le parcours FLE, le cours « sociolinguistique et didactique » de C.

Marcellesi, la réflexion de l’équipe rouennaise autour de la norme, la découverte de la

sociolinguistique ont été pour moi de vrais bols d’air et une grande stimulation

intellectuelle. Je ne subissais plus ma situation professionnelle, je pouvais désormais la

penser. J’ai logiquement continué en Maitrise de Français Langue Etrangère.

Dès le DEA en 1991-1992 sous la direction de J-B. Marcellesi, je me suis orientée

vers la situation sociolinguistique de l’immigration. Les travaux pionniers de L. Dabène

et J. Billiez (1984) d’une part de C. Deprez (De Heredia-Deprez, 1990) d’autre part

avaient défriché le terrain. Les questions de bilinguisme et de langues minorées étaient

en outre très présentes dans le laboratoire SUDLA2 à l’époque. Mais au-delà des

situations sociolinguistiques que l’on connaissait désormais un peu mieux, les questions

d’entrée dans l’écrit et de réussite scolaire continuaient de capter toute mon attention et

je sentais confusément que le rapport aux langues dans la famille était important dans la

manière dont les enfants abordaient les apprentissages scolaires en français. Il

m’apparaissait que l’on séparait peut-être un peu trop les générations : on s’intéressait

alors aux pratiques langagières de la seconde génération, les travaux fondateurs de

Dabène et Billez (1984) au début des années quatre-vingt dix étaient récents. Il me

semblait cependant, et mon contact quotidien d’institutrice de maternelle avec des

parents d’élèves d’origine étrangère y était pour beaucoup, qu’il restait beaucoup à

apprendre des choix langagiers des adultes, de leur investissement dans l’école de la

République. J’avais étudié l’ouvrage de J. Hamers et M. Blanc (1983) Bilingualité et

bilinguisme, où il était question de bilinguisme additif, soustractif ou neutre en fonction

de la valorisation des langues dans l’univers de l’enfant sans que cela ne me satisfasse :

la réalité à laquelle j’étais confrontée ne rentrait pas dans ces catégories. J’y reviendrai

au chapitre 2, tant ces questions de minoration et d’intériorisation de la minoration ont

balisé mon parcours de recherche.

Le point de vue des parents semblait influer sur l’investissement dans

l’apprentissage du et en français de leurs enfants. Les questions de transmission

linguistique et culturelle me préoccupaient déjà en lien avec la réussite scolaire des

enfants, aucune corrélation simple ne m’apparaissant dans ma pratique professionnelle.

Ce fut l’objet de mon DEA dirigé par J-B. Marcellesi, portant sur « Situation

2 URA Sociolinguistique, Usages et Devenir de la Langue.

Page 10: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Introduction  

10

sociolinguistique et nature du bilinguisme : approche du cas des Maghrébins

immigrés » (1992). A l’issue de mon DEA, j’ai choisi de continuer en thèse sur le même

sujet, mon directeur acceptant de me suivre, tout en menant de front mon activité

professionnelle. Cependant ce qui m’intéressait, depuis longtemps déjà, était davantage

la situation sociolinguistique de l’immigration africaine. Je n’avais pas osé y consacrer

mon DEA parce qu’il n’y avait à l’époque que peu de ressources bibliographiques et

que l’exercice consistait aussi à passer en revue la littérature grise sur le sujet. Il me

fallait en outre, pour me lancer dans l’aventure, une première expérience de la recherche

que la maitrise FLE ne donnait pas.

La thèse a commencé par un passage à l’acte. Au début de la première année, j’ai

élaboré seule un questionnaire à destination des élèves de cours moyen et de collège3

originaires d’Afrique noire en m’appuyant scrupuleusement sur mes notes de cours.

Puis je l’ai testé dans la classe d’une amie, l’ai amélioré pour le faire passer dans une

bonne partie de l’agglomération rouennaise auprès d’environ deux cents élèves, suivant

en cela les consignes méthodologiques dont j’avais pu bénéficier : d’abord la pré-

enquête. L’étape suivante fut l’utilisation d’une base de données pour traiter lesdits

questionnaires. Pour ce faire, j’ai sollicité l’aide d’un camarade récemment inscrit en

thèse avec qui j’ai construit une application adaptée au traitement de mon questionnaire4

qui comportait des questions ouvertes et fermées..

Ce n’est qu’alors que j’ai présenté les premiers résultats à mon directeur de thèse,

qui n’avait pas été informé du changement de sujet. Je n’avais tout simplement pas

pensé à le faire. J’avais déjà recensé une vingtaine de langues et une dizaine de pays

d’origine – l’échantillon sera par la suite élargi - alors qu’il n’y avait pas d’équivalence

stricte entre pays et langues. La situation sociolinguistique s’avérait nettement plus

complexe que le répertoire des personnes originaires du Maghreb ou de la péninsule

ibérique dont les pratiques langagières avaient été étudiées par L. Dabène et J. Billiez

(1984). J.-B. Marcellesi a pris la chose avec une grande philosophie et m’a adressée

alors à C. Caitucoli qui a accepté bien volontiers de suivre ce travail. C’est seulement

bien des années plus tard que je me suis rendu compte que j’avais enfreint certaines

3 Le regroupement familial africain a été massif à partir des années 80. Il y avait donc peu de lycéens au moment de l’enquête par questionnaire (1992-1993). 4 Le questionnaire est rapidement présenté dans le chapitre 1.

Page 11: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Introduction  

11

règles et que j’aurais dû parler de mon changement de sujet avec mon premier directeur.

Mais, ce sujet me tenait tellement à cœur qu’il fut protégé jusqu’à ce que le travail soit

suffisamment avancé pour ne plus admettre de retour en arrière. Tout ceci fut

complètement involontaire.

Le choix s’est avéré judicieux : il n’y avait alors pas de travaux de référence

concernant l’immigration familiale africaine d’un point de vue sociolinguistique et peu

de travaux sociologiques. Les travaux sociologiques, outre ceux de R. Nicollet (1992)

sur les femmes africaines originaires de la région du fleuve Sénégal émigrées en France,

émanaient de chercheurs, souvent sociologues, étudiant leur propre communauté. En

aucun cas les enfants et les adolescents étaient le sujet central de la recherche, et les

relations avec les autres groupes, y compris africains, étaient peu étudiées. La demande

de connaissances sur ces populations était pourtant forte de la part des acteurs sociaux

en contact avec elles. Les travaux de R. Nicollet ont été effectués principalement au

Havre, les miens dans la région de Rouen-Elbeuf. Ce n’est pas un hasard, les migrants

originaires d’Afrique noire sont concentrés principalement en Haute-Normandie et en

région parisienne pour des raisons historiques. Il s’est d’abord agi d’une migration de

main d’œuvre qui s’est concentrée dans la vallée de la Seine où les usines

métallurgiques et chimiques ont manqué de main d’œuvre durant les trente glorieuses.

La région Ile-de-France a dans un premier temps accueilli une majorité de Maliens

parmi les Africains noirs, la Haute-Normandie des Sénégalais. Dans les deux cas la

migration fut d’abord une migration de groupe, d’homme seuls d’abord, le

regroupement familial ne devenant massif que dans les années quatre-vingt. Les

nouveaux publics scolaires à la fin des années quatre-vingt étaient davantage les enfants

originaire d’Afrique noire que les enfants d’origine maghrébine. Le regroupement

familial maghrébin avait commencé avant, comme le montre les travaux de L. Dabène,

J. Billiez et C. Deprez cités plus haut. Ce travail a abouti à la thèse Ils parlent en Black.

Pratiques et attitudes langagières des enfants originaires d’Afrique noire sous la

direction de C. Caitucoli.

Le choix du titre de ma thèse fut influencé par la remarque d’un de mes collègues

qui fit part de cette réflexion au sujet de ses élèves : « Les gamins parlaient en black

dans le couloir, ils étaient très calmes ». La langue parlée ne pouvait être nommée, faute

de connaissances suffisamment fines de la situation sociolinguistique des migrations

Page 12: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Introduction  

12

africaines, mais nommer la langue employée n’avait rien d’évident. Un vocable

empruntant au vocabulaire anglo-américain était alors employé. C’était fréquent dans le

courant des années quatre-vingt dix puisque la référence majeure d’une présence noire

dans un pays occidental était alors la situation des Noirs américains et leur culture

spécifique. A cette période par exemple le rap a connu un grand engouement en France.

Enfin, l’utilisation d’une langue africaine avait visiblement des vertus apaisantes dans

un établissement scolaire qui n’était pas spécialement réputé pour la sérénité de ses

élèves.

La seconde partie du titre est plus conventionnelle « pratiques et attitudes ». Il est

d’usage en sociolinguistique de décrire des pratiques langagières. De plus, les travaux

précédents concernant le devenir des langues immigrées en France avaient montré

l’importance des facteurs attitudinaux dans la transmission de ces langues et leur

devenir.

Ces quelques remarques préliminaires permettent de situer mes débuts de

chercheure. Ma curiosité a été aiguillonnée par la manière dont mes jeunes élèves

apprenaient le français, alors que celui-ci n’était pas leur langue première : avec une

grande facilité pour certains, plus lentement pour d’autres, progressant de façon plus

linéaire ou bien par paliers. Dans le même temps, j’observais des relations

interethniques où l’on remarquait, entre autres, des phénomènes véhiculaires peu

différents de ce qui se passait dans les pays d’origine.

Par ailleurs, l’investissement dans l’écrit et dans l’école de la part de parents pour

certains non lecteurs et non scripteurs interrogeait. Le point de départ fut d’emblée

pluridisciplinaire même si l’ancrage était résolument sociolinguistique. Il fallut aller

chercher du côté de l’anthropologie, de l’ethnographie, de la sociologie, de l’histoire, de

la psychologie, etc., les outils théoriques permettant de comprendre les phénomènes

sociolinguistiques à l’œuvre chez les migrants originaires d’Afrique noire en France.

L’inscription première de mes recherches auprès d’une population alors peu connue

influera sur mes choix futurs : dans le travail de thèse, on trouve en germe quelques

thématiques qui nourriront les recherches futures, lesquelles seront effectuées sur des

terrains plus divers.

Le parcours de recherche mis en perspective ci-après s’est effectué dans deux

universités. Formée dans le laboratoire URA SUDLA puis l’UMR Dyalang, membre de

Page 13: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Introduction  

13

l’axe Sociolinguistique, Bilinguisme, Glottopolitique, docteure de l’Université de

Rouen, j’ai d’abord été recrutée à l’Université d’Orléans comme ATER en 1998, puis

comme Maître de Conférences en 1999 où j’ai participé aux travaux du CORAL5. Je

suis revenue à Rouen en 2002 à la faveur d’une mutation et suis désormais membre du

laboratoire Lidifra qui deviendra Dysola en janvier 2012.

Une   approche   sociolinguistique   qui   inclut  l’appropriation  du  français    

Mon parcours de recherche est caractérisé par l’analyse sociolinguistique de

situations de plurilinguisme ou de plurilectalisme, souvent complexes, dans lesquelles

l’appropriation du français langue seconde ou tierce occupe une place importante.

Certains des travaux ont été davantage axés sur la description sociolinguistique de

situations plurilingues, d’autres sur l’appropriation dans ces mêmes situations, ou dans

d’autres, présentant des caractéristiques qu’il convenait d’étudier. La prise en compte

conjointe de ces deux dimensions m’amènera plus tardivement à une réflexion

spécifique sur les cultures d’apprentissage dans la réception des activités du et en

français et sur la place de l’écrit dans des cultures qui furent traditionnellement orales.

Mais avant d’aborder ces questions, il est nécessaire de présenter deux aspects

transversaux de mon itinéraire de recherche.

Des   recherches   inscrites   dans   des   contextes   idéologiques   et  sociaux  historiquement  situés  

Un aspect transversal de mes recherches concerne le type de situations sociales

dans lesquelles elles ont été menées : il s’agit de situations sociales souvent minorées,

migrants et leurs enfants, amérindiens en Guyane, scolarisation ou appropriation du

français par des populations allophones, etc., lesquelles situations font parfois l’objet

d’âpres débats idéologiques. Les concepts et notions pour décrire ces situations

sociolinguistiques, donc aussi sociales, ont beaucoup évolué depuis quinze ans, date de

la soutenance de la thèse. A titre d’exemple, au début des années quatre-vingt dix, il

5 Centre Orléanais de recherche en Anthropologie Linguistique

Page 14: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Introduction  

14

était de bon ton de défendre et valoriser des identités, linguistiques ou autres,

minoritaires. La parution des deux tomes de l’ouvrage coordonné par G. Vermes et J.

Boutet France pays multilingue (1987) avait ouvert des perspectives de recherche et

contribué à légitimer l’usage de langues minoritaires, langues régionales surtout. Les

travaux de J-B. Marcellesi autour des langues régionales et de la création du CAPES de

Corse allaient dans le même sens. On s’opposait alors au rouleau compresseur du

jacobinisme français et à l’assimilation tant linguistique que culturelle. Le modèle

anglo-saxon prônant le multiculturalisme pouvait apparaître plus progressiste aux yeux

de certains, méritait dans tous les cas intérêt voire discussion. Le droit à la différence

s’est ensuite mué en France en droit à l’indifférence6, que ce soit pour des enfants de

migrants ou des homosexuels. La lutte contre les discriminations de toutes sortes : à

l’embauche, pour l’attribution d’un logement, etc., a remisé la reconnaissance de

spécificités linguistiques, culturelles ou autres au second plan. La spécificité religieuse

semble en revanche s’être affirmée dans la même période, la question du genre retrouve

un certain écho. Aujourd’hui la notion d’identité semble avoir changé de camp depuis le

débat organisé par l’actuel gouvernement à l’automne 2010 autour de l’Identité

nationale.

Les concepts ou notions utilisés dans l’analyse des situations sociolinguistiques de

populations minoritaires et souvent minorées ne sont pas indépendants des situations

sociales réelles vécues par les personnes et de leur évolution. Il apparaît nécessaire de

tenir compte de cette dimension historique et idéologique dans les analyses, en prenant

en compte le fait que les recherches, y compris sociolinguistiques, contribuent à

modifier les situations. La notion d’historicité7 développée par D. De Robillard (2007,

2008) pour la sociolinguistique trouve toute sa dimension ici. Les débats idéologiques

concernant les langues minoritaires en France ne sont pas les mêmes qu’il y a quinze

ans : si la crispation identitaire autour du français était déjà présente il y a quinze ans,

on note désormais l’acceptation de l’existence de l’anglais comme lingua franca

mondiale ; le rejet des langues minoritaires, régionales ou immigrées demeure avec

quelques infléchissements, options au baccalauréat, création de CAPES de langues

6 L’expression ‘droit à l’indifférence’ a été popularisée par Bertrand Delanoë lors de son élection à la Mairie de Paris en 2001. 7 Par souci de cohérence avec une démarche de recherche historicisée, je noterai la date de parution quand je citerai mes travaux.

Page 15: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Introduction  

15

régionales… Aujourd’hui, la valorisation du plurilinguisme tant décriée naguère peut

être considérée comme une nouvelle doxa dans certains milieux. V. Castellotti (2010 :

185) oppose « une pluralité /diversité « volontariste » que l’on érige en doxa : celle des

institutions européennes par exemple » à « une pluralité / diversité « niée » ou pour le

moins dévalorisée : celle de certains migrants, en particulier ceux venant du continent

africain (y compris le Maghreb) ». La doxa, si tant est que l’on puisse utiliser le

singulier, apparaît complexe et contradictoire. Je donnerai quelques exemples tirés de

mes propres travaux de cette évolution dans les débats et m’efforcerai de situer chaque

recherche dans son contexte historique, même si la période est courte.

Un autre aspect traversant mon parcours de recherche est le goût, l’intérêt,

l’appétence pour ce qu’on appelle le travail de terrain(s) investi(s) socialement et

politiquement. Les quinze années qui séparent la rédaction de cette note de synthèse de

la thèse furent ainsi des années de débats idéologiques passionnés (mais pas toujours

passionnants) sur l’immigration, les langues des migrants, l’appropriation du français,

l’école, qui sont les terrains sur lesquels ont porté mes réflexions. Dans ce contexte, les

travaux de recherche en sociolinguistique comme ailleurs, sont à la fois influencés par

l’idéologie dominante ambiante, quand bien même il s’agit de s’y opposer, tout en

devenant partie prenante du débat. Une position neutre est impossible, le chercheur

étant un acteur social plus ou moins impliqué. La réception de mon ouvrage La famille

et les langues. Une étude sociolinguistique de la deuxième génération africaine (1997),

par les communautés africaines de la région rouennaise l’ont montré. L’ouvrage a joué

un rôle indéniable de légitimation de l’immigration familiale dans un contexte où elle

était souvent considérée par la vox populi comme « posant problème ». Cette réflexion

sur le positionnement du chercheur intervenant sur des terrains faisant l’objet d’âpres

débats sociétaux se trouve dès le début de ma carrière de chercheure, réflexion initiée

grâce aux encouragements et aux conseils de R. Delamotte-Legrand (doc. n°7, 1999).

Dans cette publication, alors que j’étais désormais jeune docteure mais toujours

institutrice en banlieue, je remarquais entre autres choses, que l’altérité n’était pas

seulement entre française de souche et personnes d’origine africaine mais aussi entre la

banlieue et l’université où, ne serait-ce que les normes langagières, étaient différentes.

Dans ce contexte, je jouais un rôle de passerelle entre les deux univers. Je notais aussi la

légitimation que représentait la soutenance de ma thèse pour les communautés

africaines de la région Rouen-Elbeuf. Cette dimension de mon activité de recherche

Page 16: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Introduction  

16

restera présente tout au long de cette période, que ce soit sous forme de publication

spécifique (doc. n° 25, 2008) où dans le cadre d’un séminaire conjoint de l’AUF et de

l’OIF, j’interroge les différentes modalités d’enquêtes en milieu scolaire. Le plus

souvent, la réflexion sur la conduite d’enquête, la violence symbolique, l’implication du

chercheur, les effets de la recherche sur le terrain investigué et les personnes est prise en

compte dans les analyses et traverse l’ensemble de mes publications. J’y reviendrai au

chapitre 4.

Les enquêtes de terrain continuent à m’intéresser et je préfère ne pas laisser cet

aspect du travail à des étudiants ou des collaborateurs pour me concentrer sur l’analyse

de discours déjà transcrits. La relation humaine est à la base de ce que l’on appelle le

« recueil des données ». Les gestes, les réactions, les émotions des personnes auprès

desquelles on cherche sont des éléments précieux pour apprécier des données plus

formelles et plus conventionnelles : questionnaires, entretiens, observations, écrits

divers, etc. La réflexion sur des matériaux langagiers recueillis ne peut être dissociée

d’une prise de recul sur la manière dont ils ont été recueillis, les méthodologies

employées, les réactions des personnes par rapport aux modalités d’enquête, etc. Il est

pour moi préférable d’être présente à tous les moments de la recherche, d’analyser des

données que j’ai recueillies moi-même afin de pouvoir mettre en œuvre une démarche

en sablier (P. Blanchet 2000). Cette réflexion n’est pas nouvelle en sociolinguistique :

elle a été initiée par un de ses pères fondateurs, W. Labov (1976). Elle s’inspire aussi de

l’ethnométhodologie. Parfois oubliée, dans l’utilisation de questionnaires standardisés,

elle a retrouvé un regain d’intérêt ces dernières années, par exemple dans l’analyse de

pratiques ordinaires de questionnement social (J. Richard-Zappella, 1996). Dans un

autre registre, on peut citer les contributions de F. Gadet (2003), M. Heller (2003), la

publication de l’ouvrage de P. Blanchet (2000) et ceux de P. Blanchet L-J. Calvet, D.

De Robillard (2007) et de D. de Robillard (2008) pour ne citer que quelques noms dans

la littérature francophone. Le débat concerne d’abord la dimension éthique, le bien

fondé d’approches qualitatives ou quantitatives en sociolinguistique, l’approche altéro-

réflexive, la définition même du « terrain ». La réflexion sur le recueil des données et la

constitution des corpus sera intégrée dans l’ensemble de la note. Je considère cette

réflexion comme primordiale pour l’autre aspect de notre profession : la formation

d’étudiants et de futurs chercheurs.

Page 17: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Introduction  

17

Mais avant cela, je retiendrai les thématiques suivantes qui feront l’objet de

chapitres distincts dans cette note : l’analyse de situations plurilingues complexes, en y

incluant différents terrains sur lesquels ont porté mes travaux, puis après cette

présentation, je reviendrai sur deux dimensions théoriques travaillées sur ces mêmes

terrains : l’identité et les questions d’insécurité et de légitimation en relation avec les

apprentissages du et en français. Cela me conduira à mettre en perspective certains

travaux sur l’appropriation du français langue seconde dans des situations plurilingues

ou plurilectales. Après une présentation de ces différentes recherches et des

méthodologies mises en œuvre dans chaque contexte, je synthétiserai le tout dans une

démarche plus spécifiquement méthodologique. Enfin, je consacrerai le dernier chapitre

de cette note à une réflexion sur l’acculturation à l’écrit dans des cultures dites

« orales » et l’influence des cultures d’apprentissage sur l’appropriation du français.

Page 18: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage
Page 19: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

 

Chapitre  1  

 

Décrire  des  situations  plurilingues  

complexes    

Le point de départ de mes travaux de recherche est l’analyse de situations

sociolinguistiques complexes qui ne se résument pas à un bilinguisme français / langue

d’origine ou maternelle ; français / langue officielle du pays d’origine / variété ou

langue vernaculaire ; langue officielle / langue autochtone. La complexité des situations

sociolinguistiques africaines et quelques unes des caractéristiques sociales et historiques

de la migration m’ont obligé, d’aucuns diraient permis, d’aborder les situations sous

l’angle du plurilinguisme, et ce bien avant que ce terme ne soit popularisé par la

publication des travaux de D. Coste, D. Moore et G. Zarate (1997) puis du CECRL

(2001). Cette réflexion m’aura permis d’aborder par la suite le terrain guyanais (docs.

n°13, 2003 et 37, 2011) non pas comme celui d’un double monolinguisme langue

autochtone / français langue importée, mais comme un terrain réellement plurilingue,

démarche innovante et novatrice dans ce contexte. Par la suite, grâce au développement

de la recherche sur le plurilinguisme, j’approfondirai ma réflexion dans une série

d’enquêtes menées, en collaboration avec C. Mortamet, auprès d’adolescents scolarisés

en classe d’accueil originaires des anciennes républiques soviétiques et d’Afrique noire

(docs n° 23, 24, 27, 29, 31). Plus récemment (2011), j’ai souhaité approfondir mon

questionnement autour des cultures d’apprentissage en allant enquêter auprès d’adultes

en cours d’acquisition du français tous âges et toutes nationalités confondues. Les

personnes auprès de qui j’ai enquêté sont souvent plurilingues. Je ferai donc parfois

Page 20: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

20

allusion à la manière dont ces personnes vivent leur plurilinguisme et organisent leur

répertoire8.

La réflexion sur le plurilinguisme a en outre bénéficié des travaux de mes

étudiants : la thèse de V. Miguel-Addisu (2010) Apprentissage du français en situation

de contacts de langues, une approche sociolinguistique à des fins didactiques, le cas du

lycée franco-éthiopien d’Addis-Abeba (Ethiopie) (co-direction C. Caitucoli) et celles en

cours d’I. Lebrun-Boudart La situation sociolinguistique en Mauritanie : analyse du

sentiment de sécurité et d’insécurité linguistiques à travers l’étude des pratiques et des

représentations (co-direction R. Delamotte-Legrand) et de D. Bloch Cultures

d’enseignement, cultures d’apprentissage et dynamiques scolaires à Madagascar (co-

direction R. Delamotte-Legrand).

Les nombreux mémoires de Master Deux recherche et professionnels que j’ai

dirigés, effectués sur des terrains sociolinguistiques variés mais toujours plurilingues,

ont aussi alimenté ma réflexion (voir liste dans le cv). J’ai en effet la chance d’enseigner

dans un département accueillant de nombreux étudiants étrangers que ce soit dans le

cadre de l’enseignement classique, en présentiel, ou de l’enseignement à distance très

développé dans le département de sciences du langage de l’Université de Rouen. Dans

le Master professionnel diffusion du français dont je suis responsable, nos étudiants sont

originaires de tous les continents, souvent professeurs de français dans leur pays.

J’enseigne toujours à des personnes plurilingues. Le niveau a changé, de la maternelle à

l’université, je n’ai pas non plus affaire au même public. Mais la curiosité et l’intérêt qui

furent les miens à l’origine de mon entrée dans la recherche sont toujours là sous des

formes différentes.

Enfin plus récemment, à l’occasion d’un appel à projet de la DGLFLF, je suis

retournée sur le terrain de la migration africaine en France, pour actualiser mes données

concernant la transmission des langues dans les familles migrantes africaines et mesurer

les évolutions majeures depuis une quinzaine d’années. Je suis toujours restée attentive

à ce qui se passait dans la migration africaine en France, aux évolutions dans les

situations sociolinguistiques africaines mais sans mener d’autre enquête systématique

depuis lors. Le second objectif de cette recherche est de recueillir des pratiques

8 Le corpus d’une quinzaine d’entretiens représentant douze heures d’enregistrement est en cours de dépouillement. Son analyse fera l’objet de publications ultérieures.

Page 21: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

21

langagières alternées, français / wolof, français / pulaar dans des familles, afin

d’alimenter la base de données corpus de la DGLFLF et d’analyser, y compris d’un

point de vue linguistique, des conversations en langues alternées ou mêlées. Ce travail,

possible grâce à la collaboration d’A. Kebe, permettra de confronter pratiques effectives

enregistrées dans des conditions presque écologiques – des enregistreurs déposés dans

les familles, les enregistrements étant gérés par la famille en notre absence - et discours

recueillis auprès d’Africains, responsables d’associations, médiateurs, formateurs, etc.,

sur les évolutions des pratiques langagières des Africains dans la région. C’est donc un

infléchissement vers une plus grande place faite aux pratiques langagières recueillies et

non plus déclarées et observées qui se dessine. Les quelques extraits de corpus que nous

avons pu analyser pour le numéro de Langues et cités à paraître (doc. 40) laissent

entrevoir des résultats prometteurs.

Je présente ici les principaux résultats de ces recherches.

 Une  réflexion  théorique  d’abord  provoquée  par  le  terrain  

Qualifier   les   langues  du   répertoire,   se  positionner   sur   le   terrain  de  l’altérité  

Mon premier travail de recherche a consisté en la description de la situation

sociolinguistique des enfants originaires d’Afrique noire alors que les situations

sociolinguistiques africaines étaient mal connues en France comme dans les autres pays

occidentaux, d’autant plus que les langues officielles des pays d’origine sont presque

toujours les langues officielles de l’ancienne métropole coloniale, comme je l’ai

expliqué plus haut. Le plurilinguisme africain ajoutait encore à cette méconnaissance.

En dehors des typologistes, peu de linguistes s’intéressaient à décrire l’étendue de la

variété en Afrique. Par ailleurs, le contexte intellectuel de l’époque ne considérait pas

encore le plurilinguisme comme une réalité européenne ou occidentale. Il était plus

fréquent de nommer la réalité sous forme de dichotomie, le concept de diglossie, tel que

décrit par C. Ferguson (1959) puis par J. Fishman (1968) était alors fréquemment

employé. La remise en cause de ce concept venait des catalanistes qui préféraient la

notion de conflits linguistiques (H. Boyer, 1986), voire retroussaient la diglossie (R.

Page 22: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

22

Lafont, 1984). La notion d’interlecte initié par LF. Prudent en 1981 a permis de remettre

en cause des conceptions dichotomiques et de montrer que les usages dans une

communauté pouvaient être mêlés tout en s’ordonnant. Mais là encore, il n’y avait que

deux langues en présence, les deux pôles du continuum, en l’occurrence le français et le

créole sur le terrain martiniquais, la situation était donc encore binaire. Je me souviens

alors de discussions animées par C. Caitucoli dans le groupe Sociolinguistique,

Bilinguisme, Glottopolitique avec d’autres doctorants, africains, autour des notions de

triglossie ou de tétraglossie voire de pentaglossie pour rendre compte de tel pays ou

région d’Afrique de l’Ouest. L’entrée était toujours fonctionnelle : langue officielle,

véhiculaire, vernaculaire, mais on y ajoutait la fonction religieuse, occupée par l’arabe

en Afrique de l’Ouest et il devenait compliqué de qualifier la situation lorsque deux

langues véhiculaires se disputaient le terrain, comme au Burkina et dans une moindre

mesure au Niger. Les travaux de L-J. Calvet nous furent alors précieux (1987, 1992).

J’ai repris la notion de diglossie enchâssée dès mes premiers travaux : doc. n° 1, 1996,

p. 28. J’ai aussi pris en compte la notion de polyglossie proposée par B. Py (1990), qui

avait l’intérêt d’intégrer les langues parlées par les migrants dans la description de la

situation suisse, mais l’inconvénient de ne pas hiérarchiser les relations entre les

langues. Or il me semblait déjà que les langues africaines, du fait de leur absence de

statut officiel dans les pays d’origine étaient davantage minorées que d’autres langues

immigrées, comme le portugais et l’arabe par exemple qui, du fait de leur statut de

langues officielles là-bas, étaient enseignées dans des cours de langue et culture

d'origine (LCO) ici. Par ailleurs, la standardisation, la normalisation et l’écriture sont

importantes dans la reconnaissance des langues en occident depuis les processus de

grammatisation des langues européennes (S. Auroux 1994). Or pour la plupart des

langues africaines, celles-ci étaient très récentes, les formes écrites normalisées peu

connues et peu diffusées. (doc. n° 2, 1997, p. 17)

Les conséquences du passé colonial sur les situations linguistiques africaines ne permettent pas de comparer la situation des langues africaines en France à celles d’autres migrants, ibériques par exemple, qui bénéficient d’une longue tradition littéraire et sont langue officielle des pays d’origine. La dévalorisation que les langues africaines subissent en tant que « langues d’immigrées » se trouve redoublée par leur absence de statut de langue officielle dans les pays d’origine.

Page 23: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

23

Outre la sociolinguistique africaniste, j’ai pu m’appuyer sur les travaux auprès

d’autres populations migrantes. Les situations sociolinguistiques étaient cependant

moins complexes : face à la langue du pays d’installation, les enfants parlaient une

langue familiale qui souvent était une variété minorée de la langue officielle (arabe

dialectal, dialecte italien, langue régionale espagnole) ou une langue minorée (berbère).

Mais il était beaucoup plus rare que les répertoires des parents soient au moins

quadrilingues, que « la langue du père » soit différente de celle de la mère ou plutôt que

les langues du père soient partiellement différentes de celles de la mère, elles-mêmes

différentes de la langue véhiculaire de la région et de la langue officielle du pays

d’origine. Le plurilinguisme originel des familles était bien, en France, une spécificité

africaine, avec des règles de fonctionnement qui trouvent leur source dans les pays

d’émigration. J’ai déplacé en France une approche plurilingue qui jusqu’alors avait

surtout été utilisée en Afrique noire. Je suppose que D. Moore (1992) a rencontré les

mêmes difficultés pour décrire la situation des groupes indo-pakistanais en Angleterre.

Un des premiers constats que j’ai pu faire en m’intéressant à la transmission des

langues dans l’immigration africaine est l’inadéquation de la notion de langue

maternelle au terrain africain et par conséquent aux migrants en France originaires du

continent noir. Les locuteurs africains francophones ont souvent une acception

étymologique de l’expression « langue maternelle » : la langue de la mère, qu’ils

opposent à « langue paternelle », la langue du père. Il faut noter que l’appartenance

ethnique est celle du père dans les ethnies patrilinéaires, majoritaires dans l’immigration

en France et que, de ce fait, en situation de migration, c’est le plus souvent la langue du

père, celle de l’appartenance ethnique, qui est privilégiée. Par ailleurs les modèles

familiaux étaient (et sont toujours) très différents de la famille nucléaire européenne.

L’unité de base à la campagne est davantage la concession, ou la cour, où peuvent

résider jusqu’à une centaine de personnes sous l’autorité du chef de famille (chez les

Soninké par exemple). La taille des concessions et le nombre de personnes résidant dans

la même « unité » tendent à se réduire avec l’urbanisation. Pour cette raison aussi, les

sociolinguistes africanistes, travaillant principalement en ville, s’étaient peu penchés sur

les transmissions des langues dans les (grandes) familles. En milieu rural, d’où venaient

majoritairement les migrants en France, la transmission ethnique, souvent patrilinéaire,

était maintenue, de même que les phénomènes véhiculaires et de gestion du

plurilinguisme in vivo. Le modèle de diglossie enchâssée proposé par L-J. Calvet en

Page 24: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

24

1987 permettait de rendre compte de manière économique des situations

sociolinguistiques africaines post-coloniales. Les bouleversements sociolinguistiques

furent davantage causés par l’urbanisation que par des dynamiques internes dans les

groupes, comme en témoignent, par exemple, les publications de Caitucoli 1993, Calvet

1987, 1992, 1994, 1995, Manessy 1992, Platiel 1988 et d’autres, se rapportant à cette

période. Les situations évoluaient en ville.

J’ai découvert l’inadéquation de la notion de langue maternelle au cours de

l’analyse des questionnaires recueillis9 en 1993. J’avais élaboré des questionnaires

destinés aux enfants et adolescents originaires d’Afrique noire pour connaître leurs

pratiques et leurs attitudes langagières vis-à-vis du français et des langues parlées à la

maison. Outre les renseignements socio-biographiques concernant le pays d’origine, le

niveau de scolarisation des parents, leur profession, la place de l’enfant dans la fratrie,

etc., j’ai interrogé les enfants sur les langues parlées selon les interlocuteurs et les

circonstances de l’interaction. Quatre réponses étaient pré-codées, français, langue

africaine, mélange, autre ? Enfin, une troisième série de questions portait sur les

attitudes langagières : pensaient-ils bien parler ou non leur langue première, quelle était

la langue qu’ils trouvaient la plus difficile, souhaitaient-ils la transmettre à leurs enfants,

pour quelles raisons, etc.

Cette inadéquation m’a conduit à proposer la notion de langue africaine familiale,

siglé en LAF, lors de la rédaction de la thèse en 96 (doc n°1). Je l’avais définie comme

suit (doc n° 1, 1996, p. 40) :

J’emploierai désormais langue africaine familiale pour désigner la langue autre que le français utilisée éventuellement en alternance ou mélangée avec le français dans la communication familiale.

J’avais été aidée en cela par l’ouvrage de L. Dabène : Repères sociolinguistiques

pour l’enseignement des langues paru en 1994, où elle critiquait la notion de langue

maternelle et en proposait trois acceptions distinctes « parler vernaculaire » (p. 19),

« langue de référence » (p. 21) et « langue d’appartenance » (p. 22). Par la suite, nous

9 J’ai recueilli 350 questionnaires, ce qui représentait un quart de la population mère du département de Seine-Maritime.

Page 25: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

25

eûmes une discussion où elle me suggérait l’emploi du terme « parler10 » pour éviter les

connotations normatives attachées au terme de langue, parler permettait, selon L.

Dabène, d’inclure les marques transcodiques inévitables en situation migratoire.

Cependant l’emploi du terme « parler » m’est apparu inadapté pour rendre compte des

pratiques langagières dans les familles d’origine africaine vivant en France. Celles-ci

subissent une minoration sociolinguistique dans les pays d’émigration qui puise ses

racines dans la politique linguistique coloniale. Dès la colonisation, les idiomes parlés

par les Africains ont été qualifiés par le colonisateur français de « dialecte » ou de

« patois » afin de mieux assurer la domination culturelle. Accorder le statut de langue

aux idiomes parlés par les Africains en France dans les familles revenait à leur accorder

une égale dignité dans le discours. Tout autre terme aurait été perçu comme péjoratif par

les intéressés. La relation dialogique entre les communautés « étudiées » et la

chercheure était présente jusque dans le choix des termes qui devaient être acceptables

par les personnes concernées (voir doc. 7, 1999), tout en étant heuristiques. J’ai

expliqué dans l’interview réalisée par R. Delamotte-Legrand l’importance qu’a prise la

soutenance d’une thèse sur les pratiques langagières de la seconde génération originaire

d’Afrique noire en termes de reconnaissance pour les personnes concernées. Cette

reconnaissance était d’autant plus forte que la recherche était effectuée par une femme

française, que certains connaissaient et non par un compatriote. J’ai donc maintenu le

terme « langue » dans les publications ultérieures, sans pour autant nier les phénomènes

de contact.

Une fois le choix de langue réglé restait le qualificatif : maternelle était exclu,

puisque le plus souvent on transmettait la langue du père, première ne correspondait pas

à la réalité. De nombreux enfants nés en Afrique et ayant rejoint la famille plus

tardivement ont souvent la langue véhiculaire du pays comme langue première, dans le

sens de première langue acquise, par exemple le créole de Guinée Bissau ou le wolof au

Sénégal, et intègrent une famille dans laquelle la langue majoritaire dans les échanges

parents-enfants est la langue du groupe ethnique, le manjak, le pulaar ou le soninké dans

mes exemples. L’adjectif ethnique ne convenait pas non plus : il créait une rupture forte

entre familles employant des langues véhiculaires et familles employant des langues

vernaculaires, rupture qui ne se justifiait pas. De plus l’emploi d’un tel qualificatif aurait

10 Communication personnelle lors d’une conférence invitée à l’université de Grenoble en 1997.

Page 26: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

26

signifié la reprise à mon compte d’une essentialisation de l’ethnicité, critiquée comme

une construction coloniale par les travaux de F. Barth (1969) repris par J-L. Amselle

(1990, 1992).

Trouver un terme adapté revenait à ne pas étudier les pratiques langagières des

migrants africains avec des lunettes françaises idéalement monolingues, d’où son

importance. L’acte de dénomination était en quelque sorte fondateur d’un

positionnement. Il devait en outre rendre compte du choix que j’avais effectué de ne pas

isoler une communauté (les Manjak, les Pulaar ou autres) et donc être suffisamment

générique pour correspondre à tous les cas de figure.

Ce processus de nomination s’est aussi effectué dans un contexte où l’idéal

monolingue, dont l’emploi de l’expression langue maternelle est un avatar, restait

prégnant y compris dans des associations de chercheurs. L’expression « langue

maternelle » a eu la peau dure comme le montre par exemple l’ouvrage de V. Castellotti

2001a : La langue maternelle en classe de langue étrangère. Le titre lui a été imposé

par l’éditeur, l’auteure commence donc son propos par démontrer l’inadéquation de

l’expression langue maternelle et propose très vite de lui substituer langue première ou

L1, moins connoté idéologiquement, qu’elle utilisera dans la suite de l’ouvrage. On

pourrait aussi citer l’association pour la recherche en didactique du français langue

maternelle (AIRDFLM) qui a attendu 2003 pour abandonner le qualificatif maternelle,

devenant ainsi AIRDF, inscrivant par là ne pas (plus) considérer comme

fondamentalement différents les processus d’appropriation du français oral et écrit selon

les langues parlées à la maison par les élèves. L’expression français langue maternelle

s’est en outre longtemps opposée à français langue étrangère dans les formations de

sciences du langage en France, cette opposition, correspondant à des métiers à l’issue

des formations, ceci ne clarifiant pas le débat.

L’emploi de la locution langue africaine familiale (doc n°1, 1996, p. 40) a permis

d’attirer l’attention sur le caractère non universel des représentations françaises.

Cependant la siglaison était un peu lourde et l’inadéquation de l’expression langue

maternelle est générale pour décrire ce qui se passe dans les familles migrantes, qu’elles

quelles soient. Cette idée a fait son chemin depuis la publication de ma thèse. Assez

vite, je préfèrerai l’expression langue familiale, (doc. n° 10) permettant de ne pas isoler

Page 27: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

27

ce qui se passe dans les familles africaines en France de ce qui se passe dans d’autres

contextes migratoires.

Mon travail a également permis de prendre en compte d’autres aspects du

plurilinguisme africain : le fait que les adultes parlaient plusieurs langues avant

d’arriver en France et qu’ils choisissaient, le plus souvent, la langue ethnique dans la

communication avec leurs enfants. Plusieurs adultes m’ont néanmoins expliqué qu’il ne

s’agissait pas pour eux de la langue la mieux maitrisée et pas toujours de leur première

langue acquise. Certains, ayant grandi à Dakar et arrivés wolophones ont même appris

leur langue ethnique dans un des foyers de travailleurs africains à Rouen, les « vieux du

foyer » n’acceptant pas de converser en wolof avec un membre de leur communauté.

Les questions identitaires et de représentations sont apparues primordiales dans les

choix de transmission et l’évolution des situations sociolinguistiques.

Il me semble nécessaire de revenir sur la description des plurilinguismes, que ce

soit au travers du plurilinguisme des migrants africains, des situations guyanaises ou

d’autres situations migratoires en France. Pour ce qui concerne les plurilinguismes des

migrants originaires d’Afrique noire, je prendrai en compte les évolutions mesurées au

travers d’enquêtes menées auprès de migrants, y compris d’autres origines (enquête

récit enfantin, enquête CNCRE, enquête classe d’accueil, enquête DGLFLF). J’ai ainsi

pu suivre les évolutions depuis 15 ans.

Le  plurilinguisme  des  adultes  africains  :  l’importance  des  modèles  des  pays  d’origine  

La communication entre adultes peut se résumer par le maintien des phénomènes

véhiculaires et des habitudes de communication en Afrique. Voici quelques cas de

figure prototypiques.

Premier cas de figure : une personne originaire du Sénégal transmet sa langue

ethnique à ses enfants (diola, pulaar, soninké) et l’utilise dans la communication avec

les membres de son groupe en France et en Afrique mais elle continue à utiliser la

langue véhiculaire, le wolof avec les autres adultes sénégalais. De même entre pulaar et

soninké, ce sont les habitudes de communication acquises en Afrique, l’emploi

préférentiel du pulaar qui est maintenu. Le français a souvent été acquis en France dès

le début de la migration pour les personnes qui n’avaient pas été scolarisées, dans les

Page 28: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

28

interactions avec des natifs ou d’autres migrants avec qui il n’y avait pas d’autres

langues communes. Cette acquisition sur le tas et sur le tard (pour reprendre

l’expression de C. Deprez (De Heredia 1984) fut souvent complétée par des cours de

français écrit et oral. Ces cours ont d’abord été dispensés par des associations, souvent

antiracistes ou d’entraide chrétienne dans les années soixante-dix, ces associations se

sont professionnalisées et institutionnalisées à partir des années quatre-vingt.

Aujourd’hui la création du Contrat d’Accueil et d’Intégration rend les cours de français

quasiment systématiques pour les nouveaux arrivants.

Pour les personnes originaires de Guinée Bissau, il convient d’ajouter le créole

guinéen et éventuellement le portugais pour les personnes ayant été scolarisées.

L’acquisition des langues suit la biographie des sujets. Un voici un exemple qui m’a été

donné par Monsieur Preira auprès de qui j’ai enquêté. Il a d’abord appris le manjak

(langue première, langue du groupe ethnique) puis le mancagne (langue du groupe

voisin), le pulaar (qui avait une fonction véhiculaire en Casamance), le créole (langue

véhiculaire du pays), sa femme, scolarisée a appris le portugais (mais pas lui), tous deux

ont appris le wolof à Dakar, point de passage obligé pour la migration vers la France,

puis le français – oral puis – écrit. La présentation du plurilinguisme par les personnes

suit par ailleurs le plus souvent l’ordre d’acquisition des idiomes.

Nous retrouverons cette présentation du plurilinguisme chez des adolescents de

classe d’accueil, Africains nés en Afrique et arrivés à l’adolescence, mais aussi

Tsiganes11 (enquête effectuée avec C. Mortamet, docs. 24, 27, 29, 2005-2008). Les

langues sont présentées dans l’ordre où elles ont été apprises sans que le locuteur

n’établisse de hiérarchie entre elles. Nous avons appelé ces adolescents « les

cumulatifs » dans nos documents de travail, par opposition à d’autres pour lesquels le

plurilinguisme originel devenait problématique dans un contexte scolaire français.

A l’inverse, les personnes originaires d’Afrique centrale et du golfe de Guinée ont

souvent déjà perdu leurs langues ethniques dans la ville africaine, la langue ethnique

n’est que rarement transmise aux enfants. Ils parlent une langue véhiculaire entre

adultes et parfois avec leurs enfants. Le français est utilisé préférentiellement avec les

enfants. C’est donc une identité francophone qui est le plus souvent privilégiée.

11 Les résultats de cette enquête sont présentés plus bas.

Page 29: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

29

Lorsque le nombre des langues connues est important, cela ne veut pas dire que

l’ensemble des langues est toujours utilisé au quotidien en France : la langue du groupe

voisin n’est plus utile par exemple, le véhiculaire régional ne sert plus qu’à des

fonctions de connivence dans des emplois rares et emblématiques. Il reste surtout les

langues identitaires (langues des groupes ethniques), les langues remplissant des

fonctions véhiculaires entre migrants d’origine différentes (wolof, lingala, mais aussi

portugais) et le français qui peut aussi devenir langue identitaire puisque langue de

prestige. Il existe un remaniement indéniable du répertoire en contexte migratoire, les

langues remplissant des fonctions identitaires d’une part, de communication d’autre

part, étant privilégiées.

Dans les cas de figure théoriques présentés, le nombre de langues maitrisées à

l’oral est largement supérieur au nombre de langues maitrisées à l’écrit. Voici la

présentation que j’avais faite du plurilinguisme des adultes en 2000 (doc. n° 10, p.

327) :

Les adultes conservent leurs représentations du plurilinguisme comme une part importante de leur identité et le mettent en pratique. Les habitudes de gestion du plurilinguisme in vivo acquises en Afrique sont conservées en France. Ainsi dans la région rouennaise où les Sénégalais sont majoritaires parmi les Africains noirs, le wolof conserve sa fonction véhiculaire. (….) De même le portugais peut être employé entre Angolais et Guinéens voire entre Guinéens et Portugais travaillant dans la même usine ; le pulaar préférentiellement au wolof entre Pulaar et Soninké, etc.

Quelques  évolutions  

Parmi les évolutions depuis mon travail de thèse, il faut noter chez certains

groupes ethniques la volonté de valoriser les langues premières. Cette volonté était déjà

manifeste par la création dans les années soixante-dix des associations de défense du

pulaar (KJPF12) et du soninké (APS13). Ces deux associations existent toujours. Il est

possible depuis 1998 de passer une option pulaar ou soninké au baccalauréat. Cette

option est préparée par des cours donnés par des personnes lettrées en pulaar dans le

cadre d’associations de promotion de la langue et de la culture. Nous avons des

12 Kawtal Jangoode Pulaar (Fulfulde), Association pour la promotion et la transcription de la langue peule. 13 Association de Promotion du Soninké (le nom de l’association est en français, le site bilingue). On note que la siglaison se fait à partir du français pour le soninké, directement en pulaar pour le KJPF.

Page 30: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

30

exemples (actuels) pour le pulaar dans la région havraise et elbeuvienne14 de cours de

langue pour les adolescents préparant le baccalauréat. En revanche, l’inscription du

manjak comme langue nationale dans la constitution sénégalaise en 2002, suite à sa

description et à la stabilisation d’une norme d’abord écrite, n’a pas conduit à des

revendications linguistiques en France de la part de cette communauté ou à des actions

de valorisation linguistique collective. Les évolutions sont contrastées d’un groupe à

l’autre. Ce qui semble commun est l’inscription des femmes nouvellement arrivées à

des cours de français et leur recherche immédiate de travail à l’extérieur15. Cela

contraste avec la situation des années quatre-vingt dix où les femmes attendaient que

leurs enfants soient tous scolarisés pour prendre des cours de français. Il en résulte une

plus grande pénétration du français dans les familles. Par ailleurs, l’évolution des taux

de scolarisation dans les pays d’origine, notamment pour les filles, conduit à une

meilleure maîtrise du français lors de l’arrivée en France. La maitrise de l’écrit a

indéniablement progressé. La forme écrite de certaines langues africaines (pulaar,

soninké) est utilisée à des fins de valorisation.

Je notais en 2000 une représentation sous forme de cercles concentriques pour

rendre compte16 des proximités culturelles. Elle me semble toujours d’actualité (doc n°8

p. 327) :

J’avais proposé dans La famille et les langues une représentation sous forme de cercles concentriques pour rendre compte des proximités culturelles et partant des usages langagiers entre Africains noirs et entre Africains noirs et autres migrants dans les cités. Ce schéma doit prendre en compte les Maghrébins car la référence à l’Islam est importante pour les Pulaar, Soninké et Wolof islamisés de longue date.

En résumé, le plurilinguisme des adultes africains vivant en France reste très

influencé par ce qui se passe dans les pays d’origine, y compris après plusieurs

décennies en France. Mais l’expansion des véhiculaires en Afrique, du wolof

notamment au Sénégal, a peu d’influence sur les usages langagiers en France. Les

adolescents rencontrés récemment lors d’enquêtes effectuées dans des classes d’accueil

14 Il s’agit d’un des résultats de l’enquête de 2011 à paraître. 15 Entretien avec Rama Gueye avril 2011. 16 Les Maliens sont très représentés en Ile-de-France parmi les Africains noirs. Le bambara ne fait pas pour autant l’objet des mêmes actions de promotion que le soninké et le pulaar.

Page 31: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

31

nous ont dit avoir appris le wolof lors de leur séjour à Dakar et ne le parler que rarement

depuis qu’ils sont en France. La langue ethnique pour les Sahéliens remplit les fonctions

identitaires, on vient d’un groupe ethnique avant de venir d’un pays, et l’expansion du

wolof est plutôt perçue comme une menace.

Enfin, nombre d’adultes ont fréquenté l’école coranique dans le pays d’origine.

Cela ne fait pas pour autant de l’arabe une langue parlée ou comprise. On retrouve la

même extériorité de l’arabe pour les enfants qui fréquentent aussi l’école coranique,

qu’ils soient nés ici ou dans le pays d’origine. La situation est glosée comme telle par

les enfants : « l’arabe c’est pour la religion », l’arabe est lu sans être compris, il n’est

pas représenté ou revendiqué comme faisant partie du répertoire langagier. Cette

extériorité de la langue écrite diffusée depuis le XIe siècle au Sahel est importante pour

l’appréhension des cultures d’apprentissage et du rapport à l’écrit. J’y reviendrai au

chapitre 5.

D. Moore (2006, p. 34) note que tous les migrants sont soumis à deux ordres de

pressions linguistiques. D’une part la pression linguistique du groupe d’origine qui

incite à maintenir la (les) langue(s) d’origine et à les transmettre aux enfants, d’autre

part des pressions de la part de la société d’accueil incitant à privilégier la langue du

pays d’installation.

Le premier mécanisme met en jeu des pressions, cachées et informelles, exercées par les groupes d’appartenance.

Le second mécanisme prend en compte les pressions normatives, ouvertes et institutionnelles, qui encouragent l’utilisation de la langue dominante, ou de ses formes standardisées.

Cette remarque s’applique tout à fait à la situation des migrants africains en

France, les personnes originaires des pays du Sahel transmettant la langue familiale à

leurs enfants. Les réseaux sont alors particulièrement denses, les investissements

économiques ou immobiliers se font exclusivement au pays. La pression est d’autant

plus forte pour les familles appartenant à des réseaux structurés en France et dans les

pays d’origine. La même pression qui interdit d’acheter un bien immobilier en France

commande de transmettre la langue du groupe aux enfants. Lorsque le réseau est plus

lâche (Afrique centrale) c’est le français qui est privilégié, langue de l’environnement

Page 32: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

32

dans le pays d’installation, mais surtout langue officielle du pays d’origine, langue du

pouvoir, langue des lettrés, langues de prestige.

Plus récemment (Corpus PALIS 2011), j’ai rencontré un certain nombre

d’adultes, toutes nationalités confondues en situation d’apprentissage du français dans

des centres de formation. Dans le cas d’adultes africains venant de pays partiellement

anglophones, la langue européenne dans laquelle s’est effectuée tout ou partie de la

scolarisation, l’anglais, est particulièrement investie du fait de son rôle de véhiculaire

mondial, de langue de prestige mais surtout de langue pivot permettant d’accéder au

français. Les langues africaines sont alors reléguées et ce peut être l’anglais qui est

choisi comme langue de l’identité familiale à transmettre aux enfants.

J’avais déterminé (doc n° 2, 1997, p. 106-107) une liste de critères influant sur les

glottopolitiques familiales et conduisant à la transmission ou non de la langue africaine

familiale aux enfants, à sa pratique en famille. Je me permets de reprendre cette liste car

les observations effectuées depuis lors ne montrent pas grand changement :

-­‐ -le niveau de scolarisation des parents ;

-­‐ la place et les fonctions occupées par le français dans le pays d’origine ;

-­‐ le statut et les fonctions de la langue familiale dans le pays d’origine;

-­‐ l’homogénéité linguistique de la famille:

-­‐ le nombre de locuteurs de la langue en France ;

-­‐ le caractère collectif ou individuel de la migration ;

-­‐ le contenu culturel véhiculé par la langue ;

-­‐ la vie communautaire des membres du groupe ethnolinguistique en France;

-­‐ l’existence de phénomènes de résistance linguistique de la part des locuteurs des

langues minoritaires vis-à-vis d’une langue dominante ;

-­‐ les liens entretenus avec le pays d’origine.

Ces critères demeurent pertinents.

Page 33: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

33

Le  plurilinguisme  de  la  deuxième  génération  africaine  :  quelques  évolutions  actuelles  

Le plurilinguisme de la seconde génération est apparemment plus simple et

ressemble davantage aux autres situations migratoires sur le sol français : le plus

souvent, les parents transmettent leur langue ethnique (pour les personnes originaires du

Sahel) ou privilégient le français dans la communication avec leurs enfants pour les

personnes originaires d’autres pays. Les enfants considèrent la langue africaine

familiale comme leur première langue et ont ensuite appris le français dans

l’environnement ou à l’école. Ce fut résumé comme suit (doc. n°8, 2000, p. 327) :

En résumé, les enfants ou les adolescents arrivés depuis peu en France conservent leur représentation du plurilinguisme comme quelque chose de naturel que l’on revendique alors que ceux nés en France ne déclarent pour eux comme pour leurs parents qu’un bilinguisme français / langue africaine familiale. Cette césure rend compte d’une réalité car il est rare que les parents transmettent plus d’une langue à leurs enfants.

L’existence des phénomènes véhiculaires peut rejaillir sur les enfants : certains

ont acquis une compétence au moins passive dans les langues de communication

intergroupes lorsqu’elles font partie du répertoire de leurs parents : wolof, pulaar,

portugais. Les langues européennes apprises à l’école (anglais, espagnol, portugais)

n’étaient pas revendiquées comme faisant partie du répertoire dans l’enquête des années

quatre-vingt dix, elles le furent par certains enfants dans les enquêtes effectuées dans

des classes d’accueil plus récemment (2004 et 2008). La tendance est nettement à la

réduction du nombre de langues africaines parlées d’une génération à l’autre. La langue

véhiculaire (ou tout du moins certains rudiments) peut être apprise ultérieurement lors

de voyage en Afrique par les enfants devenus jeunes adultes. Les langues européennes

apprises à l’école viennent éventuellement compenser cette réduction. On trouve un

reste de ce rapport au plurilinguisme dans l’inscription d’un nombre non négligeable de

jeunes d’origine africaine dans les filières de langue, notamment en LEA. C’était le cas

d’une jeune fille dont j’ai interrogé les petits frères (Amadou et Idrissa).

On note un second décalage entre les générations : les parents restent souvent

dominants en langue première, les enfants en français, ce qui induit des répartitions des

apprentissages langagiers au sein de la famille : les ainés se chargeant d’un certain

Page 34: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

34

nombre de tâches administratives ou de médiation entre la famille et les institutions. Ils

ont aussi un rôle de francisation auprès des plus jeunes, j’y reviendrai. Ces pratiques,

anciennes mais toujours en cours, ne sont pas réservées aux seules familles originaires

d’Afrique noire.

La prédominance des raisons identitaires dans les choix de transmission des

adultes n’empêche pas la présence de pratiques mixtes, de l’usage des langues alternées

ou mêlées. Ainsi la réponse « mélange LAF / français » progressait dans tous les

groupes linguistiques quand les enfants avançaient en âge. La pratique fut notamment

déclarée à table (environ la moitié des réponses), situation de communication qui réunit

les générations.

Plus récemment, on commence à percevoir, chez les jeunes, des usages de la

langue familiale conjointement avec le français, y compris à l’écrit via les nouvelles

technologies (Internet, sms) pour communiquer avec les cousins au pays. L’écrit se

pratique entre jeunes, sur des supports électroniques, c’est-à-dire quasi simultanés et se

rapprochant en cela de l’oralité. Les normes, récentes et pas toujours connues, de l’écrit

dans ces langues ne semblent pas toujours respectées, malgré le militantisme

linguistique de certains adultes, une graphie francisée étant probablement employée de

même que l’alternance codique.

Il s’agit là d’hypothèses, à vérifier, construites à partir de remarques glanées lors

de l’enquête de 2011 en cours de dépouillement. Je souhaiterai pouvoir diriger une

recherche sur l’emploi des langues alternées ou mêlées, y compris à l’écrit sur des

supports électroniques en prolongement du projet DGLFLF actuel, où nous17

recueillons du corpus oral dans les familles. La variation des supports et la variation

diaphasique seraient à mettre en relation y compris sur les formes linguistiques utilisées.

Par exemple, nous avons déjà remarqué des phénomènes linguistiques d’hybridation

pour le pulaar – l’adjonction des classes nominales du pulaar à des emprunts au français

dans des corpus oraux mixtes français / pulaar – qui ne se retrouvent pas dans les pays

d’origine. En revanche, nos premiers dépouillements du corpus ne montrent pas de

phénomènes d’hybridation pour le wolof qui ne seraient attestés au Sénégal en milieu

urbain. Une collaboration avec l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar est à envisager

17 Le travail se fait en commun avec Aboubakri Kébé.

Page 35: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

35

pour mener des travaux comparatifs sur les phénomènes d’hybridation linguistique dans

les couples de langues français / wolof ; français / pulaar en France et au Sénégal. Ce

travail serait à mener en collaboration avec le groupe écrilecte de notre laboratoire. Il

semble y avoir ici l’émergence de pratiques de bilittératies ou de plurilittératies dans des

langues traditionnellement orales alors que les supports traditionnels de l’écrit, le livre,

la lettre soient peu concernés.

Le   plurilinguisme   guyanais  :   l’appréhension   d’un  plurilinguisme  généralisé  et  peu  connu  

La familiarité avec les situations plurilingues acquise auprès des personnes

originaires d’Afrique noire m’a permis de mettre en place une enquête sur le

plurilinguisme guyanais lors d’une première mission de recherche effectuée dans le

bourg de Saint-Georges de l’Oyapock, bourg frontalier avec le Brésil et, au moment des

enquêtes (2000, 2001), relativement isolé car accessible uniquement par avion ou par

bateau.

Alors membre du Centre Orléanais de Recherche en Anthropologie Linguistique,

j’étais chargée par l’équipe de recherche conjointe IRD / CORAL Orléans, travaillant à

une description de la langue palikur (langue amérindienne appartenant au groupe

arawak) et à la constitution d’encyclopédies sur ce groupe culturel, de réfléchir sur les

raisons de l’échec scolaire particulièrement important pour ce groupe. Selon les

directeurs d’écoles, 60 % des élèves de CM2 avaient deux ans de retard ou plus. Il

existait au collège du bourg une classe d’alphabétisation fréquentée par des élèves

scolarisés en français depuis la maternelle mais qui n’avaient jamais appris à lire malgré

9 à 10 ans de scolarisation. Une des pistes envisagée était une hypothèse purement

linguistique : les difficultés scolaires s’expliqueraient par les différences typologiques

importantes entre le français et une langue arawak. Cette hypothèse se trouvait

confortée par de moindres difficultés scolaires chez les enfants créoles parlant une

langue romane ou venant du Brésil parlant donc aussi une langue romane. Parmi les

solutions ou les remédiations envisagées, il y eut la création de lexiques bilingues

palikur-français et l’embauche de médiateurs-bilingues Palikur ayant reçu une

Page 36: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

36

formation linguistique et disposant d’un niveau scolaire minimal pour pouvoir être

embauchés sur des supports emplois jeunes.

Très vite, une fois sur place, l’hypothèse linguistique m’a semblé un peu courte :

les enfants appartenant au groupe karipouna, parlant un créole archaïque et souvent

originaires du Brésil, montraient les mêmes difficultés mais surtout, l’ensemble des

élèves et de la population du bourg semblait davantage plurilingue que bilingue (langue

du groupe culturel ou ethnique, français langue officielle). En particulier, les enfants

appartenant au groupe culturel palikur semblaient tous soit créolophones soit

lusophones. Il était donc impossible d’invoquer la plus grande différence typologique

pour expliquer les difficultés : ils parlaient tous au moins une langue romane, en plus de

leur langue identitaire. Ce plurilinguisme généralisé me fut en outre confirmé par bien

des acteurs sociaux sur place.

J’ai donc construit très rapidement18 un questionnaire sociolinguistique pour

interroger les collégiens et élèves des deux dernières années de primaire sur leurs

pratiques langagières à la maison, dans l’environnent et à l’école ainsi que sur les

langues dans lesquelles ils étaient le plus à l’aise et qu’ils parlaient avec leurs copains.

Furent aussi posées quelques questions sur les représentations : les langues souhaitées,

la représentation des compétences dans les langues premières, secondes et tierces. Cette

enquête par questionnaire fut complétée par des observations dans des classes de grande

section de maternelle et de cours préparatoire, au moment où les élèves entrent dans

l’écrit. Rappelons qu’un des objectifs de recherche concernait les difficultés scolaires.

Furent aussi menés quelques entretiens. Les enfants palikur étant peu diserts, d’autres

entretiens, collectifs cette fois, seront menés l’année suivante lors d’une mission

conjointe avec C. Caitucoli (analysés dans le doc n°37, 2011 ).

Je ne reprendrai pas en détail ici les analyses des réponses qui ont été présentées

dans le document 13. Je noterai tout d’abord que cette enquête était la première du

genre : il n’y avait eu jusqu’alors aucune enquête sociolinguistique d’envergure en

Guyane pour mesurer le plurilinguisme. La situation était davantage perçue comme

celle de doubles monolinguismes (langue du groupe culturel / français), les langues

18 L’adaptation a dû être très rapide compte tenu de la durée de la mission et de l’approche des vacances de printemps : je n’ai eu que quelques jours pour mettre en place une méthodologie adaptée à la situation sur place.

Page 37: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

37

autochtones étant considérées comme territorialisées dans des villages distincts. Le cas

des langues immigrées était traité à part. La tâche prioritaire des linguistes était alors

perçue comme la description des langues de Guyane qui étaient depuis peu (1999)

devenues langues de France19. La création de matériel bilingue, y compris sur support

électronique, était censée remédier à un certain nombre de difficultés scolaires ou à

favoriser l’apprentissage du français.

Nous écrivions (F. Leconte et C. Caitucoli) que « la situation sociolinguistique de

la Guyane française reste mal connue alors qu’elle pourrait constituer un laboratoire

pour l’étude des contacts de langues » doc. 13, 2003, p. 37. La remarque a été prise au

sérieux par des collègues de l’IRD Cayenne et de l’équipe CELIA (Centre d’Etudes des

Langues Indigènes d’Amérique) du CNRS. Le même questionnaire que j’avais élaboré

en 2000 a été repris, notamment par I. Léglise dans d’autres localités de la Guyane (I.

Léglise 2004 et 2007) après que nous avons discuté pour l’améliorer. Ce travail a été

mené conjointement à la description des langues et variétés sur place, aux aspects

linguistiques des phénomènes de contacts, etc. Des publications importantes : M.

Launey 2003, I. Léglise et B. Miggie 2007, L. Goury et O. Renault-Lescure 2009,

témoignent de ces recherches.

Je me suis éloignée du terrain guyanais pour des raisons familiales mais tiens à ne

pas passer sous silence cet aspect de mes recherches car la réflexion sur ce terrain est à

la fois proche des problématiques africaines par certains aspects : une approche qui doit

être en partie anthropologique, le plurilinguisme généralisé, une situation de domination

issue de la colonisation et – par d’autres aspects – très lointaine : nous ne sommes pas

sur le même continent, les populations sont différentes, la Guyane n’est pas un état

indépendant mais un département français, les populations autochtones sont davantage

minorées que celles qui ont été amenés de force et a fortiori de celles qui ont migré

volontairement… Tout ceci m’a permis des mises en perspective riches. On en trouve

un exemple dans le document 38, 2011 « Cultures d’apprentissage : quels éclairages

pour Mayotte ? » (accepté, à paraître) que je présenterai dans le dernier chapitre de cette

note. Ce travail m’est aussi précieux parce que mon intervention a contribué à un

19 Il s’agit des langues suivantes : créole guyanais, kali’na, wayana, arawak, palikur, wayampi, émerillon, aluku, njuka, paramaka, saramaka, hmong (dans l’ordre de présentation et en respectant la graphie retenue dans Cerquiglini 2003).

Page 38: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

38

infléchissement du regard et à une meilleure prise en compte de la dimension

plurilingue du département, comme en témoigne les publications citées ci-dessus.

On notera la complexité des répertoires déclarés des enfants et adolescents où l’on

ne retrouve pas de réduction du plurilinguisme par rapport à la génération précédente.

En cela, le plurilinguisme guyanais se distingue des plurilinguismes migratoires en

France métropolitaine. Nombre d’entre eux ont déclaré plusieurs langues premières, la

majorité des élèves scolarisés dans les dernières années de primaire et au collège

déclarent des répertoires composites où le portugais arrive le plus souvent en première

position, le créole et/ou le français en second.

Trois langues dominent le marché linguistique de Saint-Georges de l’Oyapock : le

français langue officielle, le créole, langue véhiculaire traditionnelle du département et

le portugais du Brésil qui était en train de supplanter le créole en tant que langue

véhiculaire du bourg. Le portugais dans sa variété amazonienne était déjà la langue

première la plus déclarée par les enfants et les adolescents. Une enquête récente de L-J.

Calvet dans le bourg de Saint-Georges réalisée en 2008 (L-J. Calvet 2009) a confirmé

l‘importance grandissante du portugais du Brésil au détriment du créole et dans une

moindre mesure du français, celui-ci n’ayant jamais occupé des espaces de

communication très étendus dans le bourg. La majorité des enfants ayant déclaré le

portugais comme langue première sont des Guyanais, contrairement à une

représentation répandue selon laquelle on avait assisté à un afflux récent de population

de l’autre côté du fleuve Oyapock. Notons que les enfants et adolescents lusophones

étaient davantage attirés vers le français comme seconde langue que par le créole. Cette

observation peut être rapprochée du modèle gravitationnel de L-J. Calvet (1999) dans

lequel les langues sont reliées entre elles par des bilingues. Les personnes ont tendance

à apprendre une langue de même niveau ou de niveau immédiatement supérieur. Ici

nous avons affaire à deux langues supercentrales, le français et le portugais. Le créole,

langue centrale dans le contexte guyanais, est utilisé quand on ne peut faire autrement

par les lusophones mais cela n’en fait pas une langue souhaitée.

Le créole langue véhiculaire traditionnelle de la Guyane conserve une place

importante notamment grâce à l’absence de pression normative : il est vécu par les

adolescents comme une « langue facile ». Le créole reste la langue principalement

Page 39: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

39

parlée « entre copains ». Il est aussi une langue parlée dans certaines familles que l’on

considère traditionnellement comme « des Palikur ».

La quatrième langue importante est bien sûr le palikur, bien que l’enquête ait

montré une déperdition de cette langue et une moindre transmission au profit du créole.

Il est intéressant de noter que cette déperdition ne concerne pas les autres langues

amérindiennes, l’émerillon (teko) et le wayampi, parlées par des adolescents scolarisés

au collège mais venant de villages en amont du fleuve. Ces deux langues sont en contact

récent avec le français, la création de l’Inini en 1930 ayant contribué à isoler ces

populations jusqu’en 1969. A l’inverse, le palikur est en contact avec les langues

romanes depuis cinq siècles. Surtout, d’après les explications des adolescents (doc 37),

les parents de ceux-ci ont choisi de ne pas transmettre le palikur et de leur parler en

créole pendant la petite enfance, ce qui ne semble pas être le cas pour les autres groupes

amérindiens sus-cités.

Si l’on s’inspire à nouveau du modèle gravitationnel, on peut dire que le palikur

tend à ne plus être transmis au profit d’une langue de niveau immédiatement supérieur

(le créole). On peut considérer le palikur et les autres langues amérindiennes comme des

langues périphériques20, le créole comme une langue centrale dans le contexte guyanais,

le français comme une langue supercentrale. Le statut du portugais est plus ambigu : s’il

ne peut pas prétendre au rôle de langue supercentrale dans le reste de la Guyane, cette

position étant occupée par le français, le portugais peut néanmoins être considéré

comme tel à Saint-Georges de l’Oyapock, bourg frontalier avec le Brésil. L-J. Calvet

2009 dans son article « Oiapoque / Saint-Georges de l’Oyapock : effets de marges et

fusion des marges en situation frontalière » note un conflit d’attirance, au sens

gravitationnel, dans cette zone frontalière. Le français est très peu parlé dans les rues de

Saint-Georges de l’Oyapock, cantonné à ses fonctions officielles et scolaires et langue

des seuls métropolitains. L’absence d’usage du français en tant que langue de

communication n’est pas sans conséquence d’un point de vue scolaire. Le français

langue surtout exogène dans le bourg ne menace aucune langue autochtone. Si certaines

langues autochtones, comme le palikur, régressent, cela se fait au profit de langues qui

servent de véhiculaire et dont le corpus au sens de R. Chaudenson, 1995, est important.

Ce n’est pas le cas du français.

20 Il en serait de même des langues noir-marron peu présentes à Saint-Georges.

Page 40: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

40

On notait d’autre part, un décalage entre langues parlées et langues enseignées au

collège qui proposait l’anglais comme LV1, l’espagnol et l’allemand comme LV2,

reproduisant en cela les usages métropolitains. On n’y trouvait donc pas d’enseignement

du portugais, pourtant revendiqué comme langue première par plus de 40 % des élèves

et langue du pays voisin comptant pas moins de 170 millions d’habitants avec lequel les

contacts sont quotidiens : c’est au Brésil par exemple que l’on va faire les courses en

début de mois. Le modèle d’enseignement métropolitain parait bien insolite dans le

contexte guyanais, tant dans le choix des méthodes, du vocabulaire enseigné aux

enfants, du matériel utilisé21. J’y reviendrai dans le chapitre 5.

Remarques méthodologiques

On retiendra l’intérêt de ce type d’enquête qui a permis d’appréhender la situation

guyanaise sous l’angle du plurilinguisme et non de l’addition de doubles

monolinguismes distincts selon les points du territoire. Cette vision, datée, est antérieure

à la suppression de l’Inini où chaque village semblait être mono-ethnique, le français

langue officielle venant se surajouter à la langue du groupe. Par ailleurs, la

multiplication des méthodes d’enquêtes a, là encore, été bénéfique : les réponses aux

questionnaires n’auraient pas pu être finement appréhendées sans les discussions avec

certains acteurs locaux sur place, sans la conduite d’entretiens individuels et collectifs,

sans les observations de classe. Approches quantitatives et qualitatives se sont

complétées. L’approche quantitative s’est révélée particulièrement intéressante parce

qu’elle fut la première du genre sur le terrain guyanais et parce qu’elle a permis des

comparaisons avec d’autres localités du département, de servir de point de comparaison

pour des enquêtes ultérieures. L’approche qualitative a été plus difficile à mettre en

place. J’ai ainsi eu l’idée d’aller faire des crêpes dans une famille un mercredi, les

entretiens en tête à tête avec des enfants ou des adolescents ne donnant pas de bons

résultats. Je pensais qu’une activité culinaire, originale dans le contexte, allait délier les

langues surtout si je quittais le terrain scolaire ou celui de la maison louée à l’époque

par l’IRD pour accueillir des chercheurs. Les gens étaient ravis des crêpes mais toujours

bien silencieux. Sur la cassette, on entend davantage d’oiseaux (coq et perroquet de la

21 Je notais l’exotisme de la méthode de lecture « Gafi le fantôme » dans le village de Trois-Sauts en amont du fleuve, accessible en pirogue, mais il y a des rapides. Les images représentant des enfants dans le supermarché de la cité jouant avec le Caddie étaient bien insolites.

Page 41: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

41

maison, autres oiseaux de la forêt) que d’humains. Cependant les observations de classe

m’ont permis de mieux comprendre les raisons du silence des enfants amérindiens en

classe.

Il reste que le bourg de Saint-Georges, géographiquement sur les marges,

représente une situation particulière en Guyane. Sur la côte ouest, on note plutôt un

recul du créole au profit du français, comme le montre par exemple l’enquête d’I.

Léglise à Mana. Elle montre aussi la création d’une koïnè entre les différentes variétés

de langue nenge, créoles à base anglaise parlées dans l’Ouest de la Guyane et au

Suriname voisin, ce qui correspond à un phénomène de convergence linguistique et

identitaire du groupe noir-marron.

Enfin, ce qui constituait une bonne part de l’interrogation de départ : les raisons

de l’échec scolaire des enfants appartenant aux groupes culturels amérindiens, semble

se trouver plutôt du côté des normes d’interaction langagières dans les relations adultes /

enfants que dans des difficultés strictement linguistiques. D’après mes observations, les

difficultés de compréhension dans les petites classes sont moins à situer du côté de la

morphosyntaxe ou du vocabulaire employé à l’école que dans le sens donné, ou non,

aux interactions langagières en vigueur dans le cadre scolaire. Ce point, ayant contribué

à nourrir une réflexion sur les cultures d’apprentissage sera repris au chapitre 5.

La   comparaison   de   deux   plurilinguismes  migratoires  en  France  :  Afrique  noire  et  anciennes  républiques  soviétiques  

A l’inverse de mon travail de thèse et des prolongements qu’il a pu susciter, la

recherche menée auprès d’adolescents de classes d’accueil, conjointement avec Clara

Mortamet a eu pour origine un point de départ théorique : j’ai souhaité vérifier si des

élèves originaires de pays africains, ayant donc acquis plusieurs langues surtout à l’oral

se distinguaient des élèves originaires de pays dans lesquels les langues étaient avant

tout apprises à l’écrit, dans leur appréhension de l’apprentissage du et en français. Les

anciennes républiques soviétiques (désormais ARS) me semblaient emblématiques d’un

apprentissage des langues centré sur l’écrit. Je voulais faire varier à la fois le nombre de

langues parlées avant l’arrivée en France, et les modalités d’apprentissage oral vs écrit.

Page 42: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

42

J’ai proposé à Clara Mortamet de s’associer à la recherche, elle se spécialisant dans la

situation des pays de l’Est alors que nous n’avions que peu d’informations sur ces

situations et moi restant centrée sur l’Afrique. Par la suite nous22 abandonnerons cette

spécialisation et mènerons un travail entièrement collectif.

Nous souhaitions aussi que les personnes conservent suffisamment de traits de

leur plurilinguisme originel, c’est la raison pour laquelle nous avons choisi les classes

qui accueillent les adolescents nouvellement arrivés en France, les classes d’accueil de

collège (CLAD). Enfin nous avons préféré les adolescents (collège) aux enfants

(primaire) parce que nous les considérions comme plus à même de se décentrer dans les

entretiens et de construire un discours réflexif par rapport à leur propre parcours

langagier. Nous avons abordé leurs plurilinguismes par le biais des représentations

définies d’abord très (trop) simplement comme « la manière dont ces adolescents

présentent leurs langues » (doc. n° 23, 2005, p. 22-23). Pour cette recherche, nous

sommes parties de l’hypothèse de V. Castellotti (2001b) selon laquelle :

Lorsque, en revanche, plusieurs langues font partie, à des titres divers, du “déjà-là” des apprenants, que ceux-ci ont un répertoire “plurilingue”, et qu’ils ont la possibilité de diversifier les sources et les repères, ces derniers peuvent construire de nouveaux apprentissages au moyen d’ancrages multiples, auxquels ils feront appel de manière différenciée et sélective en fonction de leur répertoire propre, des contextes d’appropriation et des objets à traiter. (V. Castellotti 2001 : 12)

Nous nous inscrivions dans une « approche plurilingue » telle que définie par le

CECRL 2001 : 11. Ce point de départ a conduit à une réflexion sur les dimensions du

plurilinguisme des adolescents que nous voulions mettre au jour. Nous faisions aussi

l’hypothèse que deux langues jouaient un rôle particulier dans la construction du

plurilinguisme de ces adolescents : la langue de référence et la langue d’appartenance au

sens de L. Dabène (1994), ces dimensions étant elles-mêmes dépendantes des situations

sociolinguistiques des pays d’origine. Dans un premier temps nous avions schématisé

les plurilinguismes supposés des adolescents d’origine africaine en distinguant trois

catégories de langues (doc n° 23 p. 26, 2005) :

22 Dans la mesure où la grande majorité du travail concernant cette recherche est collectif j’utiliserai le nous (Clara Mortamet et moi) pour en parler.

Page 43: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

43

· La première serait constituée des langues africaines véhiculaires ou vernaculaires parlées, acquises et transmises oralement [+ + oralité ; – écriture].

· La seconde contiendrait l’arabe classique pour les musulmans qui, à l’inverse, est appris par cœur. Cet apprentissage peut permettre, assez rarement, de lire d’autres textes en arabe mais ne permet pas d’avoir une pratique orale de cette langue [- - oralité, + + écriture].

· Enfin, le français (ou une autre langue européenne) est la langue de prestige, que l’on peut utiliser par souci d’ostentation. C’est aussi la langue de l’école, de l’écrit et du pouvoir. La dimension écrite de la langue participe pleinement à son prestige. [- oralité, ++ écriture].

Cette répartition montre une rupture forte entre les usages oraux et écrits des langues.

Nous insistions alors sur l’importance respective de l’oral et de l’écrit dans

l’organisation des répertoires. Le plurilinguisme des adolescents originaires des

anciennes républiques soviétiques sera schématisé dans un second temps après que nous

avons approfondi nos connaissances sur les situations sociolinguistiques de ces pays et

que nous avons continué à travailler sur le corpus. Voici la présentation que nous en

avons faite en 2008 (doc. 29, p. 59) :

Pour ce qui est de la répartition fonctionnelle des langues et des usages dans les anciennes républiques soviétiques, on peut dégager trois catégories de langues selon leur mode d’appropriation et la pratique qui en est faite :

La langue de l’identité nationale de l’après URSS, langue plus ou moins interdite pendant l’URSS, aujourd’hui fortement investie et promue au même titre que la littérature, les chansons, l’histoire régionale, etc. Ces langues sont plus ou moins vernaculaires et pratiquées en famille. Elles sont le plus souvent langues de scolarisation [+ oralité, + écriture] ;

Le russe, langue toujours privilégiée dans les médias, la littérature, à l’école et même dans la vie quotidienne, en particulier dans les pays où la langue nationale est apparentée (ukrainien, biélorusse, etc.). Elle a dans l’ensemble une fonction véhiculaire, et une dimension internationale indéniable [+ oralité, ++ écriture] ;

Les langues européennes apprises à l’école : anglais, français, allemand [- oralité, + écriture].

Page 44: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

44

On note qu’il n’y a que peu de rupture entre les usages oraux et écrits des langues : dans une certaine mesure toutes les langues se parlent et s’écrivent. Ces élèves se trouvent dans une situation comparable à celle de la France.

C’est donc autour de l’hypothèse d’une approche différente des apprentissages

langagiers en fonction du passé de scolarisation et des usages oraux et écrits des langues

que nous avons dans un premier temps abordé cette recherche. Toutefois, cette

hypothèse n’a tout d’abord pas été vérifiée, les trajectoires apparaissant davantage

individuelles que communautaires.

Remarques  méthodologiques  

Le corpus recueilli dans cette recherche s’est avéré très intéressant et a permis

différentes analyses et approches complémentaires. Son intérêt tient en partie à la

méthodologie d’enquête mêlant entretiens semi-directifs et dessins. Je m’arrêterai plus

longtemps sur les aspects méthodologiques de mes recherches dans un chapitre

ultérieur. Je ne présente donc pour l’instant que brièvement les modalités d’enquêtes.

Nous avons enquêté dans deux classes d’accueil de l’agglomération rouennaise

après avoir contacté l’ensemble des structures similaires de l’agglomération. Deux

établissements nous ont répondu mais pour des raisons différentes. Dans le collège A,

l’enseignante titulaire de la classe était intéressée par notre recherche et par un regard

extérieur. Dans le collège B, la direction de l’établissement se posait des questions sur

une structure ouverte récemment qui, au moment de notre venue, était assurée par un

vacataire, l’enseignante titulaire étant en congé. Nous nous sommes rendues

régulièrement dans chacune des classes, à tel point que les élèves avaient fini par nous

intégrer à leurs emplois du temps. La familiarité avec les adolescents est un élément qui

a influé sur la qualité des entretiens. La période d’observation et de prise de contact

avec les acteurs (enseignants, élèves) n’est en rien du temps perdu. Nous avons voulu

mettre en place une enquête résolument qualitative pour les raisons suivantes (doc n°

23, 2005, p. 24) :

De façon plus générale si l’on veut dégager quelques stratégies mises en œuvre par les élèves dans leur construction de nouveaux apprentissages, nous devons d’abord effectuer une analyse en amont : nous devons

Page 45: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

45

évaluer le plurilinguisme des élèves, et voir comment ils organisent, présentent et se représentent leurs répertoires langagiers. Un tel travail ne va pas de soi et appelle une véritable réflexion méthodologique : on ne peut se contenter de recenser les langues parlées / comprises / lues / écrites par chaque élève. (…) C’est pourquoi au moyen d’une enquête résolument qualitative, nous avons cherché davantage à voir comment ces pratiques sont présentées et construites par les adolescents. Plus particulièrement, nous nous sommes intéressées à dégager les rôles, les fonctions, les statuts, les valeurs que les adolescents donnent à chacune des langues de leur répertoire, mais aussi aux locuteurs qui les parlent (dans leur entourage ou ailleurs).

Ce parti pris qualitatif n’a pas empêché d’interroger un nombre suffisant

d’adolescents – vingt-huit – pour pouvoir dégager des régularités au-delà des cas

individuels.

Nous avons d’abord demandé aux enfants de dessiner ce qui se passait dans la tête

de personnes parlant plusieurs langues reprenant en cela certains des travaux de V.

Castellotti et D. Moore (2001, 2005). Certains ont représenté leur plurilinguisme

langagier d’autres un plurilinguisme idéal. Cette double modalité d’enquête, entretiens

et dessins, s’est avérée particulièrement intéressante avec des adolescents en cours

d’acquisition du français : ce qu’ils ne savaient pas dire, ils savaient souvent le dessiner.

Les dessins se sont révélés étonnamment riches et variés. De plus, ces deux modes

d’approche ont permis de mettre en relation ce que les adolescents présentaient dans le

discours et ce qu’ils représentaient dans leurs dessins. Cette comparaison des deux

modalités d’expression permettra d’approcher plus finement notre corpus. L’analyse ne

sera pas la même selon que l’on parte des entretiens, ce que nous avons surtout fait dans

le doc n° 23 ou - situation plus rare en sciences du langage - selon que l’on parte des

dessins, les entretiens venant étayer les remarques faites à partir des représentations

graphiques et non l’inverse. Ce que j’ai fait dans le document n° 31 (2009). Enfin dans

deux autres publications (doc n° 24, 2007 et 27, 2008), nous avons étudié les décalages

entre représentations graphiques et orales.

Une autre avantage de l’utilisation du dessin dans des enquêtes sociolinguistiques

avec des enfants, est la réduction de la violence symbolique entre enquêteur adulte,

« prof » ou représentant le monde enseignant, français(e) face à des élèves

Page 46: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

46

nouvellement arrivés, en cours d’acquisition du français et souvent dans une situation

administrative et sociale précaire.

L’utilisation de cette double modalité d’enquête a donc été particulièrement

adaptée à ce public particulier, c’est la raison pour laquelle elle a été reprise, parfois

sans que nous le suggérions mais en s’inspirant de nos travaux, par certains étudiants de

master 2 diffusion du français qui ont effectué leur stage en classe d’accueil. Nous

commençons à avoir un corpus important de dessins effectués dans différentes régions

de France, par des populations venant de régions variées. Dès lors qu’il sera suffisant

nous pourrons l’analyser à des fins comparatives. Plusieurs pistes sont déjà envisagées

pour ces comparaisons clad rurale23 vs région parisienne, comparaison des origines les

plus représentées dans la classe ou focalisation sur un public spécifique24, structures

plus ou moins ouvertes, variable genre… Avant d’effectuer ces comparaisons, il me

revient de présenter les principaux résultats de nos enquêtes.

Quelques  résultats  

Le premier enseignement tiré de cette enquête fut l’importance de la

glottopolitique du collège dans lequel les adolescents sont scolarisés dans les

représentations de leur plurilinguisme. Les deux collèges dans lesquels nous avons

enquêté menaient des glottopolitiques contrastées quant à la valorisation du

plurilinguisme, l’ouverture à d’autres langues vivantes étrangères pour les primo-

arrivants et la tolérance dans l’utilisation des langues du répertoire dans l’établissement

que nous pouvons résumer comme suit : « valorisation du plurilinguisme » collège A vs

« tout français » collège B. Certains adolescents dans le collège B ont exprimé une

souffrance et une impression de déclassement que nous n’avons pas retrouvées dans le

collège A. Notre hypothèse de départ a, dans un premier temps, été infirmée : le « déjà-

là » des apprenants semble moins important que l’ici et maintenant de la scolarisation

en France. La catégorisation en fonction du pays d’origine n’est pas primordiale, chaque

trajectoire de ce public spécifique semble résolument individuelle. L’importance du

vécu depuis l’arrivée en France semble d’autant plus grande que nous avons affaire à

une population jeune, tournée vers l’avenir d’une part et que d’autre part ces jeunes ont

23 Voir le mémoire de V. Rapatel, 2011 (dir. C. Mortamet). 24 Voir le mémoire de V. Prod’homme, 2011, sous la direction de C. Mortamet consacré aux adolescents géorgiens, il montre une variable genre très nette dans les dessins.

Page 47: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

47

souvent traversé des situations difficiles voire dramatiques. Voici les conclusions que

nous avons tirées dans la première publication sur ce corpus :

Par ailleurs, il est difficile de pousser trop loin la comparaison entre les deux groupes que nous avions posés « pays de l’est » et « Afrique noire », d’une part parce que nous n’avons sélectionné que huit entretiens sur vingt-huit, d’autre part parce que nous avons vu un effet établissement assez net. On voit deux politiques d’établissement différentes concernant le plurilinguisme.

(…) On peut légitimement s’interroger sur les conséquences qu’ont ces politiques linguistiques différentes sur les représentations des adolescents de leur propre plurilinguisme, sur leur appropriation du français et sur leur devenir scolaire. Doc. n° 23 p. 56

En revanche, lorsque l’on s’interroge sur les modalités d’apprentissage des

langues dans les pays d’origine et l’organisation des répertoires, nous retrouvons la bi-

partition ARS / Afrique noire présentée plus haut (doc 29, 2008). Les adolescents

originaires d’Afrique noire ont appris leurs langues à l’oral, excepté les langues

européennes de scolarisation beaucoup moins nombreuses. En outre, l’exposition au

français des enfants originaires d’Afrique noire est corrélée à la position sociale dans les

pays d’origine. Les enfants issus de l’élite ont été scolarisés dans des écoles privées, où

la langue d’enseignement est uniquement le français, alors que les enfants d’agriculteurs

nous expliquent que les langues vernaculaires et véhiculaires africaines ont eu une

grande place dans la communication orale en classe lors de leur scolarisation au pays. A

l’inverse, les adolescents originaires des ARS ont appris leurs langues à l’oral et à

l’écrit, hormis le cas particulier d’une enfant rom qui a la représentation de son

plurilinguisme et de ses modalités d’apprentissage proche de celle qu’ont les Africains.

(doc. n° 29 p. 66)

Nous avons classé ici les élèves en fonction du mode d’apprentissage des langues dans leurs pays d’origine. Ce classement correspond tout à fait à ce qui était attendu, étant donné notre connaissance des systèmes scolaires et des situations sociolinguistiques de ces pays. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’en dehors de Cristina, aucun des élèves que nous avons rencontrés n’a une expérience atypique par rapport au système scolaire de son pays d’origine : schématiquement, les Africains ont appris leurs langues hors de l’école et les Caucasiens en dehors et à l’école. (…)

Page 48: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

48

En outre, il est important de souligner que cette répartition n’aboutit pas à des types d’apprenants différenciés, ni à des types de difficultés dans l’apprentissage du français. Le lien reste à établir.

Les adolescents originaires des ARS sont les seuls à représenter leurs langues

sous des formes écrites, dessinées comme des livres ou sortant de la bouche dans leur

propre alphabet. Il y a une corrélation forte entre représentations des apprentissages

linguistiques et la forme écrite des langues. De plus cette différentiation en fonction de

l’origine géographique se retrouve aussi dans les dessins lorsque l’on classe sur des

critères visuels (doc. n° 31, 2009). Les adolescents originaires des ARS dessinent des

cerveaux dans lesquels de gros traits noirs séparent les langues qui sont souvent

nommées en fonction des pays : langue arménie, langue russie, etc. On y voit aussi

nombre de drapeaux. La langue est assimilée à un territoire dans des frontières

clairement délimitées. En revanche, les enfants originaires d’Afrique de l’Ouest

présentent les langues dans des espaces non séparés, non cloisonnés. Ils ont une

représentation analogique des langues au sens de L-J. Calvet 2004 alors que les

adolescents ARS ont une représentation digitale. Mais les premiers ont vécu en paix

alors que les seconds, souvent en attente du statut de réfugié politique pour leurs

parents, viennent du Caucase où les situations politiques étaient tendues. Les

adolescents originaires d’Afrique centrale constituent un troisième cas de figure : il y a

des espaces différenciés mais sans cloison, les langues européennes peuvent être

représentées à différents endroits. C’est que, si nombre d’entre eux sont arrivés en

France suite à des situations de violence, la plupart parlaient déjà le français et/ou

d’autres langues européennes dans le pays d’origine. Certains font aussi référence à des

parlers urbains mixtes. Le fait que les dessins des adolescents nous renseignent à ce

point sur la géopolitique des pays d’origine reste un joli résultat de cette recherche.

Enfin, la comparaison des dessins et des entretiens nous a permis de nous pencher

sur les situations où discours et dessins divergeaient (doc n° 24, 2007 et n° 29, 2008).

Les publications pour lesquelles nous avons écrit étaient centrées sur la subjectivité25

25 M. Dreyfus et G. Rosse (dirs.), 2007, Traverses n°9, Plurilinguismes et subjectivité, Montpellier, Presses universitaires de Montpellier.

Page 49: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

49

(doc n° 24) ou la construction des identités plurilingues26 (doc n° 29). Nous nous

sommes alors intéressées à la façon dont les adolescents présentaient leurs langues et

hiérarchisaient certaines d’entre elles. Nous avons mis en avant trois critères de

présentation : les langues d’évidence, celles qui sont présentées en premier et sans

détour ; les langues occultées, celles que l’adolescent cache dans un premier temps à

l’enquêteur ou qui sont difficiles à « avouer » ; et les langues d’avenir, celles qui sont

considérées comme devant être le plus utilisées dans l’avenir. Quelques adolescents

occultent certaines de leurs langues, situation sur laquelle je reviendrai dans le chapitre

suivant et qui semble, dans ce corpus, liée aux situations sociales et scolaires traversées

mais aussi à la glottopolitique du collège. Dans un registre plus optimiste, certains

« oublient » de représenter dans leurs dessins certaines langues qu’ils parlaient avant

leur arrivée en France, non pas parce qu’avouer leurs langues premières est difficile,

l’entretien le confirme, mais parce qu’ils mettent en avant la nouvelle identité qu’ils se

souhaitent : celles d’un futur travailleur étatsunien par exemple, parlant la langue

France et la langue Amérique ou celle d’un européen « de l’Ouest » parlant français et

anglais.

En résumé, c’est une vision à la fois complexe et dynamique que nous ont livré

les représentations des adolescents de classes d’accueil. L’importance des cultures

d’apprentissage originelles a été fortement relativisée par les situations sociales

différenciées dans les pays d’origine, par la situation scolaire ici, par l’investissement

aisé ou plus difficile dans l’avenir de chacun d’entre eux en fonction d’une migration

plus ou moins bien vécue. Le travail est actuellement complété par les mémoires de

recherche-action de nos étudiants, ce qui nous permet d’élargir notre questionnement à

des populations peu représentées dans la région, comme les Chinois27 - ou que nous

avions d’abord exclues puisque notre point de départ était théorique et centré sur les

divergences oral / écrit : Kurdes, Maghrébins, Portugais, Turcs. D’autre part, le rapport

à l’écrit et notamment les difficultés supposées de l’orthographe française ont été

récurrentes dans les entretiens auprès des adolescents comme dans ceux effectués

auprès des adultes en 2011. Les questions de normes et d’écarts entre les formes orales

et écrites dans les langues semblent importantes dans la perception des obstacles à

26 P. Martinez, D. Moore, V. Spaeth, 2008, Plurilinguismes et enseignement. Identités en construction, Paris, Riveneuve éditions. 27 Voir le mémoire de M-A. Boucher, 2011, dirigé par C. Mortamet.

Page 50: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  1  :  Décrire  des  situations  plurilingues  complexes  

50

l’apprentissage du français. Il faudrait donc inclure dans nos prochaines enquêtes des

personnes dont les langues d’origine ont des formes très proches à l’oral et à l’écrit

(portugais, turc) ou très éloignées (arabe, chinois). La mise en relation des deux

générations s’annonce en outre intéressante.

Les plurilinguismes présentés dans ce chapitre sont étroitement dépendants des

situations sociales et de leur évolution. Les personnes dont il a été question sont loin

d’évoluer dans des situations où le plurilinguisme serait un idéal mais ressemblent

davantage à ce que V. Castellotti 2010 : 185) a appelé le « plurilinguisme nié ».

C’est pourquoi il me semble désormais nécessaire de revenir sur certaines

questions qui ont traversé les recherches décrites ci-dessus, les notions d’identité,

d’insécurité linguistique et de légitimation. Ce sera l’objet du prochain chapitre.

 

Page 51: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

 

Chapitre  2  

 

Retour  sur  quelques  notions  

transversales  :    

Identité,  (in)sécurité  linguistique,  

légitimation  

J’ai souligné en introduction qu’un certain nombre de concepts ou de notions,

parfois interdisciplinaires, utilisés dans mes travaux sur le plurilinguisme avaient fait

l’objet de débats, avaient vu leur sens modifié, travaillé, infléchi au cours des quinze

dernières années. C’est la raison pour laquelle ce chapitre est consacré à deux

problématiques particulièrement discutées ces dernières années en sociolinguistique :

l’identité (linguistique) d’une part ; la sécurité / insécurité linguistique et les liens entre

légitimation des langues minorées et apprentissage. Ce retour théorique est exemplifié

par les différents terrains sur lesquels j’ai travaillé.

 Identités  linguistiques  :  retour  sur  une  notion  très  utilisée…  ou  de  l’acclimatation  raisonnée  

Les questions d’identités (linguistiques) ont été largement discutées au cours des

décennies quatre-vingt-dix et deux mille. Dans ce cadre, je voudrais revenir sur les

Page 52: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

52

utilisations que j’ai pu faire de « l’identité » en reliant les emplois de la notion au

contexte idéologique et scientifique du moment.

La notion « d’identité » me fut d’emblée imposée par les données recueillies

auprès d’enfants de migrants africains : les raisons objectives, comme par exemple la

durée du séjour en France, ne permettait pas de comprendre les comportements

langagiers divergents des Africains noirs quant à la transmission ou non des langues

d’origine. Seules les raisons d’appartenance – ou non – à un groupe auquel on

s’identifie positivement permettait d’expliquer des comportements langagiers divergents

pour la première génération. Les personnes originaires du Sénégal et des pays

frontaliers transmettaient la langue de leur groupe ethnique à leurs enfants, alors qu’il

s’agissait de langues minorées, pas toujours décrites. Certaines langues résistaient

mieux en France qu’à Dakar. A l’inverse, la majorité des personnes originaires

d’Afrique centrale privilégiaient une identité francophone alors qu’ils parlaient des

véhiculaires urbains, langues qui bénéficiaient d’un début de tradition écrite et étaient

parfois enseignées. Cependant dans les pays dont ils étaient originaires, le français

remplit des fonctions de prestige et de promotion sociale alors que ces mêmes migrants,

pour la plupart, avaient déjà perdu leurs langues ethniques à la ville (L-J. Calvet, 1994).

Les parents mettaient en place de véritables glottopolitiques familiales. L’importance

des questions identitaires m’a fait adopter le terme identité dans le titre de plusieurs

articles doc. 4, 1998 : « L’identité linguistique des enfants originaires d’Afrique noire

en France » ; doc. n° 9, 2000 : « Appartenances territoriales et identités linguistiques »

et doc. n° 10, 2000 : « Langues et identités des migrants originaires d’Afrique noire ».

Désormais, la notion d’identité est considérée comme une notion attrape-tout

« barbe à papa » selon l’expression de J-C. Kaufman (2004 : 9).

Or le concept, pour les scientifiques qui l’utilisent est devenu aujourd’hui exactement ce type de substance poisseuse, qui colle et entortille tout et n’importe quoi, le rendant très difficilement utilisable dans un travail rigoureux.

Cette idée est reprise par J-F. Dortier, 2008b, p. 314 :

Ce concept est resté longtemps marginal dans les sciences humaines. Il a fait une irruption soudaine et massive à partir des années 1990. Le terme « identité » va alors servir de point de ralliement pour désigner des phénomènes comme les conflits ethniques (décrits comme des « conflits

Page 53: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

53

identitaires »), les statuts et les rôles sociaux (l’ « identité masculine », « l’identité au travail »), les cultures de groupe (les identités « nationales » et « religieuses »), pour désigner une pathologie mentale (les troubles de l’identité) ou encore pour exprimer l’identité personnelle (quête de soi, le moi).

Les journalistes scientifiques semblent être de bons observateurs de la vie

intellectuelle du moment. Un tel inventaire à la Prévert invite à donner quelques

explications sur ses propres usages du terme, sous peine de se voir reprocher d’avoir

cédé à des effets de mode.

Il a d’abord fallu rendre compte, chez les enfants et adolescents originaire

d’Afrique noire, d’une disjonction entre les pratiques et les attitudes langagières. Les

réponses au questionnaire montraient des attitudes positives envers les langues

africaines familiales chez les enfants, qu’elles qu’en soient les pratiques, accompagnées

de réponses du type « je suis de cette langue », « nous parlons mieux il y a beaucoup de

culture » à forte connotation « identitaire ». J. Billiez (1985) avaient noté des

phénomènes similaires chez des jeunes maghrébins : la langue était alors qualifiée de

« marqueur d’identité ». On retrouve un usage similaire d’identité employé comme

complément chez J-B. Marcellesi (1986 – 2003 : 169) indicateurs d’identité pour

qualifier la propension d’un groupe à systématiser et sacraliser ses différences

linguistiques.

Pour rendre compte de données langagières recueillies auprès d’enfants et

d’adolescents, je me suis d’abord appuyée sur une définition psychanalytique de

l’identité (doc. n° 2 pp. 162-163) :

Du reste le concept d’identité a d’abord été emprunté à la psychanalyse avant d’être utilisé et remanié par des psychosociologues. C. Melman (1993) distingue quatre composantes de l’identité d’un point de vue psychanalytique, l’identité imaginaire, symbolique, réelle et symptomatique.

Je ne commentais que les deux premières.

L’identité imaginaire a trait à l’image que nous renvoie notre prochain. Dans le cas des enfants d’origine africaine, leur identité imaginaire est forcément différente de celle des autochtones, leur origine étrangère étant particulièrement visible (…)

Page 54: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

54

L’identité symbolique est composée des traits permanents du sujet : les éléments de l’histoire personnelle, les origines, la famille, la religion, la formation culturelle et l’identité sexuée. Les langues du groupe trouvent naturellement leur place dans cette composante symbolique puisque la socialisation première des enfants s’est faite dans ces langues. Celles-ci appartiennent donc à l’histoire personnelle des sujets et sont aussi un élément central dans la formation culturelle ; enfin elles réfèrent très fortement à la famille et aux origines.

Cette définition a l’avantage de considérer le développement psychique du sujet,

ce qui demeure indispensable lorsque l’on s’intéresse à des enfants et à des adolescents

devant se construire en étant confrontés à des univers de référence distincts voire

antagonistes (la famille africaine, l’école). Les limites m’en sont néanmoins apparues :

les phénomènes auxquels j’avais affaire étaient peut-être individuels mais surtout

sociaux, les parents continuant, pour beaucoup, à s’inscrire dans des pratiques

culturelles ethniquement spécifiques. Je reprochais donc à la conception

psychanalytique « d’être assez statique » et de « ne pas prendre en compte les

caractéristiques sociales ou d’appartenance groupale des sujets » (doc. n°2, 1997, p.

163). La difficulté demeurait de trouver des cadres de référence construits en Europe ou

aux Etats-Unis, mettant en avant l’individu, pour des groupes pour lesquels

l’appartenance collective était primordiale. Les univers de référence sont fort éloignés.

Je lui préférais donc la conception d’A. Mucchielli (1986), issue de la psychologie

sociale que je résumais comme suit (ibid. p. 163) :

Pour lui l’identité est l’ensemble des critères de définition d’un sujet ou d’un groupe qui sont les caractéristiques grâce auxquelles les autres identifient le sujet ou le groupe. (…) Il distingue l’identité étique (…) de l’identité subjective (…)

La définition était destinée aussi bien à l’individu qu’au groupe, cela convenant

davantage à la situation des migrants africains en France. J’insistais sur les liens

dialectiques entre individuel et social lesquels restent souvent mis sur le même plan

(sujet ou groupe cf. supra). Restait le problème de la définition de l’identité sociale et

« des autres » qui identifient le sujet ou le groupe. Pour les jeunes de la seconde

génération, l’identité ethnique s’élargissait au contact de la société française : de

Page 55: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

55

nombreux enfants et adolescents justifiaient le souhait de transmettre leur langue

première à leurs enfants par la raison suivante : je suis Sénégalais. Presque tous

connaissaient le nom de leur langue première mais, à l’exception des Pulaar,

répondaient sénégalais, malien spontanément lorsqu’on les interrogeait sur le nom de la

langue parlée en famille. Ils montraient par là une adaptation à l’interlocuteur qu’ils

estimaient a priori inculte sur le plurilinguisme africain. En revanche, la réponse

mettant en avant une identité continentale, je suis africain(e) fut davantage donnée par

les ressortissants d’Afrique centrale. Mais l’identité de groupe (qui fut à l’origine

ethnique) s’était déjà élargie dans les villes africaines à une identité nationale. Elle

subissait un second élargissement en France. Le même phénomène peut être noté pour

d’autres populations : les Algériens, Marocains, Tunisiens deviennent souvent des

Maghrébins en France dans les désignations étiques. La confrontation avec l’altérité fait

désigner par un même vocable les groupes les plus proches. La société d’installation est

importante dans la manière dont les sujets s’auto-définissent : ils reprennent souvent à

leur compte les référents utilisés pour les désigner.

A l’inverse, je notais que pour les parents sahéliens, les critères grâce auxquels

autrui identifient le sujet ou le groupe comme l’appartenance ou la réussite sociale

restaient (et continuent à rester) avant tout ceux du pays d’origine, ce qui n’était pas

toujours le cas pour la génération née ici28. La notion d’identité individuelle et

collective doit donc prendre en charge l’existence de deux espaces de référence pour les

adultes, ici et là-bas, et ce dans sa conception. Il faudrait donc un modèle, incluant les

changements de lieu, d’autrui, donc de soi pour autrui, une identité sociale à géométrie

variable. La liberté laissée au sujet peut en outre ne pas être la même dans les deux

espaces. A ce stade, il semble nécessaire de rendre compte de la contribution de F.

Héritier au séminaire sur l’identité organisé par C. Levi-Strauss en 74-75 (Lévi-Strauss

1977).

La seule armature véritable, celle qui fait et construit l’identité, est donnée par la définition sociale. La règle sociale collective s’incarne dans l’individu et lui donne son identité en lui assignant une place, un nom et un rôle dans un lignage donné : il est né dans un lignage de

28 L’importance des deux espaces de référence est justement notée par C. Deprez, 2000, dans son article intitulé « Pour une conception plus circulante des langues mises en jeu dans les déplacements migratoires ».

Page 56: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

56

maîtres de la terre ou de maitres de la pluie, de fossoyeurs ou de forgerons, il est homme ou femme, aîné ou cadet. L’identité samo est le rôle assigné et consenti, intériorisé et voulu, qui est tout entier contenu dans le nom, nom lignagier et nom individuel. F. Héritier 1977 p. 71.

Dans ce cadre, l’identité ne concerne l’individu qu’en tant que membre du groupe.

La confrontation est aussi entre société traditionnelle où les communautés s’auto-

régulent : le rôle assigné est consenti, intériorisé et voulu – et les sociétés post-

modernes où les individus sont de plus en plus sommés de construire leur propre

existence, de donner sens à leur vie. Nous en trouvons un exemple proche de nous à la

fois géographiquement et temporellement. Lors de l’enquête alternance des langues

français / pulaar, nous avons recueilli, en décembre 2010, le témoignage d’une

interprète-médiatrice (corpus Fall), travaillant pour l’hôpital du Havre depuis plus de

vingt-cinq ans et qui nous a longuement parlé du maintien de la division en castes chez

les Pulaar havrais. Les familles habitent les mêmes immeubles depuis plus de trente ans,

les pères travaillent dans la même usine mais, donner sa fille en mariage à un « captif »

ou à un « pêcheur » si on est « noble » peut être inconcevable, même si celle-ci est

enceinte29 dudit captif ou dudit pêcheur. Le code de l’honneur en vigueur au pays et les

divisions sociales assignées en fonction de la naissance demeurent30 même si elles ne

semblent plus avoir de réalité dans le nouvel environnement. Aucune pirogue ne sort du

port du Havre, les « pêcheurs » ne pêchent pas plus que les « nobles » ne travaillent la

terre. Cette place assignée en fonction du groupe d’origine est globalement contestée

par la deuxième génération.

La même acception qui met en avant l’identité groupale est partiellement reprise

par S. Mufwene31 en sociolinguistique (1997 : 160-165) :

29 Il s’agit de la position des familles les plus conservatrices. 30 La question des mariages est d’autant plus sensible que les communautés restées au Fouta sont dépendantes économiquement des migrants. Marier sa fille avec un compatriote resté au pays, c’est lui permettre de venir en France et donc de continuer les transferts d’argent (corpus Mbow). Les questions symboliques ne sont pas indépendantes des questions économiques voire du maintien de la population dans le berceau symbolique du groupe. Il faut noter que le nombre de mariages arrangés a considérablement baissé depuis la fin des années quatre-vingt-dix suite à la révolte des jeunes filles, aux campagnes de sensibilisation des associations et des pouvoirs publics, au nombre élevé de divorces qui ont suivi certains de ces mariages. 31 Dans Moreau M-L. (dir.), Sociolinguistique. Concepts de base, Bruxelles, Mardaga.

Page 57: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

57

La notion d’identité linguistique est liée de prime abord à celle de communauté linguistique. Comme cette dernière, elle est fluide, dans ce sens qu’elle change selon le discours dans lequel le locuteur est engagé. En termes ethnographiques, l’identité sociolinguistique d’un locuteur est associée à son appartenance sociale, notamment sa classe socio-économique, son ethnie dans certaines sociétés multi-ethniques, son âge, son sexe, son niveau d’éducation, sa profession, etc. (…)

On parle d’identité linguistique surtout dans la mesure où le langage révèle l’appartenance à un groupe. Ceci se manifeste plus clairement dans des territoires multi-ethniques et plurilingues où l’usage natif d’une langue donnée permet à ceux qui l’entendent et la reconnaissent d’inférer l’affiliation ethnique du locuteur.

Cet aspect de la définition insiste plus particulièrement sur l’appartenance

groupale. Cette conception est particulièrement affirmée chez les sociolinguistes qui

travaillent sur les situations diglossiques langues régionales / langues officielles : J-B.

Marcellesi (1986 (2003)), H. Boyer (2008). La notion d’identité renvoie alors à

« conflits ethniques » dans l’énumération de J-F. Dortier citée plus haut. On la retrouve

en anthropologie chez J-L. Amselle qui parle de « durcissement des identités » au cours

de la décennie 1990 (J-L. Amselle 2001), ici il est fait référence aux identités ethniques

en Afrique et ailleurs.

L’identité linguistique peut aussi être individuelle en sociolinguistique : « celle-ci

étant déterminée par des combinaisons diverses des facteurs (énumérés ci-dessus) » S.

Mufwene p. 161. Il est aussi noté que « les locuteurs portent plus souvent plus d’une

identité » ibid. p. 162. On a là une conception différente de la notion d’identité de sens

commun : ce qui est identique, ce qui est pérenne chez un individu ou un groupe, que ce

soit dans sa définition étique ou émique. Ici, il n’y aurait pas évolution de l’identité en

fonction des circonstances sociales mais changement d’identité selon les circonstances.

On note une disjonction entre les acceptions sociolinguistiques de l’identité et celle des

psychanalystes, psycho-sociologues et sociologues qui maintiennent une unité minimale

du sujet, de l’individu, du groupe dans leurs conceptions même s’ils prennent en compte

une évolution dans le temps..

On retrouve la même idée d’identités linguistiques diverses dans l’expression de

G. Zarate, (1998 : 150) pour qui l’identité se constitue comme :

Page 58: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

58

un ensemble feuilleté de possibles qui s’actualise en s’adaptant au mieux aux potentialités d’un marché linguistique instable.

La compétence langagière des sujets est plurilingue, tout en étant partielle et

évolutive (Coste, Moore, Zarate, 1997). En fonction des circonstances, des paramètres

de l’interaction, des phénomènes de convergence et de divergence que le locuteur

souhaite mettre en avant, il choisira telle langue ou telle variété, mettant en avant telle

ou telle « identité linguistique ». L’image du feuilleté est intéressante car elle rend

compte que plusieurs langues peuvent faire l’objet de sentiments identitaires, ce que j’ai

retrouvé dès mes premiers entretiens : « c’est le wolof qui nous unit », « comme on est

là c’est le français que l’on veut », « pour apprendre notre langue, je préfère qu’ils

apprennent portugais » (ils = mes enfants), extraits du même entretien à des moments

différents de la discussion (Corpus Preira – manjak, 1994) ou « je suis d’Amiens

(1998) » au Sénégal devant un véhicule en panne en pleine brousse, véhicule duquel

nous avions dû descendre mon interlocutrice et moi. L’opposition fonctions véhiculaire

/ communicative vs grégaire / identitaire proposée par L-J. Calvet en 1994 est à

relativiser, l’appropriation de nouvelles langues modifie l’identité (linguistique) des

individus, celle-ci se construit en permanence.

Cette idée est notamment développée par F. Laroussi 1997 qui insiste sur la non

univocité du processus (1997 : 23-24) :

Le concept d’identité ne semble pas être univoque. Il serait moins problématique de tenter une analyse des rapports entre langues et identité en termes d’identification. L’identité se présente moins comme un processus de référenciation dynamique et évolutif selon des critères complexes voire antagonistes, dans certains cas. Parler d’identification et non plus d’identité, c’est insister, à mon sens, sur le processus et la flexibilité du phénomène identitaire.

L’identité linguistique n’est pas forcément monolingue s’actualisant dans une

identité ethno-linguistique étroite, elle peut être plurilingue et s’actualiser en contexte.

Dans les questionnaires, les réponses concernant les langues parlées aux enfants

donnent à voir tendanciellement une identité ethnique chez les Sahéliens, francophone

pour les ressortissants d’Afrique centrale. Toutefois dans les entretiens menés auprès

Page 59: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

59

des adultes, c’est davantage une identité plurilingue qui est revendiquée par ceux-ci

comme faisant partie de l’identité africaine que l’on pourrait gloser comme suit : nous

sommes des Africains, nous parlons beaucoup de langues (Corpus AFERE). Une

modalité d’enquête qualitative permet d’avoir une vision plus affinée.

Dans les conceptions de G. Zarate ou de S. Mufwene, l’identité linguistique en

s’actualisant dans le discours perd de son unité. Dans un feuilleté, les différentes

couches sont séparées et n’influent pas les unes sur les autres32. Or, les circonstances

biographiques des sujets, inscrites dans le temps, amènent à des restructurations qui

peuvent aussi toucher les « couches inférieures », les feuilles les plus anciennes peuvent

être amenées à se modifier. Il faut aussi compter avec le sentiment d’unité du sujet qui

considère qu’il reste le même dans le temps même s’il change. L’absence totale d’unité

dans le modèle ne convient pas. Un individu qui changerait totalement « d’identité »

selon les circonstances serait suspecté de pathologie mentale par des psychologues ou

psychiatres.

Par ailleurs dans les modèles psychanalytiques, l’identité se construit par des

périodes d’identification, identisation, dans des phases successives pendant l’enfance

puis l’adolescence pour arriver à l’âge adulte, l’identité ne subissant plus de

changements majeurs à ce stade (E. Marc 2005). Cette conception convient mal aux

phénomènes migratoires qui peuvent entrainer (ou non) de profondes restructurations

dans l’identité du sujet, l’acculturation doit être prise en compte. La dynamique du

modèle ne doit pas s’arrêter au début de l’entrée dans l’âge adulte. La construction

identitaire tout au long de l’existence est prise en charge par J-C. Kaufmann 2004 qui

propose la métaphore de la double hélice, sociale et individuelle, pour représenter la

construction identitaire tout au long de l’existence, les deux hélices s’influençant

mutuellement. Il faut néanmoins que l’hélice sociale aient des pâles suffisamment larges

pour prendre en compte non seulement les attributs sociaux dans une société occidentale

comme le métier, les possessions, les réseaux relationnels, les loisirs, les engagements

éventuels, etc., et la place occupée par le sujet dans sa communauté d’origine qui peut

être la caste, la position dans la famille, etc. Cet ouvrage montre un effort conséquent de

théoriser les relations entre les dynamiques individuelles et sociales. Nous avons vu

plus haut que les termes individu et groupe sont souvent juxtaposés, séparés par une

32 C’est l’image (gourmande) de la pâte feuilletée ou du mille-feuille qui me vient à l’esprit.

Page 60: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

60

virgule ou par un ou exclusif dans les définitions de l’identité en sociolinguistique ou en

psychologie sociale mais leur articulation est rarement abordée de façon dynamique

(feuilleté, combinaison de divers facteurs). On ne sait pas comment le feuilleté évolue

dans le temps pas plus que la combinaison. J-C. Kaufmann (2001, 2004), insiste en

revanche sur les processus sociaux dans la construction identitaire. Il y a néanmoins peu

voire pas de place pour les langues dans sa théorisation.

J’ai par la suite utilisé le modèle de la double hélice dans le doc. n° 29, 2008, il est

en effet bien adapté pour rendre compte des dynamiques linguistiques en situation

migratoire, notamment pour des adolescents scolarisés en classe d’accueil. (F. Leconte

et C. Mortamet 2008 p. 168)

Kaufmann critique la conception de l’identité comme étant parfois vue comme une substance, niant les processus, à la fois individuels et sociaux, à l’œuvre dans la construction identitaire. Pour expliquer l’intrication de l’individuel et du social dans l’existence des individus, il utilise l’image de la double hélice qui rend compte des trajectoires individuelles et sociales, chacune influant sur l’autre, aucune n’étant linéaire. La notion de double hélice nous apparaît pertinente pour décrire la construction des identités plurilingues des adolescents nouvellement arrivés en France parce qu’ils ont déjà traversé des situations sociales diverses (parfois conflictuelles et/ ou dramatiques) dans lesquelles certaines langues de leur répertoire avaient des fonctions précises. Leur identité plurilingue n’est pas seulement le résultat de l’addition des différentes langues avec lesquelles ils ont été en contact. Pas plus que leur histoire personnelle n’est la simple addition des situations traversées. L’ensemble est sans cesse retravaillé par le sujet pour faire sens.

Les identités plurilingues dans cette définition sont construites, vues comme des

processus, comme nous engageait à le faire le titre de la publication : Plurilinguismes et

enseignement. Identités en construction. Nous notions en outre que certaines langues

étaient occultées, rejetées du répertoire langagier, y compris lorsqu’elles étaient des

langues premières ou de première scolarisation alors que d’autres, inconnues ou peu

pratiquées, étaient investies comme langues d’avenir. Nous avions choisi d’analyser ce

corpus selon trois axes : les langues d’évidence, d’avenir, occultées. L’écart constaté

entre les répertoires réels et les répertoires représentés, oralement et par le dessin,

montre à quel point le répertoire verbal et scriptural, acquis dans des situations sociales

Page 61: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

61

diverses et souvent imposées, est retravaillé par le sujet. Certaines langues sont

appropriées, d’autres rejetées. Cette activité réflexive est d’autant plus importante à

l’adolescence et chez des jeunes qui ont un répertoire langagier composite, complexe,

en évolution rapide du fait de leur scolarisation récente dans un collège français où on

leur propose ou non des enseignements de langue vivante étrangère. Nous verrons en

outre ci-après comment l’influence d’une situation sociale légitimante (sur de

nombreuses autres traversées pour ces jeunes) peut influer sur cette construction.

Mais avant de nous consacrer aux questions de légitimation linguistique, nous

aborderons la sécurité / insécurité linguistique qui lui est liée.

 Sécurité  /  insécurité  linguistique  

 D’une  approche  classique  mais  prenant  en  compte  l’écrit  

Une autre thématique traversant plusieurs de mes travaux et les décennies quatre-

vingt dix et deux mille concerne les phénomènes de sécurité / insécurité linguistique.

Dans mes travaux les plus anciens, j’avais retenu la définition de L-J Calvet (1993 : 50)

du couple sécurité / insécurité linguistique :

On parle de sécurité linguistique lorsque pour des raisons sociales variées, les locuteurs ne se sentent pas mis en question dans leur façon de parler, lorsqu’ils considèrent leur norme comme la norme. A l’inverse, il y a insécurité linguistique lorsque les locuteurs considèrent leur façon de parler comme peu valorisante et ont un autre modèle, plus prestigieux mais qu’ils ne pratiquent pas.

Dans cette définition, le plurilinguisme n’est pas vraiment évoqué, il le sera dans

l’ouvrage de 199933. L’expression est en outre vue uniquement sous des modalités

orales. Cette prise en compte uniquement de l’oral dans la définition de l’insécurité

linguistique ne m’a pas convenu : ayant effectué des entretiens auprès d’élèves d’écoles

primaires dans un cadre scolaire, il m’est tout de suite apparu que l’insécurité

linguistique en français était aussi liée à des tâches scripturales. J’ai donc repris la

33 L-J. Calvet 1999, Pour une écologie des langues du monde, Plon, Paris.

Page 62: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

62

première définition de l’insécurité linguistique en y adjoignant la question de la norme

scolaire et de la forme écrite pour le français (doc. n° 2, 1997, p. 192) :

J’entends par insécurité linguistique les situations où les locuteurs considèrent leur façon de parler comme peu valorisante et ont en tête un autre modèle plus prestigieux mais qu’ils ne pratiquent pas. Les enfants et adolescents se sentent en sécurité ou insécurité linguistique par rapport au français non seulement à l’oral mais aussi à l’écrit 34 car ils sont confrontés quotidiennement à la norme du français scolaire.

Par la suite, j’abordais les normes de référence pour les langues africaines qui ne

pouvaient être que différentes de celles du français. Traditionnellement en Afrique ce

sont les vieux, les plus monolingues et maniant avec le plus d’aisance les usages

littéraires de la langue comme les proverbes ou les contes, qui sont considérés comme

les meilleurs locuteurs. Il n’y avait pas ou peu, au moment de cette enquête, de fixation

de norme dans des objets écrits tels que des grammaires et des dictionnaires. Leur

diffusion était confidentielle et concernait davantage la diaspora et des militants. La

situation a certainement évolué depuis lors grâce à la plus grande diffusion des formes

écrites de certaines langues africaines, aux actions d’alphabétisation dans les langues

locales et au développement d’enseignements en langues africaines. Dans les années

quatre-vingt-dix, la représentation traditionnelle restait majoritaire (les vieux meilleurs

locuteurs, la référence étant orale) même si elle était battue en brèche chez certains

adultes migrants en France confrontés quotidiennement à l’écrit en français. En résumé

prendre en compte l’insécurité linguistique conduit à prendre en compte les instances

normatives, celles qui donnent la norme prescriptive au sens d’A. Rey (1972), celles qui

produisent les processus de sécurisation / insécurisation. Dans le cas ci-dessus les

instances normatives pour les langues africaines étaient très différentes des instances

normatives de la société française : société idéalement monolingue dans laquelle il

existe un réel fétichisme de la norme écrite.

Pour le français, il était impossible de séparer les phénomènes de sécurité /

insécurité linguistique à l’oral et à l’écrit. Les exemples de difficultés d’expression en

français qui m’ont été donnés par des enfants nés en France ou arrivés jeunes ont

souvent été des exemples d’exercices de français : ce qui semblait difficile, c’était les

34 Je souligne aujourd’hui.

Page 63: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

63

dictées, les exercices de français, les exercices structuraux. A l’inverse les exemples de

difficultés en langues africaines furent des réalia spécifiques à la société française

(moto) ou des expressions temporelles (là encore non traduisibles en L1, le temps ne

s’exprimant pas de façon linéaire dans ces langues).

Plus tard, je retrouverai les mêmes expressions d’insécurité linguistique en

français centrées sur l’écrit auprès de deux publics. Le premier est constitué

d’adolescents scolarisés en classe d’accueil, qui déclarent souvent des difficultés à

l’écrit, notamment en orthographe, alors que l’oral leur pose moins problème (doc. n°

23, 24, 27, 31). Le second réunit certains adultes en cours de perfectionnement en

français langue seconde qui me feront les mêmes remarques (corpus PALIS en cours de

dépouillement).

Pour l’appréhension de situations non hexagonales, comme celle de la Guyane

avec C. Caitucoli, nous reprendrons les travaux sur les communautés francophones

périphériques (A. Brétegnier 1996, M. Francard 1993 et 1997) pour lesquelles la norme

peut être exogène. Toutefois, là encore, ce sont des questions de légitimation de langues

minorées qui nous sont apparues décisives pour expliquer l’insécurité linguistique en

français et non le fait que la norme de référence du français serait extérieure au

département. Dans les cas d’élèves scolarisés en France, d’où qu’ils viennent, ce n’est

pas l’exogénéité de la norme qui est en cause, son extériorité n’est pas territoriale mais

sociale.

Parmi les premiers résultats que j’ai pu observer quant à l’insécurité linguistique

des enfants et adolescents originaires d’Afrique noire, j’ai d’abord pu noter une

corrélation positive entre insécurité linguistique et durée de scolarisation des parents.

La durée de scolarisation des parents influait de deux manières : les enfants dont

les parents avaient bénéficié d’une scolarité « longue » – au moins jusqu’au collège35-

déclaraient une insécurité linguistique dans leur langue africaine familiale. Mais leurs

35 Dans l’échantillon de 356 questionnaires retenus, j’ai regroupé dans une même catégorie les parents scolarisés au collège, au lycée, à l’Université, en faisant l’hypothèse que le passage au collège représentait en Afrique francophone à l’époque un gage de francisation et une acculturation minimale à l’écrit. Rappelons que dans la majorité des anciennes colonies françaises d’Afrique noire le concours d’entrée en sixième a été maintenu. Le regroupement de ces trois catégories (collège, lycée, université) représentait moins de 20 % de l’ensemble de l’échantillon, alors qu’on peut raisonnablement penser que les enfants avaient eu tendance à surestimer la durée de scolarisation de leurs parents dans une enquête menée par questionnaire écrit à l’intérieur de l’institution scolaire. La majorité des parents n’avaient pas fréquenté l’école de type occidental, certains ont néanmoins été scolarisés à l’école coranique.

Page 64: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

64

parents étaient alors le plus souvent francophones lors de leur arrivée en France et

maitrisaient alors la lecture et l’écriture dans cette langue. Dans ce cas, l’insécurité

linguistique était davantage liée à des difficultés d’expression dues à une faible pratique.

Les parents, à l’aise en français s’adressaient à eux le plus souvent en français et étaient

à même de les aider pour leur travail scolaire. Dans le document n° 3, je montre sous

forme de tableaux la correspondance entre une scolarisation des parents au moins égale

au collège et le sentiment de « ne pas bien parler sa langue familiale ». Nous avons là un

cas de figure relativement banal : de faibles pratiques entrainent des difficultés

d’expression. L’instance normative, celle qui prescrit le bien parler est en outre interne

au groupe. C’est ainsi que les enfants pulaar sont, à pratique linguistique équivalente à

d’autres groupes, légèrement plus insécures. Mais les adultes pulaar sont réputés pour

leur purisme et leur conservatisme linguistique. Il est probable qu’ils soient plus

exigeants sur les productions des enfants.

A l’inverse lorsque les parents n’avaient pas été scolarisés, les enfants et

adolescents étaient en insécurité linguistique en français : ils répondaient au

questionnaire écrit que le français était une « langue difficile à apprendre », les

adolescents (12 ans et plus) étant nettement plus insécures que les plus jeunes (9 à 12

ans) à caractéristiques sociales comparables36. Ce qui semblait révélateur dans ces

réponses, c’est la difficulté ressentie par des collégiens pour des tâches scolaires lorsque

les parents, peu ou non lettrés en français ne peuvent les aider dans leur travail. Ils

déclaraient par ailleurs très majoritairement, à plus de 75 %, expliquer des mots français

à leurs parents. L’insécurité linguistique vis-à-vis du français scolaire n’empêche pas

l’activité de médiation linguistique et culturelle telle qu’elle a été notée dans d’autres

travaux sur les pratiques langagières dans les familles migrantes (C. Deprez 1994). Pour

cette recherche, j’ai pu éclairer des résultats globaux de l’enquête par questionnaire

grâce à des entretiens semi-directifs. La difficulté supposée du français scolaire a été

glosée par un des enfants interviewés (10 ans) me disant que ce qui était difficile dans le

français c’était « de parler en faisant des phrases réponses » Corpus Moussa37, c’est-à-

36 La caractéristique sociale la plus remarquable est ici la durée de la scolarisation des parents. 37 Pour le corpus « familles africaines », j’ai interviewé en priorité d’anciens élèves que j’avais pu observer en train d’apprendre le français lors de leur scolarisation en maternelle. Au moment des entretiens, ils étaient en cycle 3. Lors de l’analyse des entretiens, je me suis remémorée une foule de détails sur la manière dont ils avaient appris le français. J’ai aussi interviewé des adultes que je

Page 65: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

65

dire de parler selon les modèles des exercices structuraux. Mais personne ne parle

comme un exercice structural ! Personne ne fait subir de transformation à ses énoncés !

En résumé l’insécurité linguistique en français se développe par rapport à la norme

scolaire et non par rapport à l’idiome parlé quotidiennement, elle est doublée d’une

insécurité scripturale. L’instance légitime, celle qui prescrit la norme est extérieure au

groupe.

L’insécurité scripturale influe sur l’insécurité linguistique orale et vice versa.

Lorsque la langue première (au sens de première langue acquise) est différente de la

langue de l’environnement, c’est-à-dire pour nous la langue de scolarisation, c’est avant

tout la variété scolaire très influencée par l’écrit qui sert de modèle, quand bien même la

variété parlée dans l’environnement est différente de la variété scolaire. Les questions

de plurilinguisme sont largement liées aux questions de plurilectalisme dans ce cas.

En relisant avec plusieurs années de recul les entretiens, j’ai le sentiment que les

phénomènes d’insécurité oraux et scripturaux sont souvent abordés distinctement par

des chercheurs et dans des sous-domaines différents. L’étude de l’insécurité / sécurité

linguistique est du domaine traditionnel de la sociolinguistique, elle fait même partie de

ses travaux fondateurs (W. Labov 1976). Dans ce cas, l’insécurité linguistique était

étudiée dans un contexte monolingue ou tout du moins construit comme tel. La sécurité

/ insécurité linguistique sera d’autant plus prise en compte que l’insécurité linguistique

est désormais considérée comme étant à l’origine d’évolutions linguistiques. C’est du

reste le changement phonétique, exclusivement oral, qui a d’abord été étudié et l’on sait

que l’écrit est plus conservateur. En revanche, les questions de lecture / écriture, les

études littératiques me semblent peu en lien avec la problématique de la

sécurité/insécurité. L’insécurité linguistique scripturale conduit souvent à la paralysie à

l’inhibition : les gens n’écrivent pas ; cela est plus difficile à étudier. On étudie les

difficultés d’entrée dans l’écrit dans le domaine didactique, davantage d’un point de vue

cognitif. Une autre entrée possible est l’étude de pratiques sociales littératiées38, souvent

en milieu populaire mais rarement plurilingue, sans lien avec l’école ou l’apprentissage.

connaissais par le biais de relations professionnelles ou des responsables d’associations. Aux modalités d’enquête traditionnelles, questionnaires, entretiens s’est ajoutée l’observation participante. 38 C’est le cas des New litteracies studies, initialement développées en Angleterre. Pour une synthèse voir Fraenkel et Mbodj-Pouj, 2010.

Page 66: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

66

Les travaux récents autour de la plurilittératie39 me semblent donc prometteurs en ce

qu’ils vont permettre de réfléchir à des problématiques jusque là séparées alors qu’elles

peuvent être co-constructrices des mêmes réalités sociales et langagières.

Il est probable que les difficultés particulières d’entrée dans l’écrit en français

dues aux spécificités de l’orthographe française aient un peu masqué ce lien entre les

deux formes d’insécurité. Elles apparaissent pourtant clairement dans notre corpus

« enfants d’origine africaine », l’insécurité en français apparaît d’autant plus forte que la

norme est extérieure aux usages ordinaires, les modèles de langue s’appuyant avant tout

sur des formes écrites, quand bien même elles sont oralisées. On peut aussi penser à une

extériorité des exercices métalinguistiques. La question de l’acculturation à l’écrit est

prégnante dans cette insécurité vis-à-vis de l’écrit. On verra dans le chapitre suivant que

la lecture d’un album pour enfants est, à l’inverse, une activité très appréciée par les

jeunes enfants originaires du Maghreb et d’Afrique noire. Mais il s’agit d’un genre qui

conserve certaines caractéristiques de l’oralité, qui procure du plaisir à l’écoute et à la

lecture, beaucoup plus que les dictées et les exercices structuraux…

 A  une  approche  plurilingue  prenant  en  compte   les  processus  de  légitimation  

Les enfants les plus en insécurité linguistique en français développaient en outre

un rapport aux apprentissages quasi tautologique : « apprendre le français ça sert à faire

des dictées ». Or le rapport au savoir tautologique est significatif du rapport au savoir

des élèves en difficulté scolaire (B. Charlot, E. Bautier, J-Y. Rocheix, 1993). Mais cette

extériorité de la norme scolaire de la « langue française » pouvait devenir paralysante et

empêcher tout réinvestissement des apprentissages langagiers d’une langue à une autre :

ainsi Moussa considérait que des énoncés comme « n’allume pas la télé » ou « va

dormir » étaient des « mots » français parce que prononcés par sa mère.

Les notions de « mot » et de « phrase » pourtant apprises à l’école dès le début de

la scolarité ne pouvaient être réinvesties pour décrire des usages langagiers ordinaires,

pas plus que Moussa ne pouvait imaginer ou décrire des pratiques mixtes. Moussa,

comme Monsieur Jourdain, faisait spontanément des phrases sans le savoir. Le français

39 Certains ont été développés lors de la journée notions en question en didactique des langues du 28 janvier 2011, les littératies.

Page 67: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

67

était parfois interdit à la maison par son père, la coépouse40 de sa mère ne parlant pas le

français. On assistait alors à une réification linguistique et culturelle des espaces dans

lesquelles chacune des langues pouvait être utilisée : le soninké exclusivement à la

maison, seule langue parlée par les adultes à la maison dans ses représentations, le

français à l’extérieur et à l’école. Mais le modèle scolaire, « la langue française »

semblait bien inaccessible, les modèles de langue donnés n’étant jamais utilisés en

dehors de l’exercice structural41. Les savoirs métalinguistiques ne pouvaient être

réinvestis pour une autre langue que le français voire même pour des pratiques

ordinaires. La flexibilité cognitive tant vantée des enfants bilingues n’était visiblement

pas au rendez-vous. Des remarques similaires ont été faites par V. Castellotti et D.

Moore (2005 : 118) Le bilinguisme ne suffit pas. Le réinvestissement des savoirs

métalinguistiques acquis en français vers une tâche langagière dans une langue

inconnue n’est pas systématique. Dans l’étude de V. Castellotti et D. Moore, il

s’agissait d’une tâche collaborative. Il semble que les enfants éveillés au langage

développent des compétences supérieures aux enfants n’ayant pas bénéficié de cet

enseignement dans le réinvestissement des savoirs métalinguistiques pour d’autres

langues. L’avantage bilingue tend à disparaître si les langues sont apprises de manière

cloisonnée.

Moussa avait en outre répondu dans le questionnaire écrit l’année précédent

l’entretien : « non pasque j’ai la honte » à la question posée sur l’éventualité d’un usage

de la langue familiale avec d’autres adultes que ceux de la famille. Cette réponse,

marque d’intériorisation de la minoration ? Constitue un appel à l’adulte venant faire

passer le questionnaire. Elle m’avait en tout cas rendu perplexe. On ne peut pas parler

ici de phénomène de masquage, il aurait très bien pu ne pas répondre à la question. La

langue familiale était illégitime dans l’espace public. L’année suivante, « la honte » était

réapparue sous forme orale cette fois. L’explication donnée à la honte ressentie lorsqu’il

entendait parler sa langue familiale et identitaire dans l’espace public fut « parce qu’ici

c’est pas comme dans notre pays. Ici on parle plus le français et là-bas le français et le

soninké », pouvait se comprendre comme une question de proportion de langues

40 L’interdiction de la polygamie en France a conduit toutes les familles polygames à « dé-cohabiter », l’épouse étant arrivée le plus tard s’est vue proposer un logement HLM dans le même quartier sous peine de ne pas voir sa carte de séjour et celle de son mari renouvelées. 41 En voici un exemple, l’élève doit opérer une transformation passive. Sur le modèle le chat mange la souris, la souris est mangée par le chat ; la souris mange le fromage / le fromage… etc.

Page 68: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

68

employées dans l’espace public. Juste après ces propos, il explique que d’entendre le

wolof dans l’espace public français ne le dérange pas parce que sa mère l’utilise

beaucoup. Ainsi si le soninké langue d’appartenance était illégitime dans l’espace

public français, le wolof, langue véhiculaire, était légitime.

La notion de sécurité / insécurité linguistique a été reprise par L-J. Calvet (1999

pp. 159-173) pour y intégrer les situations plurilingues. Il reprend alors la notion de

sécurité42 linguistique formelle : lorsque le locuteur a l’impression de bien parler la

langue A, qui correspond aux premières définitions du couple sécurité / insécurité et

inclut les travaux dans les communautés francophones périphériques (M. Francard

1993). La sécurité linguistique formelle renvoie aux définitions traditionnelles de

l’(in)sécurité linguistique, elle est donc bien connue.

S’y ajoute la sécurité / insécurité linguistique identitaire, ce qui caractérise la

communauté. Le locuteur parle-t-il ou non la langue qui caractérise sa communauté ? L-

J. Calvet prend l’exemple du Mali plurilingue pour présenter sa théorie. Dans le cas des

enfants de migrants quels qu’ils soient, la langue qui caractérise la communauté ne

s’emploie pas toujours au singulier. L’identification peut se faire au groupe d’origine,

au quartier, à la société d’installation. Là encore nous pouvons reprendre la

représentation sous forme de cercles concentriques, développée plus haut pour

modéliser les relations interethniques - du plus proche au plus éloigné, sachant que les

trajectoires d’identification sont des trajectoires dynamiques, qu’il existe une forte

restructuration à l’adolescence. On ne peut comparer la dimension identitaire de la

sécurité linguistique à ce qui se passe au Mali où l’attribution groupale est plus simple

et davantage statique. Je manierai donc cette notion de sécurité / insécurité identitaire

avec précaution en contexte migratoire et la relierai à la discussion plus générale sur

l’identité.

La troisième dimension de la sécurité / insécurité linguistique est statutaire : la

langue que je parle est-elle légitime ? Dans le cas de Moussa analysé plus haut, il y a

sécurité linguistique identitaire mais insécurité linguistique formelle et statutaire. La

langue identitaire est illégitime dans l’espace public, elle provoque la honte de ses

locuteurs lorsqu’elle est employée dans des lieux publics tel le marché. Pour Moussa,

42 Les oppositions ne sont jamais binaires mais se situent sur des continua. Je présente des cas prototypiques à dessein sachant que les situations sont souvent plus nuancées.

Page 69: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

69

Ce n’est pas le cas des véhiculaires, qui n’ont pas de dimension identitaire, et qui sont

donc beaucoup plus neutres pour le sujet.

Les situations sociolinguistiques migratoires ne sont pas seulement des situations

de contacts de langues se vivant sur un mode non conflictuel (Matthey 2010) mais

portent en elles la violence symbolique de la domination, celle-ci pouvant être exprimée

ou non, pouvant être ressentie ou non, pouvant être intériorisée à des degrés divers.

J’ai analysé dans la même recherche le cas d’un enfant originaire du même groupe

ethnique que Moussa, scolarisé dans le même groupe scolaire, aux caractéristiques

sociales comparables mais présentant un profil langagier différent. Il n’y a pas chez

Amadou d’insécurité linguistique formelle en français pas plus que d’insécurité

linguistique statutaire (doc n° 6 pp. 171-173). Les stéréotypes éventuels sur son groupe :

les immigrés auraient un accent, par exemple sont rejetés. Les mêmes remarques

peuvent être faites pour son frère (doc n° 2 pp. 226-228). Ce qui est surtout

remarquable, c’est que cette sécurité linguistique en français et en langue première est

corrélée à des compétences métalinguistiques élevées43. Les deux garçons, âgés de neuf

et dix ans au moment des entretiens, étaient capables de repérer les emprunts de leur

langue familiale au français et de faire la différence spontanément entre emprunts

intégrés et non intégrés « tu vois ils transforment le mot », « comment ils disent

football », de repérer des phénomènes fins d’alternances de langues44, y compris à des

fins stylistiques. Ici, la variable était familiale et surtout subjective. Les études de cas de

personnes aux profils langagiers et sociaux comparables montrent l’irréductibilité du

sujet aux caractéristiques sociales ou ethniques.

A la lumière des autres études de cas qui confirmaient ces corrélations entre

compétences métalinguistiques élevées et absence d’insécurité linguistique formelle et

statutaire, j’ai proposé de mettre en relation ces faits avec l’intériorisation de la

minoration définie comme suit (doc. n° 2 pp. 213-214).

43 La comparaison systématique entre un enfant de chaque famille sécure / insécure a été reprise dans le document 6. 44 « Elle (sa mère) dit dagandevwadeberi ça veut dire va faire tes devoirs », (littéralement va devoir faire). Il s’agit d’un exemple parmi d’autres, se reporter aux documents 2 et 6 pour des compléments.

Page 70: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

70

J’appelle intériorisation de la dévalorisation45 le processus par lequel les locuteurs de langues minoritaires ont intériorisé la minoration sociale de leurs langues. Tous les enfants sont conscients à des degrés divers de la dévalorisation sociale des langues et cultures africaines mais elle n’est pas vécue par tous de la même manière. Pour certains, la dévalorisation exprimée par l’environnement social étendu est compensée par une valorisation de la langue et de la culture dans l’entourage proche : famille, communauté, école, quartier, etc.

D’autres sont conscients de la dévalorisation linguistique et culturelle mais la rejettent et peuvent alors revendiquer une résistance culturelle. Enfin, certains sujets ont intériorisé la dévalorisation sociale qui touche les personnes porteuses de cultures non légitimes et locutrices de langues ou de variétés dominées et peuvent la reprendre à leur compte. L’intériorisation est perceptible par l’expression d’un sentiment de gêne ou de honte devant l’emploi public de la langue ou par la dévalorisation de la langue elle-même.

Mon emploi du terme intériorisation reprend la seconde définition de Laplanche et

Pontalis (2004 (1967) p. 206) : En un sens plus spécifique, processus par lequel des

relations intersubjectives sont transformées en relations intrasubjectives

(intériorisation d’un conflit, d’une interdiction). Par ailleurs celle-ci est perceptible et

accessible dans le discours, comme les autres représentations langagières.

Cette intériorisation de la minoration était manifeste chez une autre de mes

anciennes élèves auprès de qui j’avais conduit un entretien, Kakou (10 ans) qui a pu me

parler de ses langues et de la manière dont elles les avaient apprises seulement après

qu’elle m’a traduit du français en manjak. Elle a pu alors me dire que la langue parlée à

la maison était le manjak, langue minoritaire et minorée. Or Kakou a été une élève

présentant un mutisme électif (Dahoun 1995) ; les deux premières années de maternelle,

alors qu’elle comprenait parfaitement le français, qu’elle parlait français et manjak à la

maison, français dans la cour de l’école et parfois en classe, elle se taisait dès qu’un

adulte approchait. D’autres élèves, maghrébins, étaient aussi mutiques électifs. Kakou

est devenue à l’aise dans l’entretien une fois qu’elle a pu s’exprimer en manjak.

45 Dans cette première définition, j’hésite entre « dévalorisation » et « minoration ». Dans des publications ultérieures, par exemple dans le document 3, j’ai préféré intériorisation de la minoration qui me semble plus juste car davantage centré sur les processus langagiers.

Page 71: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

71

L’interdit que ces enfants portent vis-à-vis de leur langue familiale dans l’espace public,

qui peut aller jusqu’à la honte, conduit non seulement à une souffrance mais peut obérer

leurs résultats scolaires puisque le réinvestissement de certains apprentissages se fait

plus difficilement, les univers affectifs et cognitifs des sujets étant cloisonnés. De plus,

dans le cas de l’apprentissage d’une langue seconde, le passage par la production orale

est important. S’il est vrai que l’on a tendance en didactique des langues aujourd’hui à

considérer voire à enseigner les différentes composantes de la compétence

(compréhension écrite et orale, production écrite et orale) comme étant indépendantes

voire autonomes (Beacco 2008), il me semble à l’inverse que ces différents niveaux

sont interdépendants, surtout chez des enfants en cours d’apprentissage du français

langue seconde et langue de scolarisation. Les besoins langagiers d’un enfant scolarisé

en français en France sont oraux et écrits.

Chez les plus jeunes, certains ne s’autorisent à parler en classe que lorsqu’ils sont

suffisamment sûrs de leur production et de son adéquation avec le français. Il faut aussi

que l’école univers étrange, le devienne un peu moins pour être moins angoissant et que

la parole puisse se libérer. Après la publication de l’ouvrage La famille et les langues, je

m’étais promis de continuer à travailler sur le sujet, c’est d’ailleurs la conclusion de la

seconde partie de l’ouvrage (doc. n°2 pp. 254-256). La participation à des projets de

recherche collectifs au sein de l’équipe Dyalang46 puis un recrutement à l’université

d’Orléans et ma participation au projet palikur ne me l’ont pas permis. Cette

préoccupation est restée en friche. J’ai néanmoins perçu des phénomènes similaires

chez les enfants amérindiens scolarisés mais n’ai pas pu approfondir suffisamment dans

des entretiens. L’intériorisation de la minoration était telle qu’ils ne s’exprimaient que

très peu (voir doc. 37, 2011) dans la langue de scolarisation. J’ai d’abord eu affaire à

des Indiens silencieux.

J’ai cependant retrouvé des situations fortement comparables chez deux

adolescentes yézidies lors d’entretiens menés auprès de collégiens de classe d’accueil,

originaires l’une d’Arménie, l’autre de Géorgie, alors que l’interrogation portait

davantage sur les représentations du plurilinguisme et le rapport à l’écrit. On retrouve

des corrélations entre une (in)sécurité linguistique statutaire vis-à-vis de la langue parlée

46 Il s’agit des recherches collectives Récit enfantin et Hétérogénéité linguistique des élèves et des étudiants dans l’académie de Rouen présentées au chapitre suivant.

Page 72: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

72

à la maison, langue elle-même minorée dans le pays d’origine, une (in)sécurité formelle

en français et une difficulté à investir son apprentissage.

La première adolescente47 était à l’aise avec ses pratiques en langue familiale, ne

reprenant pas à son compte la minoration dont sa langue familiale pouvait faire l’objet,

progressant vite en français et ayant une appréhension très fine de son répertoire

langagier –isit (yézidi), géorgien, russe, français, anglais, allemand– de ses usages

actuels et passés. Dans ce cas, sa langue familiale était le yézidi48, langue kurde parlée

par la population yézidie, Kurdes restés fidèles à la religion zoroastrienne et subissant

des persécutions diverses dans tous les pays où ils sont implantés, Arménie, Géorgie,

Turquie, etc. De ce fait, une partie non négligeable de cette communauté est exilée en

Europe. Pour autant, les persécutions dont son groupe font l’objet, et qui l’ont très

certainement conduite en France, ses parents étant en attente du statut de demandeur

d’asile quand nous l’avons rencontrée, ne l’empêchaient pas d’avoir une représentation

très harmonieuse de son plurilinguisme, chaque langue étant représentée par un livre49.

Les livres étaient dessinés dressés, couchés, en train de s’élever ou de tomber selon

l’évaluation qu’elle avait de sa pratique au moment de l’enquête et de l’évaluation de

ses compétences. Le yézidi, seule langue qu’elle ne connaissait qu’à l’oral, était

représenté comme les autres par un livre.

L’autre adolescente, Achot, avait dessiné trois langues : arménien langue officielle

et véhiculaire de son pays d’origine, le russe appris à l’école et le géorgien appris lui

aussi à l’école. Ces trois langues ont des statuts prestigieux représentant différents

niveaux d’officialité dans la région. Dans la suite de l’entretien (conduit en français),

nous apprendrons l’existence d’une autre langue, le yézidi, parlé en famille. Ici on a

affaire à un processus d’occultation, la langue parlée en famille est dans un premier

temps « cachée » à l’enquêteur, puisque susceptible de conduire à des persécutions. Elle

est de plus rejetée par le sujet qui n’investit que l’arménien, langue officielle du pays

d’origine, comme langue identitaire, opérant par là une rupture forte avec sa famille qui

continue à parler yézidi. On a là un exemple d’insécurité identitaire telle que définie par

47 Une présentation davantage exhaustive des représentations du plurilinguisme de cette adolescente que nous avons appelée Iryna se trouve dans les documents 23, 29, 31. 48 La particularité des Yézidis est religieuse et culturelle mais pas linguistique. Ils parlent le plus souvent le dialecte kurmandji, majoritaire. 49 Pour cette recherche, nous avons utilisé plusieurs modalités d’enquêtes dont des dessins et des entretiens.

Page 73: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

73

L-J. Calvet (1999 : 167-170). A la suite du premier entretien, elle souhaitera refaire un

dessin où elle fait figurer outre le yézidi, le français, ainsi que le turc – langue des

persécuteurs mais aussi langue représentée dans sa classe – et l’arabe, présent aussi dans

l’environnement. Là encore, il a fallu que l’existence de la pratique familiale de la

langue non légitime soit « avouée » pour qu’il soit fait mention du français. Pourtant

elle était scolarisée dans cette langue depuis son arrivée en France et elle la parlait

suffisamment bien pour pouvoir s’entretenir avec moi. L’insécurité linguistique

statutaire et identitaire semble corrélée avec une difficulté à investir l’apprentissage de

la langue de l’environnement. Il lui fut impossible de considérer le français comme

faisant partie de son répertoire tant que la première langue, au sens chronologique du

terme n’était pas dicible.

J’ai indiqué plus haut que l’intériorisation de la minoration était accessible dans le

discours (définition de 1997), j’ajouterai aujourd’hui qu’elle se construit et se

déconstruit dans le discours. On peut se demander si elle est toujours là une fois qu’elle

s’est exprimée, elle est alors en partie extériorisée. Là encore il faudrait formaliser les

choses sous forme de continuum et non dans le cadre d’oppositions binaires. Ces

quelques exemples montrent en outre que le chercheur ne vient pas recueillir des

représentations langagières qui seraient préconstruites et qui attendraient une situation

pour se révéler. L’entretien auprès d’Achot et la comparaison entre les deux dessins

montrent bien une modification des représentations induite par la situation d’entretien,

une co-construction du discours.

Par ailleurs, il est probable que les personnes locutrices de langues minorées dans

leur environnement actuel ou passé soient conscientes de la minoration de certaines de

leurs langues et l’aient intériorisée. On a ici affaire au principe de réalité. Lorsque cette

intériorisation est vécue sans tiraillements ou difficultés identitaires particulières, elle

peut se manifester sous la forme de conscience sociolinguistique au sens de L. Dabène

1994. Cela ne conduit pas toujours à des phénomènes d’occultation, de souffrance, de

difficultés à investir la langue de l’environnement.

A priori, on pourrait penser que ce n’est pas l’environnement actuel qui est

responsable de la minoration du yézidi et de l’intériorisation de celle-ci par une

adolescente récemment arrivée en France. Celle-ci serait d’abord une affaire de

Caucasiens, l’intériorisation de la minoration, peu perceptible dans le premier cas,

Page 74: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

74

manifeste dans le second n’aurait pas grand chose à voir avec l’environnement français

mais serait une conséquence des situations sociolinguistiques complexes du Caucase et

du maintien de phénomènes de domination de certaines communautés par d’autres,

l’effondrement du régime soviétique et le climat de guerre larvée qui lui a succédé

venant raviver des conflits anciens. L’intériorisation ou non serait fonction des

situations particulières de ces adolescents ayant certainement traversé des moments très

difficiles avant d’arriver en France, de même que l’on pourrait relever des variables

« famille » ou « individuelle » pour les enfants originaires d’Afrique noire dont il a été

question plus haut. Le fait de cacher l’existence d’une lange minorée à un enquêteur

peut en outre être perçu comme un réflexe de protection ou de survie plutôt sain,

compte tenu des circonstances : la scolarisation dans un pays peu ouvert au

plurilinguisme, la fuite du pays d’origine, les difficultés à obtenir le statut de réfugié,

etc.

Pourtant lors d’un premier travail sur ce corpus, nous cherchions des régularités

fortes entre élèves originaires d’Afrique noire, que nous pensions différentes de

régularités observées chez des élèves originaires des anciennes républiques soviétiques

(cf. supra). Nous avions construit notre corpus en fonction de cette hypothèse. Ces

régularités ne nous sont pas apparues dans un premier temps (doc. n° 23) nous les avons

retrouvées plus tard (docs n° 29 et 31), elles n’étaient pas les plus évidentes. Il nous a

d’abord sauté aux yeux et aux oreilles que les adolescents vivaient différemment leur

plurilinguisme en fonction de la glottopolitique du collège dans lequel ils étaient

scolarisés vis-à-vis du plurilinguisme. Le présent était plus important que le passé fut-il

proche. Dans le collège A (Iryna) les élèves étaient autorisés à utiliser des langues avec

des fonctions véhiculaires en classe (russe et arabe surtout) et étaient intégrés dès leur

arrivée dans des cours de langues étrangères, anglais, allemand et espagnol. Dans le

collège B (Achot), les élèves se voyaient interdire l’usage de langues autres que le

français jusque dans la cour et ne participaient à aucun cours de langue vivante

étrangère, même s’ils avaient commencé cet apprentissage dans leur pays d’origine. La

glottopolitique était « tout français ». On retrouve ici l’absence de légitimité des langues

autres que le français, donc des langues premières dans l’espace scolaire et public.

L’hypothèse selon laquelle l’intériorisation de la minoration est la conséquence de

la glottopolitique « tout français » du collège, celle-ci renforçant la minoration est

Page 75: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

75

néanmoins insuffisante. Elle propose une causalité unique alors que l’on a affaire à des

situations complexes, des parcours souvent chaotiques. Pour autant, il semble que

l’institution scolaire a un rôle à jouer dans ces phénomènes d’insécurité statutaire et par

voie de conséquence de difficultés à investir les apprentissages langagiers en français.

Par ailleurs, en Guyane, les questions de légitimité linguistique et culturelle des

communautés palikur et karipouna me semblent fondamentales dans l’appréhension des

difficultés scolaires, même si elles ne sont pas les seules. En 2003 nous50 concluions

notre article décrivant la situation sociolinguistique de Saint-Georges de l’Oyapock en

insistant sur la dépossession linguistique et culturelle de la communauté palikur.

J’ai souhaité insister sur ces phénomènes et décrire à nouveau des cas particuliers

dans cette note de synthèse car il me semble qu’au-delà de quelques cas emblématiques

ou exotiques (guyanais), les questions de dévalorisation des langues minorées en

contexte scolaire ont un coût affectif et cognitif considérable et concerne peu ou prou

les élèves parlant une ou des langues voire une variété minorée à la maison, ce qui fait

beaucoup de monde. L’institution scolaire ne peut pas à elle seule contrer le racisme

ambiant et les diverses idéologies de la domination linguistique mais peut en atténuer ou

en aggraver les conséquences, avoir un rôle de sécurisation ou d’insécurisation

linguistique.

Par ailleurs il est important de sortir d’une vision monolingue de la sécurité

linguistique, celle-ci étant surtout vue dans son aspect formel. Les deux autres

dimensions relevées par L-J. Calvet 1999 : statutaire et identitaire, sont importantes

dans toute situation de contacts de langues. Il est difficile de proposer une nouvelle

modélisation de ces trois paramètres à partir de quelques cas particuliers. La thèse de I.

Lebrun-Boudart, portant sur la sécurité et l’insécurité linguistiques dans une ville

mauritanienne (Sélibaby) au centre de contacts de langues révélateurs de conflits

linguistiques, politiques et identitaires, permettra, je l’espère, de reprendre le modèle et

d’y adjoindre une réflexion sur les influences mutuelles des différents paramètres. Le

fait qu’elle s’intéresse à l’ensemble des communautés en contact et non à une seule

devrait le permettre. Ici les enjeux ne sont pas tant cognitifs et scolaires que politiques.

50 Il s’agit du doc 13 écrit en commun avec C. Caitucoli.

Page 76: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  2  :  Identité,  (in)sécurité  linguistique,  légitimation  

76

Nous allons désormais nous intéresser aux situations d’appropriation du français

langue seconde et aux questions de norme dans le chapitre suivant qui croisent les

thématiques étudiées ci-dessus.

Page 77: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

 

Chapitre  3    

 

L’appropriation  du  français  en  

contexte  plurilingue  et  plurilectal  :  

genres  et  normes  

Les travaux que je vais désormais présenter ont été effectués dans le cadre de

recherches collectives menées dans le laboratoire Dyalang peu de temps après ma

soutenance de thèse, avant mon recrutement à Orléans51. Ils ont en commun le fait de

s’intéresser au terrain scolaire dans une perspective sociolinguistique. Le premier

d’entre eux, dirigé par R. Delamotte-Legrand a porté sur l’acquisition du récit par des

enfants de cinq à six ans dans des contextes divers. Pour le second, l’équipe qui a mis en

place le projet L’hétérogénéité des élèves et des étudiants dans l’Académie de Rouen :

répertoires, pratiques, représentations autour de C. Caitucoli a choisi une approche

sociolinguistique et non pas didactique bien que l’appel à projet du Centre National de

Coordination de la Recherche en Education (CNCRE) portait sur les liens entre

« hétérogénéité » et « échec scolaire ». A chaque fois, j’ai été chargée de mener un

travail de terrain dans les banlieues pluri-ethniques, le cadre de ces recherches étant plus

large.

51 Si les enquêtes ont été effectuées à Rouen, l’analyse des corpus et la rédaction d’articles, seule ou en collaboration, s’est prolongée à Orléans.

Page 78: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

78

L’appropriation   du   français   langue   seconde   à  l’école  maternelle  

Le point de départ de cette recherche, dirigée par R. Delamotte-Legrand, est la

notion de socialisation langagière (Delamotte-Legrand 1997 : 77-78) qui permet de

rendre compte de la manière dont les enfants s’approprient les genres langagiers de leur

entourage et les modifient pour créer une parole enfantine qui leur est propre. Cette

notion prend en compte le fait que les enfants sont socialisés dans des instances diverses

et qu’ils construisent leur capacité de langage dans des interactions s’effectuant dans

différentes langues ou variétés et dans lesquelles ils assument des rôles divers. Ce cadre

posé, nous nous sommes intéressés à un genre universel, très usité avec les enfants sur

des supports divers : le récit. Nous avons alors mené des enquêtes selon une double

modalité : des questionnaires écrits passés auprès des familles dans différents milieux

sociaux pour connaître les pratiques narratives dans les familles avec des enfants d’âge

préscolaire. Nous avons d’autre part recueilli des récits auprès d’enfants de cinq à six

ans. Nous souhaitions en effet analyser des récits avant l’entrée autonome dans la

lecture. Les modèles langagiers auxquels les enfants étaient confrontés et qu’ils

s’appropriaient étaient donc des genres oraux : le conte, la narration d’événements

familiaux ou autres - ou écrits mais médiés par des supports oraux comme la voix d’un

enfant expert ou d’un adulte (enseignant, parent) qui lit une histoire dans un livre. Il

pouvait aussi s’agir de supports vidéos, à l’époque des cassettes à regarder sur un

magnétoscope qui avait fait une incursion importante et récente dans les familles. A

cette époque l’influence des dessins animés produits de la culture américaine, puis

japonaise semblait forte. Il semblait à l’équipe que la pratique familiale consistant à

« mettre les enfants devant une cassette » était suffisamment répandue pour que le genre

langagier « film pour enfants » influence les pratiques narratives de ces derniers. Nous

nous sommes donc attachés aux modèles du récit dans deux institutions, l’école et la

famille, en y incluant les médias.

Quelques  remarques  sur  les  modalités  d’enquête  

J’ai enquêté dans une école maternelle de la banlieue rouennaise, l’école Wallon à

Saint Etienne du Rouvray, qui avait la particularité d’accueillir une très grande majorité

d’enfants d’origine étrangère (plus de 90 %). Cette école avait deux autres particularités

Page 79: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

79

qui peuvent paraître anecdotiques. La première est qu’elle se situait à cinq cents mètres

de l’école maternelle où j’enseignais52. Cette dernière était aussi une école de quartier

populaire mais comportait une moindre proportion d’enfants d’origine étrangère. J’ai

donc pu recueillir, à titre de comparaison, un récit ou deux dans ma classe et faire passer

les questionnaires aux parents de l’école53. Le but était d’isoler une variable

« ethnique » ou d’origine culturelle, de voir si les familles migrantes avaient des

pratiques du récit différentes de celles des « Français de souche ». En revanche, je n’ai

pas souhaité mener une enquête complète dans l’école où je travaillais, j’avais besoin de

sérier les rôles (institutrice / chercheure) tant vis-à-vis de mes collègues, pour ne pas

développer une trop grande altérité, que vis-à-vis des élèves et des parents. La seconde

particularité était que ma sœur travaillait dans l’école maternelle Wallon où furent

recueillies les narrations enfantines, ce qui m’a facilité les choses. Ce point est à prendre

en considération pour l’analyse des enregistrements de récits faits par les enfants et la

prise en compte de la relation enquêteur / enquêté. Nous avons la même voix. Nous

nous ressemblons physiquement. Pour les enfants qui venaient me raconter leur histoire,

il existait une impression de familiarité, je ressemblais beaucoup à « une maitresse ».

De plus, il est peu probable que je me sois complètement défait de mon habitus

professionnel en parcourant les cinq cents mètres qui séparaient les deux écoles. Mais je

retrouvais la liberté d’être vraiment chercheure dans une école où je n’enseignais pas.

Ce choix a été davantage intuitif que réfléchi.

Par ailleurs malgré la collaboration de l’équipe enseignante, il n’a pas été possible

de faire passer les questionnaires aux familles : seule une minorité était lettrée en

français, ce qui était en soi une information sur les compétences en français des parents

et partant sur les pratiques langagières dans les familles. Quelques questionnaires ont

été remplis par les enseignantes après une interrogation orale des parents qui parlaient le

mieux français mais surtout, j’ai demandé aux enfants quelles étaient les pratiques de

récits dans la famille : « qui racontait des histoires à la maison ? », « De quelles

histoires il s’agissait ? ». La comparaison a donc été faite entre des questionnaires

remplis par des adultes et les réponses des enfants aux mêmes questions. Ensuite, j’ai

demandé aux enfants de me raconter l’histoire de leur choix, ce pouvait être des

52 L’enquête a été effectuée en 1998. 53 D’autres membres de l’équipe ont fait passer le questionnaire dans des quartiers socialement différents. Des comparaisons plus globales ont pu être menées.

Page 80: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

80

histoires entendues à la maison ou à l’école. J’ai ainsi recueilli une trentaine de récits en

entretien individuel ou à deux au choix, les enfants pouvant venir « avec un copain ou

une copine » s’ils étaient intimidés. Dans l’ensemble, ils étaient ravis d’avoir un espace

de parole individuel avec un adulte, pour certains d’être enregistrés, l’activité a plu, le

corpus s’est révélé intéressant. L’impression de familiarité que les enfants ont eue a

contribué à libérer la parole.

Là encore, je ne souhaite pas présenter l’ensemble des analyses qui sont

développées dans les documents 11 (2000) et 20 (2005) mais voudrais revenir sur

quelques résultats.

 La  répartition  des  apprentissages  langagiers  au  sein  de  la  famille  

J’ai souligné dans les chapitres précédents que dans les familles africaines, la

majorité des parents transmettaient leur langue familiale à leurs enfants. L’enquête dans

l’école Wallon montre qu’il en est de même pour les familles d’autres origines. J’y ai

aussi souligné le rôle des enfants dans les familles migrantes (africaines) qui peuvent

être amenés à expliquer des mots français à leurs parents ou, plus globalement, à servir

de médiateurs linguistiques et culturels entre la famille et les différentes institutions

françaises. Ce rôle est surtout dévolu aux ainés. L’acculturation familiale l’est aussi à

l’écrit lorsque les parents sont non lettrés en français. J’en ai donné quelques exemples

dans le document 12 (2001) à propos des familles africaines lorsque les enfants me

disaient : « quand je n’ai plus envie de lire cette lettre en français, je lis en soninké »

(corpus Moussa). Par là, il nous a fait comprendre son rôle de traducteur dans la famille,

valorisant, sans mettre en avant que ses parents ne sont pas lettrés en français. Sa demi

sœur nous expliquera à son tour qu’elle tente d’apprendre à lire et à écrire en français à

sa mère mais que celle-ci « n’y arrive pas très bien » (corpus Fatoumata voir doc. n° 12

p. 95). J’ai repris ces analyses sur les rôles d’apprentissages langagiers dans les familles

migrantes africaines et le rôle de l’acculturation à l’écrit initié par les enfants dans les

familles africaines dans le document 12. J’y insiste notamment sur le rôle des femmes

dans l’insertion familiale et le fait qu’elles se soient inscrites massivement à des cours

de français dans les années quatre-vingt dix.

Dans les déclarations des enfants de grande section de maternelle, c’est un autre

rôle qui apparaît pour les aînés, toutes origines ethniques confondues, celui d’apprendre

Page 81: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

81

le français aux plus jeunes. Les enfants nous disent que leurs ainés, leurs grandes sœurs

surtout, leur racontent des histoires, le plus souvent en français. Plus spécifiquement,

elles leur lisent des albums pour enfants, le plus souvent des contes appartenant au

patrimoine culturel français. Ce fut résumé comme suit dans le document 11 (2000, p.

85).

La pratique narrative auprès des enfants, assumée en Afrique (ou au Maghreb) par la famille élargie, ne disparaît pas en France ; elle est désormais assurée par les aînés qui racontent, le plus souvent en français, des contes du patrimoine traditionnel européen. On peut aussi y voir une volonté peut être inconsciente d’acculturation. Ceci montre l’importance que les enfants accordent au récit d’histoire et le plaisir qu’ils y trouvent. Raconter aux petits est perçu comme une activité emblématique de l’école maternelle.

Le choix du genre fait par l’équipe, la narration, a permis de mettre au jour ce rôle

de la grande sœur dans les familles migrantes auprès de jeunes enfants, dès le début de

la scolarisation. L’équipe de B. Charlot à Paris 8 la soulignait pour des adolescents

(Charlot 1999). Ses recherches ont en effet montré que la grande sœur était le

personnage central permettant d’expliquer les trajectoires scolaires des adolescents issus

de l’immigration alors que les traditionnelles Catégories Socio Professionnelles (CSP)

n’expliquaient pas grand-chose pour les familles migrantes. Cette recherche a en outre

permis de compléter, d’approfondir, d’étendre à d’autres groupes culturels les réflexions

faites sur les processus d’apprentissage réciproque dans les familles africaines. Enfin, il

n’a pas été question de dessins animés dans les entretiens menés avec les enfants. Cela

ne veut pas dire qu’ils ne regardaient pas la télévision mais qu’ils n’identifiaient pas ou

peu les cassettes vidéos comme des modèles de récit. Il est en outre probable que la

pratique ait été moindre dans les familles migrantes : le magnétoscope était surtout

utilisé pour regarder des vidéos du pays ou de la communauté (mariage, fête, etc.). Les

récits que les enfants ont rapportés étaient soit des narrations familiales, soit des contes

entendus en famille et, éventuellement, traduits en français et, le plus souvent, des

contes travaillés en classe. On peut penser que la situation d’enquête a favorisé ce

dernier modèle. Les enfants apprennent vite que la télévision n’entre pas dans la classe

voire qu’école et télévision peuvent être en conflit.

Page 82: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

82

Quelques  caractéristiques  des  récits  produits  et  appréciés  par  les  enfants  

Un autre aspect qui reste intéressant à souligner est le choix des contes racontés

par les filles aînées comme ceux choisis par les enfants : des contes appartenant au

patrimoine traditionnel français. J’en ai dégagé deux grandes raisons culturelle et

linguistique. La première raison est la proximité culturelle entre les contes choisis et

ceux circulant dans les cultures d’origine qui mettent souvent en scène des animaux

anthropomorphes ou des personnages confrontés à des animaux anthropomorphes. Ce

fut par ordre de fréquence, Les trois petits cochons (bien insolite pour des enfants de

culture musulmane), Le petit chaperon rouge, La chèvre de Monsieur Seguin. Les

thématiques traitées sont universelles, la désobéissance, la peur de la dévoration, le

voyage initiatique. On a affaire à un phénomène de convergence culturelle largement

encouragé par les familles. L’autre raison, linguistique cette fois, concerne la forme du

texte. Les contes appartenant au patrimoine traditionnel ont conservé certaines

caractéristiques formelles des textes oraux, rimes, rythme, parallélismes, formules

rituelles, structuration permettant la mémorisation.

Au delà du contenu thématique, l’organisation formelle des textes semble primordiale. Les contes du patrimoine traditionnel, grâce à leur structure, permettent aux enfants dont le français n’est pas la langue première de pallier au mieux le décalage existant entre leur développement intellectuel et affectif et leurs compétences en français. Les caractéristiques propres au texte oral ont un effet facilitant lorsqu’il s’agit de conduire un récit sans l’étayage d’un album, d’un adulte ou d’un pair. (doc. n° 11, p. 91, 2000)

Pour ce qui concerne les caractéristiques proprement dites de ces narrations

enfantines, c’est la similarité de la performance avec des enfants du même âge mais

monolingues en français qui apparaît d’abord, y compris l’accent de la banlieue

rouennaise. On trouve à la fois des segments retenus par cœur et des créations. Lorsque

les enfants ne s’appuient pas sur des récits travaillés en classe ou qui présentent une

structuration très marquée, les classiques et puis (epi), après, organisent le déroulement

de l’histoire. Les quelques marques d’interlangue perceptibles concernaient des

prépositions et des pronoms personnels, phénomènes bien connus des professeurs de

FLE. Plus intéressant, j’ai remarqué une focalisation sur la structure du texte et sa

Page 83: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

83

cohérence qui s’appuyait sur les marques formelles de l’oralité. Le loup répète les

mêmes actions par exemple lorsqu’il se rend successivement chez les trois cochons. Ce

sont les mêmes paroles qui sont prononcées. La structure importe beaucoup plus pour

les enfants que le contenu d’une réplique dont le sens est parfois flou. Une partie du

lexique peut rester inconnue sans que cela empêche l’enfant de raconter son histoire.

Par exemple une enfant s’insurge lorsque sa camarade, racontant l’histoire des trois

petits cochons, présente juste après la maison en paille la maison en briques :

Elle a raté pasque elle a dit d’abord en briques et après c’est en épine (corpus Naouel)

Le passé simple a, de plus, été très largement employé comme temps de la

narration, beaucoup plus que les caractéristiques sociolinguistiques des élèves

enregistrés le laissaient supposer. La marque sonore (a), y compris dans une réalisation

erronée lorsque le verbe n’est pas du premier groupe comme disa, permit de différencier

la narration proprement dite des interventions des personnages. Je l’ai trouvée y compris

chez des enfants qui, dans un premier temps, n’étaient pas très à l’aise avec la tâche qui

leur était demandée : raconter une histoire de manière autonome.

Il m’a semblé que cette focalisation sur la structuration sonore de textes oraux

était significative chez des enfants issus de cultures faisant une grande place à l’oralité.

Si ce travail n’a pas amené de prolongements majeurs54, il a contribué à nourrir ma

réflexion autour de l’acculturation à l’écrit et de l’acquisition du langage. J’y reviendrai

dans le dernier chapitre. Je continue en outre à utiliser le corpus dans mes cours,

notamment lorsque les étudiants se destinent au concours de professeurs des écoles. On

parle peu des pratiques langagières des (jeunes) enfants issus de l’immigration dans les

formations professionnelles de futurs enseignants et on écoute encore moins lesdits

enfants. Faire entendre leur voix et inviter les étudiants à analyser des productions

langagières me semble au moins aussi formateur qu’un « discours sur » et de nature à

faire reculer nombre de stéréotypes. Entendre Fayrouz et Boubacar (5 ans) raconter –

spontanément – Les trois petits cochons en utilisant le passé simple à des fins

stylistiques reste une antidote efficace aux discours du déficit linguistique et du

vocabulaire réduit à trois cents mots que l’on continue à entendre sur les compétences

langagières des enfants et des jeunes des cités. Je fais aussi écouter les réalisations des

54 Un changement de métier et de ville m’a fait découvrir d’autres horizons, y compris scientifiques.

Page 84: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

84

enfants qui ont eu le plus de difficultés à réaliser la tâche demandée afin de ne pas

construire des contre stéréotypes tout aussi réducteurs.

Dans cette recherche menée auprès d’enfants de grande section de maternelle,

nous avons vu des phénomènes de convergence entre les familles et l’école. A la même

période nous avons observé des phénomènes de convergence dans certaines écoles

primaires d’un quartier similaire au Havre (Caitucoli, Delamotte, Leconte, 2003, doc. n°

15) mais, à partir du collège, ce sont surtout des phénomènes de divergence qui sont

perceptibles. C’est ce que révèle la recherche menée collectivement par une partie de

l’équipe Dyalang en réponse à un appel d’offres du centre National de Coordination de

la Recherche en Education (CNCRE) dans l’axe thématique : Apprentissages, pratiques

pédagogiques et modes de socialisation.

L’hétérogénéité   des   élèves,   répertoires,   pratiques,  représentations    

Ma participation au projet L’hétérogénéité linguistique des élèves et des étudiants

dans l’Académie de Rouen : répertoires, pratiques, représentations (Caitucoli dir.

199955) a concerné deux aspects de celui-ci. D’une part, la description des répertoires et

des pratiques dans l’immigration négro-africaine (Caitucoli dir. 1999, pp. 5-16) et

d’autre part l’analyse des représentations des enseignants de collège invités à mesurer

l’hétérogénéité linguistique de leurs élèves (idem 1999, pp. 86-109). Celle-ci fut menée

en collaboration avec E. Delabarre et F. Macé. La première contribution reprend des

travaux présentés dans le premier chapitre de cette note, je vais donc uniquement

m’attarder sur la seconde.

Notre hypothèse renvoyait à la notion de plurilectalisme (Caitucoli dir. 1999 : 2-

3), qui permet de neutraliser des oppositions problématiques telles que langues /

dialectes, langues / variétés, langues / registres, etc. Nous pensions que l’hétérogénéité

des élèves dépassait largement le cadre du plurilinguisme des populations issues de

l’immigration parce qu’elle renvoyait, de façon générale, à la constitution, à la

représentation et à la gestion du plurilectalisme. Le terme hétérogénéité était par ailleurs

55 Il s’agit du rapport final de recherche qui comporte deux tomes, le second regroupant les annexes : tableaux statistiques, réponses aux tests des élèves, transcription des enregistrements.

Page 85: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

85

récurrent dans la littérature concernant l’école comme le montre la recherche

systématique de. C. Caitucoli (2003) dans les archives du journal Le Monde. Il avait

alors posé l’hypothèse que l’on avait affaire à « une diversité posant un problème

didactique » (idem 2003 : 117-118). L’hétérogénéité n’était pas considérée par nous

comme une donnée de la situation mais comme un construit social lié à la modification

des publics scolaires, à l’intrusion massive d’élèves issus des couches populaires dans

l’enseignement secondaire puis supérieur. E. Delabarre et moi écrivions (doc n° 14,

2003, p. 60) :

La notion d’hétérogénéité qu’elle soit linguistique ou autre, lorsqu’elle est employée pour qualifier la population scolaire, renvoie en creux à son corollaire l’homogénéité, qui correspondrait à une sorte d’idéal scolaire. Cet idéal scolaire trouve sa source dans une conception unifiante de la langue largement répandue en France, pays qui a longtemps confondu unification voire uniformisation linguistique et unité nationale.

Pour les collèges, nous avons choisi de nous intéresser à des populations touchées

par l’échec scolaire : population issue de l’immigration (ZEP urbaine), population

autochtone rurale (ZEP rurale) ; ou moins touchée par l’échec scolaire : population

autochtone urbaine (centre ville). Dans ce cadre nous avons cherché à voir comment

s’opérait la co-construction de la métaphore du « fossé qui se creuse » entre les

enseignants et les élèves, récurrente à l’époque dans les discours sur l’école notamment

dans l’enseignement secondaire. Nous avons alors demandé à des équipes d’enseignants

travaillant dans des milieux sociaux contrastés de mettre au point des tests permettant de

mesurer l’hétérogénéité linguistique des élèves en sixième et au collège. Notre objectif

n’était pas de développer des recherches qui mesurent l’hétérogénéité linguistique des

élèves mais de mieux comprendre les représentations des enseignants concernant les

savoir-faire indispensables et les difficultés des élèves. Nous souhaitions des entretiens

avec les enseignants afin qu’ils nous expliquent comment et pourquoi ils avaient conçus

les tests, quelle était leur perception de la spécificité linguistique de leur établissement,

de l’hétérogénéité linguistique de leurs élèves. Le protocole d’enquête était ambitieux et

nous avons expliqué clairement nos objectifs aux équipes.

Dans les faits, le protocole a été difficile à mettre en place. S’il a été réalisé sans

problème en ZEP rurale, il a provoqué résistance et insécurité en ville. Les enseignants

Page 86: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

86

du collège Fontenelle de Rouen ont refusé d’être enregistrés et n’ont mis au point que le

test de sixième. Après avoir accepté leur participation à l’enquête, ils ont mené une

sorte de grève du zèle. Le test de sixième que l’équipe a mis au point, encore plus

académique et plus difficile que le test national56, était clairement destiné à faire

émerger une élite scolaire. Il faut dire que dans ce collège existait une hiérarchie

implicite des classes qui ressemblait fort à des classes de niveau (choix des langues,

classes à horaires aménagés pour les élèves du conservatoire de musique et de danse).

Certains enseignants, au demeurant, ont fait la différence entre des classes « homogènes

et fortes » et des classes « hétérogènes et faibles » (corpus Fontenelle)57. Hétérogène

était alors employé comme substitut politiquement correct de « faible » ou non adapté

au système scolaire. Pour l’un des enseignants, les élèves ne rentrant pas dans les

catégories de son élève idéal, monolingue en français, ayant des pratiques culturelles en

phase avec l’école, sont assimilés à des Martiens. « Dans cette classe Tous les élèves

sont hétérogènes, ce sont des Martiens » (corpus Fontenelle). C’est la question de

l’altérité qui est posée. L’élève qui ne correspond pas à l’idéal du bon élève est rejeté

comme un Autre non insérable.

Les réticences que l’on a pu rencontrer en ZEP urbaine sont d’un autre ordre. J’ai

travaillé avec un des collèges du quartier du Château Blanc à Saint Etienne du Rouvray

qui correspondait au secteur scolaire de mon école maternelle58. Il semble que ma

double casquette, enseignante du secteur / chercheure a gêné les professeurs de collège

d’autant plus que certains participants à l’élaboration des tests étaient d’origine

marocaine (le professeur de français et celui de mathématiques), bilingues arabe /

français et qu’ils connaissaient mes travaux sur le plurilinguisme des familles africaines.

Une trop grande proximité n’est pas toujours un atout dans la conduite d’enquête.

Certains ont dû ressentir un malaise d’être à la fois juge et partie, hésitants devant le fait

de considérer ou non l’usage majoritaire d’une autre langue que le français à la maison

comme une spécificité de leur établissement devant être mesurée. Ces ratés sont aussi

éclairants sur les questions de proximité / distance dans les relations entre

56 Lors des enquêtes dans les collèges, l’évaluation destinée à mesurer les acquis des élèves en français et en mathématiques qui a désormais lieu en fin d’école primaire était en début de sixième. Ces évaluations étaient présentes dans l’esprit des chercheurs comme des enseignants. 57 Le corpus Fontenelle a été recueilli par C. Caitucoli et F. Macé et se trouve dans le second tome du rapport. 58 Ces enquêtes ont été menées en 1997 et 1998.

Page 87: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

87

« enquêteurs » et « enquêtés ». Nous sommes donc finalement sortis de l’agglomération

rouennaise pour enquêter à Dreux où nous avons travaillé avec quatre professeurs de

français dans un collège de ZEP.

Les réticences rencontrées dans les deux collèges sont néanmoins significatives de

réalités différentes : divergences dans l’équipe face au maintien de classes de niveau et

de leur légitimation d’une part, difficulté lorsqu’il s’agit de mesurer l’hétérogénéité

linguistique alors que celle-ci était majoritairement perçue comme une diversité

problématique (Caitucoli 2003 : 123) d’autre part.

Analyse  de  la  conception  des  tests  par  les  enseignants  de  collège  

Malgré le malaise que le protocole d’enquête a pu susciter, les résultats de cette

recherche menée auprès de trois collèges semblent significatifs : les enseignants n’ont

pas mesuré du tout les mêmes compétences langagières. Le seul point commun à

l’ensemble des tests est d’ignorer, dans leur conception, d’éventuels répertoires pluriels

chez les élèves. Tous mesurent uniquement des compétences en français dans ses

différentes variétés. Aucun ne fait référence à d’éventuelles autres langues connues ou

parlées par les élèves.

Comme je l’ai souligné plus haut, le test de centre-ville était destiné à dégager une

élite scolaire. En ZEP rurale, au collège Saint-Exupéry de Forges les Eaux, les

enseignants ont imaginé à partir d’un court texte deux batteries de questions qui se

différenciaient par la formulation des questions. Ainsi là où le « test simple » demandait

« Pourquoi le bateau se renverse-t-il ? », le « test complexe » demandait « Quelles sont

les causes du chavirement ? ». L’hypothèse des enseignants était que les élèves avaient

des difficultés à déchiffrer des consignes trop complexes, faisant appel à un savoir

académique méconnu. Le même type de test a été construit pour les élèves de troisième.

Les résultats des élèves aux tests ne montrent pas de différences significatives entre les

différentes batteries de questions. Nous59 notions doc. n° 16, 2003, p. 30 :

Comme dans le collège du centre-ville, nous sommes dans une confrontation surnorme / code commun mais avec un positionnement inverse de l’équipe éducative qui remet en cause le bien fondé de la surnorme académique. La question sous-tendue par la conception des

59 T. Bulot, C. Caitucoli, F. Leconte, C. Mortamet.

Page 88: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

88

tests pourrait être formulée comme suit : « la surnorme académique est-elle vraiment indispensable ou source de difficultés chez les élèves ? »

Les difficultés des élèves que les enseignants du collège Paul Fort de Dreux ont

tenté de mesurer sont d’un autre ordre : en sixième, ils concernent presqu’exclusivement

les « niveaux de langue ». On demande aux élèves de souligner des mots appartenant au

vocabulaire familier dans une liste (un policier, un flic, etc.) ou de réécrire en « langage

courant » des phrases écrites en langage soit disant familier. Ainsi, ce qui était attendu

comme réécriture de la phrase « On a fait une balade en vélo avec les copains ; c’était

chouette on a bien rigolé. » était « Nous avons fait une promenade à bicyclette avec des

amis ; c’était très bien (formidable), nous nous sommes bien amusés (ou nous avons

bien ri). Cet énoncé est le plus caricatural des réécritures demandées : même si

l’enquête date un peu, la chanson d’Yves Montand, A bicyclette et son pastiche par

Bourvil, pour reprendre une référence régionale, ne passaient plus depuis longtemps sur

les ondes à la fin des années quatre-vingt dix. Ici, ce que les enseignantes attendaient

comme « langage courant » semble assez désuet. L’ensemble des tests opposait

davantage le code commun légitime (C. Vargas 1996), ce qui était identifié par les

enseignants comme le langage courant, au code commun illégitime identifié par les

enseignantes comme « langage familier », par exemple les oppositions lexicales : travail

/ boulot ; pistolet / flingue, etc. Suite à l’analyse complète des tests de sixième nous

notions (doc. n° 14, 2003 p. 72) :

A aucun moment l’hétérogénéité linguistique des élèves n’est envisagée sous l’angle du plurilinguisme ou de la variété des répertoires des élèves, les langues différentes ayant un statut identique. Ici, l’école envisage les usages linguistiques « différents » uniquement en terme de code commun non légitime. Toutefois, le test ne cherche pas à évaluer la maitrise de la surnorme académique ni même la maitrise du langage « soutenu ». Les unités linguistiques proposées dans le test relèvent pour beaucoup d’une opposition entre vocabulaire identifié par les enseignants comme familier et courant.

Les entretiens conduits par E. Delabarre auprès des deux professeurs de français

de sixième montrent que l’hétérogénéité des élèves était envisagée comme renvoyant à

une compétence faible et à une causalité socioculturelle. Plusieurs thèmes furent

Page 89: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

89

récurrents dans le discours des enseignantes : l’hétérogénéité linguistique équivaut à

pauvreté du vocabulaire. Elles identifient aussi une difficulté chez les élèves à

distinguer le langage courant du langage familier. Elles notent en outre un fort

sentiment identitaire qui s’actualiserait dans l’emploi de contre-normes. Ces entretiens

sont aussi révélateurs du fossé existant entre enseignants et élèves en terme de

répertoires langagiers.

Les tests élaborés par les enseignants de français de troisième sont légèrement

différents. S’il existe aussi des exercices sur les niveaux de langue ou demandant de

traduire du « langage familier vieilli » (avoir un joli minois, avoir la pépie, être dans la

dèche, etc.) en « langage familier actuel », les tests comportent aussi des activités

d’expression où les élèves étaient invités à écrire dans leur variété identitaire. Des

exercices oraux furent aussi prévus où les élèves devaient produire un discours adapté à

l’interlocuteur (inconnu, copain, principal du collège)60. Les normes dominées ont cette

fois été prises en compte dans l’élaboration des tests mais … au travers d’un exercice de

réécriture demandé on voit bien que la variété identitaire d’une des enseignantes reste la

surnorme académique. Elle regrette de ne pouvoir partager avec ses élèves « Une belle

page de Balzac ». Enfin, dans les entretiens, les professeurs confirment le conflit de

normes et pensent que les élèves considèrent leur norme comme la norme. Au final,

nous notions (doc. n° 14, 2003, p. 79) que « L’hétérogénéité linguistique des élèves,

telle que nous la percevons à travers la conception des tests, relève beaucoup plus du

conflit de normes que d’une méconnaissance de la langue ».

Nous avons néanmoins retrouvé dans la conception des tests de troisième au

collège Paul Fort de Dreux une volonté de convergence de la part des enseignants vers

les élèves, moins fréquente au collège qu’à l’école élémentaire (doc. n° 15). Mais

l’école élémentaire a de tout temps accueilli l’ensemble d’une classe d’âge, quelles que

soient les origines sociales des élèves.

Le  devenir  d’hétérogénéité  

J’ai repris en septembre 2011, en période de rentrée scolaire, une recherche par

mots-clés sur le site du journal Le Monde. Ma moisson s’est avérée beaucoup plus

60 Ces exercices n’ont pu être réalisés à l’oral faute de temps, ils le furent à l’écrit.

Page 90: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

90

maigre que celle de C. Caitucoli dix ans plus tôt. Je n’ai obtenu que quatre réponses à

l’entrée hétérogénéité, aucune ne portant sur l’école. J’ai donc continué mes recherches

sur le site de Libération où il existait quelques entrées n’ayant rien avoir avec l’école61

mais le site de Libération m’a dirigé vers une présentation comparative des programmes

des candidats à la primaire socialiste sur l’éducation. Le programme d’un des

candidats62 souhaite mettre en place :

Des classes hétérogènes63 avec la disparition des classes à profil : classes européennes, classes bilangues, classes homogènes et élitistes composées des élèves « allemand première langue et latin » et toutes les autres classes qui tendent à l’homogénéité. Libération édition en ligne du 5 septembre 2011.

Ce qui était considéré comme suffisamment problématique pour nécessiter des

recherches spécifiques en éducation il y a un peu plus d’une décennie, l’hétérogénéité,

peut être désormais considéré comme une solution à la fracture sociale et scolaire qui

s’est depuis lors largement accentuée. L’hétérogénéité serait le but à atteindre dans ces

propositions et l’homogénéité à combattre.

Vu le caractère politique pris par le terme, je me suis ensuite dirigée vers le site du

Figaro64. Celui-ci donne une vision complètement inverse du sens d’hétérogénéité de

celle de Montebourg, mais proche du sens que nous avons recueilli il y a une dizaine

d’années, notamment dans le collège Fontenelle de Rouen : celui d’un synonyme

politiquement correct de faible et différent. J’ai obtenu 505 réponses65 pour cette même

recherche dont un nombre non négligeable porte sur l’école. En voici un échantillon qui

ne concerne que les articles les plus récents : « Grandes écoles : alerte à la baisse de

niveau au lycée (M-E. Pech, 24 juin 2011) », « Le malaise des enseignants face à

l’hétérogénéité des élèves (M-E. Pech, 12 avril 2011) », « Le collège unique remis en

cause par les parents d’élèves (P-E. Pech, 5 avril 2011) », « Ecole des initiatives pour

gérer les élèves à la traine » (M-E Pech. 18 février 2011) », « Une école à bout de

souffle (A. Bentolila, 12 octobre 2010) », etc. Il y a donc désormais un clivage

61 Par exemple l’hétérogénéité de Conseil National de Transition libyen. 62 Il s’agit d’Arnaud Montebourg. 63 C’est Libération qui souligne 64 Consulté le 9 septembre 2011 65 Les réponses sont données quand « hétérogénéité » est employé dans l’article. Le terme n’est pas forcément contenu dans le titre.

Page 91: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

91

idéologique fort autour de ce terme lorsqu’il est appliqué à l’école. Il est devenu

clairement marqué à droite, dans ses emplois négatifs, et employé surtout à droite. La

diversité sociale (ou le peu qu’il en reste dans l’école) reste pour les scripteurs écrivant

dans Le Figaro une difficulté, la diversité étant toujours problématique.

Au travers de cette recherche, on voit bien l’évolution de certaines problématiques

dans une période qui est tout de même courte, un peu plus de dix ans. C’est que la

situation sociale a changé. La diversité sociale des populations dans un même

établissement qui était considéré comme problématique d’un point de vue pédagogique

a marqué le pas. Les évolutions ont conduit à une homogénéisation sociale des quartiers

avec leur corollaire de ghettoïsation, « l’assouplissement » de la carte scolaire dans le

secondaire a accentué le phénomène. Aujourd’hui, certains à gauche appellent de leurs

vœux un retour de l’hétérogénéité qui est ici employé comme équivalent de mixité

sociale et scolaire. Si nous voulions mener la même recherche aujourd’hui, il faudrait

remplacer « hétérogénéité » par « diversité ». La question de l’altérité demeure mais elle

n’est plus mise en mots de la même façon.

Ces remarques confirment la proposition de D. De Robillard (2007 et 2008) de

construire les recherches en sociolinguistique, qu’il appelle ontolinguistique, dans

l’historicité. Je reproduis ici le paragraphe de présentation de sa contribution à

l’ouvrage collectif Un siècle après le cours de Saussure : la linguistique en question

(2007) qui rentre en résonance avec mes réflexions.

L’auteur explore les conséquences, pour la linguistique, de partir de l’idée selon laquelle une science humaine a pour problème central celui de l’altérité, construite dans l’historicité. En découlent des conséquences importantes : le chercheur perd tout surplomb, sa méthodologie doit être adaptée à chaque nouvelle utilisation, et le chercheur lui-même s’inclut dans ce qu’il prétend « décrire ». Cela peut-il être scientifique ? Au sens classique dominant de « scientifique », probablement pas, mais ce déplacement touche aussi la définition et la pertinence de la démarche « scientifique », en rappelant l’historicité de cette démarche, qui en fragilise donc l’universalité et l’achronicité.

Jusqu’alors j’ai présenté un certain nombre de recherches de terrain en décrivant

précisément la manière dont ont été menées les enquêtes et comment je me situais vis-à-

vis des différents terrains investigués, des différentes personnes avec qui j’entrais ou je

Page 92: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  3  :  L’appropriation  du  français  en  contexte  plurilingue  et  plurilectal  

92

reprenais contact. Il me semble venu le temps de mettre en perspective les différentes

méthodologies employées.

Page 93: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

 

Chapitre  4  :    

 

Des  recherches  historicisées  en  

contextes  minoritaires  et  minorés  :  

Quelques  remarques  éthiques  et  

méthodologiques  

J’ai souhaité dans cette note ne pas dissocier les méthodologies de recueil des

données des résultats des recherches. Ce choix implique de considérer l’analyse de

productions ou de représentations langagières comme non dissociable de leurs

processus de production. J’ai aussi fait mienne, dès le début de mes recherches la

remarque de D. De Robillard 2007 (cf. supra) selon laquelle les modalités de recherche

devaient être adaptées à chaque nouvelle utilisation. C’est ce que j’ai voulu montrer par

ce choix d’exposition, y compris en présentant quelques ratés qui ont aussi permis une

meilleure adaptation des modalités d’enquête à la situation de recherche. Une part

d’intuition est parfois nécessaire. Des modalités d’enquête différentes ont été utilisées

pour des recherches différentes. Par ailleurs j’ai souvent employé des méthodes

qualitatives (cf. enquêtes classes d’accueil) sans m’interdire des recherches

quantitatives auprès d’une population scolaire (doc n° 26, 2008) quand la situation,

alors peu connue, méritait une appréhension globale (questionnaire enfants d’origine

africaine, questionnaire école et collège de Saint-Georges de l’Oyapock). En France, en

Page 94: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

94

sciences humaines, notamment en sociolinguistique, il n’y eut pas, me semble-t-il, de

débat acharné entre tenants des approches quantitatives et qualitatives. Les deux sont

présentées comme non antagonistes par exemple dans l’ouvrage de L-J. Calvet et P.

Dumont (1999).

Cela ne semble pas être le cas en Amérique du Nord, comme le montre l’article de

R. B. Johnson et A. J. Onwegbuzie (2004) Mixed methods research : A research

paradigm whose time has come. On y montre que le combat, « wars », entre quantitatif

et qualitatif en sciences humaines est désormais dépassé et on y propose un cadre pour

conduire des recherches mixtes (Mixed Methods Research), c’est-à-dire utilisant des

modalités de recueil quantitatives et qualitatives. La mise en œuvre de deux types de

méthodes, présentées comme radicalement opposées, permettrait une « triangulation »

des données. Cette notion de triangulation, initialement empruntée à la psychanalyse

pour décrire une situation œdipienne est employé par P. Blanchet (2000 : 59) dans un

autre débat, français cette fois, qui interroge les apports de méthodologies qui se veulent

objectives à des méthodologies qui revendiquent la subjectivité du chercheur. Il appelle

à une mise en relation triangulaire des données langagières « objectives et

subjectives ». Outre la notion de la complémentarité de différents modes de recueil, on

trouve l’idée que le chercheur entretiendrait des relations trop proches avec les données

qu’il a recueillies, qu’elles soient « objectives et subjectives » ou « quantitatives et

qualitatives ». Un autre mode de recueil viendrait créer le recul nécessaire.

L’existence de publications revendiquant dans leurs titres même la possibilité de

recourir à des modalités d’enquêtes différentes (Quality & Quantiy, Journal of Mixed

Methods Research) témoigne de débats épistémologiques partiellement différents de

chaque côté de l’Atlantique. Il me semble qu’un tel combat n’a jamais eu lieu en

France. Certains collègues revendiquent certes une approche exclusivement qualitative

(Blanchet 2000, 2007 ; De Robillard 2007, 2008) mais dans un cadre épistémologique

plus global : une approche holistique et constructiviste s’inspirant entre autres des

théories de la complexité d’E. Morin pour P. Blanchet, une approche altéro-réflexive et

altéritaire pour D. de Robillard qu’il a explicité dans son ouvrage de 2008. La démarche

de ce dernier est d’ailleurs discutée, par exemple par C. Caitucoli, 2008, sans que les

discussions ne prennent l’allure d’un combat.

Page 95: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

95

La pluralité des démarches d’enquête est en outre revendiquée par Mahmoudian et

Mondada (1998 : 5) :

La pluralité des dispositifs décrits montre que l’approche du terrain ne saurait relever de recettes préétablies mais qu’elle est au contraire un lieu fondamental et complexe pour l’élaboration du savoir linguistique.

L’élaboration du savoir linguistique se fait en mettant en pratique des choix qui

sont aussi, surtout, des choix éthiques faits dans des situations sociales singulières. Je

reprends l’hypothèse de F. Gadet (2003 :1) selon laquelle : « l’accès aux données n’est

pas dissociable des orientations non seulement épistémologiques mais aussi éthiques

qui les sous-tendent ». Elle envisage alors « une option où la dimension sociale et

éthique est mise au cœur de la pratique ». C’est ce sur quoi je propose de m’arrêter.

La  recherche  en  situation  interculturelle,  réflexion  sur  l’altérité  

Mes premiers pas dans la recherche se sont effectués dans un contexte bien

particulier, celui du regroupement familial africain, récent, et, ma position sociale qui

était, pour les personnes auprès de qui j’ai enquêté dans un premier temps, davantage

celle de l’institutrice de banlieue et de la militante anti-raciste connaissant bien le

Sénégal et certains Sénégalais rouennais que celle de la doctorante. Cette position fut

inconfortable66, la double activité professionnelle conduisit à déconstruire plus vite des

évidences. En retour, cette position m’a donné une certaine liberté et surtout ouvert de

nombreuses portes. Je n’étais pas dans la position que F. Gadet (ibid : 3) appelle celle

de « l’observateur » face à des « observés ». Dans les faits je n’ai pas eu le monopole du

regard sur l’autre (doc n° 7 p. 73). De plus, une recherche sur les pratiques langagières

dans l’immigration africaine fut vite investie, par ceux que je n’appellerai pas des

observés, comme une possibilité de légitimation des langues africaines en France et,

plus globalement, de la présence de l’immigration familiale africaine. Certains sont

alors intervenus pour me donner leur point de vue sur la question de la transmission

66 Notamment celle de la militante par rapport à la recherche, ce qui implique de refuser le rôle de porte-parole et de détruire quelques certitudes.

Page 96: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

96

linguistique et culturelle, ont négocié d’autres cadres d’interaction que ceux que je leur

proposais et qui étaient académiques. En thèse, je devais fournir des preuves, un corpus

enregistré et transcrit.

Mais les modes de transmission du savoir et des connaissances sont très différents

entre la France et, plus globalement, les pays occidentaux et l’Afrique de l’Ouest où

l’oralité reste importante, tant sur la plan des pratiques que sur le plan symbolique. Cela

était, me semble-t-il, encore plus vrai il y a une quinzaine d’années alors que l’école de

type occidental était moins développée, que la seconde génération n’avait pas encore

poursuivi une scolarité. Il fallut donc composer entre les exigences académiques qui

commandaient la constitution d’un corpus, d’enquêtes balisées en utilisant des

méthodologies reconnues dans le champ, et le comportement d’un certain nombre de

mes amis africains qui venaient me confier leur histoire langagière autour d’un verre.

Les « récits whiskies67 » permettaient d’éclairer très utilement les données d’enquête

recueillies de façon plus conventionnelle (questionnaires, entretiens enregistrés,

observations) et m’ont aussi permis de répondre à un certain nombre d’interrogations

qui ne trouvaient pas de réponses dans une bibliographie. Ce type de connaissances,

anthropologiques notamment, n’était pas consigné dans des livres. Le contenu en était

d’autant plus intéressant que la discussion n’avait pas été enregistrée. Les objets

technologiques étaient fortement perçus comme appartenant à la culture occidentale. Ils

étaient davantage utilisés pour écouter de la musique ou en créer, réduire la distance

avec les parents restés au pays mais pas pour une conservation de l’oral ou une

utilisation pour produire des preuves. Leur emploi pouvait en outre être perçu comme

une incapacité à mémoriser. La transmission des savoirs se fait surtout à l’oral en

Afrique de l’Ouest, les personnes ont une mémoire orale et auditive beaucoup plus

développée que les personnes habituées à lire et à écrire pour apprendre. La parole

proférée dans certaines circonstances peut revêtir un caractère sacré, la connaissance est

traditionnellement plutôt transmise sous forme de récits et de parabole, ce qui représente

un don pour la personne qui écoute. A « l’élève », à la personne destinataire de ce don,

d’inférer les connaissances qui sont rarement fournies de façon explicite. Dans cet

exemple les personnes ont rétabli une relation égalitaire, en négociant des circonstances

d’interaction qui correspondaient à leur culture et leur était plus favorable. J’ai donc dû

67 Référence à la boisson préférée de mes interlocuteurs.

Page 97: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

97

ensuite transformer ces apports en connaissances pouvant être écrites dans une thèse. Le

monde académique s’est trouvé plus souple que je ne l’imaginais. La prétendue

neutralité du chercheur a été bousculée dès le départ.

J’ai néanmoins choisi de taire quelques informations anthropologiques que je

craignais susceptibles d’être mal interprétées dans un contexte d’altérophobie qui, hélas,

ne s’est pas démenti. Par exemple, l’appartenance de telle famille à telle caste semblait

pour mes informateurs sénégalais, bons connaisseurs de leur groupe voire originaire du

même village, une caractéristique pouvant influer sur les représentations langagières,

sur le rapport au savoir dans la famille. Il s’agit d’une catégorisation émique.

L’explication, très résumée aurait été : la famille X est une famille de forgerons68, leur

rôle est aussi de connaître la généalogie, le savoir est donc très valorisé dans cette

famille, l’école est investie. L’information n’a pas été utilisée à l’écrit dans l’analyse :

peur de la stigmatisation des groupes concernés ? Adaptation a priori au lectorat ? Je

suis restée de même très discrète sur la polygamie âprement discutée à l’époque. La

réflexion éthique était bien sûr à l’origine de cette discrétion de même que la crainte de

retombées négatives éventuelles de la divulgation de telles informations sur les

« observés ». J’ai souligné plus haut qu’il y avait une réelle demande d’informations sur

une immigration familiale qui était alors récente et peu connue de la part des

professionnels de l’enfance, de l’éducation, de la santé, des services sociaux. Mettre en

avant des caractéristiques qui allaient, pour les professionnels, devenir saillantes parce

qu’exotiques, peu ordinaires, ne semblait pas propice à aider à une meilleure

compréhension des phénomènes d’acculturation et d’appropriation du français à l’œuvre

dans les communautés africaines en France. La responsabilité du chercheur dans ce type

de situation est importante de même que l’anticipation d’éventuelles conséquences

sociales lors de la publication des résultats. La relation n’est pas seulement duelle entre

le(s) chercheur(s) et les groupes concernés. S’invite un troisième acteur, la société ou

tout du moins certaines de ses composantes pouvant être concernées par les résultats de

la recherche. Celles-ci reçoivent les produits de la recherche et les interprètent,

construisent des significations qui échappent aux chercheurs.

68 J’ai eu confirmation à l’occasion de l’enquête DGLFLF en 2011 de l’importance maintenue de la division sociale en castes dans l’immigration peul et soninké en France. L’auto-catégorisation en caste reste très prégnante.

Page 98: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

98

La réflexion concernant le devenir des connaissances issues d’une recherche a

aussi été menée dans un autre contexte, celui de la francophonie canadienne, notamment

par M. Heller (2002), qui souligne que certains de ses étudiants appartenant à des

groupes qui, dans le passé, ont davantage subi des recherches qu’ils n’en ont été acteurs

interrogent la légitimité de recherches sur des groupes dominés de la part de chercheurs

appartenant aux groupes dominants.

La question de l’altérité, y compris dans le mode de transmission des

connaissances, fut conceptualisée dans un premier temps autour des notions d’éthique et

du respect de l’autre69. La démarche fut très vite réflexive (doc n. 7, 1999 p. 72) :

Comment fait-on de la recherche auprès de personnes appartenant à une culture différente de la sienne ?

« J’ai envie de dire d’abord que toute situation d’enquête représente une violence symbolique proportionnelle à la distance sociale et culturelle entre enquêteur et enquêté. (…)

D’un point de vue éthique, il m’a semblé indispensable de réduire au minimum cette violence symbolique et de négocier un cadre d’interaction qui soit acceptable par les deux parties. »

Je n’ai pas cherché à annihiler la situation de recherche en ce qu’elle pouvait avoir

d’influence sur les données recueillies. La co-construction de la recherche par les

différents acteurs est en germe dans cette réflexion. Elle sera maintenue par la suite.

Une  légitimation  de  l’empathie  en  situation  d’enquête  

Les travaux de Bourdieu et notamment la réflexion qu’il a pu mener sur les

conduites d’enquêtes, vulgarisées dans la publication de l’ouvrage La misère du monde

(1993) admettait qu’une enquête constituait « Une relation sociale qui exerce en retour

des effets sur les résultats obtenus » (ibid., p. 1391). Nous quittons un paradigme

positiviste pour un paradigme constructiviste et interprétiviste. Ceci eut pour

conséquence d’admettre le caractère interactionnel des enquêtes, lequel construisait

aussi les situations sociales étudiées. On s’éloigne alors des « observés » et des

69 La publication se présente sous la forme d’une interview menée par R. Delamotte-Legrand, je reproduis donc la question avant des extraits de la réponse.

Page 99: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

99

« observables » et de la réduction nécessaire du « paradoxe de l’observateur » qui a été

une des questions méthodologiques récurrentes en sociolinguistique depuis les travaux

de W. Labov. La recherche devenait une relation sociale comme une autre avec des

spécificités, notamment en terme de rapport de pouvoir, qui devaient être prises en

compte dans l’analyse. Cette période a correspondu à une montée en force de l’analyse

des représentations en sociolinguistique (D. Moore (dir.), 2001).

Ceci a eu aussi pour conséquence « d’autoriser » une certaine familiarité entre

enquêteur et enquêté. La neutralité n’existant plus, son corollaire la distance n’est plus

nécessaire. Il s’agit désormais de la réduire. P. Bourdieu (1993 : 1395) :

(…) laisser aux enquêteurs la liberté de choisir les enquêtés parmi des gens de connaissance ou de gens auprès de qui ils pouvaient être introduits par des gens de connaissance. La proximité sociale et la familiarité assurent en effet deux des conditions principales d’une communication « non violente ».

Les réflexions sur l’altérité et la violence symbolique dans les situations

d’enquête, telle qu’elles étaient pensées par Bourdieu étaient alors sociales, fortement

liées au pouvoir ; la dimension interculturelle était peu présente. Toutefois, les

remarques de Bourdieu sont construites dans une situation où l’enquêteur n’est pas

l’analyste, où il existe une répartition du travail entre ceux qui conduisent les entretiens,

d’autres encore qui les transcrivent et enfin, en haut de la hiérarchie, il y a ceux qui

analysent un matériau recueilli, transformé, préparé selon leurs instructions. La

répartition des tâches est aussi affaire de pouvoir conféré par des certifications

académiques, donc par un savoir reconnu... Les enjeux de pouvoir ne sont plus

seulement entre « enquêteurs » et « enquêtés » mais à l’intérieur du groupe

« enquêteurs ».

Les relations de pouvoir en jeu dans les recherches sociolinguistiques ont été

analysées par M. Heller (2002, pp. 20-22) qui les relie à la responsabilité du formateur

de futurs chercheurs. Elle souligne (ibid. p. 22) :

La sociolinguistique est particulièrement bien placée pour reconnaître cette caractéristique, puisque la construction sociale du savoir est traversée par la nécessité d’un certain degré de réflexivité, c’est-à-dire par le besoin de devenir conscient de la façon dont l’action de la

Page 100: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

100

recherche est reliée au savoir qu’elle construit et de rendre ce processus explicite, tout en tenant compte de ses conséquences sociales.

Dans le cas où l’analyste n’est pas l’enquêteur, les questions de familiarité /

distance se posent différemment. M. Heller propose une épistémologie de la discipline à

partir de recherches qu’elle a elle-même conduites. Sa réflexion m’intéresse donc

particulièrement. J’ai revendiqué dès le départ une familiarité avec les personnes auprès

de qui j’ai mené des enquêtes (doc. n° 7 : 69) mais aussi la nécessité de prendre du recul

(ibid. p. 71). En outre, nous avons vu au chapitre précédent des exemples de difficultés

à mener à bien des recherches lorsque le statut du chercheur n’était pas clair (institutrice

et chercheure), ou que la distance avec les personnes auprès de qui les enquêtes sont

menées est insuffisante (mes élèves du moment, les enseignants du secteur, des amis

proches). Là encore, le réglage de la distance optimale est à opérer dans chaque

nouvelle situation de recherche, la réflexivité permettant ce réglage.

Il semble néanmoins que la notoriété de l’auteur de La misère du monde,

notamment auprès des sociolinguistes français, a permis de légitimer au début des

années quatre-vingt dix des pratiques de recherche qui étaient existantes en

sociolinguistique mais peu revendiquées puisqu’elles allaient à l’encontre de idéal de la

neutralité du chercheur ayant comme corollaire la réduction du paradoxe de

l’observateur. On concevait alors que les données à recueillir préexistaient à la situation

d’enquête et qu’il fallait au maximum réduire les changements que la situation

d’enquête pouvait induire dans les formes langagières employées. En sociolinguistique

et en didactique des langues, ce changement de paradigme a renforcé les réflexions

autour des notions d’application et d’implication des chercheurs dans leurs recherches,

réflexions particulièrement développées au cours des années deux mille, comme le

montrent, entre autres, les publications de I. Leglise et alii (2006), les travaux réunis

dans I. Pierozak et J-M. Eloy (2008).

Des   recherches   menées   auprès   des   enfants  :   prise   en   compte  d’une  situation  inégale  

Lorsque l’on mène des recherches auprès d’enfants, la violence symbolique peut

en outre être accentuée par la relation de domination enfant / adulte ; là encore, il

convient d’être attentif à la réduction de cette violence symbolique tout en imaginant

Page 101: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

101

que les enfants peuvent aussi co-construire la situation d’enquête, « profiter » de cette

situation particulière pour s’attirer des bénéfices symboliques comme l’attention d’un

adulte seul, la valorisation d’un savoir ou d’un savoir-faire, la possibilité d’exprimer

certains affects.

Des modalités différentes de l’entretien semi-directif peuvent être mises en place

avec les enfants : dessins, demande de réalisation d’une tâche langagière, comme par

exemple le récit d’histoire, et éventuellement réponse à un questionnaire. Plus encore

qu’avec des adultes ou des adolescents, la question de la familiarité, de l’enquêteur ou

de la tâche est importante dans la conduite des enquêtes. Les tâches de production écrite

sont facilement familières parce qu’elles ressemblent beaucoup à ce qu’on leur demande

à l’école. Un certain nombre d’autres tâches langagières, orales cette fois, le sont

devenues ces dernières années grâce à l’influence de la télévision et plus globalement

des médias. Parler devant un micro ou une caméra n’est pas insolite, cela peut même

permettre de « jouer à la star ». Les enfants peuvent être plus décomplexés que les

adultes en pareille circonstance. Enfin mener des recherches auprès des enfants revêt un

intérêt évident lorsque l’on s’intéresse à l’appropriation. A propos des enquêtes

effectuées auprès d’adolescents en classe d’accueil, j’ai souligné l’intérêt des dessins

(doc. n° 31 p. 90) :

Le dessin a été une base de négociation dans l’entretien et a permis de contrebalancer la violence symbolique inhérente à ce type d’enquête : adulte vs enfant, francophone vs en cours d’acquisition, situation scolaire, etc.

J’ai par la suite repris les remarques de V. Castellotti et D. Moore (2009 : 45-46).

Il faut dire que nous nous étions inspirées librement de certaines de leurs modalités

d’enquêtes pour construire cette recherche. La violence symbolique est diminuée par la

familiarité de la tâche, l’expertise de l’enfant.

Le dessin est pour les enfants une activité familière, qui fait partie de leur quotidien familial, scolaire, social, mais aussi personnel, intime. A ce titre, il est un moyen privilégié pour qui mène des recherches avec les enfants : il leur permet de s’exprimer sur un mode qu’ils maitrisent aussi bien (souvent mieux même) que leurs interlocuteurs et qui leur attribue d’emblée un statut légitime. Ils sont en effet en position d’auteurs, qui se

Page 102: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

102

réapproprient leur dessin et vont proposer des clés pour en construire, en interaction, une interprétation.

Par ailleurs, les affects peuvent être violents lorsqu’on interroge des enfants sur

les langues parlées en famille si la situation familiale est (a été) difficile ou si la langue

parlée en famille est minorée. J’ai discuté ce cas de figure au chapitre 2. Dans ces cas, le

rôle du chercheur est d’aider les enfants à gérer leurs affects. Un exemple en est aussi

donné dans le doc n° 7 : 70. La modification de la situation provoquée par l’enquête

n’est pas en soi gênante si elle aide l’enfant ou l’adolescent « enquêté » à mettre des

mots sur les affects et permet par la suite l’expression. Elle peut être facilitée par des

modalités d’enquête adaptées et plurielles. (doc n° 31 p. 113)

Par ailleurs, la double modalité d’enquête : dessin et entretien rend encore plus pertinente la notion de co-construction du sens par les deux protagonistes de l’interaction. Le chercheur ne vient pas recueillir des représentations déjà présentes chez l’enquêté qu’il suffirait d’attraper en employant la méthode d’enquête adéquate, tout comme le chasseur de papillons doit utiliser le bon filet. Il n’y a pas de papillon « représentations du plurilinguisme » qui serait antérieur à l’enquête. Le chercheur n’est pas non plus un personnage neutre qui n’influerait pas sur la situation de formation dans laquelle il vient réaliser ses enquêtes.

Le dessin s’est révélé en outre un bon support d’expression pour les adolescents

en cours d’acquisition du français : ce qu’ils ne pouvaient pas dire en français, ils

pouvaient le dessiner.

Pratiques  et  représentations  

Ce parti-pris éthique induisant une co-construction des recherches avec les

personnes auprès de qui elles sont menées n’implique pas de travailler exclusivement

sur des déclarations : enquête par questionnaires ; ou des représentations : entretiens

semi-directifs, dessins, auprès de différents publics. J’ai rapidement présenté au chapitre

1, un travail en cours, mené conjointement avec A. Kebe portant sur l’alternance des

langues français / pulaar et français / wolof. Il s’agit là encore d’une recherche en

contexte interculturel. L’appel à projet de la DGLFLF, portant sur l’alternance des

Page 103: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

103

langues français / langues de France, autres langues parlées en France demande de

produire des enregistrements audio susceptibles d’être numérisés et mis à la disposition

de la communauté scientifique. Nous avons donc contacté un certain nombre de

personnes susceptibles de nous indiquer des familles qui accepteraient un enregistreur à

la maison70 ; nous avons utilisé notre carnet d’adresses. Notre duo d’enquêteur était

bicolore, mixte d’âge, de genre, de statut social différent : jeune docteur africain,

locuteur expert des deux langues africaines ; enseignante-chercheure plus âgée en poste,

ayant écrit un livre sur les pratiques langagières dans l’immigration africaine. La

complémentarité s’est révélée être un atout dans la perception de la recherche par nos

interlocuteurs. Malgré cela, le travail de pré-enquête a été très long, beaucoup plus que

ne le commandent les délais actuels du financement de la recherche où enquêtes et

analyse doivent être bouclées en un an, en deux ans dans le meilleur des cas. Ceci va à

l’encontre d’un travail en profondeur qui se construit, tout comme la confiance, dans la

durée. Chaque enregistrement a nécessité plusieurs visites. Les personnes qui ont

accepté l’enregistreur ne l’ont fait qu’après s’être assurées que l’anonymat serait

respecté, y compris en faisant des coupes dans le corpus si certains éléments

permettaient de les identifier. A l’issue de ces mises au point, les familles qui ont

accepté d’avoir un enregistreur à la maison ont elles-mêmes géré les enregistrements.

Ce sont les aînés des fratries, plus à l’aise que leurs parents avec des objets

technologiques, qui se sont acquittés de cette tâche. Les enregistrements ont surtout été

réalisés aux heures des repas où avant le départ pour l’école, situations qui réunissent

les deux générations.

Les premiers résultats en cours de dépouillement montrent qu’il reste intéressant

de recueillir des enregistrements en situation la plus écologique possible. Le corpus

montre d’une part que le pulaar est utilisé entre enfants seul ou conjointement avec le

français, ce qui contredit la thèse de la francisation très poussée de la seconde

génération. De surcroît, nous notons des phénomènes d’hybridation pour le pulaar qui, à

notre connaissance, n’ont pas été relevés précédemment. Une enquête portant sur les

représentations ou axée sur les déclarations n’aurait pas permis les mêmes observations.

L’analyse des pratiques reste irremplaçable.

70 Des enquêtes similaires ont été réalisées par L. Dabène (1994) et C. Deprez (1994), elles ont porté sur l’alternance français espagnol ou français portugais. Voir aussi Deprez 1999.

Page 104: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

104

En revanche nous avons souhaité mener des entretiens auprès d’un certain nombre

de responsables associatifs, d’acteurs sociaux médiateurs entre les migrants africains et

la société française, afin de mesurer les évolutions dans les pratiques langagières depuis

quinze ans. Les personnes assumant ce rôle social sont de bons observateurs de ces

évolutions. Cela permet en outre de respecter la structuration, y compris hiérarchique,

que les groupes se sont choisis. Le coup de sonde dans des pratiques analysées en

profondeur permet des observations intéressantes : dans cet exemple l’hybridation

linguistique, mais ne suffit pas pour rendre compte de l’évolution plus globale des

pratiques langagières. Nous avons aussi rencontré des militants, certains menant une

intense activité glottopolitique en faveur du pulaar dans une optique puriste. L’un

d’entre eux diffuse les polices phonétiques spécifiques via Internet vers toute la

diaspora et chasse les emprunts en proposant, sur son site, des néologismes qui évitent

toute hybridation linguistique71 avec le français. Les évolutions sont contradictoires

entre les usages spontanés et réfléchis, entre certains intellectuels pour qui l’idéal de la

pureté reste important et d’autres membres du groupe. La réalité est complexe et

contradictoire. Ici, sans analyse de pratiques effectives, nous serions passés à côté des

phénomènes d’hybridation. Il est en outre illusoire de penser que les locuteurs d’une

langue minorée ont tous des intérêts communs de conservation ou d’équipement de la

langue. C. Canut (2009) l’a bien montré en particulier pour les Roms de Bulgarie.

Nous avons de surcroit prévu de mener des entretiens auprès des adultes qui ont

accepté les enregistreurs pour une « triangulation » pratiques, représentations. Les

modalités de recherche choisies ne peuvent concerner qu’un nombre limité de familles,

d’où la nécessité de recourir à d’autres méthodologies. En cela nous mettons en œuvre

une approche ethno-sociolinguistique (Blanchet 2000 : 72) :

Au premier degré, le projet d’un ethno-sociolinguiste consiste donc à répondre à une question du type : « Qui parle quoi, quand, où de quoi, avec qui, comment, pourquoi, dans quel but concret ou symbolique… ? », c’est-à-dire de décrire et de comprendre :

- les variétés et variations linguistiques en jeu dans les interactions ;

71 Kebe (2010 et 2011) analyse des phénomènes glottopolitiques comparables de la part de journalistes des radios privées sénégalaises s’exprimant en wolof et évitant à l’antenne les formes francisées, quand bien même elles font partie du parler ordinaire sénégalais. On retrouve la même revendication d’authenticité et de rejet du métissage envers la culture occidentale. Les emprunts à l’arabe sont à l’inverse tolérés voire utilisés pour la création néologique.

Page 105: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  4  :  Des  recherches  historicisées  en  contextes  minoritaires  et  minorés  

105

- les usages en contexte ethno-socioculturel qui en sont faits par les locuteurs

- les interprétations/significations symboliques de ces usages

ceci en privilégiant notamment la dimension de l’identité culturelle des individus et des groupes en interaction72. (…)

A un second degré le projet est interventionniste (…). Enfin à un troisième degré, il s’agit de contribuer à l’élaboration progressive d’une théorie intégrante compréhensive en science de l’homme, via une théorie de la complexité.

Je me reconnais effectivement dans le premier et le troisième niveau mais

souhaite discuter les questions d’interventions dans le chapitre suivant. Un certain

nombre d’observations faites tant en Guyane qu’auprès d’autres publics, migrants

notamment, me conduisent à penser que pour beaucoup de linguistes et les

sociolinguistes travaillant sur des langues minoritaires et minorées, la légitimation

indispensable des langues passe par la description et la grammatisation (Auroux 1994),

la mise à l’écrit et l’enseignement dans ces langues. L’enseignement dans la langue de

la communauté est en outre une recommandation de l’UNESCO. Ces actions ne font

cependant pas toujours l’unanimité dans les communautés concernées.

72 C’est lui qui souligne.

Page 106: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage
Page 107: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

 

Chapitre  5  

Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

J’ai souligné au chapitre précédent comment, dès mes premières recherches, je fus

confrontée à des modalités différentes de la transmission et de la construction du savoir

entre les informations qui m’étaient livrées à l’oral de façon implicite par certains amis

africains et les exigences académiques. A l’opposé, je pus constater à la même période

l’éclosion massive d’associations de femmes africaines dans les quartiers, associations

dont les principales actions et revendications allaient dans le sens de l’autonomie - par

exemple passer le permis de conduire - et de l’alphabétisation ou du perfectionnement

en français. La confrontation à de nouvelles normes langagières, tant via la scolarisation

de leurs enfants que par leur participation récente à des stages ou cours de français, a

amené chez certaines d’entre elles un changement dans la perception des normes

langagières. Les meilleurs locuteurs de leur langue première n’étaient plus les locuteurs

âgés monolingues sédentaires. C’est en effet la représentation traditionnelle du « bon

locuteur » en Afrique, les plus anciens sont censés avoir moins bougé donc ne pas avoir

corrompu leur parler au contact d’autres langues. On retrouve le rejet des formes

hybrides souligné au chapitre précédent. Les anciens ont aussi acquis au cours de

l’existence un maniement expert des genres littéraires inclus dans une tradition,

paraboles, proverbes, contes, etc., où le sens ne s’y donne jamais à voir d’emblée, où il

y existe une signification profonde, symbolique en plus du sens premier (J. Derive,

1989). Le maniement et la transmission des connaissances se fait sur un mode implicite.

Le sens caché n’est jamais explicité. Chez certaines femmes africaines vivant en France

que j’ai rencontrées, le meilleur locuteur devenait l’étudiant faisant ses études en France

qui devait enseigner à leurs enfants muni d’une grammaire et d’un dictionnaire.

L’enseignement devait être en outre explicite, calqué sur les fonctionnements des

Page 108: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

108

classes de langue étrangère en Europe. La confrontation à une culture de l’écriture

grammatisée a conduit à une modification des représentations et à un changement de

variété légitimée : celle des vieux monolingues experts en maniement oraux vs

l’étudiant plurilingue lettré muni des outils linguistiques types de la grammatisation (S.

Auroux, 1994). A ce stade, on peut dire que ces dames avaient adopté une vision

littératiée de l’enseignement des langues. On retiendra pour l’instant la définition de J-

M Privat de celle-ci (2007, p. 10) :

On peut définir la littératie (notre traduction de l’anglais literacy) comme l’ensemble des praxis et représentations liées à l’écrit, depuis les conditions matérielles de sa réalisation effective (supports et outils techniques d’inscription) jusqu’aux objets intellectuels de sa production et aux habiletés cognitives et culturelles de sa réception, sans oublier les agents et institutions de sa conservation et de sa transmission. (…)

Pour ces femmes africaines, les langues africaines devaient être légitimées par

l’écrit (doc. 12, 2001, p. 102). Toutefois, il n’y a pas unanimité dans les groupes

linguistiques et culturels concernés autour des représentations du meilleur locuteur, ni

de la meilleure transmission des connaissances (doc. 37, 2011). J’ai aussi recueilli la

représentation du vieux monolingue meilleur locuteur pour ce même groupe. J’ai

présenté deux représentations polaires pour les besoins de la démonstration mais les

syncrétismes sont nombreux. Ces syncrétismes s’opposent à la deuxième partie de la

définition de la littératie de J-M. Privat (ibid., p. 10), que j’ai volontairement séparée de

la première, puisque beaucoup plus polémique.

La littératie s’oppose ainsi à l’oralité comme la culture écrite à la culture orale. Il va de soi que les interférences entre oralité et écriture sont incessantes et de fait constitutives des cultures modernes et contemporaines.

Nous discuterons de ces oppositions supposées entre oralité et écriture dans la

seconde partie de ce chapitre. Mais avant cela nous nous intéresserons à un autre aspect

des syncrétismes mis en œuvre par les sociétés qui, de par leur histoire, ont dû s’adapter

à des modèles différents de transmission des connaissances, modèles autochtones puis

importés à différentes époques.

Page 109: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

109

Cultures  d’apprentissage  et  syncrétisme  

Normes  d’interaction  enfant/  adulte,  enseignant  /  élève  

L’ouverture dès le début de mes recherches à une approche culturellement située

des transmissions des connaissances et de la place de l’écrit dans celles-ci sera renforcée

par plusieurs recherches menées dans des contextes différents : récits enfantins, Guyane

française. Je décidais alors de mener une recherche spécifique sur le sujet des cultures

d’apprentissage (docs. 23, 24, 28 ; 2005-2009) en y étudiant la place de l’écrit dans

l’appropriation linguistique puis continuais la réflexion sur le terrain mahorais (doc. 38,

2010) pour revenir ensuite au terrain guyanais en le comparant avec certaines situations

africaines (doc. 37, 2011). Ces questions traversent donc l’ensemble de mon parcours de

recherche. Le point commun à plusieurs situations investiguées est en effet la

caractéristique post-coloniale où l’écrit a, dans un premier temps, été importé par les

conquêtes puis par la scolarisation alors que son usage reste peu étendu dans la société

globale. Tout ceci n’est pas sans conséquences sur l’entrée dans l’écrit à l’école, quelles

que soient les langues vectrices de l’alphabétisation. Il faut ajouter pour certaines

régions d’Afrique subsaharienne la présence de longue date de l’école coranique où les

enfants apprennent par cœur les sourates du Coran, sans accès au sens pour la majorité

d’entre eux. Ce type d’apprentissage constitue un des modèles de l’écrit et de

l’apprentissage de la lecture, sacralisé, la scolarisation à l’école coranique étant aussi et

peut-être avant tout considérée par les familles comme une éducation morale. Le débat

sur la nécessaire introduction des langues nationales dans l’école en Afrique

subsaharienne (B. Maurer 2007, 2011) n’épuise pas une réflexion sur les normes

d’interactions langagières et les places respectives de l’oral et de l’écrit dans les sociétés

étudiées, les liens entre langues, écriture, religion, savoir, pouvoir…

En amont de ces remarques autour de l’écrit et du mode explicite ou implicite de

transmission des connaissances se trouvent les modalités d’interaction en vigueur dans

la société entre enfants et adultes qui peuvent être différentes de celles en vigueur entre

enseignants et élèves dans une école qui fut construite, dans un premier temps, sur un

modèle importé.

Des observations, faites en Guyane cette fois, ont confirmé l’importance de

l’enculturation première des enfants dans la réception des activités scolaires en français.

Page 110: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

110

Je me permets de rappeler des observations qui ont peu été publiées. En grande section

de maternelle, j’y vis une séance de langage organisée autour d’une version moderne et

vidéo du Loup et les biquets où l’enseignante, créole, fraichement sortie de l’IUFM,

menait une séance classique portant sur la structure textuelle. Les enfants devaient

dégager des éléments comme le titre et le nom des personnages et s’intéresser à la

structure du conte. Très vite, seuls les enfants créoles ont participé, les Amérindiens ne

se sentaient pas concernés par l’exercice. Ils étaient sages mais ailleurs73. Au-delà de la

convergence / divergence ethnique74 entre l’enseignante et les élèves, il est probable que

les enfants amérindiens ne reconnaissaient pas une question collective comme leur étant

adressée. Le type d’exercice proposé, demandant d’extraire des informations et la

structure du conte, semblait en outre complètement extérieur à leur univers et largement

emprunt de culture occidentale écrite dont une des réalisations a été considérée à une

période donnée comme un référent scolaire incontournable : la linguistique textuelle. Ce

type d’approche métalinguistique n’existe pas dans la culture première des enfants

amérindiens guyanais, il n’est pas nécessaire ni même utile d’extraire des éléments

structurels pour construire le sens des mythes fondateurs75 par exemple (doc. 37, 2011).

On rejoint là les travaux de S. Auroux, 1994, pour qui, historiquement, il n’y eut de

réflexion sur les langues qu’après un processus de scripturisation qui représente un des

premiers degrés de formalisation de la parole (ibid p. 47).

Mais ce qui fait véritablement démarrer la réflexion linguistique, c’est l’altérité, envisagée essentiellement du point de vue de l’écrit.

Ici on demandait à des enfants appartenant à des cultures de l’oralité un exercice

oral largement emprunt de culture écrite : l’extraction d’éléments formels.

L’extériorité de formes d’adresse collective m’a en outre été confirmée lors d’une

autre observation par une enseignante métropolitaine chevronnée en charge d’un cours

préparatoire où les enfants de culture amérindienne étaient majoritaires. Pendant les six

73 On peut y voir aussi une forme de résistance culturelle qui peut conduire quelques années plus tard à un absentéisme scolaire important. 74 Juste avant cette séance, j’ai assisté à un exercice de graphisme écriture qui consistait en la décoration d’un tipi et l’écriture d’une phrase « je suis un indien, j’habite dans un tipi ». La photocopie était extraite d’une liasse vendue dans le commerce que j’avais déjà vue en France. En Guyane, il n’y a pas plus de bison que de tipi, les gens vivent dans des carbets... 75 Le bien fondé de l’utilisation des schémas de la linguistique textuelle, au Mali cette fois, est discuté par Maurer 2007.

Page 111: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

111

premiers mois de l’année, elle a dû adresser individuellement à chaque enfant les

consignes aussi classiques que « sors ton livre de x, ton cahier y » pour que les élèves

suivent la consigne. Ils avaient pourtant presque tous été scolarisés trois ans en

maternelle. Au bout de six mois de patiente adresse individualisée, les enfants pouvaient

comprendre que cette même adresse pouvait être faite au pluriel. Tous participaient aux

activités scolaires, se sentaient visiblement concernés. Je n’ai pas noté de

comportements ethniquement spécifiques dans cette classe. La question des normes

d’interaction scolaire a au reste été soulignée pour la Guyane par M. Verdelhan-

Bourgade (2002).

La base même de la scolarisation qui consiste à regrouper des enfants autour d’un

adulte qui a autorité est extérieure aux cultures amérindiennes de Guyane.

Traditionnellement les apprentissages se font par observation, imitation auprès d’un

adulte, généralement un membre de la famille du même sexe. Il n’existe pas de

regroupement par classe d’âge tel qu’on peut le voir en Afrique de l’Ouest, pas plus

qu’il n’existe d’équivalent de l’arbre à palabres, où les adultes masculins les plus âgés

se regroupent pour discuter. Les interactions orales ne font pas l’objet des mêmes

ritualisations. Il semble au reste que les mythes fondateurs ne circulent pas en grand

groupe76. L’univers des enfants semble ainsi moins séparé de l’univers des adultes en

Guyane qu’en Afrique de l’Ouest, où l’âge est un élément primordial de la respectabilité

et de la hiérarchie.

Il faut noter que la participation orale des élèves aux activités de classe est

particulièrement normée dans le système scolaire français, y compris dans les DOM

puisque ce sont les mêmes normes qui sont diffusées, et ce sans que ces normes ne

soient explicitées. La déconstruction / explicitation des normes d’interaction pourrait,

devrait être un aspect de la formation des enseignants en contexte interculturel ou non.

On attend d’un élève « qu’il participe », qu’il souhaite se mettre en avant pour donner sa

réponse mais ni trop ni trop peu ni trop souvent ni pas assez… Les bulletins scolaires

sont remplis de ces appréciations. Les pratiques langagières dans les familles françaises

les plus en phase avec l’école installent très tôt l’enfant comme interlocuteur à part

entière. On s’intéresse et on stimule la progression langagière de l’enfant dès le plus

jeune âge, on interroge les enfants sur leur journée de classe par exemple, on leur

76 Discussion personnelle avec F. Grenand, anthropologue en Mai 2000.

Page 112: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

112

apprend des normes sociolinguistiques commandant d’intervenir avec parcimonie dans

des discussions entre adultes. Tout ceci construit les bases d’une « bonne participation

en classe ». Ces normes acquises en famille (ou non) sont culturelles, historiquement et

socialement situées.

Les observations de classe guyanaises ont permis d’inclure les normes

d’interaction comme composantes des cultures premières influant sur la réception des

activités scolaires et le rapport au savoir. En amont de notre travail sur les classes

d’accueil, à l’issue d’une réflexion sur les différents terrains que j’avais pu investiguer

au préalable, C. Mortamet et moi-même avons proposé la définition suivante de la

culture d’apprentissage (doc. 23, 2005, p. 24) :

Par culture d’apprentissage nous entendons l’ensemble des modalités qu’un groupe utilise pour transmettre des connaissances d’une génération à l’autre et plus généralement pour faire circuler des savoirs à l’intérieur du groupe. Ces modalités peuvent faire une modalité plus ou moins grande aux discours, qu’ils soient explicites ou métaphoriques, aux démonstrations, aux textes écrits, etc. On apprend en effet tout autant à travers des discours (on nous dit ce qui est, ce qui doit être, etc.) qu’à travers les actions (on voit ce qui se fait, ce qui ne doit pas se faire). Or le dire et le faire se conjuguent différemment selon les cultures et le contenu du savoir à acquérir.

Dans cette définition, nous y insistions sur l’importance ou non du langage dans la

transmission des connaissances. Il est vrai que dans des sociétés rurales où, jusqu'à

récemment, la survie du groupe nécessitait la participation de chacun aux activités

agricoles et artisanales, les apprentissages incorporés gardent une grande importance.

On peut mettre en relation notre définition avec celle contemporaine de J-L. Chiss et F.

Cicurel (2005). On peut noter que les deux textes mettent en relation d’équivalence

« modèles de transmission du savoir » et « cultures d’apprentissage » alors que les

publications sont sorties en même temps ; les uns n’ont pas pu lire les autres. (ibid.

2005 : 8)

Les modèles de transmission du savoir formant ce qu’on peut appeler la culture d’apprentissage – le rôle de l’écriture, de la mémoire, de la traduction, l’imitation des patrons, la déconstruction de la tradition – ne sont pas identiques.

Page 113: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

113

Ici c’est l’écrit qui est le premier élément de la définition, considéré comme

central. Mais les contributions réunies dans ce dernier ouvrage portaient sur les cultures

linguistiques et éducatives dans l’enseignement des langues. En revanche, dans notre

réflexion, nous considérions que le langage dans ses différents usages culturellement

situés est la clé de voute permettant de comprendre des constructions de connaissance se

faisant par le biais de modalités différentes. La réflexion porte sur l’appropriation des

connaissances en général et non sur l’appropriation plus spécifique des langues

étrangères. En outre, nous nous focalisions sur des situations où l’acculturation à l’écrit

est récente et partielle, situations qui représentent des cas particuliers peu explicités

dans l’ouvrage ci-dessus. Surtout, le point commun aux situations sociolinguistiques sur

lesquelles ont porté une partie de mes recherches est de présenter une répartition

fonctionnelle des langues et des usages où certaines langues seulement sont utilisées à

l’écrit (le français dans certains contextes plurilingues) voire exclusivement à l’écrit

(l’arabe à Mayotte et en Afrique de l’Ouest musulmane) alors que d’autres sont utilisées

quasi exclusivement à l’oral : les langues africaines ou amérindiennes. La répartition

fonctionnelle des langues et des usages proposée dans le doc. 23 (2005) et complétée

dans le doc. 29 (2008) rend compte de cette catégorisation (cf. chapitre 1-3). La

disjonction oral / écrit peut être rapportée à Mayotte et dans une moindre mesure, à la

Guyane.

La réflexion sur la répartition fonctionnelle des langues et des usages s’est

enrichie au regard de la situation mahoraise, autre département d’outre-mer français.

Cette situation permet un autre éclairage sur les normes d’interaction enfant / adulte ;

enseignant / élève (doc. 38, 2010), le dire et le faire dans l’environnement familial et la

place de l’enfant dans la société. Les normes d’interaction de l’école métropolitaine

semblent aussi éloignées des normes d’interaction familiales entre adultes et enfants

mais pour des raisons en partie différentes. A Mayotte, les enfants n’ont pas à intervenir

devant les adultes, ne sont pas sollicités, doivent avant tout obéissance et respect. La

hiérarchie par l’âge y joue un rôle important. En revanche, comme en Guyane, se mettre

en avant devant ses camarades pour obtenir des gratifications d’un adulte est incongru.

La réflexion sur l’écart entre les normes sociolinguistiques des familles et de

l’école, sur les genres langagiers valorisés dans chacun des deux espaces n’est pas

Page 114: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

114

nouvelle ; les travaux de B. Bernstein (1977), portant sur les genres les plus usités et

valorisés en fonction des classes sociales, ont été largement utilisés dans la formation

des enseignants77. Mais c’est une vision dichotomique et caricaturée qui, le plus

souvent, a été transmise dans les formations d’enseignants conduisant à la théorie du

déficit langagier des classes populaires (R. Delamotte-Legrand 1997). Reprendre ce

paradigme en y adjoignant des études sur des terrains socialement et/ou culturellement

différenciés peut permettre de mettre au jour des phénomènes comparables mais plus

difficilement perceptibles parce que les écarts avec les normes dominantes sont

moindres.

Le caractère exogène d’un modèle importé reste néanmoins primordial dans la

compréhension des phénomènes. C’est ainsi que l’on peut différencier ce que C. Cortier

(2005) appelle cultures éducatives, qui concerne l’institution scolaire et universitaire en

tant qu’émanation d’une société, des cultures d’apprentissage telles que nous les avons

définies. (Cortier 2005, p. 479) :

L’histoire, les traditions, les religions sont largement présentes dans les cultures éducatives et déterminent à un niveau macro les politiques, les formes institutionnelles, les sélections et classifications de contenu opérés pour la rédaction des programmes et à un niveau micro les représentations, les conceptions, les rituels, les habitus dans la relation pédagogique, la communication, les modalités de prise de parole. (…)

Les cultures éducatives au sens large ne sont donc que le développement spécialisé et concentré de savoirs spécifiques aux sociétés humaines dans ce lieu précis de transmission qu’est l’institution scolaire et universitaire.

Les cultures d’apprentissage (Leconte, Mortamet 2005) admettent l’existence de

modèles importés, la co-présence dans une société donnée de modèles différents, par

exemple : l’éducation traditionnelle, l’école coranique et l’école de type occidental.

Trois espaces symboliques d’accès à la connaissance cohabitent, auxquels sont

attribuées des valeurs différentes. Commentant la définition des cultures éducatives de

C. Cortier, je soulignais (doc. 38, 2010, p. 3) :

77 J’ai étudié B. Bernstein à l’école normale en 1978.

Page 115: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

115

Dans le cas de Mayotte, « l’histoire, les traditions, les religions » ne sont pas toutes présentes dans les sélections et les classifications du contenu qui vont déterminer les programmes du fait de la situation post-coloniale.

Je notais aussi un décalage entre les valeurs transmises à l’école (laïcité, égalité

hommes / femmes, formation de l’esprit critique) et l’éducation familiale et coranique

traditionnelle. Les parents ne reconnaissent pas toujours un rôle d’éducation morale à

l’école de type occidental78. D’autre part, l’enseignement dispensé à l’école coranique

ne fonctionne pas sur un mode explicite, notamment concernant l’accès au sens. Une

sourate peut être interprétée, glosée mais pas expliquée, son contenu peut encore moins

être remis en cause.

Le caractère sacré de l’écrit mérite considération en ce qu’il détermine la façon

dont se fait l’accès au sens de l’écrit, la possible réfutation de celui-ci. En Afrique de

l’Ouest comme à Mayotte, les enfants apprennent par cœur les sourates du Coran dans

une langue qu’ils ne maitrisent pas et n’ont pas accès au sens pour la plupart d’entre

eux. Les sourates sont oralisées, la forme sonore est retenue. L’accès au sens est réservé

à une petite minorité. J. Goody (2007 : 22) parle de littératie restreinte pour désigner

des situations où l’accès à la littératie se fait dans une langue qui n’est pas la langue

maternelle des enfants.

Si l’on choisit d’enseigner aux enfants uniquement dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle (et n’en est pas proche), qu’il s’agisse de l’arabe en Afrique Occidentale, du sanskrit en Inde, ou du latin en Europe, on peut raisonnablement dire que l’on est dans une littératie restreinte. Les apprenants doivent acquérir une deuxième langue (souvent morte) avant de pouvoir y ajouter les savoir-faire de la lecture et de l’écriture, ce qui exige évidemment plus de temps et d’effort que d’apprendre à lire la langue vernaculaire.

Cet apprentissage par cœur des textes écrits a aussi une influence sur

l’organisation de la mémoire : la répétition et l’oralisation de l’écrit sont à la base des

processus de mémorisation, comme en témoigne l’existence du verbe parcoeuriser en

78 Il n’est pas rare que l’on envoie des enfants d’origine sénégalaise nés en France quelques années au pays d’origine pour les remettre dans le droit chemin. Ils sont alors scolarisés à l’école coranique considérée comme ne pervertissant pas les enfants (docs. 23 et 31).

Page 116: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

116

Afrique de l’Ouest, qui décrit une réalité non nommée par un vocable spécifique en

français hexagonal parce que beaucoup moins répandue dans l’hexagone. Enfin on peut

s’interroger sur l’importance de la forme sonore dans la mémorisation dans des cultures

traditionnellement orales. Son origine me semble aller au-delà de la simple scolarisation

à l’école coranique mais renvoyer aussi à l’importance des formes sonores dans la

société qui peuvent être l’importance de la parole donnée mais peut être aussi de la

musique dans la société.

En France, les enfants n’ont pas accès au sens des textes écrits lors de

l’enseignement religieux islamique. Selon les représentations que j’ai recueillies,

« l’arabe c’est pour la religion » (corpus CLAD), « je sais lire mais je sais pas ça veut

dire quoi » (corpus Adama 9 ans). Il n’est en outre jamais présenté comme faisant partie

du répertoire langagier ni dans les dessins ni dans les discours. Cette dissociation entre

l’écrit et le sens, la langue et la communication est contraire à ce que l’on demande à

des élèves scolarisés dans le système français qui doivent comprendre d’emblée ce

qu’ils lisent, doivent avoir accès au sens sans passer par l’oralité. La laïcisation de la

lecture / écriture fut en outre un long processus historique (G. Chauveau, 1997).

Ces questions apparaissent primordiales lorsqu’il s’agit d’envisager d’introduire

des langues nationales à l’école, de comprendre des résistances ou difficultés dans une

scolarisation plus ordinaire. Au delà des aspects fonctionnels, les valeurs symboliques,

les usages, les habitus de communication orales et écrites, le pouvoir octroyé par la

maitrise de certaines formes orales ou littératiés dans une société donnée influent sur la

réception par les populations concernées d’un éventuel programme de scolarisation

bilingue.

Malgré mon appétence pour le travail de terrain, il peut être difficile de multiplier

les terrains d’observations pour déterminer les évolutions des cultures d’apprentissage

confrontées à des modalités plurielles de transmission des savoirs, puisant leurs racines

dans des institutions différentes, et d’en analyser les conséquences sur la réception des

activités scolaires, notamment en français. C’est pourquoi je souhaite continuer à diriger

des travaux sur le sujet : un certain nombre de mémoires de master dirigés portent sur

ces thématiques, de même que la thèse de Daphné Bloch, Cultures d’enseignement,

cultures d’apprentissage et dynamiques scolaires à Madagascar. Les résultats de ce

Page 117: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

117

travail en cours promettent d’être intéressants et de nourrir une réflexion sur ces

thématiques pour l’ensemble du continent africain.

Par ailleurs, on peut s’interroger sur le fait que l’écrit n’a pas davantage pénétré

les sociétés d’Afrique de l’Ouest alors qu’il a été introduit au Sud du Sahara dès le IXe

siècle. On peut y voir une forme de résistance culturelle, l’oral garde la primeur dans le

fonctionnement social, le pouvoir des religieux n’a pas complètement ni partout remis

en cause les pouvoirs traditionnels fortement portés par l’oralité. Ce sont ces questions

liées à d’éventuelles résistances face au passage à l’écrit de langues minorées que je

vais désormais aborder.

Ecriture,  pouvoir,  légitimité  

Pour un volume d’hommage à Claude Caitucoli, j’ai eu l’occasion de revenir à

une réflexion sur le passage à l’écriture des langues minorées. Les missions effectuées à

Saint-Georges de l’Oyapock au début des années deux mille m’avaient fait douter du

bien fondé du passage systématique à l’écrit des langues minorées, de leur introduction

à l’école. Il m’avait semblé alors que la scripturisation en vue, entre autres, d’une

utilisation scolaire était davantage un souhait des linguistes et des ethnologues présents

sur le terrain que des populations concernées. Nous avions au reste, C. Caitucoli et moi

lors de la deuxième mission, recueilli le témoignage d’un homme palikur nous

rapportant que les caciques du bourg étaient opposés au projet en cours d’encyclopédie

palikur alors que lui-même y participait. Cette expérience m’a fait douter du bien-fondé

systématique de l’implication des chercheurs sur le terrain, telle que définie par P.

Blanchet ( 2000 : 72).

A un deuxième degré le projet est interventionniste : implications sur la gestion de la diversité linguistique dans une ou des sociétés données, sur les plans politiques, juridiques, sociaux, culturels, éducatifs, didactiques, pédagogiques, etc.

A Saint-Georges de l’Oyapock, la présence répétée et régulière de nombreux

chercheurs venant de la métropole pour étudier une langue amérindienne, la décrire,

l’écrire, et éventuellement la faire enseigner à l’école, contribuait à modifier la situation

sociolinguistique – ce qui n’est pas en soi un problème – mais aussi la situation sociale

Page 118: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

118

et les équilibres entre familles. Les personnes d’une seule famille effectuaient un travail

rémunéré d’information des linguistes orléanais, par la suite ce seront des membres

d’une autre famille qui deviendront informateurs de linguistes appartenant à d’autres

équipes (P. Dahlet 2008), une troisième famille encore travaillera avec des spécialistes

des forêts tropicales. Dans le contexte du marché du travail local où les Indiens sont tout

en bas de l’échelle, travailler avec des universitaires blancs amène des gratifications

symboliques et parfois financières. Les personnes choisies sont nécessairement de bons

locuteurs de français et si possible des personnes ayant été scolarisées suffisamment

longtemps pour comprendre les demandes d’explication sur leur langue des linguistes.

C’est encore la francophonie et le maniement de la culture écrite qui permet l’accès à un

certain statut social. On comprend dans ce cadre les réticences des caciques à la mise à

l’écrit des savoirs traditionnels alors que, dans l’ensemble, ils n’ont pas été scolarisés.

Les conflits de légitimité autour du passage à l’écrit des langues minorées sont

analysées en détail dans le document 37.

A l’époque, dans un contexte où la doxa commandait de sauver un maximum de

langues, il n’était pas facile de faire entendre des voix discordantes, d’autant plus que

j’étais moins à l’aise sur le terrain amérindien que sur le terrain de la migration

originaire d’Afrique noire. Il m’a donc fallu une dizaine d’années et l’occasion d’un

article d’hommage pour reprendre et rendre publique la réflexion. Le travail me fut

d’autant plus facile que, dans l’intervalle, les travaux sur la littératie se sont multipliés,

ont pénétré le champ de la sociolinguistique et la didactique des langues79. De surcroît,

on a commencé à entendre quelques voix remettant en cause la doxa relative au

nécessaire passage à l’écrit de toutes les langues du monde pour assurer leur survie,

notamment celles de Calvet 2002b pour une remise en cause globale, de Goury 2007

pour la Guyane, de Mbodj-Pouj 2011 pour le Mali, etc. Preuve s’il en est que les

recherches sont bien historicisées, que les idées circulent. Cette réflexion a été conduite

dans le document 37 (2011). Là encore je ne souhaite pas réécrire l’article mais

voudrais reprendre quelques thématiques qui me semblent être présentes tout au long de

cette note.

79 Voir entre autres Barré de Miniac 2004, Chiss 2008, Fraenkel et Mbodj-Pouj, 2010, Goody 2007, Kara et Privat 2006, Moore 2006, etc.

Page 119: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

119

Le point de départ de cette réflexion et des réfutations qui s’en sont suivies est ce

que L. Goury (2007 : 79) a appelé la théorie du grand partage de J. Goody80. En effet

celui-ci, dans ses premiers articles, fait de l’écriture un point nodal dans l’évolution de

l’humanité. L’apparition de l’écriture est considérée, dans l’évolution de l’humanité,

comme aussi importante que l’apparition du langage. La hiérarchisation n’est pas loin.

Goody et Watt (2006 (1968), p. 31 :

Si l’on se place dans la perspective du temps, l’évolution de l’homme du point de vue biologique se dessine dans la pénombre de la préhistoire alors qu’il devient un animal utilisant le langage ; lorsque s’y ajoute l’écriture, c’est l’histoire proprement dite qui commence. Sur l’échelle du temps, l’homme en tant qu’animal intéresse surtout le zoologue ; en tant qu’animal parlant, il devient un objet d’études essentiellement pour l’anthropologue ; en tant qu’animal parlant et écrivant, c’est surtout le sociologue qui est appelé à s’y intéresser.

Cette position est réaffirmée quelques quarante ans plus tard par J. Goody dans

une définition : « Les cultures orales, terme par lequel je définis les cultures

dépourvues d’écriture » (2007, p. 51). Ici, les cultures orales sont définies en négatif :

dépourvues, la norme reste l’écriture. Cette définition a en outre l’inconvénient de

ranger dans une même catégorie toutes les cultures orales, alors qu’il me semble que

certaines « cultures orales » accordent beaucoup plus d’importance que d’autres au

langage. Je notais : (doc 37, p. 133, 2011)

On a là une définition en négatif des sociétés orales qui range dans la même catégorie des sociétés où l’oralité est à ce point centrale dans la vie du groupe qu’il existe un corps de métier spécialisé dans la conservation de l’histoire et de la mémoire du groupe – les griots en Afrique de l’Ouest par exemple – et les sociétés pour lesquelles le langage ne semble pas être un élément central dans la conservation des valeurs du groupe, ne revêt pas la même importance dans la vie sociale. La société palikur me semble être de celle-ci.

Cette indifférenciation des cultures orales me semble en contradiction avec ce que

l’on peut observer. Ainsi la pratique ancienne, rapportée par K. Nimuendaju 2009

80 Cette théorie est exemplifiée par la définition de Privat reproduite plus haut « opposition entre oralité et écriture ».

Page 120: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

120

(1926), consistant à brûler le pourtour de la bouche des jeunes filles avec des tessons de

poterie pour qu’elles soient aussi silencieuses que la terre dont était faite les poteries est

spécifique à certaines cultures orales, elle me semble proprement impensable au

Sénégal, y compris dans les années vingt. De plus, les remarques faites supra sur les

différences dans les normes d’interaction langagières entre enfants et adultes selon les

groupes observés, Guyane et Mayotte par exemple ou d’autres, vont dans le même sens

d’une différenciation des cultures orales.

Enfin aujourd’hui toutes les sociétés sont confrontées à l’écriture, de manière plus

ou moins affirmée, dans une ou plusieurs langues et l’on rencontre diverses pratiques

sociales polylogiques (J-M. Privat 2007, p. 14). Aujourd’hui, les usages sont aussi plus

fréquemment plurimodaux que polylogiques : aux modalités orales et écrites de J-M.

Privat, on peut y ajouter les potentialités permises par l’utilisation des nouvelles

technologies : dessin, photo, vidéo, etc., largement usitées dans la communication

électronique. L’emploi du terme plurilittératie, pour désigner des usages recourant à

différentes modalités, dont l’image, me semble un peu excessif. L’image, y compris

médiée par l’ordinateur, est une représentation graphique mais pas écrite, il ne s’agit pas

de la même technologie intellectuelle. On peut accéder aux nouvelles technologies sans

maitriser la lecture et l’écriture. En voici quelques exemples observés à partir des

migrants originaires du Sénégal en France. J’ai pu observer l’évolution des pratiques de

communication à distance de migrants présents en France avec leur famille restée au

pays que ce soit le Sénégal, la Mauritanie ou la Guinée Bissau depuis trente ans.

Il y a trente ans, les migrants présents en France s’enregistraient sur une cassette

audio pour donner des nouvelles et confiaient celle-ci à un de leurs compatriotes qui se

rendait en vacances au village d’origine. Cela permettait la communication à distance,

avec les mères notamment, alors que celles-ci étaient non lettrées en français et que les

communications téléphoniques internationales étaient très onéreuses. La poste au

demeurant fonctionnait très mal en dehors des grandes villes, le téléphone n’était pas

présent dans tous les villages. La « maman » en retour donnait de ses nouvelles et de

celles de sa famille, y compris en sollicitant l’aide d’un jeune du village dans le

maniement du magnétophone. L’usage du magnétophone (à piles) était en effet

largement répandu puisqu’il permettait d’abord d’écouter de la musique ; il a vite rejoint

la radio au rang d’objet indispensable. Les cassettes circulaient avec de nombreux objets

Page 121: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

121

dans les deux sens : objets de la modernité et de consommation dans le sens Europe

Afrique, objets traditionnels et denrées cultivées dans l’autre sens. La parole conservée

grâce à des supports techniques permettait la communication à distance malgré

l’absence de pratique de lecture et d’écriture. Quelques années plus tard, des vidéos

d’événements importants tels que les baptêmes et les mariages ont commencé à circuler

entre la France et le pays d’origine. Lors de mes enquêtes de thèse, je fus ainsi

quelquefois invitée à m’asseoir au salon pour regarder des vidéos de fêtes où l’on

pouvait compter le nombre de carcasses de moutons et de sacs de riz qui sortaient du

coffre de la Renault 19 ou de la Peugeot 405, les billets donnés au griot, etc. La fête

était traditionnelle, l’ostentation aussi, mais les moyens de faire circuler l’information

sur le statut de la famille étaient nouveaux. Parallèlement, dès que les coûts des

communications téléphoniques longues distances ont baissé, des télécentres ont été

implantés jusque dans les villages les plus reculés du Sénégal. Puis l’usage du téléphone

portable, ne nécessitant que peu d’infrastructures, a eu une progression plus rapide

encore. La communication en plus d’être orale devenait simultanée, se rapprochant en

cela un peu plus d’une communication orale non médiée. Aujourd’hui, l’ordinateur s’est

fait une place en tant que technologie permettant la communication à distance,

relativement bon marché, conservant les caractéristiques de simultanéité et d’oralité.

Celui-ci permet de plus de « voir » la personne qui parle. Les mêmes grands-mères (ou

leurs filles et petites filles) qui s’enregistraient sur cassettes il y a trente ans ne

rechignent pas aujourd’hui à se placer devant un ordinateur pour discuter avec leurs

petits-enfants, toujours avec l’aide d’un jeune pour les maniements techniques. J’ai de

plus souligné au chapitre 1 l’importance de cet objet technologique dans les relations

entre jeunes dans les deux espaces.

Les nouvelles technologies audiovisuelles ont eu un succès immédiat en Afrique,

loin de l’image du continent peu technicisé, les obstacles étant surtout liés aux

problèmes d’infrastructures et de coût, et non de résistance culturelle face à des objets

techniques qui seraient extérieurs à la culture traditionnelle. Nous sommes à l’opposé de

la pénétration très partielle et très lente de l’écriture en Afrique de l’Ouest alors que les

premières implantations de l’écriture liées à l’Islam datent du IXè siècle. Son caractère

sacré et de littératie restreinte ne suffit pas à lui seul à expliquer cette lenteur. Le

parallèle entre la vitesse de pénétration des deux technologies (écriture vs conservation

et transmission de la parole à distance) est éclairant. Il ne me semble donc pas opportun

Page 122: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

122

d’appeler plurilittératie81 des modes de communication plurimodaux qui font une part

importante aux nouvelles technologies. Dans les pratiques que je viens de décrire, les

objets technologiques les plus récents sont mis à profit pour conserver des modes de

communication se rapprochant le plus possible de l’oralité, ils n’ont pas grand-chose à

voir avec la culture écrite, même si les concepteurs de ces objets sont des lettrés. Une

certaine forme de résistance à la culture écrite passe par l’appropriation d’objets

technologiques. Cela n’empêche pas d’envoyer ses enfants à l’école pour qu’ils y

apprennent à lire et à écrire, y compris en français. La valorisation de l’oralité

n’implique pas un rejet de la littératie, on trouve là encore des traces de syncrétisme qui

ne sont pas dénués d’un certain pragmatisme.

Les pratiques décrites ci-dessus peuvent être mises en relation avec la position des

élites pour qui les langues africaines doivent être écrites et décrites. Ainsi la nouvelle

constitution sénégalaise de 2002 stipule que le français est langue officielle et que les

langues nationales sont le diola, le malinké, le pulaar, le sereer, le soninké et le wolof82

et toutes autres langues qui seraient codifiées. A l’inverse des choix qui ont conduit à la

rédaction de la constitution sénégalaise de 1971, ce ne sont pas tant les usages et la

diffusion d’une langue qui lui assurent un statut particulier mais la description de la

langue par les linguistes et l’élaboration d’une écriture. On mesure là l’importance du

prestige de l’écriture chez les élites et les décalages avec certains usages ordinaires de la

population décrits ci-dessus. Là encore, il ne semble pas y avoir de consensus dans les

communautés mais des avis et des intérêts divergents. La situation est dynamique et

complexe, variable selon les langues.

A propos des représentations de l’écrit en Guyane, L. Goury (2007, p ; 78) note :

Aucune enquête systématique n’a été conduite à propos de la représentation de l’écrit dans les différentes communautés guyanaises, mais les discours qui révèlent tout à la fois des sentiments de crainte et de méfiance, de confiance et de rejet, laissent entrevoir toute la complexité de la situation.

81 On peut raisonnablement réserver plurilittératie aux situations où plus d’une langue sont utilisées par l’individu ou la société à l’écrit. 82 Ces six langues sont « langues nationales » depuis 1971.

Page 123: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Chapitre  5  :  Littératies  et  cultures  d’apprentissage  

123

La complexité des représentations de l’écrit dans des situations où celui-ci a été

importé n’est pas réservée à la seule Guyane. J’espère continuer à réfléchir à différentes

situations sociolinguistiques où des langues de tradition écrite et d’autres langues

codifiées plus récemment se partagent les usages de la communauté.

Page 124: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage
Page 125: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

 

Perspectives  

 

J’ai égrené au long de cette note, au fur et à mesure de ma présentation, les

prolongements possibles d’un certain nombre de recherches que j’ai pu mener. C’est

donc dans l’ordre de présentation de la note que je reprends brièvement les perspectives

annoncées, y compris lorsqu’il s’agit de travaux en cours.

Le  projet  de   recherche  alternance  des   langues   français   /  pulaar,  français  /  wolof    

Ce projet arrive à échéance à la fin 2011. Je souhaite continuer ce travail en

collaboration avec A. Kebe dans quelques directions : d’abord une collaboration avec

l’université Cheikh Anta Diop qui permettra de mettre en regard les phénomènes

linguistiques d’hybridation recueillis en France, notamment pour le pulaar, avec des

corpus recueillis au Sénégal. Le corpus recueilli pour le wolof ne montre pas de

phénomènes qui seraient particuliers à la migration. J’ai ainsi programmé un voyage à

Dakar en janvier 2012 à l’invitation des collègues de l’Université Cheikh Anta Diop

pour travailler sur des corpus comparables d’une part, envisager de manière concrète de

futures collaborations d’autre part. Nos deux laboratoires de linguistique ont une longue

histoire de travail en commun, comme le montre, par exemple, le nombre de

contributions de collègues dakarois à la publication que je viens de diriger (doc. 35), les

co-directions de thèses, etc. Un voyage au Sénégal me sera par ailleurs très utile pour

poursuivre mes réflexions autour des représentations de l’écrit des personnes

enculturées dans des cultures valorisant fortement l’oralité.

J’ai en outre signalé plus haut la nécessité de mener des entretiens semi-directifs

auprès des personnes qui ont accepté les enregistrements. Ce travail peut être mené en

Page 126: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Perspectives  

126

2012, une fois le rapport rédigé, dans la mesure où la DGLFLF s’intéresse

prioritairement aux pratiques langagières et ne demande pas de réflexion sur les

représentations. Enfin, nous avons vu aux chapitres 1 et 5 l’importance prise par les

nouvelles technologies en tant que moyens de communication à distance quasi

simultanés. Ces pratiques nouvelles méritent qu’une recherche leur soit consacrée. Là

encore, une collaboration avec l’université Cheikh Anta Diop est souhaitable de même

qu’une collaboration avec le groupe écrilecte de notre laboratoire.

Le  projet  Plurilinguisme  Acculturation  Linguistique  en  français  et  Insertion  Sociale  des  personnes  

Dans le cadre de ce projet portant sur l’influence des cultures d’apprentissage

dans la réception des activités d’apprentissage du français écrit et oral, j’ai réalisé, au

printemps 2011 une quinzaine d’entretiens portant sur les représentations des

apprentissages oraux et écrits du français, des besoins linguistiques ressentis comme les

plus urgents. Ceux-ci ont été menés auprès d’adultes migrants, d’origines diverses, en

cours de formation linguistique et professionnelle en français dans le cadre d’une

association menant des actions de formation linguistique et culturelle, prestataire du

Conseil Régional et de Pôle emploi. Clara Mortamet est intervenue dans le cadre de

cette recherche pour un travail plus spécifique sur l’orthographe : elle est venue faire

faire une dictée « Les habits neufs de l’empereur » au groupe de personnes interrogées,

particulièrement demandeurs de maitrise des aspects les plus formels du français écrit,

puis a recueilli un certain nombre d’écrits spontanés ou en réponse à des consignes. J’ai

enregistré la séance. Les productions orales seront mises en relation avec les écrits, les

représentations avec les pratiques recueillies.

Les premières écoutes et transcriptions des enregistrements laissent apparaître des

profils d’apprenants en fonction de leur scolarisation passée, des langues parlées et

écrites et de l’insertion plus ou moins facile en France. Les besoins langagiers ne sont

pas les mêmes selon l’urgence à trouver du travail, l’importance du langage dans le

métier visé. L’analyse du corpus a fait l’objet d’une première présentation lors de la

journée d’études PALIS que nous organisons le 20 octobre 2011 à l’université de

Rouen.

Page 127: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Perspectives  

127

Le but est aussi de mettre en regard nos travaux avec ceux de nos collègues

invités (Nancy et Paris 3) afin d’envisager des collaborations futures. La formation en

français langue seconde d’adultes qui souhaitent un perfectionnement pour des raisons

d’insertion ou de promotion professionnelle est un secteur en pleine expansion dans le

domaine du FLES. Les décrets parus en octobre 2011 exigeant un niveau B1 pour

l’octroi de la nationalité française conduiront à renforcer ce secteur. C’est donc à la fois

un domaine qui peut offrir des débouchés importants à nos étudiants de master

Diffusion du français, dont je suis responsable, ce qui m’importe beaucoup, tout en

étant peu investigué par la recherche. Les recherches en FLES ont lieu plus volontiers

auprès des étudiants fréquentant les centres de langues qui ont l’avantage d’être à

proximité des universités et de ne pas présenter une trop grande altérité sociale avec les

universitaires. Pourtant la demande sociale est importante de connaissances

potentiellement utilisables dans une perspective didactique qui concerneraient

l’appropriation du français par des personnes aux trajectoires scolaires et

professionnelles plus diversifiées. Mon investissement de ce terrain de recherche est une

continuation logique de mon parcours de chercheure et d’enseignante, travaillant avec

une forte proportion d’étudiants étrangers, et de responsable de master professionnel.

L’analyse des enregistrements fera l’objet d’une seconde présentation plus

approfondie lors du colloque « Vers le plurilinguisme ? 20 ans après » qui se tiendra à

Angers en mars prochain. L’étape suivante sera la mise en regard de nos résultats avec

les travaux effectués précédemment auprès d’adolescents scolarisés en classe d’accueil.

Les uns pourraient être les parents des autres dans la mesure où ce sont les personnes

originaires des mêmes pays qui vivent dans les quartiers périphériques de

l’agglomération. Nous pourrons donc interroger la variable générationnelle. La

réflexion pourra bénéficier des travaux de nos étudiants de Master diffusion du français

effectuant leur stage en classe d’accueil d’une part, de l’éclairage de certains de nos

collègues sociologues avec lesquels une collaboration est en train de se mettre en place

dans le cadre de la fusion de nos deux laboratoires d’autre part. La présence d’une

sociologue travaillant sur la migration dans l’agglomération rouennaise à la journée

d’études du 20 octobre 2011 marque le début de cette collaboration.

Page 128: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Perspectives  

128

Projet  d’ouvrage  

Enfin et surtout mon cheminement m’a conduit à remettre en cause « le grand

partage » effectué par J. Goody (1968 et passim) entre cultures orales et écrites,

présentées dans les années soixante comme largement disjointes voire opposées. La

théorie du grand partage a largement influencé nombre de linguistes, pour qui toutes les

langues devaient être écrites et équipées afin d’égaler en dignité les langues écrites et

leur permettre de survivre et ce, sans que la mise à l’écrit des langues premières ne fasse

toujours l’objet de consensus dans la société considérée. Aujourd’hui le syncrétisme est

la règle, toutes les cultures sont confrontées, selon des modalités différentes à l’écrit,

sans que pour autant l’ensemble des groupes ne valorisent l’écrit en langue première ni

même l’écrit quelle que soit la langue utilisée. Certains manifestent une résistance

culturelle qui n’est au reste pas nouvelle. L’ensemble de ces questions articulées à

l’identité linguistique et aux conséquences sociales de l’introduction de la littératie et de

la légitimation de certaines langues mériterait d’être retravaillé dans un ouvrage qui

s’appuierait aussi sur des recherches de terrain.

Page 129: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

ABDALLAH-PREITCEILLE M., 1999, L’éducation interculturelle, Paris, PUF.

ABDALLAH-PREITCEILLE M., PORCHER L., 1999, Ethique, communication, éducation, Le français dans le monde recherches et applications numéro spécial Juillet 1999, Hachette, Paris.

ALBY S. ET LAUNEY M., 2007, « Former des enseignants dans un contexte plurilingue et pluriculturel » dans Léglise I., et Migge B., Paris, IRD, pp. 317-348.

AMSELLE J-L., 1990, Logiques métisses anthropologie de l'identité en Afrique et ailleurs, L'Harmattan, Paris.

AMSELLE J-L., 1992, « Ethnie », Paris, Encyclopedia Universalis, pp. 971-973.

AMSELLE, J-L., 2001, Branchements. Anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Flammarion.

AMSELLE, J-L., 2011 (2008), L’occident décroché. Enquête sur les postcolonialismes, Paris, Fayard, Pluriel.

APPADURAI A., 2001 (1996), Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot.

ARCHIBALD, J., GALLIGANI, S., 2009, (dir.), Langue(s), Immigration(s) : société, école, travail, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques sociales.

AUGER N., 2010, Elèves nouvellement arrivés en France, Paris, Editions des archives contemporaines.

AUROUX, S. 1994, La révolution technologique de la grammatisation, Bruxelles, Mardaga.

AUROUX S., 1996, La philosophie du langage, Paris, PUF. AUROUX S., 1998, La raison, le langage et les normes, Paris, PUF.

BAKHTINE M., 1984, Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard. BARRE-De MINIAC C., 2004, La littéracie, conception théorique et pratique

d’enseignement de la lecture-écriture, LIDIL n° 27, Grenoble, PUG. BATIANA A., PRIGNITZ G. (dirs.), 1998, Francophonies africaines, Rouen, coll.

DYALANG n° 1, Publications de l’Université de Rouen. BAUTIER E., 1995, Pratiques langagières, pratiques sociales, Paris, l’Harmattan.

BAROU J. 1992, L'immigration en France des ressortissants des pays d'Afrique noire, Rapport du groupe de travail interministériel, Secrétariat Général à l'Intégration, Paris.

BAUDELOT C., ESTABLET, R., 2009, L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, Paris, Seuil.

Page 130: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

130

BEACCO J-L. (dir.), 2004, Représentations linguistiques ordinaires et discours, Langages n° 154, Paris, Larousse.

BEACCO J-L., 2007, L’approche par compétences dans l’enseignement des langues, Paris, Didier.

BEACCO J-C., CHISS J-L., CICUREL F., VERONIQUE D. (dirs.), 2005, Les cultures éducatives et linguistiques dans l’enseignement des langues, Paris, PUF.

BILLIEZ J., 1985, « La langue comme marqueur d’identité » dans Revue Européenne des Migrations Internationales, Vol. 1 n° 2, Poitiers, Université de Poitiers.

BILLIEZ J., 1993, « Le parler véhiculaire interethnique de groupes d’adolescents en milieu urbain » dans Des langues et des villes, Actes du colloque de Dakar : 15-17 déc. 1990, Paris, Didier-Erudition, pp. 117-126.

BILLIEZ J. (dir.), 1998, De la didactique des langues à la didactique du plurilinguisme. Hommage à Louise Dabène, Grenoble, CDL Lidilem, PUG.

BILLIEZ J. (dir.), 2003, Contacts de langues. Modèles, typologies, interventions, Paris, L’Harmattan.

BILLIEZ J., 2005, « Plurilinguisme et migration. De la connaissance à la reconnaissance », dans Mochet et alii (dir.), Plurilinguismes et apprentissages, Mélanges offerts à D. Coste, Lyon, ENS éditions, pp. 169-182.

BILLIEZ J., De ROBILLARD D. (dirs), 2003, Français : variations, représentations, pratiques, Cahiers du français contemporain n°8, Lyon, ENS Editions.

BLANCHET P., 2000, La linguistique de terrain. Méthode et théorie. Une approche ethno-sociolinguistique, Rennes, PUR.

BLANCHET P., 2007, « Quels « linguistes » parlent de qui, à qui, quand, comment et pourquoi ? Pour un débat épistémologique sur l’étude des phénomènes linguistiques », dans Blanchet, Calvet, De Robillard, Paris, L’Harmattan, Carnets de l’atelier de sociolinguistique, pp. 229-294.

BLANCHET P., CALVET L-J., ROBILLARD de D., 2007, Un siècle après le cours de Saussure : La linguistique en question, Paris, L’Harmattan, Carnets de l’Atelier de Sociolinguistique.

BLANCHET Ph, COSTE D. (dirs.), 2010, Regards critiques sur la notion « d’interculturalité ». Pour une didactique de la pluralité linguistique et culturelle, Paris, L’Harmattan, coll. Espaces discursifs.

BLANCHET P., MARTINEZ, P., 2010, Pratiques innovantes du plurilinguisme. Emergence et prise en compte en situations francophones, Paris, AUF, Editions des archives contemporaines.

BLANCHET Ph, de ROBILLARD D. (dirs.), 2003, Langues, contacts, complexité, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.

BOUCHER M-A., 2011, Spécificités et enjeux de l’apprentissage du français chez les ENAF chinois, Mémoire de master 2 diffusion du français sous la direction de C. Mortamet, Rouen, Université de Rouen

BOURDIEU P., 1982, Ce que parler veut dire, Paris, Fayard.

BOURDIEU P., 1993, La misère du monde, Paris, Seuil.

Page 131: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

131

BOYER H., 1986, « « Diglossie », un concept à l’épreuve du terrain. L’élaboration d’une sociolinguistique du conflit en contexte occitan », dans Lengas 20, Montpellier, Presses universitaires de Montpellier.

BOYER H., 2008, Langue et identité, Limoges, Lambert-Lucas. BOYER H. (dir.), 2009, Pour une épistémologie de la sociolinguistique, Limoges,

Lambert-Lucas. BOZARSLAN, H., 2005, « Les Yézidis : quelques informations sur une communauté

atypique », dans Kurdistan, Passerelles N°30, Paris, Revue d’études interculturelles, pp. 83-89.

BRETEGNIER A., 1996, « L’insécurité linguistique : objet insécurisé ? Essai de synthèse et perspectives », dans Robillard et Beniamino (dirs.), Le français dans l’espace francophone, T. 2, Paris, Champion.

BRETEGNIER A., LEDEGEN G. (dirs), 2002, Sécurité, insécurité linguistique – Terrains et approches diversifiés, propositions théoriques et méthodologiques, Paris et Saint-Denis de la Réunion, Université de la Réunion et Paris, L’Harmattan.

BULOT T. (dir.), 1998, Rouen : reconstruction langage, Etudes normandes, Rouen.

CAITUCOLI C. (éd.), 1994, Le français au Burkina Faso, Cahiers de Linguistique sociale, Presses universitaires de Rouen, Rouen.

CAITUCOLI C., 1998, « Francophonie et identité au Burkina Faso : éléments pour une typologie des locuteurs francophones », dans Batiana A., Prignitz G. (dirs.), Francophonies africaines, collection DYALANG, Publications de l’Université de Rouen, Rouen, pp. 9-20.

CAITUCOLI C. (dir.), 1999, L’hétérogénéité linguistique des élèves et des étudiants dans l’académie de Rouen : répertoires, pratiques, représentations, Rapport final, Paris, INRP, CNCRE.

CAITUCOLI C. (dir.), 2003, Situations d’hétérogénéité linguistique en milieu scolaire, Rouen, PURH, coll. Dyalang.

CAITUCOLI C., 2008, « Compte-rendu : D. de Robillard, 2008, Perspectives alterlinguistiques, vol. 1 :Démons, vol. 2 : Ornithorinques, Paris, L’Harmattan, dans M. Abecassis (dir.), Pratiques langagières dans le cinéma francophone, Glottopol n° 12, Rouen, pp. 257-265.

CALVET, L-J., 1974, Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie, Paris, Payot.

CALVET L-J., 1987, La guerre des langues et les politiques linguistiques, Paris, Hachette.

CALVET L-J., 1992, Les langues des marchés en Afrique, Paris, Didier.

CALVET L-J., 1993, Sociolinguistique, Paris, PUF. CALVET, L-J., 1994, Les voix de la ville, Paris, Payot.

CALVET 1999, Pour une écologie des langues du monde, Paris, Plon. CALVET L-J., 2002a, (1996), Histoire de l’écriture, Paris, Hachette.

Page 132: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

132

CALVET L-J., 2002b, Le marché aux langues. Les effets linguistiques de la mondialisation, Paris, Plon.

CALVET, L-J., 2004, Essais de linguistique. La langue est-elle une invention des linguistes ?, Paris, Plon.

CALVET L-J., 2009, « Oiapoque / Saint-Georges de l’Oyapock : effets de marges et fusion des marges en situation frontalière » dans Bulot T., (ed.), Formes et normes sociolinguistiques. Ségrégations et discriminations urbaines, Paris, L’Harmattan, pp. 29-49.

CALVET L-J. et DUMONT P. (dir.), 1999, L’enquête sociolinguistique, L’Harmattan, Paris.

CALVET L-J. et MOUSSIROU-MOUYAMA, 2000, Les villes plurilingues, Paris, AUF, L’Harmattan.

CAMILLERI C., VINSONNEAU G., 1996, Psychologie et culture : concepts et méthodes, Paris, A. Colin.

CANUT C., 2008, Une langue sans qualité, Limoges, Lambert-Lucas.

CASTELLOTTI V., 2001a, La langue maternelle en classe de langue étrangère, Paris, Clé inter.

CASTELLOTTI, V. (dir.), 2001b, D’une langue à d’autres. Pratiques et représentations, PURH, Rouen.

CASTELLOTTI V., 2002, Pluralité linguistique et appropriation : approche linguistique et didactique, représentations, interventions, Dossier présenté pour l’habilitation à diriger des recherches, Tours, Université F. Rabelais.

CASTELLOTTI V., 2010, « Attention ! un plurilinguisme peut en cacher un autre. Enjeux théoriques et didactiques de la notion de pluralité » dans Les Cahiers de l’Acedle, vol. 7, n° 1-2010, Notions en question en didactique des langues : Les plurilinguismes, http://acedle.org/spip.php?article2864, pp. 181-207.

CASTELLOTTI V., COSTE D., SIMON D., 2003, « Contacts de langues, politiques linguistiques et formes d’intervention » dans Billiez (dir.), Contacts de langues, Modèles, typologies, interventions, Paris, L’Harmattan, pp 253-270.

CASTELLOTTI V. et MOORE D. (dirs.), 1999, Alternances des langues et construction des savoirs, Cahiers du français contemporain N°5, Paris, ENS éditions.

CASTELLOTTI V. et MOORE D. (dirs.), 2005, « Répertoires pluriels, culture métalinguistique et usages d’appropriation » dans Beacco et alii (dirs.) les cultures éducatives et linguistiques dans l’enseignement des langues, Paris, PUF.

CASTELLOTTI V. et MOORE D., 2009, « Dessins d’enfants et constructions plurilingues. Territoires imagés et parcours imaginés », dans Molinié (dir.), Pontoise, CTRF.

CASTELLOTTI V., De ROBILLARD D. (dirs.), 2001, Diversité langagière et insertion, Langage et société n° 98, Paris, MSH.

Page 133: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

133

CASTELLOTTI V., De ROBILLARD D. (dirs.), 2003, France, pays de contacts de langues, Cahiers de l’Institut de Linguistique de Louvain n° 29, Louvain, Presses Universitaires de Louvain.

CERQUIGLINI B., 2003, Les langues de France, Paris, PUF. CERTEAU M. de, 1990, L’invention du quotidien 1, Arts de faire, Paris, folio, Essais.

CERTEAU M., GIARD L., MAYOL P., 1990, L’invention du quotidien 2, Habiter, cuisiner, Paris, folio, Essais.

CHARLOT B., 1997, Le rapport au savoir en milieu populaire, Paris, Anthropos. CHARLOT B., 1999, Du rapport au savoir, éléments pour une théorie, Paris,

Anthropos. CHARLOT B., BAUTIER E., ROCHEIX J-L., 1992, Ecole et savoirs dans les

banlieues et ailleurs, Paris, A. Colin. CHAUDENSON, R., 1989, Vers une révolution francophone, Paris, L’Harmattan.

CHAUDENSON R., CALVET L-J., 2001, Les langues dans l’espace francophone : de la coexistence au partenariat, Paris, AUF, L’Harmattan.

CHISS J-L., 2008, « Littératie et didactique de la culture écrite », dans Masseron et Garcia-Debanc (dirs.), Pratiques n° 137-138, Hommages à J-F. Halte, Metz.

COLLECTIF, 1989, Graines de parole, puissance du verbe et traditions orales, Textes offerts à G. Calame-Griaule réunis par l’équipe de recherche CNRS « Langage et cultures en Afrique de l’Ouest », Paris, eds. du CNRS.

COLLOMB G., 2009, « Au fil du temps… Langues et sociétés en Guyane » dans Renault-Lescure O et Goury L. (dir.), Les langues de Guyane, Marseille, IRD, pp. 28-40.

CONSEIL de L’EUROPE, 2001, Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, Didier Strasbourg.

COSTE D., MOORE D., ZARATE D., 1997, Compétence plurilingue et pluriculturelle. Vers un Cadre Européen Commun de référence pour l’enseignement et l’apprentissage des langues vivantes : études préparatoires, Strasbourg, Comité de l’Education, Conseil de la coopération culturelle, Editions du conseil de l’Europe.

DABENE L., 1994, Repères sociolinguistique pour l’enseignement des langues, Hachette, Paris.

DABENE L. et BILLIEZ J. 1984, Recherches sur la situation sociolinguistique des jeunes issus de l’immigration, rapport de recherche, Centre de didactique des langues, Université de Grenoble, Grenoble.

DAFF M., 2011, Esquisse pour une démarche méthodologique de didactique convergente dans l’enseignement bilingue en francophonie africaine : cas du partenariat didactique français/wolof au sénégal, dans Leconte (dir.), les péréfrinations d’un gentilhomme linguiste. Hommage à Claude Caitucoli, Glottopol n° 18, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/numero-18.html

DAHOUN Z., 1995, Les couleurs du silence : le mutisme des enfants de migrants, Paris, Calman-Lévy.

Page 134: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

134

DE HEREDIA-DEPREZ C., 1984, « Les parlers français des migrants » dans François (dir.), J’cause français non ?, Paris, Maspéro, pp. 95-125.

DELAMOTTE-LEGRAND R., 1997, « Langage, socialisation et constitution de la personne » dans Delamotte-Legrand et alii, Langage, éthique, éducation perspectives croisées, Rouen, PURH, pp. 63-116.

DELAMOTTE-LEGRAND R., 2009, Politiques linguistiques et enseignements bilingues francophones : entre langage et pouvoir, Glottopol N° 13, Rouen, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/numero-13.html.

DELAMOTTE-LEGRAND R., 2011, « Répertoires langagiers des enfants et langues à l’école à Mayotte comme ailleurs » dans Leconte F. (dir.), les pérégrinations d’un gentilhomme linguiste. Hommage à Claude Caitucoli http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/numero-18.html.

DELAMOTTE-LEGRAND R., FRANCOIS F, PORCHER L. 1997, Langage, éthique, éducation, perspectives croisées, Rouen, PURH.

DELAMOTTE-LEGRAND R. et HUDELOT C., 1997, Le langage à l’école maternelle, Cahiers d’Acquisition et de Pathologie du Langage, Paris, Université Descartes.

DEPREZ C., 1994, Les enfants bilingues. Langues et familles, Paris, CREDIF – Didier Hatier.

DEPREZ C., 1999, « Les enquêtes « micro ». Pratiques et transmissions familiales des langues d’origine dans l’immigration en France », dans Calvet et Dumont (dir.), L’enquête sociolinguistique, Paris, L’Harmattan.

DEPREZ C., 2000, « Pour une conception plus circulante des langues en contexte migratoire » dans Calvet et Moussirou-Mouyama (dirs.), Paris, AUF, L’Harmattan, pp. 55-67.

DEPREZ C., 2009, « La participation des migrants à la configuration des plurilinguismes régionaux » dans Gasquet-Cyrus et Petitjean (dirs.), Paris, l’Harmattan.

DEPREZ C., 2003, « Evolution du bilinguisme familial en France », Le français aujourd’hui, 143, Paris, A. Colin, pp. 35-43.

DERIVE J., 1975, Collecte et production des littératures orales, Paris, Selaf.

DERIVE J., 1989, « Le jeune menteur et le vieux sage. Esquisse d’une théorie « littéraire » chez les Dioulas de Kong » dans Graines de parole, puissance du verbe et traditions orales, Paris, eds. du CNRS, pp. 185-200.

DIOUF J-L., YAGUELLO M., 1991, J’apprends le wolof, Paris, Karthala.

DREYFUS, M., et JULLIARD, C., 2004, Le plurilinguisme au Sénégal, langues et identités en devenir, Paris, Karthala.

DUMONT P., 1990, Le français langue africaine, L’Harmattan, Paris. FERGUSON G., 1959, « Diglossia », Word 15, pp. 325-340.

FISHMAN J., 1971, Sociolinguistique, Paris, Nathan.

Page 135: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

135

FERREIRA Jo-Anne S., 2010, « Bilingual Education among the Karipúna and Galibi-Marwono: Prospects and Possibilities for Language Preservation » In Migge, B., Léglise I. and Bartens A. (eds), Creoles in Education: An Appraisal of Current Programs and Projects [CLL 36], Amsterdam, John Benjamins, 211-236.

FEUSSI V., 2008, Parles-tu français ? Ca dépend, L’Harmattan, Paris.

FRAENKEL, B., MBODJ-Pouye, A., 2010, (dir.), New Literacy Studies, un courant majeur sur l’écrit, Langage et Société N° 133, Paris, MSH.

FRANCARD M. (en collaboration avec GERON G. et WILMET R.), 1993, L’insécurité linguistique dans les communautés francophones périphériques, volume 1 Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, 19 (3-4).

FRANCARD M. (en collaboration avec GERON G. et WILMET R.), 1994, L’insécurité linguistique dans les communautés francophones périphériques, volume 2 Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, 20 (1-2).

GADET F., 1989, Le français ordinaire, Paris, A. Colin. GADET F., 2003, « Derrière les problèmes méthodologiques de recueil des données »,

http://www.revue-texto.net/inedits/Gadet_Principes.html, 12 pages, consulté le 13/09/2011.

GADET F., 2003, La variation sociale en français, Paris, Ophrys. GAJO L., MATTHEY M., MOORE D., SERRA C. (dirs.), Un parcours au contact des

langues. Textes de Bernard Py commentés, Paris, Didier Hatier Credif coll. LAL. GASQUET-CYRUS M., PETITJEAN C., 2009, Le poids des langues. Dynamiques,

représentations, contacts, conflits, Paris, L’Harmattan, coll. Espaces discursifs. GIRIER C., BATHILY M., DIALLO L. et DIABIRA S. 1992, Enseignement du

soninké, Association pour la Promotion de la langue et de la culture Soninké (A.P.S.), Paris.

GODON E., « L’école sur le Maroni. Places et fonctions, réelles, prévues et occupées » dans Léglise I., et Migge B., Paris, IRD, pp. 349-368.

GOODY, J., 1986, La raison graphique, Paris, Minuit. GOODY J., 2006 (1968), « La technologie de l’intellect » dans Kara M. et Privat J-M.

(dir.), Pratiques N° 131, Metz, pp. 7-30. GOODY, J., 2007, Pouvoirs et savoirs de l’écrit, La Dispute, Paris.

GOODY J., 2010 (2006), Le vol de l’histoire. Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde, Paris, Gallimard NRF Essais.

GOODY J. et Watt I., 2006 (1968), « Les conséquences de la littératie » dans Kara M. et Privat J-M. (dir.), Pratiques N° 131, Metz, pp. 31-67.

GOURY L., 2007, « L’écrit en Guyane. Enjeux linguistiques et pratiques sociales », dans Léglise I., et Migge B., Paris, IRD, pp. 73-86.

GOURY L., LAUNEY M. et. al. 2000, « Des médiateurs bilingues en Guyane française » Revue Française de Linguistique Appliquée N° 5, Paris, Publications linguistiques, pp. 43-60.

Page 136: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

136

GRENAND F., 2009, Encyclopédies palikur, wayana, wayampi. Fascicule 0, Langue, milieu, histoire, CTHS, Orléans, Presses Universitaires d’Orléans.

GRENAND F., RENAULT-LESCURE O., 1990, Pour un nouvel enseignement en pays amérindien, approche culturelle et linguistique,, Cayenne, ORSTOM.

GRIAULE M., 1966, Dieu d’eau, Paris, Livre de poche.

GUMPERZ J., 1989, Sociolinguistique interactionnelle, L’Harmattan, Paris. HAMERS J. et BLANC M., 1983, Bilingualité et bilinguisme, Bruxelles, Mardaga.

HELLER M., 2003, Eléments pour une sociolinguistique critique, CREDIF Didier / Hatier coll. LAL.

HOGGART R., 1970 (1957), La culture du pauvre, Paris, Minuit. JOHNSON R. B. et ONWEGBUZIE A. J., 2004, « Mixed Methods Reseaurch : A

researche paradigm whose time has come », Educational Researcher, 33 (7), 14-26.

JUILLARD C. et WALD P., 1994, (dirs.), Le plurilinguisme au Sénégal N° 68 de Langage et Société, Paris, Maison des sciences de l'Homme.

KARA M. et PRIVAT J-M., 2006, (dirs.), La littératie. Autour de Jack Goody, Pratiques N° 131, Metz.

KLINKENBERG J-M., 2001, La langue et le citoyen, Paris, PUF. KAUFMAN J-C., 2004 (2001), Ego. Pour une sociologie de l’individu, Paris, Hachette.

KAUFMAN J-C., 2004, L’invention de soi ; Une théorie de l’identité, Paris, Hachette. KAUFMAN J-C., 2007, l’enquête et ses méthodes. L’entretien compréhensif, Paris, A.

Colin. HAMPATE BA A., 1995, Petit Bodiel et autres contes de la savane, Paris, Stock.

LABOV W., 1976, Sociolinguistique, Paris, Minuit. LAFAGE, S., 1979, « Esquisse d’un cadre de référence pragmatique pour une analyse

sociolinguistique en contexte africain », dans Manessy et Wald (dirs.), Plurilinguismes, normes, situations, stratégies, L’Harmattan, Paris, pp. 41-60.

LAFONT R., 1984, « Pour retrousser la diglossie » dans Lengas 15, Montpellier, Presses universitaires de Montpellier.

LAHIRE B., 1999, L’invention de « l’illettrisme ». Rhétorique publique, éthique et stigmates, Paris, La Découverte.

LAHIRE B., 2007 (2005), L’esprit sociologique, Paris, La Découverte. LAPLANCHE J. et PONTALIS J-B., 2004 (1967), Vocabulaire de la psychanalyse,

Paris, PUF. LAPLANTINE F., 1996, La description ethnographique, Paris, Nathan.

LAROUSSI F., 1999, Plurilinguisme et identités au Maghreb, Rouen, PUR LAROUSSI F., 2009, (dir.), Langues, identité et insularité. Regards sur Mayotte,

Rouen, PURH.

Page 137: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

137

LAUNEY M., 2003, Awna parikwaki : introduction à la langue palikur de Guyane et de l’Amapa. Paris, IRD Editions.

LAUNEY M., 2009, « La langue palikur » dans Renault-Lescure et Goury (dirs.), Marseille, IRD éditions, pp. 56-65.

LEGLISE I., 2004, « Langues frontalières et langues d’immigration en Guyane française, pratiques et attitudes d’enfants scolarisés en zone frontalière » dans Moreau M-L., (dir.), Langues de frontières, frontières de langues, Glottopol N° 4, Rouen, http://www.univ_rouen.fr/dyalang/glottopol/numero-4.html, pp. 108-124.

LEGLISE I., 2007, « Des langues, des domaines, des régions. Pratiques, variations, attitudes linguistiques en Guyane », dans Léglise I. et Migge B. (dir.), Paris, IRD, pp. 29-48.

LEGLISE I. et ALBY S. 2006. Minorization and the process of (de)minoritization: the case of Kali'na in French Guiana, International Journal of the Sociology of Language 182, pp. 67-86.

LEGLISE I., CANUT C., DESMET I., GARRIC N., 2006, Applications et implications en sciences du langage, Paris, L’Harmattan.

LEGLISE I., et MIGGE B., 2007, Pratiques et représentations linguistiques en Guyane. Regards croisés, Paris, IRD éditions.

LEGLISE I., ROBILLARD de D., 2003, « Applications, implications, interventions, expertises, politiques linguistiques : les (socio) linguistes entre « savants » et mercenaires » ? » dans Billiez (dir.), Contacts de langues, Paris, L’Harmattan, pp. 237-252.

LÜDI, G., Py B., 2003 (1987), Devenir bilingue, parler bilingue, Niemeyer, Tübigen.

MACE F., 1999, Normes scolaires, productions des élèves et représentations des enseignants : une coconstruction de l’hétérogénéité linguistique, Mémoire de DEA, Université de Rouen.

MAHMOUDIAN M. et MONDADA L., 1998, Le travail du chercheur sur le terrain, questionner les pratiques, les méthodes, les techniques d’enquêtes, Cahiers de l’ILSL n°10, Lausanne, Université de Lausanne.

MALHERBE, M., 1995, Les langages de l’Humanité, Paris, Seuil. MANESSY, G., 1992, « Mode de structuration des parlers urbains », dans ACCT, Des

langues et des villes, Paris, Didier-Erudition. MARCELLESI J-B., 1986, Glottopolitique, Langage n° 83, Paris, Larousse.

MARCELLESI J-B. en collaboration avec Blanchet P. et Bulot T., 2003, Sociolinguistique. Epistémologie, langues régionales, polynomie, Paris, L’Harmattan.

MARTINEZ P., MOORE D., SPAETH, V., 2008, Plurilinguismes et enseignements. Identités en construction, Paris, Riveneuve éditions.

MASSERON C., GARCIA-DEBANC, 2008, La didactique du français, Hommage à Jean-François Halté, Metz, Pratiques N° 137-138.

Page 138: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

138

MATTHEY M., 2010, « Peut-on parler d’une sociolinguistique suisse ? » dans Boyer H. (dir.) Pour une épistémologie de la sociolinguistique, Limoges, Lambert-Lucas, pp. 23-31.

MAURER B. 1999, « Quelles méthodes d’enquête sont effectivement employées aujourd’hui en sociolinguistique ? », dans Calvet et Dumont (dirs.), L’enquête sociolinguistique, Paris, L’Harmattan, pp. 167-189.

MAURER B., 2007, De la pédagogie convergente à la didactique intégrée langues africaines-langue française, Paris, OIF L’Harmattan.

MAURER B., 2011, Langues de scolarisation en Afrique. Enjeux et repères pour l’action, AFD-AUF, Pariss, Editions des archives contemporaines.

MBODJ-POUJ A., 2011, Réaction à l’intervention de Patrick D. et Bidach G. « Nouvelles littératies et identités. Des Inuits urbains à Ottawa », journée d’études Notion en Question, Les littératies, organisée par l’ACEDLE, Université de Cergy-Pontoise, 28 Janvier 2011.

MIGUEL-ADDISU V., 2010, Apprendre en français au lycée franco-ethiopien d’Addis Abeba : une approche sociolinguistique à des fins didactiques,Thèse de doctorat, Rouen, Université de Rouen.

MELMAN C., 1993, « Les quatre composantes de l’identité » dans Les textes essentiels, la psychanalyse, Paris, Larousse, pp. 545-556.

MOCHET M-A., POTOLIA A., 2004, Pratiques et représentations langagières dans la construction et la transmission des connaissances, Lyon, ENS Editions.

MOCHET et alii, 2005, Plurilinguismes et apprentissages, mélanges Daniel Coste, Lyon, ENS.

MOLINIE M. (dir.), 2006, Biographie langagière et apprentissage plurilingue, numéro spécial Recherche et Application N°39 - Le Français dans le Monde, FIPF-CLE international, Paris.

MOLINIE M., (dir.) 2009, Le dessin réflexif. Elément pour une herméneutique du sujet plurilingue, Pontoise, CRTF.

MOORE D., 1992, « Perte, maintien ou extension de la langue d’origine ? Réflexions à propos de la situation indo-pakistanaise en Angleterre », Lidil n°6, Grenoble, presses universitaires de Grenoble, pp. 53-68.

MOORE, D., 1998, « C’est tout du chinois on a l’impression Quentin. Approches de la distance et mises en proximité chez des enfants éveillés aux langues », dans Billiez (dir.), De la didactique des langues à la didactique du plurilinguisme, Hommage à Louise Dabène, Grenoble, CDL-LIDILEM, pp. 309-322.

MOORE, D. (dir.), 2001, Les représentations des langues et de leurs apprentissages. Références, modèles, données et méthodes, Paris, Didier.

MOORE D., 2006, Plurilinguismes et école, Paris, Credif-Hatier, coll. LAL. MOORE D. et MAC DONALD M., 2011, « The name can only travel three times.

Nomination des nouveaux nés et dynamiques identitaires plurielles. Qu’en disent vingt jeunes mères Stó:lō de Colombie-Britannique ? Ou de quelques récits de la transformation » dans Glottopol N° 18, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol.

Page 139: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

139

MOORE D. et PY B., 2008, « Introduction au chapitre : Discours sur les langues et représentations sociales » dans Zarate G., Lévy D., Kramsch C., Précis du plurilinguisme et du plurilectalisme, Paris, Editions des Archives Contemporaines, pp. 271-279.

MOREAU M.-L., 1994, « Nous avons la langue trop épaisse ou comment être un francophone sénégalais » dans Francard (dir.) L’insécurité linguistique dans les communautés francophones périphériques, Louvain, Cahiers de l’Institut linguistique de Louvain.

MOREAU M-L. (dir.), 1997, Sociolinguistiques. Concepts de base, Bruxelles, Mardaga.

MORIN E., 1977-2004, La méthode, Paris, Seuil.

MORIN E., 1990, Introduction à la pensée complexe, Paris, Seuil. MORIN E., 2008, Mon chemin. Entretiens avec Djenane Kareh Tager, Paris, Fayard.

MUCCHIELLI A., 1986, L’identité, Paris, PUF. N'DAO P.A. 1996, Contacts de langues au Sénégal étude du code-switching wolof-

français en milieu urbain : approches linguistique, sociolinguistique et pragmatique, Thèse de doctorat d'état, Université de Dakar, Dakar.

NDAO P-A., 2011, « Quelques aspects sociolinguistiques de l’aménagement de la diversité linguistique au Sénégal » dans Glottopol N° 18 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol.

NICOLLET A. 1992, Femmes d'Afrique noire en France : la vie partagée, L'Harmattan, Paris.

NICOLLET A. 1998, « Femmes d'Afrique noire sur les chemins d'Europe... », Cahiers de sociologie économique et culturelle, juin 1998, pp. .

NIMUENDAJU C., 2008 (1926), Les Indiens Palikur et leurs voisins, Orléans, Editions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Presses universitaires d’Orléans.

PAILLE P., MUCCHIELLI A., 2010 (2003), L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Paris, A. Colin, coll. U.

PARRIS J-Y., 2007, « Usages de l’histoire des premiers temps chez les Marrons ndyuka » dans Léglise I. et Migge B. (dir.), Paris, IRD, pp. 251-262.

PAULME D., 1976, La mère dévorante, essai sur la morphologie du conte africain, Paris,Gallimard.

PIEROZAK I., ELOY J-M. (dir.), 2009, Intervenir : appliquer, s’impliquer ?, Paris, L’Harmattan.

PLATIEL S., 1988, « Les langues africaines en France : des langues de culture face à une langue de communication » dans Vermés (dir.) Vingt-cinq communautés linguistiques de la France, paris, L’Harmattan, pp. 9-30.

PORQUIER R., PY B., 2004, Apprentissage d’une langue étrangère : contextes et discours, Paris, Didier coll. Essais Credif.

Page 140: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

140

PRODHOMME V., 2011, Etude sur les représentations langagières et la culture d’apprentissage scolaire des Géorgiens nouvellement scolarisés dans l’agglomération rouennaise, Mémoire de master 2 diffusion du français sous la direction de C. Mortamet, Rouen, Université de Rouen.

PRUDENT L-F., 1981, « Diglossie et interlecte » dans Langages n°61, Paris, Larousse.

PUREN L., 2007, « Contribution à une histoire des politiques linguistiques éducatives mises en œuvre en Guyane française depuis le XIXe siècle », dans Léglise I. et Migge B. (dirs.), Paris, IRD, pp. 279-296.

PY B., 1990, « Les stratégies d’acquisition en situation d’interaction », dans Gaonach (dir.), Acquisition et utilisation d’une langue étrangère. L’approche cognitive. Le Français Dans le Monde Recherches et Applications, Paris, Hachette.

PY B., 1993, « L’apprenant et son territoire : système, normes et tâches », AILE n°2, Encrages, Paris, pp. 9-24.

PY B., 2004, « Pour une approche linguistique des représentations sociales » dans Beacco (dir.) Langages n° 154, Paris, Larousse, pp. 6-19.

RAPATEL V., 2011, Perception et évaluation de la variation en langue chez les ENAF, Mémoire de master 2 diffusion du français sous la direction de C. Mortamet, Rouen, Université de Rouen.

RENAULT E., 2011, La représentation et l’acquisition des normes par les élèves nouvellement arrivés en France, Mémoire de master 2 diffusion du français sous la direction de F. Leconte, Rouen, Université de Rouen.

RENAULT-LESCURE, O., 2009, « Les langues amérindiennes » dans Renault-Lescure et Goury (dir.), Marseille, IRD éditions, pp. 41-45.

RENAULT-LESCURE O., GRENAND F., 1985, « Le problème scolaire, la question amérindienne de Guyane », Ethnies, pp. 26-38.

RENAULT-LESCURE O., GOURY L. (dir.), 2009, Langues de Guyane, Marseille, IRD éditions, Coll. Vents d’Ailleurs.

REUTER Y., TAUVERON C., 2000, Diversité narrative, Repères N°21, Paris, INRP. REY A., 1972, « Usages, jugements et prescriptions linguistiques » dans Langue

française n° 16, Paris, A. Colin. ROBILLARD, D. de, 2007, « La linguistique autrement : altérité, expérienciation,

réflexivité, constructivisme, multiversalité : en attendant que le Titanic ne coule pas » dans Blanchet et alii, Un siècle après le Cours se Saussure : la linguistique en question, Paris, l’Harmattan, Carnets d’Atelier sociolinguistique, pp. 81-228.

ROBILLARD, D. de, 2008, Perspectives alterlinguistiques, Tome 1 : Démons, Tome 2 : Ornithorynques, Paris, l’Harmattan.

ROBILLARD, D. de, BENIAMINO M. (dirs), 1993 et 1996, Le français dans l’espace francophone, Tomes 1 et 2, paris, Champion.

SCHNAPPER D., 2007, Qu’est-ce que l’intégration, Paris, Folio.

SERRES M., 1992, Le tiers instruit, Paris, Folio Essais. TIMERA M., 1993, Les immigrés soninké dans la ville, Paris, thèse de doctorat EHESS.

Page 141: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Références  bibliographiques    

141

TINOCO S., 2007, « Listes, lettres et documents. L’écrit et l’école chez les Wayampi de Guyane française » dans Léglise I. et Migge B. (dir.), Paris, IRD, pp. 263-276.

VARGAS C., 1996, « Grammaire et didactique plurinormaliste du français » dans Repères n° 14, Paris, INRP.

VASSEUR M-T., 2005, Rencontres de langues. Question(s) d’interaction, Paris, Didier credif coll. LAL.

VERMES G. (dir.), 1988, Vingt-cinq communautés linguistiques de la France, Tome 2 les langues immigrées, Paris, l’Harmattan.

VERMES G., BOUTET J., 1987, France pays multilingue, Tome 1, Les langues de France un enjeu historique et social, Tome 2 Pratiques des langues en France, Paris, L’Harmattan.

ZARATE G., 1998, « « D’une culture à d’autres : critères pour évaluer la structure d’un capital culturel », Lidil, 18, Grenoble, P. U. G., pp. 141-151.

ZARATE G., LEVY D., KRAMSCH C., 2008, Précis du plurilinguisme et du plurilectalisme, Paris, Editions des Archives Contemporaines.

Page 142: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Bibliographie  personnelle  par  date  

* indique que la publication figure dans le dossier (volume 2)

Les chiffres romains sont utilisés pour les publications antérieures à la thèse, les

chiffres arabes pour les publications postérieures.

I DEA 1992, Situation sociolinguistique et nature du bilinguisme : approche du cas des maghrébins immigrés, Diplôme d’études approfondi sous la direction de J-B. Marcellesi, Rouen, Université de Rouen.

II LECONTE F., 1995, « L’expression de la fidélité linguistique chez les enfants africains en France », dans Observatoire du Français Contemporain en Afrique Noire N° 10, Paris, INALF CNRS, Didier Erudition, pp.157-168.

III KACHOURI Amèle, LECONTE Fabienne (et alii), (dir.), 1996, Questions de glottopolitique. France, Afrique, Monde méditerranéen, Actes du colloque jeunes chercheurs Rouen mai 1995, Rouen, Université de Rouen, 217 pages.

IV LECONTE, Fabienne 1996, « Les attitudes langagières des enfants originaires d’Afrique noire », dans KACHOURI Amèle, LECONTE Fabienne (et alii) (dir.), Questions de glottopolitique. France, Afrique, Monde méditerranéen, Rouen, Université de Rouen, pp.73-82.

Page 143: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Bibliographie  personnelle  par  date  

143

1. LECONTE F., 1996, Ils parlent en Black. Pratiques et attitudes langagières de la deuxième génération africaine, Thèse de doctorat nouveau régime, nombre de pages tome 1 424 pages, tome 2 310 pages.

2. LECONTE F., 1997, La famille et les langues. Étude sociolinguistique de la deuxième génération africaine, Paris, L’Harmattan, collection Sémantiques, 288 pages.*

3. LECONTE F., 1998, « Les représentations des compétences de la deuxième génération en France », dans A. Batiana et G. Prignitz (dirs.), Francophonies africaines, Dyalang N°1, Rouen, PUR, pp. 117-125.*

4. LECONTE F., 1998, « L’identité linguistique des enfants originaires d’Afrique noire en France », in Marley D., Hintze M-A., Parker G., Linguistic Identities and Policies in France and the French-speaking World, London, Association for French Language Studies, pp. 117-130.

5. LECONTE F., CAITUCOLI C., 1998, « Les langues africaines dans l’agglomération Rouen / Elbeuf » dans Rouen : reconstruction, langages, Études Normandes, Rouen, Publication de l’Université de Rouen, pp. 47-58.

6. LECONTE F., 1999, « Le discours de l’enfant sur l’alternance codique », dans V. Castellotti et D. Moore (dir.), les Cahiers du français contemporain, n°5, Alternances des langues et constructions des savoirs, Paris, ENS de Saint-Cloud, pp. 167-180.*

7. LECONTE F., 1999, « Trois questions à Fabienne Leconte. Éthique de la recherche sur le terrain du langage : entretien avec R. Delamotte-Legrand » dans Le français dans le monde recherches et applications, Éthique, communication, Éducation, Paris, Larousse, pp. 68-77.*

8. LECONTE F., 2000, « Langues africaines en France entre abandon et territorialisation » dans Calvet, L.-J. et Moussirou Mouyama, A., Les villes plurilingues, Libreville 24-29 septembre 2000, Québec, Didier Érudition coll. langues et développement, pp. 323-334.*

9. LECONTE F., 2000, « Appartenances territoriales et identités linguistiques » dans Paroles N°14 décembre 2000, Université de Mons-Hainaut, Mons, PUM, pp. 127-143.

10. LECONTE F., 2000, « Langues et identités des migrants originaires d’Afrique noire » dans les Cahiers de Sociologie Économique et Culturelle N°33 Juin 2000, Le Havre, Institut de Sociologie, pp.85-105. *

11. LECONTE F., 2000, « Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures » dans REUTER Y. et TAUVERON C., Diversité narrative, Repères N 21, Paris, INRP, pp. 79-93.*

Page 144: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Bibliographie  personnelle  par  date  

144

12. LECONTE F., 2001, « Familles africaines en France entre volonté d’insertion et attachement au patrimoine langagier d’origine », dans CASTELLOTTI V. et DE ROBILLARD D., Diversité langagière et insertion, Langage et Société N°98, déc. 2001, Paris, M.S.H., pp.77-103.*

13. LECONTE F., CAITUCOLI C., 2003, « Contacts de langues en Guyane : une enquête à Saint-Georges de l’Oyapock », dans Billiez J. (dir.), Contacts de langues Modèles, Typologies, Interventions, Paris, L’Harmattan, pp. 37-60.*

14. LECONTE F. DELABARRE E., 2003, « L’évaluation de l’hétérogénéité linguistique par les enseignants de collège », dans Caitucoli C. (dir.) Situations d’hétérogénéité en milieu scolaire, Dyalang N° 9, Rouen, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, pp. 57-80.*

15. CAITUCOLI C., DELAMOTTE R., LECONTE, F., 2003 « L’usage du langage dans l’institution scolaire : variation et perception de la variation », dans BILLIEZ J. et DE ROBILLARD D. (dirs.), Français, variations, représentations, pratiques, les Cahiers du français contemporain N°8, Paris-Lyon, ENS éditions, 19-34.*

16. BULOT T., CAÏTUCOLI C., LECONTE F., MORTAMET C., 2003, « Élèves et étudiants dans l’académie de Rouen : répertoires, pratiques, représentations », dans Castellotti V. et De Robillard D. (dirs.), France, pays de contacts de langues, Cahiers de l’institut linguistique de Louvain, Louvain-la-neuve, pp. 21-36.

17. LECONTE F., ALBY, S., 2004, « Guyane à l’école de la diversité linguistique », Rispail M. (dir.), Cahiers pédagogiques N° 423 75 langues en France et à l’école ?, Paris, Cercle de Recherche et d’Action Pédagogique, pp. 34-35.

18. LECONTE F., 2004, Compte rendu de l’ouvrage de J-B. Marcellesi (en collaboration avec Blanchet P. et Bulot T., Sociolinguistique, épistémologie, polynomie, langes régionales dans Glottopol N°4, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol, 5 pages.

19. LECONTE F., 2004, Des contes pour les enfants bilingues et pour les autres, La lettre des éditions Didier jeunesse.

20. LECONTE Fabienne, 2005, « Récits d’enfants bilingues », dans MORTAMET C. (dir.) Glottopol 5, janvier 2005, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol, pp. 27-43.

21. LECONTE, F., BABAULT S. 2005 (dir.), Construction de compétences plurielles en situation de contacts de langues et de cultures, Glottopol N° 6, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol, 194 pages.

22. LECONTE, F., BABAULT S. 2005, Présentation, Construction de compétences plurielles en situation de contacts de langues et de cultures, Glottopol N° 6, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol, pp 1-6.*

Page 145: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Bibliographie  personnelle  par  date  

145

23. LECONTE F., MORTAMET C., 2005, « Les représentations du plurilinguisme d’adolescents scolarisés en classe d’accueil », dans Leconte F., Babault S., Construction de compétences plurielles en situation de contacts de langues et de cultures, Glottopol n°6, juillet 2006, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol, pp. 22-57. *

24. MORTAMET C., LECONTE F., 2007, « S’il te plait raconte moi tes langues », dans Dreyfus M. et Rosse D. (dirs.) Traverses N°9, Plurilinguismes et subjectivités, Lacis, Publications de l’Université de Montpellier 3, pp. 171-194.

25. LECONTE F., 2008, DGLF, « Maintenir les langues africaines et revendiquer sa francophonie », dans Le plurilinguisme appliqué au contexte de migration N°2 des Cahiers de l’observatoire, Observatoire des pratiques linguistiques, Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France, Paris, Didier, pp. 57-63.

26. LECONTE F., 2008, « A propos des enquêtes en milieu scolaire : intérêts et limites », dans coll. Séminaire international sur la méthodologie de l’observation de la langue française dans le monde, OIF, AUF, Paris, 12-14 juin 2008, pp. 279-289. *

27. LECONTE F., MORTAMET C., 2008 « La construction des identités plurilingues d’adolescents nouvellement arrivés en France », dans Plurilinguisme et enseignement. Identités en construction, Riveneuve Editions, Paris, pp. 167-178.*

28. LECONTE F., 2008, « Du Caucase et d’Afrique noire à … la banlieue rouennaise. Quelques remarques sur les trajectoires langagières », dans Pierozak et Eloy (dir.), Intervenir : appliquer, s’impliquer ? L’Harmattan, Paris, pp 271-278.

29. LECONTE F., MORTAMET C., 2008, « Cultures d’apprentissage et modes d’appropriation des langues chez des adolescents alloglottes », dans Castellotti V. et HUVER E., Insertion scolaire et insertion sociale des nouveaux arrivants, Glottopol n°11, janvier 2008, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol, pp. 55-79.*

30. LECONTE F. 2009, Compte rendu de l’ouvrage Valentin Feussi, 2008, Parles-tu français ? Ca dépend… Penser, agir, construire son français en contexte plurilingue : le cas de Douala au Cameroun, Paris, L’Harmattan, dans Glottopol N° 13, Rouen, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol, pp. 204-206.

31. LECONTE F., 2009, « Quand le dessin fait discours. Enquête auprès d’élèves nouvellement arrivés sur leur vécu des langues », dans Molinie M. (dir.), Le dessin réflexif. Elément pour une herméneutique du sujet plurilingue, Cergy-Pontoise, Centre de Recherches Textes et Francophonie, pp. 87-115.*

32. LECONTE F., 2009, Présentation de la conférence de Louis-Jean Calvet : « Le signe au filtre du lapsus », dans le cadre de la semaine du mot et du colloque

Page 146: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Bibliographie  personnelle  par  date  

146

Alain Rey ou le malin génie de la langue française, Université de Rouen 3 juin 2009.

33. LECONTE F., 2010, « L’analyse des contacts de langues par la sociolinguistique française : quelques outils pour appréhender la situation éthiopienne », conférence d’ouverture de la journée d’études Pratiques langagières en situation plurilingue organisée par le département de français de l’université d’Addis Abeba le 9 avril 2010 en ligne sur le site du CFEE (centre français d’études éthiopiennes).

34. LECONTE F., 2011, Compte rendu de l’ouvrage de Nathalie Auger, 2010, Elèves nouvellement arrivés en France. Réalités et perspectives pour la classe, Paris, éditions des archives contemporaines dans Glottopol N° 17, janvier 2011, Rouen, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol.

35. LECONTE F., (dir.) 2011, Les pérégrinations d’un gentilhomme linguiste. Hommage à Claude Caitucoli (15 contributions, 230 pages), Glottopol N° 18, Rouen, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol.

36. LECONTE F., (dir.) 2011, Présentation dans Leconte F. (dir.) Les pérégrinations d’un gentilhomme linguiste. Hommage à Claude Caitucoli Glottopol N° 18, Rouen, http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol, pp 1-5.*

37. LECONTE F., 2011, « Conflits de légitimité autour de la mise à l’écrit de langues minorées », dans Leconte F., (dir.) gpl 18, pp. 131-154.*

Page 147: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Bibliographie  personnelle  par  date  

147

A  paraître  

38. LECONTE F. 2011, « Cultures d’apprentissage : quels éclairages pour Mayotte ? », à paraître dans Laroussi (dir.), Plurilinguisme, politique linguistique et éducation. Quels éclairages pour Mayotte ?, Rouen, PURH. Accepté sous presse*

39. LECONTE F., 2011, « Enfants de migrants face au récit : quelles socialisations langagières ? », dans Delamotte, R. et Akinci, M-A., Récits et enfants, Rouen, PURH, Coll. Dyalang. Accepté sous presse

40. LECONTE F., KEBE A., 2011, « Pratiques des langues alternées français-pulaar et français-wolof » dans Langues et cités, Paris, DGLFLF. Sous presse

41. LECONTE F., 2010, « Histoire des langues africaines en France. Une présence discrète dans la lignée de l’histoire coloniale », dans Kremnitz, (dir.) Histoire sociale des langues de France. Accepté à paraître

Page 148: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Table  des  matières  

Fabienne  Leconte ......................................................................................... 1  

APPROPRIATION  DES  LANGUES  ET  CONSTRUCTION  DES  IDENTITÉS .................... 1  

EN  CONTEXTES  PLURILINGUES  ET  PLURICULTURELS.............................................. 1  

Remerciements ................................................................................................................. 3  

Organisation du dossier .................................................................................................... 4  

Sommaire.......................................................................................................................... 5  

Introduction ...................................................................................................................... 7  

En guise de préambule : un parcours atypique ................................................................. 7  

Une approche sociolinguistique qui inclut l’appropriation du français.......................... 13  

Des recherches inscrites dans des contextes idéologiques et sociaux

historiquement situés ................................................................................... 13  

Chapitre 1 Décrire des situations plurilingues complexes ............................................ 19  

Une réflexion théorique d’abord provoquée par le terrain ............................................. 21  

Qualifier les langues du répertoire, se positionner sur le terrain de l’altérité

..................................................................................................................... 21  

Le plurilinguisme des adultes africains : l’importance des modèles des pays

d’origine....................................................................................................... 27  

Quelques évolutions ...................................................................................... 29  

Le plurilinguisme de la deuxième génération africaine : quelques évolutions

actuelles ....................................................................................................... 33  

Le plurilinguisme guyanais : l’appréhension d’un plurilinguisme généralisé et peu

connu .............................................................................................................................. 35  

Remarques méthodologiques ........................................................................ 40  

Page 149: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Bibliographie  personnelle  par  date  

149

La comparaison de deux plurilinguismes migratoires en France : Afrique noire et

anciennes républiques soviétiques.................................................................................. 41  

Remarques méthodologiques....................................................................... 44  

Quelques résultats ......................................................................................... 46  

Chapitre 2 Retour sur quelques notions transversales : Identité, (in)sécurité

linguistique, légitimation................................................................................................ 51  

Identités linguistiques : retour sur une notion très utilisée… ou de l’acclimatation

raisonnée......................................................................................................................... 51  

Sécurité / insécurité linguistique .................................................................................... 61  

D’une approche classique mais prenant en compte l’écrit .......................... 61  

A une approche plurilingue prenant en compte les processus de légitimation

..................................................................................................................... 66  

Chapitre 3 L’appropriation du français en contexte plurilingue et plurilectal : genres et

normes ............................................................................................................................ 77  

L’appropriation du français langue seconde à l’école maternelle .................................. 78  

Quelques remarques sur les modalités d’enquête........................................ 78  

La répartition des apprentissages langagiers au sein de la famille .............. 80  

Quelques caractéristiques des récits produits et appréciés par les enfants .. 82  

L’hétérogénéité des élèves, répertoires, pratiques, représentations................................ 84  

Analyse de la conception des tests par les enseignants de collège .............. 87  

Le devenir d’hétérogénéité .......................................................................... 89  

Chapitre 4 : Des recherches historicisées en contextes minoritaires et minorés :

Quelques remarques éthiques et méthodologiques......................................................... 93  

La recherche en situation interculturelle, réflexion sur l’altérité.................................... 95  

Une légitimation de l’empathie en situation d’enquête ............................... 98  

Des recherches menées auprès des enfants : prise en compte d’une situation

inégale........................................................................................................ 100  

Page 150: APPROPRIATIONDESLANGUESET … · connaissais surtout la variation linguistique par le biais du ... me suis alors inscrite en licence sciences du langage parcours FLE ... l’apprentissage

Bibliographie  personnelle  par  date  

150

Pratiques et représentations .......................................................................................... 102  

Chapitre 5 Littératies et cultures d’apprentissage......................................................... 107  

Cultures d’apprentissage et syncrétisme ...................................................................... 109  

Normes d’interaction enfant/ adulte, enseignant / élève............................ 109  

Ecriture, pouvoir, légitimité ......................................................................................... 117  

Perspectives .................................................................................................................. 125  

Le projet de recherche alternance des langues français / pulaar, français /

wolof .......................................................................................................... 125  

Le projet Plurilinguisme Acculturation Linguistique en français et Insertion

Sociale des personnes ................................................................................ 126  

Projet d’ouvrage ........................................................................................ 128  

Références bibliographiques ........................................................................................ 129  

Bibliographie personnelle par date ............................................................................... 142  

A paraître ................................................................................................... 147  

Table des matières ........................................................................................................ 148