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SYRIE En alternant promesses de réformes et sanglante répression, Bachar al-Assad semble perdre pied face à la vague montante des contestations sociales LIBYE Malgré le soutien occidental aux insurgés, le rapport des forces s’équilibre sur le terrain et l’entrée en scène des islamistes radicaux fait craindre un enlisement du conit Le mensuel du monde arabe et de la francophonie INTERVIEW EXCLUSIVE Candidat à la présidentielle en Égypte, Amr Moussa évoque les grandes lignes de son programme TÉLÉCOMS TUNISIE Au lendemain de la révolution, la concurrence joue à plein pour le contrôle du marché des télécoms Belgique 4.46 - Luxembourg 4.74 - Suisse 8 FS - Grèce 4.11 - Antilles 6.86 - Réunion 6.86 - Canada 7.95 $ C - USA 5.90 $US - Maroc 25 DH Tunisie 2.5 DT - Liban 5 000 L - Arabie Saoudite 25 SR - E.A.U 25 DH - Koweït 2.75 DK - Côte-d’Ivoire 2 000 CFA - Sénégal 2 000 CFA - Mali 2 000 CFA Gabon 2 000 CFA - Guinée 6.86 - Afrique zone CFA 2 000 CFA - Comores 2 000 CFA - Djibouti 5.19 - Allemagne 6.20 - Italie 5.17 - Algérie 120 DA Le mandat de trop ? Algérie Après avoir aidé l’Algérie à sortir d’une de ses périodes les plus noires, le président Bouteflika est aujourd’hui confronté au pire dilemme : partir ou risquer une nouvelle crise. Comment en est-on arrivé là ? M 03319 - 289 - F: 4,50 E

Arabies | Mai 2011

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Arabies, Mai 2011

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SYRIE En alternant promesses de réformes et sanglante

répression, Bachar al-Assad semble perdre pied face à la vague montante des contestations sociales

LIBYEMalgré le soutien occidental aux insurgés, le rapport des

forces s’équilibre sur le terrain et l’entrée en scène des islamistes radicaux fait craindre un enlisement du conflit

Le mensuel du monde arabe et de la francophonieN°

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INTERVIEW EXCLUSIVECandidat à la présidentielle en Égypte, Amr Moussa évoque les grandes lignes de son programme

TÉLÉCOMS TUNISIEAu lendemain de la révolution, la concurrence joue à plein pour le contrôle du marché des télécoms

Belgique 4.46 - Luxembourg 4.74 - Suisse 8 FS - Grèce 4.11 - Antilles 6.86 - Réunion 6.86 - Canada 7.95 $ C - USA 5.90 $US - Maroc 25 DH

Tunisie 2.5 DT - Liban 5 000 L - Arabie Saoudite 25 SR - E.A.U 25 DH - Koweït 2.75 DK - Côte-d’Ivoire 2 000 CFA - Sénégal 2 000 CFA - Mali 2 000 CFA

Gabon 2 000 CFA - Guinée 6.86 - Afrique zone CFA 2 000 CFA - Comores 2 000 CFA - Djibouti 5.19 - Allemagne 6.20 - Italie 5.17 - Algérie 120 DA

Le mandat de trop ?Algérie

Après avoir aidé l’Algérie à sortir d’une de ses périodes les plus noires, le président Bouteflika est aujourd’hui confronté au pire dilemme : partir ou risquer une nouvelle crise. Comment en est-on arrivé là ?

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SOMMAIRE

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4 Points de vueVers une reconnaissance de l’état palesti‑nien ?

La Syrie dans l’œil du cyclone

8 RepèreTunisie/UE, le poids de l’immigration

10 Interview : Amr MoussaSecrétaire général de la Ligue arabe depuis mai 2001, Amr Moussa quitte sa fonction et participe à la prochaine élection présiden‑tielle en égypte. Il dresse un premier constat de la situation…

14 Libye : match nul et prolongation… Si le régime du colonel Kadhafi tend à s’es‑souffler, les insurgés sont encore loin de pren‑dre la relève. Et l’entrée en scène des islamistes radicaux brouille encore plus les cartes…

20 Syrie : quel printemps ? Malgré les promesses de réformes de Bachar al‑Assad, les contestations font tache d’huile depuis deux mois. Même si elles ne sem‑blent pas encore ébranler le régime…

26 Les paradoxes algériensFort d’une rente régulière principalement issue de la montée des prix du pétrole, le régime s’efforce d’assurer le décollage éco‑nomique du pays. Mais la mauvaise gestion génère frustration et colère.

62 événements

64 Entre nous

66 TribuneLes performances de la banque islamique

POUVOIR AVOIR

SAVOIR

30 Tunisie : Aspirations + élections = Interrogations Entre démissions, aspirations des uns et am‑bitions des autres, de nombreuses questions restent en suspens à l’aube des élections pour cette nouvelle Tunisie en pleine démo‑cratisation.

42 Point de vueLe printemps économique européen

44 Arabies éco

46 Sociétés ManagersAlgérie, Mohamed Salah Boultif. Tunisie, Hamadi ben Sedrine. Arabie Saoudite, Ah‑med Zaki Yamani. Maroc, Karim Ghellab

49 Tunisie : nouvelle donne pour les télécomsAu lendemain de la révolution, la concur‑rence joue à plein pour le contrôle du marché, où trois acteurs se livrent une lutte acharnée : Orange Tunisie, Tunisie Télécom et Tunisiana. Focus…

56 A Wonderful BaselworldPour sa 39e édition, qui s’est tenue du 24 au 31 mars dernier au centre des Foires de Bâle, le Salon mondial de l’horlogerie a mis l’accent sur la créativité. Tendances…

60 Communication

SOMMAIRE

34 Irak : le blocage persistePlus de trois mois après sa formation, le gouvernement de Nouri al‑Maliki peine à trouver son rythme. Trois postes clés restent vacants alors que les divergences au sommet s’intensifient… 38 Algérie : désaveu présidentiel ou mandat de trop ?Pour la première fois depuis son accession à la présidence en 1999, après des mois de silence, Abdelaziz Bouteflika s’est adressé à la Nation. Un discours qui n’a convaincu personne…

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4 I Arabies Mai 2011

En septembre dernier, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le président Barack Obama

avait annoncé que, d’ici à septembre 2011, un état palestinien verrait le jour. Annonce sans doute prématurée tant l’Ad-ministration américaine avait sous-estimé les difficultés liées à un redémarrage des négociations, après avoir fait du gel de la colonisation un préalable. De fait, un mois plus tard, les négociations échouaient à peine après avoir commencé.

Toujours est-il que le rendez-vous de septembre 2011 reste dans toutes les têtes. La direction palestinienne multiplie ainsi les démarches pour faire reconnaître un état palestinien. à ce jour, 112 pays, soit la majorité des 192 que compte l’ONU, ont reconnu l’état de Palestine. Ce mouve-ment est amplifié par la succession de rap-ports de l’ONU, du FMI et de la Banque mondiale qui estiment que les autorités pa-lestiniennes sont aptes « techniquement » à assumer les fonctions d’un état. Ramallah envisage donc de faire reconnaître, d’une façon ou d’une autre, l’état palestinien par l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre prochain si possible, en attei-gnant la majorité des deux tiers, ce qui po-sera la question de la position européenne. Déjà en Israël, des voix inquiètes s’élèvent pour mettre en garde contre un « tsunami politique », comme l’a déclaré Ehud Ba-rak.

Cette pression des Palestiniens est ren-forcée par le blocage total du processus de paix. Le Quartet qui devait se réunir mi-avril a été reporté sine die à la demande des états-Unis et contre l’avis des Européens. Pour se justifier, l’Administration améri-

caine a promis un grand discours du prési-dent Barack Obama, pour le début de mai, qui inclurait la définition de « paramètres » pour un accord de paix. Or, Benjamin Ne-tanyahu a déjà annoncé qu’il se rendrait à Washington à la fin du mois de mai pour faire son propre discours devant le Congrès américain. Il s’agit pour le Premier minis-tre israélien de préempter et, le cas échéant, de corriger la prise de position du président américain qui sera certainement sensible à cette pression amicale, un an avant l’élec-tion présidentielle. Benjamin Netanyahu a ainsi laissé entendre que les deux paramè-tres essentiels à ses yeux sont la reconnais-sance d’Israël comme la « patrie du peuple juif » et des « arrangements de sécurité sur le terrain », y compris une présence mi-litaire israélienne le long du Jourdain. Ce sont, bien entendu, des conditions inaccep-tables pour la partie palestinienne.

Sans l’espérer, on peut s’attendre à ce que le blocage perdure. Dans ces condi-tions, que faire ? Je crois qu’il n’est pas inutile que les Palestiniens continuent de brandir la menace d’aller jusqu’au bout concernant la reconnaissance d’un état. Après tout, vingt ans de négociations n’ont rien donné – rappelons-nous, la conférence de Madrid avait eu lieu en octobre 1991. Toutefois, les Palestiniens doivent d’ores et déjà anticiper le fait que les états-Unis s’opposeront à une admission de l’état de Palestine à l’ONU, grâce au droit de veto dont ils disposent au sein du Conseil de sé-

curité qui doit se prononcer au préalable. Le veto des états-Unis sur la question de la colonisation, en février dernier, a montré que l’Administration américaine n’avait pas peur d’y avoir recours quand ses in-térêts électoraux sont en jeu. Un nouveau veto signifiera que l’Amérique se désenga-gera complètement du processus jusqu’en 2013. Le jeu en vaut-il la chandelle pour les Palestiniens ?

Enfin, il est essentiel que l’Union euro-péenne joue tout son rôle pour rééquilibrer une éventuelle prise de position améri-caine soumise à de fortes pressions de la part d’Israël. Il faut, de ce point de vue, saluer la position commune prise par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne au Conseil de sécurité lors du vote de la résolution sur la colonisation. Cette décla-ration équilibrée listait les paramètres in-dispensables pour la résolution du conflit israélo-palestinien. Le Quartet doit sans tarder s’en inspirer. Concernant, enfin, la question de la reconnaissance de l’état palestinien, l’Union européenne doit pré-parer sa stratégie dès maintenant. Il me semble dans l’ordre des choses que nous y répondions favorablement. Ce serait cohé-rent avec notre politique et le témoignage que nous ne pouvons plus nous satisfaire du statu quo. Cela aurait, en outre, l’avan-tage d’agir comme levier auprès de nos amis israéliens pour qu’ils fassent les pas nécessaires en vue d’une solution juste et durable à ce conflit. n

Président de la chambre de commerce franco-arabe, ancien ministre des Affaires étrangères

Vers une reconnaissance de l’état palestinien ?Par Hervé DE CHARETTE

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Z ine el‑Abidine Ben Ali le Tunisien, Hosni Moubarak l’égyptien, renver‑sés… Le Libyen Mouammar Kad‑

hafi, peut‑être prochainement…Des émeutes ont aussi éclaté à Deraa, à

140 kilomètres au sud de Damas, qui a fait office de Sidi Bouzid syrien. Car d’autres ont suivi à Homs, à Hama (quatrième ville de Syrie), dans la ville portuaire de Lat‑taquié (berceau de la minorité alaouite, qui représente 11 % de la population) et même à Damas, la capitale. à tel point que le monde entier se demande si le jeu‑ne président syrien Bachar al‑Assad, au pouvoir depuis juin 2000, sera lui aussi renversé…

C’est la seconde fois, après l’assassi‑nat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri (14 mars 2005), qu’Al‑Assad se trouve dans une situation ultradélicate, amplifiée cette fois par la puissance des chaînes satellitaires et par les réseaux so‑ciaux sur Facebook.

Pour avoir rencontré Bachar al‑Assad à quatre reprises depuis son élection, j’ai le sentiment qu’il est depuis longtemps l’otage du parti Baas, le parti unique au pouvoir depuis 1963. Sans oublier la vieille garde incarnée par Farouk al‑Sha‑raa, maintes fois ministre des Affaires étrangères du père, Hafez al‑Assad, et de Bachar lui‑même. Et c’est sans parler de sa famille et de sa belle‑famille…

Aujourd’hui, le président et son épouse Asma, souhaiteraient placer la Syrie sur l’orbite de la modernité. Tous deux sont en faveur d’un règlement pacifique et politique de la crise à travers la levée de l’état d’urgence et l’instauration de la li‑berté d’expression. Le problème, c’est que

Bachar doit faire face à son frère Maher (commandant de la garde républicaine) et à son beau‑frère Assef Shawkat (chef du service de renseignement), qui sont prêts à tout pour préserver les intérêts d’une mi‑norité alaouite qui tient d’une main de fer les rênes du pouvoir.

Al‑Assad jouissait encore récemment d’un bon capital crédit au sein de la popula‑tion. Assez pour entreprendre les réformes sociales et économiques souhaitées. Et il ne fera certainement pas comme son père, qui avait fait massacrer, en février 1982 à Hama, quelque 25 000 Frères musulmans qui représentaient une menace pour le pouvoir alaouite. à la face du monde, il ne pourrait agir ainsi sans risquer de mettre à feu et à sang la Syrie. Avec, en plus, la possibilité d’une intervention extérieure.

Boussaïna Chaabane, sa fidèle conseillè‑re en communication – ancienne interprète de son père –, n’est pas crédible lorsqu’el‑le déclare : « Il est la cible d’un complot de gangs armés et d’agents de l’étranger, visant à monter les sunnites majoritaires contre les alaouites minoritaires. » De tels propos sont dignes de ceux qu’auraient pu tenir les dignitaires du Politburo de Léo‑nid Brejnev, l’un des anciens numéros uns de l’ex‑Union soviétique.

Si l’on doit reconnaître que la Syrie de la famille Al‑Assad a fait preuve jusqu’alors de tolérance multiconfessionnelle, elle ne s’est pas gênée en retour pour renforcer

les luttes interconfessionnelles au Liban de façon à mieux se poser en arbitre. La Syrie d’Al‑Assad, fidèle alliée de l’Iran et sans pitié pour les islamistes à l’intérieur du pays, a aussi été un tremplin pour les djihadistes, qui ont pénétré depuis son territoire en Irak pour faire face à l’occu‑pation militaire américaine. Et pour lutter contre Israël, elle s’est toujours servie du Hezbollah au Liban et du Hamas dans la bande de Gaza.

Quand les Syriens commencent à crier à Maher al‑Assad : « Tu n’es qu’un poltron, envoie tes soldats libérer le Golan, ou bien à bas le parti Baas » – dont ils ont brûlé un bureau à Deraa –, Bachar al‑Assad devrait s’inquiéter de l’audace de ces insurgés qui ont souvent entre 20 et 30 ans et qui veu‑lent être traités dignement.

La majorité de la population syrienne sait que, tant que les alaouites seront au pouvoir, il n’y aura pas de place pour les réformes et la démocratisation du régime.

Ancien ophtalmologue à Londres, Ba‑char a hérité de façon inattendue de la succession de son père. C’était son frère Basel, mort dans un accident de la route en 1994, qui devait être l’héritier désigné. Bachar n’a peut‑être pas démontré qu’il avait l’instinct politique très développé de son père, mais il a très vite compris qu’il ne devait pas toucher au système militaire en place, car il s’agit d’une question de survie pour la minorité alaouite.

S’il devait être renversé, la Syrie n’aurait pas d’armée pour combler le vide. Il est dif‑ficile de prédire l’avenir de ce pays, mais une chose est certaine : il y a là‑bas tout le potentiel pour une vraie guerre civile. Avec le gros risque qu’une situation incontrôlée déborde sur le Liban, la Jordanie, l’Irak et, pourquoi pas, les pays du Golfe.

Ce serait sans nul doute le pire scénario possible. S’il devait se produire, le camp occidental devrait alors s’impliquer dans ce qui pourrait être les prémices d’un conflit à plus grande échelle, voire tout simplement d’une Troisième Guerre mondiale au vu des enjeux dans cette région. n

Spécialiste de politique étrangère, consultant pour CNN, NBC, MSNBC, BBC, BBC World, Al-Arabiyawww.christian-malard.com

La Syrie dans l’œil du cyclone Par Christian MAlArd, éditorialiste sur France 3

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Par Pierre FAUCHART

Tunisie/UE : le poids de l’immigration

Les autorités tunisiennes concernées misent sur des aides de la France, no‑tamment après la visite du ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, dans le courant de ce mois de mai. Elles comp‑tent aussi sur une initiative de la part de Rome, même si la visite à Tunis du Pre‑mier ministre italien, Silvio Berlusconi, aurait tourné à l’échec…

à un moment ou un autre, les Euro‑péens, qui craignent d’autres vagues mi‑gratoires en provenance de Libye, d’Al‑gérie et du Maroc – même si l’afflux de ressortissants de ces deux derniers pays demeure de moindre importance –, se‑ront contraints de répondre aux attentes du nouveau pouvoir en Tunisie. Même si on sait bien qu’à Bruxelles, au niveau de la Commission européenne, les avis sont divisés. Alors que des états comme l’Italie, la France et l’Espagne sont pour une augmentation des aides logistiques et financières à Tunis, d’autres, tels que l’Allemagne et la Grande‑Bretagne, ne sont pas si enthousiastes vis‑à‑vis d’une telle initiative. Pour la simple raison que cette immigration clandestine est loin de les toucher, même si l’Italie accorde aux réfugiés le statut Schenghen.

L ’afflux permanent d’immigrés clan‑destins tunisiens sur l’île italienne de Lampedusa – environ 25 000 depuis

le début de l’année – perturbe aussi bien les Européens que les nouvelles autorités en Tunisie. Ces dernières n’arrivent pas à endiguer cette vague et craignent le pire avec la montée galopante du chômage, renforcée par le déferlement des centai‑nes de milliers de Tunisiens qui ont fui la guerre en Libye. Cela dit, il faut s’atten‑dre, dans les prochains mois, à voir des dizaines de milliers d’immigrés clandes‑tins supplémentaires gagner l’Europe, notamment avec l’arrivée de l’été.

Le nouveau gouvernement de Béji Caïd Essebsi reconnaît l’impuissance des auto‑rités à stopper cet exode massif. Quant aux Européens, ils tentent d’exercer da‑vantage de pressions sur cette Tunisie qui manque de moyens logistiques et finan‑ciers pour réduire ce flux qui commence à envenimer les relations entre certains pays membres de l’Union européenne (UE). Les divergences entre l’Italie et la France, sur ce dossier, ont notamment in‑cité le côté français à menacer de réviser les contours des accords de Schengen…

En tout état de cause, force est de sou‑ligner que le problème est avant tout tunisien. Et que tout retard dans l’élabo‑ration de solutions adéquates n’aura pas seulement des répercussions sur l’Europe voisine, mais aussi sur la nouvelle Tuni‑sie. Outre que cette immigration clandes‑tine nuit à l’image d’un pays en pleine quête de crédibilité après sa révolution, elle complique encore plus la situation au plan socio‑économique. à tel point que le gouvernement se trouve dans l’impos‑sibilité de gérer les affaires du pays alors que la majorité des indices macroécono‑miques sont dans le rouge et que les cais‑ses sont presque vides…

à cela s’ajoute les réticences des pays de l’UE quant à l’octroi des enveloppes financières nécessaires pour aider à at‑ténuer l’ampleur de cette immigration clandestine.

Le poids de cette immigration clandes‑tine devient une obsession pour le pou‑voir tunisien. Car cela reflète l’existence d’un problème social qui, s’il n’est pas rapidement résolu, risque d’engendrer de nouvelles protestations sociales. Sur‑tout à un moment où les grèves font déjà tache d’huile dans tous les secteurs et dans toutes les régions du pays. D’autant que cette idée d’immigrer, d’abord li‑mitée aux jeunes diplômés, aux ouvriers et aux agriculteurs, commence à faire son chemin dans les catégories les plus démunies. Face aux difficultés que ren‑contre le gouvernement depuis le chan‑gement de régime, le désespoir gagne du terrain…

En attendant, les Tunisiens craignent que ce problème d’immigration clandes‑tine soit bientôt au cœur des surenchères politiques internes de certains pays euro‑péens. Notamment à l’approche d’une élection présidentielle pour certains d’entre eux, à l’image de la France…

« Si les Européens ne font rien pour nous aider à résoudre ce problème commun, je dirais alors Alla Ghaleb », déclare ainsi un haut responsable tunisien. En d’autres ter‑mes, il baissera les bras. n

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Une perspective differente.

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Quelles sont, selon vous, les principales raisons qui sont à l’origine de ce « prin‑

temps arabe » ? Et quelles sont les perspectives de l’avenir démo‑cratique revendiqué par les peu‑ples arabes ?Les facteurs déclencheurs de ce printemps arabe ont commencé à se faire sentir depuis longtemps déjà, et particulièrement dans les dix pre‑mières années du XXIe siècle.

Internet, Facebook ou Twitter sont autant de nouvelles formes

de communication qui ont joué un rôle majeur que l’on ne peut en aucun cas négliger. Cela a conféré aux personnes privées de la liberté de parole la possibilité de pouvoir s’exprimer librement à travers ces nouveaux réseaux et d’échanger leurs idées et in‑quiétudes. Dans le même temps, la situation des régions arabes est devenue délicate par la mul‑tiplication des crises de régimes ; ces derniers pensant pouvoir ré‑gler la situation avec l’adoption

de réformes formelles plutôt que de réformes structurelles ou de fond.

De plus, la propagation exagé‑rée de la corruption dans les do‑maines politique et économique ainsi que la pratique d’une poli‑tique sécuritaire insoutenable ont creusé un fossé de plus en plus profond entre les différentes clas‑ses sociales.

Ainsi, toutes les conditions étaient réunies pour créer une si‑tuation explosive. L’immolation

« Une renaissance totale du monde arabe »Secrétaire général de la Ligue arabe depuis mai 2001, Amr Moussa quitte sa fonction et participe à la prochaine élection présidentielle en égypte. Il dresse un premier constat de la situation…

réseaUx« Internet, Face‑book ou Twitter sont autant de

nouvelles formes de communication qui jouent un rôle

majeur qu’on ne peut négliger »

Propos recueillis par Latifa HIttI

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de Mohamed Bouazizi en Tunisie aurait pu passer inaperçue, mais à travers ce geste, le destin a voulu donner le signal de départ des ré‑voltes arabes.

Comment avez‑vous vécu cet agenda révolutionnaire en égypte ? Avez‑vous jamais dou‑té que l’égypte puisse être le pays qui emboîterait le pas à la révolution tunisienne ?Lors du sommet économique arabe de Charm el‑Cheikh, le 19 janvier 2011, j’avais déclaré dans mon discours que la pau‑vreté, le chômage et la marginali‑sation avaient dépassé les limites humainement permises et que le citoyen arabe se sentait « cassé ». Je ne prétends pas avoir prévu la révolution en Égypte, mais il n’en était pas moins clair que la région allait vivre un bouleversement important et que les revendica‑tions n’étaient plus de simples réformes auxquelles personne ne croit plus, mais une renaissance totale du monde arabe.

Ce qui est arrivé par la suite a en effet surpris… La participa‑tion massive des Égyptiens à la manifestation du 25 janvier, la détermination des jeunes à faire de ce courant un mouvement historique et la manifestation du 28 janvier furent autant de preu‑ves qu’il ne s’agissait pas là d’un soulèvement populaire passager, mais d’une véritable révolution.

C’est alors que les événements se sont accélérés et que le régime en place, au lieu de faire preuve d’écoute et de compréhension, a répliqué par un discours sévère et menaçant… Ce qui a ravivé le sentiment de révolte et renforcé la détermination des révolution‑naires à réclamer avec force le départ définitif du président Hos‑ni Moubarak. Et il est parti…

Vous avez averti plus d’une fois de la nécessité d’accorder la priorité à la consolidation de

la coopération économique in‑terarabe pour promouvoir le développement des pays ara‑bes et régler les problèmes du chômage, de la pauvreté et des déséquilibres économiques et sociaux… Quelles sont vos pro‑positions pour approfondir cet‑te coopération afin de renforcer la stabilité, le développement et la prospérité arabe ?Plusieurs mesures ont été adop‑tées concernant l’intégration éco‑nomique arabe dans les domaines de l’électricité, du gaz, des in‑frastructures routières et, surtout, de la circulation de la main‑d’œu‑vre. Tout cela s’inscrit bien dans le cadre de la coopération éco‑nomique arabe. Il y a sans doute encore beaucoup d’efforts à faire, surtout en ce qui concerne la cir‑culation des personnes et des ca‑

pitaux, ainsi que l’encouragement des investissements interarabes.

Le plus important n’est pas tant le grand saut en avant, qui n’aboutit à aucun résultat concret, que l’adoption de mesures prati‑ques et efficaces dont les résultats seront positifs. Même si cela doit prendre un certain temps.

Comme vous le savez, il y a une zone arabe de libre échange de‑

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« Lors du sommet économique arabe de Charm el‑Cheikh, j’avais déclaré que la pauvreté, le chômage et la marginalisation avaient dépassé les limites humainement permises » di

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puis 2005 et le but reste d’établir une union douanière en 2015 et un marché commun en 2020.

Par ailleurs, je tiens quand même à souligner que, dans le domaine de la coopération so‑ciale panarabe, il y a aussi eu des avancées, notamment pour ce qui touche à la famille, à la femme et l’enfant, aux handicapés.

Nous avons aussi commencé à œuvrer dans la culture, en vue d’organiser plusieurs sommets culturels à l’échelle arabe.

À la lumière de votre expérien‑ce diplomatique concernant le conflit israélo‑arabe, quelles sont d’après vous les perspec‑tives d’un règlement global et les conditions nécessaires à son aboutissement ?

Pendant de longues années, nous avons laissé aux intermédiaires la gestion du règlement de ce conflit. Or, il aurait fallu que le processus de négociation – lancé sur la base des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité – et d’autres résolutions pertinentes des Nations unies se fassent en‑tièrement dans le cadre des Na‑tions unies. Mais comme nous avons hélas accepté un processus de paix ad vitam aeternam, cela nous a fait perdre vingt ans dans l’illusion de ce qui s’appelle un processus de paix. Israël a profité de tout ce temps pour créer un ter‑rain propice aux actes illégitimes et illégaux à travers une politique de colonisation sauvage.

De plus, les crimes ont prospéré à Gaza et au Liban… Cette situa‑

tion ne peut pas durer. La perspec‑tive d’un vrai règlement nécessite un besoin de justice et d’équité. Il est inconcevable d’imposer aux Palestiniens et aux Arabes une paix qui soit fondée sur les seuls intérêts des Israéliens. L’ap‑proche concernant cette question doit être équilibrée et répondre tout autant aux droits et intérêts des Palestiniens et des Arabes, ce qui semble impossible à réaliser dans les conditions actuelles. Le monde arabe reste tenu par l’Ini‑tiative de paix arabe (IPA), qui re‑présente le minimum acceptable pour qu’une paix globale et juste ait des chances d’aboutir. Cela permettrait enfin à tous les pays de la région, y compris Israël, de vivre en paix, avec des relations de bon voisinage. La vraie ques‑

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COOPéraTIOn « Il y a une

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depuis 2005. Le but reste d’établir

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tion qui se pose actuellement est : est‑ce qu’Israël veut de cette paix ou non ?

En tant que candidat à la prési‑dence de l’égypte, quelles sont les grandes lignes de votre pro‑gramme économique et social ? Je ne peux pas encore vous an‑noncer de programme global et définitif, mais j’en ai étudié les grandes lignes et je suis en train de les travailler, de les dévelop‑per. Je suis convaincu que le dé‑clin de la société égyptienne et la faillite du système sont dûs à une mauvaise gestion du déve‑loppement humain. La concep‑tion économique qui dictait notre politique de développement était déséquilibrée. On a pu le consta‑ter dans tous les secteurs, notam‑ment l’éducation et la santé.

Nous avons besoin de réfor‑mer profondément ce système en privilégiant un investissement majeur dans les domaines de l’éducation et de la recherche scientifique ; cela conformément à un plan global auquel participe‑raient les scientifiques égyptiens.

Il faut reconnaître que la po‑litique économique de l’ancien régime a été un échec total. En effet, cette politique de clienté‑lisme et de favoritisme a permis l’émergence d’un certain groupe d’hommes d’affaires qui ont cu‑mulé des richesses colossales au détriment d’un développement global qui aurait dû bénéficier à la société égyptienne. Par consé‑quent, il faut à tout prix éradiquer les causes de cet échec : corrup‑tion, clientélisme et favoritisme.

De plus, il faut développer une politique qui assure une meilleu‑re répartition des richesses, ainsi qu’une meilleure politique fisca‑le. Cette nouvelle politique éco‑nomique s’inscrit, bien entendu, dans le processus démocratique en marche qui vise à l’édification d’une seconde république égyp‑tienne. Car c’est la démocratie

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qui garantit les droits économi‑ques des citoyens, ainsi que la su‑pervision des politiques gouver‑nementales dans ce domaine.

Quelle est votre vision de l’avenir concernant la politique étrangère de l’égypte ? En ce qui concerne les priorités en matière de politique étrangère, je suis convaincu que nous som‑mes tous conscients du recul que l’Égypte a accusé ces dernières années quant à son rôle politique et son influence. Nous avons suivi les événements et l’affaiblissement de la position égyptienne dans la souffrance, que ce soit en tant que responsable ou en tant que citoyen. Et nous avons essayé de sauver tout ce que nous pouvions sauver, chaque fois que nous en avons eu la possibilité.

Aujourd’hui, nous sommes dans une phase révolutionnaire et il est impératif de redéfinir les priorités de la politique étrangère pour je‑ter les nouvelles bases de l’action diplomatique égyptienne. Pour son tout premier déplacement officiel, le Premier ministre égyptien a d’ailleurs choisi le Soudan – Nord et Sud –, ce qui vient démontrer cette nouvelle orientation.

Nous sommes sur la bonne voie, mais il reste beaucoup à faire pour que l’Égypte reprenne son rôle dans les axes traditionnellement prioritaires de sa politique étran‑gère : arabes, africains, islamiques et méditerranéens.

L’Égypte doit aussi s’impliquer fortement dans d’autres domai‑nes tels que les relations avec la Turquie, l’Iran, l’Asie centrale et l’Amérique latine. n

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InTerVIew POUVOIr

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I l est deux places où le pouls de la situation en Libye peut être mesuré : Tripoli, la capitale, et

Benghazi, fief des « révolution‑naires » à l’est du pays.

Dans la première, la population commence à manquer des pro‑duits de première nécessité, mais pas d’argent. Car le pouvoir est encore capable de maintenir les robinets ouverts. Dans la secon‑de, on trouve presque tout, mais les prix ont été multipliés par trois ou quatre sur les nouveaux trabendos (les marchés noirs lo‑

caux). Dans les deux cas de fi‑gure, c’est le peuple libyen qui est en train de payer le prix d’une guerre très mal calculée dès le départ. Non seulement par les deux belligérants sur le terrain, mais aussi par des Occidentaux n’ayant pas les mêmes visions ni les mêmes objectifs, mais pour‑tant relayés par certains états arabes qui ne voient pas plus loin que leur nez.

Dès la première heure, les Al‑lemands ont été les seuls à voir juste en s’abstenant de participer

à cette guerre qui ne vise qu’à destituer un homme et son ré‑gime. Une réalité que les Améri‑cains ont découverte sur le tard et qui les a conduits à se retirer pour laisser la direction des opérations à l’Otan. Mais il s’avère que cette dernière manque d’armes et qu’elle multiplie les bavures – comme c’est le cas en Afgha‑nistan.

Aujourd’hui, après plus de trois mois de guerre sans progrès no‑table, il s’en trouve encore – tel l’écrivain et essayiste français

Match nul et prolongation… Si le régime du colonel Kadhafi tend à s’essouffler, les insurgés sont encore loin de prendre larelève. et l’entrée en scène des islamistes radicaux brouille encore plus les cartes…

reconnaIssanceen quête de recon-naissance interna-tionale, Mustapha

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à Doha puis à rome

Par Samir SOBH

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Bernard Henri Lévy – pour refu‑ser d’admettre que l’Occident est en train de s’enliser…

Dans le même temps, la Li‑bye compte ses morts – déjà plus de 5 000 – alors qu’environ 800 000 habitants ont fui le pays. Un constat terrible pour une popu‑lation de quelque 6 millions d’in‑dividus… Sans oublier la des‑truction de villes comme Misrata, Ajdabiya, Brega ou Zaouia, dont personne ne parle plus. Tout cela en sus de l’effondrement d’une économie jadis florissante.

Les Libyens ont‑ils vraiment besoin de l’aide des Occiden‑taux pour décider de débloquer les fonds gelés dans leur pays et nourrir ainsi leur population ? On peut le croire quand on voit le président du Conseil national de transition (CNT) – qui ne re‑présente qu’une partie de l’oppo‑sition –, Mustapha Abdeljalil, en être réduit à frapper aux portes d’un état comme le Qatar pour demander un soutien politique et financier arabe.Légitimité. Voilà qui laisse à pen‑ser que toutes les promesses faites à la coalition anti‑Kadhafi n’ont guère été honorées. Les dirigeants des insurgés peuvent aussi s’inter‑roger sur le fait que beaucoup de pays – y compris des états arabes et occidentaux – refusent toujours de reconnaître leur légitimité. D’où, sans doute, ce premier voyage à l’étranger d’Abdeljalil, qui s’est rendu à Doha puis à Rome en com‑pagnie d’Ali Tarhouni, responsable de l’économie, des finances et du pétrole.

L’Occident ne cache plus ses craintes et se trouve des alibis pour justifier une marche arrière programmée en cas d’enlisement. Et la position commune affichée par le trio Obama‑Sarkozy‑Brown – qui insiste sur le départ de Kad‑hafi – ne change rien à l’équilibre des forces sur le terrain. En revan‑che, la réticence de l’Occident à fournir des armes aux insurgés de

peur « qu’elles ne tombent entre les mains d’Al‑Qaïda » se précise au fil des jours.

Si la France, la Grande‑Bre‑tagne et certains pays du Golfe – notamment le Qatar et les émi‑rats arabes unis – reconnaissent qu’ils entraînent sur le terrain les forces de l’opposition libyenne, Londres exclut quant à elle d’en‑voyer des troupes en Libye.

De son côté, le ministre fran‑çais des Affaires étrangères, Alain Juppé, affirme que le des‑sein de la France n’est pas de fai‑re tomber des chefs d’état arabes. En dépit de son rôle actif dans la campagne de frappes aériennes contre les forces loyalistes de Mouammar Kadhafi.

Par ailleurs, le patron des servi‑ces allemands de renseignement, Ernst Uhrlau, ne voit pas le ré‑gime de Kadhafi tomber dans un proche avenir. Il estime que la situation militaire sur le terrain montre qu’aucun des belligérants

n’est capable de faire pencher la balance dans son camp. De plus, il souligne que la région de Tri‑poli, centre d’influence de Kad‑hafi, est beaucoup plus peuplée que celle qui est contrôlée à l’est par les insurgés. Ce qui va rendre très difficile, voire très coûteuse, la tâche de l’Otan et de ceux qui pensent destituer Kadhafi à tra‑vers des opérations militaires. Le responsable allemand, qui craint un enlisement des Occidentaux, attire aussi l’attention sur le fait qu’il faut prendre en compte

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Quelque 800 000 ha-bitants ont déjà fui la libye depuis le début du conflit. Un constat terrible pour une population d’environ 6 millions d’individus

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PerTesaprès plus de trois mois de conflit, la libye compte déjà au moins 5 000 morts

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le rôle incontournable des tribus. Jusqu’à maintenant, ces derniè‑res ont soutenu le régime, avec lequel elles sont associées dans le partage des revenus pétroliers et gaziers.

De son côté, le président Oba‑ma est confronté à une opposition grandissante au sein de l’establis‑hment américain. Au point que des députés et sénateurs répu‑blicains n’hésitent pas à décla‑rer que l’intervention américaine – qui est d’ailleurs stoppée – est « une grossière erreur ». Ils stig‑matisent également la campa‑gne militaire menée par l’Otan, qu’ils estiment non seulement infructueuse, mais aussi favora‑ble au renforcement des positions d’Al‑Qaïda.

En effet, les états‑majors mili‑taires des pays occidentaux s’in‑terrogent sur l’identité des forces de l’opposition. Notamment, après un communiqué publié par le CNT, selon lequel « dix émi‑rats islamiques sont déjà créés en Libye »…

L’échec des initiatives améri‑caines et britanniques pour trou‑ver un successeur probant de Kadhafi à Benghazi complique encore plus la situation. D’autant que le chef d’état libyen rejette toujours l’idée de s’exiler dans un pays que Washington s’est enga‑gée à lui trouver pour garantir sa sécurité et son avenir.Gouvernance post‑Kadhafi. Selon des sources qataries, les Améri‑cains seraient allés jusqu’à trou‑ver une formule de gouvernance post‑Kadhafi dont le fils Saif al‑Islam ferait partie. En dépit de ces propositions qui visent à sor‑tir de la crise, Kadhafi, son en‑tourage et ses alliés des tribus dé‑clinent toutes les offres. Car pour eux, « le régime qui remplacerait celui de Kadhafi serait sans doute celui d’Al‑Qaïda ». à propos du Guide suprême, ils considèrent que « les batailles qu’il mène dans les régions de l’est, plus particu‑lièrement autour des sites pétro‑liers et des ports d’exportation du brut, visent ces terroristes et non

des forces de l’opposition qui ont été dépassées depuis longtemps par les centaines de dirigeants et cadres islamistes radicaux pro‑ches de cette organisation ».

Les Américains sont en tout cas déjà convaincus de la montée en flèche du Groupe islamique com‑battant en Libye (GICL), proche d’Al‑Qaïda. La mort annoncée d’un de ses chefs à Ajdabiya, au mois d’avril dernier, consolide la thèse de l’existence de ces radi‑caux parmi l’opposition libyen‑ne. Ce que même cette dernière ne nie pas vraiment…

Pendant ce temps, Khalifa Haftar, choisi par les Américains pour faire office de « Hamid Kar‑zai libyen », peine à trouver une légitimité. Cet ancien colonel de l’armée libyenne qui a fui son pays après la défaite de la guerre du Tchad, dans les années 1980, n’arrive pas à s’imposer auprès des forces militaires de l’oppo‑sition. Les dirigeants militaires islamistes lui auraient même fait savoir, ainsi qu’au gouverne‑

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PéTrole Malgré des expor-tations de brut qui ont chuté de 60 %, le régime continue

de vendre son or noir grâce aux

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ment provisoire, qu’il était per‑sona non grata. Pour eux, il est hors de question d’accepter parmi les combattants des « agents » de Washington. Faire face aux frais. Les écono‑mistes occidentaux s’interrogent aussi sur la capacité du régime libyen à faire face aux frais d’une guerre qui perdure depuis plus de trois mois et aux besoins ac‑crus de la population qu’il gère encore. Surtout avec des exporta‑tions pétrolières qui ont chuté de plus de 60 %, des avoirs gelés à l’étranger (environ 120 milliards de dollars) et des sanctions éco‑nomiques qui se durcissent.

La réponse à ces interrogations est venue du ministre du Plan et des Finances, Abdelhafidh Zlitni. Ce dernier a annoncé récemment que son pays possède toujours d’importantes réserves d’urgen‑ce, sans parler des stocks d’or… De son côté, le gouverneur de la Banque centrale, Farhat Beng‑dara – qui a attendu un mois pour présenté sa démission et se re‑trancher en Turquie –, a indiqué à Arabies que c’est le retard des réformes qui était à l’origine de la

révolution. Et il estime qu’aucune des parties n’est pour l’instant en mesure de gagner cette guerre.

Bengdara sait surtout mieux que quiconque où se trouvent les avoirs de la Banque centrale – à l’intérieur comme à l’extérieur du pays – et à combien ils se montent. Ce qui lui permet d’affirmer que « ces capitaux n’ont jamais été touchés jusqu’à cette date ». Pour lui, la Banque centrale et la Libyan Investment Authority (LIA) sont seules habilitées à gérer ces avoirs estimés à 170 milliards de dollars.

« Ni Kadhafi ni aucun de ses fils n’ont essayé de toucher cet argent, d’autant que le père ne s’est ja‑mais intéressé à l’argent car c’est le pouvoir qui l’intéresse », précise Bengdara.

On peut donc en conclure que le régime finance actuellement ses besoins d’urgence sur ses réserves et sur ses revenus pétroliers des vingt dernières années.

Un membre de la Quiada (le haut commandement de l’armée libyen‑ne) nous disait un jour que « la Li‑bye a tiré les leçons des longues années d’embargo et de sanctions économiques. Jamais elle ne pla‑

cerait ses avoirs sous la coupe de pays occidentaux qui peuvent les geler, voire les confisquer à n’im‑porte quel moment ». Et ce proche du Guide de conclure : « Mouam‑mar n’a jamais eu confiance en les Occidentaux, notamment les Amé‑ricains qu’il déteste. »

Voilà qui peut expliquer la ré‑sistance financière du régime. La Jamahiriya vend toujours du brut et en touche le prix… La National Oil Company (NOC) a ses réseaux, qu’elle entretient depuis plus de quarante ans. Alors même que les insurgés n’arrivent pas à exporter le pétrole de l’est. Le recours aux Qataris s’est certes soldé par une vente de 100 000 barils, mais dont ils n’ont pas encore touché le pro‑duit. En outre, on apprend que les sociétés libyennes appartenant au régime sont toujours opérationnel‑les en Grande‑Bretagne, malgré les sanctions. Parmi ces sociétés, Texel et Dalia, une filiale de la LIA.

Tous ces indices expliquent pourquoi le match nul prévaut aujourd’hui sur le terrain malgré les frappes aériennes ou les aides des Occidentaux et de leurs alliés arabes. n

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les villes du sud de la Syrie, notamment Deraa – initiatrice des protestations –, mènent un

bras de fer avec le régime du parti Baas, seul autorisé. Elles en ont entraîné d’autres dans leur sillage, telles Douma, Kfar Soussa ou Ha‑rasta, à 8 kilomètres de la capitale, Damas. Mais le reste du pays, no‑tamment les grandes villes comme Damas, Alep, Hama et la région d’Al‑Souaïda – fief de la commu‑nauté druze –, ne suit pas. Ce qui rend partielle ce que les manifes‑

tants aiment à nommer une « ré‑volte »…

Dans la ville cosmopolite de Lat‑taquié – où vivent sunnites, alaoui‑tes et chrétiens –, les contestataires ont commis quelques exactions envers la population, ce qui n’a fait que renforcer le pouvoir. Ce qui vaut aussi pour l’entrée en scène des Frères musulmans et même de certains groupuscules salafistes qui ont fait usage d’armes à feu dans les confrontations avec les forces de l’ordre. Tout cela nuit aux reven‑

dications de contestataires qui ne cessent de scander « liberté ! » ou encore « Dieu, Syrie et liberté ! »

En tout état de cause, les analystes politiques s’interrogent sur la capa‑cité du régime de Bachar al‑Assad à résister au tsunami sociopolitique qui a successivement balayé les ré‑gimes en Tunisie puis en égypte. Une menace qui pèse toujours sur la Libye, le Yémen et les deux états du Golfe que sont Bahreïn et le sul‑tanat d’Oman. Dans ce dernier cas, Kabous ben Saïd, le chef de l’état,

Syrie : quel printemps ?Malgré les promesses de réformes du président Bachar al‑Assad, les contestations font tache d’huile depuis deux mois. Même si elles ne semblent pas encore ébranler le régime…

oppoSantal‑Jazeera relaye

les fatwas de Yous‑sef al‑Qardaoui,

figure des Frères musulmans qui ap‑pelle à la chute des

régimes en Syrie, en libye, au Yémen et

en Algérie

Par P. FAUCHART, Damas

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a été contraint de faire des conces‑sions malgré le fort soutien de la Grande‑Bretagne. D’où cette ques‑tion que se posent aujourd’hui les analystes : le tour de la Syrie est‑il arrivé ?

Pour les médias arabes, le « prin‑temps de Damas » est déjà là et le changement ne prendra que quel‑ques semaines… C’est notamment le cas pour les chaînes de télévision telles que la qatarie Al‑Jazeera, qui se veut à l’origine du déclenche‑ment de la « révolution arabe ». Une idée renforcée par les fatwas de son gourou, cheikh Youssef al‑Qardaoui, qui appellent régu‑lièrement à la chute des régimes en Syrie, en Libye, au Yémen et même en Algérie… Et si ce leader de l’Organisation internationale des Frères musulmans ne touche pas à Bahreïn, c’est surtout parce que ce pays fait partie du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Tout comme le Qatar, où il réside et prê‑che… Sans oublier le fait que les contestataires sont des chiites qui, selon ses thèses, n’ont pas le droit de revendiquer quoi que ce soit. Contestataires syriens. Les reven‑dications des contestataires syriens, notamment politiques et sociales, sont toutes légitimes. Révoltée, cette population a d’abord exprimé pacifiquement ses besoins : liberté de la presse, droit d’expression et de rassemblement, élections libres et multipartisme. Sans oublier de dénoncer la barbarie de la police politique, la torture et les arresta‑tions arbitraires…

à travers leurs manifestations, ces citoyens ont fait savoir qu’ils ne voulaient pas changer le régime par la force et qu’ils ne demandaient pas plus que ces réformes, que le président Al‑Assad avait lui‑même promises dès les premiers mois de son arrivée au pouvoir.

Mais depuis, rien n’a été réalisé. Bien au contraire, les injustices ont augmenté, la justice s’est faite plus dépendante du pouvoir politique, et la discrimination s’est renforcée

entre les couches sociales, voire les ethnies.

Au plan social, les revendications ne sortent pas de l’ordinaire. Elles ne sont pas un alibi visant à désta‑biliser le régime, qui n’était certes guère à l’écoute de la souffrance de son peuple. Mais elles se sont expri‑mées au moment même où certains proches du chef de l’état, notam‑ment son cousin Rami Makhlouf, mettaient la main sur la majorité des sources de revenus privées du pays… Selon les banques d’affai‑res régionales, ce dernier, qui diri‑geait les plus grands groupes, aurait amassé en quelques années plus de 2,5 milliards de dollars.

Ce n’est toutefois pas ce qui a poussé dans la rue les Syriens les plus démunis, notamment ceux de la classe moyenne qui ont vu bais‑ser leur pouvoir d’achat. L’objet de leurs manifestations ? La création d’emplois, la nourriture, des loge‑ments à un prix abordable et l’éga‑lité des chances pour les postes ad‑ministratifs – qui sont octroyés en priorité aux membres du parti Baas. Certains ont toutefois demandé que soient jugés les « gourmands » du

régime et les corrompus qui ne lais‑sent rien aux autres que la misère.

Mais ce que les ténors du régime n’ont pas compris et ce dont ils n’ont pas réalisé l’ampleur, c’est la volonté des manifestants de retrou‑ver leur dignité. Très significative, cette revendication a été durement réprimée par les moukhabarates, les services de sécurité. Ces derniers ont même franchi la ligne rouge en arrêtant des gamins de 13‑14 ans qui avaient taggé les murs de De‑raa, appelant à la liberté et à la ré‑volution arabe. Libérés après avoir été battus, ces enfants ont ravivé l’esprit de dignité dans cette popu‑lation paysanne qui a décidé cette fois d’aller jusqu’au bout. L’autre

Mai 2011 Arabies I 21

Les manifestants réclament notamment une égalité des chan-ces pour les postes administratifs, qui sont en priorité oc-troyés aux membres du parti Baas, seul autorisé en Syrie

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grande erreur des forces de l’ordre fut de tirer sur la foule. Le reste de l’histoire est maintenant connu…

Soucieux de juguler un effet bou‑le de neige dont il ne connaît que trop bien les risques, le président syrien est intervenu. Il a laissé en‑tendre que l’état ferait le nécessaire pour répondre aux revendications, évoquant même une levée de l’état d’urgence. En vigueur depuis plu‑sieurs décennies, ce dernier était de‑venu au fil des manifestations une cible majeure des revendications.

Mais, dans son discours très at‑tendu, Bachar al‑Assad n’a pas ré‑pondu aux attentes. Il se contente de résoudre les problèmes à mesure qu’ils se présentent et a simplement constitué un comité du parti Baas pour étudier l’annulation de ce fa‑meux état d’urgence.

Les contestataires ont interprété cela comme une intention de ne jamais répondre aux appels popu‑laires. De là, les manifestations ont repris avec plus de détermination et avec elles, des confrontations sanglantes qui ont placé le régime dans l’œil du cyclone vis‑à‑vis de la Communauté internationale. Les amis de la Syrie, dont la Turquie

et la Russie, sont alors intervenus pour conseiller à Bachar al‑Assad d’accélérer les réformes avant qu’il ne soit trop tard. l’avenir du régime. Les prévisions concernant l’avenir du régime sy‑rien comportent des risques non négligeables. C’est ce qu’ont confié à Arabies plusieurs intellectuels syriens, dont certains s’opposent au style de gouvernance du pou‑voir sans pour autant demander son changement ou sa chute. Ils esti‑ment que si le régime fait des ef‑forts sérieux et sincères pour répon‑dre aux revendications légitimes des contestataires, le gouvernement aura de fortes chances de survivre à la crise. Mais dans le cas contraire, ce dernier sera confronté à une ré‑volte permanente qui l’affaiblira davantage…

Dans ce contexte, il faut prendre en considération la jeunesse qui est entrée en jeu et qui représente plus de 60 % de la population en Syrie. Et cette jeunesse est prête à risquer sa vie, à l’instar de ses « frères » tu‑nisiens et égyptiens, pour atteindre ses objectifs.

Bien sûr, le régime pourrait re‑courir à la force pour mater la ré‑

bellion, mais il risque d’y perdre sa légitimité. Al‑Assad semble être conscient du danger et c’est pourquoi il s’est adressé au peu‑ple, le 30 mars dernier devant le Parlement, dans un discours où il affirmait notamment : « sans ré-formes, nous allons tous vers la catastrophe ».

Il reste maintenant à savoir si ces réformes seraient réalisées de suite ou non… Et, surtout, si le jeune président syrien a les mains libres pour le faire…

Les relations privilégiées entre Damas et Ankara, qui existent de‑puis quelques années, ont instauré une confiance significative qui per‑met au régime syrien d’accepter les conseils du grand voisin en matière de réformes, voire de démocratie. Il y a plus de six mois, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdo‑gan, fut ainsi le premier à mettre en garde le président syrien contre la vague de protestations qui se pré‑parait. Il lui avait même demandé d’anticiper en annonçant des ré‑formes sociopolitiques, et de ré‑fléchir sérieusement à la levée de l’état d’urgence. Mais alors qu’il avait promis d’étudier la question, Al‑Assad n’a rien fait.

Le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a aussi déclaré à Arabies qu’Ankara aurait conseillé à Bachar al‑Assad de réviser la situation des Kurdes en leur accordant la nationalité syrienne. Car cette revendication historique de quelques millions d’individus pourrait devenir un ingrédient de taille en cas de pro‑testations populaires à l’avenir, ce qui compliquerait d’autant plus la situation. La suite des événements a donné raison aux Turcs.

Il a finalement fallu que la ré‑gion de Kamechli, à majorité kur‑de, prenne le parti des contestataires de Deraa pour que le régime syrien réalise le danger.

Bachar al‑Assad a alors lancé un premier processus de naturalisation pour quelque 110 000 Kurdes,

22 I Arabies Mai 2011

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nier, devant le parlement, Bachar al‑Assad affirmait au peuple : « sans

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géoStRatégIeavec la palestine, l’Irak et le liban, la Syrie dispose

de trois cartes maîtresses qu’elle n’a pas encore eu

besoin d’utiliser

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auxquels il a accordé les droits de citoyenneté. Des réunions avec leurs dignitaires et ceux des tribus du sud ont d’ailleurs été organisées par le président syrien ces dernières semaines pour calmer les esprits.

Ces initiatives et la visite du chef de la diplomatie turque à Damas montrent que la Syrie coordonne désormais ses actions avec Ankara. Ce que laissent aussi entendre les déclarations du Premier ministre turc selon lesquelles « la Turquie soutient la série de réformes en-treprises par le gouvernement sy-rien ». Et Erdogan d’ajouter que son pays « se rangerait aux côtés de la Syrie pour préserver sa stabilité et sa sécurité ».

Cela montre bien que le pou‑voir turc, qui abrite chez lui une partie de la direction des Frères musulmans syriens, n’accepte‑ra aucun acte de déstabilisation de ce pays voisin, notamment après l’engagement d’Al‑Assad sur les réformes.

En reconnaissant son recours à l’expérience et à l’assistance tur‑ques pour mettre en place les pro‑jets de loi portant sur les réformes socio‑économiques, le régime sy‑rien a renforcé sa position.

Parallèlement, on apprend de sources concordantes à Damas et à Ankara que la Turquie serait prête à accorder les aides et les prêts né‑cessaires pour soutenir l’économie syrienne. Il semble donc qu’Ankara soit bien décidée à aller jusqu’au bout dans l’opération de sauvetage de ce nouvel allié stratégique régio‑nal qui, selon les Turcs, a toujours respecté ses engagements ces der‑nières années.

Par ailleurs, en changeant tout son gouvernement et en limogeant les gouverneurs de Deraa et de Homs – en réponse aux revendications –, Al‑Assad aurait voulu montrer qu’il est à l’écoute des contestataires. Ce qui vaut aussi pour la naturalisation des Kurdes et la libération de la ma‑jorité de ceux qui avaient été arrêtés à la suite des événements. En clair, le pouvoir veut montrer qu’il sait faire des concessions.

Mais le recours aux armes de certains contestataires, le 8 mars dernier, devrait pousser le régime à se défendre et à montrer qu’il ne négociera pas sous la menace. Il faut donc probablement s’attendre à une riposte qui viserait ceux des révoltés qui, selon les autorités sy‑riennes, ne veulent pas laisser la

moindre chance aux réformes et mettent ainsi en danger la stabilité de la Syrie.

Preuves à l’appui, Damas aurait informé son allié turc de tous les détails des troubles ayant éclaté à Deraa, Douma et Lattaquié. Une fa‑çon de justifier toute riposte contre ces insurgés armés.

Les médias occidentaux, notam‑ment français, qui estiment que le régime syrien échoue à étein‑dre la contestation et qu’il subira le même sort qu’en Tunisie et en égypte doivent se référer à ce qui se passe en Libye, où toutes leurs analyses et spéculations sont tom‑bées à l’eau.

C’est en tout cas l’avis d’un haut responsable syrien qui déclare à Arabies : « il y a une réalité que certains Occidentaux ne connais-sent pas, c’est que la Syrie n’est pas la Libye. D’autant qu’elle possède trois cartes maîtresses, qu’elle n’a pas encore eu besoin d’utiliser avec la Palestine, l’irak et le Liban…

Pour peu qu’il tienne les enga‑gements pris avec le nouveau gou‑vernement mis en place pour gérer la crise, le président Bachar al‑As‑sad a de fortes chances de sauver son régime.

En adoptant les deux projets‑dé‑crets qui portent sur la levée de l’état d’urgence et sur l’annulation du Haut Tribunal de la sécurité d’état – deux des principales re‑vendications des contestataires –, ainsi que le droit de manifester pacifiquement, le régime a montré qu’il est bel et bien sur la voie des réformes. Même s’il reste encore à poursuivre les corrompus parmi les proches du système…

En outre, le limogeage du res‑ponsable militaire de Banias, où avaient éclaté de violentes mani‑festations, commence à jouer en faveur du régime. De quoi couper l’herbe sous le pied aux purs et durs qui appellent à poursuivre les manifestations jusqu’à la chute du régime. n

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tURQUIe Il y a six mois, le premier ministre turc avait pressé

le président syrien d’annoncer des ré‑formes sociopoliti‑ques et de réfléchir à la levée de l’état

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L ’Algérie constitue décidément le terrain de prédilection des paradoxes ; toute son histoire

passée et récente s’est nourrie en effet d’épisodes contradictoires et de phases paroxystiques.

Depuis 2005, grâce à la montée vertigineuse des prix du pétrole, au remboursement anticipé de sa dette extérieure et à la constitution de ré‑serves impressionnantes de change (de l’ordre de 150 milliards de dol‑lars en 2010), le pouvoir algérien s’efforce d’assurer le décollage éco‑nomique du pays. Ainsi, il a injecté, sur dix ans, quelque 500 milliards

de dollars dans des structures éco‑nomiques et sociales dont la plupart étaient en déshérence. Il a, en outre, engagé un effort sans précédent en vue d’améliorer les conditions de vie de la population.

Mais la mauvaise gouvernance des affaires publiques – qu’il serait excessif d’imputer au seul pouvoir central – entretient un sentiment permanent de frustration et même de colère, aussi bien dans les cou‑ches moyennes que dans les caté‑gories sociales les plus modestes. L’inflation galopante provoquée délibérément par des spéculateurs

et grossistes, la montée du chô‑mage – quelque 250 000 jeunes pri‑mo‑demandeurs d’emploi se pré‑sentent chaque année sur le marché du travail –, la pauvreté salariale et la pénurie persistante de logements dans les grandes agglomérations sont autant de phénomènes qui se sont ligués pour attiser un mécon‑tentement récurrent. Et le pouvoir algérien est sommé de l’apaiser dans les meilleurs délais, sauf à voir s’installer le désordre et l’in‑civisme. Cependant, alors même que les revendications des popula‑tions sont foncièrement de nature

Les paradoxes algériensFort d’une rente régulière principalement issue de la montée des prix du pétrole, le régime s’efforce d’assurer le décollage économique du pays. Mais la mauvaise gestion génère frustration et colère.

réservesDepuis 2005, l’Algé‑

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qui s’élèvent à quelque 150 mil‑liards de dollars

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Par le Pr Ali Mebroukine

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économique et sociale, un certain nombre de partis d’opposition, de représentants du mouvement asso‑ciatif autonome et de personnalités indépendantes se sont coalisés pour réclamer la fin du système en place. Ils veulent le démantèlement des institutions répressives et la mise en place d’un ordre démocratique dont les premiers linéaments consis‑teraient dans l’élaboration d’une constituante, traditionnel cheval de bataille du Front des forces socia‑listes (FFS) de Hocine Aït Ahmed depuis 1963.Contestation. Il serait toutefois ex‑cessif de laisser entendre que la contestation frontale dont fait l’ob‑jet le régime algérien émane seule‑ment de ses adversaires tradition‑nels. Qu’il s’agisse du Mouvement de la société pour la paix (MSP) de Bouguerra Soltani – parti membre de la coalition présidentielle, for‑tement représenté au gouverne‑ment –, du Front national algérien (FNA) de Moussa Touati, du Parti des travailleurs (PT) de Louiza Hanoune ou de personnalités indé‑pendantes pas systématiquement hostiles au système – tels Abdelha‑mid Mehri, ex‑secrétaire général du Front de libération national (FLN), ou l’ancien chef du gouvernement Mouloud Hamrouche –, tous sont montés au créneau. Ils réclament des aménagements profonds de la gouvernance publique et une ré‑forme substantielle du cadre d’or‑ganisation des pouvoirs publics, ce qui implique une refonte de la Constitution révisée du 12 novem‑bre 2008.

D’une façon générale – et le pou‑voir en place en a implicitement convenu en Conseil des ministres les 3 et 20 février 2011 –, il s’agit prioritairement pour le régime de répondre par des mesures concrètes au malaise social grandissant. Le pouvoir doit satisfaire une jeunesse en quête d’emplois stables et rému‑nérateurs ainsi que de logements. Il doit soutenir des salariés du secteur public dont le pouvoir d’achat est

systématiquement rogné par une in‑flation galopante – importée, autant que suscitée, par ce que le Premier ministre appelle les « barons de l’informel ». Il lui faut enfin sécu‑riser les responsables et managers des entreprises publiques en dépé‑nalisant l’acte de gestion, exigence minimale requise par l’économie de marché.

Comme l’a rappelé le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, à l’oc‑casion d’une émission sur la chaîne satellitaire arabophone A3, le malai‑se algérien serait avant tout d’ordre économique et social. Il traduit les inquiétudes des populations, alors que le pays dispose de ressources financières considérables et qu’il se trouve engagé dans des projets am‑bitieux : croissance de son appareil de production et modernisation de ses infrastructures.

En ce sens, la contestation qui s’est exprimée ces deux derniers mois ne saurait être comparée à la révolution du Jasmin en Tunisie, qui ne s’est pas limitée à contester les outrances et les dérives d’un sa‑trape autiste, mais a porté sur une large démocratisation du système politique. Elle n’est pas plus com‑

parable à la fronde populaire qui a exigé et obtenu, en égypte, le dé‑part du président Moubarak.

En d’autres termes, la légitimité de ceux qui gouvernent l’Algérie – au moins depuis 1999 – ne serait pas fondamentalement en cause. Même si le Premier ministre a concédé que des aménagements institutionnels, au besoin impor‑tants, devaient être entrepris.

Ahmed Ouyahia laissait ainsi entendre que l’organisation ac‑tuelle des pouvoirs publics n’était pas satisfaisante et qu’elle pouvait même faire obstacle à l’émergence de nouvelles forces politiques et sociales d’autant plus légitimes qu’elles seraient portées par des mouvements populaires issus de

Mai 2011 Arabies i 27

Près de 250 000 jeunes primo‑de‑mandeurs d’emploi se présentent chaque année sur le marché du travail en Algérie

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l’Algérie profonde. Cela par oppo‑sition à l’Algérie des spéculateurs, des rentiers et des « barons de l’im‑portation » que le Premier ministre a violemment stigmatisée lors de l’intervention télévisée précitée.

à la différence de la Tunisie, dont le revenu national est en grande partie le fruit du travail et de l’épar‑gne des Tunisiens, l’Algérie est un pays rentier. Et à la différence de l’égypte, autre pays rentier (rentes touristique et pétrolière en sus de celles issues des revenus du canal de Suez et de l’aide financière amé‑ricaine), la rente algérienne pourrait être répartie plus équitablement en‑tre toutes les catégories sociales.

Force est d’admettre qu’aucune revendication sociale ne porte sur la remise en cause du modèle ren‑tier lui‑même ou sur la libération de l’économie afin que celle‑ci se di‑versifie et puisse créer de la valeur ajoutée, contribuant à l’augmenta‑tion de la richesse nationale. Pour autant, les doléances corporatistes qui s’expriment depuis deux mois ne sont pas considérées par le gou‑vernement comme illégitimes ou déraisonnables, ce qui constitue en‑fin un témoignage de lucidité.

S’agissant de la contestation pro‑prement politique, autrement dit celle qui revendique ouvertement

un changement de régime, elle émane d’abord de certains partis politiques déjà agréés – tels que le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ou le FFS.

Il y a ensuite les personnalités in‑dépendantes qui réclament l’agré‑ment de leurs formations politiques respectives (Sid Ahmed Ghozali, Ahmed Benbitour, Abdesslam Ali Rachedi, Djamel Zenati, Samir Bouakouir).

Sans oublier le mouvement as‑sociatif autonome conduit par le président d’honneur de la Ligue al‑gérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), Abdenour Ali Yahia, et son président en exer‑cice, Mustapha Bouchachi. Soit les deux hommes qui sont à l’origine de la création de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), dont le mot d’ordre est l’ouverture d’une pé‑riode de transition en prélude à un changement radical du système ins‑titutionnel algérien.

Le pouvoir algérien peut‑il ac‑complir son propre aggiorna-mento ? Certains observateurs le pensent. Ils font valoir les ensei‑gnements que les dirigeants algé‑riens ont tirés des événements qui se sont produits dans les autres pays arabes ainsi que l’amicale pression

des états occidentaux. Il s’agit bien sûr des états‑Unis, très attentifs à la stabilité en Méditerranée occiden‑tale. Mais les pays européens sont tout aussi inquiets à l’idée de devoir réguler de façon autoritaire les flux migratoires qui se focaliseraient sur leurs territoires en cas de grave crise politique et sociale au Maghreb.

Il convient également de favori‑ser l’émergence d’un nouveau pacte social interne qu’une redistribution de la rente pétrolière, même plus équitable, ne saurait garantir indéfi‑niment. En revanche, une véritable diversification de l’économie natio‑nale couplée à une fiscalité ponc‑tionnant les revenus spéculatifs et le patrimoine immobilier – plutôt que les revenus du travail – permettrait d’atteindre cet objectif.

Aujourd’hui, les réformes institu‑tionnelles nécessaires sont bien dé‑finies : révision de la Constitution dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs exécutif et législatif, libé‑ration totale et inconditionnelle du champ politique et médiatique, ga‑ranties d’indépendance au pouvoir judiciaire et dégel de l’application de la loi de décembre 1990 sur les associations. Autant de réformes qui figurent parmi les plus urgentes et qui peuvent se faire sans change‑ment de régime. n

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pas considérées par le gouvernement

comme illégitimes ou déraisonnables,

ce qui constitue en‑fin un témoignage

de lucidité

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Les troubles ne sont pas totale‑ment calmés, malgré ce que laissent croire certaines par‑

ties. Il faut dire que les nouvelles sont quelque peu inquiétantes.

Depuis la chute de Ben Ali, il ne se passe pas un jour sans ma‑nifestation ou contestations de tout bord. La télévision d’état, reflet du quotidien tunisien, est devenue le porte‑parole de la population. Depuis la révolution du Jasmin, les programmes sont bouleversés.

Tables rondes et débats politiques interminables sont, chaque jour, au menu de téléspectateurs qui se lassent. Mais fort heureusement, quelques documentaires anima‑liers se substituent parfois aux « programmes ». Des films tuni‑siens sont aussi venus suppléer des journalistes débordés par l’actua‑lité. La musique ? Tout ce qui n’est pas chanson patriotique – nouvelle version – a disparu du petit écran. La publicité ? Disparue elle aussi,

mais qui s’en plaindra… Le sport ? Banni, absent des terrains depuis déjà des mois. Seules les joutes in‑ternationales sont autorisées, mais pas les images… Et quand se dis‑pute un match amical local, c’est à huis clos. La foule fait peur ! Et on se doit de porter le deuil des mar‑tyrs de la révolution ! Mais jusqu’à quand ?

La rue a certes pris le pouvoir, mais elle ne mesure pas l’étendue de l’effet néfaste qui en découle

Aspirations + élections = interrogationsEntre démissions, aspirations des uns et ambitions des autres, de nombreuses questions restent en suspens à l’aube des élections pour cette nouvelle Tunisie en pleine démocratisation.

mArzoukiDe retour de son

exil en France, moncef marzouki,

leader et fondateur du CPr, est devenu

presque anonyme en Tunisie

Par Nacer OULD MAMMAR

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dès lors qu’on ne respecte pas les règles les plus élémentaires du savoir‑vivre en société. La démo‑cratie a ses limites, ses règles et ses exigences. Mais en l’absence d’une quelconque expérience et de tout repère démocratique, il est dif‑ficile d’aller de l’avant.

« Les pays arabes ne sont pas faits pour la démocratie, car ils n’y sont pas habitués. Dès qu’une porte vers la liberté leur est ouver-te, ils se déchaînent sans retenue et versent dans l’anarchie », nous déclare un vieil homme.

Les revendications sont nom‑breuses et quasi quotidiennes, les attentes aussi. L’ex‑dictateur tu‑nisien a malheureusement fait le vide autour de lui. L’opposition a toujours existé, mais sans grand effet. Plus libre à l’étranger qu’en Tunisie, elle ne bénéficie que d’un semblant de légitimité venu d’ailleurs. Banalisé, stigmatisé, traqué, harcelé, peu connu auprès du plus grand nombre, le militan‑tisme Made in Tunisia n’a, hélas, que très peu de poids aux yeux de l’opinion publique.Leader anonyme. Un exemple ? Exilé en France, le très médiati‑que Moncef Marzouki, leader et fondateur du Congrès pour la ré‑publique (CPR) – parti d’opposi‑tion autorisé en Tunisie depuis le 8 mars dernier – est rentré au pays pour se voir conspué et chassé de Kasserine, l’un des bastions du soulèvement populaire. Idem à la Kasbah, fief du gouvernement. Re‑venu d’un long exil, Marzouki est devenu presque anonyme en Tuni‑sie. Et il n’est pas le seul…

Au pays du Jasmin, les sonda‑ges politiques n’ont guère cours. Et Marzouki, tout comme Rached Ghannouchi, passe pour un paria. Entre leur absence de légitimité et leur manque de visibilité, le vieil adage « nul n’est prophète en son pays » trouve tout son sens. Ni l’un ni l’autre n’a de légitimité populaire et aucun ne réunit un vrai consensus sur sa personnalité

auprès des Tunisiens qui vivent au pays.

Bon nombre de Tunisiens veulent prendre des raccourcis. Quelques jours seulement après le départ for‑cé de Ben Ali, ils se voyaient déjà engranger tous les bénéfices de la révolution. Tout, tout de suite. Et à n’importe quel prix !

Les tensions sociales marquées par des grèves interminables et des manifestations parfois vio‑lentes desservent le peuple du fait qu’elles gangrènent l’économie du pays. Des exactions sont com‑mises, nous dit‑on, par des milices pro‑Ben Ali ; et le puissant syndicat de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) – qui a jadis colla‑boré avec l’ancien gouvernement – continuait, il n’y a pas si longtemps, à manipuler les foules… Des élec‑tions sont certes programmées pour le mois de juillet, mais pourra‑t‑on patienter jusque‑là ?

Tous les ministres qui étaient sous la coupe de Ben Ali ont été remerciés, limogés, démissionnés, congédiés ! Le Premier ministre Mohamed Ghannouchi a, lui, dé‑missionné sous la pression de la

rue. Ont suivi Elyes Jouini (ministre chargé des Réformes économiques et sociales), Afif Chelbi (ministre de l’Industrie et de la Technologie) et Faouzia Charfi (secrétaire d’état à l’Enseignement supérieur).

Le troisième gouvernement constitué depuis le départ de Ben Ali semble en tout cas tenir le coup. Et un vent de liberté comme il n’y en a jamais eu souffle sur le pays. Une feuille de route a été tracée, qui doit conduire à l’élection de la seconde assemblée constituante de la Tunisie indépendante, après celle de 1965.

Le paysage politique ? Il s’est complètement transformé avec l’apparition d’une myriade de

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une feuille de route a été tracée, qui doit conduire à l’élection de la seconde assem-blée constituante de la Tunisie indépen-dante depuis 1965

DémissionsDémissionnaire, le Premier ministre, mohamed Ghan-nouchi, a été suivi par elyes Jouini, Afif Chelbi et Faouzia Charfi

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formations politiques, dont certai‑nes sans programme et d’autres en attente de législation. Les médias ? Débarrassés de toute forme de coer‑cition, ils se sont totalement libérés. La justice ? N’étant plus aux ordres du pouvoir, elle a acquis une indé‑pendance encore jamais connue… Cette période a également été mar‑quée par des événements parfois tragiques qui ont semé le doute dans les esprits, faisant craindre que « la bête ne soit pas encore morte » et que le plus dur reste à faire… Car la question qui hante les Tunisiens est la suivante : som‑mes‑nous capables de mener cette révolution à bon port ?

Le processus est long et non sans embûches. Les attentes sont gran‑des et l’on doit bien mesurer l’am‑pleur des tâches à venir. La peur de l’anarchie se mêle à l’espoir d’une transition calme et sereine. Ces obstacles risquent d’hypothéquer la transition en cours et personne ne se hasarde à prévoir le visage de cette nouvelle Tunisie. Même si elle est débarrassée d’une autocra‑tie des plus dures et de l’imposture d’un régime prévaricateur enraciné dans une fausseté institutionnalisée et dans un mensonge caractérisé…

Le successeur de Ghannouchi, Béji Caïd Essebsi, plusieurs fois ministre sous Bourguiba, n’avait pas eu le temps de chauffer son siè‑ge que, déjà, des voix s’élevaient pour le faire remplacer. La fronde s’organise maintenant autour de ceux qui en ont « ras‑le‑bol » de la « dictature de la rue » et des contes‑tations à tout va du président de la puissante UGTT, Abdessalam Jrad, qui visent la légitimité de tel ou tel membre du gouvernement. Le salut de la Tunisie viendra certainement de ce mouvement qui commence petit à petit à prendre forme. tourisme. Mais en attendant, il convient de faire face, notamment dans le secteur du tourisme. « Il faut sauver la saison d’été et c’est en hiver que ça se prépare. D’où le lancement de la campagne I Love Tunisia. Nous devons dialo-guer, rassurer, avancer, travailler sur le long terme en même temps qu’agir sur les leviers immédiats », déclarait Mehdi Houas, ministre du Commerce et du Tourisme, lors d’une rencontre avec des profes‑sionnels tunisiens et étrangers.

Le ministre comprend toutefois les craintes actuelles des touristes : « Nous souhaitons que ceux qui ont

l’habitude de venir participent à un acte sentimental plus que citoyen. Mais il ne faut pas se tromper de cible. Ce sont des familles qui veu-lent un bon accueil et la tranquil-lité, pas se trouver au cœur d’un problème. Mais je crois que nous pouvons être confiants. L’axe de développement majeur de notre pays est le tourisme. Il faut bous-culer les choses. Nous étions sans doute trop statiques. Les touristes, eux, ne le sont plus. »

Quid des hôtels entrés dans le giron des familles Ben Ali et Tra‑belsi ? « La famille Ben Ali avait des liens partout, même dans le marché de la fripe, poursuit Mehdi Houas. Si on ne veut pas toucher à ce qu’ont touché les Ben Ali, on fait une croix sur la Tunisie… Ils sont présents directement dans 25 hô-tels ! Par chance, ils étaient plus actionnaires que gestionnaires. Ils comptaient seulement les divi-dendes, ça simplifie la tâche. Nous coupons donc le cordon capitalis-tique, mais nous avons la respon-sabilité de l’emploi. Nous avons donc débranché l’actionnaire pour nommer un administrateur judi-ciaire. Car l’hôtellerie doit fonc-tionner… » n

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générale tunisienne du travail, Abdessa-lam Jrad conteste à tout va la légitimité

des membres du gouvernement

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S i les révolutions arabes ont masqué la forte crise po‑litique qui couve en Irak

depuis des mois, cela ne veut pas dire que le gouvernement dit « d’union nationale » est à l’abri de l’explosion.

Les trois grandes coalitions au pouvoir n’arrivent toujours pas à s’entendre sur le choix des personnes appelées à diriger les trois ministères de souveraineté dont les postes restent vacants : la Défense, l’Intérieur et la Sécu‑rité nationale. L’hypothèse d’un

retour à la case départ reste donc fort probable et pourrait se ma‑térialiser à tout moment. La res‑ponsabilité en incombe avant tout au climat de doute et au manque de confiance qui persiste entre la coalition de l’état de droit de l’actuel Premier ministre, Nouri al‑Maliki ; le Mouvement natio‑nal irakien de l’ancien Premier ministre Iyad Allaoui ; et l’Al‑liance nationale irakienne dirigée par Ibrahim Jaafari. Cette at‑mosphère de défiance récurrente pourrait remettre en cause le

compromis de Sulaymania (dans le Kurdistan irakien), qui avait abouti à l’élection du Kurde Jalal Talabani comme président de la république, le sunnite Oussama al‑Nujaïfi devenant pour sa part président du Parlement tandis que le chiite Nouri al‑Maliki pre‑nait la tête de l’Exécutif.

En attendant le dénouement de cette crise politique qui se com‑plique au fil des jours du fait que chaque partie campe sur ses posi‑tions, les échéances s’accumulent et avec elles, les complications

Irak : le blocage persistePlus de trois mois après sa formation, le gouvernement de Nouri al‑Maliki peine à trouver sonrythme. Trois postes clés restent vacants alors que les divergences au sommet s’intensifient…

mInIStèreSLes ministères

de la Défense, de l’Intérieur et de la Sécurité nationale restent à pourvoir plus de trois mois après la formation du gouvernement

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liées aux problèmes sociaux. Ce qui augmente les risques de pro‑testations populaires, que le gou‑vernement parvient pour l’instant à contourner ou dont il diminue l’ampleur par divers moyens.

Pour les observateurs sur place, la politique menée par Al‑Maliki, qui vise à jouer sur les contradic‑tions communautaires et ethni‑ques, est vouée à l’échec. En sus d’une hausse des prix insuppor‑table et d’une corruption géné‑ralisée de la classe politique, les privations de toutes sortes pour‑raient empêcher un pouvoir déjà fragilisé d’endiguer les vagues de contestations qui se profilent à l’horizon. « Mako » électricité (« il n’y a pas » d’électricité, dans le dialecte irakien), mako eau, mako emplois, mako sécurité… Les manifestations organisées depuis plus d’un mois et demi, chaque vendredi après la priè‑re, à Bagdad et dans les autres grandes villes d’Irak devraient donc être sérieusement prises en compte. Même si elles n’ont pas encore pris la dimension de cel‑les enregistrées au Yémen ou en Syrie, deux états très proches du pays des Rafidaïne (« le pays des deux fleuves »).Interdiction de manifester. à peine deux jours après l’interdiction de manifester sur les places publi‑ques, des centaines de manifes‑tants ont défié le gouvernement en envahissant la place Al‑Tahrir, au centre de Bagdad…

Pour la première fois, sunni‑tes et chiites se sont unis contre Al‑Maliki pour appeler à la réa‑lisation des réformes promises par ce dernier dès son premier mandat. Ils demandent aussi que soient démis de leurs fonctions les gouverneurs et les responsa‑bles corrompus, en majorité des proches du Premier ministre. En‑fin, les manifestants réclament également la modification de la loi électorale, la libération des prisonniers non coupables et la

révélation des sites de certaines prisons gouvernementales tenues secrètes.

De la fenêtre de son bureau, dans la fameuse « zone verte » – qui regroupe la primature, les ministères de souveraineté et les ambassades des grand pays mem‑bres de la coalition qui a occupé l’Irak (états‑Unis, Grande‑Breta‑gne, etc) –, Nouri al‑Maliki doit suivre avec une certaine inquiétu‑de la tache d’huile, encore petite, que constituent ces protestations populaires. Pour les analystes po‑litiques, ses manœuvres pour fai‑re reporter le choix des nouveaux ministres de la Défense, de l’In‑térieur et de la Sécurité nationale sont liées à sa crainte de voir ces derniers refuser d’exécuter ses ordres en tant que chef des forces armées et de la sécurité. Ce qui devrait sans doute encore affai‑blir son pouvoir.

Mais aujourd’hui, la plus gran‑de crainte de Nouri al‑Maliki tient au possible retour sur la scène politique du jeune chef religieux Moqtada al‑Sadr, qui réside ac‑

tuellement à Qom (Iran) pour suivre ses études de théologie. Cédant aux pressions de Téhéran, ce dernier a jusqu’alors accepté de composer avec le Premier mi‑nistre en échange de la libération de ses partisans et de l’obtention de certains portefeuilles de servi‑ces dans l’actuel gouvernement. Mais il peut faire volte‑face à tout moment, ce qu’on tend ef‑fectivement à constater ces der‑niers temps. On prête en effet à Al‑Sadr l’intention de concur‑rencer ses pairs politiques chiites en tentant d’occuper le devant de la scène après le retrait an‑noncé des troupes américaines

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à peine deux jours après l’interdiction de manifester sur les places publiques, des centaines de mani‑festants ont défié le gouvernement en envahissant la place Al‑tahrir, à Bagdad

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stationnées en Irak. Ainsi a‑t‑il déjà parlé de réactiver « l’Armée d’Al‑Mahdi », qui n’est autre que sa propre milice…

Les spécialistes affirment que Moqtada al‑Sadr est capable de mobiliser un public d’environ un million de volontaires et de militants. C’est d’ailleurs un message qu’il adresse à la moin‑dre occasion aux Américains afin que ces derniers reconnaissent son influence populaire et lâchent Nouri al‑Maliki. « Si les Améri‑cains restent en Irak après 2011, l’Armée d’Al‑Mahdi les combat‑tra et les obligera à quitter notre pays », déclarait même Al‑Sadr juste après l’entrevue de Robert M. Gates, secrétaire américain à la Défense, avec le Premier mi‑nistre irakien à Bagdad.

Dans cet entretien, le respon‑sable américain a indiqué que Washington étudie la possibilité de retarder encore le départ de ses troupes d’un an ou deux. Si les Kurdes sont favorables à ce « souhait » américain, les autres composantes de la population ira‑kienne y sont opposées.

Il reste à savoir quelle serait la position des Iraniens. S’ils ne se sont pas exprimés sur ce sujet, la logique voudrait que ces der‑niers préfèrent voir les soldats américains rester en Irak pour mieux garder ce front ouvert en permanence, comme c’est le cas en Afghanistan.

Un autre souci de taille pour le Premier ministre irakien est la coupure totale de l’électricité. Surtout à l’approche de l’été, quand la température dépasse les 50 degrés et que l’humidité est à son maximum, notamment dans les régions du sud, près de Bassorah. Là même où le pouvoir central a eu toutes les peines du monde à arrêter un début de ré‑volte l’an dernier…Ultimatum. à cela s’ajoute l’ul‑timatum adressé par la Marjaïa (« Référence ») chiite de Nadjaf à ce gouvernement irakien qui ne répond pas aux besoins de la po‑pulation et qui continue la « spo‑liation » des richesses nationales. Le porte‑parole de l’ayatollah Ali Sistani, figure emblématique du mouvement chiite, a ainsi déclaré

que la Marjaïa soutiendrait doré‑navant les revendications des ma‑nifestants du vendredi.

Cet te s i tua t ion dé l ica te a conduit Nouri al‑Maliki à don‑ner aux ministres, gouverneurs et autres responsables un délai de cent jours pour résoudre les pro‑blèmes urgents. Mais au 1er mai, alors que cinquante jours s’étaient déjà écoulés, rien n’avait encore été fait…

Le président du Conseil natio‑nal de l’investissement, un pro‑che d’Al‑Maliki, a toutefois an‑noncé dans un communiqué que plusieurs sociétés sud‑coréennes allaient construire un million de logements. Et que ce projet dé‑marrerait dans les prochains mois. Mais la réplique des experts ira‑kiens n’a pas tardé à venir, sous la forme d’un appel à signer des contrats avec les états plutôt que les sociétés. Cela pour éviter de voir 40 % des sommes engagées finir dans les poches des ministres et de l’entourage du Premier mi‑nistre, sans pour autant que ce million de logements voie jamais le jour. Car de tels exemples ne

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que du mouvement chiite, l’ayatollah Ali Sistani a fait savoir

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manquent pas depuis la chute de l’ancien régime… Et l’un de ces experts de commenter : « Appa‑remment, nous allons regretter un jour Saddam Hussein, simple‑ment parce qu’il n’était ni voleur ni corrompu ».

Selon Ibrahim al‑Chaïkhali, économiste à l’université de Ba‑gdad, les gouvernements qui se sont succédé pour gérer le pays après avril 2003 n’ont mis en place aucun plan concernant le besoin vital de logements, évalué à 2,5 millions d’unités.

Le gouvernement irakien risque en outre d’essuyer un nouveau revers en reportant l’organisation du prochain sommet arabe, prévu à Bagdad dans le courant du mois de mai. Même si le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, estime que cela tient d’abord à une mauvaise conjonc‑ture dans le monde arabe, en proie à de multiples révolutions. Contrôle des hydrocarbures. Si les chefs des grandes formations politiques irakiennes évitent de montrer que leurs divergences tiennent avant tout au contrôle du secteur des hydrocarbures, leurs représentants le confirment entre déclarations, accusations et querelles. On en veut notamment pour preuve la dernière sortie mé‑diatique du vice‑ministre chargé des Affaires pétrolières, Hussein Shahrestani, qui a indirectement discrédité le Premier ministre. En effet, Nouri al‑Maliki avait décla‑ré à l’AFP que l’accord de pro‑duction et de partage conclu en‑tre le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) et les compa‑gnies pétrolières étrangères était cautionné par le pouvoir central à Bagdad. Mais dès le lendemain, l’ancien ministre du Pétrole a tenu à préciser que « les propos d’Al‑Maliki ont été mal traduits et mal interprétés »… Le plus étonnant, c’est que ce dernier n’a pas réagi. Ce qui laisse à penser qu’il redoute les attaques des

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autres grandes formations politi‑ques qui pourraient l’accuser de faire des concessions aux Kurdes et de trahir ses pairs chiites.

Le Premier ministre a tout de même fini par contre‑attaquer. Ainsi a‑t‑il poussé les grands fonctionnaires du ministère du Pétrole à accuser Shahrestani de mettre la main sur la gestion du secteur de l’énergie. Ces derniers estiment notamment qu’il profite du retard pris par le Conseil des ministres dans la définition des responsabilités des vice‑prési‑dents du gouvernement.

Dans les faits, les directeurs généraux du ministère et des sociétés étatiques considèrent que Shahrestani est toujours le véritable ministre du Pétrole. Et que son successeur, Abdel Karim al‑Luaybi, est incapable de prendre la moindre décision sans l’aval de son prédécesseur. D’autant plus que ce dernier de‑meure seul à ouvrir le courrier du ministère, notamment tout ce qui concerne les contrats et congrès.

En dépit des critiques, Shares‑

tani persiste et signe. Il connaît parfaitement les rapports de force et les règles du jeu. Après tout, n’est‑il pas le leader d’une forma‑tion politique indépendante qui compte 30 sièges au Parlement… En outre, toutes les grandes for‑mations politiques ont besoin de son soutien pour consolider leurs positions.

Ce schéma montre que les maux de l’Irak « démocratique » ne seront dissipés ni demain ni après‑demain. En attestent les ti‑raillements quasi quotidiens au sommet du pouvoir et les scan‑dales financiers qui émergent, notamment autour des revenus pétroliers.

à cela s’ajoutent des soucis permanents avec les pays voi‑sins, notamment arabes. Dernier en date, les critiques de Nouri al‑Maliki quant à l’intervention des forces du Bouclier du désert à Bahreïn. Ce qui a créé un tollé dans les états du Golfe, à com‑mencer par l’Arabie Saoudite, et précipité le report du sommet arabe prévu à Bagdad. n

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LOgementSAucun des gou‑vernements qui se sont succédé depuis 2003 n’a comblé le besoin vital de logements, évalué à 2,5 mil‑lions d’unités

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La sortie du président, main‑tes fois annoncée et attendue au plus fort de la contestation

sociale, a fait l’impasse sur mou‑vements de protestations, grèves, marches et sit‑in qui secouent l’Al‑gérie depuis des mois. En une ving‑taine de minutes, hymne national compris, le chef de l’état a défendu son bilan et ses réalisations. Puis il a promis « un programme de réfor‑mes politiques visant à approfondir le processus démocratique ».

Pour lui, ce dernier passe par la réforme de certains textes rela‑

tifs, notamment, à l’exercice du pouvoir et aux partis politiques, à l’information ainsi qu’à la révi‑sion de la constitution. Sans qu’il se prononce sur un timing précis, sur le contenu des réformes envi‑sagées, sur le choix du mode par‑lementaire ou référendaire pour la révision de la loi fondamentale ou encore sur la teneur du « retoilet‑tage » constitutionnel…

Par ses déclarations, Abdelaziz Bouteflika a pris à contre‑pied son Premier ministre et des ministres qui n’ont eu de cesse d’avancer

que la contestation en Algérie était sociale et non politique. car le président reconnaît que le prin‑cipal problème est politique, lié à la gouvernance et à la gestion des affaires publiques.

En quelques mois, l’Exécutif est revenu sur des mesures économi‑ques pourtant annoncées comme incontournables. En un seul dis‑cours, le président a annoncé son intention de revenir sur un ver‑rouillage et un mode de gestion qu’il a lui‑même instaurés. Aux plans politique et économique,

Désaveu présidentiel ou mandat de trop ?Pour la première fois depuis son accession à la présidence en 1999, après des mois de silence, Abdelaziz Bouteflika s’est adressé à la Nation. Un discours qui n’a convaincu personne…

concessionLe président algé-rien reconnaît que

le principal pro-blème est politique,

lié à la gouvernance et à la gestion des affaires publiques

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les Algériens, prudents dans leurs déclarations, retiennent un constat d’échec et un désaveu des poli‑tiques menées depuis 1999 par Bouteflika lui‑même.

Face à un Exécutif ankylosé qui s’est empêtré dans ses contradic‑tions, ses reculs et ses négations, les différentes franges de la po‑pulation dénoncent un marasme politique et économique, des conditions sociales déplorables et une absence de vision dans la gouvernance de l’Algérie. Pas un jour ne passe sans que le pays ne soit secoué par un mouvement de protestations.

Pour le sociologue Zoubir Arous, le problème n’est pas celui des textes : « Les textes ne sont pas liberticides. C’est leur application qui pose problème. Les Algériens posent aujourd’hui le problème de la manière dont le pays est di‑rigé… » Anniversaire. Le 15 avril, jour du fameux discours présidentiel, marquait symboliquement le dou‑zième anniversaire de la première élection d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence. Un anniversaire sans panache… Du discours, le commun des Algériens n’a retenu que l’image d’un chef de l’état qui peinait dans un « exercice physi‑que » loin de ses prestations pas‑sées. Jusqu’alors sujet sensible, son état de santé fait un retour fra‑cassant grâce à ce « ratage » de la communication officielle.

Il y a peu, Jean‑Pierre Raffarin, envoyé spécial à Alger du président Sarkozy, avait révélé une confi‑dence d’Abdelaziz Bouteflika : « J’ai plus de convictions que de forces… » La phrase avait à l’épo‑que suscité des interrogations. Pour de nombreux observateurs, ce message sibyllin trouve tout son sens aujourd’hui et explique l’immobilisme symptomatique de l’Algérie.

« Bouteflika a bloqué l’applica‑tion du dispositif législatif par un comportement autoritaire, discri‑

minatoire et illogique où le fait du prince et l’allégeance sont érigés en vertu, au détriment de la loi », explique un analyste.

Un constat qui jette le discrédit sur le troisième mandat du prési‑dent. Le même qui déclarait – le 19 avril 2009, à l’occasion du serment pour sa réélection – que le troisième quinquennat, pour le‑quel il avait révisé la constitution en levant la limitation des man‑dats, visait « le parachèvement » des politiques initiées en 1999 et en 2004.

Dès 1999, Abdelaziz Bouteflika avait révélé son aversion pour la loi fondamentale, sans pour autant y toucher. « Vous vous trompez complètement si vous pensez que je suis là pour un fauteuil. J’ai fait une traversée du désert de vingt ans et l’on m’a proposé des responsabilités très importantes, y compris celle de chef de l’état, mais je les ai écartées. Je n’exerce pas le pouvoir pour le pouvoir. Même si je n’aime pas beaucoup cette Constitution, je m’y confor‑me », expliquait‑il à l’époque. Il s’y est certes conformé, jusqu’à 2008 et l’approche d’un scrutin prési‑

dentiel auquel la loi fondamentale ne l’autorisait plus à se présenter après deux mandats.

Dans un système politique ver‑rouillé par un pouvoir personnel, l’absence d’alternative à Abdelaziz Bouteflika était présentée par son entourage comme un danger et la révision constitutionnelle comme un acte de sauvegarde nationale. Au nom de la démocratie, les parti‑sans du président, Ahmed Ouyahia et Abdelaziz Belkhadem avaient justifié en 2008 cette révision par le caractère « antidémocratique » du verrou constitutionnel. « Cette constitution que le président mé‑prisait avait déjà les prémices d’une Constitution démocratique, de l’alternance et de la sépa‑

Pour pouvoir bri-guer un troisième mandat en 2009, Abdelaziz Boutefli-ka avait révisé la constitution en levant la limitation des mandats co

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ration des pouvoirs. Il est revenu sur les acquis instaurés », note un expert.

La révision d’urgence de la constitution, à la veille du scrutin présidentiel de 2009, visait surtout la levée de la limitation des man‑dats. Mais elle a affecté l’équilibre des pouvoirs en conduisant à une « surprésidentialisation » du régi‑me : concentration des pouvoirs au niveau du président et suppression du poste de chef du gouvernement, remplacé par celui de Premier mi‑nistre. Blocage institutionnel. En s’arro‑geant les pouvoirs et prérogatives du chef du gouvernement à un mo‑ment où il était amoindri, le prési‑dent, simultanément à la levée de la limitation des mandats, a accen‑tué le blocage institutionnel par l’affaiblissement du poids et de la responsabilité de son exécutif.« L’accaparement constitution‑nel des pouvoirs du chef du gou‑vernement, l’affaiblissement des

pouvoirs législatifs et judiciaires, l’absence de contre‑pouvoirs et la concentration des pouvoirs au niveau du président sans que ce dernier ait un regain d’activité ont conduit à l’inertie de l’action gouvernementale et à l’immobi‑lisme de l’Algérie. Ce change‑ment stratégique a entraîné iné‑luctablement sa responsabilité entière. Il a tous les pouvoirs et il ne travaille pas… Ça bloque à tous les niveaux. Il devient le pro‑blème, il ne peut pas être la so‑lution », explique un ancien haut fonctionnaire.

En s’arrogeant pouvoir et res‑ponsabilités, le président ne peut rejeter la responsabilité de la situation actuelle que sur son propre mode de gouvernance. « Sa manière de diriger est ob‑solète. Aujourd’hui, on évo‑que l’éventualité d’un change‑ment du gouvernement. Cela ne changera rien au fonctionnement de l’Algérie parce que nul n’a de

véritables pouvoirs excepté le chef de l’état », renchérit un po‑litologue.

En parallèle, le chef de l’état, affaibli par une maladie connue depuis 2005 et son évacuation d’urgence vers l’hôpital français du Val‑de‑Grâce, devenait moins présent, moins visible. « Après la campagne électorale, ses sorties sont devenues exceptionnelles. Finalement, le troisième mandat sert qui ? Lui ou son entourage ? Au‑delà de l’alternance au pou‑voir, la limitation des mandats permet au chef de l’état de partir dignement, avec un statut que nul ne peut contester. Il est, et demeu‑re, président de la république. Il a les avantages, sans la charge et les inconvénients », relève un analyste.

En cédant à la pression de son entourage, Abdelaziz Bouteflika assume aujourd’hui l’entière res‑ponsabilité d’une « erreur straté‑gique » qui le dessert.

Dans un contexte internatio‑nal marqué par la révolution du Jasmin et ses répercussions sur le monde arabe, les partisans du troisième mandat atténuaient de‑puis quelques semaines la portée du geste. Le Premier ministre et l’entourage politique du prési‑dent affirmaient que ce dernier ne briguerait pas un quatrième mandat. « Une blague », esti‑mait Mourad Medelci, ministre des Affaires étrangères. Quant à Ahmed Ouyahia, il affirmait que personne n’occupe de poste à vie. « Il n’y a pas de présidence de la république à vie », déclarait ainsi le Premier ministre.

Au vu de la prestation du prési‑dent lors de son discours à la Na‑tion, les arguments s’amenuisent. Deux ans après son serment d’in‑tronisation, Bouteflika fait face à une contestation sociale et poli‑tique sans précédent. Jamais un président algérien n’a été autant contesté dans l’exercice de ses fonctions. Le mandat de trop ? n

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AVOIR pOInt de Vue

L ’Europe est‑elle un continent en dé‑clin avec une monnaie à la dérive ou bien s’agit‑il seulement d’une crise

de croissance ? Il y a soixante‑cinq ans, ce continent était à feu et à sang. Il fallut une grande vision, beaucoup d’énergie et d’immenses efforts pour imaginer que les ennemis d’hier seraient les partenaires de demain. Que de chemin parcouru avec l’émergence d’une force d’équilibre au sein de la Communauté internationale, mais qui présente encore trop de disparités aux plans économique, fiscal et législatif… Dans les dix dernières années, seuls l’euro et l’es‑pace Schengen ont été des réalisations à connotation forte, même si toutes deux sont au cœur de la polémique ces derniers temps.

L’espace Schengen, qui permet la libre circulation d’un pays à l’autre, est mis à mal par l’arrivée massive d’immigrants il‑légaux sur la côte italienne. Même si c’est bien l’Italie qui a décidé d’offrir à ces mi‑grants la possibilité de se déplacer.

Deuxième sujet de discorde, l’euro et les déficits budgétaires de nombreux pays…

Si l’Europe est une force économique majeure, d’autres liens existent entre ses membres au développement et aux enjeux bien différents. L’un d’entre eux est la so‑lidarité. Les Européens l’avaient oublié, mais les élargissements successifs ont inté‑gré des pays qui avaient en général des dif‑ficultés politiques ou économiques. Et cela a marché ! L’Espagne, le Portugal, la Grèce et l’Irlande on connu un développement que l’on a parfois décrit comme un miracle au cours des dernières années. Miracle ou bulle, ce développement a été extrêmement bénéfique à tout le continent.

La croissance a certes effacé les difficul‑tés, mais la crise financière puis économi‑que s’est répandue comme une traînée de poudre. Elle a révélé toutes sortes de fai‑blesses dans la construction européenne et dans le développement des états : bulle financière pour l’Irlande, bulle immobilière et surendettement des ménages en Espa‑gne, surendettement des entreprises et des banques au Portugal, dette publique colos‑sale en Grèce…

C’est là que le problème de l’euro se pose. Si la monnaie unique est un facteur de cohésion et de force commerciale, elle a faussé la compétitivité des pays membres. La parité euro/dollar a joué en défaveur de pays comme le Portugal, alors que l’Alle‑magne s’en est très bien sortie. Et lorsque Jean‑Claude Trichet, patron de la Banque centrale européenne (BCE), a augmenté en avril dernier les taux d’intérêts de 0,25 % à cause d’une menace inflationniste, de quelle Europe parlait‑il ? Entre un Portugal qui emprunte à plus de 8 % et l’Allema‑gne, quelle corrélation y a‑t‑il ? L’effet ne risque‑t‑il pas d’être dévastateur sur l’em‑prunteur espagnol à taux variable ?

Au contraire, on peut prétendre que M. Trichet tente de donner un signe posi‑tif aux marchés financiers en montrant sa confiance dans la reprise. Mais cette mena‑ce d’inflation est‑elle réelle ou avons‑nous affaire à une inflation importée, due à un baril de pétrole dont le prix est monté de 34 % en quatre mois du fait des tensions géopolitiques actuelles ?

Éditorialisteéconomique

Le printemps économique européenPar Florence KleIn‑Bourdon

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On sait que l’objectif de la BCE est de parvenir à une inflation inférieure à 2 %. Mais avec un chômage à 10 % dans de nombreux pays – 20 % en Espagne – et des niveaux de production inférieurs à ceux de 2008, il faut espérer que cette hausse des taux – et peut‑être celles à venir – ne donne pas un coup de frein à la reprise.

Cela dit, une croissance saine viendra des réformes nécessaires et non pas de taux artificiellement bas qui peuvent créer des bulles. Alan Greenspan, ancien pré‑sident de la Banque centrale américaine (FED, pour Federal Reserv System), a joué pendant longtemps sur ces taux bas qui sont en partie à l’origine de la crise des subprimes. Ces réformes sont absolument nécessaires pour baisser les déficits euro‑péens, mais cela suppose de gros sacrifices pour les populations. Autant de décisions difficiles à appliquer pour les politiques. D’où des situations étranges comme celle du Portugal, dont le Premier ministre, José Socrates, a démissionné après un nouveau rejet de son plan d’austérité. Plan qu’il convient pourtant d’appliquer pour rece‑voir l’aide européenne et celle du FMI. Celui qui l’emportera lors des élections du mois de juin prochain n’aura donc qu’une faible marge de manœuvre…

Quant à l’Espagne, le Premier ministre, José Luis Zapatero, a déjà dit qu’il ne se représenterait pas. De retour d’un voyage en Asie, il a annoncé des accords commer‑ciaux pour relancer l’économie et affirmé que la Chine participerait au refinancement des banques.

Avec la mise en place du fonds de sou‑tien, l’Europe réapprend un peu tardive‑ment le sens de la solidarité. Espérons que cette zone économique tendra vers des politiques harmonisées afin de devenir une entité véritablement compétitive à l’exté‑rieur. Et que cette compétitivité aux allures de dumping fiscal ou social ne se limi‑tera plus à l’intérieur, aux différents pays membres. Car la solidarité, les réformes et l’harmonisation devront être au cœur du développement européen. n

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AVOIR ARAbIes écO

éGYPTe Bourse : la confiance revientAprès trois semaines de ferme‑ture en raison de la révolution populaire qui a fini par la desti‑tution du président Hosni Mou‑barak, la Bourse du Caire a rou‑vert ses portes le 23 mars dernier sur une baisse des cours. Mais elle est rapidement repartie, ses

quatre indices affichant quelques jours plus tard des hausses de 5,3 à 8,5 %. Les investisseurs, locaux comme étrangers, ont donc repris confiance dans le marché financier et l’économie égyptienne.

Pour les analystes financiers de la place, ce rebondissement rapide est dû au fait que les in‑

tervenants ont respecté les consi‑gnes transmises par le Conseil de contrôle financier la veille de l’ouverture. Ce dernier avait demandé d’éviter toute vente précipitée des actions à perte. Et de laisser passer plusieurs jours avant d’agir pour mieux amortir le premier choc.

Quant aux prévisions pour les prochaines semaines, les mêmes analystes ainsi que les traders estiment que, si les ventes et achats d’actions se poursuivent sur le même rythme accéléré, les indices de la Bourse du Caire préserveraient leur bonne per‑formance. Par ailleurs, les me‑sures prises à l’égard des fonds d’investissement étrangers de‑vraient consolider encore plus la confiance.

TunIsIeConstat délicatLe ministère des Finances a dressé un tableau objectif et alarmant de la situation délicate de l’économie tunisienne sur le court terme. Elle est carac‑térisée, selon les experts, par une baisse d’activité dans les secteurs clés malgré la bonne tenue des exportations indus‑trielles. En toute transparence, le ministère fait état de la nette régression de l’activité et de l’investissement dans certains secteurs : tourisme, transport, commerce, phosphates et tra‑vaux publics. En l’absence de mesures urgentes, les Tunisiens doivent donc s’attendre à des résultats négatifs. Pour 2011, on parle ainsi de 0 à 1 % de croissance économique, contre 5,4 % annoncés avant la révo‑lution… Dès la fin du premier trimestre, la baisse des expor‑tations et services commence elle aussi à s’annoncer. Quant aux investissements, ils ne dé‑passeront pas 1,5 milliard de

dinars, dont 1 milliard sous forme d’Investissements di‑rects étrangers (IDE). La créa‑tion d’emplois ? 15 000 postes au maximum, alors que 80 000 étaient initialement prévus… à cela s’ajoute un probable dé‑ficit budgétaire de 5 %, contre 2,5 % selon les anciennes pré‑visions. Par ailleurs, les besoins en financement extérieur dé‑passent 5 milliards de dinars. Face à ce constat, le ministère des Finances a mis en place un programme économique et social à court terme qui com‑prend 17 mesures. Ces derniè‑res concernent notamment la sécurité, l’emploi, le soutien de l’économie et son financement, le développement régional et les actions sociales.

ALGéRIeL’euro attaque le dinarLe taux de change de l’euro contre le dinar algérien est progressivement passé de 105 à 145 dinars sur le marché pa‑rallèle et sur celui des devises.

Cette dépréciation d’environ 40 % perturbe les autorités mo‑nétaires locales, qui considè‑rent que cette forte flambée de la monnaie unique européenne constitue un coup dur pour le dinar. Sur le marché interban‑caire, étroitement encadré par la Banque centrale d’Algérie, la monnaie algérienne a net‑tement chuté, passant de 90 à 16 dinars pour un euro.

De fait, le recours obligé au crédit documentaire comme seul et unique mode de paie‑ment des importations a par‑ticipé à l’affaiblissement du taux de change de la monnaie algérienne. De plus, le mar‑ché financier local commence

à connaître une raréfication de l’euro ainsi que du dollar américain. Cela fait suite à une demande en hausse sous l’effet du recul de l’offre du marché noir des différentes devises en provenance de l’émigration. Ce phénomène ne fait que conso‑lider l’incertitude qui prévaut depuis quelques mois en raison de l’inflation et des vagues de protestations sociales qui ris‑quent d’affecter le pays. Selon les économistes algériens, cette forte baisse du dinar vis‑à‑vis de l’euro et des autres devises devrait beaucoup peser sur le tissu social, contraint de de‑mander encore plus au gouver‑nement : une augmentation des subventions et une maîtrise de l’inflation.

mAROcQuel tourisme en 2011 ?Le secteur touristique maro‑cain a profité de événements en Tunisie et en égypte durant les deux premiers mois de 2011. Mais cela n’a pas été le cas en mars, où sont apparus quelques signes d’inquiétude qui n’enta‑ment toutefois pas l’optimisme des opérateurs. Les chiffres font apparaître un volume im‑portant de réservations annu‑lées, non seulement au niveau des régions, mais aussi des seg‑ments (congrès et incentives). La grande crainte des profes‑sionnels du tourisme au Maroc est de voir cette régression se poursuivre de mars à juin, pé‑riode de haute saison pour des régions comme Marrakech ou

Ourzazate, porte du dé‑sert marocain. Malgré tout, les tour‑opérateurs locaux et internationaux fondent toujours de grands espoirs sur les choix de dernière minu‑te et les achats par Inter‑net. Deux éléments qui ont fait leurs preuves.

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TUnIsIeHamadi ben sedrineLe président du bureau exé‑cutif provisoire de l’Utica – le syndicat tunisien des pa‑trons – a récemment indiqué

que le coût des pertes des en‑treprises tunisiennes pendant la période de protestations populaires – entre vanda‑lisme, pillage, incendies et grèves – était estimé à envi‑ron 400 millions de dinars. Un chiffre qui ne reflète pas la réalité, selon les compa‑gnies d’assurance à Tunis. à la fin de février 2011, les estimations de ces dernières faisaient en effet état d’une somme deux fois plus éle‑vée… Franc et direct quand il a fait ce constat, Hamadi ben Sedrine appelle à in‑demniser le plus tôt possible les entreprises touchées afin qu’elles puissent reprendre leurs activités. Il pense, en outre, que tout retard dans le paiement des indemnisations de ces sociétés exposerait au chômage des dizaines de mil‑liers d’employés. Ben Sedrine semble notamment redouter les risques liés à une éven‑tuelle continuation des mani‑festations, sit‑in et grèves sur les lieux de travail. Dans cette phase délicate pour la Tuni‑sie, il a souligné que ce cli‑mat d’incertitude avait pré‑cipité le départ de certains investisseurs et que les mani‑festations quasi quotidiennes

avaient dissuadé d’autres pro‑moteurs étrangers de s’instal‑ler dans le pays.

ARABIe sAOUDITe Ahmed zaki YamaniL’ancien ministre du Pétrole et actuel président du Cen‑tre d’études pour l’énergie a souligné que les prix du pétrole pourraient atteindre 200 à 300 dollars le baril en Arabie Saoudite si le plus grand pays producteur mondial de brut connais‑sait à son tour des troubles sociaux. En marge d’un congrès tenu à Londres par son organisation, Ahmed Zaki Yamani doutait toute‑fois que ce qui s’est passé en Tunisie puisse se repro‑duire en Arabie Saoudite. Auquel cas le prix du baril devrait osciller entre 120 et 150 dollars, pour peu que la guerre civile perdure en Libye et que d’autres pays pétroliers vivent des protes‑tations sociales.

Yamani a par ailleurs in‑diqué que la capacité de l’Arabie Saoudite à com‑penser la baisse de l’offre pétrolière internationale demeurait intacte. Avec 550 000 barils par jour, la seule production de l’Ara‑bie Saoudite représente plus de la moitié de la quantité injectée par les autres pays du Golfe pour couvrir le manque des exportations li‑byennes. Considéré comme le principal artisan du pre‑mier boom pétrolier qui a suivi la guerre du Ramadan, en octobre 1973, l’ancien ministre saoudien du Pétro‑le suit désormais l’évolution du secteur pétrolier irakien à travers l’institution qu’il préside et réalise des études à l’intention des majors pé‑troliers internationaux.

mAROCKarim ghellabLe ministre marocain des Transpor t s p rés ida i t , l e 6 avril dernier à Rabat, le conseil d’administration de l’Office national des chemins de fer (ONCF). Il en a profité pour révéler le chiffre d’af‑faires 2010 de la compagnie ferroviaire, qui dépasse pour la première fois le seuil des 3,25 milliards de dirhams pour afficher une progression de 23 % par rapport à 2009. Karim Ghellab a attribué ce bon résultat à ses plus de 30 millions de passagers et à un trafic fret de plus de 9 mil‑lions de tonnes (+32 %).

Au sujet de la future ligne à grande vitesse, Ghellab a

souligné que l’année 2010 avait été consacrée à la prépa‑ration du projet de TGV avec la signature de contrats pour le bouclage du financement et l’acquisition des rames Als‑tom. Il a aussi fait savoir que la construction des tramways de Rabat et de Casablanca suit son cours et que les études re‑latives à la mise en place de tramways dans d’autres vil‑les (Fès, Marrakech, Tanger) sont déjà sur les rails.

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ALgÉRIemohamed salah BoultifLe P‑DG de la compagnie aéronautique Tassili Airli‑nes (TAL) ne cache pas son ambition. Il compte bien en faire la 2e compagnie du pays après Air Algérie. Mohamed Salah Boultif a fait savoir qu’il lancera, dès cet été, ses premières lignes grand public vers les wi‑layate du sud comme Adrar, Tamanrasset et Ourgla. En effet, l’acquisition de quatre avions moyen‑courriers de type Boeing 737‑800 – dont le premier a été officielle‑ment réceptionné le 6 avril dernier – permettra dans un premier temps de renforcer la navette au profit des so‑ciétés pétrolières avant que ces appareils ne soient mis au service du grand public.Pour Mohamed Salah Boul‑tif, le redéploiement de Tas‑sili Airlines – filiale à 100 % de Sonatrach, société pétro‑lière nationale algérienne – fait suite aux décisions des pouvoirs publics, entérinées par un conseil interministé‑riel en 2009. Lequel visait à renforcer cette compagnie pour qu’elle puisse à l’ave‑nir assurer le transport aérien aux côtés d’Air Algérie.Un protocole d’accord a d’ailleurs été signé entre les deux compagnies aériennes algériennes, qui doit permet‑tre la mise en commun des moyens de maintenance, d’assistance et d’exploita‑tion. Mohamed Salah Boul‑tif a encore estimé que cette alliance entre Tassili Airlines et Air Algérie allait résoudre bien des problèmes dans le domaine du transport des passagers, notamment au ni‑veau des vols internes.

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INVESTISSEMENTSPlus-value pour la CDGLa Caisse de dépôt et de ges-tion (CDG) marocaine vient de présenter ses résultats annuels, le 11 avril dernier. Les bénéfi-ces réalisés sont de l’ordre de 2 milliards de dirhams.

Parallèlement, son directeur général, Anas Alami, s’est fé-licité de cette performance. La CDG a notamment su tirer pro-fit de son investissement dans Méditel, deuxième opérateur téléphonique du royaume, qui a engendré une plus-value de 1,2 milliard de dirhams liée à la cession de 20 % du capital à France Télécom. En dépit de cette opération, la CDG détient toujours 30 % de Méditel. Le groupe marocain hisse ainsi ses revenus à 5,2 milliards de dirhams, soit une augmentation de 21 %. Outre son investisse-ment dans Méditel, la CDG a

acquis 8 % des parts de la Ban-que marocaine du commerce extérieur (BMCE Bank) et 8 % du capital de sa filiale immo-bilière CGI RMA Watanya. La CDG a par ailleurs racheté 7 actifs hôteliers au Crédit im-mobilier et hôtelier (CIH). Le groupe prévoit d’investir enco-re 48 milliards de dirhams sur la période 2011-2014, soit près de 10 milliards par an. Selon Anas Alami, cette enveloppe servira à l’accompagnement de plusieurs chantiers : régionali-sation, tourisme, infrastructures et développement urbain.

ÉNERGIEPetrofac se renforceAu mois d’avril dernier, la multinationale d’ingénierie parapétrolière Petrofac a signé avec Sonatrach, BP et Statoil un contrat pour la deuxième phase de développement du

gisement de gaz naturel algé-rien d’In Salah. D’un montant de 1,185 milliard de dollars, ce contrat prévoit la réalisation des infrastructures nécessaires pour traiter chaque jour 17 millions de mètres cubes de gaz natu-rel. Soit les canalisations de collecte et d’expédition, ainsi que toutes les infrastructures d’accompagnement (routes, piste d’atterrissage et base de vie). Près de 300 kilomètres de pipelines seraient prévus pour ce projet. Lors de la cérémonie qui officialisait la signature du contrat, le P-DG de Sonatrach, Nordine Cherouati, a souligné

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que « ce contrat est la plus grande opération d’investisse-ment pour ce début d’année » et que « l’année prochaine ver-ra le lancement des projets du Sud-Ouest ». Petrofac confirme ainsi sa montée en puissance au Maghreb, ce contrat inter-venant quelques mois après le positionnement du groupe en Tunisie. Quant à la compagnie britannique BP, elle réaffirme ainsi sa forte présence en Algé-rie et fait taire les rumeurs fai-sant état de son désintérêt. Ses investissements dans la région dépassent aujourd’hui la barre des 4 milliards de dollars.

SOCIÉTÉS AVOIR

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A l’image des répliques d’un tremblement de terre, la ré‑volution du 14‑Janvier qui a

emporté le régime de Ben Ali fait sentir ses effets dans tous les sec‑teurs de la société en général, et dans l’économie en particulier. Les télécommunications figurent parmi les plus touchés.

Dans ce secteur où le tsunami politique qui a englouti la Tunisie agit comme un chien dans un jeu de quilles, le paysage a déjà changé à deux reprises au cours des derniers mois.

Une première fois avec l’en‑trée fracassante de deux familles « présidentielles » dans le capital d’Orange Tunisie – par le biais d’Investec, société arrivée sur le marché tunisien en mai 2010 qui appartient à Marwan et Cyrine Ma‑brouk (fille de la première épouse

de Ben Ali) et qui a été placée sous administration judiciaire à la fin de février dernier alors qu’elle détenait 51 % du capital d’Orange Tunisie – et de Tunisiana – le groupe Prin‑cesse el‑Materi Holding s’est porté acquéreur en 2010 de 25 % du ca‑pital, en partenariat avec l’homme d’affaires Hamdi Meddeb.

Cette percée spectaculaire sem‑blait devoir fragiliser un tant soit peu Tunisie Télécom, l’opérateur historique dont la société émiratie emirates International Telecom‑munications (eIT) détient 35 % des parts. Mais la configuration du marché a changé une seconde fois après que la révolution a fait per‑dre aux deux familles leurs intérêts dans Orange Tunisie et Tunisiana, aujourd’hui entre les mains de l’état pour s’être « commis » avec des proches de Ben Ali.

Un nouvel ordre est donc en train de se mettre en place dans le secteur des télécommunications, où chacun des trois opérateurs voudrait selon sa position maintenir sa domination ou combler son retard…

Dans le même temps, les trois concurrents doivent faire face à des problèmes hérités de l’ancien ré‑gime (absence de licence 3G pour Tunisiana, infraction aux règles de la concurrence pour Orange Tu‑nisie) ou nés de la révolution (re‑vendications sociales pour Tunisie Télécom et Tunisiana).

Les trois protagonistes revien‑nent sur ce contexte très particulier à travers les explications de Thierry Marigny (directeur général d’Oran‑ge Tunisie), Fadhel Kraiem (direc‑teur général adjoint de Tunisie Té‑lécom) et Yves Gautier (directeur général de Tunisiana). n

Nouvelle donne pour les télécomsAu lendemain de la révolution, la concurrence joue à plein pour le contrôle du marché, où trois acteurs se livrent une lutte acharnée : Orange Tunisie, Tunisie Télécom et Tunisiana. Focus… Par Moncef MAhrOug

sAisiesD’abord propriétés de certains proches de Ben Ali, Orange Tunisie et Tunisiana sont désormais aux mains de l’état

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du hasard. Il fallait impérative‑ment faire mieux que les autres, être à la fois plus innovants sur les services et plus généreux sur les tarifs. Bref, donner plus… Les exemples sont multiples : ta‑rif minute le moins cher du mar‑ché (80 millimes), smartphone à 1 DT, bonus sur consommation valable vers tous les opérateurs, numéro illimité à partir de 10 DT de consommation, etc. Orange Tunisie se place désormais com‑me étant un véritable catalyseur du marché mobile. Notre opéra‑teur ne vise pas les bénéfices ra‑pides. L’objectif premier étant de

Quel bilan tirez‑vous de la première année d’Orange Tunisie ?

Le bilan est positif. Nous som‑mes en train d’atteindre le mil‑lion de clients mobile – voix et clé 3G –, Internet et ADSL. Tout cela en onze mois. Ce chiffre est pour nous très important, parce qu’il constitue une première bar‑re. De même, sur les zones cou‑vertes, nous aurions d’après nos études quelque 14 % de parts sur le marché du mobile.

Ces chiffres sont beaucoup plus significatifs si on les replace dans le paysage tunisien des télécom‑

munications : Orange est le troi‑sième opérateur. Il lance ses ser‑vices neuf ans après le deuxième, c’est‑à‑dire Tunisiana. Le pays compte 10 millions d’habitants et la pénétration du mobile a atteint, lors de notre lancement, 95 %. Le challenge ainsi est double : il s’agit d’installer un réseau 3G, en un temps record, avec toutes les contraintes qu’il implique, et d’arracher à la concurrence des parts de marché.

Cette réussite, dans un marché saturé et avec une clientèle exi‑geante, habituée à des standards de qualité élevés, n’est pas le fruit

Thierry Marigny, DG Orange Tunisie

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OBJeCTIFs « 14 % de parts sur le mobile et 120 000 clés 3G

vendues en neuf mois, c’est très

satisfaisant. C’est même au‑dessus de

nos objectifs »

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TunIsIe AVOIR

tirer les prix vers le bas en offrant une qualité de services irrépro‑chable. Sauf que les prix de l’in‑terconnexion entre les opérateurs ne baissent pas. Cela contribue à protéger nos concurrents qui ont des bases clients déjà bien éta‑blies. C’est fondamentalement important : dans un marché de dix millions d’habitants, un troi‑sième opérateur, arrivé neuf ans après le deuxième, ne pourrait pas baisser davantage les prix si on n’a pas une réglementa‑tion permettant d’instaurer une concurrence saine sur le marché. Il y a des entreprises comme Tu‑nisiana qui font 500 millions de dinars de bénéfices et ne baissent pas leurs prix. Et ils ne le feront pas à moins que quelqu’un ne vienne les concurrencer. Et pour cela, il n’y a qu’Orange.

à combien estimez‑vous votre fair‑share ?à long terme, on devrait se situer à un bon 30 %. C’est notre objec‑tif. Dans tous les pays, l’objectif d’Orange est d’être dans les deux premiers. C’est crédible dans l’en‑vironnement actuel, mais cela ne sera pas facile. Cela dit, 14 % de parts sur le mobile et 120 000 clés 3G vendues en neuf mois, c’est très satisfaisant. C’est même au‑dessus de nos objectifs.

Comment les Tunisiens ont‑ils accueilli la Flybox ?La Flybox est quelque chose de nouveau sur le marché tunisien. Il a donc d’abord fallu qu’on l’ex‑plique, mais c’est aujourd’hui en plein boom commercial. Nous en vendons 3 000 à 4 000 par mois. Les clients ont bien compris qu’avec elle ils peuvent aban‑donner leurs lignes Tunisie Té‑lécom (TT), la Flybox permettant d’avoir l’Internet et la voix.

Quand la Livebox sera‑t‑elle présente en Tunisie ?Dans la gamme Orange, il y a en

effet la Livebox, qui est une boîte ADSL avec une capacité télé. Et nous l’envisageons effectivement pour le marché tunisien.

La révolution tunisienne a af‑fecté , de façons différentes, les trois opérateurs télécoms présents en Tunisie… Le dos‑s i er Orange Tunis i e a é té d’ailleurs évoqué durant la ré‑cente visite à Tunis de M. Pier‑re Lelouch . Comment v i ‑vez‑vous cette situation ?L’année 2011 est économique‑ment compliquée pour la Tunisie. Elle est pour nous très importan‑te, parce que nous sommes une jeune société, en plein décollage. Sous cet angle, ce n’est pas une bonne nouvelle. Nous aurions préféré avoir une Tunisie éco‑nomiquement florissante. Pour 2012‑2014, notre croissance de‑vrait dépasser 5 %, ce qui est très positif pour une société comme la nôtre.

Mais il va y avoir de l’investis‑sement, aussi bien des Tunisiens résidant à l’étranger (TRE) que des sociétés étrangères. Les en‑treprises tunisiennes vont aussi pouvoir s’implanter et emprunter plus facilement. Globalement,

nous allons nous y retrouver par‑ce que nous avons de grosses am‑bitions sur le B2B.

Quels produits envisagez‑vous de lancer pour les années 2011 et 2012 ?Tout d’abord, nous allons relan‑cer l’ADSL. Après, tout est lié à l’application des termes de notre licence. La prochaine grosse éta‑pe, c’est le dégroupage. Le fait de disposer de nos propres réseaux ADSL et fixe est essentiel. Cela fait dix‑huit mois qu’on attend ça. Il ne s’est rien passé durant cette période, d’autant que le dégroupage permettra une multitude de services innovants pour le consommateur.

L’instance de réglementation n’a encore rien fait. Le ministère a été particulièrement passif sur ce sujet. S’il est enfin possible d’avancer, nous pourrons alors aider à cette expansion forte de l’ADSL. Mais je vous rappelle que le dégroupage est une opéra‑tion un peu compliquée : il faut des processus, des liaisons fortes entre nos équipes et celles de Tu‑nisie Télécom, des accords com‑merciaux, etc. Toutefois, je dirais qu’on en est aujourd’hui à 0, sur une échelle de 0 à 10. n

BIlAn« notre bilan est positif. nous sommes en passe d’atteindre le million de clients mobile, Internet et ADsl »

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Fadhel Kraiem, DGA Tunisie Télécom

les trois opérateurs télé‑coms ont été plus ou moins déstabilisés par la révolu‑

tion… à Tunisie Télécom, c’est la situation des cadres dirigeants contractuels qui pose problème, puisque le syndicat a demandé et obtenu l’accord du ministère de l’Industrie et de la Technologie pour qu’un terme soit mis à leur mission… Comment ce problème est‑il né ?Avec la privatisation partielle de Tunisie Télécom et la vente de 35 % du capital à emirates International Telecommunications (eIT), Tuni‑sie Télécom s’est engagé dans plu‑sieurs chantiers de modernisation. C’est un processus classique par le‑quel plusieurs opérateurs – France Télécom, Maroc Télécom – sont passés. Pour mener à bien ces chan‑tiers, il était nécessaire de renforcer les équipes avec certaines compé‑tences. La difficulté que nous avons rencontrée à l’époque, c’est que le statut du personnel de Tunisie Té‑lécom ne permettait pas de recruter

ces compétences aux conditions du marché. On a donc trouvé un com‑promis en proposant des contrats à durée déterminée de trois ans, en at‑tendant de trouver une solution plus pérenne et globale au sujet du sta‑tut, à l’instar de ce qui a été fait chez plusieurs opérateurs historiques. à signaler que ces compétences sont toutes tunisiennes, avec des expé‑riences assez variées à l’étranger ou en Tunisie. Aujourd’hui, le fond du problème réside dans la coexis‑tence de ces deux statuts : du type fonctionnaire pour la quasi‑totalité de nos employés, en CDD pour une minorité. C’est une situation qui dure depuis quelques années et qui est à l’origine de cette tension so‑ciale que vit l’entreprise.

Pourquoi ne pas avoir opté pour un nouveau statut ?Il y a eu des tentatives dans ce sens, notamment en 2008, quand Mon‑tassar Ouaili était P‑DG. Mais elles n’ont pas abouti pour diverses rai‑sons… Au dernier trimestre 2010,

nous avions programmé plusieurs chantiers de ressources humaines qui devaient se concrétiser en 2011. Un de ces chantiers devait aboutir à mener une réflexion profonde avec les partenaires sociaux afin de pro‑poser un statut unique garantissant une certaine équité, notamment en matière de conditions de rémuné‑ration. Or, ces travaux n’ont pas pu être faits.

Allez‑vous remettre ce dossier sur la table ?C’est un sujet qu’il devient urgent de traiter. Plusieurs opérateurs his‑toriques sont passés par cette étape importante de transformation de leur politique de ressources humai‑nes. Par expérience, c’est un chan‑tier qui devrait durer entre neuf et douze mois. en attendant de relan‑cer ce chantier, il va falloir trouver une solution à la situation actuelle. Depuis la fin de mars dernier, un dialogue s’est établi avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Pour l’instant, les points de vue ne convergent pas, mais nous espérons arriver rapidement à un consensus qui mette en avant l’intérêt de l’entreprise.

Où en sont les chantiers de mo‑dernisation depuis 2006 ?Plusieurs chantiers ont été lancés depuis 2006 : commercial, finance, systèmes d’information, technique.

Une refonte complète des sys‑tèmes d’information a été opérée pour pouvoir répondre aux exigen‑ces d’innovation et de réactivité au plan commercial, ainsi qu’aux impératifs de rigueur de suivi et de reporting financier.

Notre réseau mobile s’est for‑tement développé en mettant l’ac‑cent sur la qualité et la couverture. Aujourd’hui, nous disposons du ré‑seau le plus étendu en Tunisie avec une qualité aux normes des stan‑dards internationaux, supérieure à celle de la concurrence. Ces résul‑tats ont été confirmés par la cam‑pagne de mesures organisée par le

MOBile« Notre réseau

mobile s’est forte‑ment développé.

Aujourd’hui, nous disposons du ré‑

seau le plus étendu de Tunisie »

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ADsl «la promotion agressive de nos services ADsl a vu notre base clients plus que doubler entre 2008 et 2010 »

Centre d’études et de recherches des télécommunications (CeRT) en 2009.

en termes de développement du haut débit, Tunisie Télécom a fait preuve de beaucoup de volontaris‑me… à l’image de l’extension du backbone fibre optique, qui compte plus de 11 000 kilomètres de fibre à travers le pays. C’est assez inté‑ressant par rapport à la superficie tunisienne et à la situation dans les pays voisins. Cette capillarité est un facteur de différenciation important qui nous permet de servir nos entre‑prises clientes dans les zones d’ac‑tivités et industrielles.

Nous avons aussi augmenté la bande passante à l’international, de 5 Giga bits en 2008 à 50 Giga bits en 2010. et depuis, nous sommes passés à 60. Si nous avons observé une augmentation de 30 % du trafic Internet depuis la révolution, cela s’explique par l’accessibilité à cer‑tains sites qui étaient interdits avant le 14 janvier 2011.

enfin, la promotion agressive de nos services ADSL a vu notre base clients plus que doubler entre 2008 et 2010…

Quel bilan peut‑on tirer des qua‑tre dernières années ?D’abord, il est à signaler que 2010 a été une année où Tunisie Télécom a battu ses propres records en termes de chiffre d’affaires et d’eBITDA.

entre 2006 et 2010, les revenus de Tunisie Télécom ont augmenté de plus de 20 %, dans un environne‑ment de plus en plus concurrentiel. Il y a aussi eu des acquis importants pour l’ensemble des employés avec un salaire moyen qui a progressé de plus de 60 % sur la même période, contre une progression de 35 % en‑tre 2002 et 2006.

Sur cette dernière période, sur le marché du mobile, Tunisie Té‑lécom perdait 8 points de parts de marché par an face à la concurren‑ce. L’érosion a été fortement frei‑née à partir de 2007 grâce à un tra‑vail de fond au niveau commercial

et communication qui a permis une forte dynamisation du marché avec le lancement de nouveaux produits et services innovants. Sans oublier l’adoption d’une approche qui ren‑force l’orientation clients.

J’aimerais bien rappeler que ces résultats sont le fruit des efforts de tous les salariés sans exception. Grâce à leur dévouement, ils ont su montrer une forte capacité d’adap‑tation dans un environnement qui n’arrête pas d’évoluer et de chan‑ger. Ce sont eux qui ont permis à Tunisie Télécom de rester l’opéra‑teur de référence en Tunisie.

Comment le groupe Tunisie Té‑lécom s’est‑il adapté au change‑ment de la configuration du mar‑ché avec l’arrivée d’Orange ?Tunisie Télécom a bien anticipé l’arrivée du troisième entrant, qui bénéficiait d’une exclusivité des services 3G pour une période d’un an. en 2009, nous avons lancé des études qui ont permis de revoir la stratégie de l’entreprise dans ce nouveau contexte concurrentiel. et cela a fait ses preuves au vu des résultats de l’année 2010, qui ont été conformes aux attentes. Mais il est important de noter que la concurrence à trois est différente et plus difficile qu’à deux. Nous avons dû revoir notre portefeuille d’offres, notre stratégie d’approche

clients et notre communication. à ce titre, vous avez pu remarquer qu’en 2010 nous avons changé d’identité visuelle et mis en avant les nouvelles valeurs de la marque. Dans quelques semaines, nous al‑lons lancer les services 3G. Même si nous arrivons deuxième, c’est un atout important par rapport à l’en‑vironnement concurrentiel en pla‑ce. Nous déployons une technolo‑gie très récente qui permet d’offrir des débits Internet pouvant aller jusqu’à 42 Méga bits contre seu‑lement 7,2 Méga bits pour le troi‑sième entrant aujourd’hui. Tunisie Télécom sera ainsi le deuxième ou le troisième opérateur de la région à avoir déployé ce type de technolo‑gie. Ce sera un atout très important vis‑à‑vis de la concurrence et nous comptons bien en tirer profit.

Votre mot de la fin ? La révolution de la liberté, de la dignité et de la justice que nous ve‑nons de vivre constitue une chance inouïe pour l’avenir de la Tunisie à tous les plans : politique, social et économique.

Je crois intimement que c’est aussi une chance pour Tunisie Té‑lécom de pouvoir se développer davantage, dans un contexte plus favorable, pour continuer à jouer son rôle d’acteur économique ma‑jeur dans cette Tunisie nouvelle. n

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apport« tunisiana a boosté le taux de pénétra-

tion du mobile et fait baisser les prix. Nous avons apporté une qualité de ser-vices supérieure »

Yves Gautier, DG tunisiana

tunisiana opère depuis près de dix ans en Tunisie… Quel bilan tirez‑vous de cette pre‑

mière décennie ? Le bilan est positif puisque nous sommes leaders sur le marché de la téléphonie mobile, auquel nous sommes limités par notre licence. C’est une très belle réussite.

Tunisiana a boosté le taux de pé-nétration du mobile – qui est passé de 15 % au moment de notre lance-ment à plus de 100 % aujourd’hui – et fait baisser les prix. Nous avons apporté une qualité de services su-périeure à ce qui se faisait habituel-lement dans les sociétés de services en Tunisie. Vos deux concurrents ont le fixe, mais pas vous… à quand une offre de Tunisiana dans ce do‑maine ?Le fixe, à long terme, on y pense. Sous quelle forme ? Il faudra voir. Il convient d’abord d’obtenir la licence. Le cahier des charges de

la licence obtenue par Orange sti-pule qu’il n’y en aura aucune autre avant 2013. En attendant, j’espère que nous aurons accès à la techno-logie 3G, ce qui permettrait d’atten-dre sereinement la licence fixe. Justement, vous avez récemment écrit au ministère de l’Industrie et de la Technologie pour réitérer votre demande… Avez‑vous reçu une réponse ?Pas encore. Mais il faut reconnaître que notre lettre est récente et que le nouveau secrétaire d’état occupe son poste depuis peu. Il faut donc lui laisser le temps d’appréhender tous les éléments.

En gros, notre question est la sui-vante : s’il y a eu une nouvelle li-cence 3G, une seconde – et l’on sait que cela a été le cas –, nous n’avons pas vu d’appel d’offres et nous vou-drions savoir comment elle a été attribuée. Si cela a été une licence négociée, nous voudrions savoir sur quels critères et pourquoi nous n’y

avons pas été associés. En fait, notre demande est simple : nous voulons de la transparence. Par le passé, le processus n’était pas transparent. J’espère que tout le sera à l’avenir.

Quel serait pour vous le scéna‑rio idéal pour la rétrocession des 25 % du capital de Tunisiana confisqués par l’état ?Je dis depuis très longtemps que Tunisiana doit faire son entrée à la Bourse de Tunis. Je suis toujours convaincu qu’une partie du capital doit être possédée par les employés et les clients. Cela me semble logi-que. Donc, je crois que l’intérêt de l’état est de remettre d’une façon ou d’une autre à des investisseurs les parts qu’il détient dans le ca-pital de Tunisiana – et dans celui d’Orange Tunisie.

Il y a différentes manières de le faire. On peut céder à des investis-seurs stratégiques, monter un pool d’investisseurs tunisiens, etc. Pour sa part, Qtel a clairement annoncé

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iNsTiTuTiONs « Avant la révolu‑tion, il y avait beau‑coup d’interven‑tionnisme auprès des institutions, ce n’est un secret pour personne »

qu’il n’a pas vocation à détenir 100 % de Tunisiana.

Stoppé avant la revente des parts d’Orascom, le processus d’in‑troduction en bourse va‑t‑il être relancé ? Qtel a‑t‑il pris une déci‑sion à ce sujet ?Non. Aujourd’hui, il faudrait vrai‑ment savoir ce que deviendront ces 25 %. Moi, je pense que l’introduc‑tion en bourse se fera sur une grosse partie de ces 25 %. Cela me semble logique. Je crois que l’introduction en bourse visera à transférer une partie du capital vers des investis‑seurs tunisiens autres que l’état.

Comment se déroule la concur‑rence en Tunisie ?à mon avis, il n’existe pas de concurrence soft. Il y a simplement de la concurrence. Mais le fait d’amener un troisième opérateur sur le marché accroît certainement la concurrence, puisqu’il faut que ce dernier se fasse une place. et par rapport à deux opérateurs déjà bien établis, il faut que ce nouveau concurrent se montre très agressif. Aujourd’hui, onze mois après l’arrivée d’Orange, comment se répartissent les parts de mar‑ché ?Nous sommes dans un marché prépayé, calculer la répartition des parts juste au vu du nombre de cartes Sim ne veut donc pas dire grand‑chose… Ce qu’il faut prendre en considération, c’est la valeur. Mais je ne sais pas quelle est aujourd’hui la part de chacun des opérateurs en termes de valeur. Globalement, je pense que nous sommes encore les premiers, avec près de 50 % de parts de marché. Que pensez‑vous de la manière dont l’Instance nationale des télécommunications (INT) et le Conseil de la concurrence s’ac‑quittent de leur mission, à savoir arbitrer entre les différents opé‑rateurs du secteur ?

Avant la révolution, il y avait beau‑coup d’interventionnisme auprès des institutions, ce n’est un secret pour personne… et je crois que, dans un panorama à trois opéra‑teurs, l’INT a un rôle d’arbitre très important. elle doit être très indé‑pendante par rapport au ministère et à l’état. Idem pour le Conseil de la concurrence. Tunisiana a été un challenger, un nouvel arrivant qui a eu besoin d’un régulateur. Mainte‑nant, nous entrons dans un système ouvert, démocratique et transparent dans lequel ces instances vont pren‑dre beaucoup plus d’importance et de crédibilité. Comme un tremblement de terre, la révolution tunisienne a connu des répliques, notamment dans le domaine social. à l’instar d’autres entreprises, Tunisiana a connu des problèmes dans ce do‑maine… Les avez‑vous réglés ?Je ne pense pas que ce soit résolu. Je dis aux gens que, dans une so‑ciété, le management doit préserver l’équilibre entre les intérêts des par‑ties prenantes : clients, actionnaires et employés. Mais ces intérêts ne convergent pas toujours. Donc, il faut essayer de prendre les bonnes

décisions pour atteindre l’équilibre. Par exemple, si on nous disait qu’il faut fermer les boutiques le samedi, ce serait au bénéfice des employés qui veulent leur week‑end, mais cela se ferait au détriment des clients. Donc, on ne prendra pas ce genre de décision.

Je crois que c’est l’actuel Premier ministre qui a dit que la révolution ressemble à une cocotte‑minute qui a explosé. Il faut attendre que la pression retombe, que tout le monde retrouve la raison. Une fois que la passion aura diminué, la rai‑son reviendra. Le social, c’est un dialogue entre les représentants de la direction et des employés. On ne pourra pas être toujours d’accord. C’est le jeu démocratique et il faut que tout le monde l’apprenne.

Je reconnais que les entreprises tunisiennes n’étaient pas forcément habituées à avoir une forte repré‑sentation des employés. Il va fal‑loir s’y accoutumer, comme dans d’autres pays. Il faut que chacun comprenne les enjeux de l’autre. On peut, par exemple, demander à tripler les salaires, mais cela ne va pas durer longtemps. On est encore au début de l’apprentissage et il faut savoir être patient. n

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La 39e Foire internationale de l’horlogerie et de la bi‑jouterie de Bâle a rassem‑

blé 1 882 producteurs de mon‑tres et bijoux, attirant plus de 100 000 visiteurs. La presse était également présente avec pas

moins de 3 000 journalistes de tous les continents.

Selon le bilan des organisa‑teurs, les résultats de cette édi‑tion sont très positifs, avec une affluence qui a enregistré une augmentation de 2,5 %. Un pu‑

blic fasciné par la présentation de nouvelles collections innovantes, tant en matière de créativité et de savoir‑faire que de beauté esthéti‑que, de rêve et de glamour.

Il faut dire que l’amélioration des mouvements – mécanique et

AVOIR éVénement

A Wonderful BaselworldPour sa 39e édition, qui s’est tenue du 24 au 31 mars dernier au centre des Foires de Bâle, le Salon mondial de l’horlogerie a mis l’accent sur la créativité. Tendances… Par Véronique NArAMe

CHIFFReSOutre ses

1 882 exposants, Baselworld 2011

a attiré plus de 100 000 visiteurs et pas moins de

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coaxial – a séduit les passionnés de la traditionnelle montre suisse. Des montres élaborées dans le respect de la tradition de fabri‑cation de l’horlogerie de luxe, actualisée avec les tendances du XXIe siècle. Une mise à l’heure nécessaire pour répondre aux at‑tentes des amoureux des montres d’exception.

Le groupe Swatch a réalisé un chiffre d’affaires de 6,4 mil‑liards de francs suisses en 2010, soit une progression de 20 %. Marc Hayek, directeur général de la maison Breguet, Blancpain et Jacquet Droz – les trois marques de prestige du groupe Swatch –, a présenté le modèle Hora Mindi de la marque Breguet. Une mon‑tre conçue en trois ans et qui a nécessité trois brevets pour sa fa‑brication. Elle affiche un second fuseau horaire.

Le stand de la marque Omega a également été plébiscité et le suc‑cès de la collection Ladymatic ne se dément pas. La griffe Tudor et Longines a elle aussi suscité l’in‑térêt des visiteurs.

De son côté, la prestigieu‑se marque Tag Heuer (groupe LVMH) a réussi une prouesse dans la maîtrise de la mécanique en créant une montre‑bracelet permettant le chronométrage du temps au 1/1000e de seconde. La marque a ainsi dévoilé son chronographe Mirkotimer Flying 1000, le premier qui soit capable de mesurer et d’afficher les mil‑lièmes de seconde.

Les ventes et les prises de commandes ont elles aussi été fidèles au rendez‑vous de Ba‑selworld 2011. Le marché asiati‑que, où certaines marques réali‑sent jusqu’à 50 % de leur chiffre d’affaires, demeure un marché primordial. Néanmoins, les pro‑fessionnels de l’horlogerie de luxe orientent aussi leur stratégie sur d’autres marchés promet‑teurs comme les États‑Unis et le Moyen‑Orient. n

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événement AvOIR

hARRy wInstOn« Le luxe et la créativité ne peuvent s’exprimer qu’à partir des matériaux les plus nobles »

Frédéric de narp, P‑DG harry winston

Baselworld 2011 a permis à la marque Harry Winston de réaffirmer son identité et sa

longue tradition de savoir‑faire. Ce que n’a pas manqué de faire Frédé‑ric de Narp, son P‑DG, à l’occasion d’une conférence de presse orga‑nisée pour le lancement de Harry Winston en Inde : « L’Inde est au cœur de l’activité d’Harry Winston. L’un des plus fameux designers de l’histoire fut Ambaji Shinde, qui est indien. Durant quarante ans, il fut le designer d’Harry Winston. L’ins-piration de bon nombre de nos pro-duits vient donc de l’Inde et de sa culture. Cela fait partie intégrante de notre savoir-faire.»

Un savoir‑faire qu’il a brillam‑ment mis en valeur en rappelant les valeurs attachées à la marque : « Harry Winston est le bijou-tier-horloger le plus exclusif qui soit au monde. Et nous n’accepte-rons aucun compromis sur la qua-lité. Nous sommes attachés au fait que des valeurs comme le luxe et la créativité ne peuvent s’exprimer qu’à partir des matériaux les plus nobles. C’est pourquoi nous ne tra-vaillons qu’avec du platine, de l’or et du zalium, qui est un alliage à

base de zirconium qu’Harry Wins-ton est seule à utiliser »

Et de se féliciter du fait qu’Harry Winston est la seule marque de luxe authentique aux États‑Unis avant de revenir sur le personnage haut en couleur que fut le fonda‑teur de la marque : « Harry Wins-ton était un fou génial, qui prenait tous les risques pour pousser la créativité toujours plus loin. Il fut en son temps le second plus grand collectionneur de pierres précieu-ses au monde après la couronne d’Angleterre. »

Il fut ainsi l’heureux propriétaire de certains des plus beaux diamants de la planète comme le Jonker, le Lesotho et le Hope Diamond – le plus gros diamant bleu jamais trou‑vé –, dont il a fait présent au Smith‑sonian Institute de Washington.« C’est fort de toutes ces valeurs qu’Harry Winston a fait son en-trée dans le monde de l’horlogerie. Avec l’intention de les pousser plus loin. Ce que l’on peut constater cette année à Bâle à travers quatre axes incontournables de notre tra-vail : sensualité, pureté, élégance et raffinement », a conclu Frédéric de Narp. n

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OmeGA « nous avons mis

en place une stra-tégie d’expansion

pour reconquérir le marché américain.

en 2010, nous avons progressé de

18,3 % »

Stephen Urquhart, P‑DG Omega

Comment expliquez‑vous le succès de la marque Ome‑ga ?

Le succès d’Omega s’explique par son histoire et les ingrédients qui la composent. Nous sommes lea‑ders dans le chronométrage spor‑tif. Nous avons accompagné les 24 jeux Olympiques et sommes impliqués dans la conquête spa‑tiale. Notre succès s’explique éga‑lement par la qualité de fabrication de nos produits, dans le respect de la tradition horlogère suisse. Ome‑ga est la marque de l’exception, de l’élégance et de l’exactitude.

En Chine, nous avons un réseau de distribution de plus de 90 ma‑gasins monomarques depuis une quinzaine d’années. Nous avons une forte présence et une grande notoriété sur le marché asiatique.

Depuis les années 1990, nous avons entrepris la restructuration de la société, en limitant les points de vente et en augmentant le nom‑bre de nos propres boutiques. Nous avons également développé, avec le célèbre horloger britannique Geor‑ge Daniels, le mouvement à échap‑pement coaxial qui a amélioré de façon extraordinaire la stabilité et la précision de nos montres.

Quel est votre développement à l’international, et plus par‑ticulièrement dans les pays du Moyen‑Orient ?

Lors de la mise en place de notre restructuration, nous avons axé notre stratégie sur l’amélioration de l’image Omega. Nous avons adopté une stratégie de marketing basée sur le chronométrage spor‑tif. Notre marque est présente dans beaucoup de pays dont la Chine. Le marché européen est également très important, notamment le mar‑ché allemand. Au Moyen‑Orient, nous sommes présents par le biais d’accords de partenariat, que nous avons conclus avec des détaillants et revendeurs locaux ; ainsi que par la présence de boutiques propres à la marque, comme c’est le cas aux Émirats arabes unis, au Liban, en Égypte, à Bahreïn et en Arabie Saoudite. Nous sommes aussi pré‑sents au Koweït, en Jordanie et au Qatar.

Notre implantation au Liban date d’une dizaine d’années et nous en‑registrons une bonne progression. Quant au Maghreb, nous avons des partenaires (revendeurs non exclu‑sifs). Nos ventes intéressantes en Libye, en Tunisie et au Maroc pour‑raient nous faire décider, à plus long terme, de nous engager de manière plus exclusive sur ce marché.

Concernant la crise financière de 2009, notre marque a subi une petite baisse liée essentiellement à la difficulté de deux marchés : amé‑ricain et japonais. Notre réseau de distribution, qui avait quelques pro‑

blèmes d’organisation et de struc‑turation dans ces deux pays, est en phase de réorganisation. Nous avons mis en place une stratégie d’expansion afin de reconquérir cet important marché. à ce jour, nous avons ouvert 25 boutiques exclusi‑ves aux États‑Unis. En 2010, nous avons progressé de 18,3 %.

Parlez‑nous de votre dernière création, la Ladymatic, dont l’égérie est l’actrice australienne Nicole Kidman…Ladymatic n’est pas vraiment une nouveauté. Elle est ancrée dans le passé de la marque. Nous avons décidé de renforcer le marché dé‑dié aux femmes. Nous avons donc souhaité concevoir une montre avec les caractéristiques de maîtrise du mouvement mécanique de la mon‑tre des hommes. Ainsi, nous avons introduit une mécanique coaxiale extraordinaire et la montre Lady‑matic, dont l’égérie exclusive est l’actrice Nicole Kidman, est née. Bien évidemment, certaines clien‑tes préfèrent les montres serties de diamants, comme au Moyen‑Orient et dans certains pays européens.

Vous organisez des opérations de mécénat, en partenariat avec l’or‑ganisation Orbis, dans les pays en voie de développement… Ce n’est pas la première opération de mécénat que nous organisons. Au sujet du partenariat avec Orbis, nous avons conclu un accord avec l’acteur Daniel Craig (James Bond) pour monter une opération orientée vers le social. Cette action consiste à combattre la cécité évitable.

Avec notre partenaire, Orbis, nous avons fondé une organisation internationale dédiée à la préven‑tion et au traitement de la cécité, ainsi qu’au pilotage des opérations chirurgicales dans des hôpitaux vo‑lants. La stratégie de cette opération de mécénat est de relier les mal‑voyants à notre marque : retrouver la vue et pouvoir voir l’élégance et la beauté… n

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eBeL« ebel va sepositionner sur le segment des mon-tres pour femmes, où nous avons constaté que le choix est restreint »

Céline Bertin, directrice marketing international ebel

Pour fêter le centenaire de la marque Ebel, vous éditez un ouvrage relatant toute

son histoire… Pourriez‑vous nous en dire un mot ?Pour fêter notre centième anniver‑saire, nous avons édité un ouvrage retraçant l’histoire de notre marque. Cet ouvrage décrit les informations de la maison Ebel, ainsi que des histoires et événements concernant les activités de la vie économique, culturelle et sportive de chaque décennie depuis les années 1950. C’est un livre qui nous a permis d’avoir une idée précise sur le dé‑roulement des différentes époques en mettant l’emphase sur l’histoire de la saga familiale de la maison Ebel à travers des décennies.

Les années 1960, par exemple, représentent pour la société Ebel son ouverture vers l’international. à cette époque, la maison fêtait ses cinquante ans d’existence. Nous avons publié, dans cet ouvrage, le discours que Richard Blum avait prononcé à cette occasion. Cet ouvrage, que nous comptons offrir à nos fidèles partenaires, va être rendu public le 15 juillet 2011, à l’occasion de la célébration du cen‑tenaire de la maison. Une version Internet sera également mise en ligne. C’est un travail de commu‑nication de longue haleine, qui a nécessité des recherches et de la do‑cumentation dans nos archives ainsi que chez nos clients et partenaires. Nous avons retrouvé, par exemple, des affiches destinées au marché du Moyen‑Orient qui ont été rédigées en arabe dans les années 1960.

Les années 1980 sont marquées par l’introduction de la marque aux États‑Unis. Un pays où nous avons été partenaires de différents événe‑ments sportifs comme le Grand Prix de Formule 1 à Detroit en 1987 ou celui de Las Vegas en 1983. Tout comme on a été partenaires en Eu‑

rope du tournoi de tennis de Ro‑land‑Garros. Nous avons d’ailleurs des images de Yannick Noah, Boris Becker et Gabriela Sabatini portant des montres Ebel pendant les com‑pétitions.

Quelle sont vos perspectives de développement sur le marché mondial de l’horlogerie ?Les perspectives de développement de la marque Ebel concerneront l’apport de la créativité dans nos collections. Nous allons travailler notre image de marque en passant à la vitesse supérieure dans la créa‑tion des produits. Nous sommes en phase de réalisation de ce travail de fond qui va nous apporter un plus en terme d’originalité. Nous avons déterminé une stratégie qui nous permettra de créer de nouveaux produits, plus innovants dans l’es‑prit créatif. Ebel est une marque qui crée des montres pour femmes et hommes. 70 % de nos montres sont vendues à des femmes, 30 % à des hommes. Ce sont des montres qui possèdent les caractéristiques d’être chics et modernes à la fois.

Sur le segment des montres pour femmes, nous avons constaté que le choix est restreint. Les marques proposent des modèles pour hom‑mes sur lesquels on apporte juste quelques modifications comme la couleur des cadrans – plus adap‑tés aux femmes – et des pierres précieuses que l’on propose à la clientèle féminine. Les marques qui travaillent sur l’amélioration du de‑sign sont peu nombreuses.

à ce sujet, on peut dire que la manufacture de l’horlogerie de luxe réservée aux femmes n’est pas très développée et ne correspond pas aux goûts de la femme moderne. C’est la raison pour laquelle Ebel va œuvrer à se positionner sur ce segment. Notre cœur de cible va être la femme active de 30 à 40 ans,

très fashion et qui vit avec son temps. Nos designers et créateurs vont concentrer leurs efforts pour créer de nouveaux modèles. Notre maison est connue, depuis des dé‑cennies, pour son esprit très créatif et avant‑gardiste dans ce domaine. La montre‑bague, que la maison a créée depuis plusieurs décennies, en est le parfait exemple. Ainsi, avons‑nous axé notre stratégie de développement dans la continuité de la ligne créative que nous avons observée depuis toujours, tout en l’adoptant à l’époque actuelle. Quel est votre positionnement sur le marché mondial ?Ebel s’est développée en Europe et dans les pays du Moyen‑Orient depuis les années 1960. Le Koweït et le Liban ont été les premiers pays où nous étions présents et où nous avons gagné en notoriété et en volume de ventes. Nous consi‑dérons le marché du Moyen‑Orient comme un marché clé qui vient en deuxième position après le marché européen. Nos ventes enregistrent une augmentation constante. Quant au marché américain, Ebel est pré‑sente de manière forte et constante depuis les années 1980. n

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médIAsLes journalistes maghrébins réclament des réformesLes journalistes marocains et algériens réclament des réfor‑mes à leurs gouvernements respectifs. L’intersyndicale des chaînes publiques 2M et RTM a entamé, le 28 mars dernier, des négociations avec le président du pôle audiovi‑suel public, Fayçal Laraichi.

Ils réclament des réformes profondes qui permettront la naissance « d’un pôle audio‑visuel public démocratique, populaire et diversifié ». Par ailleurs, une centaine de jour‑nalistes de l’agence Maghreb Arabe Presse (MAP) se sont également rassemblés pour revendiquer plus de liberté et d’indépendance éditoriale à Rabat. Fondée en 1959,

MAP est critiquée par les Marocains pour sa proximité avec le pouvoir. « Nous de‑mandons l’amélioration des conditions matérielles. Nous voulons une agence nationale qui puisse exprimer toutes les tendances politiques et socia‑les du Maroc : gauche, droi‑te, centre… Nous ne voulons plus d’instructions venant d’en haut », a déclaré Ali Ed‑dehbi, journaliste à l’agence. Selon Younès Moujahid, se‑crétaire général du Syndicat national de la presse maro‑caine (SNPM), ces revendi‑cations sont partagées par les journalistes des autres médias. Dans le pays voisin, l’Algérie, une centaine de journalistes de la presse écrite et audiovisuelle se sont éga‑lement réunis dans la maison de la presse Tahar Djaout. Ils ont approuvé une plate‑forme de revendications sociopro‑fessionnelles qu’ils comptent soumettre aux autorités de tu‑telle, notamment la promulga‑tion d’un statut particulier du journaliste ainsi que la réha‑

bilitation du Conseil national supérieur de l’information, qui garantira une représenta‑tion équitable des journalis‑tes. Cette plate‑forme reven‑dique également la relance du Conseil national d’éthique et de déontologie et la dépénali‑sation du délit de presse. Les journalistes demandent aussi une révision de leur grille sa‑lariale nationale. Leurs repré‑sentants comptent remettre la plate‑forme aux différen‑tes institutions concernées, à commencer par la présidence de la république et le minis‑tère de la Communication. Pour rappel, une grève natio‑nale était programmée pour le 3 mai 2011.

LG GLObAL chALLenGeRLG Algérie : Les lauréats du concours 2010

La Ire édition du LG Global Challenger 2010 – dont le thè‑me était « La télémédecine et son impact sur la qualité et le coût de la santé » – a récom‑pensé quatre étudiants qui ont reçu un chèque d’un mil‑lion de dinars et effectué un stage en Finlande. Financée par LG Algérie, cette étude approfondie permettra la création d’une plate‑forme de télémédecine en Algérie. Son siège sera implanté au CHU Mustapha‑Bacha, à Alger. Partenaire de l’opération, LG maîtrise toute la technologie de communication requise pour la réalisation du pro‑gramme.

tunIsIA It IIIe édition de mobile expo 2011Les 4 et 5 mai 2011, Tunisia IT organise au pôle technologique El Ghazala le IIIe Salon profes‑sionnel des technologies et des solutions de la mobilité en Tunisie, intitulé « Mobile Expo 2011 ».

Cette manifestation offre l’opportunité de regrouper les principaux opérateurs mobiles, fournisseurs et propriétaires de contenu mobile. L’objectif est de fai‑re connaître les innovations technologiques de la mobi‑lité en Tunisie dans toutes les filières assorties : télé‑phonie, multimédia, moné‑tique, e‑Banking, marketing mobile, etc. Une soixantai‑ne d’exposants nationaux et internationaux participeront à cet événement. Ph

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cAnAL PLus Algérie et Maroc, c’est fini !L’importance du piratage est la principale raison qui a poussé la chaîne cryptée fran‑çaise à quitter l’Algérie et le Maroc en 2011. Une informa‑tion confirmée par le P‑DG du groupe, Bertrand Me‑heut, lors de la présentation des résultats de Vivendi, en mars 2011. Pour rappel, les abonnements étaient vendus dans ces deux pays depuis l’année 2009. Les détenteurs de cartes prépayées conti‑nueront cependant de rece‑voir Canal Plus par satellite jusqu’à la fin de 2011.

médIAsGroupe arabe d’observation Le Groupe arabe d’observa‑tion des médias est né à Tu‑nis, en mars dernier. Cette nouvelle institution regroupe des représentants des médias,

de la liberté de la presse et des droits de l’homme. Elle veillera à la construction d’une information arabe pro‑fessionnelle et indépendante en apportant tout son soutien à la liberté d’expression. Pré‑sidée par la journaliste tuni‑sienne Sihem Bensedrine, le comité de direction de ce groupe compte également six autres membres issus de pays arabes : Sally Khadri (égypte), Maha Seblati (Sy‑rie), Nabil Rajeb (Bahreïn), Jihad Harb (Palestine), Kha‑lil Abdelmomen (Algérie) et Mohamed Khawalda (Jorda‑nie).

cOmmunIcAtIOnjournées euromaghrébines Sous le haut patronage du mi‑nistère de la Communication, les Ves Journées euromaghré‑bines de la communication publicitaire se tiendront les 8 et 9 mai à l’hôtel Sofitel d’Alger. Cette manifestation organisée par RH Internatio‑nal Communication portera sur le thème « Médias et pu‑blicité ». Outre des experts internationaux des métiers de la communication, on y verra éditeurs, annonceurs, directeurs de communication, agences de publicité et repré‑sentants des médias.

FRAnce 24Percée dans le monde arabe Les révolutions arabes ont permis à la chaîne d’infor‑

mation France 24 de confir‑mer sa percée dans la zone Moyen‑Orient/Maghreb. Un sondage TNS Sofres a mon‑tré que la chaîne française ar‑

rive en troisième position des télévisions internationales les plus regardées en Tunisie, derrière Al‑Jazeera et Al‑Ara‑biya. Selon ce sondage réali‑sé entre le 17 et le 24 février dernier, France 24 a réalisé une audience de 57,4 % en Tunisie. Et parmi les télés‑pectateurs qui la regardent, 97 % affirment avoir suivi ses programmes en arabe, contre 31 % en français. En outre, la qualité des reportages et des interventions ont été particu‑lièrement appréciées, puisque 78 % de ces téléspectateurs déclarent vouloir continuer à suivre France 24 dans les mois à venir.

FestIVAL InteRnAtIOnAL d’AL‑jAzeeRA un documentaire algérien sélectionnéLe documentaire du réalisateur algérien Salim Aggar intitulé « Paroles d’un prisonnier français de l’ALN » était sélectionné en compétition au Festival international du documentaire d’Al‑Jazeera, qui avait lieu du 21 au 24 avril à Doha. Présenté en version anglaise, le film de Salim Aggar était le seul représentant de l’Algérie dans ce festival qui regroupe les meilleurs documentaires du monde. Les critères de sélection étaient la qualité tech‑nique de l’œuvre et l’originalité du thème abordé. Pour rappel, ce documentaire a été présenté lors du Festival international d’Amiens et a remporté le prix du Repor‑tage et du documentaire méditerranéen de Marseille. Ce film produit par l’ENT relate le témoignage d’un soldat

français sur les conditions humaines de détention des prisonniers français de l’Armée de libération nationale (ALN) dans la wilaya commandée par le colonel Ami‑rouche.

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La Francophonie à l’honneur

V ice‑président du Haut Comité natio‑nal de la Francophonie nommé sur proposition de Frédéric Mitterrand

(ministre de la Culture et de la Communi‑cation), Olivier de Tilière a été honoré au cours d’une brillante réception qui s’est te‑nue rue de Varenne, dans les salons d’hon‑neur de l’Hôtel de Clermont.

également directeur général du Journal du Parlement, il a été décoré de la médaille de chevalier de l’ordre des Arts et des Let‑tres. C’est Patrick Ollier, ministre chargé des Relations avec le Parlement, qui a re‑mis à Olivier de Tilière cette distinction associée à André Malraux, le fondateur de l’ordre des Arts et des Lettres. Ainsi, Mme

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Alain Delcamp, Alain Malraux, Cyrielle Clair, Olivier de Tilière, Mme André Malraux, Patrick Ollier, Laurent de Gaulle, Jacques Legendre (de g. à d.).

Madeleine Malraux et Alain Malraux (pré‑sident d’honneur de la commission Ma‑lraux pour l’Europe de la Culture) étaient présents aux côtés de Laurent de Gaulle.

Dans son discours, le ministre a rappe‑lé que Le Journal du Parlement est l’un des titres les plus anciens, qui appartient au patrimoine de la presse depuis le XVIIe siècle, comme l’avait souligné en son temps l’ancien ministre des Affaires culturelles Maurice Druon.

Le secrétaire général de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), Jacques Legendre, par ailleurs sénateur du Nord et président de la Commission de la Culture et de la Communication de la Haute Assemblée, était également pré‑sent. Pour l’occasion, il était entouré de nombreux ambassadeurs des pays fran‑cophones, mais aussi du député Monique Boulestin (secrétaire de la Commission de la Culture de l’Assemblée nationale) et d’Alain Delcamp (secrétaire géné‑ral du Sénat). D’autres personnalités du monde des médias ou du cinéma avaient aussi été conviées à l’événement, tels le journaliste Nelson Monfort ou Cyrielle Clair. n

8 minutes sont au programme, qui seront ensuite édités sur 3 000 DVD pour promouvoir les acteurs auprès des professionnels. Après une pré‑sélection concernant tous ceux qui s’étaient inscrits sur le site Internet d’Adami (www.adami.fr, rubrique « Talents 3A »), les six réalisateurs ont choisi 18 comédiens sur casting, parmi 568 postulants…

Organisée le lundi 16 mai, à partir de 15 heures, dans la salle Buñuel du Palais des festivals, cette manifes‑tation culturelle est coproduite par l’association artistique de l’Adami et Goyave Production.

Comme chaque année depuis dix‑huit ans, le Festival de Cannes accueille les Talents Cannes Adami 2011.

La finalité : révéler de jeunes comé‑diens de tous horizons. Ce dont ont déjà profité 486 artistes comme Aure Atika, Samy Naceri, Sylvie Testud, Audrey Tautou ou Tomer Sisley…

Cette année, 6 courts‑métrages de

talents Cannes adami 2011

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Paris salue un Printemps tunisien

Dans le cadre d’une exposition inti‑tulée « un Printemps tunisien », les Parisiens ont pu apprécier les œu‑

vres de la peintre tunisienne Alya Belkho‑dja, présentées à la galerie Lehalle, dans le 7e arrondissement. Programmé du 10 au 24 mars dernier, l’événement fut couronné d’un franc succès.

Peintre et voyageuse, cette artiste au long parcours affiche un style atypique qui of‑fre au monde une nouvelle version de SA

Tunisie. À travers sa peinture, Alya Belk‑hodja raconte son histoire et celle de son pays, faisant revivre la grandeur de Car‑thage avec une splendeur presque exclusi‑vement féminine. Après tout, la légende ne raconte‑t‑elle pas que Tunisie naquît de la volonté d’une femme, Didon ?

Dans ses créations, le passé et le présent s’enchevêtrent et se complètent, mélange de passé révolu et d’un présent qui évolue. On dit que sa palette chaude ainsi que ses

Alya Belkhodja devant ses œuvres, particulièrement reconnaissables à leurs teintes grises et blanches.

Par Latifa Hitti

teintes grises et blanches confèrent à ses toiles un ton monochrome et un style an‑cien inspiré de l’art pictural. À juste titre… En effet, elle part de la mosaïque antique qu’elle fragmente et transpose dans une épaisseur de mortier superposée à ses toi‑les.

Son goût profond pour les voyages et pour l’exploration de « l’ailleurs » l’a poussée à sillonner le monde, son talent pour tout ba‑gage, pour faire connaître son pays et toute la beauté de son histoire (passé, présent et perspective d’un bel avenir). Après avoir exposé à Paris en novembre 2009 au Grand Palais, Alya Belkhodja a présenté son œu‑vre à l’Exposition universelle de Shanghai, en mai 2010, et dans beaucoup d’autres pays tels que Dubaï ou les émirats…

« La peinture n’est pas une science exacte, elle permet de s’exprimer, quand les mots ne peuvent plus dire grand chose, dit‑elle avant de citer Picasso : Un tableau ne vit que pour celui qui le regarde… »

« J’ai eu la chance de beaucoup voya-ger et d’exposer à travers le monde, pour‑suit‑elle. Je m’imprègne de notre patrimoi-ne, je le revisite, je lui donne de nouvelles forces et le colore à ma guise de manière à créer des œuvres capables d’accrocher des regards étrangers, proposant ainsi une ré-flexion sur l’évolution et la représentation à travers le temps. »

L’habileté d’Alya Belkhodja à navi‑guer entre l’ancien et le moderne, jusque dans sa technique, donne l’impression que le temps s’est arrêté. Le temps d’une exposition… n

sangho go ! « 2011, c’est l’année de la Tunisie. L’aider c’est y aller, l’aimer c’est y retourner. »

Offre spéciale printemps‑été 2011Le soleil et la douceur de vivre ont tou‑jours cours en Tunisie, où les îles de Djerba et Zarzis sont prêtes à offrir des vacances de rêve à vos enfants ! Jusqu’à moins de 12 ans, pendant les vacances scolaires, leur séjour est gratuit au San‑

gho Village Djerba et au Sangho Village Zarzis…

Bungalows blancs au bord de l’eau, immense plage de sable fin, piscine ex‑

térieure, courts de tennis en terre battue, mini‑club, activités nautiques, centre de balnéothérapie : vous êtes au Sangho Club Zarzis, petit village enfoui dans un jardin‑palmeraie de 14 hectares…

Plage magnifique, multitude de pal‑miers, courts de tennis en terre battue, mini‑club, sports nautiques, sauna, salle de massage, nombreuses excursions proposées sur place, club hippique et golf à proximité : vous êtes au Sangho Club Djerba, parc‑jardin de 6 hecta‑res…Informations : www.sangho.fr

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savoir entre nous

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tunisieJe vous écris en écho à l’arti‑cle intitulé « La partie n’est pas jouée », paru dans le numéro d’Arabies du mois

d’avril. Trois mois après la chute de Ben Ali, Glo‑bal Management Services (GMS) a procédé en Tuni‑sie à un sondage d’opinions politiques, riche d’enseigne‑ments. Si seulement 40 % des sondés se disent très intéressés par la politique, 62 % confient leur intention de participer dans le futur à la vie politique du pays.

Un témoignage de l’enga‑gement grandissant des Tu‑nisiens. En cette période de multiplication des nouveaux partis politiques, il est toute‑

fois inquiétant de constater que près d’un tiers (30,46 %) ne connaît aucun parti et que le plus connu est le parti is‑lamiste Ennahda (46,76 %), même si son leader, Rached Ghannouchi, est le politicien dont les Tunisiens (23,64 %) se sentent les plus éloignés.

Riyad Benachour Kairouan, Tunisie

libyeComme le laissait entendre Arabies dans son numéro du mois d’avril, l’intervention de la coalition internationale en Libye a changé le rapport des forces. Mais les hésita‑tions et tergiversations de la Communauté internationale auront coûté bien des morts inutiles… à l’inverse, les choses semblent aller beau‑coup plus vite quand il s’agit de préparer l’après‑Kadhafi, ce dont atteste la réunion du 29 mars à Londres, qui a réuni les représentants d’une bonne quarantaine de pays et d’or‑ganisations internationales. Y compris l’Union africaine, l’Organisation de la conféren‑

ce islamique, la Ligue arabe et même un invité de l’officieux Conseil national de transition libyen. Difficile, dès lors, de n’y voir qu’une manœuvre occidentale visant à préserver ses intérêts… Même si soli‑darité démocratique, liberté et droits de l’homme ont sou‑vent servi d’alibi pour justi‑fier des causes douteuses…

Patrick Chamarot Toulouse, France

égypteDans le climat de tensions extrêmes qui est actuellement celui du monde arabe, il est peut‑être un phare pour gui‑der ce dernier vers la lumière.

Je veux parler de l’égypte, dont la gestion de la « crise révolutionnaire » peut avoir valeur d’exemple pour ses voisins. Dans un esprit aussi objectif que constructif, le Conseil suprême des forces armées assume parfaitement sa gestion de la période tran‑sitoire. Et le pays avance de nouveau. Après le référen‑dum du 19 mars qui a plé‑biscité la réforme constitu‑tionnelle à 77 %, les élections législatives sont annoncées pour septembre, crédibilisées par la promulgation d’une version amendée de la loi sur les partis politiques. Et après la dissolution de la tristement célèbre Sécurité d’état, c’est la levée de l’état d’urgence – en vigueur depuis 1981 – qui est annoncée d’ici à sep‑tembre. Comme quoi Arabies avait bien raison de parler de « pragmatisme égyptien » dans son numéro du mois dernier.

Amouta Naaman Paris, France

yémenMais que se passe‑t‑il vrai‑ment au Yémen ? Al‑Qaïda semble profiter des manifesta‑tions hostiles au régime d’Ali Abdallah Saleh pour avancer ses pions, notamment dans la province d’Abyan. Ainsi les islamistes sont‑ils censés avoir pris le contrôle de la ville de Djaar avant de déva‑liser une usine de munitions à Batige. Assiste‑t‑on à une véritable percée intégriste ou doit‑on y voir une manœuvre de ce pouvoir qui tire l’essen‑tiel de sa force de son statut supposé d’ultime rempart contre Al‑Qaïda dans la pé‑ninsule Arabique (AQPA) ?

Younes TrabelsiHammamet, Tunisie

FondateurYasser Hawary(Tél. : +33 1 47 66 46 00)

rÉdaCtriCe en CHeFLila D. Schoepf(Tél. : +33 1 47 66 95 15)

rÉdaCteur en CHeF adJointSamir Sobh (Tél. : +33 1 47 66 96 93)

seCrÉtaire de rÉdaCtionFabrice Pavée

CoLLaBorateursn Politique, Économie : Antoine Arman, Akima Bedouani, Mekioussa Chekir, Yves Dubois, Pierre Fauchart, Hakima Kernane, Christian Malar, Véronique Narame, Mourad Saouli, Georges Sassine.n culture, SociÉtÉ : Alexandre Aublanc, Philippe Cendrier, Dominique Francœur, Anne SamarcorreSPonDAntSAbou Dhabi : Gerald Butt, Beyrouth : Ed Blanche, Dubaï : Paul Weston, Tunis : Moncef Mahroug

ConCeption & direCtion artistiqueRanda Khouri

adMinistrationArabies : Mensuel édité en France par laSociété de Conseil en CommunicationS.A.R.L. au capital de 124.000 FF. RC.Paris 86 BO 1718

GÉrant - direCteur de La puBLiCationJulien Hawary

responsaBLe adMinistratiFMaguy Paniagua(Tél. : +33 1 47 66 95 14)

puBLiCitÉdireCteur du dÉveLoppeMent Manuel DiasTél. : +33 1 47 66 95 14E‑mail : [email protected] MEDIALEADERRégie de Presse18, rue de Varize ‑ 75016 ParisTél. : +33 1 47 66 46 00 / +33 1 42 12 06 12Fax : +33 1 47 63 63 31

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savoir tribune

C ’est un constat : aucune banque isla‑mique ne semble avoir été sérieuse‑ment affectée par la crise financière

qui a frappé le monde capitaliste, particu‑lièrement en Occident. Mieux : présen‑tes aujourd’hui dans près de 80 pays, ces banques paraissent florissantes, leur actif est maintenant évalué à près de 1 000 mil‑liards de dollars, contre 150 milliards il y a quinze ans… La France, comme beaucoup d’autres pays occidentaux, a donc modifié sa législation afin de faciliter l’implantation de ces banques islamiques sur son territoire et d’encourager ainsi les investissements des pays du Golfe ou d’Asie.

Faut‑il voir dans tout cela la main d’Al‑lah ? On pourrait être tenté de le penser. En fait, si la banque islamique apparaît comme un établissement d’un genre particulier, c’est qu’elle est aussi une institution reli‑gieuse. Dans l’esprit de ses promoteurs, elle vise « à promouvoir un ordre économique nouveau qui incarne les valeurs du messa‑ge islamique » (Mohamed Baker al‑Sadr, Al‑Masraf al‑larabawi fi al‑Islam p. 12 ; « La banque sans intérêts en Islam »). Aus‑si est‑il recommandé aux dirigeants de ces banques « de se parer d’un esprit mission‑naire, d’agir pour des motifs idéologiques, de considérer que leur activité n’a pas seu‑lement le gain pour objet, mais qu’elle est une forme de djihad destinée à répandre le message et à mettre en œuvre les moyens qui permettent de préserver l’oumma des affres du “mécréantisme” » (Ibid)

Tout est dit : la banque est ainsi tenue de travailler dans le strict respect des normes de la charia sur la base des principes inter‑disant le versement d’intérêts (riba) et la spéculation qui table sur l’aléa (maysir). Tel est ce qu’on pourrait appeler l’ordre moral

islamique. Elle le fait sous le contrôle d’un comité d’oulémas, une sorte d’audit reli‑gieux qui veille à la bonne orientation de son activité générale et contrôle la confor‑mité des opérations entreprises à la loi de Dieu.

Cependant, mis à part quelques activités à caractère social ou caritatif, la banque is‑lamique en tant qu’établissement de crédit fonctionne comme une véritable entreprise bancaire. Elle reçoit des dépôts et avance de l’argent aux clients qui le lui demandent. Mais elle utilise à cet effet des instruments juridiques qui assurent aussi bien aux dé‑posants – sur les dépôts courants, d’épar‑gne ou d’investissements encore appelés « dépôts participatifs » – qu’à la banque elle‑même – sur les avances accordées aux clients – un bénéfice. Cependant, ce dernier ne se présente pas sous forme d’intérêts.

Aussi, tandis que sont bannies les opéra‑tions bancaires classiques (prêts bancaires, avance en compte des effets de commerce, affacturage, crédit documentaire) soumises à un versement d’intérêts, on verra refleurir les vieux expédients inventés par les mar‑chands et praticiens du Moyen âge qui ont jadis permis l’essor économique du mon‑de musulman entre le IXe et le XIVe siè‑cle. Construit morceau par morceau, ce « contre‑droit » des marchands va conduire

à l’affinement de la technique juridique et à l’enrichissement du droit des affaires.

Deux sortes de moyens sont ainsi mis en œuvre pour atténuer la rigueur de l’ordre moral islamique : d’une part, la pratique à grande échelle des hiyal – subterfuges ju‑ridiques que les marchands arabes avaient jadis propagés dans toute l’Europe chré‑tienne du Moyen âge – et d’autre part, les substituts aux intérêts qu’utilisent systé‑matiquement aujourd’hui les banques isla‑miques. Il s’agit d’instruments juridiques (contrats de société, de vente ou de louage) conçus de manière à rémunérer les dépôts des clients ou les avances consenties par la banque. Toutes ces opérations vont pouvoir générer des revenus considérables, tant pour la banque que pour ses clients.

Suivant ce qui fut jadis proposé dans un rapport présenté au Congrès des ministres des Affaires étrangères des pays musul‑mans (29 février 1972), la banque islami‑que s’autorise, en outre, à percevoir des intérêts sur les capitaux qu’elle aura placés dans des banques ou établissements finan‑ciers situés dans des pays qui n’appliquent pas la charia.

Il faut bien voir que, dans l’esprit du sys‑tème musulman – dont s’inspire le régime de la banque islamique –, seul le commerce de l’argent est prohibé, mais toute autre ac‑tivité commerciale est regardée avec faveur et serait même une action sanctificatrice. De plus, la thésaurisation étant mal vue, l’épargnant semble n’avoir d’autre choix que d’investir dans une affaire lucrative.

Gagner de l’argent, beaucoup d’argent, telle est la vocation de tout établissement fi‑nancier. C’est aussi possible pour la banque islamique, même si elle doit se plier à un ordre moral rigoureux imposé par la reli‑gion. La finance n’est donc pas nécessaire‑ment incompatible avec la morale et la reli‑gion. Encore faut‑il savoir trouver et mettre en œuvre les instruments qui permettent de les accorder. Dans cette optique, le gain devient une valeur transcendantale, comme un retour à la vieille idée sémitique que la richesse est une bénédiction de Dieu. n

Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas Paris II

Les performances de la banque islamiquePar Sélim Jahel

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n Cette rubrique permet à diverses personnalités d’exprimer leurs opinions en toute liberté.

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