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1 L’intégration socioculturelle au Québec Victor Armony Professeur de sociologie, UQAM Le grand défi au plan de l’intégration socioculturelle, elle-même absolument nécessaire à l’intégration socioéconomique, est celui d’offrir la langue comme un lieu de rencontre et de cohésion, la placer au cœur d’une démarche dans laquelle le français n’est pas proposé comme une simple fonctionnalité ou comme une contrainte, mais plutôt comme une fenêtre à un monde commun, à une culture partagée. C’est pourquoi les approches coercitives, les limitations administratives (par exemple, l’offre de services aux immigrants s’arrête après cinq de séjour), les structurent qui séparent l’immigrant du reste de la société (par exemple en faisant de l’intégration une « affaire d’immigrants » et non pas également de Québécois dits « de souche ») me paraissent aussi inefficaces qu’injustes. Il faut voir l’intégration d’une manière plus constructive et le secteur communautaire est, sans doute, névralgique dans un tel contexte. Dans l’amalgame qu’on fait parfois en mettant d’un côté les « immigrants » et de l’autre les « Québécois de souche », nous perdons de vue la complexité de la société, bien sûr, mais aussi nous voyons moins clair en ce qui concerne l’enjeu de l’intégration car nous risquons de tomber dans le piège d’une dualité qui oppose un « nous » à un « eux ». D’abord, il est bien connu que la question des ressources dédiées aux immigrants, particulièrement au plan des services de francisation, est cruciale et que, autant la masse totale que sa distribution géographique (Montréal et régions, petites villes),

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L’intégration socioculturelle au Québec

Victor Armony

Professeur de sociologie, UQAM

Le grand défi au plan de l’intégration socioculturelle, elle-même absolument

nécessaire à l’intégration socioéconomique, est celui d’offrir la langue comme un

lieu de rencontre et de cohésion, la placer au cœur d’une démarche dans laquelle le

français n’est pas proposé comme une simple fonctionnalité ou comme une

contrainte, mais plutôt comme une fenêtre à un monde commun, à une culture

partagée. C’est pourquoi les approches coercitives, les limitations administratives

(par exemple, l’offre de services aux immigrants s’arrête après cinq de séjour), les

structurent qui séparent l’immigrant du reste de la société (par exemple en faisant

de l’intégration une « affaire d’immigrants » et non pas également de Québécois

dits « de souche ») me paraissent aussi inefficaces qu’injustes. Il faut voir

l’intégration d’une manière plus constructive et le secteur communautaire est, sans

doute, névralgique dans un tel contexte.

Dans l’amalgame qu’on fait parfois en mettant d’un côté les « immigrants » et de

l’autre les « Québécois de souche », nous perdons de vue la complexité de la

société, bien sûr, mais aussi nous voyons moins clair en ce qui concerne l’enjeu de

l’intégration car nous risquons de tomber dans le piège d’une dualité qui oppose un

« nous » à un « eux ».

D’abord, il est bien connu que la question des ressources dédiées aux immigrants,

particulièrement au plan des services de francisation, est cruciale et que, autant la

masse totale que sa distribution géographique (Montréal et régions, petites villes),

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laisse beaucoup à désirer. Mais le problème de fond est celui du manque criant de

structures et de mécanismes qui articulent la francisation à la insertion concrète

dans les divers milieux d’activité, surtout en ce qui concerne la mise en œuvre de

véritables opportunités d’interaction et de réseautage entre personnes immigrantes

et personnes faisant partie de la majorité. Je ne veux surtout pas dévaloriser les

nombreuses initiatives – gouvernementales, des entreprises ou de la société civile –

qui se donnent justement pour but de faire précisément cela : la création de mesures

d’accompagnement, de jumelage, de parrainage. Mais le travail qui reste à faire

dans ce domaine est immense.

J’ose rêver, par exemple, à la création d’un modèle d’atelier interculturel qui

pourrait s’adapter et se généraliser à bien des espaces de la vie collective, où des

personnes immigrantes nouvellement arrivées, des personnes issues de

l’immigration qui sont déjà bien établies et des membres de la majorité enracinée

pourraient véritablement se rencontrer pour s’enrichir mutuellement, non seulement

fournissant ainsi un moyen d’acquisition ou de perfectionnement de la langue, mais

aussi valorisant du même coup le statut du français comme fondement de notre

civisme et de notre sentiment d’appartenance.