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ART SACRÉ - Encyclopédie Universalis

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1.  Sacré-profane : une mise en perspective

2.  Repères historiques

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ART SACRÉ

Pour cerner l'art sacré au XXe  siècle, les angles d'approche sont multiples et les études d'ensemble en sont encoreà leur début. Les artistes du XXe  siècle, qui ont beaucoup écrit sur leur art, ont souvent insisté sur sa dimensionspirituelle. Une anthologie de leurs écrits apporterait une importante contribution au dossier de l'art sacrécontemporain. Vassily Kandinsky n'intitule-t-il pas un recueil :  Du spirituel dans l'art   (1910). Le poète PierreReverdy, au détour de propos inspirés par l'œuvre de Georges Braque (1950), écrit : « L'art n'est pas un jeu [...].Là où commence l'art cesse le jeu. Je m'étonne que l'on discerne si mal à quel point cette question de l'art dans ladestinée de l'homme est une chose grave. Il y a tout simplement supplanté le réel. [....] Dans l'esprit, l'art estdevenu roi. » Mais cette dimension spirituelle ne suffirait sans doute pas à expliquer l'insistant intérêt que notretemps a porté à l'art sacré.

On peut alors partir d'un constat : les édifices consacrés, c'est-à-dire en majeure partie les églises catholiques,sont les lieux les plus visités de France, ce qui fait apparaître immédiatement la dimension religieuse du patrimoine culturel. Or la manière dont ces églises ont été conçues, leur évolution et leur place dansl'environnement posent aujourd'hui problème, car la culture qui s'y attache n'est plus réellement partagée etnécessite une réévaluation. Pour l'appréhender, il convient d'en redéfinir les termes et de faire un détour par le passé, ce qui conduit à poser en préalable la question du rapport entre le sacré et le religieux.

Une manière élémentaire de définir le sacré consiste à l'opposer au profane. Le profane, c'est le monde naturel àl'intérieur duquel se manifeste quelque chose de différent, le sacré, ce que l'historien des religions, Mircea Eliade,nomme les hiérophanies  (manifestations du sacré). Reconnaître ces manifestations relève du comportement del'homme religieux, qui a marqué toutes les sociétés humaines pour lesquelles l'univers était sacralisé. Les

modalités de ce rapport au sacré, que l'on peut appeler les religions, varient grandement dans le temps et dansl'espace.

Il est nécessaire d'insister sur ce dernier point, car il est à l'origine de la mise en place progressive d'un espace privilégié qui deviendra le lieu de culte : « Pour l'homme religieux, l'espace n'est pas homogène  [...] : il y a des portions qualitativement différentes des autres » (M. Eliade) ; aussi, Dieu s'adressant à Moïse lui demande-t-il deretirer ses chaussures, « car le lieu où tu te tiens est une terre sainte » (Exode, III, 5). Dans la sociétéoccidentale, l'Ancien Testament, qui constitue le corpus de textes régissant la plus ancienne des trois religions duLivre, présente un ensemble de prescriptions concernant l'espace sacré. Elles sont en quelque sorte résumées danscette adresse de Salomon à Dieu : « Tu m'as ordonné de construire le Temple en ton très saint Nom, ainsi qu'unautel dans la cité où tu habites, d'après le modèle de la tente très sainte que tu avais préparée dès lecommencement » (Sagesse, IX, 8). Le Temple est l'« image sanctifiée » du cosmos, la demeure terrestre où ontlieu les échanges avec Dieu, le reflet de la Jérusalem céleste – tous symbolismes qui trouveront leur écho dansl'église chrétienne : « En tant qu'image du Cosmos, l'église byzantine incarne et à la fois sanctifie le Monde »(M. Eliade). On peut sans doute ajouter que l'art sacré, par sa situation au sein de cette expérience religieuse del'espace, peut être qualifié d'art religieux – même si André Malraux a affirmé que le sacré était un dépassementdu religieux.

En Occident, c'est à travers ses différentes manifestations dans la mouvance chrétienne que l'art sacré peut êtreenvisagé. En effet, cette notion n'a pas de statut privilégié aux yeux des musulmans pour qui seule la paroledivine est sacrée. Le cas de l'art juif est plus complexe en raison de la si longue diaspora : l'art rituel lié auxobjets du culte semble peu évoluer ; quant à la construction de synagogues, si elle a connu un certain essor enFrance, surtout au XIXe  siècle, après la reconnaissance officielle de la religion juive, cela n'a pas été le creusetd'un véritable renouveau artistique.

Dans le monde chrétien, l'art sacré s'est développé autour des constructions religieuses nécessaires à la liturgie(du grec leitourgia, « service public »), culte public institué par l'Église   dont le déroulement a déterminé les

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3.  Un regard tourné vers le Moyen Âge

4.  Maurice Denis et la théorisation de l'art religieux

formes architecturales et nécessité la mise en place d'un mobilier liturgique varié (autels, sièges, ambon, etc.).Quant à la célébration du culte, elle se fait à l'aide d'objets précis (calice, patène, livres, etc.) et avec desvêtements particuliers. Pour rendre plus accessible le dogme chrétien aux fidèles, des images se sont avéréesutiles, encouragées par plusieurs papes depuis Grégoire le Grand. Les supports en ont été variés : mosaïques, peintures murales, retables peints ou sculptés, vitraux, sculptures, etc. Ces divers éléments ont subi au cours dessiècles d'importantes transformations, encadrées par les prescriptions conciliaires.

Ce n'est pas le lieu de faire ici l'histoire de ces formes artistiques anciennes qui, du reste, ont suivi des voies

différentes en Orient et en Occident, mais il faut rappeler leur existence, car elles imprègnent encore trèsfortement la vision du public et des artistes.

La redécouverte du Moyen Âge, qui marqua les débuts du romantisme, a joué un rôle majeur dans l'évolution dela sensibilité du public vis-à-vis de l'art sacré, d'autant plus qu'elle s'était accompagnée d'une réhabilitation destechniques médiévales.

L'exemple du vitrail, art typiquement médiéval dans l'imaginaire collectif, est significatif à cet égard. Exclu par l'architecture classique, qui recherchait une lumière franche pour la mise en valeur de ses propres décors, iltomba en désuétude au point que le savoir-faire des peintres-verriers se perdit faute de demande. Il retrouva unstatut quasi médiéval grâce à la restauration de la Sainte-Chapelle   de Paris (1847-1853) qui nécessita des

recherches pour reproduire à la fois les matériaux et les gestes des artisans d'antan. Ce qui explique que laSainte-Chapelle a été érigée en modèle par Viollet-le-Duc, théoricien très influent, avec pour corollaire lanaissance du vitrail archéologique, qui démarque les différentes époques de l'histoire de la peinture sur verre,avec une prédilection pour le XIIIe  siècle, et pérennise l'iconographie élaborée au Moyen Âge. La modernisationformelle et iconographique de la peinture sur verre en fut certainement retardée, même si, au XIXe  siècle, des peintres furent parfois sollicités pour donner des cartons – tel Delacroix ou Ingres pour la chapelle royale deDreux. Alors que l'Art nouveau transforme le vitrail civil par une simplification du dessin et un allègement de la peinture, son inspiration ne franchit que modérément le seuil des églises. La cathédrale de Fribourg (Suisse) oùles vitraux de J. Mehoffer transposent des scènes traditionnelles, comme l' Enfance du Christ , dans des décorsd'une luxuriance foisonnante (1896-1934) étant une exception notable.

En fait, les communautés de fidèles se sont retrouvées sans difficulté dans ce retour à des images marquées d'uneaura médiévale, alors que l'art contemporain ne comblait pas toujours leur attente et entraînait des réactions derejet. La métamorphose formelle a eu d'autant plus de difficulté à s'imposer que la « création » moderne etcontemporaine de vitraux s'insérait le plus souvent dans des édifices anciens.

Le XXe  siècle s'est ouvert, en France, sur la séparation des Églises et de l'État (1905), ce qui a ralenti lesinitiatives en matière d'art religieux pour deux décennies. Des artistes, évoluant le plus souvent au sein degroupes ou de mouvements divers, ont fait état d'une quête spirituelle, que plusieurs ont pensé retrouver dans l'artmédiéval.

C'est le cas de Maurice Denis (1870-1943) qui se révèle un témoin privilégié de l'art sacré, en publiant dès 1890,des articles salués par Paul Valéry qui lui écrivait : « J'aime beaucoup que le peintre que vous êtes soit aussil'écrivain qu'il est » ( Lettres à quelques-uns). À deux reprises, ces articles furent repris dans des volumes au titresuggestif, Théories. 1890-1910. Du symbolisme et de Gauguin vers un nouvel ordre classique  (1912) et  NouvellesThéories. Sur l'art moderne, sur l'art sacré, 1914-1921   (1922). Maurice Denis s'est impliqué dans l'art sacré nonseulement par ses œuvres et ses écrits, mais en fondant en novembre 1919 à Paris, avec Georges Desvallières(1861-1950), l'un des principaux groupements d'artistes chrétiens, les Ateliers d'art sacré, dont le programme estnourri de ses réflexions sur l'art.

Le but était de faire renaître l'atelier médiéval que la Renaissance avait supprimé. Cette idée apparaît déjà dansles  Notes sur la peinture religieuse   (1896) : « Si Dieu m'avait donné de naître quelques siècles plus tôt, àFlorence au temps de frère Savonarole, certainement j'aurais été de ceux qui défendaient, avec une ardeur puérileet violente, contre l'envahissement du paganisme classique, l'esthétique du Moyen Âge. [....] J'aurais conspué laRenaissance. » Ce retour à ce que l'on croyait être l'essence de l'art médiéval, Maurice Denis l'avait vécu dans lesymbolisme, dont il donnait sa propre définition : « J'ai toujours attaché beaucoup d'importance à l'idéesymboliste. C'était vraiment une lumière pour des esprits navrés de naturalisme, et en même temps trop épris de peinture pour donner dans les rêveries idéalistes. » Il y voyait « la tentative d'art la plus strictement scientifique.

Ceux qui l'ont inaugurée étaient des paysagistes, des nature-mortistes, pas du tout des „peintres de l'âme“...C'étaient des esprits passionnés de vérité, vivant en communauté avec la nature, et je crois bien aussi, sans

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5.  Les principes esthétiques

6.  Les femmes et l'art sacré

métaphysique. S'ils furent amenés à „déformer“, à composer, et finalement à inventer de surprenantes formules,c'est qu'ils voulurent se soumettre aux lois d'harmonie qui régissent les rapports des couleurs, les agencementsdes lignes (recherches de Georges Seurat, Émile Bernard, Camille Pissarro) ; mais c'est aussi pour apporter plusde sincérité dans le rendu de leurs sensations ». Ce texte bien antérieur à l'ouverture des Ateliers contient toutesles clés de l'esprit dans lequel le travail allait être mené. La peinture y était enseignée en même temps que la peinture sur verre, d'autres sections étant vouées à la sculpture, ainsi qu'à des formes artistiques plus directementliées au culte : broderie et chasublerie, gravure et imagerie – et l'ensemble mis au service des commandesnombreuses à partir de 1919.

Maurice Denis s'est fait théoricien face à la génération montante des artistes qui, après 1910, se réclamaientdavantage du pouvoir de l'instinct. Une note inscrite dans son  Journal  en janvier 1909 montre son intérêt pour « des élèves, et qui vous écoutent, et qui tirent profit, non seulement des idées qu'on leur donne, mais des motsdont on se sert pour parler ». C'est ainsi qu'il a publié en cette même année 1909 une synthèse intitulée  DeGauguin et de Van Gogh au classicisme, reprise dans Théories   (1912) et dédiée  À   [ ses] chers élèves del'Académie Ranson, où l'on trouve exposés les éléments fondamentaux de sa pensée artistique, confirmés dans  LeSymbolisme et l'art religieux moderne (1918, réédité dans  Nouvelles Théories 1922).

En réaction à l'académisme du XIXe  siècle qui avait entretenu à tort la confusion entre l'objet créé par l'artiste etle spectacle de la nature, le symbolisme est défini comme « l'art de traduire et de provoquer des états d'âme au

moyen des rapports de couleurs et de formes. Ces rapports, inventés ou empruntés à la nature, deviennent lessignes ou symboles de ces états d'âme : ils ont le pouvoir de les suggérer. L'artiste doit chercher, selon le mot deCézanne, non pas à reproduire  la nature, mais à la représenter , par des équivalents, des équivalents plastiques.C'est le moyen d'expression (lignes, formes, volumes, couleurs), et non l'objet représenté, qui doit lui-même êtreexpressif ». Pour Maurice Denis, cette définition de l'œuvre d'art pouvait, et même devait être mise au service del'art chrétien, car elle conduisait à l'alliance entre la décoration et l'expression, entre l'« ornement et [la] poésie »et à « fuir le trompe-l'œil et le mensonge ». Ce qui est agréable à l'œil doit également nourrir l'esprit et, commeau Moyen Âge, doit enseigner, c'est-à-dire être édifiant ; or l'édification passe par le maintien du sujet en peinture – affirmation courageuse à une époque où la mode était au rejet du sujet par crainte du sentimentalisme. Mais,l'effort de sincérité demandé à l'artiste devait lui éviter de tomber dans l'imagerie « doucereuse » ou dans « la peinture d'histoire appliquée à la religion ». En conclusion, « l'artiste chrétien nous doit donner un art vivant, tiréde son propre fond, et parler le langage du cœur. Adopter une telle méthode, chercher les correspondances entreles signes plastiques et les modalités de sa propre sensibilité religieuse », voilà l' ascèse qui offrira un art chrétien

 pour notre temps. C'est ce qui est pratiqué aux Ateliers d'art sacré, où pour enrichir l'expérience de l'artiste, outreles cours dispensés sur le dogme, la théologie, la philosophie et bien sûr les différentes techniques, il estrecommandé de « vivre une vie » empreinte de foi chrétienne.

Dans cette atmosphère se sont formés, en effet, des artistes dont les œuvres et la personnalité ontincontestablement marqué leur temps, à commencer par le père dominicain Marie-Alain Couturier, qui jouera unrôle majeur après la Seconde Guerre mondiale sans jamais renier sa formation initiale de peintre et de verrier.

La Première Guerre mondiale ayant causé de lourdes pertes dans les rangs masculins, les femmes prirent une place de premier plan dans bien des domaines, tout particulièrement dans le domaine artistique. C'est une femme,Valentine Reyre (1889-1943), qui, dès 1917, avait fondé en compagnie de l'architecte Maurice Storez le

mouvement de l'Arche dont les exigences spirituelles, la recherche de vérité et le refus du pastiche sont très proches des professions de foi de Maurice Denis. Du reste, Valentine Reyre collabora avec les Ateliers d'artsacré, par exemple pour le chemin de croix de Coulans-sur-Gée, Sarthe (1919). Elle pratiqua toutes les formes de peinture, y compris monumentale comme la fresque et le vitrail.

Marthe Flandrin (1904-1987), petite-nièce du peintre Hippolyte Flandrin, est une autre figure marquante. Membredu groupe des Catholiques des beaux-arts, où s'était créée une section féminine en 1926, elle travaillafréquemment avec Élisabeth Faure pour la réalisation de vastes compositions murales, telle la Vie de sainteCatherine de Sienne à l'église du Saint-Esprit dans le XIIe arrondissement à Paris (1932-1934) ; elle pratiquaégalement la sculpture et la céramique.

Tout comme Marguerite Huré, mais dans un registre tout en finesse et subtilité, Pauline Peugniez (1890-1987)s'illustra surtout dans le renouveau du vitrail au côté de son mari, Jean Hébert-Stevens (1888-1943), peintre-verrier qui travailla sur les cartons de nombreux artistes.

En dépit de leur présence sur tous les chantiers et de leur pratique des diverses techniques, y compris

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7.  Quelques grands moments de l'entre-deux-guerres

monumentales, les femmes artistes n'ont malheureusement pas encore fait l'objet d'études approfondies.

La montée de l'ère industrielle s'était accompagnée de bouleversements sociaux avec, pour corollaire, l'afflux de populations ouvrières vers les villes. Dès la fin du XIXe  siècle, des prêtres avaient engagé auprès de ces populations une évangélisation dans la tradition du catholicisme social, une situation à laquelle avait répondu

l'organisation de nouvelles paroisses. La loi de séparation de 1905 mettait en quelque sorte l'Église face àelle-même : elle devait assurer son œuvre édificatrice sans l'intermédiaire des services officiels de l'État. Pour lediocèse de Paris, une commission d'architecture religieuse avait été « instituée au lendemain de la séparation envue de suppléer aux garanties de goût, de sécurité, de compétence que les Comités techniques de l'administrationcivile donnaient aux autorités diocésaines sous le régime du Concordat » (revue  Le Rationaliste, déc. 1913).

Après 1918 et le choc de la guerre, il fallut regagner le terrain perdu. La construction d'édifices nouveaux fut plus précisément encadrée par l'archevêché, ce qui conduisit à la fondation, à la fin de 1930, de l'Œuvre desnouvelles paroisses de la banlieue parisienne, bientôt connue comme les Chantiers du cardinal par référence aucardinal Verdier, sacré archevêque de Paris en 1929. Les entreprises du début du XIXe  siècle avaient encore pour référence obligée les différents styles médiévaux, où Simon Texier perçoit « la concrétisation de l'étude ou de larestauration d'églises anciennes ». Pendant l'entre-deux-guerres au contraire, la vision de l'art sacré, proclamée en particulier par Maurice Denis, imprègne les architectes pour qui construire une nouvelle église est un acte de foi.Parmi les plus connus, citons Paul Tournon (1881-1964) qui exerça ses talents non seulement à Paris (église du

Saint-Esprit) et dans sa région, mais aussi en province (Saint-Honoré d'Amiens, qui reprend le plan du pavillon pontifical de l'Exposition internationale des arts et techniques de 1937 à Paris), et même au Maroc (Saint-Josephà Rabat et le Sacré-Cœur à Casablanca) ; Henri Vidal (1895-1955), connu pour Sainte-Marie-Médiatrice à Paris etsurtout pour le monastère de la Nativité à Sens ; Julien Barbier (né en 1869), auteur d'une cinquantaine d'égliseset chapelles construites sur le territoire français. Ce qui distingue ces architectes, c'est le refus du pastiche, larecherche sur les matériaux modernes et la conception d'ensemble du monument, avec son décor.

Cependant, ils ne se situent pas à l'avant-garde en matière de création architecturale dont les grands représentantsdu moment, tels Henri Sauvage ou Robert Mallet-Stevens, fourniront des projets d'églises qui ne seront jamaisréalisés. C'est à Auguste Perret que revient l'honneur d'avoir construit l'édifice le plus révolutionnaire de sontemps, Notre-Dame-de-la-Consolation au Raincy (terminée en 1923), une commande à resituer dans le cadre de laréconciliation nationale placée sous le signe du souvenir : en effet, le chanoine Nègre, curé du Raincy et maîtred'ouvrage, la dédiait à la mémoire des morts de la bataille de la Marne. C'est une architecture placée sous le

signe de la solidité et surtout de la vérité – pas d'enduits menteurs, pas de masques, comme disaient Paul Valéryet nombre de ses contemporains –, ce qui se traduit dans la simplicité du volume et dans le fait que toutes lescomposantes techniques (supports, articulations des éléments) sont facilement lisibles. Cet édifice est dans sonessence l'héritier direct de ses lointains prédécesseurs du Moyen Âge et c'est avec les mêmes termes qu'il peutêtre décrit : ce grand volume unifié se compose en effet d'une nef encadrée de deux collatéraux, sans transept ; sahauteur, sensiblement la même dans les trois parties, l'apparente aux églises-halles si prisées des ordres mendiantsdès le XIIIe  siècle ; ses voûtes, surbaissées, peuvent être lues comme un berceau sur la nef, accosté latéralement par une suite de berceaux transversaux reposant sur une file de colonnes. Les parois tout autour de l'édifice sontdes claustras ajourés, dessinant à chaque travée une grande croix ; au centre de chaque croix, Maurice Denisréalisa des vitraux peints sur le thème de la vie de la Vierge – avec une exception : l'évocation de la bataille dela Marne – que Marguerite Huré entoura d'un jeu de verres de couleurs modulés par des lavis peints, renouvelantainsi avec bonheur le vitrail décoratif, un genre très apprécié pendant tout le Moyen Âge. Le même type declaustra se retrouve, mais sans insertion de vitrail, pour le mobilier (ambon, tribune de l'orgue, etc.). Les moyens

financiers étant limités, Auguste Perret utilisa le béton brut de décoffrage sans décor dissimulateur, mettant en pratique cette assertion empruntée à Fénelon : « Il ne faut admettre dans un édifice aucune partie destinée au seulornement ; mais, visant toujours aux belles proportions, on doit tourner en ornement toutes les parties nécessairesà soutenir l'édifice » (Discours à l'Académie française, 13 mars 1693).

Peu après la consécration du Raincy (17 juin 1923), le projet de Perret pour l'église Sainte-Jeanne-d'Arc, près dela porte de la Chapelle à Paris, fut écarté et le concours lui-même donna lieu à une polémique provoquée par lechoix du projet « gothique » (1932-1938) de Georges Closson qui relança les questions du pastiche et dumatériau. Le débat ne cessa de rebondir, alimenté par la présence de pavillons religieux aux grandes expositionsinternationales organisées entre les deux guerres.

Ainsi, à l'Exposition internationale des arts décoratifs   et industriels modernes de 1925 à Paris, des initiatives privées encouragèrent la présence de l'art religieux à travers six églises ou oratoires, auxquels il faut ajouter le pavillon des Cloches et Sonneries et le pavillon des Vitraux, le plus visité, où tous les peintres-verriers, en

 particulier ceux des Ateliers d'art sacré, exposèrent leurs vitraux sous la houlette du peintre-verrier JacquesGruber. L'église du Village français, à laquelle Maurice Denis apporta son concours, fut de loin l'entreprise la

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8.  Le tournant de 1945 et la « querelle de l'art sacré »

 plus ambitieuse. Construite par l'architecte Jacques Droz de la Société de Saint-Jean, elle regroupa les œuvresd'artistes membres des Ateliers d'art sacré, des Catholiques des beaux-arts et des Artisans de l'autel – pas moinsde seize peintres, sept sculpteurs, cinq peintres-verriers et deux ferronniers. Ce qui a retenu l'attention du cardinalDubois, fort intéressé dans ses publications par ces manifestations de la vitalité de l'art sacré. À l'Expositioncoloniale internationale organisée à Paris en 1931, en hommage à l'œuvre civilisatrice de la France, l'architectePaul Tournon fut chargé par l'archevêché de construire la chapelle des missions, une incontestable réussite ornéed'immenses verrières dans le chœur et d'un ensemble de sculptures sur le thème de l'évangélisation. Aprèsl'Exposition, cet ensemble fut remonté au Cygne d'Enghien (Épinay-sur-Seine) et consacré le 31 mars 1932 sous

le vocable de Notre-Dame-des-Missions. En 1937, c'est-à-dire un an après l'arrivée au pouvoir du Front populaire,les promoteurs de l'Exposition internationale des arts et techniques n'avaient pas associé au programme officielles responsables d'instances religieuses, qui tournèrent la difficulté en exposant les Artisans d'art et de foi sousl'égide du Vatican : le Pavillon pontifical, construit par Paul Tournon et décoré par une équipe constituée autour de Maurice Denis, assura seul la présence de l'art sacré au sein de la manifestation. Les vitraux   en furentremontés à Notre-Dame de Paris, afin de rendre à la haute nef une lumière plus vivante que celle qui avait étéhéritée de la restauration de Viollet-le-Duc : soutenue par le père Marie-Alain Couturier, Jean Hébert-Stevens etPauline Peugniez, l'expérience provoqua une véritable tempête, liée en grande partie à la stylisation outrancièrede certaines œuvres. Pourtant, c'est l'Exposition du vitrail organisée en 1939 au Petit Palais à Paris qui fit briller l'art sacré d'un dernier éclat à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Le père dominicain Marie-Alain Couturier (1877-1954), ancien collaborateur des Ateliers d'art sacré, était une personnalité très écoutée en matière d'art religieux dans les années 1930, d'autant plus qu'il publiait régulièrementses réflexions dans de nombreux ouvrages et articles, en particulier pour la revue  L'Art sacré. Sur le vitrail, par exemple, dont il rappelait le rôle : « la lumière du jour ne [doit] pas troubler notre lumière intérieure » ; plusgénéralement, il mettait l'accent « sur une certaine valeur d'humanité [...], de sensibilité », qui pouvait êtreappliquée à toutes les expressions artistiques. Son séjour obligé aux États-Unis pendant la guerre le mit encontact avec d'autres artistes en exil et le conduisit à prendre du recul par rapport à une stylisation arbitraire et àun art moderne figuratif par trop caricatural. De retour en France à la fin des hostilités, c'est-à-dire en pleinereconstruction, il encouragea quelques grands chantiers, comme Notre-Dame-de-Toute-Grâce sur le plateaud'Assy, en Savoie, consacrée le 4 août 1950. Autour de l'architecte Maurice Novarina, une équipe réunit les plusgrands noms du moment : F. Léger pour les mosaïques de la façade (réalisation T. Strawinski et Antoniotti), les peintres P. Bonnard, G. Braque, M. Chagall, H. Kijno et H. Matisse, les sculpteurs G. Richier et J. Liptchitz ;J. Lurçat donna les cartons d'une tapisserie (tissée à Aubusson), J. Bazaine, J. Berçot, M. Brianchon, M. Chagall,le P. Couturier et G. Rouault ceux des vitraux (réalisés en majorité par P. Bony qui ouvrait la voie suivie plustard par B. Simon et C. Marq) auxquels furent jointes les œuvres de peintres-verriers (M. Huré, égalementinterprète de J. Bazaine, P. Bony et A. Hébert-Stevens). L'ensemble ne passa pas inaperçu et l'affaire du   Christ sculpté pour le maître-autel par Germaine Richier résume à elle seule l'étendue du scandale : déposé en 1950 à lademande de l'évêque d'Annecy, il ne reprit sa place qu'en 1971. Cependant, le fait que le cinquantenaire de laconsécration d'Assy ait été inscrit parmi les célébrations nationales en août 2000 montre le chemin parcouru.

La critique venait en partie des opposants à l'art figuratif. En effet, un courant de pensée se développa à l'abbayede la Pierre-qui-Vire, autour de la revue  Zodiaque, dont le premier numéro (mars 1951) s'ouvrit sur un plaidoyer  pour l'art sacré abstrait. Sans rejeter absolument la figuration, « il est bon, de temps à autre, qu'unenon-figuration vienne nous rendre le sens du mystère, du caché, du sacré. Il faut même que cette non-figurationvienne baigner la figuration, l'immerger, la résoudre dans l'éternel et l'immuable ». Face aux réalisations d'Assy,le jugement tomba : « Réfugié dans l'expressionnisme, l'art chrétien moderne dans son ensemble s'oppose

radicalement au Sacré. L'expressionnisme ne saurait atteindre Dieu, l'Immuable » (1952). À la même époque,mais dans un autre esprit, le peintre Gino Severini, répondant à une question concernant le retour de l'art abstrait,dressa le bilan suivant : « À Byzance, on avait compris qu'une représentation trop matérielle de la réalité étaitnuisible à l'esprit religieux. On parvint à établir un „compromis“ en excluant la troisième dimension. Mais lemodelé réapparaît déjà dans l'art religieux avec Cimabue [...]. Aujourd'hui, nous avons fait le chemin inverse enrevenant à l'art abstrait. J'y suis arrivé de mon côté à la même époque que les débuts du cubisme, avec la divisionde la forme ramenée à ses éléments essentiels » (entrevue avec G. Cattaui, Fribourg, Suisse, vers 1950).

Une fois encore, l'histoire du vitrail  est exemplaire. Dès 1948, le chanoine Ledeur, dont Alfred Manessier disaitqu'il avait su « faire surgir „l'intelligence des choses“ par les relations d'affinités secrètes qu'il avait établies avecl'art contemporain, malgré tous les risques et tous les obstacles », commanda à l'artiste des vitraux abstraits pour une modeste église franc-comtoise du XVIIIe  siècle, Les Bréseux. Cette réussite permit au vitrail abstrait d'entrer dans les églises classées Monuments historiques, à commencer par la cathédrale de Metz où l'architecte en chef 

R. Renard invita J. Villon, R. Bissière et M. Chagall (transcrits par C. Marq et B. Simon, à partir de 1955), et Notre-Dame de Paris confiée au peintre-verrier J. Le Chevallier (1954-1965) : l'impulsion donnée ne s'est plus

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9.  Visions nouvelles

arrêtée.

Le concile Vatican II (1962-1965), en réorganisant la liturgie, donna l'occasion de réviser le décor des églises.Les commissions diocésaines d'art sacré, en collaboration avec le Centre national de la pastorale liturgique etavec la direction du Patrimoine pour les édifices classés, ont à leur actif des réalisations importantes dans des

domaines très variés : depuis le mobilier, les objets et les vêtements liturgiques jusqu'aux composantesmonumentales, telles que des ensembles de vitraux (cathédrale de Nevers, Sainte-Foy de Conques, Notre-Damede Talant, etc.) répondant à une grande variété d'inspiration.

Par ailleurs, de nouvelles constructions, parmi lesquelles la cathédrale d'Évry (Mario Botta), l'achèvement de cellede Lille (1999, façade de Peter Rice avec un portail de Jeanclos et une rose en verre thermoformé de LadislasKijno) ou le chantier de Notre-Dame-de-la-Pentecôte à la Défense, montrent que l'intérêt pour l'art sacré est bienvivant. Il est cependant difficile de porter un regard objectif sur ces édifices et, comme toujours, le temps ferason œuvre : « Évitons l'idolâtrie, c'est-à-dire le culte de nous-mêmes, le culte de l'artiste » (M. Denis, 1918).

Françoise PERROT 

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Thématique

Classification thématique de cet article :

ARCHITECTURE RELIGIEUSE AU XXe SIÈCLE, France

ART SACRÉ L', revue

ART SOUS L'OCCUPATION

BAZAINE JEAN (1904-2001)

BONY JACQUES (1918-2003)

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Autres références

« ART SACRÉ » est également traité dans :

 Auteur : Simon TEXIER

Dans le chapitre "L'appel aux « grands »" : … Jacques Maritain avait soulevé le problème, dans son ouvrage Art et 

 scolast ique (1920) ; *c'est toutefois le père Couturier qui sera, après 1945, le principal artisan de ce renouveau théorique. Décidé à

 pallier la médiocrité de l'art sacré produit par ses contemporains, ce peintre devenu dominicain – et directeur, avec le père Régamey,

de… Lire la suite

 Auteur : Françoise CAUSSÉ 

*La petite revue monochrome  L'Art sacré  dont l'existence s'échelonne de 1935 à 1969 s'est rapidement imposée par la rigueur de son

contenu et par les qualités de sa présentation. Consacrée à la fois à l'art et à la spiritualité, elle fut seule de son genre en France

 jusqu'en 1955. Son apogée a… Lire la suite

 Auteur : Laurence BERTRAND DORLÉAC 

Dans le chapitre "La tradition nationale" : … même qu'ils avaient répondu aux commandes du Front populaire, de même ils

travaillèrent bientôt aux *chantiers collectifs d'art sacré, réunis autour des idées réformistes des pères thomistes Couturier et Régamey,

qui dirigeaient la revue  L'Art sacré  depuis 1937. En affirmant que tout art est d'une certaine façon religieux, Bazaine et ses… Lire la

suite

 Auteur : Thierry DUFRÊNE 

… et abstraction, son livre  Notes sur la peinture d'aujourd'hui (1948) rend compte. *Ami d'Arland, de Bernanos, de Frénaud, Bazaine

devient un des rénovateurs de l'art religieux et, comme tel, l'un des protagonistes – avec sa mosaïque monumentale d'Audincourt

(1951) – de la „querelle de l'art sacré“ en 1952. Bazaine est alors un des… Lire la suite

 Auteur : E.U.

… Peintre-verrier,* artisan du renouveau de l'art sacré en France. D'abord attiré par le théâtre, Jacques Bony entre à l'École des arts

décoratifs en 1943. L'année suivante il crée son premier vitrail et rejoint son frère aîné Paul, lui aussi peintre-verrier, à l'atelier Hébert-

Stevens, qui accueille depuis 1924 des artistes tels que Maurice Denis,… Lire la suite

Bibliographie

A. CINGRIA,  Décadence de l'art sacré , Préf. de P. Claudel, nouv. éd., À l'art catholique, Paris, 1930

P. R ÉGAMEY,  La Querelle de l'art sacré, Paris, 1951

 Art sacré au XX e siècle ?, Cerf, Paris, 1952

C. BOURNIQUEL & J. GUICHARD-MEILI,  Les Créateurs et le sacré, textes choisis, Cerf, 1956

M.  ELIADE,  Le Sacré et le profane, éd. franç., Gallimard, Paris, 1965

P. REVERDY,  Note éternelle du présent. Écrits sur l'art (1923-1960), Flammarion, Paris, 1973

 Arts contemporains et édifices anciens , Cahiers de la section française de l'I.C.O.M.O.S., Paris, 26-28 nov. 1981

M.-A. COUTURIER ,  Art sacré , rééd. De Menil Foundation, Herscher, Neuchâtel, 1983

 

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