Artaud Et La Theorie Du Complot

8/18/2019 Artaud Et La Theorie Du Complot

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Mehdi Belhaj Kacem

Artaud et la héorie

du compo



MEHDI BELHAJ KACE

aux Éditions Trisram

caner, roman 1994

réit, 1994

Vies et mors d'Irène Lepi, roman 1996

LAntéforme récit, 1997

Esthéque du haos, 2000

Soiety, 200

L'Essene n de l'amou, coéditon Fayard, 200

Événement et répétton, 200L'Aet, 200

eX istenZ, 2005

Artaud et a théorie du omplot, coec ion Souple n° 31, 205

(bibiographie compète en fn de voue)



Mehdi Belaj KacemA et la h; ridu mp

Préface de Jean-Paul Chavent



Tous droits réservés

© Édions Tris, 2015

Cpac caalg :am -BP 9 - 3Ach cx

[email protected]



Péfacepar JEANPAUL CRAVENT

Pourquoi écririons-nous, sinon?

C'est à Guéret, dans la Creuse. es encontres

de Chaminadou, à 'initiative de Pierre Michon,

pissance ivtante, et d'Hugues Bacheot, déli

cieux oganisater (et petit-neveu de Marcel

Jouhandeau, 'ù le nom de es journées)

e 20 septembre 2014, Mehdi Belhaj Kacem

a la chage e clre la séie des conférences

consacrées cette année à tonin taud De

puis trois jors, universitaires, écrivains, ns

conaisseurs de l'œuvre se succèent pour des

inteventions souvent brillantes, arfois délec

tables, toujours passionnantes comme il est

usage à Chaminadour et tout particlirement

cete année pour cette 9e édition Or voilà que

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souain une présence, une paroe tranche sur

discors des spéciaists qi 'ont précédée

« Artau et a théorie du compot» est e titreannoncé e 'intervention kacémienne, mais

c'st 'une expérience d'incarnation e ce thème

(parmi 'atres) q'i va s'agir, car tene ici par

un phiosophe qi ne it qu'n avec ses écrits

t ont a paro et es ivres, arrachés au néant

ont i se voit cerné, ntrent en résonane aussi

ien avec 'univrs d'Artaud qu'avec e monde

e Michon. Disons pour aer vite qu'ils par-

tagent cette «reigion de substitution» qu'aura

été une crtaine idée de a ittérature Cele qui,

parfois, iumine e vide

Jouissance t souance du dire réunis dans

a voix Agère e a Tragéie et jamais son

Spectace. L'émotion qui vient ans a dition,

d'aord hurtée, comme empêchée, n'est pas

d'emée communicative. C'est 'inteigence,

a hautr du propos qui 'est La pissanceémotionnee qui naît e 'énigme d'un savoir et

'un vécu sur esqus e soue ricoche avant

e creuser usqu'à égager 'amper de a vue,

a ongu histoire, et de repacer rta, mais

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assi Miho, et avant eux Hôlderli pour e

citer qu'n om, dans cette parentèe où se

recoaissent cex, rares dans tous es siècles,qui ot dû revêtir de mots la udité de otre

humaine codition à seule n de la déuder

mieux encore (évitons e cliché jusqu'à l'os!),

mais dans la rme qe récame chaqe is ue

incomparabe sigularité.

héroïsme de a phrase, la violece à l' œuvre,

celle de la société qi les suicide à moins qu'is

e la retournet pour e fire n moter. art

et la douleur : la généalogie de cette souance

qe s'inige l'être humain, e pus technique-

met sophistiqué des aimax Le rapport à

l'Histoire, a passé, la passe potmoderne,

le cynisme et le don, et derrière 'image fcile

d « sicidé de la société », la question d Mal

enn, celle qui occpe désormais le travail de

MBK.

Das la salle, à la f, la gravité boueversée detos. Ges e larmes. Ovaion debot Bravos.

Sesation de participer pus qe d'assister à

ce q'une pesée vivate sscite, provoque

et icare : rie de mois, en ces Très Riches

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Heures de Chaminadour, que l'invention d'une

communaué possible

Pourquoi écririons-nous, sinon? ourquoi lirions

nous, sinon?

Oui, pourquoi, pour qui? C'est pour ça qu'on

a pleuré de joie,u matin de septembre 2014, à

Guéret.

J-P C.



ARTUD

ET L THÉOIE DU COMPOT





« Mn che acqes

je m'étais ptant jé de ne pas y céde

de fie t p l'évite de ne pas me aisse

enaîner. Une phase n pe tp empha-

tiqe mais bstinément écente, le dsat : je

ne vex pas smbe; je ne vex as ce et

sans n des mêmes démns ; e ne vex pas

cette ste de "essassement étenel.

Tès vte néanmins j'a s que c'état im-

pssble. Stctement impssible .

Une atre phase als nn mins empha-tqe je le cains est vene se ponnce en

mi : je sacierai dnc à 'atbgraphe. J'y

sacea. Et lsqe j'ai cmps qe cette

phase il fdrait bien qe je la pnnce

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publiquement, pour commencer, le plus juse

m'a semblé aussitôt de laisser simplement

résonner, avec ous les harmoniques, le motredoutable qui venait ainsi de s 'imposer :

j'y sacrierai Sans en dire davantage

Je pense, je sais, que vous entendrez. Et toi

Jacques, le premier »

Ces phrases, à la fis pahétiques et héro-

ques, et qui sont de Philippe LacoueLabarthe

le sont d'autant plus, héroïques, qu'elles ont été

prononcées dans un cadre incongru, puisque

universitaire ; lors d'un gigantesque colloque

international consacré à Jacques Derrida et

dont les actes ont été recueillis dans u énorme

pavé sous le titre J animal autobiographique.

Elles cmmencent une conérence étouris-

sante où LacoueLabarthe parle de Insantd

ma mort de Blanchot, mais évoque aussi le lien

qui unit autobiographie et « mort antérieure »chez Montaigne, Rousseau Chateaubrian

Malra . et Artaud.

Quand on m'a soumis, il y a de cela uel-

ques mois, le projet de ce colloque autur

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d'Antonin Araud, mais sous l'invocaion de

Pierre Michon, e qu'au surlus on a exigé de

moi un titre, oliment mas ermement, surle mode « et qu'ça saute ! », j 'a répondu du

tac au tac, moitié ar rovocaion bravache,

moitié our me rcer à aller à l'essente :

« Artaud et la théorie du comlot » . C 'était

fute de meux : on me sollcitait à un moment

où j'étais plongé dans une sorte de rocrast-

naton neurasthénque deuis deux ans, deux

années au cours desquelles j'avas sérieuse-

ment envisagé de m'oérer vivant de toute

littérature, et en articulier de cette rme de

littérature qu est celle que je ratique deus

lus de dx ans, et qu'on aelle ecore, eut-

êe imrorement, la hilosohe.

'exagère évdemment un eu, je n'a as

totalement cessé d'écrire ou de lre deis deux

ans, mais enn sur le nd c'est vra : même s

j'ai sacrié, dans certaines circonstances, à cequ'on aelle l'interventon ublque, l'envie

domnante t réellement d'en nir, de fçon

ararmbaldenne, avec tout ce qui avat trait

à ce qu'il est convenu d'aeler la culture. Je

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vous ai donc lu, pour enrer en matière, le texte

de Lacoue, qui me bouleverse toutes les is

que je le relis, parce que je n'ai pas trouvé demeilleur moyen de moins pahétique de

vous fire part de mon état d'esprit. À la is

désir et paniqe, enthousiasme et erreur, de

participer à ce colloque, après deux années à

ne quasiment rien fire, autant dire une éter-

nié. Ne rien fire, à part éventuellement, sans

cesse, ressasser : chasser les vieux démons,

que la présente invitation, et ce que ça impli-

quait taud, autant dire tout , fisait reve-

nir au galop. Mais enn, puisque je suis là,

sacrionsy.

Le thème du complot, on le sait, est qua-

siment omniprésent dans ce qu'on pourrait

appeler le dernier taud, et à u niveau jamais

atteint à ce pointlà dans l'histoire de la littéra-

ture. Je prélève des phrases dans la conérence

du VieuxColombier, où l'on sait qu'Artaudvoulait justement exposer à un public congrû-

ment lettré le complot dont il avait été sujet,

et, ce qui es encore moins anodin, qu'il n'est

pas parvenu à la prononcer comme il voulait.

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Le ire qu'a donné Artaud à oue cette

conérence, e on y reviendra, est out un pro

gramme : « Histoire vécue d'taud-Mômo ».taud n e dit pas « vie », et il ne dit pas non

plus « histoire ». Il dit bien : « Histoire vécue » :

autant dire que l'expression d'animalité aut

biographique ne s'applique à nul autre mieux

qu'à lui . « J'ai été victime d'un crime social

où tou le monde peu ou prou a trempé un

doigt, ou, du mons, le cil d'une paupière. »

Ailleurs, Artaud évoque « . . . une sale histoire

de police où aussi bien la police irlandaise, que

la sûreté générale ançaise, que l'intelligence

service eurent partie liée », une sale aaire de

police, ajoute-t-il, « ma sale aaire de police »,

dit-il même, <c qui est une aaire d'interne

ment arbitraire mainenu pendant neu ans,

compliquée de mise au secre, d'empoisonne

ment, d'agressions e d'assassinats ». Artaud,

de cette histore, ne nous épargne aucun détailragoûtant : il t cet <c empoisonné que l'on

furrait en cellule, nu sur une paillasse avec

une simple chemise sur le corps, [qui] avai

dysenterie sur dysenterie et vomissement sur

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vomissement, et dans les cellules les W.-C

sont constitués par n trou à même le plancher

et qu'il fut vider à la main Et je me souvien-drai toujours de ce matin où après ne nuit

de coliques atroces, l'inrmier, entrant dans

ma cellule ( . ) s'écria : A, dieu de dieu de

ms aïe, pour une chiasse, c'est une chiasse

et on n'a jamais v une chiasse comme cela »

taud est rml : il a été littéralement tor-

turé « J'ai suoqué sous la camisole, dans

un état voisin du cercueil, pendant 17 jours

à l'hôpital du Havre, avec les pieds attachés

au lit » « Trois ans de séquestration totale

pendant lesquels je n'étais plus M tonin

Artaud, né à Marseille le 4 septembre 1896,

mais une espèce de hidex suspect que l'on

avait le droit d'encamisoler, de mettre en cel-

lule, d'aamer et d'emprisoer omme on le

voulait, et l'administration des asiles où je me

trouvais fisait répondre aux amis qui venaientdemander de mes nouvelles que j 'étais mort »

« Pendant les trois premières années de mon

internement, j'ai été mis au secret et déclaré

mort dans les asiles où je me trouvais ( )

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j'ai été systématiquement et jour après jour

empoisonné ( . . . ) je dis empoisonné, drogué,

frcé à absorber des poudres toxiques commeun homme dont on veut à tot prix se débar-

rasser et au sjet duquel les administrations

des asiles où je me rouvais recevaient tous les

jours les cadres venus de beaucoup plus haut et

de beaucoup plus loin que cela ne se pratique

commnément. » « Tout cela constitue ne vie

par trop bizarre, cop de couteau, coup de

couteau, coup de masse sur la colonne, mise

au secret, la cellule, la chiasse, trois ans d'em-

prisonnement. » Artaud ne cesse de prévenir

les accusations de délire et de mythomanie qui

ne manqueront pas d'être déversées contre lui,

il vet les inrmer à l'avance : « Il y a toujours

e beaucoup de sang et de mort dans ma vie

mais tout le monde l'oblie. Parmi tout ce

sang versé le mien occupe une bonne pinte, et

j'ai encore dans le dos les traces de deux coupsdont on ne pourra pas dire que je les ai rêvés,

ces coups de couteau, ni que je délire. » « Je

suis pour la sychiatrie de la société actelle

le tye paait de ce persécté myomane qui

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continue à raisonner sur son cas avec la plus

désarmante lucidité, mais je crois que 5 mois

d'emprisonnement, 3 ans de mise au secret,9 ans d'internement arbitraire sont déjà une

preuve susante que les persécutions dont e

me plains sont un fit et non une idée ( . . . )

et apparaîtraije après oup comme ce mytho-mane obsédé et persécuté si j'avance après

coup qu'il me semble agrant, à moi, que la

société a toujors eu une espèce d'obsession

maniaque à me chercher des poux dans la tête,

à moi qui ne lui avais rien fit. » On n'en -

rait évidemment plus, mais en il fllait rap-

peler es phrases, tout de même conondantes

de littéralité et de précision, pour se mettreu

peu dans le bain.

C'est pour ça que j'ai mentionné le fit,

crucial, qu'Artaud n'est pas parvenu à lire ce

texte en public, alors même que son style, sa

rhétorique presque le moins qu'on puissedire, c'est que la rhétorique, chez le dernier

Artaud, c'est plutôt rare , cette rhétorique est

stratégiqu_ement organisée en vue de l'adresse

publique. Et très vite, en relisant ces textes

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pour moi vitaux, qelque choe s'est it jour.

C'est que le thème du complot, dans la moder

nité étendue, c'et-à-dire depuis la Révolutionançaise, e confnd peut-être bien avec la

Litérare elle-même.

Je m'explique. Songeons au i qu'au

jourd'hui enore, on traite quelqu'un omme

Rouseau de paranoïaque, Rousea, comme

le dit encore LacoueLabare, qui et « le pre

mier ( . . . ) à dramatier le thème de l'injutce,

du tort, de la perécution », thème qui sera por

té à son plu hau degré d'incandescence, don,

par Artaud mai il sut de onger, en amont

e en aval, à Kaa ou Beckett pour prendre la

pleine meure de cete quai-identité d litté

raire moderne et du thème de la perécution .

On l'a beaucoup dit au ujet de aa, juqu'à

en ire une sorte de cliché « point »; mai ce

n'est pa moin vrai, quoique beaucoup moin

remarqué, de eckett. Le thème ate pourant aux yeux : dan [Innommable, peutêtre le

livre à l' inpiraton la plu tupéant du ving

tième iècle, 'est agrant. Il 'agit, puremen

et simplement, d'ne Odysée intériere de la

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persécution comme généralisée, démocratisée;

le livre pourrait avoir été écri hier. Je ne résiste

pas à la citation de quelques passages « Ilsm'amèneront bien un jour à la surfce, ce qui

mettra tout le monde d'accord, sur ceci, quece

n'était pas la peine de s'en donner tant, pour

une si pièe vice, pour de si piètres assassins.

Quel silence alors. » Ou encore «A si seule-

ment ils voulaient commencer, q'ils fssent de

moi ce qu'ils veulent, qu'ils réussissent cette is,

à fe de moi ce qu'ils veulent, je suis prêt à êe

tout ce qu'ils veulent, je suis las d'être maère,

matière, tripotée sans cesse en vain. Ou que de

erre lasse ils m'abandonnent, en tas, dans un

tas tel qu'il ne se trouve jamais plus assez u

pour vouloir lui doer rme Mais ils ne sont

pas d'accord, ils ont beau être tous du même

bord, ils ne savent pas ce qu'ils veulent fe de

moi, ils ne savent pas où je suis, n comment je

suis, je suis comme de la poussière, ils veulentfire un bonhomme de poussière. » Ou encore :

« Mais comment peuventils savo qu'il soue

Le voientils ? Ils disent que oui. Mais c 'es

impossible. entendentils Certainement as.

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Il ne it pas de bri Mais peêre que si, en

pleuran Qo q'il en soit, ils sont tranqilles,

à tort o à raison, il soe, et grâce à eux Ohpas encore assez, ais il t aller oceent

Un excès de sévérité, à ce stade, porrait l

obscurcir l'entendeent pour toujors » On

n'en fnirait abolent plus, tout le livre est

de cette veine ; il e llait arquer le coup

e fnis donc par ceci, qui 'a toujors beau-

cop it rir, au sens d « torbillon d'hila-

rité et d'horrer » dont parle Mallaré : « Je

e emande sr qoi role l'éssion en ce

oment Sur W raiseblablement. M est

abanonné Moi j'attens on tor Oi, je

ne désespère pas, tout copte it, d'attirer

ler attention sur on cas, n jor Non pas

qu'l présente le oinre intérêt, tins, l doit

y avor ne erreur, non pas q'il soit partic-

lièreent intéressant, c'es entndu, j'ai enten-

du, mais c'est mon tour, o ass j'ai le droitd'être reconn impossible, il e sele Cec

ne fnira jaais, intile de se ire des illsions,

si si, ls verront, après oi ce sera fni, ils se

désisteront, ils diront, Tout ça n'existe pas, on

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nous a raconé des hisoires, on li a raconé

des hisoires, qi li, le maîre, qui on, on ne

sai pas, l'éernel iers, c'es li le responsablede ce éa de choses, le maîre n'y es pour

rien, eux non pls, moi moins que persone,

nous avons e ort de nous en prendre les ns

a aures le maîre à moi, à ex, à luimême,

ex à moi, au maîre, à exmêmes, moi à e,

a maîre à moimême, nous soes ous

innocens, assez. »

Ça, c'es pour la liéraure moderne a sens

sric : le « hème de l'injusice, du or, de la

persécion », el que séclarisé chez l'n des

plus grands. Mais le « premier » à « émaiser »

ce hème, nos signale à juse ire Lacoue, c'es

bien Rousseau Rousseau le « paranoïaque »

q'on di ajord'hi encore . Après l'acci-

den raconé dans la seconde promenade des

Rêveries du promeneur solitaire - Rousseau esrenversé par un chien e se acasse le visage ,

Lacoe nos récapile les is : « ne is l'ac-

ciden relaé ( . . . ) le exe de Rosseau semble

s'engluer de fçon incompréhensible dans

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une igression e type paranoïaque", iton

(l'épisoe se situe l'aée même où Rousseau

a en vain tené e époser le manuscrit esdialogues (Rousseau juge de Jean-Jacques) sur

le gran autel e NotreDame e Paris, où il a

distribué ans la rue son libelleÂ tout França

aimant encore la justice et la vérite') : le lene-

main, tout Paris est au courant, ses ennemis

se réjoissent, on l'assaille (la police, maame

'Ormoy), on prépare une éition e ux

qu'on lui attribuera, un journal e province

annonce sa mort, etc., etc. On peut rire ou

compatir. Mais c'est s'aveugler : la persé tion

es bien réelle : epuis au moins l publication

e 'Émile e u Contrat social, livres brûlés e

conamnés, Rousseau est censuré, poursuivi,

bafué, interit par ceuxlà mêmes qu'il arait

pu croire ses amis, humilié, travesti et riicu

lisé, contain à l'errance. Nous sommes en

17 7 6-1777, l uerre civile intellectuelle, etreligieuse (poliicoreligieuse), it rage, c'est

une véritable guerre, tenteraiton e l'étouer

sous l'insouciance. Un événement se prépare,

par la voix e Rousseau justement. »

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Songeons encore au fit qu'on ne sai

toujours pas pour quelles raisons au juste

Hlderlin a éé condamné à êre le premier« cas psychiatrique » de la littérature moderne

ax dernières nouvelles, c'es pour des raisons

politiques : comme Beehoven, qui t sauvé

par s surdité, Hlderli ne savait pas tenir salangue, qui étai révolutionnairerépublicaie

ce qui dans la Prusse de l'époque signiai

out simplemen, et por le dire en termes

<( aroldiens » : zonzon ; e donc ses amis en

avance sur les procès d'aujord'hi où l'on

<( innocente » quelqu'un pour trobls psychia-

triques e l'envoie<( simplement » se ire gué-

rir en clinique araient <( interné » ôlderli

volontairement pour li éviter la prison .

Comme, entretemps il était dénitivemet

devenu <( u », on put le sortir sans crainte

et le coner à la protection du Menuisier

Zimmer. On a là à l'éta matriciel ce qi arri-vera plus d'n siècle plus tard à Ataud. Et en

travaillan sur tout ceci, je me sis aperçu qe

dans des textes que je lis e relis depuis long-

temps, ceux qui ont précédé la chute dénitive

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de Hôlderlin dans ce qu'on a appelé sa flie,

ses derniers poèmes « lucides » mais surtot

ses commentaires sur la Tragédie grecque, quiont une inuence cruciale sur ce que je tente

en philosophie, eh bien rééchissant à tout ça

je me sis aperçu qu'on pouvait y déchier

une théorie oblique du complot, c'estàdire

du pléonasme du complot comme toujours

oblique C'estàdire, même si je ne pourrai

m'y arrêter ici comme il drait, de la théo-

rie du tragique dit « mderne » « Car c'est là

le tragique chez nous, que nous quittions tou

doucement le monde des vivants empaquetés

dans une simple boîte et non que, consumés

dans les ammes, nous expiions la amme que

nous n'avons su maîtriser » C'est cette der-

nière mort, dans les ammes sacrées, qui es

proprement grecque ; nous, nous nous laissons

mettre en boîte Nous mourons ar des mots.

C'est pourquoi Ataud, quand il parle des troisfis où il est mort et il insiste « cliniquement

mot » , ne cesse de dire : « ne vous laissez pas

mettre en bière » Entendons : ne consentez

pas à la mort moderne, ne consentez pas à la

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perséction, ne consentez pas à l'assassinat par

les mots Hôlderlin comme Artad ne velent

pas morir de la manière « moderne », maisgrecqe : consmés dans les ammes, dans

ce qe Hôlderlin appellera « l' errance sos

l'ipensable » L parallèle entre Hôlderlin et

Artad a été pls d'ne fis établi, mais il va à

mon avis bien pls loin q'on ne le dit coram-

ment : il y a chez Artad de pres et simples

paraphrases de Hôlderlin Des paraphrases

qi radicalisent et littéralisent Hôlderlin, mais

enn des paraphrases : j'en ai parlé aillers, e

en reparlerai à l'avenir : il y a des dizaines et

des dizaines d'exemples, tos pls troblants

les uns qe les atres.

On sait qe Kerkegaard, après Ou bien...

ou bien .. . , ne sortait qasiment pls jamais,

q'il était en btte à ne hostilité générale

d Copenhage « intellecel », qe certaine

caricatres pbliées par la presse de l'époqeont déclenché ne véritable psychose, qi l 'a

empêché pendant des mois de selement sor-

tir de chez li, et qi de tote çon le f se

sentir jsq'à sa mort mort de pavreté pre

26



et simple, j'y reviendrai comme un monstre,

u nonhumain, une bête de cirque, pour uti-

liser le mot de Tiphaine Samoyault. Ceux qil'ont lu savent que le premier ierkegaard a

écrit des choses éblouissantes sur la fgure de

Don Juan, se reconnaissan évidemment lui-

même, pour des raisons autobiographiques

dans le personnage ; eh bien, suite à la cabale

que lança contre i l'intelligentsia copea-

guoise ou ce qui en tenai lieu, du jour a len-

demain il se senit pltôt comme Quasimodo

comme une bête, un monstre, un déchet. D'où

l'identifcation a Christ, question qi ressur-

gira on le verra, avec AtaudL restant de la

vie de Kierkegaard t vécu et resseni comme

un chemin de croix; por ne rien arranger, et

on ne le sait pas assez il se mit pour le sppor-

ter à soir d'un mal dont je crois, sans vou

loir être désobligeant, q'un certain nombre

de personnes ici résentes souent, à savoir,n alcoolisme absolment chroniqe. Hé oi !

le grand Kierkegaard, pour tenir, écrivait por

l'essentiel la nit debot à un pupie, alter-

nant les généreuses rasades de cognac et les

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tasses de caé très noir, ce qui donne une idée

de ce à quoi devaient ressembler, ensuite, ses

journées, surout dans ces pays notoirementlumineu que sont les pays scandinaves. Une

vraie vie de crevard. Mais aussi une passon,

une çon perormative, 'ai presque envie de

dire sportive, de concevoir la pensée, qui pré-

gure, en mode protestant et intériorisé, la pas-

sion d'Artaud ; et, comme on le verra, aussi ue

polémique acharnée contre tous les prêtres de

son temps, que prolongeront, en la déplaçant

et radicalisant, ietzsche puis Artaud.

On pourrait multiplier la liste, pas à l'in-

ni, mais enn, comme l 'a écrit Derrida

« Reconnaissonsle : Artaud est le premier

à vouloir rassembler en un arbre martyro-

logique la vaste fmille des us de génie Il

le it dans l n Gogh, un des rares textes où

Nietzsche soit nommé, au milieu des autres

"suicidés : Baudelaire, erval� ietzsche,Kerkegaard, Hlderlin, Coleridge » Et il y est

allé à chaque is, Artaud ne se lasse pas d'y

insister, d'un complot. « C'est vous qui avez

sicidé Edgar Poe », ditil par exemple dans

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les onérences ; « Je vis, ditil encore, ce que

je crois quelques rares nèbres parias ont v

et qui les a possés à la mort ou au sicide,Baudelaire mort d'aphasie, Gérard de Nerval

pendu à un réverbère, Edgar Poe fudroyé

d'une attaque de delirium tremens à l'aube,

audessus d'une bouche d'égout, la conscience

les a, comme on dit, reoidis quand ils ont

voulu ouvrir la bouche sur ce point Ça ne se

dit pas, t ne le diras pas. » Le complot, c'est

aussi l'omertà, le motus et bouche cousue imposé

à tout le monde la mort moderne, le tragique

atone de Hôlderlin, assassinat sémantique et

mise en boîte et d'abord le silence imposé

ax principaux concernés, l 'aphasie : on sait

q'elle appa à intervalles réguliers Artaud

par exemple quand l'envie lui prend d'étran-

gler le docteur Ferdière , et, au moment de

lire son « Histoire vécue » au VieuxColombier,

quelque chose omme une aphasie partielle luisurvient.

On pourrai donc allonger la liste, citer en

détail Nietzsche, des lettres de Bataille, la

biographie de Marx, mais je me contenterai

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de citer les phrases les plus récentes de cette

espèce de tradition cachée, qui perpétuent, qui

paraphrasent les phrases d'Aaud.L rappr-chement a été fit par d'aucuns je pense à

Sollers , mais enn oui, quelqu'un cmme

Debord retrouve les accens qu'on trouve chez

rtad, et déjà Rousseau : il est fcile de bran-

dir son Debord en bandolière les debr-

diens de salon, on sait que ce n'est pas ça qui

manque , il es moins fcile de demander, à

la cantonade, ce que peuvent bien signier des

phrases toutes récentes comme cellesci (eles

son prélevées dans ce qui demeure le plus

grand livre d'analyse politique moderne, les

Commentaires sur la société du spectacle (1988)) :

Debord, c'est un peu un rtaud qui aurait

écri comme Machiavel, ou un Ma qui aurai

crypté son message comme Mallarmé. « Depis

que l'art est mor, on sait qu'il est devenu

extrêmement fcile de déguiser des policiersen artises . ( . . . ) On ouvre des pseudomusées

vides, ou des pseudocentres de recherche

sur l ' œuvre complète d'un personnage inexis-

tant, aussi vite que l'on fit la réputation de

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jounalistespoliciers, ou d'historienspoliciers

ou de romancierspoliciers. ( . . . ) Le complot

général étant devenu si dense qu'il s'étalepresque au grand jour ( . . . ) tous ces conspi-

rateurs proessionnels en arrivent à s'observer

sans savoir exctement pourquoi ou se ren-

contrent par hasard, sans pouvoir se recon-

naître avec assurance Qui veut observer qui ?

Pour le compte de qui, apparemment ? Mais

en réalité ? Debord déclare aussi qu'on peut

aujourd'hui publier un roman pour préparer

un assassinat, ou, là où nous sommes censés

bénir les bienfits de la démocratie, avec une

violence comparble à celle d'Artaud, il nous

assène que « Jamais censure n'a été plus par-

fite. Jamais l'opinion de ceux à qui l'on fit

croire encore, dans quelques pays qu'ils sont

restés des citoyens libres, n'a été moins autori-

sée à se ire connaître, chaque is qu'il s'agit

d'un choix qui aectera leur vie réelle. Jamaisil n'a été permis de leur mentir avec une si par-

ite absence de conséquence. Debord parle

encore, toujours cette sorte d'« artoldisme »

glacé, d'une « surveillance [qui] se surveille

3 1



ellemême et complote contre ellemême » :

« ne vaste organisation est a fnd de tout, e

elle le sait » ; cette dernière phrase n'est pas deDebord, mais d'Artad, et avoons qe c'est à

s'y méprendre Debord le suicidé de la société

du spectale est mort peu avant l'avènement

de l'Internet et des novelles nanotechnolo-gies, sans parler de la NSA, et il aurait ass-

rément contresigé cette phrase d'Artad

« la masse qi se fut de nous et ne vet pas

entendre parler de nos ne cesse jamaisu ins-

tant d'enregistrer totes nos paroles, et elle a

ses détecters espions qui n cessent ni jor ni

nuit de mer notre conscience » Muer . . je

propose qe ce verbe entre dans le domaine

pblic. Je me, t mes, il me . . . nos

nous isons mer, dirionsnos aujourd'hui,

notre « temps de cerveau disponible » C'est ça

qe ça vet dire et que rediront, entre autres,

les phrases de Beckett qe je vos ai les plus

haut

Enchaînons

Naïvement, comme j'avais au départ com-

pris que le colloqe consistait à adouber le.

32



cors du Roi Ataud au corps u oi icho

je me suis dit : qu'estce que je vais ie pou

voir dégoiser sur tout ça où est-ce que je vaisbien pouvoir caser tout ce que 'ai à ire là

dessus ces agmets très divers et isparates

qui m'assaillaiet de tous les côtés au prétexte

d'Ataud? Naturellemet j'ai assez vite com

pris naïf mais pas complètemet créti, que

Roi mais grad Price icho 'éait là que

pour nous guider sur les pas 'rtau ou sur

les traces de la reécoverte e la remise e

actalité d' rtau Il ut ie ire que, par

les temps qui coret il e a ie besoin.

Pourtat je décidai e e pas reocer à ma

première ituitio aïve e me laisser guider

par elle : après tout icho aait la getillesse

de m'iviter au sujet d'u auter dot c'est

peu dire qu'il a surétermié mo propre par

cors il llait qe j'e proe pour ire sr

vigt aées d'etreites iographiqes carj'ai assez souvet croisé icho il y a i ans

et e l'ai plus jamais rev epis la place que

lui Micho avait occpée as ce même par

cours Je me coteterai 'ue oscre ellipse

33



à point nommé, autobiographiqe : disons que

sur ces dex décennies, et singlièrement l

dernière, je me suis comment dire ? pass-blement « michonisé ».

Et j 'ai très vite compris que le chemin qu me

conduirait de l'n à l'autre ArtaudMichon,

MichonArtaud et retour était la ques-

tion de la phrase, et plus exactement ce q'à

mes risques et périls j 'appellerai : les phrases

héroïques, comme totes celles qe je viens de

citer Cette interogation sr l'héroïsme m'est

venue à la lecture de qelq'un qui compte

énormément pour mon travail, qui compte

énormément, non seulement pour ce qu'on

appelle encore la pilosophie, mais por, et on

ne s'en rend pas encore assez compte, la litté-

rature, le plus grand lecteur de Hôlderlin ou

de Benjamin q'on ait jamais e en France,

et qi est donc Philippe acoueLabarthe,

cette espèce d'Antonin Artaud de l'Université pur oxymore , et qi dans les dix dernières

années de sa vie était contraint je dis bien :

contraint à des séjours de plus en plus fé-

qents dans les cliniques psychiatriques o

34



n'appll pls ça ds « asils d'aliénés, cs

récptacls de magi noir, conscints t pré

médités » - acoLabarth dit, c'st dans lpremir livr où il aont la stion de l'n

gagmnt nazi d Hidggr, La Fiction du poli-

tique, sa démarche s it « dans la frm

d'n héroïsme, a sns moderne d mot i st

cli, oi, d Badlaire o d Benjamin »

acoLabarth, et c'st ici qu'on se rap

proch de Michon, a p dir égalment, dans

ds texts i évont d manièr très inci

siv t précis l cas d' Arad, 'on pt

« sotnir la littératr a sns où nos

l'ntndons (n son sns "modrn) n naît

pas ( . . . ) avc l roman, i dérive d la frm

épi, mais avc [!']atobiographie » . E

dans tos cs cas i ont, soit fndé nore « idé

modrn » de la litératr, comm Rossa

ou Hôldrlin, soit possé ctt ié modrn

à ses limits ls pls xtrêms, d Rimbaud àArtad t Debord n passant par Badlaire,

Nietzsch o Bnjamin, la stion atobio

graphi s'st mêlé, pls o moins xplicie

men, à ne théori d complo Il st de lir

35



les longues préces que consacre Baudelaire à

ses raducions e Poe pour êre édié : il jee

les bases de ou ce que dira Araud : c'est lasociéé qui a suicidé Poe E les deux hèmes

me son évdemmen apparus comme mêlés :

si l 'on recherche, comme di LacoueLabarhe

un héroïsme moderne e qu'on le trouve e

ee, chez Baudelaire ou chez Benjamin chez

Araud ou chez Debord, un lien éroi lie alors

d'évidence l'auobiographie, l'hroïsme et

le hème u complo On peu le vérier sur

pièces chez ous ces gens sans excepion.

Mais pourquoi se préoccuper s'enquérir

d'un héroïsme moderne me demanderez-

vous ? La démocraie le consensus posmo-

derne e convivialemen nilise n'esce pas

le deuil à la fis dépressi e sarcasique de

ou héroïsme poeniellemen scise ? Le

consenemen, ue e mieux, à la « médio-

craie » démocraique n'ail pas pour clauseimprescripible le renoncemen à oue frme

d'héroïsme, l'acquiescemen à l'auodérision

obligaore, à la modesie anô cyique anôt

maniacodépressive, anô les deux à la fis ?

36



Eh bien, c'est tote la qesion. Et si je me la

sis posée, c'est sans dote, par ne destinaion

inconsciente, à case de gens irresponsablescomme Sollers, qi, dans les années qare

ving, à rce de parler d' Artaud, Baaille

o Debord à tot bot de champ dans les

médias, a apé sr le zinzin d'adoescents bo

onnex comme moi, qi à la lecre de ces

aters on décidé qe la vie ne valait pas la

peine d'êre véce hors de lers sillages; e je

serais sans doe en rain de ire de l'aqua

relle, torner des vis, tailler des rsiers o qe

sais-je d'atre.

Mais c'es assi qe j 'ai été rès lié, beacop

pls tard, comme le saven certains d'enre

vos, à celi qi est considéré par beacop,

en ot cas par moi pendan longtemps,

comme le plus grand philosophe vivan, nom

mémen Alain Badio Et qe le projet éhiqe

explicite de ce dernier es de fnder, à contrecouran postmoderne, n héroïsme de type

novea Après hi années d'éroi jmelage

e ravail en commun, j 'ai violemmen rompu,

comme certains le saven assi, avec Badiou,

37



e entre d'innobrables raisons sr ce point-

l : c'esdire sr la déniion doner de

l'héroïse oderne Qelque ranemetq'on pisse donner ax débas, il n'est pas

doex qe le odèle héroïqe a au mos

eporaireen éé, chez Heidegger, Hitler

e il es ojors revendiqué chez Badiou so

les gres de Saline e srot Mao Je vou

passe les argens, ils son das les livres

ais dans les dex cas, il n'es pas oeux

q'on a aaire n odèle héroïqe de pe

scise, y copris cete frme de scisme

q' Adorno, pensant jstement a maoïsme,

appelai « scise de gauche » Eendos

n odèle iliarisé, hiérarchiqe e disci-

plinaire, de l'héroïse Chez Badio, comme

chez eidegger, l'héroïsme, c'es donc tou-

ors n pe l'héoïse des ares : c'esàdire

celui de gens qi son resés confrtablement

derrière ler brea por dire ax areq'il llait se sacrier por la bone case ;

ou pire, sacrier des asses enières de la

poplaion cee êe case. E c'est rès

criex, puisqu'en relisan, après ces années

38



d'anesthésie procrastinante qe je vos ai

dites, la conférence d ViexColobier, je

tobe sr cete phrase stupéante, qui traditabsoluent on sentient de violen, de vis

céral rejet de l'héroïse heideggerobadiolien :

« car aucne gerre ne vient d hasard et il y

a tojors quelq'n qi la déclenche et qui

se garderai bien d'aller s'y ire ter, n'estce

pas Staline, cher aréchal des popiers » .

D'où a recherche, à partir de la remarqe

littéraleent saltaire de Lacoueabarthe,

d'ne alternative : Baudelaire et enjain,

dit Lacoe, donc d'évidence Hôlderlin et

Kierkegaard, Nietzsche o Debord, por

ne rien dire d'Artad Dans tous ces cas, et

qelques atres, on pet dire, très siple

ment : l'héroïse oderne, c'est soit payer

de son propre exeple - l' atobiographie -,

soit se la ferer Ce n'est pas sacrier - les

autres -, coe chez Heidegger e Badiou,c'est, coe le dit Lacoe, y sacier : sacri

er à l'atobiographie, à ce q' Artad appelle

« histoire vécue », ce qui signie : la vie, le

corps, l'anialité sensible et sourante, telle

39



que saisie, dicée par l'Hisoire, on va voir rès

vie coen.

Revenons sur on érange obsession, pour-an occasionnée par le présen colloque, de

rouver le lien nissan Araud à Michon, ur

fnd de cee enquêe sur la possibilié d'un

héroïse oderne. E ici une anecdoe su-

ra : dans a soe philosophique, ou on

pensu, qe personne n'a lu, e qui s'appelle

!Esprit du nihilisme, eh bien je ciais, jse-

en, une phrase de Michon sur Araud

que j'ai rouvée e ne sais plus où, ais je sais

qu'elle exise : « De nous ous, seul Araud n'a

pas eni. » Or, voici coen Badiou avait

à l'époqe coené cee phrase Badiou

n'aime ni Arad, ni Baaille, ni Sade, ni

Francis Bacon, il appelle ça « la prosopopée

de l'abjecion », par opposiion à l'héroïse

raionnel des Gades ou des Kers roges

« Le cas d' Araud es copliqué . Araud esincapable de enir. Donc : incapable de

vérié. » On a là n exeple exraordinaire

génial je dis ces adjecis sans la oindre iro-

nie , de salinise éaphysique : « Araud

40



st incapabl d mnir Donc icaabl d

vérité »

Je vais ssayr d gardr mon calm Maisvous voyz : c 'était un pu, à c momnlà,

Badiou contr Artad, au prétext d Mi

chon, ou Badiou conr ichon, au prétxt

d' Artaud allz savoir . J eux brandir

ds cntains de raisons d ma violnt rup

ture avc Badiou, mais j pux vous dir que

cell-ci a i par psr lourd Si la liéraur,

c'st la vérié n un sns complx qu l

cas Michon va nous aidr à clarir , alors

Artaud, c'st la littératur. Don, conrair

mnt à qu dit adiou, la vérité mêm Tout

ça s tient À Badiou, on srai tné d rétor

quer une citation d' Araud luimêm, dans

un lttr où, de but n blanc, il répond à un

interlocutur imaginair, toujours l mêm :

« -Mais, vous êtes fu ? Qu non as, c' s

vos qui n'êtes qu'un imbécil Moi, Aonintaud, j bous, j bous; vous, criiqu, vous

broutz mon bout dhors »

Résumons simplmnt l dilmm où j m

rouvais pris soit vous avz l philosoph au

41



sns d Platon, incarné a vingtiè siècl par

ds pointurs co Hidggr t Badiou, l

philosophroi qui dit aux autrs quoi fir,t par xpl d'allr s fir tror la pau

por la bonn cas : l patron rst ojors,

co l dit si récisént Arad, drrièr,

bin a chaud, ls pids sous la tabl. Soit vous

avz l'héroïs vraint odrn, l'héroïse

du Di absnt, l'héroïs odrn, c's

payr d son propr xpl : c'st y allr avc

son propr stock d vi t d viand. Tous ls

nos qu nos avons cités jsq'ici l'ont fit,

y ont sarié; ais d tos cs nos Artad

st clui qui s pos n ptit pu là, t n ptit

pu pls qu tos ls atrs. C'st co ça

qu j nis par intrprétr la phras d Michon.

D nos tous, sul Artaud n'a pas nti.

Tout ça 'a donc ané à travaillr ré-

cnt sr l « phrass héroïqus », co

clls q j vos ai ls. Ça m'a ané,puisq c'était LacouLabarth qui 'avait

donné n sort d'altrnav à l'héroïs ili-

tarosacricil d Badio, qui était déjà clui d

Hidggr, à allr donc vrs Walr Bnjain,

42



qui développe sa héorie de l'héroïsme mo-

derne dans son livre, comme par hasard, sr

Baudelaire. S'il en est de desquels on peutdire qu'ils ont sacrifé à l'atobiographie, ce

sont bien ces deux cocoslà, come dirait

Artaud.

Et là les phrases ne son pas moins de nature

à nous donner le isson qe celles d'Artad,

même si le style de Benjamin a quelque chose

de beaucoup plus placidement mélancoliqe;

srtout qand on pense que Benjamin s'est

donné la mort trois ans après les avoir écrites,

en yant les nazis. Voici ce qu'écrit Benjamin :

« La odernité doit se placer sous le signe du

sicide. ( . . . ) Ce suicide n'est pas n renon-

ement, mais une passion héroïqe C'est la

conquête de la modernité dans le domaine

des passions. » E por qe nlle ambigïé

ne plane sr ce que dit ii l'ateur, qui n'a

rien à voir avec l'imagerie comlaisante des« poètes maudits », Benjamin ajoue plus loin,

et c'est tou de même rès précis : « C'est vers

cette époque que l'idée de sicide a pénétré

les masses laborieuses. e suicide pouvait très

4.3



bien apparaître à un homme tel que Baudelaire

comme la seule action héroïque qui t encore

possible aux "multiudes maladives des villesen ces temps de réaction. On se dispute les

exemplaires d'ne lithographie représentant

le suicide d'un ouvrier anglais par désesoir

de ne pouvoir gagner sa vie. Chez [Eugène]

Sue luimême, un ouvrier va se pendre, ave e

billet dans la main : "Je me te par désespoir

il m'a semblé qe la mort me serait moins dure

si je mourais sous le toit de elui qi nous aime

et nos déend. Adolphe Boyer, un imri-

meur, publia en 184 un petit volume inti-

tulé De l'état ds ouvriers et de son amélioration

par l'organisaton du travail. C'est un exosé

modéré qui cherchait à recruter et à conver-

tir à l'idée d'association ouvrière les aniennes

corporations de compagnons encore prison-

nières d'usages corporatis Il n'eut auun

sccès ; l'ateur se tua et exhorta dans unelettre ouverte ses compagnons d'infrtne à le

suivre. » Donc vous pouvez deviner où je veux

en venir : on est dans un hème extrêmement

proche, anticipateur, de celi qu'imposera

4



Michon dans la littérare à travers la poli-

iqe des éditions Verdier : les vies minuscles .

Entendons : les héroïsmes minscles. Pasd'imagerie d « poèe madit », acn poète

maudi n'a donné dans l'imagerie du poète

maudit, pas même Araud, comme je vais le

montrer. La vulgate du poète maudit ignore

d'où provient la vlgate : nous savons qu'elle

vien de Verlaine, premier à utiliser l'expres-

sion, Verlaine de qi Michon, dans un aperçu

génial dont je vais reparler, rapproche Artaud

et nl autre. Poète madit, écrivain maudit, et

aussi « philosophe maudi », a sens où tos les

philosophes qui, depuis dex sièces, on essayé

de développer une pensée hors de l'Université

ont été, sans la moindre exception, « mau-

dits », comme on dit. Roussea, Kierkegaard,

Marx, Nietzsche, Benjamin, Bataille, Blanchot

e Debord sont, depis qe la philosophie est

presqe intégralement devene niversitaire,savoir depuis Kan, les sels qui aient tenté

quelque travail conceptuel d'envergure à

l'écart de l'niversité ; et c'est peu dire que,

dans tous les cas, on ler a mis des bâtons dans

45



les roues. La société leur a cherché des poux

dans la tête, eu qui ne lui avaient rien fit,

bien au contraire. Ils on fit à chaque is destravaux d'intérê pblic, ils ont contribué au

Bien de la Société, qui ne les a jamais payés en

retour; c'est pariculièrement proverbial dans

le cas de Rousseau.

En enquêtant sur tou ça, sur tous ces littéra-

ters maudis, j'en suis arrivé, il y a seulement

quelques semaines, à une conclusion absolu-

ment désarmante de simplicité : tous ces lit-

térateurs ont, tout simplement, été pauvres

Dans notre idiome moderne, nous dirions :

voilà une belle bande de crevards C'est ça que

nous dit la phrase de Benjamin. Moi, intellec-

tuel, mon travail ne mérite i plus ni moins

salaire que celui de l'ouvrier anonyme qui se

suicide comme moi, ou du « bougnat » du coin,

ou d la laitière, comme dira Artaud. Je n'ai

pas eu le temps de vous trouver les lettres oùil parle du petit peuple comme si celuici était,

en quelque sorte, innocent du complot. e n'ai

pas eu le temps non plus de vous retrouver les

innombrables lettres où, de manière encore

46



pls désarmae, Arad e i ue parler de

boe, de crosads au omage ou d'aïolis,

de boillabaisse o de pole rôi, parce edas la poliie psychiarie erriae i

éai celle de Vichy, i 'éai rie de mois

q'e poliie d'exermiaio lee, eh

bie des ges comme aud, i représe

aie o à la fis la maladie meale, « l'ar

dégééré » les « ava-gardes », eh bie ils

éaie, e ee, o simplemet, prsécés,

sciemme aamés, empoisoés e orrés.

Doc l'aobiographie ' Arad expose es

plus 'à so or désarmae de simplicié :

de liéralié Il a éé persécué De la maière la

pls plae e breacraie possible. Breo,

le « pape » d surréalisme, i es uad même

u pe ava la lere la gre d borgeois

rebelle, d bobo comme o di ajord'hi, a

les moyes de se payer blle e ne isal

laio à l'érager, ax ÉasUis Pas ad,obligé de reser e Erope : vous vos sove

ez d mo de Rimbaud : « o e par pas ».

E o a i par ire d'Arad ce cliché, le

cliché par excellece d poèe fu, mais des

47



artistes intérierement tortrés, ce n'est pas

ça qui a manqué dans la modernité. Artad

n'était pas, avan 1937, moins torturé, et pasdavantage non pls, que, disons, Schônberg

o Francis Bacon, Bataille ou Egon Schiee.

Les artistes tortrés, depuis la naissance de

l'art moderne e romantisme , on sait que

ça n'a pas manqué. Pensons à Baudelaire

encore, à Nerval et Poe bien sûr, à Beethoven,

Schbert ou Schumann . . . bon. Mais qui-

conque aurait subi, en somme par n malheu-

rex hasard, l'ener de neu années qu'il nos

décrit dans les conérences, aurait i dans un

état pas moins patéique qe li, à supposer

qe ce qiconque y ait seulement survéc. Si

vos connaissez la biographie de Schônberg,

vos savez q'il n'était pas moins atteint de

symptmes psychotiqes, à certains égards

même plus, q' Artaud avant 1937. Le cliché

d'Artaud comme paradigme du « poète fu »es, jstement, n cliché : acun d'entre nous

n'aurait pu nir dans n état moins ravagé si

nous avions sb ce qu'il a sbi et qu'il nous

décrit par le menu. Et Benjamin, philosophe

48



qi a resé la carrière niversaire e a passé

le pls clair de son eps à vivre dans des

hels borgnes, à éqener des prostiées, àse prendre des cies e à er du shit ais

assi e suro, qand êe, à lire coe o

n'a jaais l e à écrire coe o n'a jaais

écri , n'a pas p parir non pls e, en ant

qe jif, a décidé de se sicider à la onière

espagnole pl qe de ober aux ains des

nazis, andis que son ai Adorno, imense

philosophe dont je parlerai dans qelqes ins-

ans, dûen niversiaire, a e les oyens

come Breon, o coe Schônberg, cet

Arad de la usiqe, pas oins orré et,

come on di, psychoiqe qe l'are, e

bien ces gens, disje, ont e les oyens de

se payer ler bille d'exil e de s'insaller a

ÉasUnis, et on ravaillé dans les src

res niversiaires, en aendant des temps

eilleurs.I s'agi donc, dans os ces cas op vite raba-

s sr les clicés préâchés des « poèes a-

dis », de poliique. Ni pls ni oins Depis

Rosseau, les entaives les pls radicales de

49



porter la littérare a limites de ses possibili-

tés se sont, atobiographiqement, c'estàde

atotanathographiqement, sicidairement,conndes avec ne narration « complo-

iste ».

Avançons pls avant dans la genèse de nos

prétentions démonstratives, en citant encore

cet Artad niversitaire q'était Lacoue-

Labarthe, mais vos allez voir qe c'est très

« michonien » : « Depis l'eondremen de la

Chrétienté [la Révoltion ançaise, bien sûr,

N.MBK.], dex religions, en Erope, ont

cherché à s'instarer : la religion politiqe et

la religion de l'art ( . . . ) de ces dex religions,

le point de convergence le pls éclatant t la

Littératre, si l'on accepte d'appeler ainsi le

langage par leqel l'homme, le sbissant et

croyant y décovrir sa dénition, s'exerce à

dominer ce qi l'assjettit et à dicter le sens

de ce qi le fit exister. La ttératre, s'ins-titant, t la Soveraineté. Et il n'y a acun

hasard si, dans la première rencontre de son

concept, elle s'annonça a titre d'ne "no-

velle myhologie; o si nlle sacralisation

50



ne plus rcenée que celle qui a aecé la

pratique insensée" d'écrire, avec son intermi

nable cortège de prêtres et de sectateurs, demysiques et de maryrs, de clercs e d'inquisi

eurs, de maudis e d'apostats, de moines sol-

das e d'héréiques, de prophètes, de saints,

de fnatiques, de schismaiques, de blaspé

mateurs et de sacrilèges. glise entière se

répéta dans la iérature, et tous les anciens

cultes. a Littérature la lie du Dieu

mor, même lorsqu'on le croyait vivant, sous

elle ou telle espèce. » Il y eut même, il y eut

surout, des prétendants au rôle principal de

l'immense répétition, de l'immense parodie de

l'Église que t la ittérature, au premier rôle

qui précède oues les positions ecclésiastiques

que récapitule Lacoue, entendos le Christ.

Et là, ni de rire, il n'y a pas émete au or-

tillon : il y a eu HOlderlin e Kierkegaard, un

peu; Rimbaud et Niezsche, beaucoup; en,il y a eu tonin Aaud, à la lie, comme on

di. Tous les autres, e on sait que les vocations

n'on pas maqué, sont, à ces lumières noires,

relégués au pas du ou.

51



Mais, nos aait dit Bataille o, d'aillers,

on va le voi, Michon : « c'est ne comédie ! »

Poqoi alos Atad, même pa rapport aqelqes ates, alors q'il appert claiement

qe tote cette histoire de Littérate, c'est un

cirqe, ne Comédie : e Parodie d'Église?

C'est ce qe toi, Michon, Pierre du prénom,

as compris avant tot le monde, sans, proba-

blement, comprendre qe t le comprenais il

fdrait cela di loement parler de Sollers

C'est qe, tot ça, c'est ne scène, un théâtre

le théâtre de la craté, ça vet petêtre

simplement dire : la littéatre , et qe, sr

cette scène, Velaine, invente d syntagme

de poète madit, o Artad, sont allés le pls

loin. Comme t le dis de Fabert, « il nos a

fit le masqe. Nos sommes tos ls de sa

misère, qu'elle soit aectée et portant vrai

dans Mallamé, dans Bataile, dans Prost et

Genet, dans Leiis et Das, dans Beckett; otellement bie aectée q'elle devient encore

pls vaie parce qe éelle, vraie de vaie, dans

Veraine et Atad. » A sjet de ce masque,

t parles encore de « ce mélange de chair et

52



de arton-pâe que nous trouvons au bout de

nos doigts, vaguemen incrédules, vaguement

satisfits, eayés, ce dégoûtant mélange quenous caressons à tâtons quand il nous arrive

de vérier s'il reste bien u visage derrière les

lones moustaches »

Or c'est ça qui s'es passé, sans que nul sur

le coup ne s'en rende compte ni ne moue,

avec l'eondrement de l'avant-garde, au mi

lieu des années soiante-di, et l'avènement

de ce qu'on appelle le « postmoderne » Ladite

postmodernité remarque en passant

va quand même désormais sur ses quatre

décennies ; et quand on s'avise du fit que

l'avant-garde, qui nous semble avoir régné

sur l'ensemble du vingtième siècle, n'a en réa

lité pas duré plus de six décennies, j'ai jugé

qu'il était grand temps de se pencher sur ce

que signiait eactement cette postmodernité

Prendre un peu de recul et commencer à endresser un bilan C'est ici que Michon nous

condut à Ataud et qu'Ataud nous conduit à

nous-mêmes, et c'est ce que je suis venu dire

ici.

53



Résumons les grandes lignes l'idéologie

de l'avantgarde, qui est une radicalisation

de l'idéologie romanique, donc postrévolu-ionnaire, es, c'est bien connu, une idéologie

de la table rase. Donc : de la phrase abslue,

de la phrase ex nihilo qui supprime toutes

les prases ayan jamais existé et s'instaure

comme Langage Nouveau. Cette idéologie,

qui a écrasé le vingtième siècle artisique et,

hélas, politique sous ses réquisits, et qui vient

du romantisme, donc de la Révolution, c'es

dans la philosophie de Hegel qu'elle a trouvé

sa meilleure expression. événement radical,

c'est ce que Hegel appelle 'aufebung, c'est

la Négation, c'est la suppression du monde

ancien pour que naisse le monde nouveau, et

qu'il ne doive sa naissance qu'à luimême Et

c'est encore taud qui sera l'expression litté-

raire la plus christologique de l'esprit du ving-

tième siècle «Moi, tonin Artaud, je suismon Père, ma Mère, et moi. » C'est la passion

d'taud, litéralement, qui est la passion de

out le vingtième siècle, la passion du Dieu

mort comment accoucher d'une existence

54



qui ne doive qu'à ellemême ? La réponse,

négative, était dans l' antiphrase qu'est la ques

tion. Il n'y a pas d'existence qui doive tout àellemême ; et là t pourtant le doctrinal

« mordicus » de l'avantgarde, en art comme

en politique, pour ne rien dire de la science, ou

des quelques philosophies qui ont rêvé d'être

les réexions conceptuelles plénières de cette

croyance rcenée dans l'absolue nouveauté.

C'est ça qui nous est arrivé, à nous, dits

postmodernes, depuis maintenant quarante

ans. Nous nous sommes réveillés groggy,

anéantis, exténués par cet ert désespéré de

produire des phrases qui ne doivent qu'à elles-

mêmes, des événements qui « cassent l'histoire

du monde en deux », comme le disait, de fçon

déjà christique, Nietzsche. Nous nous sommes

aperçus, en art, en politique, mais aussi en

amour, partout, que nous ne povions jamais

phraser sans paraphraser Et c'est l'enquêteque je mène en ce moment sur toute cette

aaire : le vingtième siècle a traduit la phrase

de Hegel en disant : l 'événement, politique,

artistique, c'est ce qui supprime tout ce qui

55



a précédé sans rien en conserver. Or, ce n'est

pas ce qu'a dit Hegel, qui, de ce poin de ve,

est un philosophe bien plus acuel de ce qu'estun événement o juste ne phrase que les

philosophes de l'événement radical, les idéo

logues géniax de l'avangarde, que rent

par exemple Heidegger ou Badiou en

philo. Hegel a dit : tout événement supprime

et conserve en ême temps ce qi l'a précédé

L phrase est toujours une paraphrase la paro

die d'une phrase qui a précédé, et c'est pour

tant, toujours, ne nouvelle phrase. D coup

je résume vite, trop vite, le propos , ce qui

nous est arrivé à nos, postmodernes, c'est la

gueule de bois de l'impérai avant-gardiste,

qui nos a dit assi : il fut spprimer la repré

sentation, le semblant, le spectacle l'idéologie,

pour accéder a réel à l'état pur, au nouveu

messianiqe, a lendemains qi chantent, à

la novelle phrase, au nouveau langage purde tout le criminel passé. On sait bien que

cette volonté, poliiquement, d'en nir avec

l'oppression et les crimes du passé a accouché

d'une oppression et d'une criminalité partout

56



encore plus grandes que ce qu'on était censé

avoir dépassé, supprimé. Bien plus, tout cela

a été une hideuse parodie une paraphrasemonstrueuse d'un passé déjà hideux le

stalinisme ft une parodie de tsarisme, le

maoïsme une parodie aggravée de l'impéria

lisme chinois, qui s'achève en monstreux im

périalisme capitaliste aujourd'hui.

Du coup, la postmodernité, depuis quarante

ans, ça a été, diton souvent, le contraire de

l'héroïsme avant-gardiste, esthétique ou poli

tique : ça a été, nos aton dit sur tous les

tons, l'époque de la parodie, du second degré

anti-héroïque, de la mise en abyme sarcas

tique, du simulacre généralisé, comme disait

Baudrillard. Plus de radicalité, mais des simu

lacres de radicalité, plus de transgression, mais

des simulacres de transgression, plus d'art ou

de littérature, mais des parodies d'art ou de

littératre, plus de politique, etc etc. C'est surce diagnostic que je me suis penché ces der

niers tems, c'est-àdire en posant la question

pourquoi estce que l'époque messianique et

héroïque de l'avant-garde, et pour ainsi dire

57



d'n sel cop, s'estelle eondrée et renver-

sée comme ne crêpe en sa propre parodie ?

C'est por ça assi qe j'évoqais le par-cours de Sollers, eemplaire de ce tornant

L'n des symboles de l'endremen des

avantgardes, ce t le passage de Tl Que à

JInfni, de Pardis à Femmes, bre : la conver-

sion subite de Sollers, dernier « pape dans les

années soiante e soianted de l' avantgarde

comme sine « terroriste » de production d'un

langage entièrement inoï et ne devant rien à

l'ancienne Phraséologie, à n langage sodain

« classiqe , narrati, on porrait presqe dire

jornalistiqe. Et, qand on y repense, qad

on songe a fit qe Femmes est par en 983

et Les Ves minuscules en 1984, chez le même

éditer de srcroît, on a portant la sensation

q'n abîme sépare les deu espacestems

qe représentent ces dex livres.

Por y répondre, eh bien il ft d'aborddémontrer que, sos prétete d'événement

absol, l'avantgarde t répétition avegle de

ce qi l'a précédée ; sous prétete de mise à bas

de la représentation, les totalitarismes rent

58



l'aboluisaon de la représenaion univoque ;

sous prétexte de novelle phrase, paraphrase

cachée qi s'achève, à poin nommé, dans lesinnombrables parodies cyniques, depuis rois

décennies, de l'héroïsme langagier bien réel

qui ft celui des avantgardes, etc. etc. Ce que

nous, postmodernes, avons dû comprendre,

dans la douleur et la culpabilié, écrasés par le

Suroi avangardiste, c'est que nous n'avons

aucun moyen, en tant qu'animaux parlants, en

tant qu'anima phraseurs, de nous passer de

la représenaion, de la paraphrase, de la répé-

ition. On a beaucoup dit que la postmoder-

nité, c'était, justement, le règne du semblant,

du simulacre, de la parodie vide de l'héroïsme

romantiqe et avantgardise qui avaien régné

avant. C'est ce que toi, Michon Pierre, appelles

le « masque ». Eh bien, à parir du moment

où, non selement l'on comprend cela, mais

qu'on comprend que l'avantgarde ellemême,contre outes ses déclaraions expresses, éai,

politiquement, une gigantesque insallation

représentative, sous préexte d'abolitio de

toute représentaion, ou, litérairement, qu'elle

59



était toujours une paraphrase d'un certain

type, sous prétexte d'abolition de l'ancienne

grammaire, bre : que l'avantgarde était elle-même déjà ce qu'on reproche à la postmoder-

nité nihiliste d'être, à savoir une parodi, un

simulacre, une « comédie » au sens de Bataille,

eh bien une is qu'on a démontré ça, peut-

être qu'on commence à sortir de la postmo-

dernité aussi Et dans nombre des entretiens

qu'il a accordés, Michon parle rt bien de

tout ça : d'\n côté, il dit « je serais un postmo-

derne, un bradeur, si je pensais que tous les

gens s 'équivalent », que tout est équivalence

générale, ce qui est en eet l'idéologie déa-

tionniste de la postmodernité au sens fible et

vulgaire ; mais de l'autre, Michon dit c'était

ici, à Chaminadour qu'il est « sinistrement

postmoderne », au sens où il se sert de l'im-

mense archive littéraire comme d'un stock

de paraphrase possible . C'est l'évidence danscet entretien qui s 'appelle « Boum, ça c'est

du latin », où son interlocuteur le questionne

sans cesse sur des phrases qu'il prélève de

son œuvre, et où une is sur deux Michon

60



répond : pas de bol, cette phrase vient de là,

pas de bol, ça c'est une phrase de Baudelaire.

Ça fit penser à ce passage de Gombrowicz,je ne sais plus où, dans Cosmos je crois bien,

où il rencontre orges et joe à l'adolescent

provocateur et dadaïse, bombardan Borges

de phrases choquebourgeois, et où la biblio

thèque universelle borgésienne lui démontre à

chaque is que sa phrase, aussi inouïe et ren

versante s'estelle voulue, était en it contene

dans un livre déjà écrit, au treizième siècle en

Perse ou que saisje . Toutes les phrases, même

et peutêtre surtout les plus transgressives,

sont des paraphrases. Ça fit penser encore à

cet échange, dans n lm de Godard, là non

plus je ne sais plus lequel, où on demande son

nom à une emme, et elle dit : « Eh bien, je

m'appelle X. Non, ça c'est le nom de votre

mari. Ah, alors je m'appelleY on, ça s'est

le nom de votre père. » Et on sait de quellepassion de l'efcement des noms se sont

payées les politiques d'imposition, au ving-

tième siècle, du Nom absolument nouveau et

unique. Michon dit sans cesse ce qui t le seul

61



prograe moderne possble : non pas, en

eet, le consenteent à la plattude postmo-

derne au sens ble, c'estàdre la sarcastiqueise en abyme de l'éqvalence de tot, la

répéttion ludique de la nllité déocratique

la parode évidée de l'héroïsme d'avant-

garde, ais, e il sut de citer Michon : « Je

me oque de la phrase et je l 'adore ( . . . ) ce

ne sont pas dux emps de l'écriture : c'est à

la fis emphatque e ça dégone l'écrture. »

Micon dt encore que l'éciture est « à la fis

la joussance lyrque et l'exaspération contre

cette joussance lyrque » . Il y a vingt ans déjà,

ce qui e appait chez Mchon c'était des pro-

pos coe ceuxc, qu tranchaient avec ceux

de l'écrasante maorité des autres « écrivains » :

« 'ai besoin d athétque, on eut mêe dire

du pathos ( . ) Partr du pahétque, bien sûr,

as très vt le dépasser, le transfrer. »

Il s'agt, dt Mchon, d'attendre à un état« entre rre t sanglo » Mchon parle encore,

pour déendre le goût de la penture histo-

rique q élogne · des « Modernes, des non-

guratis », entendons : ds avantgardstes,

62



Michon parle à leur sujet d'un « réel présomp-

ueux, sans médiaion, sans mimèsis, sans les

béquilles de la représentaion, du réérent ».De mbaud enn, Michon di ceci : « J'aime

et je déeste ou en bloc chez Rimbaud.

'aime son éclaane réussie Je déese qu'il

soi de ces poètes qui on insallé pour nous

l'idéologie de la rupure comme injonction

yrannique, nous dépossédan de ou. Mais

je vénère cete dépossession, grâce à quoi

j 'écris . » Voilà qui me fi penser à la chan-

son d'une grande poéesse contemporaine,

aroldienne en diable, Brigite Fontaine, où

elle dit à peu près : j 'adore j 'déese / j 'déese

j'adore.

Ce pahos don parle Michon, cest la simple

fcticié de parler, jusemen : il n'y a de pahos

que chez l'homme chez l'animal, il n'y a que

de la souance , parce qu'il es obligé de

porer le masque, qu'il veut sans cesse le firetomber et que le fi même de le fire omber

fi encore parie du masque, et que c'es ça,

exacemen, la siuation pahéique. Quelque

par dans mon ravail, j 'ai dit que notre époque

63



était celle de l'identité du pathétiqe et d

parodique du pathéticoparodique. Les gens

l'ont compris au sens misérabiliste, déation-niste de la postmodernité oide, cynique, sar-

castiquement égalitaire. Ce n'est pas du tout

ce dont je parais . Ce dont je parlais, c'est

pourquoi l'avantgarde atelle pesé sur nous

tous d'un poids si lourd, alors qu'elle a été un

eu de paille d'une petite soixantaine d'années,

provoquant certes des œuvres exceptionnelles

innombrables, et qui resteront Ce que nous

savons, nous, et c'est la très dure leçon de

!'Histoire du vingtième siècle, c'est qe ces

œuvres ne isaient pas du tot ce qu'elles

prétendaient ire. Elles mentaient, comme

d'habitude (« On est devenu très frt le jour

où l'on a compris que tout le angage ment » :

c'est une phrase de Michon qui me hante

depuis longtemps, et c' est en abyme qui

a exercé sur moi la même censure et la mêmeculpabilité que l'idéologie avantgardiste sur

lui). Dans les tous meileurs des cas, ceux que

tu mentionnes Pierre Michon du nom ,

elles mentaient vrai.

64



Ce que j'ai dit pls haut, sur la postmoder-

nié et l'aantgarde, se résume alors aec une

simplicité encore plus désarmante que toute que j'aurais aancé ici. La postmodernité

non postmoderne, c'est toi : c'est le « ne pas

céder » sur la littératre, et donc le courage

héroïque pour le pathétique, pour le lyrisme :

por les larmes et la souance. C'est saoir

que nous ne pouons trouer ! 'Histoire le

ingtième siècle nous aura atrocement édi

fés làdessus , la couper en dex, eacer

toutes les phrases et en imposer ne nou-

elle . Nous pouvons en inente une nouelle,

mais en reprenant très soigneusement celles

d'aant. C'est même ça, l'ascèse proprement

contemporaine. C'est pour ça, quoi qu'on

pense de Sollers et de ses « erreurs », que son

parcours t exemplaire, au sens de paradig-

matique, presque au sens ictimaire : il ne

pouvait pas ire autre chose que de renoncerà l'avantgarde, à l'héroïsme de la Phrase nou-

elle ; il a compris tout à coup que l'urgence

était bien pltôt, désormais, de prendre soin

des anciennes phrases, de la Bibliothèque,

65



« en attendant l'atodafé », comme dit encore

Michon, atodafé qui menace pls que jamais

ajord'hi, non par répression et censrearmée, comme dans les dictatures, mais par

mise en équivalence de tot par le marché, qui

ne reconnaît de « valer » q'à ce qui se vend

le miex. Georges Steiner a récemment dit

avec corage, qe, de la censure annique et

de la censure par l'argent, il était dicile de

savoir laqelle était pire. Et nous devons avoir

le courage de l'entériner. Il se porrait que la

censure « indolore », comme ne euthanasie,

de la démocratie rédite ax lois du marcé

tempérées par les droits de l'homme consom

mateur, pour le dire à la Debord, soit sos bien

des rapports aussi redotable qe la censure

des pays totalitaires.

L'avantgarde es nie depuis longtems

et nous ne consentons pas a postmoder-

nisme qi se croit malin parce qe cyniquedétaché : sans pathos, justement, sans larmes

et sans soance. Quelq'un qi a le cte

de la phrase doit savoir arracher des larmes

épileptiqes, celles dont tu parles sans cese

66



dans tes entretiens Si d'aillers l'on remonte

a premier des théoriciens de la postmoder-

nté, JeanFrançois Lyotard, on peut dégagerde critères qi dénissent n postmoderne,

et pas d tot au sens cyniconihiliste, o a

minimm détaché et purement parodique, à

quoi nos n'avons été que trop accotumés.

Le premier critère est conn : nos devons

renoncer ax grands récits et nos concentrer

sr les petits. Un jene philosophe, Tristan

Garcia, a écrit récemment sr mon travail qe

je fisais « le grand récit de la des grands

récits » : il a tout à it raison Je me souviens,

dans Tl Quel, d'un texte de Gyotat, cet héri

tier moderne si singlier d' Artaud, texte qui

avait un titre qi résmait tot son art poé-

tique : Bordel Boucherie. (Guyotat qui, soit

dit en passant, après près de vingt années de

silence éditorial et de martyre physiqe et

sociologique, pour revenir dt li aussi « sacri-er à l'atobiographie », et ce t le tot de

même magnique Coma) Mettons donc que

je fsse qelque chose comme Gyotat en

philosophie, n système de la soance pre,

67



inuile, surnuméraire, toujours provoquée

au préexte du mensonge qu'est le langage,

inigée à des milliards d'anonymes humainset à des dizaines et des dizaines de milliards

d'anima depuis les quarante ou cinquante

petits millénaires que l'animal echnologique

e mimétique que nous sommes es apparu.

Autrement dit, une philosophie qui ne le

cède en rien aux injonctions qu' Adorn e

premier a voulu imposer à la philosophie : la

souance gratuite est intolérable ; « attendu

l'état d'avancement des frces productives, e

monde porrait être ici et maintenant le para-

dis », et nous en isons un ener ; « l'istoire

n'est pas l'histoire du Bien, mais de l'horreur » .

L philosophie ne doit plus consoler, vendre

des paradis articiels, mais ouvrir une bonne

is pour toutes un « regard médusé sur

l'abattoir qu'st l'Histoire ». Le pathos, c'est

le dédoublment, 'amplication exponentielle de la pure sourance animale par la

ute de la technologie, c'estàdire l'aptitude

au langage. Ren ne peut nous consoler sur

ce point tant que cette souance ne sera pas

68



nièremnt niée ; t la littérature aura tou

jours l dvoir ou alors passer aux airs

courants t à la machandis d dir cpathétiqu.

Vis minuscules, on n put êt plus xpli

cit : ça a doné toute un littératur, qui st

aussi une politiqu, cll ds éditions Vr

dir, ctt ncyclopédi modrne ds micro

biographis, c'st-à-dir d la Littératur.

Brgounioux, autr grand mblè de c pro

jt éditorial, l'a xmplairment résumé : la

littératur, cette rligion modre, « a porté,

dans son rgistre étincelant, crtains liux, cr

tains homms ls popriétairs fnciers d

l'époqu homériqu, les princes emprruqués

de l'âg classiqu, ls bourgois conquérants

du capitalisme aissat t abandoé l rs

tant, la périphérie rural t ses habitants, à

l'obscurité des mondes sans ret, sans voix.

Elle a toujours privilégié crtaines partis dumond social, la cast ou la classe dominante,

ss usages, ses vus, ss tourmnts, son lan

gage tandis que le grand corps laborieux d

la nation, manants t gns de pu, srs t

69



prolétares emes étaent sosreprésentés,

lorsqe d'avntre ls l'étaent, dans le co-

mentare q doble en l'éclarant, l 'aventrecollectve » C'état à Chamnador Et, ctant

n essayste alleand qu écrt : « La France

C'est ce pays où la lttératre a été élevée au

rang d'ne relgon ! », Bergonox enchaî,

parlant de to : « Et ne relgon, ·qu' estce

qe ça ore à ses adeptes ? Le salut ! Sous

ce rapport nl n'est pls anças q Per

Mchon Il a rasonnablement consdéré qu,

dans le désespor à qo le one q l'a ft

l'avat rédt le salt passat par la lttératr.

À charge por l de savor n pe ce qu e

pratqat sos ce sgne ps ne s qul

aurat calclé la hater à laqelle l fllait

tenr eh ben, s'y porter avec, pour tot va-

qe les ves nes de ce paysc » C'est ce

qe Mchon appelle ass « la recherche d

pls pett dénomnater commn d'hma-nté entre des grands esprts ndsctables,

Van Gogh, Wattea, et n fcteur nas o

n abbé de cor élancolque » Volà pour

le premer crtère : la postmodernté, a ses

70



nole qui aurait dû être le sien si on avait réel-

lement écouté Lyotard, c'est de fire « ressus-

citer », comme dit aussi Michon, « l' espacede trois phrases », toutes ces vies, ces petits

récits, que, précisément, les grands récits ont

écrabouillés.

Le second critère de ladite postmodernité

a la rme, chez Lyotard, d'une redoutable

question : comment phraser après Auschwitz ?

Elle recoupe, sinon répète, la question qu'avait

posée Adorno : estil seulement possible de

vivre après Auschwitz? Phraser et vivre, por

nous humains, c'est rigoureusement la même

cose. Exister, c'est porter le maque, surtout

quand on veut l'arracher. Des gens comme

LacoueLabarthe et Michon ont, pour moi,

répondu à cette question avec autant de rce,

à l'époque dite postmoderne, que Celan ou

Beckett à la question d'Adorno, à l'époque dite

des avantgardes. Michon n'aura pas moinsimprimé sa marque aux édition Verdier que

Beckett la sienne aux éditions de Minuit ; et,

dans les deux cas, il n'y est allé de rien de

moins que d'une politique.

7 1



Là-dessus je me suis dit : mais où y a-t-il

des phrases héroïques chez Michon ? Das

un premier temps, une phrase m'est veue,j'étai avec Jean-Paul Chavent, écrivain, ici

présent, qui ma tenu à bout de bras pendant

des anées avc sa femme Martie, et qu

nous lisait l y a quelques semaine des pages

entières du Roi des bo en pleurant, devat u

am commun. Jean-Paul, qui nous a ensuite

dit, évoquant de longes tournées de lectres

de Pierre Michon qu'il a ites e Corrèze

je ne me sens pas moins écriva quad je is

ces tournées, ue lorsque j 'écris . Traduiso :

je ne me sens pas moins écrvai quand je

prononce les phrases 'un autre que quad

je phrase moimême, c'est-à-dire quand je

paraphrase sciemmet. Et cette phrase qui

m'est venue, c'est la suivante « Il n'y a pas

de phrases héroïques chez Michon ; il y a un

héroïsme de la phrase . » On peut d'ailleurs direrigoureusement la même chose de Beckett,

contrairement à Celan par exemple pas de

phrases héroïques dans l'œuvre de Beckett,

mais un gigantesque héroïsme de la phrase,

72



por dire l'anonye mrr de l'héroïsme

des antihéos, des « lochad métaphy-

siques », des crevards, des aincus : de <c tousceux qui toben » . Dans le cas de Becket,

comme avant li Kaa, la littéare d'ne

perécution devenue en qelque sorte niver-

selle, indsrielle ; chez Celan, comme ez

rtaud, a noination héroïqe d'une persé-

cution singlière : « Por Celan, l 'exilé, la per-

sétion et qelle pesécution, coparée à

celle dpharmakos royal ! était sas réission

possible, inoubliable et indélébile, uschwitz. »

Nous nous souvenons tous des ves de <c Fe

de ort » : <c alors vos ontez en mée dans

les airs / alors ous avez ne tombe a rex

des nuages / on n'y est pas coché à l'étroit » .

Et les exep de pases hérïques ce

Celan ne sont pas mois nombrex, selon ler

lange propre, qe cez Artaud. C'st peut-

être ça, le critère ine ais décisif qi sparedans la modernité éene prose et poésie

héroïse de la phrase et phrase héroïqe,

Kaa et tad, Beckett et Celan, Michon et

Debord. C'es por ça que, ontre n certain

73



nombre de gens qui veulent absolumen qe

Michon soit une sore de poète, je crois au

contraire qu'il fut lui accorder son ace enonrecevoir, et qu'il es bien du côé de la

prose.

Naurellemen rien nest si simple, puisqe

quand 'ai comencé à potasser le recueil de-

tretiens publié sous le titre de Le roi vient quand

il veut, là on peut puiser pas mal de « phrases

héroïques », celles sur l 'impérati caégoriqe

dun pathos de la phrase, d'une diction juste

de la souance. Il y a es phrases ecore plus

héroïques, soulignées comme il se oit ue

distanc sarcastique, mais enn quand mêe.

Je ne sais pas ce que vous pensez d'une phrase

comme : « Très longtemps 'ai cru que la lité-

rature ce n'étai pas moi, maintenat je pese

que est moi », ais moi, je trouve ça passa-

blement goné. Aors, la boucle va être bou-

clée, et on va revenir à Artaud, la littéraureincarnée.

Et donc je citerai moimême je suis

de ces clercs de la religion moderne, j'essaie

de te convertr à quelqu'un qui me semble

74



exrmement proche Lacoue-Labarhe,

donc, e là pluô dans un « poème » que dans

une « conérence » : « L'histoire que je voudraisraconer (ou récier : c'est peu-être, malheu

reusemen, une sore de myhe) est donc celle

d'un renoncemen. "Renoncer a voulu dire

annoncer, énoncer. "Phraser, en grec, veu

à peu près dire la même chose. ujourd'hui,

oueis, "renncer signie : ne plus vouloir,

acceper. Par exemple, un desin, ne fa

lité : ce qui est di. dmeons par conséquent

qu'il fille apprendre à renoncer, lentemen;

à ne plus vouloir prononcer. lors, il peu y

avoir une phrase toujours la même; revenant

de loin, nombreuse, saccadée. ( . . . ) J'appelle

litérare cee paraphrase inie. »On ne peu pa ne pas paraphraser.

C'es ça qui s 'es passé avec raud. « Vic

time » exemplaire de l'avan-garde, comme

tan d'aures avant lui du rmanisme, c'està-dire de la Religion de l'art, Araud est celui

qui, par excellence, aura vouu ruer le lan

gage pour rouver n langage surgi de nulle

par : qui ne doive qu'à lui-même. Il y sera, en

75



un sens, parvnu bien sûr : c'es cete lange

inoïe, tétanisante, que nos aurons rncon-

rée cez lui, et qi nos ransit coe aprier jor. Mais il nos a srtout déontré

q'à trouer outes les prases, c'estàdire à

roer !'Histore elleême, on paraprase la

plus ancienne des prases, le pls sréter-

nant des fis historiques. Et c'est évideet

ici qe le coix du sostitre, « istoire véce »

et non vie o histoire, prend tot son sens Je

parle évidement de la fese « identica-

tion » d' rad a Christ Mais, justeen, il

ne s 'agit pas d'identication tad le dit par-

tout, et en toutes lettres.

« Savezvous, onsier rtad, coent

s'appelle le délire qi consiste à se prenre

por tel grand personnage istorique dont on

a épousé l'individalité?

Esu deven , psyciatre ibécile, et

où ast pris qe je e prenais por éss-Crist? Je t'a sipleent it et je répète qe

oi, Antonin rtaud, 50 piges, je e souviens

d Golgota Je 'en souviens, coe je e

souviens d'être à l'asile de Rodez au ois de

76



érier 1943 mort so un életrochoc qui me

t imposé contre mon gré.

Si os étiez mort, ous ne seriez plus là. Je uis mort, réellement mort, e ma mort

t médicalement constatée.

Et pis je suis revenu comme un homme qui

reiendrat de l'a-delà.

t je me souiens aussi de cet au-delà. »

Mais il y a ue frmulation encore pls ap

pante de cette reendication d' Atad, elle se

troue dans les Cahie d'Iry si magnique

men transcrits par Évelyne Grossman : « En

tot cas, ce qui subsiste de tote cette histoie

cétienne est que Jésus-Christ ( . . .) lorsqu'il a

senti l'atmosphère de Jérusalem par trop dan

gereuse pour lui, il n'est pas resté à attendre

les soldats qui auraient p enir le cherche,

mais s'est empressé de futre le camp Et c'est

n are type, une epèce d'inconnu, beau

coup plus que lui, rebuté par le prêtres, quiest mort sur la croix ( . . . ) qui était ce type, un

inconnu je l'ai dit, dont personne n'a jamais

su le nom, et dont l'exisence a été soigneu

sement cachée toujours par tous les prêtres

77



de ous les temps ( . . ) l'inconnu exécuté a

Golgotha sur l'ordre des prêtres, c'est moi. E

je ne suis pas le Chris, mais persoe, et j'aun peit compte à régler publiqemen ave

ous les prêtres de ous les emps. » Et le texte

est signé : noin Artaud

tad n'es pas le Chris, il nes personne

S'il est le Christ parodique de cette parod

d'Église qu'est la liéraure, c'est pour une rai-

son très simple : par rapport à tous les aues,

par rapport à tout le restant du maryrologe,

Rousseau e Deord, HOlderlin et Nieshe,

erval et Baudelaire et tuti quani, tau,

tout simplemen, e pour des raisons bien plus

injustes et contingentes qu'on ne veu le dr

communément, est celui qui a le plus soufer

Il a éé non seulement persécuté et interné,

mais mis au secret, ortré, empoisonné. J

ne suis pas le Chris, mais personne Enen-

dons : n'importe quelle personne qu soueau même ire que moi, et pour qui je témogne

D'où mon reget d'une rencontre dorno-

raud : dorno le premier philosophe à

metre la qestion de la souance démesurée

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et absrde que l'hmanié s'inige à vaste

échelle, depi des millénaires, au centre d'ne

philosophie Et je reste entièrement dèle àcette injoncion éthiqe : si Adorno avait pu

disposer à temps des textes d'Artad . . Voici

ce q'écrit Adorno de ce qe nos devons,

quelque désespérée q'elle paraisse, consi-

dérer comme nore tâche : « ne société qui

arait son télos dans la négation de la so

ance chez chacn de ses membres ». Voilà

i, au moins, comme programme, nos tient

à respectable distance de 'éthiqe de Staline,

Mao o Pol Pot et des philosophes qui s'en

inspirent, sans étoer de honte ou de rire

Artaud a cette phrase terrible, aroce, in

soutenable, q'on pet en eet mettre sr

le compte d délire, de la psychose, etc la

« passion d'Araud », a di cliniqement Lacan

l'ne des très rares is où il a daigné s'exprimer

làdesss, li qui avait diagnostiqé en 1937

ou 38, j e ne sais pls, qu'Arau « n'écrirait

pls une ligne » , ce passage se trove dans

les Cahiers d'Ivry, cex oris en fcsimlé

jstement , et je crois bien n'avoir jamais

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ien l de si bolevesant. C'est ne phase où

n abîme éthie est en je : « e ne vex pa

êe bien, pace e je me / eposeais / et qeje serais / solagé dans le mal / Je vex ête mal

dans / le mal / et mal tant q'il y aa d ml /

Je ne vex pas ête bien / Tan 'il y / aa n

atome / n sopçon de mal / je vex soi /

tojors »

Je vais ête comme Michon avec Rmbad

po cette phrase, c'estàdire ire ma Brigie

Fontaine : j'adoe cete phase et je la détete

à l fis e la déteste : je ne vex pas soir

tojos ; je ne vex pas ce reto, sans cesse,

des mêmes démons; je ne vex pas de ce es-

sassement éenel. Et potant, je ne pex

'adore cette loyaté, cet héoïsme qi nos

dit : tant e nos podirons, sans cesse,

des soances absolmen intiles, abomi-

nables ; tant e nos saons e, chaqe

seconde qi passe, el'n, homme oanimal, se it totre, assassiner, tabasser,

mtile, viole, expopier de son ête ; alo l

prétention de el'n à écie, penser, céer

sans ie cas de cette souance snmérire

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sera nulle et o avenue. Continuer à peser,

à écrire, implique pour moi ne fdélié sans

ille à cette phrase ; e plus vouloir de cete

phrase, c'es pour moi cesser d'écrire, de pen-

ser, de créer.





NOTE DES ÉDITEURS

Mehdi Belhaj Kcem, rencontré à Paris lorsqu'il

avai d-hui ans, publié peu après cez Trisram

son premier ivre, Cancer suivi sq'en 2005 de

nef atres parmi lesques : Ves et morts d'Irène

Lepic, Socie, Essence n de l'amou Aect.

Cee longue écennie commne, entièremen

occpée par le ravai e l'amitié liéires, été

ussi cruciale, sans doue, por le déveoppeen

de ristra que pour l'élaboraion e 'œvre de

Mehdi i-même, poursuivie et pubiée ensuite à

'enseigne de collecions plus striceme pioso

phiques.

Artaud e la théorie du complot : 'hisoire acontée

ici est égalemen la nôre. Seul 'aueu e 1993

e de Antéforme povait, uourd'hui, écrire cespages, e nous evions en êre les édites

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Artaud Et La Theorie Du Complot