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Opéra et Littérature française In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1965, N°17. pp. 257-269. Citer ce document / Cite this document : Opéra et Littérature française. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1965, N°17. pp. 257-269. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1965_num_17_1_2293

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Opéra et Littérature françaiseIn: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1965, N°17. pp. 257-269.

Citer ce document / Cite this document :

Opéra et Littérature française. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1965, N°17. pp. 257-269.

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DISCUSSIONS

Lundi 27 juillet 1964.

Président : M. Norbert Dufourcq.

Communication de M. Girdlestone.

M. Lebègue. — Les

historiens du théâtre français

n ont pu

écouter sans remords le

panorama

vaste

et

précis

tracé

par M.

Girdl

estone. Er effet,

ils

tiennent

tout

à fait

en dehors

de leurs

études le

théâtre

chanté

et,

pour ne

pas

parler

des

vivants, j évoquerai

Car-

rirgton Lancaster qui nous a fourni l étude la

plus

détaillée du

théâtre

français du XVIIe siècle.

Lancaster

a

tout

étudié, mais

il

a

laissé

de côté

tout ce

qui

était opéra.

Il

y

a

dans

le

parallèle tracé

par M. Girdlestone bien des sujets

de

réflexion

pour

nous

et

nous

l en

remercions

bien

vivement.

Nous constatons,

par exemple,

que l opéra

sous

Louis XIV est

le refuge du

fantastique, de

ce

fantastique que

le

rationalisme clas

sique a

éliminé de

la

tragédie, en particulier

le refuge

de

la magie

qui fournit un merveilleux spectaculaire si riche

que

les spectateurs

de l Opéra ne se lassent

pas des tours

de magie, tandis que

le

théâtre

parlé, après

avoir été

inondé de

magiciens

pendant la

première

moit

ié u XVIIe

siècle, finit

par en être saturé et supprime

les

magiciens,

non

seulement de la tragi-comédie

et

de la tragédie,

mais

même de

la pastorale.

Je renvoie sur ce point à l étude, qui n a jamais

été

remplacée,

d Ernest

Friedrich sur

«

La magie dans le théâtre français

au xviie

siècle ». Et

il

en a été question de nouveau dans un numéro assez

récent

de

la

Revue

d Histoire

du

théâtre.

Je ferai la même observation pour la

folie.

Vous avez fait

allusion

à

la folie

dans

l opéra.

Il se trouve que

la

folie

a

fait florès

dans

notre

théâtre

parlé à

l époque

de Louis XIII.

On

voyait partout des

fous

tragiques dont les gesticulations

et

les

monologues remplis

saient e terreur les spectateurs, et aussi des fous

comiques,

fous

par amour,

qui,

au dernier moment, pour le dénouement optimiste

de la pastorale

ou

de la

comédie, étaient

miraculeusement

guéris.

Or, ces

fous disparaissent

du théâtre parlé

; vous

les retrouvez

plus

tard

dans le

théâtre

musical, dans le

théâtre

d opéra.

Enfin, l opéra est, sous Louis XIV, le refuge

et

de l irrégularité,

17

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258

DISCUSSIONS

comme vous

l avez

dit,

et du décor.

Ce

décor, qui est

peu

à peu sup

primé de la tragédie

et

de la

comédie,

prend une importance

très

grande

dans

l opéra

il

y

a

des

changements

de

décors avec

des

effets

de surprise.

Il

semble donc

que l opéra soit

une

évasion pour les spectateurs

de

l époque de

Louis XIV, leur permette des défoulements,

et,

en

somme, nous

donne

la

possibilité de modifier singulièrement l image

monolithique

que

nous nous faisons du

clacissisme

louis-quatorzien.

M.

le Président. —

Quelqu un

a-t-il

une

autre observation

à présenter

?

M.

Vanuxem.

J ai écouté avec le

plus

vif

plaisir

la

communic

ation

e l orateur. Le

sujet,

à

plusieurs reprises,

m avait

intéressé

et j ai pu constater que le résultat des recherches de M. Girdlestone

coïncidait,

sur

presque

tous les points, avec

celui des

miennes.

L opéra, à

partir

de

Quinault,

qui

en

a

été

le

créateur,

a

bien

été,

comme l ont dit M.

Girdlestone

et

M. Lebègue,

cette possibilité

de

se

défouler

en

voyant

des machines, des

décors,

en

entendant de la

musique que la tragédie

avait presque

entièrement

repoussée.

Mais M. Girdlestone a très bien indiqué que l on peut se

demander

si, dans

les rapports de

l opéra

avec

la

tragédie,

il y a eu, au cours

des années,

une

espèce de monolithisme de chaque

côté

et s il

n y a

pas

eu, au contraire, des

rapports assez

complexes

et

quelquefois

difficiles à

saisir.

Si

l on se place à

un

point

de vue chronologique,

on

peut

concev

oir, e

crois,

que les

choses

se sont

passées

de la façon suivante.

Il

est

hors

de doute que

l opéra

— Cadmus

et

Hermione en

pre

mier —

dérive

essentiellement des

pièces

à

machines et des ballets

avec

entrées.

Mais,

à

mesure

que

les

années

passaient,

les

auteurs,

Quinault

d abord

et son

musicien

Lully —

car

nous savons que Lully

regardait aussi

du

côté de

la

tragédie

et tout le

monde connaît une

anecdote célèbre où Lully a mis

en

musique le

récit

final

d Iphi-

génie

— les auteurs ont

regardé

de

plus en

plus

vers la tragédie.

Quinault était un

des

grands auteurs tragiques de son temps —

certaines de

ses

tragédies sont fort

curieuses et

même belles, comme

La mort

de

Cyrus ou

Astrate

— et qu il n a

jamais

cessé

de songer à

la tragédie.

Il

est intéressant de

voir

que

le second sujet qu il a

choisi,

c est

Alceste dont

a

parlé

M.

Girdlestone, qui est

si

curieux

par

sa mise

en scène et par la

manière dont

le

thème est

traité, et

cet Alceste

vient d Euripide. On pense que

Racine s était

intéressé à Alceste

avant

Quinault

et,

peut-être,

pour

une

pièce

à musique.

D autre

part, si

l on

suit

l évolution

des opéras de Quinault,

on

voit

les thèmes se

simplifier et

faire

une place aux données psycho

logiques.

Dans

les

trois, quatre ou cinq

derniers opéras de

Quinault

— A tys, par exemple — apparaît

une

psychologie délicate qui oriente

les personnages vers le grand drame, vers la tragédie.

Excitée

en

quelque sorte

par

la

jalousie,

Cybèle, si mes souvenirs sont

exacts,

transforme

le malheureux

Atys en

pin.

Cette transformation est

amenée par

une évolution extrêmement

délicate. On

a,

au xvne et au

xvine

siècle,

admiré,

comme

une

scène

digne

des plus

belles

et des

plus

fines de la

tragédie,

la fameuse scène

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OPERA ET LITTERATURE FRANÇAISE 259

entre Atys

et Sangaride où

Sangaride,

avec des

raffinements

dignes

de

la

tragédie racimenne,

avoue

qu elle

aime

Atys.

Les

grands

opéras

de

la

fin

semblent

se

rapprocher

de

plus

en

plus

de la tragédie.

Dans Armide,

le

grand

succès de Quinault,

il

y a

beaucoup de machinerie mais

l œuvre

est conçue

comme une

véri

table tragédie,

avec

des moments d un

tragique extraordinaire.

Ainsi,

lorsque

Armide,

le poignard à la main,

se

demande si elle

poignardera, ou non, le pauvre Renaud endormi.

Cette scène faisait

frémir

les

gens

du

xvne siècle —

et

ceux du

XVIIIe siècle. Chose singulière, tous

les textes

qui

en

parlent,

la

mettent

au

même rang que

les

plus

belles

scènes

de Racine. Ils

disent : « Ce

qu il

y a d extraordinaire dans

Y

Armide,

c est

qu avec

les moyens

très simples qui sont

les

siens, Quinault a

réussi à don

ner une

impression

tragique

et, dirions-nous,

à mettre des

notes

psychologiques, aussi riches

et

aussi subtiles

que Racine

l a fait

dans

sa tragédie.

L armée

suivante,

l opéra de

Campistron,

Achille et

Polyxeně,

est

une

véritable tragédie.

Donc, de

1680 à 1688 ou 1689, l opéra, avec

Quinault

et Campist

ron,été entièrement dominé par le désir de rivaliser avec la tra

gédie

et

de la remplacer

en

quelque sorte, puisque,

à

ce moment-là,

il

n y

avait,

en dehors

des

propres succès de Campistron,

que

des

tragédies moins importantes

que

celles

de la période précédente.

Tout cela,

Monsieur,

vous

l avez

fort

bien dit et vous

m excuser

 ze le

redire.

La

tragédie

s est

laissée contaminer

complètement

par l opéra :

il

en est

ainsi

des tragédies de Danchet, de Crébillon,

puis

de Voltaire.

L opéra

domine

en

quelque sorte la tragédie,

mais

il

y

a

eu une période, celle de

la

fin de Quinault qui est un

auteur

tragique,

où,

semble-t-il,

l opéra

a

voulu,

non

seulement rivaliser

avec

la

tragédie,

mais

égaler en

richesse psychologique la tragédie.

Communication de

Mme Fortassier.

M. le Président. — Madame,

vous

avez,

avec une science

étonnante, un goût

et une

ironie

que ces applaudissements viennent

de souligner, touché

un sujet qui

nous est

cher,

à

nous

autres his

toriens de la musique,

et

qui est le suivant.

Lorsque

nous écrivons une

histoire

de la musique, nous avons

toujours à nous demander quels sont

les rapports

de la

musique

et

de

la littérature.

Nous les

apercevons

fort

bien au Moyen Age autour

des

fabliaux,

au

xvie

siècle autour

de

Ronsard

et

de Desportes.

Nous

avons

évoqué

tout

à

l heure Faction

de

Quinault.

Nous

les

connais

sonsgalement pour Rameau

et

Pellegrin,

Rousseau, d Alembert.

Mais,

lorsque

nous

abordons l histoire de la

musique

française

dans la

première moitié du

xrxe siècle, j avoue que nous

ne

savons

pas toujours

quoi dire.

Une

très

belle

thèse de doctorat,

il

y a

une

quinzaine d années,

si ma mémoire

est

bonne, attirait

notre

attention

sur

George Sand

et

la

musique et

nous montrait

que Franz

Liszt

avait apporté

beau

coup

à George

Sand.

Lorsque

nous parlons de

Berlioz,

nous ne

savons pas très

bien

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2ÓO

DISCUSSIONS

quels

ont

été

les

points

de contact avec les littérateurs. La musique

française dans le premier tiers du xixe siècle, c est Berlioz, nous

dit-on.

Puis-je me

permettre

de vous poser

une

question

?

Balzac a-t-il

entendu

Berlioz

lui

parler d harmonie, d orchestration ? Avez-

vous

là des références

qui pourraient

satisfaire ma curiosité de tech

nicien ?

Mme Fortassier. — On

n a pas

de texte ;

on voit

seulement

Balzac s intéresser à

l harmonie tout d un coup,

alors

que,

jusque-là,

il

avait été

attiré uniquement par le chant,

ne se

préoccupant

pas

de l harmonie et encore moins

de

l orchestration.

On pourrait me rétorquer que,

lorsqu il

a écrit ce commentaire

de Robert le Diable,

il

avait là, tout fait, cet article de

Berlioz paru

l année précédente,

en

1836, sur l orchestration de Robert le Diable,

qui est

extrêmement élogieux. Il ne

l a

pas

lu.

Seulement, c est, je

crois,

une question

de temps

et

ce

n est

pas

du

mépris.

M. le Président.

Savez-vous si Balzac

a entendu

La

Damnat

ione Faust en 1846, si

cette

partition

l a

intéressé, ce qu il y a

trouvé ?

Mme

Fortassier. —

De Berlioz,

il ne connaît pas grand chose.

Au moment même où

il

travaille à son Moïse, je

ne crois pas qu il

ait

eu la

curiosité

d aller

écouter, juste

en

cette année 1839,

Benvenuto

Cellini. Il avait tant d autres choses à faire. Puis,

en

fait, c est l opéra

italien qu il

aime.

M.

le Président.

— Vous

nous avez apporté

beaucoup

d'éclai

rcissements sur la qualité

des

personnages musiciens de Balzac

et

tout ce

que

vous avez

dit

sur

les

voix, nous

devrions

en

tenir

compte

dans

une

histoire

de

la

musique,

même

à

l époque

classique.

Quelqu un

désire-t-il

intervenir

?

M.

Pommier.

— J ai été

très

intéressé

par

votre

étude

sur Bal

zac et

la

musique,

Balzac

et

la voix humaine.

En particulier,

on

peut

se

rappeler

que

Mme de

Berny

avait

une

voix d or. Et

Mme

Dussane,

devant

son portrait, estimait,

par

des considérations

techniques

dans

lesquelles je n entre pas,

qu elle

n en était

pas

surprise

et que

de ce menton, de cette bouche, enfin de ce

bas

de figure devait

sortir

effectivement

une

voix

d or.

Mais en dehors de la question de la voix humaine

et

de la musique,

peut-être

pourrions-nous

revenir sur

un

point de

la question qui a

été

posée, c est-à-dire

celle de Balzac

et

de l opéra. J ai remarqué,

Madame,

que,

dans

tous

les exemples

que

vous

avez donnés,

il

n y

en

a

qu un

seul

je

crois

bien

qu il

s agit

de

l allusion

de

Victorme

Taillefer

Balzac parle des décors de l Opéra. Je vous demand

erai i vous avez

trouvé ailleurs

quelques allusions prouvant

que

le décor de l Opéra a agi

sur

l imagination

de Balzac.

Si je vous

pose

cette question, c est parce que,

pour un autre

grand romancier du siècle qui est George Sand, l influence du décor

de

l Opéra

sur son imagination

ne

fait

pas

de

doute. Quelquefois,

nous nous posons la question «

Où a-t-elle

vu cela

? » Or, ce

n est

pas dans la

nature, mais dans

cette nature, factice et éphémère,

que

représente

le

décor

de

l Opéra.

Je lisais récemment

qu en

arri-

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OPÉRA

ET LITTÉRATURE FRANÇAISE 26 1

vant à la

Chartreuse

de Vallombreuse elle

avait dit

: « Enfin,

je

vois

de

mes

yeux

ce

que

je n avais vu

que dans

mes

rêves

ou dans l acte

des

nonnes

de

cet

opéra de

Robert

le

Diable

»

dont

vous

avez parlé

tout à

l heure.

Ma

question

est

celle-ci

: «

Y a-t-il quelque

chose

d analogue

dans La

Comédie humaine

?

»

Mme

FoRTASSiER.

— Je suis

certaine que Balzac

voit

le monde

par ces décors. Il

y a

un passage,

à la fin

de

L élixir de

longue

vie,

il

décrit la

«

cérémonie de l apothéose » après la demi-résurrect

ione Don Juan, scène, dit-il,

«

dont

les

décorations

vaporeuses

de nos

opéras modernes ne

sauraient donner

une

faible idée ». Il

pensait probablement aux décors

de

Robert le

Diable, faits

par

Ciceri, qui l avaient

beaucoup

impressionné.

Il est

lui-même très

content quand on lui dit que son boudoir

extraordinaire

ressemble

à,

je

crois,

la

cathédrale

de Palerme.

Et

quand

Blondet, qui

n est

pas

un

sot, arrive

en Bourgogne,

dans la

propriété de Mme de

Montcornet, il

dit : «

Ma

foi,

c est

presque aussi

beau

qu à

l Opéra »

(Les

Paysans). Il s agit d un parc

plus

ou moins pittoresque.

On a souvent

insisté sur ce qu il y avait, en

cela, de naïveté, de

ridicule. Je ne crois

pas que

ce soit ridicule. D abord,

il

y a

une

ques

tion de temps. Au

temps

de Balzac, on

pouvait

à

juste

titre être

ému,

frappé

par

un

décor d Opéra.

Et

Balzac

a

vu le monde un peu

à travers

cela.

J ai cité Ly Elixir de

longue

vie

et

le texte

des

Paysans,

mais il

y

a

d autres exemples.

M. le Président. — Avez-vous d autres observations

à

présent

er

M.

Vier.

Je

ne me

permettrai pas

d intervenir

à

propos

de

cette si

belle

conférence, mais vous avez, Monsieur le Président,

posé à Mme

Fortassier une question en

ce qui

concerne les

rapports

possibles de Balzac

et

de

Berlioz.

Je me contente d apporter ici une

petite indication qui ne vaut pas grand chose

car

je

n ai pas

de texte.

Vous avez

parlé

de Benvenuto Cellini. Or,

l opéra de

Berlioz a

fait

l objet d une lettre, non

pas

de Franz

Liszt, mais

de

Mme

d A-

goult.

A la

même

époque, Balzac, au

moment

Mme

d Agoult

est

retournée à Paris,

et

avant,

bien

entendu, de

lâcher

contre

elle

le

pavé de

Beatrix, Balzac

a fréquenté son

salon. Il

a

vu Liszt et

il

est

possible que

Liszt ait

mis Balzac au courant de

ses

propres

pré

férences — qui étaient infiniment

marquées

pour

la musique de

Berlioz, et aussi

d ailleurs pour la

musique allemande.

On

peut

dire

que

le

jugement personnel de

Mme

d Agoult,

qui

avait

de

fortes

racines allemandes,

a

pu aussi influencer celui de Liszt.

C est

une

présomption

qui,

je le

regrette,

ne repose

sur

aucun

texte, mais il

est

infiniment probable

que

Balzac, dans le

salon

de

Mme

d Agoult,

a pu

bien des fois

rencontrer Liszt, l entendre

parler

dans

des

termes flatteurs

et avantageux

de

Berlioz et

des

tendances

qu il

représentait.

M. le Président. — Pensez-vous que Balzac

avait une

connais

sance

uffisante

de la musique pour

opérer

une

distinction,

une dis

crimination entre

l art

italien

et

un

art allemand

qui

n était connu

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3Ó2

DISCUSSIONS

en France

que depuis quelques années, les

Français

venaient de

découvrir les Symphonies de

Beethoven

?

Mme

Fortassier.

II

aurait

pu,

s il

en

avait

eu

le

temps

et

l en

vie,

aller

assister

aux

représentations que

les

chanteurs

allemands

ont données en

1831 et les

années

suivantes avec précisément

je

me

souviens de

l article

de La Revue

musicale — la

fameuse

prima

donna Schroeder-Devrient

dont Berlioz parle

si

souvent à l'occa

sion

e son voyage

d Allemagne.

Jamais il

n y

est allé. C était

dans

la

même salle,

au mois de

mai

:

mais les Italiens

s en

allaient et

Balzac

ne se

souciait

plus du

tout de la salle Favart et

de ce qui

s y

passait.

M. le

Président.

— Peut-être a-t-il pressenti

la différence

?

Mme

Fortassier. — II

a

fait l effort énorme de comprendre

et,

là,

génialement, il

a

compris, je crois,

mais

son goût profond le ramen

ait

oujours à

la

mélodie,

à

Bellini.

M. Vier. — Avec son intuition prodigieuse de

romancier, il

était capable, sur les indications

techniques que pouvaient

lui don

ner Liszt

et

la comtesse d Agoult, de faire la

différence

entre la

musique

italienne, d une part, la

musique de

Berlioz et la

musique

allemande, d autre part.

Je crois

que

Balzac,

après

une

conversation

et sans

connaissances

techniques précises, pouvait parfaitement

faire

le départ entre les deux.

Communication

de M. Fortassier.

M. le Président. — Mon cher Confrère, nous

savions que

vous

étiez un

historien de la littérature,

un

historien de la

musique, mais

vous

notu.

avez

montré

que

vous étiez compositeur

à vos

heures

car,

pour nous dévoiler

les

arcanes

du

livret et

de

la musique de

cette manière, vous avez certainement — votre

modestie

ne l avouera

peut-être

pas

— cherché de temps en temps à jumeler

ces deux

arts

que nous nous

essayons à

définir.

Je

vous remercie

vivement

de

l effort

que

vous avez accompli pour faire comprendre

à

nos audi

teurs

ce

qu était

la vraie

musique à

côté du

mauvais

livret.

Y

a-t-il parmi ceux qui ont écouté notre

collègue

quelques audi

teurs

qui

désirent faire

une

observation ?

M.

Vier. — Je remercie

et

j admire

M.

Fortassier

pour

sa

très

belle conférence

qui

m a

beaucoup

appris.

Je tiens

d abord

à

lui signaler le

petit fait

suivant. C est que le

récit

d Escamillo

sort tout entier

et

littéralement

d un

récit

de

course de taureaux

qui

se trouve dans le

Gonzalve

de Cordoue de

Florian. J ai été

absolument

stupéfait de cette rencontre, je ne m y

attendais pas.

M. Fortassier. — C est de

l érudition

de Meilhac

et

Halévy

cette fois.

Bizet

n était

pas

très

enthousiaste

de cet air du Toréador

qui

est

extraordinaire,

qu il

a

traité

supérieurement

et

qui

demande qu on

le joue avec le piano,

ce

que

son

ombre n obtient pas toujours

à

l Opéra-Comique

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OPÉRA

ET LITTÉRATURE

FRANÇAISE 363

Mme Maurice-Amour. — Le Gonzalve de Cordoue a inspiré

Les

Abencérages

de Cherubíni. Voilà la source

M.

Vier.

Je

me

demandais

comment

Meilhac

et

Halévy

avaient

pu s en

inspirer...

Mme Maurice-Amour.

Les Abencérages

ont eu beaucoup

de

succès.

M. Vier. — J ai été

stupéfait des

ressemblances qui existent

entre ce récit de course de taureaux

et

le récit chanté.

Ma

deuxième remarque aura peut-être

une

portée

plus

générale ;

elle se présentera sous

forme

de question

et

à

l historien de la

mus

ique

et

à l historien de la littérature.

C est que —

et

votre exposé,

mon

cher collègue, se

conjugue

fort

bien avec celui de

M.

Girdlestone

nous avons appris

qu il y avait

de vrais poètes comme Quinault, comme Jean-Baptiste Rousseau,

comme

Roy.

Je

remercie

beaucoup

M.

Girdlestone

d avoir

prononcé

à plusieurs

reprises,

le

nom de

Roy,

un

illustre

méconnu qui était

un poète, dont le « Ballet des quatre

éléments »

avait obtenu un suc

cès extraordinaire

et

dont tout le XVIIIe siècle a parlé. J ai

lu

le

livret

;

c est

un

très

bon

morceau

de poésie.

Par conséquent, les plus grands musiciens

comme

Rameau se

sont

accommodés

de la collaboration de poètes incontestables car,

si le

xvnie

siècle n a pas

connu de très grands poètes,

il

a connu

des

gens inquiets de création

poétique et

qui, par les moyens les

plus

étonnants, ont

cherché

à

rendre

une existence

nouvelle

à

la poésie

sans arriver — sauf peut-être, bien entendu,

dans

le cas d André

Chénier — à

des modèles

véritablement

convaincants.

Or,

au

XIXe siècle,

vous

venez de

faire

magistralement la preuve

que

les

grands

musiciens

avaient

des

librettistes

qui

ne

leur

don

naient

que d exécrables

opérettes.

Je

pose

la question A quoi cela

tient-il

? Cela résulte-t-il de

l évolution de la

musique

ou de l évolution de la poésie

?

Pourquoi

ce qui a été

possible au

xvine

siècle ne

l est-il plus

au XIXe,

ni

au

XXe ?

M. Paquot.

Si

nous

songeons

à Pelléas, nous avons

un livret

remarquable

et

une

musique

géniale...

Mme Maurice-Amour. —

Ce n est

pas

un livret

Un Membre de

l Association.

— C est

en

prose

M. Paquot.

II

a

choisi de mettre en musique une

œuvre comp

lète,

c est exact...

M. FoRTASSiER. — Je

ne voudrais

pas vous couper la parole,

mais

je

crois

que,

dans

le

cas

de

Debussy,

il y

a

une

constance

extrême

de

l exigence

d un texte, qui

laisse sa place

à la

musique, d un

texte,

comme il le disait lui-même, en camaïeu,

en

grisaille, qui n affirme

rien, qui suggère et

qui,

d avance, se

trouvait

d accord avec sa

mus

ique. C est évidemment cet accord pré-établi qui

l a

séduit dans

Maeterlinck.

Je suis

aussi

de l avis de notre Président,

je

trouve que le

livret

de Maeterlinck n est

pas

sans faiblesses — je pense en

particulier à

:

« Ne me touchez pas, je me jette à l eau »

et

à

quantité d autres

choses

— J admire d autant plus la fidélité de Debussy qu il

n a

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264

DISCUSSIONS

pas

hésité à prendre le texte complètement. Et

quand vous

dites,

Monsieur,

qu il a pris là

une

œuvre vivante,

vous

avez

tout

a fait

raison.

Pourquoi n en

a-t-on

pas

fait

autant

au

xixe

siècle

?

D abord,

il ne faudrait

pas

exagérer la qualité des poètes

du

XVIIIe siècle

qui

ont

servi.

Quand Lamartine proteste contre la mélodie,

quand

il

proclame cette

fameuse

affirmation

: «

Les beaux vers

ont

en eux-

mêmes

leur

musique

»

il

a fort raison

et c est certes une

chose que

ne pouvait

affirmer Gentil-Bernard,

ni

même ce

brave

Jean-Baptiste

Rousseau, ni même

peut-être

tout

à

fait Quinault, bien

que l on

trouve de

jolis

vers dans Quinault.

Au moment où

l œuvre

contient en elle, comme

dans

Shakespeare,

Virgile,

Hugo,

Lamartine, sa

propre

musique, la différence de temps

s installe à ce

moment-là

et il n y a

plus moyen de

mettre cela en

musique, comme le dit Berlioz remarquablement. C est pourquoi

j'ai

cité

l observation

de

Berlioz dans

La

Damnation

de

Faust.

Le

poème

lyrique

c est

l idée qu on

retrouve

chez Edgar

Poe

le

poème

lyrique court peut encore

s accommoder

de musique, mais,

pour

le poème

lyrique

long, c est

impossible, à moins de lui

infliger

tant de coupures

que

ce

n est

plus le poème de l auteur.

Un Membre

de

l Association. —

Paul

Dukas n a-t-il pas

fait

la

même chose

avec

Ariane ? A-t-il beaucoup

altéré le texte

?

M. le Président. —

Non, il

a gardé son texte. Ce qui est si beau

pour Pelléas, c est la

conjonction entre Debussy

et

Maeterlinck

c est une

date dans l histoire de la

musique

c est

que le compor

tement de ces deux êtres aille

dans

un même

sens.

Nous trouvons

avec Fortassier que le livret n est

pas bon

(avouons que,

quand

nous allons

à

l Opéra-Comique, nous sourions souvent).

Il

a

beau

coup

vieilli.

Il

y

a

beaucoup

de

rides

dans

Pelléas

je

ne

parle

pas

de la musique.

Ce qui est admirable,

pour

l histoire de

la musique, c est qu un

homme ayant entendu,

en

1893, Pelléas, cet homme l ait pris

et

se

soit retrouvé

dans

ce

texte pour en faire la musique et la

signer.

C est

là un phénomène

fort intéressant

qui ne s est

pas

retrouvé

depuis

1893-

M. Paquot. — II faudrait étudier l opinion

que

Maeterlinck

avait de la

musique

de Debussy ;

elle

n était

pas

sans réserves...

M. le Président. — ...

pour

certaines

raisons. Maeterlinck

était

furieux, mais pour

d autres raisons.

M.

Fortassier.

II

a fallu

passer

outre.

Communication de Mme Maurice-Amour.

M. le Président. — Mesdames,

Messieurs,

mes

chers

Col

lègues,

je

me

fais votre interprète

pour dire à

Mme Lilas Maurice-

Amour combien

elle

nous

a

intéressés ce

soir

avec

le sujet qu elle

a

traité.

Il

faut une belle

connaissance,

et

de la pensée de Quinault,

d une part, et,

de

l autre

c est

plus

spécieux

— de la

pensée

music

ale e

Lully

pour pouvoir ainsi nous introduire dans ce monde du

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OPÉRA

ET LITTÉRATURE FRANÇAISE 365

merveilleux, dans ce

monde

des Dieux qui ont

été

humanisés,

comme

elle Га fort bien dit.

A

ces

compliments,

j associerai

Mme

Maria

Férès

qui

a

été

très

émouvante

ce

soir,

qui

a été

grande comme

elle

avait

su

l être dans

Orphée

en

195 1

qui,

avec

beaucoup

de simplicité, a incarné l une

après l autre toutes

ces déesses

que nous avons

entendues.

Elle l a

fait avec un sens

profond

de

la prosodie

française

et

de

l ornementat

 on

rançaise, ce qui est difficile — les musicologues qui sont ici le

savent.

Je

féliciterai

également

notre très

chère amie,

Marcelle

Charbonni

er

lle est

toujours là pour

défendre

les

bonnes causes, les vraies

causes,

depuis des

années,

et

si la

musique

française de

clavecin

rayonne

aujourd hui, non

seulement

en

France, mais

en Amérique

— car vous

savez

qu un homme comme Pierre Patrick

est

un

des

grands

créateurs de cette musique de clavecin — je n hésite

pas

à

dire

que Marcelle

Charbonnier

a été

une

des

premières,

dans

notre pays,

à

se

donner

la

peine

de

se

pencher sur ces

livres

de

clavecin et

de les faire

chanter, non

seulement à nos

oreilles, mais

à

nos cœurs.

Je vais demander

à ceux ou

à

celles

qui auraient

des observations

à faire, à la suite de cette importante communication, de

bien vouloir

nous faire

profiter

de

leur savoir.

M.

Carmody.

— Je

ne saurais que

faire

écho au

sentiment

de

notre

Président

et

dire l émotion que j ai ressentie

en

entendant,

non

seulement

cette musique, mais

encore

ce choix

remarquable

de la science de Mme

Maurice-Amour.

Reste le dilemme de l opéra

que Mme

Maurice-Amour a abordé,

mais

qu elle

aurait pu développer.

C est

un dilemme tripartite d a

bord

parce

que

nous avons

l exécution qui

nous

distrait

un

peu de

la

pensée

scientifique,

c est-à-dire

de

la

mise

en

scène. Mais

il

reste

le paradoxe

livret-partition

et on ne

peut

pas nier, je crois, devant

ce choix élégant de textes, l importance capitale de la musique

et

le

fait

qu il

y a échange d inspiration entre les deux

artistes,

Quinault

et

Lully,

et

que c est Lully qui est le plus important.

On a

parlé ce matin

d évolution

de

la technique

de

Quinault. Cette

évolution

suit, je

crois,

celle des musiciens

et

nous

avons plusieurs

critères à

examiner sur ce

plan.

Je

crois qu il

incombe

aux littéra

teursplutôt qu aux

musicologues

d aborder ce problème, à savoir :

que représente la

musique

? On peut le faire à n importe quelle

époque.

Mais

il reste

sans doute un rapport essentiel

que,

d ailleurs, tout

le monde

ne

semble

pas

connaître. Ce fait

a

été

mis en

lumière par

Pierre-

Jean

Jouve

d abord

dans

son

livre

admirable

sur

Wozzeck

d Alban Berg

qui

est un modèle

d analyse musicale faite

par un

poète

de première

classe. Ensuite, il a fait, comme d autres,

un

pas

tiche de Wozzeck dans ses

poèmes.

On

peut

étudier la

musique

d Alban Berg

à travers

la

poésie

de Pierre-Jean Jouve. Il y

a donc

une

technique

d analyse

qui est, je crois,

ouverte

aux chercheurs, la

recherche

du

rapport

entre la musique et le texte.

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2Ó6 DISCUSSIONS

Conclusions.

M.

le

Président.

Peut-être

attendez-vous du

Président

qu il

résume en

quelques

mots

ce qui

a été dit au cours

de

la séance

de ce

matin

et

de

celle

de

cet

après-midi. S il m est difficile en

quelque

dix

minutes

de ranimer la conversation au sujet des différents

points

que

nous avons examinés,

vous

me permettrez peut-être

et

à toutes

fins

de solliciter vos

avis et

d établir une

discussion

possible,

de

reprendre

avec

vous

les trois plans qui me semblent émerger de

ces

premières communications.

Livret et musique

: Nous avons distingué le cas de

Debussy où

le musicien est grand et le

librettiste

grand, de la même époque, où

ils se retrouvent dans un même sujet, sans

doute

Debussy deman

dant

Maeterlinck

de retoucher quelque peu une scène ou,

plutôt,

Debussy oubliant

certaines

scènes,

ne les reprenant

pas,

rétrécissant

somme

toute

le

sujet.

Il

y

a

là,

je

le disais ce

matin,

un

cas

dans

l histoire

de

la

musique.

En voici

un

second

: ce sont

des

librettistes qui

sont comme le

truchement

entre

de grands créateurs de l Antiquité, un Virgile,

un

Ovide,

un Homère, ou bien des personnages comme Le Tasse,

PArioste,

et le

musicien — même un Mérimée. Nous avons entendu

M. Fortassier nous dire

qu il

y a, dans l histoire de

l opéra, le

drame

des

librettistes qui essaient

de retrouver la pensée

de ces grands

maîtres

et

de la fournir, somme toute,

aux

compositeurs. C est

un

rôle un peu

délicat, un rôle

difficile que d être un trait

d union.

Puis, il

y a, en troisième

heu,

ces grands maîtres ;

il

y

a

Virgile

derrière Les

Troyens,

comme il

y a

Pouchkine

derrière

Boris. Et

cela

explique suffisamment, ce me semble, une pièce

et

le problème

musique

et

littérature.

Voilà

posés,

si

vous

le

voulez

bien,

quelques

jalons.

A

cela s ajoutent

bien

des

notions, en particulier celle — qui m a

fort intéressé

et

qui

est

une

remarque

de

M.

Fortassier

que

le

compositeur

peut, ici

ou là,

retoucher

le

livret. Je

crois

que

notre

ami Fortassier n a

pas

évoqué le cas de Mozart.

Il

aurait pu le faire

pour

« Don

Giovanni

». Vous savez tous ce dont

il

s agit,

Mozart

demandant

a retoucher

le livret

pour certaines scènes qui étaient

compliquées

à

présenter au

théâtre

et qu il a voulu

faire de telle

ou

telle

manière. Nous

aurions

pu également

évoquer

la personnalité

de Gluck

discutant

des livrets avec

Calsabigi. Là,

nous

avons affaire

à une sorte de collaboration entre

deux personnages

de haute qual

ité, musiciens et poètes

qui, somme

toute, se

complètent.

Il y

a

le cas du

musicien

qui

n est

pas

très cultivé.

Je

m excuse,

mes

chers

Collègues,

en

tant

que

musicien, de

poser ce problème

mais,

après tout, il

mérite

de

l être.

On nous dit très souvent : « Les musiciens sont gens cultivés. »

Mais non, croyez-moi, les musiciens ne sont

pas

toujours

gens

cul

tivés. Il y en a de très cultivés

qui

savent

très

bien la valeur

d un

texte

de Virgile,

la

valeur

d un

texte d Ovide,

c est vrai.

Il

y en

a

d autres qui

ne

le sont pas

et

comment leur faire grief de ne

pas

sai

sir

complètement la

pensée d un

homme.

Personnage

cultivé

à

sa

manière, Berlioz — Berlioz en présence

de

Gœthe

par

l intermédiaire

de

Gérard de

Nerval et qui

lui

impose

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OPÉRA ET LITTÉRATURE FRANÇAISE 267

certaines scènes,

qui impose

certains éléments à sa musique.

Cette

musique, comment l interpréter ?

C est

tout

à

fait

autre

chose. Si

j expose

le

cas

de

Berlioz,

c est

parce que

je

pense à

ce

qui

se

passe

aujourd hui au

Palais Garnier — mais, cela,

je

ne veux pas y toucher.

Il y a

eu

Berlioz qui a été en présence

de

Gœthe,

un

Berlioz

qui

a

retouché le

texte

de Gérard de Nerval

et qui

a

abouti

à quelque

chose

qui

est lui-même.

Je me

demande s il

y a

des musiciens cultivés qui font de la

musique

vulgaire

sur un

mauvais

livret.

Je

pense

que

celui

qui

a

signé, par exemple, Madame

Angot, et

qui a

écrit une assez

mauv

aise

musique,

est

l un

des musiciens les plus

cultivés de notre pays.

C est

une

chose qu il

faut

savoir.

De

même, Thomas, qui a livré

cette

partition de

Mignon,

que

vous

connaissez — qui a,

il

faut le reconnaître,

des

qualités de

cou

leur et

d orchestration

— Thomas

était un

musicien

fort

cultivé.

Or,

il

a

emprunté

le

livret

que vous

savez.

Vous voyez donc que ces

questions

de musique

et

de

livret

se

recoupent à

chaque

instant, non seulement au XIXe siècle, mais éga

lement au

xviie.

Si vous

connaissez

les difficultés

rencontrées

par

Monteverdi lorsqu il a

demandé

un livret à

Busenello

pour Le Cou

ronnement de Poppée,

vous

verrez que nous

sommes

à peu près dans

le

même

schéma

que

celui que

nous allons

retrouver avec Bizet,

Meyerbeer,

Halévy, ou même

peut-être

avec

Gounod.

Regardez le livret si étonnant et,

au fond,

si

faible

de Fauchois sur

Pénélope. On peut dire que Fauré, qui a donné un opéra magnifique,

était

un musicien

assez

cultivé. Je

ne

dis

pas

« très cultivé ».

Voyez

les poètes qu il

a

choisis pour ses quarante premières

mélodies

;

cela

dit tout

de sa culture Il a pourtant

demandé

un

livret

à Fau

chois

d après

l histoire de

Pénélope, qui

est

ur mauvais

livret.

Il

l a

transcendé

c est

ce

que,

ce

matin, certains

d entre vous,

M.

Girdle-

stone

et M.

Fortassier, nous ont expliqué.

Je pense également que

Lully

quels que

soient les mérites,

que nous rappelait

tout

à l heure Mme Lilas

Maurice-Amour,

des

textes de

Quinault

— a transcendé

l œuvre de Quinault.

Madame

Maria

Férès, vous m avez fort

ému et vous

m avez

appris

beaucoup ce

soir.

Si, ce matin,

nous

avons, les

uns et

les autres,

touché d un

mot à

cette

question

du leitmotiv de

Wagner, c est-à-

dire ce retour permanent d une idée, d un symbole, d un rythme,

d un langage harmonique, d une

association

de

deux

accords ou de

deux

couleurs, je me

demande

si Lully

n a

pas aperçu

tout

ce qu il

pouvait

tirer

d une

simple mélodie de

quatre mesures

qui revenait

ici et là, qui reconstituait le

décor

et faisait revivre un climat. Le

fameux

rondeau

de

Lully

car vous

avez,

Madame,

chanté

six

rondeaux de

Lully — le

fameux rondeau de

Lully

n est-il pas à

l origine

de ce leitmotiv, c est-à-dire de cette idée

qui revient

? Et

comme

nous

vous attendions,

Madame, et

comme vous avez su

admirablement nous apporter ce

leitmotiv Il

y

a là, dès

1673,

la

preuve que

quelque chose de nouveau

se passe

dans l histoire de

l art lyrique

et transforme

la

mélodie.

J ai trop parlé, mes chers Collègues, et je m en excuse.

A

vous

maintenant de

venir

à la tribune

et

de

nous

apporter d autres expli

cations

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2Ó8 DISCUSSIONS

M. Lebègue. — Après ce que vient de dire

M. Dufourcq,

j ai

quelque

honte

à prendre encore une fois

la parole,

mais c est le

professeur de

littérature

théâtrale

qui

éprouve

ici

son

embarras.

Il y a déjà pas mal

d années,

j ai

lu

les tragédies de

Quinault et

il m en

est resté l impression que ces tragédies, qui ont eu un trè»

grand succès

sur

le

moment, justifiaient

le vers sévère

de

Boileau,

cité tout à l heure. Mais,

en

entendant

chanter du Quinault, j avoue

que je

ne

comprends plus ce qui s est passé. Est-ce que

Qumault

a

été révolutionné par Lully

? Ou

bien cela est-il dû au

prestige de

la musique

de

Lully

? Il est évident

que le vers

de

Boileau ne s ap

plique

pas

à

ce

que

nous

avons

entendu

tout à l heure.

M. Pommier. — N est-ce pas

postérieur ?

Ce

que nous

avons entendu

est, je crois,

postérieur

à Y

Art poét

ique.

Mme Maurice-Amour. — En dehors

des questions

de

médioc

rité,

d indigence

ou, au contraire,

de

qualité poétique,

il

y

a

tout

de même

un

facteur important :

c est

l intérêt dramatique.

J ai,

à l occasion

de cette

communication,

relu tout le théâtre

de

Quinault

tout au moins

le

théâtre mis en musique

et

même

quelques

autres pièces

par-dessus le marché.

Je

ne

peux

pas vous

dire

que

j ai

trouvé

tout parfait, tout

excellent, loin de

là, mais j'ai

été prise par l intérêt dramatique de toutes les pièces,

quelles qu elles

soient, et

j ai

toujours

été

accrochée

à un moment donné

par

une

scène ou

par un

personnage. Je crois que

c est très important.

Dans des opéras réputés

comme

des

chefs-d œuvre,

combien

garderions-nous

de scènes ? Garderions-nous

vraiment

beaucoup

d opéras

en

entier ?

M.

le

Président. —

Je

ne le pense pas.

Dans

les

plus beaux

opéras,

on

coupe facilement

certaines

parties avec plaisir, même

dans

Bons, même

dans

Pelléas.

Je me permettrai de poser une

question à M.

Lebègue.

Il

nous

a

parlé du

décor

au xvne

siècle

dans la

nouvelle

tragédie lyrique.

Croyez-vous,

cher Monsieur, que cet

amour du

décor

vienne en

même temps

du

décor de

ballet

de

cour

français

tel qu il

était repré

senté

depuis 1581

et

d une source purement italienne ?

Y

a-t-il

une osmose de

ces

deux influences

ou

bien comment se recouvrent-

elles

? Est-ce

que

l Italie

avec Torelli depuis

1647

intervient

de

manière

frfppante

et laisse

de côté

les fantasmagories des ballets

de cour ? Quel

est

votre point de vue sur cette question ?

M. Lebfgue.

— Je

ne suis pas très

compétent

là-dessus.

Je me

permettrai

de

rappeler que,

déjà

dans

la

première

moitié

du xvne

siècle,

il

y a chez

nous

un certain

nombre

de tragédies à

machines,

dont

une

de Claveret

qui m est

restée dans la mémoire parce qu il

dit dans la préface

que

l unité de

lieu

est observée si l on

trace une

ligne

perpendiculaire

du

ciel

à l enfer

en

passant par la terre. C est

une

conception

assez

originale

de l unité de lieu.

Or,

ces tragédies

à

machines

ont

précédé l opéra

français

et je

crois

que

leurs auteurs ont

été

fortement inspirés par

les

ouvrages

des

machinistes italiens, en particulier

par

les ouvrages de

Sabbatini

et

les

machines

de Torelli.

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OPÉRA ET LITTÉRATUBE FRANÇAISE 269

C est tout

ce que

je

puis

vous

dire

à

ce sujet. M.

Vanuxem

en

sait

plus

que

moi.

M.

Vanuxem.

Nous

avons

la

chance d avoir ici M.

Lawrenson

qui connaît

la

question. Veut-il bien

nous

en

parler ?

Je

crois

qu entre Berin, le décorateur de Lully

et

Quinault,

et

Torelli,

il

y

a

eu

des

hommes qui ont été sincères

et

qui

sont

des

Italiens les Figarani.

Ce

sont les Figarani

qui,

semble-t-il, hist

oriquement

parlant,

ont créé le décor des premiers opéras de Lully

et

de

Qumault et

ce sont eux qui ont également fait les décors des

derniers

ballets

de

cour

antérieurs

à 1670. Par conséquent,

la jonc

tion par les Figarani se fait de la façon la

plus

étroite entre le décor

du ballet de

cour et

toutes les inventions italiennes.

M.

Lawrenson.

— J aurai peut-être

une

seule

chose

à

ajouter

à

ce qu ont dit MM.

Vanuxem et

Lebègue.

C est

que

la machinerie

théâtrale

française

est

née

dans

le

Mystère

français.

Il

y

a

toute

une

science

de la machinerie théâtrale qui

ne

meurt

pas avec le

Mystère

français

et

qui

est, si

j ose

dire,

véhiculée à travers

le

xvie

siècle,

non

pas

par le

Mystère

qui meurt de sa

belle mort

à la fin du siècle,

mais

par la

fête

royale, par l entrée

royale,

par toutes ces occasions

que j appelle personnellement,

par

un néologisme, para-théâtrales.

C est cette science

que l on

retrouve

dans les

premières tragédies

à

machines

où, à mon sens,

l influence

italienne

n est pas

très

pro

noncée. Puis,

il

y a

l apport

direct

et

purement italien de Torelli

à partir de

1645. Les

frères

Figarani

brodent sur Torelli

et

ont

pris

soin de faire brûler tous ses décors.

M. le Président. —

Personne ne demande

plus

la parole

sur

le

sujet

qui

a

fait

l objet de notre enquête ?...

Je

n aurai pas l outrecuidance

de

remplacer

mon

ami

M.

Petit,

mais je

me permets de signaler

à

ceux que

le sujet

de

Verdi

intéresse

qu il a écrit un livre,

paru

récemment, sur le

théâtre

de

Verdi,

et

qu il existe

une

trentaine de

pages

absolument nouvelles

et

magnif

iques sur le sujet de Verdi, signées de Claudio Sartori, qui est le

grand musicologue italien,

dans

L Histoire

de

la Musique

de Roland

Manuel.

Il y a là, je

crois,

quelque chose

d absolument

neuf sur

la conception du théâtre de Verdi première

manière,

et sur sa

conception

seconde

manière

avec

Othello

et

Falstaff.

Mes chers Collèges, je déclare la séance levée.

Mardi

28

juillet

1964.

Président

: M. Charly

Guyot.

Communication de M.

Girard.

M.

le

Président. — Je remercie M. Girard de la

communicat

 oni

précise

et si noble qu il

vient de faire

et qui

se

rattache

à

l e

xtrême fin

de

sa belle

thèse de doctorat

sur « Le

Journal

intime

>>

il

pose

la question «

Y

a-t-il un

art

du

Journal intime

?

» Très briè

vement, vous

esquissiez

le problème, laissant

entendre que

vous