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98 Denis Legros (1, 2) , Jacques Crinon (1, 3) et Brigitte Marin (1, 3) 1. IUFM de Créteil (Équipe Coditexte) 2. Université de Paris 8 (Laboratoire Cognition et Usages) 3. Université de Paris 8 (Équipe Escol) Réécrire et apprendre à réécrire : le rôle d’une base de données textuelles Les travaux conduits dans le domaine de la psychologie cognitive ont permis d’analyser les processus mis en jeu dans les tâches d’écriture et de réécriture (Levy & Ransdell, 1996), de comprendre leur mise en place chez l’enfant (Butter- field & Carlson, 1994), et de concevoir des systèmes et des outils informatiques d’aide à la production écrite (pour une revue, voir Legros & Crinon, 2002). Le développement des environnements numériques de travail dans le contexte sco- laire rend nécessaire l’étude des effets des systèmes informatiques sur l’appren- tissage si l’on veut concevoir des outils efficaces d’aide à la production. Les trois expériences rapportées dans cet article ont pour but d’évaluer les effets d’une base de données textuelles, le logiciel expérimental Scripertexte , sur la révision et la réécriture de récits chez des élèves de huit à douze ans. La première expérience mesure les effets de ce dispositif sur l’amélioration des textes. La deuxième compare les effets de deux modes de navigation dans le logiciel. La troi- sième cherche à évaluer les apprentissages après trois ans d’utilisation de l’outil 1 . 1. LES PROCESSUS D’ÉCRITURE ET DE RÉÉCRITURE Notre cadre théorique s’appuie sur les recherches conduites en psychologie cognitive dans le domaine de l’activité de production de textes. Depuis la parution du modèle de Hayes et Flower (1980) et ses dernières mises à jour (Ala- margot & Chanquoy, 2001 ; Hayes, 1996), les recherches menées sur la production de textes ont permis de prendre en compte le rôle de la mémoire de travail (Chan- quoy & Alamargot, 2003) et le renouvellement des possibilités méthodologiques d’expérimentation (pour une synthèse, voir Olive & Levy, 2002). 1. Une quatrième recherche a mis en évidence le rôle des mots clés dans les effets observés lors des expériences précédentes (Crinon, Legros & Marin, 2002-2003). Nous ne l’évoquerons pas ici faute de place.

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Denis Legros

(1, 2)

, Jacques Crinon

(1, 3)

et Brigitte Marin

(1, 3)

1. IUFM de Créteil (Équipe Coditexte)2. Université de Paris 8 (Laboratoire Cognition et Usages)3. Université de Paris 8 (Équipe Escol)

Réécrire et apprendre à réécrire : le rôle d’une base de données textuelles

Les travaux conduits dans le domaine de la psychologie cognitive ont permisd’analyser les processus mis en jeu dans les tâches d’écriture et de réécriture(Levy & Ransdell, 1996), de comprendre leur mise en place chez l’enfant (Butter-field & Carlson, 1994), et de concevoir des systèmes et des outils informatiquesd’aide à la production écrite (pour une revue, voir Legros & Crinon, 2002). Ledéveloppement des environnements numériques de travail dans le contexte sco-laire rend nécessaire l’étude des effets des systèmes informatiques sur l’appren-tissage si l’on veut concevoir des outils efficaces d’aide à la production.

Les trois expériences rapportées dans cet article ont pour but d’évaluer leseffets d’une base de données textuelles, le logiciel expérimental

Scripertexte

, sur larévision et la réécriture de récits chez des élèves de huit à douze ans. La premièreexpérience mesure les effets de ce dispositif sur l’amélioration des textes. Ladeuxième compare les effets de deux modes de navigation dans le logiciel. La troi-sième cherche à évaluer les apprentissages après trois ans d’utilisation de l’outil

1

.

1. LES PROCESSUS D’ÉCRITURE ET DE RÉÉCRITURE

Notre cadre théorique s’appuie sur les recherches conduites en psychologiecognitive dans le domaine de l’activité de production de textes. Depuis la parutiondu modèle de Hayes et Flower (1980) et ses dernières mises à jour (Ala-margot & Chanquoy, 2001 ; Hayes, 1996), les recherches menées sur la productionde textes ont permis de prendre en compte le rôle de la mémoire de travail (Chan-quoy & Alamargot, 2003) et le renouvellement des possibilités méthodologiquesd’expérimentation (pour une synthèse, voir Olive & Levy, 2002).

1. Une quatrième recherche a mis en évidence le rôle des mots clés dans les effets observés lors desexpériences précédentes (Crinon, Legros & Marin, 2002-2003). Nous ne l’évoquerons pas ici faute deplace.

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Réécrire et apprendre à réécrire : le rôle d’une base de données textuelles

Les travaux réalisés permettent de concevoir la compréhension et la produc-tion de textes de façon similaire. Schématiquement, de la même manière que l’onpeut concevoir la compréhension comme l’activation ou la construction d’unereprésentation mentale de ce qui est évoqué par le texte, on peut concevoir la pro-duction comme la verbalisation de ces représentations. L’activité d’écritureimplique, d’une part, des processus de haut niveau, comme ceux qui prennent encharge les activités de planification, de mise en mots et de révision, et des pro-cessus de bas niveau comme ceux qui sont en jeu dans la correction des erreursorthographiques, syntaxiques ou lexicales. Même si la verbalisation s’appuie surles règles de grammaire et sur les contraintes de la langue, les processus impli-qués dans cette activité relèvent essentiellement des aspects sémantiques del’écriture, c’est-à-dire des connaissances activées du sujet (McCutchen, 2001).

Nous envisageons la production de textes comme l’activité de verbalisationdes différents niveaux – macrostructure, microstructure et structure de surface –d’une représentation d’un domaine activé ou construit. Certes, nous sommesconscients de la difficulté de l’entreprise. La modélisation du processus de géné-ration de textes manque en effet de règles de projection entre les unités sémanti-ques et les expressions verbales. Selon Frederiksen et Emond (1992), cette activitéconsiste en un ensemble d’opérations cognitives qui permettent de construire oud’activer le modèle mental (Johnson-Laird, 1983), c’est-à-dire la structure deconnaissances ou de croyances sous-jacente au domaine. Elles permettent ensuited’élaborer les unités propositionnelles – état, événement, action, processus –constitutives du modèle et de produire les structures morphologiques, lexicaleset syntaxiques nécessaires à l’encodage des propositions (Kellog, 1996).

L’activité du scripteur expert se caractérise par une interaction permanenteentre les différents processus. La planification intervient dans toutes les phasesdu processus. Elle permet au scripteur d’activer et de maintenir en mémoire lesreprésentations des informations sur le domaine évoqué par le texte, de lessélectionner en fonction de leur importance relative et de pouvoir les organiserintentionnellement, selon un plan défini, afin de guider la description linguis-tique des différents niveaux de la représentation construite. La mise en texte oulinéarisation des représentations, et en particulier l’établissement de la cohé-rence sémantique locale et globale entre les propositions verbalisées, s’appuientsur les règles de la langue, mais aussi sur les informations contextuelles, prag-matiques et épistémiques pertinentes (Legros & Baudet, 1996).

Chez l’apprenti scripteur, l’apprentissage de l’interaction entre les différentescomposantes de la réécriture passe généralement par un apprentissage de cha-cune de ces composantes. Il est alors difficile de concevoir des situationsd’apprentissage des différentes composantes de l’activité d’écriture sans tomberdans une conception « modulaire » du modèle. Et cette conception, par exemple,conduit souvent à considérer la révision comme une simple relecture en vue decorriger les erreurs de syntaxe et d’orthographe. Cependant, même si l’activité deverbalisation s’appuie sur les règles de grammaire de phrase et de texte, ainsi quesur des contraintes morpho-lexicales de la langue, les processus en jeu, au coursde cette activité, sont essentiellement sémantiques et traitent l’information enparallèle (Le Ny, 1979). L’efficacité de la gestion et du contrôle des processus de

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La révision de texte : méthodes, outils et processus

transformation des idées en représentations langagières (

text generation

) et lesprocessus de transformation de ces représentations en symboles graphiques (

texttranscription

) varient en fonction de l’âge et du niveau de connaissances desélèves (Berninger, 1994). De plus, la production écrite et plus précisément la pro-duction de récit, qui est une situation de communication différée, oblige le scrip-teur novice à tenir compte du lecteur et à anticiper les effets à produire, parexemple, faire rire, émouvoir, créer une attente. Ces contraintes nécessitent untraitement sémantique qui touche à la signification globale du texte.

Il en résulte que la révision et la réécriture sont particulièrement rares etinefficaces chez les scripteurs novices. La complexité de l’activité rédactionnellede jeunes élèves est doublement contrainte par la mobilisation de connais-sances préalables à l’activité et par le niveau de développement des fonctionsmentales impliquées (Piolat, 2004). Les améliorations proposées par ces scrip-teurs se limitent généralement à la surface textuelle.

Nous avons proposé aux participants de produire des récits d’expériencespersonnelles afin de les impliquer davantage dans leurs activités d’écriture.Nous supposons que la production de récits d’expériences personnelles favo-rise l’activation des représentations épisodiques qui renvoient aux événementsde la vie des sujets.

Nous supposons qu’en pratiquant une écriture personnelle, les scripteursnovices peuvent plus facilement contrôler les processus de génération et detranscription de texte, mais en même temps développer les capacités de lamémoire de travail nécessaires à ce contrôle. Au formalisme des apprentissagesrhétoriques, grammaticaux ou lexicaux qui ne touchent que la surface textuelle,nous opposons une conception qui privilégie le traitement sémantique. Seul, cetraitement aboutit à une parole véritable de l’enfant, c’est-à-dire à une verbali-sation de ses propres représentations sur lui-même, sur ses connaissances et sescroyances (Legros & Baudet, 1996).

Notre but est de mettre au point et de valider un système qui aide lesenfants à activer et à construire des représentations du monde et des connais-sances linguistiques et rhétoriques nécessaires à la production de récit. Nousmettons à leur disposition au cours des activités d’écriture divers textes res-sources dont la caractéristique commune est de « ressembler » aux textes qu’ilsont pour consigne d’écrire. La conception du logiciel d’aide vise à faciliterl’accès des utilisateurs à ces ressources.

2. UN LOGICIEL D’AIDE À LA RÉÉCRITURE : SCRIPERTEXTE

Scripertexte

rassemble donc des extraits de récits d’expériences personnellesappartenant à la littérature de jeunesse. Nous proposons aux élèves d’écrire unpremier jet à partir de l’élan donné par la lecture d’extraits de ces romans. Ils ontensuite recours au logiciel

Scripertexte

lors de la révision et de la réécriture dupremier jet.

Scripertexte

2

comporte deux modules : un éditeur de texte et une

2. Le logiciel a été publié en 2002 par le CRDP de Créteil sous le titre

Écrire en lisant des récits de vie

.

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Réécrire et apprendre à réécrire : le rôle d’une base de données textuelles

anthologie de romans. Les utilisateurs consultent les textes de l’anthologie, pren-nent des notes et peuvent ensuite modifier la première version de leur texte.

2.1. L’éditeur

L’éditeur est au centre du logiciel. Celui-ci est simplifié de façon à faciliter laconcentration et le travail de l’élève sur le texte. La mise en page définitive estreportée à la fin du travail de réécriture sur un traitement de texte.

2.2. L’anthologie

Nous avons sélectionné et reproduit dans la base de données environ 250extraits de romans d’expériences personnelles consultables par les élèves quipeuvent y accéder de manières différentes.

1. De manière structurée, une liste de critères de recherche permet aux utilisa-teurs de formuler des requêtes. Les critères sont de plusieurs espèces.

• Les thèmes : ce sont les composants de l’univers des romans d’expérience qui sont ici restitués et proposés sous forme d’un index des catégories ren-voyant à ces composants (Exemples de catégories : Amitié ; Affection ; Amour ; Accident ; Mésaventure ; Apprendre ; Argent ; Bagarres ; Bêtises ; Bonheur, joie ; Cadeaux, fêtes ; Colère ; Disputes…) ;

• Les lieux et personnages que l’on rencontre dans cet univers (la maison, l’école, le quartier, la rue, la ville… les parents, les amis, les grands frères, les enseignants, les méchants, les grands-parents…) ;

• Le comment : les textes sont ici consultables en fonction de leur type, de leur structure, de leurs caractéristiques énonciatives, ou des problèmes d’écriture qu’ils illustrent et qu’ils peuvent permettre de résoudre (comment décrire un personnage, une rue, une maison… comment commencer un récit, comment décrire un lieu, un personnage, comment émouvoir, faire rire…).

2. De manière plus libre, par des liens hypertextes. Tous les textes sont reliésdirectement les uns aux autres au moyen des mêmes descripteurs qui consti-tuent des critères de recherche pour la base de données. Ces descripteurs sontprésents sur chaque écran, à côté du texte lui-même, et sont des points dedépart de liens vers les autres textes relevant de la même catégorie. On peutégalement lire les extraits de manière linéaire, avec un bouton tourne-page.

On peut aussi recourir, en cliquant sur des boutons, à d’autres types de ser-vice : accéder à un résumé du livre mettant l’extrait en contexte, revenir sur lesécrans déjà consultés, et appeler un « bloc-notes » permettant de recopier desextraits des textes lus

3

.

Quel que soit le type de consultation, le but reste le même : accéder, depuisl’éditeur, à des textes d’écrivains fournissant des ressources pour écrire et pro-posant ainsi des solutions à des problèmes que se pose le novice, procéder à lacopie sélective de mots ou d’expressions pouvant être insérés dans le texte en

3. Mais on ne peut pas directement prendre de notes sur l’éditeur de texte.

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La révision de texte : méthodes, outils et processus

construction, emprunter des idées, s’approprier par imitation des procédésrécurrents dans les textes de la base…

3. EXPÉRIENCE 1 : EFFETS DU LOGICIEL SCRIPERTEXTE SUR LA RÉÉCRITURE

3.1. Méthode

3.1.1. Participants

L’expérience a été conduite avec 54 élèves, en 3

e

et 4

e

années (CE2 et CM1)d’une école élémentaire de la banlieue de Paris. Trois groupes de 18 partici-pants ont été constitués : le premier travaille avec le logiciel d’aide et tous lestextes de sa base ; le second travaille entièrement sur papier et dispose de huittextes imprimés tirés du logiciel ; le troisième est un groupe témoin, qui nebénéficie d’aucune ressource. Ces trois groupes comprennent le même nombred’élèves bons, moyens et mauvais lecteurs.

3.1.2. Procédure et consignes

L’expérience s’est déroulée en trois séances séparées de quelques jours etd’une durée d’une heure et quart chacune. La première séance commune auxtrois groupes est consacrée à la lecture d’extraits de romans d’expériences per-sonnelles et à l’écriture du premier jet d’un récit appartenant au genre.

Le maître lit à haute voix trois textes mettant en scène un conflit entreenfants

4

. Après un échange de quelques minutes au cours duquel les élèvesévoquent les points communs entre ces textes, la consigne est donnée : « Toiaussi tu as vécu ou vu des situations de ce genre. Tu vas en raconter une. » Lapremière version est écrite sur papier par l’ensemble des participants.

La deuxième séance est une séance de lecture de textes ressources. Legroupe témoin (G3) ne participe pas à cette séance.

Afin de favoriser, au cours du travail de réécriture, les activités de traite-ment sémantique qui renvoient au contenu de l’histoire et non à la forme, lestextes des enfants de tous les groupes ont été revus par un adulte (normalisa-tion de l’orthographe et de la ponctuation), disposés en paragraphes et recopiéssur traitement de texte. Au début de la séance, les enfants reçoivent leur texteimprimé et le relisent.

La consigne suivante est donnée aux participants du groupe « ordinateur » :« Vous pouvez consulter sur l’ordinateur des extraits de romans. Vous recher-chez des textes qui ressemblent à ce que vous avez raconté. Lisez-les attentive-ment afin de vous en inspirer pour améliorer vos textes. Vous vous souvenezque les extraits de romans sont classés par catégories. Vous pouvez parexemple d’abord consulter la catégorie : “Bagarres”. Mais vous devrez trouvervous-mêmes aussi d’autres critères de recherche de textes modèles. »

4. Il s’agit d’extraits des œuvres suivantes : R. Goscinny :

Le petit Nicolas

, T. Ungerer :

Pas de baiserpour maman

, C. Nöstlinger :

Rebonjour François

.

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Réécrire et apprendre à réécrire : le rôle d’une base de données textuelles

Les participants du groupe « papier » reçoivent la consigne suivante :« Voici des extraits de romans. Ces extraits présentent des situations semblablesà celles que vous avez racontées, ils mettent en scène une bagarre entre des per-sonnages. Lisez-les attentivement afin de vous en inspirer pour améliorer vostextes ». Dans les deux groupes, les élèves prennent des notes, mais ne réécri-vent pas encore leur texte.

La troisième séance est consacrée à la réécriture. La consigne est identiquedans les trois groupes : « Vous allez améliorer votre premier texte en le rendantplus intéressant pour ceux qui vont le lire. Par exemple, vous allez le rendreplus amusant si vous voulez que votre lecteur rie, ou plus émouvant, ou plusangoissant en créant un suspense… Pour améliorer votre texte, vous pouvezchanger, supprimer ou ajouter des mots. Pensez à ce que vous trouvez bienquand vous lisez une histoire de ce genre, imitez des procédés que vousconnaissez ou que vous avez rencontrés dans des textes que vous avez lus. »

3.2. Analyse des données

Les analyses portent sur un examen comparé des deux séries de 54 textesproduits (première et deuxième versions).

Les modifications apportées au cours de la séance de réécriture ont été clas-sées en quatre catégories empruntées à la linguistique génétique. Elles ren-voient aux quatre types d’opérations de réécriture : remplacement, ajout,suppression, déplacement. Les textes produits au cours des tâches d’écriture etde réécriture ont été analysés en unités de signification minimales, c’est-à-direen propositions sémantiques prédicats + argument(s) (Denhière, 1984). Lesajouts, qui constituent l’essentiel du produit de la réécriture

5

, ont seuls été prisen compte dans les analyses. Les propositions sémantiques de ces ajouts ont étéanalysées en composants de la macrostructure et de la microstructure en fonc-tion de leur niveau d’importance relative (Baudet, 1998).

Les analyses réalisées ont pour but de rendre compte (i) d’une part, dunombre et du niveau d’importance relative des propositions sous-jacentes auxinformations produites, en fonction du type d’aide et du niveau des partici-pants, (ii) et d’autre part, de l’originalité de ces informations (emprunts

vs

créa-tions). Nous appelons « emprunts » les éléments copiés tels quels dans lestextes ressources, et « créations » les autres éléments qui sont ajoutés au texteinitial lors de la réécriture ou qui ont remplacé les éléments présents dans letexte initial

6

. Par ailleurs, les enregistrements des parcours de consultation des

5. Dans 9 cas sur 10, les modifications apportées dans la version 2 sont des ajouts (la proportion étantlégèrement plus importante encore dans le groupe G1). Ces résultats vont à l’encontre de ceuxobtenus dans les études précédentes, qu’il s’agisse d’études sur les brouillons d’écoliers (Fabre, 1990),ou d’études expérimentales (Fayol, 1997). Ce résultat peut s’expliquer par un effet de la situationcréée, dans laquelle la réécriture se fait sur des textes « normalisés ».

6. La somme des emprunts et des créations correspond donc à la somme des ajouts et des rem-placements, et non à l’accroissement brut tel qu’il est calculé dans le tableau 1 (différence entre lenombre de mots de la deuxième version et de la première version).

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La révision de texte : méthodes, outils et processus

participants du groupe G1, recoupés avec les notes prises au cours de ladeuxième séance et avec le relevé des emprunts sur les deuxièmes versions destextes produits, ont permis d’établir la liste des textes utilisés par chaque sujet

7

.Nous présentons uniquement les résultats significatifs sans donner les analysesstatistiques

8

.

3.3. Résultats

3.3.1. Nombre et importance des unités sémantiques produites

7. 26 des textes de la base sont utilisés par le groupe G1 (dont 7 des textes distribués au groupeG2) et 7 sont utilisés par le groupe G2. En moyenne un élève du groupe G1 utilise 3,2 textes dif-férents alors qu’un élève du groupe G2 n’utilise que 1,4 texte différent.

8. On en trouvera le détail dans Crinon & Legros, 2002.

Tableau 1 : Nombre moyen de propositions produites au cours des deux phases d’écriture en fonction de leur niveau d’importance et du niveau des participants

Nombre moyen de propositions par texte produit

Groupe G1 (ordinateur)

Groupe G2 (papier)

Groupe G3 (témoin)

Ensemble des participants

Version 1 45,11 50,11 48,88

Propositions ajoutées dans la Version 2 35,22 9,38 8,05

Niveau des participants en lecture : bon niveau

Version 1 55,5 63 50,22

Propositions ajoutées dans la Version 2 33,66 7,16 13,33

Niveau des participants en lecture : niveau moyen

Version 1 48 48,5 49,84

Propositions ajoutées dans la Version 2 26,6 11,5 9

Niveau des participants en lecture : niveau faible

Version 1 31,83 38,83 49

Propositions ajoutées dans la Version 2 45,33 9,40 1,83

Propositions importantes

Version 1 23,22 22,5 23,16

Propositions ajoutées dans la Version 2 24 2,94 3,61

Propositions peu importantes

Version 1 21,88 27,61 25,72

Propositions ajoutées dans la Version 2 11,22 6,44 4,44

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Réécrire et apprendre à réécrire : le rôle d’une base de données textuelles

Les premiers jets des trois groupes sont comparables : 45,1, 50,1 et 48,9 pro-positions, respectivement, et la proportion de propositions jugées importantesest semblable : 23,2, 22,5 et 23,2. Lors de la réécriture, les participants duGroupe G1 (ordinateur) ajoutent davantage de propositions que les partici-pants des Groupes G2 (papier) et G3 (groupe témoin), lesquels ne différent pasentre eux.

Les participants de niveau faible (N3) ajoutent plus d’informations que ceuxde niveau moyen (N2) et de niveau fort (N1). Cependant, le nombre d’informa-tions ajoutées est significativement plus important pour les participants deniveau faible que pour les participants des autres groupes uniquement lorsqueceux-ci utilisent l’aide informatique. L’effet de l’assistance informatique variedonc en fonction du niveau des élèves.

Alors que pour les participants du groupe G1, le taux d’accroissement despropositions jugées importantes est plus élevé que celui des propositions peuimportantes, pour les participants des autres groupes, c’est le taux d’accroisse-ment des propositions peu importantes qui est plus élevé que celui des propo-sitions importantes.

3.3.2. Nombre et importance des emprunts et créations

Au cours de la phase de réécriture, les participants produisent globalementplus de propositions originales (créations) qu’ils n’empruntent de propositionsaux textes ressources.

La différence entre les nombres de créations et d’emprunts est plus impor-tante pour les participants qui bénéficient de l’aide informatique que pour ceuxqui bénéficient de l’aide papier.

Le type de propositions produites (créations et emprunts) au cours de la phasede réécriture ne varie pas en fonction du niveau de lecture des participants.

La différence entre le type d’information ajoutée (Création

vs

Emprunt)varie en fonction de leur niveau d’importance. Elle est plus grande pour lesinformations appartenant à la macrostructure que pour celles appartenant à lamicrostructure.

Tableau 2 : Nombre moyen de propositions produites au cours des deux phases d’écriture en fonction de leurs caractéristiques (emprunt vs création)

Groupe G1 (ordinateur)

Groupe G2 (papier)

Créations 27,33 8,05

Emprunts 7,55 1,57

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La révision de texte : méthodes, outils et processus

3.4. Analyse et discussion

Les principales modifications opérées sont des ajouts. Le nombre de propo-sitions ajoutées est beaucoup plus important chez les participants du groupe« ordinateur » (G1) que chez les participants des autres groupes. Cette tendancemassive témoigne d’une dynamique énonciative renouvelée lors de la situationde réécriture. Car ce n’est pas un simple effet de copie : si les emprunts brutssont plus importants dans le groupe « ordinateur » que dans le groupe« papier », le nombre de créations est aussi plus important dans le premiergroupe que dans le second.

On constate en fait dans les protocoles des participants du groupe « ordina-teur » (G1) une complexification de leur texte.

• Les ajouts sont parfaitement cohérents avec le texte du premier jet.• Les ajouts proposés dans le groupe G1 appartiennent essentiellement à la

macrostructure (ajouts jugés très importants), alors que ceux proposés dans les autres groupes appartiennent à la microstructure (ajouts jugés peu importants) et constituent souvent des détails redondants ou décoratifs. Les descriptions d’actions de l’épisode central de la bagarre proprement dite renforcent le réalisme de la scène.

• De nombreux dialogues ont été ajoutés par les sujets du groupe « ordina-teur ». Ils confèrent de la vivacité à la scène ; ce sont en particulier des échanges d’injures qui constituent une caractéristique du récit de bagarre propre à la tradition de l’épopée comme les élèves en rencontrent dans les textes ressources mis à leur disposition.

L’aide informatique qui fournit un accès structuré à la base de donnéesgrâce aux descripteurs semble constituer un facteur explicatif essentiel de nosrésultats. Ces descripteurs permettent aux élèves d’accéder aux extraits derécits en rapport avec leur propre texte. La lecture des textes ressources fournitainsi de nouvelles informations relatives au micromonde (ré)activé et sous-jacent aux textes des élèves. Elle facilite l’activité de « génération de texte ».Cette activité de retraitement de leur texte initial semble donc résulter de laconfrontation du modèle mental (Johnson-Laird, 1983) ou du modèle de situa-tion (van Dijk & Kintsch, 1983) de ce texte avec les représentations sous-jacentesaux textes consultés. On peut supposer que la lecture de ces textes rend dispo-nible tout un ensemble d’informations qui allège ainsi la mémoire de travail del’élève (Kellog, 1996), facilite la planification des tâches (Hayes & Nash, 1996) etle traitement de toutes les informations nécessaires à la conduite du projetd’écriture. Une étude qualitative des ajouts indique que les élèves du groupe« ordinateur » sont beaucoup plus impliqués que les autres dans le travail de(ré)élaboration de leur texte. Les traces de la présence du sujet sont plus fré-quentes, qu’il s’agisse de modalisations ou de propositions « évaluatives »(Labov, 1978).

La lecture de ces textes ressources fournit aussi de nouveaux outils linguis-tiques (mots, tournures syntaxiques, procédés rhétoriques) nécessaires à la des-cription du monde du texte de l’élève. Elle facilite l’activité de « transcription

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Réécrire et apprendre à réécrire : le rôle d’une base de données textuelles

de texte ». Grâce à la confrontation de leur texte avec les textes d’écrivains, lesélèves découvrent par eux-mêmes les insuffisances de leur premier jet et lesmoyens de le réviser et de le réécrire. Ils peuvent ainsi développer leurs capa-cités métacognitives.

Ce sont les élèves les plus faibles qui ont le plus profité de l’aide informa-tique. Dispensés du retraitement de la surface textuelle de leur premier jet,puisque la forme avait été corrigée, les participants ont pu retraiter uniquementle niveau sémantique et en particulier la macrostructure de leur texte.

4. EXPÉRIENCE 2 : EFFET DES DEUX MODES DE CONSULTATION (INTERROGATION DE LA BASE PAR MOTS CLÉS VS NAVIGATION LIBRE) SUR LA RÉÉCRITURE

Le mode de consultation des textes de la base de données peut cependantvarier. Et nous avons voulu, dans une deuxième expérience, comparer l’effetdu mode « base de données » à celui du mode « navigation libre » sur la réécri-ture. Le premier consiste à sélectionner un ou plusieurs critères, à lancer unerequête, puis à lire les textes ainsi tirés de la base. Le second consiste à passerd’un texte à l’autre en utilisant les liens qui le permettent, et à ajuster à chaqueinstant la recherche aux nouvelles sollicitations ou aux nouvelles idées qu’a pufaire naître la lecture. Cette comparaison s’impose dans la mesure où la naviga-tion libre est devenue le mode le plus utilisé notamment avec Internet.

4.1. Méthode

Nous avons ajouté aux groupes de l’expérience précédente, où les partici-pants du groupe G1 accédaient aux textes ressources en interrogeant la base dedonnées grâce aux critères de recherche, un groupe G4 ou groupe « navigationlibre », constitué de la même manière. La passation est semblable à la précé-dente. On compare la longueur et le type (emprunt ou création) des ajouts pro-duits par les groupes G1, G2 et G4.

4.2. Principaux résultats

9

Les ajouts produits au cours de la réécriture par les élèves du groupe G1(base de données) sont significativement plus nombreux que ceux produits parles élèves des groupes G2 (papier) et G4 (navigation libre), lesquels ne diffèrentpas significativement entre eux.

L’interaction des facteurs Type d’ajout (création

vs

emprunt) et Groupeindique que la différence entre le type d’ajouts produits varie en fonction dessystèmes d’aide. Elle est plus importante pour les sujets du groupe G1 quepour ceux du groupe G4. La différence entre les groupes G1 et G2 n’est passignificative, pas plus que celle entre les groupes G2 et G4.

9. Pour des résultats plus complets, voir Crinon, Legros, Pachet & Vigne, 1996.

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La révision de texte : méthodes, outils et processus

4.3. Analyse et discussion

De la comparaison des deux groupes travaillant sur ordinateur, faut-ilconclure à la supériorité définitive d’un accès aux informations par interroga-tion d’une base de données sur celui que permet un hypertexte ouvert ? Lesrésultats constituent en tout cas une nouvelle remise en cause de la position

apriori

des pionniers de l’hypertexte. Selon ces auteurs, la navigation libre favo-riserait une circulation souple et intuitive dans l’information et reproduiraitainsi les caractéristiques du fonctionnement de l’esprit humain. Cette positiontrès généralisante a été souvent critiquée (Dillon, 1996).

La supériorité de la production des sujets utilisant le mode « base de don-nées » sur celle des sujets utilisant le mode « hypertexte » pourrait s’expliquerpar un niveau de complexité différent de l’activité de planification de la tâche.L’activité des sujets du groupe G1 (consultation de type base de données) meten jeu deux types de traitement distinct : planification de la recherche de textespertinents, puis consultation et traitement des textes. L’activité des sujets dugroupe G4 (consultation de type navigation libre) se caractérise par un traite-ment plus complexe qui dépasse les capacités de la mémoire de travail. L’acti-vité de planification est en effet sans cesse interrompue par les sollicitations destextes (Hayes & Nash, 1996). Aucune stratégie de consultation ne peut être ainsiclairement et efficacement élaborée. Le « guidage intelligent » semble plus ducôté du mode « interrogation de base de données » dans la mesure où le rôle dusujet semble accru.

5. QUELS APPRENTISSAGES ?

Nous avons jusqu’ici évoqué l’effet d’un dispositif d’aide à la réécriture. Unequestion reste entière : que se passe-t-il lorsqu’on retire cette aide ? Les enfantsqui ont travaillé avec ce logiciel savent-ils mieux (ré)écrire que les autres ? Pourrépondre à cette question, nous avons proposé une série de trois situations àdeux groupes d’élèves, en fin de 5

e

année d’école élémentaire (CM2) :

• le premier groupe avait utilisé régulièrement le logiciel sous forme de base de données ;

• le second n’avait jamais travaillé avec le logiciel.

5.1. Méthode

Nous avons demandé à ces élèves d’écrire et de réécrire trois textes sur troisthèmes différents et dans trois situations différentes, à une quinzaine de joursd’intervalle.

Situation 1 : Les élèves écrivaient une histoire sur le thème des punitions.Les participants du groupe G1 travaillaient sur ordinateur et ceux du groupeG2 avec des ressources papier. Cette expérience réplique donc, deux ans etdemi après et sur un autre thème, la première expérience.

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Situation 2 : Les enfants écrivaient une histoire sur le thème des « grands etdes petits ». Les deux groupes étaient placés dans des conditions d’aidecomplètement identiques. Ils avaient accès uniquement à des textes ressourcesimprimés.

Situation 3 : Les participants devaient imaginer et décrire le monde et plusprécisément l’environnement au vingt-et-unième siècle. Les textes ressourcesfournis aux deux groupes étaient des articles de journaux ou des chapitres delivres de sciences qui proposaient des informations sur la pollution de l’air, sescauses et ses conséquences.

Dans chacune des trois situations, la passation se déroulait en trois séancesselon une procédure semblable à celle des expérimentations précédentes.

5.2. Principaux résultats

L’interaction des facteurs Groupe et Situation indique que les participantsdu groupe G1 (élèves utilisant ou ayant utilisé le logiciel) augmentent au coursde la réécriture le volume de leur texte dans les situations 1 (« Punitions ») et 2(« Grands et petits ») de manière plus importante que les participants dugroupe G2. Au contraire dans la situation 3 (« Pollution »), l’accroissement destextes du groupe contrôle G2 est plus important.

L’interaction des facteurs Type d’ajout (Emprunt

vs

Création) et Groupeindique que le groupe expérimental crée plus qu’il n’emprunte, contrairementau groupe contrôle.

5.3. Analyse et discussion

Ces résultats vont dans le sens de ceux obtenus dans les expériences précé-dentes. Ils indiquent cependant une différence importante qui varie selon lasituation. Les participants du groupe habitué à travailler sur la base de textesinformatisée créent en effet beaucoup plus qu’ils n’empruntent dans toutes lessituations. La réécriture des participants du groupe G2 se caractérise par desemprunts massifs, en particulier dans la situation 3, lors de la réécriture dutexte informatif. Dans cette situation, les résultats, confirmés par ceux d’uneanalyse qualitative, semblent indiquer que les élèves du groupe expérimentalsavent mieux utiliser les informations empruntées à une documentation. Ils lesreformulent et recopient uniquement des passages courts qui illustrent leurpoint de vue. Les connaissances acquises dans le domaine de la réécriture derécits grâce à la manipulation de la base de données textuelles ont pu être réu-tilisées dans le domaine de la réécriture de textes informatifs. En revanche, denombreux participants du groupe témoin ne font que recopier passivement desextraits des documents consultés.

Ces résultats peuvent s’expliquer par des traitements sémantiques diffé-rents. Dans le premier cas, c’est le modèle mental sous-jacent au texte de l’élèvequi pilote les activités de recherche des informations et de réécriture. Dans lesecond cas, on suppose que les élèves se laissent prendre entièrement par lestextes qu’ils consultent. Ils perdent ainsi de vue le texte qu’ils écrivent. Il n’y a

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ni compatibilité, ni mise en cohérence du modèle sous-jacent au texte de l’élèveavec les modèles sous-jacents aux textes consultés. C’est ainsi que tous lesemprunts, dans les textes du groupe expérimental, sont transposés, c’est-à-direintégrés à la description du futur. Dans le groupe témoin, la situation est beau-coup plus contrastée : quatre élèves transposent tous leurs emprunts, quatreélèves ne le font jamais et les autres ne le font que partiellement.

Ces résultats nous conduisent à conclure que notre méthode de la réécritureassistée par une base de données textuelle informatisée a des effets durables surla production écrite de différents genres textuels.

6. CONCLUSION

L’utilisation de textes ressources présentés sur un support électronique adonc des effets importants sur la qualité des textes produits par les élèves. Onobserve cette amélioration aussi bien au niveau pragmatique – prise en comptedu lecteur – qu’au point de vue de la cohérence textuelle. Cet effet se prolongedans les situations de réécriture sans logiciel d’aide. Ces résultats tiennentmoins à une meilleure « maîtrise de la langue » qu’à une représentation plusclaire des connaissances et des processus mis en jeu dans les tâches d’écritureet de réécriture. Les élèves ont également acquis un savoir-faire en matière derécupération et d’utilisation d’informations nouvelles. Ils sont capables detransférer ce savoir-faire, acquis lors de la production de récits, à d’autres situa-tions d’écriture dans lesquelles il s’agit d’expliquer plus que de raconter.

On peut faire l’hypothèse que c’est en travaillant le niveau sémantique desrécits d’expériences personnelles que les participants du groupe expérimentalont acquis les compétences à réécrire un texte informatif. Sans doute faudra-t-ildans le futur explorer plus avant les pistes de travail qui découlent de cettehypothèse. Elle remet en effet en cause les orientations didactiques qui placentau premier plan la structure de surface spécifique à tel ou tel genre. Les pro-cessus mis en œuvre chez les participants du groupe expérimental semblentindépendants du genre de texte produit.

Quel est le rôle respectif, dans ces progrès, de l’ordinateur et des autresaspects de la configuration pédagogique ? Il est certes difficile, dans unerecherche « écologique » d’établir la part exacte du rôle de chaque facteur.Nous devons supposer que la conjonction de plusieurs facteurs favorablesexplique les effets produits : explicitation des objectifs de communication detextes destinés à être lus par d’autres, explicitation par les élèves eux-mêmes dece qui les intéresse quand ils lisent des histoires, investissement des élèves dansune activité orientée en priorité sur le niveau sémantique de leur production.

L’utilisation du logiciel a cependant été déterminante. Outre une mémorisa-tion des éléments repérés dans les textes ressources, cet outil a permis auxélèves de prendre du recul par rapport à leur production, et plus précisément defaciliter l’interaction entre les modèles mentaux sous-jacents aux textes consultés etla représentation sémantique de leur texte. Cette confrontation et cette mise en

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cohérence des représentations activées par les textes consultés avec celles desélèves facilitent la recherche d’informations nouvelles sur le monde des élèveset sur la façon de le décrire. On peut donc supposer que l’outil facilite les acti-vités de (re)traitement de ces deux types de connaissances – connaissances dumonde et connaissances linguistiques – et qu’il facilite ainsi la planification desactions nécessaires à la réalisation de la tâche de réécriture.

Ces expériences semblent fournir des informations fondamentales sur leseffets des bases de données textuelles sur la production écrite et le rôle del’appel à des ressources analogiques dans les apprentissages des scripteursnovices. Il faudra poursuivre ces recherches, en particulier dans le domaine del’aide aux traitements plus locaux mis en jeu dans l’écriture et la réécriture.Elles invitent en outre à examiner de manière précise le rapport entre les fonc-tionnalités offertes par les logiciels d’aide et les activités cognitives impliquéesdans les tâches proposées.

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