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  • 7/25/2019 article_rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863

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    Svrien Salaville

    Le christocentrisme de Nicolas CabasilasIn: chos d'Orient, tome 35, N182, 1936. pp. 129-167.

    Citer ce document / Cite this document :

    Salaville Svrien. Le christocentrisme de Nicolas Cabasilas. In: chos d'Orient, tome 35, N182, 1936. pp. 129-167.

    doi : 10.3406/rebyz.1936.2863

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rebyz_51http://dx.doi.org/10.3406/rebyz.1936.2863http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863http://dx.doi.org/10.3406/rebyz.1936.2863http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rebyz_51
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    Le

    christocentrisme de Nicolas Cabasilas

    Depuis que Henri Bremond a si brillamment donn droit

    de

    cit,n

    histoire

    littraire

    du

    sentiment

    religieux,

    aux termes

    barbaresais quasi

    ncessaires de

    thocentrisme et anthropocent

    rism

    i), l'on

    n'a pas

    s'excuser

    de lui emboter le pas.

    Aussi

    bien, chacun aura compris

    tout

    de suite que christocentrisme est

    ici un vocable commode pour

    signifier la

    place centrale

    que

    tient

    le Christ dans la

    spiritualit de

    Nicolas Cabasilas.

    Le titre mme de l'un de ses ouvrages principaux aurait

    d

    suffire

    attirer

    depuis

    longtemps

    l'attention

    sur

    ce

    thologien

    byzantin

    du

    xive

    sicle, dont le De

    vita

    in

    Christo

    et

    enchant un

    Brulle, un

    Condren,

    un

    Olier,

    un

    Bremond,

    s'ils l'avaient

    seu

    lement

    connu. C'est

    la

    rflexion qui me

    venait

    invinciblement

    l'esprit, quand, aprs

    avoir

    achev

    la

    lecture des crits de

    Cabasilas, j'en

    retrouvais toute

    la substance en

    cette page

    brul-

    lienne

    :

    Jsus-Christ

    est

    une

    capacit

    divine

    des ame et

    il

    leur est source

    d'une

    vie

    dont elles vivent

    en

    lui... Lorsque le Pre nous donne son Fils, il

    nous

    donne

    comme

    sa

    vie,

    la

    vie

    de

    sa

    propre

    essence...,

    afin

    que

    la

    nature

    qui

    tait morte

    et

    source

    de mort

    en Adam soit vie et

    source

    de

    vie en

    Jsus. Ainsi donc,

    qui

    a Jsus a

    la

    vie, et qui n'a point Jsus est

    loign de

    la

    vie... Ainsi,

    accomplir

    toutes nos actions

    en

    Jsus et par

    Jsus,

    c'est la

    vraie vie, et

    c'est porter

    des fruits de

    vie

    ternelle (2).

    ...

    Lorsque

    Dieu nous donne

    la vie, c'est

    un

    don

    qui enclt tous

    les

    autres dons naturels, et il

    nous

    donne le

    monde

    et nous-mmes. Car par

    la vie

    nous

    jouissons du monde,

    par

    la vie

    nous jouissons de nous-

    mmes.

    Or,

    Jsus est notre vie, et nous est donn comme vie, tellement

    que Dieu,

    qui

    est

    la vie

    par essence, a donn l'homme deux sortes de

    vies,

    celle

    que

    nous avons

    en

    nous-mmes,

    celle

    que

    nous

    avons

    en

    Jsus, qui est

    la

    vraie vie... Il est

    la

    vie, et nous devons vivre

    en

    lui,

    vivre par lui, vivre pour

    lui... Comme Dieu nous

    donnant la

    vie nous

    donne

    ce monde

    et

    nous-mmes,

    ainsi Dieu, nous donnant Jsus pour

    (1)

    Voir

    notamment

    H.

    Bremond,

    Histoire

    littraire

    du

    sentiment religieux

    en

    France

    depuis

    la fin des guerres

    de

    religion

    jusqu' nos jours, t. III :

    L'Ecole

    franaise, Paris,

    192

    1, p. 23-33 (Cf. E. Mersch,

    Le

    Corps mystique du

    Christ,

    Etudes de thologie his

    torique

    Louvain, 1933, p.

    280-320.)

    .

    (2)

    Brulle (-f- 1629), uvres,

    d.

    Migne (Paris, i856), p. 949,

    cit par

    Bremond,

    op. cit.,

    p.

    80-81.

    Echos

    d'Orient.

    3g'

    anne.

    N 182.

    Avril-juin

    i36.

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    1

    3o chos d'orient

    vie, il nous donne encore nous-mmes nous-mmes; car

    nous

    tions

    perdus sans cette vie (i).

    C'est

    bien l,

    s'y

    mprendre, le cercle

    d'ides

    d'ailleurs

    toutes

    johannines

    et

    pauliniennes

    dans lequel

    se mouvait,

    trois

    sicles

    avant Brulle,

    la

    pense de

    Nicolas Cabasilas.

    Chez lui,

    comme chez

    le fondateur

    de

    l'Oratoire

    de France,

    c'est la

    mme

    dvotion

    au

    Verbe

    incarn, au Christ total, Dieu

    et

    homme, tous

    ses

    tats,

    tous

    ses

    mystres;

    dvotion doctrinale assurment,

    mais en

    mme

    temps pratique, et programme complet

    de vie

    chr

    tienne. Pas

    plus que

    Brulle,

    Cabasilas

    ne connat d'autre ascse

    :

    ascse christocentrique, et donc aussi thocentrique.

    Ces affirmations

    sautent aux

    yeux

    de

    quiconque

    a lu

    le

    De

    vita

    in

    Christo.

    Les pages

    qui

    vont

    suivre voudraient

    brivement

    en

    montrer

    le bien-fond. Il

    est

    par trop vexant, en vrit, une

    poque o

    ne

    se comptent

    plus

    les bons ouvrages de thologie

    et

    d'histoire

    sur

    le

    Corps

    mystique

    et la

    vie surnaturelle, de voir le

    nom de Nicolas

    Cabasilas

    inexorablement ignor, mme

    d'auteurs

    qui peuvent tre dits des spcialistes

    (2).

    Et pourtant

    il y

    a bien

    longtemps

    que Gentien Hervet a

    publi

    (1)

    Brulle,

    uvres,

    p.

    967; Bremond,

    p.

    82-84.

    (2)

    Pas

    mme une

    mention

    dans

    J. Anger, La

    doctrine du

    Corps

    mystique

    de Jsus-

    Christ

    d'aprs

    les

    principes

    de

    la

    thologie

    de

    saint

    Thomas,

    Paris,

    1929.

    Ni

    dans

    E. Mersch, Le Corps mystique, Etudes

    de

    thologie historique, 2

    vol.

    in-8,

    Louvain,

    1933.

    Ni dans E.

    Mura, Le Corps mystique

    du Christ,

    sa nature et sa vie

    divine

    d'aprs saint Paul et la thologie.

    Synthse

    de

    thologie dogmatique,

    asctique et

    mystique, Paris, 1934, 2 volumes.

    Ni dans les

    premires

    ditions de

    P. Pourrat,

    La spiritualit

    chrtienne, t. II,

    Le moyen ge,

    Paris, 1921

    ; la

    4

    dition, 1924, con

    tient

    un

    chapitre

    nouveau sur

    les

    auteurs

    spirituels byzantins ,

    l'insertion duquel

    je crois savoir que les

    Echos d'Orient n'ont pas

    t trangers

    (cf.

    E.

    0.,

    t.

    XXI,

    1922,

    p.

    128),

    et

    o

    il est dit de

    Cabasilas

    (p.

    491)

    :

    II a

    su ramener la

    pit

    sa

    vraie

    source : l'union au

    Chris-t.

    Cette union..., il l'a exprime en termes nergiques, que

    l'on

    voudrait plus,

    exacts parfois

    et 'd'une

    grande sincrit. Il est

    l'un des plus

    pro

    fonds thologiens de

    son poque. C'est

    mieux

    que rien, mais c'est

    encore

    peu.

    J.

    Rivire, dans ses

    plus rcentes

    publications, a

    signal

    assez longuement la

    doc

    trine

    de Cabasilas sur

    le dogme

    de la Rdemption

    :

    ceci soit dit pour souligner

    l'importance

    proprement

    thologique

    de notre Byzantin. (Voir

    J.

    Rivire,

    Le

    dogme

    de

    la Rdemption, tudes

    critiques

    et documents,

    Louvain,

    ig3i, p. 28i-3o3; Le dogme

    de

    la Rdemption

    au dbut du moyen

    ge,

    Paris, 1934, p.

    286

    et 445.) Nous aurons

    maintes

    fois l'occasion de rencontrer en Cabasilas la

    doctrine

    de la Rdemption; mais

    ce n'est l qu'un lment de la

    riche

    synthse qui nous occupe.

    En

    ce moment

    mme, notre thologien byzantin semble

    bnficier

    d'une relle

    faveur.

    Cet article

    tait

    termin

    quand nous avons eu

    connaissance

    du dbut d'une tude

    sur

    < la

    mystique sacramentaire

    de l'Orient , qui sera

    publie en

    ig36

    par

    Mme Lot-Borodine

    dans

    la

    Revue des

    sciences

    philosophiques et thologiques ; l'introduction seule

    a

    paru

    (t.

    XXIV, 1935, p. 664-6-5)

    sous

    ce

    titre

    : Initiation la mystique sacramentaire

    de

    l'Orient;

    on

    y

    apprend, vers

    la

    fin (p. 675), qu'il s'agira surtout de Nicolas

    Cabasilas.

    En

    outre, la revue La Vie

    spirituelle, dirige,

    comme la

    prcdente, par

    les

    Pres

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    LE

    CHRISTOCENTRISME

    DE NICOLAS

    CABASILAS

    l3l

    une

    traduction latine de

    la trs riche

    Liturgiae expositio (Venise,

    1548),

    dont le texte grec a t dit par Fronton le Duc en 1624;

    bien longtemps

    aussi que Jacques

    Pontanus

    (+

    1626)

    (1)

    a

    donn

    en latin le De

    vita

    in

    Christo

    (Ingoldstadt, 1604), dont le texte

    grec a t

    publi par

    Willhelm

    Gass

    Greifswald

    en 1849. Il

    y

    aura

    mme

    bientt trois quarts

    de

    sicle que le sage abb

    Migne

    a insr ces trsors dans sa Patrologia

    Graeca,

    t. CL (Paris,

    i865),

    col. 355-726. Hlas tant

    de

    si honorables

    parrainages

    n'ont

    pas

    suffi prserver

    Cabasilas

    de

    l'oubli et

    lui

    assurer

    la

    notorit que de tous points

    il' mritait.

    C'est une

    injustice

    rparer.

    Reconnaissons

    pourtant

    et

    c'est

    une

    vraie

    joie

    qu'un

    grand

    thologien contemporain, le

    P. Maurice

    de

    la

    Taille,

    S.

    J.,

    a profess

    publiquement une estime

    peu ordinaire

    pour Nicolas

    Cabasilas.

    Son tmoignage vise

    surtout

    la

    doctrine eucharistique,

    au

    sujet de

    laquelle le clbre professeur d'Angers et

    de Rome

    a consult avec profit notre Byzantin; mais

    il

    revendique, jusque

    dans

    les

    termes o

    il

    s'exprime, une porte

    gnrale

    qui n chap

    perapersonne. Remercions.-le d'avoir, ds

    la

    prface

    du

    Myste

    rium

    idei,

    trs

    franchement lgitim

    son recours

    un thologien

    grec

    de

    l'poque

    du

    schisme :

    Mediaevalium

    autem

    quorumdam hominum, cum Occidentalium turn

    Orientalium, non ita primariorum, aut

    etiam schismate

    infectorum, ea

    mente adduxi aliquando placita

    atque effata, non ut fidem facerent tan-

    quam

    authentici

    fidei mag-istri, sed ut doctrinae antiquitus

    sibi

    a majo-

    ribus

    traditae

    testimonium aliquod reddrent historicum. Interim

    laudes

    delatas forte unius vel altrais

    scriptis,

    puta

    Nicolai

    Cabasilae, noli

    Dominicains, annonce (t. XLIII, 1935) (p. q3), que

    le

    mme sujet

    sera abord par

    le

    R.

    P. Carr, avec

    rfrence

    spciale

    Nicolas Cabasilas

    .

    Ajoutons,

    en outre,

    que YInterpretatio Liturgiae, de Nicolas Cabasilas, plus fortune que le Ds vita in

    Christo, a

    davantage

    attir

    l'attention

    des

    thologiens

    propos

    de

    la

    notion

    du

    sacrifice eucharistique

    :

    voir

    notamment

    F.

    -S. Renz, Die

    Geschichte

    des Messopfer-

    begriffs,

    Freising,

    190e, t. I", p. 65i-656;

    J.

    Kramp, Die Opferanschanungen

    der

    roemischen Messliturgie,

    2 d., Regensburg, 1924,

    p.

    1 12-167.

    (1)

    Jacobus

    Spanmuller,

    S.

    J.,

    Bruggensis, nine Pontanus

    dictus

    (H. Hurter,

    Nomenclator litterarius theologiae catholicae, d. 3a t. III, 1907,

    col.

    809. Notons, en

    passant, que

    le

    Nomenclator de Hurter, lui aussi,

    ignore

    Nicolas Cabasilas). C'est

    propos de la Liturgiae Expositio que Bossuet accorde

    notre Cabasilas une ment

    ion assez quitable

    malgr sa brivet.

    Pour attester la croyance des

    Grecs

    l'ado

    ration

    des espces eucharistiques

    la messe des Prsanctifis,

    il

    fait

    appel

    au

    tmoi

    gnage de Cabasilas, qu'il

    nomme

    un

    des plus solides thologiens de l'Eglise

    grecque

    depuis trois

    quatre

    cents ans, et, au

    reste,

    grand

    ennemi

    des Latins...

    (Explicat

    ion

    e quelques difficults sur les prires de

    la messe un

    nouveau catholique, Paris,

    1089, | 28, in

    fine).

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    l32 chos d'orient

    ducere nimias, cum vix ullae forent homine dignae,

    si

    tarta circa Eccle-

    siae

    unitatem

    claruisset

    sollicitudine

    ac

    sollertia,

    quanta

    circa sacramenta

    fidei.

    Quare

    nec sibi visi

    sunt catholici

    theologi, retroactis saeculis,

    in

    commendatione foetuum ejus culpabiles, sed

    potius

    commendabiles,

    juxta Moysis

    sensum

    :

    Quis

    tribuat

    ut

    omnis

    populus

    prophetet?

    et

    apos-

    toli Pauli

    : Dum

    omni modo...

    Christus annnntietur

    (i).

    Une simple

    analyse schmatique

    des sept livres du De vita

    in

    Christo va tout

    de suite

    nous permettre une premire vue

    gnrale.

    Remarquons,

    au

    pralable,

    avec Jacques Pontanus, que

    la

    vraie traduction

    du

    titre

    grec

    ne doit

    pas

    tre simplement

    La

    vie chrtienne,

    mais

    bien La vie

    dans

    le

    Christ,

    avec toute

    la

    signification

    paulinienne qu'implique pareille

    expression :

    Volebamus inscriptionem ita reddere : De vita Christiana. Sed cum

    ille

    non

    tarn

    vitam christianam praeceptis formet,

    quam

    quemadmodum

    ilia cum Christo in

    De

    abscondita sit,

    ostendat, idque-trium

    sacramen-

    torum vi et virtute potissimum, Baptismi, Unctionis sive Confirmationis,

    et

    Eucharistiae,

    verius fuit simpliciter De vita in Christo

    inscribere,

    secundum verba graeca

    scilicet

    (2).

    Soyons d'ailleurs reconnaissants ce

    mme

    Jacques Pontanus

    de

    nous

    avoir

    laiss, dans

    le

    court

    avant-propos

    dont

    nous

    venons

    de citer quelques

    lignes, une apprciation fort logieuse qui nous

    console un peu de tant d'injustes oublis :

    ... Opusculum sane

    doctum

    ac pium, et

    ad

    animos Dei amore

    inflam-

    mandos mire appositum, quod Dioptrae adjungere propter rerum conve-

    nientiam

    placuit, speramusque pari

    fructu

    evolutum

    iri

    (3).

    (1) M. de

    la

    Taille,

    Mysterium

    fidei :

    De

    augustissimo Co^poris et Sanguinis

    Christi sacrificio

    atque

    sacramento elucidationes L

    in

    trs libros distinctae, d. 3a,

    Paris, 193 1, p. vin.

    (2)

    Prsefaiio

    ad

    lectorem,

    in

    Philippi Solitarii Dioptram,

    cit

    P.

    G.,

    t.

    CL,

    col.

    491-492.

    Dans le Pangyrique

    de saint Dmtrios

    (d.

    Th. Ioannou,

    , Venise, 1884, p. 78, num. 14), Cabasilas emploie une autre expression qu'il

    est Utile de noter :

    '

    ...

    (3) Ibid. L encore, Jacques Pontanus prsente notre

    Cabasilas

    en ces termes :

    Fuit

    Cabasilas

    vir

    illustris, cujus honorifica

    raentio

    in Historia Joannis Cantacuzeni

    nostra ...

    Profitons de l'occasion pour dresser nous-mmes son

    signalement

    sommaire,

    en vue

    uniquement de rectifier une erreur

    qui

    se colporte encore trop souvent

    d'un

    manuel

    l'autre,

    ou

    d'un

    article

    l'autre.

    Nicolas Cabasilas n'a jamais t vque de Thes-

    salonique, comme on Ta

    longtemps

    cru

    tort. La mprise

    a

    d sans

    doute

    venir

    d'une

    confusion

    avec son oncle Nil Cabasilas,

    qui

    lui-mme mourut en i363 vque

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    6/40

    LE

    CHRISTOCENTRISME

    DE

    NICOLAS CABASILAS i33

    Le "livre premier prsente assez longuement

    en

    un synthtique

    expos

    d'ensemble

    ce qui en ralit fait le sujet

    de

    tout l'ouvrage :

    la

    vie

    dans

    le

    Christ

    nous

    est

    donne

    et

    est

    accrue

    en

    nous

    ,par

    le Baptme,

    la

    Confirmation, l'Eucharistie.

    Le

    rle de chacun de

    ces trois sacrements

    est

    tudi dans les trois livres suivants.

    Le livre V constitue une sorte de

    digression

    o,

    propos

    des

    symbolismes

    de

    la conscration

    de l'autel,

    l'auteur souligne la

    place

    centrale du Christ

    dans

    notre sanctification. Le livre

    VI

    montre

    quelle part

    de coopration

    nous devons

    apporter cette

    activit

    principale du Christ,

    pour

    conserver en nous la

    vie divine :

    il

    y a

    l

    des

    indications fort remarquables par la

    manire

    dont

    elles rattachent au dogme

    christologique la

    vritable

    ascse

    chr

    tienne.

    Constatation

    analogue

    pour

    le

    livre

    VII,

    o,

    par

    une sorte

    de rcapitulation,

    est

    dcrite

    la

    transformation de

    l'me

    qui a fid

    lement prt

    son propre concours

    l'efficacit des sacrements.

    Suivre de plus prs

    la

    marche systmatique de

    chacun

    de ces

    sept livres

    serait fastidieux et exposerait . des

    redites,,

    la dialec

    tique

    de

    l'auteur et ses procds

    littraires diffrant

    parfois assez

    sensiblement

    des ntres. D'ailleurs, aux

    enseignements

    du De vita

    de Thessalonique,

    mais

    sans

    avoir pu

    prendre

    possession

    de son

    sige.

    Voir

    L.

    Petit,

    Le Synodicon de

    Thessalonique, dans E. 0., t.

    XVIII,

    1918, p. 248-249. En i354,

    Nicolas tait simple

    laque.

    C'est

    Jean Cantacuzne

    qui nous l'atteste,

    en

    signalant un

    fait fort

    intressant

    d'ailleurs :

    aprs la

    dposition

    du

    patriarche Calliste (fvrier

    i354),

    les mtropolites lecteurs prsentrent trois candidats :

    Philothe,

    Maaire de

    Phila

    delphie * et

    Nicolas Cabasilas, qui tait

    encore

    simple laque

    ('

    ).

    Histor.,

    1. IV, c. , P.

    G.,

    t.

    CL1V, col.

    285 C Malgr la satisfaction prouve

    par

    l'empereur

    voir

    le nom d'un de ses intimes associ

    deux noms piscopaux, ce

    ne fut

    pas

    Cabasilas qui

    fut

    choisi, mais Philothe. Rien ne prouve, au

    surplus,

    que

    Nicolas Cabasilas soit jamais sorti des rangs du lacat. Car l'expression qui tait

    encore

    laque peut

    fort bien

    s'entendre du fait d'avoir t propos pour le patriarcat

    sans

    mme appartenir la clricature, et ne rien prjuger

    pour

    la suite.

    Ce

    qui est

    sr, c'est que Nicolas

    fut

    un

    personnage influent, ami de Dmtrios Cydons et de

    Jean Cantacuzne.

    Comme

    son oncle Nil, dont

    il

    publia le

    grand ouvrage

    polmique

    sur

    la

    Procession

    du

    Saint-Esprit

    en

    la faisant

    prcder

    d'une

    prface

    mais

    avec

    plus

    de modration

    que

    lui,

    il

    fut

    palamite

    et

    antilatin.

    Toutefois

    son

    palamisme ne

    parat pas avoir laiss de traces sensibles

    dans

    ses principaux

    crits.

    Le Codex Paris,

    gr. I23 (fin du xive ou

    dbut

    du

    xve

    s.) contient une courte

    pice

    sous ce

    titre

    :

    :

    Contre

    les

    radotages

    de

    Grgoras, fol. -282-285, factum

    de

    circonstance

    sans grande porte doctrinale; il en ressort surtout

    que

    Nicolas Cabasilas

    professe un culte de

    vnration

    pour Grgoire Palamas, qu'il

    appelle plusieurs

    reprises

    l'admirable de

    Thessalonique

    ,

    le

    trs saint de

    Thessalonique

    >, le

    trs

    se retrouvent

    la

    tin du

    livre IV,

    col.

    624 BC,

    et

    au livre VI, col. 049 C. Voir

    plus

    loin.

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    16/40

    LE

    CHRISTOCENTRISME DE NICOLAS CABASILAS

    Quiconque veut

    parler

    de

    cette vie dans

    le

    Christ,

    doit d'abord

    traiter de chacun des sacrements, et ensuite tudier l'exercice de

    la

    vertu

    (i).

    2. Le

    Baptme

    nous

    munit

    de tout

    un

    organisme de vie surnaturelle.

    Il est normal que les

    affirmations

    de

    notre incorporation

    au Christ, de notre union lui comme des membres

    la

    tte,

    reviennent dans l'expos

    de

    la doctrine relative aux

    sacrements.

    On peut, sans doute, s'tonner que

    Cabasilas

    s'en tienne aux trois

    sacrements

    de

    Baptme,

    de

    Confirmation et d'Eucharistie, ceux

    que l'antiquit appelait les sacrements

    de l'initiation

    chrtienne.

    Peut-tre

    avons-nous

    la

    meilleure

    rponse dans cette conception

    mme

    d'initiation

    qui

    demeure

    la

    base

    des

    considrations

    de

    notre thologien

    byzantin,

    sans

    exclure pour

    cela

    les

    autres

    sacre

    ments. Il

    est

    plusieurs fois fait allusion

    la

    pnitence,

    propos

    de

    la

    puret de conscience requise

    pour la communion;

    l'ordre

    implicitement,

    propos du

    sacerdoce et

    du

    sacrifice; au

    mariage,

    nous

    l'avons

    dj vu, propos

    du

    texte de saint Paul

    (Eph.,

    32)

    et

    de l'union du

    Christ avec

    l'glise.

    Reconnaissons,

    au surplus,

    qu'en

    effet

    les trois sacrements auxquels dlibrment

    Cabasilas

    limite son

    expos

    ralisent plus directement cette

    cration, cet

    accroissement,

    cette

    alimentation

    de

    la

    vie

    divine

    qui

    sont

    au

    premier plan de sa

    perspective.

    De fait, tous les dveloppements auxquels se livre notre auteur

    sont

    commands par le

    concept d'une

    sorte de trilogie

    laquelle

    il

    ramne les trois sacrements.

    Base sur

    une accommodation

    de

    la

    parole

    de

    saint Paul (Act.,

    ,

    28) : In ipso vivimus, et

    movemur

    et sumus, la

    formule

    est assez heureuse,

    bien

    que, un

    peu

    trop littralement pousse

    propos

    de

    la

    Confirmation, elle

    conduise Cabasilas. admettre

    la

    reconfirmation des apostats.

    Le

    Baptme, dclare-t-il,

    nous

    confre

    l'tre surnaturel; la Con

    firmation

    donne

    le mouvement

    ce

    principe

    d'opration;

    l'Euchar

    istielimente

    cette vie divine

    (2). Le Christ,

    dit-il

    ailleurs,

    opre

    (1)

    Col 520

    D. Relevons les termes par lesquels est dsigne ici l'activit humaine :

    '

    .

    Ils ont

    leur

    importance

    dans le

    christocentrisme

    de

    Cabasilas.

    (2)

    Lib. I, col.

    5l-504 :

    ,

    '

    "

    ,

    '

    , , xtvou-

    .

    ...

    )

    ]

    .

    ''..

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    17/40

    I44

    CHOS D'ORIENT

    lui-mme

    en chacun

    des sacrements ; c'est lui qui purifie, lui qui

    oint,

    lui

    qui

    nourrit.

    Au

    Baptme, ds l'origine

    il

    cre

    les

    membres de

    l'organisme

    surnaturel

    la

    Confirmation,

    il les for

    tifie

    dans l'Esprit;

    la

    Table

    sainte,

    il

    est

    avec nous

    en toute

    vrit

    et

    soutient

    avec nous le combat; aprs la dlivrance, il

    sera l'athlothte qui

    couronnera

    le vainqueur

    (1).

    Contentons-nous, pour

    l'instant, de continuer relever les

    mentions

    du

    Corps

    mystique,

    tte

    et membres.

    Le Baptme nous purifie du pch... en

    nous rendant

    participants

    de

    la

    mort

    vivifiante du

    Sauveur.

    Et

    comme

    ce

    bain sacr nous

    fait

    aussi

    participer

    sa rsurrection, le

    Christ nous donne

    une autre vie,

    nous

    faonne des membres et nous

    insre les

    facults

    qui nous

    sont

    ncessaires

    pour

    atteindre la vie future (2).

    Ou plutt, ajoute Cabasilas revenant

    la

    cause mritoire qu'est

    la Rdemption,

    ce n'est pas d'aujourd'hui

    que

    le Christ expie

    nos pchs, ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il

    accomplit la

    gurison,

    faonne

    des

    membres

    et insre des

    facults

    .

    Tout cela,

    il

    l'a

    fait

    dans le

    pass.

    Du jour o il est

    mont

    sur

    la

    croix,

    du

    jour o

    il

    est mort, o

    il

    est

    ressuscit, la

    libert des

    hommes

    a t

    rtablie, leur forme et leur

    beaut

    ont t restaures, et des membres I

    nouveaux

    ont

    t

    adapts. Maintenant, il suffit de se prsenter et

    d'accourir

    au-devant

    des

    grces

    :

    le

    Baptme

    a

    cette

    vertu,

    de

    rendre

    les

    morts

    la

    vie,

    les

    captifs la libert, les

    dgnis

    l'clat

    de

    la

    beaut

    surnaturelle. La ranon a t paye; maintenant,

    nous

    n'avons plus qu'

    nous

    librer.

    Le parfum a t rpandu, et

    son

    arme a tout pntr; il

    ne reste

    plus

    qu' le respirer. Que dis-je? Mme cette

    facult de

    respi

    ration spirituelle nous a t acquise par le Sauveur, comme

    la

    facult

    d'tre librs et d'tre clairs.

    Car,

    en

    venant

    au monde,

    il n'a pas seu

    l ement fait lever la lumire,

    mais

    il a aussi

    adapt

    l'il; il n'a

    pas

    seulement rpandu le parfum, il a encore donn le sens spcial pour le

    saisir. Et

    c'est

    cette

    disposition

    de

    ces

    sens

    et de

    ces

    facults qu'opre

    dans

    les baptiss

    l'immersion

    sacre (3).

    (i) Lit.

    IV, col.

    608

    AB :

    , ,

    ,

    ,

    ,

    ,

    .

    ,

    ,

    '

    ,

    ,

    , -

    ,

    .

    .

    (2)

    Col.

    53? .

    (3)

    Col.

    537

    CD.

    L'onction

    laquelle Cabasilas fait ici

    allusion

    est l'onction d'huile

    qui,

    dans

    le rite

    byzantin, prcde l'immersion baptismale,

    et

    non

    point celle

    de la

  • 7/25/2019 article_rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863

    18/40

    LE

    CHRISTOCENTRISME

    DE NICOLAS CABASILAS

    I45

    La base

    de

    tous ces dveloppements c'est

    bien

    toujours, on le

    voit, l'analogie

    du

    corps, de

    la

    tte et des membres,

    la

    conformat

    on

    u

    chrtien

    au

    Christ,

    l'adaptation

    de

    la

    vie

    du

    baptis

    la

    vie

    du

    Christ par tout un

    ensemble

    de sens nouveaux et de facults

    nouvelles constituant

    un

    vritable organisme

    de vie

    surnaturelle.

    Cet organisme, comme

    la

    vie surnaturelle elle-mme, chappe

    nos moyens ordinaires

    de

    connaissance; mais il

    n'en

    est pas

    moins rel, de

    la

    ralit mme

    du Christ.

    De tout

    ce

    qui

    vient d'tre dit il s'ensuit donc

    que

    ceux qui sont ns

    par le Baptme vivent

    la

    vie du

    Christ.

    Mais qu'est-ce que

    la

    vie du

    Christ?

    Je veux dire, qu'est-ce que cette condition

    gnrale en

    vertu de

    laquelle

    les

    nouveaux

    baptiss

    participent

    la

    vie

    du

    Christ?

    Ce

    point

    n'a

    pas

    encore t lucid : il dpasse d'ailleurs, en grande partie,

    l'entendement et le discours humain.

    C'est, en effet,

    une puissance du

    monde

    venir, comme dit saint

    Paul (1),

    une prparation une autre vie.

    De mme

    que

    ceux

    qui

    n'ont point accs la lumire ne peuvent

    se faire

    une ide de

    la

    perception visuelle et de l'clat des couleurs; ni les dor

    meurs,

    durant

    leur sommeil, connatre

    ce

    qui concerne les gens

    veills

    :

    de

    la mme manire il n'est

    pas

    possible, en ce monde,

    de

    connatre par

    faitement

    ces membres

    nouveaux et

    ces

    facults nouvelles destins

    uniquement

    nous

    faire atteindre

    la vie future,

    de

    savoir

    exactement

    quels ils sont et quelle est leur beaut.

    Car

    nous manquons d'un terme

    de

    comparaison

    et

    de

    la

    lumire

    approprie.

    Assurment, nous

    sommes

    membres

    du

    Christ, et

    c'est

    l

    l'uvre du

    Baptme.

    Mais

    l'harmonie et

    la

    beaut des membres est

    en

    fonction de

    la

    tte : les membres perdraient

    toute leur

    grce

    s'ils taient spars

    de

    la tte. Or, la tte

    de

    ces

    membres

    chappe

    nos

    regards ici-bas et ne paratra

    que

    dans

    la

    vie

    future : c'est

    alors que les

    membres aussi

    brilleront

    et

    se

    montreront

    au

    grand

    jour, quand

    ils

    resplendiront avec leur tte. Saint Paul le

    dclare :

    Vous tes

    morts,

    et votre vie est cache avec le Christ en

    Dieu. Quand le Christ, votre vie, apparatra,

    alors vous apparatrez, vous

    Confirmation, de

    laquelle

    il sera question au livre

    III.

    Toutefois

    le symbolisme

    de

    L'une comme de l'autre,

    rapport

    au

    Christ,

    peut tre considr comme

    identique.

    Un

    peu plus haut, l'auteur

    a

    crit,

    col.

    S28 A : Le Baptme est aussi appel onction,

    parce qu'il

    grave sur

    les baptiss le Christ

    qui a

    t oint pour

    nous,

    et

    qu'il

    est

    un

    sceau imprimant le Christ lui-mme...

    Et

    un

    peu plus loin,

    col. S29 D

    :

    Cette

    onction est un

    symbole parfaitement appropri et bien en rapport avec le nom

    de

    chrtien. Nous sommes oints ; celui

    qui nous

    voulons ressembler,

    c'est

    le Christ

    qui

    a

    rpandu sur l'humanit l'onction de la

    divinit,

    et nous participons

    sa

    propre

    onction...

    > Et plus loin encore,

    propos

    de la

    Confirmation cette

    fois, col.

    569

    C :

    ...

    Le Christ lui-mme est l'Oint, non

    pas

    que l'onction

    ait

    t

    rpandue sur

    sa

    tte,

    mais

    parce

    qu'il a

    t oint

    par

    le

    Saint-Esprit et

    est devenu un trsor d'nergie

    spiri

    tuelle dans la chair

    qu'il

    a

    assume...

    (1) Vague allusion

    Hebr.

    vi, 5 : .

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    19/40

    CHOS

    D'ORIENT

    aussi,

    avec

    lui

    dans la gloire.

    (i) Et saint

    Jean

    :

    Ce

    que nous

    sommes

    n'a

    pas encore t manifest; mais

    au

    temps de

    cette manifestation,

    nous

    lui serons semblables.

    2>

    (2)

    C'est

    pourquoi il n'est pas

    possible, prsent, de connatre

    exactement

    la

    perfection

    de

    cette

    vie;

    pas

    mme

    aux saints, qui le

    plus

    souvent

    avouent l'ignorer, ou

    la

    connatre

    seulement en

    partie,

    en

    nigme et

    travers

    un

    miroir;

    et le peu qu'ils

    en

    connaissent

    ne peut

    pas,

    disent-ils,

    tre

    exprim.

    Les

    curs purs en

    ont

    une certaine perception et

    quelque

    connaissance; mais

    il

    leur est impossible de

    trouver le

    terme ou

    la

    for

    mule qui s'adaptera

    aux ralits connues par

    eux et qui

    sera

    un

    indice

    de

    cette

    bienheureuse

    condition ceux qui

    ne

    le connaissent pas. Ce

    sont, en

    effet, ces

    choses qu'entendit l'Aptre quand

    il

    fut

    ravi au

    troisime ciel :

    paroles

    ineffables

    qu'il n'est

    pas permis

    un homme de

    rvler

    (3).

    Une chose

    pourtant peut

    tre

    connue

    :

    ce

    sont

    les

    merveilleux

    effets de

    cette vie

    divine

    dans une multitude

    de

    baptiss, les

    exploits des hros chrtiens,

    vritables

    manifestations

    visibles

    de

    l'invisible

    ralit.

    Et notre thologien amorce par l un magnifique

    dveloppement qui montre,

    surtout

    dans les

    martyrs,

    les extraor

    dinaires

    rsultats de

    la grce

    initiale du

    Baptme,

    de

    l'union

    intime

    avec le Christ,

    de

    l'indicible amour dont la beaut

    du

    Christ

    fascine

    ses amis. On voudrait pouvoir tout citer

    de ces pages

    chaudes

    et lumineuses, o le thologien se double d'un psycho

    logue t parfois d'un

    pote.

    Il nous faut

    du moins

    transcrire un

    passage

    qui

    revient

    directement

    au

    prsent

    sujet.

    A

    propos

    de

    martyrs

    du

    Christ

    mis

    mort avant d'avoir reu

    le sacrement rgnrateur, Cabasilas explique en ces

    termes

    le

    baptme de supplance dont Dieu les a

    fait

    bnficier :

    II est

    arriv

    un bon

    nombre,

    mme sans

    avoir

    reu le

    Baptme,

    d'entrer

    dans ce

    chur

    glorieux

    : ils

    n'ont

    pas

    t

    baptiss

    dans

    l'eau

    par l'glise,

    c'est

    Fpoux

    de

    l'glise

    qui les a lui-mme baptiss.

    Pour plusieurs il

    (1) Coloss. m, 3-4.

    (2)

    /

    Joan,

    m,

    2.

    Cabasilas

    modifie

    un

    peu

    la premire partie

    de

    la

    phrase.

    L

    o

    le

    texte

    sacr

    porte

    le

    futur, ,

    il met le prsent

    .

    Son

    argumentation sur

    notre

    ignorance

    actuelle

    de la

    vie surnaturelle en

    est

    videmment

    renforce. De mme,

    il semble bien rapporter au

    Christ

    comme sujet le verbe ]

    du second membre;

    le sens

    gnral n'est

    pas

    atteint par

    ces

    lgres dviations. Relevons

    ici encore

    le

    texte

    grec du passage qui nous

    intresse le plus directement, col.

    548

    BC :

    ,

    .

    ?)

    ,

    )

    |

    .

    ,

    1

    '

    ^,

    J

    . |

    (3) II Cor.

    , 4.

    Col. 548 D.

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    20/40

    LE

    CHRISTOCENTRISME DE NICOLAS

    CABASILAS

    1 47

    a

    fait

    descendre

    du

    ciel une nue, ou jaillir spontanment de

    la terre

    une

    source, et il les a

    baptiss ainsi;

    mais la

    plupart, il les a rgnrs de

    manire

    invisible.

    Car,

    si

    les

    membres

    de

    l'glise, Paul

    ou

    tout

    autre

    comme lui, achvent ce qui manque au Christ (i), rien d'tonnant que la

    tte de l'glise

    achve

    ce

    qui

    manque

    l'glise elle-mme.

    S'il

    est des

    membres

    qui

    semblent prter recours

    la

    tte,

    combien plus

    juste

    titre

    la

    tte

    ne

    supplera-t-elle pas

    ce

    qui

    manque

    aux membres? (2)

    De

    tels

    exemples prouvent

    merveille

    que

    c'est

    bien le Christ

    qui donne

    ds

    sens nouveaux et

    de

    nouvelles

    facults

    par le bap

    tme d'eau

    ou par le baptme de

    sang. C'est

    grce ces

    sens

    nouveaux et

    ces nouvelles

    facults que tous ces hros

    ont subi

    le

    prestigieux

    empire de

    l'amour

    du Christ.

    Car la connaissance

    engendre

    l'amour, et l'amour est d'autant plus fort

    que

    l'objet aim

    est

    plus beau et mieux

    connu. Il a

    donc fallu

    aux saints une

    con

    naissance de Dieu,

    effet d'un sens spcial reu au Baptme et au

    moyen duquel ils ont peru clairement

    la

    divine

    beaut et en ont

    got

    la

    douceur.

    Or, l'exprience

    cet gard est

    bien

    suprieure

    la

    thorie.

    Aussi bien,

    si

    l'amour du

    Christ ne

    produit

    pas en nous des

    effets

    vraiment nouveaux et extraordinaires, c'est signe que nous

    le

    connaissons seulement

    par ou-dire. Les saints, par

    contre, ont

    un

    amour

    tel

    qu'il

    les

    fait

    sortir en

    quelque

    sorte

    d'eux-mmes

    et raliser

    des

    uvres qui

    dpassent toute imagination.

    Ceux-l,

    l'poux divin lui-mme les a blesss; lui-mme a fait

    luire

    leurs

    yeux

    un

    rayon de sa

    beaut.

    La profondeur de

    la blessure

    rvle

    la flche, et

    l'intensit de

    l'amour dvoile qui

    a

    fait la

    bles

    sure. .(3)

    Le Baptme, en nous constituant

    membres du

    Christ,

    a

    pos

    le

    fondement

    de

    notre identification avec lui, a

    cr

    en

    nous

    cet orga

    nisme

    de vie

    surnaturelle nous

    permettant

    d'atteindre ds ici-bas

    un

    objt

    d

    connaissance

    et

    d'amour

    dont

    la

    parfaite

    jouissance

    est

    rserve au ciel.

    Tous

    les sacrements contribuent cette incorporation. Cabasilas

    ()

    Coloss.

    ,

    24.

    On connat

    l'importance capitale

    de ce texte paulinien : Ce qui

    manque aux

    souffrances

    du Christ...,

    je l'achve

    pour son

    corps,

    qui est

    l'Eglise. >

    (2) Col. 552 A... "

    '

    ' ',

    ,

    ,

    ' .

    ?)

    ,

    ;

    (3) Col.

    553 .

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    21/40

    148

    CHOS

    D'ORIENT

    formule cette assertion vers la fin

    du livre

    III

    propos

    de

    la Conf

    irmat ion. La

    phrase

    vaut d'tre

    cite,

    cause

    prcisment

    de sa

    porte gnrale.

    Il

    n'est

    absolument

    aucun

    bienfait,

    pas

    un

    seul,

    accord

    aux hommes

    reconcilis

    avec

    Dieu, qui

    ne

    l'ait t par Celui

    qui

    a t

    constitu

    Mdiat

    eurntre Dieu et les hommes.

    Or, rien ne

    nous permet de

    trouver

    le

    Mdiateur,

    de le saisir et

    d'obtenir

    ses grces, hormis les

    sacrements.

    Ce sont eux qui

    nous

    donnent une affinit avec le sang du Sauveur,

    nous

    font participants des

    grac.es

    qu'il a reues dans son humanit, et des

    souffrances

    qu'il

    a

    endures (1).

    Relevons

    aussi,

    propos

    de

    la

    Confirmation,

    la phrase

    initiale

    du livre

    III,

    relative prcisment

    la

    mise .en

    branle

    des facults

    tablies

    en

    nous

    par

    le

    Baptme

    :

    Cette rgnration spirituelle appelle une

    activit et

    des

    nergies pro

    portionnes.

    C'est

    la Confirmation

    qui nous les

    fournit:

    elle

    met en

    branle

    les

    nergies

    spirituelles,

    tantt l'une,

    tantt l'autre,

    tantt

    plu

    sieurs la fois (2).

    3. Le Christ, cur du Corps

    mystique.

    Avec l'Eucharistie, nous allons voir se

    renforcer

    encore la

    doc

    trine

    de

    notre incorporation au

    Christ.

    Paraissant

    oublier

    un ins

    tant

    le

    principe,

    pourtant

    si fermement

    pos,

    que la

    vie

    dans

    le

    Christ atteint sa

    perfection

    au ciel seulement, Cabasilas est si con

    vaincu

    de

    la prsence relle qu'il

    dclare

    ici ex abrupto :

    Voici le terme

    de

    cette vie :

    qui l'a

    atteint il ne

    manque plus

    rien du

    bonheur poursuivi.

    Ce

    n'est plus simplement

    la

    participation sa mort,

    (1)

    Col. 577 BC.

    La traduction peut

    difficilement

    rendre

    toute

    la force des

    expres

    sions

    recques. Il convient de

    relever

    celles-ci, pour

    mieux

    voir leur porte

    l'gard

    du Corps mystique :

    ,

    5

    .

    (2)

    Col.

    569 .

    Rappelons,

    au

    passage, que

    Nicolas Cabasilas,

    comme

    maints

    autres

    Byzantins, n'a pas l'ide du caractre imprim par la Confirmation : car il admet la

    reconfirmation

    des

    apostats

    (1. J, col. 545

    B).

    Son argumentation

    ce sujet est

    base

    sur

    ces

    propositions

    dont

    il urge trop

    la

    porte en ce

    qui

    touche

    la

    Confirmation :

    Le Baptme nous confre l'tre

    selon

    le Christ...

    L'onction

    du

    chrme...

    donne

    cet

    tre

    ou

    cette vie le mouvement et l'opration.

    L'Eucharistie nourrit

    cette vie...

    (Ibid.,

    col. 504

    A.) Voir

    M. Jugie,

    Theologia Orientalium, t. III, 1930,

    p. 146-148.

    L'apostat

    n'a

    pas perdu le principe

    d'opration, qui est

    l'tre surnaturel

    reu

    au

    Baptme, mais il

    faut

    remettre ce principe en mouvement, par la

    Confirmation

    : ainsi

    raisonne Cabasilas. C'est une

    application

    trop stricte de la parole de saint Paul

    (Act.,

    xvii, 28) : In

    ipso vivimus,

    et

    movemur,

    et sumus

    aux trois

    sacrements de

    l in

    itiation chrtienne.

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    22/40

    LE CHRISTOCENTRISME DE NICOLAS CABASILAS

    I49

    sa

    spulture, une vie meilleure;

    mais

    c'est

    lui-mme,

    le ressuscit,,

    de

    qui nous

    entrons

    en possession. Ce ne sont

    plus

    les

    dons

    du Saint-

    Esprit,

    si

    abondants

    soient-ils,

    que

    nous

    recevons;

    c'est

    le

    bienfaiteur en

    personne,

    le temple mme sur lequel s'lve

    tout

    l'difice de grces (i)*

    La promesse du

    Sauveur : Celui qui

    mange

    ma chair

    et

    boit

    mon sang

    demeure en moi, et moi en lui

    {Joan,

    vi, 57),

    provoque

    cette enthousiaste paraphrase :

    II est

    la

    fois notre hte et notre demeure : double bonheur, et de

    l avoir pour demeure, et d'tre nous-mmes la demeure d'un

    tel

    hte (2.)

    et : le

    jeu

    de mots

    est voulu.

    Cabasilas en pous

    sera

    la

    signification

    jusqu'

    ses

    ultimes

    consquences

    lorsque,

    la

    fin

    du livre

    IV, il

    dclarera

    que le Christ eucharistique, reu

    comme

    viatique par les justes, les accompagnera jusque dans la

    poussire

    de

    leur tombe (3), et lorsque,

    la

    fin

    du

    livre

    V, il

    crira, propos des reliques des

    martyrs

    : Le Christ tait

    avec

    eux

    durant

    leur

    vie;

    morts,

    il n'abandonne pas leurs

    cadavres;

    il

    est uni leurs mes comme

    il

    est

    uni

    et

    ml

    cette cendre

    inerte...

    (4) II rptera cette affirmation

    dans la

    prire au Christ

    du

    Codex

    Parisinus grec 121 3,

    en

    termes plus explicites encore

    si

    possible

    :

    ...

    Comme

    leurs

    mes (des

    martyrs)

    habitent

    tes

    mains, ainsi leurs corps te

    portent

    evowov...

    (5)

    De

    quelque

    exagration qu'il

    faille taxer pareille conception

    (6),

    une chose demeure vraie et

    certaine

    : c'est

    l'intimit de l'union

    eucharistique,

    marque

    par

    cette inhabitation rciproque, et

    , qui

    traduit elle-mme

    en deux mots la parole vanglique :

    (1)

    Col. 58i

    A.

    (2) Col.

    584

    C.

    (3)

    Col.

    624

    AB.

    (4)

    Col.

    636

    :

    ,

    -

    ) /j .

    (5) Cod. Paris, gr. I2i3, f. i54v. Voir le texte dans Echos d'Orient, janvier i36, p. 44.

    (6) Comme saint Jean Damascene et un

    grand nombre

    de thologiens byzantins,

    Cabasilas

    pousse

    si loin le ralisme, qu'il ne voit dans

    l'Eucharistie

    que le corps et le

    sang de Jsus-Christ.

    II

    (Jean Damascene)

    n'a

    pas

    du tout la vision

    d'accidents

    du

    pain et

    du

    vin spars de

    leur substance

    naturelle et distincte

    du

    corps de Jsus-

    Christ.

    Il

    voit le corps et

    rien

    de plus...

    C'est pour

    cette raison qu'il

    dclare

    que les

    saints mystres

    chappent

    toute

    corruption, mais que

    le corps

    du Christ

    qu'ils

    sont

    le

    mme qui

    est n de la Vierge

    s'en va

    soutenir

    notre me

    et

    notre

    corps, con

    server notre

    substance,

    nous

    unir intimement

    sa

    divinit.

    M. Jugie,

    art. Jean

    Damascene, dans le Diet, de thol. exth., t.

    VIII,

    1924, col. 744. Voir P.

    G.,

    t.

    XCIV,

    col. n52. Cf.

    M.

    Jugie, Theologia dogtnatica

    christianorum

    orientalium, t.

    III,

    1930,

    p. 203-206.

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    23/40

    1

    5 CHOS

    D'ORIENT

    Celui qui mange ma

    chair

    et boit mon sang demeure en

    moi,

    et \

    moi en

    lui. I

    Cette ide d'intimit va

    de

    nouveau ramener

    sous

    la plume

    de

    Cabasilas

    les

    expressions

    les

    plus

    nergiques.

    L'incorporation

    au

    Christ sera donc

    de

    plus en plus

    affirme

    et raffirme sans cesse.

    Jl est l'hte remplissant

    toute

    sa maison... Corps et me, avec leurs

    facults,

    tout

    est

    aussitt spiritualise,

    puisqu'il

    y

    a union

    d'me

    me,

    de

    corps

    corps, de

    sang

    sang. Qu'en

    rsulte-t-il?

    Le plus

    excellent

    l'emporte sur l'imparfait, le

    divin

    triomphe de

    l'humain,

    comme dit saint

    Paul propos de

    la

    rsurrection :

    Ce

    qui

    est mortel est absorb par

    la

    vie (i), ou mieux encore : Ce n'est

    plus

    moi

    qui

    vis,

    c'est

    le

    Christ

    qui vit

    en

    moi. (2)

    profondeur des mystres L esprit du

    Christ

    se

    fondre avec notre esprit, sa volont avec notre volont, son corps avec j

    notre

    corps,

    et

    son

    sang avec

    notre

    sang ...

    Qu'il

    en

    soit

    ainsi, saint

    Paul

    l'atteste quand

    il dclare n'avoir plus

    ni

    esprit,

    ni

    volont, ni vie propres, f

    mais que

    le Christ

    lui

    tient lieu

    de

    tout...

    Devenir

    un seul esprit

    avec j

    Dieu, quelle

    plus

    troite

    intimit

    pourrait-il

    y

    avoir? (3)

    Les images se pressent, se succdent, s'accumulent, les affirma

    tions

    e rptent.

    Comme l'olivier

    franc greft sur

    le sauvageon (4)

    communique

    ce

    dernier ses qualits natives, ainsi notre justice

    devient christiforme. Car la parole sacre :

    Nous sommes

    le

    corps

    du

    Christ et ses

    membres,

    chacun pour sa part

    (/ Cor., j

    xii,

    27) ne

    doit

    pas

    tre

    applique

    seulement

    au

    corps, mais plus

    j

    encore

    l'me (5).

    I

    Un peu plus

    loin,

    c'est

    l'image

    de

    la

    goutte d'eau perdue dans

    |

    un ocan

    de parfum;

    puis

    celle

    des noces sacres, l'Eucharistie \

    tant

    Tunique

    sacrement par lequel

    nous

    sommes chair

    de

    sa I

    chair et os

    de ses

    os

    (Gen.,

    11, 23) (6).

    Mais voici apparatre une expression

    nouvelle,

    qui

    ne

    se pr-

    (1)

    // Cor. v, 4.

    (2) Gai. 11,

    20.

    (3)

    Col.

    584-585...

    "

    /...

    otov

    ,

    6 ,

    .,

    ' ... -

    ',

    ;

    (4) Rom. , 17,

    24.

    (5)

    Col. 592 CD.

    (6)

    Col.

    5a3 CD. Notons,

    titre

    de rapprochement, cette phrase de sainte Thrse

    de Lisieux dans le rcit de

    sa

    premire

    Communion,

    au

    chapitre iv de X Histoire d'une

    me :

    Notre

    rencontre ne

    pouvait plus

    s'appeler

    un

    simple

    regard,

    mais une

    fusion.

    Nous n'tions

    plus deux.

    Thrse avait disparu comme a goutte

    d'eau

    qui se

    perd

    au sein de l'ocan.

    (Une

    rose effeuille :

    Sur

    Thrse

    de

    l'Enfant-Jsus, Lisieux,

    igo3, p. 71.)

  • 7/25/2019 article_rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863

    24/40

    LE

    CHRISTOCENTRISME DE NICOLAS CAB, SILAS l5l

    sente

    point par

    hasard et en passant,

    comme

    une

    simple figure de

    rhtorique,

    car nous allons la retrouver en plusieurs passages et

    avec

    des dveloppements

    assez pousss.

    C'est

    celle-ci

    :

    Le

    Christ

    est le cur du

    Corps mystique.

    Les grands scolastiques latins ayant gnralement, pour des rai

    sons

    diverses,

    cart

    cette

    appellation

    en

    parlant du

    Christ, pour

    lui rserver celle

    de

    Tte, il

    est

    d'autant plus intressant d entendre

    notre Byzantin

    du

    xive sicle s'approprier avec complaisance cette

    ide

    de cur.

    Il le fait avec

    la mme

    mthode d'expos pieux et

    personnel

    que

    nous lui connaissons dj, sans

    la

    moindre allusion

    des opinions d'cole, et avec l'unique

    souci

    de

    demeurer fidle

    aux

    Livres saints, notamment

    saint

    Jean

    et

    saint

    Paul.

    Laissons-le parler. La premire

    mention

    s'offre nous en un

    beau

    passage

    relatif

    la

    communion frquente, et o prcisment

    l'analogie

    du Corps mystique

    se

    trouve

    reprise tout entire :

    membres, tte, cur.

    La misre de

    notre nature ne

    laisse pas

    intact

    le sceau sacr, car

    nous

    portons ce

    trsor

    dans des

    vases de

    terre

    (i).

    C'est

    pourquoi ce

    n'est

    pas

    une fois seulement,

    mais

    sans cesse,

    que

    nous usons

    de

    ce

    remde... Alors

    que nous

    tions morts par

    nos

    offenses,

    Dieu

    nous

    a

    rendus vivants

    avec le

    Christ ,

    dit

    l'Aptre (2).

    Et encore : Le sang

    du

    Christ

    purifie

    notre

    conscience

    des uvres

    mortes,

    pour

    servir

    le

    Dieu vivant.

    (3) C'est

    en effet de ce cur bienheureux

    que

    la

    vertu

    de la

    Table sainte

    attire

    en

    nous

    la vie vritable; c'est

    de

    l

    que

    nous vient

    de

    servir

    Dieu

    avec

    puret.

    Car, si servir

    Dieu

    avec puret,

    c'est

    se

    soumettre,

    obir, tout accomplir

    sous son

    impulsion,

    je

    ne

    sais pas quand nous

    pourrions

    davantage

    nous

    soumettre

    Dieu

    que lorsque

    nous sommes

    devenus ses membres. Qu'est-ce qui

    peut mieux commander un autre

    tre que

    la tte aux membres? Or,

    le Pain de

    vie

    nous

    donne

    de devenir

    membres

    du

    Christ beaucoup plus

    parfaitement

    que

    tout autre rite sacr.

    Car, comme c'est par

    la

    tte et

    le cur

    que vivent

    les membres,

    ainsi

    celui

    qui

    me

    mange vivra

    par

    moi

    ,

    dit

    le

    Sauveur. On

    vit

    aussi sans

    doutepar

    la

    nourriture.

    Mais

    le sacrement

    agit

    d'une

    manire bien

    diffrente.

    L'aliment matriel, n'tant pas lui-mme

    vivant, ne

    saurait nous apporter

    la vie par

    lui-mme;

    mais

    le

    fait d'aider

    soutenir

    la vie du corps

    le

    fait

    paratre cause de

    vie. Le

    Pain de

    vie, par

    contre,

    est

    lui-mme

    vivant, et

    ceux

    qui

    il

    se

    communique vivent vraiment par lui. La nourriture

    matr

    ielle est

    assimile par celui qui l'absorbe, transformant

    en

    sang

    humain

    (1) // Cor. iv, 7.

    (2)

    Eph. 11, 5.

    (3) Hebr. ix,

    14.

  • 7/25/2019 article_rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863

    25/40

    I

    52

    CHOS

    D'ORIENT

    le poisson, le pain

    ou

    tout autre

    aliment.

    Ici,

    c'est

    tout le

    contraire

    :

    c'est le

    Pain de

    \rie

    lui-mme qui change,

    transforme et

    s'assimile celui

    qui le mange. Conformment ce

    qui

    est le rle normal du cur et

    de

    la

    tte,

    nous sommes mus et nous vivons

    comme.il

    vit lui-mme autant

    qu'il

    est

    en

    lui.

    C'est

    pour

    indiquer cela,

    qu'il

    ne

    nous soutient

    pas

    la

    vie

    la

    manire des

    aliments

    matriels,

    mais

    que, la possdant

    lui-mme,

    il

    nous

    l'insuffle

    de son

    propre

    sein, qu'il nous communique

    la

    vie comme

    le cur

    ou la tte

    aux membres;

    c'est

    pour cela qu'il s'est appel Pain

    vivant et

    qu'il a dit :

    Celui qui

    me

    mange

    vivra par

    moi.

    (i)

    De cette appellation

    de

    cur donne au Christ, Cabasilas ne

    fournira pas d'autre raison que celle que

    l'on vient

    de

    lire

    :

    con

    formment

    ce

    qui est le rle normal du cur et

    de

    la tte, le

    Christ

    nous communique

    le mouvement et

    la

    vie.

    Dlibrment

    et

    sans

    plus

    de

    discrimination,

    il

    unit

    la

    fonction

    du

    cur

    et

    celle

    de

    la

    tte.

    Nous sommes membres

    du

    Christ, membres vivants

    du

    Christ vivant

    (2).

    Il

    va

    se contenter, puisqu'il s'agit de vie

    surnat

    urelle, d'expliquer que

    cette

    vie

    est une

    filiation

    divine;

    que,

    comme le

    Verbe

    a

    pris notre

    chair

    et

    notre sang pour devenir

    notre

    pre,

    nous devenons ses enfants en communiant

    sa chair

    et

    son sang.

    Et, continuant de parti

    pris

    ne

    point dissocier

    les

    expressions

    de

    membres et

    de fils,

    il

    crira

    :

    C'est

    ainsi

    que

    par

    ce

    sacrement nous ne devenons pas seulement ses membres,

    mais aussi

    ses enfants,

    de manire

    le servir

    avec

    une libre

    docilit

    et

    de plein

    gr,

    comme

    le

    font

    les

    enfants;

    avec

    exacti

    tude ussi,

    comme les

    membres.

    Car

    ce

    service de

    Dieu est si

    admirable et si

    surnaturel,

    que nous avons besoin

    de

    l'une et

    de

    l'autre image, celle des fils et celle des membres, aucune ne suf

    fisant

    dsigner la

    ralit. (3)

    Membres, nous recevons le

    mouvement de

    la

    tte

    qui

    est

    Dieu, et nous lui sommes soumis;

    enfants, c'est librement

    que

    nous lui obissons (4).

    (1) Col.

    56 D-.597

    B. Il

    semble

    indispensable de reproduire

    le

    texte grec des dclara

    tionses plus importantes...

    '

    "

    ...

    ,

    ,

    , -

    :'

    ' >...

    ^

    ,

    ,

    ",

    * "

    )

    , ' - ,

    ,

    ,

    ,

    '

    .

    (2) Col.

    597 C.

    (3) Col. 600 .

    (4) Col.

    600

    A : ...

    :,...

    .

  • 7/25/2019 article_rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863

    26/40

    LE CHRISTOCENTRISME DE NICOLAS CABASILAS

    l53

    Notre

    auteur

    montre

    ensuite

    que

    cette adoption surnaturelle

    tablit entre le Christ

    et nous

    une

    affinit

    plus troite que celle

    qui

    existe

    entre

    nous

    et

    nos

    parents.

    Dans

    la

    gnration

    natur

    elle,

    le

    sang

    actuel des enfants n'est

    plus* celui des parents...

    Tandis que, par l'effet

    du sacrement,

    le sang par lequel

    nous

    vivons est actuellement le

    sang du

    Christ, et la

    chair qu'il

    nous

    donne est le

    corps du

    Christ

    : communs sont

    les

    membres,

    et

    commune la vie.

    (i) En

    outre,

    la

    vritable

    communion

    de vie

    entre

    deux

    tres

    suppose qu'ils possdent simultanment

    les mmes

    principes

    de

    vie. Nous ne saurions avoir avec nos

    parents

    une

    telle communion de

    la

    chair et

    du

    sang, faute de cette simultanit

    de

    possession.

    Mais nous l'avons

    avec

    le

    Christ,

    avec

    qui

    tou

    jours

    nous

    avons en commun corps, sang et membres, et toutes

    choses. (2)

    L'image de membres et celle de fils concident,

    du

    reste.

    Le

    Sauveur

    est la

    tte;

    les justes sont les membres. Le Christ, qui

    est la tte,

    tant

    n

    non de

    la

    chair

    et

    du

    sang,

    mais du

    Saint-

    Esprit, c'est

    du

    Saint-Esprit avec le Christ que

    doivent

    natre les

    (1)

    Col.

    600 CD. . .

    (2) Col. 601 A :

    ,

    .

    II

    m'est

    infiniment

    agrable

    de

    retrouver

    ces

    citations

    de

    Cabasilas dans

    l'ouvrage

    de"

    M.

    de la Taille, Mysterium fidei, elucid.

    49, sect.

    II,

    sous le

    titre

    : * Testimonia indirecta,

    spectantia

    ad

    nostram

    sodetatem cum Christo ,

    p. 600-602. Ces tmoignages sont introduits par cette formule :

  • 7/25/2019 article_rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863

    27/40

    CHOS

    D'ORIENT

    membres. Et cet alina se

    termine

    par une conclusion, o il est

    peut-tre permis de voir comment

    Cabasilas

    rejoint assez subti

    lement les ides

    de

    membres et

    de tte

    celle

    de

    cur :

    Telle

    est

    la surabondance

    ()

    des

    biens qui

    nous

    proviennent de

    la

    Table sainte. Elle dlivre

    de

    la peine, efface la honte

    cause

    par

    le

    pch, rtablit la

    beaut

    primitive,

    rattache

    au

    Christ

    plus troitement

    que

    ne

    sauraient le faire les liens naturels et, pour tout dire d'un mot,

    initie au vritable christianisme (1).

    En d'autres

    termes,

    l'Eucharistie est le centre de notre vie

    surnaturelle, le Christ

    eucharistique est

    le

    cur

    de

    cette vie. Le

    lecteur aura

    remarqu que

    ces

    explications, loin

    de faire

    abstrac

    tion

    e

    l'ide

    de tte

    et

    de celle de membres, s'y

    appuient

    au

    contraire

    sans cesse.

    Notre

    Byzantin n'est

    pas

    un

    scolastique

    qui

    distingue

    nettement

    les fonctions du

    cur et

    celles de

    la tte.

    Lui,

    il

    se contente

    d'affirmer les rapports essentiels

    de l'un

    et

    de

    l'autre avec

    la

    vie;

    et

    puisque,

    en parlant

    de

    la

    vie

    dans le

    Christ, ces expressions ne peuvent avoir qu'une valeur d'analogie,

    il ne fait pas difficult

    de les employer l'une

    et

    l'autre tour tour

    ou simultanment,

    pour

    indiquer

    la fois la ralit et

    l'intimit

    de

    la

    vie du Christ

    en nous.

    De fait,

    redira un

    peu

    plus loin Cabasilas, le Christ

    n'est

    pas

    seulement principe

    de

    vie, comme les parents;

    il

    est la Vie mme.

    Ce

    qui

    est

    au Christ

    est ntre plus que

    ce

    qui nous

    est personnel. Ce

    qui est

    au

    Christ est ntre, parce

    que

    nous sommes

    devenus

    ses membres

    et ses enfants, et que nous

    communions

    sa

    chair,

    son

    sang,

    son

    esprit...,

    et

    il

    nous

    est

    plus

    proche

    que nos

    parents

    eux-mmes... (2)

    Notre auteur en conclut, entre autres choses notons, en pas

    sant,

    ce

    dtail qui lgitime de

    mieux en

    mieux

    un

    rapprochement

    avec notre dvotion au Sacr

    Cur

    que

    pour mener une

    vie

    (1)

    Col.

    604

    AB. Notons

    seulement

    l'expression

    finale,

    o

    il

    est

    facile

    de

    voir

    que

    christianisme *

    ()

    a une trs haute porte pour

    signifier

    quivalemment

    tout

    l'ensemble de

    la

    vie dans le Christ :

    ,

    .

    Qu'on

    nous permette, ici encore, de trans

    crire l'apprciation de

    M.

    de la Taille,

    Mysterium

    dei, eluc.

    46,

    p. 571.

    Aprs

    avoir

    fait

    Cabasilas

    l'honneur

    de le

    citer, immdiatement

    aprs saint Thomas,

    propos je la diffrence entre Eucharistie et

    Baptme

    relativement aux effets

    produits

    {De vita

    in

    Christo, 1.

    IV, P. G., i5o, 604),

    l'illustre

    professeur ajoute :

    Quae

    quam

    praecla-

    f

    rissime sint

    dicta,

    nemo est

    qui

    non videat, nec mirabitur quisquam, sciens in f

    Cabasilam, excepto schismatis

    errore,

    confluxisse et sapientiam Orientalium theolo- f

    gorum

    et

    disciplinam Aquinatis atque Patrum Occidentalium. *

    '

    (2) Col. 6i3 C. (Cf.

    un

    peu plus loin, col.

    616 C.)

  • 7/25/2019 article_rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863

    28/40

    LE

    CHRISTOCENTRISME

    DE NICOLAS CABASILAS

    .

    1 55

    vraiment nouvelle nous

    devons,

    comme saint Paul, aimer

    () et

    raliser la

    parole

    du

    Sauveur :

    Aimez-vous

    les

    uns

    les

    autres

    comme

    je

    vous

    ai

    aims.

    (2)

    Intimit et amour caractrisent manifestement ce qui

    vient

    du

    cur. Et

    voil

    donc qui explique, en

    dfinitive,

    comment

    on peut

    dire

    du

    Christ

    qu'il

    est le cur, comme on dit qu'il

    est la

    tte

    du

    Corps mystique.

    Cabasilas

    nous

    ouvre de nouveau sa pense

    lorsque,

    quelques

    pages plus loin, il

    termine en

    ces termes un

    beau passage sur

    la

    royaut

    du

    Sauveur :

    C'est

    ainsi

    qu'il a

    exerc

    sa

    royaut

    pure et vritable, lui qui se suffi

    sait

    lui-mme

    pour sa

    propre royaut. II

    a

    entran aprs

    lui

    ceux qu'il

    a

    soumis

    son

    empire

    :

    plus

    affable

    qu'un

    ami,

    plus

    quitable

    qu'unsouverain,

    plus

    tendre

    qu'un

    pre,

    plus

    intime

    que les membres,

    plus

    indispensable

    que le

    cur... (3).

    Royaut et intimit

    :

    l'insistance est remarquable, avec

    laquelle

    Cabasilas associe

    ces deux choses en Notre-Seigneur, et toujours

    en

    prenant soin d'accumuler les

    expressions et les images,

    de les

    ajouter

    l'une

    l'autre : roi, ami,

    pre, membres

    et tte,

    cur,

    sans

    en

    exclure

    aucune.

    On

    va

    le constater une

    fois

    de plus

    en

    une

    vibrante page,

    laquelle il

    a

    dj t fait allusion

    tout

    l'heure,

    propos du ralisme eucharistique, et

    qui

    va nous

    montrer

    quelles

    ultimes

    consquences

    notre

    Byzantin

    pousse

    la

    doctrine du Corps mystique, le rattachement des

    justes,

    membres

    de

    ce corps, au Christ

    leur tte

    et

    leur cur.

    ... Par

    la

    premire cration, le

    Christ

    est devenu le matre de notre

    nature; par

    la

    nouvelle cration, il s'est empar de notre volont,

    ce

    qui

    est vritablement rgner sur les

    hommes...

    C'est pourquoi

    il

    dit : Toute

    puissance m'a t donne au ciel et sur

    la

    terre

    {Matth. xxvm, 18);

    comme

    si,

    pour

    Celui qui

    avant tous les sicles tait matre du

    monde,

    ce

    ft nouveau que d'tre

    reconnu

    matre

    universel

    par l'humanit aprs

    l'avoir t par les habitants du ciel. La parole

    de

    David Dieu a

    rgn

    star

    les

    nations

    (Ps.

    xlvi,

    9)

    fait

    aussi

    allusion

    cette

    royaut,

    grce

    laquelle les gentils, crit

    saint

    Paul, forment un mme corps

    avec

    le Sauveur et sont ses ^participants (4).

    En

    effet,

    du fait qu'il

    s'est

    ainsi une fois pour toutes uni aux mes et aux

    corps,

    il s'est rendu matre

    (1)

    Philipp. 1, 8.

    (2)

    Joan,

    xiii,

    34.

    (3) Col.

    620

    BC Retenons les derniers mots :

    (4) Eph.y

    m, 6.

    Mais Cabasilas modifie

    dlibrment

    d'une

    manire assez

    sensible

    le

    texte de l'Aptre, en vue de mettre plus

    vigoureusement l'accent sur

    les deux

    mots

    et

    . Saint Paul

    crivait :

    .

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    29/40

    1

    56

    chos -d'orient

    non

    seulement des

    corps, mais

    aussi des mes et des

    volonts

    : il exerce

    une

    royaut

    indpendante et

    pleine;

    il rgit par lui-mme, comme l'me

    rgit le corps et comme la tte rgit les

    membres

    ().

    ...

    Pour

    le premier Adam, le corps fut form

    de

    terre; le nouvel Adam

    est n

    de

    Dieu

    , dit

    l'criture

    (2).

    De

    chacune

    de

    ces

    deux

    vies

    tmoigne l'une et l'autre nourriture (3). La premire vie a

    son

    aliment

    fourni

    par la

    terre; quant l'homme

    nouveau, c'est

    (l'homme) cleste

    qui

    le

    nourrit de sa

    propre

    chair. C'est

    pourquoi,

    l'heure

    de

    notre dissolution, le vieil homme est

    retourn

    la terre d'o il tait

    issu, l'homme nouveau est all

    au

    Christ

    dont il procde, et ainsi le

    terme

    de

    chacun est

    en

    rapport

    avec la

    dignit de son

    principe. Tel

    est le terrestre,

    tels

    sont aussi

    les

    terrestres

    :

    et

    tel

    est le cleste,

    tels

    sont aussi les clestes. (4) Et cela,

    non pas

    seulement pour l'me, mais

    aussi

    pour le

    corps

    lui-mme. En

    effet,

    celui-ci aussi

    est

    cleste, comme

    l'un

    et

    l'autre

    ici-bas

    taient

    terrestres

    :

    car,

    si

    l'me

    habite

    les

    mains

    du

    (Seigneur)

    cleste, le corps

    est

    membre

    de

    ce mme Seigneur. Ce

    corps,

    il

    est vrai, n'est

    plus en

    possession de son me;

    mais il

    est rempli de

    l'Esprit vivant; il vit, aprs

    le trpas,

    d'une

    vie

    infiniment, suprieure

    : * Les Gentils sont hritiers avec les Juifs

    et membres du mme corps, et ils participent

    la promesse de

    Dieu

    en Jsus-Christ.

    Cabasilas ajoute, entre

    et , le

    datif

    qui

    devient ainsi le

    complment de l'un et de l'autre attribut : ce.

    qui

    donne la phrase une notable prci

    sion,

    et justement en

    fonction du Corps mystique :

    .

    C'est

    avec

    le Sauveur que les

    Gentils forment

    un mme

    corps;

    c'est

    avec

    lui qu'ils sont coparticipants.

    (1)

    Col.

    621

    AB. Encore

    uue

    formule

    retenir

    :

    ,

    ,

    ,

    '

    . Notons ici le

    rle d'me du

    Corps mystique-attribu

    au

    Christ

    : analogie trs voisine

    de

    celle

    du

    cur, et

    de signification identique.

    (2) Rminiscence biblique plutt que

    citation.

    (Cf.

    Coloss.

    m,

    10;

    Eph.

    iv,

    24;

    I

    Joan,

    m,

    9.)

    (3)

    Le

    texte dit :

    ' offre

    un

    sens

    difficilement

    ralisable en lui-mme

    et

    avec

    le contexte.

    La traduction de

    Jacques

    Pontanus :

    utriusqne

    vitae

    ulraque mensa

    testimonium

    est est

    beaucoup plus satisfai

    santet tout

    fait

    conforme

    la suite

    des

    ides. Trs

    certainement,

    le manuscrit utilis

    par lui devait porter -. au

    lieu

    de , comme ci-dessus (voir

    p.

    140,

    n. 2)

    au

    lieu

    de . Il

    est

    remarquer

    que

    l'excellent manuscrit

    du De

    vita in

    Christo que possde la bibliothque de Kadikoy

    (=

    Syll.

    Const.

    38) et

    dont

    nous nous

    sommes

    dj

    occup (S.

    Sala

    ville,

    Deux

    manuscrits... dans

    Bulletin

    de

    la

    section

    histo

    rique

    [Acadmie

    Roumaine],

    t.

    XIII),

    contient

    prcisment

    ces deux

    leons

    et

    .

    S.

    Broussaleux

    a

    eu raison d'abandonner

    ici

    le texte grec dit, mais

    sa

    traduct

    ione rend cependant

    pas

    l'ide prcise

    et

    la force de

    l'original

    : Pour chacune de

    ces

    deux vies, il existe une

    nourriture

    approprie :

    l'une convient la nourriture

    terrestre,

    tandis que c'est le Matre cleste

    qui,

    de

    sa

    propre chair, nourrit l 'homme nouveau.

    {Op.

    cit., p.

    134.)

    (4) /. Cor.

    xv,

    48. Cette sentence de

    saint

    Paul est comme le leitmotiv

    qui

    commande

    ici

    toute l'argumentation de Cabasilas. Il convient mme d'y ajouter le verset qui lui

    fait

    immdiatement

    suite,

    et

    dont nous

    retrouvons

    la trace dans un passage parallle

    de la

    Prire indite au

    Christ.

    Saint

    Paul continue

    en effet :

    Et

    de mme que nous

    avons port l'image du terrestre, nous porterons aussi l'image du cleste. >

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    30/40

    LE

    CHRiSTOCENTRISME DE NICOLAS CABASILAS i57

    sa premire vie,

    puisque en vrit il

    n'est

    mme

    pas

    absolument mort.

    Ils, ont pass pour morts aux yeux des insenss , dit Salomon "{ )>

    mais

    non

    aux yeux

    des

    sages.

    Car

    de

    mme

    que

    le

    Christ

    ressuscit

    des

    morts ne meurt plus, la mort n'a

    plus

    sur lui

    d'empire

    (2),

    de

    mme les

    membres

    du

    Christ

    ne

    verront jamais

    la

    mort :

    comment, en effet,

    pour

    raient goter

    la

    mort des membres dpendant

    d'un cur

    toujours

    vivant?

    Malgr lui, le

    traducteur

    se trouve contraint attnuer

    la

    rigueur du texte. grec. Celui-ci joint au

    mot

    l'article

    ,

    qui suffit suggrer

    trs nettement

    que le cur,

    c'est

    le

    Christ,

    et que

    des

    membres

    dpendant du

    cur toujours vivant

    qu'est

    le Christ

    ne

    sauraient tre

    soumis

    la

    mort

    (3).

    Il est permis-

    de trouver

    ce raisonnement par trop

    forc

    et

    d'estimer

    que

    Cabasilas quivoque l'excs

    sur

    l'lment terrestre

    du

    vieil homme

    et le corps des

    saints. Ce

    qui ne saurait faire

    de

    doute, c'est que telle soit

    bien

    la pense

    de

    notre Byzantin, et

    c'est

    cela qui nous intresse. La suite va mieux

    encore

    mettre

    cette pense

    en relief.

    Il

    s'agit

    toujours des

    ossements

    des saints.

    Au

    jour de

    la manifestation

    finale du

    Christ,

    ces

    ossements pren

    dront tout l'clat

    qui

    convient des membres

    du

    Christ

    glo

    rieux

    (4).

    Cabasilas

    est si

    rempli de

    son

    sujet que, se

    rappelant

    la

    comparaison

    vanglique :

    Comme l'clair part

    de

    l'Orient

    et

    brille

    jusqu'

    l'Occident, ainsi

    en

    sera-t-il

    de

    l'avnement

    du

    Fils

    de

    l'homme

    [Matth. xxiv, 27), il

    va,

    sans s'en apercevoir,

    commettre une tonnante hardiesse littraire en associant les

    deux images disparates

    de membres

    et

    d'clair,

    et considrer les

    corps

    des saints comme

    les

    membres de

    l'clair.

    Cette explication

    pralable

    aidera comprendre

    la page qu'on va lire.

    Si l'on

    ne

    voit que poussire et

    rien

    de

    plus, il n'y

    a pas

    s'en tonner.

    Car c'est

    l'intrieur

    que se trouve

    la

    richesse :

    Votre vie est

    cache (5), est-il crit, et le trsor est

    dans

    un vase d'argile : Nous

    (1) Sap, in,

    2.

    Le verset

    1

    est "aussi

    rappeler pour

    tout

    ce passage.

    Les

    mes

    des justes sont dans la main de Dieu. >

    Cabasilas renforce

    encore l'ide en introdui

    sante verbe , que nous croyons devoir

    traduire

    littralement habiter , afin de

    ne

    rien

    attnuer de l'argumentation de

    notre

    auteur. Voir le commentaire au passage

    parallle de

    YOratio

    ad Christum, dans E.

    ,0.,

    janvier 1936, p. 47-49.

    (2)

    Rom. vi, g.

    (3) Col. 621

    D

    : ... ,

    '

    ;

    (4) La mme pense se retrouve dans le Pangyrique de saint Dmtrios (d.

    Th.

    Ioannou, op.

    cit., p.

    101-102,

    num.

    33)

    :

    ...

    ,

    ] ) ,

    ';

    .

    (5) Coloss. m, 3.

  • 7/25/2019 article_rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863

    31/40

    I 58 CHOS

    D'ORIENT

    portons le

    trsor dans

    des vases d'argile , disait saint

    Paul (i).

    Aussi

    ceux

    qui

    ne

    regarderaient que le .dehors

    n'y

    verraient que poussire.

    Mais

    lorsque le

    Christ apparatra,

    cette poussire aussi

    montrera

    sa

    beaut,

    quand

    elle

    apparatra

    comme membre de cet clair, se

    conformera

    ce

    soleil

    et

    projettera

    les

    mmes

    rayons (2).

    Les

    fustes

    resplendiront

    comme le soleil

    dans

    le royaume de

    leur

    Pre

    ,

    dclare le Sauveur (3),

    entendant par

    royaut

    du

    Pre ce

    divin rayonnement dans

    la

    splendeur

    duquel il fut vu des aptres qui, selon son expression, ont

    aperu

    cette

    royaut de Dieu

    venir avec

    une grande puissance (4). En

    ce

    jour-l, les

    justes

    brilleront d'un mme clat et d'une mme gloire

    que

    le Christ,

    eux joyeux de recevoir, et lui de

    communiquer

    cet clat et cette gloire.

    Car ce Pain, ce Corps,

    qu'ils

    auront emport

    l-haut de

    la Table

    eucharis

    tique'ici-bas, c'est celui-l mme

    qui

    apparatra

    alors

    tous

    les regards

    sur les nues,

    qui manifestera

    sa splendeur l'Orient et l'Occident

    comme

    un

    clair

    en

    un

    instant

    (5).

    Le ralisme

    eucharistique,

    dont on

    vient de lire un

    nonc dj

    fort

    saisissant, va suggrer

    Cabasilas

    des dveloppements auda

    cieux o nous retrouverons, pousse jusqu' ses plus

    extrmes

    consquences, l'analogie

    du

    corps, des membres et de

    la

    tte.

    C'est

    avec ce

    rayonnement que vivent ici-bas les

    justes;

    et

    leur

    mort,

    cette splendeur ne

    les quitte pas. Les justes portent constamment

    en

    eux

    ce

    lumineux clat,

    avec

    lui ils arrivent l'autre

    vie.

    Ils

    accourent

    alors

    vers celui auquel

    ils

    n'ont jamais

    cess d'tre unis.

    Ce

    qui

    adviendra alors

    chacun

    des

    ressuscites,

    c'est--dire

    de recouvrer

    l'int

    grit de leur corps par

    la

    runion des os, des

    parties

    et des membres

    (i) II Cor. iv, 7.

    . (2) Col.

    624

    A : " toc

    ,

    '

    ,

    . ,

    ,

    ;.

    (3) Matth

    ,

    ^3.

    (4)

    Cf. Matth.

    xxiv,

    3o.

    (5)

    Une fois de plus, M. de

    la

    Taill

    nous

    fournit fort

    propos une exgse

    thologique que nous notons

    volontiers. Dans

    VElucidatio 38,

    intitule

    Eucharistia

    est sacramentum

    nostrae

    resurrectionis

    *>,

    il

    cite,

    p.

    496,

    de

    Nicolas

    Cabasilas,

    passage de la Liturgiae

    Expositio

    (voir cp. 45, col.

    456)

    qu'il

    annonce

    en termes trs

    sympathiques :

    Illustrt

    hanc doctrioam sermone suo vivido,

    ut

    solet, Nicolaus

    Cabasilas : Omnis animarum requies, omne praemium

    virtutis,

    sive

    magnum

    sive

    parvum,

    nihil

    est aliud quam

    hic

    panis

    et hic

    calix, dum

    et

    a

    vivis

    et

    a

    mortuis parti-

    cipatur

    modo utrisque congruo. Propterea

    quippe

    Domins

    futuram

    sanctorum

    frui-

    tionem

    nuncupavit coenam : ut

    ostenderet nihil esse illic

    amplius praeter hanc mensam.

    >

    Sur

    quoi, le

    sage thologien

    nonce

    cette

    rflexion,

    qui en deux mots met les choses

    au

    point

    :

    lnterea probe

    novit

    Cabasilas, nedum utantur sacramentis

    sancti coelites,

    sed ne nostris

    quidem

    ministrationibus liturgicis

    posse

    augeri illorum sanctitatem

    aut

    beatitudinem (vide cap. 47-49).

    Sed

    intellegit reservari nobis

    in

    coelis hanc mensam

    evolutam.

  • 7/25/2019 article_rebyz_1146-9447_1936_num_35_182_2863

    32/40

    LE CHRISTOCENTRISME DE

    NICOLAS CABASILAS

    la

    tte, cela se ralisera aussi pour le

    Christ

    Sauveur, tte commune de

    ce

    grand corps. Cette tte divine,

    ds

    qu'elle

    apparatra pleine d'clat

    au-dessus

    des

    nues,

    rassemblera

    de

    tous

    cts

    ses

    membres

    pars

    :

    Dieu parmi des

    dieux,

    beau coryphe d'un beau chur (i). De mme

    que

    les

    corps lourds suspendus en

    l'air

    tendent vers le sol ds

    que

    sont

    rompues les

    chanes

    qui les

    retenaient...,

    de

    mme

    les

    corps

    des justes,

    attachs

    la terre

    sous

    la

    tyrannie de

    la

    corruption..., se

    porteront d'un

    lan

    irrsistible vers le Christ ds qu'aura

    lui

    l'instant

    de

    la

    libration...

    C'est pourquoi l'criture les appelle des

    aigles

    rassembls autour du

    corps (2)...

    En

    effet,

    ils viendront

    d'une

    table

    une autre table,

    de

    la

    table encore

    mystrieuse

    celle

    qui

    est

    dcouvert,

    du pain au

    corps.

    Prsentement,

    tant

    qu'ils

    vivent

    l'humaine

    vie,

    le

    Christ est

    pour

    eux

    pain,

    et

    aussi

    pque

    car

    ils passent

    d'ici-

    bas

    vers

    la

    cleste

    cit.

    Mais quand

    ils auront pris de nouvelles

    forces,

    ils lveront leur vol comme les

    aigles , selon l'expression de

    l'admirable

    Isae

    (3),

    alors ils se repose

    ront

    ur le corps

    lui-mme

    dgag de tous voiles. C'est

    ce qu'exprime

    saint

    Jean quand

    il dit : Nous le

    verrons

    tel qu'il est.

    Car aprs

    la

    cessation de cette

    vie

    charnelle, pour les justes

    le Christ

    n'est plus

    ni

    pain ni

    pque,. puisqu'ils n'attendent

    plus

    de passage. Mais

    du corps

    (qui a souffert)

    il

    porte maintes traces : les mains ont leurs stigmates, les

    pieds la marque des

    clous, et le ct

    porte

    encore

    la cicatrice du

    coup

    de

    lance.

    Les lignes qui

    suivent,

    propos

    de

    la ncessit et des

    effets de

    l'Eucharistie, appelleraient peut-tre un correctif que ls progrs

    de

    la science

    thologique

    nous rendent aujourd'hui

    facile

    et

    que

    le lecteur fera de lui-mme. Mais sous le bnfice de cette

    rserve,

    elles continuent

    de

    mettre en

    parfait

    relief la pense

    de

    Cabasilas

    (4).

    (1) Col. 624.

    : ...

    :,

    )

    ,

    ,

    ^

    /;.

    '

    ' , , '

    ...

    (2)

    Matth.

    , 28.

    (3) Is. XL, 3i.

    (4) Le correctif, si besoin en est, porte

    d'ailleurs

    sur l'expression plutt que sur

    l'ide. Car

    il est