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Monsieur Élie Cohen Dirigisme, politique industrielle et rhétorique industrialiste In: Revue française de science politique, 42e année, n°2, 1992. pp. 197-218. Résumé Le dirigisme économique français relève de ces évidences peu discutées aussi bien par les acteurs que dans la littérature. Pourtant, une étude empirique systématique des politiques publiques industrielles montre que, hors le cas des « grands projets » où sont mobilisés par un Etat de passe-droit la commande, la recherche, le financement et l'entreprise publics au service d'objectifs de souveraineté, les politiques industrielles relèvent en fait de l'accompagnement de stratégies d'entreprises ou de la recherche de la paix civile. La mise en perspective historique n'infirme pas ce résultat, elle révèle des configurations contrastées de relations Etat-Industrie où l'administration économique agit davantage sur l'environnement de l'entreprise qu'elle ne pèse sur les orientations sectorielles des acteurs. Dès lors, la logique partiellement autonome de la rhétorique industrialiste devient objet d'étude. Abstract Dirigisme, industrial policy and industrialist rhetoric French dirigisme is so obvions that it is seldom discussed either by its actors or in the literature. A systematic empirical study of industrial public policies nevertheless shows that, except in the case of the " grand projects "for which a state which disregards rules mobilizes procurement, research, finance and public enterprise in the service of sovereignty objectives, industriel policies assist corporate strategies or seek to contribute to civil peace. Historical analysis does not invalidate this finding ; it reveals contrasting patterns of state jindustry relations in which the économic administration acts on the environment of the company more than it weighs on the sectoral orientations of the actors. The partially autonomous logic of industrialist rhetoric thus becomes a topic for study. Citer ce document / Cite this document : Cohen Élie. Dirigisme, politique industrielle et rhétorique industrialiste. In: Revue française de science politique, 42e année, n°2, 1992. pp. 197-218. doi : 10.3406/rfsp.1992.404293 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1992_num_42_2_404293

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  • Monsieur lie Cohen

    Dirigisme, politique industrielle et rhtorique industrialisteIn: Revue franaise de science politique, 42e anne, n2, 1992. pp. 197-218.

    RsumLe dirigisme conomique franais relve de ces vidences peu discutes aussi bien par les acteurs que dans la littrature.Pourtant, une tude empirique systmatique des politiques publiques industrielles montre que, hors le cas des grands projets o sont mobiliss par un Etat de passe-droit la commande, la recherche, le financement et l'entreprise publics au serviced'objectifs de souverainet, les politiques industrielles relvent en fait de l'accompagnement de stratgies d'entreprises ou de larecherche de la paix civile. La mise en perspective historique n'infirme pas ce rsultat, elle rvle des configurations contrastesde relations Etat-Industrie o l'administration conomique agit davantage sur l'environnement de l'entreprise qu'elle ne pse surles orientations sectorielles des acteurs. Ds lors, la logique partiellement autonome de la rhtorique industrialiste devient objetd'tude.

    AbstractDirigisme, industrial policy and industrialist rhetoricFrench dirigisme is so obvions that it is seldom discussed either by its actors or in the literature. A systematic empirical study ofindustrial public policies nevertheless shows that, except in the case of the " grand projects "for which a state which disregardsrules mobilizes procurement, research, finance and public enterprise in the service of sovereignty objectives, industriel policiesassist corporate strategies or seek to contribute to civil peace. Historical analysis does not invalidate this finding ; it revealscontrasting patterns of state jindustry relations in which the conomic administration acts on the environment of the companymore than it weighs on the sectoral orientations of the actors. The partially autonomous logic of industrialist rhetoric thusbecomes a topic for study.

    Citer ce document / Cite this document :

    Cohen lie. Dirigisme, politique industrielle et rhtorique industrialiste. In: Revue franaise de science politique, 42e anne, n2,1992. pp. 197-218.

    doi : 10.3406/rfsp.1992.404293

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1992_num_42_2_404293

  • DIRIGISME POLITIQUE INDUSTRIELLE ET RH TORIQUE INDUSTRIALISTE

    ELIE COHEN

    IL

    un rapport trs singulier en France de la politique industrie apparemment rien ne vient entamer ni le constat priodiquement tabli de inanit des dispositifs publics action ni les contraintes acceptes de la construction europenne ni mme le renoncement ido logique au volontarisme planificateur et industrialisme nationalisateur La France offre de plus cette situation singulire tre dote un secteur public innovant et performant mais qui chappe largement autorit gouvernementale un secteur financier sous tutelle mais qui jamais privilgi activit industrielle une date rcente et un Etat qui dans ses investissements davantage favoris agriculture et les qui pements collectifs que investissement industriel Le pouvoir politique dans les moments de crise 1974 ou 1982 prfr sacrifier industrie plutt que de mcontenter les salaris ce qui est traduit dans un cas pour les entreprises par une nette dgradation du partage de la valeur ajoute et dans autre par une altration sans prcdent de leur rentabilit Ce rapport Etat/industrie incarne dans des acteurs des stratgies des routines des rseaux il est banal de souligner combien les soli darits forges dans les coles les corps et les cabinets ministriels sont dcisives pour rendre compte des processus dcisionnels il est moins frquent de souligner en mme temps que pour ces lites il est de sanction vritable de succs avr et de lgitimit incontestable que dans la reconnaissance par et sur le march preuve si ncessaire du caractre un peu court des thses qui infrent une stratgie un comportement partir de appartenance lite administrative Ce rapport singulier se double un phnomne opinion tout aussi curieux les Fran ais dans leur rapport industrie nationale sont la fois xnomaniaques lgitimement fiers des prouesses technologiques des champions nationaux et hants par ide de dclin de retard de la perte du statut de puissance La confusion ne natrait-elle pas alors de absence de perspective historique il tait possible de distinguer un ge or de la planification et de la vraie politique industrielle puis une phase de libralisation abord timide puis contrarie et enfin imptueuse et de relier ce cycle de intervention conomique un cycle politique tout serait en effet plus simple Mais la ralit est rebelle elle refuse de se plier aux catgories et aux priodisations des auteurs de manuels est un gouvernement autoritaire qui institu une redistribution de type social-dmocrate sans syndicats et sans compromis institutionnalis est un gouvernement libral qui exacerb interventionnisme et gravement affaibli les entre-

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  • prises est enfin un gouvernement socialiste nationalisateur lu sur un programme de rupture avec le capitalisme qui instaur la rvolution librale en France en prsidant la drglementation conomique et sociale Pour comprendre les politiques publiques industrielles il faut donc renoncer aux simplismes aux approximations des thses rgulationnistes ou aux plates explications dterministes par le march la rationalit le mouvement autonome des idologies ou les contraintes extrieures Seule une approche qui tient dans le mme mouvement action de Etat des institutions et de la communaut dcisionnelle industrielle une part et le processus partiellement auto nome de dfinition une stratgie industrielle entreprise autre part permet de sortir une analyse qui ne voit effets pervers l o il rponse organise du milieu intervention et toute-puissance des forces du march l o activit rglementaire de Etat et les politiques environnement de entreprise sont dterminantes

    Comprendre les rseaux complexes dans lesquels sont pris industriels et pouvoirs publics sans priori suppose une dmarche inductive un va et vient permanent du micro au macro et la volont de procder du singulier au gnral en interrogeant toujours sur les principes qui fondent la mise en srie agrgation et la gnralisation des cas tudis

    Que le micro-conomique procde du macro-conomique voire du macro-social est aisment comprhensible En effet tout acte conomique est anticipation de rsultats et toute anticipation suppose une reprsen tation de soi de autre des ressources des contraintes et de univers dans lequel on volue

    Que les phnomnes macro-conomiques soient ininterprtables sans une interrogation longue et patiente sur leurs fondements micro-cono miques politiques sociaux et culturels est plus difficile faire admettre Et pourtant qui pourrait srieusement prtendre rendre compte du redcollage aprs guerre ou du dcrochage industriel des annes 1974- 1984 sans intgrer les orientations des dirigeants les pratiques bancaires et les usages financiers des entreprises le rapport de force social la protection des intrts lectoraux locaux et plus encore apprciation par les lites politico-industrielles des marges de man uvre existant dans le champ social et politico-administratif

    Avec la dmarche inductive telle que nous la pratiquons il devient possible de mieux comprendre le dveloppement industriel et les modles action de Etat Cette analyse mene sur un ensemble significatif de dossiers permet de dgager des configurations stables de relations entre acteurs des processus reproductibles des rponses types des situations et des contextes donns Une configuration stable est pas pour autant fige dans le temps Son glissement voire son basculement peuvent se lire certains moments sur certains dossiers La connaissance fine du micro ouvre une comprhension des transformations macro Ainsi histoire ne se rduit ni aux seules ruptures conomiques ni aux seules

    Je pense Ecole de Harvard dont je discute les thses dans Qui gouverne les groupes industriels en collaboration avec Michel Bauer) Paris Le Seuil 1981

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  • Politiques et rhtorique industrielles

    alternances politiques elle est le produit du travail une socit sur elle- mme Le processus laboration une politique publique produit en effet un triple effet de connaissance sur tat du secteur intervention sur les reprsentations ont les acteurs du milieu intervention et du rapport de force des thses et des acteurs et sur la production de la justification politique

    Une telle dmarche est aux antipodes du culturalisme ce ne sont pas des traits nationaux issus un modle culturel ayant travers intact les sicles qui rendent compte du dcollage ou du dcrochage mais au contraire analyse des structures institutionnelles et des dynamiques conomiques et sociales Le comparatisme est cet gard indispensable Par rapport une approche fonctionnaliste qui en fait revient supposer une forte continuit entre phnomnes tudis terme terme et une absence interaction entre micro et macro ou une approche culturaliste qui postule une forte discontinuit entre phnomnes tudis et une forte influence de la culture nationale notre approche la suite de Marc Maurice postule que de fortes interactions macro/micro sont consti tutives de cohrences nationales Ds lors notre objet les politiques publiques industrielles se trouve dfini au confluent une approche top- down qui met en scne les institutions et abord Etat les groupes intrt et leurs arrangements mutuels une part et autre part une approche bottom-up qui permet de lire au moment de laboration stratgique dans entreprise publique ou prive effet des ven tuelles politiques publiques sectorielles Ainsi acteur industriel loin tre milieu intervention plus ou moins organis plus ou moins revendicatif plus ou moins compliant aux orientations du politique se dfinit abord comme centre initiative et de pouvoir fabriquant sa stratgie partir de briques diverses march technologie finance organisation interne rseaux alliance... et capable de prdterminer largement action publique la rduisant mme parfois une pure fonction accompagnement

    Traiter de politiques industrielles suppose donc dans un premier temps de prendre au srieux activit gouvernementale quand elle se donne pour objet explicite intervention sectorielle Il devient alors possible de interroger sur les effets sectoriels des politiques macro conomiques et macro-sociales en les inscrivant dans la moyenne dure En effet absence de rsultats tangibles une politique industrielle sectorielle ne signifie pas pour autant que objectif industriel ne soit pas central il peut simplement tre poursuivi par des politiques environ nement de entreprise En effet Etat agit sur environnement des entreprises action conjoncturelle quipement et amnagement du terri toire politiques de formation de recherche) sur leurs dbouchs commandes publiques exportation et protection nationale consomma tion des mnages et sur leurs conditions de production lgislation sociale et droit des socits financement des entreprises fiscalit contrle de la concurrence et des prix... Etat dveloppeur mobilise toutes les ressources et tous les moyens de la puissance publique pour la ralisation des objectifs du dveloppement industriel les grands quilibres budg-

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  • Elie Cohen

    taires financiers extrieurs. ne sont que contraintes secondes par rap port impratif industriel Au contraire un Etat rgulateur parce il interdit de piloter la socit et de peser de manire dterminante sur les orientations de son dveloppement intervient en demi-teinte dans le systme industriel En fait un Etat rgulateur il une action sur entreprise pas ncessairement une politique industrielle il est tabli en pratique Etat fran ais est progressivement dsengag au profit du march et des institutions financires il faudra alors interroger sur la persistance une rhtorique industrialiste que actualit rcente vient illustrer nouveau

    POLITIQUE SECTORIELLE ET CHAMPIONS NATIONAUX

    Quels sont les enjeux une politique industrielle sectorielle La contribution des quilibres globaux comme le niveau de emploi les quilibres rgionaux la survie des entreprises mergence et la diffusion de nouvelles technologies la croissance de nouvelles formes organisa tion du travail la contribution quilibre extrieur indpendance nationale. ou accumulation du pouvoir industriel par les entreprises nationales action de Etat est lisible que pour autant on part du systme industriel des entreprises des enjeux stratgiques et du mode de gouvernement de celles-ci Au point de dpart il entreprise le produit et le march

    Produire une marchandise est oprer une relation originale entre objet technique usage social et valeur change univers marchand est pas une donne qui impose aux firmes et auquel elles adaptent il est le rsultat une action incessante entreprises qui tout en renou velant univers des biens commercialiss redfinissent les rgles de la comptition conomique et tentent asseoir leur domination sur des aires de march elles ont contribu dfinir Contrairement une ide re ue il existe pas une demande immanente laquelle entreprise adapte Le travail de entrepreneur est au contraire de construire des objets marchands objet technique-usage social-valeur change qui lui assurent un micro-monopole temporaire Pour ce faire entreprise mo bilise quatre types de ressources scientifico-techniques pour abaisser les cots ou mettre au point de nouveaux produits) technico-sociales tech niques de organisation interne et de la connaissance des marchs et des concurrents) financires internes ou externes et imagination strat gique Ces ressources mises en uvre et accumules par les entreprises servent renouveler les activits et inscrire de manire non subor donne dans le jeu concurrentiel collusif mondial La stratgie de en treprise vise ainsi accumulation des ressources du pouvoir industriel celles-l mmes qui permettent de consolider une place dans le systme concurrentiel collusif activit stratgique de entreprise est proprement politique au sens o il existe pluralit de choix et o une orientation prise fige le champ des possibles lgitime une thse place certains acteurs en meilleure posture dcoupe un univers et le structure

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  • Politiques et rhtorique industrielles

    Pour juger de efficacit une politique industrielle il faut donc partir du seul critre qui permette valuer en termes industriels effi cacit de action de Etat savoir accumulation du pouvoir industriel Deux questions se posent alors dans quelle mesure action de Etat favorise-t-elle accumulation du pouvoir industriel Ds lors que on peut tablir que Etat contribue accumulation par entreprise des ressources du pouvoir industriel la deuxime question devient dans quelle mesure Etat a-t-il une capacit influence sur exercice du pouvoir par entreprise sur ses orientations et choix mconnatre ces exigences mthodologiques on est souvent rduit confondre an nonce et action action volontaire et inscription subordonne dans une stratgie prdtermine et pire encore participer un discours auto clbration par exemple la prolifration de la littrature savante sur le rle suppos du Plan fran ais)

    De nos travaux antrieurs il ressort que trois situations doivent tre radicalement distingues les conditions de intervention de Etat sont en effet diffrentes selon il se trouve face des acteurs industriels disposant de pouvoir industriel face des acteurs ayant perdu tout pouvoir industriel ou dans une situation marque par absence de tout acteur

    La rgulation concurrentielle Etat au cours des trente dernires annes cess de vouloir peser sur les orientations industrielles des champions nationaux on mme vu Mitterrand discuter gravement avec le chancelier Kohi de avenir du magntoscope europen mais le rsultat toujours t ngatif Face un gouvernement public soumis rlection ouvert des courants politiques concurrents voire divergents appuyant sur des administrations clates et jalouses de leurs prroga tives travaillant sous les projecteurs des mdias et comptable de ses actes devant opinion publique les gouvernements privs ont su asseoir leur pouvoir dans la dure imposer le modle du centralisme dmocra tique contrler finement leur appareil se doter un plan qui impose

    tous et ainsi accrditer le monopole de expertise lgitime Plus dcisif encore les priodes de crise celles o Etat est somm intervenir ne sont pas celles qui sont dcisives sur le plan de la stratgie les accords qui lient les firmes et qui dfinissent leurs marges de man uvre ne sont parfois mme pas connues de administration On comprend ds lors au-del des victoires circonstancielles un gouvernement public sur tel ou tel choix ponctuel la prminence des gouvernements privs dans la stratgie un pays comme la France

    La rgulation politique Les situations de dtresse sont priori plus favorables action publique puisque dans ces cas la demande Etat est forte le capital priv est failli et la pression des syndicats et des autorits politiques locales fortes Mais en fait on tudie les plans sectoriels chimie lourde ou machine-outil ou textile on constate que le dbat qui instaure occasion de la prparation un plan sectoriel ne

    Nous ne mentionnons ici que pour mmoire les deux premiers cas de figure en ayant largement trait par ailleurs dans Les grandes man uvres industrielles en collabo ration avec Michel Bauer) Paris Belfond 1985

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  • Elie Cohen

    porte jamais sur un projet industriel et de fait jamais vis articuler les entreprises sur leur march et sur conomie du monde Les objectifs physiques de production absurdes dans une conomie ouverte de march permettent de masquer dans un discours industriel un problme rel emploi quilibre rgional et de stabilit socio-politique Loin de contribuer mergence un nouveau projet industriel ils installaient la puissance publique dans le rle de garant de la paix civile et de gestionnaire du compromis socio-politique Les ngociations mme si elles portent formellement sur des enjeux industriels sont avant tout occasion accrditer ide des difficults des fermetures et des licen ciements ncessaires pour sauver essentiel Mais les difficults et les ngociations se prolongeant les rvisions la baisse deviennent nces saires La puissance publique est alors de nouveau somme intervenir pour faire passer ce nouveau message Rien ne vient rompre cette spirale descendante qui sous le nom de politique industrielle accompagne le dclin particulirement coteux du secteur et la dmoralisation des salaris

    Le colbertisme high ch intervention russie dans un certain nombre de secteurs de haute technologie conduit prciser les conditions efficacit de intervention sectorielle Confront une carence de initiative prive Etat volontariste peut choisir de confier un projet industriel une excroissance de son administration il peut ainsi sous certaines conditions aider considrablement la constitution et ac cumulation des ressources pour les oprateurs et industriels nationaux Cinq traits rsument notre modle et entrent en contradiction avec ide re ue de interventionnisme la fran aise

    innovation est pas ncessairement scientifico-technique mme si les situations de rupture un paradigme technique favorisent la naissance une spcialisation Les cas du nuclaire du spatial du ferroviaire de aronautique civile et militaire des Telecom montrent que innovation est plus dans les mises en relation opres dans les formes institutionnelles inventes et dans la rappropriation technique et la francisation de brevets trangers que dans la recherche de pointe Des filires technologiques strictement nationales graphite-gaz dans le nu claire Diamant dans le spatial arotrain dans le ferroviaire... ont t abandonnes sous la pression des industriels et des exploitants de services publics pour assurer la russite ensemble

    Le grand projet est possible que dans le cadre un Etat flexible voire un Etat de passe-droit la constitution de hybride administra tion-entreprise qui permet le double jeu autorit rgalienne ct pile logique entreprise ct face cas du Bureau de recherches du ptrole dans le ptrole du Centre national tudes spatiales dans le spatial de la Direction gnrale des tlcommunications dans les Telecom...) le financement drogatoire hors de annualit budgtaire soit sous forme de ressources parafiscales garanties soit sous forme de loi-programme

    Cohen Le colbertisme high ch Paris Hachette 1992 ouvrage traite longuement de conomie du Grand Projet

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  • Politiques et rhtorique industrielles

    et surtout usage de la commande publique des fins industrielles nationales en tmoignent

    Le grand projet est un attracteur du capitalisme sans capitaux ce qui signifie certes que Etat au dpart la haute main sur les industriels mais en mme temps ds lors que on sort de la logique arsenal ceux-ci mancipent et se dressent contre leur crateur Etat EDF DGT SNCF...)

    Le grand projet merge que lorsque les orientations des acteurs sectoriels convergent avec la politique globale ce qui explique la succes sion dans le temps de longues phases de sous-dveloppement et intenses priodes de volontarisme

    Le grand projet enfin au-del de cette abstraction commode est Etat ne dmarre que une lite homogne est capable de mobiliser un salariat pourvu un statut autour des valeurs du progrs de Etat entrepreneur et de indpendance nationale

    Etat de passe-droit absence de rupture scientifique rversibilit de la relation Etat-entreprise rle des valeurs et capacit des acteurs comprendre le contexte dans lequel ils voluent pour enrler le politique au service un projet sectoriel voil qui complique singulirement la rfrence planiste ou mercantiliste

    Le grand projet obit une squence logique arsenal-logique qui- pementire-logique de march qui elle abouti enrichit appareil productif national de nouveaux acteurs puissants et parfois rivaux conflits entre agence technologique exploitant et industriel Etat peut initier de nouveaux grands projets ports ou non par de nouvelles agences avec des chances plus ou moins fortes de succs Il peut au contraire par les jeux contradictoires des appareils qui lui donnent une substance mettre en danger le grand projet et ses aboutissements

    Le colbertisme high ch est la forme historique prise in tervention de Etat-nation arm du monopole de intrt gnral dans sa relation aux industries dites de pointe de aprs-guerre nos jours

    Le grand projet est abord bas sur un pari technologique Il est port par une Agence cre spcialement cet effet ou pas Sa ralisation passe par un transfert de rsultats et une coopration organique avec industrie La russite du grand projet intervient lorsque Etat lance un programme quipement bas sur les technologies dveloppes et que le march international adopte les biens et services qui en sont issus Innovation technique naissance de nouveaux usages dveloppement un nouvel acteur industriel et ingnierie socio-politique sont les quatre ples du grand projet

    Dans la logique de arsenal LA) toutes les ressources financires techniques politiques rglementaires sont mobilises au service de la ralisation un chantier techno-industriel La matrise par les pouvoirs publics des spcifications le rle architecte industriel ils assument la rpartition des modules dvelopper sur la base un meccano indus triel ou en fonction objectifs sociaux dterminent objet technique produire Nulle proccupation alors de rentabilit de satisfaction des attentes des consommateurs effets-retard sur des industriels une

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  • Elie Cohen

    mono-spcialisation Une telle organisation segmente o le pouvoir de dcision se situe trs loin des ateliers et des marchs pu fonctionner dans la tradition fran aise cause des grands corps de leur prsence simultane chez tous les acteurs dcisionnaires et de leur circulation

    Lorsque objet technique est au point deux scnarios sont alors possibles le passage une logique arsenal une logique quipemen- tire LE sanctionne par la naissance un march ou la transformation de objet technique en ce que les Anglo-saxons nomment white elephant On est dans ce dernier cas de figure lorsque des choix stratgiques contestables au moment du lancement du projet sont maintenus contre vidence en cours de ralisation et que objet technique ne peut atteindre le consommateur soit parce que objet ralis est une pure prouesse technique sans march vraisemblable soit parce que le cot industriel est incompatible avec les prix de march Lorsque comme dans le cas des Telecom la squence logique arsenal-logique quipe- mentire t mene bien LA-LE) se pose rapidement la question de savoir ce que Agence technologique et exploitant vont faire de leur succs Trois scnarios sont alors possibles

    La reprise de la squence ab initio LA-LE-LA appareil ayant russi le premier grand projet se sent pousser des ailes il se proclame expert en rattrapage et cherche reproduire sur un mode mimtique les conditions du succs il peut alors dboucher soit sur la ralisation un elephant blanc LA-LE-LA EB) soit sur une nouvelle phase qui pement LA-LE-LA-LE)

    Le parachvement du grand projet avec institution une logique de march LA-LE-LM et la mue dfinitive de hybride administration- entreprise en acteur industriel En enet administration fran aise su par le pass susciter en son sein des administrations de mission pour remplir tel ou tel objectif que les divisions et principes de fonctionnement administratifs rendaient difficiles mais il est arriv leur tour ces non-institutions finissent par institutionnaliser et se rinscrivent dans le cadre administratif traditionnel ce fut le cas de la DATAR du Commis sariat gnral du Plan CGP) etc Pour chapper la retombe dans administratif la Direction gnrale des tlcommunications DGT ou EDF ont pu affirmer comme entreprises et comme centres initiative politique en passant un grand chantier autre le rattrapage le minitel et les satellites pour un la distribution hydro-lectrique le thermique puis le nuclaire pour autre)

    Trois types arguments permettent affirmer que ce modle du grand march achve hui un cycle inaugur aprs guerre un qui tient aux dynamiques internes du systme sectoriel autre pui sement historiquement constat de cette modalit intervention le troi sime aux limites ores et dj constates de espace national pour les grandes aventures technologiques

    La russite du grand projet est la premire source de sa banalisation les groupes industriels et les exploitants publics qui en sont issus ont tendance privilgier leur insertion dans le march international sur toute autre forme de considration Elf-Aquitaine Arianespace Alcatel-

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  • Politiques et rhtorique industrielles

    Alsthom France Telecom EDF Airbus Industrie la Snecma Arospa tiale autant entreprises industrielles ou de services ns du ou nourris par le grand projet national redploys au niveau europen et qui fondent leur nouvelle lgitimit par le march autonomie stratgique et la dfense patrimoniale conduisent entreprise publique en voie in ternationalisation rsister aux empitements du politique quand elles ne peuvent plus en prdterminer les choix en exer ant leur expertise

    Mais la russite peut aussi dboucher sur la crise Lorsque hybride administration-entreprise malgr la russite de la squence LA-LE-LM ne parvient pas faire aligner son statut sur sa ralit conomique alors le colbertisme high ch inverse terme terme et mute en interven tionnisme discrtionnaire parasite Cette inversion pour effet dans un systme dj clat de faire perdre Etat le soutien de lite du secteur

    un des derniers grands projets identifiables est prcisment celui des Telecom puisque le plan de rattrapage date de 1974 phase LE Il est encadr par les plans nuclaire et ferroviaire le premier tant lanc en 1969 et acclr en 1973 et autre en 1976 Mais dans les deux cas la phase LA est plus ancienne Depuis les plans tlmatique satellite cble sont apparus mais ils ont davantage enrichi la chronique des white elephants que donn naissance des industries puissantes Faut-il pour autant se risquer annoncer la mort des grands projets Nul est prophte mais insistance avec laquelle on tent de promouvoir sans succs au cours des dernires annes les bio-technologies la fusion nuclaire et ocanographie suffit montrer que lorsque la perspective quipementire est absente bio-technologies et ocanographie ou que objet scientifique se prte mal aux grandes agences technologiques bio technologies ou que la perspective industrielle loigne la fusion) il est bien difficile de trouver un avenir au modle national du grand projet

    Enfin les grands projets origine nationale comme Ariane Airbus ou mme TGV sont devenus europens Certes dans ces trois cas initiateur technologique et politique t fran ais mais ces projets pour russir sont soit devenus europens soit en passe de le devenir TGV/Gnral Electric Corporation-Alsthom-Fiat La question ds lors se dplace si le colbertisme high ch dans un seul pays est plus praticable est-il davantage dans le cadre europen

    LE DIRIGISME DE TAT FRAN AIS

    Si comme nous avons tabli les politiques sectorielles pour des raisons qui tiennent la sociologie de la relation Etat-industrie ne peuvent hors le cas des grands projets peser sur la spcialisation et sur les stratgies des grandes entreprises publiques ou prives Si les grands projets ne peuvent panouir que sur la moyenne dure 30-50 ans et dans un contexte de fermeture des frontires grce la commande publique et la confusion des rles du rgulateur de exploitant et de

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  • Elie Cohen

    industriel Il ensuit que dans une conomie ouverte seule action sur environnement de entreprise peut porter Encore faut-il pouvoir faire la part des effets imputables action discrtionnaire des pouvoirs publics et des effets rsultant de la dynamique des marchs et des stratgies des acteurs privs

    intervention de Etat est le produit un faisceau de contraintes relles et imaginaires lesquelles dterminent les degrs de libert des tats-nations et la nature des ressources mobilisables La dynamique

    conomique internationale les orientations de la politique macro-co nomique le degr articulation des politiques globales et sectorielles et plus encore les soutiens et les oppositions suscits par ces politiques tels sont les points de passage ncessaires pour qui veut rendre compte de la stratgie explicite ou implicite de Etat en matire de dveloppement industriel

    LE CENTRALISME PLANIFICATEUR 1944-1954

    Dans immdiat le choix entre la simple reconstruction et la modernisation entre le retour au march vcu comme malthusien et la promotion de Etat rationalisateur et quitable entre un dvelop pement conomique vigoureux et la restauration une civilisation de quilibre t tranch dans le sens du volontarisme et du dirigisme La base politique t un court moment fournie par accord entre les partis issus de la Rsistance mais trs vite il fallut inventer autre chose Comment engager un effort volontaire quand instabilit politique ins talle et que les lans de la Libration moussent comment diffrer la reconstruction immdiate et identique quand les besoins sont criants Jean Monnet inventa une mthodologie un nouvel art de la recherche du consensus par la ngociation permanente ce furent le Plan et conomie concerte Il va trouver des allis au ur mme de la forteresse des Finances en la personne de Fran ois Bloch Laine directeur du Trsor qui sera inventeur de la contrepartie francs de aide Mar shall Par ce dispositif trs htrodoxe et qui va tre dnonc par la Banque de France comme gnrateur inflation quipe du Plan disposa un outil de financement discrtionnaire pour les secteurs prioritaires Monnet trouvera aussi des allis dans la grande industrie assoiffe de capitaux et parmi les dirigeants du nouveau secteur nationalis En revanche il lui faudra aussi et surtout combattre pied pied tous ceux qui dans le patronat provisoirement affaibli la Banque de France au Budget et dans le systme financier trouvrent ces pratiques htrodoxes dangereuses et susceptibles de provoquer un mouvement de surproduc tion

    Avec les ouvrages de Kuisel Margairaz Rousso les tmoignages des acteurs Bloch Laine Monnet Uri Marjolin... nous disposons prsent un fonds historique trs riche sur la priode qui permet notamment de mieux circonscrire le rle du Plan

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  • Politiques et rhtorique industrielles

    Les conditions de la russite doivent surtout notre sens ambi gut cratrice de la dmarche de Monnet illustre cette invention du Plan la fran aise Le plan Monnet pu tre considr comme un pis- aller pour certains et comme bauche du socialisme pour les autres est en cela que rside son ambigut cratrice Les communistes et la CGT obtiennent les nationalisations et les rformes sociales souhaites mais ils cdent sur leurs revendications immdiates quant au pouvoir achat et aux logements les mendsistes dfaut obtenir un vrai Plan un vrai ministre de Economie nationale et une authentique rigueur peuvent du moins exercer leurs talents dans les administrations dotes importants pouvoirs et ouvrir la voie leur chef les no libraux peuvent considrer que le Plan est provisoire et il remplit une fonction dans une reconstruction ordonne les patrons modernistes voient dans le Plan les ressources financires qui manquent si cruelle ment pour les gaullistes enfin les entreprises nationalises et les grands programmes sont bauche de cet Etat fort et dirigiste ils appelaient de leurs ux La vraie vertu du Plan est avoir contribu pacifier le dbat sur la reconstruction en permettant Etat de se doter parallle ment une administration conomique et un systme financier qui le moment venu agiront en ngociant des contrats exclusifs mutuellement opaques aux acteurs sociaux

    Le bilan conomique de la priode est la hauteur des espoirs mis dans le Plan En 1952 la France retrouv ses niveaux de production les plus levs de avant-guerre les industries de base et les infrastruc tures de transport sont reconstruites et modernises Un effort massif importation de biens quipement permet de rajeunir le parc de machines-outils les missions de productivit aux Etats-Unis favorisent le transfert de technologies et de mthodes de gestion Au terme de la priode pargne prive abondante peut prendre le relais Etat va la transformer en crdit bon march pour les entreprises la demande repart tire par investissement immobilier et quipement domestique et surtout par la rgularit et la prvisibilit de augmentation des revenus salariaux

    Le bilan institutionnel est pas moins remarquable Le Plan infor mation conomique la concertation et le lancement des grands projets dans la foule des nationalisations tmoignent de la capacit de Etat poursuivre dans le moyen terme malgr une grande instabilit politique des projets ambitieux

    Mais il une ombre ce tableau les pousses inflationnistes ne sont contenues que par des dflations brutales plan Pinay) le compromis social sur les revenus gure progress le capital national est faible et industrie reste fortement protge

    Mission termine Monnet poursuit ailleurs son uvre il va mettre ses talents entrepreneur politique au service de Europe dsignant par l mme les priorits nouvelles celles de ouverture des frontires et de la construction politique de Europe Mais sur la scne intrieure le voile du Plan se dchire

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  • CONOMIE DE FINANCEMENTS ADMINISTR 1954-1974

    La priode 1953-1955 marque une inflexion Etat commence privilgier la rgulation ensemble sur la direction du dveloppement et orientation autoritaire de investissement mme il matrise les outils de conomie de financements administrs Cette inflexion traduit essen tiellement une rintgration du monde patronal dans la sphre de dcision conomique et une prise en compte de tat rel de la structure sociale fran aise sans pour autant que Etat cesse de surplomber la socit

    Passes les pnuries physiques de immdiat aprs-guerre les dyna miques de offre et de la demande entrent en phase et produisent un cercle vertueux de croissance auto-entretenue Du ct de offre le transfert technologique amricain abondance de matires premires la disponibilit une main-d uvre faible cot et la stabilit du systme montaire de Bretton Woods stimulent puissamment largissement de la base manufacturire europenne et sa comptitivit Du ct de la demande une consommation prive rendue prvisible et solvable par la mise en place des dispositifs de Etat-providence et une politique qui pement public rendue ncessaire par les besoins de la reconstruction constituent des facteurs entranants pour une croissance rgulire Ces lments sont origine une position comptitive favorable au cours des annes 1960 industrie europenne va se hisser progressivement au rang de challenger de industrie amricaine La structure productive est modernise dans les domaines de comptence traditionnels de Europe industries de biens quipement et complte dans les nouveaux sec teurs de la chimie et de lectronique

    est dans ce contexte que le rve des grands prcurseurs de ide europenne commence se raliser la suppression des contingentements entre pays europens puis la suppression des droits de douane vont constituer de puissants facteurs de dveloppement des changes intra communautaires Une demande intrieure soutenue un effort investis sement intense le dveloppement des changes intra-communautaires et la redcouverte du grand large conjuguent leurs effets pour stimuler les conomies nationales et le dveloppement de la Communaut La France est alors en phase avec le reste de Europe mieux encore elle crot plus vite que ses partenaires en priode de forte croissance Une moindre industrialisation pendant entre-deux-guerres un certain retard pris dans immdiat aprs-guerre des rserves de productivit exploiter et une politique macro-conomique vigoureuse mene aprs 1959 expliquent ce diffrentiel de croissance Il faut cependant noter la veille des grandes secousses du dbut des annes 1970 appareil industriel est loin avoir achev sa mue les champions nationaux sont rares moins rentables et moins puissants que leurs partenaires allemands et britan niques et que la France peu de ples de comptitivit Au plan macro conomique la rgulation de croissance opre par inflation et la dvaluation priodique Les conditions de succs de ce modle fran ais de dveloppement ont t la reconnaissance des groupes intrt opacit des transferts le dirigisme puis interventionnisme tatique

  • Politiques et rhtorique industrielles

    Ce qui est central contrairement ce qui t dit est pas tant action de Etat en matire conomique les fameux outils de conomie concerte Plan entreprises publiques... que la captation de ressources conomiques pour accompagner la mutation sociale Comment faire en effet un pays rural forte paysannerie o les catgories indpendants pullulent un Etat industriel moderne sans dchirer le tissu social Une forte croissance rend indolores les transferts de population et permet de financer quipement du pays une forte inflation permet talement de la mutation agricole et commerciale un systme financier contrl par Etat permet orienter les ressources du pays vers les secteurs dsigns politiquement comme cruciaux le logement agriculture quipement du territoire Enfin une politique de prix administrs en matire de crdit permet enrichissement de entreprise qui endette effet de levier et le dveloppement un capitalisme sans capitaux

    La priode gaulliste est souvent qualifie ge or du Plan et du dirigisme industriel En fait si les grands projets lancs aprs guerre sont poursuivis ptrole nuclaire et multiplis sous le rgne du gnral de Gaulle spatial aronautique civile et militaire) si la protection de fait des entreprises nationales ne souffre que peu exceptions le financement de industrie est gure favoris par rapport agriculture au logement et quipement du territoire Certes le financement externe des entre prises se dveloppe et ce sont des organismes para-publics qui pour voient mais est l un effet de organisation du systme financier qui ne prjuge en rien du caractre slectif de ces interventions en fonction de priorits fixes par le Plan

    Le Plan suit cette volution ses ambitions sont plus grandes il vise organiser le dveloppement conomique et social il se proccupe de volution des revenus et des dsirs des consommateurs Mais cet largissement de ses comptences masque mal son dclin dans une conomie qui ouvre et au sein un Etat qui privilgie la rgulation ensemble et la gestion politique une stratgie ensemble de moder nisation De plus la tentative une politique de revenus qui seule aurait pu contenir inflation et que dfendait le commissaire au Plan chouera

    impratif industriel cher Pompidou correspond plus la dynamique interne du systme productif une politique volontariste analyse du processus de constitution des grands groupes industriels rvle davantage des logiques alliances dans le capitalisme fran ais une politique industrielle uvre Certes des mesures financires et fiscales furent prises mais elles ont pas provoqu les fusions

    Le miracle industriel fran ais aprs guerre 1954-1974 est donc pas le produit du despotisme clair de Etat il est le rsultat dans un environnement international porteur une ouverture sur Europe qui prserve les marges de man uvre des gouvernements nationaux une conomie de financements administrs qui laisse panouir la libre initiative et un Etat social construit comme substitut au compromis social

    Cohen Etat brancardier politique du dclin industriel 1974-1984 Paris Calmann-Lvy 1989 coll Libert de esprit

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  • Elie Cohen

    La France largement model la Communaut en faisant prvaloir sa conception une Europe des nations un excutif supra-national rduit un Parlement reprsentant des Parlements nationaux et une structure dcisionnelle politique procdant par accords unanimes entre les parties Cette premire Europe pu mettre son crdit non seulement la ralisation un march intrieur trs largement ouvert mais aussi une vraie politique commune en matire agricole la PAC fonde sur la prfrence communautaire et un tarif extrieur commun Dans une telle Europe les Etats-nations non seulement restaient matres de leur poli tique militaire et de leur diplematie mais ils pouvaient discrtionnaire- ment dfinir leurs politiques conomiques montaires et budgtaires au besoin contre-courant de leurs partenaires La dvaluation priodique venait sanctionner la perte de comptitivit

    Un syndicalisme de lutte des classes et un patronat partag entre une aile marchante saint-simonienne et une masse silencieuse et inorganise arc-boute sur la dfense patrimoniale ne peuvent cogrer le partage se fait ailleurs ombre de Etat par extension des avantages sociaux et par une division du travail aux entreprises la gestion conomique aux syndicats celle du social gestion de la protection sociale par les partenaires sociaux Etat la rgulation ensemble et la substitution ponctuelle initiative prive dfaillante les grands projets conomie de financements administrs Etat social est le produit du refus implicite de Etat des syndicats et des patrons de matriser les volutions nominales de revenus et de prix La fuite en avant inflationniste entretient la croissance autofinancement et euthanasie du rentier selon les prceptes keynsiens elle permet surtout des transferts indolores et occultes Etat enfin pourvoit au financement des entreprises et dter mine le niveau de rentabilit en fixant le niveau des prix et des salaires Dans conomie de financements administrs est Etat et non le march montaire qui fixe les prix les taux et les quantits rationnement du crdit La singularit de la situation fran aise de 1945 1984 est tout entire l

    la diffrence du modle de banquindustrie allemand les banques fran aises tant pas engages dans le financement long terme des entreprises installent dans le rle actionnaires passifs Cette relation distante entre industriel et actionnaire est dans son principe gure diffrente de celle que connaissent les entreprises nationalises puisque Etat leur abandonne la dfinition de la stratgie se rservant le droit intervenir comme dans les entreprises prives pour des raisons de rgulation macro-conomique

    la diffrence du modle anglo-saxon de rgulation par le march financier les entreprises ont plus intrt endetter auprs organismes para-publics que de renforcer leurs capitaux par le recours au march Cela signifie que tous les financements longs ont t soit le fait de cratures tatiques Fonds de dveloppement conomique et social FDES ou institutions financires para-publiques comme le Crdit national le Crdit foncier le Crdit quipement aux PME) soit le fait de procdures incitatives inities par le Trsor Une telle situation tait

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  • Politiques et rhtorique industrielles

    gure propice la maximisation du profit elle rendait par contre acceptables dans le court terme le contrle des prix et une politique sociale gnreuse

    Des entreprises fran aises galement endettes et sous-capitalises ont pu bnficier de la scurit que confre appartenance de vastes conglomrats industriels financiers et commerciaux sur le modle japo nais Elles ont toutefois bnfici de la protection tatique pour loigner la menace une concurrence trangre trop vive et dissuader les prises de contrle de firmes fran aises

    Quand Etat pratique euthanasie du rentier la transformation de pargne courte en financements longs quand de plus il incite fiscalement

    endettement quand les investisseurs institutionnels ne psent pas lourd du fait de la faiblesse de la retraite par capitalisation quand enfin Etat protge le capital national des incursions indsires tout milite pour avnement un capitalisme sans capitaux

    Au total conomie de financements administrs permis la crois sance extensive production de masse main-d uvre sous-qualifie faible Recherche/dveloppement prive) mergence dans le sillage des grands projets de champions nationaux publics ou privs et un bon quipement du territoire La confusion des auteurs anglo-saxons qui traitent du dirigisme trouve son origine dans la sophistication un outil interven tion et dans la sduction un discours planiste et industrialiste alors que nous avons pu tablir que si cet outil tait dterminant sur le plan politique et financier il tait gure slectif et il avait gure de prise sur les stratgies et les dynamiques industrielles

    LA CRISE ET INVOLUTION ETATIQUE 1974-1984

    Le caractre pervers du financement administr apparatra au grand jour avec les crises conomiques de la dcennie envole des taux et la transformation de effet de levier en effet de massue En effet ds lors que ordre montaire international effondre et que les taux rels lvent sensiblement le poids de la dette devient insoutenable pour les entreprises les frais financiers consomment essentiel des marges il devient plus rentable de se dsendetter que investir On va alors dcouvrir un capitalisme sans capitaux est une source de fragilit majeure pour appareil industriel et financier La ruse de histoire est que la gauche aura ralis des nationalisations rendues ncessaires par la faillite du capital priv fran ais fin de la dynastie des Gillet Rhne- Poulenc des Empain Schneider crise du contrle interne Pchiney

    Thomson... et de conomie administre au nom de la socialisation des moyens de production et une stratgie de sortie de crise La priode 1974-1984 couvre une double crise internationale avec les chocs mon taires nergtiques et industriels nationale avec la crise du modle tatique national

    Avec la crise tout est pass comme si les diffrents pays europens sparment avaient choisi face leurs opinions publiques la mme

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  • Elie Cohen

    stratgie qui consistait prfrer le consommateur au producteur le salari des vieux secteurs aux salaris potentiels des nouveaux secteurs et le dtenteur un emploi au chmeur et ce dans le cadre une conomie ouverte et une communaut en panne Europe dcroch depuis les crises des annes 1970 la construction europenne rgress La panne de la construction europenne explique le dsarroi des gouvernements nationaux face la crise et la tentation des solutions individuelles vont conjuguer leurs effets pour affaiblir les nations euro pennes incapables dans quelque domaine que ce soit de trouver des rponses communes

    Sur le plan industriel abandonnant ses positions de force obtenues la fin des annes 1960 industrie europenne se replie progressivement

    sur des produits moins labors moins concurrencs par les Etats-Unis le Japon et les Nouveaux Pays Industriels du Sud-Est asiatique mais qui souffrent une faible croissance de la demande

    Dans ce contexte de profonde dgradation des facteurs de la comp titivit cots salariaux directs et indirects cot des matires importes vieillissement du capital baisse de la productivit inflation exacerbe) les diffrents pays europens inventent des protections drisoires quotas fran ais dans les tlvisions couleur automobile... qui tiennent lieu un moment de politique ce que soumis une pression extrieure devenue irrsistible les pays europens un un renoncent disparition de lectronique grand public allemande et anglaise La protection par les normes des marchs publics des rgimes fiscaux constitu une efficace barrire pour la dfense des prs carrs nationaux au mpris des exigences de la constitution un march intgr objectif dclar du trait de Rome bien avant avnement du march unique de 1992

    Ce qui diffrencie la France de ses partenaires europens ne rside pas dans le traitement de la crise de 1974 mais dans incapacit en sortir

    La premire phase 1974-1978 analyse en France comme effet contrari une volont de passage au laisser-faire en tmoignent une politique macro-conomique de navigation vue car la crise ne devait pas durer des mesures ponctuelles amlioration de la balance commerciale les grands contrats la cration infirmeries de campagne CIASI pour parer aux besoins financiers provisoires en treprises momentanment en difficult et le choix de vitement tout prix du conflit social

    La crise fonctionn comme une irruption du rel dans un univers o un quilibre fragile conomique politique social et culturel tait progressivement fig La dynamique de la croissance qui avait permis Etat de rsorber les contradictions nes du passage une conomie peu industrialise une conomie industrielle ouverte sur le monde avait cess de fonctionner Cette crise que on acharnait nier avait en fait pas de solutions acceptables elle fut donc occulte par les industriels les hauts fonctionnaires les hommes politiques et les syndicalistes o les choix politiques dfensifs qui furent faits pour viter affrontement social au prix de aggravation de la crise industrielle

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  • Politiques et rhtorique industrielles

    Si en 1978 la ralit de la crise commence tre admise dans les milieux industriels et administratifs elle ne est pas encore dans les milieux syndicaux et politiques de gauche autrement que sur le mode magique avec la dnonciation de la rigueur barriste Pourtant compter de cette date timidement une nouvelle politique est esquisse

    Son objectif dclar est de raliser les adaptations ncessaires par une redfinition des missions de Etat Une triple logique est alors uvre sur le plan macro-conomique il agit de crer un environnement de rigueur qui doit inciter les chefs entreprises rsister leurs salaris politique du franc fort restriction du crdit sur le plan sectoriel Etat assume la responsabilit financire de la restructuration des secteurs en graves difficults comme la sidrurgie ou les chantiers navals Etat enfin veut prparer avenir industriel de la France en impulsant des actions dans les secteurs de haute technologie il cre cet effet le Codis

    Mais instabilit conomique et financire internationale et le contexte politique et social national vont interdire la ralisation du projet En effet au moment o le gouvernement Barre prend conscience de ampleur du nouveau prlvement ptrolier et fort du rpit politique il pense avoir obtenu aux lections de 1978 tente une politique du franc fort et amorce la chasse aux canards boiteux en Allemagne puis dans les autres pays on mne une politique dflationniste qui passe par importantes amputations salariales La politique fran aise chouera la rsistance du salariat par exemple la rvolte de Longwy et les contraintes de chance prsidentielle vont conduire le gouvernement Barre abandonner les disciplines ncessaires

    Le rsultat incontest de cette tentative avorte rside dans le retard pris par industrie pour se rquiper adapter ses effectifs se redployer requalifier son personnel Au total ces choix que commandait la nature de affrontement idologique et politique ont affaibli industrie dans son ensemble Ds lors la politique du franc fort abouti effet inverse de celui qui tait programm puisque non seulement inflation sera plus forte mais encore les entreprises affaiblies par le traitement elles subissent en viennent abandonner des parts de march extrieur ce qui aggrave davantage le solde du commerce extrieur

    Quant appareil Etat il prolifr et gagn en inefficacit En rponse chaque assaut extrieur et chaque demande un groupe organis et en absence une reprsentation lgitime des intrts Etat rpond par invention de prothses aides aux entreprises en difficult aux entreprises innovantes bonifications pour investissements quipe ments automation dispositifs incitateurs pour la recapitalisation des entreprises fermetures provisoires du march national plans sociaux avec prretraites etc. anne 1982 sonne le glas de ces politiques appareil intervention conomique ne matrise plus rien et les entre prises grandes ou moyennes menacent faillite Ce on analys comme chec de la gauche est abord un effondrement pratique et idologique un Etat sans partenaires victime une surcharge des demandes et qui ne sait plus que reproduire des dispositifs dysfonctionnels

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  • LA VOLUTION LIB RALE 1984-...

    Ayant chang de politique abandonn la stratgie de rupture le Plan la nationalisation et la relance keynsienne par une srie de rformes la gauche au pouvoir va prendre initiative l o on attendait le moins dans la promotion de entrepreneur et de entreprise dans abandon des canards boiteux mise en faillite du premier groupe fran ais de mcanique lourde Creusot-Loire) dans la politique innovation financire dans la flexibilisation de appareil productif et dans intro duction de mthodes de gestion propres entreprise dans la protection sociale

    En matire innovation financire les matres-mots deviennent d cloisonnement dspcialisation dbonification dsintermdiation ouver ture internationale dcartellisation bancaire Pierre par pierre est tout difice de conomie de financements administrs qui est dmantel Ces initiatives transforment en un an le paysage financier fran ais elles sont salues comme des mesures dcisives pour la libralisation et la modernisation du systme financier fran ais

    Le gouvernement socialiste attaquera aussi quelques archasmes ttus en matire de transmission des entreprises il favorisera le dvelop pement des fonds propres il amorcera le dmantlement des contrles des prix et des changes

    En matire de flexibilit ce sont les socialistes qui vont relcher nombre exigences du droit du travail contrats dure dtermine introduction quipes de nuit et de week-end etc. Enfin en matire de gestion de la protection sociale est encore le gouvernement socialiste qui commence organiser le transfert de charges vers le consommateur de soins en tendant les cas de dremboursement

    Les annes 1985-1987 qui marquent une relative reprise au niveau mondial grce aux effets combins de la baisse du dollar de la baisse du ptrole du fort dficit de la forte croissance amricaine voient la France affaiblie tout entire consacre la rsorption de ses erreurs passes par abaissement des ratios endettement et la reconstitution des fonds propres des entreprises notamment) incapable de profiter de la reprise et subissant de plein fouet les effets de la panne de investis sement productif des annes prcdentes et inadaptation de la structure de son commerce extrieur Mais au total la rigueur aura port ses fruits le franc affiche une belle sant et le diffrentiel inflation avec la RFA fond) la reprise vigoureuse de investissement industriel et de la croissance en 1988-1989 mme au prix une nouvelle dgradation du commerce extrieur tmoigne de la capacit adaptation de conomie fran aise

    La thse que nous avan ons sur la gestion socio-politique de la modernisation avec ses avantages et ses cots inflation une moindre comptitivit des adaptations plus lentes mais sans rupture traumatisante

    illustre le poids des inerties propres au modle fran ais mais ces dernires ont pas empch pour autant une modernisation vigoureuse Ds lors intervention de Etat ne peut tre fonde sur un universel

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  • Politiques et rhtorique industrielles

    constat de carence de initiative prive et ce autant que les formes de cette intervention ont beaucoup vari sans on puisse discerner une volution rgulire du plus au moins intervention

    Mais la grande affaire de la priode est Acte unique et le grand march intrieur

    tant heurte au mur des ralits conomiques et financires la gauche prfr renoncer son programme plutt que de prendre le risque une rupture politique au sein de la Communaut des 12 Le gouvernement fran ais va mme prendre initiative une relance euro penne

    Acte unique est en fait un compromis entre ceux qui voulaient relancer la construction europenne sur une base politique et acceptaient pour cela une tape supplmentaire dans intgration conomique et ceux pour qui le programme de libralisation se suffisait lui-mme les politiques communes tant que le prix payer pour recueillir le consentement des autres

    Certes les Fran ais ont pas sign un programme fondamentalement libral sans en percevoir la vritable nature et le consentement aux politiques communes de la part des Allemands tait pas factice Mais pour les uns les Fran ais qui venaient de confirmer arrimage du Franc au Mark dans le cadre du systme montaire europen le programme de libralisation permettait objectiver la contrainte extrieure le march unique de 1993 et donc de maintenir un plan de rigueur et de moder nisation svre Pour les autres acquis au programme libral les poli tiques communes taient considres soit comme un impt communautaire la contribution nette allemande est dcisive pour la politique rgionale et donc pour la Grce et le Portugal soit comme un engagement susceptible de remise en cause permanente ds lors il fallait appliquer le freinage dlibr des Anglais sur la charte sociale intgration montaire mais aussi sur les programmes technologiques La Commission est institution qui incarne ce compromis dont la coloration est aussi le produit une dynamique bureaucratique

    Tant que la promesse de politiques communes en matire technolo gique tait crdible le projet de transfrer au niveau europen ce qui avait si bien russi au niveau national tait soutenable Il ne manquait en effet pas arguments la France pour justifier face au Japon un engagement ferme de Europe en faveur de grands programmes tech nologiques dbouchant sur de nouvelles infrastructures Autant le key- nsianisme et le colbertisme high ch taient devenus impraticables au niveau national autant ils pouvaient reprendre sens au niveau euro pen Avec Esprit Brite Euram Race Eurka Jessi avec les projets europens de rseaux TGV ou RNIS on avait mme embryon une forme intgration qualitativement suprieure au principe du juste retour absence de volont politique accord sur les procdures plus que sur les stratgies le retour des solutions nationales ont empch la ralisation de ce projet

    Au terme de la priode force est de constater aprs avoir renonc au contrle des frontires qui permettait le protectionnisme offensif et

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  • Elie Cohen

    donc les grands projets aprs avoir chou dans la relance de activit conomique en 1974 et 1981 et accept intgration europenne la France renonc toute politique macro-conomique spcifique Enfin les checs rpts de intervention sectorielle puisement des grands chantiers quipement et la naissance une autorit supranationale europenne ont conduit renoncer galement aux politiques sectorielles Peut-on pour autant dire que exception fran aise est rsorbe et que nos lites soient converties la rgulation par le march

    INDUSTRIE ET SOUVERAINETE

    Depuis dix ans les gouvernements qui se sont succd ont pratiqu une politique environnement de entreprise en veillant geler les charges et stabiliser la pression fiscale et sociale Ils ont stimul investissement fran ais tranger et adopt une posture plus favorable

    gard de investissement tranger en France Ils ont depuis 1983 en particulier renonc illusion des politiques macro-conomiques contre-cycle et inscrit leurs choix intrieur des troites limites permises par intgration europenne et insertion dans conomie-monde

    Pourtant le discours de politique industrielle t maintenu et inentam Il suffi une alternance interne la gauche pour que des discours que on croyait dmontiss refassent surface Pourquoi donc le discours de politique industrielle survit-il en France ses conditions de ralisation ou mme de possibilit

    Ce discours dlibrment ou insu de ses auteurs remplit trois fonctions principales importance ingale selon les priodes mais qui trouvent leur origine dans une conception originale de la souverainet entendue dans sa triple acception autorit souveraine Etat) de sou verainet nationale le rapport extrieur aux frontires et de matrise collective de avenir

    Droite comme gauche en France refusent abandonner aux forces du march la direction du dveloppement conomique et de la spciali sation industrielle Elles ne peuvent admettre que le meilleur ordre conomique naisse du dsordre des initiatives individuelles et encore moins que la procdure de march soit adapte aux incertitudes du monde et aux alas du temps long Le march auquel la gauche est rsigne doit tre rgul mais plus encore clair balis complt par intervention clairvoyante de Etat Si la droite fran aise se fait le hraut de initiative individuelle de entrepreneur contre Etat tatillon elle entend pas pour autant laisser le contrle des entreprises fran aises se dcider sur le march est ainsi que les privatisations ont donn lieu

    un capitalisme politiquement orient Certes il est difficile de faire la part de opportunisme politique troit et de attachement un Etat interventionniste Il empche gauche et droite prnent des degrs

    On trouve chez Dumont une analyse trs clairante sur les conceptions de la souverainet et notamment sur le passage de la souverainet universelle la souverainet territoriale Homo aequalis idologie allemande Paris Gallimard 1991)

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  • Politiques et rhtorique industrielles

    divers la socit conomie mixte La socialisation des moyens de production fournissait la gauche un discours net mais conomie mixte mtine de volontarisme industriel verbal et la dnonciation du libralisme sauvage permettent encore de tracer une mince ligne de dmarcation

    Dans la tradition jacobine fran aise le discours industrialiste assure aussi une fonction de lgitimation du pouvoir Etat Les ides de matrise de appareil productif industrie obissante et plus encore une conomie mobilisable on peut redployer reconfigurer sp cialiser participent une mme idologie de puissance publique Etat en France dfaut de peser rellement sur le cours des vnements doit donner penser et croire cette universelle matrise faute de quoi il serait profondment dlgitim Cette dimension du discours longtemps t dominante droite Michel Debr estimait que la direc tion de conomie revenait Etat Les conseillers industriels de Valry Giscard Estaing avaient pas de mots assez durs pour fustiger la frilosit du capitalisme fran ais Ils justifiaient ainsi les grands projets et entendaient installer les patrons des grands groupes dans une relation de servitude Lorsque comme au dbut des annes 1980 une gauche radicale et tatiste est au pouvoir la rhtorique industrialiste est son znith La gauche voudra mme faire de son secteur nationalis le fer de lance de la sortie de crise une oasis sociale la vitrine un nouveau modle de dveloppement post-keynsien Le fond commun de cette croyance en une conomie obissante subsiste au niveau du discours hui encore ide que entreprise fran aise agit en fonction de intrt national en crant des emplois en les localisant sur le territoire national en contribuant amlioration du solde extrieur et en change Etat lui doit attention assistance et protection est inentame

    Enfin ce discours exprime le noyau dur une vision partage par nos lites politico-industrielles celle une industrie attribut de souve rainet

    Dans sa version la plus usuelle elle renvoie autonomie stratgique et indpendance nationale sans industrie puissante pas de dfense indpendante pas de diplomatie active voire pas influence culturelle significative industrie serait mme un attribut de puissance en hausse dans un monde o attribut militaire serait en voie de dmontisation depuis la chute du mur de Berlin Il chappe la perspective de cet article expliquer pourquoi la France longtemps davantage pes sur la scne internationale que son poids industriel rel il est incontestable que sur la longue dure la prosprit industrielle donne naissance la puissance financire et que celle-ci ouvre la voie de influence politique force est de reconnatre que des nains politiques sont devenus des gants conomiques Allemagne Japon et que la France pay cher le maintien de empire colonial puis le statut de petite grande puissance

    Peut-tre vont-ils devenir prsent des gants politiques des puissances militaires et des foyers de rayonnement intellectuel mais dans ce cas on aurait une preuve supplmentaire de illusion aura reprsente pour la France son statut de grande puissance

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  • Elie Cohen

    cot de effort de Dfense et effets induits une spcialisation indus trielle commande par les grands projets politico-militaires)

    Dans sa version la plus triviale elle traduit une forme de nationalisme conomique o intrts industriels et nationaux sont confondus

    Nulle part ailleurs en France on autant illustr le prcepte Ce qui est bon pour Bull est bon pour la France La perte un

    march pour Airbus ou le Mirage 2000 le rachat une socit amricaine par un de nos champions nationaux ou la pntration une marque trangre sont vcus comme des victoires ou des checs nationaux identification entre intrts des entreprises nationales et intrts du pays est telle elle interdit toute rflexion sur les dynamiques de conomie mondiale et induit une diplomatie conomique courte vue

    La rhtorique industrialiste est donc appele refleurir priodique ment Elle constitue une forme de rponse trois problmes persistants du gouvernement de Etat-nation sa place entre les niveaux de gouver nements supra-national et infra-national la redfinition de ses missions apprentissage de la sparation entre intrts industriels et nationaux

    Pour Etat jacobin la reconnaissance pleine et entire des effets institutionnels de la naissance un embryon de gouvernement europen et autorits rgionales lgitimes ne peut aller sans rgressions sans affirmations verbales une autorit publique inentame le discours de industrie obissante et de Etat bouclier face aux empitements de Bruxelles remplit cette fonction

    Pour Etat colbertiste apprentissage un nouveau rle celui de Etat modeste instance agrgation des demandes de la socit civile et avocat des entreprises territoriales auprs instances internationales rgies par le droit constitue un redoutable dfi Les chappes dans ordre du discours sur les grands projets europens o le passe-droit est le moteur de action sont le prix payer pour apprentissage du nouveau rle

    Pour Etat social la pratique de la dsinflation comptitive et de la drgulation sociale ne peut tenir lieu de projet invention une nouvelle forme de social privilgiant emploi conduira privilgier industrie en France en rendant attractif espace national plutt que la seule industrie nationale

    La rhtorique industrialiste est donc un symptme celui de la crise de la souverainet lectivement fixe sur objet industriel parce il traduit le mieux la capacit influence une grande puissance

    Elie Cohen est directeur de recherche au CNRS Il est auteur de Qui gouverne les groupes industriels en collaboration avec Michel Bauer) Paris Le Seuil 1981 Les grandes man uvres industrielles en collabo ration avec Michel Bauer) Paris Belfond 1985 Etat brancardier Paris Calmann-Lvy 1989 Il publi rcemment Le colbertisme high

    ch Paris Hachette 1992 Il travaille actuellement sur les questions de souverainet conomique et industrielle dans les Etats-nations en voie intgration Europe des 12 Groupe analyse des politiques publiques 13 rue du Four 75006 Paris)

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    InformationsAutres contributions de Monsieur lie CohenCet article est cit par :Gerhard Lehmbruch. Les variations sectorielles dans la dynamique du changement de l'conomie politique est-allemande, Politix, 1996, vol. 9, n 33, pp. 44-70.

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    PlanPolitique sectorielle et champions nationauxLe dirigisme de l'tat francaisLe centralisme planificateur (1944-1954)L'conomie de financements administrs (1954-1974)La crise et l'involution tatique (1974-1984)La rvolution librale (1984-... )

    Industrie et souverainet