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Nicolas de Halleux Aspects de mise en page des manuscrits de l'Egypte pharaonique In: Communication et langages. N°69, 3ème trimestre 1986. pp. 67-91. Résumé La civilisation pharaonique est une de celles où le graphisme a atteint un développement et une perfection qui sont l'apanage des grandes cultures idéographiques. L'absence de frontière précise entre écriture et dessin, le souci permanent de représenter le réel sous une forme schématique dans ce que A. Leroi-Gourhan a appelé des mythogrammes (par exemple l'itinéraire du défunt dans l'au-delà) ont donné naissance à un art de la composition, de la mise en page, qui mérite une attention toute particulière. L'étude de ces techniques graphiques en Ancienne Egypte en est encore à ses débuts. Nicolas de Halleux qui est à la fois éditeur, féru de graphisme — il exerce les fonctions d'administrateur, chargé des publications dans une organisation internationale — et égyptologue a décidé de mettre cette double formation au service de l'étude de la mise en page des papyrus. Citer ce document / Cite this document : de Halleux Nicolas. Aspects de mise en page des manuscrits de l'Egypte pharaonique. In: Communication et langages. N°69, 3ème trimestre 1986. pp. 67-91. doi : 10.3406/colan.1986.1784 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1986_num_69_1_1784

Aspects de mise en page des manuscrits de l'Egyptepharaonique

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In: Communication et langages. N°69, 3ème trimestre 1986. pp. 67-91La civilisation pharaonique est une de celles où le graphisme a atteint un développement et une perfection qui sont l'apanagedes grandes cultures idéographiques. L'absence de frontière précise entre écriture et dessin, le souci permanent de représenterle réel sous une forme schématique dans ce que A. Leroi-Gourhan a appelé des mythogrammes (par exemple l'itinéraire dudéfunt dans l'au-delà) ont donné naissance à un art de la composition, de la mise en page, qui mérite une attention touteparticulière. L'étude de ces techniques graphiques en Ancienne Egypte en est encore à ses débuts. Nicolas de Halleux qui est àla fois éditeur, féru de graphisme — il exerce les fonctions d'administrateur, chargé des publications dans une organisationinternationale — et égyptologue a décidé de mettre cette double formation au service de l'étude de la mise en page des papyrus.

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Nicolas de Halleux

Aspects de mise en page des manuscrits de l'EgyptepharaoniqueIn: Communication et langages. N°69, 3ème trimestre 1986. pp. 67-91.

RésuméLa civilisation pharaonique est une de celles où le graphisme a atteint un développement et une perfection qui sont l'apanagedes grandes cultures idéographiques. L'absence de frontière précise entre écriture et dessin, le souci permanent de représenterle réel sous une forme schématique dans ce que A. Leroi-Gourhan a appelé des mythogrammes (par exemple l'itinéraire dudéfunt dans l'au-delà) ont donné naissance à un art de la composition, de la mise en page, qui mérite une attention touteparticulière. L'étude de ces techniques graphiques en Ancienne Egypte en est encore à ses débuts. Nicolas de Halleux qui est àla fois éditeur, féru de graphisme — il exerce les fonctions d'administrateur, chargé des publications dans une organisationinternationale — et égyptologue a décidé de mettre cette double formation au service de l'étude de la mise en page des papyrus.

Citer ce document / Cite this document :

de Halleux Nicolas. Aspects de mise en page des manuscrits de l'Egypte pharaonique. In: Communication et langages. N°69,3ème trimestre 1986. pp. 67-91.

doi : 10.3406/colan.1986.1784

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1986_num_69_1_1784

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ASPECTS DE MISE EN PAGE

DES MANUSCRITS

DE LÉGYPTE PHARAONIQUE

par Nicolas de Halleux

La civilisation pharaonique est une de celles où le graphisme a atteint un développement et une perfection qui sont l'apanage des grandes cultures idéographiques. L'absence de frontière précise entre écriture et dessin, le souci permanent de représenter le réel sous une forme schématique dans ce que A. Leroi-Gourhan a appelé des mythogrammes (par exemple l'itinéraire du défunt dans l'au-delà) ont donné naissance à un art de la composition, de la mise en page, qui mérite une attention toute particulière. L'étude de ces techniques graphiques en Ancienne Egypte en est encore à ses débuts. Nicolas de Halleux qui est à la fois éditeur, féru de graphisme — il exerce les fonctions d'administrateur, chargé des publications dans une organisation internationale — et égyptologue a décidé de mettre cette double formation au service de l'étude de la mise en page des papyrus.

Dans cet article, nous parlerons de la mise en page à une époque où la page n'était pas encore apparue dans l'histoire de l'humanité... L'idée d'assembler des tablettes de cire en polyp- tique. puis des feuillets de parchemin en livre — en codex — voit le jour alors que depuis près de trois millénaires le scribe égyptien a déjà appris, face à un rouleau de papyrus étalé sous ses yeux, à pratiquer ce métier que graphistes et, éditeurs connaissent bien: disposer intelligemment du texte, de l'illustration sur un support imposé.

LA MISE EN PAGE... SANS PAGE Pour ce faire, les premiers scribes ont mis au point, à l'évidence, un système graphique. Or ce système, qui est précis, rigoureux, pratique, ignore le module de départ. — la page — dont la présence nous semble, à nous, à ce point indispensable que nous avons retenu son nom pour désigner le métier qu'elle a fait naître : le metteur en page. Telle est donc la question que nous nous sommes posée en commençant notre recherche: comment pratique-t-on la mise en page sans pages? C'est un peu comme s'il fallait entreprendre l'histoire de la peinture — et ceci est d'ailleurs vrai pour l'Egypte — dans une civilisation qui n'aurait pas connu l'idée de tableau.

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Graphisme

Nous poursuivons cette recherche depuis quelquesannées. sur un échantillonnage toujours plus représentatif de papyrus pharaoniques : livres des morts, textes littéraires, textes de gestion, documents privés, etc., appartenant aux différentes époques de la civilisation égyptienne*. Parallèlement à ce dépouillement, nous affinons et développons une grille d'analyse des variables de la mise en page, applicable aux volumes égyptiens. La première mise au point de cette grille a déjà été établie au départ d'un papyrus funéraire classique, copié vers 1300 av. J.-C: le papyrus de Ani. exposé au British Museum. Ces premières investigations font déjà voir que certaines formes de mise en page, conçues pour les écritures égyptiennes, seront spontanément adoptées par les scribes et maquettistes pratiquant les écritures que nous utilisons encore de nos jours lorsque, au sein de ce foyer intellectuel de première importance que sera l'Egypte hellénistique, puis romaine et chrétienne — en particulier Alexandrie — le papyrus deviendra le support courant des écrits du monde gréco-romain. L'apparition du codex — comme le montre le Codex Sinaïticus — ne fera au début que confirmer l'appropriation de ces règles de mise en page par les scribes travaillant désormais sur une suite de. feuillets identiques. De plus, via le monachisme chrétien venu d'Egypte, l'influence du graphisme pharaonique se retrouvera même de façon directe dans des documents élaborés aux limites du monde occidental — en Irlande — et qui influenceront ensuite la mise en page pratiquée sur le continent européen1. Cependant avant de nous laisser entraîner dans ces hypothèses sur leurs influences en Occident, il faut décrire la manière dont les Egyptiens pratiquaient la mise en page. Et puisque le feuillet rectangulaire propre au codex n'existait pas. il n'est pas superflu de commencer par dire ce que nous entendons par mise en page, dans une étude historique telle que nous l'avons entreprise. Nous utilisons, pour notre recherche, deux définitions dont

§ nous espérons qu'elles s'enrichissent mutuellement.- La pre- 2 mière, très ouverte, est. si l'on tient à la classer dans une caté- §> gorie de la philosophie des formes, franchement phénoméno- c1 ' logique: la mise en page c'est ce qui apparaît lorsqu'on regarde f ce qui- est écrit. L'étudier c'est apprendre à voir un texte. La <5 c •2 * Ces travaux sont dirigés par M. Pascal Vernus. directeur d'études à S l'École pratique des hautes études (IVe section). Nous le remercions ici de § ses encouragements et de ses conseils. S 1 . Voir F. Henry éd.. The Book of Kelts, reproductions from the manuscript | in Trinity College. Dublin. Dublin 1 974, p. 1 91. noter la pose osiriaque de ° saint Jean.

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pratiquer c'est savoir faire voir un texte. Une surface couverte de signes graphiques, dessinés, calligraphiés ou imprimés peut être prise sous les yeux et contemplée comme un tableau ou un paysage ; sans vraiment la lire. En l'examinant de la sorte on découvre des composantes, des combinaisons, des dispositions, bref un ordre qui a une logique et un sens. Cette création d'une, harmonie visuelle, sur. une surface déterminée, d'éléments donnés constitue l'« essentiel» de la mise en page... Voilà certes une définition «sensible» mais qui ne nous aide guère à dépouiller un document au cours d'une recherche pratique. Dès lors, quels critères utiliser pour analyser une mise en page? A quoi faut-il être attentif? Pour un travail philologique et. dans une moindre mesure, iconologique ces critères ont été précisés. On peut, en se référant à l'une ou l'autre étude exemplaire, réutiliser les catégories éprouvées, définies pour établir un texte ou décrire une image. Peut-être parce qu'elle n'appartient ni vraiment au champ de la philologie ni à celui de l'histoire de l'art, mais qu'elle se situe à l'intersection de ces domaines séparés par une vieille tradition académique, l'étude de la mise en page ne dispose-t-elle encore que d'un petit nombre d'outils d'analyse. Quoi qu'il en soit, cette pauvreté des théories est. pour le grand profit du chercheur, merveilleusement compensée par la variété et l'efficacité des outils de travail que mettent à sa disposition les métiers graphiques et édi- toriaux. Ce sont donc ces instruments-là, très familiers aux lecteurs de Communication et langages, qui nous ont servis à étudier les papyrus égyptiens.

NOTRE DÉMARCHE Partant des éléments les plus simples d'une plage écrite et illustrée pour aller vers les compositions les plus complexes, nous avons d'abord considéré les signes d'écriture — hiéroglyphes, hiératiques — pris isolément. Après cet examen, proche de la paléographie, nous avons voulu voir comment, graphiquement, ces éléments sont combinés par le scribe en unités plus grandes : le quadrat, disposition des signes en carrés dont il sera question plus loin, mais pas le mot. Du quadrat, on passe donc directement à la mise en ligne. Le mot n'apparaît pas. La ligne, elle, peut être verticale ou horizontale et les signes peuvent y être mis de manière à regarder — c'est bien le terme — l'idéogramme pouvant être pourvu d'yeux — dans différentes directions. Et ensuite? Comment sur un rouleau — dont les lignes d'écritures sont parallèles à la tranche — rassemble-t-on un groupe de lignes de manière à leurfaire occuper un espace qui soit, certes économiquement judicieux (le rouleau a un format contraignant), ou encore esthétiquement équilibré, mais

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Graphisme

aussi qui, le cas échéant, mette en valeur les subdivisions, les hiérarchies permettant d'appréhender visuellement la logique du contenu du texte? Ces unités, comme on. le lira, ne sont certes ni des pages, ni des chapitres. Mais alors quelles sont- elles ? Et le scribe a-t-il recours à la titraille, à des foliotages pour les mettre en évidence ? Par ailleurs le volumen déroulé se présente comme une surface unique, très allongée, et qui n'est pas, comme le codex, préalablement découpée du seul fait de son mode de fabrication. Comment le scribe va-t-il diviser cette surface considérable pour y disposer judicieusement tout ce qui doit y entrer PRéglures, filets, encadrements, marges, etc.. vont, comme on le lira, permettre à chaque chose de trouver sa place. Enfin nous parlerons également de l'illustration. Chacun a déjà pu contempler des textes funéraires sur des parois ou sur des papyrus. Point n'est besoin de longues explications auxfamiliers de la chose graphique pour qu'ils se remémorent d'emblée l'extraordinaire degré d'élaboration qu'atteint l'intégration du texte et de l'image dans ces scènes.

Nous examinerons à présent plus en détail et de manière plus technique trois aspects de la mise en page des papyrus pharaoniques: la manière dont le rouleau est divisé par des systèmes d'encadrement; les divisions rédactionnelles et matérielles du texte; la construction des éléments linéaires. Ces observations ne concernent bien entendu pas l'ensemble du corpus des papyrus! Le collègue égyptologue qui nous lira comprendra que nous avons d'abord voulu relever certains faits graphiquement saillants dans la mise en page égyptienne, et que ce n'est qu'à un stade ultérieur que nous espérons pouvoir systématiser cette approche, à lafois chronologiquement etsuivant le contenu des textes, pour établir une véritable typologie de ces mises en page.

UN RÉSEAU D'ENCADREMENTS DE FILETS ET DE MARGES

On a relevé sur des peintures murales inachevées que la surface S . destinée à recevoir une scène comprenant du texte et de l'image ^v est préalablement divisée, selon des règles établies, par un ^ réseau de filets perpendiculaires, rouges ou noirs, qui permet- c1 tent de donner une position précise tant aux éléments d'un f même personnage qu'aux personnages, aux objets et aux textes, ® les uns par rapport aux autres. C'est, sur base de ce réseau .| quadrillé que chaque élément de la scène — et donc aussi les 8 hiéroglyphes — sont placés et orientés 2. Cette technique appa-

S 2. E. Feucht. Hilfslinien. in W. Helck. E. Otto. W. Westendorff éd.. Lexikon <3 derAgyptologie. II. Wiesbaden 1 975-1 985. col. 1 201 ss.

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raîtrait. par reconstitution, dès les débuts de l'art égyptien sur la palette du roi Narmer3 et est aussi appliquée à la ronde bosse. L'introduction, dans les productions plastiques, de ce quadrillage coïncide avec l'apparition d'une vision nouvelle de l'univers et de la société, vision nouvelle exprimant le triomphe de l'ordre sur le chaos. La ligne de base, le rectangle, l'orthogonalisme seraient l'expression graphique de la découverte d'un principe d'ordre. La lignede base, note W. Wolf4, met un terme à la dispersion de l'image préhistorique, elle place et définit chaque chose non pas à partir d'une perception des formes foisonnantes et anarchiques de la nature mais en soumettant celles-ci aune géométrie dont elle est l'élément essentiel. L'ordre cosmologique étant de même nature que l'ordre politicosocial représenté par le pharaon, c'est cesurgissementglobal de l'ordre que symbolise la lignede base et l'orthogonalisme qu'elle engendre. On peut penser que non seulement les parois des tombes mais toute surface destinée à recevoir du texte et de l'image, et en particulier le papyrus, est préalablement découpée par un réseau de lignes ordonnatrices. Si le système de quadrillage des parois et des figures a été étudié de manière approfondie 5. celui des papyrus est moins bien connu. L. Borchardt, dans un article ancien 6. écrit que. après avoir collé ensemble les morceaux du papyrus pour constituer un rouleau, on trace un réseau élaboré de lignes qui serviront à guider le scribe. Le papyrus est d'abord entouré par un cadre rectangulaire fait de filets perpendiculaires tirés à partir de quatre points. On trace ensuite le réseau de filets verticaux et de cadres où prendront place les illustrations. L'auteur estime donc qu'il y a une opération préalable consistant à diviser et à organiser la surface du papyrus. Il ajoute que. ces surfaces n'étant pas mesurées à l'avance, le scribe ignorait la quantité de texte qu'il pouvait y loger. D'où les nombreuses lacunes dans les'textes reproduits. Ce pointde vue est d'ailleurs contestable car s'il existe effectivement des lacunes, nous avons

3. E. Iversen, Canon and Proportion in Egyptian Art, London 1975. p. 66 ss. 4. W. Wolf. Die Kunst Àgyptens. Gestalt und Geschichte. Stuttgart 1 957. p. 85 ss. Pour cet auteur c'est la palette du roi Scorpion qui inaugure cette conception. La ligne de base apparaît à un moment où les artistes égyptiens auraient aussi bien pu s'orienter vers une mise en ordre selon les règles de la perspective. Ce choix a entraîné la disposition de la surface en registres faisant, pour des siècles, de l'image égyptienne une image-à-lire. 5. W. Wolf. op. cit. 6. L. Borchardt. Bemerkungen zu den agyptischen Handschriften des Berliner Museums, in Zeitschrift fur âgyptische Sprache und Altertumskunde. XXVII. 1889.

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11 1H1JU '(Mil Illl 1 Illli Illustration 1 : Papyrus de Ani. Livre des morts composé vers 1 300 av. J.-C. L'encadrement complexe symbolise une architecture appelée salle de la Double Justice. A l'intérieur le texte est réparti suivant une mise en page quadrillée de type comptable: le défunt énumère la liste des fautes qu'il n'a pas commises. Chaque déclaration d'innocence occupe une colonne verticale, à lire de haut en bas. Elle comprend trois parties: une salutation au dieu, un signe-image élaboré désignant ce dieu, une dénégation de faute commençant toujours par la même particule négative n. soit le hiéroglyphe de deux bras ouverts (en geste d'innocence!).

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pu observer, en particulier dans le papyrus deAni. une adéquation si précise entre la surface isolée et le volume du texte qu'elle ne peut qu'être le résultat d'un calcul précis, d'une opération de calibrage.

Sous sa forme la plus simple, l'encadrement a l'aspect d'un rectangle fait d'un pur filet noir, délimitant une surface. Ce rectangle se décompose en quatre traits qui chacun constituent un élément d'encadrement pouvant aussi se présenter isolément : ligne de base, côtés verticaux, ligne supérieure. Les lignes d'encadrement ne se réduisent cependant pas à ce graphisme sommaire. Elles peuvent s'ornementer pour devenir respectivement des bases et des socles, des supports et des colonnes, des frises et des dais. Elles sont alors surchargées d'une décoration composite mais ne s'en ramènent pas moins toujours au rectangle ou à l'un de ses côtés.

LE DESSIN ET L'ÉCRITURE NE RELÈVENT QUE D'UNE SEULE COMPÉTENCE

La fonction des lignes d'encadrement est de disposer chaque chose à sa place sur la surface du papyrus ou de la paroi. Cette fonction met le scribe aux prises avec deux réalités bien différentes : la réalité matérielle du support qui doit être quadrillé de manière à recevoir économiquement un grand nombre d'éléments différents et la réalité symbolique qui veut que ce réseau, mettant en place personnages et textes, fonctionne, c'est-à- dire soit «théologiquement» cohérent. Il s'agit d'être efficace au plan graphique et au plan religieux. Ceci est particulièrement vrai des rouleaux funéraires:

Cette double tâche, le scribe l'assume par une approche originale. Dans la conception égyptienne, il n'existe pas de ligne de démarcation entre l'activité de celui qui écrit et de celui qui dessine. La continuité entre le dessin et l'écriture s'établit dans leur nature commune de «contour». Or les encadrements, lignes de base, ciels, etc., sont de même nature. Et quand bien même, à un moment donné, le scribe les utilise pour des raisons d'abord techniques, il se réserve toujours le moyen de les traiter — de façon évidente ou discrète — pour que, comme contour au même titre que les autres, ils participent à la signification de l'ensemble. Le scribe cherche à exploiter symboliquement ce qui lui est imposé par la technique ou le support7.

7. P. Vernus. Support d'écriture et fonction sacralisante dans l'Egypte ancienne, exposé fait le 4 juin 1 984 au Centre d'études de l'écriture à Paris, à paraître.

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Graphisme

DEUX TYPES D'ENCADREMENTS Les encadrements simples et les encadrements complexes. Comme le montre l'illustration extraite du papyrus de Ani, le réseau graphique simple est composé de filets uniques ou de filets doubles (parfois triples). Dans les papyrus hiéroglyphiques le filet est fait d'un trait rectiligne, noir, qui dans un système orthogonal strict est soit vertical soit horizontal. Il sert de séparation entre les colonnes de texte ;de ligne de base marquant un registre; d'encadrement à une illustration. Dans les documents hiératiques, ces filets sont également l'élément principal d'un système élaboré de réglures 8 : le scribe les utilise comme tracés-guide à l'intérieur desquels if enferme trois ou quatre lignes de texte. Enfin le filet unique sert aussi à quadriller une surface, à la diviser en cases, pour construire des tableaux synoptiques.. Le filet double se présente comme deux filets simples, parallèles. Il sert à mettre en évidence des unités plus importantes (divisions en chapitres, en scènes, définition d'une illustration, etc.). Nous ne traiterons pas dans cet article de la couleur, mais il faut relever que la surface isolée par ces deux filets est souvent couverte d'un aplat coloré. C'est précisément ce coloriage qui sacralise ce qui a l'apparence d'un banal réseau de lignes, mais qui. pour le scribe, est déjà un « encadrement complexe ». Les encadrements complexes se reconnaissent d'emblée à leur construction élaborée et à la valeur symbolique évidente des éléments qui les composent (voir illustration 1 ). Il ne s'agit plus seulement de diviser, par un réseau de réglures verticales et horizontales, une surface de manière à y placer économiquement texte et image, mais de situer certaines scènes, certains personnages en les insérant dans un lieu ou un réceptacle ayant un sens religieux bien précis: une architecture, un élément du cosmos, une partie du corps... Dans l'illustration, on voit comment l'entrée d'un édifice — celui de la «double justice» — a été démesurément étirée et aplatie (la corniche, les pieds droits et les vantaux) pour accueillir les paroles de la

S « confession négative » qu'y prononce le défunt Ani. ^ Cette description rapide concerne d'abord une catégorie de H papyrus: les livres sacrés illustrés, écrits en hiéroglyphes. En ^ simplifiant à dessein, on peut dire que lorsque l'écriture devient 5 cursive (hiératique), il existe une tendance à remplacer ce sys- ® tème de filets orthogonaux par des marges et des interlignes. .| Autrement dit. la séparation des unités sémantiques des papy- § rus se fait alors de préférence par la mise en réserve de sur-

E 8. E.g. Papyrus Reisner I. recto, repr. in K. Simpson. Papyrus Reisner I. o Boston 1963. pi. 25.

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faces vierges. Ainsi, par exemple, comme le montre la reproduction tirée du papyrus de Nesikhonsou (illustration 2). Ja surabondance de filets verticaux et horizontaux peut disparaître au profit d'une mise en page aérée où l'équilibre entre les masses couvertes de texte et les espaces vierges sert à indiquer l'ordre de la disposition. La différence avec la mise en page du papyrus de Ani est remarquable.

Le Hiératique

Dès les premières dynasties, alors que l'écriture hiéroglyphique vient de, naître, les scribes égyptiens développent une forme cursive de cette écriture, appelée hiératique. Il s'agit en effet — dans une civilisation naissante où la mise en place de l'organisation sociale, économique, politique est soutenue par un système d'archivage et de comptabilité permettant de contrôler les personnes et les biens — de disposer d'un outil de notation rapide et souple. Cette écriture se retrouve surtout sur le support papyrus. Elle présente les traits propres à toute écriture courante : stylisation, ductus simplifié, ligatures, accentuation des déliés, etc. Elle connaîtra ensuite une évolution paléographique propre. Au début du premier millénaire, cette forme cursive deviendra progressivement une écriture abrégée, sténographique — le hiératique anormal (vme siècle av. J.-C.) évoluant ensuite en démotique (VIIe siècle).

Le début et la fin d'un texte écrit sur papyrus sont eux-mêmes séparés du bord du rouleau par une marge relativement importante pour éviter que l'effritement du support végétal n'entame le début du texte. Ce bord extérieur est d'ailleurs souvent renforcé par une bande de papyrus, collée, qui protège le document de dégradations causées par de fréquentes opérations de^ déroulement. Ces bandes font 5 à 9 cm 9. Les marges supérieures et inférieures ne sont, elles, pas consolidées par une bande de renfort qui risquerait de rendre le papyrus plus rigide et d'entraver son déroulement. Le haut et le bas du texte sont cependant séparés de la tranche du papyrus par une marge de largeur très variable., mais constante. De même les. pavés de textes, écrits en lignes horizontales, sont séparés par une marge que le scribe, suivant l'encombrement de son texte, n'hésite pas à entamer pour y loger une ligne trop longue, pour ajouter une indication, cocher un passage, attester une vérification.

9. J. Cerny. Paper and Books in Ancient Egypt. London 1952. p. 19.

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Graphisme

LES DIVISIONS RÉDACTIONNELLES ET GRAPHIQUES DU TEXTE

II est difficile et arbitraire d'appliquer aux documents égyptiens les catégories dans lesquelles il est aujourd'hui d'usage de classer les textes pour les étudier et les comparer: textes littéraires, textes religieux ou philosophiques, textes ayant un caractère économique, comptable, juridique, etc. Ces classifications déforment, la sensibilité intellectuelle de l'ancienne Egypte en particulier lorsqu'elles séparent le profane du sacré. Aussi, pour étudier la mise en page, avons-nous délaissé ces « genres littéraires » pour tenter de répartir les textes selon l'apparence visuelle qu'ils adoptent pour répondre aux contraintes de leur contenu. Ainsi peut-on opposer des textes «continus», reproduisant un énoncé narratif, discursif: contes, «romans», à des textes discontinus, faits de courtes séquences souvent itératives: litanies, comptabilités. Le mode de lecture, comme dans les tableaux synoptiques, et bien entendu l'introduction d'une illustration, bref tous les facteurs qui influencent — précisément dans l'intention de mieux servir le message qu'ils véhiculent — l'aspect physique des textes nous ont ainsi permis de reclassifier nos documents.

Les textes en continu s'apparentent à un récit oral, mis par écrit.. Dans un tel discours l'orateur ou le scribe veillent, en priorité, à ne pas en rompre le fil. Le déroulement est linéaire. Pour comprendre la suite, il faut avoir pris connaissance de ce qui précède, et ceci est vrai pour chaque séquence, chaque moment, du récit. L'orateur doit certes reprendre son souffle. Il peut mettre à profit cette contrainte physique pour marquer par des effets de voix, des accélérations et des décélérations, un passage de la narration10. Le scribe-metteur en page est lui aussi, pour des raisons matérielles différentes mais tout aussi incontournables, amené; à contre-cœur, à briser cette continuité et à fractionner ce qu'il est en train de copier, le cas échéant sous la dictée. Dans les papyrus égyptiens écrits en

S cursives, ce découpage se fait en «blocs», en «pavés» ^ d'écriture.- g> L'invention de cette disposition en pavé constitue une des ?.. innovations les plus originales, dans la mise en texte des f anciens Egyptiens. Il s'agit d'une structure d'apparence banale ® (illustration 3) et qui nous est familière puisque nous l'utilisons .| encore aujourd'hui mais qui, au même titre que la disposition 3 rectiligne des signes, mérite toute l'attention de l'historien de c | 10. Voir à ce propos la division en stiques et en périscopes in B. van de E Walle. La division matérielle des textes classiques égyptiens, in Muséon. <3 tome LIX 1 -4, Louvain 1 946. p. 223-232.

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l'écriture lorsqu'elle apparaît pour la première fois. C'est aussi une forme de mise en texte qui — l'examen le révélera — a marqué la conception intellectuelle du texte à une époque où toutes les voies pouvaient encore être choisies. Le bloc d'écriture est forme par un ensemble'de lignes verticales et horizontales. Visuellement, il se présente comme une suite rythmée de lignes et d'interlignes formant un tout ayant l'aspect d'un pavé plus ou moins rectangulaire; dont les dimensions dépendent de la forme du support, de la logique du texte.

Illustration 3: papyrus médical Ebers. 1 552 av. J.-C. Cette planche est une illustration typique de ce que nous avons appelé le «pavé» hiératique: un bloc d'écriture homogène fait de lignes identiques, strictement alignées à droite (point de départ de la lecture), plus souplement à gauche; des marges et un interlignage constants.

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Graphisme

Brièvement en quoi un bloc d'écriture peut-il changer d'aspect? D'abord par sa dimension; nos premières mesures font varier la surface de 2 X 2 cm (Papyrus Gurob) à 1 6.5 X 37 cm {Papyrus Chester Beatty n° 1): par sa forme: il peut être haut et étroit (32.5 X 5.5 cm)11 ou au contraire, comme dans certains textes démotiques, excessivement large (77 cm)12; parfois sa forme s'adapte aux contraintes du support13. Il peut aussi être symétrique (justifié) ou assymétrique. Il peut varier par sa position sur la surface de page (en haut, en bas. à gauche, à droite) et enfin par l'orientation de l'écriture.

Un second modèle de mise en texte, bien typique, apparaît avec prédilection dans les papyrus administratifs ou comptables, mais il se rencontre aussi dans des textes religieux ou « scientifiques » — toutes catégories qui prêtent d'ailleurs à discussion. Son aspect graphique est déterminé par une situation rédactionnelle très contraignante : il s'agit pour le scribe de développer une enumeration. Ces documents se présentent comme un regroupement de différents items. Le texte n'est pas, comme dans un discours, fait d'une suite continue de phrases mais il se compose d'une accumulation discontinue de petites unités, une constellation. Ordre, exhaustivité. accessibilité, telle est la triple exigence à laquelle le graphisme doit répondre. L'approche énumérative traduit un mode de pensée qui ne concerne d'ailleurs pas seulement l'ordre économique. Dresser une liste, c'est donner une existence formelle à chacun des éléments, c'est établir une hiérarchie; c'est aussi situer les choses dans un système pour en spécifier la fonction et l'importance. Le papyrus Wilbouru illustre bien ce modèle énumératif (voir illustration 4). Dans ce document — qui fait dix mètres de long — le scribe dresse la liste de l'ensemble des champs situés dans une très vaste région. L'énumération est faite d'observations cadastrales qui ont toutes la même structure: lieu, surface, identité du «métayer», etc. Cette immense liste est répar- tie graphiquement en 81 unités que A. H. Gardiner appelle «colon-nes» mais qui sont, en fait, des groupes de lignes hori-

|> zontales, alignées à droite, en drapeau à gauche — le texte Ê? hiératique se lisant de droite à gauche — et qui, à l'exception f d'une étroite marge de tête et de pied occupent toute la hauteur aï •2 11. Décret oraculaire en faveur de Montouates. repr. in cat. exp. Nais- 3 sance de l'écriture, Paris. Galeries Nationales du grand Palais. 1982, c doc. 104. g 1 2. Double acte de vente d'un terrain, ibid., doc. 233. E 1 3. Lettre à un mort. ibid., doc. 255. o 14. A.H. Gardiner. The Wilbour Papyrus. 4 vol.. Oxford 1951-1952.

5

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Mise en page des manuscrits égyptiens 79

du papyrus. Il s'agit donc de « pavés », comprenant en moyenne 45 lignes. Ces pavés ont tous le même aspect, et bien entendu ils n'apportent aucun éclaircissement sur l'ordre du texte. A ce stade, la mise en page ne soutient pas le contenu, mais répond à une nécessité d'occuper aussi économiquement que possible la surface disponible. Le véritable découpage rédactionnel est opéré par un double système de signalisation optique du texte: le paragraphe et l'alinéa.

L'alinéa a deux fonctions. Il sert d'abord à marquer clairement, l'identité d'un des éléments de ['enumeration en lui consacrant une nouvelle ligne, même si la ligne précédente est très courte. Il sert ensuite à aligner, à l'intérieur d'une liste faite d'une superposition de lignes, des éléments particuliers qui, par- exemple, doivent pouvoir être additionnés. Cet aménagement d'un alignement nouveau à l'intérieur d'une suite de lignes, pour distinguer et réunir verticalement est fort prisé du scribe égyptien et peut, d'alignements en alignements, dégénérer en une sorte d'arborescence horizontale tout à fait originale 15. Dans ce même papyrus, les données concernant une propriété précise sont elles-mêmes regroupées en ce que A.H. Gardiner a appelé des « paragraphes ». La description de chaque propriété est précédée et suivie d'un passage vierge équivalent à une ligne de texte. On peut ainsi repérer rapidement le début et la fin d'un paragraphe et par conséquent retrouver une propriété.

Le tableau synoptique. Ces listes se retrouvent sous d'innombrables variantes — par exemple dans les litanies — avec le même souci d'exhaustivité et de facilité d'accès. Cette préoccupation est d'ailleurs parfaitement rencontrée grâce à un troisième modèle de mise en page développé par les scribes égyptiens dès les premiers temps de leur civilisation: le tableau synoptique. Dans ces tableaux, comme ceux d'Abousir16. qui entre autres, établissent les charges engagées dans la construction d'un temple pour des dates déterminées, toute lecture continue devient superflue au profit d'un balayage instantané et pluridirectionnel de l'ensemble des données (illustration 5). L'homogénéisation des items, le système de titre-accolade, la compression des colonnes pour les disposer de la même manière, et surtout la création d'une trame complexe et adaptable de filets perpendiculaires enfermant chaque unité séman-

1 5. Recensement d'une maisonnée, in F.L Griffith, The Pétrie Papyri Hieratic Papyri from Kahum and Gurob. London 1 898. IV. L 1 6. P. Posener-Krieger. J.L. de Cenival. Hieratic Papyri in the British Museum, fifth Series, the Abu Sir Papyri. London 1 968.

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Illustration 4 : le Papyrus Wilbour est un texte administratif datant de la fin de la période ramesside (vers 1 100 av. J.-C). comparable à un Doomesday Book établissant les mesures et la propriété de champs (la mise en page est décrite dans l'article).

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Mise en page des manuscrits égyptiens 81

tique et la mettant en rapport avec d'autres, permettent au lecteur d'entrer visuellement à tout endroit du document — lecture à entrées multiples dont les possibilités sont encore' accrues par la pluridirectionnalité de l'écriture. L'invention vers le milieu du troisième millénaire d'un tel système de logique graphique constitue, à n'en point douter, un événement intellectuel.

L'INTERPRÉTATION DE L'ILLUSTRATION Les trois types de mise en page décrits jusqu'ici — continu, énumératif, synoptique — concernent en premier lieu le texte. Et c'est pourquoi, reprenant le terme de R. Laufer, nous avons parlé de mise en texte. Qu'en est-il lorsqu'il s'agit d'y joindre de l'illustration ? D'abord il faut rappeler que l'expression «joindre de l'illustration » aurait déjà semblé bien étrange voire dépourvue de toute signification au scribe égyptien pour qui images et signes d'écriture se confondent dans leur nature commune de contour. Et pourtant; c'est justement à travers ces splendfdes documents « illustrés » — qui nous sont bien plus familiers que les austères textes hiératiques que nous venons d'évoquer — que l'étude de la mise en page égyptienne prend toute sa.,, dimension et démontre son inventivité foisonnante. Les Livres^ des morts en sont le meilleur exemple, et nous en évoquerons • quelques aspects intéressants.

Première caractéristique de la mise en page du Livre des morts tel qu'il se présente sous sa forme classique à partir de la XVIIIe dynastie (1 580-1341 av.J.-C.) : c'est un recueil de petites . unités texte-image que l'on a appelé des « chapitres », par analogie aux divisions d'un livre ou des « formules », selon l'expression par laquelle les Egyptiens inauguraient parfois ces textes: « Formule pour que survienne ceci ou cela...». Chacune de ces unités constitue un tout et l'ordre de succession n'est pas strict. Elles se définissent d'abord par leur contenu : chaque formule décrit un épisode de la vie du défunt après sa mort c'est-à-dire, plus précisément, une des multiples péripéties qui attendent ce nouvel Osiris au cours de son périple nocturne dans l'au-delà.

Seconde caractéristique : on compte beaucoup d'« éditions » différentes de ce Livre des morts. Suivant les époques, les contraintes matérielles, ou le manque.de moyens financiers du futur défunt, ou encore les renouveaux théologiques de toute nature, on a produit une immense variété d'éditions du Livre des morts, plus ou moins complètes, plus ou moins bien illustrées. Ce n'est qu'au XIXe siècle que les savants européens ont compilé cette édition « complète et définitive » que n'ont jamais connue

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unication et langages/69

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Mise en page des manuscrits égyptiens 83

les Egyptiens. La comparaison avec le missel est éclairante. De ce livre religieux il n'existe pas davantage de version unique; définitive, mais d'innombrables éditions dont l'aspect éclaire, des préoccupations très différentes: l'état de la doctrine, bien entendu, mais aussi les habitudes de la pratique (il existait des missels quotidiens et dominicaux), le public sollicité (disparition, après le Concile Vatican II des reliures cuir, tranches dorées, et même du « papier missel » pour les missels !). création de missels poor enfants, etc. Dans les deux cas. les modifications du produit manufacturé autant que les manipulations édito- riales d'un modèle unique qui n'a jamais vu le'jour. reflètent les transformations de la mentalité de l'époque. Pour comprendre le découpage du Livre des morts, il faut aussi savoir que ces unités, ces scènes étaient aussi peintes sur les parois de la tombe ou du sarcophage et que le scribe a dû adapter une mise en page murale à un support dont le format, étroit et très allongé, est contraignant. Une étude de la mise en page des textes illustrés de l'ancienne Egypte doit se faire aussi bien sur les parois que sur les rouleaux. On y retrouve les mêmes procédés avec toutefois des variantes liées aux contraintes qu'imposent des supports aussi différents: il est clair que Inscribe qui se trouve devant les parois d'une chambre funéraire1 ou qui a sous les yeux un papyrus déroulé va concevoir autrement la disposition de la même scène qu'on lui demande d'y mettre. On relèvera ici une seule différence, typique, conséquence d'une propriété incontournable du rouleau: sur le vo- lumen, d'une longueur considérable et variable et d'une hauteur limitée et constante, le scribe va être acculé à juxtaposer ce que, sur un jeu de parois, il peut répartir en une composition sophistiquée. Il n'est doncpas tellement surprenant que la suite des scènes-chapitres d'un Livre des morts nous semble parfois peu cohérente. La juxtaposition de ces scènes est imposée par la forme du support et la mise en page n'est pas en mesure de s'adapter à la logique du contenu. Si pour décrire les subdivisions du Livre des morts nous employons le terme «scène» c'est donc pour nous référer à la dimension murale des compositions égyptiennes mêlant texte et image. Ici aussi la comparaison avec la tradition chrétienne peut être éclairante. On retrouve sur 'les murs des églises, des «scènes» que l'illustrateur et le maquettiste seront chargés de mettre en page dans les livres. Nativité, annonciation, crucifixion, sont, pour la théologie chrétienne, des entités théologiques représentables comme la «Pesée de l'âme» ou la «Confession négative» des Egyptiens. En Occident toutefois, le support mural recevra de manière privilégiée l'image et le sup-' port souple le texte tandis que en Egypte cette dissociation de la scène ne se produira pas.

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unication et langages/69

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Illustation 7: ce schéma, basé sur le Papyrus Greenfield montre comment * l'illustration est confinée dans le bandeau supérieur délimité par deux doubles filets horizontaux. Les épisodes sont séparés par un double filet vertical. Les textes hiératiques, en lignes horizontales (représentés par XXXX) se lisent de droite à gauche. Ils sont disposés sous l'illustration, en pavés, interlignés de façon régulière. Ces pavés ont une hauteur constante et une largeur variable. •

En résumé, l'assemblage, sur papyrus, du texte et de l'image se fait de trois manières. On a d'abord des scènes qui se présentent comme des planches autonomes, des petits tableaux, regroupant au sein d'une composition élaborée et souvent narrative, des personnages (le défunt, les divinités), des objets (offrandes;, ustensiles rituels) et. bien sûr, étroitement mêlés à ces dessins,^ des textes, des explications, des légendes. La « Pesée de l'âme » (voir illustration 6) est un excellent exemple de ce type de mise en page proche de celle d'une annonce publicitaire très construite et dont le contenu serait strictement imposé. Lorsque, à une époque ultérieure, les Livres des morts seront écrits en hiératique, ces scènes complexes prendront l'aspect de véritables «hors-textes», à l'intérieur desquels l'écriture hiéroglyphique sera toutefois maintenue17.

Il existe ensuite des scènes — dont le texte est, en général, plus étendu et l'illustration plus sommaire — dont la mise en page est visiblement guidée pardesconsidérationstechniques. en particulier l'usage économique de la surface du papyrus en fonction de l'encombrement du texte. Le scribe a alors recours à une disposition qui nous est familière: il isole l'illustration dans des petits cadres rectangulaires situés dans, le tiers supérieur du papyrus et utilise l'espace disponible restant pour y loger son rande texte, sans gfantaisie. colonne après colonne (ou pavé après pavé si le texte est en lignes). C'est la mise en page en vignettes (voir illustration 7), ou en bandeau lorsque la vignette est très allongée et occupe toute la partie supérieure du document. Elle a été conçue spécifiquement pour le support papyrus.

17. Par exemple dans le papyrus Greenfield, in E.A. Wallis Budge. The Greenfield 'Papyrus in the British Museum. The Funerary Papyrus of Princess Nesitanebtashru reproduced in Collotype Facsimile. London 1912.pl. 106.

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Graphisme

On retrouve enfin sur les papyrus une mise en page inspirée par le même souci de calibrage que la précédente mais qui est directement recopiée des parois : les éléments iconographiques sont totalement pris dans le texte. Plutôt que de l'isoler dans une vignette, le scribe dispose — par exemple un personnage — au beau milieu de sa surface de travail, et ensuite il écrit le texte, en continu, en s'arrêtant là où il rencontre le contour de la figure, reprenant ensuite, au-delà de ce contour. On voit ainsi un bras tendu, une jambe avancée, entièrement détourés par le texte 18. Cette mise en page n'est d'ailleurs peut-être pas étrangère à un souci magiquedeconfondre ledéfuntdans letexte hiéroglyphique1 qui l'enserre. Le fait que cette figure doive aussi, dans nombre de cas, être lue comme un déterminatif le confirme. Il existe encore bien des variantes qui, entre autres, montrent comment la mise en page de l'illustration s'inscrit dans le système général du dessin égyptien — l'aspectivité — tel que l'a décrit H. Schafer 19 ou qui permettent de comprendre, comme l'a montré P. Vernus 20 dans un article récent, comment le sens du texte et le sens de l'image sont en relation l'un avec l'autre. Le lecteur pourra se référer à ces études et à quelques autres, citées en notes. Nous passerons donc à un troisième aspect de la mise en page: la mise en lignes.

LA JUXTAPOSITION LINÉAIRE DES SIGNES: LIGNES ET COLONNES

Le rouleau est donc couramment divisé en scènes ou en pavés qui sont les deux principaux modes de découpage d'un texte suivant qu'il est écrit en signes hiéroglyphiques ou hiératiques. A l'intérieur de ces unités, le scribe dispose le texte selon le principe de la linéarité: en lignes horizontales ou verticales (colonnes). Comme on le verra, ce ne sont pas les signes d'écriture, pris isolément, qui sont juxtaposés à l'intérieur de ces lignes mais bien des petits « paquets » de hiéroglyphes, groupés en carrés : les quadrats. L'écriture égyptienne, comme d'ailleurs ses contemporaines cunéiformes, introduit la succession linéaire

oj comme moyen de mise en page; mais n'est pas elle-même pro- S° prennent linéaire. <2 L'apparition de cette «mise en ligne», de cet «investissement § linéaire de l'espace»21 revêt un intérêt particulier dans un sys-

-2 ~ 1 8. La déesse Isis ornant le battant de la porte de la chapelle dorée, repr. c in C. Desroches-Noblecourt. Toutankhamon. Paris 1 963. p.-1 3 1 . •2 1 9. Ouvrage fondamental sur le dessin égyptien qui intéresse directe- 2 ment les graphistes et les maquettistes : H. Schafer. Principles of Egyptian c Art. Oxford .1 974. g 20. P. Vernus. Des relations entre textes et représentations dans l'Egypte S pharaonique, in Ecriture II. Paris 1 985. p. 46-49. o 2 1 . P. Vernus. op. cit.. p. 47.

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Mise en page des manuscrits égyptiens 87

tème idéographique: En effet le signe-image se distingue de la représentation figurée d'abord parce qu'il adopte la disposition de l'écriture et renonce à celle de l'image. C'est donc par sa position dans l'espace plus que par son degré de figurativité qu'il s'affirme comme signe à lire22. Nous examinerons deux aspects de cette disposition linéaire: la colonne et la ligne.

La colonne est pour certains auteurs 23. la plus ancienne disposition. On trouve en effet déjà des textes mis en colonnes, selon un modèle qui ne changera guère, sur des pièces de la première moitié du troisième millénaire. Cependant dès ces époques très reculées et à la chronologie incertaine, le texte est aussi disposé horizontalement en lignes, moins fréquemment il est vrai et peut-être pour marquer une intention différente. Il est difficile de, conclure à une antériorité de l'une ou l'autre disposition. L'étude de la colonne porte sur deux variables : largeur et hauteur. Dans les papyrus, la largeur est souvent proportionnelle au côté du quadrat ce qui présenterait l'avantage de permettre au scribe de faire une estimation assez exacte de l'encombrement du texte. Nous avons ainsi émis l'hypothèse que le scribe égyptien calibrait son texte en prenant le quadrat comme unité. Mais le mode de fabrication du support (le papyrus est fait de bandes végétales dont la largeur peut coïncider avec celle de la colonne24) joue sans doute aussi un rôle, ainsi que, tout simplement l'application d'unités de mesure (par exemple le

«doigt»). ' La hauteur de la colonne pose des problèmes de mise en page bien plus fertiles car elle dépend souvent de la mise en place de l'illustration. Elle varie en effet selon la hauteur du support les dimensions des encadrements à l'extérieur et à l'intérieur du document et surtout la configuration des personnages représentés, lorsqu'elle se met en drapeau, pour détourer la figure comme on l'a vu plus haut. Les quadrats peuvent aussi être juxtaposés horizontalement, en lignes, dans une disposition qui nous est familière. Dans les livres des morts en hiéroglyphes, le texte courant est mis en colonnes, la ligne est réservée à des textes courts, accessoires.

La ligne. Avec l'usage des écritures hiératiques dans les documents funéraires, c'est le texte courant dans son ensemble qui peut être ordonné en lignes horizontales. Ceci correspond à un

22. S. Schott. Die Hieroglyphen. Untersuchungen zum Ursprung der Schrift. Wiesbaden 1 950. passim. 23. E. Naville. Papyrus funéraires de la XXIe dynastie. Paris 1 9 1 2. p. 2. 24. J. Parlebas. Le papyrus et l'Egypte, in Bulletin de la Faculté de lettres de Strasbourg. n° 47. 1 969. p. 307.

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Graphisme

bouleversement de la mise en page dont la première caractéristique est de séparer clairement le texte et l'illustration. Ensuite la ligne devient une véritable entité graphique répondant à des normes qui sont encore les nôtres: interlignage constant, succession des lignes de haut en bas, unité de longueur et même, dans certains documents/justification à gauche. Le scribe peut utiliser la rentrée et le débord (eisthesiset ekthesis). l'alinéa, par exemple dans le papyrus Wilbour.U y a aussi un usage bien égyptien de la ligne. H. Grapow25 a décrit, comment, dans une phrase qui comprend deux fois le même élément, le scribe fait l'économie de cette répétition grâce à un-artifice graphique qui rappelle l'accolade. Il écrit l'élémentquidevraitfigurerdeuxfois, divise la colonne en deux, place côte à côte les deux éléments de la phrase se rapportant au premier. Cette technique présente de nombreuses variantes, jouant sur les possibilités d'orientation et de direction. Elle s'applique aussi à la mise en relation de l'image et des registres. Il convient enfin de signaler une pratique tout à fait originale. Le scribe passe, au cours de la rédaction d'un texte continu (conte, récit) écrit en cursives, de la colonne à la ligne. On voit ainsi, au beau milieu du Conte du naufragé (voir illustration 826). le texte changer de direction de la façon la plus inattendue. Ce changement graphique ne correspond à aucune intention rédactionnelle. Exercice de virtuosité? Ceci semble peu vraisemblable puisqu'il ne s'agit en rien d'un texte calligraphique mais d'un récit recopié rapidement et efficacement dans une cursive très ordinaire. Des mesures sur la quantité différente de quadrats contenue respectivement dans la ligne et dans la colonne pourraient fournir une explication. Nous ne les avons pas encore effectuées.

QU'EN EST-IL DES «PETITS TEXTES»... ... c'est-à-dire des titres, intertitres, folios chargés de marquer les hiérarchies, et de faciliter la «mise en texte»? Le principal outil de cette mise en texte est, dans les manuscrits égyptiens,

S la rubrique, c'est-à-dire l'emploi de l'encre rouge pour écrire ^ certains mots dans un texte fait à l'encre noire. Cet aspect a été |» étudié par G. Posener dans deux articles fondamentaux où il g1 montre comment les règles d'emploi de l'encre rouge ont été ■2 ■5 25. H. Grapow, Sprachliche und schriftliche Formung agyptischer Texte, c t Glûcksstadt 1936, passim. Voir aussi la communication de P. Vernus, •2

' Ambivalence des signes dans l'écriture égyptienne, au colloque Espace

8 de la lecture, organisée par A.M. Christin les 1 1. 12. 13 décembre 1985. c à paraître. g 26. Dans le papyrus Golénischeff-Ermitage 1115, repr. in W. Golenis- 5 cheff. Les papyrus hiératiques n°s1 1 15. 1 1 16A. 11 16B de l'Ermitage o impérial de Saint-Pétersbourg, lignes 1 23. 1 24, s. 1 , 1913.

Page 24: Aspects de mise en page des manuscrits de l'Egyptepharaonique

HHHHHHHHIHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH V VV W V V V V V V V Y V V V V V HHHHl!HHMHHHHHriHMHMMHHHHHHriMHH ^VVKvVVW V V V V V v V V HHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHMH VVYYVYYVVVVVVVVVVV

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Illustration 8: papyrus Golenischeff/Ermitage 1 1 1 5. Le schéma montre comment, au beau milieu d'un texte continu (qui se lit de droite à gauche), on passe, de la manière la plus inattendue, d'une disposition en lignes («colonnes») à lecture verticale (VW...) à une disposition en lignes horizontales (HHH...).

sensiblement les mêmes à toutes les époques. Il s'agit, rappelons-le, de — mettre en évidence. — diviser, — isoler et — différencier, une seule rubrique pouvant d'ailleurs avoir plusieurs fonctions. A côté de ce rôle fonctionnel, le rouge a aussi une signification symbolique, défavorable, associée aux ennemis des dieux27.

La présence d'un titre n'est pas courante. On trouve, au verso de certains papyrus, un titre général, écrit verticalement en grands'caractères, et qui permet d'identifier le document sans avoir besoin de le dérouler. Ce titre donne le contenu du papyrus, par exemple pour un livre des morts permettant, comme on l'a dit. au défunt de bien voyager dans le monde souterrain en, s'identifiant à Osiris, et de renaître le matin avec le soleil : Livre pour sortir au jour de l'Osiris un tel ou encore, pour un texte juridique : Acte testamentaire fait par un tel28.

Les sous-titres sont peu utilisés. On trouve des très longs textes qui ne sont interrompus par aucune indication rédactionnelle ou graphique permettant de les diviser en parties. La rubrique est le moyen le plus courant pour mettre en valeur une phrase qui peut sembler.faire office de sous-titre. Mais, comme on l'a vu. elle a aussi bien d'autres usages, et. dans un même texte, à peu de distance, on peut très bien rencontrer quelques mots mis en rouge pour marquer le début d'une nouvelle partie et quelques lignes plus loin une phrase rubriquée pour lui conférer un symbolisme magique. Rien ne distingue visuellement la première de la seconde rubrication. Certaines formules littéraires stéréotypées, intégrées au texte courant, peuvent aussi être considérées comme des manières de sous-titre.

27. G. Prosner. Sur l'emploi de l'encre rouge dans les manuscrits égyptiens, in Journal of Egyptian Archeology. 37. 1951. pp. 75-80. Id. Les signes noirs dans les rubriques, in ibid.. 35.. 1 949. p. 77-81 . 28. Voir aussi la thèse de A. Hermann in Mitteilungen des deutschen archâologischen Instituts in Kairo. 15. 1957. p. 1 12-1 19, sur les cassettes comme support de titres.

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Graphisme

A la fin d'un texte ou d'un rouleau, on trouve souvent un colophon29 où le scribe note par une formule conclusive que le texte s'achève, souligne son authenticité, sa conformité, son importance, attribue une dédicace, etc. Ces colophons ne se rencontrent pas dans les Livres des morts. Dans certains textes, un «chapitre» est clôturé par une simple barre horizontale entre les deux filets verticaux d'une colonne 0); complété parfois par un petit carré dans le coin inférieur droit (2), formant ainsi l'idéogramme du mot maison. hwt (3): En italien stanza désigne de la même façon une unité de composition littéraire et un lieu de séjour.

(3)D

La répétition d'un même mot à la fin d'un pavé d'écriture et au début du pavé suivant — la réclame — est utilisée. Elle permet de vérifier la succession exacte des « pages » car. rappelons-le, il n'existe pas de système de foliotage à proprement parler. Le papyrus Ebers30 est le principal document qui fait exception à cette règle; au-dessus du milieu de chaque pavé, séparé par une marge, on trouve un numéro d'ordre (avec des lacunes). On a également trouvé des documents comprenant des traces de numérotation par dizaines de colonnes. Pour terminer ce résumé sur la manière de construire des lignes de texte, rappelons que, à l'intérieur de la ligne les mots ne sont pas séparés les uns des autres par un espace vierge. Le mot ne constitue pas une unité graphique. Il n'est pas visuell

ement mis en évidence. Pour le «souligner», le scribe peut, comme on l'a vu, le rubriquer ou encore, s'il s'agit d'un nom de pharaon, l'enfermer dans un cartouche. Entre le signe et la ligne il existe une unité graphique propre à l'écriture égyptienne — et à d'autres écritures idéographiques: le quadrat. Sans nous étendre, disons que le quadrat est un regroupement, non linéaire, purement visuel, de plusieurs signes de forme complémentaire, de manière à leur faire occu-

^ per la surface d'un petit carré. Si le scribe égyptien, utilisant ^ notre alphabet, voulait écrire le mot «fée» il en ferait un qua- .o> drat et mettrait: X. é g) le -2 ■g, 29. N.d.l.r. Colophon: indication donnée, à la fin de la dernière colonne c' d'un manuscrit en rouleau (volumen), du nombre de feuilles (collées bout à •2 bout) dont ce manuscrit était constitué, ainsi que du nombre des colonnes o et des lignes qui y étaient écrites. | Notre actuel «achevé d'imprimer» est parfois baptisé colophon par 8 maniérisme bibliophilique. | 30. Papyrus Ebers. Das hermetische Buch uber die Arzneimittel der alten o Âgypterin hieratischer Schrift. 2 vol.. Leipzig. 1875.

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Mise en page des manuscrits égyptiens 91

L'art de la mise en page commence donc, pour le scribe de l'ancienne Egypte, par la création — féerique — de cette molécule graphique... Et c'est aussi là que nous nous arrêterons, laissant à plus tard, la description des éléments qui la composent: les hiéroglyphes.

En conclusion mentionnons d'abord, pour mémoire, deux aspects de la mise en page qui n'ont pas pu être abordés ici: tout ce qui, dans le graphisme, tient au mode de fabrication du papyrus: les formats, le recto et le verso, les joints, l'usage palimpseste, etc.; ensuite le mode de remplissage de la surface isolée par les contours : les aplats colorés et/ou tramés ; question passionnante mais qui mérite qu'on lui consacre tout un chapitre. Enfin, une conclusion générale: l'étude de la mise en page des textes-images trouve dans l'ancienne Egypte un champ d'application particulièrement prometteur du fait de la continuité, que cette civilisation a affirmée entre le concept d'écriture et celui de dessin. Ce que nous percevons en Egypte comme un dessin et que nous classons comme tel dans nos catégories les plus solidement ancrées, a toujours certaines propriétés de l'écriture. Inversement ce qui nous apparaît visuellement comme de l'écriture n'est jamais vraiment étranger au dessin. Or il se trouve que notre tradition académique a naguère établi une coupure entre l'étude de l'image, confiée aux historiens de l'art, et celle du texte, assurée par les philologues. Cette répartition traditionnelle a. mises à part quelques brillantes exceptions, marqué l'égyptologie. C'est ainsi que les aspects scripturaux. des images et la dimension graphique des textes n'a, jusqu'à une date relativement récente, pas reçu toute l'attention méritée. Lamise en page, dans l'esprit où nous l'abordons, est précisément ce «chaînon manquant» du système texte- image égyptien. Elle permet d'opérer un passage naturel, spontané de l'écriture au dessin. Dans ce système, le scribe n'est pas seulement un copiste capable de transcrire les signes du langage et un dessinateur accompli, il est aussi un maquettiste-éditeur — editor. Il gère à ce titre l'ensemble des tâches rédactionnelles et graphiques qui président à la production d'un texte. Il est le concepteur d'un produit fini, cohérent, répondant, à ses yeux, à la demande d'une clientèle dont le goût varie suivant les époques. Dans l'exécution de cette fonction il a mis au point les quelques techniques propres à la mise en page égyptienne, que nous avons décrites, et dont nous espérons qu'elles nous livreront encore leurs nombreux secrets.

Nicolas de Halleux