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ATHÉNÉE DE NAUCRATIS LIVRE DIXIÈME. [411] MON cher Timocrate, le poète tragique Astydamas dit, dans son Hercule satyrique, qu'un poète doit, dans une pièce qu'il produit sur la scène, présenter aux spectateurs la variété d'un repas élégant, où chacun peut boire et manger selon son goût, et où toutes les parties de l'appareil sont d'accord entre elles. Conformément à cette réflexion, occupons-nous donc à présent de détails qui soient aussi d'accord avec ce que nous avons dit jusqu'ici. Hercule était extrêmement vorace ; c'est ce qu'attestent presque tous les poètes et les historiens. Voici ce qu'en dit Épicharme dans son Busiris : [411b] « D'abord, si tu le voyais manger, tu mourrais d'effroi ! Son gosier retentit de rugissements ; ses mâchoires s'agitent avec fracas; il fait craquer ses dents molaires, et grince les canines. Le souffle ne sort qu'en sifflant de ses narines, et il agite les oreilles comme les quadrupèdes. » Ion, après avoir exposé quelle était la voracité d'Hercule, dans son Omphale, ajoute: « Son extrême voracité lui fit dévorer les membres avec la braise ardente. » [411c] Mais Ion a pris ceci de Pindare, qui dit: « Ils retournèrent sur la braises ardente les corps brûlants de deux bœufs que le feu faisait fumer; ce fut

Athénée de Naucratis Livre x

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ATHÉNÉE DE NAUCRATISLIVRE DIXIÈME.[411] MON cher Timocrate, le poète tragique Astydamas dit, dans son Hercule satyrique, qu'un poète doit, dans une pièce qu'il produit sur la scène, présenter aux spectateurs la variété d'un repas élégant, où chacun peut boire et manger selon son goût, et où toutes les parties de l'appareil sont d'accord entre elles. Conformément à cette réflexion, occupons-nous donc à présent de détails qui soient aussi d'accord avec ce que nous avons dit jusqu'ici.Hercule était extrêmement vorace ; c'est ce qu'attestent presque tous les poètes et les historiens. Voici ce qu'en dit Épicharme dans son Busiris :[411b] « D'abord, si tu le voyais manger, tu mourrais d'effroi ! Son gosier retentit de rugissements ; ses mâchoires s'agitent avec fracas; il fait craquer ses dents molaires, et grince les canines. Le souffle ne sort qu'en sifflant de ses narines, et il agite les oreilles comme les quadrupèdes. »Ion, après avoir exposé quelle était la voracité d'Hercule, dans son Omphale, ajoute:« Son extrême voracité lui fit dévorer les membres avec la braise ardente. »[411c] Mais Ion a pris ceci de Pindare, qui dit:« Ils retournèrent sur la braises ardente les corps brûlants de deux bœufs que le feu faisait fumer; ce fut alors que le spectateur pouvait à loisir entendre distinctement le sifflement des chairs, et le bruyant pétillement des os. »Ces auteurs, qui nous ont représenté Hercule si vorace, lui ont aussi attribué, comme oiseau particulier, la mouette qui a le surnom d'affamée, en grec, bouphage. (102) On fait aussi mention d'Hercule, comme provoqué par Léprée, à qui mangerait le plus. Le héros soutint le défi, [412] et fut vainqueur.

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ATHNE DE NAUCRATIS

ATHNE DE NAUCRATIS

LIVRE DIXIME.

[411] MON cher Timocrate, le pote tragique Astydamas dit, dans son Hercule satyrique, qu'un pote doit, dans une pice qu'il produit sur la scne, prsenter aux spectateurs la varit d'un repas lgant, o chacun peut boire et manger selon son got, et o toutes les parties de l'appareil sont d'accord entre elles. Conformment cette rflexion, occupons-nous donc prsent de dtails qui soient aussi d'accord avec ce que nous avons dit jusqu'ici.

Hercule tait extrmement vorace ; c'est ce qu'attestent presque tous les potes et les historiens. Voici ce qu'en dit picharme dans son Busiris :

[411b] D'abord, si tu le voyais manger, tu mourrais d'effroi ! Son gosier retentit de rugissements ; ses mchoires s'agitent avec fracas; il fait craquer ses dents molaires, et grince les canines. Le souffle ne sort qu'en sifflant de ses narines, et il agite les oreilles comme les quadrupdes.

Ion, aprs avoir expos quelle tait la voracit d'Hercule, dans son Omphale, ajoute:

Son extrme voracit lui fit dvorer les membres avec la braise ardente.

[411c] Mais Ion a pris ceci de Pindare, qui dit:

Ils retournrent sur la braises ardente les corps brlants de deux bufs que le feu faisait fumer; ce fut alors que le spectateur pouvait loisir entendre distinctement le sifflement des chairs, et le bruyant ptillement des os.

Ces auteurs, qui nous ont reprsent Hercule si vorace, lui ont aussi attribu, comme oiseau particulier, la mouette qui a le surnom d'affame, en grec, bouphage. (102) On fait aussi mention d'Hercule, comme provoqu par Lpre, qui mangerait le plus. Le hros soutint le dfi, [412] et fut vainqueur.

Mais Znodote disant, liv. 2 de ses Epitomes, que Lpre tait fils de Caucon, fils de Neptune et d'Astydamie, fille de Phorbas, ajoute qu'Hercule le fit mettre aux fers, lorsqu'il demanda le salaire qui lui tait d ( pour en avoir nettoy les curies ). Aprs avoir fini ses travaux, Hercule se rendit chez Caucon, et se rconcilia avec Lpre, la prire d'Astydamie. Aprs cela, Lpre, dfia Hercule au jeu du palet, qui boirait le plus devin sans eau, et qui dvorerait le plus vite un taureau; mais il fut vaincu en tout; enfin, tant ivre, Lpre osa provoquer Hercule un combat particulier dans lequel il fut tu.

[412b] Matris dit aussi, dans son loge d'Hercule, que Lpre lui ayant fait un dfi qui boirait le plus, fut vaincu par ce hros. Caucale, orateur ou rhteur de Chio, frre de l'historien Thopompe, rapporte les mmes faits dans son loge d'Hercule.

(103) Homre nous reprsente Ulysse aussi vorace et aussi gourmand, dans son Odysse. Voici ce qu'il dit :

[412c] Mais permettez-moi de manger, quelque afflig que je sois; car il n'y a rien de si important que ce malheureux ventre qui nous force de ne pas l'oublier et il nous ordonne de nous remplir malgr nos chagrins les plus sensibles.

On voit manifestement dans ce passage son extrme gourmandise; outre qu'il moralise sur les besoins du ventre lorsqu'il ne le fallait pas. S'il avait une si grande faim, il devait au moins montrer de la patience, ou de la modration l'gard des aliments; [412d] mais le pote nous peint au vif la gourmandise de son hros, lorsqu'il dit:

Quel que soit le chagrin o mon me soit plonge, ce ventre m'ordonne de boire et de manger, et j'oublie malgr moi tout ce que j'ai souffert lorsqu'il m'oblige de me remplir.

Or, jamais un Sardanapale n'auroit tenu pareil langage. Ulysse, dj vieux, mangeait avec gloutonnerie beaucoup de viande et de bon vin.

CHAP. II .

(104) Thagne, athlte de Thase, dvora seul un taureau, comme le dit Posidippe dans ses pigrammes.

[412e] J'ai en outre, dans une gageure, mang un buf de Monie ; d'ailleurs, Thase, ma patrie, ne me fournissait pas la nourriture ncessaire, moi Thagne, qui, mangeant tant, tais encore oblig de mendier; c'est pourquoi je tends la main, reprsent par cette statue de bronze.

Thodore d'Hirapolis rapporte, dans ses Combats gymniques, que Milon de Crotone mangeait vingt mines pesant de viandes, autant de pain, et buvait trois conges de vin. tant Olympie, il prit sur ses paules [412f] un taureau de trois ans, fit avec tout le tour du Stade ; aprs quoi il le fit cuire, et le mangea seul le mme jour. Titormos l'tolien lui disputa un buf; mais Phylarque dit, liv. 3 de ses Histoires, que Milon, couch prs de l'autel de Jupiter, mangea un taureau entier, et que le pote Doricus fit ces vers son sujet.

Tel fut Milon, lorsqu'il leva de terre le poids d'une bte de trois ans aux repas publics qu'on faisait aux ftes de Jupiter, [413] et porta lestement sur ses paules cet animal prodigieux, par toute l'assemble, comme s'il et port un agneau n depuis peu. Ce fut un tonnement gnral ; mais tranger, il fit encore autre chose de bien plus surprenant, prs des sacrifices qu'on offre Pise. Il coupa par pices le buf qui n'avait pas t mis au joug, aprs l'avoir port en pompe, et le mangea seul.

Astydamas de Milet, qui remporta trois fois de suite toutes les palmes Olympie, fut un jour invit souper chez Ariobarzane le Perse. S'y tant rendu, il avana qu'il mangerait tout ce qu'on avait apprt pour tous les autres convives, et il le fit rellement. Le Perse lui demandant aprs cela, selon Thodore, de faire de ses tours de force, Astydamas rompit une lentille du lit, toute couverte d'airain qu'elle tait, et en tendit le mtal en l'amollissant dans ses doigts. Cet athlte tant mort, on brla ses os; mais une urne, deux mme suffirent peine pour les contenir. Or, ce qu'il avait mang chez Ariobarzane [413c] tait le souper de neuf personnes.

(105) Mais il n'est pas tonnant que ces athltes fussent si voraces, puisque dans les exercices auxquels on les formait, on les habituait beaucoup manger. C'est pourquoi Euripide a dit dans la premire publication de son Autolycus :

Dans le nombre infini de mchants hommes qui se trouvent en Grce, il n'y a pas de race plus odieuse que celle des athltes, eux qui n'ont d'abord eu aucun principe d'ducation, et ne peuvent vivre avec honneur. En effet, comment un homme esclave de sa bouche et de son ventre [413d] amasserait-il assez de bien pour faire rgner l'abondance dans sa patrie ! Ils ne peuvent ni soutenir l'indigence, ni se rsigner aux vicissitudes du sort. Comme ils n'ont jamais t habitus des sentiments nobles, ce n'est qu'avec peine qu'ils changent de caractre pour lutter contre les revers. Si dans leur jeunesse ils marchent avec fiert, comme autant de statues qui ornent leur patrie, ds qu'ils arrivent au terme fcheux de la vieillesse, leurs habits ne sont plus que des haillons qui s'en vont comme en charpie. Je blme donc cet usage o sont les Grecs de se rassembler des contres loignes, et d'attacher de l'honneur des plaisirs inutiles, pour assister des repas. [413e] En effet, quel avantage procure sa ville natale celui qui a remport la couronne la lutte, la course, au disque qu'il a lanc, ou pour avoir bris une mchoire avec supriorit ? Va-t-on combattre l'ennemi en tenant un disque (palet}! ou le chasse-t-on de la patrie en portant la course un bouclier devant les pieds? Lorsqu'on est prs du fer de l'ennemi on ne s'occupe pas de ces frivolits. Ce sont donc les gens vertueux et honntes qu'il faut couronner, de mme que l'homme prudent et juste qui dirige le mieux les affaires de l'tat, [413f] et sait par ses conseils en loigner les malheurs, prvenir toute occasion de dbats et de sditions. Voil en effet ce qui est glorieux pour toute une ville, et mme pour toute la Grce.

(106) Mais Euripide doit ces rflexions aux lgies de Xnophane de Colophon, qui s'exprime ainsi :

Qu'un homme remporte la victoire par la rapidit de sa course, au pentathle, o est le temple de Jupiter; Olympie, prs du rivage [414] de Pise ; ou que ce soit a la lutte, ou au pugilat douloureux, ou mme au pancration, exercice redoutable; qu'il arrive ainsi parmi ses concitoyens au fate des honneurs, et obtienne la premire place dans les jeux publics ; qu'il soit nourri aux dpens du peuple, que la ville lui fasse des prsents particuliers, et qu'il obtienne tout cela, [414b] tant pour sa gloire, que pour celle des chevaux (avec lesquels il a t vainqueur ), il n'en est pas moins au-dessous de moi ; car la sagesse dont nous faisons profession vaut mieux que la force, soit des hommes, soit des chevaux : c'est en vain qu'on prtend le contraire, et il est injuste de prfrer la force l'excellence de la sagesse.

Il dit encore ailleurs :

Qu'un homme excelle au pugilat chez un peuple quelconque, au pentathle mme, la lutte, ou la course, qu'on regarde comme la preuve de la plus grande force dans tous les combats gymniques, la ville o il demeure n'en sera pas rgle par de meilleures lois; [414c] et elle n'aura qu'un plaisir passager, quand un athlte sera vainqueur prs des rivages de Pise : car ce ne sont pas ces avantages qui font rgner l'abondance dans une ville.

Xnophane, conformment aux principes de sa sagesse, appuie ce qu'il vient de dire par beaucoup d'autres rflexions, blmant les athltes comme inutiles et superflus. Ache d'rtrie, parlant de l'embonpoint des athltes, s'exprime ainsi:

[414d] Car ils lanaient tout nus leurs bras clatants. Ils entrent dans la lice avec la fiert d'une vigoureuse jeunesse, dont la couleur fleurie brille jusque sur leurs fortes paules. Ils s'imprgnent d'huile la poitrine et les pieds, et avec autant de profusion que s'ils vivaient chez eux dans les dlices de la volupt.

CHAP. III.

(107) Le pote Hraclide dit, dans son Hte :

Que certaine femme, nomme Hlne, mangeait considrablement.

Posidippe rapporte la mme chose de Phylomachus dans ses pigrammes. Voici celle qu'il a fait son sujet :

Cette fosse, qui n'est qu'une crevasse spontane, [414e] renferme dans les haillons d'une cape de Pellne, Phyromachus, cet homme qui dvorait tout aliment, tel qu'un corbeau de nuit, mais avec lui, Atticus ! tout l'appareil de sa profession et ses couronnes. Il fut suivi, son convoi, de ceux qui, avant ses malheurs, avaient particip ses parties de gloutonnerie. Il s'y trouva (entre autres) un Diphtherias chauve, n'ayant pour tout bien qu'un petit pot l'huile, homme qui avec son air sombre ne montrait plus aucune dent au-dessous de ses sourcils livides. Ce fut donc ainsi que Pliyromachus passa des jeux lnaques, qui se clbraient alors, dans le sjour de Calliope.

Amarante d'Alexandrie fait mention (dans son Trait de la Scne) d'un trompette de Mgare, nomm Hrodore, qui, selon lui, avait trois coudes et demie de haut, mais homme trs fort. Or, il mangeait six chnix de pains, vingt livres de viandes quelle qu'il la trouvt, et buvait deux conges; d'ailleurs il sonnait de deux trompettes en mme temps. Il dormait ordinairement sur une seule peau de lion. Lorsqu'il donnait le signal, il faisait entendre un son d'une force extrme. [415] Dmtrius (Poliorcte ), fils d'Antigone, assigeant Argos, ses soldats ne pouvaient approcher l'hlpolis (machine pour assiger et prendre les villes) des murs de la ville, tant elle tait pesante. Alors Hrodore donna le signal avec ses deux trompettes. Le son en fut si fort, qu'il anima les soldats, et leur fit pousser avec empressement la machine. Nestor rapporte, dans ses Commentaires sur les Spectacles, que cet homme fut dix fois vainqueur tous les jeux de la Grce, et qu'il soupait assis.

Aglas, fille de Mgalocls, sonna aussi la marche avec une trompette lors de la premire pompe qui fut clbre avec un grand appareil dans Alexandrie. Elle avait une prithte (bande pour soutenir les joues) sur le visage, et la tte surmonte d'une aigrette, comme nous l'apprend Posidippe dans ses pigrammes. Or, cette femme mangeait un repas douze livres de viande, quatre chnix de pain, et buvait un conge de vin.

(108) Lithyersas, btard de Midas, et roi des Celnes en Phrygie, avait le regard farouche et le cur froce; il tait extrmement vorace. Sosithe le pote tragique en parle ainsi dans sa pice intitule Daphnis, ou Lithyersas :

Il mange trois normes pains en tiers, trois fois dans une journe, et boit un baril de dix amphores, [415c] appelant cela une mtrte.

Tel est aussi ce personnage de Phrcrate, ou de Strattis, et qu'il fait ainsi parler dans la pice intitule les Bons, ou les Biens :

A. Pour moi, c'est avec peine que je mange quatre mdimnes et demi de farine en trois jours, en me faisant mme violence. B. Assurment c'est manger bien peu que de consommer toi seul, par jour, ce qui suffirait l'quipage d'une galre trois rangs.

Xanthus rapporte, dans ses Histoires de Lydie, que Cambls, roi de cette contre, tait grand mangeur et grand buveur ; mais outre cela trs glouton; [415d] que pendant certaine nuit il coupa sa femme par morceaux, et la mangea. S'tant aperu de bon matin qu'une des mains lui restait dans la bouche, il s'gorgea, parce que le bruit s'en tait aussitt rpandu.

Nous avons dj dit que Thys, roi de Paphlagonie, mangeait beaucoup ; nous avons cit ce sujet le rapport qu'en fait Thopompe dans le liv. 35 de ses Histoires. Archiloque fait le mme reproche certain Cheirilas dans ses iambes, et les comiques n'ont pas pargn cet gard Clonyme, ni Pisandre. [415e] Phanikide parle ainsi dans son Phylarque :

Ajoutons ceux-ci, pour troisime, le trs sage Chrippe. Or, tu sais qu'il mange tant qu'on lui fournit de la pture, ou pour mieux dire, jusqu' ce qu'il crve en se cachant, car sa panse est un vrai garde-manger.

(109) Nicolas le pripatticien rapporte, dans la 103e de ses Histoires., que le roi Mithridate ayant propos un dfi qui mangerait et boirait le plus, promettant pour prix de la victoire un talent d'argent, le gagna l'un et l'autre gard; mais qu'il en disposa en laveur de Calamodrys, athlte de Cyzique, qui fut jug dans cette circonstance le plus vorace aprs lui.

CHAP. IV.

Timocron de Rhodes, pote, et athlte pentathle, buvait et mangeait beaucoup comme l'indique son pitaphe.

Je repose ici, moi Timocron de Rhode, grand buveur et grand mangeur, et qui ai eu la plus mauvaise langue.

[416] Voici ce que Thrasymaque le Macdonien a dit de ce Timocron dans une de ses prfaces :

tant all chez le roi de Perse, il y eut l'hospitalit, et y mangea considrablement. Le roi lui demanda ce qu'il allait faire aprs cela. Je vais, dit-il, broyer un grand nombre de Perses. En effet, il en vainquit plusieurs. Le lendemain, il se mit gesticuler. Que veut donc dire cet agitation de tes bras, lui demanda-t-on ? C'est, rpondit-il, qu'il me reste encore autant de coups donner.

Clarque rapporte, dans le cinquime article de ses Vies, [416b] que certain Perse nomm Cantibaris se sentant les mchoires fatigus de manger, tenait sa bouche bante, et que ses serviteurs lui injectaient les aliments comme dans un vase de terre.

Hellanicus dit, dans le 1 de sa Deucalione, qu'rysichthon, fils de Myrmidon, fut surnomm Aethon (feu dvorant) en consquence de son insatiabilit.

Selon le neuvime de l'ouvrage de Polmon, adress Time, il y avait chez les Siciliens un temple ddi la Voracit, et une statue de Crs Sitoo, prs de laquelle on en avait lev une autre la mme divinit sous le nom d'Himalis, comme Delphes une sous celui d'Hermochos. Il y avait aussi Skole en Botie les statues de Mgalarte ( grand pain), et de Megalomaze (grande maze).

(110) Le pote Alcman se donne lui-mme pour grand mangeur dans son troisime .

Je te donnerai quelque jour un trpied tel que ceux qu'Achille eut d'Atride ; il n'a mme pas encore vu le feu. Peut-tre ce vaisseau sera-t-il plein de parce, telle que l'aime tide, aprs les solstices, Alcman, cet homme qui mange de tout indistinctement ; car ses mets ne sont pas recherchs ; semblable au peuple, il ne veut que [416d] ce qu'il y a de plus commun.

Il dit encore dans le mme , en dcouvrant sa grande voracit.

Tu pourras te bien traiter pendant trois saisons, savoir ; l't, l'hiver, et l'automne pour la troisime; mais quant la quatrime, il nous faut retourner aux bords de la mer ; car il n'est pas possible alors de trouver manger largement.

Anaxilas le comique parlant de certain Ctsias dans sa pice intitule l'Orfvre, s'exprime ainsi :

Tu as dj presque tout ce qu'il te faut, l'exception de Ctsias, car, [416e] comme disent les sages, il est le seul qui sache bien commencer un repas, mais non le finir.

Il se rpte ce sujet dans un passage de ses Riches :

A. Que tout autre crve en soupant bien, except le seul Ctsias. B. Mais qui l'empcherait de crever ? A. C'est que, comme disent les sages, il est le seul qui sache bien commencer un repas, mais non le finir.

Dans la pice intitule les Grces, il range avec lui certain Cranaus, en ces termes :

Ce n'est pas en vain que plusieurs se prsentant table demandent [416f] si rellement Cranaus mange moins que Ctsias ; ou si l'un et l'autre soupent souvent.

Philtaire parle de Ctsias dans son Atalante:

Et lorsqu'il est besoin, je fais plus de chemin, et plus vite que Sotade ; je l'emporte sur Taurite au travail, et je laisse Ctsias bien loin de moi, lorsqu'il s'agit d'empiler les morceaux.,

Anaxippus dit, dans sa Foudre:

A. Oh ! j'aperois mon ami Damippus revenant de la salle d'exercices. Il vient droit moi. B. Ne veux-tu pas dire [417] cet homme de roche, que tes amis surnomment la foudre, cause de sa force ? A. Et avec raison ; car lorsqu'il a frapp de sa mchoire une table quelconque, je pense qu'il n'est plus possible d'en approcher.

Le pote montre par-l pourquoi il a intitule sa pice la Foudre.

Thophile crit dans son pidaure :

Atrestidas de Mantine, capitaine de brigade, tait de tous les hommes le plus grand mangeur.

[417b] Le mme dans son Pancratiaste produit sur la scne un athlte, comme trs vorace, et dit :

A. (Il a mang) presque trois mines pesant de viandes bouillies. B. Ensuite ? A. Un groin, un jambon, quatre pieds de cochon. B. O ciel ! A. Trois pieds de buf, une poule. B. Est-il possible! Et quoi encore? A. Deux mines de figues. B. Qu'a-t-il donc bu avec tout cela ? A. Dix cotyles de vin pur. B. dieu de la vigne ! ! Sabazius !

(111) Les comiques ont aussi raill plusieurs peuples sur la scne au sujet de leur grande voracit ; par exemple, les Botiens. C'est ainsi qu'Eubule dit dans son Antiope :

[417c] Nous sommes forts au travail et la table ; en outre trs patients. Les Athniens l'emportent pour l'loquence, et mangent peu ; mais les Thbains beaucoup.

Il crit dans son Europe :

Il fonda la ville des Botiens, ces hommes incomparables pour manger tout le jour.

Et dans son Ion :

Il est si parfait imitateur des Botiens, que jamais il ne contente son apptit en soupant.

[417d] On lit dans ses Cercops :

Aprs cela, je passai Thbes o l'on mange nuit et jour. Chacun a un priv devant sa porte, o celui qui est plein d'aliments va chercher grands pas le souverain bien, en s'y soulageant. Il y a rellement de quoi rire voir ces gens se mordre les lvres (en poussant les selles) aprs avoir mang copieusement.

Le mme, dans ses Mysiens, fait ainsi parler un acteur Hercule :

Tu quittes, me dis-tu, le pays des Thbains, [417e] ces gens qui mangent du fromage tout le jour, et qui sont toujours prs des privs.

Diphile dit, dans son Botien :

C'est un homme capable de commencer manger avant l'aurore, et de continuer ainsi toute la journe.

Mnsimachus crit dans son Busiris :

Je suis Botien, mangeant peu aux dpens d'autrui, mais beaucoup aux miens .

Alexis dit, dans son Trophonius :

Mais de peur que vous ne soyez reconnus pour Botiens, [417f] de ceux qui ont coutume de vous railler comme invincibles a boire, crier, et habitus manger toute la nuit, sans intermission, quittez tous vos habits sur-le-champ.

Ache dit, dans ses Jeux gymniques :

A. Que dis-tu de ces spectateurs et de ces champions? [418] B. Ils mangent en aussi grande quantit que ceux qui font un tat de ces exercices. A. Mais de quel pays sont-ils? B. Ils sont Botiens.

D'aprs ces dtails, on voit qu'ratosthne tait bien fond dans la rponse qu'il fit un jour Pemple. Celui-ci lui demandait ce qu'il pensait des Botiens. Ce que j'en sais, rpondit ratosthne, est qu'ils parlent entre eux comme parleraient des urnes auxquelles on donnerait la facult de s'exprimer : Nous contenons chacun tant de mesures.

Polybe de Mgalopolis rapporte, liv. 20 de ses Histoires, [418b] que les Botiens, aprs s'tre illustrs la journe de Leuctre, perdirent peu--peu leur grandeur d'me, et que se livrant au plaisir de la bonne chre et du vin, ils tablirent mme par testament des coteries, chacun en faveur de leurs amis ; de sorte que nombre d'entre eux, quoique laissant de la postrit, disposrent de la plus grande partie de leur bien pour ces Banquets ; qu'ainsi plusieurs Botiens avaient plus de gots leur service qu'il n'y avait de jours par mois. C'est pourquoi les Mgariens, dtestant cet tat des choses, se tournrent du ct des Achens.

(1012) Les comiques ont aussi traduit les Pharsaliens sur la scne, comme des gens trs voraces. Mnsimachus dit ce sujet dans son Philippe :

A. Serait-il venu quelque Pharsalien [418c] pour avaler tous ces mets? B. Non ; pas un. A. Fort bien. B. Sans doute qu'ils dvorent par pices la rpublique des Achens qu'ils ont fait griller.

Les Thessaliens n'taient pas moins le sujet de la raillerie des comiques, cause de leur voracit; c'est ce que Crats indique dans sa Lamie :

Des mots coups la Thessalienne, longs de trois coudes.

Il parle ainsi d'aprs l'usage des Thessaliens, qui coupaient les viandes par gros morceaux. Philtaire dit dans ses Lampadephores (ou Portes-torches) :

Un morceau de porc coup la Thessalienne, qui et charg la main.

On disait aussi une bouche thessalienne pour grande ou grosse. Hermippe crit dans ses Parques :

[418d] Jupiter ddaignant ces morceaux, se fit pour lui une bouche thessalienne.

Aristophane s'est servi du mot capanique pour rendre la mme ide, dans ses Tagnistes :

Qu'est-ce que cela, en comparaison des repas des Lydiens et des Thessaliens ? mais ceux des Thessaliens sont encore plus capanlques.

L'auteur dit capaniques pour capables d'emplir, ou de charger un chariot, ou char, car les Thessaliens nomment capanee, chariot, ce que l'on appelle vulgairement apeenee. C'est ce qu'on voit dans les Scythes de Xnarque.

[418e] A. Ils entretenaient sept chars (capanas) pour les courses d'Olympie. B. Que dis-tu ? A. Eh ! les Thessaliens n'appellent-ils pas les chars capanes ? B. Oui : j'entends.

(1013) Selon Hcate, les gyptiens taient artophages (mangeurs de pain), mangeaient des kyllastes, et moulaient de l'orge pour faire leur boisson. Voil pourquoi Alexis dit, dans son ouvrage sur la Frugalit, que Bocchoris et son pre Nochabis taient l'un et l'autre fort sobres. Pythagore de Samos mangeait aussi trs modrment, selon ce que dit Lycon d'Iasse dans son ouvrage concernant Pythagore. Cependant il ne s'abstenait pas de manger de la viande, [418f] si l'on en croit Aristoxne. Appollodore l'arithmticien rapporte que ce philosophe offrit mme une hcatombe, pour avoir trouv que l'hypotnuse, oppose l'angle droit d'un triangle rectangle, donne un carr gal celui des deux autres cts de ce mme triangle.

Lorsque le clbre Pythagore trouva ce fameux problme pour lequel il fit ce mmorable sacrifice de bufs.

[419] Pythagore buvait aussi fort peu; vivait de la manire la plus simple, au point mme qu'il se contentait souvent de miel seul. On rapporta la mme chose d'Aristide, d'paminondas, de Phocion, de Phormion, ces illustres capitaines ; mais Manius (ou Marcus Curius, Gnral des Romains, vcut de raves toute sa vie. Les Sabins (Samnites) lui ayant envoy beaucoup d'or, il ne m'en faut pas, rpondit-il, tant que j'aurai de pareils mets souper. C'est ce que rapporte Mgacls dans son ouvrage sur les Hommes illustres.

(1014) Nombre de personnes aiment cependant souper avec frugalit, comme le dit [419b] Alexis dans son Amante:

... pour moi, je n'aime que le ncessaire, et je hais le superflu ; le trop exige beaucoup de dpense, et sans procurer de vrai plaisir.

Il se rpte dans son Menteur.

Je hais la superfluit ; le trop demande de la dpense, et ne procure pas le moindre plaisir.

On lit dans les Syntrophes :

Que la mdiocrit en tout a pour moi de charmes ! [419c] Bien loin de me remplir l'excs, je m'en retourne prsent, non sans avoir rien pris, mais me sentant on ne peut mieux.

Mnsithe conseillent aussi de fuir les excs en tout. Ariston le philosophe dit, dans le second livre de ses rotiques semblables, que Plmon, philosophe de l'acadmie, conseillait ceux qui allaient un souper, de faire en sorte que le vin leur part agrable, non seulement lorsqu'ils le boiraient, mais mme le lendemain.

Timothe, fils de Conon, invit passer des repas somptueux des Gnraux d'armes, celui que [419d] Platon donnait l'acadmie, y fut trait sans appareil, mais avec beaucoup d'ordre, et ne put s'empcher de dire :

Ceux qui soupent chez Platon se trouvent parfaitement le lendemain.

Hgsandre rapporte ainsi le propos :

Timothe rencontrant Platon le lendemain, lui dit : O! Platon vous soupez encore plutt pour le lendemain, que pour le jour mme.

Pyrrhon d'lide, mangeant chez un ami qui le traitait avec un somptueux appareil, comme il le rapporte, lui dit :

[419e] Je ne viens plus chez toi, si tu me reois ainsi, car je ne veux pas avoir le dplaisir de te voir faire ces dpenses inutiles ; ni d'un autre ct que tu prouves du drangement dans tes affaires, en faisant plus que tu ne peux. Il vaut sans doute beaucoup mieux envisager le seul agrment de nous trouver ensemble, que de nous traiter avec cette profusion qui deviendra en grande partie la proie de tes serviteurs.

(1015) Antigone de Caryste qui a crit la vie de Mnedme, racontant l'ordre des repas qu'on faisait chez ce philosophe, nous apprend qu'il commenait par dner en particulier avec une ou deux personnes, et ceux qui venaient ( pour avoir part son souper) devaient aussi avoir dn. C'est donc ainsi que dnait Mnedme. [419f] Ensuite on introduisait ceux qui se trouvaient prsents ; de sorte que si quelques-uns taient venus trop tt, ils se promenaient devant la porte, et devaient demander aux domestiques qui sortaient, quoi en tait le service, et si le dner tait avanc au point qu'on pt entrer. S'ils apprenaient qu'on n'en ft qu'aux lgumes ou aux salines, ils se retiraient plus loin ; si au contraire on avait servi quelque viande, ils entraient dans la salle o l'on avait tout prpar pour le repas. En t, chaque lit tait couvert d'une natte; [420] en hiver, d'une peau garnie de son poil. Les convives devaient apporter avec eux leur coussin. Quant au vase qui servait boire la ronde, il ne contenait qu'une cotyle. Le dessert tait ordinairement des lupins ou des fves. Quelquefois on servait des fruits de la saison; savoir, en t une poire, une grenade; au printemps, de la gesse, et en hiver, des figues sches. Lycophron de Chalcis rend tmoignage de la vrit de ces faits dans la pice satyrique qu'il a intitule Mnedme, et dans laquelle Silne dit aux Satyres:

[420b] Enfants perdus d'un excellent pre, je vous rgale amplement, comme vous voyez : non, certes ! je n'ai jamais eu, dans la Carie, ni Rhodes, ni en Lydie, un repas si copieux, ni si beau, j'en jure par Apollon.

Il ajoute plus loin :

... mais le serviteur, qui autrement restait tout prs sans remuer, portait la ronde un gobelet de vin noy dans l'eau, contenant cinq oboles. Ceci fut accompagn d'un chur nombreux de lupins, aliment populaire, et convive des triclins du pauvre ....

Aprs cela, dit-il la suite, on proposa diverses questions en buvant ....

car les sages rflexions qu'on se communiquait pendant les intervalles servaient d'entremets.

[420c] On rapporte aussi

que souvent ils prolongeaient leurs assembles jusqu'au moment o le Coq les surprenait, en appelant l'aurore ; de sorte mme qu'ils n'taient pas encore la fin de leurs discours.

(1016) Arcsilas donnait un repas quelques personnes; mais il n'y avait pas assez de pain. Le serviteur lui fit signe pour l'en avertir ; aussitt Arcsilas clate de rire, bat des mains, et dit : Mes amis, voyez donc quel repas nous faisons ici ! on a oubli d'acheter assez de pain. Serviteur, cours donc en chercher. Au ton plaisant dont il dit ceci, tous les convives clatent aussi de rire ; la gaiet rgne dans l'assemble beaucoup plus qu'auparavant; de sorte que le manque de pain fut un assaisonnement des plus agrables pour les mets.

Dans une autre occasion, Arcsilas dit Apelle, serviteur de confiance, de lui filtrer du vin; celui-ci en rpandit une partie, et troubla encore plus l'autre, faute d'exprience dans ce travail ; de sorte que le vin paroissait plus charg de lie qu'auparavant. Arcsilas se mit rire, disant : Ma foi, j'ai command de clarifier le vin un homme qui, non plus que moi, n'a jamais su bien faire. Ainsi, toi Aridice, lve-toi ; et toi, Apelle, va-t-en mettre en perce ce que tu as rpandu. [420e] Ce propos fit tant de plaisir, que la gaiet rgna dans toute l'assemble.

(1017) Mais ceux qui donnent aujourd'hui des repas, surtout les habitants de la belle ville d'Alexandrie, crient, temptent, jurent contre l'chanson, le serviteur, le cuisinier. Les esclaves reoivent des coups de poing, l'un d'un ct, l'autre de l'autre, fondent en pleurs; de sorte que non seulement les convives soupent avec tous les dsaronnements imaginables ; mais mme, si l'on fait un sacrifice, la divinit laquelle on l'offre se voile la tte, et abandonne [420f] et la maison (ou la salle) et toute la ville. En effet, n'est-il pas absurde que celui qui fait crier par un hraut,

loin d'ici toute parole de mauvais augure !

maudisse et sa femme et ses enfants ?

N'est-ce pas dire ceux qu'on invite un repas:

C, mettons-nous table, afin de nous battre aprs avoir mang?

La salle d'un tel homme

[421] Est remplie de la vapeur des parfums, et retentit en mme temps de pans, et de sanglots.

Aprs ces discours, un des convives prit la parole :

Si nous considrons ce qui vient d'tre dit, il faut prendre garde de se livrer la gourmandise.

En effet, un repas simple ne donne pas lieu aux carts de la boisson,

comme Amphis le dit dans son Pan : ou, aux injures et aux insolences ; comme l'atteste Alexis dans son Ulysse Tisserand. Voici le passage :

Les assembles qui durent trop de temps, les festins trop longs, et ritrs tous les jours, donnent lieu la raillerie ; mais la raillerie fait encore plus de peine aux uns qu'elle ne divertit les autres. [421b] C'est toujours le commencement des propos offensants; et si une fois on s'y abandonne, l'offense repousse par l'offense ne laisse plus qu' s'injurier rciproquement. De l'injure on passe bientt aux coups, et aux carts les plus tranges ; car c'est ainsi que cela finit naturellement. Est-il besoin d'oracle pour le deviner ?

(1018) Cet excs de satit dans les repas a donn lieu au pote Mnsimaque d'imaginer, dans son Philippe, un repas qui annonce tous les prparatifs d'une guerre, ou qui, pour mieux dire, selon l'expression du charmant Xnophon, est un vritable arsenal. [421c] Voici donc ce que dit ce pote :

... ignores-tu que c'est contre des hommes qu'il te faudra combattre ? Les plats de notre souper sont des pes que nous avons affiles : pour poisson, nous avalons des torches embrases. Aprs le souper, un serviteur nous apporte promptement pour dessert des flches de Candie. Nous avons pour pois chiches des fragments de lances brises ; pour coussins, des boucliers et des cuirasses. Nous ne portons pour chaussure que des frondes et des arcs, et nos couronnes sont des catapultes.

[421d] Phnix de Colophon dit mme :

Notre pe nous tient lieu de baril de vin, notre lance, de gobelet, notre arc, de riote, nos ennemis, de cratres, nos chevaux, de vin pur, le cri de guerre, de parfum.

Alexis parlant d'un grand mangeur, dans son Parasite, s'exprime ainsi :

Tous les jeunes gens l'appellent parasite, nom moins offensant, il est vrai : mais il se soucie peu de ces gards; car Tlphe mange toujours sans dire mot, et ne rpondant que par signe ceux qui lui font une demande : [421e] c'est pourquoi il arrive souvent que celui qui l'a invit prie les vents de Samothrace de cesser leur furie, et de ramener le calme ; car, ma foi ! ce jeune homme est une tempte relle pour ses amis.

Diphile parlant aussi d'un semblable personnage, dans son Hercule, s'exprime ainsi:

Ne prends pas garde moi, si, aprs avoir bien bu, je suis un peu pris de vin, et si la tte me tourne ; vois plutt cet homme-ci qui mange une norme masse de gros pain, aprs avoir dj dn douze fois.

Voil pourquoi Bion du Boristhne dit trs bien que ce n'est pas dans les repas qu'il faut chercher la volupt, mais dans la sagesse. [421f] Euripide dit ce sujet :

Je sentis que j'avais abandonn ma bouche a une manire de vivre trs blmable.

Comme s'il et voulu insinuer que le plaisir du manger est surtout particulire la bouche. Eschyle dit (selon la mme ide) dans son Phine:

Ma mchoire ayant inutilement dsir plusieurs repas, qui ont disparu au moment mme o ma bouche en sentait avec plaisir la premire saveur.

Euripide, parlant de la vie frugale, dans sa Sthenobe, fait tenir ce discours un pcheur:

C'est la mer qui nous fait vivre, non splendidement il est vrai, [422] mais dans des huttes leves sur ses bords. Notre mre est la mer dont nous sillonnons les flots, et nous n'avons pas pour nourrice le sol qu'on foule sous les pieds. C'est de la mer que nous apportons chez nous de quoi nous alimenter, moyennant nos filets et nos lacets.

(1019) On peut dire que le ventre est un grand mal pour les hommes ! Voici ce qu'Alexis dit ce sujet dans ses Mourants ensemble :

Sachez donc quel mal le ventre est pour l'homme ! ce qu'il conseille ! ce quoi il nous force ! Si l'on pouvait nous ter cette partie du corps, [422b] personne ne serait injuste, ni volontairement injurieux; mais ce ventre fait porter tous les excs!

Diphile crit aussi dans son Parasite:

C'est avec raison que l'excellent Euripide a dit : Ce besoin et ce ventre m'y forcent; ce ventre, dis-je, car il n'y a rien de si misrable ! il absorbe tout ce que vous voudrez y jeter ! Il n'en est pas ainsi de tout autre vaisseau. Vous pouvez porter du pain [422c] dans une besace, mais non de la sauce, ou vous la perdrez. Vous mettrez des mazes dans une corbeille, mais non des lentilles cuites. On met du vin dans un flacon, mais non une langouste. Dans ce maudit ventre, au contraire, vous pouvez y jeter toutes sortes de choses les plus opposes entre elles ! Je n'en dirai pas davantage, sinon que c'est de ce malheureux ventre que rsultent tous les maux.

Socrate nous apprend, dans son Trait des Successions, que Crats le cynique fit un vif reproche Dmtrius de Phalre, [422d] de ce qu'il lui avait envoy un flacon de vin avec une besace de pain. Plt au ciel, dit-il alors, que les fontaines produisissent aussi du pain !

Stilpon ne craignit point les suites de sa sobrit, lorsqu'aprs avoir mang seulement des aulx, il alla dormir dans le temple de la mre des dieux ; car il tait dfendu d'y entrer lorsqu'on en avait mang. La desse lui apparaissant en songe, et lui disant, quoi! Stilpon, tu es philosophe, et tu transgresses la loi ! il s'imagina lui rpondre dans le sommeil :

Donne-moi donc manger, toi, et je n'userai point d'ail.

CHAP. VI.

(1020) [422e] Ulpien, aprs ces rflexions, prit la parole, et dit : Puisque nous avons soup. Or, messieurs, Alexis a dit aussi dans sa Kouris:

Puisqu'il y a dj quelque temps que nous avons soup.

Eubule crit, dans sa Prokris :

Nous n'avons pas encore soup, dedeipnamen.

Il dit encore ailleurs :

Il faut qu'il ait soup, car il y a dj quelque temps qu'il est avec nous.

Antiphane a dit dans sa Lonide, avec le mme terme :

Mais il sera prsent avant que nous ayons soup.

Aristophane s'en sert aussi dans son Proagon :

Voil l'heure o je dois me rendre prs de mon matre, car je prsume qu'il a dj soup.

Le mme dans ses Danades :

[422f] Tu m'insultes, comme un homme ivre avant d'avoir soup ?

Platon le comique l'a employ dans son Sophiste, de mme qu'Epicrate d'Ambracie, pote de la moyenne comdie, dans ses Amazones :

Ces gens me paraissent avoir soup bien propos.

Aristophane s'est servi du mot eeristamen, dans ses Tagnistes, en parlant du dner.

Messieurs, nous avons assez bien bu, et dn merveille.

Hermippe crit, dans ses Soldats :

[423] Il faut dner et se trouver ici.

Thopompe dans son Beau-laid :

Nous avons dn ; il faut donc lier la conversation.

Antiphon se sert du mot , dans son Politique, pour dissiper sa fortune des dners :

Certes, il a dissip en dners, et sa fortune, et celle de ses amis.

Amphis a employ le mot , dans son Plane, pour dner (en courant), aprs les convives :

Il y a du temps que nos serviteurs ont dn, en courant.

(1021) [423b] Remercions donc les dieux comme parle Platon dans son Philbe, et mlons de l'eau avec le vin pour leur rendre hommage, soit Bacchus, soit Vulcain ; soit toute autre divinit qui appartient l'honneur de ce mlange : car, semblables des chansons, nous avons notre disposition deux sources, dont on pourrait comparer l'une au miel, et qui est celle du plaisir ; l'autre, c'est--dire, la sobrit, et qui est celle de la prudence. Loin d'en voir couler le vin, il n'en vient qu'une eau d'une saveur austre, mais salubre. Soyons donc d'abord trs attentifs faire de ces deux sources un mlange parfait. Or, comme il est temps de boire, qu'un serviteur nous apporte de ce buffet un vase boire, car j'y aperois nombre de trs beaux vases, et de plusieurs formes.

Un valet lui ayant donn un vase d'une grande capacit, il lui dit : Puise donc avec ce cyathe, et verse dans mon gobelet; et du vin plus pur qu'auparavant; mais non pour m'en servir, comme le dit le comique Antiphane dans ses Jumeaux,

Il prit on grand gobelet qu'il me prsenta. Je fis des libations: n'est-ce pas, jeune homme ? rpandant des cyathes sans nombres, en l'honneur des dieux et des desses, et, aprs toutes ces divinits, en l'honneur de notre vnrable desse ( Minerve ); je rendis mme un double hommage notre excellent roi.

a donc serviteur, verse-moi boire; mais que le vin se fasse plus sentir par sa saveur piquante, car nous ne parlons pas encore du nombre des cyathes. [423d] Montrons que les termes cyathos, akratesteron et oiniochoos sont d'un usage ordinaire. Je vais d'abord parler du mot zooroteron, ou plus piquant. Antiphane a dit dans son Meilanion :

Pour moi, je suis d'avis qu'il boive la coupe de la sant, mais de la main d'un chanson qui lui verse le vin plus piquant (plus pur ), .

Et dans son Lampon :

, toi Japix, verse du vin plus pur, .

Ephippe crit dans son phbe :

Il prsenta une coupe de chaque main, mais aprs y avoir vers du vin plus piquant (plus pur), selon l'expression d'Homre.

Quelques-uns prtendent que l'expression d'Homre :

Verse du vin ,

ne signifie pas pur, mais chaud, dans le sens de , qui vivifie, ou de pris de , je bous, ce qui dsignerait la chaleur, d'autant plus qu'il est absurde de croire que, lorsque les convives sont table, un jeune esclave viendra recommencer mler du vin avec une quantit d'eau plus ou moins grande. A l'gard du mot akratesteron, plus pur, d'autres prtendent que ce comparatif n'a que le sens du positif , pur, comme , plus droit, s'emploie pour le simple , droit.

D'autres pensent que le mot tant compos de , qui signifie anne, et de , qui dsigne la grandeur en tendue ou en nombre, il a le sens de , c'est--dire, vieux, ou de plusieurs annes.

Diphile dit, dans ses Pdrastes :

[423f] Verse boire, esclave : par Jupiter, donne du vin plus pur (), car tout ce qui est noy d'eau affadit le cur.

Cependant Thophraste dit, dans son Trait de l'Ivresse, que le mot zooroteron signifie mlang; il s'autorise de ce passage d'Empdocle:

[424] Aussitt les choses qui avaient appris tre immortelles devinrent mortelles, et celles qui taient sans mlange furent , poignantes, en changeant de manire d'tre.

(1023) A l'gard du mot cyathos, Platon le comique s'en est servi dans son Phaon, pour dsigner le vase avec lequel on puise le vin dans le cratre.

Eux, ayant ainsi pris le cyathe par le haut du bord.

Il dit dans ses. Dputs :

Ces cyathes que vous drobiez partout.

[424b] Archippus dit, dans ses Poissons :

J'ai achet un cyathe de Daesius.

Aristophane emploie aussi le mot dans sa Paix, pour dsigner des ventouses, en parlant des sugillations, ou meurtrissures qu'avaient reues les villes de la Grce. Or, on dit que les sugillations disparaissent lorsqu'on applique dessus ces espces de cyathes.

Xnophon parle aussi du cyathe, liv. i de sa Cyropdie. Cratinus, Aristophane en plusieurs endroits, Eubule dans son Orthane en font aussi mention. Phrcrate a dit dans ses Rveries :

Un cyathe d'argent.

Timon a nomm les cyathes arysanes, dans le second paragraphe de ses Silles, en ces termes:

Des arysanes qu'on ne peut jamais remplir de vin .

Il a pris ce nom du verbe , puiser. On les appelle aussi arystres, et arystiques. Simonide dit:

Personne, non personne n'a donn un seul arystre de lie.

Aristophane dans ses Gupes :

Car je tenais ces arystiques.

Phrynicus dans ses Poastries :

Un gobelet, ou vase arystique ( puiser ).

C'est aussi de la mme origine (, je puise) que vient le mot arytaina, cuiller ou instrument propre puiser.

On appelait aussi ce vaisseau phbe, comme on le voit dans le Syngnique de Xnophane.

Polybe, liv. 9 de ses Histoires, fait aussi mention d'un fleuve nomm [424d] Cyathe, prs de la ville d'Arsino en tolie.

Quant au mot , Hypride s'en est servi dans son discours contre Dmosthne: Si quelqu'un buvait du vin pur, il s'en trouvait incommod.

C'est selon l'analogie de ce mot que sont forms aniaresteron, plus douloureux ; et dans les Hliades d'Eschyle, .

Une source abondante.

picharme a dit dans sa Pyrrha, selon la mme forme, , vil prix; Hypride dit , une ville plus l'aise, dans son discours contre Dmade.

Passons au mot , mler le vin pour le servir. Platon, comme je viens de le dire, s'est servi de ce mot dans son Philbe :

Protarque, mlons, en rendant grce aux dieux, ou en priant les dieux.

[424e] Alce dit dans sa Noce sacre :

Ils mlent le vin, et le font disparatre sur-le-champ.

Hypride, dans son discours intitul Dliaque, dit :

Les Grecs mlent en commun le cratre panionien.

Ceux qui versaient ordinairement boire chez les anciens, taient des jeunes gens bien ns; comme le fils de Mnlas.

Le fils de l'illustre Mnlas servait boire.

Euripide avait rempli la mme fonction dans son enfance. C'est ce que rapporte Thophraste dans son Trait de l'Ivresse :

J'ai appris, dit-il, que le pote Euripide avait servi le vin Athnes, ceux qu'on appelle Orchestes, [424f] et qui dansaient autour du temple d'Apollon dlien : or, c'taient les premiers citoyens d'Athnes, et ils taient vtus d'habits, de l'espce des theeraques. Cet Apollon dlien est celui en l'honneur duquel on clbre les thargelies: il reste mme au Daphnephore du bourg de Philes un tableau relatif ces circonstances.

Hironyme de Rhodes, disciple d'Aristote, rapporte la mme chose dans un trait o il s'agit de l'ivresse.

La belle Sapho rappelle dans plusieurs passages son frre Larique, comme servant le vin aux Mitylniens dans le Prytane. Chez les Romains, ce sont les enfants des meilleures maisons qui s'acquittent de cette fonction dans les crmonies publiques religieuses; car les Romains ont imit les Grecs de l'tolie en tout, jusque dans le ton mme de la voix.

(1025) Les anciens affectaient tant le luxe et la grandeur, que non seulement ils avaient des chansons table, mais mme des inspecteurs des vins. Athnes avait fait une charge publique de cette inspection. Eupolis en parle dans ce passage de ses Villes :

[425b] Nous voyons actuellement nos armes commandes par ceux que vous n'auriez pas daign nommer Inspecteurs des vins. O ville ! Athnes ! oui, tu es plus heureuse que sage !

CHAP. VII.

Ces oenoptes, ou inspecteurs, taient chargs d'examiner aux festins si les convives buvaient galement. Or, cette fonction tait assez mdiocre, comme le dit l'orateur Philinus dans la cause des Crocanides. Ils taient au nombre de trois, et c'taient eux qui fournissaient aux convives les lumires ncessaires pendant le souper. Quelques-uns les appelaient aussi yeux.

[425c] Les jeunes gens qui servaient le vin phse lors del fte de Neptune, y taient nomms Tauroi, selon Amrias. Les habitants de l'Hellespont se servaient du terme epenkhyte pour dire chanson, et appelaient kreoodaisie la distribution des viandes, ce qu'on dit vulgairement kreoonomie ; comme on le voit dans Dmtrius de Scepse, liv. 26 de l'Armement de Troie.

Quelques-uns disent qu'Harmonie servait le vin aux dieux; c'est le pote pique Capiton, originaire d'Alexandre, qui le rapporte dans le second livre de ses rotiques.

Alce produit aussi Mercure comme chanson ; et Sapho dit:

[425d] Aprs cela, le crater d'ambroisie fut ml, et Mercure prenant la coupe, servit boire aux dieux.

(1026) Les anciens donnaient encore le nom de hrauts ceux qui remplissaient cette fonction. C'est ainsi qu'Homre dit:

Les hrauts portaient par la ville les offrandes destines ratifier les serments, savoir; deux agneaux et, dans une outre de peau de chvre, du vin qui rjouit le cur, fruit de la terre. Le hraut Ide portait le cratre clatant, et des coupes d'or.

Il dit ailleurs :

[425e] Mais les vnrables hrauts amenrent les offrandes destines ratifier les serments; ils mlrent le vin dans le cratre, et versrent ensuite aux rois de l'eau sur les mains.

Le nom de hraut se donnait aussi aux cuisiniers, selon Clidme.

Quelques-uns ont attribu Hb la fonction de verser le vin aux dieux, peut-tre parce qu'on donnait aux salles des festins le nom d'hbtries.

Ptolme, fils d'Agsarque, qui a crit l'histoire de Ptolme Philopator, dit, dans son liv. 3, [425f] qu'une femme nomme Cline versait boire Ptolme Philadelphe, et qu'il y avait dans plusieurs places d'Alexandrie des statues qui reprsentaient cette femme, tenant la main un vase nomm rhyton.

(1027) Aprs ces dtails, Ulpien vida totalement son gobelet, en disant :

A. Je porte cette rasade tous mes parents que j'ai nomms, et je leur donne, en la buvant, le gage de mon amiti.

Comme il buvait encore, quelqu'un ajouta le reste du passage :

Peste soit du reste, car je suis suffoqu. B. Mais bois, bois encore celle-ci.

Ulpien, aprs avoir bu, dit : Or, messieurs, ce passage est du Citharde de Clarque; mais je donne cet avis-ci avec Amphis dans ses Fileuses :

Que ce valet nous fatigue par des rasades ritres.

Ou comme dit Xnocrate dans ses Jumeaux:

[426b] Toi, remplis ma coupe ; moi, j'aurai soin de te verser boire.

Il faut que l'amande joue avec l'amande.

Alors les uns demandant encore plus de vin, les autres voulant qu'on leur servt moiti eau, moiti vin ; en outre, quelqu'un rapportant que le pote Archippus avait dit dans son Amphitryon corrig:

O ! malheureux, qui vous a servi moiti eau, moiti vin ? ( .)

Et Kratinus dans sa Pytine :

Cet homme prsente moiti eau, moiti vin ; mais moi je sche de soif!

Tous les convives jugrent alors qu'il fallait parler des diffrentes proportions d'eau et de vin que les anciens buvaient mls ensemble.

(1028) [426c] Or, quelqu'un prit la parole, et dit : Mnandre crit dans son Hros:

Prends un conge de vin dtremp, et bois-le entirement.

Dmocrite dit aussitt: Mes amis, Hsiode conseille

De verser d'abord trois parties d'eau, et d'y jeter une quatrime de vin.

Cet avis a fait dire au pote Anaxilas, dans son Nre :

Assurment, cela est bien plus agrable; car je ne me suis jamais content de trois parties d'eau seulement sur une de vin.

Alexis, dans sa Tthys, conseille des proportions encore plus sages pour le mlange :

[426d] A. Tiens, voil du vin. B. Eh bien ! le verserai-je pur ? A. Oh ! il vaut beaucoup mieux mettre quatre parties d'eau sur une de vin. B. Mais ! ce ne sera que de l'eau. A. N'importe, bois le tel ; parle ensuite, et disserte pendant que nous serons boire.

Mais Diocls dit, dans ses Abeilles :

.... A. Comment faut-il mler le vin pour que je le boive? B. Quatre parties d'eau sur deux de vin.

C'est peut-tre ce mlange contre l'usage qui a donn lieu au clbre proverbe.

Ou boire cinq ou trois, ou non quatre. Or, ce proverbe signifie qu'il faut boire, ou cinq mesures d'eau sur deux de vin, ou trois mesures d'eau sur une de vin.

Le pote Ion dit concernant ce mme mlange, dans son ouvrage sur le Vin de Chio :

Le devin Palamde dcouvrit et prdit que la navigation des Grecs serait heureuse s'ils buvaient trois cyathes d'eau sur un de vin.

Ceux qui buvaient longtemps, mettaient cinq parties d'eau sur deux de vin. C'est pourquoi Nicocars, faisant un jeu de mots, dit, dans son Amymone :

[426f] Salut toi, Oenomas, avec cinq et deux : soyons d'accord, toi et moi, pour boire.

Il dit quelque chose de semblable dans ses Lemnienes. Ameipsias crit dans ses Joueurs au cottabe.

Je suis Bacchus : entre nous tous buvons cinq et deux.

On lit dans les Chvres d'Eupolis :

Salut toi, Bacchus : ne boirons-nous pas cinq et deux?

Ermippus crit, dans ses Dieux :

Ensuite, quand nous buvons, ou que nous avons soif, nous disons : Plaise au ciel que le vin soit ml convenablement ! [427] B. Eh ! bien, je vous en apporte, non de chez un tavernier ; sans plaisanterie, et c'est encore du mlange de cinq et deux.

(1029) Mais dans Anacron les proportions sont deux verres d'eau sur un de vin.

, valet, apporte-moi la clbes, afin que je boive grands coups. Mets dix parties d'eau sur cinq de vin, de sorte que cela ne me rende pas insolent, et ne m'empche pas de me livrer toute ma joie.

Puis continuant, il appelle boire la Scythe, boire le vin pur :

, donne boire, ne faisons plus de ce repas un festin [427b] scythe par le vacarme et les clameurs; mais en buvant, gayons-nous par d'agrables chansons.

Les Lacdmoniens, selon Hrodote, liv. 6, n. 84, disent que Clomne, un de leurs rois, ayant frquent pendant quelque temps les Scythes, apprit avec eux boire le vin pur, et devint maniaque par l'ivresse habituelle. C'est pourquoi ils se servent du mot episkythisai, pour dire verse du vin pur. Camlon d'Hracle rapporte aussi, dans son Trait de l'Ivresse, sur le tmoignage des Lacdmoniens, que ce Clomne Spartiate ayant frquent les Scythes, apprit avec eux boire le vin pur, et devint maniaque. [427c] C'est pourquoi les Lacdmoniens disent , lorsqu'ils demandent du vin pur.

Ache introduit sur la scne, dans son Aithon satyrique, des Satyres fchs de boire du vin dtremp.

Y a-t-on ml la plus grande partie de l'Achelos? mais la joie ne permet pas de toucher de pareille boisson ; car bien vivre, c'est boire la scythe.

(1030) Les libations faites sur les tables par les disciples n'taient pas d'un usage bien ancien du temps de Thophraste, [427d] comme il le dit dans son Trait de l'Ivresse. On ne rpandait anciennement de vin que celui qu'on offrait aux dieux; ensuite on en rpandit au jeu du cottabe pour ceux ou celles qu'on aimait. Or, ce jeu tait fort en vogue, et venait originairement de Sicile, comme le dit expressment Anacron de Tos.

Lanant le cottabe de Sicile avec une inflexion de la main.

Aussi voyons-nous que les Scholies des potes de l'antiquit, rappellent frquemment ce jeu. Tel est, par exemple, celui de Pindare, qui dit:

.... les grces des amours, enfants de Vnus, [427e] tandis que je m'enivre avec (en mangeant) un chevreau d'hiver, et que je lance le cottabe pour le bel Agathon.

Ou. . . . les grces des amours, enfants de Vnus, tandis que je m'enivre en jouant avec la verge, lanant le cottahe pour le bel Agathon.

On offrait aux morts ce qui tombait des tables ; c'est pourquoi Euripide dit, en parlant de Stnobe, qui pensait que Bellrophon tait mort :

Il ne lui chappait rien des mains qu'il n'y ft attention, et aussitt elle disait : C'est pour l'hte corinthien.

(1031) Les anciens ne s'enivraient pas. Priandre exhortait au contraire Pittacus ne point s'enivrer, et viter toute dbauche, de peur, lui disait-il, que tu ne sois connu tel que tu es, et non tel que tu veux paratre :

car si l'airain devient le miroir de la figure, le vin devient celui de l'me.

Les proverbes disent ce sujet :

Le vin n'a pas de gouvernail.

Xnophon, fils de Gryllus, soupait un jour chez Denys de Sicile; l'chanson voulant le forcer de boire, Xnophon dit au tyran :

Quoi donc, [428] Denys, le cuisinier habile qui nous sert diverses sortes de mets nous force-t-il de manger pendant le repas, lorsque nous ne le voulons point ? Il se contente de nous servir honntement et en silence.

Sophocle dit, dans un Drame satyrique :

Oui, sans doute, tre forc de boire malgr soi, c'est autant souffrir que de ne pouvoir contenter la soif.

L'effet du vin a aussi donn lieu de dire :

Le vin fait danser un vieillard mme malgr lui.

Le pote Sthnle a dit fort propos:

Le vin fait faire des folies aux plus sages.

[428b] Phocilide crit:

Lorsque les coupes commencent faire la ronde dans un repas, il faut demeurer assis, et mler les charmes de la conversation au vin.

Cet usage subsiste encore, il est vrai, chez quelques Grecs; mais depuis qu'ils ont commenc goter les dlices de la volupt et de la mollesse, ils ont lchement quitt les siges pour s'tendre sur les lits. S'autorisant ensuite du repos et de l'indolence, ils se sont abandonns sans rserve et sans gard l'ivresse, invits aux plaisirs par tous les attraits qu'une magnificence luxurieuse leur prsentait.

(1032) Hsiode dit aussi au sujet du vin, dans ses Hoiai :

[428c] C'est ainsi que Bacchus a procur aux hommes de la joie et de la haine. Celui qui boit beaucoup, perd la raison dans le vin. Il lui lie les pieds et les mains, la langue et l'me, sans qu'il s'en aperoive, et le doux sommeil s'en empare.

Thognis crit :

Je viens aprs avoir bu assez pour allier tous les charmes du vin la raison ; je ne suis donc ni jeun, ni ivre. Si un homme boit outre mesure, il n'est plus matre ni de sa raison, [428d] ni prsent rien. Il ne lche que des absurdits, dont il rougit lorsqu'il est jeun. Il se porte tout, sans honte, dans son ivresse, au lieu d'tre prudent et modr comme auparavant. D'aprs ces avis, ne bois donc pas trop de vin. Lve-toi, et vas t'en avant d'tre ivre. Que ton ventre ne te matrise pas, comme un journalier lche et mercenaire.

Le sage Anacharsis, montrant au roi des Scythes la vertu de la vigne [428e] et ses brins, lui dit : Si les Grecs ne taillaient pas la vigne tous les ans, ces brins se seraient dj tendus jusqu'en Scythie.

(1033) Les statuaires et les peintres ont tort de reprsenter Bacchus ivre. Il n'est pas moins indcent de le promener ainsi sur un chariot au milieu des places publiques; en effet, c'est montrer aux spectateurs que ce dieu se laisse matriser par le vin. Or, quel homme honnte souffrirait d'tre ainsi traduit publiquement ? Si on reprsente Bacchus dans cet tat, parce qu'il a fait connatre la vigne, on pourra donc aussi reprsenter [428f] Crs moissonnant et mangeant du pain.

Au reste, je dirai ici qu'Eschyle mrite de justes reproches, pour avoir produit sur la scne, et dans la tragdie mme, des personnages ivres : car ce n'est pas Euripide qui a le premier commis cette faute, comme quelques-uns le prtendent. En effet, Jason et ses compagnons paraissent ivres dans les Cabires d'Eschyle; mais le pote donnait ses inclinations ses hros. Eschyle avait toujours une pointe de vin lorsqu'il composait ses tragdies. [429] Si l'on en croit ce que Camlon nous dit de ce pote, Sophocle lui fit un jour ce reproche :

Eschyle, tu fais bien, mais sans le savoir.

C'est aussi tre mal instruit que de prtendre que ce soit picharme, et, aprs lui, Crats, dans ses Voisins, qui aient produit sur le thtre un personnage ivre.

Nous savons qu'Alce le pote lyrique, et Aristophane le comique, crivirent leurs pomes dans l'ivresse. Plusieurs autres personnages sujets s'enivrer n'en ont combattu que plus valeureusement la guerre.

Mais chez les Locriens Epizphyriens, il y avait une loi porte par Zaleucus, en vertu de laquelle il tait dfendu, sous peine de mort, de boire du vin, moins que ce ne ft comme mdicament et par l'ordre d'un mdecin. A Marseille, une loi ordonnait aux femmes de ne boire que de l'eau ; et Thophraste [429b] rapporte que cette mme loi tait aussi observe de son temps Milet. A Rome, la loi dfendait le vin aux esclaves, aux femmes libres, et aux adolescents jusqu' trente ans.

On est choqu de voir Anacron rpandre l'ivresse dans toutes ses posies; on lui reproche de se montrer dans ses vers comme livr la mollesse et la volupt; mais nombre de gens ignorent qu'Anacron tait un homme honnte, et toujours rassis lorsqu'il crivait, feignant d'tre tourdi par les vapeurs du vin, lorsqu'il pouvait se montrer trs sobre et trs rserv.

(1034) D'autres, ignorant la vertu du vin, disent que c'est Bacchus qui rend les hommes insenss, et chargent ce dieu d'une atroce calomnie. [429c] Milanippide dit ce sujet:

Tous abhorrrent l'eau, aprs avoir connu la vertu du vin qu'ils avoient ignore. Les uns se mirent boire prcipitamment, les autres ne pouvaient dj plus articuler les mots.

Aristote dit, dans son Trait de l'Ivresse, que le vin qu'on a modrment fait bouillir enivre moins, parce qu'on en diminue la force par i'bullition. Les vieillards, ajoute-t-il, s'enivrent promptement, parce qu'ils n'ont que trs peu de chaleur autour d'eux. Les sujets trs jeunes, au contraire, sont bientt tourdis des vapeurs du vin, parce qu'ils ont beaucoup de chaleur interne. La chaleur du vin se joignant la leur, toutes les facults sont facilement interceptes.

Parmi les animaux, les cochons s'enivrent en se repaissant de marc de raisin. Il en est de mme des corbeaux et des chiens, lorsqu'ils mangent de l'herbe qu'on appelle oinoutta ; du singe et de l'lphant, en buvant du vin. C'est pourquoi les chasseurs prennent les singes en leur laissant boire du vin avec lequel ils s'enivrent, et les corbeaux avec de l'noutte.

[429e] Mais, dit Crobyle, dans son Apolypuse:

Quel plaisir y a-t-il s'enivrer sans intermission, et ne vivre que pour se priver de la raison, le plus grand bien que l'espce humaine ait reu ?

Alexis dit aussi dans son Phrygien retouch :

Si l'ivresse pouvait prcder la boisson, non, certes, aucun de nous ne boirait de vin outre mesure; mais comme nous ne nous attendons pas tre punis promptement d'avoir bu, nous avalons les verres de vin sans le dtremper.

[429f] Aristote rapporte que le mlange de trois cotyles de vin, samagoraion, suffirent pour enivrer plus de quarante hommes.

(1035) Dmocrite, aprs avoir fait ce rcit, but un verre de vin, et dit : Si quelqu'un peut me contredire avec raison, qu'il se fasse connatre ; pour lors je lui rpondrai par ce vers d'venus :

Cela te semble ainsi ; je vois autrement.

Mais puisque je me suis cart de ce que j'avais commenc dire sur les proportions d'eau et de vin que les anciens mlaient pour boire, je vais reprendre le mme sujet, rappelant d'abord ce qu'a dit le pote lyrique Alce. [430] Voici ce passage :

Verse, mlant un et deux.

Quelques-uns pensent qu'il ne parle pas ici de mlange ; mais qu'tant rserv sur la boisson, il ne buvait d'abord qu'un verre de vin pur, allant ensuite jusqu' deux. Or, Camlon du Pont (qui l'entend ainsi) montre qu'il ignorait que le pote Alce aimait beaucoup le vin. En effet, on le trouve boire en toute saison, et en quelque circonstance que ce soit. Voici ce qu'il dit : 1. en hiver,

La pluie tombe ; la tempte gronde sous le ciel ; le cours des fleuves est suspendu par la gele : [430b] dissipe le froid en faisant du feu : mle-moi largement un vin vermeil, et pose-moi sous la tempe un coussin mollet.

2. en t :

Arrose ton poumon de vin; car la canicule fait sa rvolution ; la saison devient insupportable, tout est altr par la chaleur brlante.

3. au printemps

Dj j'ai aperu les fleurs du printemps : mle-moi donc promptement( ajoute-t-il) un cratre de vin savoureux.

4. dans les revers,

Ne murmurons pas contre les coups du sort : [430c] ! Bacchis, en vain nous abandonnerons-nous la douleur. Le meilleur remde est de nous enivrer en buvant d'excellent vin,

5 . Dans la joie, ou la prosprit,

C'est maintenant qu'il faut boire, et faire malgr nous quelque effort, car Myrsile vient de mourir.

Il conseille ensuite, gnralement, de planter de la vigne prfrablement tout autre arbre.

Comment donc pouvoir regarder comme sobre sur l'article du vin, et se contentant d'un deux verres de vin, un homme qui aimait tant boire ! Aussi Seleucus dit-il que cette pice de vers dpose contre ceux qui interprtent un et deux, comme Camlon. Le mme pote dit encore ailleurs :

[430d] Buvons : pourquoi teindre les lumires? Le jour n'a qu'un doigt de large. Sers-nous donc de grands verres; ensuite tu les varieras, car le fils de Smel et de Jupiter a donn le vin aux hommes pour leur faire oublier les peines. Verse donc en mlant un et deux } mais a pleins verres, et qu'une rasade chasse de la tte les fumes de l'autre.

On voit qu'il dit expressment de mler un sur deux ;

(1036) mais Anacron veut encore le vin plus pur.

Verse, dit-il, dans une clbe bien nette cinq et trois.

Philtaire, dans son Tree, indique deux d'eau sur trois de vin pur. Voici ses termes :

Il semble qu'il a bu dans la proportion de deux [430e] sur trois de vin pur.

Phrcrate, dans sa pice intitule Corianne, parle de deux parties d'eau sur quatre de vin.

A. ... quitte cela. Oh ! il ne t'a vers que du vin doucetre noy d'eau. B. Oui, c'tait de l'eau toute pure. A. Qu'as-tu donc fait? sclrat ! comment as-tu vers ? C. Deux d'eau. A. Ah le butor ! et de vin, combien? C, Quatre. A. Peste soit de toi ! tu n'es bon qu' verser boire aux grenouilles!

[430f] Ephippe dit, dans sa Circe:

A. . . trois sur quatre. B. Mais tu boiras avec plus de sret beaucoup de vin bien dtremp. A. Par la terre ! oh ! je veux trois sur quatre. B. Dis-moi donc, tu bois ainsi le vin pur? A. Que dis-tu-l ?

(1037) Timocls indique quantit gale d'eau et de vin dans son Konissale :

Je te forcerai dire la vrit grands coups de vin tendu d'gale quantit d'eau.

[431] Alexis dit, dans sa Dorcis, ou Flatteuse :

Je vous porte des sants plein verre, avec autant de vin que d'eau.

On lit dans la Pourpre de Timocls, ou de Xnarque:

Par Bacchus, tu avales ton vin avec autant d'eau.

Sophile crit, dans son Enchiridion:

On servit continuellement du vin, tendu de moiti eau; ensuite on demanda un plus grand verre.

Alexis dit, dans son Usurier, ou le Menteur convaincu :

A. Ne lui sers absolument pas de vin pur : [431b] entends-tu bien? B. Faut-il donc qu'il y ait moiti eau, moiti vin? A. A peu prs. B. Fort bien. C. Voil de bien bon vin ! de quel pays est ce Bromios ? A. Tu plaisantes, je crois : il est de Thase. Il est juste que les trangers boivent le vin tranger, et les indignes ceux du pays.

Le mme dans son Suppos, ou Btard:

Mettant sec, et sans reprendre haleine, un verre de vin tendu de moiti eau, qu'il avale avec autant de dlice que personne.

On lit dans les frres de Mnandre :

Quelqu'un leva la voix, demandant qu'on verst huit et mme douze cyathes, voulant mettre les autres bas.

[431c] Le pote se sert du mot mettre bas, employant, pour marquer l'effet de l'ivresse, qui renverse les buveurs, le mot dont on se sert lorsqu'on abat les fruits des arbres.

Alexis dit, dans son Apokoptomne, ou Retranch :

Chras n'tait pas le symposiarque, mais un bourreau qui, aprs avoir port vingt sants avec autant de cyathes, moiti eau, moiti vin, demanda de plus grands verres.

(1038) Diodore de Sinope prsente ce passage dans sa Joueuse de flte :

Criton, lorsqu'on a bu dix cyathes, [431d] la raison permet-elle de continuer boire, chaque fois plein verre, pendant le reste du repas ? Rflchis donc bien ceci.

Hgsandre rapporte, dans ses Commentaires, un trait fort spirituel de Lysandre de Sparte. Les vivandiers qui taient la suite de son arme, vendaient aux soldats du vin qui n'tait presque que de l'eau : dsormais, leur dit ce Gnral, vous aurez soin de vendre du vin ml avec de l'eau. Il voulait ainsi les forcer d'acheter du vin trs pur, et capable de porter l'eau.

Alexis dit quelque chose de semblable dans son sope.

A. Solon, c'est une chose bien imagine chez vous Athnes. S. Quoi donc ? A. De ne boire que du vin tendu aux festins. S. Il est bien difficile de le faire autrement, car il est dj ml sur les chariots de ceux qui le vendent ; [431e] non qu'ils envisagent trop leur intrt, mais c'est par prvoyance, et pour mnager la tte de ceux qui l'achtent ; enfin, de peur qu'ils ne s'enivrent. A. Cela est-il ainsi? S. Eh ! tu le vois : d'ailleurs il est d'usage chez les Grecs de ne boire qu'avec de petits verres, le plaisir tant de jaser et de foltrer agrablement entre eux. [431f] Boire autrement, c'est se baigner dans le vin; et autant vaut-il se tuer que de se servir de psyktres et de seaux pour avaler le vin.

(1039) Mais boire jusqu' l'ivresse, dit Platon, liv. 6 des Lois, si l'on excepte les ftes du dieu qui a produit le vin, c'est en gnral manquer l'honntet : ce n'est mme pas sans danger, surtout lorsqu'on se dispose s'engager dans le mariage, circonstance o l'poux et l'pouse doivent montrer la plus grande circonspection, vu le changement considrable de la vie qu'ils vont mener ensemble, et afin que leurs enfants naissent, autant qu'il est possible, de parents sobres et rservs : [432] car ils ignorent toujours quel nuit ou quel jour a t conu l'enfant qui doit natre d'eux.

Il dit encore dans ses Lois, liv. 11 :

Lacdmoniens, autant vous vous gardez de vous enivrer, autant les Lydiens, les Perses, les Carthaginois, les Celtes, les Ibriens, les Thraces et autres peuples sont abandonns l'ivresse. Les Scythes et les Thraces boivent toujours le vin pur, tant hommes que femmes, et en versent sur les habits des convives, pensant faire quelque chose de bien beau, et se flicitent ainsi rciproquement, en suivant avec zle cet usage. Quant aux Perses, ils se livrent encore d'autres agrments voluptueux que vous rejetez svrement.

CHAP. IX.

(1040) [432b] Mais nombre d'autres buvaient beaucoup plus modrment que ceux-l, et jetaient de la farine dans leur vin, comme le dit Hgsandre de Delphe. Mnsiptolme avait fait un recueil de ses lectures historiques, et y remarquait que le roi Sleucus y buvait du vin ml de farine. Epinicus en prit occasion de faire une comdie du nom mme de Mnsiptolme qu'il y persifla, se servant des mmes termes que lui pour exprimer cette boisson. Il y dit donc :

[432c] Voyant le roi Sleucus se rgaler de vin enfarin, pendant un jour d't, je me suis mis crire, et j'ai montr que ce fait tout ordinaire, et si peu important qu'il est, pouvait tre prsent avec certaine noblesse par mon talent potique. Je mlai donc, dans un gobelet de terre vitrifie, du vieux vin de Thase, un rayon savoureux de miel fait par l'abeille qui va patre sur les fleurs du pays d'Attique; puis y dlayant de la farine, je m'en prparai une boisson lubrfiante pour dissiper l'ardeur de la soif.

Le mme rapporte que dans les les Thrasies quelques-uns mlent avec le vin un jaune d'uf au lieu de farine, [432d] et que cette boisson passe pour tre plus agrable que celle qui est la farine.

(1041) Les Lacdmoniens ne connaissaient pas le verre de vin (proposis) qu'on buvait la ronde en se mettant table, et ne se portaient pas de sant les uns aux autres, le verre la main. C'est ce que Critias fait voir dans ses lgies.

C'est un usage gnralement observ Sparte que tous boivent table le vin dans le mme vaisseau o il est prsent. On n'y porte pas de sant en nommant la personne qui l'on boit, [432e] et l'on n'y fait pas circuler le verre la ronde parmi les convives, en allant droite. Mais les Lydiens .... ont pour usage de porter des sants en prsentant les verres droite, et de nommer celui a qui ils veulent boire. Aprs avoir ainsi bu, ils donnent libre carrire leur langue sur des sujets obscnes, et s'nervent de plus en plus le corps; des nuages obscurs se fixent sur leurs yeux; l'oubli leur fait perdre de vue les gards qu'ils se doivent; [432f] leur esprit s'gare ; leurs serviteurs se comportent avec insolence : enfin, ils se jettent dans des dpenses qui ruinent leurs maisons. Les jeunes Lacdmoniens,au contraire, ne boivent qu'autant qu'il faut pour que chacun d'entre eux quitte alors son bouclier, afin de se livrer la gaiet, aux charmes d'une aimable conversation, o jamais on ne rit immodrment. C'est en buvant ainsi qu'on rend le vin utile au corps, l'esprit, et qu'on mnage sa fortune : on est en tat d'avoir de la postrit, et on s'abandonne avec avantage au sommeil, qui est comme le port du travail ; [433] enfin, le vin fortifie alors la sant, ce prcieux prsent que les dieux font aux mortels, et l'on n'oublie pas la sagesse qui est toujours voisine de la pit.

Il dit encore :

La boisson pousse outre mesure, en saluant les convives, ne fait d'abord plaisir que pour affliger le reste de la vie. [433b] Mais la manire de vivre des Lacdmoniens est toujours uniforme : c'est boire, manger publiquement avec modration ; tre toujours en tat de travailler. N'est-ce pas au contraire un drglement que de se surcharger le corps de vin pendant le jour!

(1042) On appelle , en grec, celui qui aime le vin; celui qui se plat boire, et , celui qui se met souvent en dbauche avec le vin. Nestor, trois fois vieux, comme on dit, tait celui qui buvait le plus des hros : car il tait plus que tout autre adonn au vin, sans excepter mme Agamemnon, qui Achille reproche de boire immodrment. A la veille mme du combat le plus sanglant, Nestor ne s'abstenait pas de boire. [433c] C'est ce qu'Homre fait entendre dans ce vers:

Le cri tumultueux des combattons fut entendu de Nestor, tout occup qu'il tait boire.

C'est mme de Nestor seul que le pote a dcrit le vase boire; comme Achille est le seul dont il ait comment le bouclier. En effet, Nestor ne quittait pas son vase dans les expditions militaires, comme Achille ne paroissait pas sans son bouclier, dont la gloire, disait Hector, brillait jusqu'au ciel. Ce ne serait mme pas se tromper que d'appeler ce vase de Nestor la coupe de Mars, selon le Cne d'Antiphane, qui s'y exprime ainsi :

Il demanda tout craintif la coupe, arme de Mars, selon Timothe, et le javelot bien poli.

Comme Nestor aimait le vin, [433d] Achille lui fit prsent d'une coupe aux jeux des funrailles de Patrocle, mais non qu'il y et remport quelque chose; d'ailleurs, Achille n'a-t-il pas aussi donn une coupe au pugil qui avait t vaincu, soit parce qu'il aimait boire, car la victoire n'accompagne pas les buveurs, vu le relchement total que leur cause le vin ; soit parce qu'il avait soif : or, c'est surtout la soif qui devient prjudiciable ces gens, en leur abattant les bras lorsqu'ils veulent les porter contre leur adversaire. D'un autre ct, Eumle reut pour prix une cuirasse, arme faite pour la sret, car il avait fait une chute dangereuse en courant, et s'en tait tir avec peine.

(1043) [433e] J'observerai qu'il n'y a pas de dsir plus pressant que celui de la soif; c'est pourquoi Homre appelle Argos Polydipsion, voulant marquer l'ardent dsir que les Grecs avaient de revoir cette ville depuis longtemps, car la soif prise gnralement pour dsir, donne gnralement la plus grande envie de jouir de la chose dsire. C'est ce qui fit dire Sophocle :

Quelques sages rflexions que vous produisiez celui qui a soif, vous ne lui en ferez pas plus de plaisir si vous ne lui donnez pas boire.

Archiloque a dit:

J'ai autant d'envie d'en venir aux mains avec toi, qu'un homme press par la soif dsire de boire.

Et Anacron:

Car tu aimes les trangers; permets-moi donc de boire ma soif.

Un des potes tragiques a dit au sens figur.

Je t'ordonne d'arrter ta main altre de sang.

Xnophon, dans sa Cyropdie, liv. 3, fait ainsi parler Cyrus :

J'ai soif (je brle d'envie) de vous accorder cette faveur.

Platon dit, dans sa Rpublique (liv. 8) :

Il me semble que quand une ville rpublicaine soif de (dsire ardemment ) la libert, si par hasard elle n'a que de mauvais chansons pour la rgler, et qu'elle boive beaucoup plus de vin pur qu'il ne lui en faut, etc.

(1044) [434] Protas le Macdonien buvait beaucoup, comme le rapporte Ephippus dans sa relation de la Spulture d'Alexandre et d'phestion, cependant ce Protas a joui d'une sant robuste, quoiqu'ayant l'habitude de boire si considrablement. Il arriva donc qu'Alexandre demanda un gobelet de deux conges, et en gota pour saluer Protas qui il le prsenta. Celui-ci le reut, et complimentant beaucoup le roi, il le but de manire tre applaudi de tous les assistants. Peu--prs, Protas demanda le mme gobelet, en gota pour saluer le roi qui il le prsenta. [434b] Alexandre le prit et le but courageusement; mais, loin de pouvoir le supporter, il baissa la tte sur l'oreiller en lchant le vase de ses mains. Pris de maladie par cette indiscrtion, il en mourut, et ce fut, dit-on, l'effet de la vengeance de Bacchus, irrit contre Alexandre de ce qu'il avait pris et ruin la ville de Thbes, sa patrie.

Alexandre tait trs adonn au vin, de sorte que quelquefois il s'enivrait, et donnait deux jours et deux nuits de suite : c'est ce qui est prouv dans les journaux de sa vie, crits par Eumne de Cardie, et Diodote d'rythre.

Mnandre crit dans son Flatteur :

[434c] A. Mon cher Struthia, j'ai bu dans la Cappadoce un Condy d'or tenant dix cotyles, et je l'ai vid trois fois plein. B. Vous avez donc bu plus que le roi Alexandre. A. Ma foi ! tout autant. B. Cela est bien glorieux !

Nicobule, ou l'auteur qui a publi ses crits sous ce nom de femme, rapporte qu'Alexandre soupant chez un Thessalien nomm Mdus, avec dix-neuf autres convives, fit raison chacun, lorsqu'on lui porta la sant, buvant lui seul autant que tous en particulier ; mais qu'en quittant la table, il ne tarda pas se mettre au lit.

Callisthne, le Sophiste, [434d] se trouvant un repas chez Alexandre, refusa de boire son tour le gobelet qui venait lui. Quelqu'un lui disant:

Pourquoi donc ne bois-tu pas ?

Il est fort inutile, rpond Callisthne, que je m'oblige de recourir Esculape aprs avoir bu en Alexandre.

C'est ce qu'assurent Lynce de Samos dans ses Mmoires, Aristobule et Chars dans leurs Histoires.

(1045) Darius, celui qui tua les prtres (usurpateurs du trne), eut ce qui suit pour pitaphe.

J'AI T EN TAT DE BOIRE BEAUCOUP DE VIN, ET DE LE BIEN PORTER.

Selon Ctsias, il n'est pas permis au roi de s'enivrer chez les Indiens. [434e] Chez les Perses, au contraire, le roi peut s'enivrer certain jour; c'est lorsqu'on sacrifie Mithra. Voici ce qu'en crit Douris, liv. 7 de ses Histoires :

Il n'y a que la seule fte que les Perses clbrent en l'honneur de Mithra, dans laquelle le roi soit libre de s'enivrer, et de danser la persique. Du reste, aucune autre personne de l'Asie ne s'enivre ce jour-l, et tout le monde s'y abstient de danser, car il faut observer que les Perses s'appliquent autant la danse qu' l'quitation, et pensent que le mouvement ncessaire [434f] pour cette premire occupation donne la facilit d'exercer la force du corps avec grce et rgularit.

Mais Alexandre tait si enclin l'ivrognerie, dit Carystius de Pergame, dans ses Mmoires Historiques qu'il se livrait cette dbauche sur un char tran par des nes; ce que les rois de Perse faisaient aussi; mais d'un autre ct Alexandre en tait devenu indiffrent pour les femmes. Aristote dit, dans ses Problmes physiques, que ces gens n'ont qu'un sperme aqueux. [435] Selon les lettres d'Hironyme:

Thophraste dit aussi qu'Alexandre tait peu propre aux bats amoureux. Sa mre Olympias (du consentement de Philippe) fit coucher auprs de lui une courtisane Thessalienne, nomme Callixine, femme d'une rare beaut, car ils craignaient qu'Alexandre ne ft impuissant; mais elle fut oblige de lui faire les plus pressantes sollicitations pour l'engager passer dans ses bras.

(1046) Philippe, pre d'Alexandre, n'tait pas moins ivrogne, selon le rapport de Thopompe, liv. 6 de ses Histoires. [435b] Dans un autre endroit du mme ouvrage, il dit :

Philippe tait fougueux, et s'exposait tmrairement au danger, tant naturellement que par l'ivresse,car il buvait beaucoup; et souvent, quoique pris de vin, il volait au secours des siens, et les tirait de danger.

Le mme historien parlant, liv. 53, de ce qui se passa Chrone, et de la manire dont il invita souper les ambassadeurs Athniens qui se prsentaient, ajoute que ces ambassadeurs s'tant retirs, Philippe envoya chercher aussitt plusieurs de ses amis, et fit appeler des joueuses de flte, Aristonicus le Citharde, Dorion le joueur de flte, [435c]et tous. les autres qui buvaient ordinairement avec lui. Il se faisait pa-tout accompagner de tels personnages, ayant d'ailleurs soin d'tre pourvu de quantit d'instruments tant pour les repas que pour ses assembles. Comme il tait grand buveur, et d'un caractre ptulant, il avait avec lui nombre de bouffons, de musiciens, et autres gens analogues pour le faire rire par leurs propos. Ayant donc pass toute la nuit boire et s'enivrer, mener grand bruit, il permit tout ce monde de se retirer comme il faisait dj jour, et alla continuer sa dbauche chez les ambassadeurs d'Athnes.

[435d] Selon les Commentaires Historiques de Carystius, lorsque Philippe s'tait propos de s'enivrer, il disait:

Il faut boire; c'est assez qu'Antipatre soit sobre.

Comme il jouait aux ds, quelqu'un lui dit : Voici Antipatre qui vient. Philippe fort embarrass poussa l'abaque sur le lit.

(1047) Thopompe range, parmi les buveurs et les ivrognes, Denys le jeune, tyran de Sicile, qui le vin avait fort obscurci la vue. Aristote rapporte, dans sa Rpublique de Syracuse, [435e] que ce tyran tait quelquefois ivre pendant trois mois, et que sa vue en avait t fort affaiblie. Thophraste a dit que les amis de ce prince, vils flatteurs de la tyrannie, faisaient semblant de ne pas voir, souffrant mme table qu'il leur conduist les mains aux mets qu'on servait et aux verres boire, comme s'ils ne les apercevaient pas; ce qui leur fit donner le nom de Dionysocolax.

Nyse, tyran de Syracuse, et Apollocrate [435f] taient pareillement grands buveurs. Ils taient fils de Denys l'ancien, comme Thopompe le rapporte liv. 40 de ses Histoires. Or, voici ce qu'il crit de Nyse :

Ayant succd ( Denys) dans la tyrannie de Syracuse, il fut mis en prison pour tre condamn mort. Prvoyant qu'il n'avait que quelques mois vivre, il les passa dans la bonne chre et le vin.

[436] Selon le mme historien, liv. 39, Apollocrate, fils de Denys le tyran, tait un homme effrn, livr l'ivrognerie. Ses flatteurs mettaient tout en uvre pour l'indisposer contre son pre, autant qu'il tait possible. Il ajoute qu'Hipparinus, autre fils de Denys, tant devenu souverain, fut gorg lorsqu'il tait ivre.

Il parle encore ailleurs de Nyse :

Fils de Denys l'ancien, et devenu matre absolu du gouvernement de Syracuse, il se lit faire un chariot auquel on attelait quatre chevaux, et se vtit d'un habit de diverses couleurs. Il s'abandonna au plaisir de la bonne chre et du vin, [436b] ne respecta ni jeunes garons, ni femmes, et s'abandonna enfin tous les dsordres ordinaires de tels souverains.

Voici ce qu'il dit de Timolas le Thbain, liv. 46.

Quelque grand qu'ait t le nombre des hommes livrs habituellement d'infmes dbauches et l'ivrognerie, je pense qu'il n'y a jamais eu d'homme revtu d'une partie de l'autorit publique, plus intemprant, ni plus gourmand, ni plus esclave des plaisirs que ce Timolas, comme je l'ai dit ailleurs.

Le mme parlant, liv. 28, de Charidme d'Ore, qui les Athniens donnrent le droit de cit, nous le peint ainsi:

[436c] On le vit se comporter d'une manire si licencieuse et si impudique, qu'il tait toujours pris de vin, osant dshonorer les femmes des plus respectables citoyens. Il poussa mme l'effronterie jusqu' demander au snat des Olynthiens, un jeune garon, d'une trs belle figure et d'un port charmant, qui avait t fait prisonnier de guerre avec Derdus de Macdoine.

(1048) [436d] On compte aussi parmi les grands buveurs certain Arcadion. Je ne sais si c'est celui qui devint ennemi de Philippe. Au reste, sa passion pour le vin est prouve par l'pigramme suivante que Polmon a place parmi celles qu'il a crites sur les diffrentes villes.

Dorcon et Charmyle ont lev ce monument, prs du chemin public, leur pre Arcadion, le grand buveur. Passant, cet homme mourut d'avoir bu du vin pur, plein un large gobelet.

Une autre pigramme nous apprend que certain Erasixne buvait aussi beaucoup.

[436e] Un gobelet de vin bu deux fois plein emporta publiquement Erasixne, ce grand buveur.

Alctas le Macdonien ne buvait pas moins, selon les rapports d'Ariste de Salamine, et de Diotime d'Athnes. On le surnommait mme l'entonnoir, parce que se mettant un entonnoir dans la bouche il avalait sans interruption le vin qu'on y versait. Telle fut la cause de ce sobriquet, dit Polmon.

Il a t dit prcdemment que Clomne de Lacdmone aimait boire son vin pur ; [436f] mais Hrodote crit qu'il se tua de sa propre pe tant ivre.

Le pote Alce aimait aussi boire, comme je l'ai rapport. Baton de Sinope a fait un ouvrage touchant le pote Ion, et y assure qu'il tait passionn pour les femmes et le vin ; mais Ion avoue lui-mme, dans ses lgies, qu'il aimait Chrysille de Corinthe, fille de Tle, laquelle fut aussi aime de Pricls d'Olympie, selon ce que rapporte Tlclide dans ses Hsiodes.

Xnarque de Rhodes fut surnomm la Mtrte, cause de sa passion pour le vin. Euphorion le pote pique en fait mention dans ses Chiliades.

(1049) Chars de Mitylne, qui a crit l'histoire d'Alexandre, y raconte que [437] Calanus, philosophe Indien, s'tant jet dans un bcher embras, y mourut; mais Alexandre lui fit clbrer des jeux funbres, o l'on disputa mme le prix de la musique par des chants destins la louange de ce philosophe. Comme les Indiens aiment le vin, il invita aussi les grands buveurs disputer entre eux qui boirait le plus. Le premier prix tait un talent d'argent, le second trente mines, et le troisime dix. De tous ces buveurs il en mourut sur-le-champ trente-cinq qui eurent les sens glacs. Peu aprs, il en prit encore six autres dans les tentes. [437b] Celui qui remporta la victoire fut un nomm Promachus; il avait bu quatre conges de vin pur.

Selon Time; Denys le tyran, lors de la fte des conges, proposa pour prix une couronne d'or celui qui, le premier, aurait bu un conge de vin ; et ce fut le philosophe Xnocrate qui l'eut le premier achev. Prenant la couronne d'or avec soi, lorsqu'il se retira, il l'a mit l'Herms, ou Mercure, qui tait devant le vestibule, et auquel il avait coutume de mettre toutes ses couronnes de fleurs, lorsqu'il s'en retournait au soir chez lui. Cette action lui acquit beaucoup de gloire.

[437c] Quant la fte des conges, voici ce qu'en dit Phanodme :

On clbrait cette fte Athnes. Le roi Dmophoon eut dessein de recevoir Oreste, qui venait d'arriver dans cette ville; mais ne voulant pas l'admettre aux crmonies sacres, ni qu'il et comme les autres aucune part aux libations, parce qu'il n'avait pas encore t jug, Dmophoon fit fermer les lieux sacrs, et donner chacun en particulier un conge de vin, promettant une galette pour prix celui qui le premier aurait bu son conge. Il fit savoir aussi que, lorsqu'on aurait fini de boire, personne ne dposerait dans les lieux sacrs les couronnes que chacun avait sur la tte, parce qu'on s'tait trouv sous le mme toit avec Oreste; [437d] mais qu'il fallait en entourer le conge dans lequel on aurait bu, et porter ainsi la couronne la prtresse dans le terrain sacr des Limnes; ensuite il permit d'achever les sacrifices dans le temple.

C'est depuis ce temps-l que l'on nomma ce jour la fte des conges. Les Athniens ont coutume d'envoyer le jour de cette fte des prsents et des rcompenses aux Sophistes, qui de leur ct invitent leurs amis pour les rgaler, comme le dit Eubulide le Dialecticien dans sa pice intitule les Comastes :

Tu fais le Sophiste, coquin que tu es ! mais pour avoir un souper dlicieux, il faudrait que la fte des Conges te procurt quelques prsents, ou quelque salaire.

(1050) [437e] Antigone de Caryste; qui a crit la vie de Denys d'Hracle, surnomm Metathmne (apostat), rapporte que ce Denys faisant avec ses domestiques la fte des conges, et ne pouvant cause de sa vieillesse goter tous les charmes d'une jolie femme que ces gens lui avoient amene, se tourna vers les convives, et leur dit, avec ce vers d'Homre :

Non, je ne puis tendre: qu'un autre prenne son tour.

Depuis sa jeunesse, Denys avait t extrmement passionn pour les femmes, selon ce que dit Nicias de Nice dans son Trait des Successions, et se livrait mme indiffremment aux filles publiques. tant un jour sorti avec quelques amis, il passa devant une maison o il y avait des grisettes, qui il devait quelques pices de cuivre de la veille; sans scrupule il allonge le bras, et les leur donne en prsence de tous ceux qui taient l.

Anacharsis, philosophe Scythe, se trouvant chez Priandre, [438] o il y avait un prix de propos au plus grand buveur, le demanda comme s'tant enivr le premier de toute l'assemble, disant que si l'on tait vainqueur la course en arrivant le premier au but, on devait aussi tre regard comme tel, lorsqu'on parvenait le premier s'enivrer, ce qui tait le terme de la boisson.

Lacyds et Timon, l'un et l'autre philosophes, ayant t invits pour deux jours chez quelques amis, et ne voulant pas se refuser quelque complaisance pour les convives, burent assez largement. Or, Lacyds se retira le premier jour avant Timon, sentant dj les vapeurs du vin lui monter la tte. Timon le voyant sortir, lui dit, avec ce vers d'Homre,

Nous avons acquis une grande gloire : le courageux Hector est mort sous nos coups.

Le lendemain Timon ayant port la sant Lacyds ne put vider d'un trait tout le gobelet qu'on lui prsenta. [438b] Lacyds voyant qu'il buvait plusieurs reprises, lui dit son tour :

Ce sont les enfants des pres infortuns, qui osent se prsenter devant mon bras valeureux.

(1051) Voici ce qu'Hrodote raconte dans son second livre au sujet de Mycrinus, roi d'gypte. Ce prince ayant appris des devins qu'il ne vivrait pas longtemps, se fit prparer beaucoup de lampes pour tre allumes nuit tombante, et se mit boire, et se divertir, sans intermission le jour et la nuit ; passant tantt dans les marais, tantt dans les bocages, et partout o il apprenait qu'il y avait des assembles de jeunes gens qui buvaient, et il buvait ainsi partout. Le mme rapporte qu'Amasis, autre roi d'gypte, tait aussi grand buveur.

[438c] Hermias de Mthymne dit, liv. 3 de son Histoire de Sicile, que Nicotls de Corinthe aimait passionnment le vin. Phanias d'Erse, qui a crit un ouvrage sur les tyrans punis de mort, y rapporte que Scottas, fils de Cron, et petit fils de Scottas l'ancien, ne buvait pas moins ; qu'il revenait des festins port sur un sige par quatre hommes, et se rendait ainsi chez lui.

Selon Phylarque, liv. 6 de ses Histoires, le roi Antiochus aimait beaucoup le vin, s'enivrait, et se tenait le plus souvent au lit, se rveillant vers la nuit pour recommencer boire. [438d] Ivre la plupart du temps, peine se trouvait-il jamais assez libre de vin pour jeter un coup d'il, en passant, sur les affaires publiques. Voil pourquoi il avait auprs de lui, pour gouverner son royaume, Ariste et Thmison de Chypre, deux frres qu'il aimait.

(1052) Antiochus, surnomm piphane, qui avait t donn en otage aux Romains, tait aussi adonn au vin. Ptolme vergte en parle liv. i de ses Commentaires; mais voici ce qu'il en dit dans le cinquime :

[438e] S'tant abandonn aux dbauches et l'ivrognerie des Indiens, il dissipa des sommes considrables, et s'il lui en restait encore aprs les folies qu'il avait faites pend