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Au nom du MAÎTRE Jean-Paul FOSSET

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Au nom du MAÎTRE

Jean-Paul FOSSET

28.88 630135

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 370 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 27.9 ----------------------------------------------------------------------------

Au nom du MAÎTRE

Jean-Paul Fosset

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Ovorum nomina scripti sint in caelis. Que tous les noms inscrits ici soient aux cieux.

J’ai ine saco à t’dire : allum habile ech’ quinquet, un cadafe ch’est toudis frod…

J’ai quelque chose à te dire : allume vite la lumière, un cadavre c’est toujours froid…

« Ceci n’est pas un policier » Jean-Luc Geiger

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Préambule

L’Ombre

On me dit fou. J’en conviens sans détour, mais sans émotion non plus, tellement la folie s’est emparée de moi depuis de longues années. Je ne sais à vrai dire comment elle m’est venue, subrepticement sans doute, comme une maladie qui couve à l’intérieur de soi et soudain apparaît. Enfant déjà, on me regardait curieusement. Parfois même, on s’inquiétait pour moi, ma tante Rosa surtout qui, depuis ma naissance, ne me quittait pas des yeux.

– On se ressemble tant, Manuel ! J’avais haussé les épaules, en silence. Depuis ce jour, elle ne m’avait plus lâché. – Tu es aussi fou que moi mais tu ne le sais pas

encore ! J’ai mis longtemps à le savoir. Et puis, je l’ai

découvert, un matin d’été plus précisément alors que je visitais un abattoir.

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– On apprend beaucoup dans ces lieux, Manuel ! C’est un souvenir maintenant, cruel mais si doux

pourtant, comme une première découverte ou bien une naissance. Le soir même, j’ai dit à Rosa.

– Je le sais maintenant ! – Même mon chien le savait, a-t-elle répondu.

Satisfaite. Des souvenirs j’en ai, mais comme celui-ci aucun !

C’est le premier de mon nouvel état, celui fondateur qui a guidé ma vie entière. Je le garde au fond de moi comme le secret du cloaque ou l’ultime trace d’un ami cher et perdu. Je ne peux donc que difficilement en parler, vous le comprendrez…

Seul me plaît le souvenir de Rosa et de son chien qui mangeait à sa table et dormait dans son lit. J’y vois la grande capacité d’invention des hommes, qui les hisse toujours au-dessus de leur condition.

– Je suis une chienne qui parle ! Avait-elle ri… … et j’avais aimé son ricanement… « Tu es folle »

avais-je pensé tandis qu’une joie extraordinaire m’envahissait. Celle de l’être déjà, peut-être. Sans doute. Fou. Fou, plus que de raison !

– Tu es déjà une Ombre, avait-elle répété, depuis l’enfance, et si personne ne s’en est aperçu c’est parce que la plupart des hommes sont aveugles. Moi, cela fait longtemps que je le sais !

Hier, en souvenir de ce moment (mais pour bien d’autres raisons aussi), pris de folie soudaine, j’ai acheté une carte du monde que j’ai faite agrandir et

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que j’ai posée au centre du vestibule à même le dallage de marbre ramené de Carrare à prix d’or il y a quelques années. Maintenant, j’ai une fléchette dans ma main droite que je lance au plafond, sans viser, car si je crois au destin je crois aussi au hasard et à la capacité qu’ont toujours les hommes à s’adapter à lui. La fléchette monte vers le plafond peint qui, au cœur de la maison, fait comme une voûte sixtinienne. En retombant, sa pointe se fige dans le marbre et troue la carte. D’aucuns verraient là un miracle mais ce n’est croyez-moi que l’expression la plus aboutie de la science. La fléchette que j’ai lancée, pour menue qu’elle est à l’apparence, pèse plus de cinq cent grammes. Lancée en parabole à quelque huit mètres de haut et munie d’une pointe acérée, elle n’a aucun mal à traverser le marbre. Fichée somptueusement, elle troue naturellement la carte.

Nord de la France… Alors je me penche et la retire.

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Chapitre 1

Commissariat de Lille

La Namibie est un territoire immense où tous les paysages de l’univers semblent s’être rassemblés. C’est de là que je revenais en cette fin août. Revoir le commissariat ne me tentait donc guère mais y exercer mon métier avec les Gars de mon équipe ne m’était pas indifférent. Je suis flic, commissaire de police plus précisément, le plus connu de France en ce moment. Mon nom est d’Artagnac. Après l’affaire du « Maître de Chaource » et « d’Opération Champagne », j’avais acquis une certaine notoriété, des terres du Nord à la Champagne voisine, ce qui m’avait valu une belle promotion : commissaire à Troyes, puis retour dans le Nord pour un intérim conjoint de six mois avant de me fixer définitivement à Lille.

– Deux commissariats pour un seul homme, c’est beaucoup, patron ! Avait dit Legros mon fidèle adjoint.

J’avais haussé les épaules, un rien désabusé…

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De Namibie, je revenais en effet empli d’une tristesse infinie car le spectacle qu’offraient les hommes y était pathétique. Les Himbas y disparaissaient noyés dans l’alcool, et le corps toujours nu des femmes, recouvert de terre ocre et de bijoux de cuir, devenait un commerce. Les San, jadis massacrés par les afrikaners, tentaient désespérément de s’intégrer mais baissaient toujours les yeux devant les blancs. Restaient les animaux bien moins sauvages que les hommes, qui, autour du trou d’eau, savaient faire la part des choses et ménager à chacun un temps pour la soif. J’avais beaucoup appris d’eux et lorsque dans un coin de brousse j’étais tombé sur un jaguar nous nous étions regardés, lui la bête féline aux grands yeux tristes et moi l’humain si pâle. Puis le fauve avait reculé en crachant et en frappant le sol ocre de la paume de ses pattes avant de fuir. J’étais donc revenu de là-bas quelque peu désespéré et ce n’était apparemment pas fini car à peine débarqué mon téléphone sonnait, comme à l’accoutumée. Au bout du fil, c’était le divisionnaire.

– On a besoin de vous, d’Artagnac ! – Je l’aurais parié, Monsieur. Je parie pourtant peu sur l’homme car je sais qu’à

un moment ou un autre de sa vie ce dernier se retrouve inévitablement pris dans la nasse de ses propres failles. Ce qui le dérange un jour peut l’arranger le lendemain. C’est ce que m’ont appris mes enquêtes mais aussi ce que j’ai cru comprendre de

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moi-même. Ce faisant, je me suis juré d’éviter cet écueil, d’être autre et différent, et cela oriente ma vie même si je ne suis dupe de rien et surtout pas de la vanité qu’il y a à tenir de semblables propos. Au commissariat, chacun sait cela, comme une évidence, bien que je n’en dise rien.

– Ça se sent, chef ! Dit Legros. Avec vous c’est différent, même si on ne comprend pas toujours ce que vous racontez !

Et les autres Gars de mon équipe d’opiner du chef. – Ça fait plaisir de vous revoir, patron ! Naturellement, mes Gars ne savent pas que les

sauvages sont dans nos rangs, ils croient toujours qu’on les trouve en Afrique. Je leur dis « J’ai caressé un jaguar » et ça ne les étonne même pas ! C’est donc là que nous nous rejoignons, sur un malentendu qu’il est bien inutile de lever.

– La compréhension c’est toujours bien au-delà des mots ou en deçà, dis-je à Legros qui se met à sourire.

L’an passé, sa femme est morte d’un vilain cancer. Nous en avons peu parlé, nos silences ont suffi.

– Merci pour tout, chef, a-t-il dit après que la pierre tombale fut retombée. Merci pour votre silence et votre présence.

Il avait la larme à l’œil, Legros, surtout quand il a vu la même dans mes propres yeux !

Le divisionnaire c’est différent. Son ignorance du monde le protège des questions et des réponses. Je dis

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à Legros « C’est seulement un imbécile. Comme nous mais un peu plus ! »

Et voilà justement mon supérieur qui sort de son bureau pour m’accueillir.

– Ah, d’Artagnac ! Il oublie de me tendre la main et m’entraîne vers

un siège. – On a un problème, dit-il. – Je m’en doute ! … car, bien sûr le problème qu’évoque le

divisionnaire est difficile à résoudre. – Il ne se passe rien, d’Artagnac, comprenez-

vous ! Et quand je dis « rien » c’est pire encore ! – Je ne comprends pas, Monsieur. ! Ce que je dois comprendre est pourtant simple. Il

ne se passe rien à Lille depuis plus d’un mois, pas le moindre délit ou crime, pas le plus petit vol ! C’est ahurissant en soi mais voir l’inquiétude que cela suscite dans le commissariat l’est plus encore.

– Vous devriez être content, dis-je imprudemment au divisionnaire qui s’empourpre soudain.

– Le préfet croit que je lui cache quelque chose et même la maire, gémit-il. Quant au procureur de la république, je n’en parle même pas ! On dit qu’il a demandé ma tête au ministre de l’intérieur.

Dit comme cela, je comprends mieux ses inquiétudes.

– Une question d’avenir, monsieur ? – Exactement !

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Autour de nous, Lille dort sur ses deux oreilles, l’année a été bonne. La maire a été remise au centre du jeu politique national et la bière coule à flots. Le succès des ch’tis, il y a quelques années, a regonflé le moral des troupes et le magot de quelques-uns. Lille est le centre du monde et Bergue une destination nouvelle. Est-ce pour cela que, soudainement, les délits, les crimes et même les infractions disparaissent des indicateurs ? On ne saurait le dire mais, assurément, cela inquiète jusqu’au plus haut niveau de l’État.

– Réduisons la vitesse des voitures à vingt kilomètres au centre-ville, je suggère.

– Déjà fait ! Répond le divisionnaire. – Et alors ? – Pas un PV, d’Artagnac, pas même un petit

dépassement. Vous comprendrez que le moral est au plus bas chez ceux de la circulation !

– Et pas la moindre rixe, avec toute cette bière qui coule à flots ?

– Pas la moindre. Je comprends aussitôt que c’est un vrai problème

qui trouble l’ordre du monde apparemment si établi…

En face de moi, le divisionnaire est pâle. – Vous avez une autre idée, d’Artagnac ? – J’en ai une, Monsieur. Les idées c’est comme les nuages. Ça va et ça vient.

On se demande toujours si elles vont crever ou si elles

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ne sont que des fantômes issus de l’imagination fertile des hommes. Il en va ainsi de celle qui m’est venue et que je soumets illico au divisionnaire.

– Nous sommes des marins, dis-je à l’interloqué. Quand la mer est si plate qu’ils redoutent la tempête !

– Vous croyez que je devrais sonner l’alerte, demande aussitôt le divisionnaire qui a parfois de stupéfiantes fulgurances.

Je pense que oui. Je ne crois pas si bien dire.

* * *

Un mois a passé ainsi. Lille était toujours étrangement calme et si la bière continuait à couler cela n’augurait rien de bon. Marie, la fille de la brasserie la Chicorée, était partie seule à Châteauroux voir un lointain cousin. C’est ainsi que je l’appelais au fond de moi en souvenir du jour où je l’avais rencontrée. Nous avions passé quelques moments ensemble avant mon départ pour la Namibie. Les filles, je commençais à les comprendre, celle-là surtout…

– Je suis si fier de toi, avait-elle dit en m’embrassant. Depuis ma précédente affaire, me promener dans

les rues était devenu difficile à cause de la presse qui ne me quittait pas d’une semelle, et nous avions dû nous réfugier dans son studio de la place Rihour. Je dois dire que j’en avais bien profité et elle aussi apparemment.

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– Il faudra que je te présente à ma mère ! Avait-elle dit.

Mes affaires avançaient donc. Les Gars, eux, rigolaient doucement quand ils me voyaient arriver au bureau.

– Le chef se peigne avec un râteau, disait Legros, et les autres s’esclaffaient, hilares.

Moi, je vivais sur un nuage. – L’amour rend aveugle, disait encore mon adjoint. … et sourd, aurais-je pu ajouter, car déjà des

signes s’amoncelaient. La question des signes annonciateurs est au centre

de nos vies. Comment donc les repérer, accepter de regarder le monde en face sans se voiler les yeux ? Après l’amour, nous en parlions souvent, Marie et moi, elle parce que ses parents étaient ouverts au monde, moi parce que les miens avant de brûler dans l’incendie de leur ferme s’étaient inventé une vie où les fausses certitudes le disputaient à l’illusion.

– Il ne faudra pas vieillir, disait-elle en se serrant contre moi.

Elle voulait dire qu’il ne fallait pas enfermer la vie et ça je pouvais le comprendre.

– Il nous faudra rester mobile, reprenait Marie. Comme aux aguets et toujours en mouvement, se servir de notre conscience et écouter nos ressentis. Nous faire confiance aussi.

Elle parlait d’or alors que déjà, tous sens en alerte, je m’attendais à quelque événement.

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– Toujours rien, monsieur ? – Toujours rien, d’Artagnac ! Ça ne va pas tarder, pensais-je.

* * *

Ça a commencé tout doucement : une inscription sur une tombe dans un cimetière.

– Enfin ! A dit le divisionnaire. … et il a dépêché sur place une brigade entière. – Mais pas vous, d’Artagnac, avec tous ces

journalistes ! Depuis « Opération Champagne », ma précédente

enquête, j’avais été placé en réserve pour les grands dossiers.

– Je ne voudrais pas gâcher votre talent, a ricané mon supérieur.

– Chef, c’est déjà commencé ! – Quoi donc ? Je n’ai pas répondu.

* * *

Il était neuf heures ce matin-là, au cimetière, soit quelques minutes avant que n’arrive l’équipe officiellement chargée de l’enquête. Naturellement, je n’avais averti personne de ma venue. Sur la dalle, une

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main malhabile avait écrit « attentio ! » et pour moi c’était déjà un signe. L’absence de « n » surtout. Un analphabète ?

– Curieux ! Ai-je pensé. De près, l’inscription faisait pâle figure et il fallait

vraiment qu’il ne se passe rien à Lille pour que le divisionnaire consente à envoyer une équipe entière. Restait l’étrange texture de la peinture « du sang ? ». L’idée m’était venue comme ça, et me penchant de plus près sur l’inscription elle s’était confirmée. Restait la nécessaire analyse de la susdite substance. Mais de quelle analyse parle-t-on ici ? De celle chimique qui a toutes les chances de révéler ce que le regard a perçu ou bien d’une autre, plus profonde et antérieure ? Réfléchissons un peu : Lille est calme d’un silence assourdissant alors que d’habitude on recense quotidiennement deux cent vingt infractions au code de la route, cinquante délits et deux crimes dont un majeur. C’est ce que confirment les statistiques des dix dernières années et plus encore celle des dix précédentes, tout aussi alarmantes. Dans ce cas, comment ne pas considérer l’inscription comme un signe puissant.

De retour au commissariat, je dis au divisionnaire que ce silence soudain est comme l’inconscient du monde et l’inscription sur la tombe comme la révélation d’une terreur à venir « un crime, sans doute ! ». Mais il rit.

– L’Afrique vous a tourné la tête, d’Artagnac !

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… et il tourne les talons. Auparavant, il a dit qu’il allait faire analyser

l’inscription « Parce que c’est la règle et l’habitude, et qu’il faut nous y conformer ». Pour lui, tout est simple. L’inscription n’est que l’expression de la sainte routine des délits et des crimes qui reprend à nouveau. Et il en est soulagé. Il a déjà oublié le silence des semaines passées qu’il a vécues tel un accident de l’Histoire « Comme il s’en produit tous les trente ans ! ». Pour cela, il convoque en vitesse les statistiques. Bientôt même, il les invoque au sens le plus noble du terme qu’on trouve à la page cent deux du Robert méthodique. Il est donc soulagé, mon divisionnaire, que la vie reprenne son cours ordinaire. Il espère soudain beaucoup de PV, de petits et grands délits, et, pourquoi pas, un bel assassinat qui meublerait heureusement un mois de septembre d’ordinaire si triste.

– Même ma femme disait que ce n’était pas normal, précise-t-il.

Car le divisionnaire a une femme comme tout un chacun, grise et vieillissante qui fait de mieux en mieux le potjevleesch mais de moins en moins l’amour. Elle est sa bible et la sécurité de ses jours ordinaires, celle qui lui range ses petites affaires et lui donne son cachet d’aspirine lorsque, épuisé par les soucis, il rentre du bureau. Il l’évoque parfois, l’invoque aussi (décidément !), comme il a invoqué les statistiques. Il ne sait pas encore qu’elle mourra bientôt parce que

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deux paquets de cigarettes par jour et une dépression tous les trois ans ça abîme immanquablement une vie.

– C’est du sang, Monsieur ! Il hausse les sourcils. – Comment le savez-vous ? Il me regarde curieusement, maintenant. – Vous devriez vous reposer, d’Artagnac ! Il pourrait ajouter « au lieu de parcourir le monde

comme vous le faites ! », lui qui a si peur de l’inconnu. – Il y a tant de belles choses à voir chez nous ! Et

puis, là-bas, on n’est pas sûr de bien manger, d’avoir sa bonne ration de vraies calories !

Depuis trente ans, il mange bio « Pour ne pas mourir, d’Artagnac ! ». On ne peut l’en blâmer sauf que chez lui c’est devenu pire qu’un système, une prison.

Les jours suivants, l’inscription sur la tombe fait l’objet de toutes les attentions et l’hypothèse du sang se confirme.

– Vous aviez raison, d’Artagnac ! Le divisionnaire a surgi dans mon bureau, échevelé. – Là, on a un problème ! – Je me doute. Deux questions demeurent : celle de la nature du

sang et du propriétaire de la tombe si tant est qu’on puisse l’appeler ainsi, occupant serait plus juste. Se pencher sur la question du sang c’est toujours établir une filiation et lorsque les résultats tombent quelques jours plus tard la surprise est grande. Le sang recueilli date du XXème siècle (de la seconde moitié plus

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précisément) et je dois dire que cela commence sérieusement à m’inquiéter car l’occupant de la tombe est mort peu après 1900.

– Manquait plus que ça, maugrée le divisionnaire ! L’occupant de la tombe oubliée s’appelle

Alphonse Chigot. Il est décédé à la fin de la première guerre mondiale. Que sait-on de lui encore ? Rien, sinon que sa tombe n’a pas été fleurie depuis bien longtemps si l’on en croit les témoignages des vieilles qui encombrent toujours les allées des cimetières.

– C’était déjà le cas en 1940, dit la plus âgée d’entre elles, chargée en son temps par le curé du village de veiller sur les morts.

… Quelques fleurs avant 1930, croit-elle pouvoir préciser, je m’en rappelle comme si c’était hier. Un bouquet d’hortensias rouges comme du sang.

Et puis plus rien, un vide sidéral, quatre vingt deux ans sans presque de visites, une dalle recouverte de mousse et une grille qui rouille. Jusqu’au nom gravé dans la pierre qui s’érode, jusqu’à s’effacer !

La question que ne pose pas le divisionnaire est celle du sang. Comment pourrait-il s’être conservé jusqu’à nos jours ? J’avoue n’en avoir aucune idée mais cela n’a guère d’importance. Seule compte la croyance qui rend tout vraisemblable.

– Si cela existe, c’est que c’est possible ! Le divisionnaire, au contraire, contre toute

vraisemblance, ne croit pas en cette possibilité et adopte pour ce faire la position du scientifique, des