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Au service de la Sagesse · Aristote écrit-il, toujours au VIe livre de son Éthique6, qu’il serait absurde de considérer la prudence comme la plus haute vertu humaine, s’il

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MichelNodé-Langlois

AuservicedelaSagesse

TEMPORA

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considéréen tantque teletnonpasen tantqu’ilpossède tellenature ou telles propriétés, objets des autres sciences. AussiAristote écrit-il, toujours au VIe livre de son Éthique6, qu’ilserait absurde de considérer la prudence comme la plus hautevertu humaine, s’il est vrai que l’homme n’est pas,ontologiquementparlant,cequ’ilyademeilleur,parcequ’ilnesauraitd’aucunemanières’attribuerà lui-même le statutd’êtresuprême.

Aristoteapenséque lebonheurhumain,souverainbiendel’homme,nepouvait consisterquedans l’acteà la fois lepluspropre et le meilleur que l’homme puisse accomplir, et aussidansunactequipuissetrouverenlui-mêmesaproprefinetnepas être simplement le moyen subordonné d’autre chose. Cetacte, il l’a identifié à la connaissance intellectuelle de ce quel’homme peut connaître de meilleur dans l’ordre del’intelligible, c’est-à-dire la divinité. Le bonheur humain, telqu’illeconcevaitdoitconsisteràvivreenimmortel,c’est-à-direàs’assimileràDieuautantqu’ilestpossibleàunhomme,etcelapar lemoyen de la pensée et sur lemode de la connaissance,pour autant que c’est là imiter, mieux que de toute autremanière,cequel’êtredivinestenlui-même: ladivinitéesteneffetpourAristoteunêtre immatérieldistinctdumonde,causepremièredudevenirdecelui-ci,etdonttoutelaréalitéconsisteàseconnaîtreetàs’aimersoi-mêmeéternellement.C’estcommeconnaissance de cet être, soit comme connaissancemétaphysique, que la sophia constitue pour Aristote lesouverain bien de l’homme, et par là-même le principeordonnateurdubienvivrehumain.Laréponsearistotélicienneàlaquestiondubienvivreétaitdoncsanséquivoque:l’hommenesaurait êtreheureux sanssavoir que son existence, tout autantquecelleducosmosdont il faitpartie, trouvesonsensdansla

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perfection première et absolue de la divinité, que toute chosechercheàimiterautantqu’ilestenelle.

On comprend qu’un Thomas d’Aquin n’ait pas eu trop depeineàintégrercetteconceptionmoraleàsapropredoctrine.Ilreprendnotammentladistinctionaristotélicienneentresophiaetépistémè endéfinissant la« sagesse»–en latin–sapientia –comme«connaissancedesréalitésdivines»,etla«science»–comme « connaissance des réalités humaines et créées7 ». Cen’étaitpasallercontreAristotequed’enseignerque«Dieuseulpeut rassasier la volonté de l’homme8 ». Et il faut certesremarquer que la doctrine de saint Thomas, à la différence decelled’Aristote,estessentiellementinspiréeparlafoienJésus-Christ.Pourtant,lefaitmêmequeThomasdécalqueladéfinitionaristotéliciennedelasophiatémoignedecequelasagesseainsientenduenesupposepaslafoi,alorsmêmequecelleciluidonneun contenu et une portée supplémentaires,mais étrangers à lapensée d’Aristote, pour autant qu’ils relèvent d’une révélationquecelui-cin’apasconnue.ThomasaprécisémenttrouvéchezAristote l’idée et la mise en œuvre d’une connaissancemétaphysiquedeladivinité,parvoiederaisonnementdéductif,soit de cette « connaissance deDieu à partir des créatures9 »,dont l’épître aux Romains de saint Paul affirmait lapossibilité10. Et de cette connaissance il précise que, si elle«appartientàl’ordredelascienceparsaforme»,c’est-à-direentantque,àl’instardesautressciences,elleraisonneàpartirdel’expérience, elle « appartient à l’ordre de la sagesse par sonobjet11 ». Sans cette connaissance rationnelle naturelle de laréalité de l’être divin, le croyant ne pourrait même pas savoirqu’ilyaquelqu’unàquidonnersafoi,et ilnecroirait jamaisqu’enlui-même,ouensesproprespostulations.Àcetégard,ladéfinition aristotélicienne, purement philosophique, de la

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sagessecommeconnaissancemétaphysique,constituebienpoursaintThomaslepointd’articulationentrelarationalitéhumaineetl’actedefoiencequiladépasse,soitlaclefdevoûtedecetédifice, toutàlafoisspéculatifetmoral,queMaritainappelaitun«humanismeintégral».

Selon cette conception, la fin qui donne son sens àl’ensembledesactivitéshumainesestdonclaconnaissancedelavérité,etplusprécisémentdelavéritésurlepremierprincipedecequiest.Lavieheureusen’estpasqu’uneaffaired’équilibrepersonnel et de rectification morale : ceux-ci n’apparaissentdésirablesqu’entantqu’ilssontdesmoyensnécessairesdontlaprivationpeutcompromettrelaquêtedusouverainbien,soitdelavéritéquipeutrendrelavie,enprofondeur,sensée.

C’estavecunetelleconceptiondelasagessequelasagessedesModernesparaîtvouloirrompre,etcelasupposeassurément,s’ils’agitencored’êtresage,qu’onnepuisseplusl’êtrecommel’étaientlesAnciens,oudumoinscertainsd’entreeux.

«Lamodernité»,pournosauteurs,«c’esttoutcequirelèvede l’émergence du monde démocratique et de sa séparationd’aveclereligieux;c’estdonctoutcequiparticipedelafinduthéologico-politiqueou, commediraientMaxWeberetMarcelGauchet, du désenchantement du monde. Philosophiquement,cela commence avec Montaigne et Descartes. Historiquement,politiquement, idéologiquement, c’est tout ce qui prend encomptelarupturede1789,etquiluirestefidèle.C’estpeudirequenoussommesnombreuxànousyreconnaître:lamodernité,en ce sens, est le lot spirituel presque obligé de nos sociétéslaïques et démocratiques » (p.15). La modernité ainsi définie,insistent nos auteurs, « n’a rien à voir avec l’actualité ou lamode » (Ibid.). Elle ne signifie pas, en effet, l’appartenance àuneépoque,sil’onentendparlàlefaitdevivreàtelmomentdel’histoire. L’appartenance que revendiquent nos auteurs à la

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Sidoncjepouvaisajoutermavoixaudialoguedenosdeuxauteurs, je leur dirais qu’àmes yeux ilmanque à leur sagessequelquechosepourêtretoutàfaitsage:nonpasretrouverunefoiperdue,maisd’abord,etsansjeudemots,retrouverlaraison,ce qui signifie pour moi redonner sa place à la connaissancemétaphysique,c’est-à-direrenonceraudogme–carc’enestun–selonlequelunetelleconnaissanceestimpossible:commentneserait-ilpascontradictoirededéclarerque la raisonnepeutconnaître aucune vérité en dehors des sciencesmathématiquesouexpérimentales, alorsqu’endisant cela,onprétendénoncerunevéritéquinerelèvenidesunesnidesautres36?Etaussi :comment peut-on sans contradiction appeler rationalisme uneconception qui renonce à rendre raison des valeursfondamentalesqu’ellechercheàfairetriompherdanslasociétéetlapolitique?S’ilfautpenser,avecl’athéeComte-Sponville,qu’une telle raison ne saurait être trouvée qu’en Dieu, sansdoute faut-il à nouveau que la question de Dieu relève de laconnaissance rationnelle, et nonpasd’abordde lavalorisationsubjective ou collective, comme lorsque l’on demande si nousavonsencorebesoind’unereligion,etsinousavonsbesoindel’idée de Dieu comme idéal personnel ou garant de l’ordremoral. La question n’est pas de savoir si l’athée, oul’agnostique,peutêtreunhommedebien,cedontl’expériencemeparaîttémoignersuffisamment.Laquestionestdesavoirs’ilaraisondeniercequ’ilnie,questionqu’iln’yadesensàposerque si l’on ne postule pas que la raison ne peut rien enconnaître.C’estuneétrangemanièred’êtreantidogmatiquequed’affirmerd’uncôtén’êtresûrd’aucunedesesréponses,etd’unautrecôté savoir trèsbien–et affirmer trèsdogmatiquement–qu’il n’y a et ne peut y avoir de vérité rationnelle sur ce quitranscende l’homme et la nature, que l’affaire est entendue

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depuis la critique kantienne, et qu’il n’y a pas à y revenir.Plaiderpourlamétaphysique,commeingrédientnécessairedelasagesse,n’estpasprétendreenimposeraucune,maisdemanderàla philosophie d’aller au bout de son antidogmatisme, et desecouerundogmequ’elleaelle-mêmepouruntempscontribuéàinstaurer.

J’ajouterai pour finir, puisque ce point intéresse beaucoupnosauteurscommesansdoutechacundenous,que fairede laquestion du divin une affaire de connaissance rationnelle37,publiquement reconnue comme telle, est peutêtre une bonnemanièredefairepièceàtouslesfondamentalismes,etauxdiversfanatismesquienrésultent.

1 – Conférence donnée le 28 novembre 2003 à l’Institut catholique deToulouse,àl’occasionducolloquesurlanécessitédelasagesseorganiséparlaFacultédephilosophieetlaSociététoulousainedephilosophie.

2–Lesindicationsdepagedonnéesdansletextedelaconférencerenvoientàcetouvrage.

3–NIETZSCH,Aurore,II,127.

4–PierreAubenquenotamment.

5–Auchapitre13.

6–Auchapitre7.

7–THOMASD’AQUIN,SommedeThéologie,IIa-IIae,q.9,a.2,ad3m.

8–Op.cit.,Ia-IIae,q.2,a.8.

9–Ibid.

10–Auchapitre1,verset20.

11–THOMASD’AQUIN,SommedeThéologie,Ia-IIae,q.2,a.8.

12–Grasset1991

13 – André COMTE-SPONVILLE,Un athée fidèle, dans : A-t-on encorebesoind’unereligion?(Éditionsdel’Atelier,p.58).

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14–Nietzsche,Gaisavoir,§343.

15–CitéparDanielHALECY,Nietzsche,LPPluriel,p.487.

16–«L’autonomiede l’hommeest“endernière instance”annuléeparsonstatutdecréature»(LasagessedesModernes,p.200).

17 – André COMTE-SPONVILLE, Pensées sur l’athéisme, Albin Michel1999,Présentation,p.9.

18–Ibid.,p.10.

19–Ibid.,p.17.

20–Id.,Valeuretvérité,PUF1994,p.17.

21–NIETZSCHE,Fragmentsposthumes,K.G.W.VIII,3,16,40,§7.

22–Id.,LettreàRohde,citéeparHALEVY,op.cit.,p.497.

23 – André COMTE-SPONVILLE,Un athée fidèle, dans : A-t-on encorebesoind’unereligion?,p.57-58.

24–«Ilm’est (…)arrivédedireque toutétaitvrai,dans lechristianisme,sauf le bon Dieu… » (André COMTE-SPONVILLE, La sagesse desModernes,p.721).

25–«Laphilosophiemoderne,enmatièrededroitetdemorale,aconservé,quantàsoncontenu,l’essentieldumessagechrétien.Nullevaleurnouvelle,encesens,(…)dans l’idéologiedesdroitsde l’homme»(LucFERRY,Lasagesse des Modernes, p.673). L’auteur ajoute : « quant à la forme, larévolution qu’opère la philosophie est décisive : c’est à partir de l’humainqu’ilfautpenserlebienetlemal».Ilyaiciunelourdeéquivoque,caronpeut se demander s’il s’agit bien d’une révolution philosophique. LorsqueThomasd’Aquin,àlasuited’Aristote,penselebienhumain,ilveutqu’onlecomprenneàpartirde lanaturespécifiquede l’homme,d’après leprincipeselonlequelc’estcequ’estl’hommeparnaturequidéterminecequiestbonpourlui:reconnaît-onàcebien,commeàtouteautrechose,unfondementdivin,ilnes’ensuitpasqu’ilpuisseêtredirectementdéduitdecefondement,sans lamédiation de la nature humaine connue à partir de l’expérience.Etassurément, pour Thomas d’Aquin, le bien humain inclut la relation del’hommeàDieu,maisc’estparcequelecaractèrecréédelanaturehumaineest connu à partir d’elle en tant que partie du monde naturel, et non paspostulé a priori, ou affirmé au nom de la foi. La rupture opérée par lapenséemoderneneconsistedoncpasdanscequeditFerry,maisseulement

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àsavoirledieului-même,quoiqueimparfaitement.Inversement,la connaissance que l’intellect humain prend de lui-même encontemplantluipermetdeconcevoirl’identité,chezledieu,del’intellect qui est à lui-même éternellement son propre objet :«L’intellectsepenselui-mêmeparlasaisiedel’intelligible;carildevientl’intelligibleenletouchantetenlepensant,desortequ’il y a identité de l’intellect et de l’intelligible57. » Cette«penséequisepenseelle-même58»définitla«vie»dudieu:car«l’activitédel’intellect,estvie,et(ledieu)estcetteactivité; et son activité, qui est par soi, est une vie parfaite etéternelle59».Etiln’yapasdecontradictionàdirequeledieuestàlafoiséternel,c’est-à-direimmobile,etvivant:«cariln’ya pas seulement une activité de mouvement, mais aussid’immobilité, et le plaisir est plutôt dans le repos que dans lemouvement60 ». « C’est pourquoi le dieu jouit d’un plaisirtoujoursunetsimple61.»

Telles sont les raisons pour lesquellesAristote qualifie de« vie d’immortel » le bonheur contemplatif accessible à l’êtrehumainparcequ’ilestdouéd’intellect.Sansdoutecebonheurest-il imparfait,carnousnepossédonsque«parmoments» lasatisfactionqueledieupossède«toujours62».C’estpourquoiAristote dit qu’il faut s’y efforcer « autant qu’il est possible(éph’hoson éndéchétaï) ». L’expérience nous montre en effetque la fatigue nous empêche de contempler, comme de jouir,continuellement63:c’estquel’hommen’estpas,commeledieu,puracted’intellection,maisseulementenpuissanceparnaturede cet acte64. De plus, si le dieu s’identifie à sa propreintellection, qui est par soi, l’intellection humaine est, à côtéd’autres,l’acted’unêtresoumisauchangement,composé,donccorruptible,etelledépenddel’activitépréalabledessensetde

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l’imagination65. La condition humaine est ainsi telle que, sil’activitéintellectuelleyestlasourced’unbonheurqueledieupossède sans condition, elle l’est momentanément et commerésultatd’uneffortdeconnaissancepartidesréalitéslesmoinsdivines.

Aristote n’en oppose pas moins à l’éthique de la finitudel’exigence de « vivre (zên) » selon l’intellect. C’est que lacontemplation, et surtout la contemplation du plus hautintelligible,estlaformesupérieuredel’usagedel’intellect,etiln’yapasdevievraimentbonneetheureusequipuissesepasserde cette activité. Mais si le bonheur proprement dit est cetteactivitémême66,lavieheureuse,ou«laplusheureuse67»seracelle dans laquelle le bonheur de l’intellect rejaillit sur toutel’existencedu faitmêmede la fonctiondirectricede celui-ci àl’intérieur du composé humain. Aristote note en effet que laconnaissanceintellectuelleestparelle-mêmecapablederectifierl’appétit sensible : c’est ainsi qu’elle trouve une source desatisfaction jusque dans l’étude d’êtres au premier abordrépugnants68. Et s’il est vrai que la vertu morale estindispensable à l’homme pour faire son devoir, seule lacontemplation de l’être qui est le bien absolu peut le rendreheureuxdelefaire.Or«iln’estpasbonceluiquineprendpasplaisirauxbonnesactions69».

Sidonc,dans lecomposéhumain, l’intellect« surpassedebeaucoup touteschosesparsapuissanceet savaleur70»,cettepuissance a pour condition préalable l’activité des sens et del’imaginationenmêmetempsqu’ellealepouvoirdelesrectifier.Cette double dépendance attesterait, si l’on en doutait,l’inhérence intime de l’intellect à l’humanité de l’homme. OrAristoteinvoqueprécisémentcetteinhérencecommel’argumentultime et décisif à l’appui de son refus de l’éthique de la

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finitude:«ilapparaîtquec’estbienlàcequ’estchacun,sic’estce qui est prédominant et le meilleur (doxéïe d’an kaï eïnaïhékastos toûto, eïpér to kurion kaï ameïnon)71 ». Cetteproposition est peut-être la thèse essentielle du passage, pourautant qu’elle interdit de considérer la contemplation commeétrangère à la nature humaine. Elle énonce en effet quel’intellect doit faire partie de la substance de l’homme –rappelonsqueousia(substance)estdérivéduparticipedeeïnaï(être)-,sansquoiilfaudraitadmettrel’absurditéquecequienl’homme a la précellence ne lui est pas essentiel, mais enquelquesorteaccidentel.

Il faut même aller plus loin. En attribuant l’intellect à«chacun»,Aristotefaitbiendelapossessiondel’intellectunprédicat universellement humain : celui-ci appartient à chaquehommeparce qu’il fait partie de l’essence de l’homme en tantqu’homme,del’ousiadel’hommeausensseconddeceterme72.Mais, dumême coup, il dit aussi que l’intellect fait partie del’être individuel de chacun, de son ousia au sens premier duterme73. Ce qu’Aristote propose ici comme ultime argumentn’est rien de moins que l’affirmation de l’individualité del’intellect74. Et en ajoutant que « l’homme est cela par-dessustout(toûtomalistaanthrôpos75)»,ilrappellequel’intellectestlafacultéprédominantedel’âmehumaine76,etdonc,commetel,leprincipeformelducomposéhumain.Laformeesteneffetentoutcomposé«lacausepremièredecequ’ilest77»,c’est-à-direce par quoi il est ce qu’il est, le principe déterminant de sonunitésubstantielleetdesafinalitéinterne78.Sil’intellectn’étaitpas la formeducomposéhumain,oudumoins s’il n’était pasinhérent à cette forme comme sa différence spécifique, la vieselonl’intellectneseraitpaslaperfectiondel’homme79.

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notre propos. Au moins Aristote y affirme-t-il clairement quel’intellect est « immortel135 » du fait même qu’il est«séparable136».

Cette double qualification est justifiée par l’analyse despropriétés caractéristiquesde la connaissance intellectuelle.Lapremière est que l’intellect « pense tout », c’est-à-dire peutconcevoir toutes les « formes intelligibles », et notamment lesnotionscontraires,àladifférencedessensquelaformedeleurorganelimiteàlaperceptiond’unequalitéparticulière(couleur,odeur,saveur,etc.),àl’exclusiondesautres137.Aussil’intellectdoit-ilêtredit«impassible138»,cars’ilpeutrecevoirenluilesformes intelligibles qu’il pense – les concepts -, cette in-formationnechange rienà sa«nature»propre,qui estd’être«enpuissance»detouteslesformes139.Ilfautmêmedirequel’intellect est impassible à un degré supérieur par rapport auxfacultés sensibles : en effet, alors que les sens ne peuventexercer leuractivitéqu’entrecertaines limiteset sontgâtésparune excitation excessive, « l’intellect au contraire, lorsqu’il apenséquelquechosedepuissamment intelligible,nepensepasmoins mais plus les intelligibles inférieurs140 », c’est-à-direceuxdont l’intelligibilitédépenddecelledespremiers,commepar exemple une conclusion dépend d’un principe. La penséeintellectuelle est donc irréductible à une altération corporellesousl’actiond’unecausecorporelle.Ilfautparsuitereconnaîtreà l’intellect une activité propre qui dépasse celle des organescorporels,même si elle s’exerce à partir des sensations. C’estpourquoi la corruption des organes corporels n’implique pascelle de l’intellect. Sa subsistance ne dépend pas de la leur,puisqu’ilsnesuffisentpasàexpliquersonactivité141.C’estence sens qu’il doit être dit séparable (chôristos) et, parconséquent,immortel(athanatos).

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L’affirmation de l’immortalité de l’intellect se compliquetoutefois de la distinction entre l’intellect en puissance etl’intellect actif – ouagent. Cette distinction est nécessaire dufait que les choses sensibles ne sont intelligibles qu’enpuissance142 : car elles sont singulières – commepar exempleleshumainsenchairet enos -, alorsque l’intelligibleestunenotion universelle – comme le concept d’homme. Si donc leschoses sensibles suffisent à produire la sensation, qui est unereprésentation elle-même singulière, elles ne suffisent pas àproduire la saisie intellectuelle de leurs formes intelligibles.Aristoteendéduitl’existenceenl’intellectd’unecapacitéactivede rendre intelligibles les données sensibles, outre sa capacitéde« recevoir la forme143 », c’est-à-dired’être informépar elleimmatériellement : « Il y a l’intellect qui est propre à devenirtoutechose,etceluiquiestcommeunecapacité(héxis)propreàlesproduire toutes,à l’instarde la lumière ;card’unecertainemanièrelalumièreaussitransformelescouleursquiexistentenpuissance en couleurs effectives144 ». Aristote distingue ici lepouvoir de se représenter consciemment les intelligibles – laconscience intellectuelle – et le pouvoir de la faire passer àl’acte, autrement dit de provoquer cette prise de consciencequ’est laconceptualisation,paruneactivitéquenousexerçonsnécessairement,mêmesinousn’enavonspasconscience145.

Ici sans doute commencent les difficultés, car Aristoteconclut :«Cet intellectestséparable,nonmêlé,et impassible,étant activité par son essence […]. Et une fois séparé, il estseulementcequ’ilest,etcelaseulestimmorteletéternel146.»Cette dernière proposition donne évidemment à penserqu’Aristote réservait l’immortalité au seul intellect actif. C’estainsi qu’il ajoute : «L’intellect passif est corruptible147. »Nefaut-ilpasadmettrealorsquelaconscienceintellectuellemeurt

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avecl’homme,etquelaséparationdel’intellectactifestenfaitson retour à une unité essentielle qu’il posséderaitéternellement?C’estcequeparaîtsignifier laphrase:«Nousnenousensouvenonspas,carcetintellectestimpassible,tandisquel’intellectpassifestcorruptible,etquesansluionnepenserien148.»

Il faut cependant remarquer que les caractères attribués àl’intellectagent,dufaitqu’ilestactifparessence,etquifondentson immortalité, étaient attribués au chapitre précédent àl’intellectenpuissance,antérieurementàladistinctiondesdeuxintellects149. Il faut donc comprendre que ces caractèresappartiennent à plus forte raison à l’intellect qui est principeactif d’intelligibilité, s’ils appartiennent déjà à celui qui n’estqu’en puissance de l’intelligible : « car l’agent est toujourssupérieur (timiôtéron) au patient150 ». Il est donc difficile desupposer que l’intellect actif serait immortel à l’exclusion del’autre. La corruptibilité de ce dernier désignerait alors unecessationdelafonctionintellectiveconscienteconsécutiveàlacorruption du corps, du fait que « jamais l’âme ne pense sansimage»etque«c’estdanslesimagesquel’intellectpensesesidées151 ».L’intellect eneffet abstrait ses conceptsdes imagesrésultantdelasensation;orsil’intellection«nepeutavoirlieusansl’imagination,ellenepourrapasnonplusavoirlieusanslecorps152. »Cela signifie doncqu’à l’état séparé, l’intellect estréduitàlui-mêmeetnedisposeplusdesinformationssensiblesquisontlamatièresurlaquelleilexercesonactivitéabstractive.

Il faut d’ailleurs avouer que la discussion précédente est àcertainségardssansobjetpuisque,endémontrantl’immortalitéde l’intellect, Aristote démontre en fait l’immortalité de l’âmeintellectuelle. Car l’intellect n’est pour lui rien d’autre que lenom d’une faculté de l’âme : « j’appelle intellect ce par quoi

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l’épistémologiegénétiquereprocheràAristoted’avoirméconnulerôleactifde l’intellect dans la connaissance (cf. par exemple J. Piaget, Logique etconnaissancescientifique,Encyclopédie de laPléiade, p.18 sq).Mais il estvrai que si l’on identifie l’activité de l’intellect à une « construction » del’intelligible, alors il faut dire qu’une telle idée est étrangère à la penséed’Aristote:ellerevientàconfondrelascienceetl’art,etl’ondevraitentirerlaconséquencequel’intellectneconnaîtpasdutout.

146–ARISTOTE,Del’âme,III,5,430a17-18et22-23.Qu’àl’étatséparél’intellectsoitréduitàlui-mêmenesignifiepasqu’iln’existeconformémentàsonessenceoun’accomplissesadestinationproprequedanscetétat.

147–Ibid.,24-25.

148–Ibid.,23-25.

149–Cf.lesnotes135et136.

150–Op.cit.,III,5,430a18-19.

151–Ibid.,7,431a16-17et431b2.

152–Op.cit.,I,1,403a9-10.

153–Ibid,4,429a23.

154–Ibid.,5,430a13-14:«Anankèkaïantêpsuchêhuparcheïntaûtastasdiaphoras».Cesdifférencessetrouventdanslanatureetdansl’artpartoutoù il y a passagede la puissance à l’acte par communicationd’une forme,transformation par in-formation (ibid., 10-13). L’inhérence de l’intellect àl’âme, telle que l’affirme le traitéDe l’âme, paraît en contradiction avecl’affirmation qu’il advient à l’âme « de l’extérieur (thurathén) », poséeincidemmentdansletraitéDelagénérationdesanimaux (II,3,736b27).Euégardaucontexte,l’expressionpeutcependantsignifierquel’hommeestengendré avec une puissance qui ne peut s’expliquer seulement par laconstitutiondesesorganescorporels:laprovenancedel’intellectn’exprimealorsriend’autrequelatranscendancedesonactivitépropreparrapportàlaconstitutiondel’organismeaniméparl’âmeintellectuelle.Uneinterprétationpluslittéraledunoûsthurathénentreraitentoutcasencontradictionaveclaréfutation de la thèse selon laquelle « conformément aux mythespythagoriciens, n’importe quelle âme peut pénétrer dans n’importe quelcorps : car il apparaît que chaque corps a une forme (eïdos) et uneconfiguration(morphèn)propres.C’estàpeuprèscommesil’ondisaitquel’artducharpentierpénètredans les flûtes :car il fautque l’artseservede

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sesinstruments,etl’âmedesoncorps»(Del’âme,I,3,407b21-27.Ainsil’intellectnepourraitpénétrerdel’extérieurdansuncomposéquesi l’âme-formedececomposécomportait enelle-mêmeuneordinationessentielleàcetteintroduction,sansquoil’intellectnepourraituserducorpscommeillefaiten lecommandant.Notonsqu’Aristotenevoitaucuneoppositionentreune conception hylémorphique et une conception instrumentaliste desrapportsde l’âmeetducorps,puisqu’ildonneenquelquesorte lasecondecommeunepreuvedelapremière.

155–Id.,Del’âme,I,403a10sq.

156 – « Il est en tout cas évident d’après ces raisons qu’Aristote a su queseule l’âme rationnelle est immortelle,maisque toutes les autrespartiesdel’âmesontmortelles»(JeanPhilopon,citéparÉ.Gilson,LaPhilosophieauMoyenÂge,éd.Payot,t.I,p.90).

157–ARISTOTE,ÉthiqueàNicomaque,X,7,1072b3.

158–Id.,Métaphysique,XII,7,1072b3.

159–Ibid.,1072a26-27.

160–Ibid.,1072b10-11.

161–Id.,ÉthiqueàNicomaque,I,4,1096a24.

162–Cf.note48.

163–Op.cit.,I,11,1101a34–1101b5:«Sansdoutefaut-ilexaminerlaquestiondesavoir,ausujetdesdéfunts,s’ilsontpartàunbienquelconque,ouauxmauxopposés:carilsemble(…)quesiquelquechoselesatteint,enbienouenmal,c’estfaibleoudepeud’importance,absolumentparlant,ousinon,cen’estproprenienquantiténienqualitéàrendreheureuxceuxquinelesontpas,niàôterlebonheuràceuxquilesont».

164–Op.cit.,X,9,1179a25-29.

165–PauldeTarse,LettreauxGalates,3,28.

166–Matthieu,11,25;Luc,10,21.

167–ARISTOTE,Politique,I,2,1253a9;8,1256b21.

168 – « C’est d’une manière risible que le poète fait dire (à propos d’unmort) : “il a atteint le termepour lequel il était né”.Carn’importequoinepeut prétendre être la fin dernière,mais seulement ce qui est lemeilleur »(Id.,Physique,II,2,194a30-33).IlapparaissaitrisibleàAristote,onlevoit,

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dedéfinirl’hommecommeunêtre-pour-la-mort.

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aurait pour objet le concept d’être. Celui-ci est l’objet del’intellect68, et son premier objet en ce qu’il est noétiquementimpliqué en tout autre concept, et même en tout objet deconnaissance généralement quelconque : car on ne peutconnaîtrequequelquechosequi,d’unemanièreoud’uneautre,est69. L’intuition de l’être n’est pas en ce sens l’intuition duconcept d’être, ou plutôt cette dernière est une forme de lapremière : c’est la manière suprême qu’a l’intellect de sereprésentercequiexisteen tantque tel,abstraction faitede ladiversitédesexistants.Maisleconceptd’êtren’estintuitiondel’êtrequedanslamesureprécisémentoùilserapporteàcequiexiste, et qui peut être connu dans son existence propreautrement que par la considération de ce concept, lequel audemeurantnevientquetardivementàlapensée.Onpeutdiredelaconnaissanceengénérallamêmechosequ’Aristotedisaitdela science, lorsqu’il fondait la métaphysique : de même qu’ildoityavoirunesciencedel’êtreentantqu’être,pourautantquetoutesciencearapportàl’être,danslegenrequ’elleétudie,sansle prendre lui-même pour objet, dans son universalitétranscendantale, demême toute connaissance est appréhensiond’un certain être, alorsmêmequ’elle nevise pas l’être commetel.

IlyadoncpourThomasuneintuitionoriginairedel’êtrequiest inhérente à la sensation, s’il est vrai que celle-ci atteint lachose même en tant qu’elle subsiste distinctement de lapensée70, et non pas un simple phénomène. Il serait d’ailleursplusexact,plutôtquedelireThomasàtraversunedissociationtoutemoderne, de dire que la sensation est phénomène de lachose,cequiestunemanièredeluiappartenirsansseconfondreavecelle.

Thomas n’ignorait pas plus qu’Aristote les cas d’illusion

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sensible,nileserreursdejugementquienproviennent71.Maisdans le fait que nous nous trompons quelquefois, ils voyaientl’un et l’autre la preuve que nous ne nous trompons pastoujours.L’erreur sur le sensiblen’estqu’uncasparticulierdel’erreurengénéral,etlefaitdel’erreurattestel’indépendancedelachosejugée,quantàsonexistenceetquantàsonessence,parrapport à la pensée que nous en avons, en même temps quel’existencedelavéritécommeconformitéàcequ’est lachose.Aufonddetouteerreur,ontrouveratoujoursinévitablementuneinfaillibilité dans l’appréhension des termes qui rendent cetteerreur possible72, qu’il s’agisse de termes conceptuels, ou dessensationsquinousfontdistinguer,danslechampperceptif,cesurquoinousnoustrompons73.

ThomasavaitdonclesmêmesraisonsquePlatonetAristotedenepasconfondrelascienceetlasensation74,cequiestetcequisembleêtre.Maiscesraisonsmêmesluidonnaientàpenserquesinossensnoustrompent,cen’estcertainementpasencequ’ils nous attestent qu’il existe quelque chose en dehors denous. C’est pourquoi son réalisme n’avait rien de naïf, maisaucuneraisonneleconduisaità«mettreentreparenthèses[…]l’attitudenaturelle75»,si l’onentendpar là l’affirmationde lasubsistancedel’êtresensible,etdelacapacitéqu’alasensationdenousrévélerquelquechosedecequ’ilest.

***

Pour rendre compte de cette capacité, Thomas héritait dutraitéDe l’Âme une conception de la connaissance qui définitcelle-ci comme une assimilation de l’être connaissant à l’êtreconnu,aumoyend’uneinformationdupremierparlesecond.Leplatonisme avait déjà fortementmis en évidence que le propred’une forme est d’être communicable, c’est-à-dire de pouvoir

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existerenplusieurssansperdresonidentité.Qu’ilpuisseyavoirdanslasensationelle-mêmeuneconformitéentrelapenséeetcequ’estlachose,etdumêmecoupunecertaineprésencevéritabledelachoseàlapensée,celaestconcevablesilasensationestlacommunicationàl’âmesentanted’uneforme,c’est-à-dired’unemanièred’êtredifférenciée, inhérenteà lachosesentie, sans lamatièreàlaquelledanslachosecetteformedonned’existeravectellequalité76. C’est cette présence immatérielle de la chose àl’âme que, pour la distinguer d’une présence réelle, ou d’unetransformation réelle du connaissant en la chose connue77, lesscolastiquesontdénommée:intentionnalité78.

Concevant la sensation comme l’effet de la substancesensible sur l’animal79, et concevant l’action d’une causecomme la communication d’une forme par laquelle l’agentproduit dans le patient un effet qui lui est formellementapparenté80,Aristotepouvaitpenserl’identificationformelleduconnu et du connaissant dans la sensation : tant qu’aucunaccident ne l’en empêche, le sentant se trouve intérieurementdifférencié conformément à des différences inhérentes à lachose. Aussi Aristote définissait-il la sensation comme l’actecommundusentantetdusenti,pourautantqu’elleneseproduitque par la mise en présence des deux. Ainsi « le sensible enacte»–c’est-à-direentantqu’ilesteffectivementsentietnonpasseulementenpuissancedel’être–«etlasensationenactene font qu’un81 » : on trouvera difficilement une plus grandeimmédiateté susceptible de définir la sensation comme uneintuition.

Sans doute faut-il préciser en quoi il s’agit bien d’uneintuitiondel’être.Thomaspenseeneffet,commeAristote,queles sens sont révélateurs de certaines qualités, les « sensiblespropres82»,quisontàmettreaunombredesaccidents.L’unet

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des premiers principes, par exemple qu’on ne peut pas affirmer et nier enmêmetemps,etd’autresdece type»(THOMASD’AQUIN,SommecontrelesGentils,2èmepartie,ch.83).

60–ARISTOTE,Métaphysique,LivreΓ,ch.4,1006a29.

61–Op.cit.,LivreK,ch.5,1062b.

62–Op.cit.,LivreΓ,ch.4.

63–Voir:ARISTOTE,SecondsAnalytiques,LivreI,ch.2-3.

64–«Autrechoseestdeconnaîtreuneréalité,etautrechosedeconnaîtreleconcept par lequel cette réalité est connue. C’est ce que fait l’intellectlorsqu’ilréfléchitsursonopération»(THOMASD’AQUIN,SommecontrelesGentils,4èmepartie,ch.11).

65–ARISTOTE,SecondsAnalytiques,LivreI,ch.2,71b33;ch.3,72b26.

66–LivreII,ch.19.

67 – « Principium totius nostrae cognitionis est a sensu » (THOMASD’AQUIN,SommedeThéologie,Ia,q.84,a.6,qui renvoieà :ARISTOTE,Métaphysique,LivreA,ch.1;et:SecondsAnalytiques,LivreII,ch.15).

68–«Sensusesrsingularium,intellectusautemuniversalium»(THOMASD’AQUIN,SommedeThéologie,Ia,q.85,a.3).

69–Voir:THOMASD’AQUIN,SommedeThéologie,Ia-IIae,q.94,a.2.

70–«Sensussecundumactumsuntsingulariumquaesuntextraanimam»(Id.,Commentaire au Traité de l’Âme, Livre II, leçon 12). Jean de Saint-Thomas commente : « Sensatio terminatur ad res prout extra sunt »(Philosophienaturelle,3èmepartie,q.6,a.1et6).

71 – Voir : ARISTOTE, De l’Âme, Livre II, ch.6, et Livre III, ch.1 ;THOMASD’AQUIN,DelaVérité,q.1,a.11;SommedeThéologie,Ia,q.85,a.6.

72–Voir:ARISTOTE,Métaphysique,LivreΘ,ch.10.

73–Id.,Del’Âme,LivreII,ch.6.

74–Voir:PLATON,Théétète.

75–HUSSERL,Idéesdirectricespourunephénoménologie,LivreI,2èmesection,ch.1.

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76–Voir:Op.cit.,LivreII,ch.12.

77 – Voir : THOMAS D’AQUIN, Somme de Théologie, Ia, q.84, a.2.Percevoirouconcevoirlapierren’estnil’absorberniêtrepétrifié.

78–Thomasd’Aquinutiliseletermeintentiopourdéfinirleconcept:«Dufait que l’espèce intelligible, qui est la forme de l’intellect, est uneressemblance de la chose extérieure, il s’ensuit que l’intellect forme unevisée(intentionem)semblableàcettechose,parcequetelleestchaquechose,tellesonopération;etdufaitquelaviséeintellectuelle(intentio intellecta)estsemblableàunecertainechose,ils’ensuitquel’intellect,enformantuneviséedece type,conçoit (intelligat) lachoseenquestion»(SommecontrelesGentils, 1ère partie, ch.53). L’intentionnalité est néanmoins le caractèredetouteformeprésentative:«Lesêtressansconnaissancenepossèdentqueleur propre forme, mais l’être connaissant est naturellement capable deposséder aussi la forme d’un autre ; car l’espèce du connu est dans leconnaissant. Il est par suite manifeste que la nature d’une chose sansconnaissance est plus restreinte et limitée ; tandis que la nature des êtresconnaissantsauneamplitudeetuneextensionplusgrandes ;aussiAristotedit-il (De l’Âme, Livre III, ch.8, 431b 21) que “l’âme est d’une certainemanière toutes choses” » (THOMASD’AQUIN,Somme de Théologie, Ia,q.14,a.1).Ilpréciseplusloin(q.84,a.2,ad2m):«elleestenpuissancedetout,dessensiblesparlessens,etdesintelligiblesparl’intellect».

79–Voir:ARISTOTE,Del’Âme,LivreII,ch.12.

80–Voir:Id.,DelaGénérationetdelaCorruption,I,323a31-32.

81–Id.,Del’Âme,LivreIII,ch.2.«Lasensationn’estpassensationd’elle-même,maisilyaquelquechosed’autreendehorsdelasensation,quiluiestnécessairement antérieur : car lemoteur estparnature antérieur aumû ; etdirait-on ces choses corrélatives, il n’en serait pas moins ainsi » (Id.,Métaphysique,LivreΓ,ch.5,1010b35ss).

82–Op.cit.,LivreII,ch.6.

83–Voir:THOMASD’AQUIN,SommedeThéologie,IIa-IIae,q.8,a.1.

84–Voir:KANT,CritiquedelaRaisonpure,PréfaceB.

85–Voir:ARISTOTE,Del’Âme,LivreIII,ch.4.

86–THOMASD’AQUIN,SommedeThéologie,Ia,q.87,a.1,ad3m.

87–Voir:ARISTOTE,Del’Âme,LivreIII,ch.4;et:Métaphysique,Livre

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Λ,ch.7.

88–Voirnote68.

89–Voir:THOMASD’AQUIN,SommedeThéologie,Ia,q.79,a.3.

90–Voir:ARISTOTE,Del’Âme,LivreIII,ch.5.

91–Voir:loc.cit.,ch.4,429a23.

92 – Voir : THOMAS D’AQUIN, De l’unité de l’intellect contre lesaverroïstes,éditéparAlaindeLiberaaveclestextesconnexessousletitre:ContreAverroès(GF).

93–Voir:ARISTOTE,Del’Âme,LivreIII,ch.4.

94–«Lorsquel’intellectpossiblereçoitdesimageslesespècesdeschoses,les images jouent le rôle d’un agent instrumental et secondaire ; maisl’intellect agent, celui d’un agent principal et premier. C’est que l’effet del’actionestlaissédansl’intellectpossiblesuivantlaconditiondesunesetdel’autre, et non pas suivant la condition d’un seul d’entre eux ; et ainsil’intellectpossiblereçoit les formesrenduesactuellement intelligiblespar lavertu de l’intellect agent, mais, en tant que ressemblances de chosesdéterminées, de par la connaissance des images. Et de la sorte, les formesactuellement intelligibles n’ont d’existence par soi ni dans l’imagination nidans l’intellect agent,mais seulement dans l’intellect possible » (THOMASD’AQUIN,DelaVérité,q.10,a.7,ad7m).

95–Id.,L’Êtreetl’Essence,ch.3.

96–Voir:THOMASD’AQUIN,SommedeThéologie,Ia,q.79,a.3.

97–ARISTOTE,Métaphysique,LivreZ,ch.13.

98 – Sur les trois modes d’être de l’essence, voir : THOMAS D’AQUIN,L’Être et l’Essence, ch.3 : « Il est vrai de dire que l’homme en tantqu’hommen’anullementàêtredanscesingulier,oudanscetautre,oudansl’âme.Ilestdoncévidentque lanaturede l’hommeconsidéréeabsolumentfait abstractionde tout être, sanspourtantqu’aucund’euxne soit exclu.Etcette nature ainsi considérée est celle qui est attribuée à tous les individus.Onnepeutpourtantpasdirequelanotiond’universelconvientà lanatureprise en ce sens, car de lanotiond’universel fontpartie la communauté etl’unité,maisàlanaturehumaineaucuned’ellesneconviententantqu’onlaconsidère dans l’absolu. Car si la communauté faisait partie du conceptd’homme, alors on trouverait la communauté partout où l’on trouverait

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dans l’Esthétique et dans l’Analytique. C’est là en effet que,selonKant, la raison se trouve, fautedepouvoir s’appuyer surune vérification empirique, exposée non seulement à desparalogismes producteurs d’illusion transcendantale,mais bienauscandalequeconstituepourellel’impossibilitéd’échapperàdescontradictions,que leurcaractèrenécessairefaitdénommerantinomies.Kant renouait par là avec l’antique tradition de laréfutationdialectique,dontlesTopiquesd’Aristoteavaientfixéles principes : dans ce mode de preuve, la mise en évidenced’une contradiction sert à attester la fausseté de l’opinion quil’engendre.Sidonc la raison tombeencontradictionavecelle-même quand elle prétend connaître ce que l’on ne peutexpérimenter, c’est que cette prétention est théoriquementirrecevable:elleestuneprésomption,sourced’extravagance.

La démarche kantienne avait toutefois un aspect plusinquiétant,quil’apparentaitplutôtàl’antilogiesophistiquequ’àla dialectique aristotélicienne. Elle ne se limite pas en effet àvérifier dialectiquement l’évidence d’une vérité à la foisnécessaire et première – un principe – en montrant que sanégation est impossible. Ainsi firent Aristote et Pascal, en undomaine où ni l’intuition pure ni l’intuition empiriquen’instruisent de quoi que ce soit, pour attester l’infiniedivisibilité de l’espace. Kant pour sa part voit dans lesmétaphysiquesquil’ontprécédélapreuvequelaraison,privéede l’expérience, est capable de démontrer une chose et soncontraire,ou,cequi revientaumême,deréfuterégalementdespositions contradictoires.On peut certes échapper au scandaleens’apercevantqueKantdonnepourdespreuves,qu’ilattribueàlamétaphysiqueprécritique,desargumentsqu’aubesoincelle-ci réfutait comme autant de sophismes. Mais on devrait dumoinsconsidérerques’ilétaitvraimentpossibleà la raisondedémontrer des positions contraires, cela reviendrait tout

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simplement à annuler l’idée même de démonstration, et lacapacité de la raison à produire quelque connaissance que cesoit,puisque, selonKant lui-même, l’expérienceest tout à faitimpuissanteà résoudre lesquestionsquesepose la raisonauxlimites de sa recherche, et qu’elle n’a d’autre part valeur depreuve que dans la mesure où la raison, sous le nomd’entendement, s’y applique. L’Antithétique de la raison purepouvaittrèsbienêtreinterprétéecommeunemisehors-jeudelaraisonelle-mêmedanssaprétentionàconnaîtredesciencesûre,c’est-à-direàénoncerdesvéritésquinecraindraientpasd’êtreinfirmées.

On comprend alors qu’Hegel n’ait vu d’autre moyen desauver tout à la fois la raison, la science et la métaphysique,qu’enfaisantdelacontradictionl’essencemêmedurationnel,etdelamétaphysique,souslenomdeLogique,lapenséedecettecontradiction–au reboursévidemmentde toute laphilosophieantérieure,ainsiquedetoutcequiultérieurementcontinueradeseprésentercommescience.

Le geste hégélien avait d’ailleurs pour ambition deréhabiliter ce que la critique kantienne de la théologierationnelle paraissait, et paraît encore, avoir définitivementréfuté : la capacité de la raison humaine à atteindre uneconnaissancedel’absolu.SilesautrespartiesdelaDialectiquetranscendantalen’ontpeut-êtreconservéqu’uneportéeminime,lacritiquede la théologie rationnellepasseengénéralpourunacquis philosophique définitif, à l’époque même où, sur toutautresujet,cettedernièrenotionestengénérall’objetd’uneviveréprobation, et se trouve récusée comme la rémanence attardéed’unpréjugédelapenséeprécritique,cequiicipeutparaîtreuncomble.

Commeils’agitdel’undespointsmajeurssurlesquelsKantestcensé«avoirbienmontréque…»,sansqu’onsedonne la

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peined’expliquercomment,onpeut jugerdécisif l’examendesargumentations kantiennes quant au jugement à porter sur laportée effective de la « révolution copernicienne enphilosophie».

« De l’impossibilité d’une preuve ontologique del’existencedeDieu1»

Cequ’ilestconvenud’appelerpreuveontologiqueremonte,on le sait, à saint Anselme (moine piémontais du XIe siècle,devenu archevêque de Cantorbéry), chez qui il constitue lepremier moment d’une méditation visant à comprendre lepremierversetdesPsaumes13et52 :«L’insenséaditensoncœur:iln’yapasdeDieu».Ils’agissaitdoncpourAnselmedemontrerenquoi l’athéismeestunefolie,ou,plusmodérément,uneillusiondel’intelligence,inconscientedelanécessitéd’unepenséequis’imposeàelledel’intérieur.

C’est avec le cartésianisme que l’argument anselmiendeviendraunepiècemaîtressedelathéologienaturelle,c’est-à-dire de la connaissance philosophique de l’être divin. Ilapparaîtra en effet comme le fondement nécessaire durationalisme philosophique, en tant que celui-ci vise unefondationenraisondetoutcequiest,c’est-à-direunedéductionconceptuelle intégralede l’étant.Or l’argumentontologique seprésente comme le seul qui permette de passer du concept àl’existence, et donc de fonder la science uniquement sur desconcepts.

L’argument va jouer ce rôle fondamental chez lessuccesseurs rationalistes de Descartes : Leibniz, mais plusencore Spinoza, qui déclare : « Les scolastiques partaient deschoses, Descartes de la pensée, et moi, je pars de Dieu »,indiquantparlàl’ordrenécessaired’unidéalismedéductifdanslequel « l’ordre et la connexiondes idées sont lesmêmes que

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Dèslors, tout jugementénoncel’unionoulaséparationréellesde concepts conçus distinctement, y compris le jugementd’existence, car l’existence est la première des déterminationsintelligibles:elleestunprédicatréel,alorsmêmequ’ellen’estpas un prédicat essentiel, ouquidditatif (c’est-à-dire énonçantcequ’estunechose, telsungenreouuneespèce), etpar suiteindéfinissable. Par suite, concevoir une chose et affirmer sonexistencesontdeuxactes intellectuelsdistinctset irréductiblesl’unàl’autre:leconceptn’affirmepasplusqu’ilnenie;ilestindépendantdelavéritédesjugementsqu’ilsertàénoncer.

Il semble que la réfutation de l’argument ontologique,cohérentechezThomasd’Aquin,soitdevenueincohérentechezKant du fait de son idéalisme (transcendantal). Si l’onabandonne ce dernier, on peut récuser l’argument ontologique,maisnonplusunusagetranscendant,c’est-à-diremétaphysique,des concepts tirés de l’expérience.Ou l’argument ontologiqueest valable, ou unemétaphysique réaliste doit être possible. Ilfautchoisir.

« De l’impossibilité d’une preuve cosmologique del’existencedeDieu40»

S’il est impossible de déduire une existence à partir d’unsimpleconcept,resteàenvisager lapossibilitédeconclureuneexistence à partir d’une existence donnée, c’est-à-dire uneexistencenonperceptibleàpartird’uneexistenceperçue.C’estce type de déduction qu’opère la physique lorsqu’elle infèrel’existence et la nature des élémentsmatériels inobservables àpartir des phénomènes qu’elle observe. Par opposition à ladémonstrationapriori, tellequelapratiquentconstammentlesmathématiques,quiprécisémentne se soucientpasd’existenceréelle, on peut alors parler d’une preuve a posteriori, quiconsisteàremonterdel’effetàlacause41.C’estcequeThomas

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d’Aquindénommait«démonstrationquia»,paroppositionàla«démonstrationpropterquid42».

Onpeutsedemanders’ilestpossibledesurmonter l’échecde l’argument ontologique en démontrant l’existence nondonnée de Dieu à partir de celle, donnée, du monde. Kantremarque que le vice de l’argument ontologique est en faitd’avoir inversé la démarche naturelle de la raison : il entendpartir de « l’idée de l’être souverainement réel […] pour endériver la nécessité de l’existence43 », alors que cette idéen’était elle-même qu’un aboutissement : on ne l’aurait pasformée sans « le besoin préalable de notre raison d’admettrepourl’existenceengénéralquelquechosedenécessaire(àquoionpuisseremonterets’arrêter)44».

Tel est précisément le sens de la preuve « que Leibnizappelaitacontingentiamundo45».

Formulationdel’argument.IlestdéjàprésentchezThomasd’Aquin46, sousune forme

complexe.Comme le redira Kant, « cette preuve, pour se donner un

fondement juste, s’appuie sur l’expérience47 ». Son point dedépart est en effet la proposition empirique qui énonce qu’ilexistedesréalitéscontingentes,c’est-à-direquipeuventêtreounepasêtre.

Le raisonnement consiste alors à s’assurer qu’il estimpossible qu’il n’existe que du contingent : cette hypothèseimpliqueraitlogiquementlapossibilitéqueriennesoit,puisquel’onsupposequetoutcequiestpeutnepasêtre.Maisqu’àuncertain moment rien ne soit rendrait impossible qu’il y aitmaintenant quelque chose, car du néant, comme le remarquaitLucrèceavec insistance, riennepeutprovenir. Ilyaenfait ici

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undilemmeimpliciteausujetdumonde:ouletempsestfini,etil faut une cause non temporelle au monde temporel ; ou letempsestinfinietilestimpossiblequetoutsoitcontingentsansqu’àunmomentiln’yaitrien,etdoncqueriennepuisseveniràl’être :dansun tempssupposéfini,onpeutpenserque tout lepossible n’a pas eu le temps de se réaliser, mais pas dans untemps infini.Et dire que si quelque chose estmaintenant, il atoujoursdûyavoirquelquechose,c’esténoncerunenécessité,et contredire l’hypothèse selon laquelle il n’y a que ducontingent. Or le nécessaire s’entend en deux sens : estconditionnellementnécessaire cequi n’existe que commeeffetd’autrechose,c’est-à-direcedontl’existencen’estpossiblequeparsuitedel’existenceetdelacausalitéd’autrechose.Aucunechosedecegenrenesuffitdoncàexpliquerqu’ilpuisseexisterquelque chose : il faut donc qu’il existe quelque chose dontl’existence ne dépende de rien d’autre. Si donc il y a duconditionnellementnécessaire,ilyadel’absolumentnécessaire,«causedenécessitépourlesautreschoses48».

Leibnizreformule l’argumentàpartirduprincipederaisonsuffisante,donnécommeunaxiomeindémontrable.Sirienn’estsansraison49,ilfautunêtrequipossèdeenlui-mêmesapropreraison d’être, et soit dumême coup la raison d’être de tout lereste.CetêtreestDieu.

Ici lecontingentestenvisagécommecequin’apasensoi-mêmesaraisond’être,c’est-à-direcedontl’existencen’estpasimpliquée dans l’essence (ou le concept). Corrélativement, lanécessitéde l’êtrenécessaireconsisteencequec’est l’être telque son existence découle de son concept. Kant en tirera sadéfinitiondela«nécessitéabsolue»comme«existencetiréedesimplesconcepts»50.

Cette reformulation leibnizienne explique que Kant soit

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postulerl’athéisme,lasciencetrouvedansl’idéedeDieucequidonne son sens à sa quête inlassable d’intelligence etd’explication.MaislaCritiquedelaRaisonpurearécusétouteprétention à une connaissance métaphysique. L’existence deDieunepeutdoncêtrepourKantun«principeconstitutif»dela science, appartenant à la« facultéde jugerdéterminante» :ellenepeutserviràconstituerl’expérience,lephénomène,parcequ’iln’yapasd’intuitionàlaquelleellepuisses’appliquer.Elleest seulement un « principe régulateur » qui appartient à la« faculté de juger réfléchissante91 » : en réfléchissant sur sonactivité,laraisontrouveenDieulesensultimedecetteactivité,et c’est alors seulement qu’elle est pleinement satisfaite. Dèslors, l’idée de Dieu sert à la régulation de l’entendementscientifique : l’homme ne doit pas dépasser les bornes de safinitude et nier au nom de la science, au-delà de touteexpériencepossible,cequiestparailleursnécessaireàsalibertémorale.

La position deKant éclaire assurément celle deMonod. Ilvoitbienquelasciencedelanaturerenvoieinévitablementàlamétaphysique la solution de ses contradictions ultimes. Maiscomme son phénoménisme lui interdit de voir dans lamétaphysiqueuneconnaissance, lescontradictionsrestentpourluithéoriquementinsolubles.Thomasd’Aquin,commeAristote,cherchait les conditions de possibilité non pas de laconnaissance,mais des êtres dont l’existence est donnée dansl’expérience. La nécessité d’admettre une autre existence pournepastomberdanslacontradictionàleursujetétaitpoureuxlapreuve qu’une sciencemétaphysique est possible et que notreconnaissance ne se limite pas aux phénomènes. Lescontradictions auxquelles conduit la philosophie critiqueparaissentêtrelavérificationacontrariodecepointdevue.

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Le deuxième élément de la critique kantienne est quel’argument téléologique ne prouve pas tout ce qu’un chrétienattend d’une preuve de l’existence de Dieu : il prouverait unarchitecte du monde organisateur du cosmos, et non pas uncréateur,causelibredel’êtredumonde.

De fait, chez Thomas d’Aquin, les voies pour démontrerl’existence deDieu n’aboutissent chaque fois qu’à l’existenced’unêtrepremier,dontilneseradémontréqueparlasuitequ’ilest créateur : il y a là pourThomas deuxquestions distinctes.Hegelparaîtreveniràcepointdevueenrépondantàlacritiquekantienne : « qu’on doive accomplir » plus que ne faitl’argument«estuneautreconsidération92»,quineprouverienquantàlavaliditéintrinsèquedelapreuve.

On peut aller plus loin et se demander si un architecte dumonde peut ne pas être un créateur. L’architecte humain n’estpascréateurparcequ’ilnefaitpasexistersesmatériauxmaisnefait que leur imposer une forme, c’est-à-dire surimposer uneforme artificielle à leur forme naturelle. Dire que Dieu estseulement l’architecte dumonde revient à dire qu’il produit lemondeenordonnantunematièrepréexistante.Onretrouvealorsleproblèmearistotéliciende lamatièrepremière.Si lamatièrequeDieu informe est, comme celle de l’architecte humain, unmatériaudéterminé,elleadéjàuneformequil’ordonne,etqu’ilfaudra expliquer à son tour en la rapportant à la causeordonnatrice du monde, Dieu. Si donc Dieu ordonne unematière, ce ne peut être qu’une matière indéterminée,absolumentinforme,quiducoupn’estpasquelquechose,maiscommeditAristote,unepurepuissance.DirequeDieuordonnelamatièrepremièrerevientàdirequ’ilproduitlemondeàpartirderien.AussibienAristoteavait-ilvulacontradictionqu’ilyaà supposer qu’une telle matière puisse subsister à part des

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substancesmatérielles,composéesdematièreetdeforme.C’estpourquoisaintThomasseservirad’AristotepourdirequeDieunecréeni lamatière (première),ni àpartirde lamatière,maisqu’ilcréelamatièredessubstancesmatériellesenmêmetempsquecessubstances.

En résumé, un architecte humain n’est pas créateur parcequ’il produit un bâtiment dans l’univers, et non pas l’universlui-même : il a à sa disposition unmatériau que l’univers luifournit. Par contre, un architecte de l’univers n’a rien à sadisposition,etdoitdonccréerlematériauquiconstituelesêtresnaturels.

Commentairegénéralsurlacritiquekantienne.Quant à la validité des preuves de l’existence deDieu, on

pourrait conclure, de façon polémique, en disant que ce n’estpasl’existencedeDieuquiestobjetdefoi,maisledogmeselonlequel Kant les aurait définitivement réfutées. Son mérite estd’avoirétudiéleproblèmebeaucoupplussérieusementqu’onneleferaparlasuite,enseréclamantdelui,ycomprischezceuxquel’onappellecroyants.DéjàHegelécrivaitqu’àsonépoqueon avait presque honte de parler de preuves de l’existence deDieu, du fait de « préjugés issus de la culture93 ». Hegel aexposé une réfutation de la critique kantienne de la théologierationnelle, et jugé l’ancienne métaphysique supérieure à laphilosophie critique, parceque la première nediscréditait pas,comme la seconde, la pensée, au nom d’une définitioninconsistantedelaconnaissance94.

Le sérieux de Kant n’a d’égal que l’incapacité de sonsystème à résoudre le problème. Il tente en effet une synthèseentre,d’unepart,uneconception idéalistede lamétaphysique,héritée de Wolf, et plus anciennement de Platon, commeconnaissance « par concepts95 », c’est-à-dire absolument

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penseurs éclairés qui vivaient encore durant la périoderévolutionnaireenont été engénéral horrifiés, quand ils n’ontpasété,commeLinguet6,guillotinéssouslaTerreur.

***

Iln’ya làqu’unensembledeconstatations.Nouspouvonscependant en chercher une explication dans un opusculed’Emmanuel Kant, un article de 1784 intitulé Was istAufklärung7 ? texte le plus célèbre, sinon le seul, d’un grandphilosophetraitantthématiquementdecettequestion.

Kant commence par y définir les Lumières commel’accession de l’homme à la majorité intellectuelle et morale,c’est-à-dire à l’audace de penser et de vouloir sans la tutelled’aucuneautorité.

« Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de saminorité, dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-direincapacitéde se servirde sonentendement sans ladirectiond’autrui,minoritédontilestlui-mêmeresponsable,puisquelacauseenrésidenon dans un défaut de l’entendement, mais dans un manque dedécisionetdecouragedes’enservirsansladirectiond’autrui.Sapereaude!Aielecouragedeteservirdetonpropreentendement.VoilàladevisedesLumières8.»

Iln’yauraitaucunespoirquel’hommedeviennemajeurs’ilnedisposaitpasnaturellementde l’entendement.Aussibien ladifficulté n’est-elle pas là : elle est dans la faiblesse de lavolontéquinesedécidepasàuserde l’entendement,décisionsans laquelle cet usage est impossible.C’est pourquoi « il estdifficile pour chaque individu séparément de sortir de laminorité, qui est presque devenue pour lui nature9 » : lasoumission à une autorité est tranquillisante, et lorsquel’éducationahabituéàcegenredetranquillisants,ladécisiondes’enpasserestdifficile.Maiscequiparaîtimpossibledupoint

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devuedel’individuparaîtàKantplusréalisabledupointdevuedelacollectivité.Kantàvraidirenedonnepasdejustificationthéorique à cette affirmation, qui peut paraître contradictoire,mais il indique les deux conditions de sa réalisation. Lapremière est qu’on laisse aux citoyens la liberté de faire un« usage public » de leur raison, c’est-à-dire d’exprimerpubliquementleurpensée,delapublier,alorsmêmequ’onexiged’eux l’obéissancedans« l’usageprivé»de la raison, c’est-à-dire l’accomplissementde la fonction socialepropre à chacun,en tant que fonctionnaire, militaire, prêtre, pasteur, etc. Ladeuxième condition est que « parmi les tuteurs patentés de lamasse», c’est-à-diredans l’élitedirigeante, il y ait «quelqueshommesquipensentdeleurproprechef»,etqui,ayant«secouéle jougde laminorité», révélerontauxautres« lavocationdechaque homme à penser par soi-même10. » De cettereprésentation assez conforme au comportement de l’éliteéclairéedesonsiècle,Kanttireaussitôtuneconclusiond’ordrepolitique :«Aussiunpublicnepeut-ilparvenirque lentementauxLumières.Unerévolutionpeutbienentraînerunechutedudespotisme personnel et de l’oppression intéressée ouambitieuse, mais jamais une vraie réforme de la méthode depensée ; tout au contraire, de nouveaux préjugés surgiront quiserviront,aussibienquelesanciens,delisièreàlagrandemasseprivéedepensée11. »Kant paraît particulièrement sensible audanger que l’esprit des Lumières se fait courir à lui-même enprônant l’émancipation : celle-ci risque fort de substituer undespotisme à un autre. Dès lors, la solution qui sembles’imposer est de diriger l’émancipation dans le cadre de lahiérarchiepolitiqueexistante.Ilrevientainsiaudespoteéclairéd’accomplir le processus engagé en évitant qu’il ne soitcompromisparledésordrerévolutionnaire:

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«Sidonconnousdemande:“Vivons-nousactuellementdansunsiècleéclairé?”,voici laréponse :“Non,maisbiendansunsiècleenmarchevers les lumières”. Il s’en faut encoredebeaucoup, aupointoùensontleschoses,queleshumains,considérésdansleurensemble,soient déjà en état ou puissent seulement y être mis, d’utiliser avecmaîtrise et profit leur propre entendement, sans le secours d’autrui.[…]Toutefois,qu’ilsaientmaintenantlechamplibrepours’yexercerlibrement, et que les obstacles deviennent insensiblement moinsnombreux, qui s’opposaient à l’avènement d’une ère générale deslumièresetàunesortiehorsdecetétatdeminoritédont leshommessont eux-mêmes responsables, c’est ce dont nous avons des indicescertains. De ce point de vue, ce siècle est le siècle des lumières, ousiècledeFrédéric12.»

«La façon de penser d’un chef d’État, qui favorise les lumières,[…]etreconnaîtque,mêmedupointdevuedesalégislation,iln’yapasdedangeràpermettreàsessujetsdefaireunusagepublicdeleurpropre raison et de produire publiquement à la face dumonde leursidéestouchantuneélaborationmeilleuredecettelégislation,mêmeautraversd’unefranchecritiquedecellequiadéjàétépromulguée;nousenavonsunexempleillustre,parlequelaucunmonarquen’asurpasséceluiquenoushonorons.Maisaussi,seulceluiqui,éclairélui-même,ne redoute pas l’ombre, tout en ayant sous la main une arméenombreuse et bien disciplinée pour garantir la tranquillité publique,peutdirecequ’unÉtat librenepeutoser : “Raisonnez tantquevousvoudrezetsurlessujetsqu’ilvousplaira,maisobéissez13!”»

On voit que le propos de Kant ne va pas sans quelqueflagornerie à l’égard du roi de Prusse, et qu’il n’a ni trop deconsidération pour les masses incultes, ni trop de confiancedansladémocratie.

Ce texte confirmedoncnos constatations initiales au sujetdespositionspolitiquesdesAufklärer,etilenrésumeassezbienl’explication philosophique. Si l’on donne au concept derévolutionsasignificationpolitiquetraditionnelle,lesLumièresapparaissentmanifestement, etpourdes raisonsassezprécises,antirévolutionnaires.

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recoursàl’expérience,considéréecommetoujoursdouteuse38.Conformément à ce modèle, Descartes ambitionnait de

construire un système de la science qu’il symbolisait par unarbre : les racines de l’arbre, c’est-à-dire les fondements de lascience, sont constituées par la métaphysique, connaissancepurementintellectuelledel’âme,substancepensante,etdeDieu,dont labontéet lavéracitégarantissent lavéritédesévidencesintellectuelles qui fondent la science ; le tronc de l’arbre estconstituépar la physique, sciencedes corpsmatériels dont lesmouvements sont représentés à l’aide de la géométrie ; lesbranches de l’arbre sont les applications de la physique :mécanique, morale et médecine39. Dans ce système, lesprincipesdessciencessonttousdéduitsendernierressortdelamétaphysique, et l’expérience n’intervient que tardivement,comme adjuvant permettant de trancher entre diverseshypothèsesdifficilesàdéduire40.Laconceptioncartésiennedelascienceestainsiàl’originedesgrandssystèmesrationalistesde laphilosophieclassique,ceuxdeSpinoza,deLeibnizetdeWolf.CessystèmesdiffèrententreeuxetdeceluideDescartespar leur point de départ : Spinoza part de la notion de Dieucomme«causedesoi41»,Leibnizdelanotionde«substancesimple42»,Wolfdelanotiond’êtrepossible.Maistousontencommun de viser une connaissance de la totalité de l’être enprocédantapriori, c’est-à-dire sans référenceà l’expérience,àpartird’unenotionpremièreetparunepuredéductionlogique.

Telle est la démarche qui caractérise le rationalisme duGrandSiècle,issuducartésianisme.Or,s’ilyadurationalismedans lesLumières, ilparaît secaractériserd’abordparun rejetde ce rationalisme-là. Une expression revient souvent sous laplume des philosophes pour désigner ce qu’ils rejettent :«l’espritdesystème».Nonquelasystématiquesoitétrangèreà

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l’esprit des Lumières : si ç’avait été le cas, elles n’auraientproduitnil’Encyclopédie,ni l’HistoirenaturelledeBuffon,nilaclassificationbotaniquedeLinné,nimêmeL’EspritdesLois.Mais cette systématique est en fait à l’opposé de l’esprit desystèmedurationalismeclassique.Carloind’êtreunedéductionapriori,elleconsisteàdégagerunordreintelligibleàpartirdel’observation empirique des faits.Buffon par exemple pose enprincipelaprimautédel’observationdanslarecherche:

« On doit commencer par voir beaucoup et revoir souvent ;quelque nécessaire que l’attention soit à tout, on peut s’en dispensertout d’abord : je veux parler de cette attention scrupuleuse, toujoursutile lorsqu’on sait beaucoup, et souvent nuisible à ceux quicommencentàs’instruire.L’essentielestdeleurmeublerlatêted’idéeset de faits et de les empêcher s’il est possible d’en tirer trop tôt desraisonnements et des rapports ; car il arrive toujours que parl’ignorance de certains faits, et par la trop petite quantité d’idées, ilsépuisentleurespritenfaussescombinaisons,etsechargentlamémoiredeconséquencesetderésultatscontrairesàlavérité,lesquelsformentdanslasuitedespréjugésquis’effacentdifficilement43.»

DéjàFontenelle,dans sonÉlogedeNewton, établissait unparallèlesignificatifentrecedernieretDescartes:

«L’unprenantunvolhardiavouluseplaceràlasourcedetout,serendant maître des premiers principes par quelques idées claires etfondamentales,pourn’avoirplusqu’àdescendreauxphénomènesdelaNaturecommeàdesconséquencesnécessaires.L’autre,plustimideou plus modeste, a commencé sa marche par s’appuyer sur lesphénomènes pour remonter aux principes inconnus, résolu à lesadmettre tels que les pût donner l’enchaînement des conséquences.L’unpartdecequ’ilentendnettementpourtrouverlacausedecequ’ilvoit.L’autrepartdecequ’ilvoitpourentrouverlacause44.»

Les Lumières faisaient ainsi écho à Pascal, qui affirmaitcontreDescartesque« lesexpériencessont les seulsprincipesdelaphysique45»,et,par-delàPascal,àAristote,quireprochait

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aux platoniciens de se contenter de raisonnements purementdialectiquesaulieudemultiplierlesexpériences46.SidoncilyaunrationalismedesLumières,ilveutêtre,suivantl’expressiondeBachelard,un«rationalismeappliqué»,etcelavatoutàfaitàl’encontredelaméthodecartésiennequiveutquelesujetaillechercherenlui-mêmeetnonpasdansleschosesleprincipedetoutecertitude.Ilyalàunesortederappelàl’ordredelaraison,pour qu’elle cherche dans l’expérience le principe de sesconnaissances. Et cela vaut même pour la métaphysique : lespenseurs des Lumières ne rejettent pas, on l’a vu, toutedéduction métaphysique, mais ils rejettent la métaphysique apriori telle que la pratiquaient les systèmes à la fois clos etrivauxdu rationalismeclassique. Ilsveulent, suivant lemotdeD’Alembert,unemétaphysiquefondéesurdesfaits47.

Tout se passe comme si les Lumières reproduisaient àl’égard du rationalisme classique un geste philosophique déjàaccompli dans la critique aristotélicienne de l’idéalismeplatonicien. Contre une raison qui prétend tirer touteconnaissancedesespropreslumières,etducoupseperddanslacontradiction des systèmes qu’elle engendre, se fait jour lanécessitéd’unretourauréalisme,d’uneouverturedelaraisonàce qui n’est pas elle, à un contenu qui lui est donné del’extérieur, mais sans lequel elle est incapable de vraimentconnaître.

Toutefois, la reconversion à l’expérience produit au siècledesLumièresd’autreseffetsquedansleréalismed’Aristote.Cedernierassuraitlaraisondesonpouvoirdeconnaîtreenfondantsonactivitésurdesprincipesintelligiblestirésdeschoseselles-mêmes.LesiècledesLumièresavuaucontrairesedévelopperune mise en question radicale de la raison, ou plutôt de sacapacité de tirer de l’expérience une connaissance vraiment

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scolastiques. Ceux-ci ont certes utilisé des éléments de laphilosophie grecque, et notamment de celle d’Aristote, pourpenser la liberté comme caractéristique essentielle et doncuniverselledel’homme68.Maisleconceptdelibertéhumainenepouvaittrouversaplacequedansuneconceptiondumondeoùcelui-ciétaitpensécommel’œuvred’uneIntelligencecréatrice,cause première absolument libre, et non pas comme un ordreentièrement soumis à la nécessité duDestin, ou à la nécessitémécaniquerésultantdelarencontrefortuitedesatomes69.

Nul doute que les Lumières n’aient hérité de la notionchrétienne de liberté, élaborée philosophiquement. Mais cettenotion, on l’a vu, était mise à mal par ce qui était donnédésormais comme un principe irrécusable de la rationalitéscientifique. Avec Galilée et Descartes, la science physiques’était voulue déterministe et mécaniste. Descartes avait déjàtoutes les peines dumonde à penser que l’homme puisse êtrelibre comme « substance pensante », bien que son corps,« substance étendue », fût soumis aumécanisme général de lanature. Spinoza s’était moqué fort méchamment de cetteinconséquence, et avait nié le libre arbitre au nom dudéterminisme70.Ainsionpouvaitbienréclamerpourlessavantsla liberté de faire leur travail et d’essayer de nouvelleshypothèses sans que de pieux ignorants puissent le leurinterdire.Mais ce n’était là qu’un aspect du problème. Car laliberté d’élaborer et d’enseigner une science qui la rend laliberté impensable est peut-être, d’unpoint devuemoral, plussatisfaisante que la soumission à une autorité aveugle ; d’unpoint de vue théorique, c’est-à-dire du point de vue de lacohérence de la pensée, elle ne l’est sûrement pas. L’affaireGaliléea,commelaLune,deuxfaces,maisàladifférencedelaLune,ellen’ade facecachéequecellequ’onneveutpasvoir.

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Kant,lui,n’enaignoréaucune,puisqu’ilavulacontradiction,et en a fait l’objet d’un problème : comment articuler unesciencedéterministeetunemoraledelaliberté,c’est-à-direunemorale tout court ?Ou, en d’autres termes, comment articulerunenotionrendueparlechristianisme,etunereprésentationdel’universqui,mythologieenmoins,redevientpaïenneenfaisantdu nécessitarisme une vérité première hors de laquelle aucunescience n’est possible ? Difficulté centrale à laquelle sontconsacréstousleseffortsdelaphilosophiecritique.

L’enjeu était de taille. Car en vérité la notion de droitsnaturels de la personne humaine – celle à laquelle se référeraencore laDéclarationde1789 -, l’idéegrecqueassuméepar lechristianismed’unemoralefondéesurl’universalitédelanaturehumaine,ces idéessichèresà l’espritdesLumièresdevenaientimpensables.Kantl’abienvu,etils’enestprisaunaturalismemoraldesLumières,pourluisubstituerunemoralefondéenonpas sur la nature, mais sur la liberté en tant qu’opposée à lanature71.Etcommeseulelanatureobservablepouvaitêtreselonlui objet de science, il restait à limiter la science auxphénomènes, et à en appeler à une« foi de la raison72 » pourconserver un sens à l’exigence morale. Pour sauverl’humanisme, Kant rejetait le naturalisme, et consacraitphilosophiquementlefidéisme.

***

Jevoudraismaintenantessayerdeconclure,enrépondantàmaquestioninitiale.

La notion de révolution, dans l’acception historique duterme, signifie la substitution à un ordre établi d’un ordrenouveau, en principe opposé au premier. La brièveté, voire lasoudaineté d’un tel processusne sont qu’un aspect accidentel,

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sans doute caractéristiques dans le domaine politique, maissûrement pas dans le domaine des acquisitions théoriques quiest celui de la philosophie. Présenter la crise des Lumièrescommeunelonguecrise,oumêmecommelemomentd’unecriseencore plus longue ne préjuge donc rien de leur caractèrephilosophiquementrévolutionnaire.

Sicederniermeparaîtdifficileàaffirmer,c’estbienplutôtparce qu’à certains égards, il n’y a pas de philosophie desLumières.LesLumièressontunensembleflou.Ouplutôts’agit-il d’un terme qui circula comme unmot de passe pendant unsiècle, dans la philosophie et en dehors d’elle, ainsi quequelques autres comme raison, liberté, tolérance…Mais ceuxqui les utilisaient y associaient des contenus différents, voirecontradictoires.

Il n’y a pas de philosophie des Lumières, parce que lesLumièresnesontlaphilosophiedepersonne.Ellesdénommentuneépoquededébatphilosophiqueentredeux révolutionsquifurent chacune l’œuvre d’un philosophe : la révolutioncartésienneet la révolutionkantienne.Descartesvoulait rebâtirlamétaphysiqueetlascienceenlesarra-chantàunescolastiqueringardeetdéliquescente:illefitenrepliantlaraisonsurelle-mêmeaudétrimentdel’expérience.Kantvoulutsauverlaraisonscientifiquecontreladérivedel’empirismesceptique,etsauverlalibertémoralecontrelescientisme:illefitaudétrimentdelaconnaisance métaphysique, à laquelle il substitua un fidéismephilosophique.

Aveclarévolutionkantienne,l’époquedesLumièreslivraitàsa postérité un humanisme éclaté, dont Kant avait non sansprofondeur exploré les contradictions. Plutôt que d’un acquisphilosophique,laphilosophiehéritaitd’unequestionàlaquelleellen’apasfiniderépondre.SelonlemotdeKant,laquestion

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« élévations arbitraires de la valeur9 » ; bref : nous n’aurionsaucun principe de connaissance universelle et nécessaire. Ils’agitdoncdemontrerqueletemps,toutenétantintuitif,n’estpasdérivabledel’intuition.

Lapreuvedonnéeestqu’ilest impossibledepercevoirunesimultanéité ou une succession sans que la représentation dutemps soit toujours déjà impliquée dans cette perception(Wahrnehmung) :« cen’estque souscetteprésuppositionquel’onpeutsereprésenterquecertaineschosessontdansunseulet même temps (simultanément) ou dans des temps distincts(successivement)».

L’argument est moins simple qu’il n’y paraît, du fait queKant passe du concept de perception à celui, plus général, dereprésentation. Tout serait clair s’il s’agissait de jugement,c’est-à-diresil’onétaitdanslasphèredel’entendement.Carunjugement présuppose les concepts dont il est composé, doncaussilesconceptsqueceux-làmêmesprésupposentparcequ’ilssontlogiquementantérieurs:ainsiletempsestimpliquédanslasimultanéitéetlasuccession,etcestermessontprésupposésauxjugements qui énoncent qu’une chose s’est produite avant uneautre, après elle, ou en même temps. Mais une telleinterprétation irait contre les intentions de Kant, puisqu’ilentend traiter ici de l’intuition sensible, en la distinguantrésolumentdecequirelèvedel’entendement10.

On peut alors comprendre que pour percevoir desphénomènes comme simultanés ou successifs, il faut pouvoirdéjàsereprésenterladifférenceentresimultanéitéetsuccession; sans cette représentation, des phénomènes (le bourgeon, lafeuille)pourraientêtreperçus,maispasleurrapportordonné.Orce rapport est aussiperçu,bienquecetteperceptionne soit lareprésentationd’aucunphénomèneparticulier.

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On sauve ainsi la logique de l’Esthétique, mais on sedemande alors en quoi elle peut servir de preuve à l’idéalismetranscendantal. Car en un sens l’argument de Kant est unesimple tautologie : la représentation de tout phénomènetemporel implique la représentation du temps, et il faut êtrecapablede se représenter le tempspour avoir consciencede latemporalité des événements. On ne voit pas en quoi cetteproposition serait irrecevable d’un point de vue réaliste quiferait de la temporalité un attribut des choses perçues, connudansetparlaperceptionquenousenavons11.Leproblèmeestici que la forme, telle que Kant la conçoit, ne peut êtreintuitionnéeàpartde l’intuitiondontelle est la forme.Si ellepouvaitl’être,elleseraitelle-mêmeobjetd’intuition,c’est-à-direimpressionproduiteennousparunechosesensible;elleseraitalorsdonnéeaposteriori, comme toutesensation,cequeKantrécuse.Maisl’inséparabilitédelaformeetdel’intuitiondonnéesignifie tout aussi bien qu’il est impossible de vérifierintuitivement lecaractèreaprioride la forme.Etcommecettevérificationne saurait être d’ordre intellectuel, il faut conclurequ’iln’yaiciaucuneraisondepréférerl’idéalismeauréalisme.

Le deuxième argument du § 4 de l’Esthétique proposetoutefois une telle vérification : «On ne peut absolument passupprimer le temps lui-même de la considération desphénomènes, mais en vérité on peut tout à fait abstraire(wegnehmen) du temps les phénomènes. Le temps est doncdonné a priori ». Le dogmatisme apparent de la formules’expliqueparlefaitqueKantrecourtici,trèslogiquement,àcequ’onpourraitappeleruneexpériencedereprésentation,dontlesensparaîtêtre:avant,après,enmêmetempssignifientencorequelque chose même lorsque je fais abstraction de toutévénement déterminé auquel je pourrais les appliquer,mais ne

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signifient rien d’autre que la possibilité même de cetteapplication. Ainsi je peux me représenter la production d’unphénomène en général sans me représenter aucun phénomènedéterminé ;mais toutphénomène,quelqu’il soit, seraquelquechose qui se produit avant, après, ou en même temps qued’autres.

Cet argument paraît reconduire aux difficultés précédentesplus qu’il ne les surmonte, parce qu’il comporte la mêmeéquivoque du concept de représentation. Qu’on puisse sereprésenterletempsabstractionfaitedesphénomènestemporelsne poserait pas de problème si le temps pouvait être iciconsidérécommeunconceptabstrait,cequeKantrécuseetquiici encore autoriserait sanspeineune conception réaliste de latemporalité, dans laquelle le concept de temps serait lareprésentation mentale d’une donnée universelle, toujoursprésentecommetraitformelauseindesperceptionssensibles.

Maisonpeutànouveaus’interrogersur lacohérencede ladoctrine.CarKantenappelleiciàunereprésentationséparéedutemps qui, on l’a vu, ne saurait être qu’intuitive, celle d’untempsvide,puisquevidédetoutphénomène.Onpeutcertessedemandercequ’ilresteraitalorsàintuitionner:peut-onencorenon pas distinguer conceptuellement l’avant et l’après, maisdistinguer intuitivement un avant et un après là où plus rienn’estdonnéquipuisse lesdifférencier?Kantenappelle ici, àproposdelaformedetemps,àcequ’ildéclareraimpossibleà-proposdel’espace,précisémententantqueforme,danslanoteàlaPreuvedel’AntithèsedelaPremièreAntinomie12.

Il semble donc difficile de considérer comme décisifs lesdeuxpremiersargumentsdu§4encequiconcernelecaractèrea priori et donc, en termes kantiens, « l’idéalité » du temps.C’est pourquoi l’essentiel de l’argumentation kantienne doit

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autantenfaireunabsolu39.Orcetterelativisationdutempsparrapportaumouvementexpliquel’aporieénoncéeparAristoteetexploréeparThomasd’Aquin:sil’onconsidèreletempsàpart,abstraction faitede l’existencedeschosesmobiles, ilpeutêtreaussibienfiniqu’infini,etl’onnepeutrienendéduirequantaucommencement du monde. Ce « dogmatisme » dit parconséquent seulement que le temps est fini si le monde acommencé,etinfini(enamont)silemonden’apascommencé,parcequeletempsappartientauxchosesavantd’apparteniràlaconscience, et que les deux hypothèses cosmologiquesapparaissent également possibles en considération du tempsseul,tantqu’aucuneautreconnaissancedelaréalitéphysiquenesera venue imposer ou infirmer la réalité de soncommencement40. Et quoi qu’il en soit de cette dernièrequestion,onpeutsedemandercomment ladéfinitiondutempscomme forme de la conscience humaine est compatible avecl’affirmation, admise par Kant, qu’il a existé quelque choseavant l’homme, et quelque chosequi est déjàundevenir de lanature.

Sansdoutefaut-ilicirevenirauxintentionsdeKantsil’onveut donner à la critique du criticisme une « utilité » plus« positive » que celle d’une simple « police » de la raison41.Lorsqu’il en vient à traiter « de l’intérêt de la raison dans ceconflit avec elle-même », Kant caractérise celuici commel’opposition de deux formes du dogmatisme : à l’une, qu’ilnomme, en un sens restreint du terme42, « dogmatisme de laraisonpure»,ilrapportelesthèsesdesesantinomies,àl’autre,qu’il qualifie d’« empirisme pur », il rapporte les antithèses.Auxpremières,ilattribue«unintérêtpratiquecertain43»:encequiconcerneletemps,lapreuveducommencementdumondeattesterait qu’il est créé. À l’empirisme il ne trouve « aucun

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intérêtpratique»–ilyvoitmêmeplutôtunemenacecontre«lesidéesmorales»et« lareligion»-,maisenrevancheungrand«intérêtspéculatif»,pourautantquecetempirismerécusetoutelimitationdelarecherchescientifiqueexpérimentale44.

Enrenvoyantdosàdoslesdeuxdogmatismes,lecriticismepouvait présenter l’idéalisme transcendantal comme le moyendesauverl’usagepratiquedelaraisonpure,toutenconsacrantphilosophiquement le déterminisme a priori de la sciencethéorique : « si l’on n’admet pas cette idéalité du temps et del’espace,ilneresteplusquelespinozisme45»,c’est-à-direpourKantunedoctrinequiannulelalibertéhumainesouscouvertdela redéfinir. Faire du temps et de l’espace des formessubjectives, c’était n’accorder aux référentiels de la physiquequ’unesignificationphénoménale46,etinterdireparlàmêmedes’enautoriserpouraffirmerunnécessitarismemétaphysique.

Cesauvetagede la liberténes’imposait toutefoisquedanslamesureoùKantavaitadmisque lasciencenepouvaitêtreaprioriquedéterministe,etavaitparconséquentrenoncéàfairela critique de cette supposition. Dès lors, en revanche, que lascience a cessé d’être déterministe au sens où Kantl’entendait47,leréalismedutempsetdel’espacenedevraitplusapparaître comme une menace pour la liberté, ni lephénoménisme transcendantal comme le seul moyen de luiconserveruneplace.Ets’iln’apparaîtnécessaire,nid’unpointde vue théorique, ni d’un point de vue pratique, de poser quenousneconnaissonsquecequiapparaît,etnonpascequiest,alorsonnevoitpascequirendraitimpossibleuneconnaissancemétaphysiqueengénéral,etdelalibertéhumaineenparticulier.

1–NIETZSCHE,Par-delàBienetMal,§212.

2–LarédactiondelaCritiquedelaRaisonpure(citéeicid’aprèsl’édition

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FélixMeiner,Hamburg1956)faciliteleschoses,carlestrictparallélismedesargumentsconcernantletempsetl’espacefaitquecequivautpourl’unvautaussipour l’autre.RogerVerneauxa traité laquestionde l’espacedanssonlivre:KANT,CritiquedelaCritiquedelaRaisonpure(AubierMontaigne,Paris1972).IlestsingulierdeconstaterqueHeidegger,d’habitudesiprolixedanssescommentaires,consacreàl’Esthétiquetranscendantale,dansKantet le Problème de la Métaphysique, moins d’une dizaine de pages quioffrent plutôt une répétition scolaire qu’un examen philosophique de laquestion.

3–Lemotd’ordrehusserliendu«retourauxchosesmêmes»n’apasrenducaduque la thèse kantienne puisqu’ici la chose est définie en fonction del’épochèphénoménologiquequienestplutôtleprolongement.Demême,leDasein heideggérien non seulement « temporalise » l’étant mais, dans cethorizon,est leprincipede toutsens intelligiblepar lequel il fait«être»unétant en lui-même dépourvu de sens : en quoi l’on peut voir unegénéralisationdelathèsecommuneaukantismeetàlaphénoménologie,endépitdesdistancesqueHeideggerentendprendrevis-à-visdecesdoctrines.

4–Latraductiondecepassagefondamentalestpresqueimpossiblesansuneglose qui pourra toujours paraître contestable. Le sens est clairement celuid’uneprédispositiondel’esprithumainàordonnerlessensationssuivantunprinciped’ordrequivientdeluietnonpasd’elles.Ilfautnoterqu’audébutdel’AnalytiquedesConcepts,Kantutilisera,pouraffirmerleurinhérenceapriori à l’entendement,uneexpression (vorbereitet liegen) toute prochedecelle qu’il utilise dans l’Esthétique pour les formes de l’intuition(bereitliegen), et il parlera ensuite explicitement de leur « application »(Anwendung)à l’intuitionempirique(Critiquede laRaisonpure,B,§22).Quantà lapréexistencedesformesparrapportà lasensationeffective,elleest clairement posée à la fin du quatrième alinéa du § 1 de l’Esthétique,commeellel’étaitdéjàdanslaDissertationde1770(§14,5).

5 – On notera que Kant ne se conforme pas, dans l’exposition de sesarguments, à l’ordre pourtant très logique qu’il a annoncé dans le dernieralinéadu§1.L’étude iciprésentées’autorisedeceplan initialpournepastraiterlesargumentsd’aprèsleurnumérotation.

6 – On sait que l’usage du terme concept chez Kant ne va pas sans unecertaineamphibologie.Ilyad’abordladistinctionessentielleentreconceptspurs (les vrais universels nés de l’entendement), et concepts empiriques(signifiés de nombreuxmots dépourvus de véritable universalité).Mais en

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de connaissance,moyennant d’abord ces fonctions psychiquesquesontlesentiment,l’imagination,etlamémoire14.C’estbienpourquoi un chrétien comme Thomas d’Aquin a pu pensertrouver chez lesGrecs de quoi définir la notion, léguée par lechristianismeàl’humanismemoderne,delapersonnehumaine,dontladoctrinedelavolontéestassurémentl’élémentessentiel.Le propre de la philosophie moderne à cet égard n’est pas ladécouvertedelasubjectivitépersonnelle,maisplutôtl’inventionde l’idéalisme anthropocentrique qui, ne reconnaissant d’autresubjectivité réelle que celle qui est censée s’attester dans laconsciencehumaine,serendàtermeimpossibledepensercettesubjectivitécommeunmoded’être,etsecondamneàréduirecedernieraustatutd’unsimplepointdevue.

C’est au contraire à partir de ce qu’on peut appeler uneontologie comparative qu’Aristote a conçu ce qui devaitpermettreultérieurementdedéfinir, sansqu’il lesaitdésignéescommetelles,lesnotionsdevolontéetdepersonne.

L’invention philosophique de la première est exposée dansledernierchapitredupremierlivredel’ÉthiqueàNicomaque.Àla tripartition platonicienne de l’âme en intelligence, cœur etdésir, Aristote substitue une distinction entre sa partierationnelleetsapartieirrationnelle,ainsiqu’unesubdivisiondeces dernières.Aristote non seulement distingue, dans la partieirrationnelle,l’âmevégétativeetl’âmesensitivo-motrice,maisiloppose en outre les fonctions, végétatives ou sensorielles, quiéchappenttoutàfaitaucontrôledelapartierationnelle,etcettepartiedel’âmesensitive–l’affectivité–quitantôtrésiste,tantôtobéit à la raison. Or cette dernière distinction ne pouvait êtrefaite sans que soit reconnue, à l’intérieur même de la partierationnelle, et à côté de ses capacités cognitives, une fonctionappétitivesusceptibled’entrerenrivalitéavecl’appétitsensible,

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capable aussi de s’opposer et de s’imposer à ce dernier, soitd’exercer une motricité qui lui est propre, à l’encontre desinclinations affectives.Qu’il existe un appétit rationnel – ou,commeon dira plus tard, une raisonpratique -, telle est chezAristoteladécouvertephilosophique,danslaligneetàpartirdece qu’avait pensé sonmaître, de quelque chose que ce derniern’avait pas thématisé, et qui devait ultérieurement se trouverdésigné par le terme de voluntas : qu’Aristote ne lui ait pasdonnédenomn’empêchepasqu’ilenaiteulanotion,etc’estbien à celle-ci que recourt Thomas d’Aquin pour définir lavolonté. IlpeuteneffetciterAristotequi,étudiant lamotricitéde l’âme, écrit : « L’intellect spéculatif » – en grec :épistèmonikon–«nemeutpas15».Orsi, comme l’expériencel’atteste,ilexisteunecapacitédesoumettreàlaraisoncertainespuissancessensibles,ilestnécessairedereconnaîtreàl’intellectune puissance motrice distincte de sa puissance spéculative.Ainsi«ilyaentouteschosesunappétitdubien[…].Chezlesêtres qui ont une connaissance sensible, on l’appelle appétitanimal, divisé en appétit concupiscible et appétit irascible.Tandis que chez les êtres qui pensent, il est appelé appétitintellectuelourationnel:c’estlavolonté16».

Onvoitqueladécouvertedel’existencedelavolonténefaitqu’unaveccelledel’existenced’unbienintelligible,distinctdubiensensible,soitd’unbienvisécommeteldans l’ordredeceque les sens ne peuvent connaître par euxmêmes. Cettedistinction permet d’échapper à la confusion générale entre leplaisiretlebien:Platonlessymbolisait,alliantl’humouretledégoût, par l’exemple du galeux qui peut savoir qu’il seraitmeilleurpourluidenepassatisfairesonenviedesegratter,afinde ne pas aggraver son mal17. Ainsi revient-il à l’intellect depréférer, comme on dit, le long terme au court terme, par

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exemple en évitant de dilapider son bien pour des plaisirséphémères ; ou de renoncer à certaines satisfactionsindividuelles pour obéir à une loi commune, civile oumorale,pourautantqu’onencomprendlesensetlebien-fondé;oudejugerque,pourl’homme,rienn’estpréférableàl’activitémêmede l’intellect, quand il connaît le plus haut intelligible18. Ladécouvertedelavolontérenvoiedoncenfaitàladécouvertedel’intellect en tant que faculté de connaissance non sensible,seule apte, à la différence des sens, à procurer ce type deconnaissancespécifiquementhumainqu’estlascience:celle-ciestrenduepossibleparleraisonnement,quiconsisteàarticulerlogiquementdespropositionscomposéesdeconcepts.OnpeutfaireremontercettedécouverteaumoinsauThéétètedePlaton,où se trouvent critiqués conjointement le matérialisme, lesensualisme,et lerelativisme.DemêmeThomasrapproche-t-il,enréférenceàAristote19,«ceuxquifontdel’âmeuncorps20»et « ceux des philosophes anciens (antiqui philosophi) quipensèrent que l’intellect ne diffère pas du sens21 ». Lesargumentsprincipaux,empruntésautraitéDel’Âme,fontvaloirla capacité de l’intellect à « connaître les universels » et « lesréalitésincorporellescommelasagesse,lavérité,etlesrelationsdeschoses22»,ainsiquesaréflexivité23.Orcespropriétés,quipermettent aussi d’écarter la confusion entre l’intellect etl’imagination24,expliquentsansdoutecequeThomasfaitvaloird’abord, dansunordre de considération à la fois empirique etpratique,plutôtquethéorique:«Lesenssetrouvecheztouslesanimaux. Mais les animaux autres que l’homme n’ont pasl’intellect. Cela se voit à ce que leurs opérations ne sont pasdiverses ni opposées, comme s’ils avaient un intellect ; maisc’est commemus par la nature qu’ils réalisent des opérationsdéterminées et uniformes dans chaque espèce : par exemple

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d’une même volonté62 ». Depuis le Livre I de l’Éthique àNicomaque,ilestreconnuquelebonheurdésignecebiendontil n’y a plus à demander pourquoi on le vise, soit la fin parrapport à laquelle tout le reste peut être considéré comme unmoyen. Ne peut être absolument visée qu’une fin qui ne soitplussubordonnéeàautrechose,cartouslesautresbiensnesonttels qu’en fonction de la fin pour laquelle ils sont voulus :«Quandnousvoulonsquelquechoseseulementpoursafin,cequiestvouluàcausedelafinenreçoitsanature(ratio)d’objetvoulu63. » Toute visée d’un bien comme tel implique donc enelle-même la visée de ce souverain bien qui n’est plus bon àautre chose, et que tous les hommes appellent bonheur. En cesens, « l’appétit de la fin ultime ne fait pas partie des chosesdont nous sommes maîtres », car « de même que l’intellectadhère nécessairement aux premiers principes, de même lavolonté adhère nécessairement à la fin ultime qui est lebonheur64».Ilyadoncdanslavolontéune«inclination»verssafin,quiestcommeune«nécessiténaturelle»,dontThomasentreprenddemontrer,àlasuitedesaintAugustin,qu’elle«nesupprimepaslalibertédelavolonté65».

Cette démonstration se fait en référence à la distinctionaristotélicienneentredeuxactesdelavolonté:celuiparlequelellevisesafin,etceluiparlequelellechoisitlesmoyensdelaréaliser :«Selon lePhilosophe, lavolontéporte sur la fin, lechoix sur les moyens qui conduisent à la fin66. » De cettedistinction, Aristote tirait un corollaire au sujet de ladélibération, c’est-à-dire de l’activité rationnelle par laquellenous cherchons à déduire les bonsmoyens d’atteindre une finvisée : « nous ne délibérons pas sur les fins,mais sur ce quipermet d’atteindre la fin67, car la représentation de la fin esttoujours présupposée à titre de prémisse de cette déduction

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qu’Aristote appelle le syllogisme pratique. La question de lalibertédelavolontépeutdoncd’abordconsisteràsedemandersilechoixdesmoyensestrendunécessaireparlaconsidérationdelafinpourlaquelleilssontvoulus.Orunecertainenécessitépeutseprésenter,«quandonnepeutatteindreunefinqueparunseulmoyen»:onnesauraitapprendreànagersanssemettreà l’eau, ni « traverser la mer » sans « bateau » 68. Sur quoiThomasremarqued’abordqu’unetellenécessité–téléologiqueetconditionnelle–«n’estpasincompatibleaveclavolonté(nonrepugnatvoluntati)69»,c’est-à-direqu’ellenesupprimepas lecaractère volontaire des actes qu’elle commande, lesquels nesont pas réduits par là à de simples effets d’une nécessiténaturelle. Mais on peut remarquer en outre que ce n’est pastoujourslecas,etqu’unefinpeuttrèsbienapparaîtreréalisablepar plusieurs moyens, comme lorsqu’il s’agit de prendrel’escalier de droite ou l’escalier de gauche d’un perronsymétrique.Orc’estlàjustementcedonttémoignel’expériencedelarecherchedelafinultime:car,si«tousleshommes[…]se rencontrent dans le désir de la fin dernière, qui est lebonheur», ils«nesontplusd’accord lorsqu’ils’agitdeceenquoi consiste cette fin dernière. Les uns cherchent le biensuprêmedans la richesse, les autresdans leplaisir, et d’autresencoredansn’importequoid’autre70».Onenconcluraqueseullebonheur,entantqu’ildénommelafinultime,n’estobjetnidedélibérationnidechoix,alorsqu’ilyauncertainchoixdesfinsgénérales que les hommes visent – diversement – comme desmoyens dont ils espèrent leur bonheur. Or une telle diversitéatteste suffisamment la contingence d’un tel choix, paroppositionàlanécessitéd’uneffetnaturel:car«lepouvoirdecequiagitparnécessitédenatureestdéterminéàunseuleffet.C’estpourquoitoutcequiestnaturelseproduittoujoursdela

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mêmemanières’iln’yapasd’empêchement ;maispas toutcequiestvolontaire71».

Thomasexpliquecettevariabilitépar l’écartqu’ilyaentrelagénéralitédelafinvisée–lebienultime–etlaparticularitédes fins relatives dont nous en attendons la réalisation : « carl’intellect n’appréhende pas seulement tel ou tel bien,mais lebien lui-même en général (ipsum bonum commune). Par suite,puisque l’intellect meut la volonté par la forme qu’ilappréhende,etqu’entouteschosescequimeutetcequiestmûdoivent être proportionnés, la volonté de la substanceintellectuelle ne sera déterminée par la nature qu’au bien engénéral.Donclavolontépourrainclinerverstoutcequiluiseraoffert sous l’aspect de bien, sans qu’aucune déterminationnaturelle en sens contraire ne l’en empêche. Tous les êtresintellectuelsontdoncunevolontélibrequivientdujugementdel’intellect.C’est là avoir le libre arbitre, qui se définit commelibre jugement provenant de la raison72». On voit ici encoreque Thomas fonde l’affirmation de la liberté humaine sur ladétermination du vouloir par le bien intelligible : « C’estl’universel que l’intellect est naturellement capabled’appréhender.Enconséquence,pourqu’unmouvementouuneaction quelconque résulte d’une appréhension intellectuelle, ilfaut que la conception universelle de l’intellect soit appliquéeauxcasparticuliers.Maisl’universelcontientenpuissanceunemultitude de cas particuliers. L’application d’une conceptionintellectuellepeutdoncêtremultipleetdiverse.Etparsuite lejugementdel’intellectsurcequiestàfairen’estpasdéterminéàquelquechosed’unique73.»

Ainsi aucun bien particulier ne détermine la volonté defaçonnécessaire.Eneffet,«siàlavolontéseprésenteunobjetqui soit bon universellement et à tous égards, elle y tendra

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21–Ibid.,66,1.

22–Ibid.,3-4.

23–Voir:ibid.,5.

24–Voir:Op.cit.,II,67.

25–Op.cit.,II,66,2.

26–Op.cit.,IV,19,3.

27–Op.cit.,I,90,3.

28–Id.,SommedeThéologie,Ia, q.82, a.4.Unautrepassage, recourant àl’analogie, suggère une transition plus immédiate encore entrel’appréhensioncognitiveetl’appétition:«Lemoteurprochaindelavolontéestlebiensaisiparl’intellect,quiestsonobjet,etelleestmueparluicommelavueparlacouleur»(Id.,SommecontrelesGentils,III,88,2).

29–Id.,SommecontrelesGentils,IV,19,2.

30 – Ibid. Le passage cité d’Aristote est dans le Livre III de l’Éthique àNicomaque(1114a32).

31–THOMASD’AQUIN,SommedeThéologie,Ia,q.82,a.3.

32–Voir:ARISTOTE,Métaphysique,V,1.

33–THOMASD’AQUIN,SommedeThéologie,Ia,q.82,a.3.

34–Id.,SommecontrelesGentils,I,72,7.

35–Op.cit.,III,149,5.

36–Op.cit.,I,72,7.

37–Id.,SommedeThéologie,Ia,q.82,a.4.CommeAristote,Thomasexclutdecettemotionvolontaire«lesforcesnaturellesdelapartievégétative,quinesontpassoumisesànotredécision(arbitrio)».

38–Id.,SommecontrelesGentils,III,26,dernier§.

39–Id.,SommedeThéologie,Ia,q.82,a.4,ad3m.

40–ARISTOTE,Del’Âme,III,4,430a6.

41–Voir:ibid.,ch.5.

42 – Il ait singulier qu’on ait pu reprocher à Aristote, sans doute sousl’influence du kantisme, d’avoir ignoré le rôle actif de l’intellect dans la

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connaissance, alors qu’il a été l’inventeur d’une telle notion. C’est bienplutôt Descartes qui a considéré l’entendement comme une puissancepurementpassive,lavolontéétantpourluilaseulepuissanceactivedel’âmepensante.VoirsurcepointLesPassionsdel’âme,1èrepartie,a.17.

43 – Sur la conception thomasienne de l’intuitivité de l’intellect, voirmonarticledanslaRevuethomiste,108èmeannée,n°2,avril-juin2000.

44–THOMASD’AQUIN,SommecontrelesGentils,IV,19,3.

45–Id.,SommedeThéologie,Ia,q.82,a.3.

46–Ibid.

47 – On pourrait certes se demander s’il est possible de connaître sansl’aimer Celui qui est l’amourmême. Le théologien Thomas avait pour luil’Évangile de Jean, selon qui « la vie éternelle, c’est de connaître (le) seulvrai Dieu » (Jean, 17, 3). Le même Jean affirme que cette connaissanceconsiste à « voir Dieu tel qu’il est » (1 Jean, 3, 2), soit en une vision del’essence divine. Et lemême encore énonce cette dernière dans la formuleaussilapidairequ’impéris-sable:«Dieuestamour»(Op.cit.,4,8).Dèslorscomment celui qui n’aimerait pas Dieu serait-il à même de reconnaîtrel’amourdivin,oucommentsesaurait-onaimédeDieusansdumêmecoupl’aimer, comme si l’absence de ce deuxième amour n’entraînait pas d’elle-même l’ignorancedupremier ?On aurait toutefois tort de croire que cetteconnaissance de l’amour divin soit un trait original de la révélationchrétienne :Platon l’avait explicitement enseignédans leTimée en écrivantqueDieu«estbon»,etque«étantexemptdehaine, ilavouluquetouteschosesfussentautantquepossiblesemblablesàlui»(PLATON,Timée,29e).Et lorsqu’Aristote ajoute que Dieu « meut » le monde « comme objetd’amour(hôsérôménon)»,ilditbienquelamotricitéduPremiermoteurestcelled’unecausefinale,donttouslesêtrestendentautantqu’ilesteneuxàimiter la perfection. Or cette connaissance est aussi ce qui constitue lesouverain bien de l’homme (Éthique à Nicomaque, X, 7), qui donne parmoments à ce dernier le bonheur dont Dieu jouit éternellement(Métaphysique, XII, 7, 1072b 24-25). Lorsque Thomas dit que l’intellectmeutlavolontéàtitredecausefinaleparlaconnaissancedubienintelligible,il indique en fait la manière propre qu’a l’intellect humain d’imiter ladivinité, moyennant sa capacité naturelle de connaître, et la spontanéitéactive de sa mise en œuvre. L’amour apparaît alors comme le fruit d’uneconnaissancequienestenfaitcommelepremierpas.

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48–THOMASD’AQUIN,SommecontrelesGentils,I,95,3.

49–Iciencorelevolontarismecartésienrenverseralaperspectiveenfaisantdu jugement un acte de la volonté et non pas, comme chez Thomas, del’intellect,rebaptiséentendement.C’estDescartesquipenseraqu’iln’yapasd’erreur sans faute.Àquoi l’on pourrait objecter : si la volonté semontrefautive en jugeant précipitamment, n’est-ce pas parce que le repos dans lejugement lui apparaît plus désirable que les incertitudes du douteméthodique, lequel n’a lui-même de sens que dans la mesure où l’étatd’erreur est appréhendé comme un mal de l’intelligence ? Faute de quoi,l’insubordination de la volonté au bien intelligible doit avoir pourconséquencesoncaractèrearbitraireetfinalementabsurde,cequiseralecasdanslaformenihilisteduvolontarisme.

50–Voir:ARISTOTE,ÉthiqueàNicomaque,III,1-3.

51–ARISTOTE,ÉthiqueàNicomaque,III,2,1110b31.

52 – Thomas d’Aquin s’est posé la question de la racine du mal moral(QuestiondisputéeDeMalo,q.1,a.3).VoiraussiSommecontrelesGentils,III,10),soitdecequeKantappelleralemalradical.Demêmequelemalengénéralestundéfautdebien,soit laprivationd’uncertainbienquidevraitêtre,demêmelemalmoralestunmanquementde lavolonté libreaubienqu’elle doit. Il s’agit de concevoir ce qui peut rendre un choix, et un acte,moralement défectueux. Thomas d’Aquin rencontre lemême dilemme queKant : il n’est pas possible de trouver la cause du mal dans la nature del’homme ou de sa volonté, car il ne pourrait plus s’agir d’unmalmoral ;maisiln’estpaspossiblenonplusdelasituerdansunchoixquiseraitdéjàunacte–intérieur–mauvais,carceseraitexpliquerlemalparlui-même.Silemalestensoiundéfaut,onpeutbienl’attribueràunedéficiencedeceluiquiveut,maiscelle-cinepeutêtreniunmanquephysique–naturel-,niunmanquementdéjàvolontaire.Ladéficienceoriginairepeutêtrecompriseparopposition à ce que Kant appellera la « volonté sainte », c’est-à-dire lavolontédivine :cettevolontén’est limitéeparrienquantàsaconnaissancedu bien, ni sujette à aucune inclination qui pourrait l’en détourner. En cesensonpourradirequelaracinedumaln’estriend’autrequelafinitudedela créature. Thomas d’Aquin cherche seulement à préciser comment cettefinitudejoueunrôledanslechoixdel’actionmauvaise.Lemaldel’actionestunmanquedeconformitéàlarègleàlaquelleelledevraitobéir:encorefaut-il pour cela que la règle soit prise en considération. Or l’absence deconsidération de la règle est en soi quelque chose de simplement négatif :

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l’effectivité,del’essence,ilenrésultequelasciencedel’êtreentant qu’être doit connaître et expliquer les êtres en tant qu’ilsexistentetnonpasseulemententantqu’ilssonttelsoutels.

On ne peut d’ailleurs pas dire qu’Aristote ait ignoré cetteperspective, alors même qu’il ne s’est jamais interrogé surl’existence même du monde, qu’il supposait éternel. À ladifférence de platoniciens, qui prétendaient trouver leursexplications fondamentales dans de pures idées, c’est-à-diredansdesessences,Aristote faisaitvaloirque les substancesnepourraientêtreexpliquéesentantquetellesquecommeeffetsdelacausalitéd’autressubstances.Aussiétait-ilreconduitàl’idéed’unesubstancepremière,causedetoutmouvementetdetoutegénération, un « premiermoteur » (Physique, VIII). Et il étaitamené à définir ce dernier comme « un principe tel que sasubstance soit acte » (Métaphysique, Λ), soit comme un êtreexempt de toute possibilité de devenir autre, et comme telcapable de causer tout changement chez les êtres dontl’effectivité est empreinte de potentialité. L’absolu, ou, enlangagekantien, l’inconditionnéauquelrenvoie touteexistencedérivée,doitêtreexemptdetouteformedecemanque-à-êtrequeconstitue l’être en puissance : il faut le concevoir comme unepureeffectivité,unactepur.

Laprimautéqu’ilaccordaitàl’existenceconduisaitThomasd’Aquin à réinterpréter cette notion aristotélicienned’actepur.Sieneffetl’esseestl’acteparexcellence,alorsilfautconcevoirque l’acte pur qu’est l’être premier est un acte pur d’exister,ipsum esse subsistens (Somme de Théologie, Ia, q.4, a.2, ad3m),cequiassurémentnenousendonneaucunconceptdéfini,mais nous le fait appréhender négativement, par opposition àtous les êtres dont l’acte d’exister est limité par leur essencedéfinissableàtellemanièred’être.

Dumêmecoup,lacausalitédupremiermoteurpouvaitêtre

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envisagéecommeportantsurl’existencemême.Lepropred’unecauseesteneffet,selonAristote,depouvoircommuniquerunemanière d’être, une forme, qu’elle possède en propre : telle lachaleurpourlefeu.SiDieuestcetêtrequinonseulementaenpropre d’exister, mais qui « est son exister (est suum esse) »(SommedeThéologie, Iapars,q.3,a.4),alors il lui revientenpropre de communiquer l’existence. La réinterprétationthomasienne de l’aristotélisme aboutissait à formuler uneconceptionphilosophiquedelacréation,selonlaquelletoutacted’existerd’uneessencequin’estqu’enpuissanceparrapportàlui renvoie de façon ultime à cet acte pur d’exister qui est lanotion thomasienne de Dieu. L’affirmation dogmatique de lacréationsetrouvaitainsitransforméeenphilosophème.

En résumé, la conception thomiste de l’existence commeacteest:

– acquise à partir d’une réflexion critique,moyennant uneanalyse tout à la fois logique et empirique, sur les thèsesd’Aristoteetdecertainsdesescommentateurs;

–finalementindissociabledel’idéedecréation,pourautantque la thèse aristotélicienne qui affirme l’antériorité de l’actesur la puissance signifie désormais la dépendance de tout cedont l’existence est l’actualisation d’une essence distincted’elle, par rapport à l’être dont c’est l’essence même qued’exister:lacréatureestactuellepourautantqu’elleestactuée,etparlà-mêmeparticipesecondairementdelaprimautédel’actepurdivin.Cequinevapassanssignifier:

– que c’est seulement en Dieu que l’existence estabsolumentunacte,ausensmétaphysiqueduterme,pourautantqu’ilestleseulêtreabsolumentnécessaire,tandisquelesautresnesontquedespossiblesdépendantdesapuissancecréatrice;

– que l’acte d’exister de la créature est empreint depotentialité en ce qu’elle n’est jamais à la fois tout ce qu’elle

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peutêtre,étantcontingenteetpouvantparconséquentêtreautrequ’ellen’est,etparlà-mêmesujetteaudevenirdontl’êtredivinestexempt.

***

On voit que la notion thomiste, aux diresmêmes de saintThomas, n’allait pas sans équivoque. Il soutient en effeténergiquementunethèsequiseraensuiterefuséeparJeanDunsScotetsonécole,àsavoirqu’iln’yaaucunconcept,pasmêmeceux d’ens (étant) et d’esse (être), qui puisse être attribué defaçon univoque à Dieu et à ses créatures. Tout autre être queDieu est en tant qu’il « a l’être (quasi esse habens) »(Commentaire à laMétaphysique, Livre XII, n° 2419), tandisquedeDieu,etdeluiseul, ilfautdirequ’il«estsonêtre(estsuumesse)».

♦Thomas s’employait certes à défendre sa thèse contre cequi sera l’objection de Scot, à savoir que si le concept d’êtren’était pas univoque, il y aurait une faute logique à conclurel’existence de Dieu à partir de celle des créatures. Dans unsyllogismeeneffet,siuntermechangedesens,onaaffairenonpasàunraisonnementconcluant,maisàunparalogisme.Aussibien Thomas a-t-il dû emprunter à l’aristotélisme la notiond’une unité conceptuelle − d’une consistance logique − quin’est ni univocité ni pure équivocité, et qu’il dénommeanalogie:ainsienest-ildutermesain,quisignifieensonsenspremier et fondamental le bon état d’un organisme, et qu’onappliquepardérivationàtoutcequiaunecertainrapportàcetétat,qu’ils’agissed’unrégime,d’unclimat,d’uneplaie,etc.Cequifaiticil’unitéduconcept,c’estlarelationréelleentrecequedésignent les diverses acceptions du terme et la réalité qu’ildésigne en premier. C’est une telle notion d’analogie que

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toute sa causalité est ad extra, c’est-à-dire en direction descréatures.Réciproquement,celles-cipeuventêtreditesexisterenun sens moins équivoque que Dieu, puisqu’en tant que telleselles proviennent de la causalité créatrice de Dieu : l’actusessendidelacréatureestcetteprovenanceessentiellequ’exclutl’acte pur divin. Sans doute ne trahit-on pas la métaphysiquethomasiennedelacréationendisantquesiDieuest,ilrevientàlacréatured’exister.

Une conséquence paraît alors s’ensuivre : à savoir quel’existencedelacréatureparaîtmoinsêtresonacteàellequeserameneràl’actecréateurdeDieu:créer,ausensmétaphysiqueradical du terme, c’est faire exister, ce dont aucun producteurnaturel ou humain n’est capable, pour autant qu’il produit àpartird’unmatériaupréexistant.Or,sil’esseest,ausensqu’onadit,cequ’ilyadeplusformeldans l’être, ilenrésultequ’iln’est riendans la créature qui nedépendeduvouloir créateur,puisque lacréation, loind’êtreunesimplemiseenmouvementest « la dépendance même de l’esse créé à l’égard de sonprincipe » (Somme contre les Gentils, 2e partie, ch. 16).L’existence, au sens propre du terme, peut donc bien êtreconsidéréecommeunacte,mais il s’agitd’unactedeDieu,etcette fois au sens d’une action transitive, plutôt que de lacréature.

Si exister veut dire, pour la créature, être en acte, soiteffectivement, cela doit vouloir dire alors être agie plutôtqu’active. Telle était la conception de l’existence créée queMalebranche opposait explicitement à celle de saint Thomas,qu’il appelait « misérable commentateur d’un philosophepaïen ». L’idée de création, et celle, corrélative, de toute-puissance divine, impliquaient pourMalebranche que la seulecausalité réelle est celle de Dieu : ce serait faire injure à sa

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gloire que de prêter aux créatures la moindre efficace propre.L’existencede lacausepremièreest indéniable,carsanselle iln’yauraitrien.Maisils’ensuitqu’iln’yaqu’elle,ouqu’iln’yapasdevéritablescausessecondes:êtredérivéetêtreréellementcause apparaît contradictoire à Malebranche. En quoi sadoctrineparaîtprochedecelledeSpinoza,oùtoutecausalitéseramène à la nécessité intrinsèque de l’unique substance. À ladifférence précisément que Malebranche ne professe aucunnécessitarisme,maisfaittoutdépendred’unactecréateurquiestessentiellement et absolument libre. Cela aboutit à cette sorted’interventionnisme métaphysique qu’est l’occasionnalisme,dans lequel toute liaisoncausaleapparente,et toutepossibilitéd’explication rationnelle en termes de causalité naturelle, nesont que la manifestation de l’action contingente par laquelleDieucrée lesphénomènesà l’occasion lesunsdesautres :parexemple, comme déjà chez Descartes, les états de l’âme « àl’occasion»desmouvementsducorps(Traitédel’Homme)2.

♦ Il y va en fait de la possibilité de penser une existenceréelle,carc’estfinalementbeaucoupmoinslaréalitédelacausepremière qui fait problème que celle de ce qui dépend d’elle.Comment penser une ek-sistence si on la fait dépendre del’éternelle subsistance d’un Dieu « en lequel il n’y a nichangement ni l’ombre d’une variation3 » (Épître de saintJacques,I,17)?

Lessystèmesrivauxde laphilosophieclassiqueconvergentenunpoint,àsavoirque,ausensoùl’entendSpinoza,«Dieuseul est cause libre » (Éthique, 1re partie, prop.17, cor.2). Lasubstantialitéetlacausalitédescréaturessetrouventréduitesàn’êtrequel’apparencephénoménaled’unfondquiestpensésoitcommecontingencetotaled’unactecréateur(Malebranche),soitcomme nécessité intégrale (Spinoza), soit comme un ordre

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rationnel métaphysiquement contingent, mais moralementnécessaire(Leibniz),detellesortequelesconceptionsopposéesreviennent en fait au même, à savoir, comme chez Parménide,quecequenousappelonsexistencen’estqu’uneapparence,ou,commeditlepoètedansuneperspectiveplusrestreinte,que«lavien’estqu’unsonge».

Ceconflitdesmétaphysiquesrendanténigmatiquelanotiondelibertédivine,oncomprendquel’évidenceplusimmédiatedela libertéhumaine,maisaussi etd’abordde la spontanéitédescauses naturelles − Aristote fut le premier à définir la naturecommeprincipeinternedemouvement,spécifiqueàchaqueêtre(Physique,II,1)−,aientpuêtrerevendiquéescontreelle,oudumoins comme une expérience de l’existence qu’on ne pourraitjugerillusoirequ’aunomdeconsidérationsmétaphysiquesplusdouteusesqu’elle.

Tel est bien le cas des modernes « philosophies del’existence », dont l’existentialisme de Sartre est un casexemplaire. Ces doctrines donnent assurément à penserl’existencecommeunacte,maiscelanevapassansrestreindrel’extensiondelanotion.

Cette restriction apparaît clairement dans la phrase deHeidegger : « L’étant qui est sur le mode de l’existence estl’homme. L’homme seul existe. Le rocher est,mais il n’existepas.L’arbreest,maisiln’existepas.L’angeest,maisiln’existepas. Dieu est, mais il n’existe pas » (Qu’estce que lamétaphysique?éd.Gallimardp.35).

Heidegger s’empresse d’écarter un contresens : « Laproposition : “L’homme seul existe” ne signifie nullement queseull’hommesoitunétantréeletquetoutlerestedel’étantsoitirréel et seulement une apparence ou la représentation del’homme»(Ibid.).L’existenceestàentendreiciparoppositionàl’être, qui est attribué aux sujets autres que l’homme, lesquels

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signifiequelarationalitéquirendleschosesexplicablesestunenécessité aveugle, soit une absence de sens. « L’amourintellectueldeDieu13»,qui faitpourSpinoza la joiedu sage,n’a rienàvoiravecunegratitude : ilconsistebienplutôtdansunconsentementàcenon-sensquiestpournousl’uniquevéritéconnaissableetdignedecenom.

***

C’esttrèsexactementencepointqueNietzscheetSpinozaàlafoisserejoignentets’opposent.Carle termenietzschéendenihilismenefaitquedénommerd’abordcetaveud’unnon-sensde l’existence engénéral, et par suite du caractère illusoire detouteslesfins,soitdelavanitédetoutcequenousappelonsdesvaleurs : telle est cette « vérité » dontNietzschedit quenousavons « l’art », et ses belles fictions, « pour ne pas enmourir14».LapenséedeNietzscheapparaîtàcetégardcommeune radicalisation du spinozisme. Il juge en effet encore tropempreinte de finalisme la notion spinoziste du conatus15, soitl’effortquefaitspontanémentchaqueêtrepourpersévérerdansson être. Il juge de même trop empreinte d’intellectualismeconceptuel la notion d’un ordre intelligible des chosesexprimable en des lois formulées mathématiquement16 : ununivers ordonné selon des lois supposerait inévitablement unlégislateur, ce qui est incompatible avec l’idée d’une nécessitéaveugle. C’est pourquoi Nietzsche reprend à son compte lenécessitarisme spinoziste,mais il va au bout de cette idée, ensubstituant à la supposition rationaliste d’une nécessité légalecelled’unenécessitéanomique.Direque«toutestnécessaire»et,encelamême,«innocent17»,neconsistepasàinvoqueruneloi qui explique qu’il ne peut en aller autrement, mais aucontraireàidentifierlanécessitéàlapurefactualitédufait,soit

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cequ’onappelleordinairementsacontingence,autrementditàramener la nécessité à ce que les anciens latins dénommaientfatum, lafatalité.Cetteidentificationdesopposés,contraireauprincipedenon-contradiction, oblige évidemment à renoncer àtouterationalité,cequiestàcertainségardslecasdeNietzsche.

***

L’intérêt de son irrationalisme nihiliste est toutefois qu’ilfaitresurgircequ’ilparaissaitéliminer.

Onnesauraiteneffettrouverrejetplusvéhémentquelesiendelanotionderesponsabilitémorale,cellesansdoutequiluiafait jugerquelepeuple juifétait« leplusfunestede l’histoiredumonde18 ».Ce rejet s’inscrit dans l’horizon d’un nihilismeontologique pour lequel, faute d’unDieu créateur, rien n’a devaleur en soi et ne peut en avoir que par la production defictions illusoires autrementdénommées« interprétations19 » :c’est ainsi que l’opposition éthique du bien (Gut) et du mal(Böse) exprime la médiocrité des consciences serviles,humanistesetdémocrates,parun renversementde l’oppositiondu mauvais (schlecht) et du bon (gut), soit du vil et duvaleureux, que revendiquent les consciences maîtresses. Qu’iln’y ait là que des points de vue, qu’il n’y ait pas plus denécessité à défendre les droits de l’homme qu’à justifierAuschwitzaunomdela«moraledesSeigneurs»,c’estlàcequirésulteinévitablementdecettedévaluationdetouteslesvaleursqui définit le nihilisme. On pourrait penser, avec un telrelativisme intégral, avoir dépassé l’opposition du bien et dumal,etdevoirpasserparprofitsetperteslesconséquencesdecedépassement, si toutefois il pouvait être encore question deprofit et de perte. Or au moment même d’achever son rejet,Nietzsche fait réapparaître l’opposition qu’il prétend dépasser.

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AutermedesaGénéalogiedelaMorale,ilavouequecequ’ilya toujours eu de plus détestable pour l’homme – le pire desmaux–n’étaitpaslasouffrance–carleshommessontcapablesd’en supporter, voire de s’en imposer de grandes –, maisl’absencedesensdelasouffrance,oulasouffrancequirésultede la suppositionque l’existence est dépourvuede sens.C’estpourquoi,écritNietzsche,«n’importequelsensvautmieuxquepasdesensdu tout20», indiquantpar là-mêmecequ’ilyadeplusdésirablepourl’homme–lebiensuprême–paroppositionàcequ’ilnepeutprésenterquecommelemalleplusprofond.

Danslenécessitarismemétaphysique,Nietzschenetrouvaitsansdouteaucuneréponseàlaquestionlancinantequ’ilsentaitsourdre du fond de lui-même : comment le consentement aunon-sens, sous les auspices de la raison, pourrait-il être,existentiellement, principe de sens ? Nietzsche ne pensait paspouvoir remédier à la dévitalisation nihiliste sans fonder unenouvellemorale,ou,commeildit,sansréinstaurerdenouvellesvaleurs, des idéaux censément plus désirables et vénérablesqu’uneégalisationdesconditions,etentoutcassusceptiblesderemplacer la foi enDieu.Mais le problème était désormais desavoircommentl’onpourraitfairereconnaîtreunevaleuràquoiquecesoit,unefoisposéenprincipequ’envérité,c’est-à-direfauted’untelDieu,riennevaut,sicen’estcequ’ondécidedecroiretel:onpouvaitbiencroireenunDieudontonpensaitnepas tout savoir,mais comment croire en une valeur qu’on saitinexistante?L’hommeparaîtcondamnéàdésespérerdusens,etceci d’autant plus que rien dans le nihilisme de Nietzsche nepermetdedémarquer lanouvellemorale,qu’il revendique sansl’expliciter, des sinistres applications qui ont été faites decertains aspects de sa pensée. Aussi bien n’a-t-il trouvé, pourrépondreàlaquestiondusens,quederevenir,àl’encontredes

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motivé, mais Leibniz cherche cette motivation dans unesupposéeperfectionintrinsèquedumondecréé,abstractionfaitedesonexistence,alorsqu’unetellemotivationestpourThomasinconcevable. Il n’y a en effet qu’un seul bien qui puisse êtrel’objetadéquatdelavolontédivine:ils’agitdeDieului-mêmeen tant que bonté absolue, souverain bien réel et non passeulementidéal,etcebienqu’ilestparessence,Dieuneleveutpasparunchoixlibre,maisbienplutôtdansunconsentementàsoi à la fois nécessaire et sans faille. Que Dieu se veuillenécessairement lui-même, et neveuille nécessairementque lui-même, signifie pour Thomas que la création ne saurait avoird’autrefin,d’autresens,quecettebontémême,entendueenunsens d’abord ontologique, et pas seulement moral. C’estpourquoi il enseigne queDieu se veut lui-même comme fin ettout le reste comme moyen, thèse paradoxale puisqu’elle nesignifie nullement que Dieu aurait besoin de certains moyenspourseréaliser,maisqueDieuordonnetoutcequ’ilcréeàunbien qui, pour autant qu’il est absolu, n’est pas de l’ordre duréalisable.

L’essentiel est ici. Car, d’une part, l’absolue nécessité parlaquelle Dieu se veut lui-même a pour contrepartie l’absoluecontingence de tout ce qu’il veut d’autre. Autrement dit, lacréation est absolument gratuite, car Dieu n’a que faire deproduire des créatures, qui ne peuvent rien ajouter à laperfectionqu’ilest.Etiln’yaaucunecontradictionàcequ’unmondecréécomportedelacontingenceetdel’indétermination,s’ilapourfondementlacontingenceessentielled’unactedelalibertédivine:c’estseulementdansunetelleconceptionqu’ilya place pour une liberté humaine qui ne soit pas unecondamnation à l’absurde.Car contrairement à ce que prétendSpinoza, la gratuité de la création n’implique nullement soncaractère insensé, dès lors qu’elle répond à une intention. La

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créationnesauraitpourThomastirersonsensd’ailleursquedelabontédesonprincipe,maiscebienà laquelleellese trouveordonnéen’estpasavanttoutunbienquiseraitàfaire:ils’agitd’unbienquisubsisteetn’ordonneàluisescréaturesqu’ensedonnantàelles,d’abordetcommunémentenlesfaisantexister,puis, pour certaines d’entre elles, dans une relation deconnaissance amoureuse. Si la fin de la création est lacommunication aux créatures de la bonté de leur principe, onpeut dire à certains égards que Dieu crée pour rien, si l’onentend nier par là que la création puisse lui apporter quelquechose. C’est à la créature, et non pas à Dieu, que la créationapportequelquechose,etd’aborden lafaisantexister,c’est-à-dire en tantquedonde l’êtrequi est la conditionpremièredetoutbien.

C’estalorsdanscetteperspectived’unetotalegratuitéqu’ilfautenvisagerlaquestiondumal.

***

S’il ne s’agissait que de plaider la cause de Dieu pourobtenirsonacquittement,onpourraitenunsenssecontenterdereconnaîtreque,Dieunedevantrienàrienniàpersonne,onnevoitpasquelsensilyauraitàl’accuserdequoiquecesoit.Latentative rationaliste pour acquitter Dieu de la production dumalsemblepourtantpasseràcôtédelaquestion,carcelle-cineprendtoutesasignificationquesouslaformedupourquoi?quesuscite l’épreuve de l’insensé, telle la souffrance de l’enfantinnocent. Si, comme saintThomas, l’on prétend ne trouver unsensauxchosesquedansleurparticipationàlabontéinfiniedeDieu,commentcelle-cipeut-elleêtresupposéesecommuniquerendepareillesoccurrences?Ilyalàuninsupportablescandalequi explique les échappatoires auxquelles les hommes ontconstammentrecouru,pouréchapperaudésespoirqu’induisent,

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équivalemment, l’absence de Dieu et la menace d’un Dieuméchant. C’est ainsi que Platon, préludant à toutes lesthéodicéesultérieures,mettaitlemalphysiqueaucompted’unerésistancede lamatièresupposée incréée36, et lemalmoral aucompte de la seule liberté humaine, quand la sagesse ne vientpasrectifierseschoix37.Orunetellemanièred’innocenterDieuparaît impossible s’il est créateur, autrement dit s’il n’estabsolumentrien,endehorsdelui,quinedépendedesavolonté.À cet égard, l’interprétation platonicienne que Nietzsche aretenueduchristianismeétaitenfaituncontresensàsonsujet:il aurait selon lui donné l’unique réponse, jusqu’ici, auproblème du sens de la souffrance, en faisant de celle-ci lechâtiment d’une faute38. L’Évangile pourtant, tout comme leLivre de Job, protestent le contraire. À ceux qui viennent luidemandersi lacécitéde l’aveugle-néprovientdesonpéchéoudeceluidesesparents,ousilesortdesvictimesd’Hérodeestlaconséquence de leur malice, Jésus répond qu’il n’en est rien,mais que c’est seulement pour que la gloire de Dieu soitmanifestée, ce que, dans le premier cas, il atteste aussitôt enguérissantl’aveugle39.Etsansdoutefaut-ilsedireque,commel’enseigneGrégoire deNazianze,Dieu n’avait pas plus besoindelacécitédel’aveuglequedessouffrancesinfligéesàsonFilscrucifiépourmanifestersagloire:laPassionn’estpassalvatriceparce qu’elle est douloureuse, mais plutôt parce qu’elle vientrévélerlavanitédesviolencesmortifères.Ilestparlàattestéquele mal n’est pas le dernier mot de l’existence, parce que lapuissancedivineenfait lemoyend’unbienplusgrand,moyenen riennécessairemais au contraire occasionnel et contingent.Etceplusgrandbienestunemiséricordegracieuse,quitrouveàs’exercerconjointementdanslarégénérationphysiqueetdanslepardondesfautes40.

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modernes, ondira : s’il y aunevaleur suprême susceptibledefonder la valeur des autres valeurs, celle-là doit logiquementapparaître comme une valeur sans fondement ; ou bien il fautchercher ce fondement en dehors de l’ordre des valeurs, et ils’agit alors de savoir où l’on peut trouver une réponse à laquestion de ce qui fait la valeur des valeurs, étant entenducommed’avancequecelanesauraitêtresoi-mêmeunevaleur.

***

La philosophie a pris à charge d’affronter de tellesquestions, qu’Aristote appelait des apories. Si elle se déclareimpuissante à y répondre, la sagesse philosophique aboutit aurésultat paradoxal d’inviter les hommes à ne pas vouloir êtrephilosophes, et à chercher ailleurs que dans la philosophie laréponse aux questions décisives qu’elle ne résout pas. Uneréponsephilosophiqueconsisteraitàtrouverauxvaleurscequenousappelonsun fondement, c’est-à-direune raisond’êtrequipermettraitdedirecequiavéritablementdelavaleuretmérited’êtrevoulu,etcequin’enapas,soitdediscriminerdevraiesetdefaussesvaleurs.Siun tel fondementn’estpasconnaissable,la valeur se présentera pour ce qu’elle est, c’est-à-dire l’objetd’uneviséevolontaire,maiscetteviséenepourraêtreelle-mêmequ’un choix arbitraire, faute de pouvoir être fondée en raison.Les valeurs seraient alors, comme on dit, une affaire d’optionpersonnelle,quoiqu’ilensoitdunombredeceuxquipartagentunemêmeoption:cequivautneseraitpascequiadelavaleur,mais ce à quoi on décide d’en donner une, de manière à yordonnersaconduite,voirel’ensembledesavie.

La philosophie, dans son impuissance supposée, n’auraitassurément rien à opposer à un tel arbitraire. Il lui seraitnotamment impossibledeseprésentercommepréférable à son

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contraire, à savoir l’absence de philosophie.Onpeut toutefoisdouterqueladéterminationnonphilosophiquedesvaleurssoitvraiment satisfaisante. En se présentant comme l’effet d’uneoptionarbitraire,elle tendàsedévaluerelle-même.Sieneffetcequidonnesensàlavienepeutêtrequ’arbitraire,celarevientà dire que n’importe quoi peut donner sens à la vie :«N’importequelsens,écrivaitNietzsche,vautmieuxquepasdesensdu tout»1.Or leshommesnemanquentpasdes’opposerdansleursjugementsdevaleur,lesquelsnepeuventjamaisêtreportés sans impliquer la dévaluation d’un jugement opposé :commeécritAndréComte-Sponville,«ilyad’uncôtéceuxquin’aimentpas lesNoirs,et,de l’autre,ceuxquin’aimentpas leracisme»2.Admettrequen’importequoipeutdonnersensà lavie,pourvuqu’onendécideainsi,estenfaitadmettrequelavieestenelle-mêmedépourvuedesens,autrementdit:absurde.Ilyauraitalorsuneinquiétanteconvergenceentrelaphilosophieetla non-philosophie, convergence entre la renonciation àrépondreàlaquestiondufondementdesvaleurs,etl’affirmationarbitrairedecelles-ci.

***

Nietzsche a dénommé nihilisme cette dévaluation desvaleurs, et notamment de celles qui furent longtempsconsidéréescomme«lesplushautes3»,dévaluationconsécutiveaumanqued’unfondementquipourraitenquelquesorteobligerdelesreconnaîtrecommetelles.Nietzschefutvéritablement,audeux sens du terme, leprophète du nihilisme, car il en donnal’expressionlaplusexpliciteet lapluscomplète,et ilannonçale XXe siècle comme celui qui aurait à en éprouver les effetséthiques et politiques. Au terme de ce siècle, André Comte-Sponvilletrouveencoreàaffirmerque«lenihilismeestdetrès

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loin le danger principal4 » que les hommes que nous sommesaientàaffronter.

Nietzsche y voyait un fruit de ce qu’il considérait comme« le plus grand des événements récents », et qu’il appelle la«mortdeDieu5».Cetteexpressionàcertainségardsparodiquene signifie plus sous sa plume la Passion du Christ et safonctionrédemptrice,maisaucontraire«lefait[…]queledieuchrétienaétédépouillédesaplausibilité6».«Dieuestmort»nesignifiepas:Dieun’existepas,mais:onacessédecroireenlui, c’est-à-dire non seulement d’admettre son existence, maisaussietsurtoutdefaireconfianceàsespromesses,etdumêmecoupdesesoumettreàsescommandements.

Ilestclairquedanslafoichrétienne,commed’aborddanslafoi juive, Dieu faisait sens, et il était même adoré comme leprincipeà la foisuniqueetultimede toutsenspossible.Cetteconviction à vrai dire n’était pas propre à ces traditionsreligieuses:biendesphilosophespaïensl’avaientaffirméepourdesraisonstoutàfaitétrangèresàlarévélationbiblique.C’étaitle cas dePlaton et d’Aristote, et avant euxd’Anaxagore, pourquil’intelligibilitédumonde,quel’hommedécouvreensachantqu’il n’en est pas le principe, doit avoir sa source et sonexplicationultimedansune intelligencepremièrequin’estpascelledel’homme,maiscelledeDieu.

Aussi Platon et Aristote considéraient-ils Dieu comme lesouverainbien,ausensoùriennesauraitêtremeilleurquel’êtrequiestaufondementdetouslesautres:c’estcequifaisaitdeleur doctrine un optimisme métaphysique. Et de cette notionontologiquedusouverainbien ilsdéduisaient lanotionmoraledecequipeutetdoitconstituerlebiensuprêmedel’homme:cenepouvait être à leursyeuxque la connaissancedeDieu, soitd’un souverain bien qui est d’abord un être réel, et pas

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ellesignifieque leseul tortdeHitlerestd’avoirétévaincu,etquelesvaleursdesbourreauxn’ontpasmoinsniplusderaisond’êtrequecellesdeleursvictimes.

Comte-Sponville professe pour sa part les valeurs del’humanisme républicain, et n’hésite pas à les revendiquercontre, par exemple, les programmes politiques d’inspirationraciste. Il y voit, d’une manière assez lucide, un résidu duchristianismesurvivantàlamortdeDieu.Quereste-t-il,écrit-il,«del’Occidentchrétien,quandiln’estpluschrétien?[…]Sicequ’il en reste, ce n’est pas une foi commune − puisqu’elle acessé,defait,d’êtrecommune[…]−[…]cenepeutêtrequ’unefidélité commune, c’està-dire un attachement partagé − unecommunion−àcesvaleursquenousavonsreçuesetquenousavonsàchargedetransmettre27».

Onpeuttoutefoissedemander:àquoi,ouàquiest-onainsifidèle, et pourquoi juge-t-on cette fidélité valable ? Lesprésupposés de Comte-Sponville lui interdisent de répondre àpareillequestion.Maislorsqu’ilprésentesaconceptioncommela seule alternative au fanatisme et au nihilisme, on peutéprouver quelques doutes. Elle repose en effet sur ce mêmenihilisme ontologique que professait Nietzsche. Et dans lamesureoùellerevientàdire:«Soyezhumanisteetrépublicaincomme jeveux l’être,bienqu’iln’yait au fondaucune raisonqui vous y oblige », on peut y voir à bon droit une sorte defanatisme bien-pensant. Il semble que « l’athéisme fidèle28 »dontseréclameComte-Sponvilleconsisteàvouloirsauvegardercequirestedel’humanismechrétien,lorsqu’ilaétédécapitédeson fondement théologal, contre ce que l’on considère commedesmenacesd’inhumanité,sansqu’aucuneraisonpuisseencoreêtreinvoquéepourjustifiercettepréférence.

Paradoxalement, le cyniqued’aujourd’hui se retrouve ainsi

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dans la position d’un prédicateur qui avoue n’avoir d’autrelégitimitéquecellequeluivautsonétablissementpublic.Fautede pouvoir se présenter comme le médiateur d’une volontétranscendant la sienne, il ne peut que proposer aux autresl’assentimentàsaproprevolonté,etenmêmetempslesrenvoyeràla leur,puisqu’il leurenseignequelesvaleursqu’ilprônenesauraientavoird’autrefondement.

Leproblèmeestalorsceluidel’inévitableéclatement,ou,sil’onveut,deladispersiondesvaleurs.Leurpluralitéétaitcertesreconnue depuis longtemps, puisque la théologie morale duchristianisme reconnaissait, autant que l’éthiquearistotélicienne, une multiplicité de biens et de vertus, ainsiqu’unecertainerelativitédeleurvaleureuégardauxdifférencesentre les individus ou entre les collectivités.Mais l’optimismemétaphysique assignait aux valeurs multiples un uniquefondementidentifiéaubienabsolu.Ilnepeutévidemmentplusen aller de même dans le cynisme contemporain, puisque lavolontéquiestcenséeêtreauprincipedesvaleursn’estpas lavolontéuniqued’unêtrepremier,mais lavolontéd’unhommechaque fois singulier, au milieu d’autres hommes tout aussivolontaireset toutaussi singuliers.Ainsique levoulaitSartre,chacundécidedesespropresvaleurssansqu’aucunevaleurensoi,ou,commeondit,objective,nepuissevenirdiscriminercequidevraitêtreconsidérécommeinhumainetcequineleseraitpas. C’est donc très logiquement que Comte-Sponville nereconnaîtaucunprincipedevalidationdesvaleursendehorsdutriomphe que leur assure la force du nombre de ceux qui lespartagent.

***

Cette conséquence explique sans doute l’opposition querencontre son cynismephilosophique chez son interlocuteur et

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amiLucFerry.Depuisbientôtvingtans,cederniern’acessédeprônerun

retour à Kant comme le seul moyen d’échapper au nihilisme« postmoderniste ». Ce retour ne se présente pas comme unerépétition du kantisme tel qu’on le trouve dans les œuvres deKant,mais comme l’assomption de thèses qui étaient chez luicentrales, et ont encore vocation à nous servir de principes,indépendammentdudétaildelapenséekantienne.

C’est ainsi que, dans l’ordre théoriquede la connaissance,FerryavoueneretenirdelaCritiquedelaRaisonpureque«lacritiquedelamétaphysique29».

Dans l’ordre pratique de l’évaluation morale, il reprend àson compte l’idée de fonder celle-ci sur ce Kant appelait« l’autonomie de la volonté30 ». Cette expression n’est àcertainségardsqu’unautrenomdelalibertéhumaine,soitdecepouvoir reconnu à l’homme de soustraire sa conduite à touteformededéterminismenaturel,ou,commeditFerry,depouvoirtranscender toutes les déterminations qui s’imposent à lui del’extérieur du fait de son inscription dans la nature. Comte-Sponville récuse un tel fondement parce que sonmatérialismelui fait voir dans l’idée de liberté une « illusion detranscendance31 ». Ferry la revendique, d’une manière trèskantienne, commeun« postulat », oumêmeun« parti pris »,nécessaireàlafondationd’un«humanismetranscendantal»qui« pose des valeurs au-delà de la vie, mais […] le fait sansprétendrerecouriràunedémonstrationsusceptibledefondercegesteenraison32».

Ils’agissaitbienpourKantdefonderphilosophiquementlesvaleursnonpascommecequi,defait,estvoulu,commeceseralecasdanslenihilismeoul’existentialisme,maiscommecequidoit l’être, autrement dit comme ce qui est pour la volonté un

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36 –KANT,Critique de la raison pratique, Du concept d’un objet de laraisonpurepratique,trad.fr.PUF1943,p.65.

37–CAMUS,L’hommerévolté,IdéesGallimard1951,p.28.

38–SARTRE,L’existentialisme est un humanisme, FolioGallimard 1996,p.29.

39–CAMUS,L’hommerévolté,IdéesGallimard1951,p.26.

40–CardinalJean-MarieLustiger,DiscoursprononcéàAuschwitz,pourle60èmeanniversairedelalibérationducamp,le30janvier2005.

41–SARTRE,loc.cit.

42–ARISTOTE,Politique,livreI,ch.13.

43–«L’esclavageestuneinjusticeensoietpoursoiparcequel’essencedel’homme est la liberté » (HEGEL, La raison dans l’histoire, 10/18 1965,p.260.

44–SOPHOCLE,Antigone,vv.454-455.

45–ARISTOTE,Métaphysique,livreΑ,ch.1.

46 – Je recommande la lecture du livre de Jean-Claude Guillebaud : Leprincipe d’humanité (Seuil 2001), qui fait le point sur toutes les menacescontemporaines à l’égard dudit principe, et montre l’urgence qu’il y a àréaffirmer que l’humanité est une réalité qu’aucune volonté humaine,individuelleoucollectivenesauraitprétendreinstituer.Cettevérité,pasplusque les autres, ne s’impose d’elle-même si on ne veut pas la mettre enœuvre,maisc’estellequipermetdefonderl’idéequeleshommessedoiventmutuellementquelquechose.

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L

Chapitre12

Éducationetphilosophie

a philosophie a-t-elle quelque chose à dire, a-t-elleencorequelquechoseàdireausujetdel’éducation?Onpourraitendouter,étantdonnéelafloraison,aucoursdes

dernières décennies, d’un certain nombre de disciplinesnouvellesquisesontdénomméessciencesdel’éducation,etquionttrouvéunetraductioninstitutionnellenonseulementauseindes cursus universitaires traditionnels, mais aussi dans lesInstituts universitaires de formation des maîtres, eux-mêmesd’invention récente. La philosophie connaîtrait aujourd’hui enpédagogie le sort qui fut le sien, pense-t-on souvent, dansd’autres domaines, tous ceux qui furent conquisprogressivement par ces disciplines que nous consentons àappelersciences, lesquelles ilyaencoredeuxsièclesn’étaientpas distinguées de la philosophie qui les avait fondées, qu’ils’agisse de la physique générale, de la biologie, de lapsychologie,delasociologie,pournepasparlerdelalogiqueetdelalinguistique.

Laphilosophie a pourtant été la première à traiter de cetteéducationquelesGrecsdénommaientpaïdéïa,termequirenvoieétymologiquement à celui par lequel ils désignaient l’enfant :païs, en entendant par là l’être humain à ce stade de sacroissance que nous appelons la « tendre enfance ». Ladéfinition de la païdéïa et la détermination de son contenufurentaucentredelapenséeplatonicienne:cetteœuvremajeurequ’est laRépublique est autant, si ce n’est plus, un traité de

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pédagogie qu’un traité de philosophie politique, disons : untraitéquientreprendd’élaborerleprogrammed’uneréformedela cité des hommes fondée avant tout sur une réforme de leuréducation,uneéducationdontleprincipeneseraitautrequelaphilosophieelle-même.Platonrestepournoussinonl’inventeurde la philosophie, du moins le fondateur de l’écriturephilosophique,etd’uneécriturequi,autantparsaformequeparsoncontenu,avouluêtreunepédagogieauthentique:leSocratedes dialogues platoniciens, relayé sur le tard par d’autrespersonnages, toutà la foisportaità laparole lesquestionsquidevaientpar lasuitedemeurer les interrogationsessentiellesdela philosophie, et le faisait d’unemanière qui en dit peut-êtreplus à elle seule sur la conception que Platon avait de l’acteéducatif, que tel ou tel desprincipesqu’il légua à sapostéritécommeunerègleencedomaine.

Paradoxalement, notre français, et le latin dont il est issu,donnentmieuxàentendrequelegrecdePlatoncetteconceptionquiétaitlasienne.Éducationvient,onlesait,dulatineducare,verbe qui signifiait l’ensemble des soins destinés à assurer lacroissance physique et mentale d’une progéniture, mais toutaussi bien la puissance par laquelle la terre fait croître lesvégétauxqu’elleporte.Orceverbeesttrèsproched’unautre−educere−quipeutavoirà l’occasionlemêmesens:éleverunenfant. L’intérêt du rapprochement est que le deuxième verbesignifie littéralement : faire sortir de…, qu’il s’agisse de tirerune épéedu fourreau, oudedétourner l’eaud’un lac.Riennecorrespondmieux à la pratique socratique, telle que Platon lametenscènedanssesdialogues:ilestbienconnuqueSocratelaprésentaitcommeun«accouchement»desesprits−engrec:unemaïeutique−,parlemoyend’unetechniqued’interrogationquiconsistaitsouvent,commeondit,à«fairel’ânepouravoirduson»,cequiesttrèsexactementlesensdumotgreceïrônéïa

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averroïstes, traduit parAlain deLibera sous le titre :ContreAverroès (GFbilingue).

14–ARISTOTE,ÉthiqueàNicomaque,III,5,1112b32.

15–DESCARTES,3èmeméditationmétaphysique,§17.

16–Id.,LesPassionsdel’âme,I,a.17.

17–Id.,Principesdelaphilosophie,I,a.39.

18–Id.,LesPassionsdel’âme,I,a.41.

19–SPINOZA,Éthique,2èmepartie,proposition35,scolie.

20–NIETZSCHE,Lecrépusculedesidoles,Lesquatregrandeserreurs.

21 –XavierMARTIN a étudié ce point demanière approfondie dans sonlivre : Nature humaine et Révolution française (éd. Dominique MartinMorin,2002).

22–HELVETIUS,Del’homme,t.I,p.59(Paris1989).

23–Ibid.,p.45.

24–HOLBACH,Systèmedelanature,p.226(Paris1990).

25–Ibid.,p.198.

26–Ibid.,p.107.

27–Ibid.,p.229.

28–Ibid.,p.212.

29 – DIDEROT, Lettre à Landois du 29 juin 1756 (Correspondance, éd.Roth,Paris1955).

30–DESCARTES,Principesdelaphilosophie,II,a.24-25.

31–Voir:Id.,Discoursdelaméthode,5èmepartie.

32–Voir:Id.,4èmeméditationmétaphysique,§9.

33–HELVETIUS,Del’homme,t.I,p.334.

34–HOLBACH,Systèmedelanature,t.I,p.242.

35–Voir:ARISTOTE,ÉthiqueàNicomaque,III,7.

36–KANT,Fondementsdelamétaphysiquedesmœurs,2èmesection.

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Tabledesmatières

Avant-propos

Chapitre1Sommes-nousentrésdansl’èrepost-métaphysique?

Chapitre2Sagesseetmétaphysique

Chapitre3Aristoteetl’éthiquedelafinitude

Chapitre4L’intuitivitédel’intellectselonThomasd’Aquin

Chapitre5Lacritiquekantiennedespreuvesdel’existencedeDieu

Chapitre6LesLumièresétaient-ellesrévolutionnaires?

Chapitre7Unerégressionptoléméenneenphilosophie?Kantetlaquestiondutemps

Chapitre8LavolontéselonThomasd’Aquinoulalogiquedel’amour

Chapitre9L’existenceest-elleunacte?

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Chapitre10Laraisonetlemal

Chapitre11Quelfondementpourlesvaleurs?

Chapitre12Éducationetphilosophie.

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