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1 La foi est-elle absurde ? « Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être » dit Pascal. Toute science repose, en effet, sur des propositions incompréhensibles. Ainsi la géométrie suppose que l’espace est infiniment divisible ou qu’il est infini, que l’espace a trois dimensions, elle suppose l’idée de temps.… Toutes les mathématiques seraient ruinées si on niait l’idée d’infini. Il n’est donc pas absurde d’affirmer ce qui est incompréhensible, les mathématiciens ne font pas autre chose. « Il n’y a point de géomètre qui ne croie l’espace divisible à l’infini. On ne peut non plus l’être sans ce principe qu’être homme sans âme. Et néanmoins il n’y en a point qui comprenne une division infinie ; et l’on ne s’assure de cette vérité que par cette seule raison, mais qui est certainement suffisante, qu’on comprend parfaitement qu’il est faux qu’en divisant un espace on puisse arriver à une partie indivisible, c’est -à-dire qui n’ait aucune étendue. Car qu’y a-t-il de plus absurde que de prétendre qu’en divisant toujours un espace, on arrive enfin à une division telle qu’en la divisant en deux, chacune des moitiés reste indivisible et sans aucune étendue, et qu’ainsi ces deux néants d’étendue fissent en semble une étendue ? » Ainsi de l’idée d’infini: elle outrepasse les limites de notre entendement et est en cela «incompréhensible», et cependant toutes les mathématiques seraient ruinées si on niait l’idée d’infini. Ainsi il n’est pas déraisonnable d’affirmer ce qui est inconcevable, les mathématiciens ne font pas autre chose. Certes les vérités religieuses sont incompréhensibles mais elles ne remettent jamais en cause les principes fondamentaux de la logique. Qu'il y ait pour nous de l'incompréhensible ne signifie pas qu'il y ait pour nous de l'absurde : croire en un mystère religieux n'équivaut pas, comme le souligne Leibniz (Discours de la conformité de la raison et de la foi) à refuser par exemple le principe de non-contradiction. Le philosophe ne peut cependant se contenter d’affirmer que l’affirmation de l’existence de Dieu n’est pas absurde. L’idéal serait de pouvoir le prouver. C’est ce qu’exige du moins le déisme : -Le déisme, qui se développera principalement au XVIIIe siècle quand la philosophie se mettra en quête d’une «religion naturelle », naît au XVIIe siècle. Il affirme l’existence d’un Dieu dont les propriétés peuvent être connues par la raison hors de toute révélation et, par là, de toute Eglise. Ce Dieu est celui que Pascal appellera «le Dieu des philosophes », principe abstrait qui permet une explication du monde, mais qu’on ne peut prier et qui ne peut sauver. - L’athéisme affirme que Dieu n’existe pas. L’athée est celui qui croit que Dieu n’existe pas (il ne prétend pas savoir)

La foi est-elle absurde

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Page 1: La foi est-elle absurde

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La foi est-elle absurde ?

« Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être » dit Pascal. Toute science repose,

en effet, sur des propositions incompréhensibles. Ainsi la géométrie suppose que l’espace

est infiniment divisible ou qu’il est infini, que l’espace a trois dimensions, elle suppose

l’idée de temps.… Toutes les mathématiques seraient ruinées si on niait l’idée d’infini. Il

n’est donc pas absurde d’affirmer ce qui est incompréhensible, les mathématiciens ne font

pas autre chose.

« Il n’y a point de géomètre qui ne croie l’espace divisible à l’infini. On ne peut non plus

l’être sans ce principe qu’être homme sans âme. Et néanmoins il n’y en a point qui

comprenne une division infinie ; et l’on ne s’assure de cette vérité que par cette seule

raison, mais qui est certainement suffisante, qu’on comprend parfaitement qu’il est faux

qu’en divisant un espace on puisse arriver à une partie indivisible, c’est-à-dire qui n’ait

aucune étendue.

Car qu’y a-t-il de plus absurde que de prétendre qu’en divisant toujours un espace, on

arrive enfin à une division telle qu’en la divisant en deux, chacune des moitiés reste

indivisible et sans aucune étendue, et qu’ainsi ces deux néants d’étendue fissent en semble

une étendue ? » Ainsi de l’idée d’infini: elle outrepasse les limites de notre entendement

et est en cela «incompréhensible», et cependant toutes les mathématiques seraient ruinées

si on niait l’idée d’infini. Ainsi il n’est pas déraisonnable d’affirmer ce qui est

inconcevable, les mathématiciens ne font pas autre chose.

Certes les vérités religieuses sont incompréhensibles mais elles ne remettent jamais en

cause les principes fondamentaux de la logique. Qu'il y ait pour nous de

l'incompréhensible ne signifie pas qu'il y ait pour nous de l'absurde : croire en un mystère

religieux n'équivaut pas, comme le souligne Leibniz (Discours de la conformité de la

raison et de la foi) à refuser par exemple le principe de non-contradiction.

Le philosophe ne peut cependant se contenter d’affirmer que l’affirmation de l’existence

de Dieu n’est pas absurde. L’idéal serait de pouvoir le prouver. C’est ce qu’exige du moins

le déisme :

-Le déisme, qui se développera principalement au XVIIIe siècle quand la philosophie se

mettra en quête d’une «religion naturelle », naît au XVIIe siècle. Il affirme l’existence

d’un Dieu dont les propriétés peuvent être connues par la raison hors de toute

révélation et, par là, de toute Eglise. Ce Dieu est celui que Pascal appellera «le Dieu des

philosophes », principe abstrait qui permet une explication du monde, mais qu’on ne peut

prier et qui ne peut sauver.

- L’athéisme affirme que Dieu n’existe pas. L’athée est celui qui croit que Dieu

n’existe pas (il ne prétend pas savoir)

Page 2: La foi est-elle absurde

2

-L’agnostique lui, ne croit rien : ni que Dieu existe, ni qu'il n'existe pas. C'est comme un

athéisme négatif ou par défaut. Il ne nie pas l'existence de Dieu (comme fait l'athée) ; il

laisse la question en suspens. Agnôstos, en grec, c'est l'inconnu ou l'inconnaissable.

Personne ne sait, au sens fort et vrai du mot, si Dieu existe ou non. Mais le croyant affirme cette existence (c'est ce qu'on appelle une profession de foi); l'athée la nie;

l'agnostique ni ne l'affirme ni ne la nie : il refuse de trancher ou s'en reconnaît incapable.

1) La preuve physico-théologique :

La preuve la plus célèbre de l’existence de Dieu est la preuve physico-théologique. C'est

la plus populaire. C'est la plus simple. C'est la plus évidente et la plus discutable. On

la trouvait déjà chez Platon, chez les stoïciens, chez Cicéron. On la retrouve chez

Malebranche, Fénelon, Leibniz, Voltaire, Rousseau...

C'est une preuve a posteriori, fondée sur les idées d'ordre et de finalité (ce pourquoi il

m'arrive de l'appeler la preuve physico-téléologique, du grec telos, la fin, le but). La

démarche en est simple, presque naïve. On part de l'observation du monde ; on y

constate un ordre, d'une complexité indépassable; on conclut de là à une intelligence

ordonnatrice. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui la théorie du « dessein intelligent ».

Le monde serait trop ordonné, trop complexe, trop beau, trop harmonieux pour que ce

puisse être le fait du hasard ; une telle réussite supposerait, à son origine, une intelli-

gence créatrice et ordonnatrice (analogue à celle de l’homme), qui ne peut être que Dieu.

L'argument, c'est le moins que l'on puisse dire, n'est pas nouveau. C'était déjà celui de

Cicéron, dans le De natura deorum. C'était celui de Voltaire, à la fois libre-penseur et

déiste : « Tout ouvrage qui nous montre des moyens et une fin annonce un ouvrier; donc cet

univers, composé de ressorts, de moyens dont chacun a sa fin, découvre un ouvrier très

puissant, très intelligent. » Ce que le même Voltaire résuma en deux vers fameux : « L'univers

m'embarrasse, et je ne puis songer que cette horloge existe et n'ait point d'horloger. »

L'argument de l'horloge, qui est traditionnel, doit être pris au sérieux. Ce n'est bien sûr qu'une

analogie, mais suggestive. Imaginons qu'un de nos astronautes découvre, sur une planète

apparemment inhabitée, une montre. Nul ne pourrait imaginer qu'un mécanisme aussi

complexe soit le résultat du hasard : nous serions tous certains, en vérité, que cette

montre a été fabriquée par un être doué d'intelligence et de volonté. Or l'univers, ou l'une quelconque de ses parties (la moindre fleur, le moindre insecte, le moindre de nos

organes...), est d'une complexité bien plus grande que cette montre : il faut donc leur

supposer, comme dans le cas de la montre et a fortiori, un auteur intelligent et

volontaire, qui ne peut être - puisqu'il s'agit d'expliquer l'univers entier - que Dieu

(infiniment puissant…etc.).

Page 3: La foi est-elle absurde

3

L'argument a posteriori est destiné à prouver à la fois l'existence d'une Divinité et sa

similitude avec l'esprit et l'intelligence humaine ». La ressemblance entre l'univers et

une machine nous autorise à inférer la similitude de leurs causes respectives.

*Objections à la preuve physico-théologique :

Pour suggestive qu'elle soit, l'analogie n'est pourtant pas sans faiblesses. C'est d'abord

qu'elle n'est qu'une analogie (l'univers, d'évidence, n'est pas fait de ressorts et d'engrenages). C'est ensuite qu'elle fait peu de cas, j'y reviendrai, des désordres, des

horreurs, des dysfonctionnements, qui sont innombrables. Une tumeur cancéreuse est

aussi une espèce de minuterie (comme dans une bombe à retardement) ; un

tremblement de terre, si l'on veut filer la métaphore horlogère, fait comme une sonnerie ou

un vibreur planétaires. En quoi cela prouve-t-il que tumeurs ou cataclysmes relèvent d'un

dessein intelligent et bienveillant? Enfin, et surtout, l'analogie de Voltaire ou Rousseau a

vieilli : parce qu'elle se donne un modèle mécanique (telle était la physique du XVIIIe

siècle), alors que la nature, telle que nos scientifiques la décrivent, relève plutôt de la

dynamique (l'être est énergie), de l'indéterminisme (la Nature joue aux dés : c'est en quoi

elle n'est pas Dieu) et de l'entropie générale (que dirait-on d'une horloge qui tendrait vers

un désordre maximal?). La vie crée de l'ordre, de la complexité, du sens ? Certes. Mais cette

néguentropie du vivant, outre qu'elle reste locale et provisoire (elle ne survivra pas, sur Terre, à l'extinction du Soleil), s'explique, depuis Darwin, de mieux en mieux : l'évolution

des espèces et la sélection naturelle remplacent avantageusement - par une hypothèse plus

simple - le plan providentiel d'un naturelle, on n'a plus besoin d'un Dieu pour expliquer

l'apparition de l'homme. La nature y suffit. Cela ne prouve pas que Dieu n'existe pas, mais

retire un argument aux croyants.

Méfions-nous des analogies. La vie est plus complexe qu'une horloge, mais aussi plus

féconde (avez-vous déjà vu une montre faire des petits?), plus évolutive, plus sélective, plus

créatrice. Cela change tout ! Si nous trouvions une montre sur une planète jusque-là

inexplorée, nul ne douterait qu'elle résulte d'une action volontaire et intelligente.

Mais si nous y trouvions une bactérie, une fleur ou un animal, aucun scientifique, même

croyant, ne douterait que cet être vivant, aussi complexe fût-il, résulte des seules lois de

la nature. On m'objectera que cela n'explique pas ces lois elles-mêmes. J'en suis d'accord.

C'est en quoi l'existence de Dieu reste pensable, tout autant - mais pas davantage - que son

inexistence.

Page 4: La foi est-elle absurde

4

Il n'en reste pas moins que la preuve physico-théologique a beaucoup souffert des

progrès des sciences : ce qu'il y a d'ordre et d'apparente finalité (le mouvement des planètes,

la téléonomie des êtres vivants) s'explique de mieux en mieux ; ce qu'il y a de désordre et de

hasard se constate de plus en plus. Le jour où le Soleil va s'éteindre, dans 5 milliards

d'années, la preuve physico-théologique aura perdu, selon toute vraisemblance, la plupart de

ses partisans.

2) La science contemporaine peut-elle répondre à la question de l’origine (l’existence de

Dieu):

Depuis la fin du XXe et début du XXIe siècle un basculement s'est opéré. Au

XIXe siècle, les physiciens se passaient volontiers de Dieu : ils n'y voyaient, comme

Laplace, qu'une hypothèse inutile. En biologie et dans les sciences de la pensée, au

contraire, les scientifiques se sentaient incapables d'expliquer le miracle de la vie et de la

conscience, qui semblaient relever de la religion. Aujourd'hui si Dieu est persona non

grata chez les biologistes (Le darwinisme s'est imposé) (il faut chercher longtemps pour

dénicher un neurobiologiste qui ne considère pas la pensée comme le produit d'un organe

matériel, le cerveau, et non d'une âme immatérielle), Dieu peut sembler de retour, au

moins comme question, en physique et en astrophysique. Avec d'un côté la théorie du

big bang, qui porte en elle l'hypothèse d'un commencement de l'Univers, donc d'un avant

(ce qui peut faire songer à une création). Et, de l'autre, la mécanique quantique, qui nous

plonge dans de déroutantes interrogations.

Si la majorité des scientifiques sont convaincus que la science ne pourra jamais

prouver l'existence ou la non-existence d'un principe créateur, beaucoup, notamment

parmi les physiciens et astrophysiciens, n'hésitent plus à s'interroger ouvertement.

Pourquoi ? Parce que les nouveaux outils que les chercheurs ont entre les mains leur

permettent de scruter les deux infinis….

(1) Dans l’infiniment petit : les nouveaux outils, comme le LHC1, que les chercheurs

ont entre les mains pour scruter l'infiniment petit ouvrent une trappe sur un monde

subatomique gouverné par des lois qui nous échappent. Telle cette matière noire qui forme 1 On l'appelle le grand collisionneur de hadrons. A 100 mètres sous terre, les physiciens ont construit une machine à remonter le temps. Un monstre de 27 kilomètres de diamètre dans lequel se percutent à des vitesses folles des morceaux d'atome. De ces millions de collisions jaillit une énergie fabuleuse qui recrée l'état de l'Univers un millième de milliardième de seconde après le big bang. Quand, à peine plus gros qu'une orange, il s'est mis à enfler démesurément jusqu'à atteindre, 13,7 milliards d'années plus tard, sa taille actuelle, d'une quinzaine de milliards de kilomètres. Grâce au Large Hadron Collider (LHC), c'est son nom (voir p. 45), les chercheurs du CERN de Genève se sont mis en tête ni plus ni moins que de percer le mystère de l'origine de l'Univers ! L'anagramme en anglais du grand collisionneur n'est-elle pas " Eclipsera l'éclat du Créateur " ? Du coup, la tentation est forte de replacer Dieu dans le débat, ce qui revient à poser la question : " Dieu existe-t-il ? "

Page 5: La foi est-elle absurde

5

96 % de l'Univers. Une terra incognita où la physique classique, celle de Newton, ne

fonctionne plus et où la réalité paraît beaucoup plus complexe que les scientifiques

n'osaient l'imaginer. Dans ce monde quantique, la matière se dématérialise. Elle se

livre à des tours de passe-passe renversants, à l'image de ces particules qui communiquent entre elles, quelle que soit la distance qui les sépare. Au point que tout

ce qui arrive à l'une se répercute instantanément à l'autre, comme si un fil mystérieux les

reliait au mépris du temps et de l'espace.

La mécanique quantique a démontré l'existence d'un autre niveau de réalité. Ainsi,

deux particules qui ont interagi restent en contact, même si elles sont à deux bouts de

l'Univers. La mécanique quantique élimine l'idée de localisation. Les notions d'"ici"

et de "là" n'ont plus de sens, car "ici" est identique à "là". Les physiciens appellent

cela la "non-séparabilité". Cette constatation devrait avoir des conséquences

immenses sur la compréhension qu'ont les physiciens de la réalité. Or la plupart

évitent les réflexions philosophiques pour se pencher uniquement sur les applications

pratiques, telle la téléportation quantique.

Depuis la révolution quantique, nous savons que la lumière et la matière sont à la fois

onde et particule. Elles n'ont pas d'existence intrinsèque, leur apparence dépendant

de la façon dont on les observe. Cette dualité rejoint le concept bouddhique de la

vacuité, qui ne signifie pas le néant mais l'absence d'existence propre. Les chercheurs

qui baignent dans la culture occidentale ont du mal à admettre l'idée que quelque

chose puisse ne pas avoir d'existence intrinsèque.

(2) Dans l’infiniment grand : A l'autre extrême, dans l'infiniment grand, les télescopes

spatiaux permettent de passer au tamis le cosmos et de saisir des détails autrefois

imperceptibles. Ils moissonnent régulièrement des découvertes sur les origines de

l'Univers. En 1992, " COBE ", le satellite de la Nasa, " photographie " le

rayonnement fossile, la lumière la plus ancienne du cosmos jaillie de l'explosion primordiale, apportant ainsi le bout de preuve qui manquait pour confirmer le big

bang (voir p. 50). Cette théorie donne un commencement à l'Univers et sème la

zizanie chez les astrophysiciens, parce que derrière elle, en ombre chinoise, se dessine

quelque chose qui ressemble vaguement à une " création ". Quand il rend public la

découverte du rayonnement fossile, George Smoot, le père de " COBE ", prix Nobel

de physique, lâche, emporté par l'émotion : " Pour les esprits religieux, c'est comme voir le visage de Dieu ! " Une formule maladroite qui va déclencher un tollé dans la

communauté des scientifiques, chez tous ceux qui estiment que la science doit rester laïque

et que le chercheur n'a pas à s'aventurer sur le terrain de la métaphysique. Mais la science

repousse toujours plus loin les frontières. Actuellement, deux satellites, " Planck " et "

Herschel ", lancés en mai 2009 par l'Agence spatiale européenne, sondent les vestiges des

premiers rayons de lumière émis après le big bang.

Page 6: La foi est-elle absurde

6

En effet, l'immense majorité des astrophysiciens parvient aujourd'hui, après de

savants calculs, à la conviction que l'Univers n'a pas existé de toute éternité, mais

qu'il est né d'un événement gigantesque qui aurait, en quelques infimes fragments

d'une seule seconde, créé toute la matière à partir de rien, fait exister les premiers

éléments chimiques et disséminé le tout aux quatre coins de l'univers! De là seraient nées

les galaxies et les étoiles, il y a quelque treize milliards d'années. L'univers aurait donc

été « créé », et n'est-ce pas là, déjà, une formidable « confirmation » scientifique des

Ecritures saintes ? Qui dit « créé » ne dit-il pas, en effet, « Créateur » ?

D'autant que l'idée selon laquelle l'univers serait fabriqué, comme dans un jeu de

Meccano ou de Lego, à partir d'atomes bien fermes et bien « solides » a fait long feu.

Nous savons aujourd'hui que les particules élémentaires de la matière, tels les

électrons, sont des entités à double visage qui apparaissent tantôt comme des grains

de matière solide, tantôt comme des ondes immatérielles, et que le physicien a besoin

de ces deux descriptions qui, pourtant, paraissent contradictoires entre elles. C'était là, au

fond, la thèse centrale du « Dieu et la science » des Bogdanov et de Guitton : la physique

moderne nous inviterait à considérer le monde, selon le mot d’Einstein, davantage

comme « une vaste pensée » que comme « une grande machine ». En serions-nous ainsi

revenus, avec l'appui de la science moderne elle-même, à une nouvelle forme de

réhabilitation des anciennes « preuves de l'existence de Dieu », auxquelles, aujourd'hui

comme hier, l'Eglise reste étrangement attachée ?».

A force de se cogner à une réalité déroutante, qui multiplie les points de contact avec les

questions fondamentales, certains chercheurs sont pris d'une sorte d'ivresse métaphysique.

Prenez la poignée de lois intangibles qui orchestrent l'Univers. Des règles tellement

précises que, si l'on en modifie une d'un iota, notre monde n'existe pas. Certains en

ont déduit l'idée d'un monde ajusté pile poil pour que la vie apparaisse. Ce scénario

"anthropique", qui décrit un Univers avec des lois millimétrées et une évolution

inéluctable vers l'homme, au fur et à mesure que la matière se complexifie, n'est pas

pour déplaire au Vatican. D'autant qu'il raccourcit la baguette magique du hasard. Celle qui a permis, un temps, aux matérialistes de chasser Dieu de la science. Pour

l'Eglise, la théorie du big bang est une " interprétation acceptable de la création biblique ". Certains la soupçonnent de préparer une OPA sur la science. Et d'avoir choisi

comme nouvelles terres d'évangélisation la physique et l'astrophysique, autrefois fiefs des

matérialistes.

La science peut-elle pour autant répondre à la grande question métaphysique : " Pourquoi

y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Toute explication scientifique consiste à montrer comment un effet déterminé résulte

d’une cause déterminée (la dilatation d’une barre de métal de son échauffement, l’état

Page 7: La foi est-elle absurde

7

gazeux de l’eau de son ébullition, etc.). Ce qui signifie que la science ne peut expliquer

quelque chose à partir de rien. La science ne peut travailler qu'à partir du moment où il y a

quelque chose. Zéro n'est pas un chiffre physique. La question du passage du néant à l’être

est définitivement sans réponse, puisqu'on ne pourrait expliquer l'existence de l'être que

par un être, ce qui laisserait l'être lui-même inexpliqué. Pourquoi l'être ? Certains

répondent : " A cause du big bang. " Mais pourquoi le big bang plutôt que rien ? D'autres

rétorquent : " A cause de Dieu. " Mais pourquoi Dieu plutôt que rien ? On ne répond

jamais, on ne fait que déplacer la question... Dès lors, le passage de rien à quelque chose

est en dehors du champ de la physique. Du point de vue de la science le néant ne peut

produire de l’être. L'origine de l'être échappe, par définition, à la connaissance

scientifique.

A supposer que l’on puisse prouver qu’il y a à l’origine du big bang une entité intelligente,

encore faudrait-il déterminer quelle autre entité est à l’origine de cette nouvelle

entité…etc. L’explication scientifique est condamnée à régresser de cause en causes

indéfiniment. La raison (scientifique) ne peut donc (logiquement) déterminer l’origine

du monde, répondre à la question de savoir si l’univers a ou non un commencement.

Elle peut éventuellement répondre à la question de savoir ce qu’il y a avant le big

bang, mais elle ne pourra dire si cet évènement qui précède est l’origine absolue. La

question de l’origine est scientifiquement insoluble (c’est une question définitivement

théologique ou métaphysique…).

4) La vraie place de la religion par rapport à la science (voir avec la dissertation sur la

compatibilité de la religion et de la science

a) La foi est-elle utile à l’explication scientifique ?

Dans un ouvrage collectif intitulé Le savant et la foi, des physiciens, des chimistes et des

biologistes contemporains appartenant à plusieurs confessions religieuses se sont efforcés

d'expliquer en quoi pour chacun d'eux, leur travail scientifique n'est pas incompatible avec

leur foi religieuse. Deux séries d'arguments reviennent régulièrement dans leurs

témoignages.

En premier lieu, ces contributions insistent sur le fait que l'explication scientifique de

tel ou tel phénomène ne peut prendre appui sur la foi religieuse. Le physicien ou le

biologiste, qu'il soit chrétien ou musulman, n'est -dans sa recherche de l'objectivité-

ni favorisé, ni perturbé par sa foi en Dieu : quand on mesure le trajet d'une particule

ou une longueur d'onde on ne doit compter que sur la rigueur du protocole expérimental.

La vérité d'une hypothèse ne pourra dépendre de la ferveur de l'expérimentateur. Nous pouvons rapprocher cette idée des analyses de Kant dans la 3ème section du Canon

de la Raison pure. La science, dans ses investigations, unit ce qui est «subjectivement

suffisant » (la conviction du savant) et ce qui est objectivement suffisant » (la certitude

fondée sur des preuves et universellement partageable). La foi religieuse ne peut opérer

cette liaison : elle est subjectivement suffisante mais objectivement insuffisante car

elle reste de l'ordre d'une conviction intime sans portée universelle relativement à ses

Page 8: La foi est-elle absurde

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« articles ». La foi religieuse est bien totalement inutile pour expliquer les

phénomènes : «je suis plutôt obligé de me servir de ma raison comme si tout n'était que

nature ». Il n'est donc pas nécessaire de poser comme une nécessité la présence d'une

foi en un créateur du monde pour pouvoir progresser dans l'étude des phénomènes.

Si la foi peut être utile à la science ce n’est pas au sens où elle expliquerait le

phénomène mais au sens où elle orienterait le travail de recherche. En effet l’idée

qu’il existe un être suprêmement intelligent qui a créé l’univers pousse le savant à

aller toujours plus loin dans la recherche des causes et dans l’accroissement sans fin des connaissances. Si un tel être existe, si le monde a été créé par lui, alors il doit y avoir

un point de vue à partir duquel tout devient intelligible, une science achevée, une théorie

unifiée ou une équation fondamentale par laquelle l’univers devient pleinement

compréhensible. L’Idée de Dieu doit être, subjectivement entendue non seulement comme

le terme ultime auquel la quête des causes et des raisons ne peut que s’arrêter, mais aussi

comme le point de vue à partir duquel la totalité de l’univers constituerait un ensemble

cohérent, transparent et rationnel, bref, un système. La foi procure donc au savant reçoit

une confiance accrue dans le sens, la valeur de son travail. Parce que si le monde était

en lui-même inintelligible ou incompréhensible ce travail n’aurait aucun sens. Mais si

la foi est subjectivement suffisante elle reste objectivement insuffisante : elle ne

garantit nullement au savant des progrès réels en matière de connaissance des

phénomènes. L'approfondissement de nos connaissances en embryologie n'a pas dépendu

de la croyance en l'existence, dès l'œuf, d'un programme précis selon lequel vont

s'effectuer la différenciation des tissus les plus variés et leur agencement en divers organes

du futur organisme, mais de l'exploration de plus en plus fine de ces tissus et de leurs

propriétés physico-chimiques.

b) Ce que la science ne peut comprendre

Si la science a le devoir de rechercher la vérité dans l'explication phénomènes, ce qui

exige rigueur méthodologique et partage du savoir avec autrui, elle est muette sur la

question de savoir pourquoi il y a un monde ou en vue de quoi ce monde -et l'homme en

ce monde- existe. Cette question ne motive pas un projet d'explication objective, ou un

projet de maîtrise du réel mais la recherche d'un sens pour l'action humaine. Ainsi si le

panneau indicateur a un « sens », ce n’est pas seulement parce qu’il indique une direction,

mais parce qu’il a été intentionnellement créé par quelqu’un (fût-ce un « quelqu’un

anonyme, tel qu’une administration) qui veut communiquer avec nous et nous transmettre

certaines informations. On doit donc admettre l’axiome suivant : fait sens ce qui est l’effet

d’une volonté. Pour qu’il y ait du sens il faut qu’il y ait un projet ou un but, et que ce but

ou ce projet soit posé par une volonté….

Poser la question du sens c’est poser la question de la raison (raison d’être) et du but de

mes actions ou de mon existence: « Pourquoi travailler ? » (« A quoi bon ?»), « pourquoi

cette injustice ? », « Pourquoi cette souffrance ? ». Le « pourquoi ?» ici n’est pas une

demande rationnelle d’explication causale. En effet d’un point de vue scientifique tout

Page 9: La foi est-elle absurde

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pourrait bien s’expliquer. Tout s’enchaine nécessairement et s’explique naturellement,

la douleur par la physiologie, la pluie de sauterelles par le climat, les tremblements de terre

et les milliers de morts qu’ils entraînent par la tectonique des plaques, etc. La science peut

même expliquer n’importe crime. Si on demande « pourquoi ce crime? », si monstrueux

ou démesuré qu’il apparaisse, on peut toujours lui trouver des causes objectives, qu’elles

soient psychologiques, sociologiques ou historiques. Mais il est évident que pour la

victime, pour celui ou celle qui a perdu un proche ce type d’explication n’est pas suffisant.

Quand on demande « Pourquoi ce mal ? », « Pourquoi ça m’arrive à moi ? », « Pourquoi

je souffre tant… ?», ou encore « pourquoi cette vie ? » je ne cherche pas seulement une

explication mais je cherche à comprendre (se demander en vue de quoi).

Quand nous souffrons, lorsque un père ou une mère perd un enfant, il se pose la question

du sens de son existence : pourquoi éduquer des enfants et les perdre dans un accident

tragique et absurde, ou encore quand on fait l’expérience de la déception, de la souffrance

et de l’ennui, on peut se demander « à quoi bon vivre ? ». Pour le chrétien comme pour le

bouddhiste c’est face au scandale que représente d’une part la précarité et la fragilité de

l’existence (l’homme est voué à mourir et à voir disparaître ses proches) et d’autre part

l’injustice présente dans le monde (des innocents qui souffrent, et des méchants qui sont

heureux…) que se pose la question du sens. Si nous sommes nés pour mourir, n'être qu'un

passage sur terre (quelques dizaines d'années), si la vie est fondamentalement injuste,

comment peut-elle valoir la peine d’être vécue ? Le réel tel que nous le découvre

l'expérience est profondément injuste et angoissante. C’est cette angoisse et ce sentiment

d’injustice que les dogmes de la foi doivent apaiser et surmonter. L'angoisse légitime de

l'homme devant les dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la

providence divine et la prolongation de l'existence terrestre par une vie future : il n’est pas

absurde de penser que le monde dans lequel nous vivons n’est que provisoire et qu’il y a

un autre monde où les justes seront récompensés et les méchants punis; il est même

raisonnable d’espérer l’existence d’un autre monde (autre que celui dans lequel nous

vivons) sans lequel notre existence pourrait sembler désespérément absurde. C’est la

raison elle-même qui exige que notre existence ait un sens et la religion réalise cette

exigence, même si elle le fait de manière irrationnelle.

Aussi du fait même qu’elle procède d’une exigence de sens cette irrationalité n’est pas

contraire à la raison. Pour comprendre cela nous devons distinguer le rationnel et le

raisonnable. Rationnel veut dire démontrable, qui peut être analysé logiquement ; il s’agit

ici de la raison mathématique, la raison des Grecs. En revanche raisonnable signifie

sensé, cohérent, conforme à la raison: le discours religieux est raisonnable dans la mesure

où elle permet de comprendre ce qui est inaccessible à la raison scientifique,

mathématique. En effet si les sciences expliquent rationnellement par leurs causes la

manière dont les phénomènes naturels se produisent, les religions, pour leur part, donnent

aux hommes de comprendre les raisons de leur présence au monde; elles confèrent un

sens à leur existence, en la rattachant à celle d'un Créateur. Les démarches scientifiques

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nous éclairent sur ce qu’il est possible de faire, sur les moyens disponibles, sur les enjeux

et les risques. La foi nous dit ce qu’il faut faire pour donner à notre vie sens et cohérence,

en nous proposant des choix d’existence, des finalités des valeurs, des raisons d’espérer et

de vivre. Par exemple pour les chrétiens, le message évangélique- message d’amour,

d’espérance et de justice et de paix- éclaire l’existence et les choix qu’elle implique.

On peut même affirmer que la foi religieuse est raisonnable2 parce qu’elle est (en partie)

irrationnelle. En effet s’il était possible de fonder la croyance en l'existence de Dieu et

dans les dogmes de la foi (l’immaculée conception, la résurrection, la transformation de

l’eau en vin, etc.) sur un raisonnement. Si tout ce qu’affirme la religion nous était

démontrée en bonne et due forme, avec une rigueur et une certitude toutes scientifiques,

nul n'aurait paradoxalement plus aucune raison... d'y croire ! Nul n'aurait plus la foi, mais

on « saurait » Dieu, comme on sait que Napoléon a existé même s'il n'est plus de ce

monde. Dans ces conditions, la Révélation ne servirait plus qu'à compléter un savoir, elle

ne porterait plus, ce qui est un comble, sur l'existence même de Dieu. La croyance n’aurait

alors plus aucune raison d’être. Voilà pourquoi, il semble, que c'est malgré tout dans les

limites de la raison que se loge la croyance. Comme le disait Pascal « Qui blâmera donc

les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion

dont ils ne peuvent rendre raison; ils déclarent en l’exposant au monde que c’est une

sottise, stultitiam, et puis vous vous plaignez de ce qu’ils ne la prouvent pas. S’ils la

prouvaient ils ne tiendraient pas parole. C’est en manquant de preuve qu’ils ne manquent

pas de sens» (Pensée, fragment 418, édition Lafuma). La dernière phrase est capitale: «

preuve» relève de la raison au deuxième sens, ce que nous avons appelé le rationnel; «sens

» relève de la raison au sens de ce que nous avons appelé le raisonnable, presque le «bon

sens» ici. La religion est une folie, certes, par rapport à la raison métaphysique, à la raison

des Grecs. Mais en se proclamant une folie, la religion est cohérente avec elle-même car

elle est logiquement indémontrable. « C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison : voilà

ce que c'est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison » (Pascal, Lettre d'ôter les

obstacles).

Conclusion :

2 Le rationnel renvoie à la raison théorique qui est logique, mathématique et métaphysique (est rationnel ce

qui est logiquement démontrable). En revanche le raisonnable renvoie à la raison pratique (du grec prattein= agir) qui oriente nos choix et détermine nos décision en fonction des buts et des valeurs que nous avons posés. La raison théorique démontre ou déduit des théorèmes ou des propositions. La raison théorique démontre, la raison pratique oriente…

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Il y a deux excès à éviter disait Pascal: « exclure la raison, n’admettre que la raison ».

Exclure la raison :

Si on exclut la raison on tombe dans l’écueil du fidéisme (la religion repose sur la seule

foi, elle n'a pas besoin du moindre secours rationnel). C'est bien parce que Leibniz est

conscient des immenses périls que le fidéisme fait courir à la foi, qu'il écrit un Discours de

la conformité de la foi avec la raison. Il y opère une distinction décisive entre ce qui est

contre la raison et ce qui est au-dessus de la raison; si les dogmes religieux ne sont pas

démontrables, ils ne doivent jamais remettre en cause les principes fondamentaux de la

logique: «Il faut prendre garde de ne jamais abandonner les vérités nécessaires et

éternelles pour soutenir les mystères, de peur que les ennemis de la religion ne prennent

droit là-dessus de décrier et la religion et les mystères». Qu'il y ait pour nous de

l'incompréhensible ne signifie pas qu'il y ait pour nous de l'absurde : croire en un mystère

religieux n'équivaut pas à refuser par exemple le principe de non-contradiction.

Si la foi, comme le montre Pascal, ouvre à des mystères qui dépassent la raison, elle

n’est cependant pas contraire à la raison. Il n'y a pas, il ne doit ni ne peut y avoir de

contradiction entre la « vérité que Dieu nous révèle en Jésus-Christ » et « les vérités que

l'on atteint en philosophant » ; pas d'opposition, donc, entre Révélation et Raison, entre Foi

et Pensée, mais au contraire une indispensable complémentarité.

N’admettre que la raison :

C’est ne pas être sensible à ce qui fonde la raison, car tout savoir est fondé sur une

croyance. Les principes premiers qui fondent le savoir ne sont pas eux-mêmes des objets

de savoir. N’admettre que la raison c’est se priver de la possibilité de connaître la vérité

dans la mesure où celle-ci échappe, au moins en partie, au pouvoir de la raison. Toute

démonstration, toute proposition repose en effet sur des principes indémontrables, sur une

idée de la vérité inaccessible à la raison. Tout savoir repose sur un croire. La raison doit

donc reconnaître son incapacité et son impuissance à fonder la science géométrique et

mathématique, puisque l’esprit humain ne peut ni tout définir, ni tout démontrer. La

pensée rationnelle ne semble pas pouvoir se passer d’une croyance, d’un impensé, bref

d’un dogme.

Les raisons (celles du « cœur ») qui fondent la raison échappent donc au rationaliste. Lieu

des premiers principes intuitifs, le cœur désigne précisément une relation au vrai qui est

plus de l’ordre de la réceptivité (ou de la révélation) que de la construction (ou de la

démonstration). Dans la mesure où le cœur contient les intuitions premières qui nous

relient au vrai en dépit de notre impuissance à prouver, on doit en conclure qu’il y a dans

la vérité un irréductible que le sujet connaissant peut, sans doute, développer mais non

inaugurer. La vérité ne peut être engendrée absolument et par conséquent fondée, ou ce qui

la fonde ne peut être que donné (ou révélé). « C’est une maladie naturelle à l'homme, dit

Pascal, de croire qu'il possède la vérité directement; et de là vient qu'il est toujours disposé

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à nier tout ce qui lui est incompréhensible ; au lieu qu'en effet il ne connaît naturellement

que le mensonge ».

Aussi vouloir rendre raison de tout, comme le voudrait le rationalisme, c’est oublier que

nous n’avons qu’un rapport indirect à la vérité. C’est en outre perdre le sens de la

transcendance et du mystère : « Si on soumet tout à la raison, dit Pascal, notre religion

n’aura rien de mystérieux et de surnaturel ». L’auteur des Pensées entend montrer la

cohérence d’un discours (et d’un type de vie) qui renonce explicitement à faire de la raison

classique la norme suprême. Montrer une cohérence relève encore de la raison ; et c’est la

raison raisonnable, non pas orgueilleuse mais humble, la raison instruite par le

christianisme qui va montrer que la raison doit parfois se soumettre. « Il faut savoir douter

où il faut, assurer où il faut, en se soumettant où il faut. Qui ne fait pas ainsi n’entend pas

la force de la raison » (Pensées, Fragment 170 : Edition Lafuma). La force de la raison est

réelle, mais limitée; elle indique elle-même ses propres limites: « La dernière démarche de

la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la dépassent. Elle n’est que

faible si elle ne va jusqu’à connaître cela » (L. 188). Le fait de ne pouvoir prouver ce qui

la fonde est donc bien pour la raison une « impuissance » ; cette « impuissance » n’est, en

aucune façon, un argument contre la raison mais contre un certain impérialisme de la

raison qui raisonne (« Nous avons certes une impuissance à prouver, invincible à tout le

dogmatisme » mais nous avons également « une idée de la vérité invincible à tout le

pyrrhonisme » (Pensée 406, P. 18).); et, à cet égard, la géométrie donne une leçon

d’humilité à ceux qui veulent « n’admettre que la raison ». Il y a un moment où la raison

abdique, et ce faisant elle reste fidèle à elle-même: «La raison ne se soumettrait jamais si

elle ne jugeait qu’il y a des occasions où elle se doit soumettre» (L. 174). Il n’est pas

contraire à la raison de renoncer à la raison. Dans toutes les disciplines, l'homme doit

raisonner à partir de principes qu'il ne comprend pas, la raison doit accueillir, s’ouvrir aux

mystères qui lui sont inaccessibles et qui pourtant la fondent. Elle doit admettre

l’incompréhensible qui est la condition de toute compréhension.