Jean-Sylvain MAGAGNOSC MCF Honoraire – Laboratoire RURALITES Membre invité permanent du CAREX de l ’AFPS et Administrateur invité permanent de l ’AFPCN

7 octobre 2015 Aix en Provence – Petit déjeuner autour du séisme

POLITIQUES DE RESTRUCTURATION TERRITORIALE EN ITALIE. LES ENSEIGNEMENTS DU SEIME DE SAN GIULIANO (2002). ET LA FRANCE ?

Présentation J-S MAGAGNOSC

Après des études de géographie à NICE avec une année en Italie pour une Maîtrise sur l’Apennin, Agrégation de Géographie en 1972.

Dix années en Algérie dont 9 ans à l’Université de Constantine, suivies par 28 ans à l’Université de Poitiers surtout en Géographie mais avec aussi

de nombreux enseignements professionnels (MST, DESS et Masters) dans de nombreuses disciplines (histoire, histoire de l’Art, géologie, psychologie …). L’essentiel des formations pro à l’IRIAF de Niort (Institut des risques) où j’ enseignais les risque naturels aussi bien aux futurs responsables sécurité des

implantations industrielles qu’aux futurs officiers sapeurs - pompiers. Enseignements en Italie à Roma Sapienza (géologie et géographie), Bari (géomorphologie) et Napoli Orientale (géographie) et Fondation Basso.

Travaux de recherches sur la sismicité depuis plus de 40 ans avec une période effets géomorphologiques puis à partir de 1995 une vision plus globale et un suivi de la reconstruction déjà initié sur El Asnam (1980) et l’Irpinia (1980). A l’AFPS depuis 1995 avec direction mission RETEX à San Giuliano en 2002

et ensuite membre du CAREX de 2007 à 2015 (à ce jour = invité permanent) Conseiller des services diplomatiques en Italie, surtout au Consulat de Naples et aussi 3 ans auprès du Conseiller Scientifique de l’Ambassade, R. CARLES.

INTRODUCTION

Lorsque le séisme se produit, le tumulte médiatique se déchaine et une pléthore de chaines, caméras et journalistes sans oublier les photographes

déboule sur place. Mais pour combien de temps?

Une fois arrivé une réunion planétaire, un attentat, un accident … ou une péripétie du microcosme …. tout le monde plie bagages et va ailleurs

laissant sur place victimes, dégâts et aussi acteurs le la remise en ordre.

Qu’en est-il du devenir d’une zone sismique sur la durée ? Quelles sont les différentes conséquences de cet événement?

Le coût en vies humaines disparues mais aussi en vies brisées du fait des blessures physiques mais aussi psychologiques. Le coût économique avec ses répercussions sur place mais aussi au niveau de l’économie nationale?

Que penser des idées de Naomi KLEIN dans la « stratégie du choc »?

Comment une catastrophe naturelle peut-elle conduire des hommes (disciples de l’Ecole de Chicago) à utiliser la fragilisation des corps et des

esprits pour imposer leurs vues idéologiques et économiques, reléguant les populations au second plan?

Entre les 2 plaques africaines et eurasiennes, l ’Italie du sud est continuellement soumise à des pressions qui se traduisent par de nombreux séismes. A la latitude de Naples, de la Mer Tyrrhénienne à l ’Adriatique, le niveau de sismicité est élevé (classes 1 et 2). Régulièrement, des séismes affectent toute l’Italie mais ce sont surtout les séismes méridionaux qui sont les plus meurtriers et au cours de l’histoire

+ San Giuliano

* Conza della Campania

CONZA DELLA CAMPANIA

Le village de Conza était autrefois localisé sur une colline, héritage de la situation originelle, défensive, de cette ville née il y a plus de 26 siècles, sous la domination des Sannites puis des romains qui édifièrent un Colisée avec 8.000 sièges! Comme toujours dans ce cas les maisons étaient les unes contre les autres et les habitants avaient une vie sociale et collective fort élevée.

Cette localisation a eu des effets catastrophiques (effet de site) et il y a eu un haut niveau de dégâts, tout s’écroulant comme un château de cartes. Le gouvernement italien décida que Conza serait « la mémoire de la catastrophe de l’Irpinia» et sanctuarisa le lieu. Toutes les ruines ont été déblayées et maintenant seules subsistent les bases des murs et le village est fouillé par les archéologues.

Un nouveau village a été construit, avec des maisons de bois ou de fibro-ciment. Ce village a été utilisé de 1981 à 1993, à la fin de la construction du nouveau village. Ce village de remplacement a causé des problèmes car les habitants ont eu ces maisons pour 99 ans et certains d ’entre eux les louent comme résidences de vacances.

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Un cas exceptionnel

Conza est restée 2600 ans sur le même site (1). Après la catastrophe un nouveau village provisoire est construit pour 12 ans (2) et Maintenant il y a le nouveau village géométrique (3), inauguré en 1993 (soit 13 ans après!!). Celui-ci est beau, moderne, avec un forum imposant mais : - population vieillie, - beaucoup de personnes âgées, isolées dans leur grande maison avec jardin et beaucoup moins de contacts avec voisins.

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Mais pas toutes les localités sont traitées de la même façon : le cas de Teora

Dans la ville de Teora les baraques en bois sont restées longtemps. Certaines ont été enlevées il y a peu et remplacées par des habitats en dur (en 2008) mais il reste encore en 2014 des baraques rénovées et habitées. Ce n’est que dans un passé récent (2012) que la zone ci-contre a été remaniée et de petits immeubles de 3 – 4 étages ont été construits.

LE CAS DE SAN GIULIANO J ’ai été le responsable de la mission de RETEX envoyée par l ’AFPS avec Gérald HIVIN et Thierry VASSAIL et depuis je retourne régulièrement sur cette zone pour faire le point. Le village est construit sur un éperon et si d ’autres villages ont connu des dommages, San Giuliano est connu pour l’écroulement de son école et la mort de 26 enfants (plus 2 adultes). La partie ancienne construite sur des calcaires a bien résisté tandis que la partie moderne édifiée sur des dépôts de pente a été fortement touchée.

Des dégâts inégaux Dans la partie ancienne des édifices du XIIème siècle (qui avaient déjà résisté à une dizaine de gros séismes en 500 ans) ont été préservés car l ’accélération a été réduite sur cette partie de l ’éperon (1). Par contre, la partie moderne, construite sur les dépôts de pentes a été ébranlée et de nombreuses maisons se sont écroulées (2). Sur l ’amont, des immeubles récents, mieux conçus, ont résisté et ils ont été récupérés (3).

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Nous avons fait une visite en 2005 avec mes étudiants (1), et à ce moment-là le village était abandonné, surveillé par les forces armées. L ’option avait été prise, au plus haut niveau, de : - récupérer le vieux village (2) et - démolir puis reconstruire la majeure partie de la partie moderne (3 ) en gardant seulement quelques maisons (4).

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Le village provisoire de San Giuliano Après la catastrophe, un choix très clair a été fait et la population a été : - rarement mise en villages de tentes (petits), - surtout relogée en famille ou dans des hôtels, - et essentiellement placée dans un village provisoire sur un versant voisin avec des maisons plus modernes qu ’à Conza et Teora. La grosse différence est qu’ici il a fallu rendre les clés à la livraison des nouvelles maisons car le Gouvernement a tiré la leçon de l’Irpinia.

Reconstruction et communication

Pendant toute la reconstruction, des panneaux ont été placés à chaque ilot, montrant la position dans le village, la vue après la catastrophe et la future configuration. En fait, alors que le village était interdit d’accès, soumis aux autorités militaires (Armée et Carabinieri), seules des visites officielles avaient lieu, surtout celles des Ministres et du Président du Conseil Silvio BERLUSCONI.

La récupération du vieux centre

Les maisons du centre historique ont été rénovées (avec des éléments luxueux : gouttières et descentes de cuivre!) et seulement quelques-unes ont été démolies et ont donné naissance à une place. Cet espace, comme le secteur moderne sera utilisé comme outil touristique mais avec de la population résidente contrairement à Conza.

Clichés pris en mars 2009

La partie moderne

De nombreuses maisons sont terminées à cette époque mais il y en a encore de nombreux secteurs en travaux et la voirie n ’est pas faite. On est à J + 7 ans du séisme. Clichés pris en mars 2009

SAN GIULIANO TOURNE LA PAGE DU DRAME

LES SUITES JUDICIAIRES Du fait de la mauvaise construction (étage de béton sur rez de chaussée de briques), l’Etat

a poursuivi un certains nombre d’acteurs du projet, au sein de la Commune, des bureaux d’études et des constructeurs. Le premier jugement de 2007 donne un non-lieu général.

L’appel du Parquet conduit à des condamnations car « pas de projet digne de ce nom : pas de calculs, pas de cohésion avec le bâtiment préexistant ».

En juin 2012, la Cour Suprême confirme les sentences pour les personnes condamnées (5 et 6 ans de prison) mais ….. personne n’ira en prison suite à une disposition légale!!!

LE VILLAGE REVIT C’est progressivement, à compter de 2012 que les habitants ont regagné un village refait à neuf. Pris de la montée vers le centre historique, ce cliché montre les dernières maisons de celui - ci en pierres apparentes avec chenaux de cuivre. Dans la perspective la partie moderne presque toute reconstruite, avec une large avenue pavée!, De large trottoirs en marbre, du mobilier urbain luxueux et surtout des habitations pimpantes et luxueuses. Que dire de la fréquentation à 11 heures, en octobre 2013!

UNE SITUATION DIFFERENTE DANS LES AUTRES VILLAGES

. A Castellino del Biferno, tout le vieux centre a été touché par le séisme et seule l ’église a fait l ’objet de travaux. Il a été longtemps déserté et seules quelques maisons sont Habitées.

A Ripabottoni, seules quelques maisons (souvent propriété de la Commune) et l ’église ont fait l ’objet de travaux.

UN TRAITEMENT DIFFERENCIE

A San Giuliano les travaux (maisons et équipements) ont coûté 200 millions d’euro pour 350 unités d ’habitations (0,6M par UH) et les travaux sont terminés en 2012 – 2013 selon les secteurs. Ici à Colletorto, les travaux ont à peine com- mencé en 2008 (cliché de 2009) et il y a eu 21 millions d’euro pour 52 projets (soit 0,40M/UH). En outre, 329 pièces ont fait l ’objet d ’une attribution de 20.000 euro. C’est une disposition légale particulière qui alloue cette somme pour chaque pièce touchée, dans une maison non frappée par la destruction ou la reconstruction totale. Chaque projet fait l’objet d’un panneau et leur lecture apporte des informations sur le coût et les acteurs (architecte – géomètre, sécurité, constructeurs…).

QUE FAIRE DU VILLAGE PROVISOIRE ?

Une fois la population relogée, que faire du village de chalets car il est difficilement démontable et réutilisable ailleurs ?

Les propositions les plus farfelues ont été faites et parmi celles-ci la proposition de Michel Platini de le reconvertir en centre pour jeunes

footballeurs européens vaut son pesant d’or car comment trouver de l’espace pour faire des terrains de foot sur ces pentes instables!!!

UN ENJEU LOCAL ET NATIONAL.

En 2014, Cécile Kyenge, Ministre de l’intégration décide que SG sera l’un des villages d’accueil de migrants, ce qui entraina des litiges au sein du Gouvernement et sa « démission ». En 2015, le projet est finalisé politiquement mais au -Niveau local une forte opposition est contre la venue de 500 migrants au sein de 5.000 habitants de SG et des villages voisins (Santa Croce, Bonefro et Colletorto). -Niveau national des conflits éclatent car la parution des Appels d’Offres pour les travaux de rénovation mais aussi les services de fonctionnement de l’accueil avec des millions d’euro à la clé aiguisent les appétits. Des soupçons d’infiltration par la « mafia » sont évoqués…

ET LA FRANCE ?

La France a une sismicité réduite et inégale. Le dernier grand tremblement de terre de LAMBESC (ou Provence) a eu lieu en 1909 et depuis seuls quelques séismes ont faits des victimes et/ou causé

des dégâts importants (Arrette, Ile d’Oléron, Annecy ….).

Le séisme de Lambesc a engendré une quarantaine de victimes et mis à terre des milliers de maisons. Quid d’un séisme survenant aujourd’hui?

Le SRM de Haroun Tazieff avait fait une évaluation au milieu des années 80 et on peut en lire ses résultats contrastés dans les ouvrages de Ledoux et Gout :

500 à 1.500 victimes, des dizaines de milliers de sinistrés, des milliers (20.000?) de maisons détruites avec de fortes répercussions sur les infrastructures et l’économie régionale et nationale. (cf liaisons ferrées et autoroutières, zones d’activités économiques et industrielles , bâtiments publics).

Il y a des progrès avec : -l’évolution du zonage (abordé précédemment)

- la prévention avec : les Plans communaux de Secours, mais aussi la construction parasismique des établissements d’éducation et hospitaliers ….

Mais quid par exemple des ZA et ZI endommagées lors de pluies et vents? Et en cas de séisme?

Une seule ligne de conduite : la PREVENTION! Chez moi, agrandissement et maçons : quelle zone? G. Czitrom, dans une publication AFPS a montré que le coût du parasismique était de 4% pour logements collectifs et 10% pour établissements spéciaux (hôpitaux…).

A l’AFPS, après une période consacrée surtout aux RETEX et à l’établissements de normes On a diversifié et élargi le champ d’action avec par exemple le GT URGENCE (vu ce matin) et le

GT « Recomposition territoriale » que j’anime prend en compte non seulement la reconstruction mais aussi toutes les conséquences démographiques, économiques et sociales du séisme.

CONCLUSIONS Les autorités italiennes mettent à profit la répétition des séismes, des crises et des reconstructions pour mettre en place une stratégie différenciée. 1) Après le séisme de l ’Irpinia, Conza a été abandonné tandis que dans le cas de San Giuliano le choix a été fait de conserver le site initial et de travailler au « scalpel ». 2) Les sinistrés sont relogés provisoirement avec des situations diverses, en famille, en hôtel (cf Berlusconi après l’Aquila) en réduisant de plus en plus les tentes. 3) Après les problèmes connus par le village provisoire de Conza (bail de 99 ans) il a été décidé que les détenteurs de maisons provisoires devraient rendre leurs clés avant de se rendre dans leurs nouvelles maisons. 4) A SG, la mort des enfants a « culpabilisé » les politiques et par compensation, un village luxueux a été construit, avec des équipements surdimensionnés (une école à moitié vide) voire inutiles (une piscine olympique pour 1.200 hab dont la moitié a plus de 60 ans!!! 5) Car une des conséquences de ce séisme comme de nombreux autres est une population réduite (en général 1/4 à 1/3) avec surtout le départ des jeunes qui vont dans les villes. Une autre politique de reconstruction/relogement est-elle possible? 6) Tous les villages touchés par le séisme ne sont pas logés à la même enseigne. Certains récupèrent beaucoup d ’argent tandis que d ’autres en ont moins et doivent attendre plus tard le début des travaux. MERCI POUR VOTRE ATTENTION