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1 L’Esprit du Capitalisme 1. Première trace sur la piste : LafargeHolcim 2. Le Capitalisme du désastre 3. « Messieurs… ce ne sont pas des Américains mais des Orientaux… » 4. « Big Business avec Hitler » 5. « De quoi Total est-elle la somme ? » 6. Le Big Bang Atomique père de l’Apartheid 7. Epilogue, déjà un mini-führer pour un nouveau cycle 1. Première trace sur la piste : LafargeHolcim « Fichier javellisés », esprit du capitalisme es-tu là ? Tout est allé très vite pour le poids lourd du béton, LafargeHolcim, ses tractations avec le groupe islamique en Syrie ont fini par paraître suspectes et le cimentier s’est retrouvé trainé devant les juges en France… Chose pour le moins étrange, l’entreprise a semble-t-il été prise par surprise dans cette procédure judiciaire. A-t-elle était trahie ? L’enquête le révélera, peut-être… La première ligne de défense du cimentier franco-suisse est rapidement tombée. LafargeHolcim n’est pas une entreprise philanthropique. Mais qui l’ignorait ? Ce n’est pas par souci éthique envers ses employés que ce géant du ciment est resté en territoire occupé par l’organisation de l’Etat Islamiste… La seconde ligne de défense improvisée dans l’urgence avec la reconnaissance volontaire express de fautes - « erreur de jugement » ou « erreurs inacceptables » - commises localement par sa filiale syrienne n’a pas mieux résisté. Les juges n’ont pas été sensibles aux circonstances atténuantes de négociations difficiles sous la contrainte en situation hautement conflictuelle. Prise de vitesse, l’entreprise, n’a pas eu le t emps suffisant pour bétonner de nouvelles lignes de défense. Elle a dû prendre les devants, brûler les étapes et passer rapidement au stade de faire disparaître des documents compromettants. Mais en s’engageant précipitamment dans cette voie, au vu et au su de la presse, elle n’a fait qu’aggraver sa position vis-à-vis du droit. Bref, avec cette posture « d’obstruction » à la justice entreprise dans l’urgence, la firme s’accuse elle - même. La presse nous apprend en effet que « des fichiers manquent », et qu’« ils ont été passés à l’eau de javel ». LafargeHolcim a quelque-chose d’éminemment répréhensible à cacher. Pire encore, l’entreprise aurait agi en concertation avec le pouvoir politique à Paris : des ramifications au sein de l’appareil d’Etat français sont possibles. On apprend par voie de presse que « D'anciens employés de la firme implantée en Syrie ont demandé à ce que l'ancien locataire du Quai d'Orsay soit entendu dans ce dossier (1). » En portant plainte contre ce mastodonte du béton et donc de la destruction de la planète, l’ONG Sherpa s’en tenait strictement au droit international. Fort probablement, elle ne pouvait soupçonner que d’éventuelles ramifications puissent aller jusqu’au Quai d’Orsay. En automne 2017, les ingrédients politico- économiques, militaro-diplomatiques se coalisent pour que les compromissions ou crimes possibles de l’entreprise atteignent la carrure républicaine bien française de l’affaire Elf. On se souvient peut-être encore que, selon l’ancien pensionnaire du « ministère des Affaires Etrangères » du quinquennat Hollande, certaines factions islamistes « faisaient du bon boulot » en Syrie. Pour le Quai d’Orsay d’alors, comme pour le Pentagone, l’homme à abattre était Bachar Al Assad, y compris en soutenant en sous-main des organisations criminelles… Au final, rien ne s’est passé comme prévu. Selon les plans du « Monde libre » piloté par l’OTAN, le régime alaouite de Damas aurait dû tomber rapidement. Personne n’aurait parié sur

L’Esprit du Capitalisme · stratégie du choc et de la monté du capitalisme du désastre décrit par Naomi Klein en 2008 : en surface la catastrophe infernale, le drame humanitaire,

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1

L’Esprit du Capitalisme

1. Première trace sur la piste : LafargeHolcim 2. Le Capitalisme du désastre 3. « Messieurs… ce ne sont pas des Américains mais des Orientaux… » 4. « Big Business avec Hitler »

5. « De quoi Total est-elle la somme ? »

6. Le Big Bang Atomique père de l’Apartheid 7. Epilogue, déjà un mini-führer pour un nouveau cycle

1. Première trace sur la piste : LafargeHolcim « Fichier javellisés », esprit du capitalisme es-tu là ?

Tout est allé très vite pour le poids lourd du

béton, LafargeHolcim, ses tractations avec le

groupe islamique en Syrie ont fini par paraître

suspectes et le cimentier s’est retrouvé trainé

devant les juges en France… Chose pour le

moins étrange, l’entreprise a semble-t-il été

prise par surprise dans cette procédure

judiciaire. A-t-elle était trahie ? L’enquête le

révélera, peut-être…

La première ligne de défense du cimentier

franco-suisse est rapidement tombée.

LafargeHolcim n’est pas une entreprise

philanthropique. Mais qui l’ignorait ? Ce n’est

pas par souci éthique envers ses employés que

ce géant du ciment est resté en territoire occupé

par l’organisation de l’Etat Islamiste…

La seconde ligne de défense improvisée dans

l’urgence avec la reconnaissance volontaire

express de fautes - « erreur de jugement » ou

« erreurs inacceptables » - commises localement

par sa filiale syrienne n’a pas mieux résisté. Les

juges n’ont pas été sensibles aux circonstances

atténuantes de négociations difficiles sous la

contrainte en situation hautement conflictuelle.

Prise de vitesse, l’entreprise, n’a pas eu le temps

suffisant pour bétonner de nouvelles lignes de

défense. Elle a dû prendre les devants, brûler les

étapes et passer rapidement au stade de faire

disparaître des documents compromettants.

Mais en s’engageant précipitamment dans cette

voie, au vu et au su de la presse, elle n’a fait

qu’aggraver sa position vis-à-vis du droit. Bref,

avec cette posture « d’obstruction » à la justice

entreprise dans l’urgence, la firme s’accuse elle-

même. La presse nous apprend en effet que

« des fichiers manquent », et qu’« ils ont été

passés à l’eau de javel ». LafargeHolcim a

quelque-chose d’éminemment répréhensible à

cacher. Pire encore, l’entreprise aurait agi en

concertation avec le pouvoir politique à Paris :

des ramifications au sein de l’appareil d’Etat

français sont possibles. On apprend par voie de

presse que « D'anciens employés de la firme

implantée en Syrie ont demandé à ce que

l'ancien locataire du Quai d'Orsay soit entendu

dans ce dossier (1). » En portant plainte contre ce mastodonte du

béton et donc de la destruction de la planète,

l’ONG Sherpa s’en tenait strictement au droit

international. Fort probablement, elle ne pouvait

soupçonner que d’éventuelles ramifications

puissent aller jusqu’au Quai d’Orsay. En

automne 2017, les ingrédients politico-

économiques, militaro-diplomatiques se

coalisent pour que les compromissions ou

crimes possibles de l’entreprise atteignent la

carrure républicaine bien française de l’affaire

Elf. On se souvient peut-être encore que, selon

l’ancien pensionnaire du « ministère des

Affaires Etrangères » du quinquennat Hollande,

certaines factions islamistes « faisaient du bon

boulot » en Syrie. Pour le Quai d’Orsay d’alors,

comme pour le Pentagone, l’homme à abattre

était Bachar Al Assad, y compris en soutenant

en sous-main des organisations criminelles…

Au final, rien ne s’est passé comme prévu.

Selon les plans du « Monde libre » piloté par

l’OTAN, le régime alaouite de Damas aurait dû

tomber rapidement. Personne n’aurait parié sur

2

la survie du clan Assad : maudit des pays

occidentaux et de leur vassaux moyen-

orientaux, encerclé par l’opprobre de la presse

occidentale et assiégé de toutes parts par des

groupes de la mouvance islamistes -« rebelles

modérés » ou fanatiques sanguinaires- le tout

abondamment financés et armés par les

pétromonarchies du Golfe amies de l’Occident

avec en plus au nord le soutien de la Turquie,

rien ne manquait pour précipiter la chute du

leader Alaouite. C’était sans compter sur

l’arrivée cuirassée de Poutine. Après la prise de

la Crimée, il venait à travers les âges inscrire ses

pas dans ceux de l’Ancien Empire tsariste.

Longtemps absente de la région depuis sa

défaite dans la Guerre de Crimée (1853-1856),

la Russie vient de rappeler qu’elle a encore une

carte à jouer au Moyen-Orient, histoire de se

désenclaver et ainsi de riposter à son récent

encerclement européen par l’omniprésente

Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

Pour mémoire, rappelons que « L’Homme

malade de l’Europe », l’Empire Ottoman en

déliquescence, faisait les délices de la finance

française et britannique. L’affreuse Guerre

(moderne) de Crimée avait pour mission de faire

barrage à la progression vers l’Anatolie de

l’Empire Russe et ainsi préserver le gâteau

créancier des banquiers occidentaux.

L’irruption du cuirassé volant Poutinkine en Syrie met fin à la longue éclipse de l’ex-Empire soviétique

dans la région.

Ainsi le régime Alaouite n’était pas tout à fait

isolé. En plus du providentiel allié russe, il faut

signaler l’Iran et ses dévoués Gardiens de la

Révolution. Après six ans de guerre infernale et

d’autodestruction de la Syrie, Bachar Al Assad

est toujours là et engrange à tour de bras les

victoires sur l’organisation criminelle Daech. Le

Capitole est parfois aussi proche de la roche

Tarpéienne que celle-ci l’est souvent de lui.

Sans conteste, avant cette tournure imprévue de

la guerre, LafargeHolcim était l’entreprise de la

situation pour la Reconstruction. La récente

unité de production de Jalabiya, inaugurée en

2010 dans le nord-est de la Syrie, était une pièce

stratégique bien placée et devait rester en parfait

état de fonctionnement pour l’après-guerre. Le

cimentier avait misé gros avec un

investissement de 600 millions d’euros pour

moderniser l’usine. Il semble que la décision

des négociations avec Daech pour préserver ce

site intact ait reçu non seulement l’aval mais le

soutien appuyé du Quai d’Orsay.

Dans le scénario hollywoodien du « Monde-

libre-piloté-par-l’OTAN », les différents temps

du drame se suivent ainsi : la guerre d’abord, le

tyran sanguinaire de Damas enterre son peuple

sous les décombres des villes antiques de la

Syrie, les victimes soufrent dans leur chair mais

résistent et combattent courageusement ; ensuite

la lutte victorieuse entraine la chutes du régime

honni, le peuple syrien enfin libre exprime sa

joie mais constate l’étendue du désastre. Enfin

arrivent les bons samaritains occidentaux pour

reconstruire le pays meurtri ». Le savoir-faire

incontestable de LafargeHolcim n’était donc pas

de trop dans cet immense champ de ruines. Par

l’entremise de cette entreprise performante et du

BTP français, la Syrie aurait pu en un temps

record accéder aux fastes du « Stade Dubaï du

Capitalisme (2) » qui caractérise aujourd’hui

l’urbanisme ubuesque des Etats Islamistes de la

péninsule arabique.

En suivant un scénario moins idyllique pour

décrire les péripéties syriennes, on débouche plutôt sur un modèle économique désormais

habituel dans le monde actuel : celui de la

stratégie du choc et de la monté du capitalisme

du désastre décrit par Naomi Klein en 2008 : en

surface la catastrophe infernale, le drame

humanitaire, la sidération du choc traumatique,

l’enfer des tapis de bombes, la fuite désespérée

de Syrie, largement mis en scène dans la presse

occidentale. Mais, en coulisse, dans les

chancelleries ou les Salons Eurosatory,

l’éminence grise, l’esprit du capitalisme, la

main invisible, le partage négocié du pouvoir politique à Damas et du juteux marché de la

Reconstruction des villes en ruine.

Fin 2017, la donne changeait radicalement, le

scénario hollywoodien n’était plus de mise.

Bachar Al Assad roule les mécaniques aux côtés

de Vladimir Poutine. Vainqueur contre le crime

organisé de Daech, il peut s’afficher comme le

libérateur de la Syrie. Et à ce titre, comme de

Gaulle et le Conseil de la Résistance en France

face à l’entreprise collaborationniste Renault, le

3

leader alaouite peut statuer sur le sort à réserver

à LafargeHolcim. Il peut la condamner pour

« complicité de crime contre l’humanité » selon

le droit international, la nationaliser et créer La

Régie LafargeHolcim. De tout temps ce sont les

vainqueurs qui écrivent l’Histoire. Cependant il

faut signaler une différence de taille entre le

cimentier et le constructeur automobile

collaborationnistes. LafargeHolcim est une

transnationale déjà métastasée partout sur la

Terre ce qui n’était pas le cas de Renault en

1945. Dans l’hypothèse d’une nationalisation,

l’Etat syrien sera contraint de rebaptiser l’unité

présente sur son territoire.

Nous nous sommes contentés d’explorer une

hypothèse minimaliste : LafargeHolcim en

réserve de la Reconstruction heureuse de la

Syrie dans le cadre d’un plan Marshall assuré

par l’Etat islamiste d’Arabie Saoudite, ami

fidèle de la France et des Etats-Unis. Mais on

peut aussi évoquer une autre hypothèse que

l’enquête révélera, peut-être. Les séquelles

historiques indélébiles laissées sur le littoral

français par les cimentiers de l’armée nazie, les

fameux « blockhaus », nous autorisent à

imaginer qu’une cimenterie flambant-neuve

peut bien servir les besoins logistiques de

l’organisation criminelle, fut-elle purement

religieuse. LafargeHolcim aurait-elle permis de

bunkeriser le Califat ? Dans cette hypothèse, le

motif d’inculpation - « complicité de crime

contre l’humanité » - devient parfaitement

recevable non seulement à Damas mais aussi à

Nuremberg ou La Haye…

Restons-en là pour ce qui concerne la dimension

juridique… En France, l’entreprise n’est visée

que pour « financement d’entreprise terroriste »

et « mise en danger de la vie d’autrui ». Bref, il

n’y a pas mort d’homme ! Et de plus, par sa

taille, le mastodonte du béton entre dans la

catégorie super-lourd des « too big to fail ».

Même s’il n’est pas « too big to jail », pour

échapper aux tracasseries juridiques il n’a rien à

craindre face à la justice bananière et dilatoire

française…

Mais notre propos est ailleurs. Il nous faut

maintenant aborder la banale normalité

guerrière des temps actuels : l’esprit du

capitalisme, la Main invisible à l’ère de la

stratégie du choc et de la monté du capitalisme

du désastre.

Si du point de vue du bon père de famille, le

comportement de LafargeHolcim est au plus

haut point déplorable et si, en référence à la

Déclaration universelle des Droits de l’Homme,

les agissements de l’entreprise sont parfaitement

condamnables, il faut savoir cependant que du

point de vue économique les faits et gestes du

numéro 1 du béton restent dans la stricte

normalité. Les arrangements sordides de

LafargeHolcim ne doivent pas être considérés

comme une exception. Les Etats-Unis ont bien

traité pendant 10 ans avec les Talibans après

leur arrivée au pouvoir en Afghanistan. Nul

n’ignorait les rituels cruels de leur haut degré de

spiritualité. On baigne en plein dans l’esprit du capitalisme. Comme le disent si bien les

dignitaires d’une autre grande transnationale

d’origine française : « Total ne fait pas de

politique… elle fait de la géopolitique » ; en

clair, le bas peuple s’entretue pour des idées

politiques ou religieuses, nous on tire les

marrons du feu. Dans ce modèle qui est celui du

capitalisme du désastre dominé par les

transnationales, la question se pose de savoir qui

(en coulisse) attise le feu.

Il fait donc raison garder et regarder plus loin le

mobile des incendiaires et partir à la recherche

de l’esprit du capitalisme. Car toutes les

entreprises transnationales collaborent sans

mauvaise conscience avec les dictatures

sanguinaires et les régimes des plus crapuleux et

corrompus de la planète. La dénonciation de cet

état de fait, caractéristique des nouvelles

pratiques du capitalisme mondialisé, est

désormais la raison d’être d’ONG spécialisées

dans surveillance des multinationales.

Mais avant l’aller plus avant dans l’analyse

historique des origines de la criminalité foncière

des transnationales de la carrure de

LafargeHolcim, une précision s’impose. Dans la conjoncture actuelle d’effondrement de la

biodiversité, ce n’est pas tellement par ses

arrangements secrets avec un gang islamiste que

l’entreprise est la plus coupable de crime contre

l’humanité mais bien par son activité de routine

au service du bétonnage de la planète. Combien

d’écosystèmes et de lieux de vie pour des

populations autochtones ont été anéantis à

jamais à travers le monde par l’activité ordinaire

« légale » du numéro 1 mondial du béton -

4

LafargeHolcim ? Là où l’entreprise passe les écosystèmes trépassent !

Même si ce sont les vainqueurs militaires contre

les peuples qui écrivent l’histoire, il ne s’agit

que d’une version officielle, celle que les

programmes scolaires enseignent aux enfants.

Cependant la vérité des faits se sait et elle est

disponible pour quiconque veut bien s’informer.

Au cours des deux décennies écoulées où l’on

nous avait annoncé la fin de l’Histoire, de plus

en plus d’ouvrages nous instruisent sur l’esprit

d’entreprise du capitalisme. En France on

dispose déjà de deux sommes totalisant les faits

et gestes de nos saints patrons et de notre bonne

mère la 5e République : « Histoire secrète du

Patronat, de 1945 à nos jours. Le vrai visage du

capitalisme français (3)» paru en 2009,

« Histoire secrète de la 5e République (4) » paru

en 2006. Les deux groupes d’auteurs convergent

pour constater que la vraie histoire de France ne

se découvre pas dans les manuels scolaires,

surtout quand il s’agit de révéler la face

honteuse des bonnes œuvres de l’Etat

providence de la Finance et du saint Patronat.

Sous le style de l’enquête ils traitent des petits

secrets de fabrication et des méthodes

redoutables qui assurent à la fois « la richesse de

la nations » et le rayonnement de la France et

l’harmonie dans la Francophonies. La masse

d’informations déjà disponibles est édifiante,

pour nous faire comprendre que Saint-Esprit

d’entreprise n’est pas tout à fait celui dont

parlent les économistes médiatiques. Rappelons

quelques-uns des ingrédients indispensables qui

fond que la France est une grande Nation

démocratique : agent secrets, « barbouzes »,

opération militaires clandestines et souvent

sanglante, assassinat, torture, disparition,

suicide commandité, manipulation en tous

genres, corruption, scandale financiers, réseaux

occultes lobbies puissant et invisibles. Bref le

miracle de l’extorsion de la plus-value

n’implique pas que des agents économiques

dans une concurrence libre et non faussée.

Mais nous sommes à la recherche de l’esprit du capitalisme bien au-delà des faits et gestes accablant

susceptibles de mener devant les juges tel ou tel hommes politiques, patrons d’entreprise, d’officine

occulte ou services secret.

Citons d’emblée ici, dans l’ordre de leur

parution, les ouvrage qui nous serviront à pister

l’esprit pas très philanthropique du capitalisme :

« Une histoire populaire des Etats-Unis » de

l’historien Howard Zinn, traduction française

2002 ; « La Stratégie du Choc, la Montée du

Capitalisme du Désastre » de la journaliste

nord-américaine Naomi Klein, 2008 ; « Big

Business avec Hitler » de l’historien Jacques R.

Pauwels, 2013 ; « Minerais stratégiques, Enjeux

Africains » du politologue franco-africain Apoli

Bertrand Kameni, 2013 ; et, tout frais sorti en

2017, « De quoi Total est-elle la somme ? » du

philosophe Alain Deneault. Cela représente près

de 3000 pages de lecture pour une plongée dans la criminalité foncière du capitalisme.

Une page de l’Histoire et de son écriture est en

train d’être tournée. Dans la vieille tradition

marxiste, on regardait le capitalisme comme un

système d’exploitation subtil de la force de

travail mais aussi comme une étape majeure et

nécessaire du développement des forces

productives avant le Grand Soir de

l’émancipation du genre humain… Ce n’est

désormais plus possible. Aujourd’hui le désastre

et la criminalité de capitalisme apparaissent au

premier plan. Et, comble de l’absurde, ce double

aspect relève justement du développement et de

l’excellence des sciences et techniques et, en

plus, tombe sous la loi édictée par ce même

système économique. Autre caractéristique de

notre temps, l’Histoire s’écrit en temps réel et ce

sont désormais des journalistes d’investigation

qui l’écrivent.

Dans notre liste d’auteurs sélectionnés pour

notre recherche, sauf peut-être l’historien

Jacques R. Pauwels, aucun ne s’inscrit dans la tradition de la critique marxiste du capitalisme,

tous fondent leur analyse sur les faits et gestes

des grandes entreprises et des Etats qui font le

capitalisme de notre temps et qui défigurent la

surface de la Terre depuis un siècle. Tous

dressent le même tableau de ce qu’est devenu

« Le Capital au 21e siècle ».

(1) « Lafarge en Syrie : l'ex-ministre Laurent Fabius prochainement entendu ? » Par LEXPRESS.fr ,

publié le 13/10/2017

5

https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/lafarge-en-syrie-l-ex-ministre-laurent-fabius-

prochainement-entendu_1951965.html

(2) Mike Davis « Le stade Dubaï du Capitalisme » Ed Prairies ordinaire 2007

(3) Benoît Collombat, David Servenay, Frédéric Charpier, martine Orange Erwan Seznec « Histoire

secrète du Patronat, de 1945 à nos jours » « Le vrai visage du capitalisme français » Ed. La Découvert

2009.

(4) Roger Faligot, Jean Guisnel, Rémi Kauffer, Renaud Le cadre, François Malye, Martine Orange,

Francis Zamponi « Histoire secrète de la 5e République » Ed. La Découverte 2006

6

2. Le Capitalisme du désastre

Nous sommes à la recherche de l’esprit du

capitalisme pour montrer qu’en définitive le

choix de LafargeHolcim de traiter avec une

entreprise criminelle, loin d’être une aberration,

relève plutôt de la normalité dans le cadre des

lois économiques du libéralisme fut-il devenu

scientifique, néo- ou ultra-libéral. La France et

les Etats-Unis, deux « grandes démocraties »

vendent bien, sans mauvaise conscience, des

armes redoutables aux Etats Islamistes et

esclavagistes de la péninsule arabique et nul

n’ignore l’usage qui en est fait au Yémen. Au

vu et au su de tout le monde comme aux yeux

officiels de l’ONU, le pays s’enfonce dans

« terrible crise humanitaire ». Des populations

civiles, des femmes et des enfants périssent sous

des bombes « Made in France » ou « Made in

USA » négociées au Salon Eurosatory, mais

localement labélisées « halal » par un Etat

islamiste… Le crime contre l’humanité ne

semble pas perturber les acteurs officiels du

commerce militaire et la presse en France s’en

tient à la doctrine présentée par l’état-major. On

ne voit pas quand ce massacre high-tech peut

finir puisque l’affairisme ordinaire des

marchands d’armes ne sort pas des principes

économiques du libéralisme. Téléguidé du

Pentagone, le roi d’Arabie Saoudite a revêtu les

habits neufs d’un mini-führer moyen-oriental.

Et comme chef suprême d’un Etat islamiste

disposant d’un arsenal high-tech d’armement il

s’offre un Guernica à Sanaa - la capitale du

Yémen inscrite au patrimoine de l’humanité. En

diminuant la focale pour un grand angle, on peut

aussi voir dans ce divertissement ubuesque d’un

monarque un lot de consolation en offrande à

ceux qui s’étaient positionné sur le marché de la

reconstruction en Syrie. On baigne en plein dans

l’esprit du capitalisme du désastre comme va

nous le monter Naomi Klein.

A sa mesure, la transnationale LafargeHolcim

pouvait donc bien faire de même avec un autre

Etat arborant les mêmes convictions religieuses.

Mais voyons plus loin que l’exception culturelle

française.

Après les ravages en Asie du tsunami de

décembre 2004, un haut responsable de

l’administration américaine a exprimé en public

sa grande satisfaction, deux mots seulement :

« merveilleuse opportunité ». L’Esprit du

capitalisme est bien là. Deux cent cinquante

mille personnes périrent, mais, aux yeux des

décideurs politiques à Washington, le désastre

humanitaire du raz de marée s’annonçait

d’emblée comme une chance pour les milieux

d’affaires étasuniens.

Piqué au vif par le cynisme tranquille de

l’administration Bush, le sang de Naomi Klein

ne fit qu’un tour et elle vit rouge. Dans un

article de The Nation paru en mai 2005, la

journaliste définissait l’émergence d’un

nouveau type de capitalisme. « The Rise of

Disaster Capitalism ». Quelques deux années

plus tard, reprenant ses esprits à froid, elle

faisait paraître son opus magnum « La Stratégie

du Choc, la montée d’un capitalisme du

désastre (1) » où l’on découvrait que depuis le

11 septembre 1973, date du coup d’Etat de la CIA au Chili, la stratégie des Etats-Unis se

fonde sur la terreur systématique et que les

affaires pouvaient prospérer idéalement dans la

sidération générale des désastres de tout type :

guerres, coups d’Etat militaire, ou même

catastrophes naturels. Le Chili était un cas

d’école planifié comme à la parade. En quelques

semaines, le pays, sous la houlette de Pinochet,

agent local des basses besognes de Washington,

se transforma en camp de concentration. Sous la

terreur militaire, des centaines de milliers de

Chiliens durent prendre le chemin de l’exil

tandis que, sous la logique économique

implacable de Milton Friedman et des Chicago-

boys de son Ecole, la population chilienne était

précipitée dans une misère noire pour de

longues décennies. Le tableau était caricatural et

le journaliste essayiste et dramaturge Sud-

Américain Eduardo Galeano croqua d’un trait la

mise en pratique au Chili de la théorie

économique mûrie à la prestigieuse Ecole de

Chicago : « pour la « liberté des prix » il fallait mettre les chiliens en prison » ; ce qui fut fait

par l’armée avec une célérité inouïe. De quel

sacrilège s’était rendu coupable Salvador

Allende, aux yeux de Washington et des

économistes américains ? Il était bien arrivé à la

présidence du pays par la voie légale avec un

processus électoral du même type qu’aux Etats-

Unis, mais il avait eu l’idée, effectivement

hétérodoxe, d’honorer l’une de ses promesses,

la nationalisation des mines de cuivre. Sur le

7

papier, dans les cours de géographie destinés

aux enfants, le Chili était le premier producteur

exportateur mondial de ce métal stratégique.

Mais sur le terrain, les compagnies étasuniennes

en étaient les réels propriétaires.

Sur ce modèle du choc, le livre proposait un tour du monde bien documenté pour montrer comment le

complexe militaro-industriel étasunien procédait pour arriver à ses fins.

Dans les années 2000 l’actualité internationale

était particulièrement riche en désastres

humanitaires et par conséquent en

« merveilleuses opportunités » pour les milieux

d’affaires américains. Coup sur coup et encore

sur coup : « Shock & Awe », « choc et effroi »,

2003 invasion de l’Irak, 2004 tsunami au Sri

Lanka, 2005 ouragan Katrina à La Nouvelle-

Orléans... Et à chaque fois le même cri de joie,

sans retenu, sans décence, l’expression explicite

enthousiaste de l’esprit du capitalisme se faisait

entendre comme une bénédiction :

« merveilleuse opportunité », « occasion en

or », « de superbes occasions s’offrent à nous » ;

dans le même temps les investisseurs étasuniens

survoltés s’abattaient comme des bandes de

pillards sur les pays et régions dévastés. Sous la

fausse bannière de « La Reconstruction », les

engins de chantiers déferlaient comme des chars

pour parachever les dévastations de la

catastrophe primitive et crée ainsi sur la table

rase une « Nouvelle Jérusalem » terrestre des

temps capitalistes aux profits des entreprises

nord-américaines.

Dans le cadre de la théorie économique de

Milton Friedman, la chute des Tours jumelles, le

spectaculaire évènement Hollywoodien du 11

septembre 2001, doit lui aussi être mis dans la

liste des « merveilleuses opportunités ». Mais en

plus, il faut le considéré dans sa spécificité

véritablement providentielle. Et pour le coup il

est bien venu du ciel. Il y a eu le « choc et

l’effroi » puis « La Reconstruction », mais en

plus, bonté divine, s’enclencha la réaction en

chaine sans fin de la « guerre (sainte) contre le

terrorisme ». L’Amérique affairiste redécouvrait

l’Amérique, le filon prolifique et le cycle

perpétuel du World-War-Web-Business pour le

nouveau siècle.

Des esprits critiques ont pu faire remarquer (à

juste titre) que l’assemblage « capitalisme du

désastre » est un « pléonasme (2) ». Mais dans

la Société du Spectacle dessinée, animée et

scénarisée par Hollywood et Walt Disney, où le

mensonge est devenu une immense industrie

affichant un chiffre d’affaire à plusieurs dizaines

de milliards de dollars (3), il n’est peut-être pas

tout à fait inutile d’expliciter la nature foncière

du capitalisme : un désastre.

Là où Naomi se trompe quelque peu c’est dans

sa date de début pour définir ce nouvel ordre

économique. Il faudrait au moins le faire

remonter à la boucherie de la Grande Guerre qui

fut pour les milieux d’affaires, la haute finance,

la grande industrie et les compagnies pétrolières

l’une des plus « merveilleuse opportunité » de

l’histoire contemporaine.

Mais pour quiconque connaît l’histoire du

monde occidental, il est clair que, dès la montée

en puissance des marchands banquiers vers la

fin du Moyen Age, le capitalisme était déjà un

désastre total, à la fois humanitaire et

environnemental. Dès cette époque en effet les

activités minières sous le contrôle des riches

marchands rencontraient les besoins militaires

insatiables des Etats pour la plus grande

prospérité des affaires.

Rappelons en passant que le bon vieux Karl Marx avait indirectement décrit et conceptualisé

la stratégie du choc et le désastre organisé en

révélant « le secret de l’accumulation primitive

du capital (4) ». L’expropriation féroce des

paysans dans l’Angleterre des 15-16e siècles fut

en l’occurrence par ses conséquences humaines

dans les campagnes un véritable tsunami et un

tremblement de terre. Des milliers de fermes,

bourgs et villages furent rayés de la carte

d’Angleterre sous la déferlante des moutons,

tandis que les paysans chassés de leur terre se transformaient en vagabonds, premiers migrants

économiques de l’ère moderne. Peu avant ces

temps de misère et de terreur sanguinaire,

l’Angleterre était une petite nation de paysans

libres et prospères. Moins de cinq millions

d’âmes peuplaient le royaume, pour la plupart

invisibles, dispersés dans l’espace rural… Puis

survint comme un cataclysme le début du

capitalisme. L’élite anglaise venait de décider

son entrée dans le marché commun européen de

8

la laine et des draps dominé en ce temps-là sur

le continent par les manufactures de Flandre. Il

fallut pour cela anéantir les terres arables,

chasser les paysans pour faire le maximum de la

place aux pacages. Face aux conséquences

humanitaires et environnementales de cette

première stratégie du choc, les chroniqueurs de

l’époque exprimèrent leur effroi. Thomas More,

l’auteur de « L’Utopie », témoin oculaire de la

réaction en chaine du désastre exprima la

situation par un paradoxe : « les moutons

dévoraient les hommes ». Mais aussi dès cette

époque il en comprit la nature et la décrivit dans

sa brutale logique mercantile.

Ce qui change radicalement aux 20e et 21e

siècles c’est l’avènement des sciences et

techniques à l’origine de la seconde révolution

industrielle. Depuis, en effet, le désastre de

l’accumulation du capital est devenu

véritablement spectaculaire, planétaire,

irrésistiblement mené sur un train d’enfer.

Désormais visible dans sa réalité irréversible à

la surface de la Terre, les scientifiques désignent

ce nouveau déluge sous le terme savant

d’Anthropocène.

(1) Naomi Klein « Stratégie du Choc, la montée d’un capitalisme du désastre » Ed. Actes Sud 2008

(2) René Riesel, Jaime Semprun « Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable »

Ed. Encyclopédie des Nuisances, 2008

(3) Sheldon Rampton, John Stauber, « L’Industrie du mensonge. Relations publiques, lobbying &

démocratie » Éd. Agone, 2012.

(4) Karl Marx, « Le Capital » Livre 1er, 8e section : l’accumulation primitive, chapitre 26 et 27

9

3. « Messieurs… ce ne sont pas des Américains mais des Orientaux… »

Au cours de son enquête à travers le monde, la

journaliste Naomi Klein engageait un effort

louable de conceptualisation pour faire

découvrir la pensée profonde de l’élite

dirigeante de la première puissance économique

militaro-industrielle du 20e siècle. Elle nous

menait vers l’école de Chicago et ses bonnes

œuvres universitaires envers la jeunesse dorée

du pays puis nous montrait la mise en pratique

de la stratégie du choc par les Chicago-boys. Au

moment de l’effondrement de l’Empire

soviétique, Naomi Klein nous révélait le

spectacle des nouveaux Einsatzgruppen en col

blanc de Milton Friedmann se ruant comme une

bande de pillards sur l’ex-Europe de l’Est.

Pour continuer à sa suite la recherche sur la

piste de l’esprit du capitalisme et son affinité

élective avec le crime, rien de tel qu’une

plongée dans l’Histoire des Etats-Unis. De ce

point de vue, le livre d’Howard Zinn, « Une

Histoire Populaire des Etats-Unis », est un

véritable saut dans l’horreur absolue. On pénètre

dans le Pandémonium où en décide l’histoire

sordide du monde des affaires. La piste est

quasi-continue, jalonnée de traces de meurtres

de masse avec un mobile des crimes unique

parfaitement identifiable : l’esprit de capitalisme

est bien là dans son jus, ses cris et ses jets rubis.

La première impression du lecteur de ce livre

est en effet l’immersion dans l’horreur et, dès

qu’il reprend ses esprits, il découvre immensité

de son ignorance sur ce qui s’est passé dans ce

pays. Il nous faut remonter vers les origines.

Arrêtons-nous à une date charnière, l’An 1900

de l’Histoire des Etats-Unis, peu connue du

grand public. En Europe c’est la Belle Epoque

que ce passe-t-il de l’autre côté de l’Atlantique

mais aussi au-delà des Etats-Unis dans le

Pacifique?

Dix ans plus tôt, « La Guerre (ou le génocide)

des Indiens » vient d’être parachevée par le

massacre de Wounded Knee dans le Dakota du

Sud. Howard Zinn rapporte l’évènement en ces

termes : « Le 29 décembre 1890, l’armée

fédérale encercle un campement d’environ 300

Indiens Sioux, en majeure partie composé de

femmes, enfants et de vieillards. Pendant que les

soldats fouillent le camp et récupèrent les armes

des indiens, un coup de feu éclate. Aussitôt

l’armée ouvre le feu avec les mitrailleuses

Hotchkiss installées tout autour du campement.

Environ 300 cadavres d’indiens furent jetés,

quelques jours plus tard, dans une fosse

commune. » Signalons pour comparaison qu’ici

ce ne sont pas des barbares Orientaux islamistes

qui furent au premier chef responsables de ce

crime mais bien les soldats de la première

« grande démocratie ».

Le territoire des Etats-Unis est donc en totalité

pacifiée d’Est en Ouest, une pause dans le

programme militaire des conquêtes aurait été

bienvenue pour les hommes de troupe, mais

l’élite n’a pas de temps à perdre. La boussole de

la Doctrine Monroe s’affole et s’anime comme

aiguillon impitoyable : après avoir indiqué le

Sud et l’Amérique latine elle pointe plein Ouest.

Alors le Congrès à Washington regarde

intensément de l’autre côté du Pacifique.

Comme Christophe Colomb dans les Antilles,

l’Amérique découvre un archipel magnifique :

les Philippines.

Bref, allons droit au but : l’esprit du capitalisme.

En L’An 1900, la guerre des Etats-Unis aux

Philippines est terminée. Au prix de cruautés militaires confinant au génocide que nul

n’ignore en Amérique, le territoire est conquis.

Le 9 janvier 1900, le Sénateur (et historien)

Albert Beveridge s’exprime devant le Sénat :

« Monsieur le Président, la franchise est

maintenant de mise. Les Philippines sont à nous

pour toujours […] Et à quelques encablures des

Philippines se trouve l’inépuisable marché

chinois. Nous ne nous retirerons pas de cette

région […] Nous ne renoncerons pas à jouer

notre rôle dans la mission civilisatrice à l’égard

du monde que Dieu lui-même a confié à notre

race. Le Pacifique est notre océan […] Vers où devons-nous nous tourner pour trouver des

consommateurs à nos excédents ? La

géographie répond à cette question. La Chine

est notre client naturel […] Les Philippines

nous fournissent une base aux portes de

l’Orient. Nulle terre en Amérique ne peut

surpasser en fertilité les plaines et les vallées de

Luson […] Le bois des Philippines peut fournir

le monde entier pour le siècle à venir. A Cebu,

l’homme le mieux informé de l’île m’a dit que

10

sur une soixantaine de kilomètres la chaine de

montagneuse de Cebu était pratiquement une

montagne de charbon. J’ai ici une pépite d’or

trouvée sur les rives d’une rivière des

Philippines. Pour ma part, je suis sûr qu’il n’y a

pas parmi les Philippins plus de cent personnes

qui sachent ce que l’autonomie à l’anglo-

saxonne signifie et il y a là-bas quelques cinq

millions de gens à gouverner. Nous avons été

accusés d’avoir mené au Philippines une guerre

cruelle. Messieurs les sénateurs, c’est tout le

contraire. […] Les sénateurs doivent se

souvenir que nous n’avons pas affaire à des

Américain ou des Européens mais à des

Orientaux (). »

Dans notre quête sur l’esprit du capitalisme à la

suite de l’affaire LafargeHolcim au Moyen

Orient, nous voici nettement mieux éclairé par

l’éloquence de l’orateur. Le discours est on ne

peut plus limpide.

Autorisons-nous quelques brefs commentaires

pour relier au travers du 20e siècle l’invariant

spirituel du libéralisme.

D’abord remarquons que ce n’est pas un miteux

islamiste fanatique recruté dans les milieux

défavorisés du monde arabo-musulman ou de la

vieille Europe qui parle mission au nom de Dieu

mais bien un membre éminemment cultivé de

l’élite politique américaine : l’historien et

sénateur Albert Beveridge (1862-1927).

Ensuite constatons la clairvoyance fulgurante de

l’historien ; elle nous annonce le programme

économique du libéralisme ou l’œuvre

dévastatrice du capitalisme durant 20e siècle :

déforestation, marchandisation du bois et

utilisation massive du charbon… En effet, en

l’An 1900, l’expansionnisme est à un moment

charnière, celui du vieux capitalisme industriel

du 19e siècle était en recherche de « marchés

pour ses excédents », celui de la seconde

révolution industrielle du 20e siècle est en

recherche dévastatrices de matières premières.

Mais, pour notre quête sur l’esprit d’entreprise

notons que, pour l’élite étasunienne la guerre ne

peut en aucun cas être déclarée « cruelle » si elle

se limite au massacre d’Orientaux ou, plus

généralement, comme on le sait, si elle recrute

ses victimes parmi les peuples autochtones (non

civilisés, cela va de soi !), comme cela se passe

encore aujourd’hui avec les Indiens

d’Amérique.

On ignore si, un siècle plus tard, Madeleine

Albright, ambassadrice américaine aux Nations

Unies puis secrétaire d’Etat durant le mandat de

Bill Clinton, était tout imprégnée des

lumineuses pensées de cet historien américain

visionnaire. On connaît en tout cas le froid

glacial de son commentaire quand on

l’interrogea sur les conséquences sanitaires

désastreuses sur les enfants iraquiens du

« régime des sanctions de Nations-Unies » pour

le soi-disant « désarmement de l’Irak ». Alors

que le monde s’émouvait face à l’hécatombe,

Madame Madeleine Albright déclara en langage

comptable : « Je pense que c'est un choix très

dur, mais le prix - nous pensons que ça vaut le prix. ». Au cours de ces années terribles, 1990-

2003, quelques 500 000 enfants en bas-âge

périrent par manque de soins élémentaires. Mais

il est vrai, en toute franchise, « messieurs les

sénateurs », « qu’on n’a pas à faire à des

Américains ni à des Européens mais bien à des

Orientaux ». Le régime des sanctions fut

maintenu jusqu’à l’invasion de l’Irak décidé en

2003 sous le fallacieux prétexte des « armes de

destruction massive ». Comble du

machiavélisme, on peut se demander a

posteriori si cette catastrophe sanitaire

maintenue à coup de véto des Etats-Unis et de

l’Angleterre, n’était pas le long temps

préparatoire de la Guerre d’Irak. Esprit du

capitalisme es-tu là ?

Nous laissons au lecteur la liberté de partir lui-même vers les origines à la recherche des milles et une

autres manifestations de cet esprit au travers du livre d’Howard Zinn - « une Histoire populaire des

Etats-Unis » - : la piste est balisée.

(1) Howard Zinn, Une Histoire populaire des Etats-Unis, de 1942 à nos jours Ed Agone 2002. Chapitre

12 : L’Empire et le Peuple

11

4. « Big Business avec Hitler »

La collaboration d’une transnationale

occidentale avec une entreprise criminelle

reconnue comme telle par les dites « grandes

démocraties du monde libre » est-elle une

exception confirmant la règle ou au contraire la

règle avec de rares exceptions ?

Y-a-t-il des antécédents dans l’histoire ? Et

sont-ils suffisamment démonstratifs pour écarter

les hypothèses de l’exception, de l’égarement ou

l’accident ? La réponse est oui au deux

questions.

Une des énigmes du 20e siècle qui mobilisa les

sommités universitaires et fit couler beaucoup

d’encre savante fut l’ascension au pouvoir en

Allemagne d’un groupuscule criminel qui mit à

feu et à sang l’Europe entière et organisa à

l’échelle industrielle un holocauste. Comment

dans ce pays au centre de la grande civilisation

européenne qui donna naissance à d’illustres

artistes, grands compositeurs et musiciens et

brillants hommes de lettres et poètes, qui éleva

la philosophe jusqu’à un très haut niveau de

réflexion et d’abstraction dans tous les

domaines : histoire, politique et esthétique et

qui donna au monde les plus grands esprits

scientifiques, comment dont dans ce creusé de

la très haute culture, un vulgaire politicien de

basse extraction a pu mettre à ses ordres toute

une nation ? Non seulement la populace ignare,

la foule inculte, mais aussi les élites cultivés et

les plus brillants scientifiques du temps furent

mobilisés et se laissèrent entrainer dans la furie

collective.

En fait d’énigme, il n’y en a pas vraiment eu.

Elle fut essentiellement savante, construite à

posteriori par les sommités des diverses

spécialités universitaires pour faire disparaître

dans les brumes fumeuses de la recherche les

fées qui œuvrèrent à l’ascension de l’enfant

prodige du totalitarisme. Bref le mystère fut

post-partum, né de l’effacement des traces de

collaborations des grandes firmes industrielles

et de la haute finance avec le futur Führer. Elles

furent en effet nombreuses les grandes

entreprises à voir Hitler en homme providentiel

du capitalisme, non seulement en Allemagne

mais aussi ailleurs en Europe et outre-

Atlantique. En post-partum les études

universitaires s’efforcèrent de produire une sorte

d’immaculée conception à l’avènement de

l’irrésistible Führer. Le bagou d’Hitler

expliquait tout. Entre autres choses, et

recherches savantes, on étudia avec détail la

psychologie de masse du fascisme…

Mais l’effort maïeutique du l’historien Jacques

R. Pauwells fait accoucher une vérité plus

tellurique et permet ainsi de dissiper les brumes

universitaires du conte de fée. Dans son livre

« Big Business avec Hitler », il nous fait

découvrir sans détour la dure réalité matérielle

de l’accouchement du nazisme. Comme pour le

travail d’Howard Zinn on plonge dans l’horreur

glaciale tout en découvrant l’étendue immense

de notre ignorance. Là il n’y a pas une seule

mais une multitude de puissantes transnationales

qui collaborèrent avec une organisation

criminelle. Non seulement elles collaborèrent mais aussi la favorisèrent, voire la créèrent.

Sans le « Big Business » germanique mais aussi

étasunien et international animé unanimement

par l’esprit du capitalisme, l’enfant prodige du

totalitarisme n’aurait rien pu entreprendre et, en

définitive il n’aurait été que le personnage

grotesque du dictateur représenté par Charlie

Chaplin.

Aux sources de la Blitzkrieg se pressent les

transnationales étasuniennes. L’innovation

militaire de l’état-major allemand, la nouvelle

« guerre éclair » d’Hitler est en effet une œuvre

collégiale scientifique et technique, industrielle

et transnationale. Jacques R. Pauwells signale à

ce propos « l’interpénétration des capitaux

allemands et américains ».

Notre recherche est celle de la réglé ou de

l’exception dans la collaboration des

transnationales au crime organisé haute intensité

comme dans la Seconde Guerre mondiale ou

basse intensité comme aujourd’hui avec les

régimes dictatoriaux gardiens des mines et puits

pétroliers. Voyons par étape les fées préparatrices de la

Blitzkrieg. On sait déjà trop bien que l’argent

est le nerf de la guerre. Dès les années 1920 de

bonnes fées surent subvenir à l’argent de poche

du jeune futur Führer, elles furent bien sûr

germaniques, mais pas seulement. Venus

d’outre-Atlantique, de généreux Rois mages

croyant en la bonne étoile du jeune prodige

firent parvenir des dons somptueux et

contribuèrent à son ascension politique. Des

12

grands noms comme Henry Ford et le clan

Rockefeller pouponnèrent la phalange

germanique en herbe et apportèrent leur pierre

pour l’édifice totalitaire.

On sait aussi depuis la Grande Guerre qu’en

plus de l’argent il faut du carburant, absolument

beaucoup de carburant pour avoir une chance de

triompher dans un conflit moderne.

L’Allemagne, territoire sans gisement pétrolier,

n’en manqua pas. Là aussi de généreux donateur

venus d’Amérique s’assurèrent qu’au moment

du choc suprême dans sa guerre éclair à l’Est la

Wehrmacht ne souffre d’aucune faiblesse ou

perte de vitesse par pénurie d’essence. La

Standard Oil of New Jersey et Texaco, donc les

firmes pétrolières américaines, honorèrent leur

livraison mortifère.

Mais pour entreprendre une guerre ultra-

moderne - la Blitzkrieg envisagée par Hitler - il

faut des technologies à la pointe des sciences et

techniques. Et là c’est la ruée générale, toutes

les grandes industries étasuniennes ou presque

se solidarisèrent avec le chef suprême de la

Wehrmacht. En vrac on peut citer, Ford et

General Motors pour le matériel roulant et

volant, ITT pour les télécommunications, IBM

pour l’organisation logistique et rationaliste du

crime de masse, Alcoa pour l’aluminium

Monsanto, Dow Chemical et Du Pont en

coopération technico-commerciale avec IG

Farben dans le secteur de la chimie, Pratt

&Whitney, US Steel, Singer, Union Carbide,

Kodak, Westinghouse, sans oublier Coca-Cola.

Bien évidement cette mobilisation des grandes

firmes américaines n’était pas faite pour les

beaux yeux du Führer, mais répondait

aveuglément à l’esprit du capitalisme, les profits

qui pouvait être retiré ce titanesque effort de

guerre du 3e Reich. « Au début des années 1930

toutes ces firmes avaient leur tête de pont en

Allemagne ».

Devant cet impressionnant raz de marée de

bonnes volontés, cette déferlante technologique

étasunien au service de l’effort de guerre du 3e

Reich, Jacques Pauwells parle de « Blitzkrieg

« Made in USA » ». Parmi les firmes qui avaient

des filiales installées en Allemagne comme

General Motors et Ford il faut rappeler qu’elles

bénéficièrent aussi de la « Loi Travail »

particulièrement chiadée du 3e Reich. Et puisque

l’on découvre les bonnes grâces du 3e Reich

pour la grande industrie automobile, il est

important de remettre les choses dans leur ordre

historique et rendre à César ce qui est à César...

D’abord Henry Ford est le père spirituel

d’Hitler, le futur Führer était un admirateur du

grand patron américain mais aussi grand

penseur, auteur de « The International Jew »

« Le Juif International », livre où son esprit très

visionnaire identifie la menace du « judéo-

bolchévisme » pour « le monde libre ». En suite quand Hitler est devenu Führer c’est au tour du

grand constructeur automobile de devenir

admirateur du dictateur germanique. Et pour

couronner le tout, après la Guerre, la CIA

consciente de « ce qui est bon pour

l’Amérique » importa tel quel en Amérique du

Sud la Loi Travail du 3e Reich pour le plus

grand bénéfice de Ford et de General Motors,

comme le rappelait Naomi Klein et comme on

le redécouvre aujourd’hui avec des procès

instruits contre les constructeurs automobiles

étasunien (2). Quelle drôle d’idée, en effet, que

d’aménager des salles de torture dans des usines

automobiles. Mais on le sait, « ce qui était bon

pour General Motors et Ford (sous le 3e Reich)

est bon l’Amérique »

D’autres industries en Europe faisaient de

juteuses affaires avec le 3e Reich. La Suède se

déclarait « pays neutre », mais comment faire

des chars allemands sans le minerai de fer

suédois ? En toute logique économique, sa

neutralité lui permettait de commercer en toute

bonne conscience… avec le crime organisé.

Comment faire mouvoir les chars de la

Wehrmacht sans les roulements à billes SKF suédois ? Arrêtons là la liste des entreprises

collaborationnistes, épargnons la Suisse, autre

« pays neutre » mais surtout plaque-tournante

du blanchiment de « l’or nazi ».

Aujourd’hui on a le plus grand mal à imaginer que l’élite scientifique américaine et les ingénieurs de

multiples firmes étatsuniennes donnèrent le meilleur d’eux-mêmes et mirent au point des systèmes

d’armement hautement sophistiqués livrés à la Wehrmacht. Il est vraiment difficile de saisir la

13

monstruosité totalitaire de réalité : des dizaines de millions d’Européens et quelques 400 000 soldats US

périrent sous le feu infernal d’une Guerre-éclair d’Hitler « Made in USA ».

(1) Jacques R. Pauwell « Big Business avec Hitler » Ed. Aden, 2013

(2) « Argentine : d’ex-dirigeants de Ford jugés pour complicité avec la dictature militaire »

LE MONDE | 29.12.2017 | Par Christine Legrand (Buenos Aires, correspondante)

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/12/29/argentine-d-ex-dirigeants-de-ford-juges-pour-

complicite-avec-la-dictature-militaire_5235652_3222.html?xtmc=ford_argentine&xtcr=1

14

5. « De quoi Total est-elle la somme ? »

Nous avons suffisamment avancé dans notre

recherche historique sur l’esprit du capitalisme

et son affinité élective avec les régimes

autoritaires et organisations sanguinaires. A ce

stade et pour ne point être accusé de nous

complaire dans la torture psychologique en

remuant le couteau dans la blessure narcissique

du « monde libre », il nous était possible

d’abréger les souffrances en passant directement

à la conclusion avec les analyses précises

d’Apoli Bertrand Kameni sur les origines de

l’Apartheid comme « fille du de la révolution

atomique ».

Malheureusement pour nous un improbable

concours de circonstance nous oblige à ne pas

faire l’impasse sur le livre d’Alain Deneault

« De quoi Total est-elle la somme ? ». Il est en

effet paru en 2017, l’année même où éclate et

s’aggrave l’affaire LafargeHolcim.

Il se trouve qu’avec la procédure lancée contre

le cimentier l’on apprend que d’autres grandes

entreprises françaises étaient présentes en Syrie

au temps de la gloire du Califat. A cette

occasion, la presse nous informe qu’elles

décidèrent de partir ; parmi elles : Total, notre

grand fleuron national.

L’histoire ne nous dit pas si leur départ est le

résultat de l’échec de négociations secrètes avec

Daech. Mais peu importe, dans le contexte et en

contraste avec LafargeHolcim, leur choix le

quitter la Syrie a été considéré et même salué

comme un acte vertueux. Circonstance improbable et divine surprise, par

ricochet Total se retrouve encensée et sacrée

entreprise vertueuse de l’année 2017 ! Bien

évidemment en France, le cocorico est possible car

pour l’heureux automobiliste téléspectateur, Total

c’est un ensemble de stations essence où selon la

devise de la firme «Vous ne viendrez plus chez nous

par hasard» ; ou encore, en plus jeune et dynamique

mais moins subtile : «Énergisons la vie chaque

jour».

Avant de suivre les analyses iconoclastes d’Alain

Deneault, on peut dire, pour le départ de Syrie de

Total, que l’entreprise avait d’autres chats à fouetter

et beaucoup mieux à faire ailleurs. D’abord, au

moment des faits, Total s’était inscrite sur l’axe

Moscou-Téhéran avec deux méga projets gaziers.

Ensuite la chute de Kadhafi en 2011 lui a ouvert un

pont d’or noir en Lybie. Et surtout la carrure

transnationale de Total et sa place respectable au

sein des big five, l’empêche d’entrer dans de

miteuses tractations de marchands de tapis avec une

un gang autoproclamé Califat.

Mais revenons à la somme d’Alain Deneault

puisque nous sommes sur la piste de l’esprit du

capitalisme. Pourquoi un respectable philosophe

est-il allé fourrer son nez dans un réseau hexagonal

de pompe à essence ? Restons simple, la réponse

tient peut-être dans l’étymologie ou l’une des

missions premières de la philosophie : l’amour de

sagesse et la recherche de la vérité. Signe des temps

techniques et technologiques triomphants, il ne

semble plus possible aujourd’hui de faire de la

philosophie sans mettre les mains dans le cambouis.

La vérité se cache dans la graisse noircie des

engrenages et des roulements à billes et dans les

forages pétroliers comme a pu le constater

l’historien Jacques R Pauwells dans ses recherches

sur la Blitzkrieg.

Si un philosophe trempe sa plume dans le pétrole,

s’abaisse à nous faire découvrir les basses besognes

et les mauvaises fréquentations d’une grande firme

pétrolière, c’est que Total est emblématique du

« Capital au 21e siècle » De ce point de vue,

l’ouvrage d’Alain Deneault comme celui de Naomi

Klein sont en effet doublement éclairant et

énergisant car ce n’est pas dans l’assommoir de

Thomas Piketty que l’on découvrira ce qu’est

justement « Le Capital au 21e siècle ».

Il est vrai que, depuis son ascension au sein des

« big five » mondial du pétrole, l’entreprise

préoccupe et inspire au plus haut point les essayistes

de toutes spécialités. Par ses agissements et ses

mauvaises fréquentations assidus depuis l’après-

guerre, Total, en plus de ses propres marées noires,

fait couler beaucoup d’encre liée aux à-côtés de son

corps de métier.

Alain Deneault nous remet en effet en mémoire

quelques titres de livres et d’articles hautement

suggestifs sur le passif de l’entreprise : « Total : le

carburant de l’apartheid, 1986 », « Pipe-line secret,

« apartheid, anatomie d’un crime d’Etat, 1989 »,

« Totale(e) impunité, les dessous d’une

multinationale au-dessus de tout soupçon, 2010 ».

Ainsi, en plus des standards universitaire, « La

France et le Pétrole » de l’historien André Nouschi,

de nombreux auteurs s’intéressent de près au passé

et au présent peu glorieux du cas Total, une

transnationale au-dessus des lois et qui selon Alain

Deneault fait la loi deux fois : de fait et la fait écrire.

La vérité se cache dans un magma de boue de sang

et de cambouis, ce que Juan Pablo Pérez Alfonso,

ministre des mines du Venezuela, nomma en son

temps « l’excrément du diable ».

15

La somme du philosophe est monumentale, le procès

à charge est instruit, les preuves sont accablantes,

inscrites dans l’histoire : Total et l’apartheid, Total

et ses travailleurs esclaves au Myanmar, Total et les

crimes de la Françafrique, Total et la pollution dans

le delta du Niger, Total et les paradis fiscaux, Total

et les officines paramilitaires, Total en Alberta, Total

dans l’Arctique à Yamal… mais Total totalement

innocent ! Total plus blanc que blanc !

Après la reprise de l’épais dossier à charge, que peut

bien dire de plus un philosophe sur la totale impunité

de Total ? Catégoriser les méfaits, les classer :

« Comploter, coloniser, collaborer, corrompre,

conquérir, délocaliser, pressurer, polluer,

vassaliser, nier, asservir et régir. Douze verbes

permettent de résumer la façon qu’ont eue, au 20

siècle, des multinationales telles que Total de

s’affranchir des régimes contraignants des Etats de

droit afin de les contraindre, eux à leur tour, à un

univers commercial les liant à l’échelle mondiale -

page 413 ». Certes, mais encore ? Mettre un peu

d’ordre dans les méandres magmatiques des méfaits

de tout ordres permet de comprendre la complexe et

fatale gravité ou perversité de la situation ; mais

encore ? On approche de la structure du « Capital au

21e siècle ». Transnationales et Etats sont les deux

faces et angles d’attaque du capital. Car dès le départ

il n’y a jamais eu de confrontation mais

collaboration. La complicité des Etats concerne

aussi et avant tout lesdits « Etats de droit » avec,

comme caricature de la transgression du droit, la 5e

République et la Françafrique. La diplomatie secrète

française et la prospection pétrolière se sont servies

et construites mutuellement en Afrique puis ont

grandi ensemble pour le rayonnement international

de la France et de Total…

Mais en tant que philosophe, Alain Deneault ne peut

pas se défausser derrière l’exubérance de son

exposé. Il doit au moins satisfaire à la 11e thèse sur

Feuerbach : « interpréter le monde » ; ne pas

abandonner le lecteur complétement désorienté et

submergé par le rouge sang et le noir pétrole de

Total. Rappelons pour mémoire la dernière

proposition programmatique de Karl Marx : « Les

philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de

diverses manières, il s'agit maintenant de le

transformer ». Après avoir classé et systématisé les

pratiques condamnables de Total en regard sinon du

droit international du moins de la morale, le

philosophe s’autorise enfin un grand point d’orgue

dans son domaine de compétence sous le titre : « Le

totalitarisme pervers ». Le mot est lâché, les

transnationales seraient au final la quintessence d’un

totalitarisme qu’aucun tribunal de Nuremberg ou

aucune Cour pénale internationale de La Haye ne

pourrait condamner.

Nous n’avons pas le bagage culturel suffisant pour

convoquer Hannah Arendt et juger de l’utilité

philosophique ou historique à définir un nouveau

stade ou type de totalitarisme qu’incarnerait

l’inattaquable Total avec sa morgue internationale

bourrée de cadavres. Contentons-nous à notre

humble niveau, puisque le mot est lâché par une

autorité universitaire, de mettre un contenu technico-

anthropologique à ce « totalitarisme pervers ». Si

Total trône au-dessus de tout, « über alles », dans

une totale impunité, c’est que l’entreprise dispose à

son service de ce que la civilisation industrielle

produit de mieux dans ses universités et grandes

écoles. Les sciences et les élites à haut niveau

d’études sont l’élixir de jouvence pour le

renforcement et le renouvellement perpétuel du

Capitale au 21e siècle. La maxime chère à

Christophe de Margerie, l’ex-patron très médiatique

de Total, décédé ou suicidé dans un accident d’avion

en 2014, exprime une vérité historique sur la monté

en puissance des transnationales « Total ne fait pas

de politique »

En effet, à chacun son job, Total pompe du pétrole,

arrose et corrompt ses collaborateurs locaux pour

pomper en paix encore plus le pétrole. Dans ce

cycle, les décideurs et cadres supérieurs de

l’entreprise se consacrent à leur strict domaine de

compétence universitaire et professionnelle, l’élite

s’exprime dans le meilleur des monde possible, tout

le monde à son poste : les dirigeants dirigent, les

géologues font de la géologie, prospectent et forent,

les chimistes de la chimie, les ingénieurs de

l’ingénierie, les commerciaux du commerce, les

économistes des statistiques, les avocats du droit,

les fabriquant d’image édulcorent des images

d’Epinal… Des dizaines de compétences

scientifiques, techniques et artistiques s’unissent

pour que Total soit Total. Rien de tout cela n’entre

dans la catégorie politique et encore moins du crime.

Les bons élèves des grandes écoles ont un bon job

chez Total. Par contre reste la lutte des classes mais,

par l’énormité même des transnationales, elle est

devenue quantité négligeable. Le conflit social lui

aussi est technicisé, la gestion musclée de la

ressource humaine locale ou la chasse à l’homme sur

les populations autochtones, bref la stratégie du

choc est laissée en sous-traitance aux juntes et clans

familiaux censés représenter l’autorité étatique

reconnue par la communauté internationale. Ainsi,

comme les autres grandes transnationales, Total

reste (presque) totalement immaculé trônant au-

dessus de la mêlée. C’est la structure autoritaire

16

hiérarchisée et géo-localisée de la division du travail

caractérisant Le Capital au 21e siècle. Les Etats ne

sont là que pour ça. Ils votent des lois ad hoc,

multiplient les « états d’urgences », peaufinent des

« lois-travail » et parfois comme en France cassent,

si nécessaire, le code du travail, pour atteindre

l’idéal de la République bananière. Ils délivrent des

permis à la demande et par ce fait circonscrivent

dans le droit les activités extractives. Pour le grand

domaine de déploiement de la « Françafrique » on

sait avec les recherches et les « dossiers noirs » de

l’association Survie que les chefs d’Etat africains

doivent régulièrement montrer patte blanche à Paris-

Total pour perpétuer leur règne et palper les

royalties du pétrole… Signe des temps, en France,

on a pu voir en 2008 - 2010 un ministre de

l’écologie distribuer à tour de bras des concessions

et permis de forer pour les gaz de schiste, sans se

soucier le moins du monde des conséquences

humaines et environnementales de ses paraphes.

Ainsi libéré par cette sous-traitance expéditive

faisant fi du droit, l’esprit du capitalisme devient pur

esprit d’entreprise planant très haut au-dessus des

vivants.

Pour Le Capital au 21e siècle, dopé en salves aux

sciences et techniques, les autorités publiques se

réduisent pour le pire à n’être plus que des Etats

compradores des transnationales. Désormais ces dits

Etats souverains (de droit ou de non-droit) excellent

dans les fonctions de garde-chiourme sur les

populations locales et de gardiennage des sites

miniers et pétroliers pour la liberté des

transnationales. Sans le moindre sens des réalités, ils

votent sur demande les lois ad hoc pour que les

activités extractives se fassent dans la stricte légalité.

Qu’ils se déclarent de droit ou pas, les Etats, et

même les assemblages d’Etats comme la

Communauté européenne, n’échappent pas à ce

rapport de vassalité face au fantastique concentré

d’expertises scientifiques et techniques représenté

aujourd’hui par les multinationales. Pour ce

microcosme oligarchique la bonne santé instantanée

du monde se mesure aux cotations en bourse des

transnationales. En regard de ce pôle d’excellence

universel, le reste se réduit à pas grand-chose et les

Etats s’en chargent : le résidu de lutte des classes,

les chasses à l’homme dans les populations

autochtones, la mise à disposition d’une main

d’œuvre précarisée, laminée et soumise, les états

d’urgence, les lois-travails voire les codes noirs sur

le modèle du 3e Reich ou de l’apartheid, relèvent

effectivement de la souveraineté des Etats. Quelle

que soit la situation, la confrontation entre le pôle

d’expertises scientifiques représenté par les

transnationales et le monde réel des peuples

autochtones est rarement idyllique. On retrouve

toujours le modèle économique de l’école de

Chicago croqué par Eduardo Galeano : pour la

liberté des transnationales il faut aplanir le résidu

de lutte des classes ou mettre en fuite les populations

locales.

17

6. Le Big Bang Atomique père de l’Apartheid

En 1948, l’année même de la Déclaration

universelle des Droits de l’Homme, un régime

de type nazi avec les mêmes standards

idéologiques raciste et ségrégationniste se met

en place en Afrique du Sud. Le politologue

Franco-Africain Apoli Bertrand Kameni, mène

l’enquête et pose une question simple :

« Pourquoi le régime de l’Apartheid naît-il en

Afrique du Sud en 1948 ? »

Le régime dura près d’un demi-siècle et

intensifia ses violences policières au cours des

décennies. Face à une telle endurance, Kameni

se propose de répondre à une autre

interrogation : « Pourquoi le relatif silence de la

« Communauté internationale » (1) ? »

Le 21 mars 1960 eut lieu le massacre de

Sharpeville. Dans un township (banlieue noire)

plutôt paisible de la ville de Vereeniging de la

région du Transvaal, l’évènement marque une

rupture historique. On est bien face à une

stratégie de terreur qui peut aller jusqu’au

meurtre de masse. Le bilan de la répression

policière mettant fin à la manifestation pacifiste

contre le « pass » (passeport intérieur) attestait

sans conteste la détermination criminelle du

système de l’apartheid. Il y eut 69 morts et près

de 200 blessés, mais l’autopsie des cadavres et

l’examen des blessés révélèrent en plus une

claire volonté de tuer. Les tirs ne relevaient ni

de la légitime défense ni du simple maintien de

l’ordre. Un trop grand nombre de balles en effet

atteignirent leurs victimes à la tête ou à la

poitrine avec leurs points de pénétration

constatés dans le dos.

A la suite de cette stratégie du choc, le régime

de l’apartheid se renforça dans sa logique

totalitaire répressive. Un grand nombre de

militants noirs furent emprisonnés, Nelson

Mandela fit parti du lot pour une durée de trois

décennies. D’autre prirent le chemin de l’exil.

Vu d’aujourd’hui, avec l’aura d’un saint qui

s’associa à l’image de Nelson Mandela, une

question supplémentaire se pose : comment la

communauté internationale a-t-elle pu accepter

qu’un militant politique contre le racisme et

pour l’égalité ait pu être enfermé autant de

temps en prison pour un simple délit d’opinion ?

L’esprit du capitalisme est-il une explication

suffisante en regard de cette si longue

transgression de la Déclaration universelle des

droits de l’homme ?

Les réponses qu’apporte Apoli Bertrand Kameni

sont proprement minérales et limpides comme

de l’eau de roche. Elles s’enracinent dans la

terre et pour le coup, elles sont strictement

fondées sur les sciences pures et dures. On

quitte définitivement les obscures nébuleuses

idéologiques pour étayer l’analyse politique

dans la composition élémentaire de la Terre. La

classification périodique des éléments s’impose

comme le point de départ de la réaction en

chaine des conflits à l’époque contemporaine.

Ensuite arrivent l’étude des propriétés physico-

chimiques des minéraux et métaux et leurs

applications militaro-industrielles. L’analyse

pour comprendre la guerre perpétuelle de notre

temps et la plupart des situations conflictuelles à

la surface de la terre doit constamment avoir en

toile de fond ce fameux Tableau de Mendeleïev

mis en forme au début des années 1920.

Vu de France, « grande démocratie », ce

paradigme est pour le moins surprenant pour ne

pas dire iconoclaste. Kameni en est conscient. Il

a trouvé dans le filon minier pour le fil

conducteur de l’histoire contemporaine à

l’origine du cycle sans fin des conflits et crimes

contre l’humanité. Son argumentation est telle

qu’elle nous fait immédiatement découvrir

l’étendue de notre ignorance ou plutôt nous fait

mesurer l’efficacité redoutable de la

désinformation.

Pourquoi le peuple Sahraoui a été dépossédé de

ses terres et vit aujourd’hui enfermé dans des

camps de réfugié hors de son pays ? Regardez

au croisement de la 3e ligne et de la 15e colonne

du tableau de Mendeleïev et vous aurez la

réponse : le Phosphore. Ses sels sont l’une des

matières premières indispensables pour que le

« monde libre » puisse industrialiser son

agriculture et l’offrir à une oligarchie de

transnationales. Pour ne rien arranger au sort du

peuple Sahraoui, l’industrie agroalimentaire est,

elle-aussi, boulimique en phosphate pour doper

sa « malbouffe ». Et pour ce succulent trafic

chimique sur la marchandise soit légal, la bonne

Commission Européenne (compradore à la botte

du complexe agroalimentaire) autorise pas

moins de huit additifs alimentaires à base de

18

phosphate... Tandis qu’au Sahara Occidental, la

terreur militaire pour la mise en fuite des

populations autochtones est assurée en sous-

traitance à la monarchie marocaine…Il en va de

même en Tunisie à Gafsa avec sa mine de

phosphate. Mais là aucune monarchie ne peut

organiser manu militari la déportation des

populations locales qui croupissent dans la

misère et la pollution. En conséquences

techniques et logiques, pour assurer le

monopole du phosphate aux puissances

occidentales le laminage du confit social par la

répression est permanent.

Pourquoi, le 11 septembre 1973, il y a eu un coup d’état de la CIA au Chili : 4e ligne 11e colonne le

Cuivre.

Pourquoi au Zaïre-Congo-Kinshasa la terreur est

interminable : 4e ligne 9e colonne entre le Fer et

le Ni se trouve le fameux Cobalt. Les

technologies innovantes pour verdir Le Capital

au 21e siècle dépendent de ce métal de

transition. Sans Cobalt et sans terreur

perpétuelle au Congo, pas de batterie pour

lancer la déferlante des voitures électriques...

Comble de malchance et de guerre perpétuelle

c’est encore dans ce pays qu’on trouve le

Tantale, autre métal de transition indispensable

au développement de la microélectronique de

masse.

Apoli Bertrand Kameni va jusqu’à dresser un

tableau des conflits et crimes depuis la fin de la

Seconde Guerre mondiale et le met en

correspondance avec la classification périodique

des éléments. Ainsi, il balaye d’un coup toutes

les hypothèses socio-ethno-culturo-religieuses

qui font toujours en boucle les explications

habituelles dans la presse officielle.

Mais revenons à l’institution du régime de

l’Apartheid ; elle fait l’objet de la première

partie du livre de Kameni : « Du Big Bang

Atomique aux conflits pour l’Uranium en

Afrique du Sud ». Le titre du premier chapitre

en encore plus explicite : L’apartheid, fille de la

révolution atomique et de la politique minière.

Trois années décisives 1947-1948-1949 scellent

le sort tragique de millions d’Africains dans tout

le pôle sud de l’Afrique. Le rayonnement

répressif du régime de l’Apartheid s’étendait, en

effet bien au-delà des frontières de l’Afrique du

Sud. Les chars déferlaient sur la Namibie,

Rhodésie et sévissaient jusqu’en Angola et au

Mozambique.

En ces temps-là, les puissances occidentales se

définissaient comme « grandes démocraties » et

formaient le « monde libre » par opposition au

monde soviétique. Mais ce sont bien elles qui

président à cette funeste destiné de l’Afrique

australe pour près d’un demi-siècle. Première

année fatidique, 1947, début de la Guerre froide,

seconde année, 1948, institution du régime de

l’Apartheid et bien sûr « Déclaration universelle

des droit de l’homme », puis 1949 création de

l’OTAN, le sort de l’Afrique Australe est

verrouillé par pour un demi-siècle.

A ce moment de l’histoire, les états-majors des puissances occidentales estiment qu’ils doivent

agir dans une situation de quasi-urgence

militaro-industrielle. Une question simple se

pose alors : comment assurer et sécuriser l’accès

et le monopole des immenses ressources

minérales stratégiques déjà connue qui se trouve

précisément dans le pôle sud de l’Afrique ? En

langage plus prosaïque de l’Amérique blanche

bienpensante : « Peut-on faire confiance à des

chefs d’Etats de race noire ? » Ou en plus cru –

façon sergent-chef : peut-on confier le

gardiennage des richesses minières à des nègres

? Aujourd’hui la longue expérience de la

Françafrique permet de répondre par

l’affirmative, sauf qu’il a fallu en passer d’abord

par la stratégie du choc pour annihiler toute

velléité de liberté. Mais, à l’époque, en situation

d’urgence, dans l’ambiance historique

enthousiaste en Afrique animée des

revendications d’émancipation, de libération et

d’indépendance, le Monde libre a joué la

prudence, la réponse fut celle brutale de

l’Apartheid. Derrière le Parti National (blanc) qui instaure et assure pleinement la

responsabilité de ce régime de terreur raciste, il

faut voir la communauté internationale, le dit

« Monde libre ». « L’apartheid n’était que

l’institutionnalisation la plus radicale de

l’idéologie ethnique et culturelle pour le

contrôle exclusif du panthéon minier mondial

subitement valorisé et convoité par toute les

Grandes Puissances. Le segregatio nigritarum

n’était qu’un partage léonin détourné et imposé

19

par les protagonistes les plus puissants du plus

fabuleux trésor découvert par les hommes. (…)

Les accès de violences [du régime] coïncidaient

en effet avec ceux des crises des matières

premières sur la scène internationale…

L’explosion des besoins en Uranium au Nord, à

la suite du choc pétrolier de 1973, s’irradie au

Sud en explosion de violences répressives non

seulement en Afrique du Sud mais davantage

encore en Namibie, siège de la mine majeure

d’uranium de Rössing »

Ainsi tout s’explique de manière parfaitement

technique, technologique et scientifique. Inutile

de recourir aux nébuleuses idéologiques sur les

régimes totalitaires. « La monté radicale de la

violence intercommunautaire en Afrique du Sud

à partir de 1945 n’est pas la résultante des

différences ethnoculturelles » (…) L’érection

subite de la ségrégation en système unique au

monde (…) doit être confronté au vivier minier

tout aussi unique sur l’échiquier géologique des

Etats de la planète, nouvellement mis au jour :

avant 1945, l’Afrique du Sud connaissait l’or, le

diamant, le platine et le charbon. » Puis les

ressources minières se multiplièrent. « Le pays

apparut comme le détenteur de la quasi-totalité

des minerais : fer, cuivre, zinc, nickel, cobalt,

étain, phosphate (…), argent uranium… Aussi,

mieux vaut-il relever ceux qui n’y ont pas

encore été découverts : le pétrole et la bauxite »

Si au pôle sud de l’Afrique dans le panthéon minier, l’apartheid se durci au début des années 1960 puis

se fanatise dans les années 1970, c’est qu’au Nord, dans le monde blanc des « nations civilisées et

civilisatrices », la Guerre froide se réchauffe avec l’affaire des missiles à Cuba (1962), les préparatifs

militaires de la guerre du Vietnam suivies de la ruée occidentale épidémique vers le « tout nucléaire ».

On comprend aussi pourquoi durant son demi-

siècle d’existence le régime de l’Apartheid n’a

manqué de rien. Malgré toutes les protestations

et les embargos lancés par les Nations Unies,

Pretoria n’a jamais souffert de pénurie de

pétrole. Grâce à la Compagnie Française des

Pétroles (Total), l’appareil militaire de

l’Apartheid n’a jamais connu de panne sèche et

pouvait rayonner dans tout son immense secteur

de gendarmerie. A la suite de Sophie Passebois,

auteure de « Total : le carburant de

l’Apartheid », Alain Deneault rappel dans tous

ses aspects les différentes activités de la

compagnie pétrolier durant ledit embargo. Rien

ne manquait, toute la panoplie du parfait

pétrolier était déployée pour servir le régime :

distribution, prospection offshore, raffinage...

Grâce aux industries de l’armement des

puissances occidentales, le régime a disposé de

tout le matériel militaire nécessaire pour sa perpétuation et surtout sa mission de

gardiennage du vivier minier au profit des

transnationales du « monde libre ». Un article de

Ivan du Roy exhume le rayonnement de la

France en Afrique Australe : « Hommage à

Mandela : quand la France et ses grandes

entreprises investissaient dans l’apartheid ».

L’auteur dénombre quelques 85 entreprises

françaises aux petits soins pour le régime de

Pretoria (2). Mais le régime de l’Apartheid en

tant que garde-chiourme raciste fournissait en

échange à ces entreprises une main d’œuvre

passée sous la thérapie du choc et donc soumise

et à très bas salaire. On retrouve dans son

principe économique la loi-travail du 3e Reich.

L’article ne dit pas si le fleuron national

français, Lafarge, a proposé ses services à

Pretoria, mais rappelle que les grands de

l’armement étaient présents avec

l’incontournable Dassault, le BTP la Banque les

constructeurs automobiles sans oublié le fleuron atomique tricolore.

Ainsi, ce qui nous dit Apoli Bertrand Kameni

est proprement sidérant : la barbarie, les crimes

contre l’humanité du type apartheid ne relèvent

ni de l’idéologie ni de fantasmagorie

ethnoculturelle mais des salves successives

d’innovations scientifiques et techniques du Big

Bang atomique dont le point d’origine se trouve

dans la Classification périodique des éléments.

Les racines de l’Apartheid ne sont pas à

chercher dans la cruauté du Parti Nation Sud-

Africain mais dans une décision collégiale tacite

et secrète des « grandes démocraties » de

sécuriser le « vivier minier » Sud-Africain et

d’en assurer le libre et plein accès au profit

exclusif des complexes militaro-industriels

occidentaux. Ainsi, dans l’immensité encore

20

vierge et paradisiaque de l’Afrique Australe, des

millions d’africains subirent sur leur propre

terre le joug d’une tyrannie raciste et

ségrégationniste décidée par l’élite civilisatrice

du Monde libre. Sous le régime de l’Apartheid,

des milliers de personnes passèrent leur vie en

prison et des centaines périrent dans leur jeune

âge sous feu de la répression pour qu’au Nord

les savants du « monde libre » allument, attisent

et propage du feu atomique et pour que les

grandes entreprises puissent disposer à très bas

prix des métaux stratégiques révélés par la

Classification périodique des éléments. Bien

évidemment, pendant ce temps, la presse

officielle, consciente de sa mission

d’information, nous révélait les horreurs du

Goulag en URSS.

(1) Apoli Bertrand Kameni « Minéraux Stratégique, Enjeux africain » Ed. PUF 2013

(2) Ivan du Roy « Hommage à Mandela : quand la France et ses grandes entreprises investissaient dans

l’apartheid » Basta le 10 décembre 2013

https://www.bastamag.net/Hommage-a-Mandela-quand-la-France

21

7. Epilogue, déjà un mini-führer pour un nouveau cycle

Ainsi va le Capitalisme depuis la seconde révolution industrielle et le verdissage du Capital au 21e siècle

n’annonce rien de bon. Il faut s’attendre au pire avec l’intensification de sa dépendance aux terres rares

et métaux stratégiques. Sur les fronts humanitaires et environnementaux la situation ne peut

qu’empirer…

Nous étions partis sur la piste de l’esprit du

capitalisme à partir de la mise en examen d’une

grande entreprise, puis, pour l’éclaircir dans sa

stricte logique économique nous avons suivi les

analyses de Naomi Klein. En chemin, nous

avons remonté le temps jusqu’aux origines du

capitalisme pour retrouver une stratégie du choc

primordiale dans l’accumulation primitive du

capital. Ainsi par des allers-retours dans le

temps et dans l’espace on a pu unifier les

diverses et très hétéroclites manifestations du

capitalisme. Avec Howard Zinn on s’est

intéressé à un moment charnière

significativement sanguinaire de

l’expansionnisme des Etats-Unis : ce fut l’acte

de naissance du futur leader toujours incontesté

du « Monde libre ». Avec Jacques Pauwell, on a

découvert l’utilité primordiale des führers dans

l’accumulation du Capital au 20e siècle. Les

décennies d’après-guerre les ont vu se multiplier

à travers le monde, semés par les soins d’une

Main invisible experte. Avec Alain Denault,

pour le cas emblématique de Total, on a

constaté à nouveau dans les faits que la

collaboration des transnationales avec des

régimes et organisation criminelle était plutôt la

règle.

Mais surtout avec Apoli Bertrand Kameni, on a

découvert le creuset du crime dans lequel le

monde du capitalisme a été unifié : la

Classification périodique des éléments.

Dans ses multiples et déroutantes

manifestations, Le Capital au 21e siècle est donc

unique et parfaitement hiérarchisé, avec une

division du travail technique et politique

standardisée. Les transnationales en tant que

concentré de sciences et techniques en action

dominent et mènent de très haut ce bas monde.

Au-dessous, des Etats compradores carburent

aux royalties, aux commissions et rétro-

commissions et assurent en sous-traitance les

basses besognes indispensables au Capital. Au

Nord comme au Sud, ils excellent dans les

fonctions de gardiennage des sites miniers de

gardes-chiourme. A la commande ou

spontanément, par oukases ou ordonnances, ils

décrètent les lois-travail ad hoc et rêvent en

permanence d’état d’urgence. Leur ministères

de l’écologie ou de l’industrie encensent les

activités extractives et accordent les concessions

et permis miniers. Pour plaire aux grandes

entreprises et absoudre leurs nuisances sociales

et environnementales, ils distribuent les

indulgences …

Loin d’être fini ou dématérialisée, l’histoire

foncièrement tellurique du capitalisme continue.

Dans cette dynamique technico-scientifique et

militaro-industrielle toujours plus performante

et innovante, Le Capital au 21e n’a désormais

plus une minute à perdre. Plus que jamais fidèle

à son esprit d’origine, il est reparti à plein

régime pour un nouveau cycle prolifique avec

un mini-führer providentiel mis en service dans

la péninsule Arabique. Et, combe de

l’excellence, l’émir choisi peut être piloté au

millimètre comme un drone du Pentagone. Par

ses tapis de bombes incessants au Yémen, il fait

régal permanent des grands marchands d’armes

occidentaux et assure sa future place d’invité

vedette pour les prochains Salon Eurosatory.

Puis cerise sur le gâteau, il y aura bientôt le

« Stade Dubaï du capitalisme » avec « La

Reconstruction ».

Espérons que la fameuse « Fin de l’Histoire » dont on parle tant ne se réduise pas à l’épuisement des

métaux stratégiques dans les cycles interminables du capitalisme du désastre.

Un article de Jean Marc Sérékian ; janvier 2018