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EHESS Avis aux réfugiés. Réponse d'un nouveau converti by Pierre Bayle Review by: Daniel Vidal Archives de sciences sociales des religions, 53e Année, No. 142 (Apr. - Jun., 2008), pp. 193-197 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30116924 . Accessed: 12/06/2014 06:55 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sciences sociales des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.78.43 on Thu, 12 Jun 2014 06:55:07 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Avis aux réfugiés. Réponse d'un nouveau convertiby Pierre Bayle

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Avis aux réfugiés. Réponse d'un nouveau converti by Pierre BayleReview by: Daniel VidalArchives de sciences sociales des religions, 53e Année, No. 142 (Apr. - Jun., 2008), pp. 193-197Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30116924 .

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notion de << travail abreg6 > permet a l'ecole d'organiser des sensations nees d'une intuition directe et de les utiliser a des fins 6ducatives. L'apprentissage n'est plus chez lui le develop- pement de qualites innees, mais un processus d'organisation d'experiences progressivement acquises. L'anticipation permet A l'enseignant de presenter symboliquement a l'enfant des notions qu'il ne peut pas encore comprendre et d'en preparer l'acquisition en sollicitant son intelligence. Le pedagogue met aussi l'accent sur une formation professionnelle indispen- sable aprbs celle de l'homme, ce qui est tout a fait &tranger a la pensee educative italienne de son temps. On a longtemps considere Ardig6 comme un penseur positiviste et I'etude de Gabriella Armenise montre qu'il n'en renie pas les principes; mais son esprit d'ouverture l'eloigne d'une adhesion inconditionnelle a l'evolutionnisme, et il congoit la philosophie comme la matrice des sciences, non comme leur synthese.

Michel Ostenc

142-2 Jean BAUBIROT

Les laicites dans le monde Paris, PUF, coll. , Que-sais-je ? >, 3794, 2007, 127 p,

Jean Baub&rot, premier titulaire de la chaire < Histoire et sociologie de la laicit >>, a l'fcole Pratique des Hautes Itudes, est aussi l'initiateur, en 2005, d'une Declaration inter- nationale sur la laicite, sign&e par deux cent cinquante intellectuels sur le plan mondial. Ses travaux ont vise a degager la notion de laicit de sa gangue historique et polemique frangaise, a travers les notions de < seuils de laicisation

, et de < pacte laique >. Ce nouvel ouvrage vise a ouvrir la notion de laicit6 aux dimensions du monde: un pari intellectuel stimulant et difficile, tant le langage commun associe lai- cite et

, exception frangaise > ; sur le plan

europeen, la notion de laicite souleve des r&ti- cences, quand elle n'est pas un repoussoir, car confondue avec le laicisme, decrie notamment par le Vatican.

L'ouvrage foisonne d'exemples puises aux quatre coins du monde: Europe, Etats-Unis, Canada, Amerique latine, Asie et monde arabo- musulman. La methodologie est foisonnante et propose diff&rents concepts aidant au compa- ratisme: l'hypothese d'une universalite de I'anticlericalisme (avec un detour interessant par l'exemple chinois), la distinction, desormais classique, entre laicisation et s&cularisation

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE - 193

(distinction qui &claire tout particulierement le cas de la Turquie caract~ris~e par une laicisa- tion autoritaire sans secularisation), la notion multidimensionnelle et dynamique de seuils de laicisation, celle de religions s~culieres ou de religion civile...

Cette conceptualisation polymorphe et dynamique ne serait-elle pas plus convaincante si l'introduction ne d~finissait pas une norme de laicite ? Ce choix risquerait de substantiali- ser des processus historiques complexes et dif- ferencids, ce que dement le reste de l'ouvrage. Au demeurant, on saluera la remarquable syn- thi~se de ce < Que-sais-je ? > : elle est une ini- tiation stimulante aux nombreux ouvrages &rits ou diriges par l'auteur.

B~rengere Massignon

142-3 Pierre BAYLE

Pensies diverses sur la comite Prisentation de Joyce et Hubert Bost. Paris, Garnier-Flammarion, 2007, 610 p.

Pierre BAYLE

Avis aux rifugi6s. R6ponse d'un nouveau converti Introd, et edition critique par Gianluca Mori. Paris, H, Champion, 2007, 347 p,

II y a peu etait soutenue en Sorbonne une these sur le fondement < rationnel > et l'effica-

cite cognitive de l'astrologie - grand bond en arribre. Aujourd'hui - grand bond en avant - Joyce et Hubert Bost reditent ces Pensdes diverses, premier &crit de Pierre Bayle (1647- 1706), r~dige dits 1681, lors de son professo- rat de philosophie et d'histoire A l'Acadimie de Sedan, publi6 a Rotterdam en 1682, apris la fermeture de cette Academie. Cette redi- tion critique, a partir de la version definitive de 1727, permet de r~veler le membre de

l'Ecole illustre de la cite d'emblke maitre d'une

&criture, d'une stratrgie argumentaire, et d'une capacite a bouleverser les positionnements acquis, dans l'ordre de la religion, de la morale et de la politique. Sous forme de lettres ecrites par un catholique anonyme sur la question des influences de phenomenes que l'on tenait pour presages et signes de Dieu, Bayle le protestant < masque > d6nonce implacablement les cre- dulites, croyances et autres << superstitions >

attach~es au mouvement naturel des objets celestes. Le passage d'une comkte visible fin

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I94 - ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

1680 - debut 1681 lui donne occasion de

regler son compte A toute une rhetorique puis- sante de la manifestation des signes divins au travers d'evenements de nature, et, par elargis- sements et digressions successifs, de trancher le noeud gordien qui subtilement, et depuis des siecles, entrelace politique et religion. Rude d6fi, mame si l'on sait le combat de Calvin contre les astrologues et autres devins. De ce combat, la R~forme dans son ensemble &tait heritiere. Mais se pr~sentant catholique, Bayle peut donner libre cours, bien au-dela d'une d6mystification de la croyance en des effets n6fastes de la comite, ou annonciateurs de maledictions divines, a une mise en question du fait de croyances, d'idolatrie, et de tout ce qui tend A la vision d'un monde en enchan- tement. Ii convient, &crivent J. et H. Bost, de < d~senchanter le monde pour garder a la rai- son son potentiel de critique lucide >. A ce titre, Bayle n'annoncerait pas seulement les Lumieres - il fonderait la figure de

1',< intel-

lectuel critique >, aux prises avec les defis de son temps, portds au seuil de l'universel. Les ouvrages que H. Bost a consacres au philo- sophe de Rotterdam vbrifient cette hypothese et ce jugement. Ainsi de Pierre Bayle (2006, Arch., 134-14) et de Pierre Bayle historien, critique et moraliste (2006, Arch., 136-18).

Chacune de ces < Pensbes > vaut &tape sur des chemins entrecrois6s et multiplids, qui, par ce tissage mime, conduisent a ce seul et mime constat: rien dans le monde de la nature ne fait signe de Dieu. II n'est de signe que comme langage de l'homme, et conscience intime. Coup de force contre th~ologiens, doctri- naires, d~vots et bons ap~tres - mais qu'ac- compagne souvent une jubilatoire ironie: < L'agr~able sujet que c'ett t&6 & Moliere qu'une consultation entre des astrologues et des m~decins pour le bien public d'un grand royaume ,>. On en etit, A coup stir, perdu son latin ! Le fait est pourtant lI : l'Occident chre- tien est << infatud d'horoscopes >, et la loi du plus grand nombre serait preuve de leur credit, quand au contraire une autorite qui s'y fonde se discr~dite. Bayle: < Il ne faut pas compter les voix, il faut les peser >. Mais il y a pire: qu'un nom puisse valoir signe faste ou ndfaste; qu'une invasion de signes vains < fomente le culte sacrilege des idoles >. Bayle pulse a mime l'Histoire, ses alas et ses retourne- ments, pour dire la dbraison, et le danger, de telles croyances, denongant ( l'abomi- nable idolitrie des paiens d'aujourd'hui >, ces chritiens - fussent-ils romains ou, pour tant

d'autres, r~formis, et parmi les plus 6mi- nents -, si pres de croire qu'un mot a devoir de destin, et une comite, pouvoir de malheur. Cette rupture radicale entre le mot et la chose, cet < arbitraire du signe >, sont tres pricis&- ment soulign~s par J. et H. Bost. Car il n'est point de signe < naturel > de Dieu, &crit Bayle : les presages sont

, ouvrages de l'esprit humain,

et non pas des institutions de la providence >.

Instrumentalises par les pouvoirs politiques, ils conduisent les peuples a faire soumission. Appropribs par les peuples, ils legitiment les contestations des puissances. Dans les deux cas, il y a risque d'ebranlement de la paix civile et de l'ordre public.

Bayle ne se contente pas de denoncer toute forme d'assujettissement au pouvoir des signes proph~tiques et des interpr~tations qui en sont donnees. Convaincu qu'<< il est ridicule de chercher les causes de ce qui n'est point >, il s'avance au plus pros d'un positionnement fonde en raison. Non qu'il s'insurge contre ce qui releve de la foi: li n'est pas son sujet de dispute. Mais que l'on puisse, sous couvert de la foi, ou parallklement au ph~nomi~ne de croyance qu'elle habilite, admettre des inten- tions divines en tout phenomene naturel ou en tout evenement d'histoire, c'est aller contre l'essence mime de la religion: ( La connais- sance de la nature nous d6livre d'une supersti- tion pleine de terreur panique pour nous remplir d'une d~votion veritable >. Qu'il se situe du point de vue d'une conception reli- gieuse d6barrass~e de ses pratiques idolitres et de ses

, fantimes > n'implique pas qu'il s'y

confonde. Son aversion contre toute cr6dulite et toute idolitrie qu'il ne cesse de debusquer est trop radicale pour qu'elle ne l'entraine pas aux frontibres ultimes de la < creance > de reli- gion, lorsque s'experimente la possibilitr6 d'un atheisme qui pose que < le monde a et fait par hasard, que les mouvements des cieux ne sont diriges par aucun Etre supreme >.

Miracles et signes, prophbties et imputations intentionnelles ne peuvent rien contre la conception d'un monde soustrait au principe de < veneration >. Et telle hypothise, chez Bayle, met A nu la logique de l'institution de religion. Rien n'&chappe A sa vigilance, en effet. Certes, ecrit-il, l'Pglise condamne les

pailens pour leur idolitrie, mais comment ne voit-elle pas que les idolitres ( ont surpasse les ath~es dans le crime de lese-majeste divine > ? Au reste, toute religion ayant partie liee aux pouvoirs temporels, qui < savent faire interve- nir a propos le ministire des dieux >, presages

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et superstitions sont mobilis6s, sous une forme ou sous une autre, pour que les peuples demeurent en obeissance. Ainsi en va-t-il de tous temps - et du temps aussi bien dont Bayle se plait a demasquer les impostures.

Une distinction rigoureuse s'impose, entre ce qui releve du registre des < opinions > et ce qui ressortit des

, actions >. Sans doute, 6crit

Bayle, I'homme est un &tre de raison, << mais il n'agit presque jamais consequemment a ses principes. II a bien la force, dans les choses de sp&culation, de ne point tirer de mauvaises cons6quences (...) Mais c'est tout autre chose quand il est question des bonnes moeurs >.

Bayle moraliste, oui - mais Bayle donnant le maximum d'extension a la morale jusqu'a I'entendre comme imp&ratif &thique, log6 au vif de la conscience personnelle. Solliciter la ( morale > est alors se saisir d'un levier apte a bouleverser le rapport entre conviction et action dans le monde. Si < les opinions ne sont pas la rigle des actions , si l'on peut &tre < religieux > en mime temps que << criminel , si les connaissances de l'ime ne sont point la cause de nos actions >, alors s'ouvre une breche dans l'univers de la croyance. Par quoi peuvent desormais se repondre raison de ( croire > et raison d'<< agir >. Bayle formule ici l'un des enjeux les plus decisifs de ses Pen- sees. Cet enjeu: dire la < moralite > compa- tible avec < l'incredulite >, apres que fut dite ( compatible avec l'immoralitr > la ( croyance en Dieu >. Retournement de toutes les valeurs : genie de l'atheisme. Voici que devient en effet pensable une societ~ d'ath~es >. En termes 6legants, Bayle va jusqu'a le dire : < Un peuple destitue de la connaissance de Dieu se ferait des regles d'honneur et une grande delicatesse pour les observer >. Ceci, encore, pour bien marquer ce nouveau territoire, apres Pline, Epicure, Vanini: I1 n'est pas plus etrange qu'un athee vive vertueusement, qu'il est etrange qu'un chretien se porte A toutes sortes de crimes >. La messe serait-elle dite ? Sans doute. Mais Bayle, ainsi que le notent J. et H. Bost, ne met pas en cause la legitimite de la foi. S'il ne la << jette pas aux orties , c'est parce qu'il l'epure de toute passion et conve- nance mondaine, de toute credulite et sou- mission institutionnelle. La these de 1'( ath~e vertueux > repose sur ce paradoxe: radiquer tout ce qui en appelle i quelque << signe > du divin, message, annonciation, malediction, et tout ce qui se fonde sur une intentionnalite immanente aux evenements d'histoire ou de nature; et, sur cette table enfin rase, inventer

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE - 195

un nouveau regime de < spiritualit6 > qui per- mette, selon la formule de J. et H. Bost, d'ap- procher

, le fait religieux d'une fagon qu'on

dirait aujourd'hui laique >.

Pour en finir avec les deraisons et passions faisant cortege i une comete qui passe, Bayle ne met pas en ceuvre un discours m&thodique, du plus simple argument allant au plus complexe, mais < promene de lieu en lieu ) son lecteur, et, ne sachant < ce que c'est que de mediter regulierement sur une chose ,

prend < le champ fort ais~ment > : ( je m'carte tres souvent de mon sujet, je saute dans des lieux dont on aurait bien de la peine i deviner les chemins... Fictions, deplacements conti- nus de questions, digressions, < mises en schne , qui n'ont pas seulement pour but de desenga- ger I'ecriture des normes reglant disputes et d6bats - mais qui dcstabilisent les questions, pluralisent les angles d'attaque, et rompent avec les rigles d'une rhetorique de bon aloi. Mais il ne lui suffit pas d'avertir que ses pen- sees sont trop diverses pour obbir i quelque plan : souvent lui-mime, en tant qu'auteur, au depart ni ne se nomme ni n'affiche sa v&ritable religion. Il est chez Bayle un jeu de masques: ici, auteur catholique, anonyme li, ou les deux, li encore simple m6diateur entre un texte venu d'ailleurs et qu'il se contente de transmettre tel quel, etc. Si la paternite de ses ouvrages est depuis longtemps reconnue, il en est un qui fait encore objet de discussions. En 1690 parait, sous un nom reduit i des initiales en apparence ind6chiffrables, et en une impri- merie improbable d'Amsterdam, un ouvrage ( vigoureusement anti-protestant > d'un << catho- lique > : Avis important aux refugids sur leur prochain retour en France, pr&c~d6 d'un Aver- tissement redige dont l'auteur (en fait Bayle) se pr~sente comme protestant frangais demeu- rant i Londres. Une longue querelle commen- gait. Impossible, i la lecture d'un ecrit

<, stric-

tement loyaliste i l'egard de la monarchie frangaise >, et qui s'elevait avec tant de force contre la < Glorieuse Revolution d'Angleterre , de soupqonner un auteur protestant. Les refugies en Provinces-Unies avaient fui la repression royale, et la legitimite du droit i

I'insoumission 6tait reconnue, de mime que les ( vertus > des evenements d'Angleterre. Bayle propose une piste: le fils converti du pasteur Larroque. Si Jurieu h~site, flairant la piste Bayle, i laquelle viendront peu aprbs Jacques Basnage, et < l'opinion commune de la Republique des Lettres , les historiens contemporains heritent d'une bien 6pineuse

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196 - ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

question. Plizabeth Labrousse admet la compa- tibilit& de l'ouvrage avec < la pens&e de Bayle >,

mais l'&rit ne correspondrait pas g sa < strat&- gie politique >. Plus r&emment, H. Bost reprend I'hypothise d'un manuscrit de Larroque < retra-

vaill6 > par Bayle. Les recherches de Gianluca Mori, qui r66dite aujourd'hui l'Avis aux rifugies, en l'attribuant sans reserve

t Bayle,

apportent au d6bat une tres pr&cieuse ana- lyse comparative et une intelligibilit6 nouvelle de l'ouvrage dans le contexte de la pensie baylienne.

Que l'ouvrage ait paru, anonyme et de main catholique, au terme d'un montage parfaitement accompli, conforterait en cela l'hypothise Bayle, << professionnel de la dissi- mulation 6pistolaire >, que Jurieu disait ddji se plaire ( aux fictions et surtout A se couper en deux auteurs >. Les Pensdes sur la comite avaient timoign6, dix ans plus t6t, de cette capacit6 A habiter autre que soi-mime. Mais G. Mori pousse plus A fond l'examen de l'Avis. En s'int~ressant d'abord aux sources auxquelles se rifbre l'ouvrage. La presque totalite (cent douze sur cent vingt et une) est accessible directement a Bayle, qui y fait appel dans ses ouvrages ant&rieurs. Les citations qui en sont extraites sont ici reconduites A l'iden- tique. Ainsi, < r6fdrences et renvois, conclut G. Mori, portent la signature de Bayle >. Plus encore: << Dans presque tous les alindas, on trouve des traces palpables de son lexique, de son style, de ses inter~ts, de ses idiosyncra- sies >. Si dans son Avertissement, Bayle se < scandalise > des positions politiques et doc- trinales de l'Avis, ce n'est lI, estime G. Mori, qu'attitude < absolument fictive ) : se ddmar- quer faussement d'un jugement pour le mieux valoriser. Mais ce ne sont li que preuves < techniques >, mime si deji convergentes. Il faut aller au coeur de la conception baylienne de la religion et du pouvoir, et au point oiu, venant au plus pros des theses r6formies, le philosophe de Rotterdam r~solument s'en dis- tingue. Il ne peut soutenir cet &cart qu'en pro- duisant en miroir un texte r&cusant les theses qu'il conteste.

Stratdgie de brouillage, mais strat6gie efficace, fond6e sur la < recrimination , ce retournement contre ses coreligionnaires des accusations que ceux-ci portaient contre les catholiques. < Outil rh~torique, typique des controverses religieuses

,, note G. Mori. Ainsi

Bayle peut-il, sous le couvert d'un &crit catho- lique, mettre en question la cr~dibilit6 de cer- tains points essentiels de la doctrine rdform&e,

et de l'action qu'elle l1gitime. Dans sa Rdponse du nouveau converti au rifugid frangais, que Bayle, une fois de plus < masqui

,, publie

en 1689, en rdplique t une Lettre d'un rifu-

gid frangais - fictive elle-m~me, et du mime auteur -, il avait d~ji port6 le fer dans une plaie toujours ouverte : les supplices de Michel Servet (Genive, 1553), et du ministre Nicolas Antoine (1632), qui t6moignent de la per- manence de conduites intolerantes dans le

camp de la R~forme, loin de n'&tre qu'< erreur

lgitre, pardonnable >, et moins encore < reste de papisme > - mais de meme scandale moral qu'en '1glise de Rome. L'Avis amplifie la cri- tique gUnerale des < r6fugi6s > sur deux points fondamentaux : la proliferation des 6crits sati- riques et diffamatoires; le renoncement A la fidelite due au souverain. Ce sont lI, note G. Mori, de

, veritables topoi de la produc-

tion littbraire et philosophique > de Bayle. ( Avant que de mettre le pied en France

,, fait

dire Bayle g son ht6ronyme catholique, vous devrez, protestants, ( vous purifier du mau- vais air que vous avez hum6 dans les lieux de votre exil, et qui vous a infectis de deux mala- dies tras dangereuses et tout a fait odieuses: l'une est I'esprit de satire, I'autre un certain esprit r~publicain qui ne va pas a moins qu'd introduire l'anarchie dans le monde, le plus grand flkau de la societ6 civile >. Sans doute Bayle force-t-il le trait, pour mieux briser les resistances de ses

, frires > r~formbs. Mais,

par I'exchs de ses accusations, il entend faire habiliter deux principes qu'il n'a cess6 de d~fendre. Sa d~nonciation des < 6crits sati- riques > s'inscrit dans la conception beaucoup plus gnUnrale de la tolerance. Publier des libelles diffamatoires contre ses adversaires constitue A ses yeux un manquement au

(, droit

g la difference > de chaque sujet en sa singula- rite, et A la concorde collective: < Les droits les plus inviolables de l'honntet6 et de la soci6t6 civile imposent un silence respectueux aux particuliers >. Et Bayle n'a pas de mots assez durs pour dinoncer cette pente funeste oii ses coreligionnaires se perdent: ( licence effrinde >, ( esprit malendurant >, qui ne res- pire que < vengeance, aigreur, presomption >.

Derriere cette < intemperance de plume ,,

ce que vise Bayle est certes moins le n&cessaire d~bat d'id&es, qu'il n'a cess6 de promouvoir, que les prochs en intention ou l'esprit pamph- ltaire qui en interdisent l'accomplissement.

Plus graves encore, les &crits < seditieux >,

qui, se fondant, chez Jurieu par exemple, sur une th6orie < d~mocratique >, ruinent I'auto-

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rite du politique en pr6nant les ( droits du peuple a se liberer de son serment de fid6lite au souverain >. J'utilise le terme de < poli- tique >, comme instance, plus volontiers que le terme plus restrictif de < souverain >, car Bayle depasse dans l'Avis la seule perspective

, monarchique > : en

, faisant semblant de ne

vouloir attaquer que l'autorit6 monarchique >,

il y a risque de < saper les fondements de toutes sortes de soci6te, sans en excepter mime les republiques les plus populaires >. S'il force ici encore le trait - le ( dogme > de la < souverainete du peuple > conduit a des

, seditions impunissables

,>, il est une < chi-

mere > et <,

le plus monstrueux et (...) le plus pernicieux dogme dont on puisse infatuer le monde >, etc. -, c'est pour rappeler aux Reformes, qui en &taient les garants, qu'un < serment de fiddlite > ne se delie pas, engageit- il le peuple envers un roi oppresseur. C'est aussi pour maintenir, mime au prix hic et nunc le plus grand, I'autonomie de la sphere du pouvoir par rapport aux institutions de religion, et aux < passions populaires > qui les traversent. Car seul le < politique >> assure l'unite d'une societ. << L'essence de la souve-

rainete ne consiste point en la multitude des sujets >>, sauf i fonder un rapport social, a l'in- fini < divisible >, sur la < loi du plus fort >.

Severe critique, qui emporte tout - plus qu'il n'efit fallu ? - sur son passage. Le droit d'exa- men lui-mhme est mis en cause:

, ordonnez

[a un peuple] de ne se point determiner par les voies de l'autorite, mais seulement par les lumieres de l'examen: vous ne verrez jamais de fin aux guerres civiles, non plus que vous n'en voyez pas aux discordes protestantes, apres mille projets et mille tentatives de reu- nion >. Mais a y regarder de plus pres, sans doute est-ce ce dernier point que, dans le cadre d'une consideration plus generale sur la necessith d'indivisibilith politique, Bayle veut denoncer - cette permanente dispersion des reformes, ce morcellement en tendances et Eglises en hostilite sans fin. En cet Avis, Bayle, ou le reforme faisant sermon sur la R~forme ?

Cet aveu, en tout cas, qui semble bien authen- tifier l'auteur et le principe organisant sa polk- mique:

, C'est assez l'ordinaire d'aimer mieux

ses antagonistes, lorsqu'on les embarrasse que lorsqu'on en est embarrasse >.

Traitant des ( vicissitudes fortuites de l'ime humaine > dans le dernier tiers des Pensdes diverses, Bayle pose qu'il est < un germe de corruption dans l'ime de l'homme >. Les hommes < ont au dedans d'eux-mimes le prin-

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE - 197

cipe de leur malice >, et rien ne sert de cher- cher ailleurs les raisons de leurs dhraisons. Ce doute tourmente s'inscrit dans le contexte d'une thematique de la culpabilith, dont la R6forme, a sa fagon, est comptable. Un mhme doute s'exprime en cet Avis qui se lit, au-deli des conditions et prhtextes de son hcriture, comme l'aveu d'un dhsenchantement radical, que pourrait illustrer cette formule : < Le peuple est toujours la dupe de ses pretendus libhra- teurs >.

Daniel Vidal

142-4 Marcel BERNOS

Les sacrements dans la France des xIle et xvIll' sitcles. Pastorale et vicu des fiddles Aix-en-Provence, Publications de I'Universiti de Provence, 2007, 348 p,

L'ouvrage ici proposh par M. Bernos ras- semble une vingtaine d'articles dont quelques inedits, publiis entre 1970 et 2005. Ce recueil nous conduit des institutions aux communauths et aux individus, de la formulation dogma- tique intangible aux modaliths d'application qui evoluent dans le temps mais aussi selon les aires culturelles. L'ensemble de ces articles utilise des livres liturgiques, des manuels de confesseurs, des catechismes, des textes normatifs divers ou des recueils de cas de conscience. Au lieu d'aborder la totalith des sacrements, I'auteur, apris avoir examine la question de la confession et de la phnitence, se concentre sur trois sacrements de base, le bapthme, le mariage et l'extrhme-onction, non sans faire quelques allusions A la confirma- tion, a l'ordre et a l'eucharistie. Il termine par la pratique des bhnhdictions diverses (les sacramentaux) avec, en particulier, le sens et l'usage du signe de la croix. Chacun de ces articles temoigne a la fois du dhficit historio- graphique en matiere d'htude de certaines sources et des evolutions les plus recentes, pos- terieures a certains de ces travaux: l'on pense aux derniers travaux sur la thdologie morale, la casuistique ou le rigorisme. Mais cela n'enlkve bien entendu rien A la pertinence des mhthodes et des apports des travaux de M. Bernos, bien au contraire. Il s'agit de methode lorsque l'auteur definit les modalit6s de l'analyse des manuels des confesseurs ou de recueils de cas de conscience. II s'agit de resultats lorsque, a partir de cas prhcis ou d'une documentation precishment tudihe, il montre le dhcalage, les tensions ou les adaptations

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