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AVIS de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) présenté au Ministre des Transports du Québec Mars 2005 Transport collectif et urgence d’agir

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AVIS de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)

présenté au

Ministre des Transports du Québec

Mars 2005

Transport collectif et

urgence d’agir

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AVIS DE LA FTQ SUR LA SITUATION DU TRANSPORT COLLECTIF ET L’URGENCE D’AGIR

C’est au nom de ses 550 000 membres que la FTQ présente au ministre des Transports du Québec, Monsieur Michel Després, cet avis sur la politique de transport collectif au Québec et sur les problèmes actuels de financement. Préparée de concert avec les syndicats membres du Syndicat canadien de la fonction publique affiliés à la FTQ, cette appréciation vise à vous convaincre de la nécessité de l’élaboration d’une véritable politique du transport collectif pour tout le Québec et sur l’urgence de satisfaire les besoins financiers on ne peut criants pour ce secteur essentiel au développement économique du Québec. L'avis de la FTQ présente également une position qui va à l’encontre du recours aux partenariats public-privé comme piste de solution aux problèmes rencontrés. PREMIÈRE PARTIE : LA TOILE DE FOND Construite à grands coups de courage et de détermination, mais aussi de reculs et de sacrifices à travers les décennies, la société québécoise actuelle peut se targuer d’offrir à sa population des services qui font l’envie de plusieurs collectivités ailleurs dans le monde. On pense aussitôt à son système de santé, public, accessible et universel ainsi qu’à son système d’éducation. Mais on peut aussi penser à son système de transport en commun, qui apporte à la société québécoise une importante contribution dont la démonstration n’est plus à faire dans les sphères économique, environnementale et sociale. Le transport n’est pas uniquement une question de déplacement, il est également un facteur d’harmonie sociale, de solidarité, d’aménagement du territoire, et de planification économique. Dans un espace géographique comme le Québec, la question du transport prend certes des dimensions diverses : mobilité inter-régionale, mobilité inter-urbaine et mobilité urbaine. Sans nier l’importance des mobilités inter-régionale et inter-urbaine, la réflexion sur l’évolution des systèmes de transport en commun à l’intérieur des grandes villes et de leurs banlieues s’approfondit, puisque c’est là que se concentrent de plus en plus la majorité de la population et de l’activité économique. En 1950, moins du tiers de la population de la planète vivait en ville. En 2020, on estime que plus de 60 % de la population mondiale habitera dans une zone urbaine et que la mobilité y aura augmenté d’environ 50 %1. Dans les pays industrialisés, ce pourcentage atteindra 84 %, contre 56 % dans les pays en développement. Et cela, dans un contexte où les espaces urbains ne représentent qu’une infime partie de la surface de la Terre, soit moins de 2 %. Les problèmes de congestion, de pollution, d’étalement urbain, d’exclusion sociale et d’insécurité risquent de s’accroître en l’absence d’intervention efficace et poussent aujourd’hui plusieurs

1 JUNGE-REYER, Ingeborg, Présidente de la commission Gestion de la mobilité urbaine du groupe Métropolis. Voir la Conférence internationale sur les mégapoles du futur, «Mobilité et cohésion sociale», Compte rendu synthétique, UNESCO, Paris, 5 et 6 mai 2004.

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chercheurs à préconiser des politiques visant une diminution draconienne du transport privé individuel, parallèlement au développement de systèmes de transport public collectif et durable. En fait, les premiers jalons devraient consister à considérer d’un seul oeil les questions reliées à l’urbanisation d’un côté et au transport de l’autre, et éviter ainsi l’éclatement et la dispersion des pouvoirs de décision. Il faudrait également être en mesure de lier les aspects économiques, environnementaux et sociaux. La question du transport se situe dès lors au cœur des choix politiques de la société, choix qui ne peuvent être exercés que par les règles d’un processus démocratique et transparent visant à décloisonner vie de la population et vie de la ville. L’aspect économique Il convient d’abord de souligner que la mobilité est de plus en plus traitée comme un droit. Ne pas pouvoir se déplacer pour accéder au travail, à l’éducation, au logement, aux établissements de santé ou aux activités culturelles et de loisirs a des incidences certaines sur la qualité de la société qu’on a choisi de se donner. Le droit à la mobilité devient ainsi la porte d’accès à l’exercice de droits démocratiques élémentaires. Le droit à la mobilité couvre à la fois les dimensions collective et individuelle. À titre d’individu, toute personne peut, selon ses moyens et ses propres choix, recourir au transport individuel. Mais c’est à la société, et donc à l’État, que revient la responsabilité d’assurer l’exercice du droit collectif à la mobilité, comme droit social accessible, par la voie de la mise en place soit de réseaux exclusivement publics, soit de réseaux mixtes ou encore, de réglementation de l’activité des transporteurs privés. La question est d’autant plus importante qu’il n’y aurait pas de vie économique sans mobilité. Les échanges sont à la source de la vie économique et les transports sont nécessaires aux échanges. Personne n’a besoin de documenter la question de façon exhaustive : plus les sociétés se sont développées, plus les liens se sont tissés et plus les liens se sont tissés, plus les systèmes de transports se sont développés. Cela, à notre avis, n’aurait pu être possible sans le concours prédominant des autorités publiques, à qui il incombe d’assurer la meilleure cohésion sociale. En l’absence de contrôle public, c’est ni plus ni moins la loi de la jungle qui s’installe avec, dans le domaine du transport, une monopolisation des fournisseurs, une concurrence à outrance des opérateurs générant des tarifications inabordables et hétérogènes, le traitement inéquitable des diverses composantes du tissu urbain, une conception de réseaux de communications fondée sur la rentabilité, et la négligence, parfois mortelle, des systèmes de sécurité et d’entretien2. Droit à la mobilité et politique publique adéquate sont ainsi inséparables de la viabilité des activités économiques, d’autant plus que la proximité géographique qui a caractérisé les siècles précédents a maintenant laissé place à une nouvelle reconfiguration des activités économiques à l’échelle mondiale qui a augmenté la complexité du réseau des échanges, y compris sur le terrain du transport terrestre. Or, le transport requiert d’énormes quantités d’énergie. Mondialement, 20 % de l’énergie produite est consacrée au transport, 30 % dans les pays de l’OCDE3.

2 Nous pouvons penser à l’exemple souvent cité de Santiago du Chili mais aussi à celui de Moscou, où le bilan de la «libéralisation» est catastrophique. Partie d’une population de 7 millions il y a 15 ans, Moscou compte maintenant 11 millions d’habitants. Le nombre de voitures est, lui, passé de 300 000 à 3 000 000, créant des embouteillages monstres et une pollution sans précédent. Le transport public a été réduit et on peut dire que tout est maintenant fait pour la voiture privée. Cf, Conférence internationale, op. cit., p. 26. 3 Actes du colloque La ville dans le futur : réflexion prospective sur le phénomène urbain, Rencontres internationales de Prospective du Sénat, Palais du Luxemburg, février 2004, p. 8.

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L’aspect environnemental La question de l’effet de serre et le Protocole de Kyoto n’ont pas à être longuement évoqués. Le droit à la mobilité et le développement des systèmes de transport posent simultanément la question environnementale. Dans l’état actuel des choses, l’exercice individuel du droit à la mobilité suppose un recours toujours plus grand aux moyens de locomotion individuels. Si la marche et la bicyclette constituent bel et bien des moyens «écologiques» à mettre de l’avant, mais pas toujours faciles à pratiquer, l’automobile et la fourgonnette posent quant à elles des problèmes grandissants4. Estimé à 580 millions en 1990, le nombre de véhicules automobiles dans le monde pourrait atteindre 816 millions d’ici 2010 (plus de 40 % d’augmentation en 20 ans seulement), dont les deux tiers dans les pays industrialisés. L’usage de véhicules motorisés pollue davantage l’air ambiant que toute autre activité humaine : près de 50 % des émissions mondiales de monoxyde de carbone, d’hydrocarbures et d’oxyde d’azote émanent des moteurs à essence et des moteurs diesel, et le seul trafic urbain représente environ 40 % des émissions de CO2 reliées au transport. L’enjeu se pose de plus en plus de trouver des solutions qui satisfassent à la fois le droit à la mobilité et les besoins économiques tout en respectant les normes environnementales et le développement durable. Il faut d’ailleurs noter que l’atteinte des objectifs de Kyoto est possible, comme le démontre l’expérience de villes comme Lyon, Bordeaux, Rome, Lausanne ou Bologne, où on mise considérablement sur l’énergie électrique dans les services publics de transport. L’aspect social Résoudre l’équation du droit à la mobilité, des exigences économiques et d’un environnement sain permettrait simultanément d’améliorer l’état de santé de la population, exposée de plus en plus à des problèmes respiratoires inquiétants. Alors que les gouvernements se portent à la défense de la santé comme dossier prioritaire, ils ne peuvent fermer les yeux sur les dangers qui guettent la population lorsque les émissions de gaz à effet de serre dues aux transports dépassent les normes en vigueur. Il faut également prendre en considération le problème de plus en plus répandu de l’exclusion sociale. L’impossibilité de se déplacer, pour la partie la plus démunie de la population, est porteuse de désordre potentiel et tend à une ghettoïsation de foyers perturbateurs. La violence qui sévit aujourd’hui dans plusieurs grands centres urbains n’est pas étrangère à ce phénomène.

4 Il faut quand même noter que certaines villes, comme Bogota en Colombie, ont augmenté le prix du carburant pour décourager l’automobile (dont l’usage a été réduit de 40 % aux heures de pointe), supprimé nombre de stationnements, organisé des journées sans voiture, développé des espaces piétonniers et des circuits pour vélos. Ailleurs, comme à Londres, on s’est résolu à des systèmes de péage au centre-ville qui ont réduit la congestion de 30 % et la circulation en voiture de 16 %, ou encore à une taxation du stationnement dont les revenus sont dirigés vers l’amélioration du transport en commun.

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Une «affaire publique» Il nous apparaît que cette toile de fond pose comme priorité le maintien, l’amélioration et le développement du transport collectif. Sur l’Île-de-France (grande région parisienne), où vivent 11,5 millions d’habitants, les déplacements motorisés en voiture individuelle s’élèvent à 17 millions par jour, non seulement aux heures de pointe, mais tout au long de la journée, créant des problèmes chroniques d’embouteillages qui coûtent à la collectivité environ deux milliards d’euros par année. La solution envisagée : le développement d’un transport collectif attrayant.

«Le développement du transport collectif est l’une des priorités, en offrant une alternative à la voiture particulière avec un transport de qualité esthétique, environnementale et de confort, et une plus grande accessibilité. Les priorités du mandat son claires : faire en sorte que l’utilisation des transports collectifs soit facilitée pour l’ensemble de la population. L’action va notamment se porter sur la tarification, afin que les plus démunis puissent utiliser gratuitement les transports en commun, mais aussi en direction des jeunes. L’offre de transport sera par ailleurs développée pendant la nuit. Un certain nombre d’infrastructures nouvelles vont intervenir (prolongement de lignes de métro, tramway en rocade, nouveaux trains de banlieue, etc.) permettant une meilleure intermodalité et une qualité de service accrue.»

Serge Mery, Vice-président en charge des Transports, Conseil régional d’Île-de-France, Conférence internationale, op. cit. p. 13.

Évidemment, cela ne va pas sans les difficultés que l’on connaît : longueur des démarches administratives et état des finances publiques. Mais sur l’Île-de-France, on est confiant de déboucher sur des résultats intéressants. Et s’il est une voie à ne pas suivre, c’est sans doute celle de l’exploitation privée du réseau de transport. Dans un rapport sur l’impact de la décentralisation et de la privatisation sur les services municipaux produit en octobre 2001, l’Organisation internationale du travail note que le Royaume-Uni est le seul pays d’Europe à avoir introduit en 1986 la concurrence pour les services d’autobus, dont l’ensemble des exploitants sont des entreprises privées.

«À l’heure actuelle, le système est populaire parmi les exploitants, mais pas parmi les passagers. […] Ce secteur est actuellement dominé par quatre ou cinq grandes entreprises privées… À quelques exceptions près, les services déréglementés ont affiché une réduction du coût par véhicule-km, imputable à la réduction : i) de la taille des véhicules; ii) de la rémunération et du nombre des employés, notamment ceux qui participent à la maintenance et aux tâches administratives; et iii) du prix du carburant. Par contre, il y a eu : i) une augmentation du nombre d’autobus-km assurés; ii) une forte augmentation des tarifs réels, nettement supérieure à 25 pour cent; et iii) une perte importante de passagers, qui persiste —

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près de 35 pour cent dans les grands centres urbains et 20 pour cent dans les autres zones en dehors de Londres.5»

On voit facilement ici l’état des lieux : fort peu d’avantages et de nombreux inconvénients. Et pis encore, l’existence de plus en plus répandue de conflits entre les logiques économiques mises de l’avant par les pouvoirs financiers, économiques et politiques et les aspirations sociales des collectivités ne peut résulter que dans l’exacerbation des tensions sociales d’une part, les grands centres urbains devenant des lieux de violence sociale de moins en moins attrayants économiquement, et dans l’affaiblissement du rôle et de la légitimité des pouvoirs publics d’autre part. Voilà pourquoi, face aux difficultés auxquelles ils font face et malgré ces difficultés, les gouvernements doivent rester les maîtres-d’œuvre de l’ensemble des politiques et des services publics, dont les activités de transport collectif. DEUXIÈME PARTIE : L’INCONTOURNABLE PROBLÈME DU FINANCEMENT Le sous-financement dont souffre actuellement le réseau québécois du transport en commun est largement lié, on le sait, au désengagement financier du gouvernement du Québec, en 1992, au moment de l’adoption de ce que l’on a appelé la réforme Ryan qui consacrait le retrait de l’aide gouvernementale à l’exploitation des sociétés de transport. Comparons, pour donner un exemple, la répartition des modes de financement de la Société de transport de Montréal, selon la source, pour les années 1991 et 2001.

1991

2001

SOURCE

Part en % Millions $ Part en % Millions $ Gouvernement du Qc Gouvernement fédéral Automobilistes Secteur municipal Usagers Total

33,5 %*

0,0 %

4,3 %

25,0 %

37,2 %

100,0 %

93,3

0,0

12,0

69,6

103,6

278,5

9,0 %*

0,0 %

8,7 %

35,0 %

47,3 %

100,0 %

30,7

0,0

29,7

119,4

161,4

341,2

Sources : Société de transport de Montréal, Données statistiques 1952-2002 et Association du transport urbain du Québec. * En 1991 le gouvernement du Québec contribuait pour les immobilisations et l’exploitation. En 2001, il ne contribuait plus que pour les immobilisations.

5 Organisation internationale du travail, L’impact de la décentralisation et de la privatisation sur les services municipaux, Bureau international du travail, Genève, octobre 2001, pp 33-34.

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L’évolution de la part relative s’est traduite par une défection du gouvernement du Québec de l’ordre de 24,5 %, accompagnée d’une augmentation de la participation financière des usagers (+ 10,1 %), du secteur municipal (+ 10 %) et des automobilistes (+ 4,4 %). L’Association des Conseils inter-municipaux de transport (ACIT) ont depuis longtemps fait connaître aux autorités gouvernementales l’existence des besoins financiers des sociétés de transport, leur rappelant qu’elles se sont vu privées de tout nouveau support financier de la part du gouvernement québécois depuis 1996. La situation s’est dégradée dans tout le Québec, où les neuf grands transporteurs publics sont aux prises avec des déficits d’exploitation en croissance. Pour ne prendre qu’un exemple, soit la Société de transport de Sherbrooke, elle a vu la répartition de ses sources de financement se modifier entre 1991 et 2001 de la manière suivante :

Source Résultats 1991 Résultats 2001 Gouvernement du Qc Gouvernement fédéral Automobilistes Secteur municipal Usagers

43,9 %

0,0 %

0,0 %

14,5 %

41,6 %

13,3 %

0,0 %

13,8 %

31,5 %

41,4 %

La survie des sociétés de transport n’a été permise que par l’introduction d’un droit non indexé de 30 $ sur l’immatriculation des véhicules de promenade, la surtaxe de 0,015 $ par litre d’essence et par la hausse des tarifications (à Montréal, par exemple, trois hausses ont totalisé 13 % d’augmentation en douze mois seulement, de janvier 2003 à janvier 2004). Aujourd’hui, alors que les équipements et les infrastructures atteignent un peu partout leur limite de vie utile, cette survie est on ne peut plus menacée, et une fois de plus, il faut se mettre à la recherche de nouvelles sources de financement. Nous croyons, comme beaucoup d’autres, qu’il appartient au gouvernement du Québec de prendre le levier des commandes. Nous n’apprenons d’ailleurs là rien de nouveau au ministre des Transports. Le document de réflexion intitulé Financement et organisation du transport en commun au Québec, publié en février 2004 par le ministère des Transports du Québec, affirme que :

«La publication des rapports des mandataires désignés par le ministre précédent, l’augmentation récente des tarifs décrétée par plusieurs organismes, les courants environnementaux et bien d’autres facteurs alimentent un discours qui presse les pouvoirs publics de supporter davantage le transport en commun.» (Document de réflexion, p. 2)

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Dans le même souffle, le ministère des Transports a estimé les besoins financiers à combler dans les prochaines années :

«Au cours des prochains dix ans, il faudra investir 3,8 G$ seulement au chapitre des immobilisations pour développer et moderniser le métro, remplacer les autobus et maintenir les équipements des sociétés de transport en bon état. Ces investissements sont incontournables puisqu’ils sont en cours de réalisation ou essentiels au maintien des services existants. À eux seuls, ils feraient passer l’aide gouvernementale de 190 M$ en 2003-2004 à plus de 360 M$ par année dans dix ans. Pour l’amélioration et le développement des services, les investissements additionnels pourraient s’établir entre plusieurs centaines de millions et 3 G$.» (Idem, p. 5. En octobre 2004, les besoins étaient estimés à la hausse, pour atteindre 4,5 milliards sur dix ans [La Presse, 8 octobre 2004, A4)

Les besoins sont criants, personne ne peut le nier, et les sources actuelles de financement, passablement épuisées. Il faut donc se mettre au travail, se creuser les méninges, trouver et adopter de nouvelles solutions. Dans les officines du gouvernement du Québec, on a déjà trouvé la voie à emprunter : celle des partenariats public-privé (PPP). Dans ses notes pour une allocution prévue en octobre 2003 à l’occasion de la tenue d’un colloque organisé par l’Agence métropolitaine des transports et l’Institut du partenariat public-privé, Julie Boulet, alors ministre des Transports, écrivait ceci :

«En matière de partenariat public-privé, le ministère des Transports est déjà à l’action… Nous allons envisager la gestion déléguée de l’entretien et de l’exploitation du réseau routier ainsi que d’autres façons de faire pour les transports. […] Cette activité n’est pas le fruit du hasard. C’est plutôt que le Ministère, en se basant sur les succès obtenus ailleurs au Canada et dans le monde, a pu apprécier le potentiel de cette avenue prometteuse et est maintenant désireux de la concrétiser.6»

Quelques mois plus tard, en janvier 2004, Le Devoir titrait : «Feu vert au privé dans les transports en commun». Le ministre des Transports de l'époque, Yvon Marcoux, y affirmait sa volonté d’inciter les sociétés de transport à conclure des partenariats avec des entreprises privées afin de confier à ces dernières l’exploitation d’une partie des réseaux d’autobus et de métro. Nous reviendrons plus loin sur l’orientation du gouvernement Charest axée sur les PPP. Auparavant, permettons-nous seulement de poser la question de savoir si les PPP peuvent régler le problème fondamental de financement auquel font face les sociétés québécoises de transport, financement par lequel celles-ci pourraient mener à bien leur rôle économique, environnemental et social et contribuer ainsi à l’essor de la société québécoise. Les PPP envisagés par le ministère des Transports visent essentiellement à déléguer l’exploitation et l’entretien des réseaux routiers, d’autobus et de métro. Le problème en est-il un d’exploitation et d’entretien ? En fixant «les circuits, les tarifs maximums, le niveau de service, la fréquence», comme l’affirmait en janvier dernier l'ex-ministre des Transports Yvon Marcoux, l’entreprise

6 Notes pour une allocution de madame Julie Boulet, ministre des Transports et ministre responsable de la région de la Mauricie, Montréal, 31 octobre 2003.

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privée résout-elle le problème de financement dont souffre le réseau ? Les sociétés de transport actuelles n’accomplissent-elles pas adéquatement ces activités ? Il n’est pas inutile de rappeler à cet égard certains extraits du mémoire déposé en septembre 2004 par la Société de transport de Montréal à la Commission des finances publiques concernant le projet de loi 61 sur l’Agence des partenariats public-privé du Québec.

«Le réseau de métro fait l’objet d’une comparaison continue avec d’autres réseaux public et privé au niveau international avec le Collège impérial de Londres. Les résultats de ce balisage sont d’ailleurs probants, le réseau de Montréal se situe parmi les plus performants au monde de sa catégorie, en terme d’efficience au niveau de sa fiabilité, du nombre d’heures travaillées par kilomètre parcouru, de même qu’au niveau de l’utilisation optimale des actifs en terme de capacité de transport. Pour le réseau des autobus, la STM a pris le leadership dans l’établissement d’un groupe de balisage concurrentiel international… Poursuivant dans la même foulée, la STM entend généraliser cette pratique à l’ensemble de ses activités. À cette fin, elle vient de se doter d’un Plan d’affaires 2004-2008 qui encadre une pratique continue d’évaluation de la performance pour toutes les activités de l’organisation.7»

Nous sommes loin de partager l’opinion selon laquelle l’efficience, l’expertise et le savoir-faire du secteur privé seraient au départ supérieurs comparativement à ce que l’on observe dans le secteur public. Une imposante étude quantitative et qualitative, réalisée en mai 2003 à la demande l’Université de Floride dans le domaine du transport, s’interroge sérieusement sur l’opportunité de recourir aux services du secteur privé, puisque tout concourt à démontrer que les pouvoirs publics demeurent les plus performants.

«Publicly managed independent authorities appear to be slightly more efficient in providing transit services compared to the others. […] Indeed, for transit policy makers who wish to opt for increased contract management our research could not support that decision.8»

Faut-il rappeler que la Société de transport de Montréal elle-même, dans son Plan d’affaires 2004-2008, entend plutôt combler son manque à gagner à partir des sources directes de financement plutôt que dans une modification à ses «façons de faire» : augmentation des tarifs et de la contribution de la Ville, régionalisation accrue du métro, mesures sociales, révision du cadre financier gouvernemental, etc9. Pourquoi déléguer l’exploitation et l’entretien à l’entreprise privée alors que la société publique a réussi à porter le réseau de transport en commun au rang des plus performants au monde ?

7 Société de transport de Montréal, Mémoire, Projet de loi no 61 – Loi sur l’Agence des partenariats public-privé du Québec, mémoire déposé à la Commission des finances publiques, septembre 2004. 8 Simmonds, Bierhanzl, Campbell & Queeley, An Examination of the Relationship between Organization Structure and Transit Performance, Florida A & M University, mai 2003, pp viii, 60. 9 STM, Investir dans notre avenir, Plan d’affaires 2004-2008, décembre 2003, p. iii.

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Et surtout, pourquoi ne pas faire porter les efforts sur la recherche de solutions au vrai problème, celui du sous-financement ? Pourquoi ne pas faire du gouvernement du Québec le partenaire privilégié pour amorcer et poursuivre des démarches propices au développement du transport en commun, comme priorité et service public essentiel au développement harmonieux du Québec durable que nous avons choisi ? TROISIÈME PARTIE : DES VOIES DE SOLUTIONS ENVISAGEABLES La décision gouvernementale d’accorder ou non une attention toute particulière au développement du transport collectif relève d’abord et avant tout de l’orientation retenue par les pouvoirs politiques. Un peu partout dans le monde — et surtout dans les pays industrialisés —on préconise de plus en plus une politique qui privilégie l’utilisation du transport en commun au détriment des véhicules individuels. Non pas qu’il s’agisse de «condamner» le recours à l’automobile. Le défi consiste plutôt à étendre, à améliorer et à susciter l’offre en matière de transport collectif en faisant en sorte que l’automobile cesse d’être au cœur du système pour en devenir seulement, et naturellement, l’un de ses éléments. Au Québec, tout le monde y gagnerait sans doute quelque chose10 :

� Les consommateurs, en ne payant plus que 0,12 $ du kilomètre en transport en commun, contre 0,46 $ en automobile (coût moyen du passager/km), économiseront des milliers de dollars.

� Les personnes en emploi et les entreprises pour qui la congestion constitue une perte

de temps et de productivité : 5 minutes en moins peuvent rapporter des millions de dollars aux entreprises de livraison, par exemple.

� Le marché du travail, car le transport en commun permet d’offrir un bassin de main-

d’œuvre plus large aux entreprises et un bassin d’emplois plus vaste à la population. � Un recours plus grand au transport en commun réduit la consommation énergique

totale, en plus de réduire les émanations des gaz à effet de serre. Il est important d’avoir à l’esprit qu’un seul autobus transporte autant de passagers que 50 automobiles et pollue jusqu’à 18 fois moins.

� En réduisant la pollution, l’accroissement du transport en commun contribue à

améliorer la santé de la population et à réduire les coûts du système de santé. Il y a lieu, ici, de souligner l’apport croissant du transport adapté qui concourt, à sa manière, à améliorer la qualité de vie et la santé des usagers.

10 Les données ci-dessous sont en grande partie tirée du mémoire déposé dans le cadre des consultations pré-budgétaires du ministre Yves Séguin par l’Association du transport urbain du Québec, 16 janvier 2004. Voir également l’excellent article de La Presse du lundi 20 septembre 2004, p. A-6.

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Les coûts de la congestion «Entre 1993 et 1998, une augmentation globale de 17 % de la circulation automobile a suffi pour faire bondir de 54 % les coûts de la congestion routière dans la métropole. Si cette tendance s’est maintenue de 1998 à 2003 — et tout porte à croire qu’elle a en fait empiré — il y a belle lurette que la congestion routière coûte plus d’un milliard de dollars par année à Montréal.»

Bruno Bisson, La Presse, 20 septembre 2004, p. A-6.

Enfin, c’est le transport collectif lui-même qui y gagnerait, une utilisation plus grande du transport en commun étant source de revenus supplémentaires pour le réseau. D’autant plus que la récente enquête origine-destination de l’AMT révèle que depuis 1998 la hausse d’utilisation du transport en commun est supérieure à celle de l’automobile. Mais il y a plus. Des sources novatrices Il est d’usage d’examiner notre situation à la lumière des expériences étrangères et de leurs sources de financement. En France, par exemple, les employeurs de 9 employés et plus paient une taxe de «versement transport», contribuant ainsi à 40 % du financement du transport public; sur l’Île-de-France, les employeurs remboursent en plus à leurs employés le prix de leur carte mensuelle de transport public. À Bruxelles, les organismes de plus de 200 employés doivent réaliser un plan de déplacement public pour la main-d’œuvre. Les employeurs du Québec pourraient donc être sollicités sous une forme ou une autre, d’autant plus que le Québec jouit d’une position fort avantageuse quant aux coûts d’installation et de fonctionnement des entreprises en Amérique du Nord. Pourquoi ne pas importer ici les mesures préconisées par nos cousins d’outre-mer ? Pensons également à une taxe spéciale qui pourrait être imposée aux entreprises qui sont situées dans les parcs industriels sur la base, par exemple, de la masse salariale ou encore, sur la base des terrains de stationnement de ces entreprises. En retour, ces dernières pourraient profiter d’exonérations fiscales pour investissements éthiques ou respectueux de l’environnement, ou encore pour l’instauration de mesures incitatives au transport public ou au transport en commun pour leurs salariés. De la même manière, on pourrait mettre à contribution les centres d’achats érigés en périphérie des centres urbains régionaux en leur imposant une taxe basée sur la valeur locative globale et en

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taxant leurs stationnements. Ceux-ci pourraient aussi profiter d’avantages fiscaux liés à leur promotion de politiques d’utilisation de transport collectif. Il ne faudrait pas négliger non plus les entreprises de la nouvelle économie qui, sans créer beaucoup d’emplois, crée beaucoup de plus-value. Ces entreprises pourraient ainsi constituer une source inédite de financement. L’ensemble des salariés pourraient d’ailleurs bénéficier de déductions d’impôt sur l’achat de titres de transport. Il y aurait lieu d’élargir le bassin des gens qui doivent contribuer à la taxe sur le transport en commun à même le compte de taxe municipale. Cette taxe ne vise actuellement que les municipalités qui offrent un service de transport en commun. Or, les gens des municipalités avoisinantes profitent aussi de ce service, au moins en partie. La population des Basses Laurentides, par exemple, se déplace amplement dans la Couronne Nord ou dans la grande région métropolitaine. Pourquoi ne pas leur faire payer leur juste part ? De la même manière, la surtaxe de 0,015 $ par litre d’essence dédiée au transport pourrait être étendue à tous les contribuables. Les droits de 30 $ sur l’immatriculation des véhicules de promenade pourraient être indexés annuellement et on pourrait aussi les étendre aux véhicules commerciaux11. Il faudrait analyser la possibilité d’une indexation automatique et annuelle des tarifs selon la variation du coût de la vie dans le secteur du transport. On pourrait également moduler davantage les tarifs selon la clientèle et la configuration de l’achalandage : les salariés, les touristes, les personnes à la recherche d’emploi, les bénéficiaires de l’aide sociale, les jeunes, les personnes âgées, etc. La dernière réunion, en septembre 2004, des maires des 10 grandes métropoles du Canada s’est soldée unanimement sur l’exigence de l’octroi d’au moins 2,5 cents le litre d’essence en 2005, avec l’objectif de parvenir à 5 cents le litre d’ici 2007, atteignant dès lors la somme totale de 2,5 milliards $. Rappelons que le Premier ministre Paul Martin avait fait la promesse de l’accroissement des sommes à verser aux municipalités lors de la campagne électorale du printemps 2004. La création d’un Fonds de développement des transports publics stable et permanent pourrait ainsi être alimentée par une hausse des revenus gouvernementaux et municipaux générée par nombre des mesures précédentes ainsi que par les opérateurs privés. Enfin, il faudrait éviter les dédoublements inutiles et coûteux. On sait par exemple que l’Agence métropolitaine de transport (AMT) entre en concurrence avec les sociétés de transport pour diverses activités d’exploitation, occasionnant ainsi un tel dédoublement. Nous croyons que les sommes d’argent consacrées à l’AMT pour la vente de billets ou encore pour la gestion des voies

11 Nous rappelons ici que l’ACIT a déjà fait la recommandation d’accroître de 0,01 $ la surtaxe sur l’essence et d’augmenter de 5 $ les prélèvements sur les immatriculations.

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réservées aux autobus, seraient beaucoup mieux utilisées par les sociétés de transport, puisque ces dernières ont déjà l’infrastructure nécessaire pour vaquer à de telles activités. C’est ainsi qu’on procède à une utilisation inefficace de budgets déjà trop restreints affectés au transport public. De la même manière, on pourrait encourager encore davantage la pratique d’achats regroupés entre les sociétés de transport. L’accueil de la proposition de l’ACIT à l’effet de favoriser les regroupements municipaux en matière de transport en commun, dans la mesure où ils sont le fait de la volonté des élus municipaux, pourrait sans doute générer des économies appréciables. L’accélération des travaux relatifs à des dossiers déjà convenus aurait également pour effet d’accroître les services et partant, le niveau des recettes. Mentionnons, pour exemple, que la cinquième rame du train de Blainville, prévue en 2003, est toujours en attente, alors que les départs sont à 130 % de leur capacité et que cela a pour effet de faire fuir les usagers. Certains projets pilote ont déjà fait la démonstration que certaines expériences pouvaient être sources d’un recours accru au transport collectif, tout en représentant des mesures salutaires pour l’environnement. Mentionnons, à ce titre, le projet pilote d’abonnement annuel mis en place durant une année pour le bénéfice des employés du ministère des Transports. L’évaluation qui en a été faite par l’ACIT est très intéressante : solde positif au niveau des recettes, utilisation accrue du transport en commun au détriment du transport individuel, taux de satisfaction unanime (81,6 % de très satisfaits et 18,4 % d’assez satisfaits) et volonté fortement exprimée de répéter l’expérience. L’ACIT a proposé de prolonger le projet pilote. Il y aurait sans doute lieu de l’étendre à davantage de salariés. Le programme de mise à la ferraille constitue un autre exemple original, en offrant au propriétaire d’un véhicule âgé qui pollue lourdement l’atmosphère la possibilité de retirer volontairement ce dernier de la circulation, moyennant certains incitatifs, comme la remise de titres de transport gratuits. Selon l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), partie au programme, entre 50 % et 70 % des gens qui se sont prévalus de ce programme sont devenus des usagers permanents du transport collectif. Encore là, il s’agit d’une initiative à poursuivre et à promouvoir davantage. Bref, il y a des solutions. D'ailleurs, certaines mesures avancées ci-dessus sont signalées dans le document gouvernemental Le transport en commun une approche intégrée, rendu public en décembre 2004. Le seul hic : il faut maintenant avoir le courage politique de les mettre en place. Le gouvernement Charest a un rôle de premier plan à jouer à ce titre et il ne peut refiler d’un simple coup de doigts le problème aux municipalités, tout en les forçant à recourir aux PPP. QUATRIÈME PARTIE : LES PPP, UNE VOIE QUESTIONNÉE Au-delà des discours ministériels qui voient dans les partenariats public-privé la solution, au Québec, à de faux problèmes (l’entretien et l’exploitation du transport en commun plutôt que le sous-financement par exemple), on ne peut passer sous silence le fait que l’orientation du

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gouvernement Charest en faveur des PPP procède d’une orientation politique précise, plutôt que d’un simple choix parmi d’autres de faire les choses autrement. L’enjeu est beaucoup plus qu’accessoire, il concerne l’avenir du Québec et la conception du type de société que nous voulons. La conception du gouvernement actuel repose sur la logique marchande, l’amoindrissement du rôle de l’État et sur l’ouverture de nouveaux champs d’intervention pour l’investissement privé12, sans par ailleurs qu’on ait fait la preuve que cela serve l’intérêt public et sans même qu’on consulte véritablement la population.

Lu dans le Magazine Finance «La Banque [mondiale] affirme clairement que : ‘La position extrême de confier l’essentiel des opérations de l’état au secteur privé n’est pas souhaitable.’ Selon elle, la privatisation appliquée à l’éducation, aux soins de santé et à d’autres services publics ne s’effectue pas sans problèmes, spécialement lorsque ces services s’adressent aux gens pauvres… Elle insiste sur l’existence d’une recherche amplement documentée à l’effet que les services publics peuvent fonctionner efficacement sous le giron gouvernemental lorsque l’État adopte des politiques appropriées.»

Magazine Finance, Août 2004, p. 3.

Jusqu’à présent, personne n’a fait la démonstration de la pertinence, aujourd’hui au Québec, de recourir aux partenariats public-privé pour atteindre «les véritables objectifs poursuivis», à savoir obtenir des services de meilleure qualité à meilleur coût tout en réduisant les risques et les délais inhérents aux projets d’infrastructures ou de prestation de services. Non seulement aucune démonstration n’a été faite, mais encore les exemples de déboires sont multiples et les voix se font de plus en plus nombreuses pour nuancer le parti pris en faveur des PPP et pour douter de leur efficacité, y compris au sein d’entreprises appelées à participer à de tels partenariats. De Lyon… Les partenariats public-privé n’apportent pas de solution au problème de sous-financement des transports publics. Alors qu’on nous sert à chaque occasion l’exemple lyonnais du transport en commun pour mousser le recours aux PPP, il appert que ces derniers n’ont pas réussi — et ce n’était pas leur but — à résoudre les problèmes de financement. À Lyon, la société Sytral délègue à la Société lyonnaise des transports en commun (une entreprise privée) l’entretien et l’exploitation du réseau de transport en commun et à l’entreprise Optibus l’exploitation du transport adapté. Les sources de financement de Sytral proviennent des

12 Cela n’est pas sans rappeler la vision qui a cours au sein de l’Organisation mondiale du commerce en ce qui a trait à la commercialisation des services.

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usagers (25 %), de l’impôt local (30 %) et de la taxe «versement transport» aux entreprises de plus de 9 employés (45 %). Le quotidien Le Devoir a rejoint le dirigeant de Sytral, Bernard Rivalta. Voici un extrait de leur entretien.

Question : «Est-ce à dire que, d’une manière globale, tout va pour le mieux au Sytral même en matière de financement ?» Réponse : «Non, non ! Dès le prochain mandat, si nous ne trouvons pas de sources de revenus supplémentaires, je ne vois pas comment nous pourrons maintenir le niveau de croissance dont nous profitons présentement.» Les pistes de solution : l’imposition d’une taxe sur les produits pétroliers, par une taxe de stationnement, ou encore… «Revoir un financement privilégié aidé par l’État […] qui nous permettrait de sortir de la logique de marché, parce que le transport en commun n’est pas un produit marchand au même titre qu’un autre, même s’il est un produit destiné au grand public.» (Le Devoir, 18-19 septembre 2004, p. H-7.)

Il ne reste qu’à souhaiter que le message fasse son chemin… ! Les PPP ne semblent d’ailleurs pas apporter d’amélioration à quoi que ce soit, sinon à la rentabilité de certaines entreprises, mais pas toujours. … à Londres Le syndicat britannique UNISON, le plus important syndicat implanté dans les services publics, estimait en 2002 que le partenariat public-privé dans le métro de Londres coûtera plus cher que si on était resté sous la gouverne publique, notamment en raison des coûts d’emprunts plus élevés. En janvier 2004, le journal The Guardian rendait publique une augmentation de 25 % des tarifs du métro et prévoyait que le déficit allait atteindre l’équivalent de 2,5 milliards de dollars canadiens en 2006. Le journal signalait également un accroissement de 20 % des bris d’équipement et des problèmes signalés sur les voies. L’édition du Soleil du 3 avril 2004 soulignait que les amendes liées au mauvais fonctionnement du système avaient été deux fois plus importantes que les bonis pour bonne performance. Après un an seulement de PPP dans le métro de Londres, l’un des 3 partenaires, Jarvis, impliquée directement dans un important accident de chemin de fer, envisageait de vendre la moitié de ses parts. Entre temps, Amey, second partenaire, a été vendue à une entreprise espagnole, ce qui lui a évité la faillite, et Jarvis est aujourd’hui en graves difficultés financières. Le président de l’International Project Finance Association, un organisme qui fait la promotion des PPP, disait à propos de celui du métro de Londres :

«Plusieurs de nos membres voient un problème dans la structure du PPP et ne croient pas que l’expérience sera un succès. En fait, ils croient qu’elle va éventuellement faillir. Il y a beaucoup d’appréhension à l’effet que ce projet est trop orienté vers une privatisation complète.»

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Parmi les problèmes anticipés : l’efficacité (coûts d’entretien et de remplacement à la hausse), la sécurité, la compétition (intérêts financiers conflictuels), la dépendance (diktats des grandes entreprises) et la complexité contractuelle. Soulignons enfin le rapport passablement négatif du contrôleur et vérificateur général britannique publié en juin 2004 sur le PPP du métro de Londres, intitulé London Underground PPP : Were they good deals ? dans lequel on remet en question à peu près l’ensemble des éléments du PPP : la structure, le prix à payer pour l’appel d’offres, les coûts afférents au PPP lui-même et la prestation des services. … en passant par le Danemark Voici ce qu’on pouvait lire dans l’édition du 23 janvier 2001 du journal Basler Zeitung :

«Lorsqu’il y a six ans, ils ont enlevé le transport par bus à la DSB, la société publique de chemin de fer, les hommes politiques danois rêvaient de toucher le gros lot : ils espéraient un meilleur transport collectif, une concurrence accrue, des prix moins chers et un jour, quand on aurait vendu les actions de Combus, la société de bus nouvellement créée, une rentrée de fonds publics dans les caisses de l’État. Aujourd’hui, ils ont finalement bazardé Combus [à l’entreprise britannique Arriva, pour un prix dérisoire, ndlr]. Le ‘cas Combus’ est entré dans l’histoire danoise comme un cas d’école illustrant une privatisation qui s’est finalement révélée être un échec, car en plus de la débâcle financière, la lutte menée pour s’accaparer les lignes de bus a conduit une centaine d’entreprises de transport privées à la faillite. Les passagers ont perdu patience à la suite des grèves et des retards, les chauffeurs ont été mis sous pression par des horaires trop serrés, en sorte qu’ils n’avaient pratiquement plus le temps d’aller au petit endroit. Bien qu’il fût expressément déclaré lors de la création de Combus que la ligne d’État devrait fonctionner en se passant de fonds publics, ce fiasco a coûté jusqu’ici 150 millions de francs aux contribuables danois du fait que seules des injections de capitaux prélevés sur le budget de l’État ont empêché la faillite anticipée.» (p. 14)

… ou le «paradis» suédois Selon l’organisme suisse Litra, un service d’information pour les transports publics, le modèle suédois montre qu’il a obtenu au début des résultats positifs dans le domaine des chemins de fer — notamment grâce à d’importantes subventions gouvernementales — mais qu’au fur et à mesure, plusieurs critiques ont été assénées quant à la gestion et au contrôle. Par exemple, la société Sydvästen, après avoir exploité durant une brève période la ligne Göteborg-Malmö, a été forcée de constater qu’elle était dans l’impossibilité d’atteindre les objectifs visés. Après trois mois, la société accusait une perte de 30 millions de couronnes et déposait de ce fait son bilan en janvier 2000. L’exploitation a été reprise par les services publics. La société Citypendeln, en consortium avec Via-Cariane et Go Ahead obtenait en janvier 2000 le contrat d’exploitation d’un réseau desservant la banlieue de Stockholm. Le jour même de cette annonce, 80 conducteurs de locomotive ont remis leur avis de départ. Le système a donc commencé de manière fort chaotique et Citypendeln a dû concéder aux autres conducteurs des augmentations de salaire et payer des heures supplémentaires. Après ces difficultés initiales, Go Ahead s’est dès lors retirée du consortium13. 13 LITRA, Service d’information pour les transports publics, Les avantages offerts par des chemins de fer intégrés, argumentaire, 4 mai 2001, p. 35.

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Tout n’est donc pas toujours rose au sein du paradis suédois. On entend souvent louer le fait que dans le cas des autobus, le partenariat public-privé a été un succès en partie à cause de la diminution des coûts de 30%. Or la diminution des coûts est due à l’implantation d’un logiciel de planification des lignes d’autobus et des assignations appelé Hastus (de la compagnie Giro) qui a permis de rationaliser leurs activités. Ce qu’on omet de dire également c’est que ce logiciel a été développé au sein du système de transport en commun montréalais et qu’il y a déjà belle lurette que les sociétés de transport l’utilisent ici, avec pour résultat des économies qui ont déjà atteint leur pleine efficacité. Des entrepreneurs pas tout à fait fascinés Qu’il suffise de rappeler les propos de Jacques Lamarre, grand patron de SNC-Lavalin, partie au contrat de 99 ans de l’autoroute à péage 407 en Ontario qui a récemment fait couler beaucoup d’encre lorsqu’après avoir vu les tarifs augmenter de 200 % en 5 ans, le gouvernement ontarien a voulu rouvrir le contrat en recourant en vain aux tribunaux. L’affaire est en appel. Dans une entrevue à La Presse le 29 mars 2004, Jacques Lamarre déclarait ne pas aimer les partenariats public-privé. Parce que cela coûte cher à son entreprise, compte tenu des risques énormes à prévoir, compte tenu qu’il doit estimer pour le futur tous les revenus et tous les coûts d’opération. De loin, il disait préférer consacrer ses énergies à offrir ses conseils en ingénierie, même pour l’autoroute 30 où le gouvernement du Québec a indiqué son intention d’aller de l’avant en PPP. Et le gouvernement s’apprête à faire de même avec l’autoroute 25. Le président de l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec soutient pour sa part que les PPP pour la réfection des réseaux d’aqueducs et d’égouts entraîneraient des réductions de coûts assez marginales. Le journaliste Jean Thivierge résume ses propos : «Si l’entreprise privée doit assumer une partie ou la totalité de la charge financière des projets d’infrastructures, il n’y aura pas grands bénéfices pour le gouvernement, puisque le privé va lui refiler la facture du coût du financement qu’il assume.14» Le mémoire de la Société de transport de Montréal sur l’Agence des PPP du Québec affirme que la prudence doit être de mise car dans les projets à grande échelle, les PPP ne constituent pas une panacée. La STM partage ici l’opinion exprimée sur le sujet par l’Association du transport urbain du Québec.

«Le cas de Londres, régulièrement cité, est encore jeune et fait l’objet d’avis partagés. La complexité et les caractéristiques de l’activité peuvent être un frein à l’arrivée de nouveaux ‘acteurs’ ou exploitants. L’exemple de Melbourne en Australie du PPP conclu en 1999 est probant. Dès 2002, le gouvernement a dû renflouer les sociétés responsables. Contrairement aux allégations formulées par certains organismes [Institut économique de Montréal], la gestion d’un service de transport en commun par une entreprise publique ne signifie pas nécessairement un gage de contre-performance. Une récente étude américaine remet sérieusement en question cette idée préconçue.15»

14 Société Radio-Canada, Radio, lundi 13 septembre 2004, Bulletin national, 18 :00 HAE. 15 STM, Mémoire, op. cit, p. 7. Le mémoire fait référence à l’étude déjà mentionnée, An Examination of the Relationship Between Organizational Structure ant Transit Performance, mai 2003, pp. 8-9.

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Le Centre inter-universitaire de recherche en analyse des organisations, reconnu pour ses orientations pour le moins conservatrices, s’inquiète également. Dans un rapport publié en mars 2004 et intitulé Les partenariats public-privé : une option à découvrir, les auteurs signalent la difficulté de définir les coûts dans le secteur public et d’établir une comparaison et une analyse fiables :

«Une telle analyse n’est pourtant possible que lorsqu’on connaît effectivement les coûts réels de prestation de service, ce qui, malheureusement, est rarement le cas dans le secteur public. Ainsi, il sera extrêmement difficile non seulement de justifier avec confiance la pertinence d’un partenariat, mais aussi, par la suite, d’évaluer si la décision de former un partenariat était la bonne. Comment peut-on savoir si les coûts ont augmenté ou diminué si on ne connaît pas ce qu’ils étaient au départ ?16»

Le rapport souligne plusieurs ordres de difficultés liées au processus d’appel d’offres, au processus contractuel, aux définitions des responsabilités, des coûts, des services à livrer, de même que la nature des conflits éventuels (conflits de cultures, d’intérêts divergents des partenaires, etc.). Nous insistons sur une étude de cas : celui de la gestion déléguée, en Colombie-Britannique, des activités d’entretien et d’exploitation du réseau routier, introduite en 1988. Seize ans après son introduction, «il est difficile d’évaluer l’impact de la gestion déléguée de l’entretien et de l’exploitation [GDEE] sur les coûts d’opération.» (op. cit., p. 37)

«…il y a très peu d’études systématiques et rigoureuses qui ont été consacrées à cette question. […] Parmi les rares travaux qui ont tenté de mesurer l’évolution des coûts et l’impact de l’introduction de la GDEE en tenant compte des variables de contrôle habituelles, on retrouve l’étude de Burton et al. qui concluait que la GDEE avait augmenté les coûts [d’environ 4 % annuellement].» (idem, pp. 37-38)

Dans une étude d’opportunité préparée en 2000 par Samson, Bélair, Deloitte & Touche pour l’Association des propriétaires d’autobus du Québec et intitulée Vers un transport en commun plus compétitif pour la région de Montréal, les auteurs ont recensé des expériences de mise en concurrence au cours des 20 dernières années dans dix juridictions internationales, dont celle de la déréglementation/privatisation expérimentée au Royaume-Uni. Voici ce qu’on en dit :

«Les résultats de la mise en concurrence via la déréglementation/privatisation tel qu’expérimenté au Royaume-Uni se sont avérés décevants étant donné une baisse sensible du niveau de l’achalandage (…) Les principales raisons ayant causé la baisse de l’achalandage proviennent de l’augmentation des tarifs imposés par les entreprises privées, la mauvaise intégration des systèmes et le manque de coordination des services.» (p. ii)

Et bien que l’étude en question ait retenu comme modèle une certaine mise en concurrence sous contrôle public, il n’en reste pas moins qu’elle conclut :

«Même si l’exploitation quotidienne des réseaux de transport en commun peut être graduellement transférée au secteur privé, le transport en commun doit demeurer un service public sous la gouverne des représentants de la population car les bénéfices qu’il procure à

16 AUBERT A., Benoît et PATRY, Michel , Rapport Bourgogne, Les partenariats public-privé : une option à découvrir, CIRANO, mars 2004, p. 21.

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la société dépassent largement les avantages directs qu’en retirent les usagers et les exploitants. C’est pourquoi les grandes orientations du transport en commun doivent continuer à s’élaborer dans une perspective plus large que la simple rentabilité commerciale et qu’il doit continuer d’être soutenu par les pouvoirs et les fonds publics.» (p. vi)

On ne saurait terminer cette section sans rappeler le programme de recherche IMEC (International Program on the Management of engineering & Construction) financé par la Banque Interaméricaine, Cofiroute, PMI International, SNC-Lavallin, Norsk0Hydro, PS2000, Norway, EDF, Hydro-Québec et CAE. Ce programme, étalé sur six ans, a permis d’étudier en détail 60 grands projets, «de l’autoroute 407 en Ontario à la centrale hydroélectrique de Igarapava au Brésil, en passant par le ‘Elevated Railway Transit System’ de Bangkok», projets qui «sont inévitablement des partenariats public-privé». En septembre 2002, dans un compte-rendu du programme en question, les auteurs s’étonnent de «l’incroyable taux d’échecs de ces grands projets… En effet, près de 40 % des projets sont des échecs (projets abandonnés, nationalisés ou importantes pertes financières pour l’opérateur privé).»17 En bref, l’unanimité est loin d’être faite parmi le milieu des affaires, celui des chercheurs et celui des différentes associations d’intérêt public. En fait, l’examen de nombreuses expériences étrangères et les débats qui ont actuellement cours dans plusieurs pays nous portent à croire que les PPP soulèvent tellement de questions et de problèmes qu’il y a lieu d’en débattre collectivement avant de procéder à quelque initiative en ce sens. Nous ne pouvons d’aucune manière donner notre aval à l’orientation prise par le gouvernement. CINQUIÈME PARTIE : LES RISQUES INHÉRENTS AUX PPP Permettez-nous de rappeler la nature des préoccupations particulières qui nous habitent face aux partenariats public-privé18. Considérations économiques 1. Nous sommes loin de partager l’idée que les PPP entraînent des économies pour le secteur

public. 2. Nous nous inquiétons du gonflement graduel des coûts en cours de contrat, de

l’accumulation de dettes et des éventuelles déclarations de faillite.

17 Voir le site de l’Institut pour le partenariat public-privé : http://www.ippp.org/activities/InfraStruc.html. 18 Pour un exposé plus exhaustif de la position de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec et de ses affiliés, voir le Mémoire de la FTQ sur le projet de loi 61 sur l’Agence des partenariats public-privé, déposé à la Commission des finances publiques en septembre 2004. http.//ftq.qc.ca. Nous reproduisons dans cette section certains extraits de ce mémoire ainsi que quelques exemples afin d’illustrer nos propos.

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3. Nous partageons l’analyse du groupe CIRANO citée plus tôt selon laquelle il est extrêmement difficile d’effectuer des comparaisons fiables entre secteurs public et privé.

4. Le partage de risque est un élément-clé que les gouvernements citent abondamment à

l’appui des PPP. À la lecture de la littérature, il appert qu’il est également difficile d’identifier les risques en question et les coûts qui leur sont associés. Ajoutons à cela que plusieurs expériences ont démontré qu’à chaque difficulté rencontrée, c’est le secteur public qui, finalement, couvrait les risques.

Même l’Institut économique de Montréal le reconnaît… ! Du côté des inconvénients, le coût direct du capital pour une société privée est généralement supérieur à celui qu’encourt l’État. La complexité du PPP sur le plan contractuel et la rareté d’expertise dans ce domaine limitent le nombre de joueurs aptes à se concurrencer. De plus, dans la mesure où les gouvernements restent imputables aux yeux de la population, il se peut qu’ils doivent intervenir pour réparer d’éventuels pots cassés, malgré les responsabilités contractuelles du partenaire privé.»

Institut économique de Montréal, Les notes économiques, septembre 2003, p. 4.

5. Les taux d’actualisation, qui permettent de ramener au temps zéro l’ensemble des dépenses

et des recettes à survenir sur la durée d’un PPP reposent sur des hypothèses pouvant favoriser arbitrairement le PPP. Des simulations ont démontré qu’une simple baisse de 0,5 % du taux d’actualisation de 6 % utilisé en Grande-Bretagne en l’an 2000, réduisait à néant le supposé avantage économique des PPP19.

6. Contrairement au financement public, le financement privé n’apparaît pas aux comptes

publics même si, dans les faits, il s’agit d’emprunts que les gouvernements s’engagent à rembourser, soit par des versements annuels, soit par le rachat au terme des contrats. Il s’agit expressément d’engagements financiers qui seront assumés un jour ou l’autre par les contribuables.

Considérations éthiques 7. Les grandes entreprises de vérification comptable et de conseils financiers sont souvent

juge et partie. Elles peuvent être à la fois vérificateurs des deux partenaires, public et privé, rendant pour le moins délicates les opérations d’arbitrage. Elles peuvent aussi conseiller simultanément les entreprises intéressées par un partenariat et les autorités publiques concernées. Elles peuvent être appelées à jouer un rôle de premier plan dans les opérations de refinancement, cherchant alors à tirer des profits extraordinaires pour leurs clientes privées. Elles peuvent aussi, tout simplement, être des spécialistes de la privatisation20.

19 Voir le rapport de l’organisme français «Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques», Comprendre les pratiques européennes – le développement de la procédure PPP/PFI en Grande-Bretagne, novembre 2003, p. 53. 20 En 1999, PriceWaterhouseCoopers (PWC) avait jusque là assumé la responsabilité de projets de privatisation d’une valeur de 33 milliards de dollars. L’année suivante, elle ajoutait 7,6 milliards à son bilan et se décrivait elle-même comme le principal agent de privatisation au monde, agissant dans ce domaine plus que tout autre, des

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Comment fermer les yeux sur le fait que ces entreprises tirent principalement leurs profits auprès de l’entreprise privée ? Cela soulève pour le moins, et c’est un euphémisme, l’assurance de conflits d’intérêts.

8. Le coût et la longueur des procédures sont aussi sujet d’inquiétudes. Les contrats eux-

mêmes sont d’une complexité telle qu’il faut embaucher des professionnels chargés de les vérifier et de les valider.

Incroyable, mais vrai ! Les experts britanniques en transport ont été pour ainsi dire unanimes à dire que le contrat PPP du métro de Londres était inexécutable et d’une complexité byzantine. D’un coût de 400 millions de ₤, ce contrat comprend 135 volumes, totalisant 28 000 pages21 !

Une fois prise la décision de conclure un contrat, les discussions entourant la taille, le coût, l’architecture ainsi que la nature des travaux et des services touchés se font derrière des portes closes. On aura beau parler de «transparence», les diverses expériences montrent le contraire. Plusieurs des paragraphes des documents rendus publics sont frappés du sceau du «secret commercial». Un contrat relevant naturellement du droit privé, personne n’a de recours pour forcer la transparence et l’accès à l’information.

9. On peut se questionner sur la légitimité pour un gouvernement d’engager l’État sur des

financements publics lourds avec des engagements contractuels de longue durée, de 30 ans par exemple. Les dépenses publiques à venir sont largement compromises de même que les marges de manœuvre et les possibilités, pour les futurs gouvernements, de fixer d’autres priorités. De plus, les autorités publiques ne pourront échapper à une perte certaine d’expertise pendant la durée des contrats, les conduisant tout droit dans une position de faiblesse grandissante vis-à-vis l’entreprise privée.

10. Contrairement au plaidoyer qui voudrait que les PPP stimulent la concurrence, on peut

penser a contrario que l’ensemble du processus pourrait conduire à une diminution importante de la concurrence du fait d’une monopolisation croissante de l’économie, au détriment de l’économie locale et régionale. L’examen des expériences étrangères laisse croire effectivement que c’est du pouvoir des grandes multinationales qu’il est question et en bout de ligne, de leur suprématie autant sur les pouvoirs publics que sur l’économie locale et régionale.

11. Le recours aux véhicules à vocation spéciale (création d’une entreprise unique aux fins de

l’appel d’offres), aux reventes sur le marché secondaire (fonds d’investissement) et au refinancement est effectué sans aucune référence à l’intérêt public et aux impacts éventuels sur les services publics. Les investisseurs en bourse, d’ailleurs, n’ont publiquement aucun compte à rendre. Contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, il n’y a, derrière les

industries d’exploitation de richesses naturelles jusqu’aux services, le transport public, la santé et l’éducation. (Voir UNISON, A web of private interest, op. cit. 21 UNISON, PFI : Against the public interest, juillet 2004.

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mécanismes sous-jacents aux PPP, aucune motivation envers la prestation des services publics et leur amélioration. Tout n’est question que d’intérêts financiers.

Entendu à BBC, la radio publique britannique «Le président du Forum sur les partenariats public-privé, David Metter, dont la propre entreprise (Innisfree) vient d’acquérir d’importantes parts dans plus de 20 écoles, affirme que le marché des PFI [une variante des PPP] est un marché comme n’importe quel autre et que les investisseurs y sont libres d’y faire leurs propres profits. ‘Les actifs en cause ne sont pas des actifs publics, de dire M. Metter, ils ont été concédés au secteur privé pour la durée des contrats. Alors, durant cette période de concession, c’est le secteur privé qui est le véritable propriétaire de l’école ou de l’hôpital.’»22 [Notre traduction et nos soulignés.]

Considérations sociales 12. Les raisons d’une participation du secteur privé dans les PPP demeurent exclusivement

financières. La seule motivation d’une entreprise privée réside dans la perspective de réalisation de profits intéressants. C’est pour cette raison qu’on a vu certaines entreprises impliquées dans les PPP manifester fort peu d’intérêt pour des activités non rentables, comme la sécurité des trains, par exemple, ou la qualité des repas en cafétérias et de l’entretien ménager, ou encore de la qualité de l’eau potable. Par exemple, selon le ministre britannique de la Santé, il y aurait eu, de 1997 à 2003, au moins 57 cas où la qualité des services de nettoyage privé rendus au réseau de la santé est tombée au point où on a dû imposer de lourdes pénalités et résilier 14 contrats23.

13. On compte aussi plusieurs cas de construction mal planifiée (locaux isolés par des murs de

verre sans climatisation d’air), d’équipements défectueux entraînant des pannes de courant, d’achats de joints de plastique bon marché en deçà des normes, provoquant des fuites d’eaux et d’autres dégâts, etc.

Construction, démolition, reconstruction : un processus lucratif Un des cas les plus criants vient d’être révélé en France, où l’hôpital flambant neuf Jean-Mermoz de Lyon va être livré à la démolition, après avoir constitué l’un des projets privés les plus ambitieux du pays. Pourquoi ? Parce qu’on a constaté une série de graves défectuosités : piliers de travers, fissures, poutres de béton mal coulées etc., tant et si bien qu’on craignait rien de moins qu’un effondrement. Cette décision a été prise peu après l’effondrement du terminal 2-E à Charles-De-Gaulle, réalisé en PPP. Un appel d’offres pour des travaux de démolition en PPP est maintenant en cours… en attendant un projet de reconstruction… en PPP !

22 Wolmar, Christian, Down the Tube, Éditions Aurum, Royaume-Uni, 246 pp., 2002. Voir le site Internet de l’auteur. C. Wolmar, qui a été journaliste à The Independent de 1989 à 1997, est aujourd’hui un commentateur spécialisé dans les questions relatives au transport. 23 Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques, op. cit., p. 62

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14. La santé et la sécurité de la population sont en jeu. Le cas du rail britannique montre qu’on s’est moqué honteusement de la sécurité publique. Au moins 6 accidents graves ont eu lieu depuis 1997, faisant 60 morts et plusieurs centaines de blessés. Ces accidents ont mis en évidence de graves problèmes dans les systèmes et les procédures de sécurité (signalisation et gestion de la circulation) dans le cas des deux premiers accidents, et dans l’entretien des voies qui, avec l’accident de Hatfield, ont montré leur état désastreux.

15. Des hausses substantielles de tarification ont eu un impact non négligeable sur

l’accessibilité aux services d’utilité publique. Tous les analystes, sans exception et y compris ceux de la Banque Mondiale reconnaissent que sans réglementation appropriée, il y a lieu de croire que les PPP entraîneront une augmentation de la tarification.

À double prix : à la fois à titre de contribuable et d’usager «Nombre de projets de transport exigent des investissements importants de capitaux, et certaines initiatives de partenariat public-privé peuvent comporter des frais d’utilisation qui permettent de récupérer, partiellement ou en totalité, les coûts du projet (construction, financement, exploitation). […] Cependant, la notion d’utilisateur payer représente un défi au Québec, car les utilisateurs tiennent généralement pour acquis que les infrastructures routières et leur entretien devraient être gratuits.»

Institut pour le partenariat public-privé, Le partenariat public-privé dans le secteur des transports, une avenue à emprunter, Montréal, 2003, p. 2

L’absence de réglementation est presque une condition d’adhésion de l’entreprise privée aux projets de partenariats public-privé. Comment une entreprise pourrait-elle être attirée par un PPP sans intérêt financier jugé suffisant ?

Plus près de nous, des hausses de 200 % Plus près de nous également, en Ontario, le Premier ministre Harris, en 1999, annonçait que la construction de la nouvelle autoroute 407, un tronçon de 108 kilomètres à péage, impliquerait des hausses de tarifs couvrant le coût de la vie plus 2 % annuellement. Faute de réglementation tarifaire, l’entrepreneur s’en est donné à cœur joie. En cinq ans, les droits de péage ont bondi de 200 %. Comme on l’a vu plus haut, cette situation a mené le gouvernement ontarien à des recours juridiques… Non seulement la congestion des autoroutes avoisinantes n’a pas été réduite (ce qui faisait l’objet du contrat) mais encore, les plaintes se sont multipliées à l’égard des hausses effarantes de tarifs et du dysfonctionnement du système électronique de perception. Le gouvernement McGuinty en appelle aux tribunaux d’un jugement arbitral qui vient d’accorder au consortium privé le droit de hausser les frais de péages sans autorisation aucune de la province, … pour la durée du contrat, soit 99 ans! Cette situation vient même d’envenimer les relations diplomatiques entre le Canada et l’Espagne d’une part, le gouvernement espagnol soutenant l’entreprise espagnole Grupo Ferrovial SA, partie au contrat pour près des deux tiers, et entre l’Union européenne et le Canada d’autre part, sur un nouvel accord commercial24.

24 Globe and Mail, 12 août 2004.

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Considérations syndicales 16. Avec les PPP, la certitude d’une suppression d’un grand nombre d’emplois du secteur

public et d’un transfert d’emplois vers le secteur privé est manifeste.

Le recours aux PPP pose en soi la question du maintien et de la protection des conditions de travail. Là où ils ont été interpellés, les syndicats sont intervenus dès le départ sur la question des conditions d’emploi des salariés des nouveaux employeurs impliqués dans les PPP qui ont un intérêt très vif pour économiser les coûts de main-d’œuvre et par conséquent, pour favoriser le nivellement vers le bas des conditions de travail.

Dans la politique-cadre des PPP de la ministre Jérôme-Forget, nous pouvons lire que le gouvernement «reconnaît l’importance de la contribution du personnel du secteur public. Ainsi, les organismes publics doivent voir à ce que les employés du secteur public qui acceptent de travailler pour les partenaires privés se voient offrir des conditions d’emploi au moins équivalentes à celles offertes par le secteur public.» Une telle affirmation nous inquiète. Tout d’abord, elle soulève la question du transfert des employés du secteur public vers le secteur privé (l’acceptation de travailler pour les partenaires privés) et donc de l’application de l’article 45 du Code du travail. Ensuite, se voir offrir des conditions d’emploi équivalentes ouvre la porte à tous les abus. Enfin, il n’est question que des employés qui sont en place; qu’en sera-t-il des nouvelles embauches du côté du partenaire privé ? L’opinion de l’Institut économique de Montréal indique à la ministre quelle tangente adopter :

«L’instauration de ce nouveau modèle de gestion déléguée avec mise en concurrence [dans le secteur du transport public] peut se faire sans forcément remettre en question les conditions de travail des salariés en place. Les autorités organisatrices pourraient soumissionner une partie croissante du réseau de transport public (en fonction des départs à la retraite), que ce soit pour l’exploitation des autobus et/ou du métro. Par exemple, 30 % des effectifs de la STM et 43 % de ses cadres d’exploitation seront admissibles à la retraite d’ici 2006. Au lieu de procéder à de nouvelles embauches pour son compte qui lui coûteront environ 1 million $ en formation, la STM laisserait les opérateurs engager et former leurs propres employés. […] En effet, la réduction des coûts d’exploitation permettra d’améliorer et d’augmenter le service, et de créer finalement plus d’emplois.25»

Encore une fois, l’inspirante expérience britannique fourmille d’exemples. Dans le cas des chemins de fer, par exemple, la situation a été on ne peut plus claire : la politique de l’entreprise a été complètement réorientée. La tradition d’une négociation nationale uniformisant les conditions de travail dont les congés payés, la protection sociale, le régime de retraite, etc. a volé en éclats. Certains groupes de salariés se sont vu «offrir des

25 Institut économique de Montréal, Des voies de solution pour un renouveau du transport public, Les notes économiques, août 2004, p. 4. Il s’agit de nos soulignés.

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conditions équivalentes», par le biais d’augmentations salariales substantielles mais par la disparition de leur régime de retraite ! Malgré la législation en faveur du maintien des conditions de travail, les cas sont nombreux où on observe une détérioration de ces dernières (diminution de taux de base, accroissement des heures de travail, réduction des semaines de vacances et des journées fériées, dégradation des conditions prévues aux régimes d’assurances collectives et de retraite). À cet égard, le cas des prisons britanniques, souvent cité en exemple de succès des PPP, en est un26.

CONCLUSION Nous avons voulu montrer dans ces quelques pages l’importance du système de transport en commun pour l’ensemble de la société québécoise et dans toutes ses dimensions, économique, environnementale et sociale. Nous croyons fermement que le gouvernement du Québec doit porter au nombre de ses priorités celle du maintien, de l’amélioration et du développement du transport collectif public. L’ensemble des intervenants, y inclus le gouvernement du Québec, sont cependant d’accord pour dire que le problème de sous-financement chronique auquel fait face le secteur du transport public est un obstacle de taille dans l’atteinte de ces objectifs. Mais contrairement au gouvernement du Québec, qui entend recourir aux PPP et à la délégation des activités d’entretien et d’exploitation du système de transport, nous croyons que le problème n’en est pas un d’entretien et d’exploitation — la performance du Québec à cet égard est reconnue internationalement —. Il s’agit plutôt de mettre en place une véritable politique publique du transport, appuyée de moyens financiers adéquats, stables et durables. Nous avons évoqué, dans la troisième partie de ce texte, la possibilité d’une série de nouvelles sources de financement qui méritent à notre sens d’être portées à votre attention. Connaissant par ailleurs, votre préjugé favorable aux PPP, nous ne pouvions nous permettre de passer sous silence le fait que pour nous, les PPP représentent une voie dangereuse et inadéquate. Vous ayant soumis en octobre 2004 un mémoire à l’occasion des consultations sur la création de l’Agence des partenariats public-privé, nous nous sommes permis d’y puiser de nombreux arguments ainsi que certaines illustrations les étayant. Ceci dit, nous vous assurons que nous serions heureux de participer à un débat public et démocratique sur cette question. 22 mars 2005

26 Voir le rapport du «think tank» Catalyst intitulé Paying the Cost of Public Private Partnerships and the public service workforce : http://www.catalystforum.org.uk/pubs/paper23.html.