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Awany, Alaa El - Chroniques de La Revolution Egyptienne

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Awany, Alaa El - Chroniques de La Revolution Egyptienne

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LEPOINTDEVUEDESÉDITEURS

Lescinquantechroniquesréuniesdanscelivresontdesinstantanésdelaréalité,elles s’emparent d’une anecdote ou d’un fait divers, développent uneargumentationetfinissenttoujoursparconclure:“Ladémocratieestlasolution.”Elles constituent un document exceptionnel sur l’état de l’Egypte d’avant larévolution, et sur les tensions, contradictions et difficultés qui subsistentaujourd’huiencore,plusieursmoisaprèslesévénements.

Rigoureuxdanssesanalyses,pédagoguedanssesprisesdepositionetopiniâtredans son combat pour une vraie démocratie à construire, le plus célèbre desécrivains égyptiens contemporains fustige tour à tour un régime corrompu, ledélitementde la justice, l’indigencedes structureshospitalières, la torture et lesexactions de la sécurité d’Etat, les manoeuvres visant à une transmissionhéréditaire du pouvoir, l’inégalité des droits octroyés aux femmes, la haine desdifférences religieuses, les fausses interprétations de l’islam et, en ce momentmême, la persistante présence des hommes de l’ancien régime dans bien desrouagesdel’Etat.

CommelerappelledanssapréfaceGillesGauthier,sontraducteur,silesgrandsromansd’AlaaElAswanyamenaientàcomprendrelanécessitéd’unerévolutionpour l’Egypte,ceschroniquesmontrenttoute l’étenduedesrisquesqu’ilaprisetcontinue de prendre, désignant entre dictature et dérives doctrinales une voiejusteetexigeante,àlaquelleilseconsacreavecuneinébranlabledétermination.

ALAAELASWANY

Néen1957,AlaaElAswanyexercelemétierdedentistedanslecentreduCaire.SonromanL’ImmeubleYacoubian,portéàl’écranparMarwanHamedetpubliéenFrance parActes Sud (2006 ; Babel no 843), est devenu un phénomène éditorialinternational. Depuis le 25 janvier 2011, il est l’un des principaux relais de larévolutionégyptienneauprèsdesmédiasfrançais.

DUMÊMEAUTEUR

L’IMMEUBLEYACOUBIAN,ActesSud,2006;Babelno843,2007.

CHICAGO,ActesSud,2007;Babelno941,2008.

J’AURAISVOULUÊTREÉGYPTIEN,ActesSud,2009;Babelno1004,2010.

Titreoriginal:

OntheStateofEgypt

©AlaaElAswany,2011

©ACTESSUD,2011

pourlatraductionfrançaise

ISBN978-2-330-00481-1

ALAAELASWANY

Chroniques

delarévolution

égyptienne

Traduitdel’arabe(Egypte)etpréfacéparGillesGauthier

ACTESSUD

PRÉFACE

“LaDémocratieestlasolution”

C’estparcettephrasequeAlaaElAswanyterminechacundesarticlesregroupésdanscerecueil,àl’exceptiondesplusanciens,rédigésavantqu’iln’aitadoptécecrideguerreenréactionà“l’islamestlasolution”quiservaitjusqu’iciàlafoisdesloganàl’oppositionreligieuseetdefacileépouvantailàladictature.

Car c’est bien d’une guerre qu’il s’agit, menée sur deux fronts qui, pourl’écrivain,seconfondent:celuid’unrégimeenplacedepuistrenteansquitentedeseperpétuerparlatransmissionhéréditairedupouvoirduprésidentMoubarakàson fils Gamal, et celui des partisans d’une lecture extrémiste de l’islam,grassement soudoyés par l’argent du pétrole, et finalement solidaires de ladictature.

Alaa El Aswani est un écrivain que nous connaissons bien, maintenant, enFrance, à travers ses trois livres publiés par Actes Sud : L’Immeuble Yacoubian,Chicago et J’aurais voulu être égyptien qui, à travers des personnages aussiattachants que s’ils étaient réels, peignent un tableau chaleureux, émouvant,contrasté d’une société égyptienne au bord du gouffre. On y trouve tous lesingrédientsquidoiventmeneràunecatastrophefinale:l’injustice,lacorruption,lafraudeélectorale,larépressionpolicière,latorture,l’extrémismeislamiste,l’exilet,enarrièrefond, lointain,omniprésent, leGrand-Homme.Pour laplupart,cettesituationapparaissaitdésespéranteetsansissue.C’étaitaussil’avisdenombreuxobservateursdelaréalitéégyptienne.

Mais,AlaaElAswanyn’estpas seulementunécrivain, c’est aussiunmilitantpolitique. Bienque ce soit dans cettemême réalitéque trouvent leur source sonécritureromanesqueetsonengagementpolitique, ilrefusequel’onconfondelesdeuxregistres.Aucunpersonnagedesesromansneparlepourlui.C’estàtraverssonadhésionauxmouvementsd’opposition,saparticipationauxmanifestations,ses conférences, ses débats télévisés, son séminaire du mercredi soir, sesinterviews, et surtout ses tribunes régulières dans la presse, qu’il s’exprime etqu’ilparticipeactivement,courageusement,aucombatpourladémocratie.

Centquatre-vingt-troisarticlesparusdanslapresseégyptienne(pourl’essentieldans les quotidiens Shorouk et El Masri El Yom) au cours des trois dernièresannéesquiontprécédé larévolutionontétéregroupésentroisvolumesdiffusésen languearabe, en2010 et 2011, par lamaisond’éditionDar el Shorouk.Onyretrouve la prose claire, précise, pleine d’humour et de tendresse à laquelle

l’écrivain nous avait habitués dans ses romans et dans ses nouvelles. Maiss’ajoute ici le fil tranchant d’une lame.Cethommesi jovial, si compréhensif, siplein d’empathie avec les autres, semontre inflexible, inexorable dès qu’il s’enprend aux forces qui oppriment son pays. Même s’il y martèle chaque fois lesmêmesvérités,lalecturedecestextesn’estjamaisennuyeuse,carc’estdelaterred’Egypte, de la vie et dans l’histoire de son peuple qu’il les fait jaillir. Presquetoujours,celacommenceparuneanecdote,parunconte,parlerécitd’unrêve,parune rencontre et, ce que l’on a sous les yeux, ce n’est pas de la phraséologiepolitique,maisunevisionpanoramiqued’unpaysauborddel’explosion.

Les quarante-cinq articles qui ont été jugés les plus représentatifs font l’objetprincipaldecettetraduction.Ilsontétéclassésentroisgrandescatégories.Ceuxde la première, sous le titre de “La Présidence et la succession” traduisentl’impassepolitiqueàlaquelleenétaitarrivéel’Egypte,avecsesélectionsdeplusenplus frauduleuses accompagnées de la volonté du président Moubarak detransmettrelepouvoiràsonfilsGamal.AlaaElAswanylutteactivementcontrelatransmissionhéréditairedupouvoir,dontilmontrelefonctionnementabsurde,etencourage la campagne conduite par l’ancien directeur de l’Agence nucléaireinternationale Mohamed El Baradei. Il appelle à une mobilisation pacifique degrandeampleurpourchasserlerégimeenplace.

Ladeuxièmepartie,sousletitre“Lepeupleetlajusticesociale”évoquelesmauxdontsouffrelasociétéégyptienne:d’abord, lapauvreté, leméprisdupeuplequecesoitdans lescommissariatsdepolice,dans leshôpitaux,oudans touteautreadministration, ensuite l’extrémisme religieux avec les conséquences directes etindirectes que cet extrémismea pour les femmes, et pour laminorité religieusecopte. Ces femmes, de plus en plus couvertes de tissus visant à les cacher auxregards,Alaaproclamequ’ellessont,entout,leségalesdeshommesetquelaluttepour cette égalité est un des éléments essentiels de la lutte pour la démocratie.Quant aux coptes, victimes du fanatisme autant que des pratiques sectaires durégime,Alaalesappelleànepascéderàlatentationcommunautaire,maisàlutterauprès de leurs compatriotes musulmans pour libérer l’Egypte de toutes lesoppressionsetde toutes lesdiscriminations.PourAlaaElAswany, l’extrémismereligieux est sansdoute fils de la pauvreté, de l’humiliation et de la frustration,mais il est aussi largement financé par l’argent du pétrole saoudien, avec lacomplicitédurégimeégyptien.

Lesmauxdontsouffrel’Egypteontfinalementtousleursourceprincipaledansle système politique qui sévit dans le pays. La troisième partie, sous le titre“Libertédeparoleet répressionpolitique”, regroupeplusieurs textesconsacrésàlarépressionpolicière.Cettepartieconclutsurlanécessitéd’unchangementtotald’unrégimeincapabledeseréformeretplongeantlepaysdanslamédiocrité.Lalibertéetladémocratiesontindispensablesàlarenaissancedel’Egypte.

Mêmeceuxqui connaissentde longuedateAlaaElAswany,quiadmirentsoncourage,sonentêtementcalmeetpoliàdéfendrelesvaleursauxquellesilcroit,nepeuventpass’empêcherdes’étonnerdel’extraordinaireclairvoyancedontilafait

preuve–presqueseulcontretous–dansladescriptiondel’étatsocialetpolitiquedel’Egypte.Silesromansqu’ilécrivaitàlamêmeépoquesemblaientmontrerunesituationsansissue,lesarticlesdel’hommed’actionseterminaienttoussurunenoteoptimiste:l’annoncedel’avènementinéluctableduchangementsouhaité.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Pas un jour, depuis l’abdication du présidentMoubarak,AlaaElAswanyn’acessédelutterpourquelarévolutionsepoursuivejusqu’àsonterme.IlcontinueàécrirechaquemardidanslequotidienElMasriElYom,toujourssansconcessioncontrelatentativededévoiementquiestencours.Ilestinquiet,vigilant,maisnecessepaspourautantd’êtrepersuadéquel’EgypteserabientôtunEtatdémocratique.

C’est pourquoi, à tous – auteur, éditeur et traducteur – il nous a sembléindispensabled’ajouterànotresélectioninitialecinqarticlespubliésaucoursdecesderniersmois.Lasituationqu’ilsdécriventest,àbiendeségards,inquiétante.Le vieux régimen’est pasmort avec le départ dudictateur et de ses principauxséides. Il y a des hauts et des bas. Le peuple uni, toutes tendances confondues,s’est divisé. Des alliances inquiétantes se dessinent. Certains sont pris delassitude… il faut sans cesse ranimer la flamme et parfois le peuple enmasseredescend dans la rue. Le pouvoir intérimaire, en grande partie constituéd’élémentsanciens,estencoremalinstallé.Ilrecule,tergiverse,serebiffe.Onadesincertitudessurcequeseralaconstitution,desinquiétudessurlafaçondontvontsepasserlesélections,maisunechoserestecertaine,c’estque“ladémocratieestlasolution”.

GillesGauthier

INTRODUCTION

PourquoilesEgyptiensnesesoulèvent-ilspas?!

C’étaitlaquestionquirevenaitsanscesseaussibienenEgyptequ’àl’étranger.Touteslesconditionsd’unerévolutionsetrouvaientpourtantréunies:celafaisaittrente ans que Hosni Moubarak accaparait le pouvoir à coups de référendumstruqués et il préparaitmaintenant l’accession au pouvoir de son fils Gamal. Lacorruption dans les milieux gouvernementaux atteignait des niveaux jamaisconnusdans l’histoirede l’Egypte.Unpetit grouped’hommesd’affaires,pour laplupart amis de Gamal Moubarak, régnait arbitrairement, et dans leur intérêtexclusif, sur l’économiedupays.Avecmoinsdedeuxdollarspar jour, quarantemillionsd’Egyptiens–lamoitiédelapopulation–vivaientau-dessousduseuildepauvreté. Dans tous les domaines, depuis la santé et l’éducation jusqu’àl’économie et la politique extérieure, l’Egypte s’effondrait. Un petit nombre deriches vivaient comme des rois dans leurs palais et leurs jardins secrets etvoyageaientenavionprivépendantquelespauvres, incapablesdesubvenirauxbesoinsdeleursfamilles,sesuicidaientoumouraientdansdesbousculadesàlarecherchedepain bonmarchéoude bouteilles de gaz.Un gigantesque appareilpoliciercoûtantdesmilliardsconstituaitlepiresystèmederépressionaumonde.Desgensétaientquotidiennementtorturésdansleslocauxdelapoliceetsouventon violait sous leurs yeux leurs femmes ou leurs filles pour que des hommesreconnaissentdescrimesque,laplupartdutemps,ilsn’avaientpascommis.

Pourquoi donc les Egyptiens ne se soulevaient-ils pas contre toutes cesiniquités?

Acelailyavaitengrostroisfaçonsderépondre:

Certains considéraient que la longue répression subie par les Egyptiens leuravaitlaisséunhéritagedelâchetéetdesoumissiontelque–quoiqu’ilarrive–ilsnesesoulèveraientjamais.

D’autres admettaient qu’une révolution était plausible,mais que denombreuxfacteurs retardaient sa venue ; en premier lieu, la force de la répression etl’absence d’une organisation capable de conduire les masses. Les Egyptiensétaient exclusivementpréoccupéspar leur painquotidien et par la recherchedesolutions individuelles à la crise. Avec l’accentuation de la répression et de lapauvreté, beaucoup avaient choisi l’exil, qu’il soit géographique ou historique.Certainss’étaientexilésgéographiquementverslesEtatspétroliersduGolfepourytravailler,dansdesconditionsgénéralementhumiliantes,etenétaientrevenusavecdequois’assurerunevieacceptable.Lesautresavaientchoisideseréfugierdansl’histoire :ceux-làs’accrochaientaupasséetvivaientenimaginationdans

ce qu’ils considéraient comme l’âge d’or de l’islam. Ils portaient des tuniquesblanchesetselaissaientpousserlabarbe.Ilss’étaientdonnélenomd’“ancêtres”et fuyaient dans les gloires du passé la dure réalité. Financée par des fondssaoudiens et avec la bénédiction du régime égyptien, cette interprétationwahhabite1 de l’islam, qui ordonne au musulman l’obéissance à celui quigouverne,aussioppressifetcorrompusoit-il,avaitconnuunefortediffusion.

Pourlespartisansdecetteexplication,touscesélémentséloignaientlemomentoùunerévolutionpourraitéclaterenEgypte.

D’autresencore–dontjefaisaispartie–postulaientquelesEgyptiensn’étaientpasmoinsenclinsaux révolutionsque lesautrespeuples,qu’aucontraire ilsenavaient plus accompli au cours du XXe siècle que certains peuples occidentaux,maisqu’ilsavaientcetteparticularitéd’êtremoinsportésqu’euxà laviolenceetplus favorables aux solutions médianes. Les Egyptiens étaient un vieux peupledont l’histoire s’étendait sur cinq mille ans et, par conséquent, adoucis de lasagesse des vieillards, ils se tenaient, dans lamesure du possible, à l’écart desproblèmespour se contenterdevivreetd’élever leursenfants.Cen’étaitqu’unefoisconvaincusquelessolutionsmédianesn’étaientpaspossiblesqu’ilsavaientrecours à la révolution. Le peuple égyptien était comme le chameau. Il pouvaitsupporterlescoups,leshumiliationsetlafaimpendantunelonguepériode,maislorsqu’ilserévoltait,c’étaitd’unefaçonsoudaineetavecuneforceirrépressible.

J’étais convaincu que la révolution approchait, qu’elle était imminente, et jen’étais pas d’accord avec de nombreux amis égyptiens et occidentaux quim’accusaient d’un optimisme impénitent et d’un romantismeplanant loin de laréalité.

Pasunseuljourjen’aicesséd’avoirfoidanslepeuple.Rienpourtantnevenaitétayercetteconfiance.Lesmouvementsprotestataires,quineréunissaientqu’unnombretrèsfaibledeparticipants,n’avaientquepeud’impact,cequiencourageaitlesresponsablesdurégimeàprendretoujoursplusdemesuresvisantàdécuplerleursfortunesaudétrimentdelapopulation.Lerégimefaisaitcequ’ilvoulaitdesEgyptiens… et il chargeait son gigantesque appareil de sécurité d’écraser lesopposants.

Je me souviens d’avoir rencontré, dans un dîner au domicile d’un ami, leprécédent ministre des Finances, qui venait d’adopter des dispositions fiscalesaugmentantlessouffrancesdespauvres.Undesparticipantsluiavaitdemandé:

—Necraignez-vouspasquelepeupleserévolte?

Leministreavaitréponduenriant:

— Il n’y a pas de danger. Ici, en Egypte, nous ne sommes pas en Grande-Bretagne.NousavonsdressélesEgyptiensàtoutaccepter.

Du président Moubarak jusqu’au plus petit responsable, c’était cette visionhautaine, pleine demépris pour leur peuple qui dominait dans le discours desresponsablesdurégime.

Lorsque, dans ces conditions, j’avais lu sur Internet l’appel aux internautes àmanifester le25 janvier2011, jen’yavaispasprêtébeaucoupd’attention. Jemedisais :celavaêtreunepetitemanifestationcommelesautresquinedépasserapaslestroiscentsouquatrecentspersonnes,entouréesdemilliersdepoliciersdela Sécurité centrale qui les empêcheront de bouger. Le matin du 25 janvier, jem’étais réveillé tôt comme d’habitude et m’étais plongé jusqu’à midi dans larédaction demon nouveau roman. Puis jem’étais assis pour déjeuner et avaisallumé la télévision. C’était un miracle : des milliers d’Egyptiens étaient sortisdans les rues pour demander la chute du régime et le départ du présidentMoubarak.

Jemesuisalorshabillérapidementetj’airejointlarévolutionàlaquellej’allaisparticiperjusqu’àlafin.Endehorsdequelquescourtesheurespourdormird’unsommeilsouventinterrompu,pourmelaveretpourrassurermafamille,j’aivécudix-huit jours dans la rue. Les gens que j’ai vus place Tahrir étaient des êtresnouveaux qui ne ressemblaient plus en rien à ceux avec qui j’étais jusque-làquotidiennement en rapport, comme si la révolution avait recréé des Egyptiensd’une qualité supérieure. Il n’est pas équitable d’appeler cette révolution larévolution des Jeunes. Les jeunes l’ont commencée et ils l’ont conduite,mais lepeupleégyptientoutentiers’yestassocié.SurlaplaceTahrir,j’aivul’incarnationdel’Egyptetoutentière:desgensdetouslesâgesetdetouteslesconditions,descoptesetdesmusulmans,desjeunes,etdesdames,desvieillardsetdesenfants,desfemmesvoiléesetd’autrestêtenue,desrichesetdespauvres,unmilliondepersonnes rassemblées, vivant ensemble comme les membres d’une mêmefamille, avec un sens profond de la solidarité et un comportement plein depolitesse,commesilarévolutionquiavaitlibérélesEgyptiensdelapeurlesavaitégalementguérisdeleurstraverssociaux.C’étaitunmomentuniqued’humanité:desmilliers de femmes dormaient dehors sans que personne n’en harcèle uneseule.Onpouvaitlaissersesaffairesdanslarueenétantcertainquepersonneneviendrait les voler. Les chrétiens formaient des cordons afin de protéger lesmusulmansquipriaientcontrelesattaquesdespoliciersdurégime.Laprièredesmusulmanset lamessedeschrétienspour lesâmesdesmartyrsavaient lieuenmême temps. Aumicro, un jeune chantait avec sa guitare des chansons contreMoubarak, des milliers de personnes dansaient joyeusement, et les croyantsbarbuseux-mêmesnepouvaientpasseretenirdesebalancerencadence.Danscette atmosphère de complète tolérance, les manifestants acceptaient etrespectaienttousceuxquiétaientdifférentsd’eux.Nouspouvionsnepasavoirlesmêmes tendances, les mêmes idées, mais ce qui comptait, c’était notre butunique:fairetomberladictatureetarracherlalibertédel’Egypte.J’auraisbesoindetoutunlivrepourexprimermonexpériencedelarévolution.Touslessoirs,jeparlaisdevantunmilliondepersonnes.Jen’oublieraijamaisleursregardspleinsde colère et de détermination. D’une seule voix, un cri retentissait comme letonnerre, “AbasHosniMoubarak”. LaplaceTahrir était devenue semblable à laCommunedeParis.Onavaitrenversélepouvoirdurégimeet,àlaplace,onavaitinstauré le pouvoir du peuple. On avait créé des commissions de toutes sortes,

comme celle du nettoyage ou celle chargée d’installer des toilettes et des sallesd’eau.Desmédecinsbénévolesavaientconstruitdeshôpitauxdecampagne.Descommissionsdesurveillanceassumaientlaprotectiondesmanifestantscontrelesattaquesdesnervisarmésparlerégime.D’autressechargeaientdel’alimentationetdeladistributiondescouverturesauxoccupantsdelaplace.

Jen’oublieraijamaislesbravesmèresdefamillequivenaientàl’aube,lesbraschargésdepanierspleinsdenourriture.

Unsoiroù,fatigué,j’avaisjetéparterreunpaquetdecigarettesvide,unedamede plus de soixante-dix ans s’approcha de moi et me dit d’abord qu’ellem’admirait et qu’elle avait lu tout ce que j’avais écrit. Je la remerciaichaleureusement.Ellememontraensuitedudoigtlepaquetvideetajoutad’untonsérieux:

—Ramassezcepaquetdecigarettes.

J’allai le jeter dans la poubelle et je revins vers la dame, honteux comme unenfantprisenfaute.Ellemedit:

— Nous construisons une Egypte nouvelle. Il faut que nous soyons propres,n’est-cepas?

Pendantdix-huitjours,HosniMoubaraketleministredel’Intérieur,HabibAdli,ont perpétré tous les crimes possibles pour venir à bout de la révolution. Lespoliciersont lancésur lesmanifestantsdesbombes lacrymogènes interditesparlesconventionsinternationalesettirédesballesencaoutchouc.Puisl’ordreaétédonnédetuer lesmanifestants. J’étaisaumilieudecentainesdemilliersd’entreeux,lorsquecommençalafusillade.Lesfrancs-tireurssetenaientsurlesterrassesduministèredel’Intérieuretilsutilisaientdesfusilsmoderneséquipésderayonslaseraveclesquelsilleursuffisaitd’uneseuleballepouratteindre,enpleinmilieu,la tête dumanifestant et le tuer sur le coup. Enmoins d’une demi-heure, deuxjeunes tombèrent à mes côtés. Le plus extraordinaire, c’est que personne nereculait. J’essayai de toutes mes forces d’éloigner les jeunes du ministère del’Intérieur pour qu’ils ne soient pas victimes des tirs, mais plus personne necraignait pour sa vie et pour sa sécurité. C’était comme si desmillions de genss’étaient fondusenunblochumaingigantesque luttantpourarrachersa liberté,sans égard pour les épreuves et les pertes humaines. Lorsque tous ces crimeseurentéchouéàarrêterlarévolution,lerégimemitàexécutionleplandesecoursqu’iltenaitenréserve.Ordrefutdonnéàtouslespoliciersdeseretirersibienqu’iln’en resta plus un seul dans toute l’Egypte, puis les portes des prisons furentouvertes pour en laisser sortir trente mille dangereux criminels que l’on avaitarmésetauxquelsonavaitdonnél’ordred’attaquerlesmaisonsetd’allumerdesincendies. L’objectif était que les Egyptiens, effrayés, quittent lamanifestation etrentrent chez eux pour protéger leurs maisons des incursions des malfaiteurs,mais ce plan infâme les rendit plus déterminés que jamais à poursuivre leurrévolution. Dans toutes les rues d’Egypte, les gens constituèrent des comitéspopulairesquiprirentenchargelaprotectiondeshabitantscontrelesbanditset

leshommesdemain2.Jouraprèsjour,larévolutionavançaitetlerégimevacillait.Ledix-huitième jour, jeme trouvaisprèsde laplaceTahrir en traindediscuteravec les manifestants, lorsque j’entendis une immense clameur puis des crisbouleversés:“Moubarakaabdiqué.”

Pour célébrer la démission deMoubarak et la fin de la dictature, desmillionsd’Egyptiens s’abandonnèrent à leur joie dansune énorme fête qui dura toute lanuit.

La révolution égyptienne a pris le monde de court et a poussé les cerclesoccidentauxàréviserlesanalysespolitiquessuperficielleseterronéesquiavaientlongtempseucoursconcernantl’Egypte.Dèslepremierjour,lemouvementareçuun vaste soutien mondial. Tous les peuples occidentaux ont proclamé leursolidarité avec les revendicationsdupeuple égyptien, bienque certainsde leursgouvernementsaient longtempshésitéentreaider la révolutionousoutenir leurallié,ledictateurMoubarak.

Enfindecompte,laquestionessentielleresteposée:pourquoil’Egyptes’est-ellesoulevée de cette manière inattendue ? Quels étaient les problèmes et lescontradictionsdelasociétéégyptiennequiontrenducetterévolutioninéluctable?

Peut-êtrecelivreapporte-t-illaréponse.

1 L’islam sunnite reconnaît quatre écoles de jurisprudence religieuse : le malékisme, le chaféisme, lehanafisme et le hanbalisme. C’est au sein de cette dernière école, considérée comme la plus stricte et

littéralistequ’estnéeaudébutduXVIIIesiècle,danslapéninsulearabique,unetendanceencoreplusrigoriste,lewahabisme.AlliédepuisledébutàladynastiedesAlSaoud,lewahabismeestdevenuladoctrineofficiellede l’Arabie saoudite. Le salafisme, lui, se définit commeunmouvementde renaissancede l’islam,parunretour à la foi des origines. Même si leur histoire n’est pas exactement la même, ces deux conceptionsintransigeantesdelareligionserecoupentlargementpourêtrel’alimentspiritueletlasourced’inspirationdevastessecteurslargementabreuvésparl’argent–publicouprivé–provenantdelarentepétrolière.

2Enarabeégyptien :beltagui.C’està l’origineunvoyoudequartier,un“grosbras”prêtàexécuter toutessortesdebassesbesognes,auservicedeceluiquilepaie.

PREMIÈREPARTIE

LAPRÉSIDENCEETLASUCCESSION

LACAMPAGNEÉGYPTIENNE

CONTRELASUCCESSIONHÉRÉDITAIRE

Cesont-làdesmomentsqueconnaissentlesgensduspectacle.

A peine la représentation terminée et les lumières éteintes, les machinistesenlèventàtoutevitesseledécordelareprésentationquivientdeprendrefin,pourleremplacerparledécordelapiècesuivante.C’estprécisémentcequ’onappelleunchangementdedécor.Cetravailnécessitedel’entraînement,deladextéritéetilimpliqueavanttoutuneconnaissanceprécisedesexigencesdunouveauspectacle

CommetouslesEgyptiens,j’aisuivilecongrèsduPartinationaldémocratiqueetj’aiétéstupéfaitparl’extrêmecapacitédesgrandsresponsablesàl’affabulationetaumensonge.Ilsparlentderéalisationsquin’existentquedansleursrapportsetdans leur imagination, tandis que des millions d’Egyptiens vivent dans undénuement total. Mais j’ai également eu le sentiment que l’Egypte en étaitmaintenantaumomentd’unchangementdedécorprévuàcourteéchéance,maisquiavaitachoppé,cequiluiavaitfaitprendreduretard.Ilyavaitdenombreusesraisonsàcela:

Premièrement : à plus de quatre-vingts ans, le président Moubarak gouvernel’Egyptedepuistrenteanset–avectoutmonrespect–ilnepeutpas,dufaitdesonâgeetdesloisdelanature,resterindéfinimentàsonposte.Ilyaquelquesjours,EmadAdib, journalisteémériteetprochede laprésidence,est intervenudans ledébatpublicavecunedéclarationuniqueensongenre:ilsouhaitait–assurait-il– que le président soit libéré de ses fonctions et il demandait que les présidentspuissentseretirerentoutesécurité,c’est-à-diresansqueleursoientdemandésdecomptes, tant auplanpolitiqueque judiciaire, pourdes faits accomplispendantl’exercicedupouvoir.

Iln’estpasimaginablequ’EmadAdib,oses’aventureràtenirdesproposaussiprécisetd’une telle importance, sansqu’ilyaitétéautoriséouenaitmêmeétémandaté. Ces signaux ajoutent à la confusion de la scène politique dans notrepays.Nousnesavonspas,eneffet,sileprésidentvaseretirerous’ilvaresteràsonposte.Nousavonssouventl’impressionqu’ilexistedeuxvolontésdifférentesausommetdel’Etat:l’unequivadanslesensdumaintien,l’autredansceluidel’abdication.

Deuxièmement:aucoursdesdernièresannées,lerégimeégyptiens’estévertuéàpréparerGamalMoubarakàhériterdesonpèrelegouvernementdel’Egypte.Ceseffortsn’ontpasétélimitésàl’intérieurdupays,ilsontégalementétédéployésàl’étranger,aupointque leprincipalobjectifde lapolitiqueextérieureégyptienne

est devenu d’acquérir le soutien des pays occidentaux à GamalMoubarak – lesintérêtsde l’Egypte,sesrichessesetsonhonneurétant leprixàpayerpour leurapprobation.

Le régime égyptien sait que la clef du cœur de l’occident se trouve entre lesmainsd’Israël.

SiIsraëlestsatisfait,lespaysoccidentauxlesonttousimmédiatement.Parsesservices rendus à Israël dans le but d’assurer la transmission héréditaire dupouvoir, le régime égyptien a dépassé ses propres performances. Entrel’année2005etaujourd’hui,Israëlareçudenotrepaystoutcequ’iln’avaitpaspuobtenir depuis les accords de Camp David : retour de l’ambassadeur égyptien,contratsdefournituredegaz,depétroleetdeciment,et,mieuxencore,tentativedeconvaincreoudecontraindrelesPalestiniensàseplieràtouteslesexigencesdel’Etat hébreu. L’affaire alla même jusqu’à la fermeture du terminal de Rafah,comme contribution au siège des Palestiniens et au châtiment du mouvementHamasjusqu’àcequecedernierseplieàlavolontéisraélienne.

Enéchangedecesservices,lerégimeégyptienaobtenuunsoutieninternationalimplicite à la transmission héréditaire du pouvoir. Souvenons-nous de laconférencedeCharmelCheikhquis’esttenueaprèslesmassacresdeGaza: lesprésidents occidentaux y ont glorifié le président Moubarak, officiellementremerciépourcequ’ilsontappelé“seseffortsenfaveurdelapaix”.Souvenons-nouségalementdelafaçondontleprésidentObama–celui-làmêmequelepeupleaméricain avait élu pour qu’il lutte en faveur des droits de l’homme et de ladémocratie dans le monde entier – s’est répandu en louanges sur le présidentMoubarak,allantjusqu’àleconsidérercommeunchefsageavançantdanslesensde la démocratie. La dualité des critères a toujours été une caractéristique desgouvernementsoccidentaux.

La moindre fraude électorale en Iran (le premier ennemi d’Israël) entraîneimmédiatement une mobilisation politique et une campagne médiatique enOccident, en défense de la démocratie, tandis que le truquage des élections enEgypte, l’état d’exception qui y sévit, les incarcérations, la torture, lesmodifications de la constitution en faveur de la transmission héréditaire, lasuppression du contrôle des élections par les juges, tout cela n’y susciteabsolumentaucunepréoccupation.Lerégimeégyptien,eneffet,estunimportantetfidèlealliéd’IsraëletdesEtats-Unis.

Troisièmement:autantlacampagneenfaveurdelatransmissionhéréditairearemporté de succès au niveau international, autant elle a largement échoué enEgypte.Eneffet, lesEgyptiensn’ont jamaisaccepté l’idéequeleurpayspassedustatutderépubliqueàceluidemonarchieoùundauphinestappeléàhériterdutrôneoccupéparsonpère. J’ajouteraiégalementàcelaqueGamalMoubaraklui-même–avectoutmonrespectpoursapersonne–estpeut-êtreungrandexpertdelabanqueetdesaffaires,maisqu’iln’aaucunesortededonoud’expériencedansledomainepolitique.

Des dizaines de rencontres ont été organisées, au cours desquelles GamalMoubarakaprononcédesdiscourscouvertsd’élogesparlesmembreshypocritesduPartinationaldémocratiqueetlesscribesdupouvoir.Onaégalementplanifiéàsonintentiondenombreusesvisitesdanslesvillagesetlesquartierspopulaires,au cours desquelles quelques familles de miséreux ont été choisies, encoordination avec les services de sécurité, pour être photographiées en train deserrersamainetdechanterses louanges.Maistoutescescampagnesn’ontpasconverti les Egyptiens à l’idéede la transmissionhéréditaire.Au contraire, ellesontsoulevéleurrefus,leurdésapprobationet,parfois,leurssarcasmes.

Quatrièmement : la situation dans laquelle se trouve actuellement l’Egypte estlittéralementcatastrophique:pauvreté,maladie,oppression,corruption,chômage,absence de contrôle sanitaire, effondrement du système éducatif. Quelqu’unaurait-ilpuimaginerquelesEgyptiensallaientboirel’eaudeségouts?Lenombredemartyrsdurégimeégyptien,victimesdenaufragesdeferry-boats,d’incendiesdanslestrainsetd’effondrementsd’immeubles,dépasseceluidetouslesconflitsarmésauxquelsnotrepaysaparticipé.Toutcelaaentraîné ledéveloppementdemouvementsdeprotestationetdegrèvesàunniveauquel’Egypten’avaitjamaisconnudepuis la révolutionde juillet 1952. Les scribesdu régimedisent que cesprotestations ne reflètent pas tant une véritable volonté de réformes radicalesqu’ellesn’exprimentdesrevendicationsprofessionnellesétroites.Maiscequileuréchappe, c’est que la plupart des révolutionsdans l’histoire ont été déclenchéespar des mouvements de protestation qui n’avaient pas, fondamentalement, larévolution pour but. La révolution n’est ni un mot d’ordre ni un objectifpréalablement fixé,mais une situation dans laquelle se trouve une société à unmoment donné, où tout peut être la cause d’un embrasement. C’estincontestablement cette situation que nous vivons actuellement. Tous lesEgyptiens savent parfaitement que l’ancien état des choses n’est plus viable niacceptableetquelechangementapprocheinévitablement.

Notredevoirnationalnousimposed’œuvreràunchangementdémocratiqueetpacifique,fautedequoil’Egypteseramenacéeparundéferlementd’anarchiequepersonnenesouhaite,cars’ilseproduisait,ilincendieraittout.Peut-êtreest-cecesentiment du danger qui a poussé l’insigne professeur Mohamed HassaneinHeykalàfaireconnaîtresonprojettransitoiredetransformationdémocratique.

Quelles que soient les divergences que nous pouvons avoir par rapport auxdétailsduprojetduprofesseurHeykal,iln’enrestepasmoinsunpointdedépartexcellent et objectif pour une véritable réforme démocratique. De plus, lesEgyptienscommencentàprononcerlesnomsd’importantespersonnalités,commeledocteurMohamedElBaradei, leministreAmrouMoussaou ledocteurAhmedZoueil,dontilssouhaiteraientl’électionàlaprésidencedelaRépublique.Chacund’entreeuxest,deloin,uncandidatpluslégitimequeGamalMoubarak.

Dernierpoint:voiciquelquesjours,adébutéenEgypteunecampagnecontrelatransmission héréditaire du pouvoir. Dès que cette campagne a été lancée, desdizainesdepersonnalitéspubliques,d’associationetdepartiss’ysontassociés.

J’ai assisté à l’assemblée fondatrice de cette campagne et l’enthousiasme et lasincéritédespersonnesprésentesm’ontrenduoptimiste.

LedocteurHassanNafaaaétéchoisicommecoordinateurdelacampagne.C’estunepersonnalitérespectabledontlaprésenceajouteunegrandecrédibilitéàtoutcequenousfaisons.Lesmembresdecettecampagnesontporteursd’orientationspolitiques diverses qui vont des Frères musulmans, des socialistes et desNassériens, comme Abdelhalim Qandil, aux libéraux comme Ayman Nour etOussamaGhazaliHarb.

En dépit de nos divergences politiques et intellectuelles, nous nous sommesregroupés pour accomplir notre devoir national. Notre but est clair et légitime :nous voulons empêcher que la grande Egypte se transmette héréditairement dupèreaufils,commesielleétaitunboutdeterreouunélevagedevolailles.NousvoulonsrendreauxEgyptiensleurdroitnaturelàchoisirceluiquilesgouvernera.Nousvoulons instaurer la justiceet la libertéparmi lesEgyptiens. L’Egyptea lescapacités d’un grand pays,mais elle est complètement en panne à cause de ladictature. Si la démocratie est instaurée, il faudra peu d’années pour que notrepaysrenaissedesmainsdesesfils.

Cherlecteur, jevousinviteàvousassocieràlacampagneégyptiennecontrelatransmissionhéréditairedupouvoir.Sivousrefusezl’oppressionetladictature,sivousaspirezàlaviehonorablequevousméritez,vousetvosenfants,veneznousrejoindre.AveclapermissiondeDieu,nousallonsconstruire l’avenirdel’Egypteet nous n’allons pas attendre que ce soit eux qui le fassent à leur guise et enfonctiondeleursintérêts.Letempsestvenudequitternossiègesdespectateursetdeproduirenous-mêmeleprochainspectacle.

Ladémocratieestlasolution.

TROISARGUMENTSFALLACIEUX

POURSOUTENIRGAMALMOUBARAK

Lasemainedernière,j’aiécritsurlelancementdelacampagneégyptiennecontrelatransmissionhéréditairedupouvoir,quiapourobjectifd’interdireauprésidentMoubarakdedonnernotrepaysenhéritageàsonfils.L’Egypten’estniunefermeniunélevagedevolailles,appartenantàunepersonne,quellequ’ellesoitetquellequesoitsaposition.

Des intellectuels patriotes, des partis et des organisations de toutes lestendancespolitiqueset intellectuellessesontassociésàcetteopérationet ilsonttousensembledécidédedéployerleurseffortspourarracherledroitdesEgyptiensàchoisir leprochainprésidentde laRépublique,aumoyend’électionshonnêtes.Dèsque l’articleaétépublié, j’aiétésubmergédedizainesde lettresde lecteurs,provenantdel’intérieurdel’Egypteoudel’étranger,proclamanttousleursoutienà la campagne etm’interrogeant sur lamanière de s’y associer. Je remercie cescherslecteursdeleurenthousiasmeetjelesrassure:dansquelquesjours,nousallons publier le manifeste fondateur de la campagne et nous annoncerons lesmodalités de la participation.Nous escomptons, siDieu le veut, un succès total,mais en même temps, nous savons que le chemin n’est pas facile. Le régimeégyptien a créé une officine ad hoc en charge de la transmission héréditaire,composéedejournalistes,d’hommespolitiques,deresponsablesdesmédiasainsique de professeurs de droit, dont l’unique mission est de préparer le peupleégyptienàenaccepterl’idée.Personnen’aderespectpourcespropagandistes,carcesontdeshypocritesquionttrahilaloyautéqu’ilsdevaientàleurmétieretàlanation, et aux intérêts de laquelle ils ont préféré leurs intérêts propres. Lespromoteurs deGamalMoubarakne disposent que de trois arguments fallacieuxsurlesquelsilsreviennentsanscesseetquel’onpeutrésumerainsi:

Premièrement:ilsdisentqueGamalMoubarakestunjeunehommepoliettrèsinstruit auquel il n’y a pour le moment pas d’alternative comme candidat à laprésidencedelaRépublique,d’autantplusqu’ilseralepremierprésidentcivildel’Egyptedepuislarévolution,cequiseraunpasversladémocratie.Pourquoidoncne l’accepterions-nous pas, à condition qu’il s’engage à ne faire que deuxmandatsprésidentiels?

NousdisonscommeeuxqueGamalMoubarakestunepersonnevraimentpolieet qui a un bon niveau d’éducation. Nous reconnaissons également qu’il parlecouramment l’anglais…maisnousne comprenonspasquel lien cela peut avoiravec la présidence de la République. Suffirait-il donc d’être poli et bien éduquépouraccéderàcesfonctions?

IlexisteenEgyptedescentainesdemilliersdepersonnespolies,quiontobtenudes diplômes de l’enseignement supérieur et qui ont un excellent niveau enanglais et en français. Sont-ils donc tous aptes à la présidence ? Que GamalMoubaraksoit laseulealternativeànotredisposition,cen’estpasvrai. IlyaenEgypte assez de compétences et de cerveaux pour répondre aux besoins de dixpays. Avec l’accélération du rythme desmanœuvres en faveur de l’héritage, lesEgyptienssesontmisàpenseràdespersonnalitésimportantesaptesàassumerlaprésidencecommeAhmedZoueil,MohamedElBaradei,AmrouMoussa,HichamBestouissi, Zacharia Abdelaziz, ainsi que de nombreux autres, tous bien pluscapablesqueGamalMoubarakd’assumerlaprésidence.Quantàl’allégationselonlaquelle GamalMoubarak serait un président civil, elle est également fallacieusecarcequidéfinitlanaturedurégime,cen’estpaslemétierduPrésident,maislafaçondontilaobtenulepouvoir.Ilyadesinstitutionsmilitairesdespotiquesquiplacentunepersonnalité civileà laprésidencede laRépublique, commecelaestarrivé en Syrie avec Bachar El Assad. En revanche, il existe des régimesdémocratiques où des militaires ont quitté le service pour se présenter à desélections libres et sont devenus ministres ou présidents, comme par exempleColin Powel aux Etats-Unis et Charles de Gaulle en France. Si GamalMoubarakaccède à la présidence de l’Egypte, cela ne mettra pas fin au régime militaireexistant, mais cela apportera une calamité supplémentaire : nous auronssimultanémentledespotismeetlatransmissionhéréditairedupouvoir.Qu’est-cequiempêcheraensuiteGamalMoubarakdetransmettrelaprésidencedel’Egypteàson fils ou au fils de son frère ? Ceux qui affirment que Gamal Moubarak secontentera de deuxmandats présidentiels trompent l’opinion publique et n’ontpasderespectpourlebonsensdesgens.Qu’est-cequipourracontraindreGamalMoubarak à abandonner docilement le pouvoir ? Le président Hosni Moubaraks’était engagé lui aussi, après sonaccessionaupouvoir, à se contenterdedeuxmandats,puisilestrevenusurcettepromesseetilestrestétrenteansdesuiteaupouvoir.

Deuxièmement:onditquelesEgyptiensnesontpaspréoccupésparlaquestiondeladémocratieetque,parailleurs,ilsn’ontpaslesqualitésnécessairespourlapratiquer,comptetenudelaprégnancedel’analphabétisme.Ilsaffirmentques’ilyavait des élections libres, les Frères musulmans les emporteraient ets’empareraientdupouvoir.

L’Egypte est maintenant submergée par les grèves et les mouvements deprotestation, comme celan’avait pas eu lieu depuis la Révolutionde 1952. Cettecontestation sociale généralisée annonce un changement inévitable et elle n’estpasdutoutétrangèreàladémocratie.Lesmouvementsdeprotestationscontinusexpriment la revendication par le peuple égyptien d’une justice qui ne peutadvenir que grâce à des réformes démocratiques. Quant à l’allégation que lesEgyptiens ne sont pas qualifiés pour la démocratie, elle révèle, au-delà de sonindécence, une ignorance fautive de l’histoire de l’Egypte. L’expériencedémocratique en Egypte a commencé avant celle de nombreux pays européens,en1866,lorsquelekhédiveIsmaïlfondalapremièrechambrededéputésqui,au

début, était consultative, mais dont, rapidement, les membres se battirent pourarracher de véritables compétences. De 1882 à 1952, les Egyptiens ont lutté etsacrifié des milliers de martyrs pour deux objectifs : l’indépendance et laconstitution. La libération de l’Egypte de l’occupation britannique a toujours étéliéedanslaconsciencedesEgyptiensàl’instaurationdeladémocratie.Lesensdeladémocratieest l’égalité, la justiceet la libertéainsiquecesdroitsde l’hommedontiln’estpaspossiblequ’unpeuplelesmériteplutôtqu’unautre.Quantàceuxquiaffirmentque l’analphabétisme interdit ladémocratie,onpeut leur répondrequecelan’apasété lecasde l’Indequi,avecunniveauélevéd’analphabétisme,est parvenue à bâtir démocratiquement un grand pays, en peu d’années. De lamême façon, leniveaud’analphabétismeavant la révolutionn’apasempêché lepartiWafd de remporter d’écrasantes victoires toutes les fois que des électionshonnêtes étaient organisées. Les paysans égyptiens analphabètes ont toujoursvotépourleWafdcontrelespropriétairesterriensdupartilibéralconstitutionnel.Lesgensn’ontpasbesoind’avoirundoctoratendroitpoursavoirquelepouvoirdans leur pays est oppressif et corrompu. Au contraire, le sentiment des genssimples est souventplusprochede la véritéque les théoriesdes intellectuels etleurs interminables discussions. De toutes façons, il y a, en Egypte, quarantemillions de gens éduqués et ce chiffre est largement suffisant pour garantir laréussite de l’expérience démocratique. Quant aux Frères musulmans, le régimeégyptienasciemmentsurestiméleurrôleetleurinfluencepours’enservircommeépouvantail, afin d’effrayer les Etats occidentaux et les conduire à approuver ledespotismeetlatransmissionhéréditairedupouvoir.Lenombreetl’influencedesFrèresmusulmans ne sont pas tels qu’ils puissent remporter lamajorité à desélections honnêtes auxquelles le peuple participerait. Et supposons que cettevictoire soit possible ! Ne serait-elle pas alors le choix libre des Egyptiens qu’ilfaudraitrespecter,sinoussommesvéritablementdémocrates?QuelquesoitnotredegrédedivergenceaveclesFrèresmusulmans,nesont-ilspas,enfindecompte,descitoyenségyptiensquiontledroitderemporterdesélectionsetdeparticiperaupouvoir, pour autantqu’ils respecteraient les règlesdémocratiques ? Seule laréforme démocratique est capable de mettre fin à l’extrémisme religieux. Aucontraire, dans une dictature,même si lemouvement extrémiste est réprimé etécrasé, des germes d’extrémisme resteront toujours cachés sous la surface,attendantlapremièreoccasionpourressurgir.

Finalement, nos propagandistes s’interrogent : pourquoi toute cette offensivecontre GamalMoubarak ? N’a-t-il pas, en tant que citoyen égyptien, le droit deprésentersacandidatureàlaprésidencedelaRépublique?Laréponseest:GamalMoubarak aura le droit de se porter candidat lorsque nous aurons un régimedémocratique donnant l’égalité des chances à tous les candidats, lorsque l’étatd’exception sera abrogé, lorsque seront rétablies les libertés publiques, lorsqueseramodifiéelaconstitutiondefaçonàpermettreuneconcurrenceloyale,lorsquedesélectionshonnêtessousuncontrôlejudiciaireindépendantaurontlieu,etenprésenced’observateursinternationauxneutres,sansinterférencedelapoliceoudeshommesdemainetsansfraude.Alors,etalorsseulement,GamalMoubarak

auraledroitdeseprésenteràlaprésidence.Quantàsacandidatureàl’ombredel’appareil de répression et de fraude actuellement existant, ce ne sera que larépétition de la mêmemisérable et stupide comédie : Gamal Moubarak se ferachoisir comme candidat par le parti et le pouvoir agitera quelques comparsesprovenantdespartis chimériques fabriquéspar la sécuritéd’Etat,puis la fraudeélectorale agira. La victoire de GamalMoubarak, acquise de cette façon, ne seraqu’unviolillégitimeetillégaldelaprésidencedelaRépublique.

L’Egyptesetrouvemaintenantàuncarrefour,aupleinsensduterme,et,aveclapermissiondeDieu,lesEgyptiensvontarracherleurdroitàlajusticeetàlalibertépourpouvoirvivredansleurpaysencitoyensrespectables.Ilschoisiront,entotalelibertéetindépendance,lapersonnequiconvientpourlaprésidencedel’Egypte.

Ladémocratieestlasolution.

L’ARTDEPLAIREAUPRÉSIDENT

Jen’auraispaspucroireàcettehistoiresijen’enavaispasétépersonnellementtémoinsurunenregistrementdelachaîneMihouar1.

Pendant le dernier congrès du Parti national démocratique, lorsque MmeSuzanne Moubarak arriva dans la salle, entourée de ses gardes du corps, lesministresetlesresponsablesseprécipitèrentpourvenirlasaluer,puisAïchaAbdelHadi,ministreduTravails’approchadelapremièredameetsemitàlasuivre.LesujetdontelleparlaitnesemblaitpasparveniràintéresserMmeMoubarakqui,cependant,continuaitàl’écouteravecunsourirepoli.

Puis,toutàcoup,devantlespersonnesprésentes,lesobjectifsdesphotographeset les camérasde télévision, laministreAïchaAbdelHadi s’est inclinéevers lamain de Mme Suzanne Moubarak pour la lui baiser. C’était là un spectacleétonnant.

Que les hommes baisent la main des femmes est une coutume française quin’estpasrépandueenEgypte.LesEgyptiensbaisent lamainde leurmèreoudeleurpèreensignederespectet,endehorsdecela,dansnotrepays,baiserlamainestconsidérécommecontraireàl’honneuretàladignitédesgens.

En 1950, le partiWafd, las d’être resté plusieurs années hors du pouvoir, futappeléàformerlenouveaugouvernement.Leleaderduparti,MustaphaNahhas,rencontraalorsleroiFaroukets’inclinapourluibaiserlamain.C’étaitlàungestehonteuxquipoursuivitMustaphaNahhasjusqu’àsamort.

Qu’est-ce qui peut ainsi pousser une ministre du gouvernement à s’inclinerpourbaiserunemain?

Il est vrai qu’Aïcha Abd el Hadi n’aurait jamais pu rêver de prendre laresponsabilité d’un ministère et ce, pour une raison simple : elle n’avait pasterminésesétudessecondaires.Ellequiavaitéchouéàobtenirleniveaudubrevetélémentaire était parvenue à devenir ministre… dans un pays qui compte desdizainesdemilliersdedocteurs.

Laministresaitquesanominationnereposepassursescompétencesousursacapacitédetravail,maissimplementsurlefaitquelePrésidentetsafamillesontsatisfaitsd’elle.Elleestdonccapabledetoutpourpréservercettebonneopinion,entreautres,baiserlamainduPrésident,celledesonépouseetdesesenfants.Laquestionquenousnousposonsest:peut-ons’attendreàcequecetteministresebatte pour la dignité des Egyptiens et le respect de leurs droits, commel’impliquent ses fonctions de ministre du Travail ? La réponse est absolumentnégative:lesmilliersd’EgyptiensquitravaillentdanslespaysduGolfesevoient

dépouillésdeleursbienspardessponsors,ilssontmaltraitésdansl’exercicedeleurprofessionetsontsouventinjustementemprisonnésettorturés.Ilsattendentdugouvernementdeleurpaysquecelui-cidéfendeleursdroits,maisMmeAïchaAbdelHadi,quibaisedesmains,nefaitrienpoureux.

Bien au contraire, il y a deux ans, la ministre avait annoncé qu’elle s’étaitentendueavec lesautoritéssaoudiennespourexporterdesmilliersdeservanteségyptiennes, afin qu’elles travaillent dans les maisons saoudiennes. Cet accordaberrantavaitstupéfaitlesEgyptiens.

Premièrement,parcequ’ilyaenEgyptedescentainesdemilliersdepersonnesayant reçu une formation supérieure, qui sont les premières à chercher descontratsdetravaildansleGolfe.

Deuxièmement,parcequel’envoid’Egyptiennespourtravaillercommeservantesest contraire à la plus élémentaire dignité nationale et les expose à deshumiliations,voireàdesagressionssexuelles.

Troisièmement, parce qu’un grand nombre de ces Egyptiennes ont fait desétudessecondairesetsupérieures,maisellessontobligéesd’accepterdetravaillercommeservantes,souslapressiondelapauvretéetduchômage.

Quatrièmement,parcequelesautoritéssaoudiennesquisonttrèsstrictespourtout ce qui concerne la religion et qui imposent que les femmes soientaccompagnées d’un homme de leur proche parentèle2 pour le grand et le petitpèlerinage3, font cette fois-ci le contraire. Elles exigent que les servanteségyptiennesaillentseulesetsansaccompagnateurenArabiesaoudite.

Prenantladéfensedecetaccord,laministreAïchaAbdelHadiadéclaréqueletravaildomestiquen’étaitpashonteuxetellea conseilléà sesdétracteursde sedébarrasserdecessusceptibilitésquin’avaientpasdesens.

Je me souviens qu’un intellectuel égyptien, le docteur Iman Yahia avait alorsdécidéderépondreàlaministred’unefaçonconcrèteetinventiveenpubliantenpremière page du journal AlKarama4 l’annonce suivante : “Recherche bonne àtoutfairesaoudiennepourfamilleégyptienneaisée.Trèsbonsalaire.”

L’annonceétaitaccompagnéed’unnumérodetéléphone.Pendant lessemainesqui suivirent, il fut abreuvé d’insultes par des dizaines de Saoudiens quiconsidéraientquecetteannonceétaitoutrageantepourleurpays.Souslapressionde l’opinion publique, Aïcha fut obligée de revenir sur l’envoi de servantes enArabiesaoudite.Maisellerecommençaparlasuiteenannonçant,lemoisdernier,qu’elleavaitconcluunnouvelaccordpourenvoyerdesservanteségyptiennes,auKoweïtcettefois-ci.

Je ne comprendspas l’insistance de quelques responsables duGolfe à vouloirfairevenird’Egyptedesservantes,plutôtquecesmédecins,cesingénieursoucesprofessionnelscompétents,àquirevientpourtantleméritedelarenaissancequeconnaîtactuellementleGolfe.L’emploidesEgyptienscommepersonneldeserviceprocure-t-ildelajouissanceàcertainshabitantsdecespays?

Jenecomprendspasnonpluslesecretdel’enthousiasmequemetcetteétrangeministre à exporter des servantes dans les pays du Golfe ! Mais ce que jecomprends, c’estque celuiqui aperduquelque chosenepeutpas l’offrir etquequiconques’abaisseàbaiserpubliquementlamaindesgensn’estpasenmesurededéfendrel’honneurdequiquecesoit.

Cettehistoire de laministre baisant lamainde SuzanneMoubarak reflète lesrelationsqui existent entre lesministres et hauts responsablesd’unepart, et leprésidentMoubaraketsafamilled’autrepart.

Dansl’enregistrementdel’émissiondelachaîneAlMihouarquej’aivisionné,AlaaelDinHilal, responsablede l’informationauPartinationaldémocratiqueetprofesseur de sciences politiques, semble étrangement embarrassé. Le hasardavaitvouluqu’ilsetrouveaubeaumilieuduchemindeMmeSuzanneMoubarak.Trèsdécontenancé,ilnesavaitquefaire:s’iltournaitledosàlapremièredame,ilcraignaitquecelasoitinterprétécommedel’irrespectpoursonrang,cequiauraiteudesconséquencesdésastreuses.Maisilnepouvaitpasnonpluss’aventureràs’adresseràelleetàluiparler,tantqu’ellen’enavaitpasexpriméledésir.Ets’ildécidait de s’éloigner soudainement du chemin de la dame, cela sembleraitégalementuncomportementinconvenant.

Doncque faire ?Legrand responsablesemblait troublé,hagard. Il était lààsedandinerd’unpiedsurl’autrejusqu’àcequ’undesgardesducorpsnelerepoussepourdéblayerlaroutedeMmeMoubarak.

Cette soumission absolue au Président et à sa famille est une caractéristiquecommuneàtouslesministresenEgypte.

On se souvient peut-être de la façon dont Hani Helal, le ministre del’Enseignement supérieur, s’est fait apostropher en public, lors des festivités del’universitéaméricaine,parGamalMoubarakqui luia interditdes’asseoiràsescôtés à la tribune, puis lui a fait signe du doigt de partir immédiatement. LeministreHaniHelaln’aalorspasétévexéparlaremontrancepublique,maisilaétéprisdepaniqueparcequeGamalMoubarakétaitirritécontrelui.

Danslespaysdémocratiques,leministrearriveàsonposteàlasuited’électionshonnêtesetc’estàsesélecteursqu’ilestredevable.Ildéploiedonctousseseffortspourgarderleurconfianceetleursvoix.Si,danscespays-là,unministren’estpasd’accord avec le Président, il présente immédiatement sa démission, car il saitqu’ilreviendraàsonpostes’ilgagnelesprochainesélections.Aucontraire,dansles régimes despotiques, l’opinion des gens n’a absolument aucune importancepour le ministre qui n’accède à ses fonctions ni par la compétence, ni par letravail, mais par son allégeance au Président. Par conséquent tout son avenirpolitiqueestsuspenduàlamoindreparoledel’épouseduPrésident.

Il est impossible de trouver en Egypte unministre qui discute les propos duprésidentMoubarakouquinesoitpasd’accordaveclui,oumêmequiémettedesréserves au sujet d’une seule de ses paroles. Tous glorifient le Président et fontl’éloge de son génie et de ses grandes réalisations que nous, les Egyptiens,

n’avonspasvues,dontnousnenoussommespasrenducompte(toutsimplementparce qu’elles n’existent pas). J’ai entendu, il y a quelques années, un éminentresponsable économique de l’Etat affirmer à la télévision que le présidentMoubarak,même s’il n’avait pas étudié l’économie, jouissait d’une “inspirationéconomique” qui le faisait parvenir, dans ce domaine, à des idées grandioses,éblouissantes, que même des professeurs d’économie pouvaient difficilementappréhender!

La façondont sont octroyés les postes en Egypte éloigne automatiquement lespersonnes compétentes et les fortes personnalités qui tiennent à leur dignité etont le sens de l’honneur.Au contraire, les postes sont généralement accordés àdesgenssansenvergure,àdescourtisanshypocritesetàdescollaborateursdesservicesdesécurité.Toutcelaaconduitàl’effondrementdelasituationdel’Egyptequiestparvenueàsonplusbasniveaudanslaplupartdesdomaines.

L’instant où Aïcha Abd el Hadi s’est inclinée pour baiser la main de MmeSuzanneMoubarakporteenlui-mêmel’explicationcomplètedelapertedesdroitsdes Egyptiens, à l’intérieur et à l’extérieur de leur nation. Lorsqu’aura lieu unevéritable réforme démocratique, seront élus des responsables compétents etrespectables qui ne baisent pas lesmains et ne font pas une cour hypocrite auprésidentetàsafamille.Alors,etalorsseulement,l’Egypterenaîtra.

Ladémocratieestlasolution.

1Chainedetélévisiongénéraliste.

2Lemahramestunepersonnedesexemasculinpubèrequi,parsesliensdeparenté,estautoriséàresterenprésenced’unefemme.Unefemme,lorsqu’ellevoyageparexemple,oudansdiversesautresoccasionsdoitobligatoirementêtreaccompagnéed’unmahramselonlesconceptionslesplusstrictesdel’islam,notammentcelledeladoctrinewahabite.

3Lehadj,appeléicigrandpèlerinage,estobligatoireunefoisaumoinsdansunevie.Ils’accomplitaumomentde l’Aïd el Adha. La Omra, pèlerinage facultatif, s’accomplit à n’importe quel moment de l’année, maisfréquemmentpendantlemoisderamadan.

4Ladignité.

LESCAMÉLÉONSATTAQUENTELBARADEI

L’histoirecommençad’unemanièrebanale:

Dans la rue, un chien attaquaunpassant et luimordit le doigt. L’homme criasous l’effetde ladouleuret lesgensaccoururentets’agglutinèrentautourde lui.Vint à passer un policier qui enquêta sur l’incident et décida d’arrêter lepropriétaireduchienetde leconduireau tribunal, sous l’inculpationd’abandonde chien sans collier sur la voie publique et de mise en danger de la vie despassants. Le policier demanda qui était le propriétaire du chien et une desbadaudsluirépondit:

—LechienappartientauGénéralgouverneurdelaville.

Lepolicier,plongédansunegrandeperplexité,passasubitementd’unextrêmeàl’autre.Aulieud’arrêterlepropriétaireduchien,ilsetournaverslavictime,celuiquiavaitsubiledommage,etsemitàluifairedesremontrancesd’unevoixforte:

—Ecoutez,lechiendesonExcellenceleGénéral,estunecréatured’unegrandedistinction et d’une exquise politesse. C’est vous qui l’avez provoqué, vous quiavez soufflé sur son honorable visage la fumée de votre cigarette, ce qui acontraint le pauvre chien àmordre votre doigt pour se défendre. Je vous arrêtesousl’accusationdeprovocationduchien.

Cela est le résumé d’une très belle nouvelle du grand écrivain russe AntonTchekhov (1860-1904), “les Caméléons”. Le sens de cette histoire, c’est quecertaines personnes, comme les caméléons, changent de couleur sans honte etpassentd’unextrêmeàl’autre,auservicedeleurspetitsintérêtsétroits.

Je me suis souvenu de cette histoire en observant la campagne malfaisantemenée ces jours-ci par les scribes du régime contre le docteur Mohamed ElBaradei.Pendantdesannées,cethommeaétéofficiellementcélébréaupointquel’Etatégyptien l’adécoréde l’OrdreduNil, laplushautedécorationdupays.Lesscribesdurégimefaisaientalorsdelasurenchèrepourrappelersesqualitésetsesréalisations(d’ailleursincontestables).MaislorsquelesvoixdesEgyptienssesontélevées pour demander qu’El Baradei soit candidat à la présidence de laRépublique,lesscribesdurégime,àl’instardupolicierdelanouvelledeTchekhov,sontpassésd’unextrêmeà l’autreet l’ont frappéd’anathème. Ilsont tentéde lerabaisser, de le noircir. Sans revenir sur la déchéance professionnelle etmoraledes scribes du régime égyptien, on peut expliquer la panique qu’ils éprouventl’égarddeMohamedElBaradeidelafaçonsuivante:

Premièrement:ilestdifficilequelesEgyptienstrouventmaintenantunmeilleurcandidatàlaPrésidencedelaRépubliquequeMohamedElBaradeiquiestdocteur

en droit de l’université de New York et jouit d’une expérience internationale etpolitique que n’avait pas le président Moubarak lui-même, au moment de sonaccession au pouvoir. Il possède de vastes relations internationales et jouit del’estimedumondeentier.OutreleprixNobeldelapaix,ilareçudenombreusesautresgrandesrécompensesinternationales.Etsurtout,ElBaradeinedoitpassonsuccèsàdesinterventionsouàunequelconqueproximitéaveclepouvoir.Ilafaitsespreuvespar lui-même,parson talentetsonapplicationau travailet cela enfaitunvraimodèlepourdesmillionsdejeunesenEgypte.

Deuxièmement : dans l’ensemble des positions qu’il a prises, El Baradei aprouvéqu’ildisaitceenquoiilcroyaitetqu’ilfaisaitcequ’ildisait.Endépitdesénormes pressions américaines auxquelles il eut à faire face, il rendit public,en 2003, un rapport dans lequel il déclarait devant le Conseil de sécurité desNationsUniesque l’Agence internationalede l’énergie atomique, qu’il présidait,n’avaitpastrouvéenIrakdetraced’armesdedestructionmassive,cequienlevaittoute couverture légale à l’agression américaine contre ce pays. Ilmit ensuit lesEtats-Unis dans un grand embarras lorsqu’il s’interrogea sur la destinationde 377 tonnes d’explosifs disparus d’Irak, après l’invasion américaine. Puis iladoptalamêmepositionhonnêteetcourageusecontrelaguerreàl’Iran.Toutcelaaconduitl’administrationaméricaineàs’opposeravecvigueuraurenouvellementdesonmandaten2005. Israël,poursapart, l’accusepubliquementd’êtrealignésurlespaysarabesetislamiques.

Troisièmement:Aprèsavoiratteintlesommetdelaréussiteprofessionnelle,ElBaradei avait la possibilité de jouir d’une longue retraite paisible et de vivrecomblé d’honneurs en Egypte ou à l’étranger. Il aurait pu prononcer quelquesparolesdeconvenanceàl’intentiondeMoubarak,commelefontbeaucoupdesessemblables. Le régime l’aurait alors aimé, l’aurait approché, lui aurait peut-êtreoffertunepositionélevéedansl’appareild’Etat.MaisElBaradeiamontréquesonamour du pays, et sa fidélité à ses principes étaient plus grands que tous lescalculs et tous les intérêts personnels. Des témoins directs m’ont rapportécomment,aucoursderencontresavecdehautsresponsablesdurégimeégyptien,iln’apashésitéàleurdirecequ’ilpensaitdeleurmauvaisemanièred’agiretàleurexprimerlaconsternationoùleplongeaitladégradationcatastrophiquedelasituation dans notre pays. Cette position l’a conduit par la suite à refuser derencontrer les personnalités officielles. Cettehonnêtetémorale place lenomd’ElBaradeiavantceluidenombreuxautresquin’osentjamaiss’opposerauprésidentMoubarak ni aux membres de sa famille, fût-ce à propos de football. SonéloignementpendantvingtansdetoutefonctionofficielleenEgypteestàmettreàsonactif, car, de ce fait, iln’apasparticipéà la corruption,ne s’estpas sali lesmains avec de l’argent impur, n’a pas contribué à leurrer les Egyptiens ni àfalsifier leur volonté, ni à les opprimer ; il ne s’est pas comporté d’une façonhypocriteetn’apascachélavérité.Bienqu’ilaitvécuhorsd’Egypte,ilnes’enestpastenuàl’écartunseuljour.Ilatoujourssuivilesépreuvesdesescompatrioteset a ressenti leursproblèmes. Il suffit pour s’en convaincrede savoirqu’il a fait

dondelatotalitédesarécompenseduprixNobel–dontlemontantdépassaitcinqmillionsdelivreségyptiennes–auprofitdesorphelinsdesonpays.

Quatrièmement : il y a dans la personnalité du docteur Mohamed El Baradeiquelque chosequiplaît auxEgyptiens : unmélanged’humilité etde calme,unepensée rationnelle, la confiance en soi, la dignité… Par toutes ces qualités, ElBaradeireprésentedansl’espritdesEgyptienslamêmeimagepaternellequecellequi était à l’origine de leur affection pour leurs grands leaders, Saad Zaghloul,MustaphaNahhasetGamalAbdelNasser.

Cinquièmement : L’apparition de El Baradei dans le paysage politique enfonceun dernier clou contre le projet de transmission héréditaire du pouvoir duprésidentMoubarakàsonfilsGamal.Ceprojetreposaitsurdeuxidéespromuessans interruption pendant des années. La première était qu’il n’y avait pasd’alternative à Gamal Moubarak comme président de l’Egypte. Or voici qu’ElBaradei démontre qu’il existe de bien meilleures options. D’ailleurs, il estimpossible de vouloir comparer l’expérience et les compétences de GamalMoubarak à celles de Mohamed El Baradei. La deuxième idée dont le régimeégyptiens’estefforcéde convaincre lespaysoccidentauxétaitqu’iln’existait enEgypte que deux choix possibles, pas de troisième : le régime deMoubarak oucelui des Frèresmusulmans. El Baradei a également démontré l’inanité de cetteidée:voiciunhommequigagnel’amouretlaconsidérationdesEgyptiens,alorsqu’ilestaussiéloignédurégimequ’ill’estdesFrèresmusulmans.

Sixièmement : Mohamed El Baradei ne sera pas une proie facile pour lesmanœuvreshabituellesdurégimeégyptien.Lerégimenepeutpasfomentercontrelui une affaire de falsificationni un scandale féminin, il ne peut pas le jeter enprison sous l’inculpation d’atteinte à la réputation de l’Egypte ni d’incitation àl’anarchie.Touscesprocédésdégradants,souventemployésparlerégimepoursedébarrasser d’un opposant, sont inutilisables contre El Baradei qui est précédéd’une réputation d’intégrité et qui est protégé par la large estime internationaledontiljouit.

Finalement,de lamêmefaçonque lesmédecinsdouésdiagnostiquent lesplusgravesdesmaladiesenpeudemots,ledocteurElBaradeiasumettreledoigtsurles points sensibles du régime despotique qui s’agrippe à nous. Les conditionsqu’il a posées pour qu’aient lieu des élections présidentielles honnêtes etrespectables montrent exactement les étapes que doit franchir notre pays pourparveniràunedémocratievalable.ElBaradeiadéclaréqu’iln’acceptaitpasd’êtreun comparse dans une comédie électorale frauduleuse et il a annoncé saparticipationàlaluttedesescompatriotespourlajusticeetlaliberté.Savenueestpour lespatriotesunegrandechancequ’ilne fautpas laisserpasser. Il fautquenous nous associions à sa lutte pour la récupération des droits spoliés desEgyptiens.LedocteurElBaradeiarriveraenEgyptele15janvierprochain,siDieuleveut.Ilestdenotredevoiràtousd’alleraccueillircethommeéminentavectoutela chaleur et l’estime qu’il mérite. Nous voulons ainsi affirmer que son noblemessage nous est parvenu, que nous l’aimons et que nous allons joindre nos

effortsauxsienspourlarenaissancedel’Egypteetpourquenotrepaysretrouvelaplacequ’ilmérite.

Ladémocratieestlasolution.

GAZAVA-T-ELLEPAYERLEPRIX

DELASUCCESSIONHÉRÉDITAIREENÉGYPTE

AprèsquelanouvelleeutétédiffuséeparlejournalisraélienHaaretzetconfirméepar l’administrationaméricaine, legouvernementégyptiena finalementreconnuqu’ilestentraindeconstruireunemurailled’aciersouslaterre,toutaulongdelafrontière avec Gaza, de façon à murer les tunnels que les Palestiniens utilisentpour faire passer en contrebande de la nourriture et des médicaments. Ce faitintervient dans le cadre du siège étouffant imposé par Israël depuis deux ans,siègeauquel l’Egypte s’était associée en fermantauxPalestiniens le terminaldeRafah.Voiciquelquesobservationsàcesujet:

Premièrement:lebutdusiègedeGaza–telqueleproclameIsraël–estd’enfiniravec la résistance palestinienne et d’affamer les habitants de Gaza, afin qu’ilss’inclinent devant sa volonté et acceptent ses conditions pour un arrangementfinal, fondé sur l’abandon définitif de leurs droits. Mais la déterminationextraordinaire des Palestiniens a conduit Israël à perpétrer des massacressauvages, au cours desquels ont été employées des armes interdites par lesconventions internationales. Le nombre des victimes s’est élevé à plus demillequatrecentsdontplusdelamoitiéétaientdesfemmesetdesenfants.Malgrélestueriesetendépitdusiège,lesPalestiniensnesesontpassoumisetontcontinuéàrésisteraveccourage,cequiapousséIsraëlàréfléchiràunmoyendelesétoufferdéfinitivement. Le mur d’acier sous la terre est indéniablement une idéeisraéliennequelegouvernementégyptien,aprèsavoirhésité,adernièrementfinipar accepter ; il s’estmis à le réaliser sous financement et contrôle américain.L’objectif de ce mur est littéralement de tuer les Palestiniens en supprimant ladernièrepossibilitéquileurrestaitdeseprocurerdelanourriture.

Deuxièmement : la fermeture par le gouvernement égyptien du terminal deRafah et l’interdiction faite aux convois de secours arabes et internationauxd’entreràGaza,puislaconstructiondumurd’acierpouraffamerlesPalestiniens,sontdescrimesignoblescontrenosfrèresenarabitéetenhumanité.Cesméfaits,il est vraiment attristant que ce soit le régime égyptien qui les perpètre. Lasolidarité arabe et le devoir national égyptien envers les musulmans et leschrétiensdePalestinesontdesconsidérationsquinesignifientplusrienpourlesresponsables égyptiens, et ils s’enmoquentpubliquement.Mais le régime,dansson zèle à satisfaire Israël, ne se rend pas compte qu’il nuit à l’image de notrepaysdanslemondeentier.LesderniersmassacresdeGazaontportéuncoupfatalàcequ’ilrestaitdebonneréputationàIsraëldanslemonde.Faitsansprécédent,denombreusesvoixsesontélevéesdans lespaysoccidentauxpour condamnerIsraël. Au mois d’octobre dernier l’ancien président du Conseil des ministres

israélien,EhudOlmert,prenant laparoleà l’universitédeChicago,s’est retrouvécernéparlessloganshostilesdesétudiantsquiluicriaientauvisage:“Bourreaude Gaza, assassin d’enfants.” Plusieurs tribunaux occidentaux ont mêmepoursuivilesdirigeantsd’IsraëlpourcrimesdeguerreàGazaetauLiban.CelaaétélecasenBelgique,enNorvège,enEspagneet,récemment,enGrande-Bretagneoù la police était sur le point d’arrêter Tipsi Levy, la précédente ministre desaffairesétrangèresisraélienne,siellenes’étaitpasenfuieauderniermoment. Ilest vrai que la plupart de ces poursuites légales ont été annulées à la suited’énormes pressions sionistes sur les gouvernements occidentaux, mais ellesmontrentclairementquelacondamnationuniverselled’Israëlaatteintunniveausansprécédent.Enconstruisantcemur,lerégimenemetpasseulementenpérilsapopularitéenEgypteetdans lemondearabe (oùelleestauplusbas),mais ilsouilleégalementsaréputationinternationale.

Troisièmement : toutes les explications qu’apporte le régime égyptien pourjustifier la construction du mur ne pourraient même pas convaincre un petitenfant.Ilsdisentquel’Egypteestlibredeconstruireunmuraussilongtempsqu’ilest à l’intérieurde ses frontières, en feignantd’ignorerque, selon lesusages, lalogique et le droit international, cette libertén’est pas totale,mais limitéepar ledroit des autres. L’Egypte ne peut pas affamer unmillion et demi de personnesvivantàsescôtésetprétendreensuitequ’elleestlibred’agircommeellelefait.Onnous dit que les tunnels sont employés pour faire entrer des armes pour lesterroristes,maisnousdisonsquecesarmespeuventégalementpasserparlaLibyeou leSoudan.Legouvernementégyptienva-t-ildoncentreprendrede construireunmur d’acier le long des frontières avec tous ses voisins ? Si le ministre del’Intérieur, avec ses gigantesques services de sécurité, est incapable de protégerses frontières, que font ces derniers des huitmilliards de livres de leur budgetprélevéssurlesavoirsdupeupleégyptien?

Le régimebranditmaintenant commeslogan : “Lasécuriténationaleestnotrelignerouge.”Nousaussicroyonsàceslogan,nousn’avonspasdedifférendsurcepoint,maislasécuriténationale,denotrepointdevue,impliquededéfinirquiestl’ennemi de l’Egypte. Est-ce Israël ou les habitants de Gaza ? Si Israël est notreennemi,cequiestlecasenréalité,neserait-ilpasdansnotreintérêtnationaldesoutenirlarésistancepalestinienne?Personnen’a-t-iljamaisréfléchiàlaraisonpour laquelle lesPalestinienssontobligésde creuserdes tunnels sous la terre ?C’estleseulmoyenpoureuxderesterenvie.LesPalestiniensauraient-ilscreusédes tunnels si l’Egypte avait ouvert le passage de Rafah et autorisé l’entrée denourritureetdemédicaments?Alorsquel’EgypteconstruitcemurvisantàfairemourirdefaimlesPalestiniens,devrons-nouslesblâmers’ilsfontobstacleparlaforceàsonédificationous’ilsessaientdeledémolir?N’est-cepasdelalégitimedéfense?Lesresponsablesparlentbeaucoupdel’officierégyptientuéparuncoupdefeutirédepuisGaza.Noussommesnousaussidésoléspourcettevictime,maisnous rappelons qu’il n’y a pas un seul indice qu’il ait été tué par une balle dumouvementHamasetnousrappelonsparailleursqu’Israëla,desonpropreaveu,tué de nombreux officiers et soldats égyptiens sur la frontière. Pourquoi notre

gouvernement ne s’est-il pas alors élevé contre cette atteinte à notre sécuriténationale ? Où était cette sécurité nationale, lorsqu’Israël a reconnu avoir tuépendant la guerre des centaines de prisonniers égyptiens et les avoir enterrésdansdesfossescommunes,sansquelesresponsablesdenotrepaysneprennentune seule mesure contre les criminels de guerre israéliens ? Les responsableségyptiensdisentqu’ilsfermentleterminaldeRafahparcrainted’uneémigrationmassivedePalestiniensenEgypte.C’estlàunprétexteridiculeetstupide:cequiapoussé les Palestiniens à affluer vers cepassage, c’était leur besoinpressantdenourriture. Ils ont acheté ce qu’il leur fallait, avec leur argent, chez descommerçants égyptiens et sont ensuite revenus d’où ils étaient partis. Et puis,qu’espérons-nousdesPalestiniens,aprèsleuravoirferméavecunmurd’acierladernièrechancedeviequileurrestait?Pourra-t-onleurfairedesreprochess’ilsseruentparmilliersets’ilsbalaientparlaforceleterminaldeRafahpourfuirlafamine?Cemur,enplusd’êtrevraimentignoble,d’êtreuneflétrissurehonteuseetindélébilesurlefrontdugouvernement,constitueundangerpournotresécurité.

Mais, en fin de compte, qu’est-ce qui pousse le régime égyptien à une tellesoumissionàlapolitiqueisraélienne?

Ilyadeuxraisonsàcela.Lapremière,c’estque lerégimeconsidèrequetoutevictoiredumouvementHamas renforce les Frèresmusulmans, cequimenace lepouvoir en Egypte. C’est là une grave erreur, car la victoire de la résistance nepourraitquerenforcerl’Egypte,etneconstitueraitabsolumentpasundangerpourelle.Deplus,latailleetl’importancedumouvementdesFrèresmusulmansnesontpas telles qu’ils puissent constituer unemenace contre le régime égyptien, quiagitetoujourscetteidéepourjustifierladictature.Ladeuxièmeraison,c’estquelerégime égyptien sait qu’exécuter les désirs d’Israël est le moyen assuré desatisfaire l’Amérique. Israël a obtenu de l’Egypte en quelques années tout cequ’ellen’avaitpaspuobtenirdepuislasignaturedesaccordsdeCampDavid:lalibération de l’espion Azzam Azzam, des contrats d’achat de gaz et de ciment,l’encerclement des Palestiniens et, dernièrement, cet ignoblemur. Cela nous faitcomprendrelasatisfactiondel’Amériqueàl’égarddurégimedeMoubarak.Ilyaquelques jours,MargaretScobey, l’ambassadriceaméricaineauCaire,adéclaré :“JecroisqueleniveaudedémocratieenEgypteestsatisfaisant.”Cettedéclarationsurprenantenousmontrebienàquelpoint le lobbysionistedomine lapolitiqueaméricaine.L’AmériquecontinueraàêtresatisfaitedurégimedictatorialenEgypteaussi longtempsqu’Israëlenserasatisfait.MmeScobeypourra-t-elle,aprèscela,continueràsedemanderpourquoilesEgyptiensdétestentlapolitiqueaméricaineetl’accusentd’êtrehypocriteetdenepasappliqueràtouslesmêmescritères?

Laconstructioncriminelled’unmurpouraffamerlesPalestiniensnepeutdoncpasêtreisoléedelaquestiondelaréformedémocratiqueenEgypte.Lerégimeadonné son accord à la construction du mur, parce qu’il a besoin du soutienaméricain pour son projet de transmission héréditaire du pouvoir du présidentMoubarakàson filsGamal.Nousvoyons làunexemplegravedesconséquencesdurégimedictatorial.L’intérêtdurégimeenEgypteestencontradictionobjectiveavecl’intérêtdupeupleégyptien.Si lerégimedeMoubarakétaitdémocratique,il

n’auraitjamaisosés’associerausiègedesPalestiniensetàdesopérationsvisantà les affamer. Les régimes démocratiques, et eux seuls, sont capables demettreleurintérêtenharmonieavecceuxdupeupleetdelanation.

Ladémocratieestlasolution.

POURQUOIRÉGRESSONS-NOUS

ALORSQUELEMONDEPROGRESSE?

Il y a quelques mois, le grand savant Ahmed Zoueil a été nommé conseillerscientifiquedeBarakObama.Lorsque ledocteurZoueilallaà laMaisonBlanchepour rencontrer le président, on lui remit une autorisation d’entrée à son nom,maisilremarquaqu’enbasétaitécritlemot“provisoire”.Surpris,ilinterrogeaunhautresponsabledelaMaisonBlanchesurlesraisonsdecettemention.

Leresponsableaméricainsouritetluidit:

—DocteurZoueil,vousêtesconseillerduprésidentObama,n’est-cepas?

—Oui.

—LeprésidentObamalui-mêmeestprovisoire.

Cette anecdote queme raconta le docteur Zoueil me paraît riche de sens : leprésident Obama, comme n’importe quel président d’un pays démocratique,occupesesfonctionspendantquatreans,quipeuventêtreprolongésjusqu’àhuit,s’ilestréélu.Ensuite,ilnepeutpasresterunjourdeplusàsonposte.LePrésidentestparvenuàcettefonctionparcequelepeuplel’achoisilibrementetuncontrôlesévères’exercesurtoutcequileconcerne,luietsafamille.CommelePrésidentestredevable au peuple de son poste, et soumis à son contrôle, il déploie tous seseffortspour tenir lespromesses sur la basedesquelles les électeurs l’ont choisi.Celaleconduitnécessairementàfaireappelauxmeilleurescompétencesdupays,qu’ilmetàprofitauservicedesgens.

Voilàcequisepassedanslespaysdémocratiques.

Chez nous, en Egypte, le Président s’accroche au pouvoir jusqu’à son derniersouffle, ce qui entraîne obligatoirement une inévitable et dangereusedégénérescence, quelle que soit la personnalité du Président ou ses bonnesintentions.

Premièrement:enEgypte,lePrésidentn’accèdepasaupouvoirparlechoixdesélecteurs,maisgrâceàlaforcedel’appareildesécuritéetàsacapacitéàréprimerles opposants. De ce fait, il n’accorde pas une grande importance à l’opinionpublique, car il saitquesonmaintienaupouvoirnedépendpasde l’amourdesgens, mais seulement de la capacité de la Sécurité à le protéger contre toutetentativede renversement.EnEgypte, c’est l’appareildesécuritéquia lederniermot dans tous les domaines, depuis la nomination des maires dans les petitsvillagesoucelledesdoyensdesfacultésetdesprésidentsdesuniversitésjusqu’àl’autorisation de création de partis politiques et l’octroi des autorisations

nécessairesauxjournauxetauxchaînesdetélévisionsatellitaire,enpassantparlanominationetlerenvoidesministres.Combiendepersonnescompétentesontvuleursnomsévoquéspourdespostesministériels,avantd’êtreimmédiatementécartés,dèsquelesservicesdesécuritéeurentsignifiéleuropposition,etcombiendepersonnestotalementincompétentesontétépromuesàdespostesélevésgrâceàl’appuidesservicesdesécurité!

Parmi tous les pays du monde, l’Egypte se distingue par une situationaberrante : l’Etatydépenseprèsdeneufmilliardsde livrespour leministèredel’Intérieur,montantquiéquivautaudoubledubudgetdelaSanté(moinsdecinqmilliardsdelivres),c’est-à-direquelerégimeégyptiendépensepoursoumettrelesEgyptiens, les emprisonner et les réprimer, le double de ce qu’il dépense poursoignerleursmaladies.

Deuxièmement : iln’existepasdemoyen légald’entrerenconcurrenceavec lePrésident pour son poste. Lemaintien au pouvoir du Président est l’objectif quiprimesurtouslesautres.Delàvientl’inquiétudedurégime,dèsqu’apparaîtunepersonnalité publique jouissant de la confiance des gens. Il essaie alorsrapidementdes’endébarrasser.Decefait,l’Egyptesetrouveconstammentprivéede personnes hautement compétentes, qui ont été éloignées parce qu’ellesprésentaientdescaractéristiquesquiauraientpu lesrendreaptes–mêmed’unefaçon très hypothétique – à assumer la présidence de la République. Ce qui estarrivéavecledocteurAhmedZoueillui-mêmeenestunexcellentexemple:aprèsavoirobtenuleprixNobeldechimie,cegrandsavantestrevenuenEgyptepouryproposerunprojetd’universitédetechnologievisantàmettrenotrepaysàl’heuredelascience.Maiscertainsproposetcertainsrapportsdelasécuritéontmisengarde contre sa grande popularité parmi les jeunes, qui étaient nombreux àexprimer leur souhait de le voir président de l’Egypte. C’était la fin dumonde !AhmedZoueilvittouteslesportessefermerdevantlui.Lerégimesedétournaduprojet dont il avait voulu faire profiter son pays et le réduisit à l’impuissance.Quelquesmoisplustard,leprésidentObamas’empressad’enfairesonconseillerscientifiquepourmettre ses grandes connaissances auprofit dudéveloppementdes Etats-Unis. Ce n’est qu’un exemple parmi ceux de milliers d’Egyptienstalentueux,empêchésparladictaturedemettreleurscapacitésàprofitdansleurproprepays.

Troisièmement:enEgypte,lePrésidentdisposed’unpouvoirabsoluqu’aucuneinstitution ne peut contrôler. Nous ne savons rien de la fortune du présidentMoubaraketdesafamille,niquelmontantatteintlebudgetdelaprésidencedelaRépublique, ni quels en sont les différents chapitres. Est-il légitime que l’EtatdépensedesmillionsdelivressurlesfondspublicspourlesvillasetlespalaisduPrésident, alors que des millions d’Egyptiens vivent dans des logementsmisérables et précaires, privés de toutes les nécessités de base ? La totaleexemption dont jouit le Président par rapport au contrôle comptable s’étendégalementauxpersonnalités importantes.LesorganismesdecontrôleenEgyptepoursuivent les petits fonctionnaires et leur demandent des comptes pour la

moindrepeccadille,cequiconduitsouventàleurrenvoiouleuremprisonnement.Toutefois, leur fermeté se relâche en présence des hauts responsables. Ils secontententalorsde faireconnaître leurs infractionsauPrésidentquidécideseulde les poursuivre ou d’ignorer leurs transgressions. De cette façon, la loi n’estappliquée qu’aux petits et à ceux des grands dont on est mécontent. Nonseulement la lutte contre la corruption, ainsi appliquée demanière sélective, estarbitraireetincohérente,maiselleconstitueensoiuneformedecorruption.

Quatrièmement:C’estlePrésidentseulqui,enEgypte,décidedelanominationoudurenvoidesministresetiln’estimepasavoiràexpliquercesdécisionsauxEgyptiensquienignorent lesraisons.Parailleurs, lacompétencen’est jamais lecritère primordial dans le choix de ces hauts responsables, seule importe leurallégeance au Président. Nous avons vu comment s’est opérée la nominationd’Ahmed Zaki Badr au portefeuille de l’Education, alors qu’il n’avait aucuneréalisationàsonactifniaucuneexpériencedansledéveloppementdecesecteur.Saseuleprouesse,au titredeprésidentde l’universitéd’AïnShams,estd’avoir,pour lapremièrefoisdans l’histoiredesuniversitéségyptiennes, faitappeldansl’enceinte inviolable de l’université à un groupe d’hommes de main, armés decouteauxetdecocktailsMolotov,pourattaquerlesétudiantsquiymanifestaient.Or, c’est apparemment ce comportement inique, suffisant dans n’importe quelpaysdémocratiquepourêtreimmédiatementdémisdesesfonctionsettraduitenjustice,quiamotivésanominationauministère.

Ajoutonsàcelaquelechoixdesministresetleurremplacementontsouventlieud’unefaçonirrationnellequepersonnenecomprend.Parexemple,lesfonctionsdePremierministre,postepolitique leplus importantaprèsceluidePrésident,sontactuellementoccupéesparunhommequin’ajamaisfaitdepolitiquedesavie.Leministre de la Sécurité sociale était initialement responsable de la Poste et leministredel’Informationétaitaudépartspécialisédanslavented’encyclopédiesscientifiques. Quant au précédent ministre de l’Habitat, Mohamed IbrahimSoliman, il vient d’être placé par décret présidentiel à la tête d’une sociétépétrolière. Visiblement, lorsque le Président aime certains responsables et aconfiance en leur fidélité, il leur distribue des postes importants sans sepréoccuperoutremesuredeleursaptitudesetdeleurexpérience.Lerégimeécartedespersonneshautementqualifiéesquandiladesdoutessurleurloyautéouqu’ilcraintleurpopularité,alorsqu’iloctroielespostesàsespartisans,mêmes’ilssontincompétents.

Quantauxmembresdel’assembléedupeuple,commeilsappartiennentaupartiau pouvoir et ont obtenu leurs sièges par la fraude électorale, ils exécutent lesinstructionsdugouvernement,au lieude jouer leur rôlede contrôle. Leministreégyptienneseconsidèrepasresponsabledevantlepeuple,carilsaittrèsbienqueson maintien à son poste ne dépend pas de ses réalisations, mais de lasatisfactionqu’éprouveleprésidentàsonégard.Celanouspermetdecomprendrepourquoi lesministres font de la surenchère dans leurs louanges du Président,dansleurcélébrationdesasagesseetdansl’élogedesesmerveilleusesdécisionshistoriques. À tel point que la ministre du Travail, Aïcha Abd el Hadi, n’a pas

éprouvélamoindregêneàs’inclinerenpublicetdevantlesmédiaspourbaiserlamaindeMmeSuzanneMoubarak.

C’est pour toutes ces raisons que nous régressons chaque jour, tandis que lemondeautourdenousprogresse.L’Egypteestrichedemillionsdegensinstruitsetdemilliers de personnes dévouées, avec des compétences rares, des personnescapablesdesusciter,enpeud’années,unevaste renaissance,sion leurdonnaitleurchance.C’estdoncladictaturequiestlacauseoriginelleduretarddel’EgypteetdesEgyptiens.

Ladémocratieestlasolution.

LASEULEFAÇON

DEFAIREPARTIRBATISTA

LedocteurJalalAminvivaitavecJoan,safemmeanglaise,etsesenfants,dansunebellemaison, entourée d’un joli jardin, dans la banlieue deMaadi.Au cours del’été 1971, le docteur Jalal décida de partir avec sa famille à Beyrouth pour unemissionprofessionnelled’uneduréed’unan.Ileutalorsl’idéedelouersamaisonet trouva facilement un locataire, un diplomate du Panama qui s’appelait M.Batista.LedocteurJalalsignaavecluiuncontratlimitéàunan,autermeduquelBatistas’engageaitàquitterleslieux.

Tout était en ordre,mais lorsque le docteur Jalal revint en Egypte, à la fin del’année, une surprise l’attendait.M. Batista refusa de quitter lamaison, prenantpourprétextequeledocteurJalalnel’avaitpasprévenuparlettrerecommandée,comme lestipulait le contrat.Ledocteur JalalessayadeconvaincreBatistaqu’ilss’étaientmisd’accorddèsledébutsuruneduréed’unannonrenouvelableetilluirappelaqu’ill’avaitappeléautéléphoneavantlafindelapériode,cequiétaitunefaçon amicale de le prévenir qu’il devait quitter lamaison. Batista demanda undélai, puis un autre, et continua à louvoyer et à faire traîner les choses enlongueur. A la fin, il annonça clairement qu’il ne sortirait pas de lamaison. Ledocteur Jalal fut contraint de louer un appartementmeublé dans lequel il vécutavecsa famille,mais ilétait tourmentéparunsentimentd’injustice,quisemuaprogressivementenviolentecolère.

UnsoirdeNoël,ledocteurJalalditàsafemme:“Demain,nousdormironscheznous.” Durant toute la nuit, le docteur Jalal appela son locataire Batista enraccrochantchaquefoissansprononcerunseulmot.Ilfitceladesdizainesdefoisce qui empêcha Batista de dormir et l’épuisa nerveusement. Tôt le matin, ledocteurJalal louatroischarrettesdanslesquellesilplaçasesbagagesettoutsondéménagement,puis il frappaà laportedesamaison.Batistaalla luiouvrir. LedocteurJalalluidemandad’évacuerimmédiatementleslieux.Batistafitsemblantd’accepter puis, après avoir réussi à l’attirer vers le perron, il ferma toutes lesportesdel’intérieur.Ledocteurrevintalorsàsavoiture,pritlecricet,sanshésiter,brisa laportedeverredont leséclats leblessèrent.Lesangcouvritsonvisageetsesvêtements,mais,endépitdecela,ilpritlamaisond’assautetyfitmettresesbagages,sansrencontrerderésistancedelapartdeBatista,frappédefrayeurparcequiarrivait.LafemmedudocteurJalallerejoignitetl’accompagnaàl’hôpitaloùon lui banda ses blessures, mais il revint de nouveau à la maison avec sespansements au visage. Il entra, s’allongea sur son lit et annonça à Batista qu’ildevaitpartirimmédiatement.

BatistaappelaPolice-Secoursetunofficierdepolicetentaderésoudrel’affaireàl’amiable.Batistademandaunnouveaudélai,maisledocteurJalalrefusaetinsistapourqu’ilquitteimmédiatementlamaison,toutenluiproposantdeprendreàsacharge entièrement les frais d’hôtel jusqu’à ce qu’il trouve un autre logement.Lorsque Batista protesta en se prévalant du contrat qu’il tendit à l’officier, ledocteur Jalal demanda à voir le document, le prit des mains de l’officier et ledéchiraenpetitsmorceauxqu’iljetaparterre.L’officier,encolèrecontreledocteurJalal,quittaleslieuxenmenaçantdefaireremonterl’affaireauplushautniveau.Mais le docteur Jalal (qui avait préparé le terrain pour la bataille en lançant denombreux appels téléphoniques à tous les responsables qu’il connaissait) n’yprêta pas attention et resta allongé sur son lit, malgré ses blessures, sonépuisementetlesbandagesquiluicouvraientlevisage.Batistacompritalorsqu’iln’yavaitriend’autreàfairequesesoumettre.Ilpritsesbagages,quittalamaisonetlalaissaàsespropriétaires.

J’ai lucetteanecdotedans le livreLeParfumde l’âge, récemmentpubliépar lamaison d’édition Dar el Shorouk, deuxième tome de l’autobiographie de JalalAminquiaajoutéàlalittératurearabeunprécieuxmorceaud’humanité.J’aiétésurpris par la façon dont le docteur Jalal s’était comporté avec Batista : d’abordparcequeJalalAminestundesplusgrandspenseursarabes,ensuiteparcequejeleconnaisdeprès(ilaétémonamietmonmaîtrependantvingtans)etquec’estunedespersonneslesplusaimablesquej’aiconnues.Commentl’affaireenétait-ellevenueaupointqu’ilsecomporteavecunetelleviolence?

En fait le docteur Jalal savait pertinemment que c’était là le seul moyen derécupérerlamaisondontilavaitétédépossédé.IlavaitdenombreusesfoisparléàBatistad’unemanièreamicaleet luiavaitaccordédélaiaprèsdélai,maisBatistaavaitrefusédepartir.Quantàavoirrecoursàlajustice,comptetenudelalenteurdesprocédures, cela lui aurait faitperdredesannéesavantqu’ilne rentredanssesdroits.

Jenepeuxpasm’empêchericidefairelacomparaisonentrecequiestarrivéàlamaison de Jalal Amine et ce qui arrive à l’Egypte tout entière. Le régime quirègne sur l’Egypte est exactement comme le locataire Batista. Il s’accroche aupouvoirsansaucundroitdepuistrenteans,enutilisantlarépressionetlafraude,etnous,nousdemandonsaurégimedepuisdesannéesd’accorderauxEgyptiensleur droit naturel de choisir ceux qui les gouvernent. Mais lui, comme Batista,demandedélaisurdélaipourappliquerlaréformedémocratique.Ilfaittraînerenlongueuret tergiversepourpouvoircontinueràmonopoliser lepouvoir.Quiplusest, ilœuvreà le rendrehéréditairement transmissibleduprésidentMoubarakàsonfilsGamal.Acausede ladictatureetde lacorruption, lesconditionssesontdétériorées enEgyptequi se trouveau fondde l’abîmedans tous lesdomaines.Desmillions d’Egyptiens souffrent de la pauvreté et du chômage et vivent dansdes conditions infrahumaines. Les grèves et les manifestations se succèdentchaquejouravecplusdeforce,commesic’était lasociététoutentièrequi faisaitentendresaprotestationcontrecequisepasse.

Compte tenu de la montée de ce mécontentement généralisé, nous nousdemandons pourquoi le changement tarde à venir. La réponse est que ce quimanque aux Egyptiens, c’est de se rendre compte, comme Jalal Amine, que lesdroitsnes’octroientpas,maisqu’ilss’arrachent.Auncertainmoment,ilfautquel’oppriméprenneladécisiond’arrachersondroit,quelsquesoientlessacrifices.

Je n’appelle pas à la violence, mais à faire pression par tous les moyenspacifiques pour arracher les droits spoliés des Egyptiens. L’Egypte passeactuellement par un moment de profondes transformations et elle est prête auchangementplusqu’àn’importequelautremomentdanslepassé.LesEgyptiensontressentiungrandespoirlorsqueledocteurMohamedElBaradeiestapparueta rendu publique sa participation au combat national pour la démocratie et lajusticesociale.

J’aipersonnellement rencontré l’anciendirecteurde l’Agence internationaledel’énergieatomiqueetcelaarenforcémonadmirationpour lui. J’aiputoucherdeprès sonhumilité, sa sincérité, son esprit équilibré et sa grande sensibilité auxsouffrancesdes Egyptiens. Cequi le préoccupe, cen’est pas sa candidature à laprésidencedelaRépublique,carilestpersonnellementaussiéloignéquepossibledel’amourdupouvoir,etsasituationprofessionnelleetsocialeesttellequ’iln’enapasbesoin.D’ailleurs,danslecadredelascandaleuseconstitutionactuellequiréservelepostedeprésidentdelaRépubliqueauprésidentetàsesfils,n’importequel candidat ne peut être qu’un simple figurant insignifiant dans la tristecomédie de la transmission héréditaire du pouvoir, rôle indigne qu’aucunepersonne qui se respecte ne peut accepter. Le seul objectif d’El Baradei est laréforme et son espoir est de voir son pays à la place qu’il mérite. Il a, voiciplusieurs jours, annoncé la fondation d’une association qui milite pour lasuppressiondel’étatd’urgence,pourlatenued’électionspropresetrespectables,sous un strict contrôle judiciaire et sous observation internationale, et pour laréformede la constitutionde façonàcequ’ellegarantissedeschanceségalesetunecompétitionjustepourl’électionàlaprésidencedelaRépublique.

L’idéedontpartElBaradei,c’estquelaréformedémocratiqueestleseulcheminvers la réformeéconomiqueet la réalisationde la justicesociale. Il estvraimentréjouissant que sa popularité augmente de jour en jour d’une manière sansprécédent. Des dizaines demilliers d’Egyptiens lui ont proclamé leur soutien etleur confiance complète. La campagne de signatures se poursuivra jusqu’à cequ’elleatteignelechiffred’unmilliondenoms.Acemoment-là,ilfaudraquenouspassionsàl’étapedelaconfrontation.Pouravoirnosdroits, iln’yani intérêtniutilitéàimplorerlerégimequinerépondrapasànotrerequête.

Maissiunmilliondecitoyenségyptiensdescendaientmanifesterdanslarueouproclamaientlagrèvegénérale,neserait-cequ’uneseulefois,lerégimeentendraitimmédiatement les revendicationsdupeuple.Autant lechangementestpossibleetproche, autant il aunprixquenousdevronspayer.Nousne remporterons labataille du changement que si nous avons la ferme intention de récupérer nosdroitsquelsquesoientlessacrifices.C’estlaseulefaçondefairepartirBatista.

Ladémocratieestlasolution.

QU’ATTENDENTLESÉGYPTIENS

DEELBARADEI?

Le régime politique égyptien affronte maintenant une situation critique. LeprésidentMoubarak(auquelnoussouhaitonsunebonnesanté)peutsetrouveràn’importe quel moment obligé de prendre sa retraite. Malgré les grands effortsdéployés par le régime pour lancer Gamal Moubarak, ce dernier a totalementéchouéàconvaincrelesEgyptiensdesonaptitudeaupostedeprésident.Ajoutonsà cela que, fondamentalement, la plupart des Egyptiens refusent l’idée de latransmissionhéréditairedupouvoir,quecesoitàGamalMoubarakouàn’importequid’autre,etilstiennentàleurdroitnatureldechoisirceluiquilesdirigera.Enmême temps, le docteur Mohamed El Baradei a réussi à s’imposer comme leurvéritable chef dans la campagne pour le changement. Le large appui populairedont bénéficie aujourd’hui El Baradei constitue un phénomène politiqueexceptionnel,commeilyenaeupeudesemblablesdansnotrehistoire,sicen’estavec Saad Zaghloul, Gamal Abd el Nasser et Mustapha Nahhas. Parmi lespartisans d’El Baradei, on trouve des personnes qui appartiennent à différentscourants de pensée et différentes orientations politiques : des islamistes et descoptes,dessocialistesetdes libéraux,desnassériensetdeswafdisteset, cequiestencoreplusimportant,desmillionsd’Egyptiensordinairesquiontvuenluilechefincarnantleursrêvesdejusticeetdeliberté.Danslecontextedecettecrisedurégime et de ce vaste soutien à El Baradei, il peut être intéressant de nousinterrogersurcequel’onattenddelui.Celapeutserésumerdelafaçonsuivante:

Premièrement : comme directeur de l’Agence internationale pour l’énergieatomique, ledocteurElBaradeiaoccupé l’unedesplus importantes fonctionsdel’Organisation des Nations unies. Les activités de ceux qui occupent ces postesélevés ne se terminent pas avec la retraite. Aussitôt qu’ils ont quitté leursresponsabilités, ils sont submergés de demandes de conférences ou departicipation à divers événements internationaux. Les Egyptiens attendent dudocteur El Baradei qu’il reste définitivement dans son pays et qu’il donne laprioritéàlaconduiteducombatnational,carlechefquiluttepourlesdroitsdelanationdoitresterprésentsurlechampdebataille.Jesuispourmapartpersuadéque le docteur El Baradei se souvient de ce qu’avait fait Mustapha Nahhas, enprenant la têteduWafden1927 :aussitôt installédanssesnouvelles fonctions,cetavocatcélèbreabandonnalebarreau,fermasoncabinetetprononçasaphrasefameuse:

“Aujourd’hui, je suis devenu l’avocat de toute la nation. Il ne convient plusdésormaisquejeplaidepourdesindividusdevantlestribunaux.”

Deuxièmement:avantl’apparitiondeElBaradei,avaientétécréésdenombreuxmouvements nationaux pour le changement, dont le plus important était lemouvement Kifaya1 auquel revient le très grand mérite d’avoir brisé, chez lesEgyptiens, lemurde lapeur.LesmembresdeKifayaontdéfié l’étatd’urgenceetencaissélescoupsdelaSécuritécentrale.Ilsontsupportélesincarcérationsetlatorture. Ce sont eux qui ont arraché, pour la nation tout entière, le droit demanifester et le droit de grève. Ce sont eux les véritables pères des nombreuxmouvementsdeprotestationquisecouentmaintenant lepays,d’uneextrémitéàl’autre.Mais,dansleurensemble,lesmouvementspourlechangement,ycomprislemouvementKifaya,ont toujourssouffertd’unmanquedecommunicationavecles larges masses égyptiennes. Dans le cas d’El Baradei, en revanche, c’est lecontrairequis’estproduit.Sapopularitéestnéedanslarueavantdes’étendreàl’élite. Elle n’est pas apparue chez de grands intellectuels ou des personnalitéspolitiques, mais parmi les dizaines de milliers de citoyens ordinaires qui l’ontaiméetonteuconfianceenlui.Cevastesoutienpopulaireluiimposedenepassecouperdesgens.Ceuxqui,maintenant, l’entourentsont lesmeilleurset lesplussincèresdespatriotes,maisilfautquesaporteresteouverteàtous.LedocteurElBaradei est devenu le leader de tous les Egyptiens à quelque courant qu’ilsappartiennent. Aussi chaque Egyptien a-t-il le droit de le rencontrer et de luiexprimer ses idées, et son devoir à lui est de l’écouter. Le succès de la grandemission du docteur El Baradei est intimement lié à sa communication avec lesgensordinaires.

Troisièmement : l’annonce par le docteur El Baradei de la fondation d’uneassociationnationalepourlechangementestunacteéminemmentpolitique,etjem’attends à ce que des centaines demilliers, voire desmillions d’Egyptiens larejoignent dès que l’ouverture de la campagne d’adhésion sera annoncée,maiscelle-ci n’a pas encore été ouverte. Les gens sont nombreux en Egypte et horsd’Egypte à vouloir se joindre au mouvement, mais ils ne savent pas ce qu’ilsdoivent faire. Il faut que leur soit proposée une possibilité de participation plusgrandequ’àtraverslacollectedesmandatsactuellementencours.Lelargesoutiendont jouit El Baradei a rassemblé autour de lui un échantillon des meilleurscerveaux et des meilleures compétences égyptiennes. Tous attendent avecimpatiencelejouroùleurseraconfiéeunemissionauservicedeleurpays.Nousattendons du docteur El Baradei qu’il se hâte, dès son retour de l’étranger, dechoisirunsiègepourl’associationnationale,delancerunecampagned’adhésionet de constituer diverses commissions spécialisées mettant à profit, pour laréalisationdelaréformequenoussouhaitons,touteslescompétencesdontnousdisposons.

Quatrièmement : nous attendons du docteur El Baradei qu’il se prépare à unviolentaffrontementaveclerégimeactuel.Sonrôledeconciliateurpolitiques’esttransforméenrôledeleadernationaletilestnaturelquelerégimedictatoriallutteaveclaplusgrandeférocitépourdéfendresesacquis.Ilestdoncinutiledevouloiréviter ou retarder un affrontement inévitable, qui a d’ailleurs commencé lasemaine dernière, lorsqu’un des partisans d’El Baradei, lemédecin TahaAbd el

Tawab,aétéconvoquéaulocaldelasécuritéd’EtatdelaprovinceduFayoum,pouryêtredépouillédesesvêtements,battu,torturéethumiliéd’unemanièreodieuseet inhumaine. Ce crime, qui est une pratique quotidienne dans les locaux de lasécurité d’Etat, acquiert cette fois-ci une signification nouvelle. Il s’agit d’unmessagedurégimepourfairecomprendreàceuxquidemandentlaréformequepersonnen’échapperaauchâtiment,mêmes’iljouitd’unepositionsocialeélevée.

Aussitôtque ledocteurElBaradeiaconnuces faits–alorsqu’ilse trouvaitenCorée – il a publié un communiqué de presse, dans lequel il condamnait avecvigueurl’agressioncommisecontreledocteurTahaAbdelTawab,etilexprimaitàcederniersacomplètesolidarité.Maiscetacteodieuxn’estquelecommencementde laguerrecontreElBaradei,aucoursde laquelle le régimeutilisera toutessesarmes, légaleset illégales,pourveniràboutde l’espoirde libertédesEgyptiens.Nous attendons du docteur El Baradei qu’il utilise sa vaste expérience du droitinternationalpourfairejugerpardestribunauxinternationauxlesbourreauxquiemprisonnentettorturentdesinnocents.

Cinquièmement : depuis le début, le docteur El Baradei a résolument refuséd’êtrecandidatàlaprésidencedelaRépubliqueaunomd’unpartireconnuetilaégalement refusé de présenter, à la commission ad hoc, une demanded’autorisationdecréationd’unnouveauparti.Lasemainedernière, lanouvelleafiltré d’un accord secret entre le régime, le Tagammou et leWafd, ainsi que laconfrériedesFrèresmusulmans,autermeduquelcesorganisationss’abstiendrontd’aiderElBaradeienéchangedequelquessiègesàl’assembléedupeuple,lorsdesprochainesélections truquées.Cepactedéplorable, par cequ’il révèleduniveauauquel sont tombés certains hommes politiques égyptiens, nous confirmecombien le docteur El Baradei a été sage et clairvoyant lorsqu’il a refusé detravailleraveceux.Celaluiapermisdepréserverintactel’imagedontiljouitdansl’opinionpublique,loindelacorruptiondurégimeetdeceuxquiaffectentdes’yopposer,alorsqu’ilsensontsecrètementlescomplicescontrelesdroitsdupeuple.Les Egyptiens attendent dudocteur El Baradei qu’il s’en tienne à sa positiondeprincipe et qu’il refuse toute sorte de pourparlers ou de compromis. Ce quedemandentlesEgyptiens,cen’estpasunréajustementpolitiquelimité,maisuneréformeradicaleetglobale.ChaquecitoyenquisigneunmandatàElBaradeipourchanger la constitution retire par là-même sa confiance au régime actuel. Lesadjurationsetlesrequêtespleinesdefiorituresneserventàrien,carlesdroitsnes’octroientpas,ilss’arrachent.Notrecapacitéàfairerégnerlajusticeesttoujoursliée à notre disponibilité à nous sacrifier pour elle. Cent pétitions éloquentesadresséesaurégimeneconvertirontpaslesresponsablesàladémocratie,maissiunmilliondemanifestantsdescendentdanslesrues,legouvernementsetrouveraobligédesatisfaireleurrevendicationderéformes.

Dernier point : alors que l’Egypte tout entière attendque le docteur El Baradeirentredesonvoyage,j’aipenséqu’ilétaitdemondevoirdeluicommuniquercequivientàl’espritdesEgyptiensquil’aiment,quiplacentenluileursplusgrandsespoirs et qui, commemoi-même, sont entièrement persuadés queMohamed ElBaradeinelesabandonnerapas.

Ladémocratieestlasolution.

1Kifayaveutdire“çasuffit”.C’estlenomd’unmouvementd’oppositiondémocratiqueaurégimeduprésidentMoubarak.Cemouvementestné,àl’écartdespartisdel’oppositionofficielle,en2004.

QUANDLEPRÉSIDENTMOUBARAK

VA-T-ILFINIRPARCOMPRENDRE

CETTEVÉRITÉ?

LeShahMohammadRezaPahlaviestrestéaupouvoirenIrande1941à1979.Ilétait en relation étroite avec les Services secrets anglais et américains à quirevenait lemérite de son retour sur le trône après que son Premierministre, leleaderpatriotiqueMohamedMossadeg l’eut forcéàs’exileraudébutdesannéescinquante. Le règne du Shah s’est caractérisé par une brutale répression desopposants. La SAVAK, la police secrète iranienne, a tué et torturé des milliersd’Iraniens jusqu’au déclenchement de la révolution, en 1979. D’un point de vueneutre et objectif, le Shahd’Iran était donc un dictateur sanguinaire auxmainstachéesdusangdesessujets.Ilétaitparailleurs,ausenslittéraldumot,unagentdesEtats-Unisetdel’Occident.

Ilyadeuxans,j’airencontréauCaire,chezdesamiscommuns,saveuve,MmeFarah Pahlavi, dont la personnalité ouverte, sympathique etmodestem’a plu etdontl’intelligenceaiguëetlagrandecultureontretenumonattention.Nousavonslonguement parlé et ellem’a appris qu’elle était en train d’écrire sesmémoiresdontellem’apromisdem’envoyerunexemplaire,dèsleurpublicationchezDarElShorouk, ce qu’elle ne manqua pas de faire. En commençant la lecture, je fusfrappé par le fait queMme Farah Pahlavi considérait son défuntmari, le Shahd’Iran, commeunhérosnationalayant fait de grandes chosespour sonpays etqu’elle voyait dans la révolution iranienne un simple complot fomenté par unebande de crapules et de personnes malveillantes. En décrivant leurs derniersmoments,avantque la révolutionne lesoblige,elleet sonmari, àquitter l’Iran,elle écrit : “Nouspartons la têtehaute, assurésd’avoir travaillépour l’intérêtdupays et, si nous nous sommes trompés, au moins n’avons-nous pensé qu’àl’intérêtpublic.” Je fusextrêmementsurprispar cespropos,et jemedemandaiscommentcettefemmecultivéeetintelligentepouvaitignorer–oufermerlesyeuxsur–lescrimesodieuxaccomplisparleShahd’Irancontresonpeuple?

Ondiraque l’amourd’une femmepoursonmari la rend toujoursaveugleauxfautes de ce dernier. Or nous ne parlons pas ici d’écarts personnels mais descrimes épouvantables accomplis par le Shah contre les droits de millionsd’Iraniens.Leplusétrangeestquecesmémoiresfourmillentdedétailsmontrantque leShah lui-mêmecroyaitqu’il rendaitdegrandsservicesaupeupleetqu’ilsacrifiait son repos et sa vie pour la nation. Cela nous amène à la question del’opinionquelesdictateursontd’eux-mêmes:L’histoirenousenseignequetousse considéraient comme de grands héros et étaient dans un état permanent

d’auto-intoxication qui les amenait à justifier tout ce qu’ils faisaient de mal, ycomprislescrimesqu’ilsperpétraient.

Cefossépermanententreledictateuretcequisepassedanslaréalitéestunecaractéristique décrite avec force détails dans la littérature internationale : lasolitudedudictateur!Ledictateurvittotalementisolédelaviedescitoyensetnesait pas ce qui se passe réellement dans son pays. Après quelques années depouvoirdictatorial,seformeautourdeluiuncerclederichesamisetdeparents,vivantdansun luxequi les éloigne tout à fait de la viedes gensordinaires.Decette façon, le dictateur perd toute sensibilité envers les pauvres. Il ne vitabsolumentpasdanslavieréelledontlaseuleimagequiluiparvientprovientdesrapportsqueluitransmettentlesdifférentsservicesdesécurité.

Ces services estiment toujours de leur intérêt d’embellir l’image sombre desévénements pour éviter la colère du dictateur. Souvent, ils se font de laconcurrencepourgagnersaconfianceetécriventdesrapportssecontredisantlesuns les autres. Ils inventent parfois des complots imaginaires qu’ils prétendentavoir déjoués de façon à convaincre celui qui gouverne de leur importance.J’ajouteraiàcelaquelesministresquitravaillentavecledictateurnesontpaséluset, par conséquent, n’attachent aucune importance à ce que les gens pensentd’eux.Laseulechoseimportantepoureuxestdeconserverlasatisfactiondeceluiquilesanommésetpeutlesdémettreàn’importequelmoment.Ilsnelemettentdoncjamaisfaceàlaréalitéetluidisenttoujourscequ’illuiplaîtd’entendre.Ilesttrès rare que, dans un gouvernement despotique, les ministres s’aventurent àexprimerleursopinionsvéritables.Ilssonttoujoursdansl’attentedesinstructionsetdesorientationsduPrésident.IlsconsidèrenttoutcequefaitlePrésidentettoutcequ’ildit,voirecequ’ilpense,commelecombledelasagesse,ducourageetdelagrandeur.Decette façon, l’isolementdudictateurparrapportà laréalitéest totaljusqu’aumomentoù,à la fin, ilse réveilleavecunecatastrophequiébranlesonpaysouunerévolutionquimetfinàsonpouvoir.L’isolementdudictateurestunphénomène qui se répète tout au long de l’histoire, et c’est un des plus grandsvicesdece typederégimes.Lorsque laRévolution françaiseaéclaté,en1789,etque lesmassesaffaméesetencolèreontassiégé lepalaisdeVersailles, la reineMarie-Antoinettedemanda la causede cettemanifestation.Unde ses serviteursluirépondit:

—Ilssontencolère,parcequ’ilsnetrouventpasdepain,Majesté.

Etlareinerétorqua:

—Qu’ilsmangentdelabrioche!

Cette phrase célèbre attribuée àMarie-Antoinettemontre le degré d’isolementauquelparvientledespote.NonseulementMarie-Antoinetteétaitunefemmeforteet intelligente, mais c’était elle qui exerçait le pouvoir effectif à travers lesdécisionsdesonmari;toutefois,aprèsdesannéesdedespotisme,elles’étaitmiseàvivre,defait,dansunautremonde,éloignéduréel.

J’aipenséàcelaensuivantcequisepasseenEgypte.LeprésidentMoubarakestallé subir une opération chirurgicale enAllemagne. Je souhaite naturellement laguérison à toute personne malade, mais je ne vois pas dans la maladie duPrésidentunévénementexceptionnel.Chacunpeutêtreatteintdemaladie,et,parailleurs, l’âge avancédu Président le prédispose à avoir de temps en tempsdesennuis de santé. Cependant les scribes du régime ont accueilli cet événementcommesic’étaitlafindumonde.L’und’entreeuxamêmeécritquec’étaitl’Egypte,qui étaitmalade de lamaladie du président, comme si la grande Egypte s’étaitincarnée, et comme si elle se résumait à Hosni Moubarak. Cette hypocrisieavilissante et de bas étage a duré tout aussi longtemps que le traitement etlorsque, grâce àDieu, l’opération chirurgicale a réussi, le cortègede l’hypocrisies’estébranléavectamboursettrompettes.

Des ordres ont été donnés à quelques chanteurs et chanteuses pour qu’ilspréparent des chansons dédiées aux festivités du retour du bienheureuxPrésident.Jenesaispascommentunartistevéritablepeutaccepterdedevenirunchantrestipendié,àl’imagedecesmendiantsquitournentdanslafoulelesjoursdefêtesdessaints1.Ceshypocritesont-ilspenséàcequ’ilsallaientfairelorsqueleChef d’Etat irait à nouveau en Allemagne pour un examen de contrôle ?Composeront-ilsd’autreschansonsàsonretour?LeprésidentMoubarakpeut-ilcroireàtoutecettehypocrisie?

Neluivient-ilpasàl’esprit,fût-ceuncourtinstant,quetouscesbaladinsettouscesmirlitonsnel’aimentpas,maisdéfendentlesprivilègesqu’ilsontacquissousson règne ? LeprésidentMoubarakne sait-il pasquenombrede ceshypocritessont, à toutes les époques, restés collés au pouvoir et que leurs idées et leursopinions ont toujours pris la couleur du moment ? Ils étaient des socialistessincèresdanslapériodenassérienneet,lorsquelesventsontchangéetquel’Etats’estconvertiàl’économielibérale,ilssontdevenuslesplusgrandsdéfenseursdelaprivatisationetdelalibertédumarché!

QuelleimagesefaitleprésidentMoubarakdecequisepasseenEgypte?Sait-ilqueplusdelamoitiédesEgyptiensviventsousleseuildepauvreté?N’est-ilpasangoissé à l’idée que des millions de ses compatriotes vivent dans un habitatprécaire,sanseau,niélectricité,niégouts?N’est-ilpaspréoccupéparl’extensionduchômage,delapauvreté,delamaladieetdudésespoir?Sait-ilquel’Egypteestauplusbasdegrédeladécadencedanstouslesdomaines?A-t-ilentenduparlerdecespauvresquimeurentdansdesfilesd’attentepourobtenirdupainouunebouteilledegaz?A-t-ilentenduparlerdecesconvoisdelamortdanslesquelsdesmilliers de jeunes Egyptiens meurent noyés, en tentant de fuir la misère ?Quelqu’un lui a-t-il dit que desmilliers d’employés dorment sur le trottoir avecleursenfantsdepuisunmois,devantl’assembléedupeuple,parcequeleurvieestdevenueimpossible?A-t-ilpenséaufonctionnairequitouchecentlivresparmoisaveclesquellesildoitfairevivretoutesafamille,alorsquelekilodeviandeatteintsoixante-dixlivres?Biensûr,jenesaispasàquoipenseleprésidentMoubarak,

mêmesijecrois,comptetenuduphénomènedel’isolementdesdictateurs,qu’ilauneimagecomplètementcoupéedelaréalitédecequisepasseenEgypte.

LasituationenEgypteest tellequ’uneviolenteexplosionpeutavoir lieuà toutmoment.Si celaarrive,qu’àDieuneplaise,nousenpaierons tousensembleunprixexorbitant. Jesouhaiteque leprésidentMoubarak termineson règnepar laréalisation d’une véritable réforme démocratique, une modification de laconstitution permettant une concurrence loyale entre les candidats et la tenued’électionslibresethonnêtespourquelesEgyptienspuissentchoisirdenouveauxvisagesdepersonneshonorables,qui aurontpour responsabilitéde faire cesserlestourmentsdel’Egypteetd’ouvrirlesportesdel’avenir.QuandMoubarakfinira-t-ilparcomprendrecettevérité?

Ladémocratieestlasolution.

1Lemawlidestlafêted’unsainthomme.Certainesdecesfêtes,commelemawliddesayyidnaAlHusseinoucommeceluideSayyidaZeineb,auCaire,sontfréquentéspardesdizainesdemilliersdepersonnes.

FALSIFIERLESÉLECTIONSEST-ILCONSIDÉRÉ

COMMEUNPÉCHÉMORTEL?

Aucoursdesmoisprochains,desélectionsparlementairesetprésidentiellesvontavoir lieu en Egypte. Dans le passé, le régime a essayé d’utiliser les juges pourcouvrirlafraudeélectorale,maislesjugesquisonthonnêtesontrefusédetrahirleursprincipes.Leurmessageaétéclair:oubienilscontrôlaientsérieusementoubienilsseretiraientetlaissaientlerégimeassumerseullahontedelafraude.

Cette fois-ci, le régime a d’emblée décidé d’abolir le contrôle judiciaire et il aannoncésonrefusd’unequelconquemissiond’observationinternationale.

Tout cela confirme que les prochaines élections seront frauduleuses. LesEgyptiens savent déjà parfaitement que les membres du parti au pouvoirremporteront lamajorité des sièges auparlement et que l’électionprésidentielleseraune farcequipermettra auprésidentMoubarakde conserver lepouvoir oud’enfairehéritersonfilsGamal.Maislaquestionquiseposeestdesavoirquiestresponsabledelafraudeélectorale.

Comme c’est le ministère de l’Intérieur qui conduit les élections, laresponsabilitéluienincombeaupremierchef,maisleministre,enréalité,nefaitqu’appliquer des instructions. C’est le président de la République lui-même quiprendladécisiondefrauder.

Ladécisiondefraudersetransmetainsiduprésidentauministredel’Intérieuret elle est ensuite exécutée par desmilliers d’officiers, d’agents de police et defonctionnaires de toutes les provinces d’Egypte. Ce sont ces fraudeurs quiempêchentlesgensdevoteretquiontrecoursàdeshommesdemainpourrosserlesélecteursn’appartenantpasaupartiaupouvoir, cesonteuxqui remplissentlesurnes,puislesfermentetannoncentensuitelesrésultatsfrauduleux.

Touscesfraudeurs,commelaplupartdesEgyptiensmaintenant,prientàheuresrégulières,jeûnentpendantleramadan,donnentlazakat1,vontenpèlerinageàLaMecqueetdemandentà leursépousesetà leurs fillesde sevoiler.Mais,malgréleurempressementàappliquerlescommandementsdelareligion,ilsparticipentà la fraude électorale sansmême avoir le sentiment de désobéir à la religion etsans que l’idée du péché les empêche de dormir. La plupart du temps, ilsconsidèrentqu’ilsappliquent les instructionsde leurschefs,niplusnimoins,etpour eux, la question des élections n’a absolument rien à voir avec la religion.Mais si nous imaginons qu’au lieu de donner pour l’instruction de truquer lesélections, le président de la République ordonnait aux officiers et auxfonctionnairesdeboiredel’alcooloudemangerpendantlesjournéesderamadan,

ilsserévolteraientàcoupsûretrefuseraientd’exécutersesordres,parcequ’ilestinterditàunecréatured’obéiràdesordresquilefontdésobéiràsoncréateur.

Pourquoices fonctionnairesconsidèrent-ilsquefalsifier lesélectionsn’estriendeplusqu’exécuterdesinstructionsalorsqu’ilsconsidèrentqueboiredel’alcooloumangerpendantlesjournéesderamadanreprésenteunegravetransgression?Laréponsevanousfaireappréhenderladistanceénormequiexisteentrelavéritédel’islametlafaçondontnouslecomprenons.

Vouspouvezchoisirlechapitrequevousvoulezdansleslivresdedoctrine,vousnetrouverezpasunmotsurlafalsificationdesélections.Cesonttous,eneffet,devieuxlivresécritsàdesâgesoùcettepratiqueétaitinconnueet,commelaportedel’interprétation2 est fermée depuis des siècles, tout ce que font maintenant laplupart des docteurs en jurisprudence religieuse, ne va pas au-delà de laruminationdesavisdoctrinaires,prononcés ilyamilleans. J’ajouteà celaque,dans l’histoirede l’islam,nombrede cesdocteursétaient lesalliésdespouvoirsdespotiquesetque,s’ilsexpliquaientauxgenscommentappliquerlesrèglesdelareligiondansdenombreuxdomainesdelavie,ilsignoraientsciemmentlesdroitspolitiquesdesmusulmans.Certainsd’entreeuxtordaientmêmelecouàlavéritéet expliquaient la religion d’une façon visant à soutenir les despotes et à lesdispenserd’avoiràrendredescomptes.

Il y a, en Egypte, des dizaines de cheikhs célèbres appartenant à différentesécoles – depuis les cheikhsd’AlAzhar jusqu’aux cheikhs salafistes, enpassantparlesnouveauxprédicateurs–quiexhortentchaquejourlesEgyptiensdansdesmilliersdemosquéesetsurdesdizainesdechaînessatellitaires,enabordanttouslesaspectsdelaviedesmusulmans,àcommencerparlemariageetledivorce,leportdel’oretdelasoie3,lamanièredeselaverdesesimpuretés,maisaucunnedit un mot sur la fraude électorale. J’ai connu, il y a quelques mois, un jeuneprédicateurcélèbrequim’asembléêtreunjeunehommebienélevé.Lorsqu’ilm’ademandélapermissiond’assisteràlacauseriequej’animechaquesemaine,jeluiaiditqu’ilseraitlebienvenu.Là,trouvantlesparticipantsentraindeparlerdeladémocratie,del’étatd’urgence,etd’affirmerledroitdesEgyptiensàchoisirceuxquilesgouvernent,ilestpartisansparticiperaudébat.Jenel’aiplusjamaisrevu!

La religion, chez ce prédicateur, n’a absolument aucun lien avec la chosepublique.Pourlui,elleseréduitàlapudeurdesfemmes,àl’accomplissementdesobligations,etauxbonnesmœurs.Ladiscussionsurlesdroitsdel’hommeouleslibertéspubliquesnel’enthousiasmedoncpasetilsaitparailleursqu’abordercessujetsenEgypteauncoûtélevéqu’iln’apasenviedepayer.

Jemesuis tournévers les livresdereligionpourcomprendrecomment l’islamjugelafraudeélectorale.J’yaivuquelespéchéssedivisaientenpéchésvénielsetpéchés mortels. Le péché mortel est la désobéissance majeure qui encourt unepunition de Dieu dans ce monde et dans l’autre. Même si les docteurs enjurisprudencedivergentquantauxpéchésmortels, tous sontd’accordsur le faitque le faux témoignage est l’un des plus graves, contre lequel le Coran, dansplusieursversets,metvivementengarde.Parexemple :“Ceuxqui fontdes faux

témoignages…”(SouratedelaSéparationdubienetdumalàpartirduverset72).Egalement : “Abstenez-vous de l’infamie, des idoles et abstenez-vous dumensonge”(SourateduPèlerinageàpartirduverset30)

Le faux témoignageest lemensongevolontaire fait lorsd’un témoignagedansl’intention d’infirmer la vérité. Lorsqu’une personne fait devant un juge untémoignage contraire à la vérité, il commet une faute grave car, par sontémoignagemensonger,ilconduitànierledroitdesunspourlefairereconnaîtred’unefaçonerronéeauxautres.Dansleurexécrationdufauxtémoignage,certainsdocteurs sont allés jusqu’à le comparer à la non reconnaissance de l’unicitédivine4etilsontaffirméquecepéchén’étaitpaseffacéparlacontrition,nimêmeparlepèlerinageàLaMecque,saufaprèsquelefauxtémoinaurarenduauxgensleursdroitsspoliésparsontémoignagemensonger,ou,àtoutlemoins,jusqu’àcequ’ilaitreconnusoncrimedevanteuxetqu’ilaitsollicitéleurpardon.Orcefauxtémoignage que l’islam considère comme un des péchés les plus abominableséquivautniplusnimoins,dansnotreviecontemporaine,àlafraudeélectorale.

Le fonctionnaire qui participe à la fraude électorale fait un faux témoignageconcernant des résultats mensongers. Il empêche le candidat qui y a droitd’obtenir le poste qu’il mérite, tandis qu’il le donne à une personne qui ne leméritepas.Demonpointdevue, la fraudeélectoraleestmêmebienpireque lefauxtémoignage,carcedernierdépouilledesondroitunindividuetunefamille,alorsque la fraudeélectoraledépouillede sondroit lanation tout entière.Si lesfraudeursduministèredel’Intérieurcomprenaientque,dupointdevuereligieux,ilssontdefauxtémoins,ilsrefuseraientàcoupsûrdes’yassocier,mais,commebeaucoup d’Egyptiens, ils considèrent que les élections démocratiques etl’alternanceaupouvoirsontdesquestionssecondairesquin’ontpasdelienavecla religion. Cette compréhension bornée de la religion nous prédispose audespotisme et nous fait plus docilement accepter l’oppression. C’est ce quiexpliquequeladictaturesoitplusrépanduedanslespaysislamiquesquedanslesautres.

Les peuples ne se développent que dans deux cas seulement et pas trois : oubien s’ils comprennent la religion d’une façon correcte, c’est-à-dire s’ilsconsidèrentqu’enpremierlieuelledéfendlesvaleurshumainesquesontlavérité,la justice et la liberté ; ou bien s’ils partent d’une idée morale qui place sousl’autoritédelaconsciencehumainelescritèresdel’honneuretdelaprobité.Quantaux peuples qui considèrent que la religion est séparée des valeurs humaines,leurscapacitéssontparalyséeset ilssontcondamnésàprendreduretardsur lacaravanedelacivilisation.

Lavisionbornéequiignorel’espritdelareligionetlatransformeenunelistedeformalités à remplir conduit l’hommeàune religiosité factice et formelle, et elledétruitlesentimentnatureldelaconscience.Celapeutpousserl’hommeàadopterles pires comportements, tout en étant convaincu de l’intégrité de sa piété qu’ilconsidèrelimitéeàl’accomplissementdesobligationsreligieuses.

Lasituationdel’Egypteestsicatastrophiquequ’iln’estpluspossibledelataire.Desmillionsd’Egyptiensviventdansdesconditions inhumaines.Lapauvreté, lechômage, la maladie, la répression, la corruption ont atteint un niveau sansprécédent.

Touscesopprimésontdroitàuneviehumainehonorable.Lechangementquenousdemandonsviendraà la foisdusommetde lapyramidepolitiqueetdesabase.Ilestdenotredevoirdefairepressionsurlerégimepourqu’ilpermettedesélections intègres,mais, enmême temps, il fautquenousexpliquionsauxgensque s’ils participent à la fraude électorale, ils commettent un grave péché et uncrimeinfâmecontrelesdroitsdupays.

LorsquelePrésidentdonneral’ordredetruquerlesélectionsetqu’ilnetrouveraplusd’officiersdepoliceoudefonctionnairesduministèredel’Intérieuracceptantdepolluerleurhonneuretleurfoienparticipantàlafraude,alors,commenceralefuturdel’Egypte.

Ladémocratieestlasolution.

1Aumônelégalequifaitpartiedesobligationsreligieusesetdontlemontantestproportionnelauxrevenus.

2Dansl’islamsunnite,cesontlesfouqaha(lesdocteursenjurisprudencereligieuse)quidansleurslivresdefiqh(jurisprudencereligieuse)donnentl’interprétationlégitimedestextes.Sil’Ijtihad(effortfaitparlecroyantpouratteindrelavéritéeninterprétantlestextes)estconsidérécommeunedessourcesdelajurisprudence(auxcôtésduCoran,delaSunna,del’analogieetduconsensus),l’islamsunniteconsidèrenéanmoinsquelesgrandsfouqahadupasséonttoutditetqueparconséquentlesportesdel’Ijtihadsontfermées.Ilnerestedoncplusauxfouqahamodernesqu’àrépéter,enlemettantplusoumoinsaugoûtdujour,cequ’ontditlesfouqahadupassé,sansyajouteraucunebidaa(innovationblâmable).C’estcontrecettevisionorthodoxeetofficielledelareligionquesedressentaujourd’huidenombreuxcroyantsàlarecherched’unepenséeplusautonome.

3Seloncertainesinterprétations,leportdevêtementsdesoieseraitillicite.

4Alsharkbillah,lefaitd’associeràDieud’autresdivinités.

AVONS-NOUSBESOIN

D’UNDICTATEURÉQUITABLE?

MercredidernieraétéunemauvaisejournéepourGordonBrown,lechefduPartitravailliste et Premier ministre de Grande-Bretagne. M. Brown était en tournéeélectorale dans la ville de Rochdale, dans le comté de Manchester. Alors qu’ilparlait avec les gens dans la rue, Gillian Duffy, une citoyenne britannique,fonctionnaire retraitéede soixante-sept ans, leprit vivementàpartiedevant lescamérasdetélévisionausujetdesémigrésvenantdel’Europedel’Estqui,selonelle,prenaientletravaildesBritanniques.

LePremierministreessayadelaconvaincredubien-fondédelapolitiquedesongouvernementenverslesémigrés,maisGilliansecramponnaitàsonpointdevueet Brown ne put rien faire de mieux que terminer habilement l’entretien eninterrogeant Gillian sur ses enfants et ses petits-enfants, avant de lui serreramicalementlamainetdeviteretourneràsavoiturepouralleràunautrerendez-vous.

Mais,poursonmalheur,GordonBrownoubliadefermerlepetitmicroquiétaitaccrochéàsavesteetquicontinuadoncàtransmettresespropossurleschaînesde télévision. Dès qu’il fut dans sa voiture, irrité par la véhémence de soninterlocutrice, ilditàsescollaborateurs:“Quellecalamité!Quiaeul’idéedemefairerencontrercettefemme?Uneextrémiste!”

LesparolesdeBrownfurenttransmisesàl’ensembledesmédiaset,uneheureplustard,lescandalefaisaitletourdupays:lechefdugouvernementavaitparléd’une façon méprisante d’une citoyenne britannique et l’avait accuséed’extrémisme,simplementparcequ’ellen’étaitpasd’accordavec lui.Lesmédiasmirentdel’huilesurlefeueninformantMmeGillianDuffydecequepensaitd’ellesonPremierministre,cequilamittrèsencolère.

GordonBrownsetrouvaainsimisendifficultéquelquesjoursàpeineavantlatenuedesélectionsgénéralesprévuespourle5mai.LePremierministretéléphonaàGillianDuffy pour lui transmettre ses excuses,mais cela ne suffit pas. Brownapparutsurl’écrandelatélévisionbritanniquefaceàunjournalistecinglantquilui fitd’abordécouterunenregistrementdecequ’ilavaitditàproposdeGillianDuffy,puisluidemanda:“Désapprouvez-vouscespropos?”LePremierministrelui répondit que, en effet, il les regrettait et, qu’à l’avenir, il ne recommenceraitplus.IlprésentaensuitesesexcusesàGillianDuffydevantlepeuplebritannique.

Maiscelanesuffittoujourspasàeffacerl’acteinqualifiablequ’ilavaitaccompliet iln’eutpasd’autrerecoursquedereveniràRochdale,deserendrechezMme

Gillian Duffy et d’y passer quaranteminutes à se disculper. Finalement, GillianaccordasonpardonauPremierministre,maiselle refusade l’annonceravec luidevant lesmédias.GordonBrownsortit seul etdéclaraànouveauqu’il avait eutort et qu’il se repentait,mais qu’il se sentait soulagé, car la citoyenne offenséeavaitacceptésesexcuses.

AumomentmêmeoùlePremierministrebritanniquesollicitaitavecinsistancele pardon d’une citoyenne britannique ordinaire pour le simple fait de l’avoirtraitée d’extrémiste, dans une conversation privée enregistrée par erreur, desmilliersdecitoyensenEgyptedormaientdepuisdesmoisdans la rue,devant leconseildesministresetl’assembléedupeuple,avecleursépousesetleursenfants.Toutes ces personnes passant la nuit en plein air sont les délégués demillionsd’Egyptienspauvresdontlaconditions’estdétérioréeaupointqu’ilsn’ontplusdequoi subvenir aux dépenses de leurs enfants.Mais le président du Conseil desministres égyptien,AhmedNazif, ne s’est pas donné la peine d’aller rencontrercespauvresgensnidelesécouteroud’essayerdelesaiderdequelquefaçonquece soit. Il les a abandonnés pour partir avec sa nouvelle épouse se détendre àHurgada.

Quant aux jeunes qui ont manifesté pour la révision de la constitution, enréclamantlalibertéetl’abrogationdel’étatd’exception,ilsontétéfrappés,jetésàterre et incarcérés par les forces de la sécurité centrale (l’arméed’occupationdel’Egypte).Certainsdéputésduparti aupouvoir ontmêmedemandéque l’on tiresureux.

CetteétonnantecontradictionentrelesattitudesduPremierministreenEgypteetenGrande-Bretagnenepeutquenousamenerànousinterroger:pourquoilesautorités britanniques se comportent-elles avec tout ce respect, alors que lesautorités égyptiennes traitent leurs concitoyens comme des criminels ou desanimaux.?Ladifférence,ici,n’estpasd’ordremoral,maisd’ordrepolitique.

RienneprouvequeGordonBrown soitmoralementmeilleur qu’AhmedNazif,mais Brown est un Premier ministre élu dans un régime démocratique et, parconséquent, il sait qu’il est au service du peuple, qui est la source de tous lespouvoirs,etilsaitégalementques’ilperdlaconfiancedesélecteurs,celasignifiela findesonavenirpolitique.Ladifférence fondamentale,c’estqu’AhmedNazif,lui,n’estpasélu,maisnommépar leprésidentMoubaraket,parconséquent, cequiluiimporte,cen’estpaslaconfiancedesgens,maisseulementlasatisfactionduprésident.QuantauprésidentMoubarak lui-même,personnenonplusne l’aélu et,malgré cela, il tient le pouvoir entre sesmains, depuis trente ans, par larépressionetdesélections truquées.LaconfiancedesEgyptiensne lepréoccupedoncpasbeaucoup,aussilongtempsqu’ilestcapabledelessoumettregrâceàsonappareilde sécurité.SiGordonBrowngouvernait laGrande-Bretagne, grâceà lafraude et à l’état d’exception, il ne se serait pas excusé auprès deMme GillianDuffy. Le plus probable, c’est qu’il aurait ordonné son arrestation et l’aurait faitenvoyer dans le local le plus proche de la sécurité d’Etat où on l’aurait battue,accrochée par les pieds comme une bête à l’abattoir, soumise à des décharges

électriquesdans lespartiessensiblesetpeut-êtremêmeaurait-elleété jugéeparun tribunal d’exception sous l’inculpation d’incitation au désordre, offense auxreprésentants de l’Etat et menace contre l’ordre public. C’est la façon dont lesdirigeantsaccèdentaupouvoirquidéfinitleurcomportementpendantladuréedeleurmandat.Cetteréalitébienétabliedanslemondedéveloppéestencoreignoréede certains Egyptiens qui jugent leurs dirigeants sur la politique qu’ilsmènentlorsqu’ils sont au pouvoir, sans beaucoup s’arrêter sur la façon dont ils y sontparvenus.

CertainsEgyptiensrêventtoujoursd’undictateuréquitable,dontlavolontésoitau-dessusdesloismaisquiemploiesonpouvoirtyranniquepourfairerégnerlajustice.L’idéed’undictateurjusterejointtoutàfaitcelledubanditd’honneuretdelaprostituéevertueuse.Cenesontlàquedesexpressionschimériquesetvidesdesens. Car comment un dictateur serait-il juste, puisque la dictature est en elle-même une atroce oppression ? Le concept du dictateur juste s’est sans douteinsinuédans l’esprit desArabes à traversde longs sièclesdedespotisme. Il estjustede rappeler icique levéritable islamaoffert, longtempsavant l’Europe,unbelexemplededémocratie.Quoideplusconvaincantque leProphètequin’avaitpasdésignédesuccesseurpourlaisserauxmusulmanslalibertédechoisirquilesgouvernerait?Ensuite,troisdesquatrepremierscalifesorthodoxes1furentchoisispar les gens et totalement soumis au contrôle populaire, comme cela arrive,aujourd’hui,dans leplusdémocratiquedesEtats.Dèssaprisedepouvoir,AbouBakrelSadiq,premierdirigeantdel’islamfitladéclarationsuivante:“Ôvousquejegouverne,jenesuispasmeilleurquevous.Sicequejefaisestbien,acceptez-moi comme votre chef, si ce que je fais est mal, soulevez-vous contre moi.Obéissez-moi aussi longtemps que j’obéis à Dieu et à son Prophète,mais si jedésobéisàDieuetàsonProphète,vousn’aveznulleobligationdem’obéir.”

Ce magnifique discours a, de nombreux siècles avant les constitutionsmodernes, défini les relations démocratiques entre le dirigeant et les citoyens.Mais la démocratie du premier islam prit rapidement fin et de longs siècles dedictatureluisuccédèrent.Lesdocteursenjurisprudencedessultansontalorsmisla religion au service des dirigeants et dépouillé lesmusulmans de leurs droitspolitiques.Ilsont,àcettefin,développédeuxidéesextrêmementdangereuses:lapremièreestque“lepouvoirestàquia remporté lavictoire”, cequidonneunelégitimitéàtousceuxquis’ensaisissentparlaforceaussilongtempsqu’ilssontcapables de le conserver, également par la force. La seconde est que “lesmusulmansontl’obligationd’obéiràceluiquidirige,mêmes’ilestcorrompuetlesopprime”.Cesdeuxidéesontouvertunefailleentrelaconsciencedesmusulmansetladémocratie.Elleslesontprédisposésàlasoumissionetrenduspluscapablesquelesautrespeuplesd’accepterladictature.

Ladégradationdelasituationdel’EgypteestarrivéeàsoncombleetlaplupartdesEgyptiensdemandentunchangementquileurgarantisselajustice,ladignitéet la liberté. Il faut que nous sachions que le changement ne pourra jamais seréaliser à travers une personne, aussi bonnes soient ses intentions et aussi

vertueuses soient ses mœurs. Le changement se réalisera à travers un régimenouveau et juste démontrant par ses actes qu’il considère les Egyptiens commedescitoyensdepleinecapacitéetdepleindroitetnonpascommedessujetsoudes esclaves dépendant de la bienfaisance de leur chef. Lorsque les Egyptiensauront la possibilité d’élire, de leur propre et libre volonté, ceux qui lesgouvernerontou lesreprésenterontà l’assembléedupeuple,alors ilsseronttouségaux devant la loi. C’est alors seulement que commencera le futur. C’est alorsseulement que le Président de l’Egypte veillera à la dignité de chaque citoyen,exactementcommecelas’estproduitenGrande-Bretagnelasemainedernière.

Ladémocratieestlasolution.

1Lemotorthodoxedanssonsenspremiersignifie“quisetrouvedanslavoiedroite”.C’estàpeuprèslesensdu mot rachid dont on qualifie les quatre premiers califes (successeurs du Prophète à la tête de lacommunauté).

UNEHISTOIREPOURLESPETITS…

ETPOURLESGRANDS

Legrandéléphant se tenait sousunarbre énormeaubordde la rivière, là où ilavaitl’habitudederencontrersescollaborateurs.Maiscettefois,ilétaitallongéparterre,incapabledeseleversursesquatrepattes,avecsatrompequipendaitàsoncôté,etilavaitl’airtellementépuiséqu’ildevaitfaireungrandeffortpourgarderlesyeuxouvertsetsuivrecequisepassaitautourde lui.Devant lui, se tenaientsesquatreassistants : l’âne, lecochon, le loupet lerenardquisemblait tenduetpritlaparolelepremier:

— Chers frères, notre grande forêt traverse des circonstances difficiles. Notreseigneur legrandéléphantestencoreépuiséparsadernièremaladieet jeviensd’apprendreque tous lesanimauxde la forêtsedirigeaientversnousdansunemarchedeprotestationconduiteparlagirafe.

L’ânesemitalorsàbrairebruyamment:

— Pourquoi donc cette girafe est-elle toujours en train de faire du remue-ménage?

Le cochonsemitàgrognerensignedeprotestation,pendantque lapuanteurquiémanaitdesoncorpsserépandaitautourdelui:

—Jeproposequenoustuionscettegirafepouravoirlapaix.

Lerenardregardal’âneetlecochonavecmépris:

— Je n’ai jamais entendu de bêtises pareilles… Le problème, ce n’est pas lagirafe. Tous les animaux protestent. Il faut que nous négociions avec eux pourparveniràunesolutionsatisfaisante.

Alorslelouphurla:

— Désolé, mon cher renard. Nous ne négocierons avec personne. Le grandéléphant,seigneurdelaforêtesttoujourslà,queDieuluiaccordelasanté,etc’estsonfilslepetitéléphantDaghfalquiluisuccéderasurletrône.

Lerenardsourit:

— Parlons franchement. Daghfal n’est pas capable de gouverner. Il passe toutsontempsàs’amuserd’unemanièreirresponsable.Regardez-lefairemaintenant.

Ilssetournèrenttousversl’endroitoùsetrouvaitDaghfal,lepetitéléphant.Ilslevirent en train de se vautrer joyeusement dans l’herbe, en remuant ses deuxlargesoreilleset enaspirantde l’eauavec sa trompepour s’enarroser le corps.

Effectivement, ilsemblaitdansunétatdejoieetd’insouciancequines’accordaitpasaveclagravitédesmomentsquevivaitlaforêt.

Lerenardpoursuivit:

— Tout ce que je vous demande est de rester silencieux et de me laisserm’entendreaveclesanimauxencolère.

Alorslelouphaussaleton:

—Depuisquandprenons-nousencomptecessalesanimaux?C’estànousdedécidercequenousvoulons.Quantàeux,ilsn’ontriend’autreàfairequed’obéirànosordres.

Lerenardsourit:

— Cher loup, il serait sage de comprendre que la situation dans la forêt achangé.Lesanimauxnesontpluscequ’ilsétaienthier.Aujourd’hui,cen’estpaslasévéritéquinouspermettradefairefaceàlasituation.

—Aucontraire,nousavonsbesoindesévéritéaujourd’huiplusquejamaisdanslepassé.C’estnousquipossédonstout.Nousavonsunearméebienentraînéedechiensféroces,capabledemettreaupaslepremieranimalquilèveralatêtepournousaffronter.

Ces propos déplurent au renard,mais, tout à coup, dans tous les coins de laforêt, retentirent lescrisdesanimaux.C’étaitunméli-mélooù l’onentendait leslapins, lespoulets, lesvaches, lesbufflesses, lesmoutons, les chatsetmême lessingesquiavaienteuxaussiparticipéàlamarche.Ilsétaientaccourusdepartoutavec, à leur tête, la gracieuse girafe, qui avançait d’un pas nonchalant. Ilss’approchaientdel’endroitoùétaitallongélegrandéléphant.Toutàcoup,leloupcriad’unevoixeffrayante:

—Quiêtes-vousetquevoulez-nous?

Lagirafeluiréponditd’untonferme:

—Nous sommes les habitants de cette forêt. Nous avons des griefs que nousvoulonsexposerauroiéléphant.

—Cen’estpaslemomentdeprésenterdesrevendications.Leroiestfatiguéetilestoccupé.Partez!

Lagiraferemuasonlongcoudedroiteàgaucheetrépondit:

—Nousnepartironspasavantd’avoirexposénosgriefs.

—Vousoseznousdéfier?

Lerenardintervintalors:

—Bon,MadamelaGirafe,calmez-vousunpeu.Quelssontcesgriefs?

—Cette forêtestnotrepropriétéà tous,maisnoussommesdépossédésdesesrichesses.Vousgouvernez la forêtseulementdansvotre intérêtetvousne faites

aucuncasdesautresanimaux.Lesnombreusesrichessesde la forêtvont toutesauxânes,auxcochons,auxloupsetauxrenards.Quantauxautresanimaux,ilstravaillent honnêtement toute la journée et, malgré cela, ils ne rapportent pasassezdenourriturepourleursenfants.

Cesparolesdéplurentauloup,maislagirafepoursuivitavecvéhémence:

— La situation dans la forêt est catastrophique dans tous les domaines. Voussouffrezd’indigestionetnousmouronsde faim.Apartird’aujourd’hui,nousnepouvonsplusacceptercettesituation.

Lesanimauxrévoltéssemirentàapprouverdeleursclameurslagirafequilesconduisait.Lelouptenditlatêteenavantetcria:

—Partez,jeneveuxpasentendrecesmots,allez,partez!

—Nousnepartironspas!réponditlagirafeavecbeaucoupdedétermination.

Alorslelouplevalatêteetpoussaunlonghurlement:aussitôtapparurentdesdizainesdechiensbienentraînésquisemirentàregarder lesanimauxd’unairmenaçant. Lavuede ces chiensaurait autrefois suffi à semer la frayeurdans lecœurdeshabitantsdelaforêt,mais,cettefois-ci,ilscontinuèrentàleurfairefacesansbouger.L’ânes’enétonna:

—Ilsn’ontpaspeurdecesféroceschiensdegarde.MonDieu,ques’est-ilpassédanslaforêt?

Lagirafereprit:

—CherLoup,ilfautquevousetvoscollèguescompreniezquenousn’avonspluspeurdevous.Nousnecraignonsplusrienetnousn’avonspaspeurdemourir.Oubien vous nous accordez nos droits, ou bien nous serons obligés de vouscombattre.

Leschiensdegardes’avancèrentetseplacèrentendemi-cercleenpositiondecombat, prêts à attaquer. Ils avaient la bouche ouverte, laissant voir leurs crocsacérésetmenaçants.Leuraspectétaitvéritablementeffrayant,maislagirafeleurditsanstrembler:

—Vous, les chiensde garde, votre cas est étrange.Vousnous combattezpourprotégerl’éléphantetsescollaborateurs,alorsquevousêtesdesnôtresetpasdesleurs.Commenous,voussouffrezdel’oppressionetdelapauvreté.Vosdroitssontspoliés comme les nôtres. Pourquoi soutenez-vous contre nous l’éléphantoppresseur?Ilvousemploieetlorsqu’iln’auraplusbesoindevous,ilvousjetteraaumilieudelaroute.

Certainschienseurentl’aird’hésiter.Lagirafeettouslesanimauxderrièreelles’empressèrent d’attaquer. Les chiens entrèrent dans le combat avec férocité.Beaucoupdesangcoulaetdesmortstombèrentdesdeuxcôtés.Etrangement,ungrandnombredechiens,ébranlésparlesproposdelagirafe,neparticipèrentpasau combat, ce qui permit aux animaux de vaincre les autres. Lorsque le renardcomprit que la défaite était assurée, il s’enfuit sans laisser de trace. Le loupqui

était resté prostré par terre s’élança tout à coup sur la girafe et la mordit à lapoitrinedesescrocspuissants,mais,malgrélaviolentedouleuretsonsangquicoulait abondamment, elle fit un effort sur elle-même, se concentra puis elleasséna,surlatêteduloup,unsolidecoupdepiedquiluibrisaaussitôtlecrâne.Quant à l’âne et au cochon que leur stupidité rendait incapables d’agir, lesanimauxse ruèrentsureuxetenvinrent rapidementàbout.C’estainsique lesanimaux révoltés se trouvèrent face à face avec le roi éléphant et Daghfal, sonéléphanteaudefils.Lagirafes’approchad’euxetleurdit:

—Nousallonsvoustraiterhonorablement,parcequevousavezété,unjour,unbonéléphant.NousvouslaisseronspartirenpaixavecvotrefilsDaghfal,lepetitéléphant.Partezmaintenantetnerevenezplusjamaisdanscetteforêt.Touteslesavanies que nous avons subies sous votre règne corrompu et oppressif… celasuffitcommeça!

Le vieil éléphant secoua la tête et releva laborieusement sa trompe avec unsemblantdegratitude.

Lagirafesetournaverslesanimauxetleurcria:

—Chersanimaux,l’èredel’oppressionestfinieetnereviendraplus.

Les voix des animaux s’élevèrent dans un vacarme qui exprimait avecenthousiasmeleurjoied’êtrelibres.

Ladémocratieestlasolution.

UNDÎNERIMPROMPTU

AVECUNEPERSONNALITÉIMPORTANTE

Un amim’invita un jour à dîner dans un restaurant connu de Zamalek, qui setrouvedansunbateausurleNil.Jem’assisavecmonamiàlatablequinousétaitréservée.

Le garçon s’empressa de venir nous demander si nous souhaitions boirequelquechoseavantdemanger.Monamidemandaunjusdecitron,moiunebièreglacée sans alcool, et nous échangeâmes quelques mots. Mais bientôt je lus lasurprisesursonvisage.Ilserapprochademoietmechuchota:

—Nousavonsdelachance.Savez-vousquiestici?

—Qui?

—GamalMoubarak!

Je tournai lentement la tête pour le voir. Mon ami remarqua que j’étaisimpressionnéparcettecoïncidence.Ilmedit:

—Voulez-vousvousmettreàmaplacepourmieuxlevoir?

L’offreétaittentante.Jem’assisdoncàsaplaceetjevisGamalMoubarak,assisavecsa femmeKhadija. Ilportaitunblazerbleumarineetune chemiseblanchesans cravate, tandis que sa femme était vêtue d’une élégante robe bleue. Je fusétonné de ne pas voir de gardes du corps autour d’eux. Je ne pouvais pasdistinguer le plat quemangeait Khadija,mais Gamal, lui, attaquait avec appétitunepizzanapolitaine.

Jememisàlesobserverpendantquelquesminutespuis,àmagrandesurprise,GamalMoubarakmeregardaetmesourit.Jesecouailatêtepourlesalueretilfitungestedelamainpourmedemanderd’approcher.Jem’excusaiauprèsdemonamietmedirigeaiverslatabledeGamal,maisunhommequiavaitl’airférocemecoupa la route de son corps volumineux. Je remarquai qu’un énorme tromblonétaitaccrochésoussaveste.Gamalluiditquelquechosequejen’entendispasetilreculapourmelaisserpasser.GamalMoubaraksouritetmedit:

—Jesuisheureuxdecetteoccasion.

—Jelesuisencoreplus.

—Savez-vousqueKhadijaetmoi,noussommesdevoslecteurs.

—C’estunhonneurpourmoi.

Legarçonarrivaetjeluidemandaiundemi-pouletgrilléetdespommesfrites,avecuneautrebouteilledebièreglacéeet sansalcool. JedemandaiàGamaldesnouvellesdelasantéduprésidentMoubaraketilmeréponditàvoixbasse:

—Dieusoitloué.

Nousparlâmes ensuite du restaurant et nous exprimâmes tous les troisnotreadmirationpour le talentdesonpropriétaire libanais.Mais je luttais contreuneimpérieusepulsioninternequifinitparl’emporter:

—Monsieur Gamal, je vous remercie pour votre amabilité et votre générosité,maisilyaunechosequejevoudraisvousdireetjecrainsquecelanegâchecetteagréablerencontre.

—Parlezentoutefranchise.

—LasituationenEgypteestextrêmementmauvaise.Noussommesarrivésaufondd’ungouffre.

Ilmeregardaavecintérêtetmerépondit:

—C’estvrai,nousavonsdenombreuxproblèmes.Maisc’estleprixàpayerpourledéveloppement.

—Oùestcedéveloppement?

— Le gouvernement a réalisé, au cours de ces dernières années, des taux dedéveloppementencorejamaisatteints

—Avectoutmonrespect,oùestledéveloppementdontnousparlons,alorsquelamoitiédesEgyptiensviventau-dessousduseuildepauvreté?N’avez-vouspasentenduparlerdesjeunesquisesuicidentàcausedelapauvretéetduchômage?

—Nousavonsdesétudesdétailléessurtouscesproblèmesàlacommissiondespolitiquesduparti.

—MonsieurGamal,presquetoutcequevousracontentceuxquivousentourentdans cette commission est faux. Ce sont des opportunistes qui vous poussent,dansleurintérêt,àhériterdupouvoir.

GamalMoubarakrestasilencieux,l’airpensif:

—Qu’entendez-vousparhériterdupouvoir?

—HériterdupouvoirduprésidentMoubarak

—N’ai-jepasledroitdefairedelapolitiquecommen’importequelcitoyen?Sije me présente à la présidence et si je gagne les élections, cela sera-t-il unhéritage?

— Vous savez bien que les élections en Egypte ne sont qu’une apparence,qu’elles sont falsifiées. Serez-vous fier de parvenir à la présidence par larépressionetlafraude?

—Dans lemonde entier, les électionsne sont pas exemptesd’irrégularités. Jepenseaussiquevousexagérezsurcettequestionderépression.

— Monsieur Gamal, vivez-vous dans le même pays que nous ? Il y a unedifférenceentredesirrégularitéset la fraudeorganiséequiseproduitenEgypte.Quant à la répression, il suffit de se connecter à Internet pour lire les récitsaffligeantsdesarrestations,destorturesetdelarépressiondontsontvictimeslesEgyptiens.Avez-vousentenduparlerdeKhaledSaïdquiaété tuépar lapoliceàAlexandrie?

Khadijaintervintalors:

—J’aiététrèspeinéepourcejeunehomme.

Gamalmedit:

—J’aifaitunedéclarationdanslaquellej’aidemandéquel’affairesoitportéeenjustice.

—Aquoisertcettedéclaration?Cequ’il faut,c’estabroger l’étatd’exceptionàl’abriduquelontorturedesmilliersd’Egyptiens.

Gamalmitsafourchetteetsoncouteauàcôtédesonassietteetbutunegorgéedujusd’orangequiétaitposédevantlui.Etsoudainilditd’untonbrusque:

— Il est facile de parler, mais difficile d’agir. Votre métier, c’est d’écrire deshistoiresetdesarticles,maismoi, je travailledouzeheurespar jourdepuisdesannéespourréformerlepays.

Sonchangementdetonmedéplut,etjedécidaidecontinuerjusqu’aubout:

—D’abord,l’écritureestunmétiertrèsdifficile.Ensuite,mêmesivousdéployezdegrandsefforts,cequiimporte,c’estlerésultatdecesefforts.Ecoutez,MonsieurGamal,quelleestexactementvotrefonction?

— Je suis secrétaire de la commission des politiques du Parti nationaldémocratique.

—Auriez-vousobtenucepostesivousn’étiezpaslefilsduPrésident?

Ilme regarda avec une franche colère et je sentis, pour la première fois, qu’ilregrettaitdem’avoirfaitasseoiràsatable.Khadijaregardasonmariensouriantpourfairebaisserlatension,cequinel’empêchapasdehausserleton:

—C’est votre droit, bien sûr, de penser que nous ne faisons rien de bon à lacommissiondespolitiquesduparti,mais,grâceàDieu,nombreuxsontceuxquil’apprécient,enEgypteetàl’extérieur.

—Dequelleappréciationparlez-vous?Lesrédacteursenchefdesjournauxdugouvernement vous louent, parce que c’est vous qui êtes leur dispensateur defaveurs.Lespauvres,quisemassentpourvousrecevoirdansvostournées,ontétérassemblésparlepartietlesservicesdesécurité.Quantàlapressemondiale,elleestpleinedecritiquessérieusesàl’idéed’unpouvoirhéréditaire.Avez-vouslucequ’aécritl’andernierJosephMaytondansleGuardian?

—Jel’ailu.

Khadijademanda:

—Qu’a-t-ilécrit?

GamalMoubarakseretournaverselle:

—JosephMaytonaécritquejen’étaisabsolumentpascapabled’êtrePrésidentetquej’incarnaistoutcequiallaitmalenEgypte.Bon,c’estsonopinion.Ilyadenombreuxjournauxdanslemondequiécriventsurmoideschosesjustes.

— Malheureusement, la plupart des journaux qui vous célèbrent sont desjournauxisraéliens.Vousêtes-vousdemandépourquoi?La longuelouangequ’apubliée sur vous, cette semaine, le journal israélien Maarev mérite d’êtreconsidéréeavecattention.

—Quevoulez-vousdire?

—Pensez-vousqu’Israëlsouhaitedubienàl’Egypte?

Khadijaintervintspontanément:

—Non,biensûr.

GamalMoubarakréfléchitunpeu:

— Supposons qu’Israël ait toujours de mauvaises intentions à l’égard del’Egypte…quevoulez-vousdire?

— Cette insistance israélienne pour que vous héritiez du pouvoir reflète lacraintequefaitnaîtreenIsraëll’idéed’unedémocratisationdel’Egypte.Ilssaventtrèsbienquel’Egyptealapossibilitéd’êtreungrandpaysetque,sielledevenaitdémocratique,ellesedévelopperaitet,avecelle,lemondearabe.

Gamalsoupiraet,faisantsignedeselever,medit:

—Quoiqu’ilensoit,j’aiétéenchanté!

—Avantquevousnepartiez,j’aiunedernièrequestion.

—Rapidement,s’ilvousplaît.

—Aimez-vousl’Egypte,MonsieurGamal?

—Biensûr!

—Alors, l’amour de l’Egypte vous impose de faire passer son intérêt avant levôtre. Je voudrais que vous me promettiez maintenant d’abandonnerdéfinitivementl’idéed’hériterdupouvoir,etquevousmepromettiezdetravailleraveclesEgyptiensenfaveurdelaréformedémocratique.

Gamal Moubarak me regarda et ses lèvres se mirent à bouger, mais sa voixs’interrompit soudain et j’entendis une sonnerie continue. Puis une lumièreaveuglanteéclairal’endroit.J’ouvrisdifficilementlesyeuxetjetrouvaidevantmoimafemmequi,commed’habitude,lorsqu’ellemeréveillaitlematin,tenaitunpotdemiel.Ellemeditbonjourensouriant,puisajouta:

—QuiétaitceMonsieurGamalàquituparlaisendormant?

— Gamal Moubarak. Nous nous sommes mis d’accord pour soutenir ladémocratie.

Mafemmeéclataderire:

—GamalMoubaraka-t-iluneseulefoisaidéladémocratie?Réveille-toietouvrelabouche.

J’ouvrislaboucheetavalaiunegrandecuilleréedemiel.

Ladémocratieestlasolution.

QUELQUESRÉFLEXIONSAUTOUR

DELASANTÉDEM.LEPRÉSIDENT

Dans les années quatre-vingt, je préparais aux Etats-Unis mon magistère enmédecine dentaire. Enmême temps, j’étais interne à l’hôpital de l’université del’Illinois, à Chicago. Les malades qui fréquentaient cet hôpital étaient desAméricains pauvres, la plupart de couleur. Chaque malade avait un dossiermédical précis sur lequel étaient consignés son histoire médicale, son état desantéetlesrésultatsdesesanalyses.Lapremièrechosequenousapprenions,entant que médecins, était que ce dossier était confidentiel et que personne nepouvaityavoiraccès,sanslapermissiondesontitulaire.

L’état de santé de n’importe quelle personne est considéré aux Etats-Uniscommeunsecretpersonnelprotégéparlaloi.Alamêmeépoque,leprésidentdesEtats-Unis,RonaldReagan,eutunbrusqueennuidesantéàlasuiteduquelil futtransportéàl’hôpitaloùonl’opéra,enurgence,pourluiextraireunepetitetumeurintestinale.Dèslepremierjour,furentrenduspublicstouslesdétailsconcernantlemalade,letypedechirurgieauquelilavaitétésoumisainsiquelespossibleseffetssecondaires.

Deplus,latélévisionaméricaineinvitaungroupedemédecinsetlesinterrogeasurl’influencequelesmédicamentsprescritsauPrésidentpouvaientavoirsursacapacité de concentration intellectuelle et sur son état psychologique. Le plussurprenant,c’estque lesmédecinsconfirmèrentquecesmédicamentsallaient lerendreincapabledeprendredesdécisionspendantunepériodedetroissemaines,aprèslaquelleilretrouveraitsonétatnormal.J’avouequejetrouvailàunétrangeparadoxe:ilestimpossibleàquiquecesoitd’êtreinformé,sanssonautorisation,de l’état de santé d’un simple citoyen américain pauvre qui fréquente l’hôpitaluniversitaire,alorsque,lorsquelechefdel’Etattombemalade,lepeupleaméricainaledroitdetoutsavoirsursamaladie,surlesremèdesqu’ilprend,etc.

Cettenotionestundesprincipesdebased’unrégimedémocratique.

Lecitoyenordinairen’occupepasunemploipublicet,parconséquent,sasantéousamaladieneconcernentpersonned’autrequelui,etsavieprivéeestprotégéeparlaloi.Quantauchefdel’Etat,c’estunfonctionnairepublic,éluparlescitoyenspourremplirunemissiondonnée,pendantunepériodeprécise.An’importequelinstant, ces citoyens peuvent lui ôter leur confiance et lui faire immédiatementperdre sonposte.Dansun régimedémocratique, leprésident est le serviteurdupeupleaupleinsensduterme:dèsqu’ilprendsesfonctions,ilperdsonstatutdepersonneprivéeetsavieestentièrementmiseànu.

L’opinion publique a le droit de connaître les plus infimes détails de sonexistence, à commencer par la source et lemontant de sa fortune, ses relationssentimentales, et même son état de santé, les maladies dont il souffre, car lesdécisions que prend le Président affectent le destin de millions de gens et lamoindrefailledanssonraisonnement,lemoindretroubledanssonétatpersonnelpeut conduire à une catastrophe dont la nation et les citoyens tous ensemblepaierontleprix.

JemesuissouvenudetoutcelaenobservantlebruitqueprovoquemaintenantenEgypte lasantéduprésidentMoubarak.Denombreuxjournauxétrangersontpubliédesinformationssignalantquesonétatdesantésedégradait.Pourréagiràces articles, le chef de l’Etat est apparu plusieurs fois en public, à l’occasion demanifestations officielles, et le gouvernement égyptien a lancé une contre-offensive au cours de laquelle, niant totalement la maladie du Président, sesresponsables proclamèrent qu’il était en excellente santé. Ils ajoutèrent même,qu’àplusdequatre-vingt-deuxans,sescollaborateurss’essoufflaientàlesuivreetquesavitalitéétaittellequ’ilsétaientsouventincapablesdel’accompagnerdanssesnombreusesactivités. Lesarticlesde lapresseoccidentale sur lamaladieduprésidentMoubarakn’en continuèrentpasmoinsà semultiplier. Instruction futdoncdonnéeauxrédacteursenchefdesjournauxgouvernementauxd’organiserune campagne de presse tous azimuts pour assurer que l’état de santé du chefd’Etat était excellent et pour attaquer avec force les allégations occidentales – preuve formelle d’un complot sioniste colonialiste dans le but de faire douterl’Egyptedel’étatdesantédesonPrésident.

Noussouhaitons,biensûr,auprésidentMoubarak,commeàtoutlemonde,uneexcellentesantéetunelonguevie.Maislaquestionquenousnousposonsestlasuivante : au lieude ces campagnesdepresseetde cesaccusationsde complotlancéescontrelapressemondiale,pourquoilegouvernementégyptienn’a-t-ilpasrecoursàdesmoyensobjectifspourinformer,d’unefaçonconvaincante,surl’étatde santé du chef de l’Etat ? La différence entre ce qui s’est passé au sujet de lamaladie du président américain et ce qui s’est passé au sujet de lamaladie duprésident Moubarak, c’est exactement la différence qui existe entre un régimedémocratiqueetunrégimedictatorial.Dansunrégimedémocratique,onconsidèrequelechefdel’Etatresteunepersonneordinairequipeuttoutàfaitêtreatteintedemaladie,commelesautrescréaturesdeDieuetcelan’estpasunegênepourlui,celanediminueabsolumentpassonprestige.

Dans un régimedictatorial, en revanche, le chef d’Etat n’est pas présenté auxgenscommeunepersonneordinaire,maiscommeunguideinspiré,unchefsanségalpoursasagesseetsoncourage,unpersonnagelégendaire,commeilyenaeupeudansl’histoiredelanation.Ilendécoulequelamaladie,avectoutcequ’ellesuggère de douleur, de souffrance et de faiblesse humaine, ne cadre pas avecl’imaged’unprésidentlégendairesituéau-dessusdescommunsmortels.Dansunrégime démocratique, la maladie du Président peut faire naître de l’inquiétudepour le futur de ce dernier,mais pas pour celui de la nation. Si le Président seretire,lerégimedémocratiquedonneauxcitoyenslapossibilitédechoisir,entoute

simplicité,quiluisuccédera.Maisdansunrégimedictatorial,lefuturdelanationetdescitoyensestentrelesmainsduseulPrésidentet,parconséquent,samaladiereprésenteunvéritabledangerpourlacohésionetlesalutdelanation.Eneffet,silamaladieéloignedupouvoir lapersonneduPrésident, lepaystoutentierentredansunpéripleinconnu,dontpersonneneconnaîtladuréenilesconséquences.UneautredifférenceimportanteestquelePrésidentéludémocratiquementsaitenpermanence qu’il doit sa position au peuple qui l’a choisi au cours d’électionslibres. Ceux qui l’ontmis à ce poste ont donc le droit de connaître son état desantépourvérifiers’ilestcapabled’accomplirsamissionaveccompétence.

MaisenEgypte,lePrésidentaccèdeaupouvoiràtraversdesréférendumsoudesélectionsdepure formeet il leconservepar la force,sibienqu’ilnesesentpasredevable au peuple de son poste. Au contraire, les scribes du régime et lesresponsables hypocrites affirment que c’est le Président qui, en sacrifiant satranquillitépoureux,accordeunegrandefaveurauxEgyptiens.C’estdoncàeuxqu’il revient de s’efforcer demontrer qu’ilsméritent leur grand Président. Danscettepositioninversée,lesEgyptiensn’ontledroitdeconnaîtreàsonsujetqueceque lui-même veut bien leur faire savoir, et selon ce que sa Seigneurie estimeconveniraupeuple. Il suffitque lePrésidentnousassurequ’il vabienpourquenousremerciionsDieuetnousabstenionsdeprononcerunseulmotàceproposparlasuite.LesresponsablesconsidèrentqueposeravecinsistancelaquestiondelasantéduPrésidentestunebévuequitientdel’impertinenceetdelamauvaiseéducation,maisquipeutégalementdévoilerquel’onestuntraîtretravaillantpourdesservicesétrangershostiles.

Il y a deux ans, dansdes conditions semblables, le grand journaliste IbrahimIssaécrivitplusieursarticlesdans lesquels ils’interrogeaitsur lebien-fondédesrumeursselon lesquelles lePrésidentétaitmalade.Cesarticles furentconsidéréscommedescrimescontrelanation.IbrahimIssafuttraduitdevantuntribunalquile condamna à une peine de prison et il fallut une grâce présidentielle pour luiévitercesort.Lemessageétaitclair:“Attentionànepasparlerplusqu’ilnelefautde lamaladieduPrésident, car celapourrait le fâcheret si lePrésident se fâchecontretoi,c’estunsortterriblequit’attend.SeulsonpardonpeuttesauverdesacolèreparcequesavolontéenEgypteestau-dessusdelaloi,etmêmeparceque,enréalité,c’estellelaloi.”

Laréactiondurégimeàcequ’apublié lapresse internationalesur le thème lasantéduprésidentMoubarakrévèleunevéritablecrisedansleconceptdepouvoiren Egypte. Une fois de plus, le régime confirme qu’il ne considère pas lesEgyptiens comme des citoyens, mais comme des sujets qui n’auront jamais ledroitdechoisirlibrementceluiquilesgouverneraetn’ontdoncabsolumentpasledroitdesavoirsilePrésidentestmaladenis’ilal’intentionderesteràsonposteoudeseretirer,nimêmecequiarriveras’ilabandonnesonpostepouruneraisonoupouruneautre.Lepeupleégyptien,dupointdevuedurégimedictatorial,n’estcapablenidechoisirnidequestionner,nidesavoir.Cettedénaturationduconceptde pouvoir tient moins à la personnalité de celui qui dirige qu’à la nature durégimeenplace.LorsquelesEgyptiensaurontarrachéleurdroitnaturelàchoisir

qui les dirigera, alors et alors seulement, le dirigeant passera du statut de cheflégendaireirremplaçableàceluidesimplefonctionnaireauservicedupeuple.LesEgyptiens auront alors le droit de connaître avec précision et clarté son état desanté.Cejour-là,l’Egypterenaîtraetl’avenircommencera.

Ladémocratieestlasolution.

POURQUOILESÉGYPTIENS

NEPARTICIPENT-ILSPASAUXÉLECTIONS?

Lorsque,en1919, lesEgyptienssesontsoulevéscontre l’occupationbritannique,Saad Zaghloul se rendit à Paris pour exposer les revendications de la nationégyptiennedevant la conférencedepaix réunie à la suite de la Première guerremondiale.LegouvernementanglaismanœuvraalorshabilementenenvoyantenEgypte une commission d’enquête présidée par Lord Milner, le ministre descolonies.LesEgyptiensse rendirent immédiatement comptequ’il s’agissaitd’unstratagème. Ils comprirent que toute coopération avec la commission Milnerdétruirait la crédibilité de Saad Zaghloul en tant que dirigeant mandaté par lepeupleégyptien.

AsonarrivéeauCaire,lacommissionMilnerfutaccueillieparunboycotttotal.Aucunhommepolitiqueégyptienn’acceptadecoopéreravecelle,à telpointqueMohamedSaadPacha,alorsprésidentduConseildesministres,démissionnadeses fonctions pour ne pas être contraint d’avoir à traiter avec le responsablebritannique. On raconte qu’un jour Lord Milner s’était perdu dans les rues duCaire.Sonchauffeuravaitvouludemandersoncheminàunpassantetcelui-ciluiavaitrépondu:“DisàtonpatrondeledemanderàSaadPacha,àParis.”

Le résultat de cette unanimité fut l’échec de la commission Milner. LegouvernementbritanniquefutobligédesesoumettreàlavolontéégyptienneetdenégocierdirectementavecSaadZaghloul.

Achaquepage,sansexception,del’histoiredel’Egyptenousretrouvons,chezlepeupleégyptien,cetteconsciencepolitiqueaiguë.Lesintellectuelsetlespoliticiensanalysenttoutàpartirdethéoriesetd’idéespréconçues. Ilsparlentbeaucoup,selancentdansdescontroversesinextricablesetnetombentjamaisd’accord,tandisque lesgensordinaires,mêmes’ilssontmoins instruits, jouissentsouventd’uninstinct politique sain qui leur permet de se faire avec sagacité une opinionperspicaceetd’adopteravecuneincroyablesimplicitélapositionjuste.

QuaranteansaprèsledécèsdeGamalAbdelNasser,nouscontinuonsàdiscuterde ses fautes et de ses réalisations, mais le peuple égyptien s’est exprimé aumomentdesamort, lorsquedesmillionsdepersonnessontdescenduesdans laruepourl’accompagneràsadernièredemeure.

Ces gens simples qui fondaient en larmes de tristesse, comme des enfants,avaienttoutàfaitconsciencedesesfautes.Ilssavaientbienqueleurchefdéfuntétaitàl’origined’unecruelledéfaitedel’Egypteetdelanationarabe,maisilsserendaient compte également que c’était un granddirigeant, d’une fidélité rare à

ses principes, et qui avait mis tous ses efforts et toute sa vie au service de sanation. Au moment où nous autres intellectuels, nous hésitons face à lamultiplicitédesoptions, ilnousrevientd’être toujoursà l’écoutede l’opiniondupeuple.

Lesgensdupeuplenesontpas,commeleprétendent lesdirigeantségyptiens,unepopulacequinesaitpasoùsetrouvesonintérêt. Ilssontaucontrairedotésd’une boussole infaillible qui les guide vers la position juste. Si nous avonssouffertdevoirdenombreuxintellectuelssedétournerdelalignenationaleetsetransformerensoutiensetpropagandistesdurégimedictatorial,ilnousfautbienprendre conscience de ce que la chute des intellectuels commence toujours parleurméprisdupeuple.

Nousnepouvonspascomprendrenotrepayssanscomprendrelepeupleetnousnepouvonspascomprendrelepeuple,sinousnerespectonspassescapacitésetsesidées,sinousn’écoutonspasl’opiniondesgensetleurspréférences.Nousnepouvons pas comprendre le peuple, si nous le considérons comme composéd’individus à la compréhension et aux qualifications déficientes et non pas depersonnes jouissant d’une expérience de la vie dont nous devons tirer unenseignement.

Dansquelquessemaines,vontavoir lieudesélectionsà l’assembléedupeupleauxquelles le régime a exclu d’accorder la moindre garantie d’honnêteté. Il arefusédeleverl’étatd’exception,ilarefuséderéviserleslistesélectoralespourenenlever les noms des personnes décédées (qui votent toujours pour le parti aupouvoir),ilarefusélecontrôlejudiciaireetmêmelecontrôleinternational.Toutesles indications se recoupent pour signaler que le prochain scrutin sera aussifrauduleuxquelesprécédents.

Dansdetellesconditions,lepeupleégyptienadepuislongtempsfaitlechoixdeboycotter les élections. Malgré les tentatives désespérées du régime, le taux departicipation n’a jamais dépassé 10 % des électeurs. Ne faut-il donc pas sedemanderpourquoilesEgyptiensnevontpasvoter?

Ce boycott n’est en rien un comportement négatif, comme le répètenthypocritement les scribes du régime. C’est au contraire une position lucide,efficaceetjuste.Dumomentquelesélectionssonttruquéesetqu’ilestimpossibled’empêcherlafraude,leboycottdevientlechoixapproprié,quiinterditaurégimedeprétendrereprésenterlepeuplequ’ilgouverne.

Nous pouvons donc comprendre l’insistance avec laquelle les autorités fontpressionsurlesEgyptienspourqu’ilsparticipentauprochainscrutin.Lapièceestdéjàécriteetmiseenscène,ladistributiondesrôlesestcomplètementterminée.Ilne leur manque plus que les figurants pour commencer la représentation. Lepeuple égyptien n’a absolument pas une attitude négative. Au contraire, il agitsagement, fortd’uneexpérienceacquiseau coursde longssiècles. Lapreuveenestdanssonattachementàparticiperàtouteslesélectionsrespectables.

L’andernier, lorsque jesuisallévoterauclubsportifdont jesuismembre, j’aitrouvéunemultitudedegensquiavaientprisun jourdecongépourvenir faireune longue queue afin de pouvoir choisir les membres du nouveau conseild’administration. L’idée m’est venue de demander à ceux des membres que jeconnaissaiss’ilsparticipaientauxélectionsparlementairesouprésidentielles.

La plupart de ceux que j’interrogeais me dévisageaient d’un air moqueur etconfirmaient qu’ils ne participaient jamais aux élections organisées par legouvernement,parcequ’ellesétaienttruquées.Certainsajoutaientqu’ilsn’avaientd’ailleurspasdecarteélectorale.LaréalitéenEgypteestaussiclairequelesoleil.Un régime dictatorial, oppressif et incapable, a monopolisé le pouvoir pendanttrente ans par la répression et par la fraude et il a, dans tous les domaines,conduit lepaysà ladécadence.Ce régimeappelle les citoyensàparticiperàdesélectionstruquéespourseconférerunelégitimitéformelleetfactice.

Leboycottdesprochainesélectionsestdonc lapositioncorrecte.LesEgyptiensordinaires boycotteront les élections, car ils ne sont pas en quête de places, nerêventpasdedevenirdéputés,necraignentpasdeperdreleursinvestissementsetn’ontaucunerelationamicaleaveclesservicesdesécurité.

Celafaitdessemainesqu’onlitdanslesjournauxdesdébatstournantautourduboycott ou de la participation aux élections, alors que la seule question est desavoirs’ilexistelapluspetitegarantiequedevéritablesélectionsaurontlieu.Lerégimes’est-ilengagéàcequ’iln’yaitpasdefraude?Mêmes’ils’yétaitengagé,est-cequelerégimeauneseulefoisrespectésesengagements?Quelintérêtcelaaurait-il pour un parti de participer aux élections tout en sachant, à l’avance,qu’elles seront truquées ? Certains disent qu’ils le feront pour démasquer lerégime,maiscelui-cia-t-ilbesoindel’êtreunefoisdeplus?

Et puis, que sont ces partis ? Qu’ont-ils fait depuis des décennies pour lesmillionsdepauvres?Qu’ontfaitlespartispourinterdirelatorture,larépressionet la corruption ? Absolument rien. La plupart sont des marionnettes dont lerégime tire les ficelles. Plusieurs de leurs dirigeants travaillent en totalecoopérationaveclesservicesdesécurité.D’autressonttellementappréciésparlerégime (auquel ils prétendent s’opposer) que certains de leurs membres sontnommésauconseilconsultatif.Quellevaleurpeut-ondoncaccorderàleursprisesdepositions’ilsparticipentàdesélectionsfrauduleuses,enéchanged’unoudeuxsiègesdansuneassembléequiaperdutoutelégitimité?

Dans ces conditions, il est vraiment regrettable que la confrérie des Frèresmusulmansaitfait,elleaussi,cechoixdouteux.IlsemblequeledestindesFrèressoitdene jamais rienapprendrede leurserreurs.Tousceuxquiontétudié leurhistoire sont étonnés par l’écart énorme entre leurs positions nationales contrel’occupationétrangèreetleurattitudefaceàladictature.

LesFrèresont jouéun remarquable rôlede leaderdans laguerredePalestine,en 1948, et ont donné un magnifique exemple de sacrifice et de courage enconduisantlarésistancecontrelesAnglaisdanslesvillesducanal,en1951.Mais,

d’unefaçontoutàfaitregrettable,lesmêmesont,laplupartdutemps,prissurleplanintérieurdespositionsquifaisaientpasserl’intérêtdelaconfrérieavantceluidelanation.Ilssesontrangéssansaucuneexceptionderrièreladictature.Ilsontaidé le roiFarouket IsmaïlSidqi, lebourreaudupeuple ; ilsontsoutenuAbdelNasser quand celui-ci a supprimé la vie parlementaire ; ils ont aidé Anouar elSadate et fermé les yeux sur ses mesures répressives et, au sujet de latransmissionhéréditairedupouvoirparleprésidentMoubarakàsonfilsGamal,certains d’entre eux ont laissé échapper des déclarations très souples et trèsinconsistantesquel’onpeutliredegaucheàdroiteoudedroiteàgauche.

SilesFrèresmusulmansparticipentauxprochainesélections,ilsaccorderontàce régimeoppresseurune légitimité facticedont il a leplusurgentbesoin, et ilsjoueront dans la pièce un rôle de comparse dont l’ensemble des Egyptienspaierontleprix.

Celuiquiappelleàlaparticipationàdesélectionsfrauduleusesestsoitunidiotquinecomprendpascequisepasseautourde lui,soitquelqu’unquichercheàobteniruneplaceàn’importequelprix,soitunagentdurégimequiexécutesesinstructions.Leboycottdesprochainesélectionsestlapositionsainequ’aadoptéele peuple égyptien, et, par conséquent, tous ceux qui iront voter seront encontradictionaveclavolontédupeuple.

LorsquedevéritablesélectionsaurontlieuenEgypte,nousyparticiperonstous.Maismaintenant, laissons-les jouer tousseuls leurpiècestupideetennuyeuse…sansfigurants.

Ladémocratieestlasolution.

DEUXIÈMEPARTIE

LEPEUPLEETLAJUSTICESOCIALE

NOTRECONSEILAUBOUCHER

Mafamillepossédait,rueAlMawarid,àSayyedaZeinab,unappartementinoccupéoù je logeaisà l’époquedesexamensuniversitairespourpouvoirmeconcentrersur mes révisions. J’ai assisté là à d’admirables scènes de la vie populaireégyptienne.

Devant cheznous, aupremier étaged’unevieillemaisondélabrée,habitaitunboucherque l’onappelait lemaallem1 Jalal. Il était énorme, extrêmement laid ettotalementassujettià l’alcooldont iléclusait,chaquesoir, lapiresorteet laplusdévastatrice. Lorsqu’il était saoul, c’était un taureau déchaîné. Dès qu’il rentraitchezlui,peuavantl’aube,lesgensdelarueétaientréveillésparleshurlementsdesa femme qui appelait au secours, parce qu’il la rouait de coups. Certainshabitantsdontjefaisaispartieavaientpitiédelapauvrefemmeetallaientsurletrottoird’enface,d’oùilspouvaientvoirlachambredumaallemJalaletlà,ilsluicriaientdebonsconseils:

—Eloignelediable,maallem!

—Allez,réconciliez-vous!

LepèreAoudElAllafétaità la têtedecettemissiondebonsoffices.C’étaitunhommemaigredeplusdesoixante-dixans,maisdouéd’unegrandesagesse etd’un grand courage.Un soir, Jalal se disputa commed’habitude avec sa femme,maiscejour-là,ladisputepritunautretour:ilsortittoutàcoupungrandcouteaudontlalamebrillantenousremplitdefrayeur,nousquiétionssurletrottoird’enfacepourvoir cequisepassaitet rétablir lecalme.Leshurlementsde la femmedéchiraientlecalmedelanuit:

—Ausecours,ilvam’égorger!

Et le boucher lui répondait d’une voix rauque qui ressemblait à unmugissement:

—Jevaist’achever.Faistaprière.

Lorsque la situation en fut à ce point, Aoud El Allaf et nous tous derrière lui,nousmîmes à courir jusqu’à l’appartement du boucher et frappâmes à grandscoups contre la porte jusqu’à ce qu’il nous ouvre. Nous nous précipitâmes àl’intérieur,mîmessa femmeà l’abrien faisantuncercleautourd’elle,puisnouslui arrachâmes son couteau et entreprîmes de le calmer. Nous ne partîmes pasavantd’avoirfaitlapaixentreeux.

Lelendemain,leboucherallafairedesreprochesàAoud:

—Tu trouves ça bien, toi, de temêler de ce qui se passe entre unmari et safemme?

—Oui,c’estbien,sicelui-ciétaitsurlepointdelatuer,répliquaimmédiatementAoud.

—Etmême si je l’avais tuée… c’estma femme,monvieux. J’ai le droit de luifairecequejeveux.

—Biensûrquenon.Tulatues…ettudisquec’esttondroit?

—Jenepermetsàpersonnedesemêlerdecequisepassechezmoi.

Aoudregardaalorsleboucherbienenface,puisluiditcalmement:

—Situneveuxpasqu’onsemêledecequisepassecheztoi,conduis-toid’unefaçonrespectable.

Je me suis rappelé cet incident en suivant l’affaire du docteur Aiman Abd ElNour – que je ne connais pas personnellement et avec lequel je ne suis pasd’accord sur de nombreux sujets,mais dont je défends les droits de citoyen. Legouvernement l’avait autorisé à fonder un parti, le Ghad2, dont le premier actepolitique fut de demander qu’ait lieu une réforme constitutionnelle et que leprésidentdelaRépubliquesoitchoisiparmiplusieurscandidats.Ilsepassaalorsquelquechosedemystérieuxetlapositiondugouvernementàsonégardchangeadutoutautout.Endixminutes,sonimmunitéparlementaireluifutenlevée,ilfutemprisonné,battu,humilié,onmenaçasafemme,sielleprenaitsadéfense,deluicolleruneaffairedemœurs. Les journauxgouvernementauxdécouvrirent tout àcoupqu’AimanNourétaitleplusmauvaiscitoyend’Egypteetdumondearabeetiln’y eut point vice qu’on ne le lui attribuât. Les scribes hypocrites du régimeassurèrentmêmequ’iln’avaitobtenusondoctoratqueparlafraude!

Quelestlesecretdeceretournement?Legouvernementaffirmequ’ilmetAimanNourenjugementparcequ’ilaprésentédesmandatsfalsifiéspourpouvoirfonderson parti. Mais cet argument ne convaincrait même pas un jeune enfant. Leprésidentd’unpartin’estpasunexpertenécrituresapteàdécouvriràl’œilnusiletamponqu’ilyasurlemandatestfalsifiéouauthentique.Parailleursunparti,suivant la loi, a besoin de cinquante mandats pour présenter sa demande delégalisation.OrAimanNourenavaitobtenucinqmille,c’estdirequ’iln’avaitpasbesoindefrauder.Lavérité,c’estquelesservicesdesécuritéontglisséquelquesmandatsfrauduleuxparmiceuxd’AimanNourdefaçonàpouvoirlesutiliserpourle faire condamneren casdebesoin. Il s’agitdoncd’unprocèspolitique inique,forgé de toutes pièces, et dont il est impossible de soutenir la légalité.Naturellement, la presse occidentale s’est emparée de l’affaire comme d’unexempledelafaçondontlerégimeégyptienréprimesesopposantspolitiques.Lesresponsableségyptienssontalorsentréseneffervescence,ilssesontagitésdanstous les sens et ont proclamé leur refus total de l’ingérence étrangère. J’ai à ceproposquelquesobservationsàfaire:

Premièrement : tous lescitoyenségyptiens refusent l’ingérenceétrangèredanslesaffairesdeleurpays,quellequ’ensoitlacause.Maisilestvraimentétonnantquelerégimeégyptienrefusel’ingérenceétrangèreseulementlorsqu’ils’agitdelarépression. Car, dans tous les autres domaines, il l’accueille à bras ouverts etmême la recherche. Dans le domaine économique et en politique extérieure, lerégimeégyptiena intégralementexécuté les instructionsaméricaines.Degrandsresponsables ont même exprimé, à plus d’une reprise, leur compassion pourl’arméeaméricainequivoyaitsespertesaugmenterenIraketilsontouvertementdonnédesconseilspourminimisercespertes.Delamêmefaçon,legouvernementégyptien a fait savoir qu’il était prêt à entraîner des membres de la policeirakienne – pour frapper la résistance, bien sûr. Que faisaient-ils alors de leurdignité ? L’Egypte a exécuté sans protester toutes les impudentes demandesaméricaines, comme l’extradition de l’espion israélien Azzam, le retour del’ambassadeurégyptienen Israël,ou lesaccordscommerciauxQIZ3 avec IsraëletlesEtats-Unis.Lesresponsableségyptiensn’éprouventpaslamoindrehontefaceàuneingérenceétrangèredansleursaffaires,aucontraire,ilslarecherchentetsevantent de leurs relations privilégiées avec l’Amérique. Ils accusent ceux quiréclamentuneindépendancedelavolonténationaled’êtredesespritsbutés,dessurvivantsdel’époquedutotalitarisme.

Enrevanchesil’ingérenceétrangèreconcernelarépression,lesarrestations,latorture et tous les autres crimes perpétrés conte les Egyptiens, alors, et alorsseulement, les responsables la refusent et semontrent très attachés à ladigniténationale.

Deuxièmement:lesEtats-Unissonteffectivementlesderniersàavoirdroitàlaparole,enmatièrededémocratieetdedroitsde l’homme.Lescrimesde l’arméeaméricaineàGuantanamoetAbouGhraibsonttoujoursprésentsdanslesesprits.Les gouvernements américains, depuis la Deuxième Guerre mondiale ont prisl’habitude,pourgarantirleursintérêts,d’apporterleurappuiauxpiresdirigeantsarabes et aux plus dictatoriaux. Le dossier américain sur l’Amérique latine estencoreplussale:lesservicessecretsaméricainsontcomploté,del’aveudeleursresponsables,pourfairetomberungouvernementdémocratiquementéluen1973,au Chili. Le président Salvador Allende a été tué et le pouvoir a été livré à desagents de l’Amérique. Toute cette histoire, qui est connue, nous interdit d’avoirconfiance dans les Etats-Unis lorsqu’ils parlent de démocratie.Mais l’honnêteténous oblige à rappeler que l’Occident, ce n’est pas seulement les Etats-Unis etquelques pays colonialistes. Il y a des centaines d’organisations nongouvernementalesoccidentalesetlespersonnesquiysontengagéesluttentpourlesdroitsdel’homme,considéréscommedesvaleursuniversellesetilsdénoncentlesatteintesqui leursontfaitespartoutdanslemonde,ycomprisdanslesEtatsoccidentauxeux-mêmes.CesorganisationssontrespectéesetleurvoixestécoutéeenOccidentoùellesontuneplusgrandeinfluencesurl’opinionpubliquequelesgouvernementseux-mêmes.Detoutefaçon,surleplandesprincipes,onnepeutpas considérer qu’emprisonner des innocents et les torturer soit une affaireintérieureaupays,carcescrimessontperpétréscontrel’humanitétoutentièreet

qu’ilestdudroitdechacunde lescondamner.Quand lerégimeégyptiendétientpendantdelongsmois,sansjugement,troismillecitoyensàElAraish,quandcescitoyens sont torturés, reçoivent des décharges électriques et quand les femmessont violées devant leurs maris et leurs enfants, tous ces crimes abjects nepeuventpasêtreconsidéréscommeuneaffaireintérieureégyptienne.Torturerdesinnocentsetlespriverdeleurhumaniténesont,enrien,lesaffairesdelaNation.

Dernier point : j’espèreque les responsables égyptiens sont conscients que lasituationestdevenueinsupportableetqu’ellenepeutplusdurer.Aprèsundemi-siècle au pouvoir, le président Moubarak se prépare à organiser un nouveauréférendum–où,commed’habitude, ilobtiendra99%desvoix–pourcontinuerindéfinimentànousgouverneretaprèsluiGamalMoubaraketpeut-êtreensuitelefilsdeGamal.Pauvreté,brutaleoppressionsociale, répression, fraude, châtimentdesinnocents,toutcelaarendulavieimpossiblepourdesmillionsd’Egyptiens.

Dernièrement sont apparus d’importants signaux dont j’espère que lesresponsables les comprendront, avant qu’il ne soit trop tard. Je voudrais qu’ilss’interrogent:qu’est-cequiapupousserunécrivainconnucommeMohamedElSayed Saïd à affronter le chef de l’Etat au sujet de la situation douloureuse dupays?Comment lemouvementégyptienpour lechangements’est-ilconstituéetcomment, en quelques mois, des milliers d’intellectuels patriotes ont-ils pu yadhérer ? Qu’est-ce qui a poussé des professeurs d’université et des citoyensrespectables à descendre dans la rue et à encaisser les coups des soldats de lasécuritécentrale,simplementpouréleverlavoixetdireaurégimeaupouvoirque“cela suffit” ? Pourquoi des milliers d’étudiants se sont-ils rassemblés àl’université du Caire et ont ouvert violemment les portes pour se joindre à ladernièremanifestationdumouvementKifaya?Touscesindicesconfirmentd’unefaçon évidente que le changement est une nécessité. C’est une facture que lerégime va bientôt avoir à payer, qu’il le veuille ou non. Quant à ceux quiconsidèrentqu’ilestdeleurdroitderéprimerlesEgyptiens,delamêmefaçonqueleboucherJalalavecsafemme,ehbiennousleurdisonscommeavaitditlesageAoufAllaf:

— Si vous ne voulez pas d’ingérence dans les affaires de votre maison,conduisez-vousd’unefaçonrespectable.

PAROLESÀMÉDITER

Le commandant Mohamed Farid, chef de la sécurité d’Etat pour le secteur deMeshtoulElSouq,danslaprovincedeCherqieh,atorturéaujourd’hui23janvierlecitoyen Mohamed Salem pour l’obliger à reconnaître un vol. Cette torture lui aprovoqué une fracture de la colonne vertébrale, ce qui a entraîné une paralysiecomplètedesdeuxjambes,uneinvaliditétotaleetuneincapacitéàcontrôlersonurineetsesselles.

Associationégyptienne

deluttecontrelatorture

Uneodeurdepeaubrûléeserépandaitducentredelasécuritédel’EtatàElAraishà la suite de la torture à l’électricité qu’y avaient subie des centaines deprisonniers

JournalElAhali

Les droits de l’homme en Egypte ont connu d’importants progrès, ces dernierstemps.

Communiqué

desAffairesétrangèreségyptiennes

NousvousconfirmonsqueAimanNourn’aabsolumentpasétébattu.Quantàlablessuresoussonœilgauche,elleaétéprovoquéeparlechocdesonvisageavecledoigtd’undeshommesdelasécuritéaucoursdesonarrestation

Communiqué

del’Assembléedupeuple

Imaginons, qu’à Dieu ne plaise, que celui qui gouverne l’Egypte ait moins desagessequeleprésidentMoubarak…ilsurviendraitunecatastrophe.

MustaphaElFaqih

Ilfautinformerlescitoyensavantdecouperl’eau.

PrésidentHosniMoubarak

1Lemaallem,c’est,étymologiquement,celuiquienseigne.EnEgypte,cetitres’appliqueprincipalementauxartisans.

2LeGhadoulepartidulendemain.

3 Les accords QIZ (Qualifiyin Industrial Zones) prévoient que les produits industriels de certaines zonesgéographiques,enEgypte,serontexemptésdetaxesetdedroitsdedouaneendirectiondesétatssignataires.

LAFÊTEDELAGRANDEDÉBANDADE

Ni le black-out des médias officiels, ni les communiqués du ministère del’Intérieur, ni les articles des hypocrites, rien ne sera capable d’effacer lamonstruositédecequis’estpasséaucentreduCairependantl’Aïd.

Pendantquatreheures,plusdemillejeuneshommessesontrassemblésentrelarueAdlyetlarueTalaatHarbpouragresserlesfemmesetlesoutragertoutes,sansdistinction. Que ce soient des jeunes filles, des dames ou des femmes âgées,qu’elles soient têtenueouqu’ellesportent leniqab,qu’ellesmarchent seulesouavec des amies, oumême avec leurmari, toutes celles qui, par unmalheureuxhasard,setrouvaientalorsdanscesecteurontsubilemêmesort.Descentainesdejeuneshommesenragéslesattaquèrentenfaisantautourd’ellesuncercledeleurscorps.Desdizainesdemainssetendirentpourarracherleursvêtementsjusqu’àcequ’ellessoientcomplètementnues.Puisilss’enprirentàleurintégrité,enleurpalpant le corps et en profanant leurs parties intimes. Quelques personnes duquartiersemobilisèrentpoursauveruneoudeuxfillesdontlesvêtementsavaientété déchirés et qui étaient tombées nues par terre,mais, pendant ce temps, lesjeunesenmanquecontinuaientàs’enprendreàd’innombrablesautresvictimes.Ces jeunes filles à qui était fait violence n’étaient pas des prostituées, ni desdébauchées. C’étaient des citoyennes égyptiennes ordinaires, commema femmeoulavôtre,mafilleoulavôtre,dontleseulcrimeétaitqu’ellescroyaientquenousvivions dansunpays respectable et qui étaient sorties se promener, un jour defête.Cecrimeodieuxs’estaccomplidevantdesdizainesdetémoinsetaétéfilmépardenombreusespersonnesquienontdiffusélesimagessurleréseauInternet.J’ai vu ces images et j’ai été rempli de tristesse pour mon pays. Je n’oublieraijamaislavuedelajeunefillevoiléedontlesvêtementsavaientétécomplètementdéchirés mais à qui les jeunes forcenés avaient oublié d’enlever le voile quicouvraitsescheveux.Desdizainesdemainspalpaientsoncorpsnu.Jen’oublieraipassonvisagedouloureux,tandisqu’ons’enprenaitàsonhonneurdanslarue,après qu’elle eut résisté autant qu’elle l’avait pu à des dizaines de mainsprédatrices,avantdefinirpartomber.

Ce qui est arrivé n’est pas un simple crime, c’est une catastrophe morale etsocialesurlaquellenousdevonsnousarrêterpourcomprendrecequisepasseenEgypte.

Tout d’abord, ces jeunes, venus de quartiers pauvres et des zones d’habitatprécaires, appartenaient aux bas-fonds de la société égyptienne. Leur intentionpremière était d’aller au cinéma mais, lorsqu’ils ont découvert que les billetsétaientépuisés,ilssesontvengésenbrisantladevantureducinémaMétro.Ilssesontalorsrenducomptequ’iln’yavaitpasdepolicedanslesenvironset ilsont

sentique leurnombre leurdonnaitune forcequi leurgarantissait l’impunité. Ilsontalors lâchélabrideà leursinstinctsprimitifs,quiserésumaientàabuserdetoutefemmesetrouvantàleurportée.Quandilsenavaientterminéavecune,l’und’entreeuxleurcriait:“uneautre!”ettousrépétaientaprèslui:“uneautre,uneautre !” et ils se jetaient sur leur nouvelle victime. Cette forme d’hystérie dansl’agression collective n’est que la simple illustration de l’anarchie globale quipourraitsedéclenchern’importeoùetàn’importequelmoment.CertainscitoyensontaffirmésurInternetquecequiétaitarrivéaucentre-villes’étaitreproduitdelamême façon, pendant l’Aïd, à Zagazig et àMansourah. Ceux qui se sont lancésdansdesagressionscollectivescontre l’honneurdesfemmespoursatisfaire leurfaim sexuelle vont sans aucun doute, à la première occasion, semettre à piller,saccageretbrûlerlesbiensd’autrui.

Ensuite, la rage sexuelle qui s’est emparée de ces jeunes ne traduit passeulement leur refoulement sexuel. Les hommes enfouissent très souvent àl’intérieur de leur désir sexuel un sentiment de désespoir, de frustration,d’oppression et d’infériorité. Ces forcenés sont les fils de cesmisérables broyésparlavie,quimeurentd’insuffisancerénaleetd’empoisonnementpouravoirbul’eau des égouts, de ceux à qui les insecticides de YoussefWali1 ont donné lecancer,deceuxquibrûlentdanslestrainsdeHauteEgypteouquisenoientdanslesferry-boatsdelamort,sansquepersonnenesepréoccupenideleurmortnideleurvie.Cesenragéssontlesfilsduchômage,del’impuissance,desbousculades.Ils vivent entassés dans des pièces étroites et dans des bâtiments précaires,dépourvus de commodités et de services publics. Ils ont perdu tout espoir enl’avenir:nitravail,nimariage,nimêmeémigrationàl’étranger.Ilsviventprivésde dignité et n’importe quel informateur ou agent de police peut les arrêter, lesbattre, les violer. Ce qui amène à réfléchir, c’est que ces forcenés, lorsqu’ils ontagressé leurs victimes, se sont comportés de la manière dont les policierségyptiens et les agents de la sécurité d’Etat se comportent avec les femmes desprisonniers et des suspects pour leur arracher des aveux. Ce comportementagressif,hystérique,etquasimaladifcomportesansaucundouteunegrandepartdevengeancecontrelemondelaidethostiledanslequelilsvivent,privésdesplusélémentairesnécessitésd’uneviehumaine.Parceviolcollectif,c’estcommes’ilssevengeaientdeceuxquisontresponsablesdeleurviemisérableetvile.

Si une séance d’agression sexuelle collective comme celle-ci se produisait enOccident, nombreux seraient ceux qui s’empresseraient d’accuser ces sociétésd’êtredécadentesetdépravées,maispuisquecelaarriveenEgypte,celaveutdirequelareligiositémaintenantrépanduedansnotresociétés’arrêteauxapparences.Toutaulongdessiècles,l’Egypteaeudel’islamunevisiontoléranteetouverte,enadéquation avec la nature civilisée des Egyptiens. L’Egypte a toujours su, d’unemanière vraiment exceptionnelle, préserver son islam enmême temps que sonouvertureaumonde.Lafemmeégyptienneaétélapremièreàétudier,àtravailleretàacquérirlerespectdelasociété,entantqu’êtrehumainayantdesdroitségauxàceuxdel’homme.Mais,audébutdesannéessoixante-dix,lasociétéégyptiennea été envahie par un déferlement d’idées wahabites venues d’Arabie saoudite.

D’uncôté,Sadateaemployélareligionpourtriompherdel’oppositiondegauche,puislerégimedeMoubarakacontinuéàsoutenirlewahabismepourprofiterdel’idéedelasoumissionauchefquececourantsèmedansl’espritdesgens.D’unautre côté, les prix du pétrole ont été plusieurs fois multipliés après la guerred’Octobre et l’Arabie saoudite, ayant atteint une position qu’elle n’avait pasauparavant,a imposésamanièredecomprendre l’islamà l’Egypte et aumondearabe. Ensuite, avec lamontée de la pauvreté causée par la corruption et par ladictature,desmillionsd’Egyptienssesontprécipitésvers lespaysduGolfepourallerytravailleretilsensontrevenus,quelquesannéesplustard,avecdel’argentetdes idéeswahabites.Des secteursentiersde la sociétéégyptienneontadoptédes coutumes et des comportements saoudiens qui, auparavant, n’étaientabsolument pas connus en Egypte, comme le niqab, la barbe, les tuniquesblanches,oul’habitudedefermerlesmagasinsàl’heuredelaprièreoud’enleverseschaussuresàlaportedesmaisons.

Orleswahabitesnevoientenlafemmequ’unréceptaclesexuel,uninstrumentde tentation, ou un moyen d’avoir des enfants. Ce qui préoccupe le plus leswahabites,c’estderecouvrirlecorpsdelafemmeetdel’isolerautantquepossiblede la fréquentation de la société, pour repousser le mal qui peut venir de saséduction.Cettevisionavilissantedelafemmeluiôtesonhumanitéetlalimiteàsonstatutdefemelle.Toutefemmeestconsidéréecommedépourvuedevolontéetn’ayantqu’unfaiblesentimentdel’honneur.L’abandonneràelle-mêmelaconduitalorsimmanquablementàlafaute.Lafemme,dupointdevuedeswahabites,nedisposepasdetouteslescapacités.Ilneconvientpasqu’elleconduiseunevoitureniqu’ellesedéplaceseule,sansunhommequiempêchequ’onl’enlèveouqu’onlaviole.Bienqu’ellesprétendentdéfendrelavertu,cesidéesconduisentenfindecompteàenracinerlaperceptiondelafemmecommeunbutinsexuelincapablederefuser ou de se défendre et que l’homme doit interdire aux autres. Mais si lemême homme peut bénéficier des femmes des autres, tout en échappant auchâtiment, alors il n’hésitera pas. Rappelons ici que, en Arabie saoudite,l’enlèvementdes femmesetdesenfantspour lesviolerconstitueunphénomèneeffrayant, un vrai danger que connaissent tous ceux qui ont vécu là-bas. Nousdécouvronsainsiqu’encomparaison,l’Egypteouverteetmodéréetellequ’elleétaitjusqu’àlafindesannéessoixante-dixexprimaitunereligiositévéritableparsesattitudes et ses comportements. Tandis que l’Egypte morose et respectantstrictement lesapparencesde lareligion,dans laquellenousvivonsmaintenant,estenréalitéaussiéloignéequepossibledel’espritdecettereligiondontellen’agardé que les fariboles transmises à elle comme une épidémie par des sociétésbédouinesfermées,arriéréesethypocrites.

Enfin,cettetragédiearévéléqueleministèredel’Intérieurneconsidèrepluslasécurité des citoyens comme une de ses obligations. Ces forces de police quicontrôlent les Egyptiens et les retardent pendant des heures dans les rues,simplementparcequ’unmembredelafamilleMoubarakoudesministresdesonrégime ont décidé de passer avec leur cortège, ces services de sécurité quirépriment,battent, traînentà terre,agressentsexuellementceuxquimanifestent

pour ladémocratieoupour l’indépendancede la justice, cet énormeappareil derépressionn’apaseu l’idéed’envoyerdes forcespoursécuriser lecentre-ville, lejour de la fête. Quelques officiers et policiers qu’on peut voir dans les films del’incident avaient même l’air de n’attacher absolument aucune importance à laséanced’agressionsexuellequisedéroulaitsousleursyeux.Unseuld’entreeux,pousséparsonnatureletdesapropreinitiative,détachasaceinturepourcontenirles hordes de forcenés,mais son courage fut inutile devant leur nombre et leuracharnementàs’emparerd’unenouvelleproie.Quecesoitdansleprogrammedevingt-deux heures ou dans les journaux du gouvernement, le ministère del’Intérieurapataugédanslescontradictions.Ilsontdémenticequis’étaitpasséetontaffirméquelecommissariatdeQasrelNiln’avaitreçuaucuneinformationausujet d’agressions sexuelles. Comme si la tâche des hommes du ministère del’Intérieurconsistaitseulementàresterassisaucommissariatenattendantqu’onles informe. Nous demandons à M. Habib El Adly ce qui se serait passé si cesforcenés sexuels, que ses policiers ont laissé attaquer l’honneur des citoyennespendant quatre heures, avaient crié des slogans contre HosniMoubarak. Est-ceque les forcesde lasécuritécentraleneseseraientpasprécipitéespouraller lesécraser?LaprotectionduprésidentMoubarakcontredessloganshostilesest-elledoncplusimportantequelaprotectiondel’intégritédesEgyptiennes?

Cequiestarrivéaucentre-villemontreque ladébandadea réellementdébuté.L’Egyptes’effondre tandisque leprésidentMoubarak,qui l’agouvernéependantun quart de siècle et l’a fait descendre à ce niveau catastrophique, n’est pluspréoccupé maintenant que de transmettre le pouvoir à son fils. Il est de notredevoir à tous de nousmettre enmouvement pour sauver notre pays du destinencore plus noir qui commence à se dessiner à l’horizon. L’Egypte trouveraseulementsonsalutdansunevéritabledémocratiequirendraauxEgyptiensleurhumanité,leursdroitsetleurdignité…etégalementleurcomportementcivilisé.

1Ministredel’agricultureentre1982et2004.

POURQUOILESÉGYPTIENS

HARCÈLENT-ILSLESFEMMES?

Laréponsehabituelleàcettequestion,c’estquelesfemmes,bienquevictimes,ensontelles-mêmeslacause,carenportantdesvêtementsétroitsouquidécouvrentleur corps, elles éveillent le désir des jeunes hommes, ce qui les pousse à lesharceler. Ce discours fallacieux part d’une logique tortueuse qui voudrait que lafemmesoitcoupabledetouteslesfautesetdetouslescrimesqu’ellesubit,ouqueles jeunes hommes ne soient que des animaux incapables de maîtriser leurspulsions,àqui il suffitd’entrapercevoirune femmedansune robecollantepouraussitôt luisauterdessuset lavioler.Maisceraisonnement injustequiretourneles reproches contre la victime a été dernièrement démonté et s’est trouvétotalement dénué de fondement : des études ont démontré qu’en Egypte plusde 75 % des victimes de harcèlement sont des femmes voilées. D’ailleurs,l’enregistrement filmé et diffusé sur Internet de l’agression sexuelle collective,survenue il y a deux ans dans le centre du Caire, montre des agresseurs s’enprendreàunejeunefillerevêtued’unvoilequicouvraittoutsoncorps.

Ajoutonsàcelaquelasociétéégyptienne,jusquedanslesannéessoixante-dix,acceptait l’idéeque la femmeporteunmaillot debaindécouvrantunepartiedesoncorpsdevantleshommes.Surtouteslesplagesetdanslespiscinesdesclubs,onvoyaitdesjeunesfillesetdesfemmesdescendreàl’eausansquepersonnenelesharcèle.Quiplusest, lesmodesquise répandirentà cetteépoque, comme lamini-jupeoulamicro-jupedécouvraient lescuissesde la femme,etnombreusesétaient celles qui, en Egypte, portaient ces vêtements sur les lieux de travail oud’étude, ou dans les transports en commun. Ces vêtements courts suscitaient àl’époquelesréservesdesconservateurs,sansquecelalesamènejamaisàharcelerlesfemmes.

Ilestdoncavéréqueleharcèlementsexuelestunemaladieimportéeetquecephénomènen’existaitpas,entantquetel,enEgypte, ilyatrenteans.C’estbienautrechosequ’unequestiondevêtementsserrésoudenuditéquiluiadonnésonimpulsion.LephénomèneduharcèlementdesfemmesparlesEgyptiens,quis’estaggravé ces derniers temps, a, sans aucun doute, des dimensions sociales etéconomiques nombreuses, comme le refoulement sexuel, le report de l’âge dumariage, le chômage, la pauvreté, l’extension des zones d’habitat précaire, lafrustration,levideetlesentimentd’injustice.Touscesélémentssontimportants,mais, demonpoint de vue, accessoires. La cause originelle de l’extension priseparleharcèlementest,àmonavis,lamodificationdenotreregardsurlesfemmes.Dans l’histoirehumaine, ilyadeuxmanièresdepenser la femme.Unemanièreciviliséequilaconsidèrecommeunêtrehumainàquiilestadvenud’êtrefemme,

commel’hommeestunêtrehumainàquiilestadvenud’êtrehomme.Cettevisionciviliséereconnaîtàlafemmetoutessesfacultésettoutessescapacités,ennelaréduisant pas à sa féminité, et rend ainsi possibles des relations humainesrespectueuses.Apartirdecettefaçondevoir,l’hommetraiteraunecollègueouuneélève ouunprofesseur femmeà l’université commeun être humain et non pascommeunesimple femelleavecqui ilaenviedecopuler.Lamanièrearriéréedevoirlafemme,enrevanche,laréduitàn’êtrequ’uncorpsquel’hommeconvoite.Elle la considère avant tout comme une femelle, un instrument de plaisir, unesource d’égarement et unemachine à fabriquer des enfants. Toute activité de lafemme en dehors de ses fonctions féminines ne peut alors être qu’annexe etmarginale. La société égyptienne,dès leXIXe siècle, a fait demanièreprécocedegrands progrès vers la modernité. Les Egyptiens ont donc eu très tôt uneconception civilisée, respectueuse de l’humanité de la femme. La femmeégyptienneaétélapionnièredesfemmesarabes.Elleaétélapremièreàétudier,lapremièreàoccuperunemploi, lapremièreàconduireunevoitureouàpiloterunavion,lapremièreàentrerauparlement,lapremièreàoccuperlesfonctionsdeministre.

Cepointdevueciviliséquirespectel’humanitédelafemmeaétédominantenEgypte jusqu’au début des années quatre-vingt. Puis notre pays a été victimed’une vague impétueuse de pensée salafistewahabite qui présente un point devuecomplètementdifférentsurlafemme.Lafemme,pourlessalafistes,estavanttout un corps et ce qui les préoccupe le plus, c’est de cacher ce corps. Il y aplusieursjours,uncheikhsaoudienéminentainvitélesfemmesmusulmanes“àrevêtir un niqab laissant voir un seul œil pour éloigner la séduction et pourprotégerlesmœurs”.Cepointdevuequilimitelafemmeàn’êtrequ’uncorpsenfait automatiquement, àn’importequelmoment, uneproie sexuelle virtuelle, unêtrepresquedépourvudevolontémorale,quidoittoujoursêtreaccompagnéeparunhommedesafamillepourlaprotégercontrelesautresetégalementcontreelle-même. Naturellement, le fait de considérer la femme comme un simple corpspousseverselleleharceleurquisaisiralapremièreoccasionoùilpourralefairesanscraindredepunition.

La vision arriérée de la femme, maintenant répandue en Egypte, amalheureusement été importée de sociétés bédouines venues du désert, surlesquelles l’Egypte avait une grande avance dans tous les domaines. Au lieud’aidercessociétésàavancersur lavoieduprogrèshumain,cesont leursidéesarriéréesquinousontcontaminés.

Les jeunesqui sortent les joursde fête pourharceler des femmesdans la ruemettenttoutsimplementenapplicationcequ’ilsontapprisausujetdelafemme:silafemmen’estqu’uncorps,siellenereprésenteriend’autrequeledésiretlavolupté,sielleestsourcedetentation,pourquoinel’agresseraient-ilspass’ilsnerisquentpasdechâtiment?

Le journal El Masri El Youm a rencontré plusieurs harceleurs qui ontunanimementaffirméquetouteslesfemmesquisortentsepromenerlesjoursde

fête veulent que les jeunes les harcèlent. Ce raisonnement est en parfaiteconformité avec la vision salafiste arriérée de la femme : la femme porte latentation dans son sang,même si elle fait semblant du contraire. L’hommedoitdoncsurveillersonépouseavec lesplusgrandesprécautions.Quantà la femmequisortseuleun jouroù ilya foule,cen’estqu’uneprostituée,quiveutque lesjeuneslaharcèlentsexuellement.

Nous avons échangé notre vision civilisée de la femme contre une visionarriéréequisecamouflederrièrelareligionetdontcelle-ciestenréalitéinnocente.Nousavonscommencéàpayerd’unprixexorbitantcesidéesarriérées.

Avant d’appeler les jeunes hommes à cesser de harceler les femmes, nousdevonsleurapprendreàrespecterlafemme.Ilfautquenousmettionsuntermeàcesdiscussionssurcequelafemmedoitportercommevêtementsetcequ’elledoitenlever,surlanécessitépourelledecouvrirsesoreillesoudelaisserpendredesmèches de cheveux. Il faut que nous mettions fin à cette vision arriérée etréellement obsessionnelle du corps de la femme, qui appelle à le recouvrir enaffectantlapiété.

Il fautquenousrestaurionsnos idéeségyptiennesciviliséesetquenousnoussouvenionsquelafemmeestlamère,lasœuretlafille,qu’elleestunêtrehumaincomplètementégalàl’hommeencapacités,endroitsetendevoirs.

Il faut que nous montrions à ces jeunes hommes des exemples de réussiteprofessionnelle de la femme et de son excellence intellectuelle. Il faut qu’ilsapprennent à connaître les femmes médecins, les femmes ingénieurs et lesfemmesjuges.

Ilscomprendrontalorsquelespossibilitéshumainesdelafemmesontbienplusimportantesquesoncorps.Alors,etalorsseulement,ilscesserontdelesharcelerdanslarue.

COMMENTVAINCRE

LASÉDUCTIONDESFEMMES

Cherlecteur,

Imagine que tu arrives un matin à ton travail et que tu y trouves tous tescollègues,levisagecouvertd’unvoile.Tuentendraisleursvoix,maistuneverraisabsolumentpasleurvisage.Queressentirais-tualors?Tuneseraisnaturellementpas satisfait et si cette situation durait, elle entraînerait chez toi un troublenerveux,carnousavonstoujoursbesoindevoirlesvisagesdeceuxavecquinousparlons.

Larelationhumainen’estpascomplètesanslavisionduvisage.Ainsiestfaitelanaturehumainedepuisledébutdestemps.Maisceuxquiveulentimposeràlafemmedecouvrirsonvisagenecomprennentpascetteréalité.

A la suite de la grande révolution égyptienne de 1919 contre l’occupationbritannique, la pionnière Hoda Chaaraoui, au cours d’une festivité publique,enlevasaburqaturque.C’étaitunefaçondemontrerquelalibérationdelanationétaitinséparabledelalibérationdelafemme.Lafemmeégyptiennefutvraimentlapionnièredes femmesarabes, lapremière à étudier et à travailler dans tous lesdomaines,lapremièreàconduireunevoiture,puisunavion,lapremièreàentreraugouvernementetauparlement.

Mais,depuis lafindesannéessoixante-dix, lesEgyptienssonttombéssouslacoupe des idées salafistes. Ce sont les chaînes satellitaires appartenant à dessalafistes,ainsiquelesmillionsd’Egyptienspauvresrevenus,gavésdecesidées,d’Arabie saoudite, après y avoir travaillé pendantdes années, qui ontdiffusé ladoctrinewahabitesoutenueparl’argentdupétrole.

C’estainsique leniqaba faitsaréapparitionenEgypte.Ce faitmériteraitunediscussion objective, mais cela est difficile, car les partisans du niqab,généralement d’un rigorisme exacerbé, sont prompts, par un raisonnementsimplisteet fallacieux,àaccuser tousceuxquinesontpasd’accordaveceuxdeprônerlalicenceetladépravation.Lechoixhumainn’estpasseulementlimitéàcelui du niqab ou de la luxure. Entre les deux existent de nombreuxcomportementsmorauxéquilibrés.

Laquestionquiseposeestdesavoirsileniqabéloignelaséductiondesfemmesetrenforcelavertu.Pouryrépondreilconvientderappelerquelquesvérités:

L’islamn’ordonneabsolumentpasàlafemmedecouvrirsonvisage.Etd’abord,pourquoiDieunousaurait-ilordonnédedétournerlesyeuxsinousn’avionsrien

vu du visage de la femme ? Dans la sociétémusulmane telle qu’elle était à sesdébuts,lafemmeparticipaitàlaviepublique,elleétudiait,travaillait,commerçait,étaitinfirmièrependantlesguerresetparfoismêmeparticipaitaucombat.L’islamrespectait la femme et lui accordait des droits égaux à ceux de l’homme.L’oppressiondesfemmesn’acommencéquedanslessièclesdeladécadence.Ilyaquelquesmois,lesgrandsulémasd’AlAzharontrédigéunlivre,distribuéparleministèredeswaqfssousletitre“leniqabestunetradition,pasunactedepiété”,danslequelilsontétablienseréférantàlaloiislamiquequeleniqabn’arienàvoiraveclareligion,nideprèsnideloin.Jecroisquepersonnenepeutcontesteràcesgrandssavantsleurconnaissancedesloisdelareligion.

Commeleportduniqabn’estpasuncommandementdivin,ilestdenotredroitde nous demander quels sont ses avantages et quels sont ses inconvénients.Toutes les sociétés anciennes imposaient le port du niqab à la femme, parcequ’elleslaconsidéraientcommeunesourcedetentation.Pourluttercontrelevice,le seul moyen était de l’isoler et de la dérober aux regards. Ce raisonnementimplique que l’homme est tenté par le simple fait de voir le visage d’une bellefemmeetniedonc sa capacitédedominer ses instincts. Parailleurs si, pournepasséduireleshommes,lesfemmesdoiventcacherleurvisage,quedoiventfaireleshommesquisontbeaux?Leurbeauvisageneva-t-ilpastenterlesfemmes?

Doit-onordonnerégalementauxhommesbeauxdeporterleniqabdefaçonàcequehommesetfemmessoienttousvoilésauxregards.Enoutre,nousvoyonslesdeuxyeuxd’unefemmeenniqabet,s’ilssontbeaux,ceux-cipeuventdevenirunesourcepuissantede tentation.Quedevrons-nous fairealorspour luttercontre laséduction?Unexégètesaoudienconnu, lecheikhMohamedElHabdane,aeu labonneidéedesepenchersurceproblèmeetilaappelélesfemmesmusulmanesàporter un niqabavec un seulœil libre pour qu’elles ne puissent plus tenter leshommesparleurregard.Jenesaispascommentcesmalheureusespourrontvivreavecceseulorificepourvoirlemonde.

Leniqabempêchelafemmedeparticiperàlavieentantquepersonneégaledel’hommeendroitsetendevoirs.Commentunefemmechirurgien,juge,ingénieurouprésentatricedetélévision,pourrait-elletravaillercachéederrièreunniqab(quecesoitavecunseulœiloulesdeux).Laplupartdesexégètessaoudiens refusentd’ailleurs énergiquement que les femmes puissent conduire des voitures ens’appuyantsurtroisarguments:

– si la femme conduisait une voiture, elle enlèverait son niqab et perdrait sapudeur;

– il luiseraitpossibled’allerpartoutoùelle leveut, cequi l’encourageraitàserévoltercontresonmarietsafamille.

Le troisième argument pour interdire aux femmes de conduire est tiré d’unelecture littérale du livre des fatwasde la loi islamique : “Ladéterminationde lafemmeest,parnature, inférieureàcellede l’homme,sesvuessontpluscourtes,

ses capacitésmoins grandes et elle est incapable de se comporter correctementfaceàundanger.”

C’est là l’opinion véritable des partisans du niqab, qui montrent ainsi leurmépris de la femme et de ses capacités. Ils seraient, bien entendu, incapablesd’expliquer l’excellentniveauéducatif etprofessionnelqu’ontatteint les femmesdanslemondeentier.

Cequ’ilyadeplusdangereuxdans leniqab, c’estqu’il enlèveà la femmesadimensionhumaine.Dansl’histoiredel’humanité,ilyatoujourseudeuxfaçonsdeconsidérerlafemme:unefaçonciviliséequivoitenelleunêtredouédetoutesles capacités et de toutes les compétences, et une vision arriérée qui la voituniquement sous l’angle de sa féminité, la limitant ainsi essentiellement auxfonctions d’instrument de plaisir sexuel, de machine à faire des enfants et deservantedanslamaisondesonmari.Cestroisfonctionsétantrelativesaucorpsde la femmeetnonàsonesprit.Danscecas, lecorpsde la femmeacquiertuneimportancemaximale,alorsquesonéducation,sontravail,oumêmesesidéesetses sentiments ne viennent qu’en second plan, si même tout cela est pris enconsidération.

Les partisans du niqab croient que la mixité hommes femmes conduitnécessairementàlaséductionetauvice.Leseulremèdeàceproblèmeestdoncdeséparer complètement les deux sexes et de cacher le visage de la femme. Si ceraisonnementétaitvalable, lasociétésaoudiennedevraitêtre, totalementetpourtoujours, débarrassée du vice. En effet, la séparation entre les deux sexes y estabsolue et leniqab obligatoire pour toutes les femmes. Il y a là-bas une grandeinstitution qui s’appelle “la Commanderie du bien1” dont la fonction est decontrôler nuit et jour les comportements des citoyens et de les punirimmédiatement s’ils ont fait un écart, même minime, par rapport aux bonnesmœurs.

Celaa-t-ilpermisd’instaurerlerègnedelavertuenArabiesaoudite?

Les études et les statistiques montrent, malheureusement, le contraire. UneétudeconduiteparMmeWafaMohammeddocteurdel’universitéduroiSaoudamontré que le quart des enfants saoudiens avaient été victimes d’abus sexuels,entrel’âgedesixanset l’âgedeonzeans,résultatconfirméparuneautreétudefaite par le docteur Ali El Zahrani, spécialiste des maladies psychiques auministèresaoudiendelaSanté.UnrapportdudocteurKhaledElHalabi,directeurducentrededéveloppementdelafamilledanslarégiondeHasa,affirmeque,surun échantillon d’élèves du secondaire, 82% souffraient de problèmes sexuels etque,pour laseuleannée2008,huit centcinquante jeunes fillessaoudiennesontfui leur famille à cause d’agressions, la plupart d’ordre sexuel, de la part demembresdeleurspropresfamilles.

Parmilesenfantssaoudiens,environ9%,font l’objetd’abussexuelsdelapartde leurs parents et, dans les pays du Golfe, une fille sur quatre est victime deharcèlement sexuel. Par ailleurs, 47 % des enfants de l’étude avaient reçu des

propositions obscènes sur leur téléphone portable. La révolution descommunicationsacauséunegravecrisedanslasociétésaoudienneetlesjeunes,inhibés sur le plan social et sur le plan sexuel, utilisent les objectifs de leursappareilsdetéléphonedansdesbutslicencieux.En2005,aétédiffuséenArabiesaoudite un film enregistré sur téléphone portable : il montre quatre jeunesSaoudiensessayantdeviolerdeuxfemmesenniqabdansuneruedeRiyad.Onseposelaquestiondesavoircommentunjeunepeutsemettreàviolerunefemmedontiln’avunilecorpsnilevisage?C’estque,pourlui,ilnes’agitpasd’unêtrehumainmais justed’uncorps,d’un instrumentsexuel.S’ilpeuten jouir toutenévitantlechâtiment,iln’hésitepasuninstant.

En résumé, la situation de la société saoudienne, en ce qui concerne lesdépravationset lesagressionssexuelles,n’estpasmeilleureque lasituationdesautressociétés,siellen’estpaspire.

Enfindecompte,sileniqabnepermetpasdeparveniràsauvegarderlavertu,àquoi sert-il ? Comment pouvons-nous donc lutter contre la séduction desfemmes?

Lavérité,c’estquel’onneparvientjamaisàlavertuparl’interdiction,lehidjaboul’oppression,maissimplementparl’éducation,lesbonsexemplesetlavolonté.Si nous considérons la femme comme une personne ayant une volontémorale,unedignitéetunepersonnalité indépendante,et sinous luidonnons toutesseschances dans le domaine de l’éducation et du travail, alors, et alors seulement,pourrarégnerlavertu.

Ladémocratieestlasolution.

1“Lacommanderiedubienetlepourchasdumal”commeletraduitJacquesBerque,sontledevoirdetouslesmusulmans.EnArabie,celaestdevenuuneinstitutionetunesortedemilicequi luiestrattachée,connuesous le nom demutawwaa, sillonne les rues des villes pour vérifier que les bonnesmœurs et la stricteobservancereligieuseysontbienrespectées.

LENIQABETLAPIÉTÉDÉFICIENTE

La semaine dernière, j’ai écrit un article sur le phénomène de la propagationactuelleduniqabenEgypte,quatre-vingt-dixansaprèsquelafemmeégyptiennes’enestlibérée.J’airappeléquel’islamn’ordonneabsolumentpasàlafemmedecouvrirsonvisageetjemesuisappuyépourcelasurl’opiniond’unensembledethéologiens d’Al Azhar, qui ont publié un texte sous le titre “Le niqab est unecoutume,pasunarticledefoi”,publicationdiffuséeparleministèreégyptiendeswaqfs.Denombreuxautresexégèteségyptiensdontleplusimportantestl’imamMohamedAbdou(1849-1905)ontexprimélamêmeopinion.C’estaussilecasducheikhMohamedGhozali(1914-1996),grandetcourageuxthéologienquiamenéuneviolentebataillecontrel’exégèsebédouine–commeill’aappelée–quiviseàisoler la femmederrière sonniqab. J’ai tenté d’expliquer l’influencenégative duniqab pour la femme et pour la société. J’ai donné l’exemple de la sociétésaoudienne où le niqab est imposé par la force à toutes les femmes et j’aidémontré, en m’appuyant sur des statistiques officielles saoudiennes, que lasociétéde cepays, enmatièrededéviations et d’agressions sexuelles,n’est pasmeilleure – sinon pire – que les autres sociétés et que, par conséquent,l’emprisonnementdelafemmederrièreleniqabn’empêchepaslevice.

Aprèslapublicationdecetarticle,j’aiétésurpris,enouvrantlesitedujournalShorouk, d’y trouver un déferlement de lettres de partisans du niqab qui,malheureusement,n’apportaientaucunargumentdanslacontroverse,maistoutess’évertuaientàmecouvrirdeleurméprisetdeleursinsultes,sansprêteraucuneattentionàmonpointdevueetàceuxdesexégètesquejecitais.Faceàlaférocitéetàlagrossièretédel’offensive,ungrandnombredelecteursontprismadéfense.Jelesremercieicidetoutcœuretjesuisfierdeleurconfianceetdeleurestime.Ilestvraiquecesinsultesnem’ontpasinquiétécar,étantmédecin,j’aiapprisqu’enchirurgie, lorsque l’on crève un abcès au scalpel, ce geste indispensable à laguérison dumalade est, nécessairement, suivi d’un écoulement de pus et de lapuanteurquil’accompagne.

Nousnoustrouvonstoutefoisfaceàunphénomènequimériteréellementd’êtreobservé de près. On peut supposer que tous ceux qui ont renchéri dansl’expressiondeleurméprissontnonseulementdescroyants,maisqu’ilsestimentmieux pratiquer la religion que les autres. Cela nous donne une excellenteoccasiond’étudierleurmodedepensée.J’aifaitlesobservationssuivantes:

Premièrement:cesgenscroiententouteconfiancequel’islamn’aqu’uneseulenature,unseuldiscoursetuneseulevisiondumonde.Toutcequidiffèredeleuropinionn’aplusrienàvoiravecl’islam.Toutepersonnequinepartagepasleuropinion estun ignorant1, undégénéréouquelqu’unqui complote contre l’islam

pour lecomptedepartiesétrangères. Ilsconsidèrentparconséquentqu’ilest deleurdevoir,nonpasdediscuteravecceuxquiontdespointsdevuedifférentsduleur,maisdelesréprimer,deleshumilieret,sipossible,deleschâtier,puisqu’ilssontdesennemisoudescomploteursetpassimplementdespersonnesayantdesopinionsdifférentes.Envérité,iln’yariendeplusétrangeràl’islamvéritablequecepointdevuetotalitaireetextrémiste.L’islamestlaseulereligionquiordonneàses adeptes de croire aux autres religions. Pendant sept siècles, il a stupéfait lemondeparsacapacitéàassimilerd’autresculturesetàleurrendreleurcréativitéauseindelagrandecivilisationislamique.

Deuxièmement : ces gens s’attendent à ce que vous soyez d’accord avecl’emprisonnementdelafemmederrièresonniqabou,àtoutlemoins,quevousnevousyopposiezpas.Sivousvousyopposez,ilsvousaccusentimmédiatementdepromouvoirlanuditéetd’êtrelicencieux.Ilsconsidèrentqueleniqabestlaseulealternativeàladégénérescencemorale.Onpeutimaginerquelleidéeilssefontdela femmenon voilée, comment ils se comportent à son égard et, par extension,comment ils considèrent les coptes. On peut également imaginer quelle imagedonnentdel’islamceuxd’entreeuxquiviventdansdespaysoccidentaux.

Troisièmement:ilspratiquentuneformedereligiositéquinesefondepassurune expérience spirituelle personnelle, mais sur la comparaison et ladiscrimination.Poureux,lecheminverslaperfectionreligieusenepassepasparun effort personnel vers le bien et par la maîtrise de leurs désirs, mais parl’ostentationdeleursupérioritéreligieusesurlesautres.C’estdansleurdifférencequ’ilstrouventuneforcepersonnellequilesconduitàlavanitéetàlaforfanterie.Eux seuls sont de véritables croyants, qui connaissent les fondements de lareligionetsasagesse. Ilsne laissentauxautresqu’unealternative :suivre leursidéessans lesdiscuter,oumériter leursmalédictionset leurs insultes. Ilsviventdansunmondeimaginairequileurpermetd’oublierleursproblèmesvéritables.Lemonde pour eux ne comporte que deux camps : les musulmans, qui doiventintégralement partager leurs idées et le camp ennemi de l’islam composé deslaïques,desmécréants,desdégénérés.Iln’yapasdetroisièmevoie.Cettevisionbinaire,outresastupiditéetsonextrémisme,lespoussefacilementàlahaineetàl’inimitié plutôt qu’à l’amour, à la tolérance et à l’acceptation des différences,toutesvaleursauxquellesinvitelavéritablereligion.

Quatrièmement : j’ai remarqué que la plupart de leurs lettres sont pleinesd’énormes fautes grammaticales et linguistiques. J’en ai conclu que leur culturereligieuseétaitoraleetpasécriteetque,parconséquent,ilsallaientchercherleurinspiration dans les chaînes satellitaires soutenues par l’argent du pétrole, quiœuvrentàlapropagationdesidéessalafisteswahabites.Hier,j’airegardéunedecechaînesetj’yaitrouvéuncélèbreprédicateurentraindedire:“LeProphètedeDieu,prièreetsalutdeDieusurlui,futinvitéchezdesgensetilymangeadetoutcequiluifutprésenté,saufdesoignons.Lorsquel’hôteluidemandapourquoi,leProphètedeDieuréponditqu’ilnemangeaitpasd’oignonscruspourquel’odeurdesabouchenefassepass’enfuirlesangesaumomentoùilsluitransmettentlarévélation.”

Telest leniveaudelareligionqueceschaînesdiffusentdansl’espritdesgenssimples.Jenecroispasqu’uncommentairesoitnécessaire.

Cinquièmement:j’airemarquéquelareligionreprésentepoureuxunesériedeformalités à accomplir, qui ne dépasse jamais l’aspect formel et rituel. Parconséquent, ces croyants ne voient pas de contradictions entre leur puretéreligieuse et le fait d’insulter les gens. Cette religiosité déficiente qui sépare lacroyance des comportements se répand comme une épidémie dans notre pays.Combien de personnes rencontrons-nous aujourd’hui, extrêmementrespectueuses de la pratique religieuse et qui, dès que l’on est en relation avecelles pour des affaires matérielles, nous dévoilent un comportement encontradiction avec leur apparence ? En Egypte, nous sommesmalheureusementdevenusplusrespectueuxdesapparencesdelareligionetmoinsreligieux,alorsqu’avant la diffusion des idées wahabites nous attachionsmoins d’importanceauxapparencesdelareligionetnousétionsplusreligieux,auvraisensduterme,c’est-à-direplusjustes,plushonnêtesetplustolérants.

Enfin : ce qu’il y a de plus dangereuxdans cette religiosité déficiente, c’est lacoupuretotalequ’elleeffectueentreleprivéetlepublic.Ceuxquisesontregroupéset réunis pour agonir d’insultes le site de Shorouk et qui s’imaginent de cettefaçondéfendrel’islam,viventenEgypteoùdesmillionsdegenssontvictimesdelapauvreté,duchômage,del’ignorance,delamaladie,oùlesgensmeurentdansles files d’attente devant les boulangeries ou en se battant pour avoir de l’eaupotable.Mais la religion déficiente les rend incapables d’analyser objectivementquelquephénomènequecesoit.Lamisère,dans leurcroyance,estunchâtimentdeDieuouuneépreuvequ’ilimpose.Ilssontincapablesd’yvoirlerésultatnatureldelacorruptionoudeladictature.

La religiosité déficiente est totalement dépolitisée. Ces gens-là ont appris descheikhs wahabites que l’obéissance au dirigeantmusulman est une obligation,même si ce dernier est injuste et corrompu. Cela les prédispose à accepter ladictature. Ils manifestent avec colère pour protester contre la décision dugouvernementfrançaisd’interdirelehidjabdanssesécoles,alorsque,dansleurpropre pays, les élections sont truquées par le régime et que des milliers dedétenus (pour la plupart islamistes) passent leurs plus belles années en prisonsans jugement, alors que les Egyptiens sont traités avec mépris, torturés avecsauvagerieetquelestortionnairesviolentleursfemmessousleursyeuxdansleslocaux de la police ou de la sécurité d’Etat. Rien de tout cela ne suscite leurcourrouxreligieux,carlareligionqu’ilsontapprisen’englobepasladéfensedesvaleurshumainesquesontlaliberté,l’égalitéetlajustice,maiselleselimiteàunculteformel.Parailleurs, luttercontre l’oppressionet ladictaturesepaiecherenEgypte.Onpeutyperdrelaliberté,ladignitéetmêmelavie.Tandisquesecacherderrière des identités empruntées pour insulter les gens sur Internet est uncombatfacileetsansrisque.

Cette expériencem’a confirmé à nouveau qu’il y a deux batailles àmener enEgypte : l’une pour la réforme démocratique, pour empêcher la transmission

héréditairedenotrepaysduprésidentMoubarakàsonfils,commesinousétionsun élevage de poulets, et pour arracher à la liberté et à la justice les droits desEgyptiens. L’autre, en parallèle et qui n’est pas moins importante, pour quel’Egypte défende sa lecture ouverte et civilisée de l’islam, face à l’invasion desidéeswahabites réactionnairesetarriérées,quimenacentdenousenlevernotrepatrimoinecultureletdetransformernotrepaysenunémirattaliban.

1Lemotjahel,ignorant,auneconnotationbeaucoupplusfortequ’enfrançais,puisqu’ilseréfèreàl’ignorancequirégnaitdanslemondeavantlaprophétiedeMohamed.

LAPIÉTÉFACEAUXCAMÉRAS

Danslesannéessoixante-dix,ilyavaitdansmafamilleunuléma1d’AlAzhar,quis’appelaitcheikhAbdelSalamSarhan.Ilétaitd’uneapparenceredoutableparsacorpulence, son costume caractéristique de la grande mosquée, et sa voixsolennelle. Nous autres, enfants à cette époque, l’aimions beaucoup, car il avaittoujourslespochesrempliesdebonbons.Lorsquelesgensavaientbesoindesonavissurunequestiondedoctrine,il lesrecevaitchaleureusementchezluietleurexpliquait les principes de la religion. Jamais alors, le cheikh Abd El Salam nedemandaitdesalairepoursapeine.Toutcequ’ildemandait,c’étaitquelesgensinvoquentDieupourlui.

J’aiapprisducheikhAbdElSalamquelevéritableulémaétaitunepersonnalitéconsidérable aumoins aussi respectée que lemédecin ou le juge, et j’ai appriségalementquesavéritablemissionétaitde faire connaître la religionauxgens.Mais l’époque du cheikh Abd El Salem est révolue et l’Egypte a changé. Unegénérationnouvelledeprédicateursestapparue,différenteentouspoints.Dufaitde la nature religieuse des Egyptiens et de leur propension plus grande à seréfugier en Dieu, depuis que la vie terrestre leur est devenue insupportable, àcausedelapauvreté,del’oppression,deshumiliations,àcausedel’existencedemillionsd’illettrésetdeladifficultépourceuxquisontinstruitsd’avoiraccèsauxsources originelles de la religion, ce sont les nouveaux prédicateurs qui sontdevenus lasourcede laculturereligieusedemillionsd’Egyptienset jouentainsiun rôle déterminant dans la formation de la conscience nationale. Il nous fautdoncregarderdeprèscephénomènepourencomprendrelanature.

Premièrement : la plupart de ces prédicateurs n’ont pas poursuivi d’étudesacadémiquesensciencesreligieuses.Leursuccèsneprocèdedoncpastantd’uneconnaissance approfondiede la religionquede leur capacité à convaincre et deleur séduction personnelle, d’où l’intérêt qu’ils portent à leur élégance et à leurallure,ainsiquel’utilisationqu’ils fontd’unelanguequotidiennesimplifiéepouratteindre un plus grand nombre de personnes. En dix ans, les nouveauxprédicateurs sont devenus un élément essentiel du marché commercial del’information, avec tout ce qu’implique cette expression. Leur salaire est fixé enfonctiondelaquantitéd’annoncespublicitairesrapportéesparleprogramme,quielles-mêmes augmentent bien entendu avec le nombre d’auditeurs. Lesprédicateursquireçoiventlesplushautssalairessontceuxdontlesprogrammesattirentlaplusgrandequantitédepublicités.Contentons-nousdesavoirqueleursémoluments (aux tarifs de l’an dernier) varient entre cent cinquantemille et unmilliondelivresparmois.

Certains ont imaginé de nouveaux modes de commercialisation de leursconnaissances en jurisprudence religieuse, tels que le téléphone islamique ou –contredeshonorairesexorbitants–l’accompagnementdesrichesauPèlerinageetà laOmra2.La revueaméricaineForbesapublié les revenusdeplusieursde cespersonnagesdontlesfortunessontconsidérables.Nousleursouhaitons,biensûr,à tous d’être comblés de biens, mais nous devons rappeler que le Prophète deDieu, prière et salut de Dieu sur lui, a vécu pauvre et estmort pauvre, que sesCompagnons, que Dieu les agrée, n’ont jamais rien acquis en échange de laprédication de l’islam pour laquelle au contraire ils dépensaient leur argent.L’invitationdesgensàsuivrelechemindeDieun’ajamaisété,dansl’histoiredel’islam,unmoyendes’enrichir.

Lorsque j’imagine que des millions d’Egyptiens pauvres, habitant dans deszonesd’habitatprécaireoudansdescimetières,seréunissentpourentendreunepersonneleurparlerdereligionetque,lorsquelemoissetermine,cesmalheureuxrestent dans leurmisère pendant que le compte en banque de cette personne aaugmentéd’unmilliondelivres,jeneparvienspasàacceptercettecontradiction.

Deuxièmement : dans les programmes qu’ils animent, nombre de nouveauxprédicateurs se fondent sur l’exacerbation des sentiments religieux destéléspectateurs, et cette exacerbation atteint son comble, lorsque le prédicateurpleureet les faitpleurerparcraintedeDieu.Surcepoint, jesuis frappéparunenouvelle contradiction. Tous ceux qui ont affronté l’expérience de paraître à latélévision savent que se trouver face à plusieurs caméras pendant le tournagedemande de la préparation et de l’expérience. Malgré tout mon respect, je medemandecommentleprédicateurpeut,enmêmetemps,combinerledébordementdesessentimentsreligieuxquilepoussentàpleureretsonextrêmeattentionauxmouvements des caméras, nécessaires pour passer rapidement d’une caméra àl’autreensuivantlesindicationsduréalisateur.

Troisièmement : le discours de ces prédicateurs réduit l’islam à son aspectformeletàsespratiques rituelles : levoile, laprière, le jeûne, lePèlerinageet laOmra – je n’ai rien contre cela, bien sûr –mais il n’aborde absolument pas lesquestions de la liberté, de la justice et de l’égalité. L’image qu’ils présentent dumonde fait des bonnesmœurs la solution unique auxmaux de l’humanité. Lavérité est que les bonnes mœurs ne suffiront jamais à établir la justice. Desmillions d’Egyptiens sont plongés dans la misère et les humiliations. Ils sontavanttoutvictimesd’unrégimedictatorialcorrompuetoppressif.C’estlàlacausedeleurmisèreetilsnepeuventveniràboutdeleursmauxsansunchangementde la situation. Les mots prononcés par un des prédicateurs sont devenuscélèbres:“Lorsquelenombredeceuxquifontlaprièredel’aubeatteindraceluidelaprièreduvendredi,Jérusalemseralibérée.”Pourtant,nousvoyons,enEgypte,semultiplier sans cesse le nombre de ceux qui prient, alors que les crises et lescalamitéssesuccèdentsansinterruptionau-dessusdenostêtes.C’estqueDieunechangerapasnotrecondition,sinousne travaillonspasà lachangeretsinousnouscontentonsdelaprièreetdesinvocations.

Quatrièmement :cette lecturede lareligionquidécharge lerégimeenplacedesesresponsabilitésetpousselesgensàcohabiteraveclui,aulieudeserévolter,est sansaucundoute cequi explique l’accueil favorableque font les servicesdesécuritéàcesprédicateurs.DansunouvrageimportantintituléLePhénomènedesnouveaux prédicateurs, le professeur Waél Lotfi démontre que tous, sansexception, travaillenten totalecoordinationavec lesservicesdesécurité, c’est-à-direqu’ilssemettentpréalablementd’accordaveccesdernierssur les limitesdecequ’ilspeuventdire,quecesoitàlatélévisionoudanslesmosquées.Nousnoussouvenons bien comment tous ces prédicateurs ont pris position contre lesmanifestationsdesolidaritéaveclesPalestiniensetaveclesIrakiens,enappelantlesgensàprier, à jeûnerou invoquerDieu,plutôtqu’à sortirdans la rue.Tellessontlesexigencesdeleuraccordaveclesservicesdesécurité!Ilsauraientàpayertoutmanquementd’unprixexorbitant,allantde l’interdictiondeprêche jusqu’àl’expulsion définitive d’Egypte, comme c’est arrivé récemment à un prédicateurcélèbre.

Cinquièmement : les docteurs en jurisprudence musulmane ne sont pasd’accordentreeuxpoursavoirs’ilestlicitedefairerétribueruneconsultationsurunpointdedoctrine.Certainsl’autorisentàconditionquel’argentsoitprélevésurle trésor public. D’autres autorisent l’homme de religion à prendre ce qui suffitpour luietpoursafamille,maisriendeplus.L’imamAhmedbenJandalstipule,poursapart,queceluiquidonnedesconsultationsdoitdisposerdesuffisammentdemoyens financiers pour se passer de la contribution des gens. L’idée, ici, estqu’unuléma,toutcommeunjuge,doitarbitrerentreplusieurspartiesetqu’ilfautdonc que lui soient fournis les moyens de son indépendance. De nombreuxEgyptiens, dont je suis, reprochent aux grands ulémas d’Al Azhar d’être desfonctionnairesnomméspar le gouvernement, ce qui nuit à leurneutralité et lesplacedansunesituationembarrassante,s’ilsprennentdesdécisionsdifférentesdecequ’attendd’euxlegouvernement,enmatièredejurisprudencereligieuse.Demême,lefaitquelesnouveauxprédicateursperçoiventderichesémolumentsdechaînessatellitairespossédéespardespersonnesoudesentités(saoudienneslaplupartdutemps),nepeutqu’affecterleurneutralité,dèslorsquelesintérêtsdespropriétaires de ces chaînes sont concernés. Cela est apparu dans toute sonévidence aumoment de la dernière guerremenée par Israël contre le Liban. Laplupart des Arabes et des musulmans appuyaient alors le Hezbollah et étaientfiersdesesvictoires,tandisquelegouvernementsaoudienmaintenaitsapositiontraditionnelle d’hostilité au Hezbollah et à l’Iran. Cela plaça les nouveauxprédicateurs dans une situation embarrassante : alors que les avions israéliensemployaientdesbombesinterditesparlesconventionsinternationalespourbrûlerlapeaudesenfantsduLiban,laplupartd’entreeuxseréfugièrentdanslesilence.L’und’entreeuxattendittroissemainesavantdepublieruncommuniquétrèsmoudans lequel, comme d’habitude, il conseillait aux musulmans de prier etd’invoquer Dieu, tout en qualifiant les victimes libanaises de “victimesd’assassinat”etnonpasde“martyrs”,cequicorrespondaitaupointdevuedesthéologienssaoudiensconcernantlechiisme.

C’estdecette façonque lephénomènedesnouveauxprédicateurs joueunrôlecapitalpourretarderlechangementauquelnousaspironsenEgypte.SinousnousdemandonspourquoilesEgyptiensnesesoulèventpascontredesinjusticesquisuffiraientàdéclencherunerévolutiondansdenombreuxpays, il fautquenouscomprenions que l’injustice ne suffit pas à déclencher une révolution, pas plusque lesentimentde l’injustice.Cequipousseà la révolution, c’est la consciencequel’onadescausesdecetteinjustice.Toutcequiretardelaprisedeconsciencede leurs droits par les gens devient donc un instrument entre les mains de ladictature.

Ladémocratieestlasolution.

1Docteurdelaloireligieuse,enislam.

2Cf.note,p.36.

QU’EST-CEQUIPROTÉGERALESCOPTES

Pendant des années, unmédecin copte avec qui je suis devenu immédiatementamiatravaillédansmoncabinet.C’étaitunhommebon,sérieuxdanssontravailet dans sa relation avec les malades, mais, comme beaucoup d’Egyptiens,complètement coupé de la vie publique et ignorant la plupart des événementspolitiques. Le monde se limitait pour lui à son travail et à sa famille. Puisarrivèrent lesdernièresélectionsprésidentielles. Je fusalorssurprisdevoirqu’àcetteoccasionils’absentadesontravail.Lorsquejeluiendemandailaraison,ilmeréponditqu’ilétaitallédonnersavoixauprésidentMoubarak.Celam’étonnaet je lui demandai ce qui l’avait poussé à aller voter alors qu’il savait que cesélections,comme lesprécédentes,étaient frauduleuses. Ilse tutun instantetmeréponditavecsasincéritéhabituelle:

—Lavérité,c’estqu’àl’égliseonnousademandéd’allervoterpourlePrésident.Desautobusavaientétéprévuspournousemmeneretnousraccompagner.

JemesuissouvenudecettehistoireenlisantlesdernièresdéclarationsdupapeChenouda.Deuxfoisaucoursdelasemainedernière,SaSaintetéaproclamésonsoutien catégorique à Gamal Moubarak, comme futur président de l’Egypte. Ilapparut ainsi clairement que l’Eglise égyptienne accueillait favorablement latransmissionhéréditairedenotrepaysduprésidentMoubarakàson filsGamal.Cephénomène,uniquedansl’histoiredel’Egypte,méritediscussion:

Premièrement : lepapeChenouda III représenteuneautorité spirituelleetnonpolitique.Ilestlechefspiritueldescoptesetnonleurleaderpolitique.

Par conséquent, et avec tout mon respect, il outrepasse son pouvoir lorsqu’ilparlepolitiquementaunomdescoptes.Sinousnousbattonspour l’instaurationd’un état séculier en Egypte où tous les citoyens pourront jouir de la totalité deleurs droits, sans égard pour leur religion, cela implique une séparation netteentrelareligionetlapolitique,cequiestexactementlecontrairedecequefaitlepapeChenouda,enutilisantsesattributsreligieuxpourimposersonpointdevuepolitiqueauxcoptes.Enfaisantcela,ilconfisqueleurdroitdechangerd’opinionspolitiques–lesleursn’étantpasnécessairementconformesauxsiennes.

Deuxièmement:lesreprésentantsdurégimeactuelenEgypten’ontétéélusparpersonneetlesEgyptiensnelesontpaschoisisdeleurpleingré.Ilss’accrochentau pouvoir par la répression, les emprisonnements et la fraude électorale. Lapolitique corrompue et inefficace du régime a jeté dans la misère des millionsd’Egyptiens.

Je ne doute pas que le pape Chenouda, comme tous les Egyptiens, sache cesvérités. Aussi me faut-il ici interroger Sa Sainteté : est-il conforme à

l’enseignement duMessie que vous souteniez un régime politique corrompu etoppressifcontrelavolontédesgensetleurdroitdechoisirceuxquilesgouverne?Est-ilconformeauMessiequevousfeigniezd’ignorerlesmauxdontsouffrentlesmillions de victimes de ce régime, que ce soit ceux qui ont été tués par lanégligenceetlacorruptionouceuxquiviventdansdesconditionsinhumaines?Est-ilconformeauMessiequevoussoyezd’accordavec la transmissiondupaystout entier du père au fils, comme si les Egyptiens étaient des bestiaux ou desvolailles?SaSaintetélepapeditqu’ilnesoutientpaslatransmissionhéréditaire,maisqu’ilpréditlavictoiredeGamalMoubarakauxélections.Nous,nousdisonsau pape : vous savez bien que toutes les élections sont frauduleuses. Pourquoicachez-vous cette vérité dans vospropos ? Ladissimulationde la vérité est-elleconformeàl’enseignementduMessie?

Troisièmement:onditquelepapeChenoudasoutientlasuccessionhéréditairedu pouvoir et la dictature, car il craint pour les coptes que des électionsdémocratiquessoientsusceptiblesd’amenerlesFrèresmusulmansaupouvoir.Lavéritéestque le rôleet l’influencedesFrèresmusulmansontétévolontairementexagérésparlerégime,defaçonàlesutilisercommeépouvantailcontretousceuxquiréclamentladémocratie.Laprincipalevérité,c’estqueladictatureneprotègepersonne contre l’extrémisme religieux, car l’extrémisme religieux est un dessymptômesdeladictature.RappelonsquelesFrères,alorsqu’ilssetrouvaientausommetdeleurforce,nesontpasparvenusàobtenirunseulsiègeauparlementéluen1950,aucoursdesdernièresélectionslibresavantlarévolution.Cefutcettefois-làencoreun razdemaréeduWafdquidonna lamajoritéà ceparti.Quantaux victoires électorales remportées par les Frères au cours de ces dernièresannées,ellesn’ontpaseulieugrâceàleurpopularité,maisparcequelesgenssesontdétournésdesélections1.Silesgensétaientallésvoter,lesFrèresn’auraientjamais remporté la majorité, et les gens ne participeront aux élections quelorsqu’ilssentirontqu’ellessontintègresetjustes.Contrairementauxcraintesdupape,cesontdesélectionspropresquipeuventécarterledangerdel’extrémismereligieux,etnonlecontraire.

Quatrièmement:lescoptessontopprimésenEgypte.C’estunevéritéindéniable.Mais les Musulmans eux aussi sont opprimés. Toutes les injustices dont seplaignent les coptes sont réelles, mais s’ils regardaient autour d’eux, ilsdécouvriraient que ces injustices frappent de lamême façon lesMusulmans. LaplupartdesEgyptienssontprivésdejustice,d’égalité,delaparitédeschances,detraitementshumains,de respectdesdroitsde l’homme.LesEgyptiensn’ontpasaccèsàdesemploispublics,saufsicesontdesséidesdurégimeenplace.

Ilyadeuxfaçonspourlescoptesdeselibérerdel’oppressionqu’ilssubissent:soit en adhérant, en tant qu’Egyptiens, à un mouvement national visant àinstaurer la justice pour l’ensemble des Egyptiens, soit en s’arrangeant avec lepouvoir, en tant que minorité demandant des privilèges communautaires. Cedernierchoixesterronéetextrêmementdangereux.LadernièreprisedepositiondupapeChenoudaenvoiemalheureusementaurégimeunmessagedont lesens

est que les coptes soutiennent la dictature et la transmission héréditaire dupouvoir,enéchangede lasatisfactionde leursrevendications.C’estcommesi lepape disait au président Moubarak : “Donnez-nous – à nous les coptes – lesprivilègesquenousvousdemandons,puisfaitescequevousvoulezaveclerestedesEgyptiens.Leursortnenousintéressepas.”

Cinquièmement : cette position regrettable du pape Chenouda est encontradictionavec l’histoirede l’Eglisequ’il représente.L’histoirepatriotiquedescoptes est une véritable fierté pour tous les Egyptiens. Sur le siège qu’occupeactuellementlepapeChenoudas’estassisunjourungrandhomme,lepapeCyrilV, qui a soutenude toutes ses forces lemouvementnational contre l’occupationanglaise. Ce pape patriote participa à la révolution d’Orabi2 et à la révolutionde 19193. Au moment du bannissement de Saad Zaghloul, tous les EgyptiensboycottèrentlacommissionMilnerqu’avaientenvoyéelesAnglaispourexaminerles revendications de la révolution. Pour créer des dissensions entre lescommunautés, les occupants nommèrent ensuite le copte YoussefWahba pachaprésidentduConseildesministresà laplacedeSaadZaghloul. Immédiatement,l’église patriote d’alors se réunit pour publier un communiqué prenant sesdistances avec la position de Youssef Wahba, en soulignant que ce dernier nereprésentait que lui-même, tandis que les coptes, comme les autres Egyptiensétaientauxcôtésdelarévolutionetdesonleader.EryanYoussefSaad,unétudiantcopteissud’unefamilleriche,jetamêmeunebombesurlecortègeduprésidentduConseil, pour exprimer la protestation de la nation contre sa traîtrise. Lesmémoires d’Eryan Youssef ont été publiées récemment par Dar el Shorouk, etj’espèrequelepapeChenoudaauraletempsdeleslirepours’enorgueillir,commenous le faisons tous, du patriotisme des coptes. YoussefWahba fut stupéfait dedécouvrirque celuiquiavait attaquéson cortègeétaitun copte comme lui. Il luidemanda:

—Pourquoiavez-vousfaitcela,Monsieurlebelesprit?

Eryanluirépondit:

—Parcequevousêtesallécontreleconsensusdelanation,MonsieurlePacha.

Dujouraulendemain,EryanYoussefdevintlehérosnationaldetoutel’Egypte.Lorsqu’ilfutarrêtépuisinculpé,aussibienlesofficiersquelessimplespolicierslesurnommèrent le héros. Le procureur général lui-même, après avoir terminél’interrogatoire de l’inculpé, accusé d’avoir jeté une bombe sur le cortège duprésident du Conseil desministres, se leva de derrière son bureau, lui serra lamainetluidonnal’accolade,enluidisant:

—QueDieu vous protègemon fils. Vous êtes un patriote et vous aimez votrepays.

C’est cetteâmeégyptiennequ’il fautquenous retrouvionsaujourd’huiafinderéalisercequenoussouhaitonspourl’Egypteetcequ’elleestendroitd’attendrede nous. Je souhaite que Sa Sainteté le pape Chenouda comprenne que laprotectiondescoptesnepeutpasrésulterdeleurtransformationencommunauté

séparée des autres Egyptiens et complice du régime dictatorial qui opprime lesgens. Cette façon de voir est totalement étrangère à leur histoire patriotique.Qu’est-ce donc qui protégera les coptes ? Leur protection ne sera assurée quelorsqu’ils se considéreront comme des Egyptiens avant d’être des chrétiens.Lorsqu’ils saurontque leurdevoir, en tantqu’Egyptiens, estdemener le combatpourl’établissementd’unEtatjustedonttouslesfilssoienttraitésàégalité,sanségard pour la religion à laquelle ils appartiennent. Seule la justice protégera lescoptes.Ilsnepeuventpasdemanderlajusticepoureuxàl’exclusiondesautresetilsnepeuventpasl’obtenirseuls,audétrimentdesMusulmans.Lajusticedoitêtreréaliséepourtousetellenepourral’êtrequeparladémocratie.

Ladémocratieestlasolution.

1Laparticipationauxélectionssousl’ancienrégimeétaitextrêmementfaible,sibienque,lorsqu’audébutdes années deux mille le régime a légèrement relâché la contrainte pour donner le sentiment qu’ils’engageaitsurlavoiedeladémocratisation,lesFrèresmusulmanssesontengouffrésdanslabrècheetontpu remporter de nombreux sièges, mais avec des taux de participation qui, dans les meilleurs cas, nedépassaient pas les 15 %. Aux élections suivantes, la fraude redevenait massive et le parti au pouvoirremportaitlatotalitédessièges.

2OrabiPacha,lepremiermilitairedehautrangd’origineégyptiennedel’arméedukhédive(lesautresétaientd’origineturque)s’étaitdresséavecsuccès,àpartirde1879,contrelamainmiseétrangèresurl’Egypte.Ilfallutuneexpéditionmilitairebritanniqueen1882pourenveniràbout.Cefutledébutdel’occupationbritanniquedel’Egypte.

3Lapremièreguerremondialemitfinauliennominaldesuzerainetéentrelekhédived’Egypteetlesultanottoman. Les Anglais firent alors de l’Egypte un protectorat. Mais une délégation (en arabe : wafd) denationalisteségyptiensconduitesparSaadZaghloulserenditàVersaillespourdemanderàparticiper,aunomdeleurpays,àlaconférencedepaix.Cefutledébutd’unpuissantmouvementaveclequelleRoyaume-Unifutobligédenégocier.

L’ÉGYPTEASSISE

SURLEBANCDETOUCHE

Lorsquedanslesannéesquatre-vingt,j’étaisenmagistèredechirurgiedentaireàl’université de l’Illinois, aux Etats-Unis, le cursus universitaire stipulait que lesétudiants en troisième cycle devaient étudier un ensemble de matières avantd’entreprendre leurrecherche.Dansdescasexceptionnels, l’universitéautorisaitcertains très bons étudiants à commencer leur recherche enmême tempsqu’ilsétudiaient les matières obligatoires. Dans toute l’histoire du départementd’histologie(lasciencedestissus)danslequelj’étudiais,seulsdeuxétudiantsontainsi pu obtenir leur magistère en un an seulement. La prouesse de ces deuxétudiants était l’objet de l’admiration unanime des Américains. Ces deuxétudiantsétaientégyptienscommel’étaitleurdirecteurdethèse,ledocteurAbdelMoneemZaki.

Je rentrai ensuite en Egypte pour y exercer mon métier de dentiste dansplusieursendroits,parmilesquelslacimenteriedeTurah.Jedécouvrisparhasardque le laboratoiredecettesociétéavait jouéun rôle importantdans l’histoiredel’Egypte.Aucoursdelapréparationdelaguerrede1973,leschimisteségyptiensFakhry Aldaly et Nabil Gabriel, en association avec le corps des ingénieurs del’armée, étaient parvenus à produire un ciment spécial, d’une solidité accrue etd’une exceptionnelle résistance aux températures élevées. Les hommes-grenouilles égyptiens avaient utilisé ces ciments aumoment de la traversée ducanaldeSuezpourboucherlesorificesdelaligneBar-Lev.LorsquelesIsraéliensavaient ouvert leurs conduites de napalm capables de transformer les eaux ducanal en enfer, ils avaient été stupéfiés par la capacité du ciment égyptien àrésisteraunapalmenflamméetàenarrêtertotalementl’écoulement,mêmesousdefortespressions.

J’ailuparlasuiteunautrerécit:LaligneBarLevétaitl’undesplusimportantsobstaclesmilitaires jamais connus et l’on estimait qu’il aurait fallu une bombeatomique pour la détruire, mais après avoir étudié avec soin sa structure, unbrillant ingénieur égyptien, le général Baqi Zaki, avait découvert qu’elle étaitconstruiteen terre. Il avait eualors l’idéegénialedanssasimplicitéde créeruncanon à eau d’une très forte poussée et doté d’une extraordinaire capacité deperforation.Grâceàquoi,aumomentdelatraversée,lessoldatségyptiensavaientcreusé de nombreux trous dans la ligne Bar Lev qui avait fondu comme unmorceaudegruyère

Onpourrait longuementparlerdescapacitésdenoscompatriotes.Connaissez-vous le nombre de cerveaux égyptiens émigrés en Europe, en Amérique et en

Australie ? Ils sont huit cents vingt-quatre mille, ce qui équivaut au nombred’habitants de certains pays arabes. Ces Egyptiens ont tous de hautesqualifications.Parmieux,ilyatroismillesavantsdansdesspécialitésdelaplushaute importance, comme l’ingénierie nucléaire, la génétique, l’intelligenceartificielle.Tousattendentuneoccasiondeservirleurpays.

C’estdanslespaysduGolfequesemanifestedanstoutsonéclatlesavoir-faireégyptien. Ces pays qui, par la grâce du pétrole, reçoivent chaque matin desmillions de dollars ont pu créer des villes nouvelles luxueuses, des entrepriseséconomiques géantes, mais ils n’ont pas été capables de produire des AhmedZaouil,desMagdiYaacoub,desNaguibMahfouz,desAbdelouahab,voiredesOumKalsoum, ni personne de comparable à ces milliers d’Egyptiens talentueux. Legénied’unpeuplen’apasderapportavecsarichesse,maisavecuneexpérienceculturelle transmise à travers de nombreuses générations. L’Egypte, plus quen’importequelautreEtatarabe,bénéficiedecetteaccumulationculturelle.Lespaysarabesproducteursdepétrole sont redevables ànotre paysde tout ce qu’ils ontréalisé:cesontdesprofesseurségyptiensquilesontéduquésdanslesécolesetdanslesuniversités,cesontdesingénieurségyptiensquiontdessinéleursvillesetquienontsupervisélaconstruction,cesontdesspécialisteségyptiensquiontfondéleurstélévisionsetleursradios,cesontdesjuristeségyptiensquiontposéles bases de leurs constitutions et de leurs législations. Même les hymnesnationauxdecespaysontsouventétécomposéspardesartistesdenotrepays.

Puisquelegénieégyptienestuneréalitéindéniable,unequestionvientalorsàl’esprit:sil’Egyptepossèdecegéniehumain,pourquoia-t-ellerégresséaupointde se retrouver au dernier rang des pays dumonde ? Pourquoi la plus grandepartiedenoscompatriotesvit-elledansdesconditionsabjectes?Laréponsetientenunseulmot,celuidedictature.

Lesdonsde l’Egyptecontinuerontàêtregaspillésetsespossibilitésdilapidéesaussi longtemps que son régime sera dictatorial et répressif. En Egypte, lesemplois sont toujours réservés aux suppôts du régime, sans égard pour leurscompétencesoupourleurtravail.Leshommesquiyoccupentdesresponsabilitésaccordentmoins d’importance à leur tâche qu’à leur image auprès de celui quigouverne, car c’est lui seul qui peut les renvoyer.Généralement inaptes, ils sonthostilesauxpersonnesqualifiéesquireprésententundangerpoureuxetpourlespositions qu’ils occupent. Le mécanisme du régime égyptien écartesystématiquement les personnes compétentes et douées et ouvre la porte auxjoueurs de flûte et de tambourin. Sans doute sommes-nous le seul pays où l’onrelèvedesonposteunministrequiaéchouédanslesecteurdulogementpourluiconfierceluideshydrocarbures,auquelilneconnaîtrien,simplementparcequ’ilest bien vu du président Moubarak. Le seul pays où l’on nomme président duConseil des ministres quelqu’un qui n’a pas assisté à une seule rencontrepolitiquedetoutesavie.

Lepeupleégyptienn’apasencoreétéappelésurleterrain,oubienilnel’aétéqu’àdetrèsraresmoments,commependantlaguerred’usure,laguerred’Octobre

ou laconstructionduHautBarrage.Chaque foisque lesEgyptiensontétémisàl’épreuve,ilsontbrillemmentmarquél’essai,maisonlesaensuiterenvoyéssurlebancdetouche.

Nous ressemblons à une équipe de footballeurs doués, mais qui ont unentraîneurquinelesaimepas,quinelesrespectepasetquineveutjamaisleurdonner leur chance. Il emploie des joueurs ratés et corrompus qui conduisenttoujoursl’équipeàl’échec.Danslesrèglesdufootball,unjoueurquiestrestétouteunesaisonsur la touchea ledroitdedénoncersoncontrat.L’Egyptetoutentièreestassisesur lebancde touchedepuis trenteans.Ellecontemplesesdéfaitesetsesreverssansmêmepouvoirs’yopposer.N’a-t-ellepasledroit,etmêmen’est-ilpasdesondevoir,dedénoncerlecontrat?

AucoursdemadernièrevisiteàNewYork,j’airencontré,commed’habitude,denombreuxcompatriotesdiplômésdel’université,travaillantdansdesrestaurantsoudansdesstations-service.Unsoirquejemepromenaisdanslacélèbre42erue,je suis tombéparhasard surunmarchandambulant dehot-dogsqui avait destraits égyptiens. Je me suis approché de lui pour faire sa connaissance et j’aidécouvertquec’étaitundiplômédemédecinedel’universitéd’AïnShams.Ilm’ainvitéàboireaveclui,danslarue,unverredethéàlamenthe.Lorsquedesclientsvenaient,ilselevaitpourleurfairedessandwichs.Jemedisaisquej’avaissousles yeux un échantillon du sort que le régime au pouvoir réservait à sesressortissants.Pourêtreadmisenmédecineetyavoirterminésesétudes,Ilavaitfalluquece jeunehommeobtienneunementiond’excellenceaubaccalauréat,etmaintenant il faisait des hot-dogs pour les passants. Comme s’il devinait mespensées,ils’assitàcôtédemoi,allumaunecigaretteetmedit:

—Voussavez,j’aiparfoisl’impressiond’avoirratémavie.J’aipeurdelapassertoutentièreàvendredessandwichsdans la rue.Puis jemedisqu’ici, certes, jesuisunvendeurdesandwichs,maisuncitoyenrespecté, tandisqu’enEgypte jesuismédecin,c’estvrai,maissansaucundroitniaucunrespect.

Sonpère,quiétaitfonctionnairedeswaqfs,avaitluttépourqueluietsessœurspuissentfairedesétudesmais,aprèsavoirobtenusondiplôme,ilavaitdécouvertla théoriedes troisNicommeil l’appelaitpardérision :ni travail,nimariageniavenir.Ils’étaitrenducomptedecequeletravaildansleGolfeavaitd’humiliantetdepeuassuré.Lesétudesdetroisièmecycleexigeaientdesmoyensfinanciersqu’iln’avaitpas.Ilavaitalorsditàlaseulefillequ’ilaitjamaisaiméedel’oublier,carilnepouvaitnil’épousernilafaireattendre.

Aprèsunmomentdesilence,ilm’ademandéd’untonqu’ilvoulaitenjoué:

—Voulez-vousécouterMohamedMounir?J’aitoutessescassettes.

Ilasortiunpetitlecteurdesonchariotetcomplété,aveclamusiquedefonddeMounir,cespectacleattristant.Il faisaitdeplusenplusfroidetlepetitchauffagequ’il y avait à côté de son chariot n’était pas suffisant. Calfeutrés dans nosmanteaux, nous soufflions sur nos mains sans grand résultat. Dans la rue

presquedéserte, iln’yavaitplusde clients,mais il était tenude rester jusqu’aumatincommeils’yétaitengagéauprèsdupropriétaireduchariot.

Je restai longtemps avec lui à parler et à rire. Puis je lui fis mes adieux. Ensilence,ilmeserratrèsfortdanssesbras.Nousn’avionspasbesoindeparler.Jeme sentais en totale empathie avec lui. Sans me retourner, je m’éloignai dequelquespasendirectiondelaplace,lorsqu’ilm’appelaàvoixhaute:

—Ecoutez…

Jemeretournaietlevisquisouriait:

—Saluezl’Egyptedemapart.Ellememanquevraiment.

Ladémocratieestlasolution.

LESÉGYPTIENSSONT-ILS

VRAIMENTRELIGIEUX?

Pendant des années, j’ai été dentiste dans une grande institution publique quiavaitdesmilliersd’employés.Lepremierjour,pendantquejesoignaisunpatient,laporteducabinets’ouvritetunhommeseprésentantcommeleDocteurHusseinSaïdalanimedemandadevenirrejoindrelesautrespourlaprièredemidi.Jeluirépondis que ce n’était pas possible pour l’instant et que j’irais prier lorsquej’aurais finimon travail.Nousentamâmesunediscussionqui faillit tournerà ladispute,carilinsistaitpourquej’abandonnemonpatientetlesuiveàlaprière,etmoi,j’insistaispourcontinuermontravail.

Je découvris ensuite que les idées du docteur Hussein étaient très répanduesparmi les employés de l’institution, qui faisaient tous preuve d’une extrêmereligiosité. L’ensemble du personnel féminin portait le hidjab et, au moins unedemi-heureavantl’appelàlaprièredemidi,toutlemondeabandonnaitsatâchepourfairesesablutionsettendredesnattesdanslescouloirs,enprévisiondelaprièrecollective.Celasansoublierlaparticipationauxvoyagesquel’établissementpublicorganisaittouslesanspourlegrandetlepetitpèlerinage.

Iln’yavaitriendanstoutcelaquisoitdenatureàcequejem’yoppose.Quoideplusbeaueneffetqued’êtrepieux?

Mais je découvris rapidement qu’en dépit de leur stricte observance desobligationsreligieuses,ungrandnombred’employéscommettaientfréquemmentdes fautes graves : ils se comportaient mal avec les gens, mentaient, étaienthypocrites, traitaientd’une façon injuste leurssubordonnés,etmême, ilsétaientparfois corrompus, cequipouvait aller jusqu’audétournementde fondspublics.Quant au docteur Hussein el Saïdalani qui me pressait tant de participer à laprière, on découvrit plus tard qu’il trafiquait les factures et qu’il vendait desmédicamentspoursonproprecompte.

CequisepassaitalorsdanscetorganismearrivemaintenantpartoutenEgypte.Uneapparencedereligiositéserépandentous lieux,à telpointque l’institutdesondageaméricain,Gallup, considère,dansuneétude récente,que lesEgyptienssontlepeupleleplusreligieuxdelaterre…Enmêmetemps,l’Egypteoccupeuneplace de choix en matière de corruption, de détournements de fonds, deharcèlementsexuel,defraude,d’escroquerieetdefalsification.

Commentest-ilpossiblequenoussoyons,enmêmetemps,lespluspieuxetlesplus dévoyés ? En 1664, le grand écrivain françaisMolière écrivait une pièce dethéâtreoùildécrivaitlapersonnalitédeTartuffe,undévotcorrompuquiessayait

de satisfaire ses appétits sexuels tout en faisant semblant d’être pieux. L’églisecatholiques’étaitdresséealorsviolemmentcontreMolièreetavaitfaitinterdirelareprésentation de la pièce pendant quatre ans.Mais,malgré l’interdiction, cetteœuvre est tellement devenue un classique que lemot Tartuffe, tant en françaisqu’en anglais, s’emploie pour désigner un hypocrite. La question est donc : desmillionsd’Egyptienssont-ilsdevenusdestartuffes?

Je pense que le problème est plus profond chez nous, car les Egyptiens sontvraiment pieux et ont une foi sincère.Mais nombre d’entre eux commettent demauvaisesactionssansque leurconscience religieuseensouffre.Biensûr, ilnefaut pas généraliser. Nombreux sont ceux qui examinent leur conscience aumoment d’agir, comme ces admirables juges qui, en livrant bataille pourl’indépendance de la justice, défendent l’honneur de l’Egypte, telle la conseillèreNohaElZiniquiadénoncélafraudeélectoraleorganiséeparlegouvernement,tell’ingénieurYahiaHusseinquiamenéuncombatacharnépourprotégerdupillagele bien public, lors de la signature du contrat d’Omar Efendi, et également denombreuxautres.Tousceux-làsontdescroyantsausensvraidumot.

Enrevanche,lesmilliersdejeunesquiharcèlentlesfemmesdanslarue,lejourdel’Aïd,ontjeûnéetpriépendantleRamadan.Laplupartdutemps,lesofficiersde police qui torturent des innocents, les médecins et les infirmières qui seconduisent mal avec les malades pauvres dans les hôpitaux publics, lesfonctionnairesquifalsifientdeleurspropresmainslesrésultatsdesélectionsauservicedugouvernement et les étudiantsquipratiquentmassivement la fraude,sontpieuxetobserventlesobligationsreligieuses.

Lessociétésdeviennentmaladesdelamêmefaçonqueleshumains.

Notre société souffre maintenant d’une dichotomie entre la croyance et lecomportement,unedichotomieentrelareligionetlamorale.C’estlàunemaladiequi a demultiples causes. La première en est le régime dictatorial, qui conduitnécessairementàlapropagationdumensonge,del’imposture,etdel’hypocrisie.Lasecondeenestlalecturedelareligionaujourd’huirépandueenEgypte,quiestplus procédurière que comportementale, c’est-à-dire qu’elle ne présente pas lareligioncommesynonymedelamorale,maiscommeunensembledeprocéduresqu’ilsuffitd’accomplirpourêtreundévot.

Certains disent que les rites et le culte sont des piliers de la religion aussiimportants que la morale. En réalité, toutes les religions sont fondées sur ladéfense des valeurs humaines que sont la vérité, la justice et la liberté. Tout lerestecomptemoins.Ilesttristedeconstaterquenousnecomprenonspasounevoulons pas comprendre que la tradition de l’islam confirme pleinement que lamoraleestl’élémentessentieldelareligion.C’estpourtantbiencequemontrelerécitrelatantlarencontreentreleProphèteetunascètequiavaitfuilemondepourseconsacrerjouretnuitaucultedeDieu.LeProphèteluiavaitdemandé:

—Quiteprendencharge?

—Monfrèretravailleetmeprendàsacharge,luiréponditl’homme.

—Tonfrèrerenddoncunmeilleurcultequetoi,avaitconcluleProphète.

Le propos est catégorique : celui qui travaille et pourvoit aux besoins de safamilleestpréféréparDieuàl’ascètequisecoupedumondepourl’adorer,maisquinetravaillepas.

Lavisionréductricedelareligionestlaprincipalecausedeladégradationdelasituation en Egypte. Tout au long des vingt dernières années, les rues et lesmosquées du pays ont été recouvertes de millions d’affiches appelant lesmusulmanes à porter le hidjab. Imaginons que, en plus du hidjab, ces affichesaientappeléàrefuserl’oppressionquelepouvoirfaitpesersurlesEgyptiens,ouàlutterpourlesdroitsdesdétenus,ouàs’opposeràlafraudeélectorale.Sicelaétaitarrivé,ladémocratieauraitdéjàétéinstauréeetlesEgyptiensauraientarrachéàladictaturelerespectdeleursdroits.

Iln’yaquedeuxfaçonsdeparveniràlavertu:soitparunedévotiontotalementsynonymedemorale,soitàtraverslamoraleseule,mêmesiellenes’appuiepassur la religion. Lorsque, il y a des années, ma mère aujourd’hui défunte a étéatteinte du cancer, nous avons fait venir pour la soigner un des plus grandsoncologues du monde, le docteur Garcia Gerald de l’Institut Curie de Paris. Cegrand savant venu plusieurs fois en Egypte pour soigner ma mère refusaénergiquementde toucherdeshonoraireset, comme j’insistais, ilmeditquesadéontologiene luipermettait pasde toucherde l’argentpour le traitementde lamèred’un collèguemédecin. Cethommene croyait pas beaucoupaux religions,maislanoblessedesoncomportementenfaisaitunvraicroyant.Jemedemandeàcombiendenosmédecinsdévotsd’aujourd’huiilviendraitseulementàl’idéederefuserdetoucherdeshonorairesdelapartd’undeleurscollègues?

Voici un autre exemple : en 2008, dans le but d’améliorer l’image du régimelibyen à l’extérieur, fut créé un prix littéraire annuel à vocation mondiale dotéd’unesommed’unmillionde livreségyptiennes.Ceprixportait lenomde“prixKadhafidesdroitsdel’homme”.Uncomitécomposédegrandsintellectuelsarabesfut chargé de choisir chaque année un lauréat. Cette année-là, le comité décidad’accorderleprixaucélèbreécrivainespagnolJuanGoytisolo,âgéde78ans.

Mais,àleurgrandesurprise, JuanGoytisoloenvoyaunelettreauxmembresducomité,dans laquelle il les remerciaitde l’avoir choisiet les informait,enmêmetemps,qu’ilnepouvaitmoralementpasrecevoirunprixdesdroitsdel’hommedela part du régime de Kadhafi qui s’était emparé du pouvoir par un coup d’Etatmilitaire et qui avait emprisonné et torturé des milliers de ses opposants.L’écrivain Goytisolo refusa un prix de près d’un million de livres égyptiennes,parcequecelaétaitincompatibleavecsaconsciencemorale.

Nouspouvonsnousdemander combiend’intellectuels oumêmed’hommesdereligionenEgypteauraientrefusécetterécompense?QuidoncestleplusprocheduDieutoutpuissant,cetécrivainàqui–j’ensuiscertain–lareligionn’estpasvenueàl’espritlorsqu’ilapriscettenobledécision,oubienlesdizainesdedévotségyptiensmusulmansetchrétiensquicollaborentaveclesrégimesdictatoriauxet

semettentàleurservice,enrefusanttotalementdevoirlescrimesqueperpètrentcesrégimescontreleurspeuples?

La foi véritable doit être en conformité avec lamorale. Sinon, lamorale sansreligionvautbeaucoupmieuxquelareligionsansmorale.

Ladémocratieestlasolution.

LESCHAGRINSDEMlleLAURENCE

Mlle Laurence est une kinésithérapeute française à qui la possibilité avait étéofferte de venir travailler en Egypte, ce qui l’avait beaucoup réjouie. Comme laplupartdesFrançais,elleaimait lacivilisationégyptienneetrêvaitdevoir leNil,lespyramideset les templespharaoniques.Adiversesoccasions, j’aicroiséMlleLaurenceauCaire. Lorsque je l’ai revue, il y aquelques jours, sesproposm’ontfrappé:

—J’aidécidédequitterdéfinitivementl’Egypte.

—Pourquoi?

— Parce que je ne supporte plus d’être regardée comme une marchandise àl’étalage.

—Quevoulez-vousdire?

— Toutes les fois que je sors dans la rue, c’est une véritable épreuve. J’ail’impressiondenepasêtreunepersonnedotéederaisonetdesentiments,maisrien de plus qu’un corps, une femme offerte à tous. Tous les hommes que jerencontreme regardentd’unemanière indécente. Ilsmedéshabillentdu regard.J’évitelesendroitsoùilyabeaucoupdemondeparcequejesaisquelafouleestsynonyme de harcèlement. Les hommes tendent leurs mains vers ma poitrine,mescuissesouailleurs.

—Est-cequecelaarrivetoujours?

—Enpermanence.Celuiquineparvientpasàmetoucherdansunebousculademedemandedansunmauvaisanglaissij’aiunamiouunmari,pouressayerdecoucher avecmoi.Même les hommes quimarchent sur le trottoir d’en facemecrientdesobscénités,mesifflentoumefontdesgestesdéplacés.Lapremièrefoisquej’aiprislemétroaétéuneexpérienceédifiante.Dixhommessesontmis,enmême temps, à regarder mon corps avec concupiscence. Par la suite, je suismontéedanslavoituredesfemmes.

—Est-cequevousétieztrèsdénudée?

— Pas du tout ! Vous m’avez rencontrée plusieurs fois : comment est-ce quej’étaishabillée?Jerespectelaculturedesgensetjesaisquel’Egypteestunpaysconservateur.Mêmel’été,lorsquejeporteuntee-shirt,jecouvretoujoursmesbrasavecunchâleensoie.

—Est-cequ’ilvousarrived’êtreharceléedecettefaçonenFrance?

—Trèsrarement.AprèsunanetdemipasséauCaire, jeneparvienstoujourspas à croire à ce qui m’arrive. J’imagine parfois que tous les Egyptiens sont

atteintsdedépravationsexuelle.Jemesuismiseàavoirpeurdesortirdanslarue.Quandjen’airienàfaire,jerestedesjoursentiersàlamaison.

—Qu’allez-vousfairemaintenant?

— Je suis heureuse parce que j’ai trouvé un emploi en Grèce. J’attends avecimpatiencemondépart.AumoinsenGrèce,onn’essaierapasdemetoucher,onneme jetterapasdes regards lubriquesetonnemeproposerapasd’allerau litaussitôtqu’onmeverra.Jesentiraiquejesuisunepersonnehumaineetpasunsimpleobjetsexuel.

Cette conversation avec Mlle Laurence m’attrista. Comment tout cela peut-ilarriverenEgyptedont leshabitantsont toujoursété réputéspour leurpolitesse,leurs bonnes manières et leur respect des étrangers ? Je m’en suis référé auxétudesmenéessurleharcèlementsexueletj’aidécouvertdesrésultatseffrayants.L’andernier,uneenquêteducentreégyptiendesdroitsdel’hommearévéléqu’enEgypte, 98 % des étrangères et 83 % des Egyptiennes ont été victimes deharcèlementsexuel.Cequiestétonnant,c’estqueceharcèlementvadepairavecun déferlement des apparences extérieures de dévotion : toutes ces barbes, cestuniquesblanches, ceshautparleurshurlants, ces chaînessatellitaires salafistes,wahabites,touscesprêchesettoutecettereligiositédefaçaden’empêchentpasleharcèlementsexuel.

PourquoilesEgyptiensharcèlent-ilsdonclesfemmes?

Laréponsetraditionnelle,c’estquelafemmeenestresponsable:endécouvrantsoncorps,ellepousseleshommesàlaharceler.

C’estlàunraisonnementaberrantetstupide.

Premièrement,parcequ’ils’enprendàlavictimeetnonpasaucoupable.

Deuxièmement,parcequ’ilprésenteleshommescommeuntroupeaud’animauxsansentrave,siincapablesdecontenirleursinstinctsqu’ilsnepeuventapercevoirlamoindrepartiedénudéed’uncorpsdefemmesanssejeterdessus.

Troisièmement,parcequelaplupartdesfemmesenEgypteportentmaintenantlehidjabetquecelanelesprotègepasduharcèlement,commelemontrel’étudequejeviensdementionner.

Quatrièmement, parce que les femmes égyptiennes jusqu’à la fin des annéessoixante-dix portaient des vêtementsmodernes qui découvraient souvent leursbrasetleursjambesetque,endépitdecela,ledegrédeharcèlementsexuelàcetteépoqueétaitbeaucoupmoinsélevéqueceluid’aujourd’hui.

Cinquièmement,parceque,enFrance,parexemple,où les femmesdécouvrentgénéralementleurcorps,ledegrédeharcèlementsexuelnedépassepas,selonleNewYorkTimes, les 20%, ce qui veut dire que le degré de harcèlement sexueldanslapieuseEgypteestquatrefoissupérieuràceluidelaFrancelaïque.

En revanche, les sociétés qui séparent totalement les hommes des femmes,commel’Arabiesaouditeoul’Afghanistan,enregistrentlesplushautsniveaux,de

harcèlement sexuel aumonde. Le phénomène est donc beaucoupplus complexequ’unesimplequestiondevêtements.Demonpointdevue,c’estpourlesraisonssuivantesqueleharcèlementsexuelsedéveloppeaussifurieusementenEgypte:

Toutd’abord, le chômage :desmillionsde jeunesquinesontpasparvenusàtrouverdutravailàlafindeleursétudessontenproieaudésespoiretnecroientplus à l’idée de justice, car, en Egypte, les efforts ne conduisent pasnécessairement au succès ni les bons résultats scolaires à l’accession à desfonctions honorables. Le respect de la morale n’est pas, chez nous, le meilleurcheminverslaréussitesociale,aucontraire,c’estsouventl’immoralitéquipermetde devenir riche. Tout cela ne peut que pousser les jeunes à la violence. Lespsychologues confirment que les crimes sexuels ne sont pas toujours perpétrésdans un but d’assouvissement du désir,mais que, très souvent, le harcèlementsexuelestunmoyendesevengerdelasociétéetdesesoulagerdesacolèreoudesesfrustrations.

Ensuite, la difficulté dumariage en Egypte est telle quedesmilliers de jeunessont dans l’impossibilité d’en assumer les frais ; comme les coutumes et lesprescriptions religieuses (musulmanes et chrétiennes) interdisent les relationssexuellesendehorsdecetteinstitution,lamajoritédesjeuneségyptienssouffrentderefoulementsexuel,cequilesconduit,danscertainscas,àharcelerlesfemmes.

S’yajoutentlesfilmspornographiquesquiconnaissentunegrandediffusion.Ilest très facile de s’en procurer du fait de la révolution des moyens decommunicationqu’aconstituéeledéveloppementduréseauInternet.Enréalité,lanocivité de la pornographie ne tient pas tant à ce qu’elle renforce les pulsionssexuelles inhibées des jeunes qu’au fait qu’elle encourage l’idée d’agressionsexuelle en lui ôtant, à leurs yeux, son caractère criminel et qu’elle prive lesrelations sexuelles de leur aspect intime et respectueux. Le harcèlement leurapparaît donc, dans ce cas, plus comme un acte de jouissance qu’un crimedéshonorant.

Enfin,ladernièrecauseestquenotrevisiondelafemmeenEgypteachangé.Apartir du début du siècle dernier, la femme égyptienne amené un long combatpour se libérer, pour devenir l’égale de l’homme dans les domaines del’enseignement et du travail et pour conquérir une position respectable dans lasociété. Puis la société égyptienne est tombée sous l’influence d’une lecturewahabiteferméedel’islam.Cettelecture,endépitdesonacharnementàcouvrirlecorps de la femme, réduit pour l’essentiel cette dernière à l’état d’objet dejouissance, de source de tentations, de machine à fabriquer des enfants et deservanteménagère.

Certains cheikhs wahabites, dans leur défense du vêtement islamique,comparent la femme à une friandise qui doit être bien enveloppée pour que lesmouchesnes’yposentpas.Maisquellequesoit labonne intentiondeceuxquitiennentcespropos,assimiler la femmeàune friandise luienlèvesoncaractèrehumain.Unegourmandiseestdépourvuedesentiments,d’espritetdevolonté,etsaseuleutilitéestqu’onlamangepoursedélecterdesasaveur.Parconséquent

celuiquiaenvied’unefriandiseetn’apaslesmoyensdes’enpayer,n’hésitepasunseul instant,si l’occasionseprésente,àenmanger impunémentunmorceauquiappartientàquelqu’und’autre.C’estexactementcequefontleshommesquiharcèlentlesfemmesdanslarue.

Le harcèlement des femmes ne cessera que lorsque nous reviendrons à unelectureégyptienneouverteet justede l’islamqui considère la femmecommeunêtrehumain,dotéd’unepleinecapacitéetnonpascommeunsimplecorpsouunboutde friandise. Leharcèlement cessera lorsqueprendront fin la corruption, ladictatureetl’oppression,lorsqueviendraunrégimepolitiquenouveau,éluparlepeupleetgarantissantlesdroitsnaturelsdesmillionsdejeunesàlavie,autravailetaumariage.

Ladémocratieestlasolution.

POURQUOILESRELIGIEUXEXTRÉMISTES

SONT-ILSSIPRÉOCCUPÉS

PARLECORPSDELAFEMME?

Lemouvementsomaliendeschebabs(lesjeunes)contrôledelargespartiesdusudetducentredelaSomalieet,commelesresponsablesdecemouvementadhérentau courant de pensée wahabite, ils ont imposé par la force cette doctrine auxSomaliens. Ils ont promulgué des décrets très stricts interdisant le cinéma, lethéâtre,ladansedanslesmariages,lesmatchsdefootballainsiquetoutesortedemusiques, y compris les sonneries mélodieuses des téléphones portables.Récemment, ces extrémistes ont fait une chose étonnante : ils ont arrêté unefemme somalienne et l’ont fouettée en public parce qu’elle portait un soutien-gorge.Ilsontclairementproclaméqueleportdecetaccessoire,considérécommeunesortedefraudeetdetromperie,étaitcontraireàlareligion!

Cela nous amène à nous poser quelques questions : quel est pour eux le lienentrelareligionetleportdusoutien-gorge?Pourquoiconsidèrent-ilscelacommeunefraudeetunetromperie?Commentont-ilsfaitpourarrêterlafemmeportantun soutien-gorge, sachant que les femmes somaliennes ont toutes le corpsentièrement couvert ? Ont-ils nommé des policières chargées de fouiller lespoitrinesdesfemmesquipassentdanslarue?

Halima,unefemmesomalienne,adéclaréàl’agenceReuters:

— Ces extrémistes nous ont obligées à porter le hidjab à leur façon etmaintenantilsnousobligentà faireballoternospoitrines. Ilsontcommencéparinterdire lemodèle ancien de voile, puis ils ont apporté un tissu grossier pourcouvrir les poitrines des femmes. Et maintenant, ils disent qu’il faut que lespoitrinessoientretenuesd’unefaçonnaturelleoubiencomprimées.

Lavérité estque cet intérêt excessifmis à couvrir le corpsde la femmene selimite pas aux extrémistes somaliens. Au Soudan, les policiers inspectent avecuneextrêmeattentionlesvêtementsdesfemmesetarrêtenttoutefemmequiporteun pantalon. Ils l’obligent ensuite à s’excuser publiquement duméfait qu’elle acommis,puiselleestfouettéeenpublicpourquecelaserved’exempleauxautresfemmes. Il y a quelques semaines, la journaliste soudanaise Lubna El Hosseïnis’entêta à vouloir porter unpantalon et refusa aussi bien les excuses publiquesquelapunitionparlefouet.Ellefutdoncsoumiseàunvéritableprocès.Pourquelafarcesoitcomplète,lejugeconvoquatroistémoinsetleurdemandas’ilsavaientvupartransparencelessous-vêtementsdel’accusée.L’undestémoinshésitadanssaréponseetlejugeluidemandasansdétour:

—Avez-vousvuleventredeLubnalorsqu’elleétaitenpantalon?

L’honorabletémoinrépondit:

—Plusoumoins.

Lubnaassuraquesonpantalonétait trèsdécentetquelepantalonscandaleuxqu’on l’accusait d’avoir porté ne lui aurait pas du tout convenu. Elle était troprondeletteetilluiauraitfallumaigrirdevingtkilospourpouvoiryentrer.Malgrécela,lejugeconclutàsaculpabilitéetlacondamnaàcinqcentslivresd’amendeetunmoisd’emprisonnement.

EnEgypteégalement,lesextrémistessonttoujoursaussiobnubilésparlecorpsde la femme et obsédés par leur volonté de le recouvrir. Ils ne demandent passeulementauxfemmesdeporterleniqab,maiségalementdesgantsépaisqui,deleurpointdevue,sontunegarantiepourprévenirlanaissancedudésirentreunhommeetunefemmelorsqu’ilsseserrentlamain.Nousnoustrouvonslàdetouteévidencedevantunphénomènequiméritequ’ons’yarrête.

Pourquoi les extrémistes sont-ils préoccupés à ce point par le corps de lafemme?Quelquesréflexionsnousaiderontpeut-êtreàrépondre:

La pensée extrémiste réduit la femme à n’être qu’un corps, un instrument deplaisir légal et également un instrument de tentation, en même temps qu’uneusine à fabriquer des enfants. Elle leur enlève ainsi leur caractère humain.L’accusationdefraudeetdetromperiefaiteàlafemmesomalienne,parcequ’elleportait un soutien-gorge, est précisément le type d’accusation de fraudecommerciale prévuepar la loi contre le commerçant qui cache les défauts de samarchandise ou qui lui attribue, frauduleusement, des qualités qu’elle n’a paspourpouvoirlavendreàunprixplusélevé.

L’idéeest icique la femmequi fait ressortirsapoitrineenportantunsoutien-gorge offre une image frauduleuse de la marchandise (son corps), ce qui estconsidérécommeunefraudeetunetromperieàl’égarddel’acquéreur(l’homme)susceptibledel’acheter(l’épouser)paradmirationpoursapoitrineproéminenteetqui découvre, après coup, que cette proéminence provenait de l’emploi d’unsoutien-gorgeetn’étaitpasnaturelle.

Ilestjustederappelericiquel’attitudequiconsisteàconsidérerlecorpsd’unefemme comme unemarchandise n’est pas limitée à la pensée extrémiste,maisqu’elle est également fréquente dans les sociétés occidentales. En Occident,l’utilisationducorpsnudelafemmepourvendredesproduitscommerciauxn’estrien d’autre qu’une application différente de l’idée que la femme est unemarchandise.Ettousceuxquiontvisitélazonerouged’Amsterdam,enHollande,ont pu constater par eux-mêmes la façon dont les pauvres prostituées sontexposées complètementnuesderrièredesvitrinesoù lepassant vient examinerleurs avantages avant de se mettre d’accord sur le prix. N’est-ce pas là unmodernemarchéauxesclavesoùlecorpsdesfemmesestmisenventepourtousceuxquisontprêtsàpayer?

Deplus,lesextrémistesconsidèrentlafemmecommeunesourcedetentationsetcommelapremièreresponsabledupéché.Cettevisionrépanduedanstouteslessociétésprimitivesestinjusteetinhumaine.Lepéchéestperpétréparl’hommeetlafemmeensemble,etleurpartderesponsabilitéestégale.Siunebellefemmefaitnaîtreledésirchezunhommeetleconduitàlatentation,unbelhommepeut,luiaussi, faire naître le désir chez la femme et la conduire à la tentation. Mais lapenséeextrémisteestparnature favorableà l’hommeethostileà la femmequi,elleseule,estconsidéréecommelapremièreresponsabledetouslespéchés.

Leplussouvent,lapenséeextrémisteconsidèrel’humanitécommeuntroupeaude bestiaux sans entraves, totalement incapables de maîtriser leurs instincts.Sinoncommentserait-ilpossiblequ’ilsuffiseàunhommedevoirunmorceauducorpsnud’unefemmesansluisauterdessus?Orcettehypothèsen’estpasjuste.L’homme,aucontrairedel’animal,esttoujourscapabledemaîtrisersesinstinctsgrâceà son cerveauet à sonsensmoral. L’hommeordinaire, s’il estnormal,nepeutpaséprouverdedésirpoursamère,poursafilleoumêmepourlafemmedesonami,carsonsensde l’honneuretde lamorale l’élèveau-dessusdudésiretneutralisesoninfluence.

On ne parvient jamais à la vertu par l’interdiction, par la répression et parl’exclusiondesfemmesdel’espacepublic.Onyparvientseulementparunebonneéducation,parlapropagationdelamoraleetparlaformationdelapersonnalité.Selonlesstatistiquesofficielles,lessociétésquiséparentparlaforceleshommesdesfemmes(commel’Afghanistanoul’Arabiesaoudite)necomptentpasmoins–peut-êtremêmeenont-ellesplus–decrimessexuelsquelesautressociétés.

Nous approuvons – et nous souhaitons – que les femmes aient une conduitedécente,maisavanttout,noussoutenonsunevisionhumainedelafemme,visionquirespectesescapacités,savolontéetsapensée.Ilestconsternantdevoirquel’extrémisme wahabite qui se répand grâce à l’argent du pétrole dans denombreuxendroitsdumondeetquidonneuneimagedétestabledesmusulmansesttoutcequ’ilyadepluséloignédesenseignementsdel’islamvéritable.Celuiqui lit dans un esprit d’équité l’histoire de l’islamne peut qu’être ébloui par lapositionélevéequ’ilaaccordéeàlafemme,entrel’époqueduprophèteetlachutedel’Andalousie.Lafemmemusulmanesemêlaitalorsauxhommes,elleétudiait,elletravaillait,ellefaisaitducommerce,elleparticipaitauxcombats,ellegéraitsesbienssansdemanderdecomptesàsonpèreouàsonmari,elleavait ledroitdechoisirunépouxqu’elleaimaitetd’endivorcersiellevoulait.Touscesdroits, lacivilisation occidentale ne les a accordés à la femmeque de longs siècles aprèsl’islam.

Finalement,l’extrémismereligieuxestlederniervisagedudespotismepolitique.Nousnepourronspasnousdébarrasserdel’extrémismeavantqueladictatureaitprisfin.

Ladémocratieestlasolution.

L’HISTOIREDENORA

ETDEL’ÉQUIPENATIONALE

Cette semaine, j’avais l’intention écrire au sujet d’une femme égyptienne quis’appelaitNoraHashem,maislaformidablevictoiredenotreéquipenationaledefootball sur l’équipealgériennenepeutpasêtrepasséesoussilence.Aussiai-jedécidéd’écriresurlesdeuxsujetsàlafois:

RiennedistinguaitNoraHashemdemillionsdefemmeségyptiennes.Elleétaitbrunedepeau,moyennementbelle,etpauvre.Elleavaitépouséunsimpleouvrierqui s’appelait Hani Zakaria Mustapha avec qui elle avait eu deux fils. Tous lesdeuxmenaientuncombatacharnépourleurpainquotidienetpourl’éducationdeleursenfants.Unjour,Norasesentittoutàcouptrèsmalade.

Le match entre notre équipe nationale et l’équipe algérienne fut un combatépique qui a révélé la trempe de l’authentique Egypte. Tous ont oublié leursdifférences pour se ranger comme un seul homme derrière l’équipe nationale.Lorsque les médias algériens se mirent à se moquer d’une façon grossière denotre équipe nationale, les journalistes égyptiens leur répliquèrent par uneavalanched’injuresblessantes.

Quand la chanteuse algérienne Warda, déclara qu’elle soutenait l’équipealgérienne, beaucoup d’Egyptiens éprouvèrent de la colère et se demandèrentcomment Warda pouvait oser encourager cette équipe, alors qu’elle vivait enEgypte et se nourrissait de ses richesses, depuis des lustres1. Certains abonnésd’Internet demandèrent même qu’on interdise l’entrée deWarda en Egypte, enreprésaillescontrelefaitqu’ellenesoutenaitpasnotreéquipenationale.

Au début, Nora attribuait sesmalaises à l’absence de sommeil et à l’excès detravaildomestique,etellecachasonétatàsonmariHanipournepasajouteràses tracas.Mais samaladie s’aggrava et elledut garder le lit.Hani insista alorspour l’amener dans un cabinet privé. Il paya la consultation au médecin quil’examinaetconseilladelatransporterimmédiatementàl’hôpital.

LeprésidentMoubaraktintàassisteràl’entraînementdel’équipenationaleetilpassaunmomentavec les joueurspour lesencourager,avant la compétition.Lasollicitude du présidentMoubarak pour les sportifs est bien connue.Nous noussouvenons peut-être du jour où mille quatre cents Egyptiens sont morts noyésdanslefameuxaccidentduferry-boat.LatristesseduPrésidentpourlesvictimesne l’a pas empêché d’assister à l’entraînement de l’équipe nationale qui devaitaffronteruneautrebataillehistorique,àlafindelacouped’Afrique.

LorsqueHaniZakaria et sa femmeNora arrivèrent au servicedepneumologied’Imbaba,ilétaitdeuxheuresdumatin.UnmédecinauscultarapidementNoraetlui dit qu’elle allait bien et qu’elle n’avait pas besoin d’être hospitalisée, puis ilpartit. Hani tenta de le rattraper pour lui parler, mais celui-ci refusa de lerencontrer.

Hani retourna voir l’employé de la réception et le supplia de l’aider à fairesoignersafemme.L’employéluiditalorssansambages:

—Sivousvoulezquevotrefemmesoitsoignée,payezmaintenantlasommededeuxmillelivres.

Pendantlematchcontrel’Algérie,malgrélagrossièretédélibéréedesAlgériens,nosjoueursontparfaitementsugarderleursang-froid.Lapériodequiaprécédélematch, et le match lui-même, ont également été révélateurs de la profondereligiositédemillionsd’Egyptiensquiontadressé leursprièresàDieupourquenotreéquipemarqueaumoinsdeuxbuts.

Le chanteur Ihab Tewfiq est apparu à la télévision et a demandé à tous lestéléspectateursd’invoquerDieupournotreéquipe,ajoutantqu’ilyavaitenEgyptebeaucoupdegenspieuxetqueleursvœuxseraientexaucés,àcoupsûr.

Hani futatterré lorsqu’ilentendit lemontantréclaméet ildemandad’unevoixfaible à l’employé de la réception si l’hôpital de pneumologie d’Imbaba étaittoujoursunhôpitalpublic.Celui-ciluiréponditfroidementquec’étaittoujoursunhôpital public, mais qu’il devait payer deux mille livres. Hani lui dit qu’il étaitpauvre et ne possédait pas cette somme. L’employé ne lui répondit pas et seplongea dans la lecture de papiers posés devant lui. Hani se mit à supplierl’employépourqu’ilpermetteàsafemmed’êtresoignée.

Lematindumatch,lecélèbrecommentateursportif,YasserAyyoub,déclaraàlatélévision que si notre équipe gagnait contre l’Algérie et était qualifiée pour laCoupe du monde, chaque joueur recevrait une prime de six millions de livreségyptiennesdelapartdel’EtatetdelaLiguedefootball.Commelaprésentatriceavait l’air un peu étonné par la somme, un autre commentateur ajouta : “Lesjoueurs de l’équipe nationaleméritent plus que cela en récompense des effortsfantastiques qu’ils prodiguent pour faire entrer la joie dans le cœur desEgyptiens.”

N’ayant plus d’espoir de pouvoir convaincre l’employé de la réception del’hôpitald’Imbaba,Haniemmenasafemme,quicommençaitàtituber,sousl’effetdelamaladieetdelafièvre,auservicedepneumologied’ElOmrania.Aprèsl’avoirauscultée,undocteurdéclaraqu’elleavaitlafièvreporcine,maisqu’ilnepouvaitpas la soigner dans cet hôpital parce qu’il n’était pas équipé pour ces cas. IlconseillaàHanid’emmenersafemmeàl’hôpitalOumElMasreyyinquidisposaitdesinstallationsnécessaires.

L’amour du sport n’est pas l’apanage du président Moubarak,mais il s’étendégalementàsesdeuxfils,GamaletAlaa.Touslesdeuxonttenuàalleraustadeencourager l’équipe nationale, accompagnés par la plupart desministres et des

hautsresponsables,parmilesquelsleministredelaSanté,quiétaitassisjusteàcôté de Gamal Moubarak. On a vu leur joie débordante lorsqu’Amrou Zaki amarquélepremierbutcontrelesAlgériens.

Hani remercia le médecin, et se précipita à l’hôpital Oum el Marsiyin où ilsupplialesresponsablesdesauversafemmequicommençaitàcracherdusang.Maislemédecinlerassuracomplètementenaffirmantquesafemmeallaitbienetqu’elle n’avait pas besoin d’être hospitalisée. Il lui conseilla de retourner auservice de pneumologie d’El Omrania, qui était plus compétent pour traiter soncas.

Pendant quatre-vingt-dix minutes, après un premier but contre l’Algérie, etmalgrédegrandseffortsetunesprit combatif, les joueursn’ontpas réussiàenmarquer un autre. On pouvait lire la contrariété sur les visages des hautsresponsables.Alafin,nepouvantplussecontrôleraprèsquenotreéquipeeutratéplusieursoccasionsimparables,AlaaMoubarakfitungestedeprotestation.

Haniretournaàl’hôpitaldepneumologiedeElOmraniaenportantpresquesafemmeet,pourlapremièrefois,ilélevalavoixcontrelemédecin:

—Pourquoim’avez-vousenvoyéàl’hôpitalOumelMasriyinsic’esticiquel’ondoitsoignermafemme?

Lemédecinluiconfirmasondiagnosticetditqu’àl’hôpitalOumelMasriyin,ilsévitaient de soigner ces sortes de cas. Il lui demanda un certificat officiel del’hôpitalOumelMasriyin,affirmantquel’étatdeNoraétaitnormaletsansdanger.Hani demanda alors au médecin d’excuser son emportement et il emmena ànouveau sa femme à Oum elMasriyin où il demanda un certificat sur l’état desantédesafemme.

Ilfautdireque,cettefois,onletraitaavecgentillesse.Onluipromitdefaireàsafemme les analyses nécessaires, mais il fallait qu’il revienne à huit heures dumatin, parce que la responsable du laboratoire était absente (il se révéla par lasuitequ’ellesetrouvaitlàmaisque,épuiséeparletravail,elleavaitdemandéàsesamisdetrouverunmoyendesedébarrasserdeNora).

Lematch était presque terminé lorsque EmadMoutaat réussit àmarquer, lorsdesprolongations,undeuxièmebutcontrelesAlgériensetl’Egyptetoutentièresemitàdanserd’émotion.LedocteurHatemelGabalilui-même,ministredelaSanté,oublia lagravitédeses fonctionset toutes lescaméras fixéessur lui. Il sautadesonsiègeetétreignitGamalMoubarakpourleféliciterdelaglorieusevictoire.

Hani retourna avec sa femmeau servicedepneumologie deOmraniapour l’ylaisserjusqu’aumatinavantdelareprendreafind’allerfairelesanalysesàOumelMasreyyin.Maisl’étatdeNoraempira.Onlamitsousrespirationartificielleetpeudetempsaprès,ellerenditsonderniersouffleavantqu’ilaitétépossibledefaire les analyses nécessaires pour établir un diagnostic. Ainsi mourut NoraHachemMohamedàl’âgedevingt-cinqans,laissantderrièreellesonmariHanietdeuxpetitsenfants.

Peut-être sommes-nous le seul pays au monde où les gens meurent de cettefaçon?

Mais ilne fautpasque la tragédiedeNoraHashemvienne troublernotre joied’avoirvaincul’Algérie.

Dieu a répondu à nos prières en nous faisant marquer ces deux buts. NousavonsfaitboireauxAlgérienslacoupeamèredeladéfaiteetnouslesécraseronsencore,aveclapermissiondeDieu,lorsduprochainmatch.

QueDieubénisselaparticipationdel’EgypteàlaCoupedumondeetqu’ilaitensasaintegardeNoraHashemMohamed.

Ladémocratieestlasolution.

1WardaelDjezaïriaest, commesonnoml’indiqueunechanteused’originealgérienne.EtabliedepuisdesdécenniesenEgypte,elleest,defait,devenueunedesplusgrandeschanteuseségyptiennes.

LADÉFENSEDUDRAPEAUÉGYPTIEN

Le14 juillet1935,dansuneEgypte toutebouillonnantedemanifestations contrel’occupation britannique, un grand cortège de milliers d’étudiants criant desslogansenfaveurdel’indépendanceetdeladémocratieétaitsortidel’universitéduCaire.

LesétudiantsportaientsurleursépaulesMohamedAbdelMaguidMorsi,undeleurscondisciplesdelafacultéd’Agriculture,quibrandissaitundrapeauégyptien,lorsquelessoldatsanglaistirèrentsurluietletuèrent.Ledrapeauégyptienavaitfaillitomberparterre,maisunautreétudiant,MohamedAbdelHakimelGarahi,delafacultédeLettres,seprécipitapourleprendre.L’officieranglaismenaçaAbdelHakimdeletuers’ilavançaitd’unpas.

Mais Abd el Hakim continua à marcher, le drapeau à la main, et l’officierbritanniquetirasur lui, leblessantà lapoitrine. Il fut transportéà l’hôpitaloùilrenditsonderniersouffle.L’Egyptetoutentièresortitpourundernieradieuàceluiquiavaitpréférélamortplutôtquedevoirledrapeaudel’Egyptetomberàterre.

Lepremier jourde laguerred’Octobre1973,desdizainesdesoldatségyptiensmoururentpourpermettreausoldatMohamedEfendideplanter,pourlapremièrefoisdepuissonoccupation,ledrapeauégyptiensurlesolduSinaï.

Ledrapeaun’estdoncpasun simplemorceaude tissu.C’est le symbolede lanation,del’honneuretdeladignité.

C’estàcelaquejepensaisenvoyant,auSoudan,ledrapeaudemonpaysfouléau pied par des hommes demain algériens dont certains prenaient plaisir à lejeter sous les roues des voitures, à le piétiner et à le déchirer. Les agressionssauvages subies par les Egyptiens à Khartoum sont révélatrices de plusieursréalités:

Premièrement : il est habituel que les matchs de football déclenchent deséchauffouréesentrelessupporters,maiscequiestarrivéàKhartoumvabienau-delàdesimplesbagarresdestade.Desavionsdesforcesarméesalgériennesonttransporté auSoudandesmilliers denervis armés auxquels avait été fixéeunemissionprécise,celled’attaqueretd’offenserlesEgyptiens.

Touslestémoignagesdesvictimesmontrentquel’objectifdel’agressionétaitdeleshumilier.QuelautresenspouvaitavoirlefaitquelesAlgériensenlèventleurssous-vêtements devant les femmes égyptiennes et leur montrent leur sexe enrépétanttoujourslamêmephrase:“Nousbaisonsl’Egypte”?Pourquoiauraient-ilsobligéleshommeségyptiensàramperparterreaprèslesavoiragressésavecdes couteaux et des épées ? Pourquoi auraient-ils brandi des pancartes sur

lesquelles ils avaient écrit “L’Egypte est la mère des putes” ? Y a-t-il un lienquelconqueentrecetteinfamieetlefootball?Iln’estpaspossiblequecetteracaillereprésente le grand peuple algérien qui a lutté avec nous, pendant la guerred’Octobre,etquiamêléaunôtrelesangdesesmartyrs.

Pourquoi cet acharnement à humilier, de cette façon, les Egyptiens alors quel’équipealgérienneavaitremporté lematch? J’auraiscomprisdetelsactesde lapartd’unearméed’occupationennemie,mais il est vraiment tristequ’ils soientperpétréspardesmainsarabes.

Quel Algérien accepterait que sa sœur ou sa mère soit ainsi agressée etdéshonorée ? Le spectacle des victimes égyptiennes, pleurant d’accablement etd’humiliation devant les écrans de télévision, ne pourra pas s’effacer de nosmémoires avant que nous n’ayons demandé des comptes à ceux qui ont desresponsabilitésdanscetteagressioncriminelle.

Deuxièmement:l’Egypteestleplusgranddespaysarabes,elleestlaprincipalesourcedetalentsetdecapacitéshumainesdumondearabe.C’està l’Egyptequerevientl’honneurd’avoircontribuéàlarenaissancedenombreuxpaysarabes:cesontdesprofesseurségyptiensquiontconstruitleursuniversités,desjournalisteségyptiensqui ont créé leurpresse,desartistes égyptiensqui sont à l’originedeleurs institutions culturelles, cinématographiques et théâtrales, des ingénieurségyptiensquiont tracé leplande leursvillesetde leursmaisons,desmédecinségyptiensquiontfondéleurshôpitaux.Mêmeleursloisetleursconstitutionsontgénéralementétéécritespardesprofesseursdedroitégyptiens.

L’hymnenational algérien lui-mêmea étémis enmusiquepar le compositeurégyptien Mohamed Fawzy. Cette primauté égyptienne a rendu complexes lesrelations avec les autres peuples arabes : on y trouve souvent de l’amour et del’admiration,mais parfois un peu de susceptibilité et de tension. A l’époque del’élan national nassérien, non seulement nous avons soutenu la révolutionalgérienne,enluifournissantdel’argentetdesarmesetendéfendantsapositiondevant les instances internationales, non seulement nous avons envoyé notrearmée soutenir la révolution yéménite,mais nous sommes également entrés enguerrepourdéfendrelaPalestineetlaSyrie.

A cette époque-là, les Arabes aimaient sincèrement l’Egypte. Mais dès que,cessantd’accomplirsamissionnationale,notrepayssigna lesaccordsdeCampDavidavecIsraël,lesmauvaissentimentsànotreégardremontèrentàlasurface.Cen’estpasicilelieudeciterlesdizainesd’exemplesdesincessantestentativesfaitesparcertainsArabespourhumilierlesEgyptiensetpourréduireleurrôleetleurimportance.Celavadel’esclavagequereprésentelesystèmedesgarants1,desmauvaistraitementsetdudénidedroitdontsontvictimeslesEgyptiensdansleGolfe, jusqu’àlafondationdegrandessociétésdeproductiondont leseulbutestd’écarteretdemarginaliser la créationartistiqueégyptienne,enpassantpar lesconcoursetlesfestivalsculturelsannuels,financésàcoupdemillionsdedollars,simplement pour prouver que l’Egypte n’a plus un rôle de pionnier dans ledomainedel’artetdelaculture.

Il s’agit là de tentatives misérables, sans impact et vouées à l’échec, d’abordparcequelaplacedel’Egyptenesauraitêtreaffectéeparcesmesquineries,ensuiteparcequ’iln’estpaspossibledenierl’arabitédupeupleégyptiennideleséparerdesesfrèresarabes,quellesquesoientlesconditions.

Troisièmement:lacoopérationdurégimeégyptienavecIsraël,lafournitureàcepays de gaz et de ciment, sa participation au blocus de la Palestine par lafermeture du terminal de Rafah, toutes ces politiques répréhensibles etdéshonorantes sont condamnées en tout premier lieu par les Egyptiens eux-mêmes,quimanifestent tous les joursensolidaritéavec leurs frèresen Irak,enPalestineetauLiban.

Deplus,denombreuxEgyptiensontpayétrèscherleurspositionspatriotiques.Le dernier en date est un journaliste connu, Magdi Ahmed Hossein, qui a étéarrêté par les autorités égyptiennes et traduit devant un tribunal militaire. Cedernier l’a condamné à deux ans de prison pour être allé à Gazamanifester sasolidaritéaveclesPalestiniensvictimesdublocus.

Lapositiondurégimeégyptienausujetd’Israëlnereprésenteabsolumentpaslaposition du peuple égyptien et il n’est pas du tout légitime de l’utiliser commeprétextepouragresserethumilierdesEgyptiens.

Quatrièmement:l’agressiondesEgyptiensàKhartoumfutunesorted’exempledeterrorismed’Etatdanslequelétaitimpliquélerégimealgérien,aidéencelaparles carences du régime égyptien et son incapacité à protéger ses ressortissants.Unesemaines’estécouléedepuisquelecrimeaeulieusansquecerégimeaitprisunepositionsérieuseetferme.

Je crains que ceux qui comptent sur le président Moubarak pour rendre auxEgyptiens leur dignité bafouée n’attendent longtemps. Qu’a fait le présidentMoubarakpourlescentainesdemédecinsenfermésenArabiesaoudite?Qu’a-t-ilfaitpourlesmédecinségyptiensquiyontétécondamnésaufouet?Qu’a-t-ilfaitpour lesEgyptiens torturésauKoweit?Qu’a fait leprésidentMoubarakpour lessoldats égyptiens tués sur la frontière par Israël, et qu’a-t-il fait pour lesprisonniers égyptiens que ce pays reconnaît avoir détenus pendant la guerre ?Rien.Absolumentrien.LesdroitsdesEgyptiensnesontrespectésniàl’intérieurdupaysniàl’extérieur.

Pourquoi le pouvoir égyptien a-t-il laissé le joueur algérien Lakhdar Belloumis’enfuiraprèsavoirperpétrésonodieuxforfait,auCaire,encrevantimpunémentl’œil d’un médecin égyptien ? Aurait-on laissé M. Belloumi s’enfuir s’il avaitaccompli son crime dans un pays démocratique respectable ? Le feuilleton desagressions algériennes contre des Egyptiens se serait-il poursuivi si Belloumiavaitétéarrêtéetprésentéautribunal?Lesdroitsdescitoyensnesontprotégésque dans un régime démocratique. La seule préoccupation des régimesdictatoriauxestdeconserverlepouvoir,parn’importequelmoyenetàn’importequel prix. Ledirigeantqui s’emparepar la violencedupouvoir, qui réprime ses

concitoyens et qui falsifie leur volonté au moment des élections, ne peutconvaincrepersonnelorsqu’ilparledeladignitédesescompatriotes.

UnméprisetunehumiliationaussiabjectsdesEgyptiensneresterontpassansconséquencenichâtiment,etsilerégimeégyptienestincapablededemanderdescomptesàcescriminels,ilestdenotredevoiràtous,entantqu’Egyptiens,defairepressionpartouslesmoyensànotredispositionsurlerégimealgérienpourqu’ilprésente des excuses officielles au peuple égyptien, qu’il arrête les agresseursalgériensetlestransfèredevantlajustice.

Nousnedevonsenaucuncasrépondreauxméfaitspardesactionssemblableset il ne faut pas que nous confondions le grand peuple algérien avec le régimedictatorial algérien responsable de ces crimes.Mais le temps est venu que touscomprennentque,désormais, lesagressions contre lesEgyptiensneserontplusjamaisfacilesnigratuites.

Notre insistancepourdemanderqueceuxquiontattaquénotredignité soientpunisnecontreditabsolumentpasnotreappartenancenationalecar,commeleditle proverbe français, les bons comptes font les bons amis, et les relationsfraternellesentrelesdeuxpeuplesalgérienetégyptiennepeuventsedévelopperquedanslerespectmutueldesdroitsdechacun.

Ladémocratieestlasolution.

1LestravailleursétrangersdanslespaysduGolfe,endehorsdeBahreindepuisunedaterécente,doiventavoir un garant (en anglais sponsor) dans les pays où ils émigrent. Ils sont à lamerci de ce dernier quiconserveleurspasseportsetàl’arbitraireduquelilssontpiedsetmainsliés.

L’IMPORTANCED’ÊTREHUMAIN

Cherlecteur,

Imaginequetusoislecitoyend’unpaysoccidentalcommelaSuèdeoulaFranceou les Etats-Unis : préférerais-tu alors passer les fêtes deNoël et duNouvelAndanstonpays,oubiensurl’asphaltedesruesduCaire?Lapremièreoptionestlaplusnaturelle,cartoutunchacunaimepasseragréablementettranquillementlesfêtes aumilieu des siens. C’est pourtant la seconde option qu’ont choisiemillequatre cents pacifistes étrangers appartenant à quarante-deux pays à travers lemonde. Ils sont venus en Egypte pour proclamer leur totale solidarité avec lesPalestiniens assiégés à Gaza, en leur apportant toute la nourriture et tous lesremèdes qu’ils ont pu. Au début les autorités égyptiennes avaient accepté derecevoir ces militants mais, lorsqu’ils sont arrivés au Caire, elles ont soudaindécidéde leur interdired’entreràGazapuis, lorsqu’ilsontcommencéà faireunsit-indeprotestation,cesautoritésontessayédes’endébarrasserenleuroffrantdes visites touristiques gratuites. Mais ils ont refusé et ont insisté pour faireparvenirlanourritureetlesmédicamentsauxPalestiniens.Lapoliceégyptienneaalorsdonnél’assautcontreleurrassemblement,enjetantausollesmanifestantsetenlesfrappantsauvagement.Cesdéplorablesévénementssontrichesdesens:

Premièrement:cesmilitantsétrangerssontdesintellectuels,desécrivains,desartistes et des professionnels qui jouissent dans leur pays d’une existenceconfortableetdontcertainsontatteintunâgeoù l’onaspireaurepos.Mais leurhautniveaudeconsciencehumaineleurfaitrefuserdecontemplerenspectateurle siège étouffant imposédepuisdeuxanspar Israëlpouraffamerunmillionetdemi de Palestiniens à Gaza et lemassacre, par cemême pays, demille quatrecents victimes, la plupart civiles, à l’aide d’armes interdites par les conventionsinternationales.Cespersonnesgénéreuses,venuesdeleurpayspourdéfendrelesdroitsdenotrepeupleenPalestine,nesontqu’unéchantillonde cesamisde lapaixetdelajustice,quiluttentenOccidentcontreleracisme,contrelecapitalismesauvage, la mondialisation et la destruction de l’environnement par lesmultinationales. Ou de ceux qui sont sortis manifester par millions pourcondamnerl’agressionaméricainecontrel’Irak.Mêmes’ilsnesontpasparvenusjusqu’iciàpesersurladécisiondeleursgouvernements,ilssontentraind’édifier,tousensemble,unvastemouvementquiserenforcechaquejour.

Deuxièmement:laleçonquenousdonnentcesmilitantsétrangersestquenotrepremierdevoirestdelutterpourlesopprimésoùqu’ilssetrouvent,etquenotreappartenance à l’humanité doit primer sur toute autre appartenance. Chacund’entrenousdoitseposer laquestiondesavoirs’ilseconsidèreenpremier lieumusulmanoucopteouarabe,oubien,avanttout,commeunêtrehumain?Sinous

donnonslaréponsejuste,iln’yapasdecontradiction,cartouteslesreligionssontvenuesdéfendre lesgrandesvaleurshumainesde justicedevérité et de liberté.Alorsquesinousestimonsquenoussommesmeilleursquelesautresparnotrereligionouparnotrerace,noussommessurlapentequinousmèneàlahaineetà l’extrémisme. Lamême semaine où sont arrivés ces étrangers porteurs d’aideaux enfants de Gaza, des appels extrémistes ont malheureusement été lancés,mettantengardelesmusulmanségyptienscontretouteparticipationauxcôtésdeleurs frères coptes aux festivités deNoël.Ainsi s’incarnent sousnos yeuxdeuxvisions contradictoires du monde, l’une tolérante qui défend les droits del’humanité tout entière, sansdistinction, l’autreextrémistequi est fondéesur lahaineetleméprisdeceuxquisontdifférentsetquinereconnaîtpasleursdroits.La plupart de ces militants étrangers appartiennent à la religion chrétienne etcertains d’entre eux sont juifs, mais ils sont tous violemment opposés à lapolitiquecriminelled’Israël.Parmieuxse trouvait, surun fauteuil roulant,HeïdiEpstein, une dame de quatre-vingt-cinq ans, rescapée de l’holocauste que lesnazis ont fait subir aux juifs.Malgré son grand âge et sa santé déclinante, elleavait tenu à apporter elle-mêmede la nourriture aux enfants deGaza. Peut-êtretrouverons-nousdanscebelexempledesolidaritédequoinousfairehésiteravantde nous laisser entraîner par les idées extrémistes qui voient dans tous leschrétiens et tous les juifs, sans exception, des ennemis de l’islam et desmusulmans.

Troisièmement:l’attaquesauvagedontontétévictimescesmilitantsdelapartd’élémentsdelapoliceégyptienneaétéfilméepardesdizainesdecaméras,etcesimagessontactuellementdiffuséesparInternetdanstouslescoinsdumonde.J’aivumoi-mêmeunenregistrementvidéooùunofficierégyptientireparlescheveuxunemanifestanteétrangère,puislajetteausoletlarouedecoupsdepiedsetdepoings.Celanousprouvequelerégimeégyptienn’hésitedevantaucuncrime,dèsqu’ils’agitdesatisfaireIsraëldanslebutd’obtenirquecepaysfassepressionsurl’administration américaine pour qu’elle accepte la transmission héréditaire dupouvoirduprésidentMoubarakàsonfilsGamal.Lesmédiaségyptiensnecessentderépéterdesmensongespourjustifierlemurd’acierquienlèveauxPalestiniensleurdernièrepossibilitédeseprocurerdelanourritureetdesmédicaments.

Chaque jour,deshypocrites,membresdupartiaupouvoir,viennentnousdirequelemurd’acierestunenécessitéetquelestunnelsentrel’EgypteetGazasontutiliséspourfairepasserencontrebandedeladrogueetdesprostituéesrusses!Ce vain discours ne convainc plus personne. La réputation du régime deMoubarak, que ce soit sur la scène arabe ou internationale, n’a jamais été pirequ’elle ne l’est aujourd’hui, et la “complicité entre le gouvernement égyptien etIsraëldans le siègedeGaza”estuneexpressionqui revient sans cessedans lapresseinternationale.

La violence faite aux militants étrangers révèle également que lesgouvernements occidentaux sont complètement soumis à l’influence sioniste. Sitous ces étrangers avaient été l’objet de la moindre agression dans descirconstancesordinaires, leursambassades leurauraient immédiatementenvoyé

des représentantsetdesavocatsetellesauraientdéployé tous leurseffortspourque leurs droits soient respectés. Mais cette fois-ci, comme ils militaientpubliquementcontre Israël, leursambassadesauCairesesont réfugiéesdans lesilence.Quiplusest,lesgouvernementsoccidentaux,quifontgrandbruitlorsquedesmanifestantssontréprimésenChineouenIran(oudansn’importequelpaysquiadoptedespositionsanti-occidentales),n’ontpasprononcéunseulmot faceauspectacledeleursressortissantsjetésàterredanslesruesduCaire.C’estqu’ilsmanifestaient contre Israël à qui aucun homme politique occidental ne peutimpunémentdéplaire.

Enfin, il resteunedernièrequestion : alorsque cesétrangersont traversédesmilliers de kilomètres et ont quitté leurs existences confortables pour briser leblocus auquel sont soumis les enfants de Gaza… qu’avons-nous fait, nous lesEgyptiens ? N’était-ce pas à nous, avant les étrangers, de venir en aide à notrepeupleàGaza?

Certes,touslesEgyptienséprouventuneprofondesympathieenversnosfrèresàGaza, mais la réaction de la rue égyptienne est bien en deçà de ce qui estnécessaire.Pourquoidesmillionsd’Egyptiensnesont-ilspassortisdanslesruespourfairepressionsurlerégimeafindebriserlesiègedeGaza?Lescausessontnombreuses et la première en est la crainte de la répression. Dans les paysdémocratiques, manifester pour exprimer son opinion fait partie des droits del’Hommeetlesmanifestationssontprotégéesparlapolice.Maisdansnotrepayssoumisà ladictature, tous ceuxquimanifestent s’exposentàêtreemprisonnés,frappés, torturés dans les locaux de la sécurité d’Etat. Ajoutons à cela quebeaucoup de leaders de l’opinion publique en Egypte sont complices dugouvernement,ouontpeurdeluidéplaire.

C’estainsique,pendantquelesmilitantsétrangerssefaisaientrouerdecoupspar la sécurité centrale en criant “Liberté pour Gaza”, les partis d’oppositionégyptiensontmaintenuunsilenceéloquent.QuantauxFrèresmusulmans,ilssesontcontentésdecondamner lemurà l’intérieurde l’assembléedupeuple,sansorganiser une seule manifestation dans la rue. Chez les Frères musulmans, laquestion de l’organisation des manifestations paraît extrêmement délicate etsoumiseàdescalculscomplexes,quepersonnen’estcapabledecomprendre.LesEgyptiensonteulasurprised’apprendrequedesfatwasofficiellesgarantissaientauniveaureligieuxlalégalitédumurd’acierquiétranglelesPalestiniens.C’estentoutcascequ’ontaffirmédesmembresducentred’étudesislamiquesainsiquelecheikhd’AlAzhar, lemuftidelaRépubliqueet leministredeswaqfs.Quantauxcheikhs salafistes, ils ont exprimé leur totale sympathie envers leshabitantsdeGaza, mais, en même temps, ils ont interdit avec fermeté à leurs partisans demanifester, car, disent-ils, les manifestations sont inutiles puisqu’elles nechangent rien et que, en outre, des femmes non voilées sont susceptibles d’yparticiper ! Ce raisonnement pusillanime, mélangeant les priorités, explique laraisondelatolérancedontatoujoursfaitpreuvelerégimeégyptienàl’égarddescheikhssalafistesquisonttrèsstrictspourcequiestdelapratiquereligieuseet

desesapparencesextérieures,maisquiconnaissentbien les lignesrougesànepasdépassersurleplanpolitique.

LesEgyptiens,comme lesPalestiniens,sontcomplètementassiégéspar lemurd’acier de la dictature, et la répression les étouffe et les prive de leurs droitshumains les plus élémentaires. Il s’agit d’un seul et mêmemur, d’une seule etmêmecauseet,siDieuleveut,lesalutseraaussilemême.

Ladémocratieestlasolution

QUIATUÉLESÉGYPTIENS

LEJOURDELAFÊTE?

En 1923 une commission fut formée pour élaborer la première constitutionégyptienne, mais le Wafd (parti de la majorité à cette époque) annonça qu’ilboycotteraitcettecommission,parcequ’elleavaitéténomméeetnonpaslibrementélue. Malgré cela, elle bénéficia de la participation de certains des plus grandsespritségyptiensetdonna lieuàdeséchangespolitiqueset intellectuelsdehautniveauausujetdesarticlesproposéspourlaconstitutionégyptienne.Desvoixsesontenparticulierélevéespourdemanderunereprésentationproportionnelledescoptes,c’est-à-direpourgarantir,danstouslescas,auxcoptesunnombredonnéde sièges tant au parlement que dans les assemblées locales. Cette propositiondonna lieu rapidement à un grand débat public d’opinion. Les partisans de lareprésentationproportionnellevoulaientrendrejusticeauxcoptesetenleverauxBritanniques l’occasiondes’immiscerdans lesaffairesde l’Egypteenprétextantdeprotégerlesminorités.Quantàceuxquiyétaientopposés,ilsrefusaientdevoirdanslescoptesuneminoritéreligieuse,maisdescitoyenségyptiensquidevaientêtreappréciésseulementenfonctiondecritèresdecompétence.Leplusétonnant,c’estquelaplupartdesopposantsàlareprésentationproportionnelleétaientdescoptes : en plus dumusulmanTahaHussein, on trouvait parmi eux le penseurSalamaMoussa, leprofesseurAzizMirhamquirassemblalessignaturesdecinqmilledesescoreligionnaires, lepèreBoutrosAbdelMalek,présidentduConseilgénéraldelacommunautéetcurédelagrandeéglisedeSaintMarc,ainsiquedenombreuxautres.C’estainsiquelapropositionfutabandonnéeetquelescoptes,en refusant de jouir, sous quelque dénomination que ce soit, de privilègescommunautaires,écrivirentunedesplusbellespagesdel’histoirecontemporainedel’Egypte.

Je me souvenais de cet épisode en lisant les articles consacrés à l’ignoblemassacre de Nagaa Hamadi dont furent victimes six coptes tués par balles ensortantdel’église,lejourdelafête.

Laquestionest :pourquoi lescoptesont-ilsrefusé, ilyaquatre-vingt-dixans,debénéficierdequelqueprivilègecommunautairequecesoitetpourquoisont-ilsmassacrésmaintenant, la nuit deNoël, devant la porte de l’église ? Voici, selonmonopinion,quelques-unesdescausesdelacrise:

Premièrement : l’histoire de l’Egypte nous enseigne que les problèmesintercommunautaires interviennent toujours pendant les périodes de désespoirnational.AudébutduXXesiècle,ledésespoirquis’emparadesEgyptiensàcausede l’occupation britannique se transforma rapidement en affreux affrontements

interconfessionnels (dans lesquels, comme d’habitude les Britanniques jouèrentun rôle) qui arrivèrent à leur acmé entre 1908 et 1911, mais, dès la révolutionde 1919, tout le monde s’y fondit au point que certains coptes, comme le pèreSergius, qui avaient étédes inspirateursde la révolte confessionnelle, devinrentavec la révolution de grands défenseurs de l’unité nationale. En Egypte,aujourd’hui, il y a beaucoup de désespoir, de frustrations, de pauvreté etd’oppression. Ce sont là des facteurs qui conduisent les Egyptiens auxaffrontementsconfessionnels,exactementcommecelalesconduitàlaviolence,aucrimeetauxagressionssexuelles.

Deuxièmement : en 1923, lorsque les coptes ont refusé de jouir de privilègescommunautaires,l’Egypte,malgrél’occupationbritannique,luttaitpourfonderunEtatséculieretdémocratiqueassurantl’égalitédevantlaloidetoussescitoyens.Ily avait alors une lecture égyptienne tolérante de l’islam, promue par l’Imamréformiste Mohamed Abdou (1849-1905), capable de débarrasser les espritségyptiens des sornettes et de l’extrémisme. L’Egypte connut alors une véritablerenaissance dans tous les domaines, depuis l’éducation de la femme jusqu’authéâtre,aucinémaetàlalittérature.Mais,depuislafindesannéessoixante-dix,l’Egypte a commencé à découvrir une autre conception de l’islam, celle de lapenséerigoristedessalafisteswahabitesqueleshommesdereligionégyptienssesont mis d’accord pour qualifier de doctrine bédouine. Plusieurs élémentscontribuèrentàladiffusiondecettepenséewahabite,lepremierd’entreeuxétantl’augmentation du prix du pétrole après la guerre d’Octobre qui donna auxgroupes salafistes desmoyens financiers sans précédent qu’ils utilisèrent pourrépandre leurs idées, en Egypte et dans le monde. De plus, des millionsd’EgyptiensémigrèrentpourallerchercherdutravaildanslespaysduGolfed’oùils revinrent quelques années plus tard la tête pleine d’idées wahabites. Cettepenséesediffusaégalementsouslepatronagevigilantdesservicesdelasécuritépolitique égyptienne, qui ont toujours fait preuve de la plus grande tolérance àl’égarddescheikhssalafistes,àl’inversedelasévèrerépressionqu’ilsemploientàl’égarddesFrèresmusulmans.Laraisonenestquelapenséesalafistewahabitecontribueàrenforcerladictature,carelleappellelesmusulmansàobéirauchefdel’Etatetleurinterditdesesoulevercontrelui,s’ilestmusulman.

Le problème est que la vision du monde telle qu’elle ressort de la penséewahabiteestlittéralementcontraireàlacivilisation.Soussesauspices,l’artseraitinterdit, comme le seraient la musique, le chant, le cinéma, le théâtre et lalittérature.Lapenséewahabiteimposeàlafemmedes’isolerderrièreleniqaboùla burqa turque dont la femme égyptienne s’est libérée depuis cent ans. Cettepenséeproclameclairementqueladémocratieestillicite,puisqu’ellesignifiequec’est le peuple qui gouverne, alors que leswahabites veulent établir le règnedeDieu(àleurfaçon,biensûr!).

Cequ’il yadeplusdangereuxdans lapenséesalafistewahabite, c’estqu’elleéradiquefondamentalementl’idéedecitoyenneté.Lescoptes,deleurpointdevue,nesontpasdescitoyens,maisseulementdesdhimmis1,uneminoritévaincueet

soumise dans un pays conquis par les musulmans. Ce sont des mécréantspolythéistesquisontenclinsàdétesterl’islametàcomplotercontrelui.Ilnefautnis’associeràleursfêtesnilesaideràconstruiredeséglisesquinesontpasdeslieuxdecultemaisdesendroitsoùl’onassocieàDieud’autresdivinités.Dupointdevuedeswahabites,ilneconvientpasquelescoptesdeviennentdesdirigeantspolitiques,ni des chefsmilitaires, cequi signifieunmanquede confiancedansleurloyautéàlanation.Tousceuxquiobserventlafaçondontsontreprésentéslescoptesdans lesdizainesdechaînessatellitairesetdesites Internetsalafistesnepeuvent que ressentir de la tristesse. Ces tribunes suivies quotidiennement pardes millions d’Egyptiens proclament clairement leur haine et leur mépris descoptesetsouventappellentàlesboycotteretànepasavoirderelationsaveceux.

Lesexemplessontinnombrablesmaisjeciteraiicicequej’ailudanslecélèbresite salafiste “le gardien de la foi” qui consacre tout un article à la question desavoir“pourquoilemusulmanestmeilleurquelecopte”.Onytrouvecequisuit:“Il vaut mieux être une jeune fille musulmane sur le modèle des épouses duProphète à qui avait été prescrit le hidjab qu’une chrétienne sur lemodèle desfemmes adultères. Il vaut mieux être un homme musulman, s’efforçant sur lechemin de Dieu, défenseur de l’honneur et de la religion qu’un chrétien voleur,violeuretassassind’enfants.IlvautmieuxêtreunmusulmansouslaconduitedeMohamed et de ses compagnons qu’un chrétien sous la conduite de Paul lementeuretdesmessagersdelafornication.”

Ladiffusiondetoutecettehostilitécontrelescoptesnerend-ellepasnaturellesetmêmeinévitableslesagressionscontreeux?

Troisièmement:l’épidémiedel’extrémismes’estpropagéedesmusulmansversles coptes. Des générations d’entre eux sont apparues coupées de la société etcertains coptes se sont, eux aussi, laissé entraîner à un discours extrémiste ethaineux, le plus célèbre d’entre eux étant le père Zacharia Boutros qui s’estspécialisédanslescalomniescontrel’islametlesinsultesauxmusulmans(etquel’Eglise aurait sans aucun doute la possibilité de faire taire si elle le voulait).L’Eglisequiétendsaprotectionàtouslescoptesaégalementcontribuéàaccentuerleur isolement et, de force spirituelle, elle s’est transformée en parti politiquenégociant au nom du peuple copte (notez le choix de l’expression). Par crainted’unemontéedes Frèresmusulmans, l’Eglise aproclamé,par la bouched’undeses importants responsables, sa totale acceptation de l’idée de transmissionhéréditaire du pouvoir du présidentMoubarak à son fils Gamal.Non seulementcettepositionestencontradictionavec laglorieusehistoirenationalede l’Eglise,maisellemetdansundangerextrêmelescoptesquisontainsiprésentéscommedesagentsdu régimecontre le restede leurs compatriotes.Parailleurs, certainsémigrés coptes, n’ayant apparemment rien appris des leçons de l’histoire, ontdécidédesejeterdetoutesleursforcesdanslesbrasdepaysétrangersquin’ontjamaisvoulu lebiende l’Egypteetquiont toujoursagité le thèmede ladéfensedesminorités commeprétexte de leurs convoitises impérialistes. La plupart desrevendications des coptes de l’émigration sont justes, mais elles sontmalheureusement totalement communautaires dans le sens où elles visent à

résoudre les problèmes des coptes séparément des problèmes de la nation. Lescoptes de l’émigration font aujourd’hui le contraire de ce qu’avaient fait leurshonorables ancêtres qui avaient refusé, en 1923, de bénéficier d’unereprésentationproportionnelle. Ilsnedemandentpas la libertéet la justicepourtous les Egyptiens, mais s’obstinent à obtenir pour eux seuls des privilègescommunautaires.C’estcommes’ilsdisaientaurégimeégyptien:“Donnez-nous,ànouslescoptes,lesprivilègesquenousvousdemandons,puisfaitescequevousvoulezaveclesautresEgyptiens.Celanenousconcernepas.”

L’odieux massacre de Nagaa Hamadi ne doit être interprété que d’une seulefaçon:“DescitoyenségyptiensontététuéslejourdelafêtedeNoël2alorsqu’ilsvenaient de prier”. Les innocents qui sont tombés ont été tués alors qu’ilséchangeaientdesvœuxà l’occasiondecette fête.C’étaientdesEgyptienscommevouset commemoiquivivaientavecnous,quiont combattuavecnous,quiontfait couler leur sang pour la défense de notre patrie. Ce sont des Egyptiens quiparlent,quipensentetquirêventexactementcommenous.Ilssontnous.Cen’estpas celuiquia tiré sureuxqui lesa tués, c’estun régimecorrompu,dictatorial,juchécommeunvampiresur lapoitrinedesEgyptiens,quivole leursbiens,quilesopprime,quilespousseaudésespoir,àl’extrémismeetàlaviolence.

Ladémocratieestlasolution.

1Avant lesréformesturquesetégyptiennesduXIXesiècle, lesnonmusulmansétaient tolérésetprotégésdanslessociétésmusulmanes(àladifférencedecequiavaitlieudanslessociétéschrétiennesmédiévales,plusmonolithiques),maiscetteprotectionétaitaccompagnéed’unstatutquin’enfaisaitpas leségauxdeleurscompatriotes.Notonsquesicestatutétaitliéàlareligionofficielle,sonapplicationpouvaitlargementvarierselonlesépoques.

2Cettetuerieeutlieule7janvier2010,lejourduNoëlcopteàNagaaHamadi,unvillagedeHaute-Egypte.

LEPRÉSIDENTOBAMA

PEUT-ILPROTÉGERLESCOPTES?

Lacommissiondes libertés religieusesduCongrèsaméricain, composéedeneufmembresquisont tousdespersonnalitéséminentesdans ledomainede la luttepourladéfensedeslibertés,vaserendreenvisiteauCaire,cettesemaine.TroisdecesmembresontétéchoisisparleprésidentaméricaintandisquelesleadersduCongrès ont sélectionné deux représentants du parti au pouvoir et quatrepersonnesextérieures.

La mission de cette commission est de contrôler le respect de la libertéreligieuse,depenséeetde croyance telque les stipule laDéclarationuniverselledesdroitsdel’homme.Ellenedécidepasdesanctionscontrelespaysquiviolentleslibertéspubliques,maispubliedesrecommandationsdontonsupposequ’ellessontprisesencomptedansladéfinitiondelapolitiqueextérieureaméricaine.

Selonlapresse,lavisitedelacommissiondeslibertésauCaireavaitétédécidéeantérieurement, mais elle acquiert une importance particulière à la suite del’odieuxmassacredeNagaaHamadiaucoursduquelsixcoptesinnocents(etunsoldatmusulman)ontétéassassinés,lesoirdeNoël,pardescoupsdefeutirésauhasard,à lasortiede l’Eglise.Envérité, lavisitedecettecommissionauCaireàcettedatesoulèveplusieursquestions:

Premièrement :uneenquêteouuneétudesurunsujetquelconque,menéeparunecommissionparlementaired’unautrepays,constitueuneviolationflagrantedelasouverainetédel’Etatoùestmenéecetteenquête.

L’Egypte,toutaumoinsofficiellement,n’estniunEtatmembredel’Unionniunecolonieaméricaineet,parconséquent,iln’estpasacceptablequ’unecommissionduCongrès s’arroge le droit de faire des études oudemenerune enquêtedansnotrepays.Nousnousdemandons cequi sepasserait si l’Assembléedupeupleégyptienne formaitune commissionpourenquêter sur les crimesaccomplisparl’arméeaméricaineenIrak,enAfghanistanetàGuantanamo.

L’administration américaine accepterait-elle d’accueillir la commissionégyptienneetluipermettrait-elledepoursuivresoninvestigation?Laréponseest,hélas, connue. Il est déplorable de constater que le régime n’évoque lasouveraineté nationale que lorsque cela lui convient : lorsque les Egyptiensréclament la présence d’observateurs internationaux indépendants pour éviterque lesélections soient frauduleuses, le gouvernement le refuseavec force, sousprétextedesouveraineténationale.

LorsquelegouvernementégyptiencoopèreavecIsraëlpourassiégerunmillionet demi de personnes à Gaza et que certains assiégés, fuyant la mort, tententd’entrerenEgypteafind’acheterlesproduitsdontilsontbesoinpoursurvivre,lesautorités égyptiennes le leur interdisent sous prétexte de souveraineté et leministredesAffairesétrangères,M.AbuelGheit, s’écriequ’il “brisera lesosdetout Palestinien qui traversera la frontière”. Mais alors que les membres de lacommissionaméricainedeslibertésvontparcourirl’Egyptedanstouslessens,àleur guise, et rédiger ensuite les conclusions de leur enquête sur les affaireségyptiennes,niAbouelGheit,nipersonned’autrenepeutdireunseulmotpours’opposeràleurprésence.

Deuxièmement : les objectifs déclarés de cette commission sont grands etnobles,mais,commec’esttoujourslecasaveclapolitiqueétrangèreaméricaine,ily a une immense distance entre l’énoncé et la réalité. Rappelons ici que laprésidentede lacommission,MmeFeliceGaer,estundessoutiens lesplus fortsd’Israël aux Etats-Unis. Elle est connue de longue date pour sa défense dusionisme qui l’a conduite à accuser les organisations internationales (parmilesquelles lesNationsUnies)d’adopterdespolitiques injustesetpréjudiciablesàIsraël. Je ne comprends vraiment pas comment Mme Gaer peut accorder sadéfensedesdroitsdel’hommeavecsadéfensedel’Etatisraélien!

Quepensecettenobledamedesenfantsbrûléspardesbombesauphosphore,àfractionnement et au napalm ? Ce sont là des crimes qu’Israël perpètrerégulièrement,depuis lecarnagedeBahrelBaqarenEgypte, jusqu’auxderniersmassacresdeGaza,enpassantpar laboucheriedeQana.MmeGaerpense-t-elleque faire rôtir la peau des enfants arabes avec des armes interdites par lesconventions internationales est en accord avec les droits de l’homme qu’elledéfendavecsacommission?

Troisièmement : puisque la commission est préoccupée par l’oppression descoptes en Egypte, nous demandons à ses membres : vous intéressez-vous auxcoptes parce que vous défendez les droits de l’homme ou parce qu’ils sontchrétiens ? Si c’est auxdroits de l’hommeque vous vous intéressez, nous vousrappelons que des dizaines demilliers de jeunesmusulmans en Egypte viventdans les oubliettes des centres de détention, depuis de longues années, sansjugement et sans chef d’accusation. Pourquoi la commission ne défend-elle pasaussiledroitàlajusticeetàlalibertédecespersonnesincarcérées?Nesont-ilspaségauxauxcoptesenmatièrededroitsdel’homme?

Que pense la commission des crimes de viols, d’assassinats de civils et detortureimputablesàdesmembresdel’arméeaméricaineenIrak?Vousrestera-t-il du temps pour enquêter sur ces crimes ? Je conseille par ailleurs à lacommissiondeslibertésdequitterimmédiatementLeCairepourallerauNigeriaoù ont eu lieu des massacres intercommunautaires dont ont été victimes desdizaines d’innocents (la plupart d’entre eux musulmans). Je me réfère ici aurapport d’une organisation non gouvernementale neutre et respectable, HumanRightsWatch,quidittextuellement:

“Le19janvier,deshommesenarmeontattaquélevillagedeKourouKaramauNigeriadont laplupartdeshabitantsétaientmusulmans.Aprèsavoirencerclé levillage,ilssesontmisàpoursuivreetàtuerleshabitantsmusulmans.Certainsdeceux-cisesontréfugiésdansdesmaisonsoudanslamosquéeduvillage,maisleshommes en armes les en ont chassés et ont fait de nombreuses victimes dontcertainesontmêmeétébrûléesvives.

Quepenselarespectablecommissiondecesmassacres?Sont-ilsenaccordaveclesdroitsdel’homme?”

Quatrièmement : peut-on défendre les droits de l’homme d’une façonsectorielle ? Peut-on défendre seulement les droits des coptes dans un paysgouverné par un régime dictatorial où sévit l’état d’exception. La réponse estévidente : les droits de l’homme sont toujours indivisibles, mais la politiqueétrangèreaméricaine–commed’habitude–sedistingueparsescontradictionsetparsonhypocrisie.L’administrationaméricaine,pourprotégerses intérêtset lesintérêts d’Israël, apporte son soutien total aux pires régimes dictatoriaux dumonde arabe et elle ferme les yeux sur les crimes qu’ils perpètrent contre leurpeuple, mais en même temps, elle envoie des commissions enquêter surl’oppressiondescoptes.

Cinquièmement:cequiestarrivélesoirdeNoëlàNagaaHamadiestunodieuxmassacreintercommunautairequiaébranlétoutel’Egypte.Lescoptesontledroitd’être en colère et d’exiger que tout soit fait pour qu’une telle boucherie ne sereproduisepas,maisilsdoiventserappelerdeuxchoses:

Toutd’abord, ce régimeégyptienquiaété incapabledeprotéger lescoptesestcelui-làmêmequel’Egliseégyptiennesoutientdetoutessesforces,aupointquelepapeChenoudaainsiqueplusieursautresdesesgrandsresponsablesontdéclaréclairement – et à de nombreuses reprises – qu’ils accueillaient favorablement leprincipedetransmissionhéréditairedupouvoirduprésidentMoubarakàsonfilsGamal(commesinousétionsunélevagedepoulets).

Ensuite,ilestnatureletlégitimequelescoptes,tantàl’intérieurdel’Egyptequ’àl’extérieur,manifestentleurréprobationdumassacre,maisappelerausecourslespays occidentaux et leur demander d’intervenir en Egypte est un comportementinacceptablequientraîneleurcolèreloindeseslimiteslégitimes. Jenecroispasqu’unseulcitoyenégyptien,qu’ilsoitmusulmanouqu’ilsoitcopte,accepterait,enconscience, d’appeler des forces étrangères à intervenir dans son pays, quelqueniveauqu’yaitatteintl’injusticedontilestvictimeetquelquesoitledegrédesonoppositionaurégimeenplace.

TouslesEgyptienssontopprimés.Desmillionsdepauvressontprivésdeliberté,dejustice,dedignité,privésdeleurdroitautravail,aulogement,etauxsoins. Ilest vrai que les coptes affrontent une oppression double, d’abord en tantqu’Egyptienspuis en tant que chrétiens,mais leurs revendications légitimes nepeuventpas être satisfaites endehorsdes revendicationsde lanation.Nousnepouvonspasréclamerlajusticepoureuxseulsàl’exceptiondesautresEgyptiens.

Certainscoptesquienappellentàlaprotectiondesforcesoccidentalessontfautifsà l’égard de la nation, et nuisent ainsi à l’image de l’ensemble de leurscoreligionnaires en les faisant apparaître comme des agents des forcesoccidentales.

Ilsaurontbeauappelerausecours leprésidentObamaoud’autreschefsd’Etatoccidentaux, ils n’obtiendront jamais le respect de leurs droits grâce à uneinterventionétrangère,carlapolitiqueoccidentaleobéitàdesintérêtsetnonàdesprincipes. L’histoire des pays occidentaux est pleine d’exemples de totalesturpitudespolitiques.Souvenons-nousduShahd’Iran,quiavaitpassétoutesavieau service des intérêts des Etats-Unis et que ces derniers ont complètementabandonnédujouraulendemain,lelaissantaffronterseulsondestinfaceaurazdemaréedelarévolutioniranienne.

Les revendications des coptes doivent être nationales et non pascommunautaires.Leurplacen’estpasdanslescouloirsdesministèresdesaffairesétrangères occidentaux. Leur place véritable est ici, en Egypte, avec leurs frèreségyptiensquicombattentpourlajusticeetlaliberté.Lorsquelerégimedictatorialseraanéantietquetous lesEgyptiensaurontarrachéleurdroitnaturelàchoisirlibrement leur gouvernement, lorsqu’il sera mis fin à l’état d’exception et à lafraudeélectorale,àlarépressionetàlatorture,alors,etalorsseulement,touslesEgyptiens,musulmansetcoptes,récupérerontleursdroitsaliénés.

Ladémocratieestlasolution.

L’ÉGYPTEQUIS’ESTÉVEILLÉE

Bienquelegouvernementégyptienaitofficiellementaffectéd’ignorerl’arrivéeenEgyptedeMohamedElBaradei,ilaenmêmetempsenvoyéunmessageclairàlapopulation,enfaisantemprisonnerparleministèredel’Intérieurplusieursjeunesausimplemotifqu’ilsavaientappelélapopulationàallerl’accueillir.

De la même façon, les forces de l’ordre ont fait comprendre qu’elles nepermettraient pas à ses sympathisants d’aller enmasse l’attendre à l’aéroport.Ellesontconfiéavoiràceteffetdéployéseptmilleagentsde lasécuritécentrale.Ces avertissements donnés sous forme de fuites volontaires ont été repris,motpourmot,enpremièrepageparlapresse“indépendante”.

Enprenant connaissancedeces informations lematinmême,alorsque jemepréparaisàpartirpour l’aéroport, j’aipenséquecettecampagnedepresseallaitdissuadermescompatriotesd’alleraccueillirElBaradei.

Ilestvraiqu’allerattendrequelqu’unàl’aéroportnesauraitconstituerundélit,même avec le régime de l’état d’exception sous lequel le président Moubarakgouverne l’Egypte depuis trente ans. Mais depuis quand la police égyptienneaurait-elle besoin d’un chef d’accusation pour arrêter qui bon lui semble ? Lescitoyenségyptienssaventtrèsbienquelsgenresdechâtimentssontpratiquésparlesservicesdesécurité!

Enmaintes occasions, dans le passé, la Sécurité n’avait pas eu de scrupule àperpétrerlescrimeslesplusodieuxpourréprimerlesmanifestations:lescoups,l’incarcération,l’agressionsexuelledesmanifestantes,lerecrutementdevoyousetdecriminelsarméspourfairecoulerlesangdesopposantspendantquelesforcesdel’ordreregardaientsansintervenir…

Sachant tout cela, je me disais que même s’il était certain que les Egyptiensaimaient et soutenaient El Baradei, il fallait tenir compte de la peur qui estindissociabledelanaturehumaine.Jemecuirassaisdoncpournepasêtretriste,sijenedécouvraisqu’unemaigreassistance.

Dèsquej’arrivaiàl’aéroport,jefussaisiparunspectacleinespéré.

Descentainesd’Egyptiens–qui furentbientôtdesmilliers – se retrouvaient làensemble.Ilsn’avaientpaseupeurduterrorismegouvernementalnidesmenacesde l’appareil de sécurité. Ils avaient voulu montrer au monde entier qu’ilssoutenaientMohamedElBaradeietqu’ilsavaientl’intentiondetravailleravecluipourarracherleursdroitsspoliés.

L’extraordinaireaccueilpopulaireréservépar lesEgyptiensà l’anciendirecteurde l’Agence nucléaire internationale, à l’occasion de son retour au pays, est

porteurdeplusd’unsens:

Premièrement : à partir d’aujourd’hui personne ne peut plus accuser lesEgyptiensdepassivité,desoumissionàl’oppressionetd’indifférenceauxaffairespubliques.Aucunedecesexpressionsnetraduitpluslaréalitéégyptienne.

Les milliers d’Egyptiens qui ont vaincu leur peur pour accueillir El Baradei àl’aéroport ne sont pas des politiciens professionnels. La plupart d’entre euxn’appartiennent pas à un parti. Ce sont des Egyptiens tout à fait ordinaires, cesontnosvoisinsounoscollèguesdetravail.Ilssontvenusdetouteslesrégionsetreprésentent toutes les classessociales, certainsdansdesvoituresde luxeetdenombreuxautresenutilisantlestransportspublics.

Il y aparmi euxdesprofesseursd’université, desouvriers, des étudiants, despaysans, des écrivains, des artistes, des maîtresses de maison. Il y a desmusulmansetdescoptes,desfemmestêtenueetd’autresrevêtuesd’unvoileoud’unniqab. Ces Egyptiens, en tous points différents, sont tous d’accord pour lechangement,tousd’accordpourleretouraudroitetàlaliberté.

L’opinion publique égyptienne, qui n’était qu’une formule hypothétique estdevenueune véritable force populaire dont l’importance s’accroît chaque jour etquis’estmanifestéeavecunmaximumd’intensitélejourdel’accueild’ElBaradei.

Deuxièmement : je félicite le docteur El Baradei pour la confiance que lesEgyptiensontenlui,maisjemesureégalementl’ampleurdelaresponsabilitéquia été placée sur ses épaules. Lesmilliers de personnes qui ont attendu toute lajournéepourl’accueillir,sont,defait,lesdéléguésdemillionsd’autresquil’aimentetquiontconfianceenlui.Jemetenaisaumilieudelafoule,lorsques’approchaunedameâgéequidemandaàmeparleràl’écart. Jem’isolaiavecelleetellemeditàvoixbasse:

—“Croyez-vousquelegouvernementpuissefairedumalàM.ElBaradei?”

Aprèsquejeluieusditquec’étaitimprobable,ellesoupira,rassurée:“QueDieuleprotège.”

Pour desmillions d’Egyptiens,Mohamed El Baradei est devenu le symbole del’espoird’unchangement,aupleinsensduterme.Lesslogansquiontjaillicommeun rugissement – “Baradei, la foule est là, tu ne partiras pas” – reflétaientclairementlaconfianceenluidecescitoyens,persuadés,etmoiaveceux,qu’ilnelestrahirajamais.

Troisièmement : le phénomène le plus réjouissant dans cet accueil estl’extraordinaire travail accompli par des milliers de jeunes des deux sexes, laplupartétudiantsoudiplômés.CesonteuxquiconstituentlesoutienprincipaldeMohamedElBaradei.Ilssontlessoldatsinconnusdecetaccueilhistorique.

IlsontconstituésurFacebookdesgroupesdesoutiendontcertainsontatteintlechiffre de soixante-dix mille adhérents. Ils ont très bien organisé l’accueil enutilisant, sur Internet, un vaste et efficace réseau de communication auquel lasupérioritétechniquedesesmembresdonnaitlasuprématieabsolue.

Ilsonttoutpréparédesjoursavantlaréception: ilsontdistribuédesplansdel’aéroport avec des explications précises sur les moyens d’y parvenir par lestransportspublicsetenvoiture.Ilsontégalementprévuunplandesecours,aucasoùlasécuritéleurinterdiraitd’entrer,etilsontouvertunehot-lineàcontacterparlespersonnesarrêtées.

Lesnomsdesorganisateursdecetaccueilméritentd’êtreinscritsenlettresd’or.Ilfautciter:lepoèteAbderrahmaneYoussef,WahbaAaloua,AhmedMaher,AmrAli, Bassem Fethi, Nasser Abdelhamid, Abdel Moneem Imam, ainsi que desdizaines de leurs camarades qui ont vraiment offert un exemple insigne decourage,d’action,d’organisationetd’efficacitéauservicedelanation.

Quatrièmement : les services de sécurité ont dès le début décidé de ne pasaffronter lesmanifestants.D’abord, parce que lesmédias internationaux étaienttousprésentsàl’aéroportetquelerégimenevoulaitpasavoiràpâtirduscandalequ’aurait provoqué l’agression de citoyens venus attendre une personnalitérespectableetmondialementreconnue.Ensuite,parcequelesservicesdesécuritéétaient persuadés que les Egyptiens auraient peur de leurs menaces et desarrestations et que, par conséquent, l’assistance serait dérisoire. Les forces desécuritén’empêchèrentdoncpaslaformationd’uncomitéd’accueil,maislorsquecelui-ci atteignit le chiffre de plusieurs milliers de participants, les policierscommencèrent à importuner les personnes qui pénétraient dans l’aéroport,interdisant l’entréeà tous ceuxqui transportaientdespancartesde soutienàElBaradei, ainsi qu’à tous ceux dont ils estimaient qu’ils étaient venus pourl’accueillir.

Lorsque l’avion de l’ancien fonctionnaire international atterrit, le hall étaitentièrementremplidemanifestantsquiscandaientdesslogansetreprenaientdeschantspatriotiques.Lesforcesdel’ordreempêchèrentalorsElBaradeidesortirenfermant lesportes,sousprétextedeveilleràsasécurité.Ellesn’avaientpourtantpas besoin de cela pour assurer sa protection : cette interdiction étaitfondamentalementunedécisionpolitique.Lasortied’ElBaradei,aumilieudescrisdemilliersdesespartisansetsous le regarddesmédiasoccidentaux,étaitplusquelerégimenepouvaitsupporter.

Unresponsabledelasécuritél’exfiltradoncparuneautreporteéloignéedeceuxqui étaient venus l’accueillir, mais l’ancien directeur de l’Agence nucléaireinternationalefitpasseràcesderniersparl’intermédiairedesonfrère,ledocteurAli, lemessagequ’il allait venir les saluer. Lesmilliers departicipants restèrentdonc jusqu’à ce qu’apparaisse la voiture d’El Baradei qui put constater par lui-mêmelesincèreenthousiasmequ’ilsuscitaitauprèsdesgens.

Vendredidernierfutundesplusgrandsjoursdemavie.Cejour-là,j’airessentiquej’appartenaisvraimentàunenationmerveilleuse.Jemesouviendraitoujoursde l’atmosphèrede sincérité et d’enthousiasmequi régnait. Jen’oublierai pas lespectacle de milliers de manifestants criant “Vive l’Egypte”, chantant “Biladi,biladi”etpleurantparfoisd’uneémotionqu’ilsneparvenaientpasàcontrôler.

Je n’oublierai pas ceux qui discutaient avec ardeur de ce que devrait faire ElBaradei à son arrivée au Caire. Ils se parlaient d’une manière affectueuse etfamilière,commedesamis,alorsqu’ilsserencontraientpour lapremièrefois. Jen’oublieraipascethommevenuavecsonépouse,portantsurlesépaulessapetitefilleauxcheveuxtressés,quiprenaitunephotographied’ElBaradei.

Je n’oublierai pas ceux qui distribuaient de l’eau minérale et des boissonsfraîchesà l’assistance. Jen’oublieraipas ladignedamevoilée, labonnemèredefamilleégyptiennequiavaitapportéplusieursboîtesdedattesdepremièrequalitéet les ouvrait l’une après l’autre pour les distribuer à tous les gens qui setrouvaient là et qu’elle ne connaissait pas. Lorsque l’un d’eux refusait, elle leregardaitd’abordd’unaircourroucé,puiselleluidisaitensouriant:

— Il fautquevousmangiezquelque chose.Vousêtesdeboutdepuis cematin.Vousdevezavoirfaim.ParleProphète,prenez-enune.

Celaestl’Egyptequis’estréveillée.

L’Egyptequepluspersonne,àpartird’aujourd’huinepourraasservir,humilierouopprimer.

Ladémocratieestlasolution.

L’HISTOIREDEMAMDOUHHAMZA

LedocteurMamdouhHamzaestl’undenosplusgrandsprofesseursd’ingénierie.Il a supervisé l’exécution de dizaines de grands projets en Egypte et dansdifférents autres pays du monde, parmi lesquels les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Japon. Le propos n’est pas de citer ici tous les importants prixinternationaux qu’il a obtenus. Même si c’est un vrai sujet de fierté pour lesEgyptiensainsiquepourl’ensembledesArabes.

Mais, outre ses compétences professionnelles, ce grand homme a un sensprofonddesondevoirpublic. Ilcroitque lesavoir impliqueuneresponsabilitéàl’égarddel’humanité.Ilrépètevolontiersqu’ilaétudiéàl’universitéduCaire,auxfrais des Egyptienspauvres et qu’il est de sondevoir de consacrer sa science àaiderlespauvres,danslamesuredupossible.Aprèslesdernièresinondationsquiravagèrent la province d’Assouan et déplacèrent des milliers de citoyensmisérables,ledocteurHamzaéprouvalanécessitédefairequelquechosepourlesvictimes.Ilapparutàlatélévisionsurunechaîneeuropéenne,avecleprofesseurAmrouAdib,etdéclaraqu’ilétaitprêtàbâtir,bénévolement,desmaisonspourlesindigents qui avaient été chassés de la leur. Les dons qui affluèrentimmédiatementatteignirentlasommedevingt-huitmillionsdelivres,quifurentplacés sur le compte de l’association caritative Care, pour le financement de ceprojet.

Pleind’enthousiasme,ledocteurHamzalaissadecôtélestravauxdesonbureaud’étude privé au Caire et alla à Assouan pour suivre lui-même, à ses frais, lestravaux de construction. Comme il fallait s’y attendre, le général MustaphaEssayed, gouverneur d’Assouan, l’accueillit très chaleureusement et le remerciades efforts et du temps qu’il consacrait aux déshérités, puis il donnaimmédiatement l’ordre d’accorder un terrain pour la réalisation du projet. Il seravisa ensuite et remplaça ce terrain par un autre, plus désertique, sur lequel ilétait difficile de construire, mais le docteur Hamza qui est un spécialiste de lamécaniquedes sols etde l’ingénieriedes fondationsaccepta ledéfi. Il parvint àrésoudre leproblèmede ladifficultédu terrainetà le rendrepraticable.En troissemaines,c’est-à-diredanslestempsprévus,ilconstruisitvingt-neufunitésdontil réduisit le coût au chiffre sans précédent de trente-cinqmille livres. Le grandingénieur espérait que son projet pourrait s’étendre à toutes les provincesd’Egypteafind’abriterlesmillionsd’Egyptiensquiviventdansdeszonesd’habitatprécaire,dansdesconditionsinhumaines,sansservicespublics,niélectricité,niégouts.

Letravailallaitbontrainettoutauguraitdusuccèsduprojetlorsque,toutàcoup,lesventstournèrentet,bienloindesproposrespectueuxetdeslouangesdudébut,

le gouvernorat d’Assouan se retourna totalement contre Mamdouh Hamza. Ilrefusa de fournir de l’eau, d’accorder des permis de construire, de payer lessalairesconvenusauxmaçons.Ilgelaégalementlesdonationsdesparticuliers,etmenaçal’associationcaritativeCaredesanctionsgraves,sielleversaitaudocteurMamdouh Hamza la moindre part des donations effectuées par les Egyptiens,parcequ’ilsavaientconfianceensacompétenceetsondévouement.L’affaireallamêmejusqu’àl’interventiondelapolice,quiarrêtalesingénieurset lesouvrierspendantleurtravailsurleprojet,occupalesite,eninterditl’entréeauxouvriersetrefusaderédigerunétatdeslieuxàl’intentiondeMamdouhHamza.

C’estainsiquecedernierdevintl’enneminuméroundugouverneurd’Assouanquiinvitaplusieursingénieurs(tousanciensélèvesdudocteurHamzaàlafacultéd’ingénierie) à rédiger des rapports assurant que les logements construitsprésentaientdesmalfaçons.Laplupartdesingénieursrefusèrentd’agircontreleurconscience et rédigèrent des rapports élogieux sur ce qu’avait réalisé leurprofesseur.Lerésultatfutquelegouverneurcachasesrapportsquin’allaientpasdanssonsens.

Finalement le gouverneur d’Assouan transféra l’affaire au parquet, ce qui estvraiment étrange : pourquoi, en effet, le parquet enquêterait-il sur le docteurMamdouhHamzaquin’estpasnicriminelniunvoleur?C’estungrandsavantégyptien qui a voulu servir son pays en faisant cadeau de son temps, de sonargent et de ses efforts. Malheureusement, il ne nous est pas possible d’êtreoptimistessurlessuitesdecetteenquêtecar,enEgypte,lesprocureursnesontpasindépendantsdupouvoir.

Laquestionquiseposeestdesavoirpourquoilerégimeégyptiens’estretournécontreMamdouhHamzaavecuntelacharnement,aprèsluiavoirfaitbonaccueilaudébut?Lesraisonssontlessuivantes:

Premièrement:lesunitésd’habitationréaliséesparMamdouhHamzasontd’uncoûtextrêmementmodeste.Chacunenecoûtequetrente-cinqmille livres, tandisque les logements réalisés par le gouvernorat reviennent à quatre-vingt millelivres.

La différence entre les deux chiffres va dans les poches des grandsentrepreneursquibénéficientdeleursrelationsnombreusesetlucrativesaveclesdifférents services de la sécurité d’Etat. Ces entrepreneurs considèrent que lesuccès de Mamdouh Hamza peut donner naissance à un nouveau modèled’habitat populaire, susceptible de se généraliser et de diminuer ainsi leursbénéfices de plusieursmillions, ce qui représente une gravemenace pour leursintérêts.Pourévitercela,ilsferonttoutcequiestenleurpouvoirpourfaireavorterleprojetdudocteurHamza.

Deuxièmement:lesprojetsréalisésparlegouvernoratsontinaugurésparMmeSuzanneMoubarak, l’épouseduprésidentde laRépubliqueetcelan’arrangepasdu tout les responsables que Mme Moubarak inaugure leurs logements pourpauvresàcoûtsexorbitantsalorsqueMamdouhHamzaréussitàenconstruirede

meilleursàmoitiéprix.Peut-êtreleshautsresponsablesfont-ilsdescauchemars,à l’idée queMmeSuzanneMoubarak entende parler de la réussite du projet deMamdouhHamzaetqu’elleleurposecettequestionlogique:“CommentledocteurHamza réussit-il à construire des logements pour les pauvres avec lamoitié duprixquevousprenez?”

Troisièmement : le succès de Mamdouh Hamza prouvera ses qualités degestionnaire,enplusdesescapacitésreconnuesdansledomainedel’ingénierie,cequi,aupremierremaniementministériel,seraitsusceptibledemettresonnomenbonneplacesurlalistedescandidats.Cettesimpleéventualitésèmelafrayeurparmi lesministresqui tremblentpour leurspostes. IlsconsidèrentdoncHamzaouquiconqueayantsacompétencecommeundangereuxconcurrent.

Quatrièmement:leprojetdeMamdouhHamza,totalementfinancéparlesdonsdescitoyens,nerelèved’aucuneentitégouvernementaleouparagouvernementale.Ce modèle, qui a réussi, est susceptible d’être appliqué dans l’ensemble desgouvernorats égyptiens, cequi contribuerait à fairenaîtreunevolontépopulairequi défierait le gouvernement en montrant qu’elle est capable de réaliser desprojetsmeilleurs que les siens. Or le régime égyptien, comme tous les régimesdictatoriaux, n’est absolument pas rassuré par l’idée d’une volonté populaireindépendante, même si l’affaire ne concerne que la construction de logementspour les pauvres, car ceux qui se réunissent aujourd’hui pour construire leurslogements avec leurs propres fonds et leurs propres efforts se réuniront, à coupsûr,demainpourréclamerleursdroitspolitiquesfoulésauxpieds.

L’histoiredeMamdouhHamzaabeauêtredésespérante,elleestégalementutile,etjeladédieàtousceuxquicroientpossibledeparveniràlarenaissancedenotrepayssansattendre la réformepolitique.Certainespersonnesbien intentionnéess’imaginentquesichaqueEgyptienfaisaitdeseffortsdanssondomaine,l’Egypteprogresserait sansqu’unchangementdémocratiquesoitnécessaire.Cettevisionestsansdoutedebonne foi,maisexcessivementnaïve, carellesupposeque leseffetsde ladictaturesont limitésauparlementetaugouvernement.Lavéritéestqueladictature,commelecancer,commenceparlepouvoirpolitiqueavantdeserépandreàtoutl’appareild’Etatqu’elledétérioreetparalyse.

Ladictatureconduit inexorablementà lacorruptiondel’Etatetcettecorruptionentraîne immédiatement la constitution, à l’intérieur du régime, de mafiasinfernales qui, par la corruption, amassent des fortunes considérables et sontprêtes à se battre avec férocité et à détruire n’importe quel individu, n’importequelleidée,n’importequelprojet,pourprotégerleursacquis.

Ajoutons à cela que le régime dictatorial fait passer l’allégeance avant lacompétenceetque,parconséquent,iloctroielespostesàsesloyauxaffidésquinesont généralement pas capables, en toute objectivité, d’assumer leursresponsabilités et qui, de ce fait, voient avec appréhension apparaître unequelconque compétence véritable, susceptiblede leur enlever leurposte.De cettefaçon,lerégimedictatorialdevientuneredoutablemachineàécarter,àcombattreet à opprimer les talents et les personnes compétentes, enmême temps qu’elle

attire les ratés et les incompétents, à condition qu’ils chantent les louanges duPrésident et de ces grandioses réalisations. Tout cela conduit finalement àl’effondrementdel’actiondel’Etatdanstouslesdomainesjusqu’àcequelepayssombredansl’abîmecommec’estlecasdel’Egypte.

CequiestarrivéaudocteurMamdouhHamzaestexactementcequiestarrivéauparavantaudocteurAhmedZouailainsiqu’àtouslesEgyptienstalentueuxquiontessayédefairequelquechosepouraiderleurpays.Toutcelaconfirmeunefoisdeplusqueladélivrancedel’Egypteducauchemaroùelleestplongéeneviendrapasd’entreprisesindividuelles,quelsquesoientl’enthousiasmeetledévouementde ceux qui en prennent l’initiative. Toute tentative de réforme en dehors duchangementdémocratiquen’estqu’uneperted’énergieetdetemps.

Ladémocratieestlasolution.

QUITUELESPAUVRESENÉGYPTE?

Le professeur Mohamed Fathi, brillant journaliste et écrivain doué, estdernièrementalléenvacancesàAlexandrieavecsesdeuxenfants,sonépouseetNashwa, lasœurdecettedernière.Leurséjourfut trèsagréable jusqu’aujouroùsurvint un fâcheux accident : une voiture qui roulait trop vite heurta Nashwa,alors qu’elle traversait la rue. Blessée, les os fracturés, les vêtements déchirés,celle-ci perdit connaissance. Comme elle se trouvait seule au moment del’accident,despassants la transportèrentà l’hôpital ElAmiri,prèsde lagaredeRamleh.Toutjusqu’icisemblenormal:unepersonnevictimed’untraumatismeàlasuited’unaccidentdelarouteesttransportéeàl’hôpitalpouryêtresoignée.Cequisepassaensuitedépassel’imagination.

Lablesséefut jetéeaumilieudedizainesd’autresdansunlieuportant lenomd’“Unitédesoinsd’urgenceAwatefelNajjar”.Nashwayrestadeuxheuressanssoinsetaucunmédecinnevintl’examiner.MohamedFathiarrivaàl’hôpitaletiltrouvasabelle-sœurpresqueàl’agonie.Ildemandaunmédecinpourl’ausculter,mais personne ne lui prêta attention. Comme le temps passait et face àl’indifférence des employés de l’hôpital, Fathi perdit son sang-froid et semit àcrierauvisagedetousceuxqu’ilrencontrait:

—Nousavonsbesoind’undocteur,jevousensupplie,lamaladeestentraindemourir.

Aucunmédecinneréponditàsonappel.Enrevanche,unpoliciervintinformerMohamed Fathi que sa présence à côté de Nashwa était interdite parce qu’icic’était la sectiondes femmesetqu’iln’étaitpaspermisauxhommesd’yentrer.Arguant de sa position de journaliste, Fathi les menaça de rendre publics tousleurscrimescontrelesmaladespauvres.C’estalorsseulement,troisheuresaprèsl’arrivée en piteux état de la patiente à l’hôpital, qu’un jeune médecin apparutpourl’ausculter,puisill’abandonnaànouveausurplace,aprèss’êtrecontentédedéclarer qu’une radio était nécessaire. Après toute une série de coups de fils,MohamedFathiparvintàentrerencontactavecledocteurMohamedelMardani,ledirecteurdel’hôpital,quiparutextrêmementmécontentqu’ons’adresseàluipouruneaffaireconcernantlesmalades.AvantmêmequeFathin’aitouvertlabouche,illuiditsuruntondepersiflage:

—Quepuis-jefairepourleservicedevotreExcellence?

Fathi l’informaque lasœurdesa femmeétaiten traindemourir,abandonnéedepuistroisheuressansassistancedanssonhôpitaletqu’onneluiavaitmêmepasfaitderadio.LedocteurMaradaniluiditalors:

—C’esttoutàfaitnormald’attendrepouruneradio.Mêmesivousétiezdansunhôpital privé et si vous aviez payé les honoraires dumédecin, il vous faudraitpeut-êtreattendre.

Le directeur voulait par cesmots rappeler à Fathi que Nashwa était prise encharge gratuitement et que, par conséquent, sa famille n’avait à se plaindre derien.Fathiparlaabondammentd’humanitéetdudevoirdumédecind’assisterlesmalades et, après un long échange entre lui et le directeur (qui, apparemment,dirigeaitsonhôpitalàdistancepar téléphone),cedernierdonna l’ordreque l’onfassepasseruneradioàNashwa.Survintalorsunnouveauproblème.Unhommedeménages’approchadelajeunefemmedont l’étatavaitnettementempiréet ilvoulutlatransporterdanssesbrasauservicedelaradiographie.

Mohamed Fathi s’interposa, parce que le transport d’un malade qui a desfractures nécessite un brancardier expérimenté. Manipuler sans précaution lecorps d’un blessé peut provoquer sa mort. Mais les employés de l’hôpital semoquèrentdecesidéesétranges:

—Unbrancardier?Onn’apasçacheznous !Oubienc’estcetemployéqui latransporte,oubiennouslalaissonsoùellesetrouve.

L’hommedeménages’écriaens’approchantdelapauvremalade:

—Allons-y,àlagrâcedeDieu…Soulevons,soulevons!

Etillatirasiviolemmentqu’onentenditsescrisd’unboutàl’autredel’hôpital.Finalement,Nashwapassaauscanner,puisensortitpourallerverslaradio.C’estalorsqu’entraenjeulepréposéàceservicequi,del’avisdetouteslespersonnestravaillant à l’hôpital, était toujours de mauvaise humeur et se comportaitgrossièrementaveclesmaladesqu’iltraitaitd’unefaçonméprisante.Siceux-cineluiplaisaientpas,illeurannonçaitquel’appareilétaitenpanneetilnefaisaitpasde radio, quelle que soit la gravité de leur état. De plus il arborait la barbe dessalafistes.Commelepréposés’attardaitdanssonlocal,Fathiallaplusieursfoisleprierdevenirfairelaradio.Ilfinitparsortirencriantàceuxquisetrouvaientlà:

—Quelesfemmespartent!Jeneveuxpasdefemmeici.

L’épouse de Fathi essaya de lui faire comprendre qu’elle était la sœur de lapatiente,maisilinsistapourqu’ellesorte.IlautorisaenrevancheFathiàresterensaqualitédemahram1,puisilpritviolemmentlebrasdelapatienteetlorsqu’ellesemitàhurler,illuicriad’untonirrité

—Baisselavoix.Jeneveuxpast’entendre.

Mohamed Fathi se trouvait dans une position difficile. Se disputer avec lepréposé barbu ferait perdre àNashwa toute chance de passer une radio, ce quipouvaitentraînersamort.Ileutrecoursàunerusepourplaireaupréposé:ilsemitàparleràlapatienteenemployantdesexpressionssalafistes:“tun’oublieraspas de remettre sur tes cheveux ton voile que nous avons oublié dehors…Maalesh,masœur…queDieu t’accordesesbienfaits…récite leCoran,ma fille…

que Dieu t’assiste, que Dieu t’accorde ses bienfaits, que Dieu t’accorde sesbienfaits.”

Leplanréussitetlepréposés’adoucit.Satisfaitparsapatiente,illuifitsaradio.

Comptetenudetoutecettenégligenceà la limiteducrime, ilauraitéténaturelqueNashwameureàl’hôpitalpublicElAmiri,maisDieuavaitvouluprolongersesjoursetMohamedFathiparvint,d’unefaçonpresquemiraculeuse,àlatransporterdansunhôpitalprivéoùonluifitenurgenceuneopérationquiluisauvalavie.Cesfaitsquim’ontétéracontésendétailparl’intéresséapportentd’eux-mêmeslaréponseàlaquestiondesavoirquituelespauvresenEgypte.

La responsabilité dumeurtre desmaladespauvresdans leshôpitauxde l’Etatdépasse le ministre de la Santé pour remonter jusqu’au président de laRépublique.L’originede latragédiede l’Egypte,c’est leprésidentMoubarakqui–avectoutmonrespectpourlui-mêmeetsesfonctions–n’aétééluparpersonneetn’adecompteàrendreàpersonne.Decefait,ilneressentpasvraimentlebesoinde satisfaire les Egyptiens et se préoccupe peu de l’opinion qu’ils ont de sonaction.Ilsaitquesonpouvoirreposesurlaforceetquesesénormesservicesderépressionsontcapablesdechâtiertoutepersonnequitenteraitd’yporteratteinte.

CePrésident,quis’estplacéau-dessusdetoutcontrôleetquiestaucœurd’uneforteresse le protégeant contre tout changement, choisit ses ministres ou lesrenvoiesansavoiràdonnerd’explicationsà l’opinionpublique.Parconséquent,ces ministres sont responsables devant lui seulement et non pas devant lesEgyptiens.LeurseulepréoccupationestdesatisfairelePrésidentetilsn’attachentaucuneimportanceauxconséquencesdeleurpolitiquesurlesgens.Peut-êtrefaut-ilrappelerlafaçondontleministredelaSantéHatemelGebali,responsabledelamort de centaines de malades dans ses hôpitaux déplorables, abandonna toutpour rester des semaines assis au chevet du chef de l’Etat, pendant son séjourmédicalenAllemagne.

PourleministredelaSanté,lasantédesonExcellencelePrésidentestmillefoisplusimportantequelaviedesmaladespauvres,carc’estluiseulquialepouvoirde ledestitueràn’importequel instant.C’estdanscecontextede totalecoupureentrelepouvoiretlesgensqu’ilfautplacercecasexemplaire–etrécurrentdansl’administration égyptienne – du directeur de l’hôpital qui est parvenu, d’unefaçonoud’uneautre,àsatisfaireseschefsetsetrouvedoncprémuni,àsontour,detoutcontrôle.Ilneprendmêmepaslapeinedeserendreàsonhôpitaldontilassure la gestion par téléphone, et il traite les malades pauvres comme desimportuns qui sont un poids pour lui et pour la société. C’est aussi dans cecontextequ’il fautvoir ladernièreaberration,celleducomportementdupréposéauservicede radiologie, lui-mêmeunpauvre,unmalheureux, toutaussi frustréque lesmalades. Chez lui, le sentiment demisère se transforme en agressivitécontrecesderniers.Il jouitdupouvoirqu’ilasureuxetdeceluideleshumilier.Parailleurs, la foi se réduitpour luià sonapparenceextérieure –uneaffairedevêtementsetdeculte,bienéloignéedesvaleurshumaines,commel’honnêtetéetlacharité,quisontpourtantcequelareligionadeplusimportant.

Cecercleinfernal,quicommenceparladictatureetconduitàlanégligenceetàlacorruption,seretrouvetous les joursenEgypteavecpourrésultat l’assassinatd’unnombretoujoursplusgranddepauvres.Cequiestarrivéàl’hôpitalpublicElAmiriestexactementdumêmeordrequecequiarriveauxdizainesd’immeublesquis’effondrentsurlatêtedeleurshabitants,oucequiarriveauxferry-boatsquicoulent ou aux trains qui brûlent. Il est triste que le nombre de victimes de lacorruption et de la négligence, en Egypte, soit supérieur à celui des victimes detouteslesguerresquel’Egypteamenées.C’est-à-direquelerégimeégyptienatuéplusd’Egyptiensquen’enatuésIsraël.Cen’estpasenmutantundirecteurouenpunissant un agent que l’on pourra mettre un terme à ces crimes odieux,perpétrés chaque jour contre les pauvres. Lorsque le Président et sesministresserontélusetsoumisaucontrôledupeuple,alorsseulementilssepréoccuperontdelavie,delasantéetdeladignitédesEgyptiens.

Ladémocratieestlasolution.

1Voirnote,p.36.

LASOUMISSIONNOUSPROTÈGE-T-ELLE

DEL’OPPRESSION?

On raconte qu’un fermier devenu très riche avait acheté un grand bateau (unmodèle qu’on appelle à la campagne une dahabiya1), puis il avait revêtu desvêtementsélégantsetcoûteuxets’étaitassissursonembarcationquiflottaitsurleNil.C’estalorsque l’aperçut lepropriétairede la terredont ilétait le locataire.Cet homme fat et au cœur dur donna un ordre à ses employés et ceux-ci firentirruption sur le bateau, s’emparèrent du paysan et le lui amenèrent. Voici leurdialogue:

—Lepropriétaire :Depuisquand lespaysansnaviguent-ilssurdesdahabiyasneuves?

—Lepaysan :C’est làunbienfait quimevientdevotremiséricorde,devotrejustice et de votre bienfaisance, Monseigneur. C’est une chose qui doit vousréjouir,carelleestdueàvotreobligeanceetàvotrebonté.

—Lepropriétaire:Commentlespaysansosent-ilsessayerderessembleràleursmaîtresennavigantsurdesdahabiyas?

—Lepaysan :QueDieumegarded’essayerde ressembleràmesmaîtres.Quisuis-je ? Un de vos esclaves ! Et, en fin de compte, tout ce que je gagne vousappartient.

—Lepropriétaire:Situneveuxpasnousressembler,pourquoias-tuachetéunedahabiyaneuvepournaviguersurleNilcommeunhommepuissant?Est-cequetuveuxquelespaysans,entevoyant,croientquetuesquelqu’und’important?

—Lepaysan:Qu’àDieuneplaise!Sivousvoyezquelquechosedemaldansceque j’ai fait, jeprendsDieuetsonProphèteà témoinque jenemonterai jamaisplus sur cette dahabiya. Je vous demande humblement pardon,Monseigneur. Jevouspried’acceptermesexcuses.

—Lepropriétaire:Tesexcusessontacceptées,maisjevaistedonneruneleçonquitedissuaderapourtoujoursderecommencer.

Le propriétaire donna un ordre à ses employés qui attachèrent le paysan, lejetèrentausolenmaculantdefangeseshabitsneufsqu’ilsdéchirèrentavantdelefrapper jusqu’à ceque le sang coulede sanuque, de ses jambes et de sondos.Pendantcetempslepropriétairerépétaitenriant:

—Commeça,tun’oublieraspastonhumblecondition,paysan!

Ces faitsquisesontdéroulésdansunvillaged’Egypte,audébutduXXe siècle,ontétéracontéspar legrandécrivainAhmedAminedanssontrèsbeaulivre, leDictionnaire des coutumes et des traditions égyptiennes, publié par Dar elShorouk, et sont, àmon avis, un archétype des relations qui existent entre undespoteetsesvictimes.Cepaysan,sansaucundoute,savaitqu’ilavaitledroitdenaviguer sur une dahabiya, puisqu’il l’avait achetée avec son argent et il savaitégalementqu’ilavaitledroitdes’habillercommeilvoulait.

Lepaysansavaitqu’iln’étaitpasfautif,maisiltrouvaplussagedeprésenterdesexcuses au propriétaire de sa terre et de lui demander pardon d’un péché qu’iln’avaitpascommis.Lepaysanserabaissaexagérémentpouréviterdesavanies,mais, après avoir fait bon marché de sa dignité, il reçut son lot de coups etd’humiliations.Nousvoyonsainsiquelasoumissionn’empêchepaslesavanies.Si le paysan s’était courageusement dressé face au propriétaire de la terre pourdéfendresondroitd’êtretraitécommeunepersonnehumaine,ilauraitaumoinspréservésadignitéetcequiluiseraitarrivé,s’ilavaiteuuneattitudecourageuse,n’auraitpasétépirequecequ’ilarécoltéavecuneattitudesoumise.

J’aitoujourscetteidéeentêtelorsquej’observecequisepassedenosjoursenEgypte. Des générations entières ont grandi avec la ferme conviction que lasoumission à l’oppression était le sommet de la sagesse et que se courber ous’abaisserdevantceluiquiavaitlepouvoirétaitlemeilleurmoyendeseprémunircontre ses méfaits. Les Egyptiens ont longtemps cru que s’opposer au régimedictatorialétaitunestupiditéquin’amélioreraitabsolumentpaslasituation,maisau contraire ruinerait l’avenir de toute personne qui adopterait cette attitude enentraînantsonarrestation,satortureetpeut-êtresonexécution.

LesEgyptiensontcruquelacoexistencepacifiqueaveclepouvoiroppressiflesmettrait à l’abri de ses forfaits et ils ont espéré que l’énorme appareil derépression que possède le régime se mettrait seulement en mouvement pourécraser ses opposants, mais qu’il ne porterait pas préjudice à ceux qui secourbent, se soumettent et se contentent de manger leur pain et d’élever leursenfants. Ils se rendent compte maintenant, pour la première fois depuis deslustres, que la soumission, l’abandon de ses droits, l’humiliation, tout celan’empêcheabsolumentpaslesavanies,maissouventaucontrairelesdécuple.

LejeuneKhaledMohamedSaïd,d’Alexandrie,n’avaitjamaiseuaucuneactivitépublique,iln’étaitmembred’aucundesFrontsoudesmouvementsquivisentauchangement de régime. Peut-être même n’avait-il jamais participé à unemanifestation de sa vie. Khaled était un jeune Egyptien complètement pacifiquequi rêvait, comme des millions d’autres, de fuir par tous les moyens son paysoppressif pour aller s’installer dans n’importe quel endroit où il pourrait vivredanslalibertéetladignité.

Il attendait d’obtenir un passeport américain, comme ses frères, pour quitterl’Egypte à jamais. Un beau soir, il alla au café Internet pour y passer quelquesheures,commelefontdesmillionsdepersonnesquin’ontpascommisdecrimenid’infractionsàlaloi.Dèsqu’ilentradansleclub,deuxindicateursdelapolice

sejetèrentsurluiet,sansunmot,semirentàlefrappersauvagement,encognantaussi fort qu’ils pouvaient sa tête contre le rebord de la table demarbre. Ils letraînèrentensuiteendehorsducaféetentrèrentdansunimmeublevoisinoùilscontinuèrent à le frapper et à lui cogner la tête contre la porte de fer du hall,jusqu’àcequ’ilssoientparvenusàleursfins.

LecrânedeKhaledsebrisaentreleursmains.Quellequesoitlacausevéritablequisetrouvederrièrececarnage,quelsquesoientlescommuniquéssuccessifsduministère de l’Intérieur pour expliquer le crime – qui se révélèrent tousmensongers – lamorale que l’onpeut clairement tirer de ce drame, c’est que lasoumissionn’estpluscapabledeprotégerlesEgyptienscontrelarépression.

Khaled Saïd a été frappé de la même façon que le sont les jeunes quimanifestentpourlaliberté.Sansaucunedifférence.LarépressionenEgyptenefaitplusladistinctionentrelesmanifestantsetceuxquisontassisdanslescafésouentraindedormirchezeux.

Lasauvageriede l’assassinatdeKhaledSaïdet le faitquesesassassinsaientéchappéàtoutchâtimentmontrentquen’importequelofficierdepoliceoumêmen’importe quel indicateur peut tuer qui il veut : les services de la dictature semettent immédiatement en mouvement avec un grand luxe de moyens, en seprévalant de l’état d’exception et de l’absence d’indépendance des juges, pourinnocenterl’assassin.

Les millions d’Egyptiens qui ont pleuré lorsqu’ils ont vu la photographie deKhaledSaïd,lecrânebrisé,levisagedéchiqueté,lesdentsarrachéesàlasuiteducarnage, ne pleuraient pas seulement par sympathie pour lemartyr et pour sapauvre mère, mais parce qu’ils imaginaient que les visages de leurs enfantspourraient,unjour,setrouveràlaplacedelaphotographiedujeuneAlexandrin.LaphotographiedulivretmilitairedeKhaledSaïdetcelledesoncadavredéfiguré,publiéescôteàcôte,danslesjournaux,reflètentunetristeréalité:L’Egyptefaitàsesenfantscequeneleurontpasfaitsesennemis.

LedestindeKhaledSaïdpeutêtreceluiden’importequelEgyptien.Iladéjàétéceluidecentainesdemilliersdepersonnes:ceuxquiontéténoyésdanslesferry-boatsde lamort, ceuxdont les immeubles se sont effondrésau-dessusde leurstêtes, à cause de permis obtenus par la corruption ou de matériaux deconstructions défectueux, ceux qui sont morts de maladies causées par desalimentsaltérésimportéspardepuissantspersonnages,ceuxquisesontsuicidésparce qu’ils désespéraient de l’avenir, et tous les jeunes universitaires qui ontessayédefuirpourallernettoyerleslatrinesenEuropeetquisesontnoyésdanslesbarquesdelamort.

Tous étaient des citoyens complètement pacifiques. L’idée de résister à ladictaturene leurétaitpasvenueà l’esprit et ils croyaient, exactement comme lepaysan de l’anecdote, pouvoir coexister avec la dictature en se courbant devantl’oppresseurqu’ilscraignaientd’affronter.Malgréleursoumissionetleurdocilité,

il leurestarrivéexactementlamêmechosequecequ’ilsredoutaientdanslecasoùilsauraientprotestéetseseraientrévoltés.

La situation actuelle, avec les protestations généralisées qui maintenantsubmergentl’Egypte,dunordausudetdel’estàl’ouest,estdue,enpremierlieu,àcequelaviedemillionsdepauvresquiétaitdéjàdifficileestdevenueimpossible.MaislacauselaplusimportantedecettevagueviolenteestquelesEgyptiensontcomprisquetaireleursdroitsnelesprotégeaitpasdesavanies.LesEgyptiensontcherché, pendant trente ans, des solutions individuelles. Les Egyptiens ont fuil’enferdeleurpaysdanslesEtatsduGolfeoùsouventilssubissaientunenouvelleformed’humiliationetd’oppression,puisilsensontrevenusdesannéesplustardavecunpeud’argentquileurdonnaitlesmoyensd’unevieconfortable,àl’écartducadregénéraldesépreuvesde leurscompatriotes.Cessolutions individuellesnesont plus d’aucune utilité et les Egyptiens sontmaintenant enfermés dans leurpays.

Ils ont finalement assimilé la leçon que n’avait pas comprise le paysan del’anecdote:lesconséquencesducouragenesontpaspiresquecellesdelapeur,etleseulmoyendesedélivrerduchefoppressifestdeluifairefaceavectouteslesforcesdontondispose.

Ladémocratieestlasolution.

1Grandbateauàvoilemunidequatreàcinqcabines,navigantautrefoissur leNil, récemment remisà lamodepourdescroisièrestouristiques.

MALTRAITERLESGENSFAIT-ILPARTIE

DESACTIONSQUIINVALIDENTLEJEÛNE

DUMOISDERAMADAN?

Ilyaquelquesannées,jeprenaistouslesjourslemétroàSayyedaZeinab.Enfacede la station, il y avait des vendeurs qui étalaient des articles variés sur le sol.Parmieuxsetrouvaitunhommecalmeetpoli,deplusdesoixanteans,toujoursvêtu d’une vieille galabieh1 et d’une vieille veste. Devant lui se trouvaient sesmarchandises:descadenas,destournevis,denattesenplastique,desgobeletsettoutuntasd’autreschosessimples.

Unmatin de ramadan, je vis un détachement de la police de répression desfraudesfondresurlesmarchandsambulants.Laplupartd’entreeuxramassèrentleursproduits,semirentàcourirleplusvitepossibleets’entirèrentàboncompte.Seullevieilhommen’eutpasletempsdes’enfuiretlespoliciersconfisquèrentsamarchandise.Quandilsemitàcrieretàappelerausecours,ilsl’abreuvèrentdesinjures lesplusoutrageantespuis, comme il continuait, ils le rouèrentdecoups,l’arrêtèrent et l’emmenèrent avec eux. Ce qui est extraordinaire, c’est que lespoliciersquil’avaientfrappéavaientlevisageblêmedesjeûneurs.

J’ai pensé que ces personnes qui avaientmaltraité le vieux vendeurn’avaientpaslemoindredoutesurlavaliditécanoniquedeleurjeûne.

Je me demandai alors comment nous pouvions jeûner pendant le mois deramadanet fairedumalauxgens.Les injusticesque l’onfaitsubirauxgensnesont-elles pas considérées comme invalidant le jeûne ? Je me tournai vers leslivres de jurisprudence religieuse et j’y trouvai que sept actions invalidaient lejeûne:

La première est de manger et de boire. La deuxième : ce qui est analogue àmangerouboire.La troisième : lacopulation.Laquatrième : lamasturbation.Lacinquième:levomissement,lorsqu’ilestvolontaire.Lasixième:lapertedesangàla suite d’une saignée. La septième : la perte de sang lors des règles ou del’accouchementd’unefemme.

Cesontdescirconstancesinvalidantesquiconcernentdonctouteslecorps,bienque le Prophète ait dit “Celui qui ne cesse pas de dire desmensonges et de secomporter d’une façon mensongère, n’a pas besoin de cesser de boire et demanger.”

En se fondant sur ce beau hadith, certains ulemas ont dit qu’il y avait dessituationsmorales qui invalidaient le jeûne, comme lemensonge, l’injustice, la

calomnie,mais la plupart ont limité ces invalidations à des chosesmatérielles,considérant que les comportements dévoyés faisaient perdre les bénéfices dujeûne, mais ne l’invalidaient pas. De cette façon, le jeûneur qui a vomivolontairementestimmédiatementconsidérécommeayantrompulejeûne,alorsqueceluiquiamenti,s’estcomportéd’unefaçonhypocrite,afaitdumalauxgensoulesaspoliésdeleursdroits,celui-làvoitsonjeûnevalidé.

Cette conception étrange du jeûne nous confronte à une lecture erronée de lareligionselonlaquelle,dansdenombreuxcas, lapratiquereligieuseestdevenueunefinensoi,aulieud’êtreunmoyend’élévationetdepurificationdel’être.

La religiosité s’est trouvée ramenée à un certain nombre de pratiques figées,comme s’il s’agissait de formalités pour la publication des statuts d’une sociétécommerciale ou pour la délivrance d’un passeport. Chez de nombreusespersonnes, l’islams’esttransforméenunesériededémarchesquelemusulmandoitexécuteraudoigtetàl’œilsansquecelaaitnécessairementuneinfluencesursa façonde se comporter.Cette séparationentre la croyanceet le comportementdanslemondeislamiqueestpropreauxépoquesdedécadence.Elleestmême,envérité,lapremièrecausedecettedécadence.

Sivoussouhaitez,cherlecteur,vérifiercelaparvous-même,ilvoussuffitd’allerdanslecommissariatleplusprocheoùvoustrouverezdescitoyensentraind’êtrefrappésethumiliéspardesgensquijeûnenttousetàquiilnevientpasàl’espritlemoindredoutesurlavaliditédeleurjeûne.

Ilya,enEgypte,desdizainesdemilliersdedétenusislamiquesquiontpassédelongues années derrière les barreaux sans jugement. Pour un grand nombred’entre eux des verdicts d’acquittement ontmême été prononcés,mais ils sontrestés lettre morte. Ceux qui sont responsables d’avoir ruiné l’existence de cesmisérablesetdeleursfamillessontdesmusulmansquiontpresquetousaufrontle stigmate de la prière2, mais ils n’éprouvent pas du tout le sentiment que cequ’ilsfontpuisseternirleurfoi.Leplusextraordinaireestcequisepassedansleslocaux de la sécurité et les camps où se déroule sauvagement la torture desdétenus afin de leur arracher des aveux. Dans ces abattoirs de l’humanité quiappartiennent à la nuit du Moyen Age, il y a toujours un coin réservé où lesbourreauxfontlaprièreàheurefixe.Ya-t-ilquelqu’undeplusattachéaurespectdespréceptesdelareligionquelescadresduPartinationaldémocratique,quiontpillélepeupleEgyptien,quil’ontabusé,quil’ontappauvrietquil’onthumilié?

C’estcetteconceptionerronéedel’islamquiatransformélemoisderamadan,qui était au départ une occasion divine de redresser les comportements del’homme,enunegrandekermessedanslaquellenousentronstousenvociférant,enpriant,enjeûnantsansquelaplupartdutempstoutcelanesereflètesurnosrapportsaveclesgens.Lorsquejevoisdesmilliersdemusulmanssemettretousles soirs en mouvement pour aller prier3 dans les mosquées, je ressens unmélangedejoieetdetristesse.Jemeréjouisdelesvoirsiattachésàleurreligionqueriennepourraitlesempêcherd’ensuivrelesprescriptionsetjeressensdelatristesseparcequecesmilliersdepersonnesrassembléessontpeut-êtrepasséesà

côtéduvéritablemessagedel’islam:“l’objectifduJihad,c’estuneparoledevéritéchezlesultantyrannique”.Beaucoupdemusulmansnevoientdansl’islamquelevoile,leniqab,laprière,lepetitpèlerinageetlegrandpèlerinage4.

Lesmêmes,quisesoulèventpourprotestercontreunspectacleoùl’onvoituneactricenue etmènent des opérations violentes contre les concours de reines debeauté,nedisentpasunseulmot faceaudespotismeetà larépression. Ilssontdociles et soumis à l’oppression du pouvoir, et l’idée ne leur vient pas de serévoltercontrelui.

Cesmusulmans,avecleurvisionétroitedelareligion,sontlesvictimesdedeuxsortes de cheikhs : ceux du gouvernement et les wahabites. Les cheikhs dugouvernementsontdes fonctionnaires.C’estde luiqu’ilsreçoivent leurssalaireset leurs instructions et, par conséquent, ils puisent dans la religion tout ce quisoutient les désirs du chef, aussi corrompu et aussi injuste soit-il. Quant auxcheikhswahabites, ilsaffirmentquesesoulevercontrelechefmusulmanestunpéché, même si ce dernier est corrompu, et que, au contraire, lui obéir est undevoir,mêmes’ilvolel’argentdesmusulmansetlesmartyrise.

Leswahabitesencombrentl’espritdesmusulmansdetoutcequiestsecondairedanslareligion.IlyaenEgyptedesdizainesdechaînesdetélévisionwahabites,financées par les capitaux du pétrole, sur lesquelles apparaissentquotidiennement des cheikhs qui reçoivent des millions de livres par an, enéchangedeleursprêchesàdesEgyptiensdontlamoitiévitdanslaplusextrêmemisère. Ces cheikhs apparaissent à l’écran au milieu de publicités pour desmachinesàlaver,desréfrigérateurs,descrèmespourfairedisparaîtrelesboutonssurlapeauetdespréparationspourenleverdéfinitivementlespoilsducorpsdesfemmes.

Ilsexhortentlesmusulmanssurtoutechose,saufsurcedontilsontréellementbesoin.Vousnetrouverezpasunseuldecescheikhspourparlerdetorture,oudefraude électorale ou de chômage. Vous n’en trouverez pas un seul quimette engardelesEgyptienscontrelatransmissionhéréditairedupouvoirduchefdel’Etatàsonfils,commes’ilsn’étaientqu’untroupeaudebétail.Certainsdecescheikhsn’ontpaseuhonted’annoncerleurtotalecoopérationaveclesservicesdesécuritéetcertainsontfaitdesfatwaspourdirequelamanifestationetlagrèveétaientdespéchéspourlesmusulmans.

Ils ne sont donc pas contentés de taire la vérité mais, en interdisant auxmusulmansderéclamerleursdroitsspoliés,ilsontaidélepouvoiràfairerégnerl’injustice.Cettereligiositéformellequiestlacauseoriginelledenotrearriérationa été décrite, il y a plus de cent ans, par le grand imam réformateurMohamedAbdou(1849-1905)danssesœuvrescomplètes,publiéesparDarelShorouk.

Voicicequ’ildit:

“Lesmusulmansontperdu leur religion. Ilsnesontpluspréoccupésquede lalettredontilssontdevenuslesesclaves.Ilsontabandonnétoutcequ’ellecontenaitdebonnesactionsetdevertusetilneleurenestplusrienresté.Cetteprièrequ’ils

font,Dieunelaregardepas,iln’enacceptepasuneseulegénuflexion.Cenesontquemouvementsetmotsdontilsignorentlesens.N’est-ilpasvenuàl’espritd’unseuld’entreeuxquec’estàDieuqu’ilparle,quec’estDieuqu’il imploreparsesparolesquec’està luiqu’il rendgrâce,qu’il le reconnaîtcommesonseigneuretquec’estàluiqu’ildemandeaideetbienfaitsetàpersonned’autre.”

Ilestétonnantquelesulémasdesquatreécoles(etpeut-êtred’autreségalement)aient dit que la prière sans présence et sans recueillement vaut malgré toutaccomplissement des prescriptions. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela estabsurde.

Malgréleurbrutalité,cesproposconfirmentànouveauunevéritéoubliée:

L’essencedel’islam,c’estl’appelàlavérité,àlajustice,àlaliberté.Toutleresteest secondaire. Le bouillonnement du sentiment religieux est véritable etauthentique,maisilsuitrarementlebonchemin.

Laquestion la plus importantedansnotre pays est évidente comme le soleil :une situation effrayante de corruption, de répression et d’injustice, qui duredepuis trenteans,apoussédenombreuxEgyptiensausuicide,aucrimeouà lafuite à tout prix, loin de la nation. Après que le Président est resté au pouvoirtrenteanssansuneseuleélectionvéritable, lacomédierecommenceaujourd’huipourfairehériterlefilsdesfonctionsdesonpère,commesilagrandeEgypteétaitdevenueunélevagedepouletsqu’onlèguepartestament.N’est-cepaslàlecombledel’injustice?

Lorsque nous serons convaincus que l’oppression invalide le jeûne, lorsquenous saurons qu’arracher nos droits violés est plus important que les millegénuflexionsquenouspouvonsfairedanslesprièresdusoirpendantlemoisderamadan, alors et alors seulement, nous seronsparvenus àune compréhensionvéritabledel’islam.L’islamvéritableestladémocratie.

Ladémocratieestlasolution.

1Largerobedecoton,généralementdecouleursombre,quiestlevêtementtraditionneldeshabitantsdelacampagneoudesquartierspopulaires.

2Lazbiba,ougrainderaisin,estlamarquedufrottementdufrontsurlesolaumomentdelaprière.C’estunsignedepiétédonts’enorgueillissentceuxquiensontmarqués…quitteàavoiraidélanatureenfrottantplusquederaison.

3Pendantlesnuitsderamadan,denombreuxcroyantsvontdanslesmosquéespourprierunepartiedelanuit.Cesprièresquis’ajoutentauxcinqprièresobligatoiresdelajournées’appellentlestarawih.

4Cf.note,p.36.

TROISIÈMEPARTIE

LIBERTÉD’EXPRESSION

ETOPPRESSIONPOLITIQUE

COMMENTLESOFFICIERSDEPOLICE

CÉLÈBRENT-ILSLEMOISDERAMADAN?

Le23aoûtdernier,àseptheuresdumatin, le citoyenMohamedAliHassan,âgéde 38 ans, fut tiré du sommeil par des coups violents contre la porte de sonlogement,rueBenhaouiàBabElShaaria.

SafemmeAsmaetsesdeuxjeunesenfantsYoussefetMohamedfurentréveillésen sursaut par le spectacle des hommes de la sécurité en train de battreviolemmentleurpère,avantdel’arrêteretdel’emmeneraveceuxaucommissariatdeDaher.

Selon lesdiresde la femmedeMohamedAliHassan, c’estpour faireplaisiràdeux personnes du quartier qui avaient le bras long et avec lesquelsMohameds’était disputé quelques jours auparavant que les officiers de la sécurité ducommissariatl’ontarrêtéeninventantuneaffairededrogue.

Quellequesoitlavéracitédecerécit,lemoissacrédeRamadancommençapourHassandansunecelluleducommissariat.

Son épouse Asma lui rendait visite toutes les fois que les officiers l’yautorisaient.

Mais il se passa quelque chose que nous ignorons et qui suscita contreMohamedlacolèredesofficiersdelasécurité.Ilsordonnèrentauxindicateursdelefrapperetde letorturer,puis ils le livrèrentàquelquesdangereuxprisonniersquilerouèrentdecoupetlefrappèrentàl’armeblanche.

Le premier jeudi du mois de ramadan, son épouse alla lui rendre visite aucommissariataprèslarupturedujeûne,etelleletrouvadansunétataffreux.Sonsangcoulaitenabondance,ilavaitlevisageetlecorpscouvertd’ecchymosesetdeblessures,etilnepouvaitniseleverniparler.

Effrayéeparl’étatdesonmari,l’épousesupplialesofficiersducommissariatdelui permettre de le transporter sous surveillance policière, dans unhôpital pourqu’on le soigne,mêmeaux fraisde la famille,mais lesofficiers refusèrentet ilsallèrent jusqu’à lamenacer de l’arrêter si ellenepartait pas immédiatement. Lejour suivant, le citoyen Mohamed Ali Hassan décéda des suites de blessuresprovoquéesparlatorture.

Lamême semaine dumois de ramadan, le prisonnierHani El Ghandour étaitdétenuàlaprisond’Assiout,dansl’attentedesonprocèsenassises.Islambey,undesofficiersquitravaillaientàlaprison,semitàl’insulteretilsemblequeHani

luiaitrépondud’unefaçonquiluidéplut.Ildécidadoncdeletortureretfitvenirun indicateur, Ismaïl, et tous deux placèrent Hani dans un trou de terre où ilsl’obligèrentàresterdeuxheurespendantlesquelsilsn’arrêtèrentpasdelefrapperviolemment.Puisilsattachèrentleprisonniersurunlitdefer,luienvoyèrentdesdéchargesd’électricitéetlefrappèrentavecdesverges.Alafin,ilsluifirentéclatersous le nez une bombe lacrymogène. Lorsque la torture devint trop violente, leprisonnierHanisemitàcrier:“Assez,Islambey,assez,jevaismourir,Islambey,jen’enpeuxplus.”

MaisIslambeyavaitunetroplongueexpériencedesprisonnierspourselaisserprendreàcetteruse.

Il continua donc à électrocuter et à frapper le prisonnier Hani Ghandour…jusqu’àcequ’ilrendesonderniersoupir.

Cesdeuxaffairesontétérapportéesparlapresseaucoursdelamêmesemainedumoissacréderamadan.Commed’habitude,leministèredel’Intérieurapubliéuncommuniquéniantquel’onaitfaitusagedelatortureetattribuantledécèsdesdeuxvictimesàunarrêtsubitdelacirculationsanguine.Personnenecroitàcettesorte de communiqués du ministère de l’Intérieur qui ne méritent même pasqu’on en discute. Ces faits, en plus de leur horreur, soulèvent d’importantesquestions.

Lesofficiersquionttorturésontmusulmans(l’und’euxs’appellemêmeIslam)etobserventengénéralstrictementlejeûneduramadan.Ilsprientàheuresfixesetpeut-être même ont-ils à cœur, comme tout le monde pendant ce mois, d’allerpasser lanuitenprièresà lamosquée.Cependant, ils torturenthorriblement lesprisonniers sans que leur conscience religieuse ne les empêche le moins dumondededormir.Ilneleurvientmêmepasàl’espritquelatorturepuissealleràl’encontredujeûneetdelaprière.

C’est là une chose vraiment étrange qui mérite qu’on l’examine et qu’on yréfléchisse.

Comment un officier peut-il torturer les gens puis reprendre sa vie normale,commesiriennes’étaitpassé?

Comment cepolicierpeut-il caresser sesenfantsetdormiravec sa femme, lesmainsencoreteintesdusangdesvictimes?

Cejeunehommebrillantàl’espritetaucorpssouple,quiintègrel’écoledepoliceoùiljurederespecterlaloi,commentsetransforme-t-ilauboutdequelquetempsenbourreauéprouvantduplaisiràtortureretàviolerdesgens?

Est-ce le travail dans la police qui développe le sadisme et fait éprouver auxofficiersduplaisiràtorturerleursprochains?

Des études psychologiques ont montré que beaucoup de gens ordinairesparticiperaienttrèsprobablementàlatortureetsetransformeraientenbourreaux,s’ils se trouvaient à travailler dans un endroit où la torture est pratiquée d’une

façon systématique. Mais cela impliquerait qu’ils passent à travers deuxopérationspsychologiques:l’adaptationetlajustification…

L’adaptation, cela veut dire que l’officier, qui constate que tous ses collèguespratiquentlatortureetqueseschefsl’ordonnent,obéitauxordresetfaitdemême,parcequ’iln’estpasassezfortpouradopterunepositioncontraireàlapratiqueenvigueurdanssontravail.

La justification, cela veut dire que l’officier bourreau est convaincu qu’il doittorturersesvictimespourservirlasécuritéetlanation.

Le bourreau qui ne parvient pas à se trouver de justification ne peut pascontinueràtorturer.

La torture en Egypte n’est pas le résultat de perversions ou d’abus. C’est unepolitique stable et systématique suivie par l’Etat. Le nombre de victimes de latorture, sous le gouvernement de Moubarak, est supérieur à ce qu’il a été àn’importequelleautreépoque.

Lorsquenousétionsde jeunesécoliers,nousavonstousétudié lemassacredeDanshawi survenu en 1906, comme un exemple des crimes perpétrés parl’occupationbritanniquecontrelesEgyptiens.

Ilfautmalheureusementnoussouvenirquecemassacrecélèbren’avaitfaitquecinqvictimeségyptiennes:unefemmetuéeparballeetquatrehommesexécutésparpendaison.

Enuneseuleannée,ilenmeurtbienplusdudoubledanslescommissariatsetleslocauxdelasécuritéd’Etat.C’est-à-direquenousfaisonsnous-mêmessubirànoscompatriotesbienplusquenenousfaisaientsubirlessoldatsdel’occupation.

Cenesontpasseulement lesofficiers tortionnairesqui sont responsablesdesâmes des innocents qui disparaissent tous les jours des suites de la torture enEgypte, ni même le ministre de l’Intérieur, M. Habib el Adli, de chez qui ilsreçoivent leurs instructions. Le premier responsable est le président HosniMoubarakenpersonne.

Car il sait, sans aucun doute, que des gens sont tués tous les jours sous latorture, mais il ne fait rien pour arrêter ces crimes. Si le président Moubarakvoulait mettre fin à cette pratique, elle s’arrêterait immédiatement – à l’instantmême–maisilconsidèrequelatortureestnécessairepourprotégerlerégimeenplace.

QueDieuaccordesamiséricordeauxdeuxmartyrs,HanielGhandourd’AssioutetMohamedAliHassandeBabElShaariaettoutesmescondoléances,encemoissacré,àleursfamillesetàleursjeunesenfantscondamnésàgrandirorphelins.

Mais cette oppression est trop énormepour se poursuivre longtemps.Un jourviendraoùserontjugésceuxquiontcausétouscescrimesettoutescestragédies.

Etceuxquiontopprimérécolterontlesfruitsdelatempêtequ’ilsontsemée.

UNEDISCUSSIONAVECUNOFFICIER

DELASÉCURITÉD’ÉTAT

Ilyaplusieursannéesquececiestarrivé.

J’étaisinvitéaumariagedequelqu’undemafamilleetjemetrouvaiassisàcôtéd’unparentdumariéquiseprésentaainsi:

—Untel,officierdepolice.

C’étaitunhommed’environquaranteans,trèsélégant,trèspoliettrèscalme.Ilavaitaufrontlestigmatedelaprosternation1.Nouséchangeâmesleshabituellesformulesdepolitesse,puisjeluidemandai:

—Dansquelsecteurdelapolicetravaillez-vous?

Ilhésitauninstantavantdemerépondre:

—Lasécuritéd’Etat

Unsilencesefitentrenous.Ildétournalevisageetsemitàregarderauloinetàobserver les invités. J’hésitai entre deux possibilités : poursuivre l’échange depolitessequenousavionscommencéoubienexprimerfranchementmonpointdevuesurlasécuritéd’Etat.Nepouvantmeretenir,jeluidemandai:

—Pardon…vousêtespieuxapparemment?

—GrâceàDieu.

—Netrouvez-vouspasquevotretravailàlasécuritéd’Etatestencontradictionaveclapiété?

—D’oùviendraitlacontradiction?

—Lespersonnesarrêtéespar la sécuritéd’Etat sont soumisesaux coups, à latorture,auviol,touteschosesquel’ensembledesreligionsnousinterdisent.

Pourlapremièrefois,ilparutirrité:

—Toutd’abord,tousceuxquenousfrapponsméritentdel’être.Deuxièmement:sivousaviezétudiévotrereligionavecsoin,vousaurieztrouvéquecequenousfaisonsàlasécuritéd’Etatesttoutàfaitconformeàsesenseignements.

—L’islamestunedescroyanceslesplusattachéesàladignitéhumaine.

— C’est là un propos général. Moi, j’ai lu la jurisprudence islamique et j’enconnaisparfaitementlesrègles.

—Iln’yariendanslajurisprudenceislamiquequiautoriseàtorturerlesgens.

— Ecoutez-moi jusqu’au bout, s’il vous plaît. L’islam ne reconnaît ni ladémocratieni lesélections. Il existeunconsensusparmi les jurisconsultespourdireque,dans tous les cas, l’obéissanceaudirigeant estuneobligation,qu’il sesoitemparédupouvoirparlaforce,ouquelesmusulmansaientchoisicedernierpareux-mêmes.C’estuneobligationpourlesujetd’obéiraudirigeantmusulman,même s’il est usurpateur, corrompu ou oppresseur. Savez-vous quelle est lapunitiondeceluiquisesoulèvecontrelechefdel’Etatdansl’islam?

Jenerépondispasetilpoursuivit:

—Dans l’islam,ondoitappliqueràceluiquisesoulèvecontreundirigeant lechâtiment du pal, après lui avoir coupé les mains et les pieds. Ceux que nousarrêtonsà la sécuritéd’Etat se sont soulevés contre le chefde l’Etat.Selon la loireligieusenousdevrionsdonccouperleursextrémités,cequenousnefaisonspas.Cequenousleurinfligeonsestbieninférieurauchâtimentprévuparlacharia.

J’eus avec lui une longue discussion. Je lui dis que l’islam avait été révéléprincipalementafindelutterpourlavérité,lajusticeetlalibertéetqueleProphètede Dieu n’avait imposé auxmusulmans personne pour lui succéder. Il les avaitlaissés se choisir un chef en toute liberté et la réunion d’Al Saqifa où lesmusulmans choisirentAbou Bakr commeCalife peut être considérée commeunévénement intrinsèquement démocratique, qui a eu lieu de longs siècles avantl’apparitiondesdémocratiesoccidentales.Puisjeluiaiexpliquéquelechâtimentdu pal avait été seulement prévu pour les groupes armés qui attaquent desinnocents,quivolentleursbiensetattententàleurintégrité.Iln’estpaspermisdel’appliquerauxopposantspolitiquesenEgypte.

Mais il s’obstina dans son point de vue puis déclara pour mettre fin audialogue:

—Celaestmavisiondel’islam.J’ensuisconvaincuetjenechangeraipas.J’ensuisresponsablefaceàDieunotreSeigneur.

Après avoir quitté le mariage, je pensai à cet officier qui était un hommeintelligentet instruit.Commentpouvait-il être convaincupar cette interprétationerronéedel’islam?Commentavait-ilpudéduiredelareligioncesidéesperversesetcontrairesàsesprincipes?Commentavait-ilpucroireunseulinstantqueDieunous autorise à torturer des gens et à détruire leur humanité ? Ces questionsrestèrentsansréponse jusqu’aumomentoù,quelquesmoisplustard, je lusuneétude intéressante qui a pour titre “Psychologie du bourreau”, dans laquelle unchercheurexpliquequel’officierdepolicequipratiquelatortureappartientàl’unedes deux catégories suivantes : soit il est atteint d’une maladie mentale, lapsychopathie, son comportement agressif étant étranger à toute normemorale.Soit–etc’estàcettesecondecatégoriequeserattachentlaplusgrandepartiedestortionnaires–ils’agitd’unepersonneordinaire,psychologiquementnormale,etsouvent – en dehors de son travail – un bon citoyen, quelqu’un d’aimable, à lamorale très stricte, qui a besoin pour pouvoir pratiquer la torture que soientremplies deux conditions essentielles : la soumission et la justification. La

soumissioncelaveutdirequelatortureesteffectuéeenexécutiond’ordresissusducommandement.Letortionnaireseconvaincalorsqu’ilestobligéd’obéiràseschefs. Quant à la justification, elle intervient lorsque l’officier se persuade lui-mêmedelalégitimitédesesactessurleplanmoraletreligieuxensereprésentantses victimes comme des agents de l’ennemi, des ennemis de la nation, desmécréantsoudescriminels.Danssonesprit,celajustifiequ’aveceuxilaitrecoursàlatorturepourprotégerlasociétéoulanation.Lechercheurenarriveensuiteàune conclusion importante : sans ce processus de justification, l’officier seraitcomplètementincapabledecontinueràtorturersesvictimes,carilnesupporteraitpasalorslesreprochesdesaconscienceetéprouveraitunprofondméprisdelui-mêmeetdesoncomportement.

Je me suis souvenu de cela en lisant la nouvelle de l’arrestation de deuxétudiantesappartenantaumouvementdu6avril,OumniaTahaetSaraMohamedRazaq. Arrêtées par les vigiles de l’université de Kafr El Sheikh, elles furentremisesàlasécuritéd’Etat,parcequ’ellesappelaientleurscondisciplesàlagrève.Le parquet les inculpa de tentative de renversement du régime et ordonna unemprisonnementd’uneduréededeuxsemainespourlesbesoinsdel’enquête.Lesquestions que cela soulève sont bien sûr nombreuses : comment peut-on direqu’unejeunefilledemoinsdevingtanscherche,touteseule,àrenverserlerégimedu président Moubarak, simplement pour avoir parlé à ses camarades del’universitéoupourleuravoirluunarticlequ’elleavaitécrit?Parailleurs,l’appelàl’arrêtdutravailneconstituepasensoiuncrimedupointdevuelégal,puisquelegouvernement égyptien a signé des dizaines de documents internationauxautorisant le droit de grève et le considérant comme un droit fondamental desEgyptiens.

Mais leplus triste, vraiment, c’estque j’ai apprisparuncondiscipledesdeuxfilles qu’elles avaient été sauvagement battues et odieusement torturées par lasécuritéd’Etatetqueceluiqui lesavait frappéesetavaitdéchiré leursvêtementsétaitunofficierd’unrangélevé.Jemesouvinsalorsdemaconversation,lesoirdelanoce,avecl’officierdelasécuritéd’Etat…Commentunofficierdepolice,quiestgénéralementmari et père, peut-il frapper avec cette brutalité une étudiante quipourraitêtresa fille?Commentpeut-ilaffrontersaconscienceet regarderaprèscelasafemmeetsesenfantsdanslesyeux?Cetofficierdehautrangn’a-t-ilpashontede lui-même lorsqu’il frappeune faible jeune fille complètementdémunie,incapable de se défendre ? Ce comportement s’accorde-t-il avec l’honneur d’unhomme, avec sa religion et samorale ? S’accorde-t-il également avec l’honneurmilitaireetlestraditionsdelapolice?

Le régime fait face actuellement à des vagues de protestation sociale sansprécédent,parcequelavieestlittéralementdevenueimpossiblepourdesmillionsd’Egyptiens qui n’ont plus d’autre recours que de sortir dans la rue pourproclamer leursimpleet juste revendicationdevivrecommedesêtreshumains.Comme le régimes’estmontré totalement incapablede toute réformesérieuse, ilpousse l’appareilpolicieràaffronter lesgens,à les réprimeretà les torturer.Cefaisant,iloublieunevéritésimpleetimportante:unofficierdepoliceestenfinde

compte un citoyen égyptien comme les autres, qui subit ce que subissent sescompatriotes,etquisouffredesmêmesmauxqu’eux.Lerégimepolitiquequi,poursurvivre,s’appuieseulementsur larépressionpassetoujoursàcôtéd’unevéritéqui est que l’appareil de répression, quelle que soit son omnipotence, estfondamentalementformédecitoyensintégrésà lasociété,dont lesintérêtset lesopinions coïncident la plupart du temps avec ceux des autres citoyens. Avecl’augmentationdelarépressionviendraunjouroùcescitoyensserontincapablesdejustifieràleurspropresyeuxlescrimesqu’ilscommettentcontreleurprochain.Cejour-là,lerégimeperdrasacapacitéderépressionettrouveralafinqu’ilmérite.Etjecroisqu’enEgypte,cejourapproche.

1Cf.note,p.244.

QUATREFILMSPOURDISTRAIRE

LEPRÉSIDENT

Le président Hosni Moubarak et le président Barak Obama se sont rencontrésdernièrement à Washington. Les deux grands leaders ont eu des entretiensamicaux et fructueux au cours desquels ont été abordées des questions vitalespourlesdeuxpays:ledossiernucléaireiranien,lapaixavecIsraëletlasituationau Darfour. Les deux Présidents ont exprimé avec véhémence leur extrêmecontrariété au sujet de la dégradation de la situation des droits de l’homme enIran dont témoignent la répression des manifestations, la fraude électorale,l’emploi la torture et tous les crimes hideux perpétrés par le gouvernementiranien, que la communauté internationale et l’Egypte à ses côtés dénoncent etdéploientdeseffortsintensespourproscrire.Enconclusion,leprésidentObamaaexprimé à son ami le président Moubarak l’espoir que, avec l’aide de Dieu, sepoursuiveenEgypte la réformedémocratiquequiestuneentreprisecomplexeetde longue haleine, mais qui ne doit pas connaître d’interruption. Obama arenouveléensuitesonadmirationpourlasagesse,lamodérationetlecourageduprésidentégyptien.Tout celaest connu, compréhensibleetattendu.Maismoi, jepensais à autre chose : le vol entre Washington et Le Caire dure plus de dixheures.CommentleprésidentMoubaraklespasse-t-il?

Sans aucun doute, l’avion privé de son Excellence est doté de l’équipement leplussophistiqué,mais,malgrétout,c’estunlongvol.QuefaitlePrésidentpendanttoutcetemps?Profite-t-ildequelquesheuresdesommeilpourreposersoncorpsfatigué par le labeur ? Passe-t-il son temps à converser avec les rédacteurs enchefs des journaux gouvernementaux, dont il se fait accompagner à chaquevoyage ? Ils doivent commed’habitude faire surenchère de compliments sur lesréalisations du Président, la grandeur de ses décisions et son leadershiphistorique. Je crois d’ailleurs que la répétition de ces louanges doit finir parennuyerunpeusonExcellencelePrésident.Pendantlevol,profite-ildesjoiesdelalecture?A-t-ilamenéavecluiunrecueildeMohamedSamielBaroudi,sonpoètepréféré,commeill’adéclaréprécédemment?Jenesaispasexactementcequ’aimefairelePrésident,aussivais-jeluiconseillerderegarderquelquesexcellentsfilmsdontj’espèrequ’ilsluiplairont.Cenesontpasdelongsfilmsdefiction,maisdecourts documentaires. Les héros de ces films ne sont pas des acteursprofessionnelsnimêmedesamateurs,cesontdescitoyensordinairessansrienquilesdistinguesicen’estque,commedesmillionsd’Egyptiens,ilsmènentunelutte quotidienne acharnée pour nourrir leurs enfants et leur assurer uneexistencedigne.Voicilesfilmsquejeluiconseille:

Danslepremierfilm,nousvoyonsunjeuneEgyptiendePort-Saïdentraindesefaire torturer d’une façon ignoble dans un commissariat. Dans la premièreséquence, le jeune est suspendu au plafond, le dos et le ventre complètementlacéréspar lescoups. Il implore lapitiéde l’officier. Il luidit :Assez !Mohamedbey,assez!ParleProphète.Jevaismourir,Mohamedbey!

Dans la seconde séquence, le jeune apparaît les yeux bandés, complètementeffondré,pleurantetessayantd’unevoixhachéed’apitoyer l’officier :“Mohamedbey,tun’aspashontedemefaireça?Noussommesdesêtreshumains,pasdesanimaux.”

Onnevoitpasl’officierMohamedbeysurl’image,maisonentendclairementsavoixcourroucéecriantaujeune:“tagueule”puisdéversantsurluiunebordéedesplusgrossièresinjures.PourquoiMohamedbeysemble-t-ilencolère?C’estparcequelejeuneacriépendantlatorture,cequeMohamedbeyconsidèrecommeunmanquede respectdûà son rang. Iln’estpas convenable, de sonpointdevue,qu’uncitoyenélèveletondevantunofficierdepolice,mêmesicelui-cilebatetletorture.

Le deuxième film a une femme pour héroïne. Nous y voyons une femmeégyptiennedans la trentaine,nonvoilée, vêtued’un jeansbleu et d’un tee-shirtsombre.Apparaîtunofficieravecungrosbâton. Il roue la femmedecoups. Il lafrappepartout,de toutesses forces, sur les jambes, sur lesbras, sursa tête.Lescrisde la femmes’élèventpuis sa voix s’éteint.Nous la voyons ensuitedans ladeuxième séquence, accrochéehorizontalementpar lesmains et par lespieds àunebarredefer(cettefaçondesuspendrelescitoyensestutiliséeenEgyptedanslescommissariatsetleslocauxdelasécuritéd’Etat.Onappelleçalapositiondelapoule. Cela cause une terrible douleur et peut provoquer des déchiruresmusculaires et des fractures des os, y compris ceux de la colonne vertébrale).L’officiernes’estpascontentédesuspendrelafemmedanslapositiondelapoule,maisilcontinueàlafrapperavecsongrosbâton,jusqu’àcequ’ellecrietrèsfort:“Assez,monpacha,c’estmoiquil’aitué,monpacha,c’estmoiquil’aitué.”

On comprend alors que l’officier est en train d’enquêter sur un assassinat etque,decettefaçonefficace,ilestparvenuàtrouverlecoupable.Justiceestfaite.

Dans le troisième film, nous voyons un homme d’une quarantaine d’annéestremblant de peur face à l’officier qui l’abreuve d’injures obscènes, puis lève lamainetl’abatviolemmentverssonvisage.Maisaumomentoùl’hommefermelesyeuxpourrecevoirlagifle,l’officierarrêtesamainenl’airavantqu’ellen’atteignesonbut, puis il remue les doigts d’une façon grossière. L’officier éclate d’un rireinextinguible et fait un tour dans la pièce, l’air satisfait d’avoir réussi cemouvementdevirtuose.Ensuite lereprésentantde l’ordreenrevientauxchosessérieuses. La cigarette au coin de la bouche, il s’approche de l’homme et luibalance des deux mains une volée de gifles. Lorsque la victime lèveinstinctivementlamainpourprotégersonvisagedescoups,l’officiers’interrompt,insultesamèreetluiordonnedebaisserimmédiatementlamain,puiscontinueàlefrapper.

Danslequatrièmefilm,onnevoitpasl’officierparcequ’ilestassisderrière lacaméra.Maisonvoitunvieilhommedeplusdesoixanteans,maigreetmarquédes stigmates de la pauvreté et de la sous-alimentation. Il est tenu par unindicateurmuscléetl’onentendlavoixdel’officierquiditàcedernier:“Frappe,AbdelRasoul!”

Abd el Rasoul exécute l’ordre et fait pleuvoir les coups sur le vieillard, maisl’officierdontlavoixenjouéerévèlelabonnehumeurluidit:“C’estfaible,AbdelRasoul,c’esttrèsfaible.Tapeplusfort.”

AbdelRasoulfrappedeplusenplusviolemmenttandisquel’officierdirigelescoupspourqu’ilsnefaiblissentpas,endisantcalmement“Allez,surlanuqueAbdelRasoul,allez,maintenantéclate-luilacervelle.”

AbdelRasouls’efforcedesatisfairel’officierettapeplusfort,maisl’officierfaitchuinterseslèvresetluidit:“C’estuneprestationbienpiteuse,AbdelRasoul.”

A ce moment-là, entre dans la pièce, un autre indicateur pour aider soncamarade à accomplir sa mission. Les deux hommes battent comme plâtre levieillard qui s’abandonne totalement aux coups au point qu’il est incapable deleverlebrasoumêmedecrier.Sonregardestvidecommesilaviel’avaitquitté.

MonsieurleprésidentMoubarak,

J’ai choisi ces filmsparmidenombreuxautresqui se trouventsur leblog“Laconscience égyptienne” deWaèlAbbas, ainsi que sur de nombreux autres sitesInternet.Toussontdesenregistrementsauthentiques,avec l’imageet leson,desséances de torture effroyables auxquelles sont soumis quotidiennement descitoyens égyptiens. La plupart du temps, le nom des officiers et le lieu de leurtravailsontmentionnésdanslefilmet,danstouslescas,lesvisagesdesofficiersapparaissentclairementsurlesimages,cequifaciliteleuridentification.Touscesdocumentsontétéenregistrésavecdescamérasportableset,parunmoyenouparunautre,ilssontparvenusàcessites.Cesontdespersonnesquisetrouvaientsurles lieux aumoment du supplice qui ont enregistré les images et souvent, c’estl’officier de police qui s’est filmé lui-même en train de torturer pour montrerl’enregistrement à ses collègues ou afin de l’utiliser pour humilier la victime etl’effrayeràl’avenir.

Les gens filment généralement les moments heureux de leur existence. Jecomprendsquel’onfilmeunmariageoularemisedediplômesd’unepromotion.Maisquequelqu’unse filmeen trainde torturer, c’estuncomportementétrangedontlespsychiatresnousaiderontpeut-êtreàcomprendrelesmotivations.

Je ne demande pas à votre Excellence d’intervenir pour mettre fin à cettehumiliation qu’affrontent quotidiennement des dizaines d’Egyptiens dans lescommissariats de police et dans les locaux de la sécurité d’Etat. Je ne vousdemandepasd’enquêtersurlecrimedetortureauquelsetrouventconfrontésdesinnocentsdelapartdebourreauxreprésentantlerégimequevousprésidez.Jenevousdemandepasd’intervenircar, comme l’ensembledesEgyptiens, jeconnaisbien par expérience les limites de ce qui peut se faire en Egypte. Je voudrais

simplement vous conseiller ces quelques films pour distraire votre Excellencependantvoslongsdéplacements…toutenvoussouhaitantunbonretouraupays,MonsieurlePrésident.

Ladémocratieestlasolution.

AVANTDEMAUDIRELASUISSE

Le28octobredernier2010jemetrouvaisenvisiteenSuisseetj’écrivaisdanscejournal un premier article au sujet de la bataille desminarets. J’y disais que ledanger de cette bataille dépassait la simple interdiction des minarets, d’abordparceque la loià laquelleelle risquaitd’aboutir feraitofficiellement le lienentreislamet terrorisme,ensuiteparcequecelapouvaitouvrir laporte,de lapartdespartis de la droite raciste, à une surenchère d’offensives législatives visant àcontrarier les musulmans. Dans mon article, j’appelais à la formation d’unedélégationdeprofesseursdeculture islamiqueetd’hommesde religionéclairés,quiserendraientenSuissepouryexpliqueràl’opinionpubliquequeleminaretestuneformearchitecturaleislamiqueetnonpasunétendarddeguerre,commeleprétendlePartidupeuplesuisse–partidedroitequiadéclenchécettebataille.

LequotidienShoroukarépondupositivementàcetappeletestentréencontactavec d’importants responsables égyptiens que cette idée n’a apparemment pasenthousiasmés.Quantàceuxquiontpuêtreenthousiasmés,ilsn’ontrienfait,àl’exceptiondesaGrâcelemuftidelaRépublique,dontleconseillerdepresse,quise trouvait par hasard invité là-bas à un colloque, est revenu avant que ne setermine le vote visant à l’interdiction des minarets. En vérité, l’absence demotivation des responsables égyptiens à faire leur devoir est devenue unphénomèneaussirécurrentqu’attristant.

Nous avons vu comment, lors des incidents qui ont accompagné lematch defootball Egypte-Algérie, les autorités égyptiennes ont été incapables de protégerleursressortissantscontrelesagressionssauvagesperpétréespardesbandesdecriminelsenvoyésdansdesavionsdeguerreparlegouvernementalgérien.Nousavons vu ensuite comment elles ont été incapables de demander des comptes àceuxquiavaientattaquéladignitédesEgyptiens.

Ilyaquelquesjoursaétéconnulerésultatduréférendumquinenousétaitpasfavorable. Lesminarets sontdésormais interditsenSuissepar la forcede la loi.Cela a mis en colère les Egyptiens qui se demandent comment la Suisse peutprétendre qu’elle est un Etat démocratique alors qu’enmême temps elle adopteune interdiction concernant les seuls musulmans, à l’exclusion de toute autrereligion.

Quelmalcelapeut-ilfairedeconstruiredesminaretsetpourquoilesSuissesneveulent-ilspasenvoirdans leurpays ?Est-ilpossiblequ’unemesuredumêmeordre puisse être adoptée contre les synagogues par exemple ? La colère desEgyptiens est naturelle et compréhensible et leurs interrogations sont légitimes,mais,avantdemaudirelaSuisse,nousdevonsnousrappelerquelquesréalités:

Premièrement:l’interdictiondesminaretsenSuissenesignifieabsolumentpasquel’ensembledesSuissesprennentpositioncontrel’islam.Prèsdelamoitiédesvotants, ainsi que la totalité des responsables gouvernementaux et desreprésentantsde toutes leségliseschrétiennesainsiquede lareligion juive,ontpris avec véhémence, et jusqu’au bout, la défense du droit des musulmans àédifierdesminarets.

De plus, le résultat du référendum a déclenché dans de nombreuses villessuissesdesmanifestationsdesoutienaudroitdesmusulmansdepratiquer leurculte. J’aimoi-mêmereçudenombreuses lettresd’amis, intellectuelssuisses,quiexprimaient leurprofond regretdevant ladécisionprisepar lesélecteurs.Parmices lettres, ilyacellede lagrandecritique littéraireAngelaSchader,quim’écritprécisément : “Je suis consternée et honteuse pour mon pays” et qui qualifiel’interdictiondesminaretsde“décisionstupide,bornéeetlâche.”

Deuxièmement :bienque,selonlaconstitutionsuisse,unréférendumait forcede loi et soit contraignant, le décret d’interdiction des minarets se trouve eninfractionaveclesprincipesdesdroitsdel’homme,etilestpossiblequel’affairesepoursuiveàl’échelleinternationale,afindefaireabrogercettedécision.C’estlamanière correcte de se comporter face à ce problème. En revanche, appeler auboycott et accuser la Suisse d’être ennemie de l’islam est une réaction injusteenvers le peuple suisse, et qui peut conduire à une inimitié réciproque dont neprofiterontlà-basquelesextrémistesracistes.

Troisièmement:lepartidupeuplesuissequiafaitéclatercettecriseestundesnombreuxpartisdedroiteoccidentauxquilancentdesinitiativesracisteshostilesauxétrangersetauxémigrés.Ilaprofitédelapeurdel’islamchezlesSuissesetde leur ignorance de ses enseignements tolérants. Ce référendumn’a été qu’unpremierpas.Lesresponsablesdecepartionteneffetdéclaréqu’ilspréparaientdenouveauxréférendumscontreleportduhidjabdansleslieuxdetravailetd’étude,contre l’excisiondes femmesetcontre lacréationdecimetièresséparéspour lesmusulmans.

Le président français Sarkozy s’est empressé de soutenir l’interdiction desminarets et il a déclaré qu’il comprenait le besoin de la société occidentale deconserver ses caractéristiques culturelles. Aussitôt s’élevèrent des voix, enHollande et en Allemagne, qui appelaient à l’organisation de référendumssemblablespourcontrarier lesmusulmans.Labataillen’adoncpaspris finavecl’interdictiondesminarets.Ellene faitquecommenceret ilnous fautprendre ladéfensedesdroitsdesmusulmansd’unefaçonlégale,efficaceetrespectable.

Quatrièmement :ma longueconnaissancede lasociétéoccidentalem’amèneàcroire que nous – en notre qualité de musulmans – sommes dans une largemesure responsables de cette vague déferlante de peur de l’islam. Ce sentimentn’existaitpas,outoutaumoinsn’étaitpasapparentavantle11septembre2001.Quelques criminels terroristes, parmi lesquels Oussama Ben Laden et Aiman elZaouahiri, se sont donné pour mission de défigurer l’image de l’islam dansl’esprit de millions d’Occidentaux. Il suffit de savoir que, dans les langues

occidentales,onenestvenumaintenantàemployerletermedjihaddanslesensd’opérationsmeurtrièresarméesetque l’onemploieenfrançais,mêmedans lesmilieuxuniversitaires, le terme islamismedans le sensde terrorisme. J’ajouteàcela qu’en Occident la plupart des mosquées sont financées par les fonds descheikhswahabitesdupétroleetquecesderniersproposentune lecturesalafisterigoriste de la religion, qui contribue largement à la défigurer dans l’esprit desOccidentaux.Parexemple,laparticipationdesjeunesfillesmusulmanesauxcoursd’éducation physique et de natation dans les collèges pose un problème enSuisse:eneffetbeaucoupdeparentsmusulmans,ensefondant,bienentendu,surdes fatwaswahabites erronées, insistent pour leur interdire cette activité qu’ilsconsidèrentillicite,ceàquoiladirectiondesécolesréagitendéfendantledroitdesjeunesfillesàfairedusport.

Cetteattitudeapour résultatde renforcer l’imaged’un islamréactionnairequinevoitdanslafemmequ’uncorpssuscitantledésiretutilisépourlajouissance.NouspouvonsimaginerlaréactiondesOccidentaux,lorsqu’ilsentendentdirequel’islam impose l’excisiondes femmes (un crimebarbarequin’a aucune relationavecnotrereligion)ou lorsqu’ilsvoientune femmeporter leniqab–quecelui-cilaissevoirdeuxyeuxouunseul(commeleprônentcertainscheikhssaoudiens).

Les idées wahabites, soutenues par l’argent du pétrole, donnent la plusmauvaise imagepossiblede l’islamdans l’esprit desOccidentaux.Ceuxqui ontvotécontrelaconstructiondeminaretsenSuissenesontpastousracistes,maisils ont simplement peur d’une religion qui, pour eux, est liée à la violence, aumeurtre, au sous-développement et à l’oppression de la femme. Il est de notredevoirdeprésenteràl’Occidentl’imagevéritableetcorrectedel’islam,fondementdelagrandecivilisationqui,pendantseptsiècles,aenseignéaumondeentierlesprincipesdejustice,delibertéetdetolérance.Sinousnousdérobonsàcedevoir,nousn’auronsplusledroit,ensuite,defairedesreprochesauxautres.

Cinquièmement : il est certain que l’interdiction des minarets en Suisseconstitueune forme évidented’infraction à la liberté de culte. Les Egyptiens, lesArabesetlesmusulmansontledroitdes’opposeràcetteinterdictionetd’essayerdebloquercedécretpartouslesmoyenslégaux.Maislegouvernementégyptien,luiquiestincapabledegarantiràsesproprescitoyenslalibertédecroyance,n’enapasledroitmoral.

Lesautoritéségyptiennesarrêtentrégulièrementdeschiitesoudescoranistes1,lesjugentsousl’accusationde“méprisdesreligions”etlesjettentenprison.Quiplus estDar el Ifta2, qui réclamemaintenant la liberté de croyance en Suisse, apubliéunefatwaofficielletraitantd’apostatslesBahaïs,cequifaitbonmarchédeleursang3etlesexposeàêtreassassinésàn’importequelinstant.OrcesBahaïssont des citoyens égyptiens quimènent une bataille âpre pour que leur religionsoitofficiellementreconnue.

Quant aux coptes, ils souffrent mille difficultés pour construire des églisesnouvelles etmêmepour restaurer les églisesanciennes.Deplus, leprojetde loi

uniquesur les lieuxdeculte,mettantàégalité lesmosquéeset leséglisessur leplanlégal,estenterrédepuisdelonguesannéesdanslestiroirsdugouvernementégyptien qui refuse même d’en discuter. La liberté de croyance, cela veut diregarantiràchacunlerespectetlalibertédeculte,quellesquesoientsescroyancesousareligion.

Cela est exactement le contraire de ce que fait le gouvernement égyptien quin’est pas enmesure de réclamer la liberté de croyance en Suisse, alors qu’il lacontrarieenEgypte.

Le régimeégyptienquis’accrocheaupouvoirpar la répressionet la fraudenepeutpasgarantirlalibertédecroyanceàsescitoyens,caronnepeutpasdonnerauxautrescequesoi-mêmeonn’apas.Lalibertédecroyancenepourrapasêtreobtenueindépendammentdeslibertéspubliquesetdesdroitspolitiques

Ladémocratieestlasolution.

1LescoranistesconsidèrentqueleCoranestlaseulesourcevalabledelareligion,àl’exclusiondelasounna(recueildespropostenusparleProphète).Ils’agitlàd’uncourantdepenséeplusqued’unriteàproprementparler.

2C’estl’administrationplacéesousl’autoritéduMuftidelaRépubliquequiestchargéedeprononcerlesavisjurisprudentielsautorisés.

3 La seule peine applicable à un apostat est, théoriquement, la peine de mort. Celle-ci peut, tout aussithéoriquementêtreappliquéeparn’importequelcroyant.

LEREGRETTABLEINCIDENT

DONTFUTVICTIMEUNOFFICIER

DELASÉCURITÉD’ÉTAT

Samedidernier, contrairementàsonhabitude,Amroubey,officierde lasécuritéd’Etat,terminasontravaildebonneheureetretournarapidementàlamaison.Ilétaitheureux,parcequecelaallaitluipermettredevoirsafilleuniqueNourhane,âgéededixans,cequiluiarrivaitrarementdurantlasemaine.Ilrentraitdesontravail quand elle était déjà couchée et quand il se réveillait, elle était à l’école.Amrou arriva à lamaison, salua sa femmeNadia qui était à la cuisine, puis sedirigea rapidement vers la chambre de sa fille. Il ouvrit la porte et la trouva entrainderévisersesleçons,revêtuedesatenuedesportbleue,lescheveuxcoiffésenqueuedecheval.Illuibaisalefrontetluidemandasielleavaitdéjàdîné.Ellelui réponditqu’elle le ferait lorsqu’elleaurait terminésesdevoirs.Amroubey luiditqu’ilsallaientprendreleurrepasensemble,puisil tenditsamaindroitepourlui caresser les joues, lorsque soudain Nourhane se mit à crier avec uneexpressiondefrayeursurlevisage:

—Papa,tuasdusangsurlamain.

Amrouregardasamaindroiteet futétonnéde la trouvercouvertedesang.Enentendant lescrisd’effroideNourhane,samèreétaitaccouruedepuis lacuisinepour voir ce qui se passait.Amroubey garda son calme et essayad’apaiser lesalarmesdesafemmeetdesafille.Ilallarapidementàlasalledebainsetselavalamainplusieursfoisàl’eauchaudeetausavonjusqu’àcequ’ileneûttotalementenlevétoutetracedesang,puisill’essuyaavecuneserviette.Lorsqu’ilsortitdelasalledebains,iltrouvasafemmequil’attendait.Ill’embrassasurlajoueetsouritpourlarassurer.LesdeuxépouxentrèrentdansleurchambreàcoucheretAmroubeysedéshabillapourmettresonpyjamaetdormir,maissoudain il regardasamainilsemitàcrier:

—Nadia,lesangestrevenu.

Maintenant il n’était plus possible de fermer les yeux sur ce qui se passait.Nadiaserhabillarapidementetl’accompagnadanssavoiture.Amroubey,assisàsescôtés,tentad’appelerledirecteurdel’hôpitalAlSalam,qu’ilconnaissaitbien.Il utilisait son téléphone portable de la main gauche, car sa main droite étaitcomplètement couverte de sang. En route vers l’hôpital, Amrou bey semit à sedemanderd’oùvenaitcesangsursamaindroite.Ilnes’étaitpasblesséetilnesesouvenaitpass’êtrecognélamain.Ilpassaalorsenrevuetoutcequ’ilavait faitpendantlajournée…

Ilétaitarrivéauservicedelasécuritéd’Etatàuneheuredel’après-midi.Avantd’entrer dans son bureau, il avait décidéde passer voir son collègueTamer beypours’assurerquelesréservationsavaientbienétéfaites,pourMarsaMatrouh,oùils devaient passer les vacances ensemble, à partir du premier août. Tamer beyétaitdelamêmepromotionqueluiàlafacultéetc’étaitundesesmeilleursamis.Amrou bey était entré dans le bureau de Tamer bey et l’avait trouvé en pleininterrogatoiredequelques islamistes,membresde l’organisationLaPromesse. Ilavaitvuunhommebarbu,suspenduparlespieds,latêteenbasdanslapositiond’unebêtequ’ons’apprêteàégorger,àquidesindicateursenvoyaientunesériededécharges électriques entre les cuisses. L’homme poussait des hurlementseffrayants,tandisquelavoixdeTamerbeyretentissaitdanslapièce:

—Situn’avouespas,filsdepute,jefaisvenirtafemmeBoussaina,jelafousàpoiletjelaisselessoldatsselafairesoustesyeux.

Dès que Tamer bey eut aperçu son ami, son visage s’était éclairé. Il s’étaitempressé de lui serrer la main, l’avait pris à part et lui avait dit que lesréservationspourl’étéétaientbienfaites.Ensortantdubureaudesonami,Amroubey avait eu l’idée de passer ensuite saluer son collègueAbd el Khaleq bey quiétait en train d’interroger des ouvriers d’une cimenterie en grève. En entrant,Amroubeyavaitvuunhommeensous-vêtements,lesmainsetlespiedsattachésàunepoutrequel’onavaitbaptisée“lamariée”.Lecorpsdel’hommeétaitcouvertd’ecchymosesetdeblessures.Derrière lui,unsupplétif luidonnaitdescoupsdecravachetandisqued’autresluifrappaientlatêteetlevisage.AbdelKhaleqbeyluicriait:

—Alorstuveuxjoueraumilitant,auhéros?Ehbien,filsdepute,moijetejureque je te ferai embrasser les souliers des soldats. Tu vas bientôt souhaiter êtremort.

AmroubeyavaitsaluésonamiAbdelKhaleqbeyetétaitsortirapidementpournepasleretarderdanssontravail.Ensuite,ils’étaitinstallédanssonbureauoùlui-même interrogeait deux jeunesdumouvementdu 6 avril qui, dans les rues,appelaient les citoyens à aller accueillir le docteur Mohamed El Baradei àl’aéroport. L’interrogatoire était facile : les deux jeunes étaient entrés dans sonbureau complètement épuisés, après avoir été torturés toute la nuit. En réalité,Amrou bey n’avait plus rien à faire. Après avoir déversé sur les deux jeunesl’habituelle bordée d’injures, il s’apprêtait à les renvoyer lorsqu’il remarqua quel’undesdeux le regardait avecunesortededéfi. Il s’était levéde sonbureauetl’avaitgifléàplusieursreprises.Cefutlesignalpourlessupplétifsquilerouèrentànouveaudecoupsdepiedsetdepoings.Amroubeyavaitalorscrié:“Disquetuesunefemme”

Lescoupsredoublaient,maislejeunerefusaitdeledire.Amroubeyavaitalorsdonnéunordreauxsupplétifsquisaisirentparlespiedslejeunedontlatêteallacognerparterreetils lerouèrentdecoupsdepiedsetdepoingsjusqu’àcequ’ils’évanouisse.

C’était làtoutcequ’avaitfaitAmroubeypendantlajournée.Ilavaittoutpasséenrevuedanssonespritetn’avaitrientrouvéd’extraordinaireoud’inaccoutumé.Unejournéedetravailcommelesautres.D’oùpouvaitdoncvenircesangquiluisouillait la main ? En arrivant, Amrou bey trouva le directeur de l’hôpital enpersonne qui l’attendait. Il l’ausculta avec le plus grand soin, puis il lui fit uneprise de sang qui fut immédiatement analysée. Tandis qu’Amrou bey et sonépouseNadiaétaientassisdevantlebureaududirecteurdel’hôpital,celui-cirelutplusieursfoislerésultatdesanalyses,puisilenlevaseslunettesetleurdit:

—Ecoutez,Monsieurl’officier,lesgensontlamainquisaignedanstroiscas:àcaused’uneblessure,parcequ’ilsontpristropderemèdespourfluidifierlesangou bien, qu’àDieu ne plaise, parce qu’ils ont une gravemaladie du sang. Votreexcellencen’estpasblessée,n’apasprisdemédicamentsetl’analysedesangestparfaite.Avraidire,lasituationdevotreexcellenceestétrange.Attendonsvingt-quatreheureset,siDieuleveut,lesangs’arrêtera.

Le directeur de l’hôpital lui fournit quelques médicaments et lui donna despansements àmettre sur samain pour arrêter l’écoulement du sang, puis il luidemandaderevenirlevoirlelendemainmatinpoursuivresonétat.

Amrou bey ne dormit pas de la nuit. Le matin, il entendit la voix de sa filleNourhanequisepréparaitàpartirpour l’école,mais ildécidadenepasaller lavoirpournepasl’effrayeraveclespectacledesamaincouvertedesang.

Ils’habillaavecl’aidedesafemmequil’accompagnaànouveauchezledirecteurde l’hôpital. Celui-ci l’ausculta en renouvelant son regret de ne pas trouverd’explicationmédicaleàcettehémorragieetilluidemandadecontinueràprendresesremèdesetàmettresespansements.

Deretouràlamaison,Amroubeyappelaleservicepourdirequ’ilétaitmaladeetqu’aujourd’hui il ne pourrait pas travailler. Il passa une autre journée dans sachambre sans rienmangermalgré l’insistancede sa femmeet il nedormit quequelquesminutesaprèslesquellesilseréveillapourregardersamainqu’iltrouvaencoreunefoissouilléedesang.

Lematin,sa femmealla le trouveret levitétendusur le lit, l’aircomplètementépuisé, mais elle découvrit sur son visage une expression nouvelle, étrange.Amrou bey fit un effort sur lui-même et se leva, puis s’habilla avec l’aide de safemmeàqui ildemandade l’accompagnerà son travail. Là, il sedirigeavers lebureaudesonExcellencelegénéral,directeurdelasécuritéd’Etatqu’ildemandaàrencontrer. Il fut immédiatement introduit.Legénéral lui fitunbonaccueilet futchagrinéquandilvitlesbandagesautourdesamaindroite:

—Riendegrave,Amrou.Qu’as-tu?

Amroubeyluiracontatoutcequis’étaitpassé.Legénéralfronçalessourcils:

—C’estunedrôled’histoire,Amrou.Prendsdesvacancesjusqu’àcequecelasecalme,siDieuleveut.

MaisAmroubeyluisouritetdelamaingauchetenditunefeuillequ’ilposasurlebureaudevantsonExcellencelegénéralquilalutrapidementets’écriad’untonréprobateur:

— Qu’est-ce que ça veut dire ? Tu es devenu fou, Amrou ? Tu as déjà vuquelqu’undémissionnerdelasécuritéd’Etat?

—Jevousenprie,Monsieur.

—Monfils,jetelaisseletempsderéfléchir.Tuesundesmeilleursofficiersduserviceettuasunbelavenirdevanttoi.Peux-tumedirepourquoituveuxquitterleService?

Alors,sansparler,Amroubeymontraàsonexcellencelegénéralsamaindroitecouvertedesang.

Ladémocratieestlasolution.

POURQUOILEGÉNÉRALCRIE-T-IL?

LesjeunesgensetlesjeunesfillesquisontdescendusmanifesterdanslesruesduCaire,le6avril20081,n’étaientpaseninfractionaveclaloietnecommettaientnicrimenifaute.Ilsvoulaientsimplementexprimerleuropinion.Ilsréclamaientlaliberté, la justice, la dignité, des élections honnêtes, l’abrogation de l’étatd’exceptionetunamendement constitutionnelpourdonnerà tous lesEgyptiensune chance équivalente de présenter leur candidature. Ce sont là desrevendications justes et légitimes. Pourquoi ces jeunes ont-ils été soumis à deschâtiments,pourquoiont-ilsétébattus,jetésausol,arrêtés?

Aucun Etat respectable ne punit ses citoyens avec cette barbarie simplementpouravoirexpriméleuropinion.Cequiestsurvenule6avrilresteraéternellementcommeunetachehonteusesurlefrontdurégimeégyptien.Uncordond’agentsdelasécuritéd’Etatencerclalesjeunesetlespressaaupointdelesétoufferpuis,toutà coup, des commandos demilitaires entraînés au karaté les attaquèrent et semirent à les frapper sur la tête et sur le corps avec de grosses matraques. Jen’avais jamaisvuunetellesauvageriedans larépression,endehorsde la façondontlesIsraéliensavaienttraitélesmanifestantspalestinienspendantl’Intifada.Pourquoi le gouvernement égyptien agresse-t-il ses compatriotes avec cettesauvagerie?

Les jeunes hommes et les jeunes filles criaient, certains étaient gravementblessés et leur sang coulait sur le goudron, mais malgré cela, les coupscontinuèrent à pleuvoir sans interruption. A la fin apparut un homme d’unecinquantaine d’années, corpulent, habillé en civil, avec le signe de la prièrelargementdessinésurlefront.Lessoldatsl’appelaient“mongénéral”.Legénéraldonnal’ordredefairesortirlesfillesducordon,l’uneaprèsl’autre.

Ilcriaàsesindicateursd’unevoixquiressemblaitautonnerre:

—Faites-moivenircetteputain,celle-là!

Lesindicateursseprécipitèrentpours’emparerdelafillequiétaitaumilieudesesamis.Lesjeuneshommesfirentdeseffortsdésespéréspourladéfendre,ilslaprotégèrent de leur corps et reçurent les coups à sa place, mais ceux-ciredoublèrent et devinrent de plus en plus violents, leur causant de nouvellesblessures,cequifinitparaffaiblirleurrésistance.Lessupplétifspurentdoncleurarracher la fille. Ils lapoussèrentdevanteuxen la frappant jusqu’àcequ’ellesetrouvefaceaugénéralquil’accueillitavecunebordéed’injuresobscènes,puislevalamainetlagiflaplusieursfoisavecforce.Il luiarrachaensuitesonhidjabet laprit par les cheveux. Il la traîna par terre sur une longue distance tout en luidonnantdescoupsdepieddetoutessesforces,avantdelajeterauxsoldatsqui

continuèrent à la frapper, la gifler et lui donner des coups de pieds. Puis, aprèsl’avoircomplètementdémolie,ilslajetèrentdansunfourgondepolice.

Onvoyaitlesimagesdugénéralentraind’attaquerdelamêmefaçonlesjeunesfillessurtouteslesvidéosquiavaientéchappéàlaconfiscationparlapolice.Maisjeremarquaiquelquechosed’étrange:pendantquelegénéralattaquaitlapudeurdelajeunefille,qu’illatraînaitàterre,qu’illafrappait,sonvisageseconvulsaitetil n’arrêtait pas de crier. Tout en l’agressant, il poussait des cris rauques,déchirants,commesic’était luiquiavaitmal. JemesuisdemandépourquoisonExcellencelegénéralcriait.

Cequiauraitéténormal,c’estquelafillecrie,elledontlecorpsetladignitésontattaqués dans la rue sous le regard des passants. Mais le général qui la bat,pourquoi crie-t-il ? Il est fort, énorme, il domine complètement la situation. Ilpossèdetout,alorsquelafillen’arien.Sonpouvoirestabsoluetsesordressontexécutés,ilpeutfairecequ’ilveutdelafille,illabat,illagifle,illatraînesurlesoletmêmes’illatuait,personnenelepunirait.Pourquoidonccrie-t-il?Pendantlaguerre, les combattants peuvent pousser de grands cris aumoment du combatpoursemerlafrayeurdanslecœurdeleursennemis,maislegénéraln’estpasentrain de combattre et il n’affronte pas un ennemi en armes. Il s’en prendsimplementàunefaiblejeunefillequin’arienpoursedéfendre,quiestpresquemortedepeur,dedouleur,d’humiliationetdehonte.

Alorsqu’ilagressel’honneurdelafille,legénéralcrie-t-ilpourmettreuntermeàl’hésitationdesofficiersdepolice,sessubordonnés,dontcertainsrefusentpeut-êtredes’enprendreunejeunefilleégyptienneinnocente,quin’apascommisdecrimesetquin’apasenfreintlaloi?Crie-t-ilpouroublierquesonvéritabledevoirest de protéger cette jeune fille contre les agressions et non de l’agresser lui-même?Crie-t-ilpouroublierquecettejeunefilledontilarrachelehidjabetqu’iltraîneàterreressembleàsafille,safilleque,sansdoute,ilaimebeaucoup,pourlaquelle iléprouvede latendresse,qu’ilnepermettraitàpersonned’humilieroude meurtrir ? Et lorsqu’elle passe un examen difficile ou tout simplementlorsqu’ellealagrippe,ilnepeutpass’endormiravantd’êtrealléserassurer!Crie-t-il parce que lorsque, à l’âge de trente ans, il a terminé ses études à l’école depolice, il rêvait d’être l’hommedu droit et de la justice et avait juré de protégerl’honneur des Egyptiens, leur vie et leurs biens, alors qu’il se voyait peu à peuembourbédanslaprotectiondurégimedeMoubarak,aupointd’enêtrevenupourcelaàattenteràl’honneurdesjeunesfilles?Peut-êtrecrie-t-ilparcequ’ilestpieuxoutoutaumoinsseconsidèrecommetel : ilprieetjeûneavecrégularité–il faitmêmelaprièredel’aubedanstoutelamesuredupossible.IlaaccompliunefoislePèlerinageetmêmeplusieursfoislaOmraet,àforcedeseprosterner,iladepuisdesannées lesignede laprièremarquésur le front. Il crie,peut-êtreparcequ’ilsaitqu’ilaplusdecinquanteansetquesontermepeutarriveràtoutmoment.Ilpeutmourirdansunaccidentdevoitureoudécouvrirtoutàcoupqu’unemaladiegraveval’emporter,oubien,commecelaarriveàdenombreusespersonnes,ilvas’endormir un soir en pleine forme et le matin sa femme, en essayant de leréveiller,letrouveramort.

SonExcellencelegénéralsaittrèsbienqu’ilmourraetqu’ilparaîtraalorsdevantNotreSeigneur,qu’Ilsoitglorifiéetexalté,enattendantsonjugement.Cejour-là,le présidentMoubarak ne lui sera d’aucun secours, ni leministre de l’IntérieurHabibelAdly,nimêmeleprocureurgénéralquiclassetous les rapportsdresséscontrelui,fautedepreuvessuffisantes.Lejourdugrandinventaire,toutlemondel’abandonnera– lagarde, les indicateurs, lessoldatset lesofficiers,sesamis,safemmeetmêmesesenfants.Cejour-là,songradedegénéralneluiserad’aucunsecours,nisesrelationsavecdehautsresponsables,nisesrichesses.Cejour-là,ilsetiendranu,commesamèrel’amisaumonde,faible,sansdéfense,tremblantdepeurdujugement,devantsoncréateur.Cejour-là,Dieuluidemandera:pourquoias-tu agressé une faible jeune fille égyptienne incapable de se défendre touteseule?Pourquoil’as-tufrappée,pourquoil’as-tutraînéeparterre,pourquoias-tuattaquésapudeurdevantlesgens?Aurais-tuaiméquel’onfassecelaàtafille?QuediraalorssonExcellence legénéral? IlnepourrapasdireàNotreSeigneurqu’il appliquait des instructions. Il n’aura pas besoin de ses instructions, alors,ellesneluiservirontàrienetellesn’éloignerontpasdelui lechâtimentdeDieupourtouslescrimesqu’ilaaccomplis.

Malgrésonpouvoiretsoninfluence,malgrélesdizainesdemilliersd’agentsdelasécuritéd’Etatetleshommesdemain,malgrélesbataillonsentraînésauxartsmartiaux qui attendent, comme des chiens sauvages bien dressés, un simplesignedesamainpourfrapper,traînerausoletagresserl’honneurdesinnocents,malgrétoutecetteforceécrasante,sonExcellencelegénéralsent,auplusprofondde lui-même, que, lorsqu’il agresse la jeune fille, c’est lui qui est faible etmisérable, incapable de se contrôler, de plus en plus empêtré dans les crimesodieux qu’il accomplit pour protéger le présidentHosniMoubarak et sa famille.SonExcellencelegénéralsentquelafillequ’iltraîneàterreetqu’ilfrappeestplusforte que lui, parce qu’elle lutte pour la vérité et la justice, parce qu’elle estinnocenteetnoble,pureetcourageuse,parcequ’elleaimesonpaysetqu’elleluttepourluidetoutessesforces.

Lajeunefillejetéeàterrerecevaitlescoupsdepiedetdepoingdessoldatssanssupplier, sans appeler au secours, sans implorer les bourreaux. Elle criait :“Liberté,liberté,vivel’Egypte,vivel’Egypte.”

AlorssonExcellence legénéraléprouvaunesensationétrange. Il compritqu’ilpouvait tuer cette jeune fille,qu’ilpouvaitdépecer soncorpss’il levoulait,maisqu’ilnepourraitjamaislavaincre,nil’humilier,nibrisersavolonté.Ilsentitque,endépit de sa force il était vaincu et que c’était cette faible jeune fille outragée,jetée à terre qui allait vaincre. Alors il ne restait plus à son excellence qu’unechoseàfaire:crier!

Ladémocratieestlasolution.

1Lessalariésd’uneusinetextiledeMhallahel-Koubra,aunordduCaire,s’étaientmisengrèvepourréclamerdemeilleurs salaires et conditions de travail. Pour appuyer les ouvriers et appeler à une grève nationalele 6 avril 2008, un groupe de jeunes s’est organisé sur Facebook et Twitter. Lors desmanifestations, des

centainesdemilitantsontétéarrêtés.Depuis,lemouvementn’adecessederéclamerledépartdeMoubarak.Cemouvementajouéunrôleclédansledéclenchementdelarévolutionégyptienne.

DEVONS-NOUSCOMMENCER

PARRÉFORMERLESMŒURS

OURÉFORMERLERÉGIME?

Voicideuxfaitsauxquelsj’aipersonnellementassisté:

Le premier a eu lieu à l’université du Caire où j’étais étudiant en faculté dePharmacie.Alafindel’année,nousavionsunexamenthéoriqueetpratiquepuisun oral qui était la porte ouverte à toutes les interventions et à tous lesfavoritismes.Jemesouviensd’unecondiscipledenotresectionquis’appelaitHaladont lepèreétaitprofesseurdemédecinedansuneuniversitéprovincialeetqui,parconséquent,étaitamidelaplupartdesexaminateurs.

Lehasard voulut que je passe les épreuves orales de physiologie avecHala etune autre condisciple. L’examinateur me bombarda de questions difficilesauxquelles, avec l’aide de Dieu, je répondis correctement. Ensuite, il pressural’autre condisciple de questions si insolubles qu’elle s’embrouilla et échoua.LorsquevintletourdeHalaquiétaitassiseàcôtédemoi,leprofesseurlaregardaaffectueusementetluidit:

—Commentvas-tu,Hala?Saluetonpèredemapart.

Alasuitedequoi, ilnousdemandadesortir.Enquittantlejury,jemesentaisoffenséetvictimed’uneinjustice,carjevenaisdepasserunexamendifficilealorsqueleprofesseurn’avaitpasposéuneseulequestionàHala.Lorsquelesrésultatsparurent,Halaetmoiavionsobtenu lamentiond’excellenceenphysiologie,moiparceque j’avaisbienréponduauxquestionsetelleparcequ’elleavait transmislessalutationsdel’examinateuràsonpère.

Ledeuxièmefaitestsurvenudesannéesplustardàl’universitédel’Illinoisoùj’étudiaisenmagistère.LeprofesseurdestatistiqueétaituneAméricaineblancheraciste qui détestait les Arabes et lesmusulmans. Je fus étonné de voir qu’ellem’avait donné la mention très bien, au lieu de la mention d’excellence que jeméritais,carjen’avaispasuneseulefauteàmonexamenfinal.Jemeplaignisdecequim’arrivaitàunecollègueaméricainequimeconseilladelirelerèglementdel’universitéetdedemanderunrendez-vousauprofesseurenquestion.

Jeluslerèglementetj’ytrouvaique,s’ilavaitlesentimentd’êtrevictimed’uneinjusticeaucoursd’unexamenquelconque,unétudiantavaitledroitdeprésenteruneplaintecontresonprofesseuret,danscecas,l’administrationdel’universiténommaitungroupedeprofesseursextérieurspourrevoir l’examen.Si l’étudiants’était trompé dans sa plainte, l’université ne prenait aucunemesure contre lui

(l’objectif était de ne pas lui faire craindre de solliciter un recours),mais si sesdoutesétaientfondés,lerésultatétaitimmédiatementmodifiéetunavertissementofficielétaitadresséauprofesseurcoupabled’injustice,ensachantqu’auboutdetrois avertissements le contrat de celui-ci était immédiatement rompu. J’allairencontrerleprofesseurextrémisteetdèsquejeluiparlai,j’euslacertitudequ’ellem’avaittraitéinjustement. Je luidiscalmementque,conformémentaurèglementde l’université, je lui demandaisunduplicatadema copie afind’aller présenteruneplaintecontreelle.Cettephraseproduisituneffetmagique: leprofesseursetutunlongmoment,avantdemedirequ’elleavaitbesoinderevoiravecsoinmesréponses. Lorsque je retournai la voir le soir-même, comme elle me l’avaitdemandé,lasecrétairem’informaqueleprofesseuravaittransformémamentiontrèsbienenmentiond’excellence.

Jeréfléchislonguementparlasuiteàlaportéedecesdeuxfaits.L’universitairexénophobeaméricaineétaitexactementaussiinjustequel’universitaireégyptien,mais elle n’avait pas pu commettre son forfait parce que le règlement del’université de l’Illinois protège les droits des étudiants et punit ceux qui lesbriment,quellequesoitleurposition.Quantaurèglementdel’universitéduCaire,ildonneauxprofesseursunpouvoirabsolusur lesétudiants,cequi leurpermetdefairecequ’ilsveulentsansavoirdecomptesàrendre.

C’est d’appliquer la loi au plus puissant avant de l’appliquer au plus faibleensuitequiest legarantdelajusticedansn’importequellesociété.Cequim’estarrivé à l’université du Caire se produit dans toute l’Egypte. Beaucoup de gensobtiennent ce qu’ils ne méritent pas grâce à leurs relations, à leur capacité depayerdesbakchichsouauxrecommandationsdesservicesdesécuritéoudupartiaupouvoir.

Lamajorité des Egyptiens vivent dans des conditions inhumaines : pauvreté,maladie, chômage, absence totale d’espoir en l’avenir. Généralement la loi, enEgypte, ne s’applique qu’aux faibles qui ne peuvent pas s’y soustraire ou laneutraliser. Le petit fonctionnaire qui touche un bakchich de cent livres estcondamné et jeté en prison, tandis que personne n’ose s’approcher desimportants personnages qui touchent des commissions par millions. Dans cecontextegénérald’injustice,iln’estpaspossibledesecontenterd’inviterlesgensàavoiruncomportementmoral,sanschangerlerégimecorrompuquilespousseà la transgression. Il y a quelques années, je fus invité, dans un programmecélèbred’unetélévisiongouvernementale,àparlerdelacorruptionenEgypte.Celame surprit de voir que l’animateur présentait la corruption comme une simpleanomalie morale dont la seule cause était la faiblesse de la conscience et lemanquedefoi.Jeluirépondisquecequ’ildisaitétaitvraimaisinsuffisantetquelephénomènedelacorruptionnepouvaitpasêtreétudiésansquesoitévoquéleniveaudessalairesetdesprix.Leprésentateurs’opposaviolemmentàmoietmitfinaudialogueavantl’heureprévue.

La vérité est que leprésentateur se comportade lamêmemanièreque le fonttous les responsablesde l’Etat, qui présentent lamoralité commequelque chose

d’immuable et de complètement séparé des conditions sociales et politiques.Généralement, ils attribuent les épreuves par lesquelles passe actuellementl’Egypte au mauvais comportement moral des Egyptiens eux-mêmes. Peut-êtrecomprenons-nous mieux maintenant pourquoi le président Moubarak accusetoujourslesEgyptiensdeparesseetdemanquedeproductivité.Ceraisonnementfeintd’ignorerque,dansn’importequelpays,laproductionimplique,enpremierlieu, la diffusion d’un enseignement de qualité puis de conditions de travailsatisfaisantesetdesalairespermettantd’assurerauxgensuneexistencedigne,tousobjectifsquelerégimeduprésidentMoubarakatotalementéchouéàréaliser.C’est dans le même ordre d’idées qu’il faut voir ce qu’a fait le ministre del’EducationAhmedZakiBadr (l’hommede la listenoire,quia fait intervenirdeshommes de main pour frapper à l’arme blanche les étudiants manifestant àl’intérieurdel’enceintedel’universitéd’AïnShamsdontilassuraitlaprésidence).LeministreBadr,accompagnédejournalistesetdecamérasdetélévision,estallévisiter des écoles à l’improviste et s’en est pris aux enseignants qui étaientabsents ou en retard. A la suite de quoi, il est apparu dans les médias pourrappeler à ces derniers la vertu de la ponctualité. Comme s’il y avait de bonsenseignants que Dieu avait créés consciencieux et d’autresmauvais, négligentsparnature,qu’il fallaitsévèrementpunirpourqu’ilsapprennentàtravailleravecrégularité.Ceraisonnementerronéfeintd’ignoreruneréalitéquiestquelesécolesgouvernementalessontdépourvuesdemoyens,d’équipementspédagogiques,delaboratoires et que les enseignants touchent un salaire dérisoire qui en fait desmendiants, ce qui les oblige à donnerdes leçonsparticulières ou à chercheruntravailsupplémentairepourpouvoirnourrirleursenfants.Leministreneveutrienvoir ni rien entendre de tel, car cela impliquerait pour lui le devoir de faire devéritablesréformes,cedont ilest incapable. Ilnousinviteseulementàavoirunebonne moralité, indépendamment de toute autre considération. C’est le mêmeraisonnementquetientleministredelaSanté.HatemelGebeli,quisetrouveêtreenoutreundesplusgrandsinvestisseursdansledomainemédicalenEgypte,estle premier responsable de l’effondrement des hôpitaux publics qui, au lieu desoignerlespauvresetdeleurprêterassistance,ontpourfonctiondelesacheveretdelesenvoyerdansl’autremonde.

Au milieu de ce désastre, le ministre de la Santé, toujours accompagné dejournalistes et de caméras, fait des visites inopinées dans les hôpitaux publicspour que sa photographie soit à la une des journaux. A cette occasion, ilsanctionne lesmédecins qui sont en retard à leurs rendez-vous et leur fait desdiscourssurlamissionhumanitairedumédecin.

Bienentendu,ilfaitsemblantd’ignorerqueceshôpitaux,soussonbienheureuxmandant,sontdépourvusdesplusélémentairespossibilitésdesoins,quelesratset des insectes de toutes sortes s’y ébattent à leur aise, et que cesmalheureuxmédecinsn’ontpasdequoi subvenir auxbesoinsde leursenfantset travaillentjour et nuit dans des cliniques privées pour gagner, en un mois, ce que lescliniquesprivéesdesonExcellencefontruisselersurluienquelquesminutes.

L’appelàréformerlesmœursindépendammentdelaréformepolitique,enplusdesastupiditéetdesoninutilité,conduitàmettredelaconfusiondanslesesprits,enlesdétournantdescausesvéritablesdeladétériorationdelasituation.Nousnepouvonspasdemanderauxcitoyensde faire leurdevoir,alorsqu’ilssontprivésdeleursdroitslesplusélémentaires.Ilnenousestpaspermisdedemanderdescomptesauxgensavantquenousneleurayonsgarantileminimumdejustice.Jen’aipasl’intentiondejustifiertouslesmanquementsetjesaisqu’ilyatoujoursunecatégoriedegensexcellentsquirésistentauxdérives,aussimauvaisessoientleursconditionsdevie,maislesmœursdelaplupartsontaffectéesparlerégimequilesgouverne.

Lesentimentdejusticefaitressortirdesgenscequ’ilyademeilleureneuxet,inversement,lesentimentd’injusticeetdedésespoirlespoussegénéralementaudévoiement et à l’agressivité à l’égarddes autres.Quelle que soit l’éloquence denos prêches, nous ne viendrons pas à bout de la prostitution si nous n’enfinissonspasaveclapauvreté,etnousnenousdébarrasseronspasdel’hypocrisieet de la corruption avant d’avoir édifié un régime justequi donneà chacun sesdroits et qui réprime les malfaiteurs, sans égard pour leur position et leurinfluence.Laréformepolitiqueestlepremierpasversleprogrès,ettoutleresteestpertedetempsetd’efforts.

Ladémocratieestlasolution.

LESLIBERTÉSSONT-ELLESDIVISIBLES?

C’estlàunequestionimportante.

EnEgypte,ungrouped’avocatsaentaméuneactionenjusticepourfairesaisirlesMilleetUneNuits,accusantcelivredecontenircertainesexpressionsheurtantlesbonnesmœurs.Ilestclairquecesavocatsn’ontjamaislud’œuvresclassiquescardanslaplupart, lesrelationsentre leshommeset lesfemmesysontdécritesd’unefaçontrèscrue.C’estlecas,parexemple,duLivredeschants,deAbuFarajElIsfahaniouduLivredesdélicesetdelacourtoisie,d’AbuHayyanElTawhidi,etdebiend’autres.

AlJahiz,indiscutablementleprincedelaprosearabe,quivécutentrel’an159etl’an255del’Hégire,aécrituneépîtrefameusedontletitreest:“Controverseentreles amants des éphèbes et ceux des courtisanes”. C’est un dialogue entre unhommequi aime les garçons et un autre qui aime les femmes. L’épître contientbeaucoupd’expressions crues,mais ellen’en restepasmoinsunbeauet grandtextelittéraire.

Lapratiquedelacensureà l’égarddenotre littératurearabeclassiqueouvrelaporte infernale conduisant à sa destruction et à sa dénaturation. Il est donc denotre devoir de préserver tel qu’il est notre grand patrimoine culturel. Il estpossible de publier des versions épurées pour les enfants, mais les textesoriginauxdoiventêtreconservéssansmodificationniamputation.C’étaitlàmonopinionetc’estpourcelaque j’avais rejointavecconviction lesdéfenseursde lalibertéd’expressionlittérairecontrelacensureetcontrelesidéesréactionnaires.

Maisensuitenosopinionsdivergèrent.

Au beaumilieu de la bataille des intellectuels pour défendre les Mille et UneNuits,legouvernementégyptienannonçalaprolongationdel’étatd’exception,cequisignifielasuspensiondesloisnormalesquiprotègentleslibertésetladignitédesEgyptiens.J’attendaisdeschevaliersdelaliberté–défenseursdesMilleetUneNuits–qu’ilssejettentàcorpsperdudanslaluttepourleslibertéspubliques.Cenefutmalheureusementpaslecas.Denombreuxintellectuelsqui,aujourd’hui,sebattentpour lesMilleetUneNuits,n’ont jamaisouvert labouchepourprotestercontre la fraude électorale, les arrestations ou la torture, ces crimes odieuxperpétrésparlerégimedeMoubarakcontrelesdroitsdemillionsd’Egyptiens.

J’ensuisvenuàmedemandersileslibertésétaientdivisibles.

Peut-on défendre la liberté de création sans se préoccuper des libertéspubliques ? Le rôle de l’intellectuel peut-il se réduire à la défensede tout cequiconcernel’écriture,alorsqu’ilrestecomplètementsilencieuxsurcequiconcernela

nation et les gens ? Il est regrettable que nous soyons obligés de poser cettequestion.Danslemondeentier,etautrefoisdansnotrepays,l’intellectueladoptaittoujoursdespositionsfermesdanslecombatglobalpourlavérité,lajusticeetlaliberté.Lesexemplessontinnombrables:

AbbasElAkkad,TahaHussein,AlfredFarag,AbderrahmaneElSharqawi,parmiles écrivains arabes. Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Bertrand Russel, GabrielGarciaMarquez, Jose Saramago, PabloNeruda et de nombreux autres parmi lesécrivainsoccidentauxs’élevèrentavec fermeté contre l’injusticeet ladictatureetontsouventpayéd’unprixélevéleurspositions.

Le grand écrivain russe Fiodor Dostoïevski (1821-1881), le plus importantécrivain de l’histoire de la littérature, s’est engagé dans l’action politique et aadhéréàuneorganisationsecrètedontlebutétaitdemettrefinaurégimetsaristeenRussie,cequientraînasonarrestationetsacondamnationàmort,peinequifutensuitecommuéeenquatreansdedéportationenSibérie.Lacréationlittéraire,dans son essence, est une défense des nobles valeurs humaines. Comment unécrivain pourrait-il lutter dans son œuvre pour la liberté, puis se taire lorsquecelle-ci est violée dans la vie quotidienne ? L’intellectuel qui met ses dons auservicedestyransetneprendjamaispositioncontrel’oppression,lacorruption,ledétournementde fondspublics et la répressiondes innocents, et qui, dans lemêmetemps,s’élèveviolemmentpourprendreladéfensed’unpoèmeinterditdepublicationoud’unlivresaisi,perdtoutecrédibilité.

CequivientdesepasserenLibyeenapporteunepreuve.LesresponsablesdecepayssaventquelaréputationdurégimedeKadhafiétaitextrêmementmauvaise.Des dizaines de milliers de Libyens innocents ont, en effet, été emprisonnés,torturés,déplacés,tués,simplementpouravoireudesidéesopposéesàcellesducolonel,quiarécemmentdécidédesedonnerletitredeRoidesRoisd’Afrique.Lesresponsableslibyensontdoncvoulufairequelquechosepourredorer l’imagedurégime aux yeux de l’opinion internationale. Comme la Libye est un riche payspétrolieretcommelesrichessesdupeuplelibyensontentrelesmainsducolonelquilesdépensecommeilveut,sanslemoindrecontrôle,ilsdécidèrentdecréerungrand prix, d’un montant de cent cinquante mille euros, baptisé prix Kadhafiinternationalde littérature,quiseraitaccordéchaqueannéeàungrandécrivainmondial,danslebutévidentd’améliorerl’imagedurégime.

Pour son lancement, le choix se porta sur l’écrivain Juan Goytisolo, âgé desoixante-dix-neuf ans, que les critiques considèrent comme le plus grandromancierespagnolvivant. JuanGoytisolosouffrit lui-mêmede la répression : lerégimedeFranco tua samèrealorsqu’il était enfant et l’obligeaàvivreenexil.Goytisoloestundesplusgrandsdéfenseursdeladémocratieetdelalibertéetl’undesplusgrandssoutiensdesdroitsarabes,amoureuxdelaculturearabeaupointderésiderenpermanenceàMarrakech,depuisdesannées.

Lesresponsableslibyensentrèrentenrelationavecleromancierpourleféliciteret lui annoncer qu’il était le lauréat du prix littéraire international Kadhafi.Goytisoloécrivitimmédiatementunelettreaujurypourenremercierlesmembres

etleurdéclarerensubstance:“J’aipassémavieàlutterpourledroitdespeuplesarabes à la justice et à la liberté et jeme suis opposé de toutesmes forces auxrégimesdictatoriauxqui,parleurcorruptionetleuroppression,maintiennentdesmillionsd’Arabesdanslesgriffesdel’ignoranceetdelapauvreté. Jenepeuxenaucun cas accepter un prix accordé par le colonel Kadhafi qui s’est emparé dupouvoirpar la forceetaétabliunrégimedictatorialquiaemprisonné, torturéettué des Libyens innocents. Je refuse ce prix car, tout simplement, il est encontradictionavectouslesprincipesauxquelsjecrois.”

Cerefusfutpourlerégimelibyenunegifleretentissantedontleséchosontétéentendusdanslemondeentier.LejournalanglaisTheIndependentluiaconsacréun long article où Boyd Tonkin salue la position du romancier qui “remplit savéritable mission d’écrivain, conscience vivante de l’humanité, toujours dressécontre les forcesde l’oppression”.Desdizainesd’intellectuels libyensenexilontenvoyédeslettresderemerciementàGoytisoloaveccesmots:“VotrerefuspublicduprixKadhafi,dèssapremièreéditionetmalgrésonmontantfinanciertentant,représenteunegiflemoralepourladictaturedeKadhafiquicroitquel’argentvoléauxLibyenspeutluipermettred’acheterlesconsciencesdesintellectuels.”

Lesresponsablesduprixsesontalorsretrouvésdansungrandembarras:s’ilsannulaient le prix, cela ferait beaucoup de bruit,mais s’ils le proposaient à unautre écrivain étranger, il était très possible qu’il le refuse comme l’avait faitGoytisoloetlescandaleseraitencorepire.Bienqueleprixaitétédestinéaudépartà récompenser un grand écrivain international, les organisateurs ont fermé lesyeuxsurcetteconditionetilsontrecherchéunepersonnalitéarabequiaccepteraitde recevoir le prix et, ayant trouvé l’oiseau rare en la personne du critiqueégyptienGaberOsfour.

M. Osfour, fermant les yeux sur tout ce contexte, s’est rendu en Libye pourrecevoirleprix,cequiétaittrèsregrettable.Aucoursd’unegrandecélébration,ilachantéleslouangesducolonelKadhafi,guidedelarévolutionlibyenne(etRoidesRoisd’Afrique)etafaitl’élogedelaformidablelibertédontjouissaientlesLibyens.GaberOsfourn’apasressentilapluspetitehonteàrecevoirleprixqu’avaitrefuséun grand écrivain international, par solidarité avec le peuple libyen contre lerégimedictatorialquilesopprime.LemontantdecentcinquantemilleeurosétaittropélevépourqueOsfourpuisseluirésister.

Leplusextraordinaire,c’estque,aprèsavoirtouchélechèquedeKadhafi,OsfourestrentréàtoutevitesseenEgypte,pourdonnerdegrandesconférencespleinesde ferveurpourdéfendre la causede l’ouvrage lesMilleetUneNuits ! Pouvons-nous,aprèscequ’ilafait,accorderàcethommelapluspetitecrédibilitédanssadéfensedelalibertédecréation?

Les libertés ne se divisent pas. Nous ne pouvons pas défendre la liberté decréationindépendammentdeslibertéspubliques.Lalibertédecréation,malgrésagrande importance, n’acquiert sa valeur que dans le cadre d’une défense desdroits, des libertés et de la dignité des gens. La différence entre la position deGaberOsfouretcelledeJuanGoytisoloestcellequiexisteentredesintérêtsetdes

principes, entre le faux et le vrai. Lorsque tous nos intellectuels feront commeGoytisolo, alors, et alors seulement, prendra fin la dictature et commenceral’avenir.

Ladémocratieestlasolution.

LEDESTIND’IBRAHIMISSA

Danslesannéesquatre-vingt,jeprésentaimacandidatureàuneboursed’étudesauxEtats-Unis.Unedes conditionsétait de réussirunexamend’anglais langueétrangère,appeléleTOEFL.JepassailesépreuvesdansleEwartHalldel’universitéaméricainequiétaitpleinàcraquerdejeunesmédecinsetingénieurs,candidatscommemoiàcettebourse.Cejour-là,jedemandaiàceuxquejerencontraisdanslasalles’ilsavaient l’intentionderesterauxEtats-Unisaucasoùl’occasionleuren serait donnée. Ils répondirent oui, sans hésitation, et d’ailleurs beaucoupd’entreeuxajoutèrentqu’ilsvoulaientquitterl’Egyptepourn’importequelpays.

Je pensais à la terrible perte que représentait pour le pays le départ de sesenfants.Touscesmédecins,cesingénieurs,dontnousavonsungrandbesoinvontémigrerversd’autreslieux,dèsqu’ilsaurontterminéleursétudes.Celam’amenaàmedemanderpourquoices jeunesvoulaient fuir l’Egypte.Lapauvretén’enestpas la cause, car, avecunpeudepatience et d’effort, ils pourraient travailler enEgypte pour un salaire raisonnable, tandis qu’en Occident ils seraient souventcontraints de se contenter d’emplois non qualifiés sans rapport avec leursdiplômes.

Lacauseprincipaledel’émigrationdecesjeunesestlesentimentdefrustrationetd’injustice.EnEgypte,touteslesvaleurssontsensdessusdessous:iln’yapasde lien entre les causes et les effets. Les efforts ne sont absolument pas laconditiondelapromotionnilescompétenceslecritèreretenupourparveniràunebonne situation. La fortunen’a généralement de lienni avec le talent ni avec lelabeur.Toutceàquoil’onpeutparvenir,dansunpaysdémocratique,parletravailetparlemérite,s’obtientenEgypteparlesrelationsouladébrouillardise,ettoutce qui là-bas vous qualifie pour la réussite, ne vous aide absolument pas, ici, àavancer.Au contraire, si vousêtesdoué, celadevientdansnotrepaysungrandproblème et votre situation sera meilleure si vous êtes quelconque, ou mêmemédiocreouidiot,d’abordparcequelerégimes’appuiesurlesgensquelconquesetqu’ilcraintlesgensdoués,ensuiteparcequevotreavenir,unefoispourtoutes,reposesurvosrelationsetpassurvosmérites.

Le faitd’êtredoué, enEgypte, représenteunhandicapet suscite la rancœuretl’animosité. Nombreux sont ceux qui se mobiliseront pour vous détruire. Vousavez alors le choix entre trois voies : ou bien vous émigrez vers un paysdémocratique qui respecte l’intelligence et apprécie la compétence, vous ytravaillez sérieusement et vous progressez jour après jour jusqu’à devenirquelqu’un comme Ahmed Zoueil, Mohamed El Baradei ou Magdi Yaaqoub oud’autresencore.Oubienvousoffrezvostalentsaurégimedictatorialquiaccepteraquevoussoyezàsonserviceetquivousutiliserapouropprimervoscompatriotes

etleurmentir.Oubienvousdécidezdeconservervotrehonneur.Maisalors,c’estlesortd’IbrahimIssaquivousattend.

IbrahimIssaest l’undesmeilleurs journalisteségyptiens, l’undesplusdoués,desplussincèresetdespluscourageux.Grâceàsonintelligencebrillante,ilapu,presque sans moyens, créer le journal El Destour1 et en a fait un organed’exceptiondanslapresseégyptienneetarabe.Commetouslesgrandsmaîtres,ilnes’estpascontentédesesréalisationsprofessionnelles,maisilaconsidéréqu’ilétaitdesondevoirdepromouvoirlesjeunestalentsdontdesdizainesonttrouvéleurplacedanssonjournal. Ilssontvenusà luiquandilsétaient jeunes, il lesaaimés,lesaencouragés,leuraapprisàvolerdeleurspropresailesetilssesontélevésdanslecieldujournalismeégyptien.SiIbrahimIssaétaitvenuaumondedansunpaysdémocratique, ilvivraitmaintenantcommeunroi,enrécompensedesongénieetdesontravail.Malheureusement,enEgypte, lerégimedictatorialnesupportepasquequelqu’unsoitàlafoisdouéethonorable.

Ibrahim Issan’était pas un opposant au gouvernement,mais un opposant aurégime. Il ne menait pas de campagnes contre les responsables del’assainissement ou du téléphone, il adressait ses critiques directement ausommetdu régime. Il réclamaitunchangementdémocratiquevéritable,avecdesélections honnêtes et l’alternance au pouvoir. Il se dressait fermement contre latransmissionhéréditairedupouvoirdupèreàsonfils–commesil’Egypteétaitunélevage de poulets ! Ibrahim Issa était parvenu à faire d’El Destour une grandeécoledejournalismeetunfoyerpourtouslespatriotes.

Tout Egyptien victime d’une injustice trouvait El Destour à ses côtés. Toutécrivain dont un article était refusé par quelque périodique que ce soit pouvaitimmédiatement lepublierdansce journalquiétaitceluide tous lesEgyptiensetquiluttaitsanspeuretsansarrière-penséespourlavérité.

LerégimeessayapartouslesmoyensdefairetaireIbrahimIssa.

Ilsont toutessayé. Ils l’ontharassédeprocèsdérisoiresetpoursuivipourdesmotifsfutiles.Ilsl’onteffrayé,menacéd’emprisonnementpouravoireulecouragedesouleverlaquestiondelasantéduprésidentMoubarak,avantdel’amnistieraudernier instant. Ils ont essayé de l’acheter en lui confiant des émissions detélévisionrétribuées.Ilspensaientainsique,parprudenceetpourconserversongagne-pain, il resterait silencieux,mais l’expérienceaprouvéquesaconsciencenepouvaitpasêtreachetée.

Ibrahim Issa continuait à maintenir vivante la flamme de la vérité, à diretoujours ce en quoi il croyait et à faire toujours ce qu’il disait. La montée despressionspopulairesetinternationalesenfaveurduchangementdémocratiqueenEgyptedéconcertalerégimeenplaceetlerenditnerveux:IbrahimIssaluidevintinsupportable.C’estalorsquefutélaborépourledétruireunplanbienbouclédontlesopérationss’enchaînaientimplacablementl’uneàl’autre.Apparutàl’horizonunhommequis’appelaitElSayedElBadawi.Personnenesavaitriendelui,sice

n’est qu’il était riche et possédait la chaîne de télévision ElHayat2, preuve qu’iljouissaitdelaconfiancedesresponsablesdurégime.

ElBadawicommençapardépenserbeaucoupd’argentpourdevenirleleaderdupartiWafd,puis ilendépensaencorebeaucouppourpousser leWafdàaccepterunmisérablerôledecomparsedanslesprochainesélectionsfrauduleuses.Cefutle premier objectif atteint par El Badawi au service du régime. Ensuite venait ledeuxièmeobjectif.Toutàcoup,nousvîmesElSayedElBadawiacheterElDestourenaffirmantd’entréedejeuquelalignepolitiquedujournalnechangeraitpasetqu’ilavaittoujourspourprincipedeséparerl’administrationdelarédaction.

EnsuiteapparutauxcôtésdeElBadawiunautrepropriétairequis’appelaitRedaEdouard,unepersonnesansaucunlien,nideprèsnideloin,aveclapresse.Lesdeuxassociésremplirentleurmissionavecungrandprofessionnalisme.Edouardparlaittoujoursavecbrutalitéetfaisaitétalagedesonallégeanceaurégime,tandisque El Sayed El Badawi restait souriant, débonnaire, disait des mots gentils,prenaittoutlemondedanssesbras,embrassaitlesgens.Maisl’exécutionduplanAsedéroulaitavecprécision.

Dès que la propriété d’El Destour fut officiellement transférée à El Sayed ElBadawi,lapremièredécisionfutderenvoyerIbrahimIssad’unemanièrearbitraireethumiliante.Toutelasuiteétaitbiencalculée.Lesjeunesjournalistes,ahurisdevoir El Badawi sévir contre leur professeur protestèrent et firent unemanifestation.

Cegenredeproblèmeétaitfacileàrégler:ElBadawiallaitleurfairedenouveauxcontrats avec de bons salaires qui leur feraient oublier ce qui était arrivé. Lesyndicat, pour sa part, se trouva face à une situation sans précédent dans lapresse égyptienne. Les membres du bureau prirent l’affaire au sérieux etdemandèrentleretourd’IbrahimIssaàsonposte,carsonlicenciementarbitrairen’étaitpaslégal.C’esticiqu’intervintlerôledusecrétairegénéraldusyndicat,M.MakramMohamedAhmed, un des grands thuriféraires du présidentMoubarakqu’il a l’habitude de couvrir d’éloges pour sa sagesse et ses réalisations. Lesecrétairegénéralfitdesalléesetvenues,montadesescaliersetendescenditpuisil tintde longues réunionsdont il ressortit –belexempled’efficacitésyndicale –pourconseilleràIbrahimIssadeporterl’affaireenjusticepourobtenirlerespectdesesdroits!

C’estainsiquesetrouvaréalisél’objectifd’écarterIbrahimIssadelaprésidencedelarédactiond’ElDestour–lefruitdesesinitiativesetdesesefforts.Ilapparutainsiclairementqu’ElSayedElBadawietRedaEdouardn’étaientriend’autrequedeshommesdurégime,d’unnouveaumodèle.

On sedemandepourquoi, plutôt que tous cesplans, toute cette tactique et cesmillions déversés, pour se débarrasser d’un écrivain doué et honorable qui nepossèderiend’autrequesesidéesetsaplume,legouvernementn’apasdéployétoutecetteénergiepoursauverdesmillionsd’Egyptiensdel’abîmedanslequelils

setrouvent?Le journalElDestourn’estplus,mais ilestentrédans l’histoiredel’Egyptecommeungrandexempledejournalismepatriotique.

Quant à Ibrahim Issa, ils sont parvenus à le limoger de la direction de sonjournal, mais ils ne pourront jamais l’écarter du tableau d’honneur sur lequell’Egypteconservelesnomsdesesfilséminentsetloyaux.Laseulechoseàlaquellen’ontpaspenséElSayedElBadawietceuxquiontmontécettemachinationcontrelui,c’estqu’IbrahimIssa,commeill’afaitavecElDestour,estcapabledecréerdesdizainesd’autresjournaux.Ilsn’ontpaspenséquelecourantduchangementvavaincre en Egypte, avec la permissiondeDieu, car il combat pour la vérité et lajustice, tandis que les suppôts du régime sont du côté de l’injustice, del’oppressionetdumal.L’Egypteacommencéàrenaîtreetabsolumentpersonnenepeutentraversonavenir.

Ladémocratieestlasolution.

1LaConstitution.

2Lavie.

QUATRIÈMEPARTIE

LARÉVOLUTIONN’ESTPASTERMINÉE

CINQATTITUDESFACEÀLARÉVOLUTION

Voicicequim’estarrivé,placeTahrir,pendant larévolution. Ilétaitdeuxheuresdumatinet jemesentaisépuisé. J’aialluméunecigaretteet j’ai jetéparterre laboîte vide. Une dame de plus de soixante ans s’approcha de moi et me saluachaleureusement enmedisant qu’elle était unedemes lectrices. Elleme félicitapourceque j’écrivaiset je l’en remerciai, lorsque toutà coupelleme fixaetmedit:

—S’ilvousplaîtreprenezcetteboîte,parterre.

Honteux,jemepenchaipourlaramasser.

Ladamemedit.

—Jetez-ladanscettepoubelle.

Jefiscequ’ellemedemandaitetrevinsversellecommeunenfantenfaute.

— Maintenant, nous construisons une Egypte nouvelle. Nous devons êtrepropres.

Celaestundesnombreuxépisodesadmirablesquej’aipersonnellementvécuspendantlarévolution.UnefoisquenousétionsentrainderéclameràgrandscrislachutedeHosniMoubarak,unjeunehommesemitàcrierdesslogansgrossierscontreSuzanneMoubarak.Lesmanifestantsl’ontimmédiatementfaittaireenluidisant que nous étions là pour réclamer nos droits, pas pour insulter. Pendanttrois semaines, un million de personnes se sont retrouvées, dans un mêmeendroit,sansquel’onentendeparlerd’uneseulequerellenid’unseulvol.Etc’estpeut-être la seule fois dans l’histoire que desmanifestants, après avoir obtenugain de cause, sont descendus dans la rue pour nettoyer la place qu’ils avaientoccupée.

Pourquoi lapersonnalitéégyptiennea-t-elle révélé toutescesqualitésaucoursdelarévolution?

En soi, la révolution est un haut accomplissement humain. La révolution faitressortir ce qu’il y a de meilleur chez la personne et la délivre de ses fautesmorales et de ses inconduites. Lorsque l’on se révolte, on se transformeimmédiatementenunêtrehumaindenatureplusélevée,parceque,pourlalibertéet ladignité,onaffronte l’incarcérationet lamort,parcequ’à chaque instantonaffirmequenotresoucide la libertéestplusimportantqueceluidenotrepropreexistence.

A la question de savoir si tous les Egyptiens ont participé à la révolution, laréponseestnon.Iln’yapasdansl’histoirederévolutionàlaquelle lepeupleait

participé dans sa totalité. De mon point de vue, il y a actuellement, parmi lesEgyptiens,plusieursattitudesdifférentes:

Premièrement:lesrévolutionnaires.

Ilsreprésententcequ’ilyadeplusnobleenEgypte.Ilssesontsoulevéspourlalibertéet ilsontpayépour leurpaysunprixexorbitant.Lenombrevéritabledesvictimesdelarévolution,selonleschiffresquiontfiltréduministèredelaSanté,atteint huit cents martyrs auxquels s’ajoutent mille deux cents jeunes qui ontperdulavuefrappéspardesballesencaoutchouc.Ilyaégalementdesmilliersdedisparus, parmi lesquels beaucoup ont certainement perdu la vie. Ce grandnombredevictimesrenforcel’exigencedesrévolutionnairesdevoirleursobjectifsréalisésdans leur totalité.Raffermispar l’expériencequ’ilsviennentdevivre, ilssesontà tout jamais libérésde lapeur. Ilsontégalementacquisuneconsciencepolitiquequileurfaitgénéralementadopterlapositioncorrecte.

Deuxièmement:lesspectateurs

Ce sont des Egyptiens qui ont souffert pendant de longues années du régimeoppressif et corrompu deMoubarak,mais qui n’étaient pas prêts à se sacrifierpourarracher leursdroits. Ilsétaientabsorbéspar leur luttepour lasubsistance,totalement plongés dans les préoccupations de la vie quotidienne. Lemaximumdont ils étaient capables était de se plaindre et de dire “Que Dieu nous envoiequelqu’unpourchangerlasituation.”Surprisparlarévolution,lesspectateursn’yont pas participé et se sont contentés de la regarder à la télévision. Leurssentimentsàsonégardontvarié.Ilssontplusd’unefoispassésdel’approbationàladésapprobationetvice-versa.Audébut,nombreuxétaientceuxquicroyaientàlacontre-informationdesmédiasofficielsetquiconsidéraientlesrévolutionnairescomme des agents infiltrés à la solde de l’étranger puis, en voyant tomber lesmartyrs, ils ont éprouvé de la sympathie pour eux,mais lorsqu’ils ont entenduMoubarakdirequ’ilvoulaitmourirdanssonpays,ilsontpleuréd’émotion.

Le lendemain lorsque les manifestants furent massacrés, ils changèrent ànouveau d’opinion et appuyèrent la révolution. Ces spectateurs veulent lechangement,àconditionquecelaneleurcoûterien.Ilsveulentqueladémocratieseréalise,sansqu’ilsyperdentetsanslepluspetitchangementdeleurmodedevie.Psychologiquementetintellectuellement,ilsviventencoredanslapériodequiprécèdelarévolution.

Troisièmement:lesennemisdelarévolution.

Ce sont des Egyptiens qui savent que la révolution va leur faire perdre leursavantages et leurs richesses et même, peut-être, les conduire au tribunal et enprison. Ils occupent des positions sociales et exercent des professions trèsdiverses.Ilyaparmieuxdesministres,deshommesd’affaires,dessommitésduParti national démocratique, des officiers de la sécurité d’Etat, des hommes desmédiascorrompus,despetitsintermédiairesvéreux.Toussontbiendécidésàenfiniraveclesacquisdelarévolutionouàlesentraver.Touscescorrompusétaientconfiantssous legouvernementd’AhmedChafik, ledignediscipledeMoubarak.

LegénéralChafikapasséplusd’unmoisdanssesfonctions,sansfairejugerunseul des officiers qui ont tué des manifestants. Au contraire, le ministre del’IntérieurMahmoudOuagdiafaitl’élogedelamissionpatriotiqueaccomplieparlesofficiersde lasécuritéd’Etat.Lorsque leconseilsuprêmedesforcesarméesarenvoyé le gouvernementdeChafik etnomméà saplace le gouvernementde larévolution,souslaconduitedudocteurIssamCharaf,lesennemisdelarévolutionont pris peur et se sont mis, dès le lendemain, à détruire des documents. Lesofficiers de la sécurité d’Etat ont disparu de leurs bureaux pour aller répandrel’anarchie afin de réaliser deux objectifs : d’abord créer des frictions entre lesrévolutionnaireset l’arméeetamenercettedernièreàabandonnersonappuiaumouvement, ensuitepousser ceuxdes Egyptiens restés spectateurs àdétester larévolution, à cause de l’anarchie et de l’absence de sécurité, ce qui serait unprétexte pour prendre des mesures exceptionnelles rétablissant le régimeantérieur.

Troisièmement:lesFrèresmusulmans

Ilsontparticipéàlarévolutionaveccourage,commelesautresEgyptiens.Leursjeunesontaccomplidevéritablesactesd’héroïsmepourprotégerlesmanifestantscontre les agressions des policiers et des hommes de main. Mais le perpétuelproblème des Frères musulmans, que l’on retrouve régulièrement depuis lacréationde la confrérie, en1928, consistedans l’antinomiequi existeentre leurfermeté morale, en tant que personnes, et leur souplesse politique, en tantqu’organisation.LaplupartdesFrèressontdespersonnesexcellentesetsincères,maisleurdirectiondonnelaprioritéàl’intérêtdelaconfrérieetjouesurtouslestableaux. De ce fait, les Frères musulmans ont toujours pris position contre ladémocratie et ils ont aidé tous les despotes, sans une seule exception, àcommencerparleroiFarouketIsmaïlSidqi,lebourreaudupeuple,jusqu’àAbdelNasser et Anouar el Sadate. Et nous venons de voir comment les Frèresmusulmans ont brisé le consensus populaire en participant aux dernièresélections de Moubarak. Ils se sont une deuxième fois écartés de ce consensuslorsqu’ils sontentrésennégociationsavecOmarSoleïmanquivoulait rafraîchirl’imagedel’ancienrégimeensefaisantphotographieravecdesopposants.NousvoyonsmaintenantlesFrèresrecommencerleurserrements,enseretrouvantdansle même camp que le Parti national démocratique pour approuver desamendements constitutionnels dont ils savent bien qu’ils sont mauvais etsusceptiblesd’entraver ladémocratie et de ruiner les acquisde la révolution. Ladirection de la confrérie a pris la décision de soutenir les amendementsconstitutionnels parce que, si les élections avaient lieu rapidement, elles leurpermettraient d’obtenir un nombre plus important de sièges à l’assemblée dupeuple.Poureux,cetteconsidérationcompteplusquen’importequelleautre.

Quatrièmement:lesforcesarmées.

Cetterévolutionn’auraitpaspul’emportersanslaprotectiondesforcesarméesqui, dès le premier jour, se sont trouvées du côté du peuple contre le régimecorrompu.Leservicerenduparl’arméeàlarévolutionnefaitdoncpasdedoute,

maisilyadesquestionsquelesEgyptiensseposentavecunecertaineacuitésansytrouverderéponse:

Quelle est la situation légale d’HosniMoubarak, le président déchu ? Est-il enretraite, sous surveillance, ou assigné à résidence ?Quandaura lieu sonprocèspourlescrimesqu’ilacommiscontrelepeupleégyptien?Pourquoisesprincipauxcollaborateurs, comme Safouat El Chérif ou Zakaria Azmy ou Fathi Sourour, nesont-ilspaspoursuivis?

Il n’y a pas de doute que les Forces armées connaissent parfaitement le rôlecriminel joué par la sécurité d’Etat, pendant des décennies : incarcérations,torturessauvages,viols,espionnageetprovocationdescitoyens,maiségalementruine du pays tout entier, en sollicitant pour ses affidés et ses mouchards despostes de commandement sans se préoccuper de leurs compétences. Quelques-unsde ses responsables ainsi quequelques officiers ont été traduits en justice.Celaestunpasexcellentdanslabonnedirection,maislaplupartdesofficiersdelasécuritéd’Etat sonten liberté, cachésaux regards,et ilsvont faire tout cequileurestpossiblepourrépandrel’anarchieetfairenaîtrel’inquiétude.Ilspossèdentpour cela tous lesmoyens nécessaires : les armes, l’expérience, des agents quiattendent leurs ordres, présents dans tous les domaines, à commencer parl’informationetjusquedanslespartispolitiques.Ladestructiondesdocuments,ladiscordecommunautaire,lesmanifestationsdecoptesetdesalafistesnedonnentqu’unavant-goûtde cedont sont capables lesmembresdispersésde la sécuritéd’Etat. Pourquoi l’armée n’utilise-t-elle pas la loi d’exception pour arrêter lesofficiersdeceserviceetlesamenerdevantlestribunaux?

Après la chuted’HosniMoubarak, ona vu surgir dans tous lesdomainesdesrevendicationssectorielles.Lacauseenestquelaplupartdestitulairesdepostesimportantsdans lesministères,dans lesservicespublicsetdans lesuniversitéssont corrompus et complices du régime deMoubarak. Il y a des revendicationssectorielles légitimes. Pourquoi, alors,nepas créerune commissiond’épuration,composéedejugesindépendantspourenquêtersurlesplaintesdesemployéset,au casoù cesplaintes seraient justifiées,pour les transmettre auprocureur ? Jecroisquec’estlàleseulmoyend’arrêterlesmanifestationssectorielles.Ilfautquelesgensaientl’assurancequejusticeserafaite,mêmesicelan’estpasimmédiat.

Pourquoi l’armée semble-t-elle pressée de mettre fin rapidement à la périodetransitoire ?La réponsehabituelleestqu’elleveutsedéchargerdecettemissiondifficileleplusrapidementpossible,pourreveniràsafonctiondebasequiestdeprotéger lanation.C’est làunproposraisonnableetacceptable.Maisneserait-ilpas mieux de prendre les conseils de professeurs de droit et de nommer unconseil présidentiel provisoire, formé de militaires et de civils, pour délivrer lehaut commandement de l’armée de cette responsabilité pendant la périodetransitoire ? Il serait alors possible d’accorder un délai suffisant à partir de laproclamationdelalibertédeformationdepartis,pourquelesélectionsexprimentvraimentlavolontédupeupleégyptien.

On sait qu’une constitution tombe automatiquement en même temps que lerégime politique qui la représente. Pourquoi cette insistance à rapiécer laconstitutionancienne?L’ensembledesforcesnationales(àl’exceptiondesFrèresmusulmans et du parti national démocratique) a refusé les amendements,considérantqu’ilsétaientmauvais.LeconseillerZakariaAbdElAzizyavuuneformedeméprisdupeupleégyptien.Qu’est-cequijustifiel’insistancemiseàfaireadopter cesamendements ?Commentvasedérouler le référendumà leursujet,danscesconditionsdesécuritédégradées?Pourquoinesuit-onpasleconseildesspécialistes que sont les professeurs de droit constitutionnel en publiant unexposédesprincipesconstitutionnels,puisenprocédantà l’électiond’uncomitéchargéd’écrireuneconstitutionnouvellequitraduiselavolontédupeuple?Silaréponseétaitquelasituationsécuritairenepermetpasdetenircesélections,nousrappellerionsquec’estdanscesmêmesconditionsquevaavoirlieu,danslepaystoutentier,leréférendumsurlesamendements.Sinoussommescapablesdefaireunréférendum,nouslesommeségalementdefairedesélections.

Toutes ces légitimes interrogations n’enlèvent rien, naturellement, à notreestimepour leglorieuxrôlepatriotique jouépar les forcesarmées.Mais l’Egyptepasseparunepériodesensiblequinousimposeàtousdeparleravecfranchiseetsincérité,defaçonàpermettreànotrepaysdeconstruirel’avenirqu’ilmérite

Ladémocratieestlasolution.

N’ÉCHANGEONSPASUNEDICTATURE

POURUNEDICTATURE

Lesfaitssuivantssontauthentiques.Celas’estpasséen2001.AhmedAguizaestun extrémiste islamiste égyptien qui a fondé une organisation connue sous lenom de Talaïe El Fath1, responsable d’opérations terroristes à l’intérieur et àl’extérieur de l’Egypte.Aguiza parvint à s’enfuir en Suède où il demanda l’asilepolitique. Alors que les autorités de ce pays étudiaient son dossier, le pouvoirégyptiendemandasonextradition,maislesorganisationssuédoisesdesdroitsdel’hommes’ysontopposées.Ellesontmobilisé l’opinionpubliquepour refuser laremiseduréfugiéàungouvernementdontledossierdansledomainedesdroitsde l’homme était particulièrement lourd. Les Suédoismanifestèrent pour exigerqu’AguizanesoitpasextradéenEgypteoùilseraitexposéàlatorture,commelesont des dizaines de milliers de citoyens de ce pays. Cela embarrassa legouvernement suédois, pris en tenaille entre la pression de l’opinion publiquelocaleetcelledesAméricainsquiinsistaientpourqu’Aguizasoitremisaurégimeégyptien.

Legouvernementsuédoisparvintàunesolutionmédiane:ilremitAguizaauxautorités égyptiennes, après avoir obtenu d’elles un engagement écrit de non-usagede la torture.Biensûr, leministèrede l’Intérieurégyptiennerespectapassonengagementettorturasondétenud’unefaçonhorrible.Lanouvelleenparvinten Suède et l’opinion publique se souleva à nouveau en accusant songouvernementd’êtreresponsabledecestortures,cequiamenacelui-ciàprésenterdes excuses et à reconnaître qu’il avait commis une faute grave en remettantAguiza à un régime qui torture ses concitoyens et ne respecte pas sesengagements. L’affaire ne s’arrêta pas là : Ahmed Aguiza attaqua en justice legouvernementsuédoispoursaresponsabilitédans les torturesqu’ilavaitsubiesetlejugesuédoisluiaccordauneindemnisationdedeuxcentsmilleeuros.

En lisant le récit de cette histoire, célèbre en Suède, je me suis demandépourquoi les Suédois s’étaient mis en colère contre leur gouvernement pour lesimplefaitqu’ilavaitétélacausedelatortured’AhmedAguiza.

Celuiquiavaitététorturén’étaitniuncitoyensuédoisniunEuropéenchrétienoujuifetiln’étaitmêmepasréfugiépolitiqueenSuède.Ilétait,deplus,accusédeterrorisme. La réponse est que les protestataires suédois ne défendaient pasAguizaentantquepersonne,maislavaleurdelapersonnehumaineentantquetelle. Un gouvernement responsable ne doit en aucun cas livrer un individu augouvernementd’unpaysoùilsaitqu’ilseraexposéàlatorture.

Chaquehommeadroitàêtretraitéavecrespectetdignité,quellesquesoientsanationalitéetsareligion.Défendreledroitdesautresàuntraitementhumain,nonpasparcequ’ilssontdevotrepaysoudevotrereligion,nonpasparcequevouspartagez leurs opinions ou leurs positions politiques, défendre leur dignitésimplementparcequ’ilssontdesêtreshumains,méritantdecefaitd’êtretraitésavecdignité,estpourmoilapositionlaplusnoblequisoit.Quandapprendrons-nousenEgypteque lavaleurd’unepersonneestplus importanteque toutessesappartenances?Quandapprendrons-nousquechaquepersonne,aussidifférentesoit-elle de nous, est notre égale en droit ? La religion nous enseigne-t-elle ceconcept?Renforce-t-ellenotreappartenanceàl’humanité?

Uneconceptionjustedelareligiondoitprendreracinedansnotreappartenanceà l’humanité, cardanssonessence, la religionn’est riend’autrequ’unedéfensedesvaleursdel’humanité:lavérité,lajusticeetlaliberté.Toutleresteestmoinsimportant. Le problème est que, souvent, elle est mal comprise et, de messagehumaind’unegrandeélévation,ellesetransformeensourcedehaine,deracismeet de crimes. Comment les croyants sont-ils passés de la tolérance àl’extrémisme?

Ilfautnoussouvenirquelareligionestunecroyanceexclusive.Lareligionn’estpasunpointdevue,maisunecroyance,danslesensoùchaquehommeconsidèrequesa religionest la seulevéritable : lesmusulmans croientque les juifs et leschrétiensontadultéréleurslivressacrésetleschrétiensnecroientpasquenotreseigneurMohammed soit un prophète. Quant aux juifs, ils rejettent à la fois lechristianismeetl’islametilsconsidèrentquelevéritablemessien’estpasencoreapparu. Ajoutons à cela les centaines de millions d’hommes qui croient aubouddhisme,à l’hindouismeouàdesdizainesd’autresreligions.Chacundecesgroupesestpersuadéquesareligionestvéritableetlesautresfausses.

Laconvictionquevousêteslesseulsàposséderlavéritévousamèneviteàvoussentirmeilleursque ceuxqui sontdifférentsde vous, puisquevouspossédez lavérité et qu’eux sont dans l’erreur. Cette croyance se transforme souvent ensentimentdesupérioritéparrapportauxautrespuis,àuncertainmoment,onenvientàlesconsidérercommedeshommesd’uneespècedifférentedelanôtre:descoptes,desmusulmansoudesjuifs.Lesconditionssetrouventalorsréuniespourque vous attaquiez leurs droits : puisqu’ils ne sont pas comme vous, que vousdétenezlavéritéetqu’ilssontdansl’erreur,ilsnepeuventpasobtenirlesmêmesdroitsqueceuxdontvousjouissez.

Il y a denombreux exemplesde cette transformationde la religion, d’essenceporteused’humanité,enfanatisme.Lorsqu’OmarBenKhattabentraàJérusalem,lepatriarche Sophronius l’invita à visiter l’église du Saint Sépulcre. Survint alorsl’heurede laprière et lepatriarcheproposaauCalifede la faire surplace,maisOmar Ben Khattab refusa de prier à l’intérieur de l’église, de crainte que lesmusulmans ne la démolissent après son passage pour en faire une mosquée.Omarsortitde l’égliseetpriapar terreà l’endroitoùaétéédifiéepar lasuite lamosquée d’Omar. Il savait que l’enseignement de l’islam véritable préserve les

valeurshumainesetaccordeuneégalitédedroitsauxmusulmansetàceuxquinelesontpas.Cettecompréhensionprofondedelareligionestlecontrairedecequenousvoyonsaujourd’huichezquelquesextrémistesenEgypte.

Certains islamistes se plaignent à grand bruit de ce que le gouvernementfrançaisaitinterditleportduniqabdanslesendroitspublics,mais,danslemêmetemps, ilsnevoientpasd’inconvénientà interdireaux coptesde construiredeséglisesetmême,ilsconsidèrentquelaconstructiond’églisesdanslesquartiersoùilshabitentestunesorted’insulteàleurcroyance.Certainsislamistesdéfendentledroit à la citoyennetépour lesmusulmansenEurope,mais, enmême temps, ilsannoncentpubliquementque les coptes, enEgypte,nedoiventpasavoir ledroitd’accéderà laprésidencede laRépublique. L’extrémismeexistedesdeux côtés :certains coptes réclament un gouvernement séculier, mais ils accueillentfavorablementl’idéequel’églisedevienneunpartiparlantpolitiquementaunomdescoptes.Certainscoptessebattentpourlalibertédeconscienceseulements’ils’agitd’unmusulmanquidevientchrétien,maissic’estlecontrairequisurvient,ilsnevoientpasdemalàcequel’égliseenfermeunefemmechrétiennedevenuemusulmane,pourlafairerevenirauchristianisme.

Unecompréhension justede la religionnousrendplushumains,alorsqu’unecompréhensionerronéenousconduitàlahaineetl’hostilitéenverslesautres.Uneautre raisonde la transformationde la religionen instrumentd’agression, c’estl’utilisationabusivedelareligiondanslesbataillespolitiques.Ilyadeuxmoyenspour l’hommepolitiquedegagner lesvoixdesélecteurs :oubien lesconvaincrepar son programme électoral, ou bien jouer sur les sentiments religieux. DansquelquesmoisvontavoirlieulespremièresélectionslibresenEgypte,depuisdesdécennies.Lorsquel’onobservecequisepassemaintenant,onconstatecommentlareligionestutiliséepourarriveraupouvoir.Lasemainedernière,leguidedelaconfrérie des Frères musulmans a fait une déclaration pour accuser lesintellectuelsquinepartagentpaslesvuesdesFrèresd’êtrehostilesàlareligion.Le docteur Mohamed Selim El Aoua, professeur de droit et penseur islamisteconnu, a tenu une conférence politique dans laquelle il a déclaré que chaquecandidat à l’assemblée du peuple devait commencer son discours en invoquantDieu. El Aoua qualifia ensuite d’incroyants ceux qui demandent le report desélections. Quant àM. Sobhi Saleh, un des cadres dirigeants de la confrérie, il adéclarésansdétourque,pourlesFrères,iln’yavaitpasdesmusulmansdegaucheou des musulmans libéraux, mais simplement de bons musulmans qui étaientmembresdelaconfrérie.Lesautres,quinepartageaientpasleursidées,n’étaientque des musulmans de deuxième catégorie. A cette extrémité, la religion peutdeveniruninstrumentpourdisqualifierceuxquinepartagentpasnosidées.

La seule solution pour se débarrasser de l’extrémisme est d’établir un Etatséculier2quinefassepasdelienentrelareligionetlesdroitspolitiques.UnEtatde la loi qui reconnaisse les droits de tous les citoyens, sans égard pour leurcouleur, pour leur sexeoupour leur religion.UnEtat séculiern’est pas athéeniennemi de la religion, mais il respecte la religion de tous les citoyens sans

préférenced’aucunesorte.L’Etatséculiern’estpasunechosenouvelleenEgypte:MohamedAlileGrand(1805-1848)enaposélespremièresbaseslorsqu’ilafondél’Egyptenouvellesurlesprincipesdel’éducationetdelacompétence,sanségardpourl’appartenancereligieuse.Laconceptiondel’Etatséculierfutencoreraffermieparlarévolutionde1919quiancra,pourlapremièrefois,leconceptdenationalitéégyptienne. Sous la conduite du partiWafd, lemeilleur et le plus populaire despartis égyptiens, l’Egypte amené une longue lutte pour réaliser deux objectifs :l’indépendance de l’occupation britannique et l’établissement d’un Etatdémocratique et séculier. Il est véritablement digne d’admiration de lireaujourd’hui comment les dirigeants du parti Wafd ont lutté, pendant denombreusesannéespourunétatséculieretcommentilsontrefusédemélangerlareligionaveclapolitique.En1938,leroiFaroukvoulutfêterl’anniversairedesonaccessionau trôneà la citadellepour fairepasser lemessagequ’il était le califedesmusulmans.MustaphaNahhas,leprésidentdeConseiletchefdupartiWafd,protesta alors parce que l’Etat en Egypte était séculier et il insista pour que lacérémonie ait lieu devant le parlement qui représente le peuple. Une autreanecdote connue est qu’un jeune politicien alla présenter son programme àMustaphaNahhas qui le referma, aussitôt après avoir commencé à le lire, et lerenditàsonauteurendisant:

—Pourquoiparlez-vousdeDieudansvotreprogrammeélectoral?Dèsquenousmentionnonsdansunpapierpolitique lenomdu tout-puissant,nousdevenonsimmédiatementdescharlatansquijouentaveclessentimentsreligieuxdesgens.

IlfautsavoirqueMustaphaNahhasétaitundévôtscrupuleuxquirespectaittouslescommandementsdel’islam.Maisilconnaissaitledangerqu’ilyaàutiliserlareligionpourparveniraupouvoir.

Pour que l’Egypte se mette en marche vers son avenir, il faut y établir uneauthentique démocratie qui ne peut se réaliser que dans un Etat séculier. Lesexpériencesd’Etatsreligieuxdanslemonde,commel’ArabieSaoudite,l’IranouleSoudanmontrentclairementque legouvernementaunomde lareligionconduittoujoursàl’extrémisme,aucommunautarisme,àladictatureetàl’oppression.Lesislamistes,enEgypte,ontledroitd’exprimerleursopinionspolitiques,commelesautres citoyens,mais ilsn’ontpas ledroitdes’arroger lemonopoledudiscoursreligieuxdefaçonàfaireapparaîtrecommedesmécréantsoudesennemisdelareligionceuxquiontuneopiniondifférentede la leur. J’ai ledroitdem’opposeraux idées des Frères ou des salafistes, sans qu’ils me considèrent comme unennemide l’islam lui-même. LesEgyptiensont réalisé leur admirable révolutiondu25 janvieretcertainsd’entreeuxontsacrifié leurviepour libérer l’Egyptedurégime corrompu et oppressif de Moubarak et pour édifier un Etat séculierdémocratique. Il n’est pas possible que nous nous soyons débarrassés de ladictaturepolitiquepourtomberdanslesserresdudespotismereligieux.

Ladémocratieestlasolution

1Lesavant-gardesduFath,c’est-à-diredelaconquête,sachantquelemotfathestréservéauxconquêtesdesarméesdel’islam,àlasuitedelarévélation.Toutemploicontemporaindecemotsefaitenréférenceàcette

époqueglorieuse.

2 La traduction exacte serait un Etat civil, mais l’expression en français est ambiguë. Il est par ailleursimpossibledetraduireparlaïc,motencoretabou,remplacéparle“sécularisme”anglo-saxon.

LARÉVOLUTIONÉGYPTIENNE

S’EST-ELLETROMPÉE?

L’acteuraméricainGeorgeCarlin (1938-2007)est connupoursessatiresà la foisdrôlesetprofondes.Dansundesesspectacles,onluiavaitdemandécequ’ilferaits’ilsetrouvaitàbordd’unavionsurlepointdesombrerenmer.Voiciàpeuprèscequ’ilavaitrépondu:

—Jemesauveraisbiensûr.J’écarteraislesfemmesdemaroute,jedonneraisdetoutesmes forces des coups de pied aux enfants et je piétinerais les voyageurshandicapéspourpouvoirarriverà lasortiedesecoursetmetirerde là.Ensuite,j’essaieraisdesauverlespassagers.

Cette boutade sarcastiquemontre comment certaines personnes sont prêtes àtout pour sauver leur vie et leurs acquis. Chaque fois que je vois le nouveauministredesAffairesétrangères,MohammedElOrabi,jemesouviensdesmotsdeGeorgeCarlin.MohamedElOrabiétaitonnepeutplusproched’HosniMoubaraketdesafamilleetl’onpourraitfaireunrecueilcompletdeseslouangesetdesesflagorneries. Selon le journal du Wafd, il avait déclaré, alors qu’il étaitambassadeurenAllemagne:

—Jesuisconvaincuqu’HosniMoubarakestunleadercommeiln’yenajamaiseuetcommeiln’yenaurajamaisplusdansl’histoiredel’Egypte.

Ilavaitditégalement:

—Dieuaimel’Egypte,carilluiafaitdond’unepersonnalitéd’uneremarquablecompétence:GamalMoubarak.

M.ElOrabiestmaintenantministredesAffairesétrangèresdugouvernementdela révolution qui a renversé ce leader inimitable et qui a jeté en prison, dansl’attente de son procès, GamalMoubarak, cette personnalité aux compétences siremarquables. El Orabi n’est pas un cas unique dans le pouvoir actuel. Denombreuxministres ont été de grands supporters de Moubarak et ce sont euxmaintenant qui prennent les décisions dans le gouvernement de la révolution.L’actuel ministre des finances, le docteur Samir Radwan, membre de lacommissiondespolitiquesduparti,étaitunprochedeGamalMoubarakquil’avaitrecommandé auministre Youssef Boutros Ghali, et ce dernier en avait fait sonconseiller en 2005, avant que Hosni Moubarak ne le nomme à l’assemblée dupeuple.RadwanaétéassociéàlapolitiqueéconomiquedurégimeMoubaraketilveut, maintenant, convaincre l’opinion publique qu’il a adopté les idées de larévolution. Je ne peux pasm’empêcher deme rappeler lamanière dont GeorgeCarlins’enfuitdel’avionenpéril.

Le problème ici n’est pas seulement dans la capacité stupéfiante de cesministresàdéfendreunechoseetsoncontraireaveclemêmeenthousiasme,danslebutdeconserverleurspostes.Leproblème,c’estquelarévolutionafaittomberHosni Moubarak, mais que le régime de Moubarak, lui, n’est pas tombé. Lesgénérauxduministèredel’IntérieurquiontaidéHabibElAdlyàbafouerladignitédesEgyptiens,àlestortureretàlestuer,sonttoujoursenplace.Lesresponsablesdel’informationquionttrompél’opinionpublique,quionthypocritementserviletyranet justifiésescrimesoccupenttoujours lesmêmespositions.Les jugesquiontcouvertlafraudeélectoralesonttoujoursenactivité.Lesofficiersdelasécuritéd’Etat qui ont commis des crimes abominables contre leurs concitoyens sonttoujours en fonction et certains ont même été nommés gouverneurs, enrécompensedeleurseffortsauservicedurégime.

Quepeut-onattendredetouscesresponsables?Ilssontabsolumentincapablesdecomprendrelalogiquedelarévolutionetilestàcraindrequ’ilsneconspirentcontreelle.Lesindicesd’uncomplotcontrelarévolutionégyptiennesontdevenusévidents.Envoicilesdifférentesétapes:

Premièrement:meneraveclenteurlesprocèsdecertainsdignitairesdel’ancienrégimepourpouvoirrégulièrementjeterquelquechoseàmastiqueraupeupleencolère,jusqu’àcequecelui-cioubliel’affaireetretourneauxpréoccupationsdesavie quotidienne. PourquoiMoubarak n’a-t-il pas été jugé jusqu’àmaintenant etqu’est-cequi se cachederrière cette abondancede communiqués au sujet de sasanté.Pourquoin’est-ilpastraitécommeunprisonnierordinaire?OùsetrouventAlaa et Gamal Moubarak et pourquoi ne voit-on pas leurs photographies enprison ? Pourquoi accorde-t-on un traitement exceptionnel aux hautsresponsablesdétenusdanslaprisondeTurah?QuiapermisàHusseinSalemdes’enfuir et pourquoi cela n’a-t-il pas été signalé immédiatement à Interpol ?Pourquoia-t-onattendudeuxmoisavantd’arrêterZakariaAzmy,FathiSourouretSafouatElChérif,enleurlaissantainsiletempsdedissimulerlespreuvesdeleursméfaits et de transférer à l’extérieur la plus grande partie des capitaux qu’ilsavaientvolésaupeuple?Pourquoi,aucoursdessixmoisquisesontécoulés,lesblessés et les martyrs n’ont été l’objet d’aucune attention de la part de l’Etat ?Commenta-t-onpuabandonnerlemartyrMahmoudQotbpendantunmoissanssoin à l’hôpital Nasser, et laisser ses blessures s’envenimer, au point que desinsectessortentdesabouche,tandisque,pendantcetemps,onévacuaitl’hôpitalde Charm El Cheikh pour que Suzanne Moubarak puisse soigner ses dents ?Pourquoilegouvernements’est-ildémenépourinviterunmédecinallemandafindeserassurersur l’étatde laprécieusesantéd’HosniMoubarak?Lesquestionssontnombreuses,maisiln’yaqu’uneseuleréponse,aussiévidentequ’attristante.

Deuxièmement:créerunrelâchementdurabledelasécuritéparunenégligencevolontaire de la police dans l’exercice de sa mission, de façon à effrayer lesEgyptiens et àparalyser le tourismeet les investissementspour faire croirequec’est larévolutionquinousaapporté laruine.S’efforcertoujoursdefairepasserlesmartyrs pour deshommesdemain et leurs assassins, officiers de la police,pour des héros défendant leurs commissariats. Retarder pendant des mois les

procès de façon à permettre aux officiers accusés (toujours en fonction) de fairepressionsur les famillesdesmartyrsafinque cesderniers reviennent sur leursdéclarations,leurpermettantainsid’échapperauchâtiment.

Troisièmement:polariserlesforcesdelarévolutionetalimenterl’affrontemententreleslibérauxetlesislamistes,endonnantl’imaged’uneEgyptetombéepourtoujours,après larévolution,auxmainsdes fanatiques.Peut-êtresesouvient-ondelafaçondontlejournalAlAhram,dutempsdesonprécédentrédacteurenchef,avait publié en première page la photographie d’un homme à l’oreille coupéementionnant,dansletitreenmanchette,quelessalafistesavaientcoupél’oreilled’un citoyen copte. Peut-être nous souvenons-nous de la façon dont lesmoyensd’information avaient célébré l’assassin Aboud El Zamar1, comme s’il était unhérosnational.Peut-êtrecomprenons-nouspourquoiiln’yapasdesemainesansquedescoptesouleurséglisesnesoientagresséessousl’œildespoliciers,cequipermetd’accuserlesislamistesdanslebutdenuireàl’imagedelarévolution,tantàl’extérieurqu’àl’intérieur.

Quatrièmement : exagérer l’ampleur de la crise économique et répéter sanscesse que l’Egypte, par la faute de la révolution, est au bord de la faillite. Laquestion est complexe. Le régime d’HosniMoubarak a laissé l’Egypte dans unesituationpitoyable:40%desEgyptiensviventsousleseuildepauvretéetletauxdechômageatteintdeschiffresjamaisatteints.N’oublionspasqu’unhabitantduCairesurtroisvitdansdeszonesd’habitatprécaire.C’estlerégimedeMoubarakqui est responsable de la pauvreté des Egyptiens, ce n’est pas la révolution.D’ailleurslarévolutionn’estpasaupouvoir,ellenepeutpasêtreresponsable.Lescrises qui pourraient intervenir après la révolution sont du ressort du Conseilsuprême des forces armées qui occupent les fonctions du président de laRépublique,oudugouvernementqueleConseilanommé.

Ce qui est survenu la semaine dernière sur la place Tahrir est parfaitementrévélateur:deshommesdemain,lâchéspoursusciterdestroubles,ontattaquéleministèredel’Intérieur,donnantainsiauxforcesdepoliceunejustificationpourattaquer les manifestants. On a pu mesurer alors le degré de haine contre larévolutiondanslecœurdecertainscadresdelapolice.Qu’est-cequipeutpousserun officier supérieur à prendre une voiture avec un haut-parleur, spécialementpourinsulter lesmèresdesmanifestants?Qu’est-cequipeutpousserunofficierdepoliceducommissariatd’AgouzaàinsulterlamèredumartyrAhmedZeinElAbidine,enluidonnantdescoupsdepieddansleventre,puisàfrappersurlatêtede son fils avant de le torturer à l’électricité et finalement de l’arrêter et de letransférerdevantuntribunalmilitaire.Cesagressionsodieusesdeshommesdelapolice contre les familles de martyrs ont été accompagnées d’une bruyantecampagne de dénigrement, organisée à la mode ancienne par les cellulesdormantes de la sécurité d’Etat. Un groupe de journalistes, de réalisateurs et deprésentateurs continue à recevoir leurs instructions de la sécurité d’Etat, qui achangésonnomensécuriténationale.QuantàMansourIssaoui,jenepensepasqueceuxquicomplotentcontrelarévolutionaientpuespérerunmeilleurministre

del’Intérieurquelui:ilconsidèrequesondevoirestdeprendreladéfensedesesofficiers,quelsquesoientlescrimescommis,etilestétrangementcoupédetoutcequisepasseautourdelui,aupointqu’ilnenousestpaspossibledeprendrecequ’ilditausérieux.LesévénementsdelaplaceTahrirnesontriend’autrequ’uneconfirmationde lavaste conspirationourdiepour fairedéfinitivementavorter larévolution.

Laquestionquiseposeestdesavoirsilarévolutions’esttrompée.

Oui, la révolution s’est trompée, et cela à deux reprises. La première foisle11février2011, lorsqueMoubarakfutcontraintd’abdiqueretquedesmillionsd’Egyptiensrentrèrentchezeuxaprèsavoir fêté lavictoirealorsqu’ilaurait fallurester sur la place et choisir des porte-parole pour négocier avec le Conseilsuprême des forces armées, afin d’obtenir la réalisation de l’ensemble desrevendications.Ladeuxièmeerreurdelarévolutionfutdesediviseravantquesesrevendications aient été satisfaites. Au lieu de proclamer l’abrogation de laconstitutiondeMoubaraket l’appelà la rédactiond’uneconstitutionnouvelle, leconseil militaire a préféré adopter la proposition de Moubarak d’amenderquelquesarticlesdel’ancienneconstitution.Unréférendumfutorganisépourfaireapprouver ces amendements et, après la publication des résultats, le conseilmilitaire passa outre et proclama une constitution provisoire de soixante-troisarticles. Ce référendum, dont le sérieux peut êtremis en doute conduisit à unedivisiondes révolutionnaires endeux camps : les libérauxet les islamistes. Lesdeuxgroupesentrèrentdansuneviolenteconfrontation, les libérauxdemandantquelaprioritésoitdonnéeàunenouvelleconstitutionetlesislamistesréclamantquelesélectionsaientlieud’abord.Chaquecampseconsacratotalementàlaluttecontre l’autre, en oubliant que le régime que la révolution avait voulu renversern’étaitpasencoretombé.Aquoiserviraientdesélectionssiellesavaientlieusousla supervision d’un ministère de l’Intérieur dirigé par les collaborateurs et lesdisciplesd’ElAdlyet sous le contrôlede jugesqui se trouvent toujoursenplaceaprès avoir précédemment participé à la fraude électorale ? Et quelle serait lavaleurd’uneconstitutionécritepardesprofesseursdedroitquiontsilongtempsmisleursconnaissancesjuridiquesauservicedeladictature?

La révolution égyptienne passe par une période délicate. Nous sommesexactementàuncarrefour.Oubiennous remportons lavictoireet réalisonsnosobjectifs, ou bien, qu’à Dieu ne plaise, ceux-ci sont brisés et le régime ancienreviendramêmesic’estsousuneformenouvelle.

Quedevons-nousdoncfaire?

Souvenons-nousd’HosniMoubarakavantlarévolution.Toutallaitdanslesensdeses intérêts. Il jouissaitde l’appui totald’IsraëletdespaysoccidentauxainsiquedelaplupartdesEtatsarabes.Personnen’imaginaitqu’ilsoitpossibledeluifairequitter lepouvoir,mais lepeupleégyptien,grâceàDieu,aétécapablede leforceràabdiquer. Iln’yapersonned’autrepourprotéger la révolutionqueceuxquil’ontfaite.Delàtoutel’importancedelamanifestationdevendrediprochain,8 juillet,destinéeàrectifier leprocessusencours. Il fautquenousoubliionsnos

divergences intellectuelles et politiques et que nous redevenions comme nousétionspendantlalutte.LescoptesaveclessalafistesetlesFrèresaveclesmilitantsdegauche,lesfemmesenniqabetlesfemmesvoiléesaveccellesquivonttêtenue.Nous ne demanderons ni constitution ni élections, mais nous réclameronsl’épuration de l’Etat des résidus du régime deMoubarak. Nous réclamerons unprocèsjusteetcompletdesassassinsdesmartyrs,nousréclameronsla finde lajustice militaire appliquée aux civils, sous quelque prétexte que ce soit. Nousdescendronsdanslaruevendredi,disposés,siDieuleveut,àpayerleprixdelaliberté.Nousserons, commenousétionspendant la révolution,prêtsàmouriràtout moment. Notre vie ne sera ni meilleure ni plus précieuse que celle descentainesdeceuxquinousontprécédésetsontmorts,enpleineconscience,pourl’aveniretpourladignitédesEgyptiens.

Ladémocratieestlasolution.

1Undesofficiersdel’arméeégyptienne,quiaparticipéàl’assassinatd’AnouarElSadate.Ilaété,àsasortiedeprison,enmars2011,accueilliparlesmédiasenvéritablevedette.

QUIVAJUGERASMAMAHFOUZ?

Avantlarévolution,seulslesEgyptiensquivontsurInternetconnaissaientAsmaMahfouzquienregistraitdesmessagesfilmésappelantlesEgyptiensàsortirdanslaruepourdestituerMoubarak.

Elleétaitagréableàregarderetelleémouvaitavecsesmotsquivenaientdroitducœur.

C’étaitunebellejeunefilleégyptienneauteintbrun,latêtecouverted’unvoile,quiressemblaitànosfillesouànossœurs.

Maisilyavaitenelleunenoblessequiladistinguait:aulieudesepréoccuper,comme beaucoup d’autres, de chasser un mari disponible et de jouir del’existence,elleétaittoutentièrehabitéeparledestindelanationetprêteàpayerleprixdelaliberté.

SurvintlarévolutionetAsmayparticipa.Anouveau,elleexprimasesopinionsavec franchise en critiquant souvent l’actionduConseil des forces armées. Puiselle enregistra son témoignage sur lamanifestationd’Abbassia. Elledéclaraquedes hommes de main avaient attaqué les manifestants avec des épées et descocktailsMolotov,pendantquedesélémentsdelapolicemilitairecontemplaientlespectaclesansrienfairepourempêcherlemassacre.

Asma a reçu, il y a deux jours, une convocation du tribunal militaire quil’inculpait.

Unmatin,Asmaallaavecsonavocatautribunaloùelletrouvaungrandgroupedejeunesrassembléspourlasoutenir.Ellelessaluaetlesremerciaavecchaleur.Celalaremplitdegratitudequ’ilssoientvenus,souscettechaleur,enpleinjeûne.

Un officier de la policemilitaire apparut rapidement, celui-làmême qui avaitsalué quelques jours plus tôt Habib El Adly, l’ancien ministre de l’Intérieursanguinaire,sortantdelasalled’audience1.

L’officiers’approchad’elleetluiditd’untonméprisant:

—C’estvous,AsmaMahfouz?

—Oui

—C’estvousquijouezauxleaders?Suivez-moichezlejuge.

Asmalesuivitavecsonavocatjusqu’àlaportedubureau,maisl’officiers’arrêtaetsetournaverselle:

—Vousrentrerezseule

L’avocatprotestaetinsistapourentrerluiaussi,maisl’officierrestainflexible:

—Monsieurlejuged’instructionveutvousvoirseule.

L’avocat comprit que ce n’était pas la peine d’insister et s’effaça tandis quel’officier continuait à avancer. Il frappa à la porte, attendit la permission puis ilentra,avecAsmaderrièrelui.Ilfitunsalutmilitaireaujuged’instructionquiétaitassisderrièrelebureaupuisseretournaetsortit.

Asmabaissaitlatête,épuiséeparlachaleuretlejeûne.Lejugeluidit:

—Veuillezavancer.

Savoixétait familière,elle l’avaitdéjàsouvententendue.Elle leva la têteet futsaisieparlasurprise.

Ellesemitàhaleterd’émotion.Ellen’encroyaitpassesyeuxetpensaitrêver.

C’étaitHosniMoubarakquiétaitassisderrièrelebureau,revêtudesonuniformemilitaire, la poitrine constellée de décorations. Il s’appuya sur le dossier dufauteuiletluiditensouriant:

—Asseyez-vousAsma.

Paniquée,ellesemitàcrier:

—VousêtesHosniMoubarak!

Lejugesouritetellecontinuaàcrier:

—Vousnousaveztrompés.Commentavez-vouspufuirdelaprison?

Moubaraksemitàrire:

—Celafaitdesannéesquejesuisici.

Commentpouvez-vousêtreicietailleursenmêmetemps?

—C’estuneaffairecomplexeetceseraittroplongàexpliquer.

— Si vous êtes ici, qui donc se trouve dans la cage des accusés pendant leprocès?

—Ecoutez,Jesuisicipourvousinterroger,paspourrépondreàvosquestions.

—Jeveuxsavoircommentvousvousêtesenfui.

Moubarakélevalavoixetprituntonmenaçant:

—Sivousn’arrêtezpasdefairedubruit,jevaisvousfairejeterdansuneprisonmilitairesousl’inculpationd’atteinteàmagistrat.

LesilencesefitetAsmasemitànouveauàlefixerduregard.

C’étaitHosniMoubarak,sanslemoindredoute.Ilsemblaitdétendu,calmeetenparfaitesanté.

Elle se dit qu’il fallait qu’elle sorte rapidement pour informer ses amis àl’extérieur.Tantpispour lesconséquences !CommesiMoubarak lisaitdansses

pensées,illuiditdoucement:

— Soyez raisonnable. Conduisez-vous avec sagesse. N’allez pas faire quelquechose que vous regretteriez ensuite et sachez que votre destin est entre mesmains.Maintenantjevaiscommencervotreinterrogatoire.

—Vousn’avezpasledroitd’amenerdescivilsdevantdestribunauxmilitaires.

—Jen’enaipasledroit,maisj’enailapossibilité.

AsmasetutetMoubarakluidemandasuruntonofficiel:

—Pourquoiavez-vousdiffamélesforcesarmées?

—CommetouslesEgyptiens,jesuisfièredel’arméeégyptienne.

Moubarakexaminalesfeuillesquiétaientdevantlui:

—MaisvousavezécritsurFacebookdesexpressionsinconvenantesausujetduConseilsuprême.

—J’exprimaisunecritiquepolitiqueduConseilsuprême.

—C’estunefaçondenuireàl’imagedel’armée.

— Ce qui est nuisible, c’est de laisser passer des erreurs sans rien dire. LeConseil suprême remplit les fonctions de président de la République pendant lapériodeintérimaireetilestdemondroitd’exprimerdescritiquessursonaction.

—Quiêtes-vouspourosercritiquerleConseilsuprême?

—Jesuisunecitoyenneégyptienne.

—vousêtesunenfantquivitdansdeschimèresetmoi,jevaisvousapprendrelapolitesse.

—C’estçavotrefaçondemeneruneenquêtelégale?

Moubarakregardalànouveaulesdossiers:

—SurTwitter,vousavezencouragélesassassinats.

— C’est là une accusation stupide etmensongère. J’ai dit littéralement que sijusticen’étaitpas faite, les famillesdesmartyrssevengeraientde leurspropresmains.

IlyeutànouveauunsilencepuisAsmaselâcha:

—Jevousdemandepardon,maiscetteprocéduren’estpaslégale.D’abordparcequ’ellea lieuen l’absenced’unavocat,ensuiteparcequevousêtes,vous-même,inculpéparlacourd’assise.Commentpouvez-vousm’interroger?

Moubarak prit un air courroucé. Les muscles de son visage se crispèrent. Ildonnauncoupdepoingsurlatableetd’unevoixtonitruante,luicria:

—Jevousaiditquejesuisicidepuislongtemps.Vousavezcompris?

— Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais je ne répondrai pas à vosquestions.

—Vousvousfaitesdutort.

—Jenepeuxàaucunprixaccepterquevousm’interrogiez.

—Jevaisvousfaireincarcérer.Vousservirezd’exemple.

—jesuisprêteàallerenprison.

Asmaleregardad’unairdedéfi.Moubaraksemittoutàcoupàrire:

—Maisnon,mapetitehéroïne.Allez,c’estfini.J’abandonnelaprocédure.Nouspouvonsparler?

—Quevoulez-vous?

Moubarak se leva de sa place et alla vers le réfrigérateur qu’il ouvrit pour ensortirunebouteilled’eauminéralegazeuse.Lorsqu’ill’ouvritl’eausemitàpétiller.Asmafutincapabledeseretenir:

—Vousnejeûnezpas!

—Jesuismalade,j’ailedroitdenepasjeûner.

Moubarakbutunegorgéepuisrota:

— Regardez Asma, je voulais vous dire un mot, à vous et à tous vos amis.Occupez-vous tousdevosaffairesetpensezàvotreavenir.Tout ça,maintenant,c’estterminé.

—Qu’est-cequiestterminé?

—Toutecetteexcitationaprisfindelameilleurefaçonpossible,grâceàDieu!

—Nousavonsfaitunegranderévolution.

—Vousavezfichulepaysenl’air.

— C’est vous qui avez ruiné l’Egypte, qui l’avez pillée, qui avez humilié lesEgyptiensetlesaveztués.

— Le peuple égyptien m’aime toujours. Vous avez vu les manifestations desoutien,placeMustaphaMahmoudetauRoxy.

— Ils étaient payés pour ça ou bien c’étaient des profiteurs de votre régimecorrompu.

Moubarak sourit et soupira comme s’il se voulait semontrer patient face auxbêtisesd’unenfant:

—Bien,Asma, vous avezdemandémadémission etmon jugement.Qu’est-cequeçavousarapporté?

—Canousarapportélaliberté.

Moubarakéclataderire:

—Lalibertéestlamèredel’anarchie…

—Dumomentquenousnoussommesdébarrassésdevotreoppression,çaenvalaitlapeine.

—Maisjesuistoujourslà.Biensûr,vousmevoyezdansmacaged’accusé,maisjesuisprésentpartout.ToutenEgyptesefaitcommejeleveux.Enréalité,jesuisencoreplusfortqu’avant.Mesfilsetmesdisciplesontessaimépartout.

—Nousépureronsl’Egyptedetousvosséides.

—Vousn’enavezpasledroit.N’êtes-vouspasopposésàlafraudeélectorale.Lesprochaines élections seront honnêtes, mais elles amèneront mes hommes aupouvoir. Mes fils et mes disciples remporteront la majorité et formeront leprochaingouvernement.

—Quevoulez-vousdire?

—Vousdécouvrirezunjourquejenesuispasunepersonne.Jesuisunmodedepensée, une conception particulière de la vie. Une organisation intégrale etparfaite.

Moubaraksetutuninstantpuisilsourit:

—Certainsdeceuxquiétaienthiermesennemissontdevenusaujourd’huimesalliésetilsvoterontcommejeleleurdemanderai.

—Nouscontinueronsàfairepressionjusqu’auchangementcomplet.

—Celaneserapluspossible

—Delamêmefaçonquenousvousavonsfaittomber,nousferonstombervotrerégime.

—Maintenant,lesEgyptiensdétestentlarévolution.

—Cen’estpasvrai.Ouvrezcettefenêtreetvousyverrezdesdizainesdejeunesquisontsolidairesdemoi.

—L’Egyptien,cen’estpasdanssanatured’aimerlarévolutionetcelalerassured’êtresoumisàunchef fort,mêmes’il l’opprime. Jevousaiproposéde resteràmon poste jusqu’aumois de septembre,mais vous avez refusé. Et quel a été lerésultat?LesEgyptienssontépuisésetdéprimés.Iln’yaplusdetourismeetlesinvestissements sont réduits à néant, les gens n’arrivent plus à protéger leursenfantsdeshommesdemain.Ilyapartoutdesmeurtresetdescoupsdefeu.

— C’est de votre faute. Les hommes de main, ce sont vos séides qui les ontlâchésetcesontvoshommesquiconspirentafind’appauvrirlesEgyptiensetdeleseffrayerpourqu’ilsserepententdelarévolution.

—Danslaguerre,toutestpermis.

—Nousallonsgagner,vousverrez.

—Ce sontdes rêves. Lesgensmaintenantdétestent la révolutionet beaucoupconsidèrentquevousêtesdestraîtres.

—Jenevouspermetspas…

Moubaraksouritavecirritation:

—Est-ilpermisdeparlercommecelaàquelqu’unquipourraitêtrevotregrand-père?

—Jeparleàl’hommesanguinairequiacausélamortdemilliersd’Egyptiens.

— Et vous, ainsi que vos camarades êtes accusés de recevoir des fonds del’étranger.

— Vous mentez pour déconsidérer la révolution. Les accusations du généralHassanElRouininesontfondéessurrienetnousavonsdéposéuneplaintecontreluidevantleprocureurmilitaire.

Moubaraksourit:

—VousavezdéposéuneplaintecontreElRaouini?

—Biensûr.

—C’estmoiquil’instruirai.

—Sic’estvousquiinstruisezcedossier,jepeuximaginerlerésultat.

Lesilencesefit.Moubarakluijetaunregarddédaigneux.Elleselevaendisant:

—Jem’envais.

—Faitescommevousvoulez.Allezattendredehorsladécisionduparquet.

Asmapritsonsacettournaledospourpartir.CommesisonallureassuréeétaitressentiecommeuneprovocationparMoubarak,ill’interpella:

— Savez-vous que les accusations qui sont portées contre vous peuvent vousvaloirdixansdeprisonmilitaire?

Asmaleregardaetluiditcalmement:

— Pendant la révolution, je descendais tous les jours de chezmoi en sachantque,àchaqueinstant,j’allaispeut-êtremourir.Vostireursembusquésonttuédescamaradessousmesyeux.Nousn’avonspluspeurdelamort.Faitescequevousvoulez,maisl’Egyptevousvaincra,vousetvospartisans.

Asma sortit en claquant violemment la porte. Devant la salle, il y avait desdizainesdesescamaradesquil’attendaientdebout,avecl’avocat.Ilsl’entourèrentetlapressèrentdeleurdirecomments’étaitpassél’interrogatoire.

Ellehésitaunpeu,puisellesoupiraaveccolère:

—Savez-vousquiinstruisaitlaprocédure.

Ilslaregardaientl’airperplexe.

—HosniMoubarak

Ilsn’eurentpasl’airétonnéetl’und’euxditd’unevoixforte:

—Quoiqu’ilsfassent,larévolutionvaincra.

Touslesautresl’approuvèrent.

Ladémocratieestlasolution.

1HabibElAdlyfaisaitpartiedesquelqueshautespersonnalitésjugéesenmêmetempsqu’HosniMoubaraketsesfils.Cegested’unofficierluifaisantlesalutmilitaireaeffectivementétéremarquéparlesobservateursetfilméparlestélévisions.

QUETESMAINSSOIENTPRÉSERVÉES,ALI

Cher lecteur, si vous ne connaissez pas encore les œuvres d’Ali Farazat, c’estvraimentdommagepourvous.

Cetartistesyrienestundesplusimportantscaricaturistesdumondearabe,etiloccupeuneplaceéminenteauniveaumondial.

En tant qu’Arabe, j’étais fier de voir ses dessins dans les plus prestigieuxjournauxdelaplanètecommeleGuardianetleMonde.

AliFarazatestnédanslavilledeHama,en1951,etsesdonsexceptionnelssontapparusdèsl’enfance.Al’âgededouzeans,ilenvoyaundessinhumoristiqueaujournal syrien El Ayyam et il eut la surprise, la semaine suivante, de voir sondessinpublié enpremière page. Il reçut alors une lettre de remerciements et defélicitations du rédacteur en chef, qui n’imaginait pas que l’artiste à qui ils’adressaitétaitunjeuneenfant.

Aucoursdesannées,grâceàseseffortsetparcequ’ilsevouaitentièrementàsonart,sontalents’épanouitetilréussitàsefaireuneplaceparmilesgéantsdelacaricaturearabecommeSalahJahine,Hegazy,NaguielAli,MustaphaHussein,Toughan,etbeaucoupd’autres.

Farazat pense que la qualité la plus importante pour le dessinateurhumoristique, avant son coupde crayon, est son sensde la dérision. En effet leprincipe de base du dessin humoristique, c’est de faire apparaître lescontradictionsentrecequiestetcequidevraitêtre.

Comme la vérité est claire dans l’esprit de Farazat, ses dessins sont toujoursincisifs,économes,véridiques,exemptsdebavardage,dedétoursetde fiorituresvides.Farazatestcapableavecunesimplicitédéconcertantederésumerlemondedansundessinquinousfaitressentirlalaideurquinousentoureetaspireràlabeautédelavéritéetdelajustice.

LesdessinsdeFarazat font immédiatementmouche,commes’ildessinaitavecun revolver,visaitavecprécision,appuyait sur lagâchetteet faisaitpandans lemille.Ilsvousmettentfaceàlavéritétoutenue.

PourAliFarazat, ledessinhumoristiquen’estpasunartd’agrément.Ilnevisepasàladistractionetaurire.Pourlui, ledessinestunearmetrèssubtileettrèsefficacedanslabataillequemènel’humanité.

LapremièrecausequedéfendFarazatestcelledelaliberté,dudroitdesgensetde leur dignité, quel que puisse être le prix à payer. Cet artiste de niveauinternational avait la possibilité, comme de nombreux autres l’ont fait, d’allerconfortablementvivreàParisouàLondres,combléd’honneurs,etd’ymenerune

viedemilitant enexil, célèbre et en sécurité.Mais il a tenuà rester aupays endisantavecsimplicitéqu’ilnecomprenaitpascommentonpouvaitdessinerdesgensenvivantloind’eux.

Ilauraitpudepuislongtemps,s’ill’avaitvoulu,devenirleministresyriendelaCulture.

Iln’auraitpaseubesoinpourceladefairepreuvedebeaucoupd’hypocrisie.Onlui demandait seulement de se taire sur l’oppression et la répression.De parlerdansleslimitesdecequiestpermis.Onluidemandaitdedessinerenfonctiondecalculsetd’arrangementssurdessujetsagréésencommun.Onluidemandaitdedirelamoitiédelavérité,maisAliFarazatcroitquelavéritédoitêtretotaleetquelamoitiédelavéritéestunetricherieetuneimposture.

Leplusétonnant,c’estqu’unevéritableamitiéaunjourexistéentreAliFarazatetBacharElAssad.BacharétaitàcetteépoquelefilsduprésidentdelaRépubliqueetilsespécialisaitenophtalmologie,àLondres.Enamidesarts,ilfréquentaitlesexpositionsducaricaturistedont iladmirait lesœuvres.Uneamitiénaquitentreeuxàtelpointqu’ilarrivaàFarazatderecevoirBacharchezlui.

Il est possible que Bachar, avant d’accéder au pouvoir, ait été sincèrementdésireuxderéaliserdevéritablesréformesdémocratiquesetc’estpeut-êtrecequia poussé le régime, aumoment de l’entrée en fonctiondunouveauprésident, àautoriserAliFarazatàpubliersacélèbrerevue:ElDoumari,lepremierpériodiqueprivéenSyrie,depuislesannéessoixante.Avantl’introductiondel’électricitéenSyrie, le Doumari était une personne que les autorités ottomanes chargeaientd’éclairerlesruesavecunelanternedevantlespassants.

Cetterevueétaitunphénomèneuniqueensongenre,d’abordàcausedel’ironiemordante de ses articles et de ses dessins qui la faisait ressembler au CanardEnchaîné, le célèbrehebdomadaire français.Ensuitepar le tonde franchiseplusqued’insinuationqu’elleavaitadopté,etsacritiquesansdétourdeladictatureetdelacorruption.Maiségalementparsontirage,àunniveaujamaisatteintparlesjournauxgouvernementauxsyriens,pourtant financésà coupdemillionspar lepartiBaas,maisquidemeuraientdespublicationsdepropagandemensongèreetridiculequepersonnenelisait.

Farazatsubittoutessortesdevexationsetdepersécutionsdelapartdupouvoir,mais il continua à éditer sa revue sans s’incliner ni pactiser, sans passer unquelconquearrangementaveclerégime.Peuàpeu,larevueElDoumaridevintunvéritableproblèmepour le régimeduBaas et ses servicesde renseignement, aupointquecelui-cinetrouvafinalementpasd’autreissuequedelafermeretdeluienleversalicence.

Maisl’artistemilitantAliFarazatneconnaissaitpaslarésignationet,commelerégimeduBaasavait fermésa revue, ildécouvrit levastemondede l’Internet. Ilcréa un site électronique à son nom pour y diffuser ses dessins qui, dès qu’ilsétaientdiffusés,devenaientlethèmedeconversationdesSyriens.

Bachar El Assad se mit très en colère contre son ancien ami et alla même

jusqu’àdéclarer:

—AliFarazatétaitmonami,maisilm’apoignardédansledos.

C’estainsiqueBachar, l’ophtalmologue,semuaenunsimpledictateurcommelesautresconsidérantqueladéfensedelavéritéétaituncoupdepoignarddansson dos. Comme les autres despotes, il ne comprenait l’amitié que comme unesubordination et une allégeance totale et il était persuadé d’incarner ni plus nimoinsquelanationtoutentière.

Ceuxquilesoutenaientetleflattaienthypocritementaimaientdonclanationetceux qui luttaient pour les droits de l’homme, de son point de vue, étaient destraîtresetdesvaletsde l’étranger.Réclamer la liberté signifiaitque l’onétaituncomploteur exécutant unemachination ourdie par des ennemis de l’extérieur. Ilestfrappantdeconstateràquelpoint,encela,lapenséedeBacharressembleàs’yconfondre à celle deMoubarak, deAliAbdallah Saleh, de BenAli et de tous lesautresdictateurs.

Ce sont les mêmes mensonges, les mêmes crimes et le même abandon desprincipesmorauxdanslebutdeconserverlepouvoir,partouslesmoyensetquelqu’ensoitleprix.

Cette identité commune à tous les dictateurs a été décrite ainsi par le grandécrivainespagnolGoytisolo:

—Si l’onconnaîtunseuldictateur,on lesconnaît tous, car ilsnesontqu’uneseuleetmêmepersonne.

Après le déclenchement de la révolution syrienne et la répression sauvagepratiquéeparlerégimecontredecourageuxcitoyensdésarmés,simplementparcequ’ils ont revendiqué quelques-uns de leurs droits humains, Ali Farazat nepouvaitpasresterlesbrascroisés.Ilfourbitsesarmesetconçutundessinqui,jecrois,resteraéternellementdansl’histoiredel’artarabe.

Nousyvoyonsunénormesoldatarmédepiedencap, représentant lepouvoirsyrien,quiseprépareàtirersurundétenuauxyeuxbandés.Maisl’unetl’autre,l’énormesoldatetsavictimesontassisauxdeuxextrémitésd’uneminceplanchequiaumoindremouvementpeutlesfairetombertouslesdeux.

Lorsque Bachar El Assad annonce l’abolition de l’état d’exception, Farazatdessineungigantesqueofficierquireprésentelepouvoirdontlagrandeombreseprojettesurlemur.NousvoyonsBachars’efforcerdepeindrelemurpourcacherl’ombre,sansqueceluiquilaprojettecessed’êtreprésent.

Larépressionsauvagedelarévolutionsepoursuitetcauselamortdedeuxmillemartyrs sans compter les milliers de blessés et de détenus, mais le régime deBachar El Assad continue à mentir, en organisant des conférences où sontapprouvéesdesréformesfrelatées,complètementformelles,parlesquellesiltentedetromperlepeuple.Farazatdessinealorsunhommeassisdansdestoilettesentrain de déféquer. Il prend un papier hygiénique sur lequel est écrit“recommandationsducolloque”.

Faceà l’obstinationdesSyriensà réclamer la liberté, et à lapropagationde larévolutiondanstouteslespartiesdupays,lesagentsdesservicesdesécuritéetleshommes de main stipendiés par le régime perpètrent d’innombrables crimesd’unegrandesauvagerie. Ilsattaquentdesmosquéeset tuentà coupsde feu lespersonnesentraindeprier.LechanteurpopulaireIbrahimKachouchparticipeàdesmanifestations et improvise des chansons demandant le départ de Bachar.Quelquesjoursplustard, ilestarrêtépardeshommesdemaindurégimequi letuent et lui arrachent sauvagement la gorge puis jettent son cadavre sur lachaussée, afinque les gens le trouventdans cet état et tiennent cela commeunavertissementàtousceuxquioseraientdemanderàBacharElAssadderenonceràsonpouvoir.

Malgré la sauvagerie du régime, les Syriens persistent résolument dans leurrévolution,avec,enpremière ligne l’artisteAliFarazatquicontinueavecunrarecourage à tirer à l’arme lourde contre la dictature. Il méritait un châtimentexemplaire.Ilfallait,parn’importequelmoyen,étouffersavoix.

Jeudi dernierAli Farazat termina son travail, quitta son bureau, puismonta àbord de sa voiture pour se rendre chez lui. Une automobile blanche semit à lepoursuivreetluicoupalarouteleforçantàs’arrêter.Quatreénormeshommesdemain en descendirent, le tirèrent de force de sa voiture puis l’agressèrentsauvagement.

Ilslefrappèrentjusqu’àcequelesangviennetachersesvêtementsetcoulersurle sol. Ils concentrèrent leurs coups sur la tête et sur lesmains. A force de luicognerlatête,ilsluiprovoquèrentunecommotioncérébraleetilsluibrisèrentlesdoigtsdelamainjusqu’àenfairedelacharpie.

Ce régime syrien, armé de pied en cap, qui a tué des milliers de fils de sonpeuple,n’ajamaistiréuneseuleballecontreIsraëldepuisquaranteans.

Cerégime,malgrésonredoutableinstrumentderépression,n’étaitpascapablede supporter un artiste tout maigre qui n’avait rien d’autre que son art et saplume.Ils l’ontfrappéà latêteet ils luiontbrisé lesmainsparpeurdelavéritéqu’ilfaisaitapparaîtreavecsesadmirablesdessins.

Lejourdelafêtedelafinduramadan,aulieudesetrouverchezluiaumilieudesa famille et de ses amis, le grand artiste gisait sur un lit d’hôpital, le corpscouvert de blessures et les doigts brisés. L’enchantement qu’il a longtemps faitnaîtreavecsesdessinsresteratoujoursdansnosespritsetdansnoscœurs.

J’écris cesmots en espérant qu’ils parviendront à Ali Farazat afin qu’il sachecombiennousl’aimons,nouslesEgyptiens,etcombiennousaimonslaSyrietoutentière. La situation dans laquelle nous nous trouvons en Egypte n’est passatisfaisante : après avoir réussi à nous débarrasser d’Hosni Moubarak, nousavonsdécouvertque,malheureusement,lerégimedeMoubarakn’étaitpasencoretombéetqu’il continuaitàgouverner.Endépitdesconditions troublesquenoustraversons,nousn’oublionspasunseulinstantnosfrèressyriens.

Jevousprie,cherlecteur,d’entrersurlesiteInternetd’AliFarazatpouryvoirses

merveilleux dessins. Vous découvrirez quel artiste universel il était et vousprendrez conscience de la faute commise par Bachar El Assad, responsable aupremierchefdecettesauvageagressioncontreundesplusimportantsartistesdumondearabe.

Toi,AliFarazat,tuesunindividu,mais,àl’échellehumaine,tureprésentesunenation.Tuaspayéleprixdel’honneuretducouragedansunpaysgouvernéparundictateurinique.Ilsontperpétrécecrimecontretoi,carilsontpeurdetoi.Ilsdisposent d’énormes instruments de répression et toi tu ne possèdes que taplume,mais tu es plus fort qu’eux car tu représentes la vérité, alors qu’eux nereprésententquelafraudeetlacorruption.

Tues l’avenir,Ali,eteuxsont lepassésinistre.Toi, tuarrives,Ali,eteuxs’envont vers la place qu’ilsméritent dans les poubelles de l’histoire. Le régime deBacharestterminéetiln’enresteplusquelebâtondel’oppressionquisebriserabientôt.LaSyrieretrouveraalorssaliberté.

Monami,AliFarazat,quetesmainssoientpréservées.

Ladémocratieestlasolution.

Ouvrageréalisé

parleStudioActesSud

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TableofContents

LepointdevuedeséditeursAlaaElAswanyChroniquesdelarévolutionégyptiennePRÉFACE“LaDémocratieestlasolution”INTRODUCTIONPREMIÈREPARTIE-LAPRÉSIDENCEETLASUCCESSION

LACAMPAGNEÉGYPTIENNECONTRELASUCCESSIONHÉRÉDITAIRETROISARGUMENTSFALLACIEUXPOURSOUTENIRGAMALMOUBARAKL’ARTDEPLAIREAUPRÉSIDENTLESCAMÉLÉONSATTAQUENTELBARADEIGAZAVA-T-ELLEPAYERLEPRIXDELASUCCESSIONHÉRÉDITAIREENÉGYPTEPOURQUOIRÉGRESSONS-NOUSALORSQUELEMONDEPROGRESSE?LASEULEFAÇONDEFAIREPARTIRBATISTAQU’ATTENDENTLESÉGYPTIENSDEELBARADEI?QUANDLEPRÉSIDENTMOUBARAKVA-T-ILFINIRPARCOMPRENDRECETTEVÉRITÉ?FALSIFIERLESÉLECTIONSEST-ILCONSIDÉRÉCOMMEUNPÉCHÉMORTEL?AVONS-NOUSBESOIND’UNDICTATEURÉQUITABLE?UNEHISTOIREPOURLESPETITS…ETPOURLESGRANDSUNDÎNERIMPROMPTUAVECUNEPERSONNALITÉIMPORTANTEQUELQUESRÉFLEXIONSAUTOURDELASANTÉDEM.LEPRÉSIDENTPOURQUOILESÉGYPTIENSNEPARTICIPENT-ILSPASAUXÉLECTIONS?

DEUXIÈMEPARTIE-LEPEUPLEETLAJUSTICESOCIALENOTRECONSEILAUBOUCHERLAFÊTEDELAGRANDEDÉBANDADEPOURQUOILESÉGYPTIENSHARCÈLENT-ILSLESFEMMES?COMMENTVAINCRELASÉDUCTIONDESFEMMESLENIQABETLAPIÉTÉDÉFICIENTELAPIÉTÉFACEAUXCAMÉRASQU’EST-CEQUIPROTÉGERALESCOPTESL’ÉGYPTEASSISESURLEBANCDETOUCHELESÉGYPTIENSSONT-ILSVRAIMENTRELIGIEUX?LESCHAGRINSDEMlleLAURENCEPOURQUOILESRELIGIEUXEXTRÉMISTESSONT-ILSSIPRÉOCCUPÉSPARLECORPSDELAFEMME?L’HISTOIREDENORAETDEL’ÉQUIPENATIONALELADÉFENSEDUDRAPEAUÉGYPTIENL’IMPORTANCED’ÊTREHUMAINQUIATUÉLESÉGYPTIENSLEJOURDELAFÊTE?LEPRÉSIDENTOBAMAPEUT-ILPROTÉGERLESCOPTES?L’ÉGYPTEQUIS’ESTÉVEILLÉEL’HISTOIREDEMAMDOUHHAMZAQUITUELESPAUVRESENÉGYPTE?LASOUMISSIONNOUSPROTÈGE-T-ELLEDEL’OPPRESSION?MALTRAITERLESGENSFAIT-ILPARTIEDESACTIONSQUIINVALIDENTLEJEÛNEDUMOISDERAMADAN?

TROISIÈMEPARTIE-LIBERTÉD’EXPRESSIONETOPPRESSIONPOLITIQUECOMMENTLESOFFICIERSDEPOLICECÉLÈBRENT-ILSLEMOISDERAMADAN?UNEDISCUSSIONAVECUNOFFICIERDELASÉCURITÉD’ÉTATQUATREFILMSPOURDISTRAIRELEPRÉSIDENTAVANTDEMAUDIRELASUISSELEREGRETTABLEINCIDENTDONTFUTVICTIMEUNOFFICIERDELASÉCURITÉD’ÉTATPOURQUOILEGÉNÉRALCRIE-T-IL?DEVONS-NOUSCOMMENCERPARRÉFORMERLESMŒURSOURÉFORMERLERÉGIME?LESLIBERTÉSSONT-ELLESDIVISIBLES?LEDESTIND’IBRAHIMISSA

QUATRIÈMEPARTIE-LARÉVOLUTIONN’ESTPASTERMINÉECINQATTITUDESFACEÀLARÉVOLUTIONN’ÉCHANGEONSPASUNEDICTATUREPOURUNEDICTATURE

LARÉVOLUTIONÉGYPTIENNES’EST-ELLETROMPÉE?QUIVAJUGERASMAMAHFOUZ?QUETESMAINSSOIENTPRÉSERVÉES,ALI