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Baccalauréat session 2016 Épreuves anticipées de français descriptif des lectures et activités de 1ère STMG Ce descriptif contient 4 séquences (15 lectures analytiques) Une partie «lectures et activités personnelles » est laissée à l'initiative de l'élève, le professeur ayant donné des pistes à ceux qui le souhaitaient. 1/51

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Baccalauréat session 2016Épreuves anticipées de français

descriptif des lectures et activités de 1ère STMG

Ce descriptif contient 4 séquences (15 lectures analytiques)

Une partie «lectures et activités personnelles » est laissée à l'initiative de l'élève, le professeur ayant donné des pistes à ceux qui le souhaitaient.

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SEQUENCE N° 1

Intitulé :Penser le bonheur humain / Évolution de l'Utopie

Groupement de textes

Objets d’étude, perspectives et orientations principales La question de l'homme dans les genres de l'argumentation

Problématique : Comment l'écriture se met-elle au service de la construction d'un monde meilleur ? Dans quelle mesure les représentations de l'utopie portent-elles les préoccupations de leur siècle ?

Lectures analytiquesGroupement de textes

-Rabelais, l'abbaye de Thélème, Gargantua, 1534-Fénelon, les Aventures de Télémaque, livre VII, 1699, description de la Bétique: « Mentor nous dit qu'il avait été autrefois... la crainte des justes dieux »-Voltaire, Candide, chap XVIII, Ce qu'ils virent dans le pays d'Eldorado, 1759 : « Candide et Cacambo montent … de mathématique et de physique »-Albert Jacquard, Mon Utopie, 2005 : de l'importance de l'école pour permettre l'utopie ; « Mettre en place un enseignement fondé... laissez-moi devenir celui que je choisis d'être. »

Activités complémentaires (textes n'ayant pas fait

l'objet d'une lecture analytique)

-Histoire du genre de l'utopie à partir du site de la bnf.-Représentation de l'espace utopique : extrait d'Utopia de Thomas More, la Cité du Soleil de Campanella, Le Travail de Zola (corpus joint)-La dystopie au cinéma ; exposés sur des films choisis par les élèves : Bienvenue à Gattaca, Hunger games , le Labyrinthe, Divergente, Matrix...) dans quelle mesure la dystopie est-elle une représentation des limites de constructions utopiques ? Quels sont les moyens cinématographiques mis en œuvre pour souligner ces limites ?

Documents en lien avec l'histoire de l'Art

Iconographie de l'Utopie sous forme de chronologie ; les élèves ont effectué un travail de présentation d'un document parmi les suivants-Cité idéale, panneau d'Urbino, 1460- 1500 (auteur indéfini)-représentation de l'Ile d'Utopie de Thomas More, 1516, exemplaire de Louvain-Tour de Babel de Bruegel l'Ancien, 1563-Coupe du cénotaphe de Newton, Boullée, 1794, - Familistère de Godin, à Guise (carte postale de 1905-1908) – Cité radieuse de Le Corbusier (1947-1952)- le Val fourré (1959-1977)

Lectures cursives Eldorado de Laurent Gaudé

Lectures et activités personnelles

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SEQUENCE N°2Quête et affirmation de l'identité en poésie

Un aperçu de la poésie francophonegroupement de textes

Objet d'étude : Poésie et quête de sens

Problématique : Quelles sont les forces de la poésie pour affirmer ou réaffirmer une identité ?Objectif : s'interroger sur le choix de ces auteurs africains de dire leur(s) différence(s), d'affirmer leur(s) identité(s) et celle des autres en langue française (et arabe pour Tahar Ben Jelloun).

Lectures analytiques

-Léon G. Damas : “Solde” in Pigments, 1937-Louis Leopold Sédar Senghor, « Femme nue, femme noire », Chants d'ombre, 1945-Aimé Césaire, fragment de Cahier d'un retour au pays natal « Eia pour ceux qui n'ont jamais rien inventé... et sa vigueur marine », 1939-Birago Diop, « Souffle s », Leurres... et lueurs, 1925-1960

Activités complémentaires :

- Histoire du mouvement de la Négritude.- Placer les poèmes dans une évolution de la forme poétique : corpus de poèmes célébrant la beauté noire :

●Les Plaintes d’Acante, « Beau monstre de Nature... » Tristan l’Hermite, 1634● La Belle Egyptienne, George de Scudéry● La Belle Dorothée Petits poèmes en prose, Baudelaire, 1869.

-Comment les poètes se sont-ils définis au XIXème siècle ? :● Alfred de Musset, « Nuit de Mai » (le Pélican), Poésies, 1835●Baudelaire, « Correspondances », et « l'Albatros » Les Fleurs du Mal, 1857●Victor Hugo , extrait de « Fonction du Poète », les Rayons et les Ombres , 1840●Rimbaud, extraits des « lettres du Voyant », 1871

Lecture cursive Tahar Ben Jelloun, La Remontée des cendres, 1991, Poésie Points.

Histoire de l'art ;

Rencontre avec le peintre calligraphiste chinois Li-Bin :lors de cette rencontre, les élèves ont pu confronter leurs réflexions sur le rôle de l'écriture poétique avec celle de ce peintre qui a grandi sous la Révolution chinoise.Une plongée dans une autre langue et un autre art, qui rejoint pourtant les préoccupations de nos poètes.

Lectures et activités personnelles

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SEQUENCE N°3 Mont-Oriol : 1887

Des affaires de cœur au cœur des affairesGuy de Maupassant

collection folio ou GF

Objet d'étude : Le personnage de roman du XVIIème à nos jours.

Problématique : comment l'écriture romanesque dévoile-t-elle les rouages du théâtre des affaires économiques et amoureuses ? Objectif : percevoir la spécificité de ce roman qui ancre des personnages stéréotypés dans le contexte de l'émergence du capitalisme.

Lectures analytiques

-la comédie de la maladie : première partie, chap IV : « Oriol s'arrêtant en face de lui demanda… et les trois hommes se serrèrent la main pour sceller le marché conclu ».-la naissance de l'amour : première partie, chap VI : « Le jour finissait ; l'air s'imprégnait de fraîcheur… un grand baiser que comprit bien l'homme qui la suivait. »-le combat commercial : première partie, chap VIII : « Andermatt enleva une chaise et la plaça en face de son armée… trois des figurants applaudirent. »-de l'amante à la mère : deuxième partie, chap VI : « Alors, plus même que le soir où elle s'était sentie tellement seule… mais qui saura du moins cacher à tous ses larmes »

Activités complémentaires :

-histoire du roman et évolution du héros romanesque.-genèse du roman, trois extraits de textes de Maupassant (articles et lettres)-corpus sur la rencontre amoureuse dans le roman à comparer aux rencontres dans Mont-Oriol :

-Mme de Lafayette, la Princesse de Clèves-Marivaux, La Vie de Marianne-Flaubert, l'Education Sentimentale-Aragon, Aurélien

-projection du film de Claude Chabrol Madame Bovary : quels moyens cinématographiques sont mis au service de la peinture de la passion ? comparaison entre Christiane et Emma

Histoire de l'art ;Analyse d'affiches publicitaires

Analyse de quatre affiches publicitaires contemporaines de l'écriture de Mont-Oriol pour des stations thermales (auteurs non identifiés), pour voir leur évolution.

-Guillon 1877-Luchon 1882-Enghien 1887-Luxeuil les Bains 1890

Lectures et activités personnelles

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SEQUENCE N°4Enjeux du jeu théâtral

A quoi rêvent les jeunes filles ? 1832Alfred de Mussetcollection Librio

Objet d'étude : Texte et représentation théâtraleObjectif : interroger le rapport à la mise en scène d’une pièce écrite pour être lue.

Problématique : Dans quelle mesure peut-on considérer qu’à travers cette pièce appartenant au « spectacle dans un fauteuil » Alfred de Musset célèbre la mise en scène tout en y renonçant ?Objectif : réfléchir aux enjeux de la mise en scène à travers une pièce qui a priori ne doit pas être montée et voir comment Musset rend à travers elle hommage au théâtre joué.

Lectures analytiques

- Acte I scène 2 : Présentation du personnage d'Irus- Acte I scène 4, p 32-34 « Ecoutez-moi Silvio... fin de la scène » ; le stratagème théâtral de Laërte- Acte II, scène 6 en entier, p 50-51, un échange amoureux.

Activités complémentaires :

-corpus sur la construction et les objectifs de la mise en abyme théâtrale :

texte 1 : Corneille, l'Illusion comique, acte V, scène 5 1635texte 2: Marivaux Le Jeu de l'amour et du hasard, 1730texte 3 : Genet, Les Bonnes, 1947

-réflexion sur les moyens mis au service de la mise en abyme à travers des adaptations de ces trois extraits :L’Illusion comique par Eric Vigner au théâtre de Lorient, 2014Les Bonnes par Pierre Heitz création 2008 (disponible sur théâtre.net)-rencontre avec une auteure metteure en scène (dans la cadre d'une résidence théâtrale) : Elise Chatauret, Compagnie Babel :

➢ les élèves ont pu s'interroger sur le personnage de Laërte et voir comment la manière de le percevoir pouvait mo-difier la perception de la pièce.

➢ Elise Chatauret leur a montré comment elle concevait ses spectacles : réalisation d'interviews, réécriture, travail progressif du texte. Ils ont ainsi pu assister à une mise en voix par des acteurs du texte en cours d'élaboration Ce qui demeure, qui sera présenté au Collectif 12 à la rentrée 2016

Lecture cursive Amphitryon 38 de Giraudoux et/ ou Amphitryon de Molière

Sorties théâtre proposées aux élèves

Pelléas et Mélisande de Maeterlinck par Alain Batis au théâtre de PoissyDéchirements Cyril Hériard Dubreuil Collectif 12 de MantesAmphitryon de Molière par Guy-Pierre Couleau au théâtre de SartrouvilleShunt, par la compagnie Demesten Titip, une pièce réalisée sur mesure pour s’interroger sur l’utopie, inspirée de la Conjuration des Imbéciles et l’Idiot (article sur le site du lycée)

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Séquence n°1

Penser le bonheur humain ; évolution de l'Utopie

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Séquence n°1 lecture analytique 1

Gargantua fait construire une abbaye idéale, Thélème, pour remercier Frère Jean des Entommeures d’avoir contribué à repousser Picrochole et son armée.

Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté ou leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi avait décidé Gargantua. En leur règlement, il n'y avait que cette clause (1):

FAIS CE QUE VOUDRAS (2)parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, conversant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu'ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice. Quand ils sont affaiblis et asservis par une vile soumission ou une contrainte, ils utilisent ce noble penchant qui les poussait vers la vertu, pour se libérer et s'affranchir du joug de la servitude, car nous entreprenons toujours ce qui est défendu, et convoitons ce qui nous est refusé.

Grâce à cette liberté, ils entrèrent en rivalité pour faire tous ce qu'ils voyaient plaire à un seul Si l'un ou l'une d'entre eux disait : « Buvons » tous buvaient ; s'il disait « Jouons », tous jouaient ; s'il disait « Allons nous ébattre aux champs », tous y allaient. Si c'était pour la chasse au vol ou à courre, les dames montées sur de belles haquenées (3), avec leur fier palefroi (4), portaient chacune sur leur poing finement ganté un épervier, un lanier (5), un émerillon (6) ; les hommes portaient les autres oiseaux. Ils étaient si bien éduqués qu'il n'y avait aucun ou aucune parmi eux qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d'instruments harmonieux, parler cinq ou six langues, et s'en servir pour composer en vers comme en prose. Jamais on ne vit des chevaliers si preux, si nobles, si adroits à pied et à cheval, vigoureux, si vifs, et maniant si bien toutes les armes, que ceux qui se trouvaient là. Jamais on ne vit des dames si élégantes, si mignonnes, moins désagréables, plus habiles de leurs mains à tirer l'aiguille et à toute activité digne d'une femme noble et libre que celles qui étaient là. Pour ces raisons, quand le temps était venu pour l'un des membres de quitter cette abbaye, soit à la demande de ses parents, soit pour d'autres causes, il emmenait avec lui une des dames, celle qui l'avait choisi pour chevalier servant, et ils se mariaient. Et s'ils avaient bien vécu à Thélème dans le dévouement et l'amitié, ils le faisaient encore mieux dans le mariage ; ils s’aimaient autant à la fin de leurs jours qu'au premier de leurs noces.

1.Clause : article d'un contrat que l'on s'engage à respecter.2.La devise de Thélème découle du nom de cette abbaye d'un nouveau genre, qui signifie en grec «vouloir ».3.Haquenée : jument facile à monter.4. Palefroi : cheval de promenade, richement harnaché.5.Lanier: faucon mâle dressé.6. Émerillon : petit faucon.

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RABELAIS, Gargantua, extrait du ch. 57,1534

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Séquence n°2, lecture analytique 2

Adoam, un habitant de Tyr, décrit à Télémaque les merveilles de la Bétique. L'évocation cette société idéale contient une critique implicite de la monarchie absolue. Ce pays semble avoir conservé les délices de l'âge d'or. Les hivers y sont tièdes, et les rigoureux aquilons n'y soufflent jamais. L’ardeur de l'été y est toujours tempérée par des zéphyrs rafraîchissants, qui viennent adoucir l'air vers le milieu du jour. Ainsi toute l'année n'est qu’un heureux hymen du printemps et de l'automne, qui semblent se donner la main. La terre, dans les vallons et les campagnes unies, y porte chaque année une double moisson. Les chemins y sont bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d'autres arbres toujours verts et toujours fleuris. Les montagnes sont couvertes de troupeaux, qui fournissent des laines fines recherchées de toutes les nations connues. Il y a plusieurs mines d'or et d'argent dans ce beau pays; mais les habitants, simples et heureux dans leur simplicité, ne daignent pas seulement compter l'or et l'argent parmi leurs richesses: ils n’estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l'homme. [ ... ] Ils ont horreur de notre politesse; et il faut avouer que la leur est grande dans leur aimable simplicité. Ils vivent tous ensemble sans partager les terres; chaque famille est gouvernée par son chef, qui en est le véritable roi. Le père de famille est en droit de punir chacun de ses enfants ou petits-enfants qui fait une mauvaise action ;mais avant que de le punir, il prend les avis du reste de la famille. Ces punitions n’arrivent presque jamais ; car l’innocence des mœurs, la bonne foi, l’obéissance et l’horreur du vice habitent cette heureuse terre. Il semble qu’Astrée, qu’on dit qui est retirée dans le ciel, est encore ici-bas cachée parmi ces hommes. Il ne faut point de juges parmi eux, car leur propre conscience les juge. Tous les biens sont communs : les fruits des arbres, les légumes de la terre, le lait des troupeaux sont des richesses si abondantes, que des peuples si sobres et si modérés n’ont pas besoin de les partager. Chaque famille, errante dans ce beau pays transporte ses tentes d'un lieu à un autre, quand elle a consumé les fruits et épuisé les pâturages de l'endroit où elle s'était mise. Ainsi, ils n'ont point d'intérêts à soutenir les uns contre les autres, et ils s'aiment tous d'une amour fraternelle que rien ne trouble. C'est le retranchement des vaines richesses et des plaisirs trompeurs qui leur conserve cette paix, cette union et cette liberté. Ils sont tous libres et tous égaux. On ne voit parmi eux aucune distinction que celle qui vient de l'expérience des sages vieillards ou de la sagesse extraordinaire de quelques jeunes hommes qui égalent les vieillards consommés en vertu. La fraude, la violence, le parjure, les procès, les guerres ne font jamais entendre leur voix cruelle et empestée dans ce pays chéri des dieux. Jamais le sang humain n'a rougi cette terre; à peine y voit-on couler celui des agneaux. Quand on parle à ces peuples de batailles sanglantes, des rapides conquêtes, des renversements d'états qu'on voit dans les autres nations, ils ne peuvent assez s'étonner. "Quoi! disent-ils, les hommes ne sont-ils pas assez mortels, sans se donner encore les uns aux autres une mort précipitée? La vie est si courte ! Et il semble qu'elle leur paraisse trop longue ! Sont-ils sur la terre pour se déchirer les uns les autres et pour se rendre mutuellement malheureux?

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Les Aventures de Télémaque, livre VII, 1699Fénelon

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Séquence n° 1 , lecture analytique 3

Candide et Cacambo montent en carrosse; les six moutons volaient, et en moins de quatre heures on arriva au palais du roi, situé à un bout de la capitale. Le portail était de deux cent vingt pieds de haut, et de cent de large; il est impossible d'exprimer quelle en était la matière. On voit assez quelle supériorité prodigieuse elle devait avoir sur ces cailloux et sur ce sable que nous nommons or et pierreries.

Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d'un tissu de duvet de colibri; après quoi les grands officiers et les grandes officières de la couronne les menèrent à l'appartement de Sa Majesté au milieu de deux files, chacune de mille musiciens, selon l'usage ordinaire. Quand ils approchèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand officier comment il fallait s'y prendre pour saluer Sa Majesté: si on se jetait à genoux ou ventre à terre; si on mettait les mains sur la tête ou sur le derrière; si on léchait la poussière de la salle; en un mot, quelle était la cérémonie. "L'usage, dit le grand officier, est d'embrasser le roi et de le baiser des deux côtés." Candide et Cacambo sautèrent au cou de Sa Majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les pria poliment à souper. En attendant, on leur fit voir la ville, les édifices publics élevés jusqu'aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines d'eau pure, les fontaines d'eau rose, celles de liqueurs de canne de sucre qui coulaient continuellement dans de grandes places pavées d'une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du gérofle et de la cannelle. Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement; on lui dit qu'il n'y en avait point, et qu'on ne plaidait jamais. Il s'informa s'il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d'instruments de mathématique et de physique.

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VoltaireCandide, chap XVIII,

Ce qu'ils virent dans le pays d'Eldorado,1759

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Séquence n° 1, lecture analytique 4

Mon Utopie se présente comme un testament de l'auteur pour les jeunes générations. Albert Jacquard présente son parcours scolaire personnel au début du livre et met en valeur un moment-clef dans sa vie, celui de la perte de son dossier scolaire pendant la seconde guerre mondiale, qui lui donna la possibilité de se créer une identité de bon élève. Il explore ensuite la société contemporaine pour en dénoncer les abus, mais aussi souligner ses réussites. Au terme de cet ouvrage, Albert Jacquard revient sur l'importance de l'école et imagine son école rêvée.

Mettre en place un enseignement fondé sur la solidarité et non sur la compétition n'est pas un rêve d'utopiste; il est en cours de réalisation dans l'état en tête de l'Europe pour le PNB par habitant, le Grand-Duché du Luxembourg. Un lycée pilote y a été créé en 2005, dont la dynamique repose sur la double solidarité entre les enseignants et entre les élèves. Le maître mot y est "équipe". Les notes, les palmarès y sont inconnus. Certes les élèves commencent par être un peu désorientés compte tenu de leur expérience antérieure, mais ils perçoivent vite les avantages d'une école de la rencontre.

Hélas dans notre société obsédée par l'ordre et la rentabilité, de telles tentatives de renouvellement de la problématique de l'école sont rares. L'actualité apporte plutôt des exemples d'enfermement dans la logique sécuritaire. Le plus inquiétant est donné par les recherches en vue de dépister le plus tôt possible les enfants "à risque", c'est-à-dire susceptibles de devenir des délinquants. Dès l'école maternelle, quelques experts seront chargés de cette détection qui permettra de surveiller avec une particulière attention les individus potentiellement dangereux, ou même de les soumettre préventivement à des traitements médicaux. Ainsi l'ordre sera préservé.

C'est exactement la société que prévoyait Aldous Huxley dans son roman le Meilleur des Mondes, une humanité où chacun serait défini, catalogué, mis aux normes. Le concept même de personne autonome, capable d'exercer sa liberté, disparaîtrait. Un des aspects les plus insupportables de ce projet, tel qu'il a été présenté par la presse, est l'établissement d'un document qui suivra le jeune au long de sa scolarité: inscrit dans un registre où sur un disque d'ordinateur, ce document, avatar du casier judiciaire, permettra, au moindre incident, d'exhumer son passé. S'il est pris à 17 ans à faire l'école buissonnière ou à taguer un mur de lycée, ce comportement pourra être rapproché de son instabilité caractérielle déjà notée au cours préparatoire. Cet enfermement dans un destin imposé par le regard des autres est intolérable, il est une atteinte à ce qu'il y a de plus précieux dans l'aventure humaine: la possibilité de devenir autre.

Notre parcours n'est pas déjà écrit, demain n'existe pas. À chacun de le faire advenir. Laissons la prédestination à quelques théologiens , soyons conscients et aidons les autres à devenir conscients qu'en face de nous la page est blanche. J'ai raconté au début de ce livre comment, passant durant l'Occupation sans livret scolaire dans lycée à un autre, j'ai saisi au bond l'occasion de changer la définition que les autres donnaient de moi. J'en ai gardé la conviction que la liberté de chacun ne peut s'épanouir que si la société ne possède pas trop d'informations sur lui. "Je suis celui que l'on me croit" dit un personnage de Pirandello. Mieux encore serait : "Laissez-moi devenir celui que je choisis d'être"

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Mon UtopieAlbert Jacquard

2005

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Séquence n°1 Documents complémentaires

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Séquence 1,document complémentaire

Les deux rives de l’Anhydre sont mises en rapport au moyen d’un pont de pierre, construit en arcades merveilleusement voûtées. Ce pont se trouve à l’extrémité de la ville la plus éloignée de la mer, afin que les navires puissent aborder à tous les points de la rade.

Une autre rivière, petite, il est vrai, mais belle et tranquille, coule aussi dans l’enceinte d’Amaurote. Cette rivière jaillit à peu de distance de la ville, sur la montagne où celle-ci est placée, et, après l’avoir traversée par le milieu, elle vient marier ses eaux à celles de l’Anhydre. Les Amaurotains en ont entouré la source de fortifications qui la joignent aux faubourgs. Ainsi, en cas de siège, l’ennemi ne pourrait ni empoisonner la rivière, ni en arrêter ou détourner le cours. Du point le plus élevé, se ramifient en tous sens des tuyaux de briques, qui conduisent l’eau dans les bas quartiers de la ville. Là où ce moyen est impraticable, de vastes citernes recueillent les eaux pluviales, pour les divers usages des habitants.

Une ceinture de murailles hautes et larges enferme la ville, et, à des distances très rapprochées, s’élèvent des tours et des forts. Les remparts, sur trois côtés, sont entourés de fossés à sec, mais larges et profonds, embarrassés de haies et de buissons. Le quatrième côté a pour fossé le fleuve lui-même.

Les rues et les places sont convenablement disposées, soit pour le transport, soit pour abriter contre le vent. Les édifices sont bâtis confortablement ; ils brillent d’élégance et de propreté et forment deux rangs continus, suivant toute la longueur des rues, dont la largeur est de vingt pieds.

Derrière et entre les maisons se trouvent de vastes jardins. Chaque maison a une porte sur la rue et une porte de jardin. Ces deux portes s’ouvrent aisément d’un léger coup de main, et laissent entrer le premier venu.

Les Utopiens appliquent en ceci le principe de la possession commune. Pour anéantir jusqu’à l’idée de la propriété individuelle et absolue, ils changent de maison tous les dix ans et tirent au sort celle qui doit leur tomber en partage.

Les habitants des villes soignent leurs jardins avec passion ; ils y cultivent la vigne, les fruits, les fleurs et toutes sortes de plantes. Ils mettent à cette culture tant de science et de goût, que je n’ai jamais vu ailleurs plus de fertilité et d’abondance réunies à un coup d’œil plus gracieux. Le plaisir n’est pas le seul mobile qui les excite au jardinage ; il y a émulation entre les différents quartiers de la ville, qui luttent à l’envi à qui aura le jardin le mieux cultivé.

Vraiment, l’on ne peut rien concevoir de plus agréable ni de plus utile aux citoyens que cette occupation. Le fondateur de l’empire l’avait bien compris, car il appliqua tous ses efforts à tourner les esprits vers cette direction

Amaurote : ville principale de l’île d’Utopie. L’Anhydre est le fleuve qui la traverse.

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Utopia, Thomas More,

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Séquence n°1, document complémentaire

Le Gênois : Je rencontrai sans tarder une troupe considérable d’hommes et de femmes en larmes. Nombreux étaient ceux qui entendaient ma langue ; ils me conduisirent à la Cité du Soleil.L’Hospitalier : Dis-moi à quoi elle ressemble et comment elle est gouvernée.Le Gênois : Au sein d’une vaste étendue découverte s’élève une colline ; c’est là qu’est situé le gros de l’agglomération. Cependant son enceinte déborde largement le pied de l’éminence, ce qui donne à la ville plus de deux milles de diamètre et sept de pourtour et lui permet de contenir plus d’habitations que si elle se trouvait toute dans la plaine. Sept grands cercles qui portent le nom des sept planètes la constituent. L’accès de l’un à l’autre est assuré par quatre routes et quatre portes orientées sur les quatre aires du vent. Mais tout est disposé de telle manière qu’après la prise du premier cercle l’on rencontrerait plus de difficultés au deuxième et ainsi de suite ; et il faudrait la prendre sept fois d’assaut pour la vaincre. Mais je crois que le premier cercle est lui-même imprenable tant il est large et protégé de terre, avec ses boulevards, ses tours, son artillerie et, plus avant, ses fossés.

Nous entrâmes par la porte du nord, qui est recouverte de fer et qu’un mécanisme ingénieux fait lever et retomber. L’on aperçoit alors un espace de cinquante pas qui sépare la première muraille de la seconde. Une chaîne continue de palais qui semblent n’en former qu’un s’appuie au mur et en suit le mouvement. Au-dessus l’on a construit des balcons de garde bâtis avec des colonnes, et qui ressemblent aux cloîtres de nos religieux ; au bas il n’y d’entrée que du côté qui regarde vers l’intérieur du palais. Les chambres qui comportent des fenêtres orientées vers l’intérieur et vers l’extérieur sont belles ; un petit mur les sépare les unes des autres. Le mur extérieur a huit palmes d’épaisseur, le mur intérieur trois, et les murs médians environ un.

L’on arrive ensuite à la deuxième terrasse, inférieure en largeur de deux ou trois pas. On aperçoit la seconde enceinte avec ses balcons surplombants et ses galeries. Vers l’intérieur, il y a un mur circulaire qui enserre les palais compris dans cette terrasse. Ici, les cloîtres ont des colonnes situées en bas et en haut de belles peintures ; ainsi d’étage en étage, l’on arrive à la dernière enceinte ; l’on ne monte qu’au passage des portes, qui sont doubles, une vers l’extérieur, l’autre vers l’intérieur ; mais les escaliers sont tels qu’ils rendent la montée insensible car les degrés sont inclinés et d’un relief à peine perceptible.

Au sommet de la colline s’étend une vaste esplanade. Un temple monumental merveilleusement conçu se dresse au milieu.

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la Cité du Soleil, Tommaso Campanella,

1623

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Séquence n°1 Document complémentaire

Luc Froment est le héros de ce roman. On lui a proposé de reconstruire la cité ouvrière, ce qu'il a fait : il a créé une nouvelle cité parfaite, où l'ouvrier peut désormais vivre et travailler dans le bonheur.

C’était la Cité rêvée, la Cité du travail réorganisé, rendu à sa noblesse, la Cité future du bonheur enfin conquis, qui sortait naturellement de terre, autour de l’usine élargie elle-même, en train de devenir la métropole, le cœur central, source de vie, dispensateur et régulateur de l’existence sociale. Les ateliers, les grandes halles de fabrication s’agrandissaient, couvraient des hectares ; tandis que les petites maisons, claires et gaies, au milieu des verdures de leurs jardins, se multipliaient, à mesure que le personnel, le nombre des travailleurs, des employés de toutes sortes, augmentait. Et, ce flot peu à peu débordant, les constructions nouvelles s’avançait vers l’Abîme, menaçait de le conquérir, de le submerger. D’abord, il y avait eu de vastes espaces nus entre les deux usines, ces terrains incultes que Jordan possédait en bas de la rampe des Monts Bleuses. Puis, aux quelques maisons bâties près de la Crècherie, d’autres maisons s’étaient jointes, toujours d’autres, une ligne de maisons qui envahissait tout comme une marée montante, qui n’était plus qu’à deux ou trois cents mètres de l’Abîme. Bientôt, quand le flot viendrait battre contre lui, ne le couvrirait-il pas, ne l’emporterait-il pas, pour le remplacer de sa triomphante floraison de santé et de joie ? Et le vieux Beauclair lui aussi était menacé, car toute une pointe de la Cité naissante marchait contre lui, près de balayer cette noire et puante bourgade ouvrière, nid de douleur et de peste, où le salariat agonisait sous les plafonds croulants.

Parfois, Luc, le bâtisseur, le fondateur de ville, la regardait croître, sa Cité naissante, qu’il avait vue en rêve, le soir où il avait décidé son œuvre ; et elle se réalisait, et elle partait à la conquête du passé, faisant sortir du sol le Beauclair de demain, l’heureuse demeure d’une humanité heureuse. Tout Beauclair serait conquis, entre les deux promontoires des Monts Bleuses, tout l’estuaire des gorges de Brias se couvrirait de maisons claires, parmi des verdures, jusqu’aux immenses champs fertiles de la Roumagne. Et, s’il fallait des années et des années encore, il l’apercevait déjà de ses yeux de voyant, cette Cité du bonheur qu’il avait voulue, et qui était en marche.

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Le TravailZola,1901

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Séquence n°2

Poésie et identitéUn aperçu de la poésie francophone

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Séquence n°2 lecture analytique 1

Pour Aimé Césaire.

J’ai l’impression d’être ridiculedans leurs souliersdans leur smokingdans leur plastrondans leur faux-coldans leur monocledans leur melon J’ai l’impression d’être ridiculeavec mes orteils qui ne sont pas faitspour transpirer du matin jusqu’au soir qui déshabilleavec l’emmaillotage qui m’affaiblit les membreset enlève à mon corps sa beauté de cache-sexe J’ai l’impression d’être ridiculeavec mon cou en cheminée d’usineavec ces maux de tête qui cessentchaque fois que je salue quelqu’un J’ai l’impression d’être ridiculedans leurs salonsdans leurs manièresdans leurs courbettesdans leur multiple besoin de singeries J’ai l’impression d’être ridiculeavec tout ce qu’ils racontentjusqu’à ce qu’ils vous servent l’après-midiun peu d’eau chaudeet des gâteaux enrhumés J’ai l’impression d’être ridiculeavec les théories qu’ils assaisonnentau goût de leurs besoinsde leurs passionsde leurs instincts ouverts la nuiten forme de paillasson J’ai l’impression d’être ridiculeparmi eux compliceparmi eux souteneurparmi eux égorgeurles mains effroyablement rougesdu sang de leur civilisation.

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Solde,Léon G. Damas,Pigments 1937

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Séquence n°2 lecture analytique 2

Femme nue, femme noireVêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté !J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux.Et voilà qu’au cœur de l’Eté et de Midi, je te découvre, Terre promise, du haut d’un haut col calcinéEt ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un aigle.Femme nue, femme obscureFruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma boucheSavane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d’Est

Tamtam sculpté, tamtam tendu qui grondes sous les doigts du vainqueurTa voix grave de contralto est le chant spirituel de l’Aimée.

Femme nue, femme obscureHuile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l’athlète, aux flancs des princes du MaliGazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peauDélices des jeux de l’esprit, les reflets de l’or rouge sur ta peau qui se moireA l’ombre de ta chevelure, s’éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.

Femme nue, femme noireJe chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l’EternelAvant que le Destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.

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Femme nue, femme noire,Louis Leopold Sédar Senghor,

Chants d'ombre,1945

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Séquence n°2 lecture analytique 3

Eia pour ceux qui n'ont jamais rien inventépour ceux qui n'ont jamais rien explorépour ceux qui n'ont jamais rien dompté

Eia pour la joieEia pour l'amourEia pour la douleur aux pis de larmes réincarnées

Et voici au bout de ce petit matin ma prière virileque je n'entende ni les rires ni les cris,les yeux fixés sur cette ville que je prophétise, belle

donnez-moi la foi sauvage du sorcierdoneez à mes mains puissance de modelerdonnez à mon âme la trempe de l'épéeje ne me dérobe point. Faites de ma tête une tête de proueet de moi-même, mon cœur, ne faites ni un père, ni un frère,ni un fils, mais le père, mais le frère, mais le fils,ni un mari, mais l'amant de cet unique peuple.

Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son géniecomme le poing à l'allongée du bras !Faites-moi commissaire de son sangfaites-moi dépositaire de son ressentimentfaites de moi un homme de terminaisonfaites de moi un homme d'initiationfaites de moi un homme de recueillementmais faites aussi de moi un homme d'ensemencement

faites de moi l'exécuteur de ces œuvres hautes

voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme

Mais les faisant, mon cœur, préservez-moi de toute hainene faites point de moi cet homme de haine pour qui je n'ai que hainecar pour me cantonner en cette unique racevous savez pourtant mon amour tyranniquevous savez que ce n'est point par haine des autres racesque je m'exige bêcheur de cette unique raceque ce que je veuxc'est pour la faim univesellepour la soif universellela sommer libre enfin

de produire de son intimité closela succulence des fruits.

Et voyez l'arbre de nos mains !il tourne pour tous, les blessures incises en son troncpour tous le sol travailleet griserie vers les branches de précipitation parfumée !

Mais avant d'aborder aux futurs vergersdonnez-moi de les mériter sur leur ceinture de merdonnez-moi mon coeur en attendant le soldonnez-moi sur l'océan stérilemais où caresse la main la promesse de l'amuredonnez-moi sur cet océan diversl'obstination de la fièvre pirogueet sa vigueur marine.

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Cahier d'un retour en pays natal (fragment)

Aimé Césaire, 1947

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Séquence n°2 lecture analytique 4

Écoute plus souvent Les choses que les Êtres La Voix du Feu s'entend, Entends la Voix de l'Eau. Écoute dans le Vent Le Buisson en sanglots : C'est le Souffle des ancêtres. Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :Ils sont dans l'Ombre qui s'éclaireEt dans l'ombre qui s'épaissit.Les Morts ne sont pas sous la Terre :Ils sont dans l'Arbre qui frémit,Ils sont dans le Bois qui gémit,Ils sont dans l'Eau qui coule,Ils sont dans l'Eau qui dort,Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :Les Morts ne sont pas morts.Écoute plus souventLes Choses que les ÊtresLa Voix du Feu s'entend,Entends la Voix de l'Eau.Écoute dans le VentLe Buisson en sanglots :C'est le Souffle des Ancêtres morts,Qui ne sont pas partisQui ne sont pas sous la TerreQui ne sont pas morts.Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :Ils sont dans le Sein de la Femme,Ils sont dans l'Enfant qui vagitEt dans le Tison qui s'enflamme.Les Morts ne sont pas sous la Terre :Ils sont dans le Feu qui s'éteint,Ils sont dans les Herbes qui pleurent,Ils sont dans le Rocher qui geint,Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure,Les Morts ne sont pas morts.

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Souffles,Birago Diop,

Leurres et lueurs, 1947

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Séquence n°2 Documents complémentaires corpus n°1Représentations de la beauté noire en poésie

Texte n°1 Tristan L'hermite , « Beau monstre de nature », Les Plaintes d'Acante, 1634Texte n°2 George de Scudéry, « la belle Egyptienne », (1601-1667)Texte n°3 Victor Hugo, « Apparition », Les Contemplations, 1856texte n°4 Baudelaire, « la belle Dorothée », Petits poèmes en prose, 1869

Texte n°1 Tristan L'hermite, « Beau monstre de nature », Les Plaintes d'Acante , 1634

Beau Monstre de Nature il est vrai ton visageEst noir au dernier point mais beau parfaitementEt l'Ebène poli qui te sert d'ornementSur le plus blanc ivoire emporte l'avantage

O merveille inconnue à notre âgeQu'un objet ténébreux luise si clairementEt qu'un charbon éteint brûle plus vivementQue ceux qui de la flamme entretiennent l'usage

Entre ces noires mains je mets ma libertéMoi qui fus invincible à toute autre BeautéUne More m'embrase une Esclave me dompte

Mais cache-toi Soleil toi qui viens de ces lieuxD'où cet Astre est venu qui porte pour ta honteLa nuit sur son visage et le jour dans ses yeux

Texte n°2 « La belle Égyptienne », George de Scudéry (1601-1667)

Sombre divinité, de qui la splendeur noire Brille de feux obscurs qui peuvent tout brûler :La neige n'a plus rien qui te puisse égaler, Et l'ébène aujourd'hui l'emporte sur l'ivoire.

De ton obscurité vient l'éclat de ta gloire, Et je vois dans tes yeux, dont je n'ose parler, Un Amour africain, qui s'apprête à voler, Et qui d'un arc d'ébène aspire à la victoire.

Sorcière sans démons, qui prédis l'avenir, Qui, regardant la main, nous viens entretenir, Et qui charmes nos sens d'une aimable imposture :

Tu parais peu savante en l'art de deviner ; Mais sans t'amuser plus à la bonne aventure, Sombre divinité, tu nous la peux donner.

Texte n° 3 Victor Hugo, « Apparition », Les Contemplations , 1856

Je vis un ange blanc qui passait sur ma tête ; Son vol éblouissant apaisait la tempête, Et faisait taire au loin la mer pleine de bruit. - Qu'est-ce que tu viens faire, ange, dans cette nuit ? Lui dis-je. - Il répondit : - je viens prendre ton âme. - Et j'eus peur, car je vis que c'était une femme ; Et je lui dis, tremblant et lui tendant les bras : - Que me restera-t-il ? car tu t'envoleras. - Il ne répondit pas ; le ciel que l'ombre assiège S'éteignait ... - Si tu prends mon âme, m'écriai-je, Où l'emporteras-tu ? montre-moi dans quel lieu. Il se taisait toujours. - Ô passant du ciel bleu, Es-tu la mort ? lui dis-je, ou bien es-tu la vie ? - Et la nuit augmentait sur mon âme ravie, Et l'ange devint noir, et dit : - Je suis l'amour. Mais son front sombre était plus charmant que le jour, Et je voyais, dans l'ombre où brillaient ses prunelles, Les astres à travers les plumes de ses ailes.

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Séquence n°2 documents complémentaires corpus n°1 (suite)Texte n°4 Baudelaire, « La Belle Dorothée », Petits poèmes en prose, 1869

Le soleil accable la ville de sa lumière droite et terrible; le sable est éblouissant et la mer miroite. Le monde stupéfié s'affaisse lâchement et fait la sieste, une sieste qui est une espèce de mort savoureuse où le dormeur, à demi éveillé, goûte les voluptés de son anéantissement.

Cependant Dorothée, forte et fière comme le soleil, s'avance dans la rue déserte,seule vivante à cette heure sous l'immense azur, et faisant sur la lumière une tache éclatante et noire.

Elle s'avance, balançant mollement son torse si mince sur ses hanches si larges. Sa robe de soie collante, d'un ton clair et rose, tranche vivement sur les ténèbres de sa peau et moule exactement sa taille longue, son dos creux et sa gorge pointue.

Son ombrelle rouge, tamisant la lumière, projette sur son visage sombre le fard sanglant de ses reflets.

Le poids de son énorme chevelure presque bleue tire en arrière sa tête délicate et lui donne un air triomphant et paresseux. De lourdes pendeloques gazouillent secrètement à ses mignonnes oreilles.

De temps en temps la brise de mer soulève par le coin sa jupe flottante et montre sa jambe luisante et superbe; et son pied, pareil aux pieds des déesses de marbre que l'Europe enferme dans ses musées, imprime fidèlement sa forme sur le sable fin. Car Dorothée est si prodigieusement coquette, que le plaisir d'être admirée l'emporte chez elle sur l'orgueil de l'affranchie, et, bien qu'elle soit libre, elle marche sans souliers.

Elle s'avance ainsi, harmonieusement, heureuse de vivre et souriant d'un blanc sourire,comme si elle apercevait au loin dans l'espace un miroir reflétant sa démarche et sa beauté.

A l'heure où les chiens eux-mêmes gémissent de douleur sous le soleil qui les mord,quel puissant motif fait donc aller ainsi la paresseuse Dorothée, belle et froide comme le bronze?

Pourquoi a-t-elle quitté sa petite case si coquettement arrangée, dont les fleurs et les nattes font à si peu de frais un parfait boudoir; où elle prend tant de plaisir à se peigner, à fumer, à se faire éventer ou à se regarder dans le miroir de ses grands éventails de plumes, pendant que la mer, qui bat la plage à cent pas de là, fait à ses rêveries indécises un puissant et monotone accompagnement, et que la marmite de fer, où cuit un ragoût de crabes au riz et au safran, lui envoie, du fond de la cour, ses parfums excitants?

Peut-être a-t-elle un rendez-vous avec quelque jeune officier qui, sur des plages lointaines, a entendu parler par ses camarades de la célèbre Dorothée. Infailliblement elle le priera, la simple créature, de lui décrire le bal de l'Opéra, et lui demandera si on peut y aller pieds nus, comme aux danses du dimanche, où les vieilles Cafrines elles-mêmes deviennent ivres et furieuses de joie; et puis encore si les belles dames de Paris sont toutes plus belles qu'elle.

Dorothée est admirée et choyée de tous, et elle serait parfaitement heureuse si elle n'était obligée d'entasser piastre sur piastre pour racheter sa petite sœur qui a bien onze ans, et qui est déjà mûre, et si belle! Elle réussira sans doute, la bonne Dorothée; le maître de l'enfant est si avare, trop avare pour comprendre une autre beauté que celle des écus!

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Séquence n°2 documents complémentaires (corpus n°2)

Comment les poètes se sont-ils définis au XIX ?

Le corpus est composé de cinq textes, présentés dans l'ordre chronologiquetexte n°1 : extrait de « la Nuit de Mai » de Musset , Poésies, 1835. texte n°2 : extraits de « Fonction du poète », poème1, partie 2, les Rayons et des Ombres , Victor Hugo, 1839.texte n°3 et 4 : « Correspondances » et « l'Albatros » , les Fleurs du mal, Baudelaire,1857.texte n°5 : extrait de la lettre du Voyant de Rimbaud, 1871.

Texte n°1 Musset : Allégorie du Pélican extrait de « la Nuit de Mai » (1835)LA MUSEQuel que soit le souci que ta jeunesse endure,Laisse-la s'élargir, cette sainte blessureQue les séraphins noirs t'ont faite au fond du cœur;Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,Que ta voix ici-bas doive rester muette.Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,Ses petits affamés courent sur le rivageEn le voyant au loin s'abattre sur les eaux.Déjà, croyant saisir et partager leur proie,Ils courent à leur père avec des cris de joieEn secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.Lui, gagnant à pas lent une roche élevée,De son aile pendante abritant sa couvée,Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;En vain il a des mers fouillé la profondeur;L'océan était vide et la plage déserte;Pour toute nourriture il apporte son cœur.Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,Partageant à ses fils ses entrailles de père,Dans son amour sublime il berce sa douleur;Et, regardant couler sa sanglante mamelle,Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,Fatigué de mourir dans un trop long supplice,Il craint que ses enfants ne le laissent vivant;Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage,Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,Que les oiseaux des mers désertent le rivage,Et que le voyageur attardé sur la plage,Sentant passer la mort se recommande à DieuPoète, c'est ainsi que font les grands poètes.Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps;Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtesRessemblent la plupart à ceux des pélicans.Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,Ce n'est pas un concert à dilater le cœur ;Leurs déclamations sont comme des épées :Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant;.Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang.

Texte n°2 : Fonction du poète (extraits), Les Rayons et les ombres, Victor Hugo, 1839(…)Le poète en des jours impiesVient préparer des jours meilleurs.ll est l’homme des utopies;Les pieds ici, les yeux ailleurs.C’est lui qui sur toutes les têtes,En tout temps, pareil aux prophètes,Dans sa main, où tout peut tenir,Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,Comme une torche qu’il secoue,Faire flamboyer l’avenir!Il voit, quand les peuples végètent!Ses rêves, toujours pleins d’amour,Sont faits des ombres que lui jettentLes choses qui seront un jour.On le raille. Qu’importe ! il pense.Plus d’une âme inscrit en silenceCe que la foule n’entend pas.Il plaint ses contempteurs frivoles ;Et maint faux sage à ses parolesRit tout haut et songe tout bas !(…)Peuples ! écoutez le poëte !Écoutez le rêveur sacré !Dans votre nuit, sans lui complète,Lui seul a le front éclairé.Des temps futurs perçant les ombres,Lui seul distingue en leurs flancs sombresLe germe qui n’est pas éclos.Homme, il est doux comme une femme.Dieu parle à voix basse à son âmeComme aux forêts et comme aux flots.C’est lui qui, malgré les épines,L’envie et la dérision,Marche, courbé dans vos ruines,Ramassant la tradition.De la tradition fécondeSort tout ce qui couvre le monde,Tout ce que le ciel peut bénir.Toute idée, humaine ou divine,Qui prend le passé pour racineA pour feuillage l’avenir.Il rayonne ! il jette sa flammeSur l’éternelle vérité !Il la fait resplendir pour l’âmeD’une merveilleuse clarté.Il inonde de sa lumièreVille et désert, Louvre et chaumière,Et les plaines et les hauteurs ;A tous d’en haut il la dévoile ;Car la poésie est l’étoileQui mène à Dieu rois et pasteurs !

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Texte n°3 : « Correspondances » de Baudelaire (tiré des Fleurs du Mal) 1857La Nature est un temple où de vivants piliersLaissent parfois sortir de confuses paroles;L'homme y passe à travers des forêts de symbolesQui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondentDans une ténébreuse et profonde unité,Vaste comme la nuit et comme la clarté,Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

Texte n°4 L'albatros, Baudelaire, les Fleurs du Mal, 1857Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipagePrennent des albatros, vastes oiseaux des mers ,Qui suivent, indolents compagnons de voyage ,Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches ,Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux ,Laissent piteusement leurs grandes ailes blanchesComme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !L'un agace son bec avec un brûle-gueule ,L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;Exilé sur le sol au milieu des huées ,Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Texte n°4 ; Extrait de la lettre de Rimbaud dite « du voyant », 1871

La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; cela semble simple : en tout cerveau s’accomplit un développement naturel ; tant d’égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d’autres qui s’attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse : à l’instar des comprachicos (1), quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage.Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé !

(1) les comprachicos sont dénoncés par Victor Hugo dans son roman l'Homme qui rit ; ce sont des personnes qui achetaient des enfants et en faisaient des monstres en les mutilant, afin qu'ils servent à amuser les gens.

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Séquence n°3 : Le personnage de roman, du XVII à nos jours

Mont-OriolDes affaires de cœur au cœur des

affaires

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Séquence n°3 lecture analytique 1

Le père Oriol, riche paysan, vient de découvrir une nouvelle source sur ses terres. Il sait qu'Andermatt désire la lui acheter, mais décide de monter un stratagème pour tenter d'en tirer le meilleur prix.

Oriol s’arrêtant en face de lui, demanda :— Veux-tu gagner une pièche de chent francs ?L’autre, prudent, ne répondit rien.Le paysan reprit :— Hein ! chent francs ?Alors, le vagabond se décida et murmura :— Fouchtra, quo sé damando pas !— Eh bien ! mon païré, v’là ché qui faut faire.Et il lui expliqua longuement, avec des malices, des sous-entendus et des répétitions sans nombre, que s’il consentait à prendre un bain d’une heure, tous les jours, de dix à onze, dans un trou qu’ils creuseraient, Colosse et lui, à côté de sa source, et à être guéri au bout d’un mois, ils lui donneraient cent francs en écus d’argent.Le paralytique écoutait d’un air stupide, puis il dit :— Pichque tous les drougures n’ont pas pu me guori, ch’est pas votre eau qui l’pourra.Mais Colosse se fâcha tout à coup.— Allons, vieux farcheur, tu chais, j’la connais ta maladie, moi, on ne me la conte pas. Qué que tu faisais, lundi dernier, dans l’bois de Comberombe, à onze heures de nuit ?Le vieux répondit vivement :— Ché pas vrai.Mais Colosse s’animant :— Ché pas vrai, bougrrre, que t’as chauté par-dechus le foché à Jean Mannezat et que t’es parti par le creux Poulin ?L’autre répéta avec énergie :— Ché pas vrai !— Ché pas vrai que je t’ai crié : « Ohé, Cloviche, les gendarmes », et que t’as tourné par la chente du Moulinet ?— Ché pas vrai.Le grand Jacques, furieux, presque menaçant, criait :— Ah ! ché pas vrai ! Eh bien, vieux trois pattes, écoute : quand je t’y verrai, moi, au bois, la nuit, ou bien à l’eau, je te pincherai, t’entends bien, vu qu’ j’ai encore d’ pu longues jambes, et j’ t’attache à quéque arbre jusqu’au matin, où nous allons te r’prendre, tout le village enchemble. . .Le père Oriol arrêta son fils, puis très doux :— Ecoute, Cloviche, tu peux bien échayer la chose ! Nous te faijons un bain, Coloche et moi ; t’y viens chaque jour, un mois durant. Pour cha, j’te donne, non point chent, mais deux chents francs. Et puis, écoute, si t’es guori, l’mois fini, che ch’ra chinq chentsd’plus. T’entends bien, chinq chents, en ëcus d’argent, plus deux chents, ça fait chept chents.Donc, deux chents pour le bain un mois durant, plus chinq chents pour la guérison. Et puis écoute : des douleurs cha r’vient. Si cha t’reprend à l’automne, nous sommes pour rien, l’eau aura pas moins fait chon effet.Le vieux répondit avec calme :— Dans che cas-là j’veux ben. Chi cha n’réuchit pas, on l’verra toujours.Et les trois hommes se serrèrent la main pour sceller le marché conclu.

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Mont-Oriol, première partie chap 4Maupassant

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Séquence n°3 lecture analytique 2

Christiane, son père, son frère, Paul Brétigny et les deux filles Oriol viennent de passer la journée en promenade. Le tempérament enflammé de Paul a fini par toucher Christiane qui n'y était pas vraiment réceptive au début du roman. Elle aussi découvre en elle les premières manifestations de la passion.

Le jour finissait ; l’air s’imprégnait de fraîcheur ; une étrange mélancolie s’abattait avec le soir sur l’eau dormante au fond du cratère.

Lorsque le soleil fut près de disparaître, le ciel s’étant mis à flamboyer, le lac tout à coup eut l’air d’une cuve de feu ; puis, après le soleil couché, l’horizon étant devenu rouge comme un brasier qui va s’éteindre, le lac eut l’air d’une cuve de sang. Et soudain, sur la crête de la colline, la lune presque pleine se leva, toute pâle dans le firmament encore clair. Puis, à mesure que les ténèbres se répandaient sur la terre, elle monta, luisante et ronde, au-dessus du cratère tout rond comme elle. Il semblait qu’elle dût se laisser choir dedans. Et, lorsqu’elle fut haut dans le ciel, le lac eut l’air d’une cuve d’argent. Alors sur sa surface tout le jour immobile, on vit courir des frissons, tantôt lents et tantôt rapides. On eût dit que des esprits, voltigeant au ras de l’eau, laissaient traîner dessus d’invisibles voiles.

C’étaient les gros poissons de fond, les carpes séculaires et les brochets voraces qui venaient s’ébattre au clair de la lune.

Les petites Oriol avaient remis toute la vaisselle et les bouteilles dans le panier que le cocher vint prendre. On repartit.

En passant dans l’allée, sous les arbres, où des taches de clarté tombaient comme une pluie dans l’herbe à travers les feuilles, Christiane, qui venait l’avant-dernière, suivie de Paul, entendit soudain une voix haletante qui lui disait, presque dans l’oreille : « Je vous aime ! — Je vous aime ! — Je vous aime ! »

Son cœur se mit à battre si éperdument qu’elle faillit tomber, ne pouvant plus remuer les jambes ! Elle marchait cependant ! Elle marchait, folle, prête à se retourner, les bras ouverts et les lèvres tendues. II avait saisi maintenant le bord du petit châle dont elle se couvrait les épaules, et il le baisait avec frénésie. Elle continuait à marcher, si défaillante, qu’elle ne sentait plus du tout le sol sous ses pieds.

Soudain elle sortit de la voûte des arbres, et se trouvant en pleine lumière, elle maîtrisa brusquement son trouble ; mais avant de monter en landau et de perdre de vue le lac, elle se tourna à moitié pour jeter vers l’eau avec ses deux mains un grand baiser que comprit bien l’homme qui la suivait.

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Mont-Oriol, première partie chap 6Maupassant

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Séquence n°3 lecture analytique 3

Andermatt a tout organisé pour monter sa nouvelle société. Les personnages se trouvent chez le notaire accompagné de son clerc, pour sceller le contrat : Oriol et son fils, trois futurs actionnaires venus de Paris avec Andermatt, Gontran et Paul.

Andermatt enleva une chaise et la plaça en face de son armée, afin d’avoir l’œil sur tout son monde, puis il dit, quand on fut assis :

— Messieurs, je n’ai pas besoin de vous donner des explications sur le motif qui nous réunit. Nous allons d’abord constituer la Société nouvelle dont vous voulez bien être actionnaires. Je dois cependant vous faire part de quelques détails qui nous ont causé un peu d’embarras. J’ai dû, avant de rien entreprendre, m’assurer que nous obtiendrions les autorisations nécessaires pour la création d’un nouvel établissement d’utilité publique. Cette assurance, je l’ai. Ce qui reste à faire sous ce rapport, je le ferai. J’ai la parole du Ministre. Mais un autre point m’arrêtait. Nous allons, messieurs, entreprendre une lutte avec l’ancienne Société des eaux d’Enval. Nous sortirons vainqueurs de cette lutte, vainqueurs et riches, soyez-en convaincus ; mais de même qu’il fallait un cri de guerre aux combattants d’autrefois, il nous faut, à nous, combattants du combat moderne, un nom pour notre station, un nom sonore, attirant, bien fait pour la réclame, qui frappe l’oreille comme une note de clairon et entre dans l’œil comme un éclair. Or, messieurs, nous sommes à Enval et nous ne pouvons débaptiser ce pays. Une seule ressource nous restait. Désigner notre établissement, notre établissement seul, par une appellation nouvelle.

Voici ce que je vous propose :Si notre maison de bains se trouve au pied de la butte dont est propriétaire M. Oriol, ici

présent, notre futur casino sera situé sur le sommet de cette même butte. On peut donc dire que cette butte, ce mont, car c’est un mont, un petit mont, constitue notre établissement, puisque nous en avons le pied et le faîte. N’est-il pas naturel, dès lors, d’appeler nos bains : les Bains du Mont-Oriol, et d’attacher à cette station, qui deviendra une des plus importantes du monde entier, le nom du premier propriétaire. Rendons à César ce qui appartient à César.

Et notez, messieurs, que ce vocable est excellent. On dira le Mont-Oriol comme on dit le Mont-Dore. Il reste dans l’œil et dans l’oreille, on le voit bien, on l’entend bien, il demeure en nous : Mont-Oriol ! — Mont- Oriol ! — Les bains du Mont-Oriol…

Et Andermatt le faisait sonner, ce mot, le lançait comme une balle, en écoutait l’écho.Il reprit, simulant des dialogues :— Vous allez aux bains du Mont-Oriol ?— Oui, madame. On les dit parfaites, ces eaux du Mont-Oriol.— Excellentes, en effet. Mont-Oriol, d’ailleurs, est un délicieux pays.Et il souriait, avait l’air de causer, changeait de ton pour indiquer quand parlait la dame,

saluait de la main en représentant le monsieur.Puis il reprit de sa voix naturelle :— Quelqu’un a-t-il une objection à présenter ?Les actionnaires répondirent en chœur :— Non, aucune.Trois des figurants applaudirent.

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Mont-Oriol, première partie chap 8Maupassant

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Séquence n°3 lecture analytique 4

Christiane vient d'accoucher de l'enfant de Paul Bretigny, tandis que celui conclut avec Oriol son futur mariage avec la fille cadette du paysan.

Alors, plus même que le soir où elle s’était sentie tellement seule au monde dans sa chambre en revenant du lac de Tazenat, elle se jugea totalement abandonnée dans l’existence. Elle comprit que tous les hommes marchent côte à côte, à travers les événements, sans que jamais rien unisse vraiment deux êtres ensemble. Elle sentit, par la trahison de celui en qui elle avait mis toute sa confiance, que les autres, tous les autres ne seraient jamais plus pour elle que des voisins indifférents dans ce voyage court ou long, triste ou gai, suivant les lendemains, impossibles à deviner. Elle comprit que, même entre les bras de cet homme, quand elle s’était crue mêlée à lui, entrée en lui, quand elle avait cru que leurs chairs et leurs âmes ne faisaient plus qu’une chair et qu’une âme, ils s’étaient seulement un peu rapprochés jusqu’à faire toucher les impénétrables enveloppes où la mystérieuse nature a isolé et enfermé les humains. Elle vit bien que nul jamais n’a pu ou ne pourra briser cette invisible barrière qui met les êtres dans la vie aussi loin l’un de l’autre que les étoiles du ciel.

Elle devina l’effort impuissant, incessant depuis les premiers jours du monde, l’effort infatigable des hommes pour déchirer la gaine où se débat leur âme à tout jamais emprisonnée, à tout jamais solitaire, effort des bras, des lèvres, des yeux, des bouches, de la chair frémissante et nue, effort de l’amour qui s’épuise en baisers, pour arriver seulement à donner la vie à quelque autre abandonné !

Alors un désir irrésistible la saisit de revoir sa fille. Elle la demanda, et quand on l’eut apportée, elle pria qu’on la dévêtît, car elle ne connaissait encore que son visage.

La nourrice déroula donc les langes et découvrit un pauvre corps de nouveau-né, agité de ces vagues mouvements que la vie met en ces ébauches de créatures. Christiane le toucha d’une main timide, tremblante, puis voulut baiser le ventre, les reins, les jambes, les pieds, puis elle le regarda, pleine de pensées bizarres.

Deux êtres s’étaient vus, s’étaient aimés avec une exaltation délicieuse ; et de leur étreinte, cela était né ! Cela c’était lui et elle, mêlés pour jusqu’à la mort de ce petit enfant, c’était lui et elle, revivant ensemble, c’était un peu de lui et un peu d’elle avec quelque chose d’inconnu qui le ferait différent d’eux. Il les reproduirait l’un et l’autre, dans la forme de son corps et dans celle de son esprit, dans ses traits, ses gestes, ses yeux, ses mouvements, ses goûts, ses passions, jusque dans le son de sa voix et l’allure de sa démarche, et il serait un être nouveau pourtant !

Ils étaient séparés maintenant, eux, pour toujours ! Jamais plus leurs regards ne se confondraient dans un de ces élans de tendresse qui font indestructible la race humaine.

Et serrant l’enfant contre son cœur, elle murmura : « Adieu - adieu ! » C’était à lui qu’elle disait « adieu » dans l’oreille de sa fille, l’adieu courageux et désolé d’une âme fière, l’adieu d’une femme qui souffrira longtemps encore, toujours peut-être, mais qui saura du moins cacher à tous ses larmes.

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Mont-Oriol, deuxième partie chap 6Maupassant

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Documents complémentairesSéquence n°3

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Documents complémentaires séquence n°3

Corpus : Roman et représentation du capitalisme

Quelle image du capitalisme transparaît à travers ces extraits ?

Texte 1 : Zola, Au bonheur des dames, 1883La jeune Denise travaille dans le grand magasin d'Octave Mouret, Au Bonheur des dames ; Mouret ne cesse d'inventer de nouveaux moyens de faire dépenser de l'argent à ses clientes . Ce passage évoque le magasin après un jour de grande vente.

Lentement, la foule diminuait. Des volées de cloche, à une heure d’intervalle, avaient déjà sonné les deux premières tables du soir ; la troisième allait être servie, et dans les rayons, peu à peu déserts, il ne restait que des clientes attardées, à qui leur rage de dépense faisait oublier l’heure. Du dehors, ne venaient plus que les roulements des derniers fiacres, au milieu de la voix empâtée de Paris, un ronflement d’ogre repu, digérant les toiles et les draps, les soies et les dentelles, dont on le gavait depuis le matin. À l’intérieur, sous le flamboiement des becs de gaz, qui, brûlant dans le crépuscule, avaient éclairé les secousses suprêmes de la vente, c’était comme un champ de bataille encore chaud du massacre des tissus. Les vendeurs, harassés de fatigue, campaient parmi la débâcle de leurs casiers et de leurs comptoirs, que paraissait avoir saccagés le souffle furieux d’un ouragan. On longeait avec peine les galeries du rez-de-chaussée, obstruées par la débandade des chaises ; il fallait enjamber, à la ganterie, une barricade de cartons, entassés autour de Mignot ; aux lainages, on ne passait plus du tout, Liénard sommeillait au-dessus d’une mer de pièces, où des piles restées debout, à moitié détruites, semblaient des maisons dont un fleuve débordé charrie les ruines ; et, plus loin, le blanc avait neigé à terre, on butait contre des banquises de serviettes, on marchait sur les flocons légers des mouchoirs. Mêmes ravages en haut, dans les rayons de l’entresol : les fourrures jonchaient les parquets, les confections s’amoncelaient comme des capotes de soldats mis hors de combat, les dentelles et la lingerie, dépliées, froissées, jetées au hasard, faisaient songer à un peuple de femmes qui se serait déshabillé là, dans le désordre d’un coup de désir ; tandis que, en bas, au fond de la maison, le service du départ, en pleine activité, dégorgeait toujours les paquets dont il éclatait et qu’emportaient les voitures, dernier branle de la machine surchauffée. Mais, à la soie surtout, les clientes s’étaient ruées en masse ; là, elles avaient fait place nette ; on y passait librement, le hall restait nu, tout le colossal approvisionnement du Paris-Bonheur venait d’être déchiqueté, balayé, comme sous un vol de sauterelles dévorantes. Et, au milieu de ce vide, Hutin et Favier feuilletaient leurs cahiers de débit, calculaient leur tant pour cent, essoufflés de la lutte. Favier s’était fait quinze francs, Hutin n’avait pu arriver qu’à treize, battu ce jour-là, enragé de sa mauvaise chance. Leurs yeux s’allumaient de la passion du gain, tout le magasin autour d’eux alignait également des chiffres et flambait d’une même fièvre, dans la gaieté brutale des soirs de carnage.

Texte 2 : Zola, La Curée, 1871Aristide Saccard a invité son épouse Angèle dans un restaurant qu'elle aime et qui domine des Buttes Chaumont. De là, il considère la vue qu'il a de Paris.- C'est la colonne Vendôme, n'est-ce pas, qui brille là-bas?... Ici, plus à droite, voilà la Madeleine... Un beau quartier, où il y a beaucoup à faire... Ah! cette fois, tout va brûler! Vois-tu?... On dirait que le quartier bout dans l'alambic de quelque chimiste.Sa voix demeurait grave et émue. La comparaison qu'il avait trouvée parut le frapper beaucoup.Il avait bu du bourgogne, il s'oublia, il continua, étendant le bras pour montrer Paris à Angèle, qui s'était également accoudée à son côté:- Oui, oui, j'ai bien dit, plus d'un quartier va fondre, et il restera de l'or aux doigts des gens quichaufferont et remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris! vois donc comme il est immense et comme il s'endort doucement! C'est bête, ces grandes villes! Il ne se doute guère de l'armée de pioches qui l'attaquera un de ces beaux matins, et certains hôtels de la rue d'Anjou ne reluiraient pas si fort sous le soleil couchant, s'ils savaient qu'ils n'ont plus que trois ou quatre ans à vivre.Angèle croyait que son mari plaisantait. Il avait parfois le goût de la plaisanterie colossale et inquiétante. Elle riait, mais avec un vague effroi, de voir ce petit homme se dresser au-dessus du géant couché à ses pieds, et lui montrer le poing, en pinçant ironiquement les lèvres.- On a déjà commencé, continua-t-il. Mais ce n'est qu'une misère. Regarde là- bas, du côté des Halles, on a coupé Paris en quatre...Et de sa main étendue, ouverte et tranchante comme un coutelas, il fit signe de séparer la ville en quatre parts.- Tu veux parler de la rue de Rivoli et du nouveau boulevard que l'on perce, demanda sa femme.- Oui, la grande croisée de Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre et l'Hôtel de Ville. Jeuxd'enfants que cela! C'est bon pour mettre le public en appétit... Quand le premier réseau sera fini, alors commencera la grande danse. Le second réseau trouera la ville de toutes parts, pour rattacher les faubourgs au premier réseau. Les tronçons agoniseront dans le plâtre... Tiens, suis un peu ma main. Du boulevard du Temple à

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la barrière du Trône, une entaille; puis de ce côté, une autre entaille, de la Madeleine à la plaine Monceau; et une troisième entaille dans ce sens, une autre dans celui-ci, une entaille là, une entaille plus loin, des entailles partout. Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers et maçons, traversé par d'admirables voies stratégiques qui mettront les forts au cœur des vieux quartiers. La nuit venait. Sa main sèche et nerveuse coupait toujours dans le vide. Angèle avait un léger frisson, devant ce couteau vivant, ces doigts de fer qui hachaient sans pitié l'amas sans bornes des toits sombres.

Texte 3 : Bel-ami, Maupassant, 1885Bel-Ami est le surnom donné à George Duroy, un beau jeune homme dont Maupassant nous raconte l'ascension sociale grâce à ses talents de journaliste, mais aussi grâce aux femmes qu'il côtoie. Dans ce passage, il apprend par sa maîtresse que des hommes très haut placés s'apprêtent à monter une opération financière qui va mettre en danger les finances de l'Etat français.

Et elle se mit, doucement, à lui expliquer comment elle avait deviné depuis quelque temps qu'on préparait quelque chose à son insu, qu'on se servait de lui en redoutant son concours.Elle disait :— Tu sais, quand on aime, on devient rusée.Enfin, la veille, elle avait compris. C'était une grosse affaire, une très grosse affaire préparée dans l'ombre. Elle souriait maintenant, heureuse de son adresse ; elle s'exaltait, parlant en femme de financier, habituée à voir machiner les coups de Bourse, les évolutions des valeurs, les accès de hausse et de baisse ruinant en deux heures de spéculation des milliers de petits bourgeois, de petits rentiers, qui ont placé leurs économies sur des fonds garantis par des noms d'hommes honorés, respectés, hommes politiques ou hommes de banque.Elle répétait :— Oh ! c'est très fort ce qu'ils ont fait. Très fort. C'est Walter qui a tout mené d'ailleurs, et il s'y entend. Vraiment, c'est de premier ordre.Il s'impatientait de ces préparations.— Voyons, dis vite.— Eh bien ! voilà. L'expédition de Tanger était décidée entre eux dès le jour où Laroche a pris les affaires étrangères ; et, peu à peu, ils ont racheté tout l'emprunt du Maroc qui était tombé à soixante-quatre ou cinq francs. Ils l'ont racheté très habilement, par le moyen d'agents suspects, véreux, qui n'éveillaient aucune méfiance. Ils ont roulé même les Rothschild, qui s'étonnaient de voir toujours demander du marocain. On leur a répondu en nommant les intermédiaires, tous tarés, tous à la cote. Ça a tranquillisé la grande banque. Et puis maintenant on va faire l'expédition, et dès que nous serons là-bas, l'État français garantira la dette. Nos amis auront gagné cinquante ou soixante millions. Tu comprends aussi comme on a peur de tout le monde, peur de la moindre indiscrétion(1).

(1) Entre 1879 et 1884, les obligations tunisiennes ont triplé et sont garanties par le gouvernement français. De nombreuses banques s'écroulèrent et d'autres se sont enrichies.

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Documents complémentaires séquence n°3

Corpus rencontre amoureuse

Texte n°1 :Madame de Lafayette, la Princesse de Clèves, , 1678Texte n°2 : Marivaux, La vie de Marianne (1731-1741), roman inachevéTexte n°3 : Flaubert, l'Education sentimentale, 1869Texte n°4 : Aragon, Aurélien, 1944 :

Texte n°1 : Madame de Lafayette, la Princesse de Clèves, , 1678A la cour du Roi Henri II paraît la toute jeune Madame de Clèves, nouvellement mariée à M ; de Clèves, un homme aimable et respecté. Elle rencontre pour la première fois le séduisant Duc de Nemours.L'action se déroule donc au XVIème siècle.« Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure; le bal commença et, comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui entrait et à qui on faisait place. Mme de Clèves acheva de danser et, pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait. Ce prince était fait d'une sorte qu'il était difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne; mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement.M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de parler à personne et leur demandèrent s'ils n'avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s'ils ne s'en doutaient point.- Pour moi, madame, dit M. de Nemours, je n'ai pas d'incertitude; mais comme Mme de Clèves n'a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j'ai pour la reconnaître, je voudrais bien que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.- Je crois, dit Mme la dauphine, qu'elle le sait aussi bien que vous savez le sien.- Je vous assure, madame, reprit Mme de Clèves, qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.- Vous devinez fort bien, répondit Mme la dauphine; et il y a même quelque chose d'obligeant pour M. de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l'avoir jamais vu.La reine les interrompit pour faire continuer le bal; M. de Nemours prit la reine dauphine. Cette princesse était d'une parfaite beauté et avait paru telle aux yeux de M. de Nemours avant qu'il allât en Flandre; mais, de tout le soir, il ne put admirer que Mme de Clèves.

Texte n°2 : Marivaux, La vie de Marianne (1731-1741), roman inachevéCe roman est une fausse autobiographie de la jeune Marianne, belle jeune fille dont on va suivre les aventures et la progression sociale.Parmi les jeunes gens dont j'attirais les regards, il y en eut un que je distinguai moi-même, et sur qui mes yeux tombaient plus volontiers que sur les autres. J'aimais à le voir, sans me douter du plaisir que j'y trouvais; j'étais coquette pour les autres, et je ne l'étais pas pour lui; j'oubliais à lui plaire, et ne songeais qu'à le regarder. Apparemment que l'amour, la première fois qu'on en prend, commence avec cette bonne foi-là, et peut-être que la douceur d'aimer interrompt le soin d'être aimable. Ce jeune homme, à son tour, m'examinait d'une façon toute différente de celle des autres : il y avait quelque chose de plus sérieux qui se passait entre lui et moi. Les autres applaudissaient ouvertement à mes charmes, il me semblait que celui-ci les sentait; du moins je le soupçonnais quelquefois, mais si confusément, que je n'aurais pu dire ce que je pensais de lui, non plus que ce que je pensais de moi. Tout ce que je sais, c'est que ses regards m'embarrassaient, que j'hésitais de les lui rendre, et que je les lui rendais toujours; que je ne voulais pas qu'il me vît y répondre, et que je n'étais pas fâchée qu'il l'eût vu. Enfin on sortit de l'église, et je me souviens que j'en sortis lentement, que je retardais mes pas; que je regrettais la place que je quittais; et que je m'en allais avec un coeur à qui il manquait quelque chose, et qui ne savait pas ce que c'était. Je dis qu'il ne le savait pas; c'est peut-être trop dire, car, en m'en allant, je retournais souvent la tête pour revoir encore le jeune homme que je laissais derrière moi.

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Texte n°3 : Flaubert, l'Education sentimentale, 1869Frédéric, jeune homme influencé par ses lectures de romans sentimentaux, rencontre pour la première fois Madame Arnoux, pour laquelle il va éprouver un amour à sens unique pendant une grande partie de sa vie.

Ce fut comme une apparition.Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda. Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses, qui palpitaient au vent, derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l’ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait en plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpaient sur le fond de l’air bleu. Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manoeuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d’observer une chaloupe sur la rivière. Jamais il n’avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait... Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites.

Texte n°4 : Aragon, Aurélien, 1944 :

Il s'agit du début du roman, de la première rencontre entre Aurélien et Bérénice qui tomberont amoureux.La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n’aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu’il n’aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes. Une étoffe qu’il avait vue sur plusieurs femmes. Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse d’Orient sans avoir l’air de se considérer dans l’obligation d’avoir du goût. Ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus. Les cheveux coupés, ça demande des soins constants. Aurélien n’aurait pas pu dire si elle était blonde ou brune. Il l’avait mal regardée. Il lui en demeurait une impression vague, générale, d’ennui et d’irritation. Il se demanda même pourquoi. C’était disproportionné. Plutôt petite, pâle, je crois... Qu’elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n’y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l’irritait.Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l’avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu’il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l’avait obsédé, qui l’obsédait encore : Je demeurai longtemps errant dans Césarée... En général, les vers, lui... Mais celui-ci revenait et revenait. Pourquoi ? C’est ce qu’il ne s’expliquait pas. Tout à fait indépendamment de l’histoire de Bérénice… l’autre, la vraie... D’ailleurs il ne se rappelait que dans ses grandes lignes cette romance, cette scie.

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Evolution de la publicité pour les stations thermales

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Luchon1882

Auteur non identifié

Guillon1877

Auteur non identifié

Enghien les bains1887

Auteur non identifié

Luxeuil les Bains1890

Auteur non identifié

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Séquence n°4 : texte et représentation

Enjeux du jeu théâtral

A quoi rêvent les jeunes filles

Alfred de Musset1832

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Séquence n°4 lecture analytique 1

Irus, à sa toilette; Spadille, Quinola.IrusLequel de vous, marauds, m'a posé ma perruque?Outre que les rubans me font mal à la nuque,Je suis couvert de poudre, et j'en ai plein les yeux.QuinolaCe n'est pas moi.Spadille

Ni moi.Quinola

Moi, je tenais la queue.SpadilleMoi, monsieur, je peignais.Irus

Vous mentez tous les deux.Allons, mon habit rose et ma culotte bleue,Hum! Brum! Diable de poudre! - Hatsch! Je suis aveuglé.(Il éternue.)Quinola, ouvrant une armoire.Monsieur, vous ne sauriez mettre cette culotte.La lampe était auprès; - toute l'huile a coulé.Spadille, ouvrant une autre armoire.Monsieur, votre habit rose est tout rempli de crotte;Quand je l'ai déployé le chat était dessus.IrusCiel! de cette façon voir tous mes plans déçus!Ecoutez, mes amis; - il me vient une idée:Quelle heure est-il?Spadille

Monsieur, l'horloge est arrêtée.IrusA-t-on sonné déjà deux coups pour le dîner?QuinolaNon, l'on n'a pas sonné.Spadille

Si, si, l'on a sonné.IrusJe tremble à chaque instant que le nouveau conviveQui doit venir dîner ne paraisse et n'arrive.SpadilleIl faut vous mettre en vert.Quinola

Il faut vous mettre en gris.IrusDans quel mois sommes-nous?Spadille

Nous sommes en novembre.QuinolaEn août! en août!Irus

Mettez ces deux habits.Vous vous promènerez ensuite par la chambre,

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A quoi rêvent les jeunes filles, Alfred de Musset, 1832

Acte I scène 2

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Pour que je voie un peu l'effet que je ferai.(Les valets obéissent.)SpadilleMoi, j'ai l'air d'un marquis.Quinola

Moi, j'ai l'air d'un ministre.Irus, les regardant.Spadille a l'air d'une oie, et Quinola d'un cuistre.Je ne sais pas à quoi je me déciderai.Laerte, entrant.Et vous, vous avez l'air, mon neveu, d'une bête.N'êtes-vous pas honteux de vous poudrer la tête,Et de perdre, à courir dans votre cabinet,Plus de temps qu'il n'en faut pour écrire un sonnet?Allons, venez dîner; - votre assiette s'ennuie.IrusVous ne voudriez pas, au prix de votre vie,Me traîner au salon, sans rouge et demi-nu?Quel habit faut-il mettre?Laerte

Eh! le premier venu.Allons, écoutez-moi. Vous trouverez à tableLe nouvel arrivé; - c'est un jeune homme aimable,Qui vient pour épouser un de mes chers enfants.Jetez, au nom de Dieu, vos regards triomphantsSur un autre que lui; ne cherchez pas à plaire,Et n'avalez pas tout comme à votre ordinaire.Il est simple et timide, et de bonne façon;Enfin c'est ce qu'on nomme un honnête garçon.Tâchez, si vous trouvez ses manières communes,De ne point décocher, en prenant du tabac,Votre charmant sourire et vos mots d'almanach.Tarissez, s'il se peut, sur vos bonnes fortunes.Ne vous inondez pas de vos flacons damnés;Qu'on puisse vous parler sans se boucher le nez.Vos gants blancs sont de trop; on dîne les mains nues.IrusJe suis presque tenté, pour cadrer à vos vues,D'ôter mon habit vert, et de me mettre en noir.LaerteNon, de par tous les saints, non, je vous remercie.La peste soit de vous! - Qui diantre se soucie,Si votre habit est vert, de s'en apercevoir?IrusPuis-je savoir, du moins, le nom de ce jeune homme?LaerteQu'est-ce que ça vous fait? C'est Silvio qu'il se nomme.IrusSilvio! ce n'est pas mal. - Silvio! - le nom est bien;Irus, - Irus, - Silvio; - mais j'aime mieux le mien.LaerteSon père est mon ami, - celui de votre mère.Nous avons le projet, depuis plus de vingt ans,De mourir en famille, et d'unir nos enfants.Plût au ciel, pour tous deux, que son fils eût un frère!IrusVrai Dieu! monsieur le duc, qu'entendez-vous par là?Ne dois-je pas aussi devenir votre gendre?LaerteC'est bon, je le sais bien; vous pouvez vous attendreA trouver votre tour; - mais Silvio choisira. (Exeunt.)

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séquence n°4 lecture analytique 2

Laërte(…)Ecoutez-moi, Silvio: - ce soir, à la veillée,Vous vous cuirasserez d'un large manteau noir.Flora dormira bien, c'est moi qui l'ai payée.Ces dames, pour leur part, descendront en peignoir.Or vous vous doutez bien, par cette double lettre,Que ce que vous vouliez, c'était un rendez-vous.Car, excepté cela, que veut un billet doux?Vous pénétrerez donc par la chère fenêtre.On vous introduira comme un conspirateur.Que ferez-vous alors, vous, double séducteur?Vous entendrez des cris. - C'est alors que le père,Semblable au commandeur dans le Festin de Pierre,Dans sa robe de chambre apparaîtra soudain.Il vous provoquera, sa chandelle à la main.Vous la lui soufflerez du vent de votre épée.S'il ne reste par terre une tête coupée,Il y pourra du moins rester un grand seau d'eau,Que Flora lestement nous versera d'en haut.Ce sera tout le sang que nous devrons répandre.Les valets aussitôt le couvriront de cendre;On ne saura jamais où vous serez passé,Et mes filles crieront. "O ciel! il est blessé!"SilvioJe n'achèverai pas cette plaisanterie.Calculez, mon cher duc, où cela mènera.Savez-vous, puisqu'il faut enfin qu'on nous marie,Si je me fais aimer, laquelle m'aimera?LaërtePeut-être toutes deux, n'est-il pas vrai, mon gendre?Si je le trouve bon, qu'avez-vous à reprendre?O mon fils bien-aimé! laissons parler les sots.SilvioOn a bouleversé la terre avec des mots.LaërteEh! que m'importe à moi! - Je n'ai que vous au mondeAprès mes deux enfants. Que me fait un brocard?Vous êtes assez mûr sous votre tête blondePour porter du respect à l'honneur d'un vieillard.SilvioAh! je mourrais plutôt. Ce n'est pas ma pensée.LaërteSupposons que des deux vous vous fassiez aimer.Celle qui restera voudra vous pardonner.Votre image, Silvio, sera bientôt chasséePar un rêve nouveau, par le premier venu.Croyez-moi, les enfants n'aiment que l'inconnu.Dès que vous deviendrez le bourgeois respectableQui viendra tous les jours s'asseoir à déjeuner,Qu'on verra se lever, aller et retourner,Mettre après le café ses coudes sur la table,

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A quoi rêvent les jeunes filles, Alfred de Musset, 1832

Acte I scène 4

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On ne cherchera plus l'être mystérieux.On aimera le frère et c'est ce que je veux.Si mon sot de neveu parle de mariage,On l'en détestera quatre fois davantage,C'est encor mon souhait. Mes enfants ont du cœur;L'une soit votre femme, et l'autre votre sœur.Je me confie à vous, - à vous, fils de mon frère,Qui serez le mari d'une de mes enfants,Qui ne souillerez pas la maison de leur père,Et qui ne jouerez pas avec ses cheveux blancs.Qui sait? peut-être un jour ma pauvre délaisséeTrouvera quelque part le mari qu'il lui faut.Mais l'importante affaire est d'éviter ce sot.(Irus entre.)IrusA souper! à souper! messieurs, l'heure est passée.LaërteVous avez, Dieu me damne, encor changé d'habit.IrusOui, celui-là va mieux; l'autre était trop petit. (Exeunt.)

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séquence n°4 lecture analytique 3

Scène VI.La terrasse. - Ninon, Silvio, sur un banc.SilvioEcoutez-moi, Ninon, je ne suis point coupable.Oubliez un roman où rien n'est véritableQue l'amour de mon cœur, dont je me sens pâmer.NinonTaisez-vous; - j'ai promis de ne pas vous aimer.SilvioFlora seule a tout fait par une maladresse,Les billets d'hier soir portaient la même adresse,C'est en les envoyant que je me suis trompé;Le nom de votre sœur sous ma plume est tombé.Le vôtre de si près, comme vous, lui ressemble.La main n'est pas bien sûre, hélas! quand le cœur trembleEt je tremblais; - je suis un enfant comme vous.NinonDe quoi pouvaient servir ces deux lettres pareilles?Je vous écouterais de toutes mes oreilles,Si vous ne mentiez pas avec ces mots si doux.SilvioJe vous aime, Ninon, je vous aime à genoux.NinonOn relit un billet, monsieur, quand on l'envoie.Quand on le recopie, on jette le brouillon.Ce n'est pas malaisé de bien écrire un nom.Mais comment voulez-vous, Silvio, que je vous croie?Vous ne répondez rien.Silvio

Je vous aime, Ninon.NinonLorsqu'on n'est pas coupable on sait bien se défendre.Quand vous chantiez hier de cette voix si tendre,Vous saviez bien mon nom, je l'ai bien entendu.Et ce baiser du parc que ma sœur a reçu,Aviez-vous oublié d'y mettre aussi l'adresse?Regardez donc, monsieur, quelle scélératesse!Chanter sous mon balcon en embrassant ma sœur!SilvioJe vous aime, Ninon, comme voilà mon cœur.Vos yeux sont de cristal, - vos lèvres sont vermeillesComme ce ciel de pourpre autour de l'occident.Je vous trompais hier, vous m'aimiez cependant.NinonQue voulez-vous qu'on dise à des raisons pareilles?SilvioVotre taille flexible est comme un palmier vert;Vos cheveux sont légers comme la cendre fineQui voltige au soleil autour d'un feu d'hiver.Ils frémissent au vent comme la balsamine;Sur votre front d'ivoire ils courent en glissant,Comme une huile craintive au bord d'un lac d'argent.Vos yeux sont transparents comme l'ambre fluide

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A quoi rêvent les jeunes filles, Alfred de Musset, 1832

Acte II scène 6

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Au bord du Niémen; - leur regard est limpideComme une goutte d'eau sur la grenade en fleurs.NinonLes vôtres, mon ami, sont inondés de pleurs.SilvioLe son de votre voix est comme un bon génieQui porte dans ses mains un vase plein de miel.Toute votre nature est comme une harmonie;Le bonheur vient de vous, comme il vous vient du ciel.Laissez-moi seulement baiser votre chaussure;Laissez-moi me repaître et m'ouvrir ma blessure.Ne vous détournez pas; laissez-moi vos beaux yeux.N'épousez pas Irus, je serai bien heureux.Laissez-moi rester là près de vous, en silence,La main dans votre main passer mon existenceA sentir jour par jour mon cœur se consumer...NinonTaisez-vous; - j'ai promis de ne pas vous aimer.

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Documents complémentaires séquence n°4

Construction et objectifs de la mise en abyme théâtrale

texte 1 : Genet, Les Bonnes, 1947texte 2: Marivaux Le Jeu de l'amour et du hasard, 1730texte 3 : Corneille, l'Illusion comique, acte V, scène 5 1635

Texte 1 : Les Bonnes, Jean Genet, 1947Dans cette pièce, Claire et Solange, deux sœurs, sont les bonnes de Madame. Elles la détestent et envisagent de l'assassiner. Pour s'encourager, elles jouent ce qu'elles appellent « la Cérémonie » : Claire endosse le rôle de Madame, et Solange celui de Claire. Il s'agit ici du début de la pièce.

La chambre de Madame. Meubles Louis XV. Au fond, une fenêtre ouverte sur la façade de l'immeuble en face. A droite, le lit. A gauche, une porte et une commode. Des fleurs à profusion. C'est le soir. L'actrice qui joue Solange est vêtue d'une petite robe noire de domestique. Sur une chaise, une autre petite robe noire, des bas de fil noirs, une paire de souliers noirs à talons plats.CLAIRE, debout, en combinaison, tournant le dos à la coiffeuse.—Son geste — le bras tendu et le ton seront d'un tragique exaspéré.Et ces gants! Ces éternels gants! Je t'ai dit souvent de les laisser à la cuisine. C'est avec ça, sans doute, que tu espères séduire le laitier. Non, non, ne mens pas, c'est inutile. Pends-les au-dessus de l'évier. Quand comprendras-tu que cette chambre ne doit pas être souillée? Tout, mais tout! ce qui vient de la cuisine est crachat. Sors. Et remporte tes crachats! Mais cesse!Pendant cette tirade, Solange jouait avec une paire de gants de caoutchouc, observant ses mains gantées, tantôt en bouquet, tantôt en éventail.Ne te gêne pas, fais ta biche. Et surtout ne te presse pas, nous avons le temps. SorsSolange change soudain d'attitude et sort humblement, tenant du bout des doigts les gants de caoutchouc. Claire s'assied à la coiffeuse. Elle respire les fleurs, caresse les objets de toilette, brosse ses cheveux, arrange son visage.Préparez ma robe. Vite le temps presse. Vous n’êtes pas là? (Elle se retourne.) Claire !Claire!Entre Solange.SOLANGEQue Madame m'excuse, je préparais le tilleul (Elle prononce tillol.) de Madame.CLAIREDisposez mes toilettes. La robe blanche pailletée, l'éventail, les émeraudes.SOLANGETous les bijoux de Madame?CLAIRESortez-les. Je veux choisir. (Avec beaucoup d'hypocrisie.) Et naturellement les souliers vernis. Ceux que vous convoitez depuis des années.Solange prend dans l'armoire quelques écrins qu'elle ouvre et dispose sur le lit.Pour votre noce sans doute. Avouez qu'il vous a séduite ! Que vous êtes grosse ! Avouez-le!Solange s'accroupit sur le tapis et, crachant dessus, cire des escarpins vernis.Je vous ai dit, Claire, d'éviter les crachats. Qu'ils dorment en vous, ma fille, qu'ils y croupissent. Ah! ah! vous êtes hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et vous regardez dans mes souliers. (Elle tend son pied que Solange examine.) Pensez-vous qu'il me soit agréable de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre salive? Par la brume de vos marécages?SOLANGE, à genoux et très humble.Je désire que Madame soit belle

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Texte 2 : Marivaux Le Jeu de l'amour et du hasard, 1730

Silvia et Dorante sont promis l'un à l'autre dans un mariage arrangé par leurs parents. Mais chacun de son côté a décidé de prendre la place de son valet (ou de sa servante) pour essayer de surprendre la véritable nature du promis/ de la promise... Dans cette scène, Dorante croit donc être en compagnie de la servante de Silvia, et Silvia pense être avec Bourguignon. Or, ils vont tomber, malgré leur déguisement, amoureux l'un de l'autre.

SILVIA, DORANTE

SILVIA, à part.Ils se donnent la comédie, n'importe, mettons tout à profit, ce garçon-ci n'est pas sot, et je ne plains pas la soubrette qui l'aura ; il va m'en conter, laissons-le dire pourvu qu'il m'instruise.DORANTE, à part.Cette fille-ci m'étonne, il n'y a point de femme au monde à qui sa physionomie ne fit honneur, lions connaissance avec elle... (Haut.) Puisque nous sommes dans le style amical et que nous avons abjuré les façons, dis-moi, Lisette, ta maîtresse te vaut-elle ? Elle est bien hardie d'oser avoir une femme de chambre comme toi.SILVIABourguignon, cette question-là m'annonce que suivant la coutume, tu arrives avec l'intention de me dire des douceurs, n'est-il pas vrai ?DORANTEMa foi, je n'étais pas venu dans ce dessein-là, je te l'avoue ; tout valet que je suis, je n'ai jamais eu de grande liaison avec les soubrettes, je n'aime pas l'esprit domestique ; mais à ton égard c'est une autre affaire ; comment donc, tu me soumets, je suis presque timide, ma familiarité n'oserait s'apprivoiser avec toi, j'ai toujours envie d'ôter mon chapeau de dessus ma tête, et quand je te tutoie, il me semble que je jure ; enfin j'ai un penchant à te traiter avec des respects qui te feraient rire. Quelle espèce de suivante es-tu donc avec ton air de princesse ?SILVIATiens, tout ce que tu dis avoir senti en me voyant, est précisément l'histoire de tous les valets qui m'ont vue.DORANTEMa foi, je ne serais pas surpris quand ce serait aussi l'histoire de tous les maîtres.SILVIALe trait est joli assurément ; mais je te le répète encore, je ne suis pas faite aux cajoleries de ceux dont la garde-robe ressemble à la tienne.DORANTEC'est-à-dire que ma parure ne te plaît pas ?SILVIANon, Bourguignon ; laissons là l'amour, et soyons bons amis.DORANTERien que cela : ton petit traité n'est composé que de deux clauses impossibles.SILVIA, à part.Quel homme pour un valet ! (Haut.) Il faut pourtant qu'il s'exécute ; on m'a prédit que je n'épouserai jamais qu'un homme de condition, et j'ai juré depuis de n'en écouter jamais d'autres.

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Texte 3, Corneille, L'Illusion comiqueDans cette pièce, Pridamant cherche son fils qu'il n'a pas vu depuis dix ans. Alcandre, un faux magicien, lui montre alors la vie de ce dernier. Ce passage est la dernière scène ; Pridamant croit avoir vu mourir son fils, mais en fait Alcandre lui révèle que tout ce qu'il a vu était en fait une pièce de théâtre, et que son fils est bien vivant ; il est devenu acteur !ALCANDRE.Ainsi de notre espoir la fortune se joue :Tout s'élève ou s'abaisse au branle de sa roue ;Et son ordre inégal, qui régit l'univers,Au milieu du bonheur a ses plus grands revers.

PRIDAMANT.Cette réflexion, mal propre pour un père,Consolerait peut-être une douleur légère ;Mais après avoir vu mon fils assassiné,Mes plaisirs foudroyés, mon espoir ruiné,J'aurais d'un si grand coup l'âme bien peu blessée,Si de pareils discours m'entraient dans la pensée.Hélas ! dans sa misère il ne pouvait périr ;Et son bonheur fatal lui seul l'a fait mourir.N'attendez pas de moi des plaintes davantage :La douleur qui se plaint cherche qu'on la soulage ;La mienne court après son déplorable sort.Adieu ; je vais mourir, puisque mon fils est mort.

ALCANDRE.D'un juste désespoir l'effort est légitime,Et de le détourner je croirais faire un crime.Oui, suivez ce cher fils sans attendre à demain ;Mais épargnez du moins ce coup à votre main ;Laissez faire aux douleurs qui rongent vos entrailles,Et pour les redoubler voyez ses funérailles.

PRIDAMANT.Que vois-je ? Chez les morts compte-t-on de l'argent ?

ALCANDRE.Voyez si pas un d'eux s'y montre négligent.

PRIDAMANT.Je vois Clindor ! Ah dieux ! Quelle étrange surprise !Je vois ses assassins, je vois sa femme et Lyse !Quel charme en un moment étouffe leurs discords,Pour assembler ainsi les vivants et les morts ?

ALCANDRE.Ainsi tous les acteurs d'une troupe comique,Leur poëme récité, partagent leur pratique :L'un tue, et l'autre meurt, l'autre vous fait pitié ;Mais la scène préside à leur inimitié.Leurs vers font leurs combats, leur mort suit leurs paroles,Et, sans prendre intérêt en pas un de leurs rôles,Le traître et le trahi, le mort et le vivant,Se trouvent à la fin amis comme devant.Votre fils et son train ont bien su, par leur fuite,D'un père et d'un prévôt éviter la poursuite ;Mais tombant dans les mains de la nécessité,Ils ont pris le théâtre en cette extrémité.

PRIDAMANT.Mon fils comédien !

ALCANDRE.D'un art si difficileTous les quatre, au besoin, ont fait un doux asile ;Et depuis sa prison, ce que vous avez vu,Son adultère amour, son trépas imprévu,N'est que la triste fin d'une pièce tragiqueQu'il expose aujourd'hui sur la scène publique,Par où ses compagnons en ce noble métierRavissent à Paris un peuple tout entier.Le gain leur en demeure, et ce grand équipage,Dont je vous ai fait voir le superbe étalage,Est bien à votre fils, mais non pour s'en parerQu'alors que sur la scène il se fait admirer.

PRIDAMANT.J'ai pris sa mort pour vraie, et ce n'était que feinte ;Mais je trouve partout mêmes sujets de plainte.Est-ce là cette gloire, et ce haut rang d'honneurOù le devait monter l'excès de son bonheur ?

ALCANDRE.Cessez de vous en plaindre. A présent le théâtreEst en un point si haut que chacun l'idolâtre,Et ce que votre temps voyait avec méprisEst aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits,L'entretien de Paris, le souhait des provinces,Le divertissement le plus doux de nos princes,Les délices du peuple, et le plaisir des grands :Il tient le premier rang parmi leurs passe-temps ;Et ceux dont nous voyons la sagesse profondePar ses illustres soins conserver tout le monde,Trouvent dans les douceurs d'un spectacle si beauDe quoi se délasser d'un si pesant fardeau.Même notre grand roi, ce foudre de la guerre,Dont le nom se fait craindre aux deux bouts de la terre,Le front ceint de lauriers, daigne bien quelquefoisPrêter l'oeil et l'oreille au théâtre-François :C'est là que le Parnasse étale ses merveilles ;Les plus rares esprits lui consacrent leurs veilles ;Et tous ceux qu'Apollon voit d'un meilleur regardDe leurs doctes travaux lui donnent quelque part.D'ailleurs, si par les biens on prise les personnes,Le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes ;Et votre fils rencontre en un métier si douxPlus d'accommodement qu'il n'eût trouvé chez vous.Défaites-vous enfin de cette erreur commune,Et ne vous plaignez plus de sa bonne fortune.

PRIDAMANT.Je n'ose plus m'en plaindre, et vois trop de combienLe métier qu'il a pris est meilleur que le mien.Il est vrai que d'abord mon âme s'est émue :J'ai cru la comédie au point où je l'ai vue ;J'en ignorais l'éclat, l'utilité, l'appas,Et la blâmais ainsi, ne la connaissant pas ;Mais depuis vos discours mon coeur plein d'allégresseA banni cette erreur avecque sa tristesse.Clindor a trop bien fait.

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