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Bastien Brunis Bastien Brunis 能量 能量 Politique extérieure énergétique de la Chine Politique extérieure énergétique de la Chine Discours sur la stratégie de puissance de la RPC Discours sur la stratégie de puissance de la RPC Sous la direction de Monsieur le Professeur Yves Viltard Sous la direction de Monsieur le Professeur Yves Viltard Master 2 recherche Science politique Master 2 recherche Science politique Relations internationales Relations internationales Juin 2006 Juin 2006

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Bastien BrunisBastien Brunis

能量能量Politique extérieure énergétique de la ChinePolitique extérieure énergétique de la Chine

Discours sur la stratégie de puissance de la RPCDiscours sur la stratégie de puissance de la RPC

Sous la direction de Monsieur le Professeur Yves ViltardSous la direction de Monsieur le Professeur Yves Viltard

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Juin 2006Juin 2006

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Politique extérieure énergétique de la ChineDiscours sur la stratégie de puissance de la RPC

Résumé

La République Populaire de Chine (RPC) connaît actuellement une phase de développement économique spectaculaire. Le gouvernement chinois se place face à l’immense défi qui consiste à alimenter cette formidable croissance en énergie, notamment en pétrole. On observe ainsi un activisme diplomatique effréné auprès des États producteurs à travers la planète, fussent-ils des dictatures. Dès lors, beaucoup se questionnent : la boulimie pétrolière de la Chine met-elle en péril l’approvisionnement mondial ? Le choix de ses partenaires énergétiques ne doit-il pas faire craindre une prolifération d’ « États voyous » soutenus par Pékin ? Enfin, dans quelle mesure la politique extérieure énergétique chinoise bouleverse-t-elle les équilibres mondiaux ? Dans leur quête de pétrole, les acteurs du système énergétique chinois vont créer un véritable réseau d’influence favorable à Pékin, notamment en Afrique et en Asie. Ce lien entre pétrole et puissance va ainsi susciter de nombreux commentaires, des discours qui, élevés au rang de véritables pratiques politiques, façonnent les perceptions et, partant, la structure des relations internationales. Notre étude porte précisément sur ces discours, en ce qu’ils structurent les perceptions sur la Chine en termes de menaces/opportunités. Mais qu’en est-il réellement ? Ce que nous qualifions de « pétrodiplomatie » chinoise désigne le processus qui associe l’ensemble des acteurs de la politique extérieure de la Chine au sein d’une diplomatie toute entière dévouée à la quête de pétrole, selon une stratégie visant à accéder au leadership de manière pacifique. Nous verrons également qu’en cherchant à diversifier et sécuriser ses approvisionnements en pétrole, Pékin défend non seulement ses intérêts, mais aussi ceux des Occidentaux.

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Politique extérieure énergétique de la ChinePolitique extérieure énergétique de la ChineDiscours sur la stratégie de puissance de la RPCDiscours sur la stratégie de puissance de la RPC

L'université n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émisesdans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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Table des matières

Introduction 9

Chapitre IUn cadre d’élaboration stratégique très étroit

18

I Le défi chinois 18

A Une situation internationale du pétrole complexe à l’avenir incertain 181 Croissance de la demande et tension du marché international du pétrole 19

a Augmentation de la demande mondiale 19b Tensions sur le marché international du pétrole 20

2 Quel avenir pour le pétrole ? Prospective variable 20a Incertitudes sur l’avenir de la production 21b Stagnation de la production et éclatement de la demande 22

3 L’implication croissante de la Chine sur les enjeux pétroliers 23

B Alimenter l’extraordinaire croissance chinoise 241 Comprendre pourquoi et comment la Chine se développe 252 L’ouverture économique de la Chine : une tendance lourde 25

II Rationalisation du système énergétique chinois 27

A Un système énergétique dominé par le charbon 271 Un géant fait de charbon 272 Un anachronisme énergétique ? 28

B Déficits énergétiques : quelle amélioration pour l’efficacité énergétique ?

29

1 Rationaliser l’utilisation des énergies classiques non pétrolières 29a Développer un secteur gazier inexistant 29b Refonder le secteur nucléaire 30

2 Le pari des énergies renouvelables 30

C Analyse de la consommation pétrolière chinoise 311 Explosion de la consommation 322 Rivalité des scénarios pessimistes 32

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D La Chine vers la dépendance énergétique 341 Production chinoise et autonomie pétrolière de la Chine 342 Développement des importations pétrolières chinoises 343 Incertitude sur l’avenir des importations 35

III Système énergétique chinois 36

A L’ouverture du secteur pétrolier chinois 36

B Acteurs institutionnels du système pétrolier chinois 371 Pluralité des acteurs et confusion des missions 372 Une rationalisation inachevée 38

C L’autonomie relative des compagnies pétrolières 391 Modernisation des compagnies 392 Des acteurs autonomes ? 40

IV Définition de la politique extérieure énergétique de la Chine 42

A Transition et dépendance énergétiques 431 La politique extérieure énergétique de la Chine 432 Surmonter la dépendance énergétique au Moyen-Orient 44

B Cadre de formulation de la pétrodiplomatie chinoise 461 Sécurisation des approvisionnements 46

a Accélération des investissements 46b Multilatéralisme vs. stratégie de puissance 47c Une « logique déstabilisatrice » ? 48

2 Diversification des approvisionnements 49a Un pari risqué 49b Le mobile énergétique de l’ouverture diplomatique de la Chine 50

Chapitre IILa seconde mondialisation de la Chine

51

I Élargissement du champ d’action de la pétrodiplomatie chinoise

51

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A À la recherche de la proximité géographique des partenaires énergétiques

52

1 Reconstitution de l’axe Moscou-Pékin 52a L’arme énergétique 52b Rapprochement Chine-Russie : le pacte énergétique 54c Des investissements stratégiques 55

2 La quête d’influence de la Chine en Asie centrale 56a Extension du domaine d’influence chinoise à l’Asie centrale 57b Le Kazakhstan : la tête de pont centre-asiatique de la Chine 57

3 La sphère d’influence énergétique de la Chine en Asie 594 Coopération énergétique Chine-Iran : la convergence idéologique 60

B Mondialisation de la coopération énergétique chinoise 601 Coopération énergétique avec les Occidentaux 61

a Coopération énergétique Chine-Union européenne 61b Le modèle de la coopération énergétique Chine-États-Unis 62

2 Amérique latine : Pékin dans le pré-carré américain 63a Évolution du partenariat entre la Chine et les États producteurs latino-

américains63

b La Chine et le Venezuela solidaires contre Washington 65

II La stratégie africaine de la Chine 66

A La montée en puissance de la Chine sur le continent africain 671 Spécialisation africaine de la pétrodiplomatie chinoise 672 Coopération énergétique avec les États d’Afrique du Nord 68

a La Chine et l’Algérie : des partenaires historiques 68b Gagner les faveurs des producteurs nord-africains 70

3 L’influence croissante de la Chine en Afrique australe 71

B Partenariat énergétique avec les dictatures et pseudo-démocraties pétrolières africaines

72

1 Nigeria : intensification des relations avec le premier producteur africain de pétrole

73

2 Alliance peu démocratique avec le Congo et le Gabon 743 Angola : Pékin sur les terres américaines 75

a La relation historique entre Luanda et Pékin 75b Années 2000 : le retour des Chinois 76

4 Soudan : le protégé de Pékin 77

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a Un terrain privilégié pour la pétrodiplomatie chinoise 77b Quête d’influence et investissements chinois 78

5 La pétrodiplomatie comme levier d’influence : la Chine au Tchad 79

Chapitre IIILes effets des discours sur la pétrodiplomatie chinoise sur la structure internationale

81

I Pétrodiplomatie chinoise et stabilité mondiale : la Chine et les États pétroliers voyous

81

A La question de l’aide chinoise 821 Une aide généreuse : le discours sur la priorité du développement 822 Une aide dangereuse : le discours « humanitaire » 84

B Le pacte diplomatique et militaire 861 La Chine, gardien du Soudan : pétrole contre dictature 87

a Le parapluie chinois à l’ONU 87b L’implication militaire de la Chine au Soudan 88

2 La menace de l’implication croissante des Chinois au Tchad 893 L’alliance contre les droits de l’homme avec le populiste Mugabe 904 Guinée équatoriale : un archipel convoité 91

C Les effets structurants du débat sur l’impérialisme chinois 921 Le « nouvel ordre chinois » 92

a Dépendance ou interdépendance ? 92b Néocolonialisme ? 93

2 La Chine comme grande puissance 94a Séduire ses partenaires 95b Une aide ciblée sur les seuls producteurs 95

II La construction d’un ennemi 98

A De la rivalité à la confrontation énergétique 981 Perception américaine de la menace chinoise : un jeu de miroirs 982 Vers le conflit énergétique généralisé 101

a La pétrodiplomatie chinoise comme source de conflits potentiels 101

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b Un ennemi redoutable et prêt à (presque) tout 102

B La deuxième guerre froide 1041 Intensification de la rivalité énergétique Chine-Inde : le bloc occidental 1042 Conflits périphériques : la guerre froide énergétique 105

a Afrique : la bataille du pétrole 105b Asie : l’encerclement de la Chine 106

C Relations énergétiques : le double visage de la Chine 1081 Un levier d’influence bienvenu sur les États voyous 1082 Sécurité des voies maritimes 1093 La Chine comme vecteur d’amélioration de la production 1104 Le cercle vertueux pétrole-leadership 111

III La stratégie de la puissance 112

A Le développement pacifique : rationalisation de la politique étrangère de la Chine

113

1 Cadre de formulation : une diplomatie en mouvement 1132 Discours sur le développement pacifique et façonnage de la structure

internationale114

a De l’ascension au développement pacifique 115b Vocabulaire et stratégie de la puissance 116

B Légitimation de la puissance chinoise 1181 Afrique : le « nouvel horizon » chinois 118

a Succès du modèle de développement chinois 119b Effets du renouvellement du discours chinois sur l’Afrique 120

2 Le soft power de la Chine en Asie : l’ « éléphant amical » 1213 Le droit au développement : l’opportunité chinoise en Occident 122

Conclusion 124

Bibliographie 128

Sommaire des annexes 140

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Introduction

En 2006, la Chine devient la quatrième puissance économique mondiale, derrière les

États-Unis, le Japon et l’Allemagne. Due à une extraordinaire croissance économique, cette

montée en puissance remet la célèbre phrase de Napoléon Bonaparte au goût du jour :

« quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera ». C’est bien ce qui semble se passer

aujourd’hui, alors qu’on observe la spectaculaire ascension de la Chine avec un enthousiasme

mêlé de crainte.

Éminent sinologue, François Joyaux écrivait cependant en 1994 que « le système

socialiste d’économie de marché » ne déboucherait probablement pas sur un État à la fois

« socialiste et puissant »1. Aujourd’hui pourtant, la Chine n’est plus la même. Au niveau

interne, elle est devenue un paradis capitaliste, et a de ce fait acquis une véritable puissance

économique. D’autre part, les conséquences de sa politique extérieure sur le système

international sont de plus en plus importantes. La Chine est amenée à jouer un rôle de plus en

plus déterminant dans les relations internationales, que ce rôle soit positif ou bien négatif.

Force est donc de constater que le régime communiste est parvenu à réaliser le

développement de la Chine (cf. Annexe 1), fut-ce en abandonnant beaucoup de ses grands

principes. L’investissement étranger, la propriété privée, le système de production capitaliste,

la restructuration industrielle et l’intégration croissante de la Chine à l’économie mondiale ont

ainsi eu raison du modèle économique communiste. C’est ce que l’on a qualifié de politique

de réforme et d’ouverture.

Du point de vue politique, la Chine reste pourtant une dictature dont on a encore beaucoup

de mal à déterminer les intentions et qui, de ce fait, fait peser une incertitude croissante sur les

relations internationales.

1 JOYAUX François, La Tentation impériale. Politique extérieure de la Chine depuis 1949, Paris, Éditions Imprimerie Nationale, 1994, 426 p.

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On s’inquiète tout d’abord de la durabilité de la croissance chinoise : première destination

de l’investissement direct étranger (IDE), la Chine suscite une euphorie que certains jugent

dangereuse2, car elle repose sur un sentiment de confiance très fragile qui risque de s’évanouir

et de provoquer ainsi la panique des opérateurs économiques : le développement chinois est

une « épée à double tranchant »3. Un grand nombre d’observateurs craignent ainsi que le rêve

ne se transforme en cauchemar.

L’incertitude caractérise également la stabilité interne de la RPC, garantie indispensable à

la poursuite de cette véritable aventure économique que propose aujourd’hui la Chine.

Nouveau front pionnier pour l’ensemble des acteurs de l’économie mondiale, la Chine

menacerait à tout moment d’imploser sous l’effet de ses tensions internes. Le Tibet, les droits

de l’homme, la multiplication des jacqueries, le fossé grandissant entre riches et pauvres sont

autant de phénomènes susceptibles de déclencher une crise politique dont les effets se feraient

ressentir dans le monde entier.

Les analystes sont également tourmentés par la question de Taiwan : jusqu’où la Chine

est-elle prête à aller pour obtenir la « réunification » de son territoire ? Les conséquences d’un

éventuel conflit opposant Pékin à Washington – principal allié de Taipei – sont imprévisibles.

Or, la « politique d’une seule Chine » provoque une surenchère dans les provocations

diplomatiques et militaires qui mettent en péril la sécurité internationale.

Toutefois, tous ces sujets d’inquiétude ne reposent finalement que sur des procès

d’intention faits à un régime autoritaire qui n’éprouve aucun besoin de s’expliquer auprès de

son opinion publique, puisqu’il n’existe pas de liberté d’expression, ou de la communauté

internationale, puisqu’elle est dominée par les Occidentaux.

Il est donc impossible de spéculer les évolutions de la situation politique interne, tout

comme il est vain de tenter de deviner les intentions militaires de Pékin. Il est en revanche

possible d’étudier les moyens mis en œuvre par les autorités chinoises pour garantir la

pérennité du développement et, partant, de la croissance économique et la stabilité mondiales.

En effet, s’il est un élément visible dans la stratégie de la Chine, c’est sûrement l’activisme

diplomatique qu’elle a récemment mis en place afin d’alimenter son développement. C’est

cette visibilité qui fait de la politique extérieure énergétique de la Chine le seul objet

susceptible d’être analysé de manière pertinente.

2 BOSWORTH Barry, « Gérer l’afflux de capitaux en Chine », Politique étrangère, n°2, été 2004, pp. 299-315.3 RICHARDSON Michael, « China’s Growth : A Double-Edged Sword », International Herald Tribune, 23 novembre 1993.

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Notre travail est donc conforme dans ses objectifs à l’analyse des politiques étrangères4,

puisqu’il s’intéresse au cadre de formulation de la stratégie chinoise en matière énergétique. Il

faudra donc répondre à plusieurs interrogations. Comment les acteurs interagissent dans la

définition des grandes orientations appliquées à travers le globe ? Quelles perceptions

entretiennent ces acteurs de leur environnement et quelle conception ont-ils de leurs intérêts ?

Notre étude se veut également constructiviste dans la mesure où l’on montrera que ce sont

les perceptions réciproques qui structurent les relations entre acteurs et, partant, les relations

internationales. A ce stade, il paraît indispensable de préciser que le statut d’acteur ne doit pas

être réservé aux seuls États. En effet, la problématique réaliste offre un cadre trop étroit, en ce

qu’elle ne considère seulement comme acteurs internationaux les États et leurs émanations.

De même, l’approche néoréaliste, qui accepte que puissent exister des acteurs autonomes

et/ou transnationaux ne nous paraît pas appropriée, puisqu’elle vise à montrer que les États

conservent la maîtrise des relations internationales en dernier ressort. Or, il est flagrant que le

processus de formulation de la politique extérieure énergétique de la Chine fait interagir une

pluralité d’acteurs (institutionnels, compagnies d’État, diplomates, organisations non

gouvernementales (ONG), experts, etc.). Il s’agira donc de reconstituer les configurations

d’acteurs impliquées dans la définition des stratégies énergétiques.

En effet, la grille de lecture énergétique est très utile pour comprendre les dynamiques qui

agissent sur la structure des relations internationales. Daniel Yergin, expert en énergie

mondialement reconnu5, est l’auteur de la phrase « le pétrole, c’est 10 % d’économie et 90 %

de politique ». Pour lui, « aucune autre matière première n’a […] de liens aussi étroits avec

la géopolitique »6. Or, l’ouverture diplomatique de la Chine modifie considérablement les

équilibres mondiaux traditionnels. Face à l’explosion des besoins énergétiques chinois,

certaines régions se voient à nouveau élevées au rang de priorité stratégique pour leurs

richesses naturelles : l’Afrique, l’Amérique latine ou encore l’Asie centrale. Les géants de

l’énergie sont également associés à ce phénomène, que ce soient les États producteurs

(Russie, Iran, Arabie saoudite, Indonésie, etc.) ou les multinationales, qui profitent des

opportunités du marché chinois. Sont également concernés les gros consommateurs,

notamment les États-Unis, le Japon et l’Union européenne.

4 Ou Foreign Policy Analysis (FPA).5 Il a notamment reçu le prix Pulitzer en 1992 pour son ouvrage Les Hommes du pétrole.6 « L’avenir radieux du pétrole – Entretien avec Daniel Yergin », Politique internationale, n°98, hiver 2002-2003, pp. 331-341.

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Ce constat fait, on comprend pourquoi les commentaires sur la politique énergétique sont

si nombreux en Occident. La Chine apparaît comme une opportunité économique, certes, mais

c’est aussi un rival énergétique qui émerge sur la scène internationale. Ces commentaires

dépeignent la plupart du temps une Chine menaçante, pesant de manière excessive sur les

marchés pétroliers et prête à tout pour se procurer cet or noir, y compris à s’allier avec les

régimes les plus autoritaires que la communauté internationale cherche à faire disparaître.

Parmi ces États « parias » amis de la Chine, on retrouve l’Iran et le Soudan, deux régimes

islamiques hostiles à Washington. D’autres États connus pour leurs violations des droits de

l’homme sont également sur la liste des fidèles alliés de Pékin : le Zimbabwe de Robert

Mugabe, l’Angola, l’un des pays les plus corrompus au monde, mais aussi le Venezuela de

l’anti-américain Hugo Chavez ou encore la très autoritaire Russie de Vladimir Poutine.

L’image de la Chine se construit donc pour une part en négatif et depuis l’extérieur. C’est

pourquoi les perceptions de la menace de la politique énergétique de la Chine sont si

importantes aujourd’hui. Ce sont précisément ces discours qui feront l’objet de notre analyse.

Des précisions concernant la méthode employée doivent ici être apportées. Ce travail sur

les discours tenus à propos de la politique extérieure énergétique de la Chine se fonde donc

sur l’ensemble de la littérature disponible à ce sujet : ouvrages, revues, presse, Internet, etc.,

c’est-à-dire tous les médias susceptibles de véhiculer un discours sur la Chine.

Bien évidemment, cette montée en puissance sème le trouble dans les esprits d’un bon

nombre d’experts – notamment les membres des think tanks américains – et autres analystes

des relations internationales, qui persistent à voir la Chine comme une menace, à l’image de

ce qui se passait au moment de la guerre froide. On pointe notamment le risque de conflit

généralisé pour l’accès aux énergies, entre deux blocs qui polariseraient le monde entre Pékin

et Washington. Mais pourquoi met-on autant d’énergie à critiquer la politique énergétique de

la Chine, deuxième consommateur mondial de pétrole, et si peu à contester les options de la

stratégie de Washington ?

Finalement, le débat sur la menace et l’opportunité chinoises s’apparente à celui qui

caractérise la mondialisation. Les mêmes argumentaires sont développés : ultralibéraux et

altermondialistes s’affrontent sur les menaces ou les opportunités d’une plus grande

intégration des économies mondiales. Il en va exactement de même sur la Chine, avec d’un

côté les « réalistes » qui abordent la question de la montée en puissance de la Chine en termes

exclusivement stratégiques, et développent un discours « paranoïaque », focalisé sur la folle

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consommation en énergies. D’un autre côté, les « optimistes » sont convaincus que le

développement chinois doit être soutenu quoi qu’il arrive. Peu importent la dépendance

énergétique chinoise et ses conséquences : ce n’est qu’un moyen indispensable à la pérennité

du développement.

Il ne s’agit pas ici de revenir sur les nombreux discours que l’histoire a connus au sujet de

la menace de la Chine, car cela nécessiterait une étude particulière. Notre but n’est pas de

montrer que l’image du méchant Docteur Fu Manchu7 se cache derrière les intentions réelles

des Chinois. Certes, l’on peut trouver des similitudes entre le discours historique sur la

menace chinoise – le « péril jaune »8 – et le discours géostratégique et scientifique sur la

menace énergétique. Elles tiennent à l’ignorance entretenue à propos des Chinois, de leurs

dirigeants, leurs intentions et surtout leurs arrière-pensées (cf. Annexe 2).

Or, ce sont justement les termes scientifiques dans lesquels sont exprimés les discours sur

la menace de la politique énergétique chinoise qui font que ceux-ci sont particuliers. Le

message alarmiste est ainsi habillé de graphiques décrivant des statistiques affolantes, de

prévisions très précises sur le moment où la Chine consommera plus de pétrole que tout le

reste du monde, ou encore sur la part démesurée de la Chine dans l’augmentation des prix du

brut.

Mais « qui craint de souffrir souffre déjà de ce qu’il craint »9 : la Chine s’affirme d’ores et

déjà comme une puissance de premier plan, et affirme sa légitimité à se doter des moyens

suffisants pour poursuivre son développement économique. On observe ainsi un travail de

légitimation de la part des Chinois, qui souhaitent imposer l’image d’une Chine pacifique,

dont le développement est bénéfique pour l’ensemble de l’humanité.

Or, il est un concept, le soft power, que l’on utilise en sociologie des relations

internationales pour décrire cette capacité, le plus souvent d’un État, à agir indirectement sur

le comportement ou les intérêts des autres acteurs internationaux à travers des moyens

culturels ou idéologiques. Avec le hard power, le traditionnel pouvoir de coercition, il forme

les deux composantes du pouvoir tel que l’a défini Joseph S. Nye Jr10 : si le hard power

représente le bâton, alors le soft power symbolise la carotte. En effet, il ne s’agit que d’une

7 Le docteur Fu Manchu est un personnage de fiction mis en scène par des artistes Américains dans les années 1930. Il représente toute la fourberie et l’hypocrisie habituellement prêtées aux Asiatiques, en particulier aux Chinois.8 En référence au célèbre ouvrage de Gaston Gaillard.9 DE MONTAIGNE Michel Eyquem, Essais, Livre III, Chapitre 12, Flammarion, rééd. 1993 (1595), 376 p.10 NYE Joseph S. Jr, Bound to Lead : The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990, 261 p. et NYE Joseph S. Jr, Soft Power : The Means to Success in World Politics, New York, Public Affairs, 2005, 191 p.

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ressource parmi d’autres, mais dont l’importance est aujourd’hui décisive. La capacité de la

Chine à attirer les autres acteurs des relations internationales dans un cadre qui lui est

favorable et en l’absence de tout pouvoir de contrainte est ainsi au cœur de notre sujet. En

effet, Pékin fournit d’immenses efforts pour s’appuyer sur les institutions internationales

(OMC, ONU, etc.), entretenir son pouvoir d’attraction économique et combattre le sentiment

antichinois à travers le monde.

On cherche donc à établir dans quelle mesure le développement économique, la

diplomatie énergétique et l’influence géostratégique s’articulent pour animer le processus

d’émergence de la puissance chinoise, selon une stratégie préétablie par Pékin et peu à peu

acceptée par le reste du monde.

De ces observations, il se dégage cette certitude que cette « pétrodiplomatie » (cf. infra) a

un impact conséquent sur la politique extérieure globale, en ce qu’elle agit sur les relations

nouvellement liées avec les autres acteurs des relations internationales : États producteurs,

institutions internationales, États consommateurs et, bien sûr, les États-Unis. L’étude de la

« pétrodiplomatie » chinoise permet donc de situer la place réellement occupée par la Chine

dans la structure internationale.

Nous nous attacherons donc à donner une description précise de la « pétrodiplomatie »

chinoise : son cadre de formulation, les acteurs et concepts qui entrent en ligne de compte, son

application, ses nombreux effets et les analyses en vigueur à son sujet.

Pour ce faire, il faut tout d’abord se dégager de la complexité du contexte dans lequel

s’élabore la politique énergétique de la Chine. En effet, les marges de manœuvre de Pékin

sont d’autant plus réduites que les marchés pétroliers internationaux sont tendus, que son

système énergétique national dominé par le charbon est obsolète, et son intégration aux

relations internationales énergétiques reste limitée. Tout ceci vient s’ajouter à un

environnement très hostile à la politique énergétique de Pékin et à une situation très floue

quant à l’avenir de la production énergétique.

Les Chinois vont pourtant parvenir à perfectionner leur stratégie en clarifiant les

compétences, en dotant les acteurs de la politique énergétique de nouvelles missions et

d’importants moyens financiers afin d’assurer l’approvisionnement selon un cadre stratégique

redéfini.

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Pékin va tout d’abord accroître son intégration aux marchés internationaux des énergies.

C’est ainsi que les Chinois sont devenus les premiers acheteurs de la plupart des matières

premières (acier, aluminium, cuivre, zinc, etc.) – à l’exception du pétrole, même si c’est bien

de cette source d’énergie dont il est ici question.

D’autre part, les grandes compagnies pétrolières publiques chinoises (CNPC, CNOOC,

Sinopec et PetroChina) ont fait l’objet d’une complète restructuration qui leur permet

aujourd’hui d’agir sur l’ensemble de la planète, que ce soit sur les marchés pétroliers, mais

aussi – et surtout – sur les États producteurs avec lesquels leurs représentants ont noué des

liens très étroits. Imaginées pour concurrencer les plus grandes compagnies mondiales, ces

entreprises publiques sont devenues les véritables bras armés de Pékin à l’étranger.

Il faut ainsi constater le succès de la politique de rationalisation du système énergétique,

puisque la Chine est désormais le deuxième acheteur de pétrole au monde, devant le Japon, et

derrière les États-Unis (Chapitre I).

L’initiation de la Chine à la politique extérieure est certes un phénomène récent. Il n’en

demeure pas moins que les dirigeants chinois ont donné la preuve de leur compétence, eux qui

sont parvenus à mettre en place un dispositif performant d’accès aux énergies. Cette politique

de sécurisation et de diversification des sources d’approvisionnements s’appuie sur un

volontarisme diplomatique à toute épreuve.

Or, il ne s’agit pas d’un plan d’action imaginé ex nihilo, selon une quelconque doctrine ou

vision du monde, et qui présiderait à la politique extérieure énergétique. En effet, les

exigences qui motivent la diplomatie énergétique chinoise proviennent du terrain : c’est un

fait qu’il deviendra de plus en plus difficile de se procurer du pétrole. Par conséquent, seuls

les plus puissants auront accès au précieux liquide et la Chine doit donc se mettre en capacité

d’entrer en compétition avec eux.

Il faut pour cela rompre avec une tradition autarcique en vigueur depuis le repli des

communistes opéré pendant la guerre froide : les diplomates chinois ont tout à (ré)apprendre.

Les objectifs de la politique extérieure chinoise ont donc changé de nature. Au cours de la

guerre froide, le désir de devenir le leader du Tiers Monde était le plus fort. Aujourd’hui, il

s’agit d’étendre « ses sphères d’influence et [d’] assurer un accès aux énergies et matières

premières à travers la diplomatie, l’investissement et le commerce »11.

Bien qu’elle soit désormais contrainte de s’ouvrir, la Chine s’avère très entreprenante,

cherchant à s’associer à tout interlocuteur capable de lui fournir un accès direct et exclusif au

11 THOMSON Drew, « Economic Growth and Soft Power : China’s Africa Strategy », China Brief, IV (24), décembre 2004, pp. 3-5.

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pétrole. C’est cette dynamique qui lie ouverture diplomatique et politique énergétique que

nous qualifierons de « pétrodiplomatie ». En effet, c’est l’application de cette pétrodiplomatie

qui va non seulement permettre à la Chine de satisfaire ses besoins énergétiques, mais

également lui conférer le statut de véritable puissance de premier rang, dont les intérêts sont

représentés partout sur la planète. Pékin accroît ainsi l’envergure de son influence

géostratégique, notamment auprès de certains États, comme le Soudan, qui sont quasiment

devenus ses vassaux (Chapitre II).

Cette politique entraîne de nombreuses critiques qui portent aussi bien sur les atteintes à la

bonne gouvernance dans les États producteurs, que sur les conséquences de la soif pétrolière

de la Chine, ou même encore sur les menaces que fait peser la pétrodiplomatie chinoise sur la

sécurité internationale.

En réalité, il convient de nuancer les accusations de déstabilisation de la sécurité

énergétique mondiale. En effet, les nombreux investissements de la Chine dans les secteurs

énergétiques de nombreux États sont bénéfiques pour l’approvisionnement global, notamment

en pétrole. La Chine construit des oléoducs, des gazoducs, des terminaux pétroliers, etc. et va

même jusqu’à générer une activité pétrolière dans des États qui en étaient dépourvus (c’est le

cas au Soudan).

De même, les investissements massifs réalisés sur les territoires de ses alliés ne doivent

pas être considérés comme contreproductifs. Les Chinois ont créé un modèle de coopération

concurrent au modèle occidental, fortement conditionné. Les États en marge du système

international trouvent avec la Chine l’occasion de réaliser ce qui est finalement la priorité

numéro un : le développement. La Russie, l’Iran, le Soudan, le Nigeria, l’Angola, le Pérou, le

Kazakhstan, l’Ouzbékistan et bien d’autres ont beaucoup à gagner à s’attirer les faveurs de

Pékin.

Mais c’est surtout le thème de la confrontation entre la Chine et les États-Unis, ces « deux

géants aux appétits d’ogre »12 qui revient dans les discours, sur fond de guerre froide

énergétique. Or, nous montrerons que ce débat a des effets structurants sur l’image d’une

Chine puissante. En effet, la comparaison avec les États-Unis façonne les perceptions de

l’ensemble des acteurs de la scène internationale, même si l’analogie a ses limites. En effet, la

Chine est très loin de disposer de la capacité de projection et de dissuasion militaires des

États-Unis.

12 ADÈS Didier et DAMBERT Dominique, « Rue des entrepreneurs : Pétrole, l’excrément du diable », France Inter, 29 avril 2006.

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Quoi qu’il en soit, les diplomates chinois doivent faire face à l’ensemble de ces

perceptions très angoissées et négatives à l’égard de l’Empire du Milieu. Mais c’est en

cherchant à rétroagir sur cette image que Pékin trouve des ressources capables de faire

accepter son inévitable accession au leadership mondial. Ce travail conceptuel prend la forme

de la stratégie de « développement pacifique », qui correspond certes à un référentiel

diplomatique auquel toute action internationale doit être rapportée, mais également à une

stratégie de puissance fondée sur le constat de l’inévitable leadership chinois. Or, ce qui aurait

été impensable il y a seulement cinq ans a été justement permis par la conduite d’une

politique extérieure énergétique efficace et de dimension mondiale, conjuguée à un travail sur

les perceptions très intéressant et opératoire (Chapitre III).

Dans les années 1970, le Premier ministre chinois Zhou Enlai avait annoncé que la Chine

serait « un État socialiste puissant à la fin du siècle »13. De toute évidence – et à quelques

années près – Zhou avait raison.

13 JOYAUX, Op. cit.

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Chapitre IUn cadre d’élaboration stratégique très étroit

Les perceptions qu’ont les acteurs de la structure internationale des relations énergétiques s’élaborent dans un cadre complexe caractérisé par la confusion : confusion sur l’avenir des relations énergétiques et confusion sur les conséquences réelles du développement chinois.

Le contexte actuel des relations énergétiques mondiales est donc marqué par une grande incertitude que devra résoudre la Chine pour faire face aux énormes besoins énergétiques d’un développement économique sans précédent (I). Cela ne pourra se faire sans une réforme complète du système énergétique national (II). La Chine souhaite en effet se donner les moyens de conduire une véritable politique énergétique ; une rationalisation du système énergétique chinois a donc été engagée qui porte aujourd’hui ses fruits (III) : le nouveau cadre de définition de la politique extérieure énergétique de la Chine est désormais en mesure de répondre avec succès aux épreuves qui se proposent à Pékin (IV).

I Le défi chinois

Il s’agit donc d’évoluer au sein de relations énergétiques mondiales très tendues (A) sans perdre de vue les objectifs de développement économique (B). Le défi chinois consiste à accorder ces contraintes exogènes et endogènes.

A Une situation internationale du pétrole complexe à l’avenir incertain

Il s’agit ici de montrer qu’il y a un lien évident entre la situation énergétique mondiale et les perceptions qui structurent les politiques étrangères. Or, s’il existe une source d’énergie particulièrement stratégique, c’est bien le pétrole. Car il est vrai que dans une certaine mesure, « le pétrole est la clé du monde contemporain, depuis toujours »14. La situation internationale du pétrole peut ainsi être caractérisée par trois phénomènes : une demande croissante, des réserves limitées et une implication grandissante de nouveaux acteurs.14 LAURENT Éric in. « Tout le monde en parle », France 2, 1er avril 2006.

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L’apparition de nouveaux acteurs reconfigure les relations énergétiques mondiales, provoquant la fébrilité des marchés pétroliers (A). Mais l’incertitude provient avant tout des différentes approches de l’avenir de la production mondiale (B), ainsi que des intentions d’un nouvel acteur pétrolier de premier plan : la Chine (C).

1 Croissance de la demande et tension du marché international du pétrole

L’accroissement de la demande mondiale récemment observé est le phénomène le plus spectaculaire des relations énergétiques mondiales. Si l’analyse ne saurait se limiter à la constatation de cette évolution (a), elle ne saurait non plus s’en passer pour comprendre les tensions qui gagnent les marchés (b).

a Augmentation de la demande mondialeLes 85 millions de barils consommés chaque jour en 2005 l’ont principalement été dans

les États les plus développés. Les États-Unis représentent 25 % de la demande mondiale en pétrole et en gaz15. L’Union européenne compte elle pour 25,4 % de la demande en pétrole et 41,2 % de la demande en gaz. À eux seuls, les Américains et les Européens consomment 24 millions de barils par jour16.

Certaines régions du globe accèdent cependant à un niveau de développement suffisant pour devenir des acteurs de plus en plus influents des relations internationales énergétiques, qui se voient ainsi restructurées.

En 2006, les États d’Asie correspondent à 30 % de la demande en pétrole et en gaz et à un tiers de la production mondiale de pétrole17. Daniel Yergin remarque ainsi que « le centre de gravité du pétrole est en train de changer. [En 2004], l’Asie a consommé plus de pétrole que l’Amérique du Nord »18. Or, la Chine est l’État le plus concerné par ce changement de statut : elle est devenue l’un des plus gros clients pour le pétrole mondial. Conjugué à la hausse des prix du pétrole, ce phénomène est particulièrement déterminant.

15 Le lien entre productions pétrolière et gazière est des plus étroits. En revanche, si 65 % de la production gazière est concernée par une baisse, M. Simmons estime que 98 % des réserves mondiales en gaz naturel n’ont pas été exploitées ; le cas du pétrole est tout à fait différent (SIMMONS Mathew R., China and Energy : Two Powerful Forces That Will Unite Or Collide, Institute for Geopolitics and Energy Economics of Shanghai, juin 2004, 48 p.).16 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.17 « La demande mondiale en énergie », Euronews, 16 mars 2006.18 SMITH Brian, « China’s Growing Trade With Africa Indicative of Sino-Western Energy Conflicts », World Socialist Web Site, 24 janvier 2006 : www.asiantribune.com/show_article.php?id=2975

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b Tensions sur le marché international du pétrolePour la plupart des observateurs, la forte demande en pétrole observée en 2004 marque un

réel tournant dans l’approche des perspectives du marché. En effet, la part de la Chine et du reste du monde augmente alors brutalement, surprenant la plupart des experts. Ceux-ci prévoient pourtant un tassement pour les années 2005 et 2006 ; ils jugent en effet que l’augmentation de la demande, notamment la demande chinoise, est conjoncturelle et non pas structurelle. De ce point de vue, l’année 2004 serait une « anomalie » qui ne doit pas prêter à tirer des conclusions trop alarmistes quant à une éventuelle aggravation de la tension sur les marchés du pétrole19 (cf. Annexe 3).

Il faut savoir que 60 % du pétrole échangé dans le monde provient des marchés internationaux20. Dans ce contexte, le prix du pétrole est un phénomène très structurant des relations énergétiques mondiales. Pour Daniel Yergin, la hausse des prix du pétrole est principalement due à la « prime à la peur » que l’on paye depuis que l’instabilité au Moyen-Orient s’est accentuée avec l’intervention américaine en Irak21. Or, le contexte actuel du marché du pétrole, notamment l’explosion de la demande, provoque une incertitude très forte et, partant, des pronostics variés portant sur l’évolution des prix : choc ou chute.

Rendue en 2004, une étude officielle tablait avec optimisme sur un rééquilibrage imminent de l’offre et de la demande, après un pic d’environ 30 dollars le baril. Avec un cours qui frôle aujourd’hui les 75 dollars, on peut suspecter les informations officielles fournies par l’administration américaine d’être, sinon manipulées, tout du moins « idéologisées »22. Certains experts pensent pour leur part que le baril aura franchi le seuil de 100 dollars entre décembre 2006 et 200823. Enfin, le graphique reproduit en Annexe 4 montre qu’une fois franchi un certain niveau de production (73 millions de barils par jour), le coût de production du pétrole augmente de manière exponentielle, c’est-à-dire non maîtrisée. Mais cette disparité dans les prévisions ne porte pas que sur le coût de l’approvisionnement.

2 Quel avenir pour le pétrole ? Prospective variable

En réalité, la plupart des analyses prospectives se fondent sur des conceptions variables de l’état des réserves pétrolières. Optimistes et pessimistes s’affrontent sur la date du fameux Pic

19 Short-Term Energy Outlook, US Department of Energy, Energy Intelligence Agency, février 2005.20 ANGELIER Jean-Pierre, « L’impact de la croissance chinoise sur les marchés mondiaux de matières premières », Politique étrangère, n°2, été 2004, pp. 317-330.21 YERGIN, Op. cit. p. 11.22 HACKWORTH John et SHORE Joanne, World Petroleum Market Changes and Impact on US, US Department of Energy, octobre 2004, 40 p.23 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.

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Hubert24 (1), il y a unanimité sur le fait que la production telle qu’elle est organisée aujourd’hui ne permettra pas de faire face à une explosion des besoins (2).

a Incertitudes sur l’avenir de la productionPour combien de temps disposerons-nous encore de pétrole ? Le Département américain

de l’Énergie rappelle que la localisation du pic de la production mondiale dépend avant tout de l’estimation globale des réserves prouvées. Or, celle-ci évolue constamment : 600 milliards de barils au début des années 1940, 3 900 milliards aujourd’hui, selon l’estimation de l’US Geological Survey (USGS). Cet organisme officiel a établi douze scénarios selon les différentes estimations des réserves et de la croissance de la production mondiales (cf. Annexe 5, tableau 1). L’USGS localise ainsi le pic de la production mondiale plutôt vers la fin d’une fourchette allant de 2021 à 2112 ! Par exemple, avec une croissance de la production de 2 % et des réserves de 3 003 milliards de barils, le pic sera atteint en 203725.

Les estimations officielles américaines sont donc très optimistes, certains analystes estimant que le pic a été franchi en 2004 (cf. Annexe 5, tableau 2). Aux États-Unis, ce pic a d’ailleurs déjà été franchi… en 1970.

A ce sujet – et à rebours de la pensée pessimiste de l’Américain Jeremy Rifkin26 – Daniel Yergin plaisante : « vous savez, on manque de pétrole depuis 1880, quand l’un des fondateurs de Standard Oil a revendu ses parts en déclarant qu’on ne trouverait jamais de pétrole en dehors de la Pennsylvanie ! Plus sérieusement, l'histoire du pétrole est celle du développement de la société moderne »27, et les avancées technologiques permettent d’augmenter régulièrement le volume des réserves exploitables. Cependant, lorsqu’on voit de quelle manière les compagnies pétrolières utilisent actuellement leurs bénéfices, il est permis de douter de la durabilité de ce raisonnement28. Quoi qu’il en soit, M. Yergin reste persuadé que « quand le déclin se produira, il est certain qu'une nouvelle énergie prendra le relais. Laquelle ? ». Personne ne le sait.

En effet, aucune énergie de substitution n’existe encore qui soit capable de remplacer le pétrole, notamment dans les transports. Il est donc faux de dire que l’augmentation brutale des prix du pétrole finira par faire décliner la demande, et donc la consommation.

Une hausse importante des coûts de production – et donc des prix du pétrole – est ainsi à prévoir, c’est ce que M. Simmons qualifie de « vrai choc pétrolier ». Une manière d’éviter ce

24 Concept selon lequel à partir d’une certaine date non indentifiée, la production de pétrole ne fera que décliner.25 Long Term World Oil Supply (A Resource Base – Production Path Analysis), US Department of Energy, avril 2000, 20 p.26 RIFKIN Jeremy, L’Économie hydrogène, Paris, La Découverte, 2002, 330 p.27 YERGIN, Op. cit.28 Ainsi le français Total est-il accusé d’affecter une grande part de ses bénéfices au rachat de ses propres actions au lieu d’investir massivement dans la recherche de nouvelles sources et méthodes d’approvisionnement.

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choc serait avant tout de réduire la part des transports dans la consommation mondiale de pétrole, qu’il estime à 70 % (ferroutage, nouveaux carburants, travail à domicile et non au bureau, etc.). Il serait également indispensable de lever tous les obstacles à la découverte de nouveaux gisements ; il cite le cas du pétrole d’Alaska dont les écologistes contraignent l’exploitation.

On voit bien que les analyses débouchent à des conclusions différentes selon que leurs auteurs soient optimistes ou non sur l’avenir du pétrole. Il existe pourtant des points de convergence entre toutes ces théories ; elles concernent l’état des réserves des principaux fournisseurs actuels.

b Stagnation de la production et éclatement de la demandeLa question de l’avenir de la production est donc posée, la plupart des fournisseurs

traditionnels voyant leur production entamer une dynamique de déclin29. Seuls la Norvège et Oman voient croître leurs capacités productives, alors que l’incertitude demeure sur le Moyen-Orient30.

Il existe un consensus sur le constat qu’aucun champ de pétrole géant ne sera plus jamais découvert. Or, c’est sur ce type de champ qu’une grande partie de notre consommation s’appuie aujourd’hui31. En effets, les champs subvenant à la consommation mondiale obéissent à une logique de « pyramide inversée » (cf. Annexe 6) : 53 % de cette consommation est assurée par plus de 5 000 « petits » champs. Au contraire, 20 % du pétrole consommé dans le monde provient de 14 champs pétroliers géants.

Éric Laurent rapporte des propos de Fatih Birol, chef économiste de l’Agence internationale de l’Énergie (AIE), une institution pourtant très optimiste quand à l’avenir du pétrole. Selon lui, à moins que l’Arabie saoudite parvienne à produire 3 millions de barils de pétrole par jour supplémentaires, on ne pourra éviter la « catastrophe ». Beaucoup d’experts estiment que cette éventualité est tout simplement inenvisageable, même pour 300 000 barils par jour32. 90 % de la production pétrolière saoudienne provient de cinq champs vieillissants dont on voit mal comment l’on pourrait augmenter le rendement. De plus, Éric Laurent affirme qu’il ne reste que trois ou quatre ans de réserves en pétrole à l’Arabie saoudite ; la dernière découverte importante dans ce pays remontant à 1973. La situation de l’Arabie saoudite serait donc « complètement artificielle ». Il cite l’exemple du plus grand champ pétrolier au monde, le champ de Ghawar (280 km sur 30), qui fonctionne aujourd’hui grâce à

29 Il cite les États-Unis, le Venezuela, l’Iran, la Russie, l’Indonésie, l’Argentine, la Colombie, l’Égypte, le Cameroun et l’Inde.30 SIMMONS, Op. cit. p. 19.31 LAURENT, Op. cit.32 Ibid.

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un coûteux mécanisme d’injection quotidienne de 7 millions de mètres cubes d’eau. Au final, 100 milliards de barils de pétrole saoudien a déjà été extraits. Éric Laurent estime qu’il n’en reste qu’une cinquantaine.

Pour lui, « c’est la première fois [que] l’on se trouve dans une situation où le déclin […] marqué de la production et des réserves coïncide avec une […] formidable explosion de la demande et de la consommation mondiales », citant notamment la Chine. Il déclare que pour six barils consommés, un seul est découvert. Les dix premières compagnies pétrolières n’ont trouvé que 4 milliards de dollars de pétrole pour 11 milliards investis en 2005 dans la recherche de nouveaux gisements.

En 1999, Mark Hertsgaard promettait dans Time : « les humains auront à leur disposition autant d’essence qu’il pourront en brûler au cours du XXIème siècle »33. Quiconque déclarerait cela aujourd’hui passerait pour un inconscient. Le même magazine a d’ailleurs récemment fait état des prévisions selon lesquelles la consommation pétrolière mondiale se situerait entre 120 et 130 millions de barils par jour d’ici 2025 à 203034. L’émergence de nouveaux acteurs expliquerait cette flambée de la demande. Mais quelle est la responsabilité de la Chine ?

3 L’implication croissante de la Chine sur les enjeux pétroliers

Daniel Yergin constate qu’ « il est impossible de prévoir les réactions de la Chine et de l'Inde, qui sont devenus des marchés très importants pour le pétrole et ne disposent pas de stocks d'urgence. Ces États ne sont pas membres de l’AIE et leur comportement, en cas de crise, pourrait s’avérer crucial »35. En cas de risque de pénurie, « ils pourraient devenir très nerveux et provoquer un début d’affolement, qui ne ferait qu’aggraver la situation ». Pour cette raison, l’avenir du marché international du pétrole, très sensible aux « réaction[s] émotionnelle[s] » des opérateurs qui y interagissent, est marqué par une incertitude durable : « il faut s’attendre à tout ».

Alors qu’entre 1980 et 1990, la Chine ne comptait que pour 15 % de la croissance de la demande énergétique mondiale, cette part monte à 52 % entre 2001 et 2004 (cf. Annexe 7). Cependant, pour Jeffrey Logan, de l’AIE, « il n’est ni juste ni exact de blâmer la Chine pour [être à l’origine de] la majeure partie de la hausse des prix du pétrole »36. La situation dramatique de l’Irak, les conflits au Nigeria, les ouragans du Golfe du Mexique, sont autant de contraintes qui pèsent lourdement sur les cours.

33 HERTSGAARD Mark, « Will We Run Out of Gas ? », Time, 8 novembre 1999.34 SIMMONS Matthew, « The Real Oil Shock », Time, 18 septembre 2005.35 YERGIN, Op. cit.36 FORNEY Matthew, « China’s Quest for Oil », Time, 18 octobre 2004.

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Dans un registre plus scientifique, John Hackworth et Joanne Shore, ont en effet évalué pour l’administration américaine de l’énergie les dynamiques qui affectent l’évolution des prix du pétrole37. Les principales variables reposent sur les incertitudes qui pèsent sur le maintien d’un surplus de la production (en chute libre), la capacité mondiale de raffinage (stagnante) et l’état des réserves prouvées (incertain). Mais c’est également la qualité de plus en plus mauvaise du pétrole extrait qui devrait peser sur les cours.

Évidemment, la Chine et l’Inde ne sont pas absentes de cette analyse. Les experts invitent cependant à ne pas dramatiser, notamment car les deux puissances émergentes permettent un accroissement des capacités de raffinage, et elles investissent massivement dans l’exploration (et influent donc sur la production et les réserves).

D’autres chiffrent exactement la part de la Chine dans l’augmentation des prix du pétrole : pour l’année 2004, les estimations vont de 3338 à 40 %39. Certains raisonnent enfin par l’absurde : pour Bo Lin, spécialiste de l’énergie à la Banque asiatique de développement (BAD), « plus d’un milliard de Chinois sont en train de rejoindre le marché du pétrole. Comment les prix peuvent-ils baisser ? »40.

Quoi qu’il en soit, la Chine est le premier de ces nouveaux acteurs de poids qui sont apparus sur le marché du pétrole. Et elle a parfaitement compris que « sur ce marché-là, il ne suffit pas de payer pour être servi »41. C’est pour faire face à ses énormes besoins que la Chine va devoir élaborer une véritable stratégie mondiale.

B Alimenter l’extraordinaire croissance chinoise

La complexité de la situation pétrolière internationale prend toute son importance quand on se rend compte des besoins énergétiques de la Chine. La croissance du produit intérieur brut (PIB) chinois sur les 25 dernières années est en effet impressionnante (cf. Annexe 8) et dépasse régulièrement les 6 %. Elle ne cesse de grimper depuis le début des années 2000, pour atteindre 9,9 % en 2005. Ce chiffre ne satisfait pas pour autant les attentes des dirigeants chinois, qui estiment que « la Chine se trouve [encore] cent ans en arrière des pays développés »42. Les chiffres de l’économie chinoise sont néanmoins excellents (cf. Annexe 9), et feraient pavoiser n’importe quel gouvernement de la planète. Certains pensent bien que cela

37 HACKWORTH & SHORE, Op. cit.38 FORNEY, Op, cit.39 YI Xiaoxiong, « Chinese Foreign Policy in Transition : Understanding China’s “Peaceful Development” », The Journal of East Asian Affairs, XIX (1), printemps-été 2005, pp. 74-112.40 FORNEY, Op, cit.41 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.42 BUABENG C. S., « Africa-China Trade Deepens », Accra, Daily Graphic, 16 mars 2006.

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finira par s’arrêter. Il faut pourtant comprendre que cette formidable croissance (1) obéit à des tendances lourdes (2).

1 Comprendre pourquoi et comment la Chine se développe

Pourquoi un tel développement ? Il y a certes un effet de rattrapage de l’économie chinoise, mais il ne suffit pas à expliquer les résultats-records qu’enregistre la Chine année après année.

On attribue à la « politique de réforme et d’ouverture » la paternité de cette exceptionnelle croissance, c’est-à-dire l’effet des réformes structurelles réalisées dans le secteur industriel à partir de la fin des années 1970 et au cours des années 198043.

Les réformes économiques ont donc été lancées à partir de 197944, avec des privatisations, l’ouverture de certains marchés, etc. Elles ont notamment porté sur l’abandon du contrôle des prix, l’extension de la propriété privée et une intégration accrue aux règles du droit commercial international. Cette politique de réforme et d’ouverture a entraîné un exode rural massif et la constitution d’une véritable classe moyenne capable de porter la consommation chinoise. Le PIB par habitant a augmenté de 450 % en Chine entre 1980 et 200245, contre 50 % aux États-Unis46. Mais on assiste aussi à un accroissement des écarts entre plus riches et plus pauvres47. Devant les étudiants de Harvard, le Premier ministre chinois Wen Jiabao concède d’ailleurs qu’il est « extrêmement difficile en Chine de combiner le développement, les réformes et la stabilité »48. Quoi qu’il en soit, l’économie chinoise gagne constamment en importance, et s’intègre davantage au reste de l’économie mondiale.

2 L’ouverture économique de la Chine : une tendance lourde

Érik Izraelewicz explique que « si le PIB [de la Chine] a progressé chaque année en moyenne de 8 % ou 9 %, les ventes chinoises à l'étranger ont, pour leur part, augmenté de quelque 17 % l’an ! En 1978, la Chine vivait en autarcie : peu de marchandises en sortaient, peu y entraient. [25 ans] plus tard, elle est une économie ouverte : elle inonde le monde de 43 AUSTIN Angie, Energy and Power in China – Domestic Regulation and Foreign Policy, London, Foreign Policy Centre, avril 2005, 38 p.44 MEIDAN Michal et NOËL Pierre, L’approvisionnement énergétique de la Chine. Marchés et politiques, IFRI, juillet 2005, 19 p.45 Ce qui représente une croissance moyenne annuelle de plus de 8 %.46 MEIDAN & NOËL, Op. cit.47 « It’s Heating Up in China », The Times, 10 mars 2006.48 « Remarks of Chinese Premier Wen Jiabao : “Turning Your Eyes to China” », Harvard Gazette, 10 décembre 2003.

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ses fabrications et accueille dans ses boutiques les marques étrangères. L’Empire exportait 2,5 % de sa production au temps de Mao, plus de 22 % [en 2005] ! Son poids dans les exportations mondiales est passé de 1 % à peine à la fin des années 1970 à près de 7 % en 2004 : il est devenu l’un des principaux exportateurs mondiaux – au troisième ou quatrième rang, selon les années, toujours derrière l’Allemagne et les États-Unis »49. Mais pour combien de temps encore ?

Le mouvement d’intégration de la Chine aux échanges mondiaux est ainsi en forte progression (cf. Annexe 10). Pour Agnès Bénassy-Quéré et Amina Larèche Révil, « les progrès de l’ouverture économique se mesurent à l’augmentation du poids des exportations dans le produit intérieur brut (PIB), passé de 6 % en 1980 à 26 % en 2002 ». La part de la Chine « dans les exportations mondiales a plus que quintuplé depuis 1980 pour atteindre plus de 5 % en 2002 ».

On observe bien que la balance commerciale chinoise est de moins en moins bénéficiaire, ce qui est lié à l’accroissement supérieur des importations par rapport aux exportations. L’excédent commercial de la Chine a ainsi baissé entre 2002 et 200350, donnant des arguments aux avocats d’une libéralisation plus progressive. Mais la réalité est là : la Chine n’a pas fini de se développer, comme en attestent certaines tendances lourdes.

En effet, l’investissement direct étranger (IDE) est le principal vecteur de la croissance chinoise dans les années 1990 ; « entre 1990 et 2002 plus de 420 milliards de dollars, soit 6 % des flux mondiaux et près du quart des flux destinés aux pays en développement. Une des motivations des investisseurs a été la création de bases d’exportation sur le continent, et les filiales étrangères sont actuellement responsables de plus de la moitié des exportations chinoises »51. Cette croissance profite donc aussi aux entreprises étrangères.

Or, il se trouve que les perspectives de croissance industrielle mondiale sont énormes, et elles devraient évidemment profiter à la Chine. En effet, pour plus de 6 milliards d’habitants il n’y a qu’un milliard de téléviseurs, 600 millions de voitures, 480 millions de téléphones portables ou encore 350 millions d’ordinateurs52 : beaucoup de biens restent à produire.

Une population capable de consommer, une économie intégrée aux échanges mondiaux et une croissance économique sans précédent à cette échelle sont autant d’éléments qui, conjugués à la complexité de la situation énergétique internationale, forment un des plus grands défis que les dirigeants chinois ont jamais eu à relever dans leur longue histoire. Mais de quelles armes ces derniers disposent-ils réellement ?

49 IZRAELEWICZ Érik, « L’Économie chinoise à l’assaut du monde », Politique internationale, n°107, printemps 2005, pp. 341-352.50 BÉNASSY-QUÉRÉ Agnès, LARÈCHE-RÉVIL Amina et LEMOINE Françoise, « Changement et continuité : le régime de change de la Chine », Politique étrangère, n°2, été 2004, pp. 285-297.51 Ibid.52 SIMMONS, Op. cit. p. 19.

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II Rationalisation du système énergétique chinois

Conséquence du développement économique, la consommation de la Chine en énergie a cru de 23 % en 2002, puis de 15 % en 2003 et 200453. Nombreux sont ceux qui s’affolent devant de tels indicateurs, perdant leurs repères et « idéologisant » leur discours. En réalité, c’est la première fois que les analystes se retrouvent confrontés à une évolution aussi brutale des relations énergétiques mondiales. De plus, le système énergétique chinois dispose de quelques particularités qui viennent un peu plus compliquer la compréhension. Il faut pourtant examiner la réalité d’un système très contraint, notamment dans sa structure.

En effet, l’économie chinoise repose encore sur le charbon (A), même si des efforts sont faits pour améliorer l’efficacité énergétique en privilégiant la production domestique d’énergies (B). En ce qui concerne le pétrole, Pékin affole les statistiques, mais aussi les observateurs qui rivalisent de pronostics pessimistes pour les années à venir (C). Nous verrons enfin que l’analyse doit en priorité porter sur la dépendance pétrolière accrue de la Chine (D).

A Un système énergétique dominé par le charbon

Le charbon occupe encore une place majeure dans la consommation nationale d’énergie (1). Cela est lié à une tradition d’autonomie énergétique qui a caractérisé la Chine jusqu’à ce qu’elle ait besoin d’autres énergies pour assurer son développement. Il s’agit aujourd’hui d’adapter ce secteur aux nouvelles contraintes énergétiques (2).

1 Un géant fait de charbon

Plus des deux tiers des besoins chinois en énergie sont encore couverts par le charbon (cf. Annexes 11 et 12), la Chine étant considérée comme la détentrice des réserves les plus importantes au monde pour ce combustible54. Les réserves chinoises en charbon sont évaluées en 2002 à 114,5 milliards de tonnes, soit 76,7 milliards de tep. On voit que l’excédent de production de charbon a été multiplié par plus de 6 entre 1994 et 2002, pour atteindre

53 MEIDAN & NOËL, Op. cit.54 FORNEY, Op, cit.

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60 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep). Les deux tiers du charbon produit dans le monde le sont en Chine55.

Cela n’est pas sans lien avec le souhait des dirigeants de Pékin d’intensifier la production nationale en énergie. Certains experts pensent ainsi que les énormes capacités chinoises en production de charbon seront mises à contribution dans la quête de l’autonomie énergétique. En 2004, la consommation en charbon de la Chine, soit 1,8 milliards de tonnes, équivaut à 700 millions de tonnes de pétrole. Or, selon l’AIE, la Chine comptera pour la moitié de l’augmentation de la demande mondiale en charbon pour les trente prochaines années56. La part du charbon dans la consommation énergétique de la Chine s’élève en 2001 à 57 %. Cette part devrait s’accroître au cours de la période 2001-2025 (60 %)57. Il s’ensuit qu’une tension durable est à prévoir sur les marchés internationaux du charbon.

2 Un anachronisme énergétique ?

Le problème n’est pas résolu pour autant. Une carence chronique en énergie guette la Chine. En effet, « l’assèchement de certains réservoirs alimentant des barrages hydroélectriques s'est conjugué avec une offre insuffisante de charbon (qui assure environ 70 % de la production électrique). Le déficit en charbon devrait être de 140 millions de tonnes en 2004. Afin d’y faire face, le gouvernement a décidé d'imposer des quotas à ses exportations de charbon – dont 80 % sont destinés au Japon et à la Corée du Sud »58. On rappelle que la combustion du charbon provoque d’importantes émissions en dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre (cf. Annexes 13 et 14).

Ce modèle énergétique doit donc être remis en question. En effet, l’utilisation du charbon conduit aussi à des situations pour le moins absurdes : 40 % du fret ferroviaire chinois correspond ainsi à l’approvisionnement des grandes villes en charbon59 ! Un gaspillage énorme que seul peut justifier un appétit énergétique lui aussi énorme.

Une autre situation, plus grave, n’est plus non plus soutenable : celle des conditions de travail des mineurs, en particulier dans les nombreuses exploitations privées, souvent illégales. Le New York Times s’intéressait déjà en 1995 au sort des mineurs chinois qui sont, par leur nombre et leur travail, les plus exploités du monde60. La pénibilité de leurs conditions de travail est à la mesure des besoins de la Chine, qui flirte en permanence avec le déficit

55 ANGELIER, Op. cit.56 AUSTIN, Op. cit.57 MEIDAN & NOËL, Op. cit.58 BOBIN Frédéric, « La Chine s’inquiète des risques de surchauffe de son économie », Le Monde, 27 janvier 2004.59 MEIDAN & NOËL, Op. cit.60 TYLER Patrick E., « China’s Inevitable Dilemma : Coal Equals Growth », The New York Times, 29 novembre 1995.

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énergétique : 15 mineurs meurent en moyenne chaque jour61. Cela semble être le prix à payer pour faire survivre ce mode de consommation qu’aucune autre énergie n’est encore en mesure de compenser.

B Déficits énergétiques : quelle amélioration pour l’efficacité énergétique ?

Par déficits énergétiques, on entend caractériser cette situation lacunaire qui touche l’ensemble des sources d’énergie en Chine, hormis le pétrole et le charbon. Sur la période 2001-2025, la part du pétrole dans le bilan énergétique chinois devrait diminuer (– 4 %) sous l’effet de l’augmentation de l’utilisation d’autres sources d’énergie : gaz (+ 8 %), nucléaire (+ 2%)62 (1). Mais l’accent est également mis sur les énergies renouvelables (2).

1 Rationaliser l’utilisation des énergies classiques non pétrolières

Les dirigeants chinois n’ont pas seulement entrepris l’intensification de l’utilisation du charbon. Ils comptent aussi développer les secteurs gazier (a) et nucléaire (b).

a Développer un secteur gazier inexistantLa Chine dispose de 1,3 milliards de tep de réserves en gaz naturel, selon une estimation

de 200263, ce qui représente 1 % des réserves mondiales64. Si le gaz ne représente que 2,5 % de l’énergie consommée en Chine en 2005, il est prévu que cette part atteigne 8 % en 2010 et 10 % en 202565. Les autorités ont elles annoncé leur intention de porter cette part au modeste niveau de 5 % en 2010. Pour y parvenir, un gazoduc de 4 000 km a été achevé en 2005 pour acheminer le gaz du bassin de Tarim vers les zones de consommation66.

Les investissements réalisés par la Chine dans le secteur gazier ne porteront leurs fruits qu’à partir de 2008 (cf. Annexe 15). La part du pétrole va donc mécaniquement « baisser », passant de 20 % en 2001 à 16 % en 2025. Afin de diversifier qualitativement les 61 AUSTIN, Op. cit.62 MEIDAN & NOËL, Op. cit.63 ANGELIER, Op. cit.64 AICARDI DE SAINT-PAUL, Op. cit.65 NIQUET Valérie, « La géopolitique de l’énergie en Extrême-Orient : nouvel enjeu des relations sino-japonaises ? », Politique étrangère, n°4, hiver 2005-2006, pp. 867-879.66 JAKES Susan, « Alternative Paths to Power. China’s Energy Crunch », Time, 22 novembre 2004.

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approvisionnements, il s’agit donc de créer un véritable secteur d’importation de gaz. Cet approvisionnement sera notamment assuré par l’Indonésie. L’élément à retenir est donc cette insertion accrue de la Chine sur le marché international du gaz.

b Refonder le secteur nucléaireLe secteur gazier n’est pas le seul concerné par la refonte stratégique. Le gouvernement

chinois a ainsi prévu qu’entre trente et quarante réacteurs nucléaires seraient construits avant 202067. D’ailleurs, le « japonais Toshiba, qui vient d’acquérir Westinghouse, un ancien constructeur américain de réacteur », est très présent sur le marché du nucléaire chinois68. La part du nucléaire dans la production d’énergie devrait passer de 1,2 % à 2 ou 3 % en 201069

(contre 80 % de l’électricité en France).Ainsi, Michal Meidan et Pierre Noël, de l’IFRI, estiment que « si l’on ajoute la

contribution du nucléaire et des [énergies] renouvelables, près de 70 % de la croissance de la demande primaire d’ici 2025 serait couverte par des énergies produites intégralement sur le territoire chinois »70. Mais quelle est la politique chinoise en matière d’énergies renouvelables ?

2 Le pari des énergies renouvelables

On ne peut parler d’énergies renouvelables en Chine sans évoquer le célèbre Barrage des Trois-Gorges, qui est actuellement le plus grand projet hydroélectrique au monde (cf. Annexe 16). Mais la politique appliquée en matière d’énergies renouvelables dépasse ce seul projet.

En effet, le premier producteur mondial d’énergies renouvelables est bien la Chine, avec 37 000 mégawatts. Mais c’est par obligation que Pékin se retrouve leader en ce domaine. La Chine a encore une grande marge de progression en matière d’efficacité énergétique. Par exemple, « pour produire 1 euro de richesse, il faut cinq fois plus d'énergie en Chine qu'en Europe, et neuf fois plus qu'au Japon »71. Et afin de limiter la dépendance au charbon. 60 milliards de dollars vont être investis dans les énergies renouvelables (et le secteur nucléaire) en quinze ans.

67 MEIDAN & NOËL, Op. cit.68 FREDET Jean-Gabriel, « Pétrole, l’arme fatale », Le Nouvel observateur, 9 février 2006.69 JAKES, Op. cit.70 MEIDAN & NOËL, Op. cit.71 DELBECQ Denis, « La Chine carbure aussi au vert », Libération, 14 janvier 2006.

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Les dirigeants chinois ont ainsi « fait voter un texte, entré en vigueur le 1er janvier [2006], lequel fixe toute une série d’objectifs de production d'électricité d'origine renouvelable, dont la part doit doubler, jusqu'à 10 %, d'ici à 2010. Avant de se hisser à 12 % une décennie plus tard. Ce qui représente une capacité installée de 120 000 mégawatts dans quinze ans, dont 20 000 tirés du vent. L’objectif pourrait même être doublé selon les industriels chinois de l’éolien, qui n’hésitent pas à affirmer […] que la Chine pourrait installer 400 000 mégawatts de fermes éoliennes d'ici à 2050 ».

Optimiste, le journaliste Denis Delbecq conclut que l’ « appétit contraint [de la Chine dans les énergies non pétrolières] apporte au moins une bonne nouvelle : les investissements dans les énergies propres seront si importants qu'ils vont bouleverser la donne économique : à cette échelle, la baisse du prix des équipements devrait s'accélérer et rendre le vent et le soleil plus compétitifs face aux énergies fossiles. En Chine, mais aussi ailleurs ». France Matin rapporte que « la China Energy Conservation Investment Corp. [(CECIC)], une des principales entreprises publiques chinoises du secteur [des énergies renouvelables], prévoit de construire dans tous le pays des centrales électriques exploitant l’énergie éolienne, la biomasse (déchets végétaux et animaux) et le biogaz (fermentation des déchets organiques) »72 dans le cadre de cette loi sur les énergies renouvelables. À l’horizon 2020, la Chine compte ainsi augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation nationale d’énergie de 7 à 15 %.

Cette politique est plus une nécessité qu’une ambition écologiste. Mais suffira-t-elle à compenser l’utilisation des énergies « non renouvelables » ? Rien n’est moins sûr. Certes, la production chinoise en énergie devrait croître moins fortement à partir de 2011. Et si les besoins énergétiques vont eux continuer à croître régulièrement, la part des importations en pétrole et en gaz est amenée à progresser plus rapidement (cf. Annexe 17). Cela pose le problème de la consommation chinoise en pétrole.

C Analyse de la consommation pétrolière chinoise

Comme c’est le cas sur le pétrole, l’unanimité est réelle quant au constat, mais les prévisions varient selon les interprétations de la situation. La Chine consomme beaucoup, et elle consomme de plus en plus (1) ; mais il est impossible de dire exactement quelles en seront les conséquences sur la structure énergétique mondiale (2).

72 « La Chine s’intéresse aux énergies renouvelables », France Matin, consultée le 24 janvier 2006 : www.francematin.info/La-Chine-s-interesse-aux-energies-renouvelables_a2979.html

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1 Explosion de la consommation

La consommation de la Chine est passée de 6,3 millions de barils par jour en 2003 à 6,8 millions en 200473. C’est, devant le Japon et derrière les États-Unis, la consommation la plus importante de la planète. Le correspondant de Time à Pékin, Matthew Forney, rappelle que « les importations de la Chine en pétrole ont doublé au cours des cinq dernières années et ont augmenté de presque 40 % dans la seule première moitié de 2004 »74.

Et pour cause : les besoins énergétiques chinois reposent sur deux postes de consommation en forte croissance : l’industrie et les conséquences de l’urbanisation (fourniture électrique des agglomérations et transports).

Les Chinois semblent s’aligner sur le mode de vie des pays développés. Il est prédit qu’en 2010, la Chine disposera d’un parc automobile 90 fois supérieur à l’année 1990, et représentera 11 % du marché mondial en 2015 (cf. Annexe 18). En 2030, il y aura plus de voitures en Chine qu’aux États-Unis75.

Or, selon l’Agence américaine de l’énergie, « si les Chinois et les Indiens augmentent leur consommation pour passer de 2 à 4 barils par an et par personne, la demande mondiale augmentera de 85 millions de barils par jour, soit l'équivalent de l'ensemble de la production mondiale actuelle »76. Mais qu’en est-il réellement ? Si tous les experts s’accordent sur le phénomène d’augmentation de la consommation chinoise, ils se démarquent les uns des autres quand il s’agit d’émettre des prévisions.

2 Rivalité des scénarios pessimistes

Les premiers pronostiqueurs se fondent sur une augmentation régulière sur le rythme actuel. M. Forney indique ainsi que « sur le long terme, les experts disent que l’appétit de la Chine pour l’énergie ne fera que continuer à grandir. Si sa demande continue à augmenter à un taux moyen de 7 %, comme [c’est le cas] depuis 1990, le pays consommera dans moins de vingt ans 21 millions de barils par jour – atteignant la consommation actuelle des États-Unis »77. Plus flous, d’autres pensent simplement que « d’ici 2025, […] la consommation chinoise en hydrocarbures devrait doubler »78 ou encore que la Chine comptera pour « un

73 NIQUET, Op. cit. p. 29.74 FORNEY, Op, cit.75 SMITH, Op. cit.76 FREDET, Op. cit.77 FORNEY, Op, cit.78 GRANGEREAU Philippe, « La Chine fait son marché en Afrique », Libération, 27 avril 2006.

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quart » de l’augmentation de la demande mondiale en énergie pour les trente prochaines années79.

Mais les calculs les plus pessimistes sont le résultat de la prise en compte de facteurs qui ne sont pas que statistiques : « quatrième puissance de la planète, deuxième consommateur de pétrole juste derrière les États-Unis, la Chine ne peut vivre sans cet or noir dont ses besoins ont fait exploser les cours. Avec une demande qui croît au rythme de 15 % l'an80, l'Empire du Milieu […] pourrait doubler la consommation américaine dans la prochaine décennie »81. Selon la conception que l’on a de la capacité régulatrice de l’économie chinoise, le constat sera donc plus ou moins alarmiste.

Il ne s’agit certes que d’un échantillon des discours sur la consommation pétrolière chinoise, mais il est représentatif d’une variété de perceptions elle-même provoquée par une situation économique inédite. En effet, la croissance de la consommation chinoise en énergie suit une évolution exponentielle jusqu’en 2003, ce qui donne à penser qu’elle n’est pas contrôlée et permet donc tous les scénarios82. Mais cela ne devrait en réalité pas durer. L’évolution de la croissance de la demande pétrolière devrait rejoindre un rythme régulier – et donc prévisible – à partir des années 2010 (cf. Annexe 19). À terme, la part de la Chine dans la consommation mondiale d’énergies rattrapera sa proportion dans la population mondiale, autour de 20 %83. Ainsi, si la demande chinoise croît plus fortement et rapidement que les demandes américaine et européenne, cela reste dans des proportions tout à fait acceptables (cf. Annexe 20).

Il faut en outre savoir que la consommation énergétique par habitant a augmenté de 90 % entre 1980 et 2002, alors que ce chiffre n’est que de 20 % en Europe et que les États-Unis – contrairement aux idées reçues – consomment autant d’énergie par habitant depuis 198084. Mais il n’y a pas lieu de dramatiser cette situation. En effet, « en retenant une hypothèse de croissance moyenne de 7,8 % par an pour la période 2000-2015, l’intensité énergétique85 de l’économie chinoise devant baisser fortement, la demande d’énergie du pays s’élèverait de 3,3 % par an » en moyenne86, ce qui n’a finalement rien d’inquiétant. Notre terrain d’investigation doit donc moins considérer la consommation pétrolière elle-même que la dépendance énergétique accrue de la Chine.79 AUSTIN, Op. cit.80 Ce chiffre correspond à une période très courte, alors que la statistique précédente (+ 7 % en moyenne depuis 1990) paraît plus sérieux. On voit bien que dans ce débat, l’instrumentalisation des statistiques est très présente.81 FREDET, Op. cit.82 L’Académie française préconise d’utiliser le pluriel « scénarios » et non « scénarii », car ce mot n’a pas exactement la même signification en français et en italien.83 Avec environ 2 600 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) en 2025, soit plus de 18 % de la consommation mondiale.84 MEIDAN & NOËL, Op. cit.85 Rapport de la consommation d’énergie au PIB, qui représente la quantité d’énergie nécessaire pour constituer une unité de PIB. L’évolution de cette intensité montre la capacité de l’économie à générer de la richesse en utilisant plus ou moins d’énergie.86 ANGELIER, Op. cit.

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D La Chine vers la dépendance énergétique

Autrefois autosuffisante en pétrole (1), la Chine doit aujourd’hui développer ses importations (2), ce qui intensifie encore plus sa dépendance énergétique (3).

1 Production chinoise et autonomie pétrolière de la Chine

Si la Chine est devenue l’un des plus importants clients pour le pétrole mondial, elle est aussi l’un des principaux producteurs. En 2002, les réserves en pétrole de la Chine étaient évaluées à 2,5 milliards de tep87, ce qui correspond à 2,3 % des réserves mondiales88. La Chine est aujourd’hui le cinquième producteur mondial de pétrole. Mais la production nationale devrait entrer en phase de déclin à partir de 201089.

En effet, depuis les années 1970, les Chinois exploitent intensivement leurs réserves en pétrole. La production chinoise correspond aux champs de Daqing et Shengli (nord-est) et à ceux du bassin de Tarim (ouest), découverts ultérieurement90. Aujourd’hui, des efforts sont faits pour augmenter la production, notamment en Mer de Chine.

2 Développement des importations pétrolières chinoises

Initialement pourvue de 2,3 % des réserves mondiales en pétrole, la Chine s’est avérée incapable de couvrir seule ses besoins. En 1993, la dépendance énergétique de la Chine s’aggrave, puisqu’elle devient un importateur net91. Le déficit pétrolier de la Chine est passé de 12 Mtep en 1994 à 100 Mtep en 2002 (cf. Annexe 21) : la croissance de la demande en hydrocarbures dépasse celle du PIB.

En 2003, la Chine accède ainsi au rang de deuxième consommateur mondial de pétrole92. La même année, les importations augmentent de 30 % par rapport à 2002, à la grande surprise des experts des marchés financiers, y compris chinois. La hausse de cette consommation pour 2005 est de 10 %, soit environ 7 millions de barils par jour supplémentaires93.

87 Ibid.88 AICARDI DE SAINT-PAUL Marc, « La Chine et l’Afrique, entre engagement et intérêt », Paris, Géopolitique africaine, n°14, printemps 2004, pp. 51-65.89 MEIDAN & NOËL, Op. cit.90 Ibid.91 IZRAELEWICZ, Op. cit.92 Ibid.93 THOMSON Drew, « China’s Global Strategy for Energy, Security, and Diplomacy », China Brief, V (7), mars 2005, pp. 3-7.

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Troisième importateur depuis 200494 avec 100 millions de tonnes achetées à l’étranger, la Chine importe plus du tiers de sa consommation95. Entre 1999 et 2005, la part des importations dans la consommation chinoise en pétrole est passée de 27 % à 45 % (cf. Annexe 22).

La Chine se trouve cependant encore très loin du niveau de dépendance des États-Unis (550 millions de tonnes) ou du Japon (240 millions)96. La croissance des importations de pétrole constitue donc une tendance lourde de l’économie chinoise pour les années à venir.

3 Incertitude sur l’avenir des importations

Encore une fois, lorsqu’il s’agit de faire pronostics sur la Chine, la surenchère pessimiste n’a plus de limite. Alors que les importations de brut sont de 150 millions de tonnes en 2005, contre 130 millions en 2004, les plus raisonnables pensent que d’ici à 2010, plus de la moitié des besoins chinois en pétrole seront couverts par les importations97. Et en 2020, cette dépendance devrait atteindre 60 % des 450 millions de tonnes pétrole consommé98.

Selon certaines prévisions, la dépendance énergétique de la Chine va augmenter de manière plus intense. On devrait ainsi atteindre le seuil de 60 % de dépendance avant 201099. Et la Chine devrait avoir recours aux marchés internationaux pour se procurer les trois quarts de son pétrole dans vingt ans (cf. Annexe 23). En 2025, la Chine importera autant de pétrole que les États-Unis aujourd’hui100. En 2030, selon l’AIE, la Chine devrait même importer 85 % du pétrole qu’elle consommera, et ainsi devenir le premier consommateur mondial101.

C’est bien ce qu’on cherche à montrer ici. Le spectre de la domination chinoise hante le débat portant sur la consommation de pétrole de la Chine. Plus que la consommation, c’est l’idée de dépendance et d’intégration accrue aux relations énergétiques internationales d’un acteur très (ou trop) puissant qui inquiète. Dès lors, les discours vont porter sur les méthodes, les stratégies employées par la Chine dans sa quête de pétrole à travers le monde.

94 Sur 275 millions de tonnes consommées, 100 millions sont achetées à l’étranger, soit environ la même quantité que la France, l’Allemagne, l’Italie ou la Corée du Sud (ANGELIER, Op. cit.).95 IZRAELEWICZ, Op. cit.96 ANGELIER, Op. cit.97 NIQUET, Op. cit. p. 29.98 AICARDI DE SAINT-PAUL, Op. cit.99 YI, Op. cit.100 Ibid.101 IZRAELEWICZ, Op. cit.

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III Système énergétique chinois

On ne peut pas comprendre la politique extérieure énergétique de la Chine sans comprendre comment son système pétrolier intérieur est organisé, c’est-à-dire comment et par qui le pétrole est distribué et utilisé en Chine.

Valérie Niquet pense que les autorités cherchent « à masquer l’incapacité systémique du régime chinois à prendre en compte les dysfonctionnements internes qui renforcent les tensions en matière énergétique et de ressources naturelles. Les solutions internes reposent en effet sur une rationalisation de la consommation, une réforme du système des prix et donc une réforme véritable des grandes entreprises pétrolières contrôlées par l’État. Ces solutions sont toutefois difficiles à appliquer en raison des réseaux d’intérêts croisés entre les rouages de l’État et du Parti et ces sociétés d’intérêt national »102, notamment sous l’effet de la corruption et de l’incompétence.

La régulation du système énergétique chinois suppose un changement des règles en cours (A). Mais ce sont bien les acteurs du système énergétique, qu’ils soient gouvernementaux (B) ou quasi-gouvernementaux (C) qui structurent l’essentiel du système.

A L’ouverture du secteur pétrolier chinois

Autrefois complètement fermé, le secteur pétrolier chinois semble s’ouvrir. Cette ouverture porte tout d’abord sur les prix. L’utilisation croissante du pétrole en Chine repose pour une part sur une politique de prix bas. Maintenir des prix dérisoires pour le pétrole revient à subventionner le secteur de l’industrie pétrolière chinoise. La décision d’augmenter les prix n’a jamais été prise par le Conseil des Affaires de l’État, qui n’a décidé d’investir dans l’approvisionnement étranger qu’en 1991. Un processus de libéralisation des prix du pétrole a été bien été entamé en 1983, puis accéléré en 1998, mais il subsiste encore beaucoup de mécanismes de contrôle103.

L’ouverture du secteur pétrolier chinois se concrétise aussi par l’apparition de nouveaux acteurs sur le marché national. MM. Meidan et Noël constatent que « les quatre compagnies d’État [(cf. infra)] sont progressivement mises en concurrence sur la plupart de leurs secteurs d’activité »104. Cette libéralisation progressive du le secteur énergétique chinois passe donc

102 NIQUET, Op. cit. p. 29.103 MEIDAN & NOËL, Op. cit.104 Ibid.

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par l’apparition des compagnies étrangères, même si cette pénétration du marché intérieur chinois renforce les compagnies nationales, puisque les joint ventures restent le seul moyen de déployer une activité en Chine. Sinopec (détenu à 77 % par l’État chinois) a ainsi réalisé une alliance avec BP pour l’exploitation de stations-service dans une province chinoise : la joint venture s’appelle BP Sinopec Zhejiang Petroleum Company Limited (à 60 % détenue par Sinopec). Shell vient également de conclure le même type de contrat avec la compagnie chinoise. Total également, dans le nord de la Chine, mais cette fois avec la Sinochem105.

Les principaux risques liés à la promotion de la concurrence comme solution à la régulation du secteur énergétique chinois tiennent au manque de coordination entre les services de l’État, à un système de fixation des prix et une incertitude du marché qui pénaliseraient l’investissement106. Or, le système actuel de régulation est caractérisé par une politique des prix qui n’encourage pas encore suffisamment à l’économie, ainsi que par de faibles capacités des institutions concernées à traiter et transmettre les informations. La concurrence n’est pas la panacée ; elle doit être encadrée de manière à fiabiliser le marché de l’énergie tout en permettant l’investissement dans les structures industrielles. Cette mission d’encadrement dépend aujourd’hui d’un système institutionnel très complexe.

B Acteurs institutionnels du système pétrolier chinois

L’administration chinoise de l’énergie fait l’objet d’un débat sur sa restructuration. En effet, une véritable crise institutionnelle traverse le système formé par les acteurs de la politique énergétique. Cette crise est apparue au grand jour, quand le ministère de l’Énergie a été supprimé en 1993, après seulement cinq ans d’existence. Une telle crise s’explique par une trop grande confusion des rôles (1), mais aussi par un effort de rationalisation que beaucoup jugent encore insuffisant (2).

1 Pluralité des acteurs et confusion des missions

Il faut tout d’abord comprendre que la définition de la politique énergétique repose sur une trop grande pluralité d’acteurs. Officiellement responsable de cette politique, le Bureau de l’Énergie107 de la Commission nationale de la Réforme et du Développement (CNRD) se voit

105 AUSTIN, Op. cit.106 Ibid.107 Le Bureau a été créé en mars 2003, en pleine réforme de l’administration chinoise, pour faire face aux coupures d’énergies qui concernent les deux tiers de la Chine et qui se sont multipliées à partir de 2002. Une partie de la responsabilité dans la

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concurrencé de toutes parts. Par exemple, le département responsable de la fixation des prix de la CNRD est compétent pour réguler les prix des énergies, alors que la politique de transport du pétrole et du charbon dépend des décisions du Département des Transports de la même Commission. Parallèlement, le ministère du Commerce est chargé du contrôle les importations et exportations, ainsi que des marchés de l’énergie. Enfin, le ministère des Terres et des Ressources est responsable de l’exploration.

De nombreuses critiques se sont ainsi élevées contre cet enchevêtrement absurde, reprochant au gouvernement de ne pas vouloir de structure capable d’opérer une rationalisation globale de la politique énergétique de la Chine. En effet, les dirigeants chinois ont marqué leur préférence pour un renforcement du Bureau de l’Énergie, jugeant qu’une réforme serait trop complexe à mettre en place sous le gouvernement actuel.

Or, et c’est la deuxième dimension de cette crise, ledit Bureau ne correspond en réalité qu’à une équipe d’une vingtaine de personnes (à comparer avec le millier d’agents du DOE108

américain). Ceux-ci, accaparés par les missions de validation d’accords énergétiques, ne semblent pas en mesure de fixer les orientations stratégiques à long terme, pas plus qu’ils ne peuvent gérer au mieux les 1 200 milliards d’actifs du secteur chinois de l’énergie.

2 Une rationalisation inachevée

Avec une structure aussi faible, le manque de coordination est assuré ; aussi les industriels, les grandes compagnies pétrolières chinoises et un certain nombre d’experts chinois demandent la création d’une agence, d’un ministère ou de toute autre structure de coordination. À défaut, il faudrait que cette structure soit créée à partir d’un renforcement du Bureau de l’Énergie.

Pour Zhu Chengzhang, expert chinois en énergie, il faut pouvoir savoir « quel type d’économies nous [le gouvernement chinois] voulons développer, quel type d’énergie nous devrions utiliser, combien devra en être importé et quelles sont les possibilités d’importation […] ce sont là des questions stratégiques sur lesquelles nous devons réfléchir »109. Selon Huan Guoyu, un chercheur pour le Bureau du Conseil des Affaires de l’État pour la Restructuration du système économique, « le pouvoir doit être consolidé au sein d’un département gouvernemental de haut-niveau ». Il est indispensable que « la Chine élabore une politique énergétique constante et à long terme ». La formulation de la politique étrangère

survenue de ces ruptures d’énergie peut en effet être attribuée à la faible capacité des institutions chinoises à organiser la coordination entre approvisionnement et consommation.108 Department of Energy.109 YE Xie, « Government Rules Out Forming New Energy Ministry », The China Daily, 12 décembre 2004.

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en matière énergétique n’est donc pas rationalisée ; elle reste aux mains des plus hauts dirigeants et de leurs perceptions stratégiques.

La création d’un Bureau des Réserves au sein de la Commission nationale du Plan du Conseil des Affaires de l’État110 montre que les dirigeants chinois n’ont pas encore trouvé la bonne méthode. Valérie Niquet, quant à elle, appelle de ses vœux la « la création d’un ministère de l’Énergie chapeautant, ou contrôlant, les grandes sociétés pétrolières chinoises d’État »111. Car la mise en cohérence des institutions et des compagnies est un moyen indispensable de rationaliser le secteur énergétique chinois.

C L’autonomie relative des compagnies pétrolières

Alors qu’une régulation effective du secteur de l’électricité a été réalisée112, le secteur des hydrocarbures a vu émerger une structure oligopolistique113. Il existe ainsi quatre grandes entreprises d’État – CNPC, CNOOC, Sinopec et PetroChina (cf. Annexe 24) – et le marché est régulé par l’Administration d’État des industries pétrolières et chimiques114. Les récentes réformes ont permis de moderniser ces compagnies, leur conférant un peu plus d’autonomie (1). Elles passent ainsi du statut d’instrument à celui de véritable acteur de la politique énergétique chinoise (2).

1 Modernisation des compagnies

Initialement, le marché chinois était partagé entre plusieurs compagnies publiques : « la [CNPC] qui historiquement gérait la production et les grands champs pétroliers du nord et du nord-ouest de la Chine115 ; Sinopec qui gérait le raffinage et dominait le sud-est du pays ; et la [CNOOC] qui s’occupait de l’exploitation offshore et de l’étranger »116. La CNPC et Sinopec se partageaient le marché intérieur chinois, la CNOOC était la seule compagnie compétente pour l’étranger.

110 NIQUET, Op. cit. p. 29.111 Ibid.112 La loi sur l’électricité de 1995 (révisée en 2003, 2004 et 2005) et la création de la Commission d’État de régulation de l’électricité en 2002 ont permis de réguler le marché de l’électricité en Chine.113 AUSTIN, Op. cit.114 En anglais : State Administration of Petroleum and Chemical Industries (SAPCI).115 Les régions disposant des plus grandes réserves.116 NIQUET, Op. cit. p. 29.

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Depuis, les choses ont changé. Autrefois spécialisées, les trois compagnies se sont vues fixer de nouvelles missions. D’une division géographique et verticale du travail117, on passe ainsi à une répartition horizontale des activités pétrolières de la Chine, qui dispose aujourd’hui de quatre compagnies118 capables d’assurer individuellement l’ensemble des étapes de la filière d’approvisionnement.

En 1993, la CNPC, la CNOOC et Sinopec ont été dégagées de la tutelle du ministère de l’Énergie. Élevées au niveau ministériel, elles dépendent maintenant directement de la Commission d’État à l’Économie et au Commerce119. En 1994, les exportations chinoises en pétrole sont ralenties et le Conseil des Affaires de l’État ordonne la transformation de la Sinochem en compagnie commerciale afin qu’elle accède au pétrole étranger120. Dans le même temps, la Sinochem Finance Co. Limited se voyait transférer le China Trust and Investment Corporation for Foreign Relations (TICFR), initialement sous tutelle du ministère du Commerce extérieur et de la Coopération économique121.

En 1997, le Premier ministre chinois Li Peng a demandé aux entreprises pétrolières chinoises de se tourner vers l’extérieur pour investir. PetroChina a été officiellement autorisée à réaliser des explorations à l’étranger par le ministère chinois des Terres et des Ressources le 6 juillet 2004 ; un plan de restructuration est également prévu pour sa maison mère, le China National Petroleum Group (CNPG), le gouvernement souhaitant créer une structure capable de rivaliser avec les plus grandes compagnies mondiales.

Initialement, seule la CNOOC était compétente pour l’étranger. On remarque que Sinopec est aussi autorisé à explorer en Mer de Chine méridionale. De toute évidence, les compagnies pétrolières sont les acteurs du système énergétique chinois qui ont le plus gagné en autonomie.

2 Des acteurs autonomes ?

Ces compagnies semblent désormais contrôler une large part de la politique énergétique de la Chine. Valérie Niquet considère que « le secteur de l’énergie pétrolière et gazière est toujours entre les mains [des] grandes compagnies d’État et leurs filiales " privatisées " et ouvertes aux capitaux à Hong Kong et New York »122.Ce système est ainsi critiqué par de

117 Exploration et développement pour la CNPC, import-export pour la Sinochem et raffinage pour Sinopec.118 Une compagnie supplémentaire a été créée en 1999 : PetroChina.119 CHRISTOFFERSEN Gaye, China’s Intentions for Russian and Central Asian Oil and Gas, National Bureau of Asian Research, Analysis, IX (2), mars 1998, 34 p.120 CHRISTOFFERSEN, Op. cit.121 MCECE ou MOFTEC, pour ministry of Foreign Trade and Economic Cooperation.122 NIQUET, Op. cit. p. 29.

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nombreux experts qui jugent que la compétition entre firmes nationales relève du « gaspillage » 123. L’administration américaine de l’énergie craint même ce système ne dérive en « cartel » qui se partagerait territorialement un marché captif et demandait une meilleure concurrence124. Des évolutions importantes ont pourtant eu lieu.

Autrefois exclusivement placées sous la tutelle du ministère chinois de l’Énergie, les compagnies pétrolières publiques ont gagné en indépendance. Mais comme le résume un consultant en énergie basé à Pékin, les compagnies chinoises « essaient d’apprendre en une décennie ce que les grandes compagnies étrangères ont mis un siècle à maîtriser ».

Du point de vue financier, l’objectif semble atteint : selon le New York Times, les profits de PetroChina ont augmenté de 48 % en 2003, atteignant 8,41 milliards de dollars. Pour Chen Geng, Président de la compagnie chinoise, « la forte croissance de l’économie chinoise et le bond des prix du pétrole ont été les vecteurs de notre croissance en 2003 ». Il ajoute que les quatre divisions de PetroChina (exploration, production, pétrochimie et raffinage) sont toutes bénéficiaires à la fois, ce qui n’était pas arrivé depuis sa création en 1999125.

Selon Daniel Yergin, les compagnies chinoises sont ainsi « présentes dans de très nombreux pays. Elles multiplient les investissements et coopèrent avec les autres multinationales du secteur pour renforcer leur position sur le marché. Elles sont encore loin de concurrencer les sociétés américaines, mais elles sont en bonne voie »126.

Les Chinois cherchent ainsi à calquer leurs compagnies sur les « majors » occidentales. Mais il arrive également que les compagnies chinoises tentent carrément d’en prendre le contrôle, comme on l’a vu avec Unocal, même si l’opération n’a pas abouti. Les Américains ont en effet prétexté qu’Unocal maîtrisait des technologies trop sensibles (technique d’exploration par sonar) pour que la compagnie soit vendue à la CNOOC127. C’est Chevron qui finalement été choisi, en janvier 2006.

Quoi qu’il en soit, désormais moins dépendantes du pouvoir central, les compagnies chinoises s’intègrent davantage au marché international. Certaines de ces entreprises ont pu créer des joint ventures avec des compagnies étrangères dans l’exploitation, augmentant ainsi leur savoir-faire. Fin 2005, la coopération entre le chinois CNOOC Limited et l’italien ENI a permis la découverte de gisements sous-marins en Mer de Chine méridionale. Le partenariat assure 51 % du pétrole découvert à la CNOOC Ltd, détenue à 70,63 % par la CNOOC, principal producteur offshore chinois. Vice-président de la CNOOC et Directeur général du Département exploration, Zhu Weilin a salué cette coopération, et a déclaré que les

123 Cette situation vaut également pour les multiples compagnies pétrolières indiennes.124 AUSTIN, Op. cit.125 « World Business Briefing. Asia : China : Record Oil Profit », The New York Times, 25 mars 2004.126 YERGIN, Op. cit., p. 11.127 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.

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explorations dans cette zone étaient très prometteuses128. Un autre accord de coopération avec une compagnie occidentale a été signé pour l’exploitation offshore en Mer de Chine entre Shell et PetroChina d’un montant de 600 millions de dollars129.

Ces succès financiers ne doivent pas faire oublier quelques lacunes persistantes. Pour Matthew Forney, les compagnies, ainsi que les bureaucrates chinois en charge de la politique extérieure énergétique, « doivent désormais développer une politique […] claire et complète » pour ne pas se retrouver dans la situation de la Corée du Sud, par exemple, qui se procure son pétrole sur les marchés ouverts (seulement 5 % du pétrole importé est lié aux investissements réalisés à l’étranger par la Chine, qui se procure le reste sur les marchés). Pour cela, il convient « d’investir dans l’exploration et le développement dans des pays qui disposent des champs pétroliers mais manquent du capital ou de la technologie pour les exploiter ». De plus, il faut faire attention à ne pas être engagée dans trop de champs dont la maturité – c’est-à-dire le pic d’extraction – a déjà été atteint, de nombreux observateurs estimant que la Chine a surpayé beaucoup de droits d’exploitation.

La politique énergétique obéit néanmoins à une logique de rationalisation, selon une conception plus globale de la stratégie à employer. On commence à entrevoir les contours de ce que l’on pourrait qualifier de « complexe pétrodiplomatique chinois », configuration dans laquelle s’élabore la politique énergétique de la Chine formée par les compagnies, les bureaucrates et les plus hauts dirigeants chinois. Mais cette analyse des acteurs doit être associée à celle de la stratégie mise en œuvre.

IV Définition de la politique extérieure énergétique de la Chine

Nous avons examiné les contraintes qui pèsent sur la politique énergétique de la Chine liées à la situation énergétique internationale, mais aussi au système énergétique chinois lui-même. Dans ce contexte, comment se définit la politique extérieure énergétique ? En réalité, celle-ci ne peut être comprise que comme faisant l’objet d’une période transitoire (A) au cours de laquelle les dirigeants chinois entretiennent une vision très stratégique et sécuritaire de leur dépendance énergétique (B).

128 « Chine/Pétrole: la CNOOC Ltd annonce une nouvelle découverte par son partenaire ENI dans le sud du pays », Le Quotidien du Peuple, 21 décembre 2005.129 MEIDAN & NOËL, Op. cit.

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A Transition et dépendance énergétiques

Il faut comprendre que la Chine est un nouvel acteur des relations énergétiques mondiales. Or, cela ne n’est pas lié à une stratégie de conquête, mais bien à la nécessité d’alimenter le développement national. La phase d’adaptation à la nouvelle position de la Chine dans la structure énergétique internationale ne concerne pas que les autres acteurs : elle engage également les élites chinoises dans une révolution de la pensée. Ceux-ci se voient contraints d’adopter une nouvelle stratégie. Ils doivent néanmoins faire face à un problème autrement plus difficile à résoudre que celui de leur apprentissage aux marchés (1) : la dépendance énergétique au Moyen-Orient, contrôlé par les Américains (2).

1 La politique extérieure énergétique de la Chine

Sous Deng Xiaoping, la Chine avait déjà pris conscience de son insuffisance énergétique. Elle s’est donc progressivement tournée vers les marchés internationaux des matières premières, pour finalement devenir un acheteur de premier plan. C’est évidemment le cas, on l’a vu, pour le pétrole.

Il est très important à ce stade d’analyser la logique à laquelle obéit la politique extérieure énergétique chinoise. Il s’agit d’une vision principalement sécuritaire, finalement compréhensible à ce niveau de développement et d’ouverture aux marchés internationaux. En effet, la Chine cherche à obtenir un accès exclusif et à long terme sur certaines ressources – même si elle capte l’essentiel de son pétrole sur les marchés.

Pour Michal Meidan et Pierre Noël, il ne fait aucun doute que la politique énergétique chinoise fait l’objet d’une phase d’ « apprentissage », sous l’effet de la conception « transitoire » qu’on les élites chinoises à propos de la bonne stratégie à adopter. Petit à petit, la Chine devrait manifester une plus grande confiance dans le marché mondial et, partant, limiter la part relative des approvisionnements « parallèles ».

En effet, on parle de phase « transitoire ». Selon MM. Meidan et Noël, la confiance dans le marché mondial augmente au fur et à mesure que la dépendance pétrolière s’accroît (cf. Annexe 25). C’est pourquoi la stratégie énergétique chinoise devrait s’aligner sur celle des autres grands consommateurs, c’est-à-dire vers un approvisionnement sur les marchés internationaux généralisé et un fonctionnement concurrentiel des multinationales pétrolières. Ainsi, si la Chine semble aujourd’hui privilégier l’accès « sécurisé » aux approvisionnements par la diplomatie, ce phénomène devrait peu à peu s’atténuer.

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Quoi qu’il en soit, la Chine est déjà très fortement intégrée au marché mondial des énergies. Et « tant que les marchés énergétiques mondiaux pourront fonctionner sans entrave majeure », il n’y a aucune raison de croire qu’apparaisse une rivalité autour de l’accès aux ressources130. Les craintes des dirigeants chinois seraient infondées.

Selon le Directeur de l’Institute for Global Studies de l’Université de Nankai, « la sécurité énergétique [de la Chine] est devenue la composante essentielle de la sécurité nationale du pays. [La] diplomatie énergétique se concentre donc sur la fourniture mondiale en pétrole et en gaz naturel »131. De plus, les relations énergétiques de la Chine avec les États producteurs « consolide la division [internationale] stratégique du travail ». Cet expert souhaite ainsi que la Chine mène une « diplomatie énergétique pluraliste », en renforçant sa coopération avec le Moyen-Orient, l’Asie centrale, la Russie, l’Afrique, l’Australie et l’Amérique du Sud. Pour cela, il faut savoir profiter des « marges de manœuvre » laissées à la Chine par les autres puissances dans certaines régions.

Quoi qu’il en soit, « de bonnes relations Chine-États-Unis sont les facteurs-clé de la diplomatie énergétique de la Chine. D’un côté, la stratégie et la diplomatie énergétiques de la Chine sont susceptibles d’entrer en compétition, d’une manière ou d’une autre, avec les intérêts des États-Unis. Les possibilités de conflits d’intérêts ne sont pas écartées. D’un autre côté, toutefois, la Chine et les États-Unis partagent de larges intérêts et ont plus d’espaces de coopération sur ce sujet »132 que de raisons d’entrer en concurrence (stabilité des marchés des matières premières, protection des voies d’approvisionnement, etc.). Ce constat est pour le moins optimiste. L’expert prend néanmoins en considération le fait que « des facteurs géopolitiques très complexes agissent sur les questions énergétiques. Nous [les Chinois] ferions bien de nous préparer à l’utilisation de l’arme énergétique par des grandes puissances contre la Chine. Toutes les tentatives de pays pour bloquer le développement de la Chine doivent être déjouées » par la mise en place, entre autres solutions, de coopérations énergétiques et stratégiques133. Cette conclusion plus réaliste, amène sur le principal problème stratégique des dirigeants chinois : la dépendance au pétrole du Moyen-Orient.

2 Surmonter la dépendance énergétique au Moyen-Orient

En 2002, le journaliste Keith Bradsher écrit qu’ « alarmés par la violence et la volatilité politique au Moyen-Orient, les leaders de la Chine sont en train de développer de manière

130 Ibid.131 ZHONGYING Pang, « Peaceful Development of Resources Crucial », China Daily, 2 février 2006.132 ZHONGYING, Op. cit.133 Ibid.

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agressive des alternatives au pétrole en provenance de la région »134. Or, plus de la moitié du pétrole importé par la Chine provient encore du Moyen-Orient135, région dans laquelle elle s’est récemment imposée, en fournissant notamment une coopération militaire aux États riches en pétrole de la région136.

Depuis les chocs pétroliers des années 1970, les États-Unis ont eux réduit la part de leur approvisionnement pétrolier en provenance de cette région, de 25 à 15 % de leurs importations137. En Chine cependant, on s’attend à ce que cette part passe à 70 % en 2015138. Cette dépendance chinoise au pétrole du Moyen-Orient constitue une « vulnérabilité stratégique » en raison de l’instabilité de la région, mais aussi de l’influence qu’y exercent les États-Unis. Et à moins que tous les pipelines financés par la Chine soient effectivement construits ou encore que les concessions obtenues tiennent leurs promesses de rendement, cette dépendance sera persistante.

Dans cette région, la Chine a deux partenaires principaux : l’Arabie Saoudite fournit 16 % du pétrole chinois et l’Iran 14 à 15 %. Et Sinopec a récemment conclu avec cet État un accord pour la fourniture de 70 milliards de dollars de gaz naturel liquéfié, sur une période de 25 ans. Avec cet accord, la Chine devient le premier importateur d’énergies iraniennes139.

Le Roi d’Arabie saoudite a par ailleurs été reçu à Pékin en janvier 2006. Les deux États ont lancé un « partenariat pétrolier stratégique » qui vient compléter des échanges économiques importants, mais dominés par les matières premières. En effet, le déficit commercial de la Chine avec l’Arabie saoudite se monte en 2004 à 1,8 milliards de dollars (sur un volume de 5 milliards échangés), principalement en raison des importations en pétrole vers la Chine140.

Apprentissage stratégique et dépendance énergétique forment un cadre propice à l’ouverture de la politique extérieure énergétique chinoise à d’autres horizons : les politiques de sécurisation et de diversification sont deux dynamiques à la base de la pétrodiplomatie chinoise.

134 BRADSHER Keith, « China Struggles to Cut Reliance on Mideast Oil », The New York Times, 3 septembre 2002.135 FORNEY, Op, cit.136 Hu Jintao était d’ailleurs en visite officielle en Arabie saoudite le 22 avril 2006.137 « Les dessous des cartes : États-Unis et Afrique : entre pétrole et stratégie antiterroriste », Arte, 11 janvier 2006.138 YI, Op. cit.139 THOMSON, Op. cit. p. 34.140 YI, Op. cit.

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B Cadre de formulation de la pétrodiplomatie chinoise

On entend désigner par « pétrodiplomatie », l’alliance des intérêts énergétiques et stratégiques au sein d’une diplomatie exclusivement consacrée à donner à la Chine les moyens de son développement et, in fine, de sa puissance. Avant tout sécuritaire, le cadre conceptuel de la politique extérieure énergétique de la Chine fait donc la part belle à deux objectifs : la sécurisation (1) et la diversification (2).

1 Sécurisation des approvisionnements

Une telle sécurisation passe par une rationalisation de la politique d’investissement (a), ainsi que par un accès direct et exclusif au pétrole. Mais n’y a-t-il pas une contradiction entre cette stratégie de puissance et la tentative de légitimation internationale de la Chine (b) ? De toute évidence, il existe un risque de déstabilisation de la structure des relations énergétiques mondiales (c).

a Accélération des investissementsAlors qu’en 2001, la Chine importait 60 % de son pétrole du Moyen-Orient, les dirigeants

chinois se sont inquiétés que les attentats du 11 septembre aient des conséquences sur la fourniture en pétrole (production et acheminement). La stratégie de constitution de réserves (6 millions de tonnes étaient prévues pour 2005), ainsi que la politique de diversification et de sécurisation des approvisionnements pétroliers ont donc été accélérées suite à ces événements. On a cherché à anticiper une rapide intensification de la dépendance énergétique chinoise.

Les besoins financiers de la CNOOC étaient à ce moment là évalués à 15 milliards de dollars pour tenir les objectifs fixés par le gouvernement (fourniture de 40 millions de tonnes de pétrole en cinq ans) ; du jamais vu. Toujours en 2001, l’investissement de BP en Chine était porté à 4 milliards de dollars. Et en ce qui concerne le secteur du gaz, la Chine a lancé l’équivalent de 25 milliards de dollars de projets infrastructurels pour lesquels les compagnies étrangères ont été sollicitées (Exxon Mobil, Shell, Gazprom et Phillips).

Mais il faut bien comprendre ici que pour ces compagnies, il ne s’agit pas seulement de s’enrichir avec la construction de telles infrastructures, souvent peu ou pas rentables. Matthew Forney rapporte les propos d’un haut responsable d’une compagnie pétrolière étrangère en poste à Pékin, selon lequel « les entreprises publiques de Chine agissent parfois pour l’intérêt national. […] Mais nous [compagnies occidentales] avons à fonder nos décisions sur la

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rentabilité »141. C’est pourquoi de nombreux projets d’infrastructures pétrolières sont abandonnés en Chine : Shell a interrompu la construction d’un gazoduc de 4 400 km à travers le désert à l’ouest de Shanghai parce qu’il n’était pas rentable. Pour les mêmes raisons, Shell et Unocal ont refusé le projet d’exploration des champs gaziers en Mer de Chine orientale. Aucune compagnie n’a en outre accepté de forer dans le Bassin de Tarim. Celles qui refusent ce pari se retirent des projets, comme BP l’a déjà fait142, mais elles perdent la possibilité de bien figurer auprès des futurs régulateurs du marché chinois dont les intentions sont encore mal déterminées.

D’autre part, « pour Zhu Xingshan, de l’Institut de recherche énergétique de Pékin, le développement de l’influence des États-Unis en Asie centrale [(cf. Chapitre II)] affectera la sécurité énergétique de la Chine et pour Yang Jijian, directeur de la division Amérique et Océanie de l’Institut de recherche sur le commerce et la coopération économique du [MOFTEC], la Chine pourrait reconsidérer le tracé de ses voies d’approvisionnement extérieures et prendre des mesures pour assurer la sécurité » de ses approvisionnements143. De ce fait, un pas est franchi dans la conception géopolitique de la stratégie pétrolière chinoise.

b Multilatéralisme vs. stratégie de puissancePour Érik Izraelewicz, « la sécurité énergétique étant désormais une question clé pour

Pékin, elle est devenue une question de sécurité tout court – un enjeu qui conduit la diplomatie chinoise à un activisme croissant »144.

Valérie Niquet montre elle que l’aspect sécuritaire de la stratégie et du discours chinois provient en partie de la conception hostile qu’ont les dirigeants de Pékin de leur environnement. C’est pourquoi « l’accès au pétrole et aux ressources en général – sans que l’éventuelle " menace " soit autrement précisée – est présenté comme un facteur stratégique vital, " prioritaire pour l’avenir du pays " (ou plus exactement du régime), dont la stabilité sociale et politique dépend de la croissance. La dépendance est donc analysée en termes de rivalités, particulièrement avec » les États-Unis, accusés de vouloir « contrôler la Chine dans le domaine des ressources énergétiques, de l’accès aux matières premières, de l’économie et des capacités militaires »145.

141 FORNEY, Op, cit.142 PLAFKER Ted, « Growth Exposes China to Oil Supply Shocks », International Herald Tribune, 30 octobre 2001.143 NIQUET Valérie, « La Chine face aux défis stratégiques de l’après 11 septembre », Perspectives chinoises, n°67, septembre-octobre 2001, pp. 4-16.144 IZRAELEWICZ, Op. cit.145 NIQUET, Op. cit. p. 29.

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Elle ajoute que « la contradiction […] entre de " nouveaux principes de sécurité ", privilégiant le multilatéralisme et la coopération, et une pratique qui demeure fondée sur le conflit et l’affirmation de puissance s’explique d’abord par l’obsession de l’indépendance ou de la non ingérence – principes de légitimation du régime –, obsession qui se nourrit du souvenir des pressions passées, notamment lors du conflit sino-soviétique des années 1960-1970, et de la doctrine maoïste du " compter sur ses propres forces ". Le pouvoir politique est par ailleurs conscient, en dépit de l’ouverture économique, de l’isolement idéologique du régime chinois sur la scène internationale, qui renforce ce sentiment de vulnérabilité. [Or,] « le discours sur les risques de la dépendance et l’ingérence se nourrit donc quasi mécaniquement des besoins énergétiques du pays » et s’amplifie du fait des nombreuses incertitudes qui pèsent sur l’avenir du marché du pétrole (réserves, occupation de l’Irak, etc.).

c Une « logique déstabilisatrice » ?Entre stratégie de puissance et légitimation internationale, la Chine ne risque-t-elle pas de

se perdre ? Toutefois, et en dépit du discours dominant, il est faux de poser la question des approvisionnements énergétiques en termes sécuritaires. En réalité, « les logiques de marché et de coopération qui président à la sécurité pétrolière, " bien mondial ", semblent ôter toute pertinence aux thèses qui privilégient l’aspect stratégique de la question de l’approvisionnement en énergie et plus généralement en matières premières »146. C’est pourquoi le discours chinois, « très sécuritaire », apparaît comme étant en décalage avec la réalité. Cela provient de la perception que les dirigeants chinois cultivent à propos de leur environnement. Cette vision presque paranoïaque d’un monde gouverné par les seuls rapports de force représente, selon Valérie Niquet, une « logique déstabilisatrice ».

Michal Meidan et Pierre Noël expliquent que « la pensée chinoise […] est dominée par l’idée que la sécurité énergétique est une question " stratégique " beaucoup plus qu’économique et que la sécurité des approvisionnements chinois à long terme suppose la mise en œuvre d’une intense diplomatie pétrolière. Les deux objectifs affichés de cette diplomatie pétrolière sont la diversification des approvisionnements […] et la sécurisation physique des flux pétroliers vers la Chine. Les moyens mis en œuvre sont l’établissement de liens économiques et politiques avec des pays producteurs, le développement des activités d’exploration et production des compagnies publiques chinoises partout où c’est possible, la création d’un stock stratégique national et le renforcement des capacités militaires navales afin de sécuriser les routes maritimes »147. Pour les dirigeants chinois, la stratégie de

146 Ibid.147 MEIDAN & NOËL, Op. cit.

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sécurisation n’a donc de valeur que pour autant que les approvisionnements sur lesquels elle s’applique soient diversifiés, c’est-à-dire répartis sur l’ensemble de la planète.

2 Diversification des approvisionnements

L’importance des marchés pétroliers rend toute politique d’accès direct aux ressources très risquée (a). Néanmoins, l’activisme diplomatique de la Chine dans sa stratégie de diversification permet une intégration accrue de l’économie chinoise à la structure des relations internationales (b).

a Un pari risquéIl est faux de croire que c’est par la diplomatie et l’accès exclusif à certaines sources

(Afrique, Amérique latine, etc.) que la Chine assurera ses approvisionnements énergétiques. En effet, le marché du pétrole est un marché « techniquement et économiquement intégré : toutes les offres s’y agrègent en un " pool " unique auquel s’adressent toutes les demandes. Il existe un prix mondial unique, révélé par des marchés " spot " et des marchés à terme, qui assure la compatibilité des offres et des demandes »148. C’est pourquoi « l’approvisionnement chinois repose et reposera toujours sur l’insertion de la Chine dans ce marché mondial ».

De plus, la sécurisation des approvisionnements est, du fait de l’existence d’un marché unique, de l’intérêt de l’ensemble des acteurs. Cette sécurisation est un « bien collectif mondial […] " produit " par un ensemble de politiques et de mesures dont certaines sont assurées principalement par les États-Unis149 […] et d’autres sont assurées de manière multilatérale ».

La stratégie de diversification des approvisionnements énergétique ne met pas la Chine à l’abri de l’évolution des marchés, très tendus actuellement ; la marine chinoise n’est par ailleurs pas en mesure de protéger les voies de communication maritimes en cas de crise majeure150. Il convient donc d’adopter une stratégie globale, qui puisse permettre une action sur les marchés (sur l’offre), une diversification géographique des partenaires, tout en conservant le contrôle des conditions d’approvisionnement.

148 Ibid.149 Protection des voies maritimes, « sanctuarisation » l’Arabie saoudite, constitution de réserves stratégiques, etc.150 THOMSON, Op. cit. p. 34.

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b Le mobile énergétique de l’ouverture diplomatique de la ChineAfin de réduire sa dépendance énergétique, la Chine « ouvre son industrie pétrolière en

amont à des capitaux étrangers » (prospection, transport, etc.) ; mais elle agit aussi en aval, en « engag[eant] des capitaux dans la prospection et la production pétrolières au Kazakhstan, au Soudan, en Iran, en Azerbaïdjan, en Russie, au Vietnam, au Venezuela, en Irak [ou] en Indonésie »151. PetroChina a ainsi des projets d’investissement prévus dans 15 000 km de pipeline, à hauteur de 12 milliards d’euros152.

La croissance des investissements chinois à l’étranger et l’intensification des relations diplomatiques avec les pays producteurs montre que la Chine est consciente de sa vulnérabilité énergétique. Afin d’assurer la sécurité de ses approvisionnements, elle va effectivement chercher à diversifier ses partenaires. Depuis le milieu des années 1990, la Chine a investi dans l’industrie pétrolière partout à travers la planète. Et depuis plus récemment, la stratégie de la Chine consiste à sécuriser ses approvisionnements sur le long terme, comme c’est le cas en Afrique, en Asie du Sud-Est ou en Amérique latine.

En effet, les dirigeants chinois ont choisi « certains pays cibles […], dont la liste change en fonction des évolutions stratégiques. On trouve parmi eux : en Asie centrale, le Kazakhstan ; en Asie du Sud-Est, l’Indonésie et la Birmanie ; au Moyen-Orient, l’Iran, Oman, la Syrie ou la Libye ; en Afrique, le Soudan, en Amérique latine, le Venezuela. […] Des projets d’accord d’exploitation ont ainsi été récemment signés avec l’Algérie, l’Égypte et le Gabon. L’Argentine, le Kenya, le Nigeria et l’Angola suscitent également l’intérêt de Pékin »153 (cf. Chapitre II).

Joseph Kahn, du New York Times, raconte que « des plaines poussiéreuses de l’Afrique de l’Est aux rivages de la Mer Caspienne, la Chine cherche à desserrer l’étau des États-Unis sur les ressources énergétiques mondiales et [à] sécuriser le pétrole dont elle a besoin pour garder son économie en action »154. L’ouverture diplomatique de la Chine se superpose ainsi à son intégration dans les échanges mondiaux, et elle est principalement motivée par des raisons énergétiques (cf. Annexe 26). Cette recherche de ressources à travers le monde pourrait être qualifiée de « seconde globalisation de l’économie chinoise »155. Qu’en est-il vraiment ? Système énergétique chinois et formulation de la politique étrangère énergétique de la Chine sont deux processus au sein desquels se crée et s’applique la pétrodiplomatie de la Chine.

151 ANGELIER, Op. cit.152 FREDET, Op. cit.153 NIQUET, Op. cit. p. 29.154 KAHN Joseph, « Behind China’s Bid for Unocal : A Costly Quest for Energy Control », The New York Times, 27 juin 2005.155 ZHONGYING, Op. cit.

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Chapitre IILa seconde mondialisation de la Chine

La pétrodiplomatie chinoise a désormais une dimension mondiale, qui n’exclut aucune région du globe. C’est principalement pour des motifs énergétiques que Pékin intensifie ses relations avec son environnement géographique immédiat, mais aussi élargi. On cherche donc ici à analyser les méthodes employées par la Chine pour s’attirer les bonnes grâces des pays producteurs, et ainsi se donner les moyens de son développement économique, qui reste le but ultime de la pétrodiplomatie chinoise. Hu Jintao et Wen Jiabao, « véritables VRP des […] compagnies pétrolières chinoises », ont certes « noué des relations avec la plupart des émirats et royaumes [du Moyen-Orient,] n’hésitant pas à profiter du refroidissement entre les États-Unis et l’Arabie saoudite pour pousser [leurs] pions. Mais Pékin ne souhaite pas limiter ses amitiés à cette région qui reste largement sous influence américaine. Ses hommes ont engagé une intense pêche aux barils »156 à l’échelle mondiale.

Dans quelle mesure la diplomatie énergétique de la Chine marque-t-elle le franchissement d’un stade supplémentaire dans l’ascension de la Chine ? La stratégie énergétique de la Chine s’intègre à merveille dans une quête de légitimation internationale, puisque les Chinois parcourent la planète à la recherche de grandes quantités de pétrole à vendre (I). Cherchant à occuper les espaces laissés libres par les plus grandes puissances, la Chine parvient parfois à aller jusqu’au bout de ce qui s’avère être une politique d’influence. Cet objectif trouve un terrain de réalisation privilégié avec l’Afrique, à la fois partenaire de la Chine et terrain privilégié de la pétrodiplomatie chinoise (II).

I Élargissement du champ d’action de la pétrodiplomatie chinoise

« Les grandes puissances sont la clé, les pays riverains sont la priorité »157. Cet adage résume bien la perception qu’ont les dirigeants chinois de leur environnement géographique. Deux échelles d’intervention internationale sont donc imaginées : l’une englobe le voisinage immédiat, c'est-à-dire la Russie, les États d’Extrême-Orient, l’Asie centrale, mais aussi l’Inde 156 IZRAELEWICZ, Op. cit.157 « Daguo shi guanjian, zhoubian shi shouyao » (in CABESTAN Jean-Pierre & VERMANDER Benoît, La Chine en quête de ses frontières. La confrontation Chine-Taiwan, Paris, Presses de Sciences po, 2006, 283 p.).

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ou l’Iran (A). Un deuxième niveau d’action concerne les autres régions mondiales, que ce soit l’Occident ou l’Amérique latine (B). Il est ici très important de comprendre cette dimension mondiale de la stratégie d’approvisionnement de la Chine.

A À la recherche de la proximité géographique des partenaires énergétiques

La structure des relations énergétiques asiatiques obéit à des évolutions très complexes. En effet, le rapide développement de la Chine transforme les équilibres régionaux. Mais si Valérie Niquet pense que les relations énergétiques asiatiques sont aujourd’hui structurées par « un jeu à acteurs multiples dont le moindre n’est pas, bien entendu, les États-Unis »158, il n’en demeure pas moins que l’action de la Chine a des effets considérables sur une zone qu’avaient déjà affecté la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide ou, plus récemment, la lutte contre le terrorisme. Face aux États-Unis, la Chine enregistre des succès diplomatiques auprès des principaux acteurs énergétiques régionaux que sont la Russie (1), les États d’Asie centrale (2), les autres États asiatiques (3) ou encore l’Iran (4).

1 Reconstitution de l’axe Moscou-Pékin

Géant énergétique, la Russie souhaite développer ses exportations vers la Chine, invitée à investir dans de gigantesques projets. Mais au-delà de cette apparente complémentarité, la Chine donne à la Russie une possibilité de rendre son arme énergétique plus performante (a). Malgré la méfiance historique qui caractérise les relations entre Pékin et Moscou, on voit que derrière le rapprochement diplomatique se cache la conclusion d’un véritable pacte énergétique (b) dont les implications financières et stratégiques sont conséquentes (c).

a L’arme énergétiquePour le Nouvel observateur, « furieux de la nouvelle politique énergétique de Vladimir

Poutine, ses adversaires l’ont surnommé " Gazpoutine " : avec le gaz qui lui permet d’asphyxier les anciens satellites, le maître du Kremlin dispose d’une arme […] pour retisser son empire »159. Les Russes menacent les Européens (notamment l’Allemagne) de se tourner 158 NIQUET, Op. cit. p. 29.159 FREDET, Op. cit.

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vers la Chine et les États-Unis si les projets de construction d’infrastructures gazières en Europe n’étaient pas stoppés160. Mais les Européens rappellent Moscou au respect de ses engagements commerciaux, suite à une série d’augmentations unilatérales des prix du gaz russe161.

Il s’agit d’un enjeu vital pour l’Union européenne, qui vient de se doter d’une politique énergétique plus intégrée162. 25 % du gaz consommé dans les États de l’UE provient de Russie. En Finlande, et dans la plupart des États scandinaves, cette part atteint 100 %, la dépendance étant moindre pour la France ou l’Italie163. Au G8 Saint-Pétersbourg en juillet 2005, le problème lié à l’ouverture des gazoducs russes aux opérateurs indépendants a en outre été évoqué. De toute évidence, la question de l’influence de l’UE sur la Russie est posée.

Pour Nicolas Barré, journaliste au Figaro, il convient ainsi de retourner l’arme énergétique contre Moscou, pour éviter de se voir imposer des conditions d’approvisionnement trop désavantageuses. En effet, selon lui, les « achats de gaz [des États européens] procurent [à la Russie] les deux tiers de ses rentrées de devises. Nous disposons là d'un levier formidable. À la diplomatie du gaz doit répondre celle du carnet de chèques pour garantir nos approvisionnements à long terme. Menacée par les rivalités de puissances, notre sécurité énergétique en dépend »164. Il s’agit là d’un discours qui présente tous les partenaires énergétiques de l’Europe comme hostiles. Cette vision très européo-centrée repose certes sur des éléments objectifs. Mais la mobilisation de ressources « scientifiques » (chiffres sur la consommation mondiale, données financières, etc.) cache mal le principal fondement de ce discours : la crainte diffuse de voir la Chine jouer un rôle stratégique émergent, concurrent à l’UE.

Les exportations de pétrole russe restent marginales jusqu’en 1997165, mais elles se sont depuis fortement développées, apportant à la Russie des réserves en devises supplémentaires, en plus de celles tirées du gaz. Devant une offre en hydrocarbures aussi complète, la Chine va tout faire pour tirer parti du pari stratégique de la Russie : se servir de l’arme énergétique pour retrouver un peu de son influence perdue.

160 Notamment le projet de gazoduc dans la Mer Baltique piloté par l’Allemagne.161 BEZAT Jean-Michel, « Gazprom accuse l'Europe d'entraver ses projets de développement sur le Vieux Continent », Le Monde, 26 avril 2006.162 ACUÑA Fernando García, « L’avenir énergétique de l’Europe », Cafébabel.com (traduit de l’espagnol), 24 avril 2006 : www.cafebabel.com/fr/article.asp?T=T&Id=6658163 EURONEWS, Op. cit. p. 19.164 BARRÉ Nicolas, « Diplomatie de l’énergie », Le Figaro, Éditorial, 24 janvier 2006.165 CHRISTOFFERSEN, Op. cit.

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b Rapprochement Chine-Russie : le pacte énergétiqueComme le remarque Bruno Philip, « la Russie est le deuxième exportateur mondial de

pétrole et le premier fournisseur de gaz ; la Chine, le deuxième consommateur mondial de brut : sous cet angle, […] la nature des relations sino-russes est naturellement placée sous le signe des questions énergétiques » 166.

Mais les relations énergétiques entre la Chine et la Russie remontent en fait à l’ère soviétique, comme en attestent les structures pétrolières industrielles chinoises, qui empruntent bien des méthodes au modèle soviétique167, ou encore le secteur nucléaire auquel l’URSS a fortement contribué. Un protocole lie de plus la Chine et la Russie depuis 1986 sur certaines questions énergétiques, notamment le forage et l’extraction. Un accord bilatéral a même été signé en 1989 pour le développement de programmes conjoints de forage.

La mondialisation des échanges, l’intégration accrue de la Chine au marché international, ainsi qu’une convergence d’intérêts ont permis de reprendre un dialogue énergétique rompu depuis la chute de l’URSS. En novembre 1995, un mémorandum de compréhension est signé entre la CNPC et la Sidanco168 pour l’exploitation du gaz sibérien (exploitation et construction de gazoducs). Des deux côtés, on cherche à assurer son indépendance énergétique ; que ce soit comme client ou comme fournisseur. Les Chinois cherchent-ils à se procurer du pétrole ? La Russie dispose d’énormes réserves. Les Russes souhaitent-ils se dégager de l’emprise commerciale de leurs clients européens ? La Chine offre un marché prometteur.

La coopération énergétique sino-russe a ainsi connu un mouvement d’intensification depuis 1997169, avant d’être véritablement rationalisée avec la conclusion du partenariat stratégique lors de la visite de Vladimir Poutine en Chine en mars 2006, certains parlant d’un nouvel « axe Moscou-Pékin ».

Serguei Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, qualifie le partenariat entre les deux nations d’ « irréversible ». Pour Ariel Cohen, responsable des Études eurasiatiques du think tank conservateur Heritage Foundation, les accords énergétiques conclus lors de cette visite – et qui permettent à la Chine de recevoir « une fourniture stable d’énergie de la Russie » – confirment que les dirigeants russes ont opéré des choix à long terme concernant le partenariat avec la Chine, au-delà de ce qui a déjà été fait avec l’UE ou les États-Unis. Mais « les inquiétudes des élites russes de devenir un appendice de ressources naturelles de l’Ouest ont été ironiquement concrétisées par elles-mêmes, puisqu’elles ont accepté de devenir un appendice énergétique de la Chine »170.

166 PHILIP Bruno, « La Russie et la Chine renforcent leur coopération énergétique », Le Monde, 22 mars 2006.167 CHRISTOFFERSEN, Op. cit.168 Siberian Far East Petroleum Co. Limited.169 Du 9 au 11 novembre de la même année, Boris Eltsine a d’ailleurs effectué une visite officielle en Chine.170 « De Moscou à Pékin, la course change », Dedefensa.org, 23 mars 2006 : www.dedefensa.org/article.php?art_id=2526

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En réalité, « le plat de résistance du partenariat stratégique » est bien l’énergie. S’il s’agit pour les Russes de se dégager de la dépendance commerciale qui les lie aux Européens, c’est aussi une occasion de concrétiser de manière diplomatique la défiance qui règne à Moscou à l’encontre des Américains. Le 22 mars 2006, le quotidien russe La Pravda titrait ainsi : « La Russie et la Chine développent des liens plus étroits pour s’opposer à la suprématie des États-Unis » 171. Pour la revue De Defensa, le partenariat ne repose pas sur une alliance spécifique, si ce n’est sur le constat objectif selon lequel « deux géants producteurs-consommateurs d’énergie se rassemblent autour de ce facteur, – l’énergie, – qui est aujourd’hui un facteur fondamental de la puissance ».

c Des investissements stratégiquesLors de la visite de Vladimir Poutine en Chine, il a été prévu la création de joint ventures

dans les secteurs du pétrole et du gaz entre les deux pays. Les négociations Chine-Russie ont en outre conduit au lancement de nombreux projets d’envergure. La compagnie russe Gazprom conclut ainsi un accord avec le principal fournisseur de gaz naturel en Chine. Plusieurs fois abandonné, un projet de construction d’oléoducs devrait permettre de diminuer les coûts d’acheminement du pétrole sibérien vers la Chine, qui pourrait à terme représenter plus de 15 % des importations chinoises172. Cependant, il demeure des obstacles, puisque la compagnie russe Youkos aurait annoncé une suspension de l’acheminement de pétrole par pétroliers vers la Chine, et que les Japonais ont proposé un financement pour l’énorme projet d’oléoduc vers l’Asie. Or, « Pékin insiste pour qu’un embranchement spécifique lui soit attribué de peur que Tokyo ne devienne un client prioritaire des Russes »173.

Toutefois, comme l’explique Bruno Philip, « Moscou laisse miroiter [le projet de dérivation du pipeline en direction du Japon vers la Chine] tout en refusant de s'engager plus avant. Pour une raison simple : les Russes ne veulent pas être traités comme de simples fournisseurs, mais espèrent que les Chinois investiront davantage chez eux, notamment dans le secteur des nouvelles technologies, et signeront de nouveaux contrats de vente d'armes »174. Ainsi, à l’image de nombreux États peu développés, la Russie souhaite faire monter les enchères de la coopération avec la Chine, en utilisant la seule arme dont on puisse aujourd’hui disposer contre la elle : le chantage énergétique.

171 « Russia and China Develop Closer Ties to Oppose USA’s Supremacy », Pravda, 22 mars 2006 : english.pravda.ru/topic/ China-75/172 FORNEY, Op, cit.173 « Vladimir Poutine en Chine, une quinzaine de contrats sous le bras », Euronews, 21 mars 2006 : www.euronews.net/ create_html.php?page=info&article=350035&lng=2174 PHILIP, Op. cit.

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C’est pourtant bien volontiers que la Chine investit largement dans des projets en Russie. La CNPC s’est ainsi faite remarquer en octroyant à Moscou un prêt de 6 milliards de dollars en échange d’une collaboration à long terme dans le domaine énergétique175. Le gouvernement russe est par ailleurs soupçonné d’avoir acquis le géant Youkos grâce à ce prêt, en l’absence de toute transparence, ce qui semble être fréquent avec les accords conclus par les entreprises pétrolières d’État chinoises (cf. Chapitre III).

La Chine importe l’équivalent de 10 % de ses besoins en pétrole en Russie. Un accord a été conclu le 21 mars 2006 qui prévoit « la construction de deux gazoducs qui devraient livrer jusqu’à 80 milliards de mètres cubes de gaz russe à la Chine dans un délai de cinq à dix ans. [Le] secteur du gaz [est] resté anormalement marginal » dans la production d’énergie en Chine176. Enfin, et c’est sûrement le plus spectaculaire, le rapprochement énergétique et stratégique entre Pékin et Moscou s’est concrétisé par un accord historique de fourniture en pétrole d’une durée de 25 ans et d’un montant de 150 milliards de dollars ; il entré en vigueur en 2005177.

Si la complémentarité économique est revendiquée, il n’en demeure pas moins qu’un tel partenariat est, dans la pratique, très ambigu. D’un côté, Moscou et Pékin coopèrent dans le commerce des hydrocarbures de Sibérie ; de l’autre, ils rivalisent dans la quête aux ressources d’Asie centrale.

2 La quête d’influence de la Chine en Asie centrale

La présence de la Chine en Asie centrale est fondamentalement stratégique. En effet, depuis les attentats du 11 septembre, les États-Unis ont opéré un redéploiement militaire dans la région ayant pour principal effet d’ « encercler » la Chine. Ils sont présents en Ouzbékistan, au Kirghizistan, au Turkménistan et au Tadjikistan178. Certes, la Chine a depuis développé son influence dans la plupart des États d’Asie centrale (a). Mais c’est bien sur le Kazakhstan que se sont concentrés tous ses efforts, puisque cette ancienne république soviétique est devenue son premier partenaire énergétique dans la sous-région (b).

175 THOMSON, Op. cit. p. 34.176 PAQUET Philippe, « Le partenariat avec la Russie plus énergétique que stratégique », La Libre Belgique, 23 mars 2006.177 YI, Op. cit.178 NIQUET, Op. cit. p. 29.

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a Extension du domaine d’influence chinoise à l’Asie centraleLa diplomatie énergétique de la Chine en Asie centrale s’appuie principalement sur

l’Organisation de coopération de Shanghai179, créée en 1996180. L’OCS réunit la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Tadjikistan181 et le Kirghisistan dans la lutte contre le terrorisme et les séparatismes182. Beaucoup attribuent à cette organisation des fonctions occultes mises au service de la compétition que se livrent la Russie, les États-Unis et la Chine dans la région. En réalité, elle permet surtout aux responsables chinois – bureaucrates ou représentants des compagnies pétrolières – de nouer de précieux contacts avec les autorités d’Asie centrale.

Cette initiative ne doit pas faire oublier l’offensive diplomatique lancée par la Chine en avril 1994. Li Peng effectue alors une tournée officielle dans les États d’Asie centrale, emmenant avec lui des dirigeants de la CNPC183. Ils ont ainsi pris des contacts au Turkménistan, État dans lequel a été monté le projet d’oléoduc vers le Japon, en passant par l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, la Chine et la Corée du Sud.

En outre, plusieurs projets de pipelines sont en cours pour relier à la Chine les champs de Russie, d’Asie centrale et de Birmanie. Il existe également des projets de coopération avec l’Ouzbékistan dans le secteur du gaz. En revanche, les tentatives d’achats de parts dans les champs pétroliers du Kazakhstan ont dans un premier temps plusieurs fois échoué ; aucun droit de forage n’a de plus réellement été sécurisé en Asie centrale ou au Moyen-Orient184.

Des lors, la Chine se voit poussée à choisir un État producteur sur lequel concentrer ses efforts : ce sera le Kazakhstan.

b Le Kazakhstan : la tête de pont centre-asiatique de la ChineUne estimation de 1998 chiffre les réserves en pétrole du Kazakhstan à 8,2 milliards de

tonnes, et les réserves en gaz à 2 000 milliards de mètres cubes. En 1996, la production se limitait à 23 millions de tonnes de brut ; en 2010, les Kazakhs espèrent en extraire 170 millions, ce qui ferait d’eux les sixièmes producteurs les plus importants au monde185.

A l’indépendance du Kazakhstan, les Russes restent responsable de la protection de cet État qui ne dispose pas de l’arme nucléaire. S’est ainsi développée un discours très important sur la « menace chinoise » qui a encore des effets aujourd’hui. Depuis pourtant, l’influence stratégique russe a fortement reculé, en raison des pressions américaines sur l’Asie centrale.

179 OCS ou, en anglais SCO (Shanghai Cooperation Organisation).180 ZHONGYING, Op. cit.181 Le 3 mai 2006, la Chine accorde même une aide de 2 millions de dollars à l’armée tadjike (« La Chine accorde une aide de 2 millions de dollars à l’armée tadjike », Agence France Presse, 3 mai 2005).182 SMALL Andrew, Preventing the Next Cold War, London, Foreign Policy Centre, 2005, 72 p.183 CHRISTOFFERSEN, Op. cit.184 FORNEY, Op, cit.185 CHRISTOFFERSEN, Op. cit.

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Ceux-ci sont d’ailleurs présents dans la plupart des anciennes républiques soviétiques de la région.

C’est dans ce contexte que les autorités kazakhes ont accepté les propositions de Pékin visant à intensifier les relations énergétiques. Cet État a appliqué une stratégie d’indépendance face aux grandes puissances dans laquelle la Chine a une place privilégiée. Les Chinois sont ainsi très présents dans le secteur énergétique kazakh, ils sont d’importants clients et des investisseurs de poids. C’est pourquoi l’on peut dire que la politique énergétique de la Chine a, dans le cas du Kazakhstan, contribué à améliorer son image186. Pour Gaye Christoffersen, du think tank américain National Bureau of Asian Research, « les bénéfices potentiels de la coopération pétrolière » ont initié un « processus de construction de la confiance » entre Pékin et Astana187.

Il rappelle ainsi que la Chine avait déjà surpris en 1997, quand elle a acquis – via la CNPC – des droits d’exploitation sur les champs d’Aktyubinsk et d’Uzen au Kazakhstan188. Ce projet de 9 milliards de dollars était complété par la construction d’un oléoduc de plus de 4 milliards de dollars reliant le Kazakhstan à la région chinoise du Xinjiang189. Un autre, plus court, relie le Kazakhstan à l’Iran. Ce n’est pas le premier projet de coopération énergétique bilatérale, puisqu’en août 1995, la Chine et le Kazakhstan avaient déjà lancé un projet d’exploration dans la Mer Caspienne, sous l’égide de la CNOOC. Néanmoins, la Chine était en 1997 le premier investisseur étranger au Kazakhstan.

La Chine possède en outre 60 % de la compagnie kazakhe Aktobemunaigaz Oil Corporation, acquise pour 4,3 milliards de dollars190. Enfin, la CNOOC a récemment acquis la compagnie canadienne PetroKazakhstan, ancien géant soviétique191. Les Chinois contrôlent ainsi le pétrole kazakh.

Le cas de l’Asie centrale montre que la Chine sait associer ses intérêts stratégiques et énergétiques dans une même quête d’influence. On remarque aussi que dans les plans de Pékin, ses voisins les plus proches sont la priorité. En effet, la stratégie de la Chine pour l’Asie centrale obéit à la conception qu’ont les Chinois de leur environnement, qu’ils découpent en cercles concentriques aux différents niveaux d’intérêt stratégique. C’est selon cette vision qu’à été imaginé au milieu des années 1990 un « pont pétrolier pan-asiatique »192

(cf. infra) unifiant la sphère d’influence énergétique de la Chine en Asie.

186 Il existe néanmoins des phénomènes qui pèsent sur les représentations, notamment du côté kazakh. En effet, la forte pression démographique qui s’exerce sur la région du Xinjiang est à l’origine d’une immigration chinoise vers le Kazakhstan, ce qui fait aussi craindre à la minorité ouïghoure un renversement de la répartition ethnique. Il s’agit d’un parfait exemple de phénomène transnational qui, dépassant la volonté des États, agit sur la situation énergétique mondiale.187 CHRISTOFFERSEN, Op. cit.188 La même année, la CNPC a également investi en Irak.189 L’oléoduc Atasu-Urumqi sur lequel le gouvernement kazakh conserve 51 % du contrôle (NIQUET, Op. cit. p. 29).190 CHRISTOFFERSEN, Op. cit.191 FREDET, Op. cit.192 CHRISTOFFERSEN, Op. cit.

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3 La sphère d’influence énergétique de la Chine en Asie

La stratégie d’influence de la Chine sur ses voisins concerne tout d’abord le plus puissant d’entre eux – après le Japon – : l’Inde, qui émerge comme un rival énergétique de la Chine. Le 12 janvier 2006, Inde et Chine ont conclu un accord « afin d’établir une stratégie commune en matière d’approvisionnement énergétique »193. Mais derrière cette bonne volonté se cache une rivalité stratégique grandissante, qui porte avant tout sur les énergies.

En effet, François Lafargue observe que pour assurer ses approvisionnements énergétiques, l’Inde « a une stratégie […] similaire à celle de la Chine, c’est-à-dire aller là où personne ne va »194. Il est donc très important pour Pékin de se concilier les faveurs d’un « partenaire » qui se donne pour champ d’intervention les zones géographiques sur lesquelles Pékin souhaite peser, au premier rang desquelles l’Afrique (cf. Chapitre III).

La relation avec les autres acteurs énergétiques asiatiques obéit en revanche au schéma classique de la relation entre la Chine et les États producteurs auprès desquels elle souhaite garantir son approvisionnement. Ainsi la dépendance énergétique de la Chine pousse celle-ci à collaborer avec ses voisins. Mais Pékin est également très attentif à la préservation de ses intérêts stratégiques en Asie. C’est notamment ce que montre le projet de « pont énergétique » entre la Thaïlande et le Japon, en passant notamment par la Chine et la Corée du Sud (cf. supra). Ce projet a été initié par la Chine afin de « contourner Singapour et le détroit de Malacca », sous influence américaine. Hu Jintao a de plus déclaré que « pour la Chine, le détroit de Malacca représente un enjeu de sécurité à long terme, car certaines puissances essaient d’y contrôler la navigation »195. On voit ici combien les stratégies chinoises de sécurisation des approvisionnements et de rivalité stratégique avec à Washington sont imbriquées.

Au reste, la Chine entretient d’excellentes relations avec les États asiatiques riches en matières premières. En 2004, le premier fournisseur de pétrole asiatique de la Chine est l’Indonésie, avec 30 millions de tonnes (plus de 30 % des importations pétrolières chinoises)196. Valérie Niquet rappelle de plus que « Pékin a récemment signé d’importants accords avec l’Australie197 et l’Indonésie, et les gisements de gaz naturel de Tangguh en Indonésie, ainsi que ceux d’Australie, à la suite d’un accord signé en 2002 pour l’importation annuelle de 16 milliards de tonnes de gaz à partir de 2005, joueront un rôle majeur dans

193 LÉON-DUFOUR Sixtine, « Entre la Chine et l’Inde, une compétition à somme positive », Le Figaro, 1er février 2006.194 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.195 NIQUET, Op. cit. p. 29.196 ANGELIER, Op. cit.197 Si l’Australie se situe « administrativement » en Océanie et non en Asie, elle semble incluse dans la sphère d’influence énergétique de Pékin, au même titre que l’Indonésie.

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l’approvisionnement énergétique des provinces du Fujian et du Guangdong, où des terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL) sont en construction »198. La Chine a également conclu un accord de fourniture de gaz avec la Papouasie199.

Cette stratégie envers des partenaires géographiquement proches permet à Pékin d’envisager un acheminement moins coûteux pour ses hydrocarbures. Mais il s’agit aussi de s’assurer une certaine emprise sur son environnement proche afin de déployer, dans un deuxième temps, une pétrodiplomatie mondiale.

4 Coopération énergétique Chine-Iran : la convergence idéologique

L’Iran est le partenaire avec lequel Pékin entretient les relations les plus complètes, en ce sens que les intérêts stratégiques et énergétiques se conjuguent réciproquement de manière idéale. Cette relation est d’autant plus forte qu’elle vient s’inscrire dans un cadre de compatibilité idéologique antiaméricaine.

L’Iran est le deuxième exportateur de pétrole vers la Chine, avec 15 millions de tonnes en 2004, à égalité avec L’Arabie saoudite200. Mais alors que la part des importations en provenance du Royaume saoudien est en passe de baisser, celle de l’Iran est promise à une forte croissance.

L’intérêt énergétique de la Chine en Iran est en effet de plus important. Entre la Chine et l’Iran, il y a une relation de « partenariat privilégié » selon Valérie Niquet201, qui va jusqu’au soutien de la République islamique dans les institutions internationales (cf. Chapitre III).

La recherche de partenaires comme l’Iran montre que la Chine ne limite pas sa quête d’influence à ses voisins les plus proches. Cela prouve aussi qu’à condition qu’il existe une convergence d’intérêts portant sur les énergies, les Chinois sont prêts à se doter d’alliés parfois très différents d’eux.

B Mondialisation de la coopération énergétique chinoise

La répartition géographique des fournisseurs de la Chine en pétrole ne laisse aucun doute sur l’envergure mondiale de la politique énergétique chinoise de diversification et de

198 NIQUET, Op. cit. p. 29.199 FREDET, Op. cit.200 ANGELIER, Op. cit.201 LECAPLAIN Philippe, entretien avec Valérie Niquet, « Iran : La Chine a longtemps eu une position très attentiste, en espérant ne pas avoir à se prononcer trop clairement », Radio France Internationale, 21 février 2006.

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sécurisation des approvisionnements (cf. Annexe 27). En effet, la coopération énergétique avec les Occidentaux atteint parfois un degré élevé d’intégration (1), alors que les relations avec l’Amérique latine s’intensifient sur les matières premières (2).

1 Coopération énergétique avec les Occidentaux

On a déjà vu que les compagnies chinoises et occidentales collaboraient ensemble au point que ces dernières fassent désormais partie intégrante de plus en plus de projets pétroliers chinois en Chine, mais c’est aussi le cas à l’étranger.

Par exemple, Zhou Shouwei, Président de la CNOOC Ltd., a déclaré que l’exploitation du pétrole de la Mer de Chine méridionale était une composante majeure dans la stratégie du groupe chinois pour les cinq années à venir. Des partenariats ont été mis en place avec des compagnies occidentales, telles que le canadien Husky Energy, selon lesquels lesdites compagnies prennent en charge l’exploration des 22 blocs en mer profonde (de 300 à 500 m), et la CNOOC Ltd. perçoit 51 % du pétrole découvert le cas échéant202.

Ces exemples de collaboration entre multinationales ne sont finalement que l’expression de relations énergétiques déjà engagées avec l’Union européenne (a) ou les États-Unis (b).

a Coopération énergétique Chine-Union européenneLa Chine et l’Union européenne sont d’excellents partenaires commerciaux. De part et

d’autre, il y a un effort de rationalisation des relations. Les Chinois ont ainsi publié un document détaillant leurs positions officielles sur l’UE. En matière de coopération énergétique, le document indique une volonté d’ « étendre la coopération dans des domaines tels que [la] structure énergétique, [les] énergies propres, [les] énergies renouvelables, [l’] amélioration de l’efficience et économie de l'énergie ; [de] promouvoir les échanges sur la politique de développement énergétique ; [de] travailler pour assurer la réussite de la conférence sur la coopération énergétique Chine-UE ; [de] renforcer le mécanisme du groupe de travail sur l'énergie, [de] favoriser la coopération dans la formation en technologies énergétiques et la réalisation des projets pilotes ; [de] favoriser la diffusion et le transfert de technologies »203.

202 « Pétrole : la société canadienne Husky Energy forera fin avril un puits d’exploration à eau profonde dans la mer de Chine méridionale », Xinhua, 15 mars 2006.203 « Document chinois pour la politique de l’UE », Ambassade de Chine en France, 13 octobre 2003 : www.amb-chine.fr/fra/zfzj/t96870.htm

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Dans les faits, la coopération énergétique reste avant tout bilatérale, comme le montre la coopération nucléaire entre la Chine et la France. Paris est engagé dans le programme nucléaire chinois, notamment avec les centrales de Daya Bay. Des accords concernant la coopération nucléaire ont été conclus lors des visites de Hu Jintao et du Vice-premier ministre Zeng Peiyan en 2004204. Mais Areva a vu s’échapper un contrat de 6,65 milliards d’euros, au profit d’un concurrent anglo-saxon qui a accepté un transfert de technologies concernant les réacteurs de troisième génération205.

Malgré les efforts de rationalisation, les relations énergétiques entre la Chine et l’UE – et entre la Chine et les États membres – restent très modestes, surtout si on les compare à celles qu’entretiennent Pékin et Washington.

b Le modèle de la coopération énergétique Chine-États-UnisEn dépit de leur rivalité, cela fait longtemps que la Chine et les États-Unis ont engagé un

processus de dialogue bilatéral sur les énergies. En effet, Washington et Pékin ont créé un Comité d’orientation États-Unis-Chine sur l’efficacité énergétique, qui s’est réuni pour la première fois en 1997 à Pékin. Cela montre que la dépendance énergétique de la Chine préoccupe depuis longtemps l’administration américaine. Un dialogue est ainsi établi entre responsables chinois et américains depuis des années.

Cette coopération constitue un modèle à suivre et à améliorer par les autres puissances, notamment pour les États d’Europe occidentale et pour l’Union européenne, qui reconnaissent que la régulation du secteur chinois de l’énergie est un « bien global » et qui viennent d’entamer des programmes de coopération avec Pékin sur ce sujet206. Mais l’effort paraît bien plus important de la part des États-Unis.

Dans sa période d’apprentissage de la politique énergétique (cf. Chapitre I), la Chine se donne les États-Unis pour modèle, notamment dans leur stratégie de constitution de réserves pétrolières. En effet, l’Energy Policy and Conservation Act (EPCA) a été adopté en 1975, après le premier choc pétrolier. Il organise la constitution d’une réserve stratégique de pétrole207 qui se monte actuellement à environ 600 millions de barils et se situe principalement dans les anciennes mines de sel du Texas et de Louisiane. Initialement destinée à compenser une rupture brutale des approvisionnements, la réserve permet aussi d’agir sur le marché,

204 « Relations économiques France-Chine », Ministère des Affaires étrangères, consultée 16 septembre 2005 : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/chine_567/france-chine_1123/relations-economiques_4428/index.html205 BORDIER Julien, « La Chine écarterait Areva », L’Express.fr, 15 mars 2006 : www.lexpress.fr/info/quotidien/ actu.asp?id=2910. Voir également l’Annexe 28.206 AUSTIN, Op. cit.207 Strategic Petroleum Reserve of the United States.

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même si les effets sont limités208. Les Chinois observent ce succès avec envie, et comptent bien imiter les Américains.

C’est également le cas dans le choix des partenaires pétroliers. La Chine entretient ainsi des relations énergétiques avec l’un des principaux fournisseurs des États-Unis, le Canada, avec lequel elle a tenté d’instaurer un partenariat énergétique. Mais elle semble avoir rencontré plus de succès chez les autres partenaires énergétiques de Washington, en Amérique latine.

2 Amérique latine : Pékin dans le pré-carré américain

L’intérêt de la Chine pour l’Amérique latine date de la guerre froide, mais il a été renouvelé par la nécessité de diversifier les sources d’approvisionnement énergétique (a). Néanmoins, et comme c’est le cas avec la Russie, l’Asie centrale ou l’Iran, Pékin s’appuie sur une convergence idéologique : la volonté de contrebalancer l’influence des États-Unis, comme le montre le cas du Venezuela (b).

a Évolution du partenariat entre la Chine et les États producteurs latino-américainsAprès le Moyen-Orient dans les années 1950, l’Afrique dans les années 1960, les intérêts

chinois investissent l’Amérique latine dans les années 1970209, dans le contexte d’une normalisation progressive des relations entre Pékin et Washington. Paradoxalement, ces relations s’instaurent à un moment où l’intérêt de Pékin pour le Tiers Monde s’atténue. Mais pour François Joyaux, ce rapprochement s’explique par le fait que « la Chine ne [peut] prétendre être une puissance mondiale sans être présente en Amérique latine, aux portes mêmes des États-Unis, comme ceux-ci [sont] présents en Extrême-Orient, aux portes mêmes de la RPC »210. Cela est également dû à la rivalité sino-soviétique. Les Chinois cherchaient à contrecarrer l’URSS partout où cela était possible ; d’où les relations historiquement tendues entre Pékin et La Havane. Dans les années 1970, la Chine va pourtant réaliser une remarquable percée stratégique en Amérique latine, voyant la plupart des États du continent nouer des relations avec elle. Mais en dépit des ambitions stratégiques initialement affichées, le partenariat s’avère avant tout économique et énergétique.

208 L’approvisionnement pétrolier de l’Union européenne, Commission européenne, Direction générale de l’Énergie et des Transports, 4 octobre 2000, 31 p.209 Même si la Chine avait auparavant soutenu des mouvements révolutionnaires en Amérique latine.210 JOYAUX, Op. cit.

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La Chine concurrence de plus en plus la puissance régionale historique des États-Unis. Selon Cynthia Watson, professeur de stratégie au National War College de Washington, « les Latino-Américains se sentent frustrés que les États-Unis ignorent pratiquement la région, c’est pourquoi se tourner vers la Chine » leur permet d’espérer des bénéfices à court terme. Ces trois dernières années, la Chine a ainsi conclu de nombreux accords de fourniture en matières premières avec les États latino-américains. Elle cherche à développer ses liens avec le Brésil, la Colombie, le Pérou, l’Équateur ou la Bolivie, mais aussi avec le Venezuela.

Pour le New York Times, « l’Amérique latine est en passe de devenir une destination privilégiée pour la Chine dans sa quête mondiale pour l’énergie, […] les Chinois concluant rapidement des accords avec le Venezuela, investissant sur des marchés [comme celui] Pérou et explorant les possibilités en Bolivie et en Colombie »211. Et Matthew Forney signale que des responsables de la politique pétrolière chinoise ont approché « l’Équateur et la Colombie, dans l’espoir d’acheter du pétrole dans l’arrière-cour des États-Unis »212. La Chine a désormais des intérêts dans les secteurs de l’exploration et de la production pétrolière du Pérou213 et elle a racheté la compagnie équatorienne ENCAM, qui produit chaque jour 75 000 barils de pétrole214.

La stratégie chinoise n’est pas seulement financière : elle est aussi idéologique, ce qui n’est pas sans intérêt pour ses partenaires sud-américains. Parmi eux, les plus hostiles à Washington (comme le Venezuela ou la Bolivie) provoquent une reconfiguration des relations énergétiques américaines. Jean-Gabriel Fredet expose ainsi les menaces que fait peser la Bolivie sur les intérêts des grandes compagnies étrangères, l’approvisionnement en gaz et la croissance de l’Amérique latine. En effet, « premier président indien du continent américain, [Evo] Morales veut renforcer le camp de l’ " autre développement " en fédérant les pays socialistes d’Amérique latine qui rejettent le modèle néolibéral. Sa volonté d’ " exercer son droit légitime de propriété sur les ressources naturelles exploitées par les compagnies étrangères " va-t-elle provoquer un clash ? Les énormes réserves de gaz du pays […] sont un fantastique levier de développement. Mais une nationalisation en force aurait des conséquences immédiates sur les prix de l’énergie. Et sur les ambitieux objectifs de croissance de toute la région »215. Or, la Chine compte bien tirer profit de ce durcissement de la coopération énergétique entre Washington et l’un de ses fournisseurs. Mais c’est bien le Venezuela qui attire le plus l’attention de Pékin.

211 FORERO Juan, « International Business ; China’s Oil Diplomacy in Latin America », The New York Times, 1er mars 2005.212 FORNEY, Op, cit.213 YI, Op. cit.214 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.215 FREDET, Op. cit.

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b La Chine et le Venezuela solidaires contre WashingtonJean-Gabriel Fredet explique très bien les subtilités de la politique énergétique du

Venezuela et le « bolivarisme pétrolier de [Hugo] Chavez ». Il remarque ainsi que « depuis la création de l’OPEP, le Venezuela a toujours fait figure de " dur " au sein du cartel pétrolier. Mais si Hugo Chavez inquiète aujourd’hui les États-Unis, c'est que ce populiste postmoderne veut torpiller le " consensus de Washington ", ce credo libéral prescrit par les États-Unis »et le Fonds monétaire international (FMI). À l’image de la Vladimir Poutine, « " El Comandante " a compris lui aussi la puissance du pétrole (80 % des exportations du pays et 50 % de ses recettes) comme arme politique ». Par ailleurs, Hugo Chavez « jure " faire appel de l’échec de l'économie de marché en Amérique latine où la croissance n’a jamais dépassé 3 % ces dernières années ", pour imposer son néopopulisme axé sur une distribution de la manne pétrolière aux pauvres et sur une opposition frontale à l’Amérique où Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense, le compare à Hitler. Ses énormes réserves, équivalentes à celles de l’Arabie Saoudite, lui donnent les moyens de ses ambitions. L’interruption de ses ventes de brut vers les États-Unis (une menace récurrente) déclencherait une crise dans ce pays qui dépend des importations pour les trois quarts de sa consommation »216.

En effet, le Venezuela est le 8ème producteur mondial, mais il est l’un des principaux fournisseurs des États-Unis (20 % des exportations). Le Venezuela y dispose de huit raffineries qui traitent chaque jour deux millions de barils. Or, M. Chavez accuse les États-Unis d’être la « première menace pour le monde ». Ainsi, pour Didier Adès, « le pétrole donne au Venezuela les moyens de faire de l’antiaméricanisme »217.

Afin de contrer les agissements d’Hugo Chavez, les États-Unis ont décidé d’envoyer une force militaire plus importante qu’à l’habitude dans la région des Caraïbes. Devant la Commission du Sénat, le général américain Craddock a récemment déclaré « que le gouvernement vénézuélien est un " facteur de déstabilisation ", du fait de son activité sur la scène internationale et de sa volonté d’acheter des armes, notamment à la Chine ».

Pour le général, « l’achat d’équipement militaire n’a pas été un processus transparent. C’est un facteur de déstabilisation dans une région où différents pays s’efforcent conjointement de faire face aux menaces internationales, plutôt que de se combattre les uns les autres. […] Nous ne sommes pas tout à fait convaincus que ces nombreux et imposants achats soient justifiés par une volonté de défense nationale du Venezuela »218. La Chine n’hésite donc pas à agir sur la stratégie militaire américaine au plus près du territoire des États-Unis. À cet égard, le partenariat avec le Venezuela est bien « gagnant-gagnant ».

216 FREDET, Op. cit.217 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.218 MARTIN Jorge, « Le Venezuela et Cuba menacés : Grandes manœuvres militaires des États-Unis dans les Caraïbes », Collectif Bellacio, 29 avril 2006 : bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=27163

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Du point de vue du Venezuela, il s’agit de profiter de l’opportunité de diminuer la part des États-Unis dans les exportations de pétrole vénézuélien et ainsi réduire la dépendance de son pays vis-à-vis de la superpuissance américaine. En effet, sanctionné par Washington, le Venezuela se rapproche de la Chine, qui y construit des raffineries et y exploite de plus en plus de champs offshores. Pékin a même proposé la construction d’un oléoduc reliant le Venezuela au Pacifique par la Colombie, afin de contourner le Canal de Panama, incapable d’absorber la demande chinoise219. La Chine a donc la possibilité de resserrer les liens commerciaux avec le Venezuela, notamment dans les domaines de l’énergie et de financer des investissements dans les infrastructures comme les transports et les télécommunications220.

Cette stratégie de diversification et de sécurisation mondiales des approvisionnements est complétée par une action spécifiquement concentrée sur l’Afrique. Délaissé par ses partenaires traditionnels, le continent trouve dans la Chine un partenaire très intéressé par ses richesses naturelles. On parlera alors de stratégie africaine de la Chine.

II La stratégie africaine de la Chine

Les Chinois ont tout d’abord réalisé combien l’Afrique était un continent riche en matières premières (cf. Annexe 29). Elle détient la quasi-totalité des réserves en chrome (Zimbabwe et Afrique du Sud), 90 % des réserves en platine (Afrique du Sud), 50 % des réserves en cobalt (RDC221 et Zambie), de l’or, des diamants, du manganèse, du cuivre, du fer, de l’uranium, du charbon ou encore du gaz et… du pétrole (Soudan, Golfe de Guinée, Nigeria qui est le 9ème

producteur mondial).La Chine importe aujourd’hui 25 % de son pétrole depuis l’Afrique222 ; cette association

entre la Chine et les producteurs africains est finalement logique. D’une part, les Chinois profitent de la relative isolation stratégique dont fait l’objet l’Afrique depuis la fin de la guerre froide pour s’implanter sur le continent. De leur côté, les États africains, en particulier les États producteurs, voient d’un bon œil la Chine s’intéresser à leurs richesses. Ainsi, l’Association des pays africains producteurs de pétrole a été créée pour profiter de la hausse mondiale de la demande et des cours. En effet, les pays de l’OPEP ont tout choix d’augmenter leur production223, et ainsi faire baisser les cours, ce que ne souhaitent pas les Africains. Il est

219 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.220 THOMSON, Op. cit. p. 34.221 République démocratique du Congo ou Congo-Kinshasa.222 FRENCH Howard W., « A Resource-Hungry China Speeds Trade with Africa », The New York Times, 9 août 2004.223 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.

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donc évident que beaucoup d’États africains ont un intérêt à voir la Chine continuer à faire pression sur les prix du pétrole tout en investissant dans leurs secteurs pétrochimiques.

La réciprocité des intérêts à court terme forme un socle de compréhension sur lequel s’appuie la Chine pour accroître son influence et ses approvisionnements africains. Si les partenariats énergétiques sont lancés sur l’ensemble du continent (A), la Chine semble concentrer son action sur les dictatures pétrolières d’Afrique, avec lesquelles elle dispose d’une marge de manœuvre beaucoup plus large (B).

A La montée en puissance de la Chine sur le continent africain

La pétrodiplomatie chinoise concerne l’ensemble du continent africain (1), de l’Afrique du Nord (2) à l’Afrique australe (3). La Chine s’affirme ainsi comme une véritable puissance africaine, comme le décrit François Lafargue224.

1 Spécialisation africaine de la pétrodiplomatie chinoise

En observant la carte des principales routes du pétrole, on comprend que l’Afrique présente un double intérêt : énergétique, car c’est une région riche en pétrole, mais également stratégique, eu égard à sa position géographique (cf. Annexe 30).

La Banque mondiale (BM) remarque à juste titre que « pour la Chine, l’Afrique [est] un continent trois fois plus grand que sa propre superficie, moins peuplé qu’elle et pourvu de la plupart des matières premières dont elle a besoin. Pétrole d’Angola, platine du Zimbabwe, cuivre de Zambie, bois tropicaux du Congo-Brazzaville, fer d’Afrique du Sud : tous sont sur la liste des courses de la Chine »225.

Dans le document sur sa stratégie en Afrique (cf. Annexe 31), le gouvernement chinois a notamment déclaré son intention d’intensifier la « coopération en matière de ressources ». Le document encourage les entreprises chinoises à favoriser l’utilisation rationnelle des ressources en Afrique, « selon les principes des avantages réciproques et du développement partagé »226. En janvier 2006, la tournée officielle du ministre chinois des Affaires étrangères227, Li Xiaoxing, à travers l’Afrique a coïncidé avec la publication dudit document, 224 LAFARGUE François, « La Chine, une puissance africaine », Perspectives chinoises, n°90, juillet-août 2005, pp. 2-10.225 « China Winning Resources and Loyalties of Africa », Banque mondiale, 23 février 2006 : economie.moldova.org/stiri/eng/10000/226 « Le gouvernement chinois publie un document officiel sur sa politique africaine », Xinhua, 12 janvier 2006.227 Il connaît d’ailleurs très bien le continent pour y avoir été en poste pendant neuf ans ; il a d’ailleurs participé à la rédaction du document (CHING Frank, « China’s Africa Policy for Energy », The Korea Times, 26 janvier 2006).

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qui a le statut de véritable profession de foi. Elle visait aussi à préparer la tournée d’Hu Jintao, programmée quelques semaines plus tard. Cette offensive diplomatique montre que la Chine cherche à renforcer son rôle – déjà déterminant – d’acteur énergétique en Afrique.

La principale stratégie de la politique énergétique de la Chine en Afrique consiste à s’assurer un accès exclusif sur des zones de production selon une stratégie complète. En plus de cette coopération bilatérale sur l’extraction, la Chine prospecte au Gabon, au Mali, au Niger et en Mauritanie228.

Peu à peu les observateurs se rendent compte de l’ampleur des investissements réalisés dans les industries extractives en Afrique229. La Chine investit beaucoup dans le secteur du cuivre au Congo-Kinshasa, ainsi que dans celui du cobalt, 85 % du cobalt utilisé par la Chine provenant de cet État230.

La Chine est enfin présente sur les marchés énergétiques africains, puisqu’en août 2005, 35 millions de dollars ont été investis dans la compagnie publique d’électricité kenyane, la Kenyan Power and Lighting Company (KPLC)231. Mais certaines zones de l’Afrique semblent s’attirer les faveurs particulières de la Chine.

2 Coopération énergétique avec les États d’Afrique du Nord

Avant tout présente en Algérie, avec laquelle elle entretient depuis longtemps de très bonnes relations (a), la Chine cherche à gagner en influence dans les autres États producteurs d’Afrique du Nord : le Maroc, la Libye et l’Égypte (b).

a La Chine et l’Algérie : des partenaires historiquesLa Chine est le premier État non arabe à reconnaître le gouvernement provisoire

algérien232. Pendant la guerre d’Algérie, la Chine condamne l’action de la puissance coloniale – la France – et soutient le FLN, dont plusieurs membres seront reçus en Chine, où il sera même organisé une journée officielle de soutien à l’Algérie, le 30 mars 1958. La Chine condamne aussi le bombardement de Sakiet Sidi Youssef le 8 février 1958, en Tunisie (69 membres du FLN tués).

228 CROS Marie-France, « Le nouvel ordre chinois en Afrique », La Libre Belgique, 26 avril 2006.229 THOMSON, Op. cit. p. 15.230 CROS, Op. cit. et COREY Charles W., « L’Afrique acquiert une importance stratégique déterminante dans le monde », US Department of State, 8 mars 2006 : fr.allafrica.com/stories/200603080902.html.231 « Chronology : Chinese-African Trade Relations Are Increasing », Reuters, 24 avril 2006.232 LAFARGUE, Op. cit.

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La Chine qualifie ensuite la création d’un Comité de Salut Public, suite aux événements du 13 mai 1958 à Alger, de « coup d’État fasciste ». Puis la Chine reconnaît le Gouvernement provisoire algérien (GPRA) de Ferhat Abbas, se distinguant ainsi de la neutralité occidentale, mais surtout soviétique. Selon Marc Aicardi de Saint-Paul233, il est plus que probable que la Chine ait été jusqu’à fournir des armes aux Algériens ; il fonde cette idée sur les liens étroits avec l’armée chinoise dont disposait le Premier ministre He Long, qui avait par ailleurs rencontré des dirigeants du GPRA.

Le soutien de la Chine est donc à première vue conforme aux positions idéologiques qu’elle défend sur la scène internationale. Cependant, pour M. Aicardi de Saint-Paul, l’action de la Chine en Algérie pendant cette période est tout de même un échec politique : « les Algériens ne se sont pas libérés par la force des baïonnettes, ils ont dû négocier avec le colonisateur ; le conflit ne s’est pas internationalisé, contrairement aux espoirs des Chinois ; enfin, si Ferhat Abbas, par pure tactique, avait attaqué la position de l’URSS, le nouveau gouvernement algérien donne la préférence à Moscou au détriment de Pékin ».

Pékin a su surmonter cet échec pour revenir vers l’Algérie, dont elle est actuellement le sixième fournisseur234. Mais la coopération n’est plus idéologique ou militaire : elle repose avant tout sur les énergies. Lors de la visite de Hu Jintao en Algérie début 2004, un contrat est conclu entre la Sonatrach et la CNPC235. François Lafargue rappelle de plus que Sinopec a signé « un contrat de 420 millions d'euros pour développer le gisement de Zarzaitine », dans le Sahara, à la frontière orientale de l’Algérie. « Une autre société chinoise, la China National Oil and Gas Exploration doit également construire une raffinerie dans le désert algérien, près d’Adrar »236.

L’influence de la Chine en vient à dépasser le seul marché de l’énergie, puisqu’en avril 2006, les consortiums chinois et japonais ont emporté l’équivalent de 7 milliards de dollars de marchés publics de construction d’autoroute, portant sur 1 300 km de liaison entre le Maroc et la Tunisie237.

Pour Philippe Grangereau, l’Algérie est une « véritable tête de pont chinoise au Maghreb ». La Chine « est omniprésente [dans cet ancien département français], où elle réalise des milliers de logements et de grands travaux d’infrastructure »238. La CNPC – qui est titulaire de contrats d’exploration – a ainsi accordé des prêts grâce auxquels l’Algérie peut financer la modernisation de son réseau de télécommunications… bien entendu confié à des

233 AICARDI DE SAINT-PAUL, Op. cit.234 LAFARGUE, Op. cit.235 AICARDI DE SAINT-PAUL, Op. cit.236 LAFARGUE, Op. cit.237 REUTERS, Op. cit. p. 68.238 GRANGEREAU, Op. cit.

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entreprises chinoises239. C’est notamment à partir de cette « tête de pont » que la Chine compte gagner en influence dans les autres États nord-africains.

b Gagner les faveurs des producteurs nord-africainsOn observe un rapprochement récent de la Chine vers des États du Nord de l’Afrique

auxquels elle ne s’était jusqu’alors jamais intéressée. Le premier d’entre eux est le Maroc. Le journal marocain L’Économiste explique que le partenariat entre la Chine et le Maroc n’est pas seulement économique, il repose sur une relation stratégique « donnant-donnant » : « le Maroc considère l’île de Taiwan comme une province chinoise [et] de son côté, Pékin ne reconnaît pas le Polisario et considère la région du Sahara comme des provinces marocaines »240. Mais en améliorant ses relations avec le Maroc, la Chine cherche avant tout à s’offrir un accès privilégié à une partie du marché européen, ainsi qu’aux phosphates du Royaume (groupe industriel OCP)241.

L’action diplomatique sur la région se double d’une tentative de rapprochement avec la Libye, de toute part courtisée pour ses hydrocarbures. Le ministre chinois des Affaires étrangères a rencontré le colonel Kadhafi aussitôt que la Libye a annoncé vouloir nouer des relations commerciales avec Taiwan, péché impardonnable pour Pékin. On voit bien ici le jeu que certains États jouent dans la rivalité Chine-Taiwan. Kadhafi a d’ailleurs annoncé qu’il adhérait à la politique d’une seule Chine, et que les seules relations qui seraient entretenues avec Taipeh seraient d’ordre commercial. Pékin a par ailleurs obtenu que le Président taiwanais ne se rende pas en Libye. Si l’objectif premier de la Chine en Afrique est de renforcer les relations énergétiques, il n’en demeure pas moins que la limitation de l’influence de Taiwan sur le continent fait partie de sa stratégie : c’est bien là une forme d’intervention de la Chine dans les affaires internes de ces États242.

Quoi qu’il en soit, l’énergie reste la priorité des Chinois. En 2004, la Chine a conclu un accord de 300 millions de dollars pour la fourniture annuelle de 10 millions de barils de pétrole libyen243.

Enfin, la même année, Hu se rend en Égypte afin d’intensifier les liens avec une puissance régionale qui dispose en outre d’importantes réserves en gaz244. Certes, la Chine souhaite parvenir à s’appuyer à terme sur l’influente régionale de l’Égypte – y compris au Moyen-Orient –, mais c’est avant tout les hydrocarbures qui l’attirent. C’est pourquoi les cas les plus

239 THOMSON, Op. cit. p. 34.240 « Maroc-Chine : Une alliance stratégique », Rabat, L’Économiste, 24 avril 2006.241 En revanche, les Marocains se montrent très inquiets de l’ « invasion chinoise des marchés marocains ».242 CHING, Op. cit.243 THOMSON, Op. cit. p. 34.244 AICARDI DE SAINT-PAUL, Op. cit.

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exemplaires de coopération énergétique sino-africaine se retrouvent plutôt en Afrique subsaharienne.

3 L’influence croissante de la Chine en Afrique australe

En fait d’Afrique australe, ce sont surtout l’Afrique du Sud, la Zambie et le Zimbabwe dont il est ici question. Les relations entre Pékin et Pretoria se sont en effet fortement développées depuis que les deux États entretiennent des relations diplomatiques (1997). Aujourd’hui, la Chine est un partenaire commercial de premier plan pour l’Afrique du Sud, dont elle est le cinquième fournisseur245.

En juillet 2004, le Groupe Jinchuan, principal producteur chinois de nickel, annonce qu’il a établi une antenne à Johannesburg afin de favoriser les importations en cobalt, cuivre, nickel et platine d’Afrique du Sud246, dont elle s’est finalement assurée la fourniture, comme c’est aussi le cas pour le platine. Une joint venture est également créée dans l’exploitation du chrome247. La Chine importe par ailleurs de grandes quantités de charbon depuis l’Afrique du Sud248.

L’Afrique du Sud et le Zimbabwe représentent pour la Chine les principales sources d’approvisionnement en minerai de fer et en platine249, mais la Zambie est également convoitée : en 1999, les Chinois ont acquis la mine de cuivre de Chambezi, l’un des principaux projets miniers chinois à l’étranger. Elle a d’ailleurs déjà investi 170 millions de dollars dans le cuivre zambien250.

En ce qui concerne particulièrement le Zimbabwe, on constate qu’il n’à l’image de l’Afrique du Sud et de la Zambie, il n’a pas de pétrole. Il dispose en revanche de beaucoup de platine. Les Chinois sont ainsi actuellement les premiers investisseurs au Zimbabwe. Ils ont été jusqu’à construire une résidence à 9 millions de dollars pour Robert Mugabe251, à qui ils doivent leur remarquable implantation. En effet, en 2002, « lorsque les Occidentaux ont imposé des sanctions [au Zimbabwe]252, les Chinois ont fait leur apparition. Très vite, une centaine d'hommes d'affaires chinois a fait le déplacement à Harare, avec de multiples

245 LAFARGUE, Op. cit.246 REUTERS, Op. cit. p. 68.247 AICARDI DE SAINT-PAUL, Op. cit.248 LAFARGUE, Op. cit.249 BROOKES Peter et SHIN Ji Hye, China’s Influence in Africa : Implications for the United States, Heritage Foundation, février 2006.250 « Africa : China’s Great Leap into the Continent », Reuters, 23 mars 2006 et COREY, Op. cit.251 WALT Vivienne, « China’s Appetite for African Oil Grows », Fortune, 15 février 2006.252 Les sanctions font suite à la réforme agraire imposée par Robert Mugabe. L’opération, sous couvert d’organiser une répartition plus égalitaire des terres, a en fait consisté à exproprier les fermiers blancs. Cette politique raciste avait pour nom « operation murambatsvina », ce qui signifie « opération nettoyer la crasse ».

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projets. Quatre ans plus tard, les résultats sont tangibles. Les Chinois sont présents dans le secteur minier, les transports, la production et la distribution électriques, les communications mobiles. Symbole de ce rapprochement, une liaison aérienne directe existe désormais entre les capitales chinoise et zimbabwéenne »253.

Le cas du Zimbabwe attire l’attention sur le lien quasi direct qui existe entre l’imposition de sanctions internationales à un État producteur et l’arrivée des Chinois (cf. Chapitre III), qui vont jusqu’à entretenir des projets militaires254. Avec le Zimbabwe, la Chine prouve qu’elle est prête à traiter avec des dictatures.

B Partenariat énergétique avec les dictatures et pseudo-démocraties pétrolières africaines

Les États africains producteurs de pétrole partenaires de la Chine se situent en Afrique de centrale et orientale (Soudan et Tchad), ainsi que dans le Golfe du Guinée (Nigeria, Congo, Gabon et Angola). Les principales régions productrices sont ainsi représentées, à ceci près que l’on remarque qu’aucun de ces États ne s’apparente à des démocraties. On peut objecter que peu d’États pétroliers sont des démocraties, mais la plupart de ceux dont il est ici question sont sous régime de contrôle ou de sanctions de la part des institutions internationales. Or, ces États représentent un quart de la consommation chinoise en pétrole255. Ces alliances que d’aucuns jugent malsaines ont pourtant une histoire, voire une logique, qu’il convient ici d’exposer.

La stratégie de la Chine est la même pour toutes les dictatures pétrolières africaines, mais il existe des subtilités historiques et géostratégiques qui expliquent que l’on parle séparément du Nigeria (1), du Congo et du Gabon (2), de l’Angola (3), du Soudan (4) et finalement du Tchad (5).

253 LENCKONOV Gos G., « Nouvelle page de la coopération économique entre la Chine et l’Afrique », Congosite, 12 janvier 2006 : www.congo-site.info/index.php?action=article&id_article=279844&id_rubrique=5899254 Les attachés militaires chinois sont en effet très présents dans la zone SADC (SERVANT Jean-Christophe, « La Chine à l’assaut du marché africain », Le Monde diplomatique, mai 2005).255 SERVANT, Op. cit.

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1 Nigeria : intensification des relations avec le premier producteur africain de pétrole

Certes, le Nigeria a toutes les apparences d’une démocratie : président élu, élections régulières, etc. Il n’en demeure pas moins que les violations des droits de l’homme sont légion dans le plus peuplé des États africains, de surcroît traversé par les tensions régionalistes. Le Delta du Niger est l’une des régions particulièrement concernées par le séparatisme, les conflits armés et les trafics ; et c’est celle où se localise le pétrole. Les abus et les limites de la souveraineté étatique sur cette zone n’empêchent pourtant pas les compagnies chinoises d’y entreprendre des investissements.

En juillet 2005, PetroChina et la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) ont conclu un accord prévoyant la fourniture de 30 000 barils par jour à la Chine contre 800 millions de dollars. Et en janvier 2006, la CNOOC Ltd. obtient une part importante (2,3 milliards de dollars) dans un champ pétrolier et gazier du Delta du Niger. A ce jour, cela reste l’acquisition la plus importante de la Chine à l’étranger256.

En mars 2006, la CNOOC a acquis 45 % d’un bloc pétrolier et gazier offshore du Delta du Niger pour 2,27 milliards de dollars257. Ce champ disposera d’une capacité de production de 225 000 barils quand il sera opérationnel en 2008258 ; et la CNOOC à d’ores et déjà promis d’investir 2,25 milliards supplémentaires dans le développement du champ259.

Il s’agit là d’une manne considérable, mais on doute qu’elle soit employée au développement du Nigeria. On peut plutôt prévoir que les achats d’armes, les tensions séparatistes et les appétits du pouvoir vont fortement s’intensifier dans cette région déjà ravagée par la violence. La coopération entre Pékin et Abuja trouve pourtant avec l’énergie un support pour d’autres collaborations. Les Chinois lanceront même le premier satellite africain pour le Nigeria260, qui dispose du marché au plus haut potentiel du continent. Mais ce n’est pas le cas pour le Congo ou du Gabon, considérés comme de « simples » producteurs par la Chine.

256 REUTERS, Op. cit. p. 68.257 CHING, Op. cit. et « China/Africa Industry : No Questions Asked », The Economist, 21 janvier 2006.258 GRIFFITHS Dan, « Big Business Brings Beijing to Africa », BBC News, 23 avril 2006.259 BROOKES & SHIN, Op. cit.260 MOONEY Paul, « China’s African Safari », Yale Global, Université de Yale, 3 janvier 2005.

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2 Alliance peu démocratique avec le Congo et le Gabon

Denis Sassou Nguesso et Omar Bongo Odimba sont les deux chefs d’État à avoir effectué le plus grand nombre de visites officielle en Chine (neuf chacun)261. Si leur longévité au pouvoir explique en partie ce « record », il n’en demeure pas moins que le Congo et le Gabon sont deux partenaires privilégiés par Pékin, et ce depuis très longtemps.

La coopération entre la Chine et le Congo-Brazzaville a été interrompue en 1997 en raison de la guerre civile. En 2001, les exportations de pétrole congolais vers la Chine ont commencé262. En 2003, 1,5 % des importations pétrolières de la Chine provenaient du Congo-Brazzaville. Cela représente 1 million de tonnes (8,85 % de la production congolaise). Deux ans plus tard, en 2005, Sinopec a obtenu des droits d’exploitation portant sur les champs offshores Marine 12 et Haute Mer C263.

Au Gabon, de gros efforts ont été fournis par les Chinois afin de sécuriser ses approvisionnements en pétrole. La Chine est devenue le deuxième client du Gabon, après les États-Unis ; elle est le troisième acheteur de pétrole gabonais, derrière la France et les États-Unis264 et le deuxième partenaire commercial de Libreville, derrière la France. La Chine importe du pétrole, du bois (cf. Annexe 32) et du manganèse depuis cet État riche en matières premières265. L’équilibre stratégique classique entre les puissances autour de cet important État pétrolier se voit donc remis en question.

En 2004, Hu a fait escale au Gabon dans le but de profiter le l’influence de Bongo pour pénétrer l’Afrique noire francophone. Un accord est d’ailleurs signé entre Sinopec et le ministère gabonais des Hydrocarbures266. Total Gabon et Sinopec ont également conclu début 2004 un accord permettant à la Chine d’acheter du brut gabonais pour la première fois267. C’est ce contrat qui a prévu que le Gabon fournisse dans l’année un million de tonnes de brut268.

Ces investissements sont très hasardeux pour certains, l’industrie pétrolière du Gabon étant jugée déclinante269. Mais ce n’est pas du tout le cas de son proche voisin, l’Angola.

261 SERVANT, Op. cit.262 SHAN Yun, « Chine-Congo : 40 ans des liens d'amitié et de coopération », Le Quotidien du Peuple, 25 février 2004.263 LAFARGUE, Op. cit.264 LAFARGUE, Op. cit.265 SHAN Yun, « Amitié et coopération entre la Chine et le Gabon », Le Quotidien du Peuple, 2 février 2004.266 AICARDI DE SAINT-PAUL, Op. cit.267 REUTERS, Op. cit. p. 68.268 LAFARGUE, Op. cit.269 BROOKES & SHIN, Op. cit.

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3 Angola : Pékin sur les terres américaines

L’Angola est l’un des principaux producteurs du Golfe de Guinée, derrière le Nigeria. Mais ce n’est pas sur l’exploitation du pétrole que se sont tout d’abord rapprochés Pékin et Luanda, puisque leur « amitié » date de la guerre froide (a). Les Chinois s’appuient aujourd’hui sur cette collaboration passée avec les indépendantistes et les anciens communistes pour mieux revenir dans cet État dont le pétrole est majoritairement contrôlé par les Occidentaux (b).

a La relation historique entre Luanda et PékinHistoriquement, l’implication de la Chine en Angola – et au Mozambique – répond certes

à la doctrine du soutien des luttes de libération des peuples colonisés. Mais il s’agit aussi de concurrencer l’URSS en Afrique. La Chine entretient des relations avec le MPLA270 depuis 1960. Or, le MPLA est marqué par la lutte entre les prosoviétiques d’Angostinho Neto et les prochinois de Viriato da Cruz. L’éviction de ce dernier conduit d’ailleurs au retrait du soutien de la Chine. Par pragmatisme, Neto va pourtant continuer à accepter les armes chinoises, notamment à travers l’OUA271 : « pour gagner notre indépendance, nous pourrions accepter l’aide […] du diable lui-même »272. Il effectue ainsi une visite en Chine en 1971. Mais les autres mouvements rebelles d’Angola bénéficient aussi de l’aide militaire de Pékin. En 1963, la plupart des armes du FNLA273 d’Holden Roberto sont chinoises ; en 1974 lui sont fournies 450 tonnes de matériel militaire et l’encadrement de 125 instructeurs chinois depuis le Zaïre. Jonas Savimbi a par ailleurs été formé dans une académie militaire chinoise. Il bénéficie du soutien de Pékin quand il quitte le FNLA et fonde l’UNITA274. Mais à partir de 1970, cette aide décline. En novembre 1975, ce sont les prosoviétiques du MPLA qui obtiennent finalement l’indépendance de l’Angola. L’aide chinoise cesse alors officiellement. La Chine a ensuite soutenu l’UNITA de Jonas Savimbi depuis sa création en 1968, jusqu’en 1976, date à laquelle le mouvement se tourne vers les États-Unis275.

270 Le Mouvement populaire de libération de l’Angola (Movimiento Popular de Libertação de Angola) est fondé en 1956 pour lutter en faveur de l’indépendance, finalement obtenue en 1975 pour la quasi-totalité des colonies portugaises.271 Organisation de l’Unité africaine, créée en 1963 et remplacée par l’UA (Union Africaine) en 2002. L’UA rassemble l’ensemble des États africains, à l’exception du Maroc.272 AICARDI DE SAINT-PAUL, Op. cit.273 Front National pour la Libération de l'Angola, mouvement rebelle concurrent du MPLA.274 Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola. Après l’indépendance, il s’est disputé le pouvoir avec le MPLA et le FNLA.275 LAFARGUE, Op. cit.

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b Années 2000 : le retour des ChinoisLe recul chinois n’est que provisoire. Assoiffée de pétrole, la Chine s’est à nouveau

tournée vers Luanda276. Aujourd’hui, la Chine importe 13 % de son pétrole depuis l’Angola, dont elle importe déjà 30 % de la production, juste derrière le premier client, les États-Unis (40 %)277. En 2001, 25 % des exportations angolaises sont à destination de la Chine. Par ailleurs, en mars 2004, Pékin a accordé à Luanda – par le biais de sa banque d’import-export (Eximbank of China278) – une ligne de crédit de 2,25 milliards de dollars remboursables en pétrole sur 17 ans (à 1,5 %) et destinés au financement de la reconstruction progressive des infrastructures détruites par la guerre civile279. Les entreprises chinoises agissent en cohérence avec la stratégie d’assistance économique de la politique extérieure chinoise (cf. Chapitre III). Les deux États souhaitent par ailleurs intensifier leurs relations, notamment par l’ouverture de lignes aériennes régulières ou encore la construction d’un quartier chinois à Luanda. N’importe qui parcourant la capitale angolaise remarquera d’ailleurs la présence chinoise280 : ouvriers du bâtiment, personnages en costumes dans les hôtels, etc., car la communauté chinoise en Angola est la plus importante d’Afrique281.

En novembre 2005, le ministre angolais des Finances, déclare ainsi que les prêts chinois allaient continuer : « quand nous demandons à nos homologues chinois s’ils ont l’intention de fournir davantage de prêts, ils disent oui »282. Si l’on considère l’importance des volets infrastructurels contenus dans ces accords d’aide remboursable en pétrole, on comprend mieux pourquoi les dirigeants angolais préfèrent la Chine au FMI. Pour Joshua Eisenman, du Center for Strategic and International Studies (CSIS), « compte tenu de la dépendance croissante des États-Unis aux importations de pétrole africain et l’importance que Washington accorde à la promotion de la démocratie, les responsables de l’élaboration des politiques [policymakers] doivent prendre en considération les effets de la stratégie de la Chine sur les fournisseurs africains ». Et M. Eisenman de sous-entendre que les risques seraient insupportables s’il advenait que la Chine supporte un régime soutenant des groupes terroristes (cf. Chapitre III).

Quoiqu’il en soit, en mars 2006, l’Angola et la Chine concluent un nouvel accord d’aide remboursable en pétrole, pour un montant d’un milliard de dollars283. Les droits obtenus en 2004 par la Chine sur le champ offshore angolais Bloc 14, et qui portent sur 50 % du 276 Les zones de production angolaises se situent principalement au large de l’enclave de Cabinda, entre le Congo et la RDC.277 REUTERS, Op. cit. p. 71 et « Oil-backed loan will finance recovery projects », Intergrated Regional Information Networks, 21 février 2005 : www.irinnews.org/report.asp?RportID=45688&SelectRegion=Southern_Africa&SelectCountry=ANGOLA278 Le préfixe« Exim- » est une contraction d’ « export-import ».279 THOMSON, Op. cit. p. 34.280 IRIN, Op. cit. p. 76.281 LAFARGUE, Op. cit.282 EISENMAN Joshua, « Sino-Japanese Oil Rivalry Spills into Africa », Energy Security, Institute for the Analysis of Global Security, 19 janvier 2006.283 REUTERS, Op. cit. p. 68.

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gisement auparavant exploité par Shell284, ont notamment été octroyés en échange d’une aide financière. Et quand Total, la même année, a voulu renouveler sa concession sur le très important champ offshore du Bloc 3/80, situé au large de Soyo, les autorités angolaises lui ont préféré Sinopec, qui a depuis remplacé la compagnie française285. Les Américains, qui contrôlent 75 % de la production angolaise avec Chevron286, se voient à nouveau concurrencés de manière directe dans leur zone traditionnelle d’influence énergétique.

Les équilibres qui pèsent traditionnellement sur l’Angola sont donc en train d’évoluer. Comme au temps de la guerre froide, les grandes puissances semblent se disputer cet État. Mais jusqu’où est prête à aller la Chine pour continuer à y accroître son influence ? La politique chinoise en Angola est donc marquée par le premier échec de la guerre froide. Néanmoins, on est en droit de se demander si l’on n’assiste pas à une répétition de l’histoire, à ceci près qu’il ne s’agit plus d’idéologie, mais d’énergie. Pour y répondre, il faut examiner la stratégie chinoise au Soudan et, plus récemment, au Tchad.

4 Soudan : le protégé de Pékin

Le Soudan est le terrain d’action privilégié pour la pétrodiplomatie chinoise (a). Depuis une dizaine d’années, la Chine multiplie ses investissements dans cet État sur lequel elle dispose désormais d’une influence considérable (b).

a Un terrain privilégié pour la pétrodiplomatie chinoiseC’est en 1995 que la CNPC obtient ses premiers droits d’exploitation pétrolière au

Soudan. En 1997, alors que les États-Unis rompent leurs relations avec cet État, la Chine en profite pour occuper le vide laissé par le retrait des compagnies pétrolières occidentales287.

Drew Thomson288 juge que « l’investissement de Pékin au Soudan est récompensé ». Avec 310 000 barils produits par jour en 2004 la production soudanaise reste pourtant modeste comparée au 82 millions de barils produits chaque jour de la même année dans le monde289. Mais la qualité du pétrole soudanais est de catégorie supérieure. Or, comme l’ont rappelé les experts de l’OPEP réunis en juin 2005, la principale raison de la hausse des cours du pétrole 284 LAFARGUE, Op. cit. et GRANGEREAU, Op. cit.285 LAFARGUE, Op. cit. et WALT, Op. cit.286 LES DESSOUS DES CARTES, Op. cit.287 Notamment le retrait de la compagnie canadienne Talisman. Washington interdit de plus depuis 1997 aux compagnies américaines toute activité pétrolière au Soudan.288 Drew Thomson est responsable des Études sur la Chine au Centre d’études stratégiques et internationales de Washington (D.C.). Il a travaillé pendant sept ans en Chine pendant les années 1990 (Pékin, Nankin et Shanghai).289 THOMSON, Op. cit. p. 15.

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réside dans le manque d’infrastructures de raffinerie (cf. Chapitre I). Cette limite des capacités mondiales de raffinage affecte en premier lieu ce type d’hydrocarbures, dont le raffinage est complexe. La Chine s’est ainsi construit un accès privilégié au « brut très léger »290 soudanais – plus cher que le brut du Moyen-Orient, trop sulfuré.

Khartoum capte ainsi la plus grande part de l’investissement étranger de la Chine. Exploité depuis plus de dix ans par les Chinois, le champ pétrolier du Muglad (Sud-Soudan) doit fournir à terme 10 millions de tonnes de pétrole par an à Pékin291. Or, avant l’arrivée des Chinois, le Soudan était un pays qui importait son pétrole. Les investissements de la CNPC ont permis au Soudan de devenir un exportateur net de pétrole au cap de l’année 1999 ; la plupart du pétrole produit par la compagnie provient d’ailleurs du Soudan, dont les revenus pétroliers annuels se monteraient aujourd’hui à 2 milliards de dollars. La moitié des exportations soudanaises de pétrole est à destination de la Chine, pour 5 à 6 % du montant total de ses importations, ce qui fait de Khartoum le troisième fournisseur de Pékin.

La CNPC détient en outre 40 % de la compagnie pétrolière soudanaise GNPOC292, créée en 1997 pour gérer une partie de la filière pétrolière soudanaise et principal consortium pétrolier actif au Soudan. La construction d’un pipeline de 1 500 km au Soudan par la CNPC constitue pour la Chine l’investissement le plus important à l’étranger293 il a pour terminal Marsa Al-Bashir, près de Port-Soudan294, où un important terminal pétrolier a été bâti par le CPECG295, qui participe également à la construction de routes, de ponts et de barrages296. La Chine a ainsi développé les installations pétrolières du pays : des raffineries (dont une près de Khartoum), et elle a installé deux pipelines débouchant sur la Mer Rouge297. Elle a par ailleurs mis les champs en exploitation, débutée en 1999.

b Quête d’influence et investissements chinoisAu total, la Chine a investi entre 8 et 15 milliards de dollars dans l’industrie pétrolière du

Soudan, État dans lequel travaillent environ 10 000 Chinois298. Les rumeurs les plus diverses

290 Les anglophones préfèrent l’expression « brut léger et doux » (« light sweet crude »).291 NIQUET, Op. cit. p. 29.292 Greater Nile Petroleum Oil Company (AICARDI DE SAINT-PAUL Marc, Op. cit.).293 GRANGEREAU, Op. cit.294 LAFARGUE, Op. cit.295 China’s Petroleum Engineering Construction Group. La principale entreprise chinoise de travaux publics est la China Road And Bridge Corporation (CRBC). Il faut savoir que parmi les 225 premières entreprises mondiales de construction, 43 sont chinoises. On remarque également que parmi les quinze premières entreprises étrangères implantées au Soudan, treize sont chinoises (SERVANT, Op. cit.).296 STAKELBECK Frederick W. Jr, « Sudan’s Chinese Guardian », Frontpage magazine, 23 mars 2006 : www.frontpage-mag.com/Articles/ReadArticle.asp?ID=21728297 CIECHANOWSKI Ludovic, « La Chine dame le pion africain aux Européens et aux Américains », Newsropeans Magazine, consulté le 9 février 2006 : www.newropeans-magazine.org/index2.php?option=com_content&do_pdf=1&id=3423298 REUTERS, Op. cit. p. 71 et FORNEY, Op, cit. Le gros écart entre les estimations (de 8 à 15 milliards de dollars) n’a pas pu être affiné.

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circulent ainsi au sujet de l’influence de la Chine sur cet État. Les Chinois auraient ainsi « déguisé 4 000 […] soldats en ouvriers pour protéger [leurs] installations » pétrolières299. Mais l’influence ne se résume pas à la présence financière ou physique

Pour Frederick W. Stakelbeck Jr., la Chine est ainsi devenue le « tuteur » du Soudan300. En effet, le soutien de la Chine au régime d’Omar El-Béchir est à la fois économique, militaire et diplomatique (cf. Chapitre III). Or, le Khartoum n’est pas uniquement soutenu pour son pétrole. En effet, He Wenping pense que l’attitude de la Chine serait la même avec un autre État, de nombreux exemples montrant qu’il ne s’agit pas d’une préoccupation stratégique principale.

En effet, le soutien accordé à un État mis au ban de la communauté internationale – ici le Soudan – n’a pas pour seul avantage de maintenir les intérêts chinois pendant la période de sanctions. Il permet aussi d’accroître la sphère d’influence de la Chine en profitant de l’absence des Occidentaux. Enfin, c’est un message adressé à tous les gouvernements menacés d’un jour voir s’abattre sur eux des sanctions internationales ; il semble signifier : « nous ne vous abandonnerons pas »301. Le cas du Tchad montre en effet que les Chinois associent leurs objectifs énergétiques et géostratégiques.

5 La pétrodiplomatie comme levier d’influence : la Chine au Tchad

Bien que le Tchad entretienne (encore) des relations diplomatiques avec Taiwan, la Chine y est présente à travers la CNPC, qui a conclu des accords de production pétrolière302. Mais les Occidentaux – notamment les Américains – sont très présents dans le secteur pétrolier tchadien. En octobre 2003, un consortium formé par les compagnies américaines Exxon et Chevron303 a ainsi obtenu des droits d’exploitation dans le bassin de Doba. En 2005, la production quotidienne du gisement était de 30 000 tonnes ; elle devrait doubler en 2006304.

Au reste, les Américains ont aussi construit un oléoduc entre Doba au Tchad et Kribi Cameroun, contrôlé par un consortium formé par Exxon et Chevron et autre projet de pipeline entre le Tchad et le Soudan est à l’étude305. Or, selon Indymedia, « l'objectif de la Chine serait

299 « La Chine impliquée au Tchad ? », Indymedia Île-de-France, 23 avril 2006 : paris.indymedia.org/article.php3?id_ article=59370300 STAKELBECK, Op. cit.301 MOONEY, Op. cit.302 THOMSON, Op. cit. p. 34.303 La compagnie malaisienne Petronas est également représentée.304 LAFARGUE, Op. cit.305 LES DESSOUS DES CARTES, Op. cit.

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de dévier le pipeline qui rejoint le Tchad à l'Atlantique […] pour l'envoyer vers la Mer Rouge [par le] Soudan »306.

De ce fait, la Chine ne cache pas sa volonté de capter le maximum de droits d’exploitations dans cet État où l’on a récemment découvert d’énormes réserves. La production du Tchad est en effet négligeable au regard de son potentiel réel, ce qu’ont parfaitement compris les multinationales du pétrole. Dans ce jeu de placement, les Chinois disposent pourtant d’une arme supplémentaire qui leur permet de traiter avec n’importe quel régime pour en obtenir les faveurs : l’absence d’opinion publique vigilante sur les questions de démocratie et de gouvernance. Dès lors, Pékin se retrouve en position de force.

M. Adler parle d’une « colonisation de type nouveau de certains pays pétroliers, de préférence vulnérables, par la puissance chinoise. Au Darfour, les premiers coups de feu de [l’] offensive autarcique chinoise ont commencé à devenir de plus en plus audibles, jusqu’au portes de la capitale du Tchad »307. On a en effet déjà évoqué le lien direct qui associait sanctions internationales et arrivée des Chinois dans l’État producteur qui en fait l’objet.

Il existe en outre un autre lien, entre l’élargissement du champ de la politique extérieure énergétique de la Chine et sa stratégie d’ascension. En effet, si l’importance des approvisionnements « sécurisés » de la Chine progresse, il n’en demeure pas moins que la Chine se procure 95 % du pétrole qu’elle importe sur les marchés internationaux. Malgré tous ses efforts diplomatiques, elle reste donc très dépendante des marchés pétroliers.

Néanmoins, et comme l’observe M. Lenckonov, « il y a quelques années, les États-Unis et le Royaume-Uni étaient, derrière la France, les premiers fournisseurs des pays africains. En 2003, les États-Unis et le Royaume-Uni se sont fait dépasser par la Chine. Si la France est encore en tête, rien n’atteste qu'elle maintiendra son avance. La présence chinoise a explosé »308. La Chine n’est pas seulement un client pour les matières premières, mais ce commerce lui fournit l’occasion d’intensifier sa présence économique sur le continent. Les objectifs énergétiques, stratégiques et économiques sont donc associés dans une politique d’influence. La stratégie de la Chine est de sécuriser les approvisionnements en « contrôlant le pétrole africain à sa source ». Joshua Eisenman considère d’ailleurs qu’il s’agit d’une question de politique intérieure pour la Chine309. Dès lors, la valeur stratégique des accords permettant à la Chine un accès exclusif à certaines sources d’approvisionnement prend une autre dimension : elle fidélise les partenaires de Pékin sur le chemin du leadership.

306 INDYMEDIA, Op. cit. p. 79.307 ADLER Alexandre, « La Chine, une volonté de toute-puissance », Le Figaro, 27 avril 2006.308 LENCKONOV, Op. cit.309 EISENMAN, Op. cit.

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Chapitre IIILes effets des discours sur la pétrodiplomatie chinoise sur la structure internationale

Les critiques sont nombreuses qui s’élèvent contre les conséquences néfastes de la pétrodiplomatie chinoise. Elles portent sur la politique énergétique elle-même, mais aussi sur les conséquences sur la sécurité des relations énergétiques mondiales. Nous cherchons ici à montrer que cette querelle théorique a des effets structurants sur l’image d’une Chine plus puissante, dont la politique étrangère agit de manière de plus en plus décisive sur les équilibres internationaux.

On débat ainsi sur l’influence accrue acquise par la Chine auprès des États producteurs, dont certains sont marginalisés par la communauté internationale (I). Mais derrière ces discours, nous verrons que c’est la crainte de voir la Chine intensifier la compétition énergétique mondiale, qui pourrait dégénérer en conflit généralisé (II). C’est pourquoi les Chinois cherchent aussi à agir sur leur image, en rassurant, mais aussi en confirmant les discours leur consacrant le statut de grande puissance capable d’accéder au leadership mondial (III).

I Pétrodiplomatie chinoise et stabilité mondiale : la Chine et les États pétroliers voyous

La Chine est longtemps restée dans un isolement diplomatique. Mais actuellement, elle est dépendante des approvisionnements en matières premières, poussée en quelque sorte à s’ouvrir (cf. Annexe 26). Or, la Chine ne limite pas son aide aux investissements pétroliers. Elle est également un partenaire économique de premier plan pour ces États dont le comportement les a mis au ban de la communauté internationale (A). La Chine va même jusqu’à fournir un soutien diplomatique et militaire, remettant en question ses discours sur la non ingérence (B). Le risque est donc très grand de voir les gouvernements autoritaires perdurer. De plus, « sous perfusion » chinoise, ces États sont de plus en plus dépendants de la

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Chine. À l’appui du discours humanitaire, on voit se développer le débat sur l’impérialisme chinois (C).

A La question de l’aide chinoise

La Chine est un partenaire stratégique pour beaucoup d’États africains. Elle sait se montrer généreuse, préférant manier la carotte plutôt que le bâton face à ces États « insoumis » aux règles du droit international (1). On observe alors le développement d’un discours sur la menace chinoise que nous qualifierons – peut-être abusivement – d’ « humanitaire », en ce sens qu’il est fortement moralisateur et occidentalo-centré (2).

1 Une aide généreuse : le discours sur la priorité du développement

Les prêts conditionnés au suivi de programmes d’ajustement structurel (PAS) sont critiquables en ce sens qu’ils sont appliqués avec une extrême rigueur par les institutions financières internationales. Mais l’exigence de moralité de la part des Occidentaux se justifie par le refus des opinions publiques du Nord de voir leurs gouvernements soutenir des dictatures. La Chine tire son épingle du jeu, occupant le terrain de l’assistance économique envers des pays dont le déficit démocratique trop important les prive du bénéfice de l’aide internationale310. La Chine ne pose en effet aucune exigence d’ordre politique en contrepartie de son aide économique.

En plus de cette aide économique directe, ou sous forme d’accords de fourniture en matières premières, les États en développement peuvent profiter des excédents financiers chinois, massivement réinvestis à l’étranger (cf. Annexes 33, 34, 35 et 36). C’est pourquoi le Département des Affaires étrangères du gouvernement sud-africain déclare que le dynamisme économique de la Chine génère d’ « énormes opportunités commerciales pour l’Afrique »311.

Pékin privilégie l’aide technique à l’aide financière pour des raisons évidentes. L’aide financière détourne des capitaux qu’il faut consacrer en priorité au financement du développement chinois312. Par ailleurs, les investissements dans le commerce et les projets qui ont des chances de devenir rentables sont plus populaires que l’aide directe et les programmes d’emprunt (cf. Annexe 33).

310 SERVANT, Op. cit.311 SINGH Amarnath, « Friends and Foe », Business in Africa online, 6 mars 2006 : www.businessinafrica.net/news_in_brief/ all/834884.htm312 THOMSON, Op. cit. p. 15.

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Alors qu’aucun accord avec le FMI n’est prévu pour l’Angola, ce dernier doit trouver les moyens de financement nécessaires à ses besoins immédiats. Un officiel angolais déclare que « beaucoup d’institutions n’apprécient pas que l’Angola conclue ce genre d’accords. […] Mais regardez combien de fois la [BM] a retardé son financement. […] Nous ne pouvons nous asseoir et attendre »313. En effet, alors que les institutions internationales et les banques occidentales se montrent très scrupuleuses dans les conditions d’octroi de prêts et qu’un programme du FMI a été suspendu en raison de critiques existant sur la gestion gouvernementale des revenus pétroliers, la Chine continue à financer l’Angola en échange de son pétrole. Pour Princeton Lyman, Directeur des Études politiques africaines au Council on Foreign Relations, et ancien ambassadeur américain au Nigeria, « les Chinois sont en train d’offrir le prêt comme alternative avec la coopération avec le FMI »314. Pékin a mis en place un système d’aide économique complet qui permet désormais aux « autorités angolaises [de] narguer le FMI et la BM »315. La Chine porte de plus des projets bien plus avantageux que ceux des institutions internationales, que ce soit au niveau infrastructurel, ou même commercial.

Selon Muna Ndulo, qui salue le rôle international croissant de la Chine, « ce que nous [les Africains] devrions encourager, c’est que l’Afrique [en] bénéficie, et qu’il existe un bénéfice économique [à retirer] de la compétition entre l’Ouest et la Chine ». Il ajoute qu’avant tout, « l’Afrique a besoin de capitaux et d’investisseurs. Si la Chine souhaite fournir le capital, notamment en infrastructures de développement dont l’Afrique a désespérément besoin, c’est un bon signe »316. Les infrastructures sont en effet essentielles à toute activité économique.

Au Nigeria, c’est au niveau commercial que la non conditionnalité offerte par la Chine se montre particulièrement performante dans la conquête des parts de marché. Iheanyi Ohiaeri, dirigeant de la NNPC, pense ainsi que « nous [les Africains] n’avons pas encore été totalement envahis par la Chine, mais ça va venir. […] Tous les jours je reçois des e-mails ou des coups de téléphone de Pékin, de la part de personnes qui cherchent à acheter du pétrole ». Mustafa Bello, le chef de la Commission nigériane de Promotion de l’investissement, s’est lui rendu plusieurs fois en Chine. Il explique en effet qu’alors que « les États-Unis vont vous parler de gouvernance, d’efficacité, de sécurité, d’environnement […], les Chinois demandent juste : " Comment nous procurer cette licence ? " »317. Pourtant, des obstacles demeurent dans la coopération avec la Chine, comme le rappelle Tony Chukweke, chef du Département des ressources pétrolières du gouvernement nigérian : chaque étape de la négociation nécessite une validation de Pékin. « C’est très, très lent. […] Ils avancent, ils 313 IRIN, Op. cit. p. 76.314 BANQUE MONDIALE, Op. cit. p. 67.315 CROS, Op. cit.316 IRIN, Op. cit. p. 76.317 WALT, Op. cit.

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reculent. Et quand ils reviennent, vous vous rendez quelque fois compte que ce n’est pas ce que vous aviez accepté » qui a été retenu comme base de négociation. Lui préfère de loin négocier avec les compagnies occidentales : « Exxon se présente avec des mandats clairs […]. Nous pouvons négocier selon ces mandats »318. Néanmoins, M. Ohiaeri concède que les conditions de négociations sont bien plus avantageuses avec les Chinois, car il est plus facile de faire pression sur eux. La générosité apparente de Pékin lui confère donc un avantage comparatif indéniable sur les Occidentaux dans l’esprit des décideurs africains. Duncan Innes-Ker, du think tank Economist Intelligence Unit, conclut que la Chine « ne partage pas les préoccupations américaines au sujet de la gouvernance, des droits de l’homme et de l’économie politique. [Et] les firmes chinoises sont moins contraintes éthiquement », ce qui leur donne un avantage sur leurs concurrentes.

2 Une aide dangereuse : le discours « humanitaire »

Le cynisme des chinois dans la conduite de leurs affaires commerciales avec certains États africains irrite les néoconservateurs américains. Pour Gal Luft, spécialiste en sécurité énergétique et directeur exécutif de l’Institut pour l’analyse de la sécurité globale (IAGS), un think-tank néoconservateur, « les Chinois sont enclins à mener leurs affaires d’une manière que les Américains et les Européens commencent à rejeter : payer des pots-de-vin et autres dessous de table. D’où l’intérêt de certains pays africains à travailler avec des entreprises chinoises plutôt qu’avec des compagnies occidentales dont les marges d’action se sont resserrées »319.

Le fait que la Chine refuse d’opposer toute contrepartie politique à son aide fait dire à certains qu’elle constitue un obstacle au développement de la bonne gouvernance, – et donc à la paix. La stratégie chinoise de sécurisation des approvisionnements ignore les violations des droits de l’homme ou la corruption, et cela génère une frustration parmi les bailleurs de fonds. Ceux-ci condamnent une stratégie à court terme, s’appuyant sur des transactions commerciales des plus opaques320. Pour de nombreux experts et groupes de droite américains, l’aide sans contrepartie dispensée par la Chine ne peut que favoriser la corruption et le maintien de systèmes dictatoriaux. M. Muna Ndulo ne nie d’ailleurs pas qu’il y ait un « risque » de traiter avec la Chine321.

318 Ibid.319 SERVANT, Op. cit.320 THOMSON, Op. cit. p. 34.321 ABEDJE Ashenafi, « China’s President Pursues Stronger Ties With Africa », Voice of America, 26 avril 2006.

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On s’alarme en outre que la Chine applique sa stratégie en Afrique « avec méthode et sans états d'âme. Elle accepte d'octroyer des prêts gagés sur la production pétrolière future d'un pays, une pratique que le [FMI] s'interdit, car elle hypothèque l'avenir », selon les propos d’un diplomate français322. Au « Centrafrique, par exemple, alors que les bailleurs de fonds […] tergiversent pour offrir des crédits, la Chine propose ses dons ». Pour toutes ces raisons, l’OCDE ne comptabilise pas l’aide chinoise à l’Afrique comme étant de l’aide au développement323 : un peu comme si c’était de l’argent « sale ».

Certains intermédiaires sont en effet accusés d’avoir organisé le détournement de ces financements chinois afin de financer la campagne électorale des élections générales angolaises prévues en 2006324. Pour Marie-France Cros, « le cynisme chinois paie ». L’Angola est « le troisième [des] 102 pays les plus corrompus ». Il « avait vu, en 2001, un tiers des revenus de l'État s'évaporer, alors qu'un quart de la population avait besoin d'une aide alimentaire extérieure ». En effet, malgré les énormes richesses en pétrole de l’Angola, 13 millions de personnes vivent dans une pauvreté extrême325. La Chine est accusée d’appuyer un régime douteux, auquel elle a été jusqu’à fournir des hélicoptères de combat326, ainsi que des blindés légers et du matériel militaire327.

Le discours humanitaire a pourtant des effets : suite aux nombreuses critiques, la Chine pousse contre toute attente l’un de ces intermédiaires, Antonio Pereira Mendes De Campos Van Dunem, à démissionner de son poste de secrétaire du Conseil des ministres angolais328, le 9 décembre 2004. Cet exemple montre que la Chine est sensible à la pression des autres acteurs internationaux du développement et capable de « moraliser » son action en Afrique, sans pour autant se couper de ses partenaires.

Toutefois, selon un travailleur humanitaire, l’aide chinoise correspond finalement à « une manière dépassée de promouvoir le développement. […] Les entreprises étrangères arrivent, construisent des barrages, des routes et des ponts, mais personne ne garantit qu’il y ait les capacités de les entretenir. Il y a un risque réel de créer des éléphants blancs, mégaprojets qui brassent du vent »329. Certes, cet afflux massif de capitaux va bénéficier à l’emploi à court terme. Cela est d’autant plus important que près de la moitié de la population active angolaise est au chômage. Mais la question de la durabilité des projets d’aide chinoise pose problème. Or, la Chine a tout intérêt à favoriser la bonne gouvernance et la stabilité des systèmes

322 LENCKONOV, Op. cit.323 REUTERS, Op. cit. p. 71.324 SERVANT, Op. cit.325 IRIN, Op. cit. p. 76.326 SMITH, Op. cit. La Chine en a également fourni au Mali.327 LAFARGUE, Op. cit.328 SERVANT, Op. cit.329 IRIN, Op. cit. p. 76.

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politiques et économiques à travers le monde : c’est l’opportunité de voir s’ouvrir des marchés, ainsi que celle de sécuriser durablement les approvisionnements en énergies.

On doit donc se demander si du point de vue occidental, les politiques de sanctions ne trouvent pas une limite dans la mesure où elles offrent à la Chine un avantage stratégique330. Du point de vue chinois, n’y a-t-il pas un risque de se présenter comme l’éternel protecteur de régimes condamnés par droit international ? Du point de vue africain enfin, quel bénéfice pour le développement peut être retiré de ce soutien à des États souvent autoritaires, jamais démocratiques ? Princeton Lyman pose donc cette question : « la Chine veut-elle être perçue en Afrique comme le défenseur des États voyous [rogue states (NDLA)], le traqueur le plus agressif des ressources naturelles de l’Afrique, sans se préoccuper de la transparence du développement et de la stabilité là-bas ? »331.

B Le pacte diplomatique et militaire

La malédiction du pétrole semble devoir inéluctablement toucher les populations des États concernés. Selon Julio Burdman, Directeur de la Faculté de Relations internationales de l’Université Belgrano de Buenos Aires, le pétrole peut pourtant contribuer au développement, sous certaines conditions. Si l’État dans lequel on découvre le pétrole ne dispose qu’une « économie primaire, c’est un facteur d’instabilité politique ». En effet, « quand un gouvernement a un contrôle aussi fort sur les ressource nationales, des ressources de l’État, la tentation pour construire un contrôle hégémonique des ressources et de la rente [empêche] la concurrence politique »332. Pour que le pétrole soit une réelle opportunité, les États producteurs doivent être démocratiques, et le pouvoir doit être décentralisé afin de contrebalancer ce risque d’hégémonie gouvernementale sur la rente énergétique. Pour lui, il est donc très difficile de dire que la pétrodiplomatie chinoise représente une opportunité pour le développement, que ce soit au Soudan (1), au Tchad (2), mais aussi le Zimbabwe333 (3) ou encore la Guinée équatoriale (4) autant d’États désormais protégés diplomatiquement et/ou militairement par Pékin.

330 MOONEY, Op. cit.331 EISENMAN, Op. cit.332 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.333 Dans notre analyse, les richesses minières du Zimbabwe rendent cet État assimilable aux États pétroliers.

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1 La Chine, gardien du Soudan : pétrole contre dictature

Pour Jean-François Lafargue, si les États et compagnies occidentales ont effectivement collaboré avec des régimes autoritaires, il n’existe pas d’exemple de compagnie continuant à extraire du pétrole en plein génocide dans un État dont elle finance de surcroît les moyens répressifs par les taxes pétrolières334. Or, c’est bien ce que semblent avoir fait les Chinois au Soudan. L’action de la Chine ne se limite donc pas aux questions énergétiques. Elle est complétée par un jeu d’influence dans lequel l’Empire du Milieu associe soutiens diplomatique (a) et militaire (b) en faveur une dictature de plus en plus repoussée dans sa sphère d’influence.

a Le parapluie chinois à l’ONUAu Soudan, où la pluie tombe moins souvent que les sanctions diplomatiques, le régime

est bien à l’abri des foudres de la communauté internationale. En septembre 2004, alors que le Conseil de sécurité de l’ONU (Organisation des Nations Unies) décide l’établissement d’un embargo sur les armes à destination du Soudan, l’ambassadeur chinois à l’ONU, Wang Guangya, menace le Conseil d’utiliser son droit de veto en cas de toute mesure négative contre le Soudan. Mais sous la pression des États-Unis notamment, la résolution 1 564 est votée par onze États ; la Chine s’abstient, ainsi que la Russie, le Pakistan et l’Algérie, tous grands amis de la Chine. Pékin s’abstient toutefois le 25 avril 2006, lors de l’adoption d’un texte visant à faire pression sur le régime de Khartoum335, mais sur lequel elle a obtenu des assouplissements.

Cette opposition a néanmoins doublement fonctionné. En se faisant l’avocat du Khartoum devant le Conseil de sécurité, la Chine préserve ses intérêts à la fois directement, s’assurant la reconnaissance d’une dictature pauvre et isolée et indirectement, en favorisant un cadre politique réceptif aux demandes des entreprises chinoises336 et conforme aux objectifs de la politique extérieure énergétique.

M. Li Xiaobing, Directeur-adjoint de la Division des affaires ouest-asiatiques et africaines du Ministère du Commerce, se vante ainsi : « nous sommes partis de zéro avec le Soudan. […] Quand nous sommes arrivés là-bas, [les Soudanais] étaient importateurs de pétrole. […] Nous avons construit des raffineries, des oléoducs »337. Et d’éluder la question des droits de l’homme au Soudan : « nous importons depuis toutes les sources depuis lesquelles nous

334 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.335 GRANGEREAU, Op. cit.336 SERVANT, Op. cit.337 FRENCH, Op. cit.

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pouvons obtenir du pétrole ». Plus direct, le Vice-ministre chinois des Affaires étrangères explique : « business is business. […] Nous [les Chinois] essayons de séparer la politique des affaires. D’autre part, je pense que la situation interne du Soudan est une question internationale et que nous ne sommes pas en position de nous imposer par rapport » aux Soudanais338.

Or, la plupart des analyses sur le soutien diplomatique de la Chine au Soudan accréditent la thèse selon laquelle Pékin aurait un intérêt exclusivement stratégique à cette protection. Personne n’imagine que ce soit le Soudan qui fasse pression sur la Chine en menaçant ses intérêts dans le pays. Et pour cause, la Chine est tellement intégrée à l’économie soudanaise qu’elle dispose d’un avantage considérable dans cette relation déséquilibrée. Le Soudan est bel et bien dépendant de Pékin.

b L’implication militaire de la Chine au SoudanEn dépit d’un discours pacifique, Pékin accorde des faveurs sur le plan militaire. Selon le

Financial Times339, 80 % des revenus pétrolier du Soudan sont affectés à l’achat d’équipements militaires, notamment à la Chine, qui aurait « vendu des armes au gouvernement islamique », ainsi que l’équivalent de « 100 millions de dollars en avions de chasse Shenyang, dont douze jets supersoniques F-7, selon les journaux de l’industrie aérospatiale [américains] Aviation Week et Space Technology »340. Elle aurait également fourni à l’armée des hélicoptères d’assaut et des véhicules armés. Les milices janjawids auraient de plus utilisé des armes chinoises dans la répression des minorités chrétiennes et animistes des Territoires du Sud. Par ailleurs, les pistes d’atterrissage des compagnies pétrolières chinoises auraient été utilisées par les avions de l’armée pour bombarder des villages du Sud-Soudan341 (cf. Annexe 37).

Pour l’ONG Human Rights Watch, la Chine persiste à fournir un soutien financier et militaire au Soudan, « même si celui-ci était engagé dans un nettoyage ethnique massif au Darfour »342. Le régime de Khartoum y est accusé d’avoir commis des crimes de guerre, voire de génocide (cf. Annexe 38). Certes, il n’y a pas une goutte de pétrole au Darfour ; mais il s’agit d’une région frontalière au Tchad, située de surcroît dans un État sous influence.

338 BROOKES & SHIN, Op. cit.339 MURE Dickie et REED John, « China Hails Mugabe’s « Brillant » Diplomacy », Financial Times, 27 juillet 2005.340 MHLONGO Nontokozo, « China Increase Presence in Africa », African News Dimension, 24 avril 2006 : www.and network.com/app?service=direct/0/Home/$StorySummary$0.$DirectLink$1&sp=l31389341 STAKELBECK, Op. cit.342 REUTERS, Op. cit. p. 71.

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2 La menace de l’implication croissante des Chinois au Tchad

Au Tchad, c’est une institution financière internationale qui gère – sous l’égide de la Banque mondiale – les revenus tirés de l’oléoduc Tchad-Cameroun construit par Exxon (cf. Chapitre II). Cela permet notamment de financer l’éducation343. Mais cet État reste malgré tout parmi les plus pauvres du monde, l’un des moins démocratiques (malgré la légitimité apparente du Président Idriss Déby) et donc l’un des plus sensibles aux luttes d’influence diverses, attisées par le pétrole, comme on l’a vu en avril 2006.

Afrik.com remarque ainsi que « l’actuelle déstabilisation dont le Tchad fait l’objet semble bien la conséquence prévisible de son accession au rang de nation pétrolière ». Or, « la surprise, c’est que la déstabilisation n’est pas l’œuvre des puissances [coutumières] du fait : c’est désormais la Chine qui signe son arrivée sur le continent en tant que puissance prédatrice »344. La Chine succomberait en effet à « la tentation, rapide, d’élargir au Tchad voisin une zone d’influence et de chalandise bien établie », à l’image des puissances occidentales qui voient les États pétroliers africains comme autant de « zones de pompage ».

Ainsi les rebelles du FUC345 étaient-ils armés de « mitrailleuses 14,5 mm chinoises », de « 4x4 Toyota achetés dans le Golfe par une société chinoise, etc. ». Leur leader, l’ex-capitaine tchadien Mahamat Nour, serait même un ancien employé d’une société pétrolière chinoise au Soudan, selon Gilles Delafon, pour qui « les Chinois sont définitivement entrés dans le jeu africain »346. C’est ainsi que Patrick Girard se demande si « après la Françafrique, [on ne va pas] parler de Chinafrique, un pouvoir mafieux dictant sa loi aux pays du continent noir et décidant de maintenir ou de renverser des dirigeants selon que leur politique est ou non conforme à ses intérêts »347.

Cette grille de lecture est pour le moins limpide : « le FUC est l'allié du Soudan, le Soudan est allié de la Chine, le FUC utilise des armes de fabrication chinoise, la Chine est intéressé par le pétrole du Tchad. […] On peut aussi envisager un scenario plus complexe mais plausible : la Chine pourrait proposer son aide [à Idriss] Déby pour repousser la rébellion et en échange obtenir des contrats dans le pays ». Cependant, et pour Associated Press (citée par la même source), il est impossible de dire « si [lesdites] armes avaient été fournies par les autorités chinoises où si elles avaient été exportées illégalement »348. Pour la plupart des observateurs, il ne fait cependant aucun doute que la Chine se trouve impliquée au 343 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.344 ELRAZ Gabriel, « Coup d’État au Tchad : La Chine impliquée ! », Afrik.com, 23 avril 2006 : www.afrik.com/ article9747.html345 Front unifié pour le changement. Mouvement rebelle tchadien d’obédience islamique soutenu par le Soudan.346 DELAFON Gilles, « Tchad : la Chine a financé les rebelles », Le Journal du Dimanche, 23 avril 2006.347 GIRARD Patrick, « Tchad : pour Pékin, le pouvoir est au bout du pipe-line », Marianne-en-ligne.fr, 25 avril 2006 : www.marianne-en-ligne.fr/exclusif/virtual/monde/e-docs/00/00/5F/7F/document_web.phtml348 INDYMEDIA, Op. cit. p. 79.

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Tchad. Or, cela inquiète beaucoup les Américains. Avec cette crise, on a une preuve supplémentaire de leur engagement dans la lutte contre « le jeu d’influence des Chinois dans la région » de l’Afrique centrale. Washington, dans la compétition stratégique entamée avec Pékin à travers le globe, aurait avant tout agi afin de « contrer les vilains Chinois et leur allié du Soudan » (cf. Annexe 39). De toute évidence, la Chine hésite de moins en moins à lier des pactes diplomatiques et militaires auprès des autocraties productrices de matières premières.

3 L’alliance contre les droits de l’homme avec le populiste Mugabe

Selon He Wenping, Directrice de la section d’Études africaines de l’Académie chinoise de Sciences sociales de Pékin, la Chine et l’Afrique ont des conceptions très proches en ce qui concerne les droits de l’homme : « nous ne croyons pas que les droits de l’homme doivent prévaloir sur la souveraineté. […] Nous avons des vues différentes [de celles des Occidentaux] à ce sujet, et les pays africains partagent notre conception »349. Il faut selon elle comprendre que pour la Chine, « la protection des droits de la personne ne saurait contraindre l’exercice de la souveraineté nationale. Il ne fait aucun doute que les succès rencontrés par Pékin en Afrique ont bénéficié de cette vision, même si ce n’est pas l’unique point commun [que la Chine partage avec ses] partenaires africains »350. C’est notamment pourquoi elle soutient le Soudan ou le Zimbabwe. Comme le rappellent Jean-Pierre Cabestan et Benoît Vermander, les dirigeants Chinois sont persuadés que « la défense de la souveraineté nationale exige notamment de se méfier du discours tenu sur la primauté des droits de l’homme, lequel vise d’abord à affaiblir la souveraineté chinoise. Comme Deng Xiaoping l’a dit, la souveraineté l’emporte de loin sur les droits de l’homme »351.

Cette concordance théorique se concrétise actuellement avec le Zimbabwe. Les Chinois investissent cet État enclavé et riche en matières premières après que les Occidentaux on retiré leur aide au Président Robert Mugabe. Le Président de l’Assemblée populaire, Wu Bangguo a immédiatement effectué une visite de quatre jours au Zimbabwe en novembre 2004. Il conduisait une délégation d’une centaine d’hommes d’affaires chinois. Des accords « concernant des échanges en matière minière, de transports, de communication et d’énergie » ont été conclus.

Or, comme pour le Soudan, mais avec plus de succès, la Chine a empêché qu’un consensus émerge au Conseil de sécurité de l’ONU en faveur d’une résolution sanctionnant le

349 MOONEY, Op. cit.350 SERVANT, Op. cit.351 CABESTAN & VERMANDER, Op. cit.

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régime zimbabwéen pour sa politique de démolition d’habitations précaires352. Le régime de Robert Mugabe s’était déjà attiré les foudres de la communauté internationale à cause de la répression des fermiers Blancs du pays déguisée en réforme agraire. Depuis, M. Mugabe doit faire face à une opposition grandissante, lui qui tient à conserver l’apparence démocratique en organisant des élections truquées.

Dans ce combat politique, le soutien de la Chine ne se limite pas à l’ONU. En effet, Pékin a fourni au régime de Robert Mugabe un appareil de brouillage des ondes radio afin d’empêcher les opposants d’utiliser ce média pendant la campagne des législatives de 2005353. Plus grave, il y a déjà eu des ventes d’armes chinoises à destination du Zimbabwe ; la Chine aurait même fourni fin 2004 douze avions de chasse FC-1 et 100 véhicules militaires chinois pour 200 millions de dollars354. La pacification du Zimbabwe est en bonne voie.

4 Guinée équatoriale : un archipel convoité

C’est aussi sûrement au nom du développement pacifique que la Chine s’est rapprochée de la Guinée équatoriale. Ce petit archipel de 500 000 habitants est devenu le troisième producteur africain de pétrole après que les compagnies américaines y ont massivement investi. La concurrence stratégique avec les Chinois est très forte sur cette micro-dictature.

En effet, la Chine y est présente depuis 1968 et participe aujourd’hui à la construction d’infrastructures. Elle est aussi le troisième importateur de produits équato-guinéens (derrière l’Espagne et les États-Unis)355. Le Sud-Africain Nontokozo Mhlongo déclare même que « la Chine a fourni un entraînement militaire et des spécialistes chinois en équipements militaires lourds » à Malabo356, qui peut d’ores et déjà s’attendre à bénéficier du soutien diplomatique, au vu de l’autoritarisme du pouvoir en place.

Tous ces exemples viennent à l’appui d’un discours qui structure une image menaçante de la Chine. En effet, il est très facile de pointer les risques d’une alliance entre dictatures qui se voient mutuellement renforcées. Leur interdépendance se fonde en effet sur l’énergie et la solidarité diplomatique : elle apparaît aujourd’hui indissoluble. Certains craignent ainsi que cette coalition autoritariste ne déstabilise les équilibres internationaux, elle qui a déjà fait s’effondrer les espoirs de paix. D’autres vont jusqu’à développer un discours sur l’impérialisme de la Chine, qui se manifesterait par un regroupement des dictatures sous la protection de Pékin.352 BROOKES & SHIN, Op. cit.353 Ibid.354 GRIFFITHS Dan, Op. cit. et MHLONGO, Op. cit.355 LAFARGUE, Op. cit.356 MHLONGO, Op. cit.

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C Les effets structurants du débat sur l’impérialisme chinois

La pétrodiplomatie chinoise est perçue comme fondamentalement déstabilisatrice, surtout en Afrique. La percée stratégique de la Chine sur le continent suscite bien des commentaires. En effet, pour de nombreux observateurs, la quête d’influence de la Chine s’apparente à une stratégie impérialiste. Dans ce débat, certains accusent, mais d’autres constatent. Tous s’accordent toutefois pour conférer à la Chine le statut de puissance mondiale, allant même jusqu’à expliquer que la Chine est impérialiste (1). Cette débauche d’analyses globalement alarmistes doit pourtant être mise en rapport avec une situation peut-être moins complexe qu’il n’y paraît (2).

1 Le « nouvel ordre chinois »

Les accusations d’impérialisme reposent sur le constat d’une interdépendance accrue entre la Chine et ses partenaires, qui peut dériver en dépendance totale par rapport à Pékin (a). La Chine chercherait en fait à mettre en place une formule spécifique de néocolonialisme (b)

a Dépendance ou interdépendance ?Il ne faut pas croire que les Africains sont tous favorables à l’action de la Chine. Ludovic

Ciechanowski explique en effet que « les intellectuels africains sont partagés sur la question du bénéfice du partenariat sino-africain »357. D’un côté, « les partisans [de la coopération avec la Chine] prétendent que les Chinois partagent avec eux un passé colonial et que ceux-ci sont soucieux du bon développement de l’Afrique. [Leur] aide est quasiment sans contrepartie […] qui se traduit par des taux d’intérêts souvent gratuits. Cette situation diffère des bailleurs occidentaux qui souvent conditionnent leurs aides. D’autres, comme Moeletsi Mbeki, Vice-président de l’Institut sud-africain des Affaires étrangères de l’Université de Witwatersrand, à Johannesburg, soulignent le fait que la nature des échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine ressemble étrangement à ceux des vieilles puissances […] : " en échange des matières premières que nous leur vendons, nous achetons leurs produits manufacturés ". Les critiques fusent pour dire que l’impact des relations avec les chinois est peut-être bénéfique en termes économiques absolus, mais qu’en termes de développement

357 CIECHANOWSKI, Op. cit.

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social il ne diffère que très peu de celui des Occidentaux et qu’il est parfois même plutôt négatif ».

En effet, si la Banque mondiale considère elle que l’engagement de la Chine dans certains pays d’Afrique reste sans conséquence ; mais ce n’est pas le cas pour d’autres. Pékin est ainsi accusé de court-circuiter les efforts engagés par l’UA et les Occidentaux pour la démocratisation et la transparence des relations entre les acteurs économiques du continent. « La coopération chinoise fournit une ligne de vie aux pays comme le Togo, très à l’écart de l’aide européenne, et conforte les régimes parias »358. Or, la Chine a besoin de sécuriser ses approvisionnements à partir de sources stables et à long terme. Valérie Niquet explique ainsi que « la Chine privilégie, plus que la coopération multilatérale, la mise en place de partenariats bilatéraux avec des pays vulnérables ou " laissés pour compte ", avec lesquels une relation de dépendance au mieux ou d’interdépendance au pire (selon l’analyse de Pékin) peut être mise en place »359. Mais ce sont les représentants des ONG – qui dénoncent déjà les pratiques des multinationales et des États occidentaux – s’inquiètent le plus de l’influence croissante de la Chine sur le continent360.

C’est le cas de l’accord conclu entre la Chine et l’Angola qui est assorti de contreparties : les entreprises chinoises ont un accès garanti à 70 % des marchés publics, ce qui ne laisse que 30 % de ceux-ci aux entreprises locales. À long terme, l’emploi des Angolais s’en voit menacé, car « le secteur de la construction est l’un des seuls où les Angolais peuvent trouver du travail »361, comme le rappelle l’économiste portugais Jose Cerqueira. Ainsi, sous couvert de conditions de financement avantageuses, la Chine s’accapare les marchés africains.

b Néocolonialisme ?La journaliste Marie-France Cros va plus loin et s’interroge : « assoiffée de matières

premières, la Chine a déclenché une offensive en règle sur l’Afrique. [S’agit-il de] néocolonialisme et/ou [de] globalisation ? »362. Elle parle du « nouvel ordre chinois en Afrique » pour caractériser le passage d’une coopération avant tout idéologique (des années 1950 aux années 1970), puis commerciale (années 1980 et 1990), au « tournant des années 2000 qui voit l’explosion de l’intérêt de Pékin pour l’Afrique ». Pour elle, la Chine n’a « pas d’état d’âme » pour imposer ce « nouvel ordre chinois », qui est fondé sur « un échange inégal ». En effet, « la Chine importe des matières premières d'Afrique en échange d'une aide

358 BANQUE MONDIALE, Op. cit. p. 67.359 NIQUET, Op. cit. p. 29.360 SERVANT, Op. cit.361 Ibid.362 CROS, Op. cit.

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financière, voire militaire, avantageuse et y exporte des produits » bon marché, ce qui menace les économies africaines.

Pour Moeletsi Mbeki, la relation avec la Chine est certes « une appétissante collaboration », mais elle recèle des risques. C’ « est à la fois une opportunité tentante et une menace terrifiante ». Il craint ainsi que ne soit en train de se rejouer « la vieille histoire du commerce […] avec l’Europe »363. La Chine est ainsi vue comme néocolonialiste. En effet, selon Jean-Christophe Servant, « le modèle chinois du " win-win " [n’est] finalement qu’une nouvelle forme de néocolonialisme drapé des illusions d’un développement Sud-Sud ». Même constat pour Ludovic Ciechanowski, qui parle de « forme voilée d’un nouveau colonialisme », et qui remarque en outre que « l’inconditionnalité qu’apporte la Chine […] dans ses aides au développement fait sans conteste d’elle une sérieuse concurrente aux autres puissances » dans leur volonté de pacifier le continent.

Tous ces auteurs sont bien moralisateurs, dépeignant une Chine menaçante, intrinsèquement hostile et qui plus est dictature impérialiste. L’Occident est il si irréprochable ? Mérite-t-il d’être la référence éthique ? En réalité, « la Chine applique, comme [les Européens par le passé], un modèle libéral et néocolonial qui est bien plus compétitif que celui de l’Europe mais qui, s’il est bénéfique à l’Afrique à court terme pourrait se révéler dévastateur dans le futur »364. Si la Chine est impérialiste, alors tous les partenaires de l’Afrique le sont aussi.

2 La Chine comme grande puissance

La conception binaire de la société internationale qui fonde la plupart des discours sur l’impérialisme chinois divise le monde dans un débat ou chacun est invité à prendre parti pour ou contre la Chine. La réalité est néanmoins plus froide que ce discours à la fois moralisant et paranoïaque. La Chine n’agit finalement que comme toutes les autres puissances : elle cherche à maximiser ses intérêts, fut-ce en Afrique. Et c’est peut-être là que le bât blesse les « anti-impérialistes » : la Chine n’a ni l’objectif, ni le besoin et encore moins les moyens d’appliquer une stratégie de type hégémonique sur l’Afrique (a). De plus, son action n’est continentale qu’en apparence ; les États producteurs de matières premières sont les seules priorités (b) : dès lors, comment parler d’impérialisme ?

363 SERVANT, Op. cit.364 CIECHANOWSKI, Op. cit.

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a Séduire ses partenairesAinsi, le « vernis diplomatique »365 masque un intérêt avant tout économique : alimenter le

développement économique en pétrole. La Chine défend son intérêt national, plutôt qu’une stratégie impérialiste. Ne disposant pas des moyens de contraindre militairement ses partenaires, la Chine cherche à leur offrir l’opportunité de se développer plus rapidement, ce qu’ils ne peuvent pas refuser.

En effet, selon un dirigeant angolais, l’aide chinoise constitue une opportunité « formidable pour l’Angola, il n’y a aucun doute là-dessus. […] Cela va fournir des financements pour notre développement. […] Les Chinois vont réhabiliter notre infrastructure […] de manière rapide et efficace »366. Or, les experts s’accordent à dire que le principal obstacle au renouveau économique est le manque d’infrastructures opérationnelles (réseaux électrique, hydraulique, routier, ferré, etc.). Dès lors, comment l’Angola pourrait-il refuser cette aide ?

Pour Alexander Neill, du London’s Royal United Services Institute, la Chine peut toujours opposer au critiques des membres du G 8 qu’elle se trouve « au premier plan pour amener l’Afrique vers le rétablissement économique » et favoriser son développement à venir367. Certains dirigeants occidentaux sont même convaincus des bienfaits de la présence chinoise. Jack Straw, ancien ministre britannique des Affaires étrangères, saluait alors qu’il était encore en fonction « la présence croissante » de la Chine en Afrique, mais également celle de tout État susceptible de contribuer au développement du continent : « nous avons assisté, au cours des deux dernières années, à une remarquable amplification de la présence et de la visibilité de la Chine en Afrique. Le Royaume-Uni considère cela comme une bonne nouvelle »368. Pourtant, dire que la Chine bénéficie au développement de l’Afrique revient à ignorer que son action sur le continent reste concentrée sur les États producteurs.

b Une aide ciblée sur les seuls producteursSelon Donald Kaberuka, le ministre des finances du Rwanda, les méthodes employées par

la Chine pour accroître son influence en Afrique ne correspondent jamais qu’à une « autre manière de faire du business »369. Dans le même esprit, on parle de « big business »370. Pour

365 « China's Hu tours Africa to boost expanding ties », Reuters, 24 avril 2006.366 IRIN, Op. cit. p. 76.367 O’ROURKE Breffni, « China : Africa Trade Offensive Part of Global Expansion », Radio Free Europe – Radio Liberty, 18 janvier 2006 : www.rferl.org/featuresarticle/2006/01/1D874EF7-9CFC-4E46-A3BD-769D4EB443F2.html368 BANQUE MONDIALE, Op. cit. p. 67.369 SERVANT, Op. cit.370 FRENCH, Op. cit.

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traiter avec la Chine, mieux vaut donc disposer d’un marché attrayant ; mais il faut surtout pouvoir lui fournir les matières premières qu’elle recherche.

Cité par le South China Morning Post, un diplomate béninois déplore ainsi la différence de traitement dont est victime son pays, pourtant idéologiquement plus proche de la Chine, par rapport à d’autres États africains richement dotés en matières premières, tels le Gabon : « nous sommes un État socialiste et marxiste et nous avons connu trente années de liens diplomatiques avec [les Chinois], et ils nous ont laissés de côté pour aller au Gabon. […] La Chine n’a pas d’amis, mais juste des intérêts »371. En effet, alors que le Bénin a subi une longue dictature communiste, il s’agit aujourd’hui de l’un des États les plus démocratiques du continent ; mais cela ne semble pas suffire.

Pour les Chinois, le Gabon offre des conditions plus propices à l’investissement. En effet, cet État exporte du pétrole depuis longtemps et son économie est ouverte à de nouveaux investissements dans l’industrie pétrolière. Cela explique que lors de sa visite au Gabon, M. Hu Jintao ait loué les qualités de M. Omar Bongo Odimba – personnage qui, depuis 1967, s’est considérablement enrichi sur le dos de son pays.

De la même manière, la Chine est un partenaire privilégié du Soudan. Malgré le fait qu’il s’agisse d’un État accusé de génocide par le Congrès des États-Unis ou de purification ethnique par les ONG, la Chine soutient son gouvernement (cf. supra).

Selon Marc Aicardi de Saint-Paul, la Chine agit « comme n’importe quelle autre puissance soucieuse de ses intérêts bien compris. Elle cible sa coopération sur des pays à fort potentiel, qu’il s’agisse de matières premières, de pouvoir d’achat et d’influence diplomatique »372. On observe ainsi un certain abandon par la Chine de ses partenaires africains les plus pauvres et les moins richement dotés en ressources naturelles, à l’image des puissances occidentales. De plus, on remarque que la Chine semble accorder aux régimes dictatoriaux une meilleure capacité à viabiliser les investissements : en agissant par mimétisme par rapport à leur situation intérieure, les Chinois semblent se méfier des États démocratiques, pénalisant ces derniers. Il est donc probable que l’ambition de la politique chinoise en Afrique finisse par abandonner sa dimension continentale. Mais tant que la Chine aura besoin des matières premières africaines et qu’elle aura à rivaliser avec Taiwan, elle aura de l’intérêt pour l’Afrique. Pour les États africains, il s’agit de rentabiliser leur soutien diplomatique à la Chine grâce à l’aide et la coopération aussi longtemps que cela sera possible.

En l’absence de matières premières dans leur État, ceux qui voient en la Chine une opportunité évidente se fourvoient. Christopher Alden, de la London School of Economics, pense que « la Chine est juste un investisseur supplémentaire et les Africains doivent 371 Ibid.372 AICARDI DE SAINT-PAUL, Op. cit.

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clairement peser les coûts et les opportunités de traiter avec » elle373. François Lafargue pense que « les pays africains doivent exiger des relations économiques plus équitables avec la Chine, ne pas se contenter d’exporter leurs matières premières mais, en échange, bénéficier de transferts de technologie »374. Il faut donc rationaliser les rapports économiques, y compris avec les autres puissances.

L’activisme étranger accru de la Chine suscite bien des inquiétudes, notamment chez les Occidentaux. Ludovic Ciechanowski pose donc cette question : « l’Afrique si chère aux Européens pour le paternalisme qu’ils exercèrent pendant plus d’un siècle, aurait-elle décidé de remettre en cause leurs liens " quasi-familiaux " avec les Européens ? L’influence européenne sur le continent africain semble s’être décidément engagé sur la voie de " la mise au placard " »375.

Cependant, selon Me. He Wenping, « il est normal et naturel que l’investissement croissant de la Chine en Afrique conduise à un conflit d’intérêts avec les anciennes puissances coloniales. Mais je ne crois pas que nous devions trop nous en inquiéter. Aider les Africains améliorer leurs conditions de vie et à bénéficier de la mondialisation est l’objectif commun des peuples et des pays du monde entier. Et la population comme le gouvernement chinois aimeraient beaucoup y contribuer. Cependant l’expérience montre que ce sera un voyage long et difficile »376.

En effet, l’action internationale de la Chine est de moins en moins acceptée, notamment en ce qu’elle est accusée de renforcer l’instabilité mondiale. Pour Peter Brookes et Ji Hye Shin, de la Heritage Foundation377, « l’effet le plus pernicieux de l’intérêt chinois renouvelé en Afrique est que la Chine légitime et encourage les régimes les plus répressifs de l’Afrique, et accroît ainsi la probabilité d’États faibles et de " failed states378 " », qui déstabilisent la structure internationale. Cette menace est donc durablement établie dans le débat. Mais elle reste indirecte, puisque c’est la méthode employée par la Chine pour se procurer ses matières premières qui est pointée. Le discours sur la menace chinoise devient en revanche plus direct dès lors qu’il porte sur le risque est conflit énergétique généralisé.

373 REUTERS, Op. cit. p. 71.374 LAFARGUE, Op. cit.375 CIECHANOWSKI, Op. cit.376 SERVANT, Op. cit.377 BROOKES & SHIN, Op. cit.378 Les chercheurs emploient l’expression « failed states » (Grande-Bretagne) ou « collapsed states » (États-Unis), pour désigner ces États qui représentent un danger pour le reste du monde, surtout lorsqu’ils abritent des réseaux terroristes. Ce concept est particulièrement utilisé aux États-Unis. Joel S. Migdal utilise lui le concept de « weak states » (États faibles) pour désigner certains États d’Afrique subsaharienne particulièrement affectés par les crises politiques, sociales, économiques, etc. (MIGDAL Joel. S., Strong Societies and Weak States. State-Society Relations and State Capabilities in the Third World, Princeton University Press, 1998, 320 p.).

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II La construction d’un ennemi

Jean-Gabriel Fredet prévient : « les pays producteurs d’or noir ou d’or bleu mènent la danse ». Avec la Chine, « ils ont les moyens de leurs rêves : défier l'Amérique et devenir le leader du monde chiite pour l’Iran, installer un populisme antiaméricain pour le Venezuela ou la Bolivie, rétablir le pouvoir de l’ancienne Union soviétique pour Moscou, contrebalancer l’hyperpuissance américaine »379. Deux blocs se dessinent, prédisposant le monde à une polarisation des relations internationales entre les États-Unis et l’Occident d’une part et la Chine et ses dictatures alliées d’autre part (A). Le risque est grand de voir cette opposition dégénérer en conflit global sur les énergies (B). Mais la rhétorique de la menace, de l’ennemi-prêt-à-tout-pour-vaincre, ou encore de la division du monde entre le Bien et le Mal apparaît comme utilitariste. En réalité la Chine n’est qu’un ennemi imaginaire dont la position de challenger a surtout des effets positifs (C).

A De la rivalité à la confrontation énergétique

Les stratégies américaine et européenne vis-à-vis de la Chine se démarquent de plus en plus l’une de l’autre. Les Européens ont une vision avant tout économique et multilatéraliste, alors que les Américains se situent davantage dans le registre de la menace stratégique380. Selon François Lafargue, la stratégie de la Chine est pétrolière, mais aussi « politique et militaire, ce qui inquiète davantage les États-Unis »381. Dès lors que la Chine se dote de tous ces éléments de la puissance, les Américains sont amenés à ériger celle-ci en alter ego dans leurs discours, se demandant ce que ferait la Chine si elle disposait des atouts de la puissance américaine (1). Ce jeu de miroirs invite à la comparaison, mais aussi à la confrontation entre deux modèles : l’un représente la liberté, l’autre l’asservissement (b). La lutte entre le Bien et le Mal trouve ici un relais historique.

1 Perception américaine de la menace chinoise : un jeu de miroirs

En 1949, lors de la révolution chinoise qui a installé le régime communiste au pouvoir, le thème de la « perte de la Chine » était très repris dans les discours politiques et médiatiques

379 FREDET, Op. cit.380 PÉRON-DOISE Marianne, « La Chine, l’Europe et les États-Unis », Politique étrangère, n°4, hiver 2004-2005, pp. 821-831.381 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.

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aux États-Unis382. Entre crainte et fascination, la Chine a toujours constitué une inconnue pour les Américains, qui théorisent encore aujourd’hui la menace chinoise. Déjà en 1995, on se posait la question de savoir si la Chine constituait une menace ou une opportunité : « si la Chine tend largement à être perçue comme une menace, [elle] serait également susceptible d’aider à éviter une dérive vers l’isolationnisme des États-Unis en donnant aux Américains une cause. […] La Chine pourrait fournir une base à une réaffirmation du leadership américain dans le monde ». Cependant, « personne ne peut être sûr que la Chine ne deviendra pas une menace à un certain moment »383.

A l’heure actuelle, Kenneth Lieberthal juge que le débat qui a cours aux États-Unis sur la relation entre Pékin et Washington « reste émotionnel, profondément ancré dans la politique intérieure et trompeusement simpliste »384. Il prône une définition réaliste des intérêts des États-Unis (cf. Annexe 40). De même, selon Joshua Eisenman, la politique énergétique de la Chine pose problème, mais « les États-Unis ignorent les défis de cette dynamique géopolitique à leurs risques et périls », eux qui sont concentrés sur le terrorisme et la promotion de la démocratie385. Or, le premier consommateur mondial de pétrole ne peut se permettre de négliger ce que fait le deuxième.

L’administration Bush a pourtant tenté de présenter la Chine comme un rival de premier plan et cette stratégie a trouvé un écho favorable dans les médias américains. Mais en 2002, le référentiel de la politique extérieure des États-Unis vis-à-vis de la Chine avait déjà changé. L’incident de l’avion espion386 semble avoir révélé aux yeux des dirigeants américains que la rivalité stratégique avec la Chine avait réellement commencé, puisqu’ils ont alors montré qu’ils étaient prêts à aller jusqu’à voir se durcir les relations avec Pékin.

Justin Vaïsse rappelle ainsi que « les analystes républicains ont tendance à exagérer certaines observations à des fins partisanes. Les experts conservateurs considèrent ainsi que la Chine, qu’ils estiment "surarmée", est dès à présent une menace militaire. Or, non seulement le budget chinois est 14 fois inférieur à celui des États-Unis, mais son armée est incapable d'envahir Taiwan. A l’inverse, les forces armées américaines sont jugées en perte de vitesse et proches de l’anémie. [Or,] la nation américaine aborde le XXIème siècle avec une double première place : pays surarmé, de loin le plus puissant, c’est aussi le plus angoissé

382 VAÏSSE Justin, « L’héritage ambigu de Bill Clinton », Politique internationale, n°90, hiver 2000-2001, pp. 45-64.383 HARLAND Bryce, « For Now, at Least, China Is More an Opportunity Than a Threat », International Herald Tribune, 14 novembre 1995.384 LIEBERTHAL Kenneth, « U.S. Policy Toward China », Policy Brief, n°72, The Brookings Institution, mars 2001 : www.brookings.edu/comm/policybriefs/pb72.htm385 EISENMAN, Op. cit.386 En avril 2001, un avion-espion américain (EP-3E Aries II) en reconnaissance dans l'espace aérien chinois est entré en collision avec un avion militaire chinois. L'avion chinois s'est écrasé en tuant son pilote, l'avion a atterri en urgence sur l'île de Hainan. Les versions divergent : les États-Unis déclarent avoir opéré au-dessus des eaux internationales, la RPC assure que c'était dans sa Zone Économique Exclusive (ZEE). De plus, chaque avion accuse son vis-à-vis d'avoir provoqué la collision. Les 24 membres de l'équipage américain ont été détenus 12 jours avant d'être relâchés.

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par la question de sa sécurité »387. C’est en fonction de ces mêmes perceptions que les militaires américains ont longtemps reproché à Bill Clinton « son attitude irresponsable face à la Chine », lui qui prétendait contenir les prétentions militaires de Pékin par de simples accords de désarmement. Cette analyse, qui date de la fin de l’an 2000, a encore cours malgré les attentats du 11 septembre.

Selon Robert Sutter, de l’Université de Georgetown388, tout cela a poussé les Chinois à davantage de bienveillance vis-à-vis de la stratégie de Washington, ce qui a favorisé l’intensification des relations commerciales entre les deux puissances. Un calcul des plus réalistes aurait été fait de part et d’autre : Washington et Pékin sont des « partenaires », à défauts d’être des « amis »389. Mais pour Jean-Pierre Cabestan, si leur interdépendance fait que « la première et la (future) deuxième puissances mondiales sont condamnées à coopérer, […] elles le font de plus en plus à contrecœur, ou plutôt a minima ». En effet, le gouvernement américain fait preuve d’ « une volonté durable de maintenir la pression sur le régime de Pékin »390, d’autant plus que la cause antiterroriste lui laisse « les mains libres » pour fixer sa stratégie pour la Chine.

Marianne Péron-Doise écrit qu’ « en dépit d’un discours chinois axé sur la recherche de la stabilité intérieure et la revendication d’une approche plus responsable, " plus intégrée " à la communauté internationale, la trajectoire politique et diplomatique de Pékin reste suivie avec suspicion » par les Américains et les Européens391, notamment du fait de la menace du rapprochement entre la Chine et la Russie392. Dans la même idée, Michael Mandelbaum considère que depuis la fin de la guerre froide, les politiques étrangères de Pékin et Moscou ne sont pacifiques qu’en en apparence. Leur alignement sur le modèle occidental ne peut selon lui que passer que par l’institution d’un véritable État libéral, seul cadre possible à une politique étrangère profondément pacifique393 (cf. Annexe 41). M. Haass souhaite lui qu’à l’image des relations avec la Russie, et malgré les désaccords persistants, les relations avec la Chine ne se transformeront pas en confrontation394. En tant que dictature communiste, la Chine est donc une menace identifiée.

387 VAÏSSE, Op. cit.388 SUTTER Robert, « Grading Bush’s China Policy : A – », Honolulu, PacNet Newsletter, n°10, Pacific Forum, CSIS, 8 mars 2002 : www.csis.org/pacfor/pac0210.pdf389 YARDLEY Jim, « Power Couple ; America and China : Partners, if Not Friends », The New York Times, 20 novembre 2005 ; Voir aussi : VERMANDER Benoît, « La Chine et les État-Unis, partenaires et concurrents », Études, n°3995, novembre 2003, pp. 453-462.390 CABESTAN Jean-Pierre, « Hu Jintao a tenté de désamorcer les lobbies antichinois de Washington », Le Figaro, 25 avril 2006.391 PÉRON-DOISE Marianne, « La Chine, l’Europe et les États-Unis », Politique étrangère, n°4, hiver 2004-2005, pp. 821-831.392 « La politique occidentale prise en flagrant délit », Dedefensa.org, 25 mars 2006 : www.dedefensa.org/article.php? art_id=2530393 BALTHAZAR Louis, DAVID Charles-Philippe et VAÏSSE Justin, La politique étrangère des États-Unis : fondements, acteurs, formulation, Paris, Presses de Sciences po, 2003, 284 p.394 ALBERT-SIMON Jacqueline, « Du bon usage de la puissance. Entretien avec Richard Haass », Politique internationale, n°89, automne 2000, pp. 45-185.

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2 Vers le conflit énergétique généralisé

Le gouvernement et les experts américains se montrent de plus en plus préoccupés par la politique extérieure énergétique de la Chine, dont les intentions demeurent potentiellement déstabilisatrices (a). Mais en fait de menace, ne s’agit-il pas plutôt pour Washington de créer l’image d’un ennemi à sa mesure (b) ?

a La pétrodiplomatie chinoise comme source de conflits potentielsÀ l’instar de nombreux observateurs aux États-Unis et au Japon, Henry Kissinger avertit

des risques d’un « grand jeu » engageant la Chine et les États-Unis dans un conflit pour l’accès aux énergies395. Auteur de Preventing the Next Cold War396, Andrew Small se montre lui très inquiet face aux « risques politiques » de voir éclater cette « compétition énergétique »397. Il craint que l’ « obsession énergétique de Pékin » ne provoque des tensions trop importantes sur les marchés des matières premières et mette ainsi en péril l’économie mondiale libéralisée.

Le Directeur chinois de l’Institute for Global Studies, concède qu’ « il est compréhensible que beaucoup de pays se sentent concernés par l’énorme demande […] de la Chine et les orientations que vont suivre la diplomatie et la coopération internationale » qu’elle conduit398. En 2006, les ministres des Finances du G 8, ont ainsi exprimé les inquiétudes qui pesaient sur la croissance mondiale du fait des prix « élevés et volatils » de l’énergie, mais également des besoins en pétrole de la Chine399. Les membres de l’Union européenne sont en outre assez dépendants au pétrole (cf. Annexe 42). Mais ce sont bien les États-Unis qui se considèrent à la tête de la rivalité avec Pékin.

Dès lors, selon Alexandre Adler, « il suffit de considérer la situation réelle de la Chine pour comprendre que […] c’est l’Empire du Milieu qui dispose de la liberté de choix la plus grande, ce qui équivaut à dire que les Chinois ont dans leur mais le destin du monde occidental ». Dès lors, Pékin « peut considérer que la lutte avec Washington est devenue décisive pour la pleine émancipation d’une Chine qui retrouve ses forces et ses ambitions géopolitiques. [Car] l’Amérique voudrait contraindre la Chine à mendier son pétrole en accélérant sa dépendance »400, ce qui serait inacceptable pour Pékin. Or, à l’image des

395 « Kissinger Warns of Energy Conflict », Financial Times, 2 juin 2005.396 « Empêcher la prochaine guerre froide ».397 SMALL, Op. cit.398 ZHONGYING, Op. cit.399 KRAMER Andrew E., « G-8 Ministers Warn of Wider Risks From Tight Oil Supply », The New York Times, 12 février 2006.400 ADLER, Op. cit.

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fournisseurs de la Chine, les partenaires pétroliers des États-Unis sont répartis à travers le monde (cf. Annexe 43) : le conflit ne peut donc être que global.

Le Council on Foreign Relations a tenté d’attirer l’attention des responsables de l’élaboration de la politique extérieure américaine sur les risques que représenterait l’intérêt de la Chine pour les énergies, reprochant à ces derniers un manque de vision à long terme, ainsi qu’un déficit stratégique. Un rapport du think tank conclut au besoin de dépasser une politique fondée sur les droits de l’homme afin de développer une « élaboration compréhensive des intérêts des États-Unis ». Les priorités doivent être, dans l’ordre, le pétrole et le gaz, la compétition avec la Chine, la guerre contre le terrorisme, la lutte contre le SIDA, la résolution des conflits et le maintien de la paix. La démocratie et les droits de l’homme et le développement économique n’arrivent qu’en fin de liste. Le discours sur la menace chinoise cherche donc ici à reconfigurer l’agenda de la politique extérieure américaine.

b Un ennemi redoutable et prêt à (presque) toutJean-Pierre Cabestan explique tout d’abord que « les pommes de discorde sont

nombreuses »401 : Iran, Soudan, Tchad, Venezuela, etc. Washington « soupçonne Pékin de s'engager dans des accords " armes contre pétrole "402 avec ces " États voyous " ». C’est pourquoi, « entre les deux grandes puissances économiques de demain, le choc s'annonce viril. Leurs joutes diplomatiques et stratégiques vont à l'évidence dégager, pour plusieurs années encore, une forte odeur de pétrole »403, mêlée d’uranium. En effet, dans la crise du nucléaire iranien, « la Chine a longtemps eu une position très attentiste, en espérant ne pas avoir à se prononcer trop clairement ». Sous la pression des Occidentaux, elle a pourtant renoncé à la menace du veto au Conseil de sécurité, le risque de sanction grandissant. En réalité, « la Chine est isolée et n’a pas envie, pour des raisons de politique étrangère ou d’affichage », de montrer qu’elle soutient excessivement « des régimes proliférants »404.

Le rôle plus actif joué par la Chine au Conseil de sécurité (cf. supra) montre qu’elle tient pourtant à conserver un potentiel de nuisance suffisamment inquiétant pour les Américains, dont la seule « crainte majeure » concerne l’approvisionnement en pétrole et provient de la menace terroriste au Moyen-Orient, puisque cela provoquerait une compétition autour de gisements moins performants, comme en Asie orientale. Certains poussent pourtant à « favoriser de l’augmentation de la fourniture du marché mondial […] par d’autres sources, extérieures au Moyen-Orient, comme la Russie, le Bassin caspien, l’Afrique de l’Ouest,

401 CABESTAN, Op. cit.402 C’est le cas avec l’Iran, l’Égypte ou le Koweït.403 IZRAELEWICZ, Op. cit.404 LECAPLAIN, Op. cit. La Chine aurait pourtant conduit Téhéran à accepter de reprendre les négociations à la mi-juin 2006.

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etc. »405. Soit autant de théâtres pour la confrontation énergétique. Le Département d’État américain a averti en septembre 2005 des risques de confrontation entre la Chine et les États-Unis si Pékin persistait dans sa stratégie d’approvisionnement auprès de partenaires jugés problématiques par Washington : Iran, Soudan et Venezuela406.

Si Fiona Hill407 estime que « nous n’avons pas atteint un point critique dans la compétition entre les plus gros consommateurs de pétrole »408 ; un choc pétrolier majeur pourrait toutefois provoquer une crise sans précédent. Ce serait aussi le risque si la Chine déclarait la guerre à Taiwan (cf. Annexe 44). La Chine est donc la menace numéro un pour Washington, comme en atteste la récente évolution du discours gouvernemental.

L’agence de presse Reuters rapporte ainsi que Condoleezza Rice a déclaré que les États-Unis et leurs alliés de la région Asie-Pacifique devaient travailler avec la Chine pour ne pas que son développement ne devienne une « force négative » : « c’est là quelque chose de très important, particulièrement pour ceux d’entre nous [États-Unis, Japon, Australie, Indonésie, Pérou et Chili] qui ont une responsabilité dans la défense de la paix dans la région Asie-Pacifique ». Me. Rice pense qu’il faut « essayer de réaliser les conditions dans lesquelles […] la Chine sera une force positive dans les relations internationales, et non une force négative »409. La Secrétaire d’État américaine souffle ainsi le chaud et le froid ; elle emploie un discours bidimensionnel qui allie la menace à l’opportunité. En effet, selon elle, l’émergence de la Chine, « c’est un défi, mais c’est une opportunité. Quand vous avez une population de plus d’un milliard de personnes qui sont aussi actives et dynamiques que les Chinois et une économie qui a le potentiel d’être un vrai vecteur de la croissance économique dans le système international, c’est une opportunité ».

Pourtant, ce discours recèle une particularité très intéressante. Il suppose l’existence de deux cas de figure pour les relations Chine-États-Unis : la coopération avec la « force positive », ou bien la confrontation avec la « force négative ». Or, cette conception binaire des relations internationales n’est pas sans rappeler la guerre froide.

405 YONG Tang, « China’s Oil Strategy Not Conflicting with US Interest », The People’s Daily, 21 juin 2004.406 Il est intéressant de voir qu’il est problématique de traiter avec le Venezuela pour les États-Unis, dont Caracas est l’un des principaux fournisseurs.407 Experte à la Brookings Institution, elle s’occupe notamment des relations entre les questions énergétiques et les politiques extérieures en Europe et en Asie408 YONG, Op. cit.409 « Rice Says China Must Not Become a Negative Force », Reuters, 11 mars 2006.

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B La deuxième guerre froide

Dans le discours de la menace chinoise, on remarque que les analogies avec la guerre froide sont très utilisées. On parle ainsi de la confrontation entre deux blocs hostiles, chacun devant choisir son camp pour assurer sa fourniture en énergie. Une structure internationale polarisée et des confrontations indirectes entre blocs. C’est pourquoi il est ici intéressant d’examiner l’intensification de la concurrence entre la Chine et l’Inde sur les énergies, New Delhi se rangeant résolument du côté des États-Unis (1). Deuxième mode discursif : le thème des conflits périphériques. Pour François Lafargue, la confrontation Chine-États-Unis ne sera pas ouverte, mais se déroulera « à la périphérie »410 (2).

1 Intensification de la rivalité énergétique Chine-Inde : le bloc occidental

Pour illustrer le thème de la bipolarisation, nous avons choisi l’exemple de l’Inde, car il s’agit d’un État dont la consommation est en pleine expansion qui, contrairement aux autres alliés de Washington, se voit particulièrement concerné par les conséquences de la pétrodiplomatie chinoise. En effet, alors que les analystes occidentaux constatent que la diplomatie énergétique africaine de la Chine « crée les fondations pour une influence politique et militaire durable », les médias indiens reprochent à leur gouvernement de « dormir » en ne prenant pas en compte les formidables opportunités que représente l’approvisionnement pétrolier en Afrique411. Toutefois, et « contrairement à la Chine, l’Inde n’est pas en mesure de donner à sa politique africaine une finalité stratégique »412. D’ailleurs, le dernier Premier ministre à s’être rendu en visite officielle dans un grand État africain (le Nigeria) est… Jawaharlal Nehru en 1962 ! Et Rajiv Gandhi s’est bien rendu en Angola, mais c’était en 1986. En dehors de l’Afrique du Sud et de l’Ile Maurice, l’Afrique ne serait pas assez « sexy » pour les diplomates indiens, selon le journaliste Raja Mohan. Ce dernier invite ses dirigeants à combler ce différentiel stratégique, tout en prévenant les accusations d’ « impérialisme asiatique » et de « néocolonialisme » qui ne manqueront pas d’être émises par les Occidentaux (cf. infra). A terme, il faudrait que la « tortue » indienne dépasse le « lièvre » chinois dans la course aux matières premières africaines.

410 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.411 Les Chinois ont d’ailleurs empêché la conclusion d’un contrat pétrolier entre l’Inde et le Nigeria, ce dernier ayant tout annulé au dernier moment pour confier la concession en question à la Chine.412 RAJA MOHAN C., « Losing Africa to China », The Indian Express, 16 janvier 2006.

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Pour François Lafargue, « il y a [effectivement] une compétition énergétique entre les deux puissances montantes, les deux puissances du XXIème siècle »413 que sont la Chine et l’Inde, que ce soit en Asie centrale, en Amérique latine, et pas seulement en Afrique. C’est par exemple déjà le cas dans les eaux territoriales de Cuba que les compagnies indiennes et chinoises explorent concurremment. La Chine et l’Inde ont également relancé des campagnes de prospection au Mali et au Niger414. Il y a fort à parier que l’Inde cherchera à s’appuyer sur les États-Unis – ou tout du moins sur une stratégie moralisante – pour compenser son retard stratégique sur la Chine, notamment en Afrique. Washington est en effet très présent auprès des producteurs du continent.

2 Conflits périphériques : la guerre froide énergétique

La confrontation Chine-États-Unis sur les énergies se fera donc à la périphérie : l’Afrique (2) et l’Asie (2) semblent en être les théâtres désignés.

a Afrique : la bataille du pétroleLes États africains sont nombreux à fournir du pétrole aux États-Unis (cf. Annexe 45), à

hauteur de 14 % de la consommation américaine ; cette proportion devrait passer à 20 % au cours des années 2010415. Il y a donc un risque que l’Afrique devienne un terrain de conflit énergétique entre les deux plus gros consommateurs de pétrole dans les prochaines années.

En raison des tensions liées à l’approvisionnement de la Chine en matières premières, certaines régions du monde voient leur importance stratégique s’accroître. Les États-Unis sont à la pointe de la réflexion sur ce sujet. Ainsi, une conférence s’est tenue le 7 mars dernier à Washington qui avait pour thème « l’influence grandissante de la Chine en Afrique et en Amérique latine ». Pour Brett Schaefer, de l’ Heritage Foundation, « l’Afrique est devenue un continent d’importance stratégique de premier plan […] en raison de l’essor de ses exportations de produits énergétiques et d’autres ressources naturelles »416. Dans ce contexte, « l’émergence de la Chine […] constitue un défi de taille pour les États-Unis qui comptent, eux aussi, sur l’Afrique pour les approvisionner dans beaucoup de ces secteurs ». Il rappelle que l’Afrique fournit 18 % des importations pétrolières américaines et prévoit que cette part passera à 25 % d’ici dix ans, après que les capacités exportatrices africaines auront doublé.

413 ADÈS & DAMBERT, Op. cit.414 Ibid.415 LES DESSOUS DES CARTES, Op. cit.416 COREY, Op. cit.

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Or, l’expert rappelle que la Chine est passée en première position dans la consommation de nombreuses matières premières ; en revanche, en ce qui concerne le pétrole, les États-Unis la devancent encore. Certes, pour le Council on Foreign Relations, « les intérêts américains ne sont pas sérieusement menacés » par la politique énergétique Chine, notamment en Afrique, même si les Occidentaux ne peuvent plus considérer ce continent comme leur « chasse gardée »417. D’autres rappellent que le document sur la politique chinoise en Afrique indique l’intention de la Chine d’intensifier les ventes d’armes vers l’Afrique, mais aussi d’encadrer l’entraînement militaire, d’améliorer le renseignement et la coopération entre structures officielles chinoises et africaines418, ce qui crée un lien avec les arguments de bonne gouvernance. L’Afrique est donc déjà le lieu d’une confrontation indirecte, plus que celui d’une véritable coopération. La même ambigüité vaut pour l’Asie.

b Asie : l’encerclement de la ChinePour la Quadriennal Defense Review, publiée par l’administration américaine, la Chine est

présentée comme une menace potentielle en Asie. En effet, les programmes de défense balistiques américains dans la région concurrencent la stratégie d’intimidation nucléaire de la Chine sur Taiwan419. D’autre part, le déploiement des troupes américaines en Asie fait aussi partie de la stratégie d’encerclement de la Chine par les États-Unis.

Le Japon craint particulièrement le réarmement de son voisin – surtout après l’épisode du sous-marin chinois surpris dans ses eaux territoriales420. La rivalité sino-japonaise est intense, par exemple pour l’accès aux énergies sibériennes. Le Japon est par ailleurs en conflit avec la Chine sur l’exploitation des ressources supposées de la Mer de Chine orientale421. Le Premier ministre Junichiro Koizumi s’appuie en outre sur un sentiment antichinois, actuellement très fort au Japon (cf. Annexe 46). Pour certains, la décision de l’administration Clinton de lever l’embargo contre le Vietnam répond ainsi au besoin de voir les compagnies pétrolières américaines s’emparer des éventuels gisements en Mer de Chine422, ce qui constituerait une anticipation de la montée en puissance de la Chine allant dans le sens des Japonais.

Cependant, la lutte énergétique bipolaire en Asie ne se limite pas au risque de voir les conflits de souveraineté en Mer de Chine dégénérer. Gaye Christoffersen se demande ainsi si l’influence grandissante de la Chine en Asie centrale n’est pas caractéristique de la « menace

417 REUTERS, Op. cit. p. 71.418 RAJA MOHAN, Op. cit.419 SUTTER, Op. cit.420 On remarque ici que ne disposant pas de sous-marin indétectable, la dissuasion nucléaire chinoise est inefficace.421 En échange de son soutien diplomatique, notamment au Conseil de sécurité, la Chine demande à ses partenaires d’appuyer ses revendications territoriales en Mer de Chine, en particulier sur l’archipel des Îles Senkaku (LAFARGUE, Op. cit.).422 RICHARDSON, Op.cit.

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de la Chine », qui chercherait ainsi à exercer une « hégémonie » sur la région. En réalité, il remarque que l’action de Pékin n’est pas unilatérale, elle correspond à une négociation423. Par exemple, le Kazakhstan a souhaité s’affranchir de la situation monopolistique de la Russie sur les énergies centrasiatiques ; en s’alliant à la Chine, il cherche à assurer sa sécurité énergétique. Les Kazakh n’ont toutefois aucune envie de voir la Chine remplacer la Russie – ou les États-Unis – dans une situation quasi coloniale selon laquelle ils seraient cantonnés au rôle de fournisseurs de matières premières. Le fait d’être engagés sur deux projets de pipelines très importants (un vers la Chine, l’autre vers la Mer Noire) permet aux dirigeants kazakh de croire qu’ils sont parvenus à diversifier leurs débouchés commerciaux, mais aussi qu’ils ont réussi à s’extraire de l’influence occidentale. Mais il est très difficile de savoir où va mener cette montée des enchères sur l’Asie centrale. Il s’agit d’une région stratégique, alors que l’on cherche à multiplier les projets d’acheminement terrestres.

En réalité, il faut comprendre que le discours sur la menace chinoise en Asie s’est développé aussitôt qu’on s’est aperçu que la Chine était devenue un importateur net. Ces experts prédisaient que la dépendance énergétique de la Chine génèrerait une tension telle sur les marchés que les autres importateurs d’Asie orientale (Corée du Sud, Japon, etc.) verraient leurs économies ralentir. La plupart des scénarios s’accordaient sur la forte probabilité que s’ensuive une crise politique qui risquerait de dégénérer en conflit militaire, sous l’effet d’une course à l’armement entre la Chine hégémonique et le Japon démocratique pour s’assurer la suprématie sur l’Asie, selon toute vraisemblance avant 2010. Les États-Unis s’allieraient alors avec le Japon, jetant la planète dans une nouvelle confrontation idéologique, économique et militaire. Si ces considérations prêtent aujourd’hui à sourire, les partisans de l’approche alarmiste ont depuis renouvelé leur scénario, avec cette même préoccupation : mettre en place l’endiguement424 de la Chine le plus vite possible. Ceci apparaît paradoxal dans la mesure où c’est justement une plus forte intégration de la Chine aux marchés internationaux que recherchent aujourd’hui les dirigeants américains425. Le discours sur la menace chinoise doit donc se renouveler pour cause d’anachronisme.

423 CHRISTOFFERSEN, Op. cit.424 En référence à la théorie du containment initiée par George Frost Kennan dans son célèbre Long télégramme écrit en 1946 sous le pseudonyme de Monsieur X. Cette doctrine fut appliquée par les États-Unis face à l’URSS lors de la guerre froide. Elle repose sur l’idée que la confrontation directe était impossible, que la victoire était indispensable et que le système soviétique s’effondrerait de lui-même. Il est très intéressant de voir que de nombreux experts américains appliquent ce même raisonnement à la Chine d’aujourd’hui.425 CHRISTOFFERSEN, Op. cit.

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C Relations énergétiques : le double visage de la Chine

À ce stade, il apparaît nécessaire de replacer la question de la menace chinoise dans une approche plus réaliste. En effet, les Cassandres éludent le fait que la Chine présente surtout une chance pour l’avenir des relations énergétiques mondiales, qu’elle n’a aucun intérêt à voir se radicaliser. La Chine représente tout d’abord l’espoir sur de récupérer une influence indirecte sur les certains États producteurs (1). De plus, et paradoxalement, la Chine joue sur la sécurité des approvisionnements (2), puisqu’elle la recherche pour elle-même. Mais les effets sont encore plus considérables sur l’amélioration du système productif et distributif du pétrole mondial (3). Dès lors, pétrole et puissance se trouvent associés dans le mouvement d’intégration internationale de la Chine, dans un contexte d’interdépendance accrue (4).

1 Un levier d’influence bienvenu sur les États voyous

Les sanctions prononcées contre le Soudan ou l’Iran sont problématiques, car elles sont susceptibles de priver la Chine d’une part stratégique de son approvisionnement en pétrole. Paul Mooney pose ainsi cette question : « oui ou non Pékin veut-il sacrifier le pétrole et ses partenaires africains pour sauver son image internationale de puissance mondiale responsable ? »426. Et d’émettre le souhait que Pékin participe à la pacification de ces États. En effet, « L'Iran et le Soudan, membres de l' " axe du Mal ", mais sacrés " amis " de Pékin »427 peuvent-ils réellement faire pression sur leur dernier partenaire de poids ? En effet, et comme le rappelle M. Angelier, « la plus grande implication de la Chine dans les marchés de matières premières (et singulièrement dans les marchés pétroliers) lui confère un rôle majeur qui l’autorise à lier des relations avec des partenaires que les États-Unis cherchent à isoler des échanges internationaux, [ainsi] qu’un rôle de modérateur dans les différends territoriaux relatifs à la Mer de Chine (le pays y est en conflit larvé avec le Vietnam, la Malaisie, les Philippines, Taiwan et l’Indonésie pour l’exploitation des hydrocarbures) »428.

Les États-Unis ont donc tout à gagner à s’appuyer sur l’influence chinoise pour faire pression sur les États dont ils ont par ailleurs obtenu la condamnation429 : la Libye, le Soudan, l’Iran ou encore la Corée du Nord. Alexandre Adler pense que Pékin peut tout aussi bien s’associer aux Occidentaux et au Japon pour stabiliser les cours des matières premières, ce qui

426 MOONEY, Op. cit.427 FREDET, Op. cit.428 ANGELIER, Op. cit.429 THOMSON, Op. cit. p. 15.

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supposerait un rapprochement politique avec Taiwan et la Corée du Sud430. On voit bien ici qu’Adler, à l’image des intellectuels férus de prospective, surfe sur le flou qui existe au sujet des intentions stratégiques de Pékin. L’on passe ainsi d’un scénario menaçant (cf. supra) à son opposé enthousiasmant, avec le même aplomb scientifique et cette certitude que, quoiqu’il se passe, la Chine est l’élément structurant des relations internationales de demain.

Joshua Eisenman est ainsi l’un des rares théoriciens à proposer des solutions pour contrer la menace qui pèse sur l’incertitude que fait peser la dépendance énergétique croissante de la Chine sur les approvisionnements pétroliers. Selon lui, il faut élaborer une « collaboration [qui] chercherait à mettre en place une standardisation des procédures destinées à prévenir des ruptures de la fourniture de pétrole [ ; il faut aussi développer] les énergies alternatives et les [économies] d’énergie, faire baisser les coûts d’extraction et les risques de conflit et maximiser les bénéfices en travaillant à l’amélioration de la transparence et de la bonne gouvernance dans les États producteurs ». Il ajoute, qu’ « en tant que trois premiers importateurs de pétrole du monde, les États-Unis, la Chine et le Japon ont l’opportunité d’enrayer les conflits et de mettre l’accent sur l’importance de la responsabilité [accountability] parmi les fournisseurs d’énergie »431. M. Eisenman développe une conception très intéressante de la menace chinoise, en ce sens qu’il semble persuadé de l’existence, dans le « défi » représenté par la stratégie pétrolière de la Chine en Afrique, d’une « opportunité » d’agir favorablement sur le développement. On peut donc qualifier sa pensée de « pensée mixte », entre menace et opportunité. Cet effort de nuance est plus réaliste et moins utilitariste que le discours classique sur la menace d’un conflit énergétique avec la Chine, elle qui n’a aucun intérêt à voir s’interrompre l’approvisionnement en pétrole.

2 Sécurité des voies maritimes

Selon M. Eisenman, « en tant que plus gros consommateur mondial d’énergie et protecteur des voies maritimes, les États-Unis [doivent jouer leur rôle] essentiel d’assurer la libre circulation de cette marchandise importante »432. La VIème flotte américaine est déployée en Méditerranée et dans le Golfe de Guinée et la Vème dans l’Océan Indien et le Golfe d’Aden. Il s’agit de contrôler les nombreuses voies d’approvisionnement qui passent par l’Afrique433. Des forces terrestres sont également déployées sur le continent africain depuis le 11 septembre. En 2002, 1 000 soldats prennent place dans la base djiboutienne du Camp 430 ADLER, Op. cit.431 EISENMAN, Op. cit.432 Ibid.433 Notamment le Détroit de Gibraltar, le Canal de Suez, le Détroit de Bab-el-Mandeb, le Canal du Mozambique et le Cap de Bonne Espérance.

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Lemonnier. Il y a aussi les projets de base de Bosaso, en Somalie, en face du Golfe d’Aden, ainsi qu’à Sao Tome et Principe, dans le Golfe de Guinée434 (cf. Annexe 30). Mais la Chine devrait prendre une plus grande part à cette sécurisation, notamment par ses investissements dans l’acheminement terrestre et même si cela passe dans un premier temps par un dégagement de l’influence américaine sur les routes du pétrole.

Éric Laurent rapporte ainsi les propos qu’aurait tenus le « conseiller pour l’Énergie du Président chinois » lors d’une entrevue qu’ils auraient récemment eue à Pékin435 : « la chose qui nous [les dirigeants chinois] préoccupe, ce n’est pas tellement les prix du pétrole : […] nous sommes en mesure de payer beaucoup plus cher. Le vrai problème pour nous, c’est la sécurité de nos approvisionnements. Nous avons 12 000 km [à sécuriser]. Les Américains sont en mesure de couper nos lignes d’approvisionnements quand ils le veulent ». Pour Éric Laurent, « on sent très bien que c’est un énorme angoisse pour les Chinois » ; Marianne Péron-Doise parle même d’ « obsession américaine »436. C’est notamment pourquoi les Chinois souhaitent bâtir « un terminal pétrolier d’où l’or noir en provenance du golfe Persique sera acheminé par voie de terre jusqu’en Chine, à travers le Pakistan »437. Mais c’est aussi le cas dans toute l’Asie centrale, au Soudan, au Tchad (cf. supra) : dans toutes les régions où elle dispose de suffisamment d’influence, la Chine n’hésite pas à investir dans l’amélioration de la production mondiale en pétrole.

3 La Chine comme vecteur d’amélioration de la production

Jean-Pierre Angelier pense que « la Chine contribue à entretenir la dynamique de l’industrie pétrolière internationale par des investissements […] dans certains pays producteurs. Elle contribue ainsi à diversifier l’offre mondiale de pétrole »438 ; et c’est peut-être ce qu’il faut retenir du débat sur la menace énergétique chinoise. Les dirigeants chinois et américains s’accordent en effet sur ce fait. Pour le ministre des Affaires étrangères Li Xiaoxing, les actions de la Chine en matière de sécurisation de ses approvisionnements énergétiques en Afrique ne menacent pas la satisfaction des besoins américains. L’assistant pour les Affaires africaines du Secrétaire d’État américain, Jendayi Frazer ne croit pas lui non plus « que le fait que la Chine cherche du pétrole en Afrique soit une menace pour les intérêts des États-Unis »439. Enfin, le Secrétaire d’État américain à l’Énergie, Spencer Abraham, a

434 LES DESSOUS DES CARTES, Op. cit.435 LAURENT, Op. cit.436 PÉRON-DOISE, Op. cit.437 ADLER, Op. cit.438 ANGELIER, Op. cit.439 CHING, Op. cit.

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déclaré en décembre 2004 que les risques conflit énergétique n’étaient pas réalistes. « Il y a des observateurs extérieurs qui prédisent que nous [Américains et Chinois] deviendrons nécessairement des compétiteurs dans l’approvisionnement. […] Je rejette ce scénario, car je crois qu’il n’y a pas de gagnant possible à long terme dans ce genre de compétition »440. En effet, aucun des deux pays n’a intérêt à voir les prix monter, l’approvisionnement s’interrompre et sa croissance ralentir.

La stratégie de la Chine pour assurer sa sécurité énergétique satisfait donc les intérêts américains. En effet, la Chine se positionne géographiquement à un carrefour entre producteurs de l’Asie centrale et de la Russie d’une part et les grands États consommateurs d’Extrême-Orient, ainsi que les États-Unis d’autre part. De ce point de vue, la stratégie chinoise facilite les approvisionnements en pétrole et converge ainsi avec les intérêts américains441, même si certains craignent le rapprochement entre Pékin et Moscou (cf. supra).

Pour Jean-Pierre Angelier, « l’émergence de la Chine devrait […] contribuer sans heurt majeur à l’élargissement des marchés et à la croissance de l’économie mondiale », même s’il est tentant de lui attribuer la responsabilité de la hausse des cours. Or, celle-ci est « tendancielle » ; elle correspond à une « conjonction de facteurs » qui sont eux-mêmes produits par la croissance globale de l’économie442. Trois phénomènes permettent en effet de réguler la part de la hausse des prix des matières premières due à la Chine. Tout d’abord, toute hausse des cours s’accompagne d’une hausse de l’offre (déstockage, production, etc.). De plus, les besoins en matières premières de la Chine correspondent à une dynamique industrielle et diminuent d’autant ceux des États dont elle prend les parts de marché. Enfin, une crise économique liée à des prix trop élevés des matières premières mettrait en péril les marchés sur lesquels sont écoulées les productions chinoises, ralentissant également la demande chinoise et donc les prix. Ces mécanismes permettent de ne pas craindre des tensions sur l’approvisionnement, sur le marché international et, partant, sur les risques de conflit. La meilleure garantie de la pétrodiplomatie chinoise semble résider dans cette action bénéfique sur l’approvisionnement global. De plus, personne n’a intérêt à voir le développement chinois stoppé : finalement, pétrole et puissance sont intrinsèquement liés.

4 Le cercle vertueux pétrole-leadership

La politique énergétique de la Chine et son intégration aux marchés pétroliers internationaux sont en fait les conditions nécessaires à son développement. Pour Fiona Hill, le 440 AUSTIN, Op. cit.441 CHRISTOFFERSEN, Op. cit.442 ANGELIER, Op. cit.

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traitement médiatique de la politique énergétique chinoise aux États-Unis n’est pas si pessimiste. Il est de plus en plus reconnu aux États-Unis que le développement de la Chine est bénéfique pour l’économie mondiale. Elle pense que « le changement dans la stratégie pétrolière chinoise n’est pas vu comme une menace pour les intérêts américains »443 ; au contraire, il existe un consensus sur le fait que la croissance chinoise doit continuer. En effet, Logan Wright estime que « les considérations financières semblent plus importantes que les ambitions idéologiques et géopolitiques qui primaient sous la guerre froide »444. Selon les plus optimistes, la Chine peut même être amenée à jouer un rôle d’acteur du statu quo dont des intérêts reposent sur la stabilité et la croissance économique mondiales445.

On voit pourtant que bien des obstacles restent à franchir, notamment si l’on analyse les origines de la perception de la menace que ferait peser la Chine sur la sécurité énergétique mondiale. Selon Me. Niquet, l’ « une des conséquences de la perception " sécuritaire " de la question énergétique en Chine [est] qu’elle provoque en retour des réactions de méfiance et des tensions avec les partenaires de Pékin »446. Les intentions réelles et affichées des dirigeants chinois auraient ainsi leur part de responsabilité dans la structuration de la perception de menace. Il convient donc de mettre en scène ce processus vertueux qui associe pétrole et puissance, afin que la Chine profite de la croissance de son économie domestique et de son intégration à la société internationale pour acquérir un rôle plus important dans les questions économiques et de sécurité régionale. Les dirigeants chinois comprennent que le moment est venu de multiplier les opportunités stratégiques grâce à l’influence économique et diplomatique croissante de la Chine, cette influence étant uniquement permise par la quête planétaire du pétrole.

Car si l’essor de la Chine se poursuit, il confirmera cette certitude qui semble s’établir dans les esprits, à Pékin et ailleurs, selon laquelle la Chine finira tôt ou tard par accéder au leadership. La fin (suprématie mondiale) justifie les moyens (diplomatie énergétique).

III La stratégie de la puissance

Selon Xiaoxiong Yi, « la Chine ne veut pas que sa demande croissante en énergies importées soit perçue comme une cause de danger. Au lieu de cela, la Chine espère que son

443 YONG, Op. cit.444 SERVANT, Op. cit.445 THOMSON, Op. cit. p. 34.446 NIQUET, Op. cit. p. 29.

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implication croissante au sein des marchés mondiaux de l’énergie »447 soit jugée comme positive. Or, les dirigeants chinois ont parfaitement compris la présomption d’hostilité qui pesait sur eux dans les termes actuels du débat. En réalité, s’il concentre les critiques, le discours sur la politique énergétique de la Chine s’intègre à celui, plus large, sur l’émergence de la Chine. Dès lors, il s’agit pour Pékin de trouver une solution à ce problème. Il convient de rétroagir sur les perceptions à travers ce que l’on qualifie de stratégie du « développement pacifique ». L’application de cette stratégie obéit finalement à un double objectif : déminer un terrain a priori hostile à la Chine tout en affirmant son statut de grande puissance (A). Le débat sur la menace chinoise quitte alors le champ de la confrontation énergétique pour celui de la lutte pour le soft power entre Pékin et Washington448 (B).

A Le développement pacifique : rationalisation de la politique étrangère de la Chine

La stratégie de développement pacifique a été mise en place suite à un effort de refonte conceptuelle de la stratégie chinoise (1). Il s’agit principalement de rapporter toute action diplomatique au référentiel du développement pacifique449, afin de présenter la Chine comme une puissance dénuée de toute ambition hostile, ne cherchant qu’à se rendre utile au développement de l’économie mondiale dans la paix et l’harmonie (2).

1 Cadre de formulation : une diplomatie en mouvement

François Joyaux observe des tendances lourdes dans la politique extérieure de la Chine depuis 1949450 : le souci de « se faire admettre des puissances mondiales » et l’objectif de « reconstituer le domaine impérial », qui passe notamment par le besoin de « s’affirmer en Asie-Pacifique ».

Or, « la Chine d’aujourd’hui est une grande puissance451 en voie de se réformer et de s’ouvrir, en voie d’ascension pacifique452 ». Depuis 2003, la nouvelle politique étrangère mise en œuvre par la quatrième génération de dirigeants reflète une conception « plus ferme et

447 YI, Op. cit.448 SMALL, Op. cit.449 YI, Op. cit.450 JOYAUX, Op.cit.451 Daguo.452 Heping jueqi.

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proactive » de la diplomatie453. Elle illustre aussi cette réalité selon laquelle l’intégration de la Chine à la structure internationale se fera sur un mode pacifique et non conflictuel. Autrefois très idéologique et moraliste, le cadre de formulation de la stratégie diplomatique chinoise évolue ainsi progressivement vers un schéma plus classique, « discret et subtil » de défense des intérêts nationaux.

Ce renouvellement se manifeste dans l’importance qui est aujourd’hui accordée au soft power. Ainsi, cette « nouvelle politique étrangère est une illustration de la volonté de Pékin d’apprendre à se comporter comme une grande puissance ». M. Yi parle d’un « nouveau consensus » au sommet de l’État. Celui-ci porterait tout d’abord sur le refus de la domination des États-Unis sur l’Asie. Il concerne également la nécessité de voir l’intégrité territoriale du pays respectée et donc de réaliser la réintégration de Taiwan. Mais la stratégie chinoise n’est pas seulement construite contre les États-Unis ou selon l’ « obsession » de Taiwan.

Mais quelles représentations les Chinois ont-ils de l’émergence de la Chine et de ses conséquences sur le système international ? Dans leur dernier ouvrage454, Jean-Pierre Cabestan et Benoît Vermander proposent une analyse très intéressante de l’utilisation d’un vocabulaire spécifique par les dirigeants chinois fondé sur le concept d’ « ascension pacifique » de la Chine455. Il s’agit de mettre en lumière un champ sémantique officiel utilisé par tous les dirigeants chinois quand ils parlent de la Chine. Les auteurs indiquent que « la vraie question [est] : que signifie, pour la Chine, le fait de devenir une grande puissance456 ? Jusqu’à quel point cet objectif est-il réalisé, et quels sont encore les obstacles à surmonter pour parachever la tâche ? ». L’ensemble de ces interrogations est réuni dans la stratégie d’ « ascension » – puis de « développement » – pacifique.

2 Discours sur le développement pacifique et façonnage de la structure internationale

MM. Cabestan et Vermander mettent en évidence un processus d’évolution discursive dont l’objet serait d’agir sur les représentations en diffusant une image de la Chine comme grande puissance, tout en contenant tout sentiment d’hostilité – que celle-ci soit externe ou interne (a). Mais que l’on parle d’ « ascension » ou de « développement », le contenu est le même. Ce qui change, c’est la montée en gamme de la prise en compte du danger qui pèse sur ce développement, notamment du fait de la structuration parallèle du discours sur la « menace 453 YI, Op. cit.454 CABESTAN & VERMANDER, Op. cit.455 Zhongguo heping jueqi.456 Da guo.

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chinoise ». Il s’agit surtout de faire converger l’ensemble de leur diplomatie – y compris énergétique – vers cette image idéalisée de la Chine (b).

a De l’ascension au développement pacifiqueSelon MM. Cabestan et Vermander, les dirigeants chinois sont à « la recherche d’un style

diplomatique conciliant et rassurant ». Depuis la fin 2003, les dirigeants adaptent d’ailleurs leur discours aux craintes liées au développement de la Chine, parlant de « croissance équilibrée », « soutenable », ou de « qualité de la croissance »457. Hu Jintao affirme de plus que « la Chine ne sera jamais appelée hégémonique ».

Or, « l’ " ascension pacifique de la Chine " est un terme que Deng Xiaoping aurait été le premier à employer et dont l’usage a été particulièrement notable durant l’année 2003 avant d’être à nouveau remplacé au printemps 2004, du moins dans le discours officiel, par le terme plus neutre et plus consensuel de " développement pacifique "458. Son usage (ou l’usage d’autres termes équivalents459) vise à résumer l’idée exprimée à l’instant : la Chine est bien dans un processus ascensionnel, mais elle évitera toute attitude antagoniste ou toute ambition hégémonique dans le cours de ce processus. Les autres puissances doivent donc faire le constat de l’élévation du statut international de la Chine et en tirer les conséquences, sans pour autant s’en inquiéter ».

L’évolution discursive observée en 2004 correspond donc à un perfectionnement du travail sur les représentations. On ne parle plus d’ « ascension pacifique », terme jugé encore trop agressif, mais bien de « développement pacifique » (cf. Annexe 47). La Chine cherche à « dissiper son image de prédateur »460. En effet, la stratégie de développement pacifique doit répondre à un impératif : satisfaire les États-Unis tout en leur faisant accepter la nouvelle place de la Chine.

Hu a ainsi effectué une visite officielle aux États-Unis en avril 2006. À cette occasion, M. Cabestan remarque qu’ « à tous ses interlocuteurs américains, [il] a voulu présenter l'image d'une Chine certes plus forte et plus influente, mais aussi consciente de ses faiblesses, désireuse de progresser, y compris sur le plan institutionnel et des droits de l'homme, et soucieuse de coopérer sur les grands dossiers internationaux ». En cherchant à séduire les États-Unis, Hu Jintao cherche aussi à rassurer les Chinois hostiles à « l’hyperpuissance américaine »461 et qui, à l’image du général Pan Zhenqlang pensent que « ce serait une erreur

457 BOBIN, Op. cit.458 Heping fazhan.459 L’expression « heping shanbian » (transmutation pacifique) est également très utilisée, même s’il lui est préféré celle de « développement pacifique ».460 SINGH, Op. cit.

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de sous-estimer l’énergie et l’influence des sentiments antichinois des néocons [néoconservateurs, NDLA] et la force de l’aile droite aux États-Unis et au Japon »462.

b Vocabulaire et stratégie de la puissanceLa stratégie de puissance chinoise (cf. Annexe 48) répond donc à un travail de

construction idéologique et conceptuel qui se concrétise dans la formulation de l’intérêt national à la fois multiforme et homogène. Pour Xiaoxiong Yi, la stratégie de développement pacifique trouve ainsi plusieurs champs d’application. Il décrit au moins sept problématiques sur lesquelles joue cette multifonctionnalité.

Tout d’abord, c’est un travail de « construction d’une image » favorable de l’action internationale d’une Chine pacifique, de plus en plus influente, indépendante des autres acteurs, mais collaborant généreusement avec eux, dans l’intérêt commun463.

La stratégie chinoise s’adresse d’autre part en priorité à ses voisins asiatiques, envers lesquels elle juge qu’il est indispensable de contrer l’influence américaine : « la Chine est le présent de l’Asie ». C’est pourquoi, alors qu’elle privilégiait constamment les relations bilatérales, la Chine cherche de plus en plus à appuyer sa stratégie asiatique aux institutions régionales.

Troisièmement, le fait que la Chine se montre parmi les puissances les plus multilatéralistes est une preuve de la « confiance en soi » retrouvée de Pékin.

La stratégie de développement pacifique doit en outre offrir un cadre assez large au réalisme d’une menace militaire sur Taiwan, ce qui n’est pas sans importance. Ce raisonnement peut aussi être appliqué aux droits de l’homme ou au Tibet : l’univers rhétorique du développement pacifique n’engage à rien, il repose seulement sur des intentions. Il s’agit de faire comprendre au reste du monde que le développement de la Chine ne restera « pacifique » que pour autant qu’aucun obstacle ne lui sera opposé sur certaines questions.

Le discours du développement pacifique répond également au souci de ne pas voir se développer un nationalisme exacerbé à l’intérieur du territoire chinois : la Chine n’a aucune mauvaise intention, et n’est certainement pas impérialiste.

Une autre dimension de la stratégie chinoise concerne la « diplomatie du pétrole », qui doit donner des résultats, qu’ils soient économiques ou politiques.

461 CABESTAN, Op. cit. Le concept d’hyperpuissance a été inventé par Hubert Védrine, ministre français des Affaires étrangères de 1997 à 2002 pour qualifier la situation de domination des États-Unis sur l’ensemble des éléments de puissance (économique, militaire, culturel, etc.). Voir aussi : « Dossier : Chine, la nouvelle hyperpuissance ? », Rue Saint-Guillaume, n°136, octobre 2004, pp. 20-55.462 SMALL, Op. cit.463 YI, Op. cit.

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Enfin, et c’est l’une des dimensions essentielles de la stratégie diplomatique chinoise, le développement pacifique consiste à entretenir le soft power chinois, tout en tenant compte du fait que la Chine ne deviendra pas une grande puissance du jour au lendemain. La culture chinoise et l’influence politique croissante de Pékin doivent être mises à profit pour combler « le fossé entre hard et soft power ». La fascination qui existe vis-à-vis du développement actuel de la Chine doit être capitalisée, et concourir à l’accès de la Chine au statut effectif de grande puissance.

Les discours du développement pacifique, au même titre que celui sur la menace chinoise, vise donc à préparer les esprits à la prise de leadership de la Chine qui finira inévitablement par avoir lieu. Dès lors, les discours ne portent plus sur la possibilité de voir la Chine dominer le monde ; ils portent sur le fait de savoir quand, et surtout comment, cela se passera. A ce sujet, les esprits sont partagés, surtout en Chine. Ceux « qui penchent pour la thèse du " conflit des civilisations " proviennent de deux cercles : les universitaires de gauche ; l’école " réaliste " de science politique, laquelle se fonde sur l’inéluctabilité de l’affrontement États-Unis-Chine, du fait de l’ascension de cette dernière ». D’autres pensent plutôt que l’on assistera à une « transition pacifique », à l’image du passage de leadership de la Grande-Bretagne aux États-Unis au XXème siècle.

Le discours sur le développement pacifique, en agissant sur l’ensemble des représentations, modifie la structure même du système international. En effet, l’élaboration de la politique étrangère doit tenir compte des représentations qu’ont les acteurs des intentions qu’ont les autres parties à l’interaction. Les relations entre les acteurs du système international s’en voient changées. Mais ce qui est essentiel, c’est que le discours sur le développement pacifique de la Chine répond à un besoin stratégique. Il y a bel et bien un lien entre ce « vocabulaire de la puissance » (cf. Annexe 49) et une stratégie de la puissance.

On comprend ainsi mieux la volonté de la Chine d’afficher sa « solidarité avec les pays du Sud » 464, thème éculé pendant la guerre froide, et qui se voit aujourd’hui renouvelé. Dans le document sur la stratégie africaine de la Chine (cf. Annexe 31), cette dernière se qualifie de « plus grande pays en développement du monde »465, discours qui vise à rassurer quant aux volontés de Pékin (qui se limiteraient à la poursuite du développement économique) tout en conférant à la Chine un statut unique, voire dérogatoire, dans l’approche classique des questions internationales. Cette singularité de la Chine est revendiquée dans une quête d’influence planétaire. Éric Teo Chu Cheow, consultant et membre du think tank Singapore Institute of International Affairs, parle lui de « diplomatie sophistiquée » pour qualifier les efforts fournis par Pékin pour ne plus apparaître comme une menace pour ses partenaires466.

464 Bien évidemment, cette stratégie sera surtout appliquée à partir des indépendances.465 « West Africa : China Tours Region to Boost Strategic Ties », Reuters, 20 janvier 2006.466 TEO CHU CHEOW Éric, « La Chine, soft power régional », Politique étrangère, n°4, hiver 2004-2005, pp. 807-819.

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B Légitimation de la puissance chinoise

La rhétorique du développement pacifique permet à la Chine de s’imposer plus facilement que les États-Unis, à commencer par l’Asie. Pour M. Yi il s’agit d’un véritable soft power : « en gros, le message de la Chine est : " nous sommes la pour aider ", alors que le message des États-Unis est : " vous êtes avec nous ou contre nous " »467. Or, la mise en place de cette stratégie diplomatique « multiforme » est une politique de leadership, à ceci près qu’elle tient compte de l’impossibilité de supplanter les États-Unis pendant la première partie du XXIème

siècle. C’est pourquoi il est possible d’affirmer que l’élaboration d’une stratégie de développement pacifique répond avant tout à une exigence d’efficacité : faire de la Chine une puissance respectée dont on recherche la collaboration, grâce à un travail de légitimation concentré sur la modification d’une image très mauvaise. Cela a déjà porté ses fruits, que ce soit en Afrique (1), en Asie (2) et même ailleurs dans le monde, puisque le droit au développement semble durablement acquis à la Chine (3).

1 Afrique : le « nouvel horizon » chinois

Selon Drew Thomson, « la présence chinoise en Afrique est caractéristique des efforts de Pékin pour créer un paradigme de la mondialisation qui favorise la Chine »468. Celle-ci essaye de se positionner avantageusement dans un environnement multipolaire post-guerre froide. Paul Mooney considère ainsi que le « safari » de la Chine dans l’ « eldorado » africain est l’un des phénomènes les plus structurants dans les relations internationales ; car « derrière les achats en énergie et en marchandises, la Chine essaie aussi de gagner les cœurs et les esprits sur un continent aigri par l’expérience coloniale »469. De plus, la « légitimité » de la Chine aux yeux des Africains est renforcée par le soutien aux luttes de libération470 (cf. Chapitre II). Dans un contexte de délaissement stratégique de l’Afrique, la Chine a réalisé une percée spectaculaire sur le continent proposant des solutions alternatives au développement (a), tout en allant au bout d’une logique de remise en question des principes de coopération qui lui attiraient le plus critiques (b).

467 YI, Op. cit.468 THOMSON, Op. cit. p. 15.469 MOONEY, Op. cit.470 ABEDJE, Op. cit.

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a Succès du modèle de développement chinoisPour le China Daily, la singularité de la politique africaine de la Chine repose sur « sa

sincérité et sa nature non " exploitatrice " (sic.). Quand les Chinois parlent d’amitié avec l’Afrique, ils le pensent réellement »471 ; et le journal d’énumérer les actions positives de la Chine en matière d’infrastructures (bâtiments officiels, stades, routes, ligne Tanzam472, etc.), d’aide économique, etc., et de rappeler les bienfaits du Forum Chine-Afrique, cette structure intergouvernementale créée en 2000 pour donner l’apparence d’une continentalité de l’aide chinoise (annonces sur des annulations de dette, sur la formation, l’investissement, etc).

Les Chinois sont généreux, mais ils aiment le rappeler. C’est pourquoi le style énumératif est si fréquent dans les publications chinoises sur la coopération-sino africaine. L’argument de l’interdépendance économique entre pays en développement est souvent mis en avant par les Chinois qui, « chaque fois qu’ils en ont l’occasion, […] évoquent la complémentarité entre les deux ensembles, gage selon eux d’un avenir commun radieux. La Chine a besoin des matières premières africaines ; en contrepartie, l’Afrique a besoin du savoir-faire, des capitaux et des produits chinois bon marchés et plus adaptés à ses besoins »473.

Pour le consultant Moubarak Lo, ancien conseiller économique du Premier ministre sénégalais, « ce pays [la Chine] qui sort de la pauvreté pourra apporter un peu d’humanisme, car je pense que la Chine est très sincère dans sa volonté d’instaurer un partenariat mutuellement favorable, [fondé] sur son propre modèle de développement et qui fait concurrence aux modèles développés par la Banque mondiale ou le FMI »474.

En fin de compte, le gouvernement chinois a créé son propre modèle de développement économique de l’Afrique, en prétendant lui faire profiter de son expérience. La Chine développe ainsi une capacité d’orienter les réformes des systèmes politiques et économiques africains. C’est cette influence sur les structures internes des systèmes africains que Drew Thomson qualifie de soft power475. Celui-ci est également apparent dans les investissements massifs réalisés dans les systèmes éducatifs africains, à travers l’envoi d’enseignants ou l’octroi de bourses d’études depuis le milieu des années 1950. Cette assistance éducative rend l’action de la Chine très populaire en Afrique, surtout auprès des élites. Mais en plus d’assurer une certaine bienveillance envers la Chine, la coopération éducative lui permet de créer une main d’œuvre capable de fournir des interlocuteurs adéquats sur le terrain, notamment dans les hautes technologies.

471 « Goodwill Cornerstone of Sino-African Ties », China Daily, 13 janvier 2006.472 La ligne Tanzam (ou Tanzara) relie Dar es-Salaam en Tanzanie à la Zambie, connectée au réseau sud-africain. Elle a été construite entre 1970 et 1976 par les Chinois, qui ont dépensé plus de 500 millions de dollars.473 AICARDI DE SAINT-PAUL, Op. cit.474 « Offensive diplomatique et économique de la Chine en Afrique de l’Ouest », UN Integrated Regional Information Networks, 24 janvier 2006 : fr.allafrica.com/stories/200601240451.html475 THOMSON, Op. cit. p. 15.

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Selon la Banque mondiale, « jusqu’à présent, la vision africaine […] de l’engagement de la Chine est incontestablement positive. [Elle] est généralement perçue comme un modèle de modernisation, plus sensible aux besoins africains que les partenaires occidentaux »476.

Pourtant, en dépit des efforts qui caractérisent les discours des Chinois sur l’Afrique pour rapprocher la situation de la Chine de celle du Continent Noir, Liu Guijin déclare que « la Chine veut partager son expérience, échanger les idées et les savoirs, mais nous ne considérons pas notre mode de développement comme l’unique option ; nous ne conseillons pas aux pays africains de copier aveuglément le modèle chinois »477.

b Effets du renouvellement du discours chinois sur l’AfriqueLa machine diplomatique chinoise ne ménage donc pas ses efforts pour persuader les

dirigeants africains que l’intérêt de la Chine pour l’Afrique ne se limite pas à une humeur passagère. Lors de sa tournée africaine de 2004, Hu déclare vouloir d’ « une coopération économique qui se préoccupera davantage des infrastructures, de l’agriculture et du développement des ressources humaines »478 et non plus seulement de l’énergie.

Cette évolution pacifique se manifeste également par la mise à la disposition de troupes pour les forces internationales de maintien de la paix. En 2005, environ 600 soldats chinois sont déployés au Liberia sous l’égide de l’ONU. Les soldats chinois sont également au Sahara occidental, dans le cadre de la MINURSO, au Liberia, en RDC et au Sierra Leone479. Au total, plus de 1 500 casques bleus chinois ont été envoyés en Afrique, ce qui dénote un certain intérêt de la Chine pour les opérations de maintien de la paix. La Chine soutient par ailleurs l’UA, ainsi que la candidature du Nigeria – et dans une moindre mesure celles de l’Afrique du Sud et de l’Égypte – à un siège permanent au Conseil de sécurité, dans le cadre de la réforme de l’ONU480. Les diplomates chinois déclarent en effet considérer l’Afrique comme « une puissante force pour apporter la paix et le développement à travers le monde »481.

Ainsi, la Chine « offre aux pays africains un nouvel horizon »482. Emmerson Mnangagwa, Président du Parlement zimbabwéen, témoigne de cette situation d’espoir renouvelé en disant qu’ « avec des amis fidèles comme la République Populaire de Chine […] le Zimbabwe ne marchera jamais seul »483. La stratégie de développement pacifique peut être considérée comme un succès en Afrique, mais également en Asie.

476 BANQUE MONDIALE, Op. cit. p. 67.477 REUTERS, Op. cit. p. 71.478 SERVANT, Op. cit.479 LAFARGUE, Op. cit.480 SERVANT, Op. cit.481 « China, Africa : A “Win-Win” Partnership », Beyrouth, Monday Morning, 27 janvier 2006.482 LAFARGUE, Op. cit.483 MOONEY, Op. cit.

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2 Le soft power de la Chine en Asie : l’ « éléphant amical »

Éric Teo Chu Cheow décrit les effets de la « montée pacifique » de la Chine en Asie484. Pékin chercherait à y encourager la perception d’une « Chine bienveillante », « contrepoids » à la puissance américaine en Asie. Le Premier ministre Wen Jiabao a ainsi parlé de la Chine comme d’un « éléphant amical » inoffensif pour ses voisins. Pour parvenir à ses fins, elle s’appuie sur un véritable « soft power régional ».

En effet, « le débat porte [désormais] sur la capacité de la Chine à devenir d’ici cinquante ans une puissance asiatique majeure rivalisant avec les États-Unis ». L’auteur parle d’une analogie avec le système tributaire, sous lequel la Chine impériale accordait des privilèges financiers différenciés à ses voisins. Aujourd’hui, la Chine concèderait des excédents commerciaux aux États asiatiques dans le but de véhiculer parmi eux une image de bon partenaire, selon le principe « donner plus et prendre moins ».

Selon Françoise Nicolas, « diverses manœuvres de diplomatie économique semblent traduire la volonté de Pékin d’atténuer les craintes de ses voisins (notamment ceux de l’ASEAN) et de manifester sa solidarité à leur égard ». Ce fut notamment le cas quand la Chine a évité – alors que rien ne l’y obligeait – une aggravation de la crise économique asiatique de 1997, avec le refus de dévaluer le yuan ou le « sauvetage financier de la Thaïlande et de l’Indonésie ». Ces mesures, souvent unilatérales, « témoignent de la volonté des autorités chinoises de passer pour des partenaires de bonne volonté auprès de leurs voisins », mais il ne fait aucun doute pour Me. Nicolas « que les dirigeants chinois cherchent probablement aussi, d’une part, à défendre les intérêts du pays dans la région et, d’autre part, à s’imposer aux côtés, si ce n’est à la place, du Japon comme leader économique régional »485. La diplomatie économique est donc au service d’une politique réaliste de défense de l’intérêt national, mais aussi d’une stratégie d’accès au leadership.

Tout converge donc vers une montée en puissance du soft power de Pékin en Asie, comme en attestent le succès des produits culturels chinois dans la région, mais aussi celui de la culture, la cuisine, la médecine et même la mode chinoises. Tout cela « amélior[e] le poids, l’influence, et la réputation de la Chine ». Pour Jane Perlez, « la Chine a déployé ce qui est clairement devenu une doctrine de base de la politique étrangère de Pékin : des relations amicales, et même super-amicales avec les [États] voisins ». Elle parle d’une offensive de « charme de la part de Pékin »486.

484 TEO CHU CHEOW, Op. cit.485 NICOLAS Françoise, « L’irrésistible ascension de la Chine en Asie orientale », Politique étrangère, n°2, été 2004, pp. 269-284.486 PERLEZ Jane, « The Charm From Beijing », The New York Times, 9 octobre 2003.

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La Chine a pourtant longtemps incarné une menace communiste et militaire dans la région. Mais ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui : la Chine est une source d’opportunités. L’atténuation du sentiment de menace est également réalisée par la diffusion massive de produits chinois au sein des populations les moins favorisées (comme ce fut le cas pour le Japon).

Un obstacle de taille demeure pourtant, alors que « la Chine émerge comme le rival des États-Unis dans le commerce asiatique »487. Éric Teo Chu Cheow parle ainsi d’une confrontation stratégique et idéologique entre Washington et Pékin dont le « champ de bataille » sera l’Asie. Selon lui, les États-Unis doivent « choisir entre s’effacer devant le soft power grandissant de la Chine, ou le défier discrètement [car] l’émergence pacifique de la Chine, si elle réussit, consolidera la place de Pékin comme puissance en Asie, grâce au soutien, et même à la complicité, de ses voisins »488. Cette confrontation est évoquée en des termes réalistes : le « nouveau siècle de la Chine » sera une réalité pourvu que la Chine se dote d’un système d’alliance favorable à son développement, mais également capable de contrer les États-Unis sur le plan non militaire.

3 Le droit au développement : l’opportunité chinoise en Occident

On remarque aujourd’hui le très fort développement de l’attrait pour la Chine en Occident, notamment par les opportunités économiques que promet l’Empire du Milieu. Nouveau front pionnier de la mondialisation, la Chine séduit de plus en plus, y compris au-delà de l’Asie ou de l’Afrique. Dans ce contexte, le discours sur la menace de la Chine apparaît désuet. Il laisse peu à peu place à des prises de position très enthousiastes, de plus en plus favorables à la Chine, y compris à une Chine puissante. La stratégie de développement pacifique a ainsi accru la capacité des dirigeants chinois à contrôler leur image, à l’orienter dans un sens qui leur est favorable et qui protège leur droit souverain à développer leur pays. Et c’est peut-être cela qui a changé : les Chinois ne sont plus définis par les autres. Ils ont en fait réussi à créer une image positive de la Chine qui n’existait nulle part.

En 2003, devant les étudiants de Harvard, le Premier ministre Wen Jiabao s’est dit être « profondément convaincu que les 300 millions d’Américains ont des sentiments amicaux envers les Chinois ». Il dit être également « profondément convaincu que le développement et l’amélioration des relations Chine-États-Unis ne servira pas seulement les intérêts de [leurs]

487 PERLEZ Jane, « China Emerges As Rival to US in Asian Trade », The New York Times, 28 juin 2002.488 TEO CHU CHEOW Éric, Op. cit.

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deux peuples », mais profitera aussi « à la paix et la stabilité du monde entier ». Il faut donc « respecter et protéger la liberté des Chinois à rechercher le bonheur »489.

489 JIABAO, Op. cit. p. 25.

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Conclusion

Au début des années 1920, déjà, la Duchesse de Guermantes de Marcel Proust déclarait :

« la Chine m’inquiète ! »490. Aujourd’hui, la Chine ne semble plus vraiment inquiéter qui que

ce soit. Même William A. Reinsch, Président du très libéral National Foreign Trade Council

américain est très heureux de voir la Chine acquérir une stature de premier plan dans

l’économie internationale. Et le New York Times de poser cette question à la fois provocante

et pleine de sens : « qui a peur de la Chine Inc. »491 ?

En effet, la nouvelle position de la Chine « constitue sans doute plus une opportunité

qu’une menace pour les différents partenaires, à condition qu’ils soient capables de mettre en

place les ajustements nécessaires », ce qui n’impose pas les mêmes réactions selon qu’il

s’agisse d’États industrialisés ou non. « Le défi chinois ne doit pas être exagéré et les

opportunités associées à une certaine " normalisation " de l’économie chinoise ont toutes les

chances de l’emporter sur les menaces », à condition de réaliser les adaptations nécessaires.

Il est ainsi impossible de conclure un tel travail sans apporter cette précision utile,

confirmée par le New York Times : en dépit de tout le « remue-ménage à propos de

l’explosion économique de la Chine, son muscle industriel et le potentiel qu’elle a de devenir

une grande puissance, le pays le plus peuplé du monde se débat pour maintenir les voyants

au vert »492. La puissance chinoise ne doit être ni exagérée, ni sous-évaluée. Jean-Pierre

Angelier illustre cet état de fait en rappelant que si le taux de croissance chinois est

impressionnant, il l’est moins en valeur absolue. En effet, en 2003, la croissance américaine

était plus faible que la croissance chinoise (3,1 % contre 7,8) ; en revanche, le PIB chinois n’a

augmenté « que » de 96 milliards de dollars, trois fois moins que celui des États-Unis493, qui

restent les vrais maîtres du jeu.

490 PROUST Marcel, A la recherche du temps perdu. Tome 3 : Le côté de Guermantes, Gallimard, rééd. 2003 (1921), 765 p.491 LOHR Steve, « Who’s Afraid of China Inc. ? », The New York Times, 24 juin 2005.492 YARDLEY Jim, « The World ; China’s Economic Engine Needs Power (Lots of It) », The New York Times, 14 mars 2004.493 LAFARGUE, Op. cit.

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Néanmoins, on se doit de constater que Pékin « occupe aujourd’hui une place croissante

sur la scène internationale. Son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de

l’ONU, plus encore peut-être de puissance nucléaire " officielle ", confèrent à la Chine un

poids à la hauteur de ses capacités de nuisance, mais également du statut de puissance

responsable participant aux affaires du monde ».

Pour Valérie Niquet, l’ambigüité de la Chine sur sa volonté de puissance demeure

toutefois très visible dans la manière ses dirigeants conçoivent sa stratégie militaire. « Au-

delà d’un discours […] extrêmement simpliste sur la recherche de la paix, on trouve […] les

deux composantes de la recherche de la puissance et de l’exclusion des puissances

extérieures, la puissance se manifestant par la capacité du pouvoir actuel à " reprendre

l’héritage " en reconstituant matériellement le passé impérial grâce à la " réunification de la

patrie ". On est ici très loin de la simple volonté de développement économique et

d’intégration dans un monde apaisé »494.

C’est ainsi qu’Érik Izraelewicz se demande si, « en redevenant une " grande puissance

économique ", ce qu’elle fut au cours des dix-huit premiers siècles de l’ère chrétienne, la

Chine va […] redevenir une grande puissance tout court, l’autre " hyperpuissance " de la

planète – avec ce que cela signifie en termes de volonté hégémonique régionale, voire

mondiale »495.

Il est ainsi tentant de spéculer sur les intentions hostiles de la Chine, seul État capable de

disputer, à terme, le leadership aux États-Unis. Ces derniers trouvent d’autre part en la Chine

l’épouvantail qui leur manque depuis que l’URSS s’est effondrée. D’ailleurs, Georgui

Arbatov, un diplomate soviétique, aurait à ce moment là déclaré à ses homologues

américains : « nous sommes en train de vous faire le pire des cadeaux : nous allons vous

priver d'ennemi ». Selon cette grille de lecture, la menace chinoise participe actuellement de

ce même discours, selon lequel la première puissance ne saurait se priver de la deuxième

comme adversaire496.

Mais, encore une fois, comment préjuger aussi facilement des intentions hostiles de

Pékin ? Nous avons vu que l’ouverture de la Chine comportait bien plus d’opportunités que 494 NIQUET Valérie, « La doctrine de sécurité de la République Populaire de Chine », Annuaire Français des Relations internationales, III, 2002, pp. 646-662.495 IZRAELEWICZ, Op. cit.496 HOFNUNG Thomas, « Le basculement du monde – Entretien avec François Heisbourg », Politique internationale, n°93, automne 2001, pp. 15-32.

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de menaces pour le monde. Les États riches utilisent l’ « atelier du monde » pour soutenir leur

industrie, les États producteurs trouvent les moyens de leur développement et le reste du

monde a accès, grâce à la Chine, à des biens manufacturés bon marché très utiles à

l’amélioration des conditions de vie.

La nouvelle configuration des relations internationales doit enfin inviter à quelques pistes

de réflexion. La première concerne l’Union européenne. Le fait est que c’est bien la Chine qui

est en passe de rivaliser avec les États-Unis, alors que l’on attendait depuis longtemps que ce

soit l’UE qui accède à ce niveau. Les espoirs de ceux qui croyaient en une Europe puissante

ont en effet été déçus Or, pour réellement acquérir le rang de puissance, l’Union européenne

doit maintenant s’appuyer sur la Chine, tout en parvenant à sortir de ce que Valérie Niquet

qualifie de « tropisme chinois », pour caractériser l’attitude ambiguë de l’UE, entre

opportunisme économique et dénonciation des violations des droits de l’homme497. Or, une

meilleure compréhension est indispensable entre élites chinoises et européennes, qui sont

conscientes d’avoir mutuellement une carte à jouer pour créer un monde multipolaire.

Un exemple à imiter serait celui du Foreign Policy Centre (FPC), think tank créé « sous le

patronage » de Tony Blair et qui a pour objectif de réfléchir sur les moyens de réguler

l’économie mondiale de manière plus juste, en favorisant notamment le multilatéralisme. Cet

organisme est présenté comme un cadre d’interactions entre différents acteurs : chercheurs,

ONG, lobbyistes, institutionnels, etc. Le FPC est le principal mécène du China and

Globalisation Project, programme de recherche initié en mai 2004, et consacré à l’essor de la

Chine sur la scène internationale. Les thèmes de recherche sont centrés sur l’influence

croissante de la Chine sur « l’énergie et les matières premières, la diplomatie publique, la

sécurité et l’ordre international, le développement et la gouvernance, la technologie, la

finance et l’ordre économique international »498. Il est ainsi particulièrement intéressant de

voir que les promoteurs du projet ont le souci d’atteindre les élites chinoises.

Le deuxième élément de réflexion est bien évidemment la nouvelle place de la Chine dans

une communauté internationale au sein de laquelle la démocratie n’est plus une valeur

d’unanimité. Or, la liberté que seule la démocratie peut vraiment offrir est le seul moyen de

développer les échanges mondiaux et donc la paix internationale. Il faut donc agir sur ce

terrain là, et ne pas l’abandonner par opportunisme.

497 PÉRON-DOISE, Op. cit.498 AUSTIN, Op. cit.

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Enfin – et c’est peut-être le seul véritable enseignement qu’il faille retenir – le moment

n’est-il pas venu d’imaginer l’après-pétrole ? L’or noir ne correspond-il pas à un modèle de

civilisation que nous, Occidentaux, sommes désormais, et contrairement à la Chine, en

mesure de dépasser ? Nous terminerons ainsi cette démonstration par cette petite phrase du

Docteur Fatih Birol : « le pétrole, c’est comme une petite amie, vous savez qu’un jour elle va

vous quitter et vous briser le cœur. Donc il vaut mieux la quitter avant »499.

499 LAURENT, Op. cit.

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Union européenne

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France

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Autres

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Sommaire des annexes

Annexe 1 Économie et histoire de la Chine 142Annexe 2 Discours historique sur la menace chinoise 145Annexe 3 Annual World Oil Demand Growth Was Unexpectedly Strong in 2004 146Annexe 4 Coût de production du pétrole en fonction du volume produit 147Annexe 5 Production et réserves mondiales en pétrole (1900-2125) 148Annexe 6 La pyramide inversée du pétrole 149Annexe 7 Contribution à l’augmentation de la demande énergétique mondiale (1990-

2002)150

Annexe 8 Évolution du PIB de la Chine (1978-2003) 151Annexe 9 Chiffres de la croissance chinoise 152Annexe 10 Intégration de la Chine aux échanges économiques mondiaux 153Annexe 11 Structure de la consommation énergétique chinoise (1995) 154Annexe 12 Demande énergétique primaire par sources de la Chine (2001-2025) 155Annexe 13 Émissions de CO2 liées à la consommation d'énergie (1990-2030) 156Annexe 14 La Chine et l'environnement 157Annexe 15 Importations d'hydrocarbures sur consommation primaire totale en Chine

(2001-2025)158

Annexe 16 Le Barrage des Trois-Gorges 159Annexe 17 Production intérieure et importations d'énergie en Chine (2001-2025) 160Annexe 18 Production mensuelle d’automobiles en Chine (1993-2004) 161Annexe 19 Demande énergétique primaire en Chine (2001-2025) 162Annexe 20 Demande mondiale en pétrole par région (2002-2004) 163Annexe 21 Production, consommation et échanges internationaux de charbon, pétrole, gaz

naturel en Chine et dans le monde (1994-2002)164

Annexe 22 Part des importations dans la consommation chinoise en pétrole (1999-2005) 165Annexe 23 Pétrole : Production intérieure et importations chinoises (2001-2025) 166Annexe 24 Les compagnies pétrolières chinoises 167Annexe 25 La courbe d'apprentissage des politiques de sécurité énergétique 169Annexe 26 L’ouverture diplomatique de la Chine 170Annexe 27 Principaux fournisseurs en pétrole de la Chine (2003) 172Annexe 28 Coopération économique France-Chine 173Annexe 29 Carte des matières premières de l'Afrique 175Annexe 30 Carte des principales routes du pétrole 176Annexe 31 Document sur la politique africaine de la Chine 177

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Annexe 32 La Chine et le bois d'Afrique 178Annexe 33 Investissements des entreprises chinoises à l'étranger (2004) 179Annexe 34 Commerce sino-africain (2003) 180Annexe 35 Investissements cumulés de la Chine en Afrique (1979-2002) 181Annexe 36 Volume du commerce sino-africain (2000-2005) 182Annexe 37 Territoires du Sud ou Sud Soudan 183Annexe 38 Darfour 185Annexe 39 Implication de la Chine dans la rébellion au Tchad (2006) 188Annexe 40 Discours sur la politique extérieure des États-Unis envers la Chine 189Annexe 41 Les écoles de pensée de la politique étrangère américaine 190Annexe 42 Structure de la consommation européenne en énergies (1998) 191Annexe 43 Principales régions exportatrices de pétrole vers les États-Unis (2003) 192Annexe 44 La question taiwanaise 193Annexe 45 Part des principaux fournisseurs africains dans les importations pétrolières des

États-Unis (2003)195

Annexe 46 Le sanctuaire de Yasukuni 196Annexe 47 Discours sur le développement pacifique de la Chine 198Annexe 48 La stratégie de puissance de la Chine 199Annexe 49 Le vocabulaire de la puissance 200

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Annexe 1

Économie et histoire de la Chine

Principales informations sur la Chine

Capitale Pékin (Beijing)Chef d’État Hu Jintao (mars 2003)Ministre des Affaires étrangères Li XiaoxingSuperficie 9 596 960 km²

Population1 313 973 713 hab. (2006)

583 000 000 hab. (1953)370 000 000 hab. (1911)

PNB 8 859 000 000 000 USD* (2005)Croissance du PNB 9,9 % (2005)PNB par habitant 6 800 USD/hab. (2005)Consommation de pétrole 6 391 Mb/j** (2005)Importations de pétrole 3 226 Mb/j

Premier producteur Acier, aluminium, charbon, coton, étain et zinc.

* Dollars américains.** Millions de barils par jour.

ChronologieLa Chine de 1949 à nos jours

1er octobre 1949 : Prise de Pékin par les communistes. Proclamation de la République Populaire de Chine. Mao est président du PCC, président de l'État et président de la commission des affaires militaires du Comité Central.

1950 : Traité d'amitié, d'alliance et d'assistance mutuelle sino-soviétique. Loi sur le mariage. Loi sur la réforme agraire. Invasion du Tibet envoi de volontaires en Corée (dès octobre 1950 jusqu'en 1953).

23 juillet 1950 : Répression des opposants politiques.

1954 : Constitution sur le modèle soviétique.

1957 : Les Cent fleurs (retour à la pluralité de la pensée).

Mai 1958 : Grand bond en avant. Création des communes populaires.

Mars 1959 : Début de l’insurrection au Tibet. Fuite du Dalaï-Lama.

Juillet 1960 : L'URSS rappelle ses techniciens et ses experts en mission en Chine.

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1961 : Fin du grand bond en avant, Mao est critiqué par les instances du parti.

1962 : Rupture sino-soviétique. Guerre sino-indienne pour des différends frontaliers.

Janvier 1964 : Rétablissement des relations diplomatiques avec la France.

Octobre 1964 : Premiers essais nucléaires chinois.

1965 : Révolution culturelle.

1968 : L’armée prend le pouvoir dans les usines et les universités et met fin à une année de troubles intérieurs.

Octobre 1971 : La République Populaire de Chine est admise à l’ONU en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité.

Août 1973 : Après avoir été victime de la Révolution culturelle, Deng Xiaoping est réhabilité.

9 septembre 1976 : Mao Tsé-toung meurt à Pékin. La même année, de violents tremblements de terre tuent 650 000 personnes, en blessent 750 000 et laissent des millions de chinois sans abri.

1977 : Pol Pot est reçu à Pékin. La Chine affirme son soutien aux khmers rouges.

18-22 décembre 1978 : Lancement officiel de la réforme économique. Victoire de la ligne Deng Xiaoping sur la tendance néomaoïste animée par Hua Guofeng.

1979 : Début de réforme agraire, qui aboutira à une véritable décollectivisation. Autorisation de créer des entreprises mixtes sino-étrangères au sein de zones économiques spéciales (ZES).

4 décembre 1982 : Promulgation de la quatrième Constitution depuis 1949.

Avril 1984 : Deng Xiaoping lance une vaste réforme économique et sociale.

Mars 1985 : Reprise de contact avec l’URSS.

16 janvier 1987 : Suite à l'agitation étudiante, qui dégénère en émeutes, Deng sacrifie un de ses protégés, le secrétaire général réformateur du parti, Hu Yaobang, qu'il remplace par un autre de ses "héritiers", M. Zhao Ziyang.

15 avril 1989 : Mort de Hu Yaobang, qui déclenche les manifestations étudiantes de la place Tiananmen. M. Zhao Zhiang appelle au dialogue, mais Deng Xiaoping rallie les conservateurs et déclenche la répression.

24 juin 1989 : Destitution de M. Zhao Ziyang, jugé trop conciliant avec les étudiants. Il est remplacé par M. Jiang Zemin, "patron" de Shanghaï.

Janvier 1992 : Discours de Deng Xiaoping à la zone économique spéciale de Shenzhen, annonçant une relance de la dynamique des réformes.

19 octobre 1992 : La ligne de Deng, qui promeut l' "économie de marché socialiste", l'emporte au XIVe congrès du PCC.

1993 : Jiang Xemin devient Président de la République Populaire de Chine.

Mars 1994 : Inscription dans la nouvelle Constitution chinoise de « l’économie socialiste de marché ».

19 février 1997 : Mort de Deng Xiaoping. M. Jiang Zemin apparaît comme le nouvel homme fort de la Chine.

1er juillet 1997 : Rétrocession de Hongkong à la Chine.

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18 septembre 1997 : Le premier congrès du PCC de l'après-Deng Xiaoping consacre la continuation de la réforme économique, mais toujours sans ouverture politique.

Octobre 1999 : 50ème anniversaire de la République Populaire de Chine.

17 septembre 2001 : la Chine entre officiellement dans l’OMC.

Avril 2001 : Affaire de l’avion militaire américain.

Octobre 2003 : Hu Jintao succède à 58 ans à Jiang Xemin qui reste Président du Comité Militaire Central. Yang Liwei est le premier chinois dans l’espace. Début de l’année de la Chine en France (jusqu’en juillet 2004).

2008 : Pékin organise les premiers Jeux Olympiques en Chine.

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Annexe 2

Discours historique sur la menace chinoise

Pierre Fontaine tenait un discours bien arrêté sur les conséquences de la demande chinoise en pétrole. Il est intéressant d’observer – considérations racistes mises à part – que le discours sur actuel sur la politique extérieure de la Chine s’apparente aux extraits reproduits ci-dessous, notamment en ce que les craintes exprimées sont focalisées sur les proportions dans lesquels s’exerce le développement chinois :

« La Chine compte entre 550 et 600 millions d’habitants. Elle produit environ un million de tonnes par an avec le Sinkiang, c’est-à-dire presque rien. Or, la Chine, pays arriéré, a besoin de carburant en quantité importante pour se moderniser ; c’est un débouché extraordinaire pour les pétroliers et les industriels. C’est pourquoi Londres et Washington se disputent pour essayer de l’accaparer. […] Avec quoi achètera-t-elle ce carburant (entre autres produits) si elle refuse comme elle en a l’intention, de gager ses ports, ses douanes, ses chemins de fer, à l’étranger en échange de prêts ou d’emprunts ? Un drame se noue au cœur de l’équipe de la Chine moderne qui veut aller de l’avant mais qui ne peut pas. […] Si les Blancs ne comprennent pas cet appétit normal de la Chine, s'ils refusent de s'adapter à une répartition mondiale des sources de matières premières et à une coopération internationale, particulièrement en ce qui concerne les sources d'énergie, alors le péril jaune, cette vieille antienne, deviendra une réalité… La vie humaine ne compte pas en Asie. […] Avant 1960, dix millions de Jaunes seront équipés... ils auront un moral de conquérants... Ils iront prendre les matières premières qui leur font défaut, là ou elles se trouvent... Leur premier but sera le pétrole d'Asie Mineure... ».

Source : FONTAINE Pierre, La guerre froide du pétrole, Éditions « Je sers » 1956,

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Annexe 3

Annual World Oil Demand GrowthWas Unexpectedly Strong in 2004

Source : Short-Term Energy Outlook, US Department of Energy, EIA, février 2005.

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Annexe 4

Coût de production de l’approvisionnement mondialen pétrole selon le volume produit

Source : L’approvisionnement pétrolier de l’Union européenne, Commission européenne, Direction générale de l’Énergie et des Transports, 4 octobre 2000, 31 p.

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Annexe 5

Production et réserves mondiales en pétrole (1900-2125)

Tableau 1 : Les 12 scénarios de la production mondiale de pétrole

Tableau 2 : Estimations de la production mondiale de pétrole (1930-2050)

Source: Long Term World Oil Supply (A Resource Base – Production Path Analysis), US Department of Energy, avril 2000, 20 p.

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Annexe 6

La pyramide inversée du pétrole

Source : SIMMONS Mathew R., China and Energy : Two Powerful Forces That Will Unite Or Collide, Institute for Geopolitics and Energy Economics of Shanghai, juin 2004, 48 p.

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Annexe 7

Contribution à l’augmentation de la demandeénergétique mondiale (1990-2002)

Source: MEIDAN Michal et NOËL Pierre, L’approvisionnement énergétique de la Chine. Marchés et politiques, IFRI, juillet 2005, 19 p.

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Annexe 8

Évolution du PIB de la Chine (1978-2003)

Source : BOBIN Frédéric, « La Chine s’inquiète des risques de surchauffe de son économie », Le Monde, 27 janvier 2004.

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Annexe 9

Chiffres de la croissance chinoise

Les indicateurs d'une année [2003] record :

Croissance : le taux de croissance en Chine a été de 9,1 % en 2003, contre 8 % en 2002. Il faut revenir à 1996 pour trouver un taux plus élevé (9,7 %). La production industrielle, elle, s'est accrue de 18 % en 2003.

Inflation : après des années de légère déflation, la hausse des prix a été de 1,6 % en 2003.

Commerce extérieur : le volume global des échanges commerciaux impliquant la Chine a atteint 851,21 milliards de dollars en 2002, soit un bond annuel de 37,1 %. Conséquence de l'appétit de la Chine pour les composants technologiques, les machines-outils et les matières premières, les importations (+ 39,9 %) ont progressé plus vite que les exportations (+ 34,6 %). D'où un excédent commercial de 25,54 milliards de dollars (– 16,1 % par rapport à 2002).

Investissements étrangers : le flux de capital étranger investi en Chine a été de 53,5 milliards de dollars en 2003, un record historique. Mais la hausse de ces investissements (+ 1,4 %) s'est ralentie par rapport à 2002 (+ 12,5 %). En outre, l'importance prise par les îles Vierges, propulsées deuxième source d'investissements après Hongkong, laisse à penser qu'une grosse partie de ce flux émane de citoyens chinois recyclant leurs capitaux via des paradis fiscaux.

Source : BOBIN Frédéric, « La Chine s’inquiète des risques de surchauffe de son économie », Le Monde, 27 janvier 2004.

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Annexe 10

Intégration de la Chine aux échanges économiques mondiaux

Part des exportations vers la Chine et Hong-Kong* (en % du total)

2002 2003JaponÉtats-UnisAllemagneRoyaume-UniFrance

15,54,92,82,01,8

18,45,63,32,22,1

*Hong-Kong joue un rôle de plate-forme pour une partie du commerce chinois.

Source : SACHWALD Frédérique, « L’émergence de la Chine, menace et opportunité pour les pays avancés », Politique étrangère, n°2, été 2004, pp. 253-267.

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Annexe 11

Structure de la consommation énergétique chinoise (1995)

Charbon 73,2 %Pétrole 19,5 %Hydroélectricité 5,1 %Gaz naturel 1,9 %Énergie nucléaire 0,3 %

Source: MEIDAN Michal et NOËL Pierre, L’approvisionnement énergétique de la Chine. Marchés et politiques, IFRI, juillet 2005, 19 p.

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Annexe 12

Demande énergétique primaire par sources de la Chine (2001-2025)

Source : MEIDAN Michal et NOËL Pierre, L’approvisionnement énergétique de la Chine. Marchés et politiques, IFRI, juillet 2005, 19 p.

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Annexe 13

Émissions de CO2 liées à la consommation d'énergie(1990-2030)

ChineÉtats-UnisUnion européenne (élargie)IndeUnion européenneJaponBrésil

Source : World Energy, Technology and Climate Policy Outlook (WETO) 2030, Commission européenne, Direction générale pour la Recherche, 2003, 147 p.

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Annexe 14

La Chine et l’environnement

Le principal pollueur de la planète est actuellement en plein développement. La Chine est le premier émetteur de dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre, même si ce n’est pas le cas en données relatives (par rapport à la population). Cela est notamment dû à la forte intensité en charbon de la consommation chinoise en énergie. Selon la Commission européenne, la consommation mondiale en charbon en 2030 sera à 35 % chinoise.

La Chine n’a pas signé le protocole de Kyoto de septembre 1997, alors qu’il s’agit tout de même de l’État qui pollue le plus dans le monde. Ce protocole vise à réduire de 5,2 % les émissions de gaz à effet de serre ; il expire en 2012.

Pourtant, avec certains autres pays non signataires500, Pékin a conclu en juillet 2005 un accord afin de réduire lesdits gaz. Il s’agit de contrer l’initiative de Kyoto grâce à ce « Partenariat Asie-Pacifique pour un développement propre et le climat » qui ne comporte pourtant ni objectif, ni obligation, ni sanction, ce que critiquent fortement les organisations écologistes, dénonçant ce « Pacte du charbon ».

Pour Robert Zoellick, Secrétaire d’État adjoint de l’administration Bush, « nous devons écouter nos collègues en développement. […] Chine et Inde en particulier font face à un énorme défi de développement dans lequel l'énergie est un composant essentiel ». Il ne faut donc pas opposer à ce développement des contraintes trop fortes, notamment d’ordre environnemental, ce qui, bien évidemment, est fort discutable.

Quoi qu’il en soit – et puisque qu’aucune initiative ne prétend réellement résoudre le problème – après une période de forte accélération entre 1998 et 2005, la croissance des émissions de CO2 de la Chine liées à la consommation d’énergie sera plus régulière. Néanmoins, la Chine devrait doubler les États-Unis vers 2015, pour devenir le premier émetteur de dioxyde de carbone (cf. Annexe 13).

Sources : SERVANT Jean-Christophe, « La Chine à l’assaut du marché africain », Le Monde diplomatique, mai 2005.

« Un accord climatique Asie-Pacifique sans contrainte », Libération, 28 juillet 2005.

World Energy, Technology and Climate Policy Outlook (WETO) 2030, Commission européenne, Direction générale pour la Recherche, 2003, 147 p.

500 Les États-Unis, l’Australie, l’Inde, le Japon et la Corée du Sud, qui représentent 50 % des émissions mondiales.

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Annexe 15

Importations d'hydrocarbures sur consommation primaire totale en Chine (2001-2025)

Source : MEIDAN Michal et NOËL Pierre, L’approvisionnement énergétique de la Chine. Marchés et politiques, IFRI, juillet 2005, 19 p.

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Annexe 16

Le Barrage des Trois-Gorges

Le barrage des Trois Gorges est situé dans la province de Hubei en Chine, à la limite de la région montagneuse du Haut Yangtsé et de la plaine du Moyen Yangtsé, en aval des Trois Gorges et en amont du barrage existant de Ghezouba, là où le fleuve a un débit de 14 300 m³/s. La décision de construire le barrage a été prise à l'Assemblée populaire le 3 avril 1992, avec un nombre record d'abstentions et d'oppositions au projet (1 767 voix pour, 177 contre et 664 abstentions). Le premier projet sur le site du barrage des Trois Gorges remonte à 1919, date à laquelle Sun Yat-Sen fit une première proposition. En 1944, une étude fut confiée à un membre du bureau de l'agriculture des États-Unis, mais ce premier projet fut abandonné en 1947, officiellement pour des raisons financières, mais en fait à cause des évènements liés à la révolution et à la prise de pouvoir par les communistes. Le projet a continué avec les Soviétiques jusqu'à la rupture des relations. De fait, les études se sont succédé ensuite sans discontinuer à partir de 1955. Dans les années 1980, les Américains sont revenus pour participer au projet.

Le chantier a démarré en 1994. En 2000, le fleuve Chang Jiang est dévié, alors que le barrage monte jusqu’à 80 mètres de haut. La centrale a commencé sa production commerciale d'électricité en août 2003, avec quatre générateurs d'une puissance installée de 5 500 mégawatts. La transmission de l'électricité produite utilisera en particulier des liaisons à courant continu (HVDC).

A ce jour, 732 000 personnes ont été déplacées sur les 1,2 millions prévus. 15 villes ont été noyées ; 436 km² de terres ont disparu, laissant la place à un lac de retenue de 730 km de long. Des critiques se sont élevées qui concernent la disparition de sites archéologiques, mais aussi les conditions de déplacement des paysans.

Le barrage a été mis en service en mai 2005, mais il faudra attendre 2009 pour que les 26 turbines soient mis en marche.

• Barrage : 2 309 mètres de long et 185 mètres de haut ; écluses géantes de 40 mètres de haut ;

• Réservoir : d'une superficie de 1 084 km², le réservoir est étroit et s'étend jusqu'à Chongqing en amont; la navigation est assurée par une gigantesque écluse de 100 m.

• Capacité de production : les 26 générateurs de la centrale auront une puissance installée de 18 200 mégawatts, soit 10 % de la capacité installée en Chine (ou six fois la capacité des centrales hydroélectriques du Rhône).

• Production : en 2009, la centrale produira environ 84,7 TWh501 d'électricité par an, ce qui correspond à l’énergie produite par vingt tranches de centrales nucléaires ou encore à 50 millions de tonnes de charbon.

Source : « Le barrage des Trois-Gorges », Wikipédia, consulté le 10 mai 2006 :http://fr.wikipedia.org/wiki/Barrage_des_trois_gorges

501 Térawatts-heure, c’est-à-dire 1012 watts-heure.

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Annexe 17

Production intérieure et importations d'énergie en Chine (2001-2025)

Source : MEIDAN Michal et NOËL Pierre, L’approvisionnement énergétique de la Chine. Marchés et politiques, IFRI, juillet 2005, 19 p.

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Annexe 18

Production mensuelle d’automobiles en Chine (1993-2004)

Source: SIMMONS Mathew R., China and Energy : Two Powerful Forces That Will Unite Or Collide, Institute for Geopolitics and Energy Economics of Shanghai, juin 2004, 48 p.

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Annexe 19

Demande énergétique primaire en Chine (2001-2025)

Source : MEIDAN Michal et NOËL Pierre, L’approvisionnement énergétique de la Chine. Marchés et politiques, IFRI, juillet 2005, 19 p.

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Annexe 20

Demande mondiale en pétrole par région (2002-2004)

(en millions de barils par jour, Mb/j)

Régions Demande 2003

Changement annuel

2002 2003 2004*

ChineAmérique du NordEurope (OCDE)Ensemble du monde

5,4924,6315,9878,57

+ 0,27+ 0,16– 0,18+ 0,16

+ 0,55+ 0,46+ 0,13+ 1,59

+ 0,58+ 0,28+ 0,18+ 1,65

* : en rythme annuel.Remarque : 1 Mb/j = 50 Mt/an.

Source : ANGELIER Jean-Pierre, « L’impact de la croissance chinoise sur les marchés mondiaux de matières premières », Politique étrangère, n°2, été 2004, pp. 317-330.

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Annexe 21

Production, consommation et échanges internationaux de charbon, pétrole, gaz naturel en Chine

et dans le monde (1994-2002)

(en millions de tonnes équivalent pétrole, M tep)

Production mondiale

Échanges internationau

x

ChineRéserves (milliards de tep)

Production Consommation

Solde des échanges extérieurs

1994 2002 1994 2002 2002 1994 2002 1994 2002 1994 2002

CharbonPétroleGaz naturel

2 1823 2241 880

2 3793 5572 275

2751 803

308

4192 153

523

76,72,51,3

61914615

70316929

61115815

66925929

+ 9– 12

0

+ 60– 100

0

Remarque : 1 tonne de charbon = 0,67 tonne équivalent pétrole.

Source : ANGELIER Jean-Pierre, « L’impact de la croissance chinoise sur les marchés mondiaux de matières premières », Politique étrangère, n°2, été 2004, pp. 317-330.

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Annexe 22

Part des importations dans la consommation chinoise en pétrole (1999-2005)

1999 27 %2002 37 %2005* 45 %

* : Estimation.

Source : LAFARGUE François, « La Chine, une puissance africaine », Perspectives chinoises, n°90, juillet-août 2005, pp. 2-10.

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Annexe 23

Pétrole : Production intérieureet importations chinoises (2001-2025)

Graphique 1 : Augmentation de la consommation et des importations

et baisse de la production intérieure de pétrole en Chine (2001-2025)

Graphique 2 : Parts relatives des importations et de la production intérieure de pétrole en Chine (2001-2025)

Source : MEIDAN Michal et NOËL Pierre, L’approvisionnement énergétique de la Chine. Marchés et politiques, IFRI, juillet 2005, 19 p.

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Annexe 24

Les compagnies pétrolières chinoises

Sinopec (China Petroleum and Chemical Corporation)

Sinopec est la principale compagnie pétrolière et gazière chinoise. Elle est non seulement engagée dans des activités de raffinage, d’extraction, d’exploration et de distribution, mais elle contrôle aussi une grande part du secteur de l’industrie pétrochimique (engrais, fibres, etc.). Elle est dirigée par Chen Tonghai.

China National Petroleum Corporation

La CNPC est une entreprise de production de carburant appartenant à l'État chinois. C'est la deuxième plus grande compagnie chinoise de gaz et pétrole. Elle est dirigée par Cheng Geng.

CNPC aurait des réserves de 3,7 milliards de barils de pétrole. La plupart de ses acquis domestiques ont été transférés à une compagnie séparée, PetroChina, lors d'une restructuration. Elle a 30 projets d'exploration et de production internationaux : Azerbaïdjan, Canada, Indonésie, Myanmar, Oman, Pérou, Soudan, Thaïlande, Turkménistan et Venezuela.

En octobre 2004, CNPC a entamé la construction d'un pipeline à partir du Moyen-Orient jusqu'au Xinjiang.

CNPC a notamment acquis PetroKazakhstan pour 4,18 milliards de dollars, ce qui constitue la plus grande acquisition à l'étranger pour une compagnie chinoise.

Avec PetroChina, elle forme le groupe CNPG (voir infra).

Chinese National Offshore Oil Company

Créée en 1982, son le capital de 50 milliards de yuans est contrôlé en totalité par l'État chinois, elle dispose d’une filiale, CNOOC Ltd, qui a le statut d'une société commerciale cotée à la bourse de Hong Kong, et détenue à 70 % par CNOOC.

Son président, depuis octobre 2003, est Fu Chengyu.

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C'est la troisième compagnie pétrolière chinoise derrière Sinopec et la CNPC. Son rôle est plus orienté vers l'exploitation de ressources pétrolières et gazières extérieures à la Chine, en coopération avec des entreprises étrangères.

PetroChina

La PetroChina Company Ltd dépend de la CNPC, et forme avec elle le plus gros groupe pétrolier de Chine (China National Petroleum Group, ou CNPG). PetroChina est coté aux bourses de New York et de Hong Kong. Son principal actionnaire étranger est Berkshire Hathaway.

PetroChina a été créée en tant que société par action avec des responsabilités limitées en vertu du droit des sociétés de la RPC le 5 novembre 1999, après la restauration de la CNPC. La CNPC a alors injecté dans PetroChina la plupart de ses l’actifs : exploration et production, raffinage et vente, produits chimiques et gaz naturel. PetroChina est aujourd’hui l’entreprise la plus rentable de l’Asie.

CNPC/Sinopec

Tableau comparatif entre les deux compagnies pétrolières chinoises les plus importantes (2004)

CNPC SinopecRang mondial 34 23Dirigeant Chen Geng Chen TonghaiChiffre d’affaires (milliards d’euros) 54,47 60,38Résultat net (milliards d’euros) 7,04 1,04Effectifs 1 133 985 n.c.

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Annexe 25

La courbe d’apprentissage des politiques de sécurité énergétique

Source : MEIDAN Michal et NOËL Pierre, L’approvisionnement énergétique de la Chine. Marchés et politiques, IFRI, juillet 2005, 19 p.

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Annexe 26

L’ouverture diplomatique de la Chine

Hu Jintao et George W. Bush

Hu Jintao et Junichiro Koizumi Hu Jintao et Angela Merkel Hu Jintao et Tony Blair

Hu Jintao et Jacques Chirac Hu Jintao et Vladimir Poutine Hu Jintao et Romano Prodi Hu Jintao et

José Luis Zapatero

Hu Jintao et John Howard Hu Jintao et Manmohan Singh Hu Jintao et Rho Moo-Hyun Hu Jintao et

Abdullah Ben Abdul-Aziz

Hu Jintao et Lula Hu Jintao et Vicente Fox Hu Jintao et Nestor Kirchner Hu Jintao et Hugo Chavez

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Hu Jintao et Fidel Castro Hu Jintao et Evo Morales Hu Jintao et Susilo Bangbang Yudhoyono

Hu Jintao et Gloria Arroyo

Hu Jintao et Kim Jong Il Hu Jintao et Abdelaziz Bouteflika

Hu Jintao et Mohammed VI

Hu Jintao et Marc Ravalomanana

Hu Jintao et Olusegun Obasanjo

Hu Jintao et Denis Sassou Nguesso

Hu Jintao et Omar Bongo

Hu Jintao et Robert Mugabe

Hu Jintao et Joseph Kabila Hu Jintao et Meles Zenawi Hu Jintao et Mwai Kibaki

Tony Blair, George W. Bush, Jacques Chirac

et Hu Jintao

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Annexe 27

Principaux fournisseurs en pétrole de la Chine (2003)

Pays % en 2003Arabie saoudite 15,60Iran 15,00Oman 11,30Angola 9,00Soudan 7,70Yémen 5,20Russie 4,50Indonésie 4,00Malaisie 2,30Guinée équatoriale 2,20Congo 1,50Gabon 1,20Cameroun 1,10Algérie 0,75Nigeria 0,60Égypte 0,30Autres 17,75

Total 100,00

Source : LAFARGUE François, « La Chine, une puissance africaine », Perspectives chinoises, n°90, juillet-août 2005, pp. 2-10.

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Annexe 28

Coopération économique France-Chine

Plus de 1 000 entreprises françaises sont présentes en Chine dans de nombreux secteurs (Alcatel, Citroën, etc.). Pour le Quai d’Orsay, « les « grands contrats » continuent d’occuper une place importante [des] relations économiques bilatérales à l’image des succès remportés par Thalès pour le contrôle aérien, de la CSEE pour la signalisation de la ligne de chemin de fer Qinhuangdao-Shenyang ou par Airbus ». Il y a aussi « le secteur des transports terrestres avec, notamment, les contrats obtenus par Alstom pour le transport de voyageurs et de fret à grande vitesse et pour le matériel roulant d’une nouvelle ligne de métro à Shanghai », ainsi que les travaux d’infrastructures prévus dans le cadre des Jeux Olympiques de Pékin 2008 ou l’Exposition universelle de Shanghai en 2010, pour lesquels les entreprises françaises sont sur les rangs.

Sur le plan de l’investissement, Michelin, Alcatel, Veolia, Lafarge et d’autres entreprises françaises sont très présentes en Chine. Néanmoins, pour le ministère des Affaires étrangères, ces « échanges […] ne bénéficient pas pleinement du potentiel de croissance de l’économie chinoise ».

En effet, en 2005, « en dépit des grands contrats signés, du volume d’investissements des entreprises françaises en Chine et des transferts de technologie réalisés, [les] échanges demeurent modestes et déséquilibrés. La Chine ne représente aujourd’hui qu’1,4 % des exportations françaises (10ème client) et 4,1 % [des] importations (8ème fournisseur) et, malgré une reprise des exportations françaises en 2003 (+ 32 %), [le] solde commercial [avec la Chine] reste très déficitaire (– 8,7 [milliards d’] euros). Il représente [le] premier déficit bilatéral [de la France] devant l’Allemagne (– 8,5 [milliards]). La progression [des] exportations [françaises], dans un contexte de forte croissance des importations chinoises (+ 40 %), souligne la participation encore insuffisante des entreprises françaises à la dynamique de l’économie chinoise. [La] part de marché [française] se maintient néanmoins et s’est établie à 1,48 % du marché en 2003 (contre 1,44 % en 2002), loin derrière l’Allemagne, premier partenaire européen de la Chine (4,4 % de part de marché), mais devant l’Italie, en recul à 1,2 % du marché en 2003 ». Des échecs commerciaux ont en outre récemment affecté les intérêts français, comme celui connu par Areva ou encore, en mars 2006, la perte par Alstom du marché du train à grande vitesse entre Pékin et Shanghai.

Les importations en provenance de Chine déséquilibrent encore les échanges bilatéraux, ce que la coopération économique cherche à résoudre, notamment en lançant des grands partenariats industriels « dans les secteurs structurants ».

Quoi qu’il en soit, pour Frédérique Sachwald, la France est objectivement « dans une position défavorable » face aux enjeux représentés par le développement chinois, en ce sens que son économie n’est pas préparée à saisir les opportunités économiques qui s’offrent en Chine. Il faut « faire de la croissance chinoise une opportunité pour la France », en s’appuyant sur des politiques publiques en faveur de l’innovation, au risque de manquer une occasion qui ne se représentera pas.

Mais de nombreux obstacles se dressent sur le chemin de l’intensification de la coopération franco-chinoise. De nombreux médias reprochent ainsi au pouvoir français sa complaisance

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vis-à-vis du régime chinois. Lors de la visite d’Hu Jintao à Paris en janvier 2004, Libération constate, dans un article intitulé « Grande pompe pour le président chinois », que « pour séduire Hu Jintao et le plus grand marché mondial, Paris fait l'impasse sur les libertés »502.

Michel Bonnin juge ainsi avec sévérité la perception complaisante que les dirigeants occidentaux peuvent avoir sur la Chine, notamment en France. Selon lui, « un grand nombre de dirigeants occidentaux – particulièrement les Français et, parmi eux, avant tout les gaullistes – éprouvent une sorte de respect particulier pour la Chine. C'est une très bonne chose en soi. Je me souviens d'avoir rencontré par hasard le président Chirac qui visitait très simplement, en voisin, une exposition au Grand Palais consacrée à l'art chinois. Rien à redire à cette admiration du président français pour la culture chinoise. Mais il me semble que le respect que l'on éprouve pour une grande civilisation ne justifie pas l'absence complète de critique à l'égard d'un régime dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'est ni démocratique ni respectueux des droits de l'homme. Il y a là une confusion, un a priori favorable qui ne se justifie absolument pas du point de vue politique »503. La Chine ne fait donc pas l’unanimité.

Sources :

BORDIER Julien, « La Chine écarterait Areva », L’Express.fr, 15 mars 2006 :http://www.lexpress.fr/info/quotidien/actu.asp?id=2910

SACHWALD Frédérique, « L’émergence de la Chine, menace et opportunité pour les pays avancés », Politique étrangère, n°2, été 2004, pp. 253-267.

« Relations économiques France-Chine », Ministère des Affaires étrangères, consultée 16 septembre 2005 :http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/chine_567/france-chine_1123/relations-economiques_4428/index.html

502 HASKI Pierre, « Grande pompe pour le président chinois », Libération, 26 janvier 2004.503 HOLZMAN Marie, « Radiographie du pouvoir chinois – Entretien avec Michel Bonnin », Politique internationale, n°107, printemps 2005, pp. 317-339.

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Annexe 29

Carte des matières premières de l’Afrique

Source : RAISSON Virginie, TÉTART Frank et VICTOR Jean-Christophe (dir.), Les dessous des cates. Atlas géopolitique, Paris, Tallandier et Arte éditions, 2005, 251 p.

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Annexe 30

Carte des principales routes du pétrole

Source : « Informations de marché dans le secteur des produits de base : énergie, pétrole », CNUCED, Consultée le 15 mai 2006 :http://r0.unctad.org/infocomm/francais/petrole/filiere.htm

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Annexe 31

Document sur la politique africaine de la Chine

Le document sur la stratégie de la Chine pour l’Afrique est divisé en six parties :

• 1 Position et le rôle de l’Afrique ;

• 2 Relations de la Chine avec l’Afrique ;

• 3 Politique africaine de la Chine ;

• 4 Amélioration de la coopération globale entre la Chine et l’Afrique ;

• 5 Forum sur la coopération Chine-Afrique et suivi de ses actions ;

• 6 Relations de la Chine avec les organisations régionales africaines.

Évidemment, le langage diplomatique est de rigueur tout au long de ce document, qui prend avant tout acte de l’énorme potentiel de développement de l’Afrique. Il insiste surtout sur la supposée destinée commune de deux régions du monde qui ont subi la colonisation, « lutt[é] pour leur indépendance » et qui sont actuellement à sur la « route » du développement économique.

Le document rappelle aussi que 2006 marque le cinquantenaire de la coopération sino-africaine, que le respect du principe d’une seule Chine est au fondement du partenariat avec la Chine, et que la relation Chine-Afrique est très prometteuse pour l’avenir de l’économie mondiale.

Le chapitre consacré à la politique africaine, écrit dans une de langue de bois parfaite, parle d’un « nouveau type de partenariat stratégique » avec l’Afrique, fondé sur l’ « égalité politique et la confiance mutuelle, la coopération économique gagnant-gagnant et l’échange culturel ». Il aurait été en effet plus difficile de parler d’un échange gagnant-perdant, d’influence politique inégale et de sécurisation des matières premières à outrance.

Un élément semble attire cependant l’attention, c’est l’ambition affichée de rapprocher (aligner ?) les positions de la Chine et des États africains au sein des institutions internationales. L’ONU est citée, mais on pense aussi à l’OMC.

Sont enfin abordées des questions telles que la dette, le jumelage, la création de structures économiques sino-africaines, de la Fondation (chinoise) de développement des ressources humaines africaines, la coopération multisectorielle, etc.

Source : « China Cherishes Friendly Ties With Africa », Le Quotidien du Peuple, 13 janvier 2006.

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Annexe 32

La Chine et le bois d’Afrique

La question des achats de la Chine en bois tropicaux illustre les nombreux problèmes qui peuvent naître de l’exportation des matières premières par des pays économiquement faibles, entre trafics et déséquilibres.

Comme tous les États asiatiques, la Chine importe beaucoup de bois, notamment pour la construction. Or, les réserves africaines sont fortement mises à contribution, puisque 60 % de la production africaine est destinée à l’Asie, à 96 % vers la Chine. Cela représente 2,4 millions de mètres cubes de bois (sur 4 millions exportés par les États africains).

La Chine exploite avant tout le bois du Liberia et du Gabon, dont plus de 60 % du bois exporté est à destination de l’Asie, la plus grande part allant à la Chine.

Or il s’agit d’un commerce en très fort développement : selon le journaliste suisse Frédéric Koller, on observe une croissance de 70 % de la consommation de la Chine en bois tropicaux. En réalité, ses importations ont été multipliées par 4,5, alors que les exportations l’étaient par 3,5.

C’est pourquoi l’ONG Greenpeace, dans son rapport « Sharing the Blame » accuse la Chine d’être devenue une plaque tournante du trafic mondial de bois tropicaux : entre 76 et 90 % du bois concerné serait issu du commerce illégal. Conscients de la mauvaise image véhiculée par la Chine dans ce domaine, les autorités ont décrété une taxe de 5 % sur certains produits en bois (baguettes, parquets, etc.). Mais cela ne suffira pas à faire diminuer la consommation de bois, comme le demande Greenpeace.

En outre, en tant que principal acheteur mondial, Pékin se retrouve la plupart du temps en position commerciale dominante par rapport à certains États, du fait des volumes importés.

Sources : GRANGEREAU Philippe, « La Chine fait son marché en Afrique », Libération, 27 avril 2006 et LAFARGUE François, « La Chine, une puissance africaine », Perspectives chinoises, n°90, juillet-août 2005, pp. 2-10.

KOLLER Frédéric, « La Chine ne surconsomme pas que le pétrole, mais aussi le bois », Fribourg, La Liberté, 29 mars 2006.

SERVANT Jean-Christophe, « La Chine à l’assaut du marché africain », Le Monde diplomatique, mai 2005.

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Annexe 33

Investissements des entreprises chinoises à l’étranger (2004)

En 2004, le nombre d'entreprises à l'investissement chinois à l'étranger approuvées par le ministère du Commerce a atteint 829, avec un montant d'investissement contractuel de 3,712 milliards de dollars.

Par secteur :

• 1,91 milliard de dollars ont été investis principalement dans l'industrie minière (52,8 % du total) ;

• 960 millions dans le service commercial (26,5 %) ;• 490 millions dans l'industrie manufacturière (13,5 %) ;• 110 millions dans le commerce de gros et de détail (3 %) ;• 150 millions dans les autres secteurs (4,2 %).

Par région :

• En Amérique Latine, surtout les îles Caïmans (1,67 milliard de dollars ou 46,2 %) ;• En Asie, surtout Hong Kong et l'Indonésie (1,396 milliards, 38,6 %) ;• En Europe, surtout l'Allemagne et la Russie (308 millions, 8,5 %) ;• En Afrique, surtout le Nigeria, l'Afrique du Sud, Madagascar (135 millions, 3,7 %) ;• En Amérique du Nord, surtout les États-Unis (62 millions, 1,7 %) ;• En Océanie, surtout l'Australie (48 millions, 1,3 %).

À la fin de 2004, le montant d'investissement direct de la Chine à l'étranger totalisait 37 milliards de dollars.

Source : « Tunisie-Chine en exclusivité : Coopération bilatérale », Investir-en-Tunisie.net, 23 mars 2006 :http://www.investir-en-tunisie.net/news/article.php?id=267

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Annexe 34

Commerce sino-africain (2003)

(en milliards de dollars)

Pays Exportations Importations TotalAfrique du Sud 2,02 1,84 3,86Algérie 0,64 0,09 0,73Angola 0,14 2,2 2,34Bénin 0,47 0,07 0,54Congo Brazzaville 0,06 0,81 0,87Égypte 0,93 0,15 1,08Maroc 0,69 0,16 0,85Nigeria 1,78 0,07 1,85Soudan 0,47 1,44 1,91Autres 2,93 1,52 4,45

Total 10,13 8,35 18,48

Source : LAFARGUE François, « La Chine, une puissance africaine », Perspectives chinoises, n°90, juillet-août 2005, pp. 2-10.

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Annexe 35

Investissements cumulés de la Chine en Afrique (1979-2002)

Source : LAFARGUE François, « La Chine, une puissance africaine », Perspectives chinoises, n°90, juillet-août 2005, pp. 2-10.

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Annexe 36

Volume du commerce sino-africain (2000-2005)

(valeur cumulée des importations et exportations, en milliards de dollars)

Source : GRIFFITHS Dan, « Big Business Brings Beijing to Africa », BBC News, 23 avril 2006.

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Annexe 37

Territoires du Sud ou Sud Soudan

Superficie : 850 000 km² (un tiers du Soudan)Population : 10 à 15 millions dont 4 millions de déplacés à l’intérieur du Soudan et 1 million en exil.Religion : christianisme (75 %), animisme (20 %) et islam (5 %).Histoire : région autonome, indépendantiste depuis la création du Soudan auquel elle a été rattachée (1956).Économie : possède l’essentiel des richesses naturelles du Soudan : le pétrole, les mines et les meilleures terres agricoles.

Guerre civile au Sud Soudan

1955 à 1972Première guerre contre le gouvernement de Khartoum qui aboutit à l’autonomie du Sud.

1983 à 2002Deuxième guerre après la suppression de l’autonomie et l’imposition de la charia. La rébellion du SPLA de John Garang compte 20 000 à 30 000 hommes.

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2002Cessez-le-feu.

2004-2005La rébellion et le gouvernement de Khartoum s’entendent sur la répartition des richesses, notamment pétrolières. L’accord de paix est signé le 9 janvier à Nairobi (Kenya).

Bilan de la guerre : Au moins 1,5 millions de morts et 4 millions de réfugiés en 21 ans de conflit.

Source : CASTÉRAN S., GARET F., HOLLIER-LAROUSSE J., SHARD P., « Soudan : Le principal mouvement rebelle du Darfour signe un accord de paix avec Karthoum », Agence France Presse, 5 mai 2006.

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Annexe 38

Darfour

Superficie :510 000 km²Population : 6 millions d’habitants dont 2,4 millions de réfugiés et déplacés.Religion : islam et animisme (au sud)Histoire : Sultanat indépendant jusqu’en 1917 avant d’être incorporé au Soudan.Économie : plateau aride (désert et savane) ; économie concentrée sur la région centrale des Monts Marrah. Découverte récente de réserves pétrolières.

Plus de trois ans de guerre au Darfour

200326 février : Khartoum annonce que des rebelles ont pris le contrôle du chef-lieu de Gulu (Darfour-Nord).

6 et 14 mars : Deux mouvements rebelles, le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) et le Mouvement/Armée de libération du Soudan (SLM/SLA), réclament une répartition équitable du pouvoir et des richesses.

24 avril : Le SLM attaque Al-Facher, capitale de l’État du Darfour-Nord, premier raid rebelle majeur.

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11 août : Les rebelles accusent les milices progouvernementales, les djandjawids (ou janjawids), d’avoir massacré 300 personnes dans le Darfour-Nord.

200413 février : Le Tchad nie toute implication dans la guerre au Darfour.

2 avril : Un haut responsable de l’ONU évoque un « nettoyage ethnique ».

8 avril : Khartoum et les deux mouvements rebelles signent au Tchad un accord prévoyant un cessez-le-feu, l’accès à l’aide humanitaire et le « désarmement des milices ». Ce cessez-le-feu n’a jamais été respecté.

8 juillet : L’Union africaine (UA) décide l’envoi d’une force de protection pour ses observateurs.

17 décembre : Accord de paix à Ndjamena entre Khartoum et les rebelles du Mouvement national pour la réforme et le développement (MNRD), récemment apparu au Darfour.

200531 janvier : Une commission d’enquête de l’ONU dénonce des crimes contre l’humanité, mais estime que Khartoum « n’a pas poursuivi une politique de génocide ».

29 mars : L’ONU approuve l’application de sanctions ciblées contre les individus reconnus coupables d’atrocités et étend au gouvernement soudanais un embargo sur les armes qui frappe déjà les rebelles.

31 mars : Seconde résolution de l’ONU permettant de traduire les auteurs d’exactions devant la Cour pénale internationale (CPI).

28 avril : L’UA décide d’augmenter les effectifs de sa force au Darfour (AMIS, 7 000 hommes actuellement).

6 juin : La CPI annonce l’ouverture d’une enquête sur les crimes présumés au Darfour.

11 juin : Création d’un Tribunal criminel spécial (TCS) qui doit, selon Khartoum, se « substituer » à la CPI pour juger les crimes de guerre au Darfour.

24 novembre : Le Soudan accuse le Tchad de mener des incursions en territoire soudanais et de soutenir les rebelles. Ndjamena dément.

20068 février : Le Soudan et le Tchad signent un accord stipulant « l’interdiction d’utiliser le territoire de l’un pour des activités hostiles contre l’autre ».

10 mars : L’UA prolonge le mandat de sa mission jusqu’en septembre et donne son accord de principe pour le transfert à l’ONU de sa force de paix.

14 avril : Le Tchad annonce la rupture des relations diplomatiques et la fermeture de sa frontière avec le Soudan, accusé de soutenir des rebelles tchadiens qui ont lancé une offensive sur Ndjamena.

20 avril : Arrivée au Darfour d’une force africaine d’observation destinée à se déployer à la frontière avec le Tchad.

26 avril : L’UA présente un projet d’accord global, après des mois de négociations laborieuses à Abuja.

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5 mai : Le Mouvement/Armée de libération du Soudan (SLM), dirigé par Minni Minnawi, principale faction rebelle, accepte de signer un accord de paix avec Khartoum après d’intenses pressions internationales, mais un mouvement moins important refuse toujours le texte, faisant durer l’incertitude.

Le conflit a fait entre 180 000 et 300 000 morts, selon les estimations, et 2,4 millions de déplacés et réfugiés.

Source : CASTÉRAN S., GARET F., HOLLIER-LAROUSSE J., SHARD P., « Soudan : Le principal mouvement rebelle du Darfour signe un accord de paix avec Karthoum », Agence France Presse, 5 mai 2006.

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Annexe 39

L’implication de la Chine dans la rébellion au Tchad (2006)

Mercredi 12 avril, au moment où une colonne rebelle s’apprêtait à attaquer N’Djamena, Chirac s’était déjà concerté avec les présidents Bongo (Gabon) et Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville). Il proposa donc à Idriss Déby, le patron du Tchad, de le mettre en sécurité à l’étranger avec sa famille. Pendant ce temps, des Mirage quittaient la base française de N’Djamena, et fournissaient à l’armée tchadienne photographies et renseignements sur l’avancée et le nombre de rebelles.

Idriss Déby a refusé de s’exiler, et la suite lui a permis de croire qu’il en sortira. Provisoirement, peut-être, comme on l’estime à Paris et dans plusieurs capitales africaines. Le Tchad détient en effet un record indiscutable : des dizaines de rébellions et plusieurs coups d’État depuis quarante ans.

La semaine dernière, les rebelles ont foncé sur la capitale à bord d’une soixantaine de pick-up Toyota, et ils disposaient d’un armement en partie d’origine chinoise. Le tout fourni par l’intermédiaire du Soudan. Aussi Bush a-t-il menacé ce puissant voisin du Tchad afin qu’il cesse de s’en prendre à Idriss Déby, installé au pouvoir en novembre 1990 par les services secrets français et, depuis, plus ou moins difficile à vivre. En juin 1998, Déby a expulsé une trentaine d’officiers de la DGSE et, en mars 2000, il réservé le même sort à l’ambassadeur de France.

Mais cette intervention américaine en faveur de notre protégé tchadien s’explique surtout par le jeu d’influence des Chinois dans la région. Le Soudan vend à Pékin 85 % de sa production pétrolière, et la Chine a aussi des visées sur l’or noir qui commence à couler au Tchad. Elle a déjà acheté la société canadienne Clivden, qui dispose de permis de prospection accordés naguère par Idriss Déby. Lequel, pêché impardonnable, reconnaît Taïwan mais n’a pas de relations diplomatiques avec Pékin.

Moralité, il n’y en a aucune. Bush ne s’intéresse à notre « ami » Déby que pour contrer les vilains Chinois et leur allié du Soudan. Mais Chirac est prié d’apprécier le geste.

Source : « L’œil de Pékin », in ANGELI Claude, « Les dernières amabilités entre Bush et Chirac », Le Canard enchaîné, 19 avril 2006, p. 3.

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Annexe 40

Discours sur la politique extérieure des États-Unis envers la Chine

Kenneth Lieberthal est professeur de Science politique à l’Université de Michigan. Également consultant spécialisé en géostratégie, il a travaillé à la Maison Blanche sous la présidence de Bill Clinton, qui en a fait son conseiller spécial pour les affaires de sécurité intérieure, puis qui l’a nommé Directeur de la zone Asie au National Security Council (NSC). Il rappelle que la stratégie de Washington vis-à-vis de la Chine a pendant trente ans reposé sur « six principes » :

• Un échec du développement chinois aurait de graves conséquences sur les États-Unis, leurs alliés asiatiques et le reste du monde ;

• Le développement fondé sur le libre commerce, associé à la formation d’une classe moyenne, favorisera la libéralisation de la Chine ;

• Les États-Unis ont un intérêt à ce que la Chine s’intègre au système international ;

• L’intérêt national commande que la Chine ne ressente aucune hostilité de la part des États-Unis ;

• Diplomatiquement, la Chine doit consentir à la politique d’une seule Chine ;

• Le maintien de la paix et de la prospérité en Asie est au cœur de l’intérêt national des États-Unis qui doivent, pour assurer ce maintien, conserver leur présence militaire sur le continent.

M. Lieberthal demande ainsi au « nouveau président » (il écrit en mars 2001) d’ « introduire dans le débat politique l’éventualité d’une Chine plus faible et plus désorganisée ».

En effet, il remarque que « jusqu’ici, le débat public sur la politique chinoise s’est irrésistiblement concentré sur deux alternatives résultant de l’inévitable ascension de la Chine : une Chine forte et antagoniste (la « menace chinoise »), et une Chine performante et coopérative (un « partenaire stratégique constructif »). Ces alternatives sont trop étroites, parce qu’une « Chine émergente » n’est pas la seule possibilité ».

Il faut donc comprendre que la menace vient du risque de rupture dans le développement de la Chine. Les États-Unis doivent donc faire en sorte de mettre à la disposition de la Chine toute leur expérience, afin que son développement n’ait que des « conséquences transnationales bénéfiques ».

Sur Taiwan, Washington doit maintenir sa position conforme à la politique d’une seule Chine, tout en prévenant les risques de voir les tensions Pékin-Taipei dégénérer en conflit (notamment en préservant la capacité militaire de Taiwan).

De manière plus globale, Washington doit se doter d’une « politique chinoise stratégique et active ». Pour ce faire, les États-Unis doivent prendre l’initiative et structurer les relations selon une approche nuancée et à long terme.Source : LIEBERTHAL Kenneth, « U.S. Policy Toward China », Policy Brief, n°72, The Brookings Institution, mars 2001 :http://www.brookings.edu/comm/policybriefs/pb72.htm

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Annexe 41

Les écoles de pensée de la politique étrangère américaine

Approches Description Écoles Caractéristiques Auteurs Action privilégiée

UnilatéralisteControlers

Utilisation illimi-tée de la puissan-ce pour dominer le système inter-national et péren-niser l’hégémonie américaine.

Hégémoniste

Déclin inévitable de l’hégémon (vision cyclique de l’histoire) ; Défense de l’intérêt national [fondée] sur la conquête et la guerre ; Vision réaliste des relations interna-tionales et pessimiste de la nature humaine ; Coopération limitée entre les États ; Système international anarchique nécessitant une puissance pour assurer l’ordre ; Hégémon américain relativement bénin et bien meilleur que tout autre hégémon.

KaganKristolKrauthammer

Contrôle

MultilatéralisteShapers

Utilisation mesu-rée de la puis-sance américaine pour assurer le leadership améri-cain du système international en le forgeant de con-cert avec d’autres alliés et partenai-res.

Institutionnaliste

Préservation de l’ordre international et de l’hégémonie libérale américaine ; Protection des intérêts nationaux américains qui doivent coïncider avec les intérêts globaux ; Auto-restriction stratégique des États-Unis en utilisant les institutions internationales dans lesquelles ils occupent une place prépondérante ; Agir de concert avec les autres acteurs du système international.

IkenberryNye Direction

Équilibriste

Maintien de l’ordre unipolaire et de la primauté américai-ne ; Soutien au multilatéralisme, afin d’augmenter le pou-voir d’influence des États-Unis sur le système internatio-nal ; Utilisation instrumentale des institutions internationa-les pour favoriser les intérêts américains ; Auto-restriction stratégiques des États-Unis pour éviter la formation d’une coalition leur faisant contrepoids ; Utilisation minimale de la force armée (en dernier ressort).

WaltWolhforthZakariaKupchan

Direction

Idéaliste

Fin de l’histoire ; Protection des droits humains par le droit international et un mode de gouvernance globale égalitaire ; Promotion de la libéralisation démocratique du monde pour pacifier le monde (les démocraties ne se battraient pas entre elles) ; Idéal kantien de la paix perpétuelle avec une fédération de démocraties.

FalkFukuyamaMandelbaum

Direction

MinimalisteAbstainers

Repli stratégique des États-Unis et abandon d’un rôle actif sur la scène internationale, afin de s’en re-mettre aux équili-bres naturels pour maintenir la paix.

Souverainiste

Protection de la souveraineté des États-Unis ; Primat de la Constitution sur tout traité international ; Désengagement sur le plan international et repli sur le rôle plus restreint et sûr de « réserve stratégique » de l’Ouest. La guerre froide terminée, un retour à l’isolationnisme est possible, car ce n’est plus nécessaire de protéger les États-Unis à partir de l’étranger (from abroad) : il faut plutôt assurer la défense de la Forteresse Amérique, retirer les États-Unis des traités et pactes de sécurité et défense collectives et ramener les troupes américaines installées à l’étranger.

RabkinNordlinger Abstention

Mondialiste

Néolibéralisme économique (libéralisation économique) ; L’économique supplante le politique (promotion du libre marché et de l’ouverture des frontières économiques et affaiblissement de la souveraineté des États) ; Paix par le commerce ; Système international [fondé] sur l’interdépen-dance économique des États ; Plus de guerres majeures san-glantes entre les grandes puissances ; Vision optimiste de la mondialisation comme source productrice de richesses pour tous ; Montée des acteurs transnationaux (organisations non gouvernementales, firmes multinationales) ; Maintien des armées pour contrer la criminalité et le terrorisme transnationaux.

FriedmanBergsten Abstention

Isolationniste antimondialiste

Opposé à la volonté interventionniste des États-Unis dans les affaires internationales ; ne croit pas aux bonnes inten-tions de la superpuissance américaine ; Discours sur des élites perçu comme fortement idéologique, et servant à pro-mouvoir la vision libérale du monde ; Mondialisation per-çue comme une dynamique profitable imposée par les élites des États, des organisations internationales et des entrepri-ses, et non comme une amélioration des conditions de vie des travailleurs et des citoyens du monde ; Dénonciation de l’impérialisme des États-Unis, inexorablement associé aux projets liés à la mondialisation en raison de leur puissance.

Chomsky Abstention

Source : BALTHAZAR Louis, DAVID Charles-Philippe et VAÏSSE Justin, La politique étrangère des États-Unis : fondements, acteurs, formulation, Paris, Presses de Sciences po, 2003, pp. 104-105.

Bastien Brunis – Master Relations internationales 190

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Annexe 42

Structure de la consommation européenne en énergies (1998)

Combustibles solides (charbon, etc.)PétroleGaz naturelÉnergie nucléaireÉnergies renouvelables

A AutricheB Belgique

DK DanemarkFIN Finlande

F FranceD Allemagne

EL GrèceIRL Irlande

I ItalieL Luxembourg

NL Pays-BasP PortugalE EspagneS Suède

UK Royaume-Uni

Source : L’approvisionnement pétrolier de l’Union européenne, Commission européenne, Direction générale de l’Énergie et des Transports, 4 octobre 2000, 31 p.

Bastien Brunis – Master Relations internationales 191

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Annexe 43

Principales régions exportatrices de pétrole vers les États-Unis (2003)

Amérique latine 30 %Moyen-Orient 18 %Afrique 14 %Autres 30 %

Source : LAFARGUE François, « La Chine, une puissance africaine », Perspectives chinoises, n°90, juillet-août 2005, pp. 2-10.

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Annexe 44

La question taiwanaise

Le jour même de la création de la République populaire de Chine, le gouvernement déclare que « le présent gouvernement est l'unique gouvernement légal représentant le peuple de la République populaire de Chine. Il désire établir des relations diplomatiques avec tout gouvernement étranger qui voudra respecter les principes d'égalité, d'avantages réciproques, de respect mutuel de la souveraineté et de l'intégrité territoriale ».

La question de Taiwan relève ainsi du péché originel, comme on le voit dans le document intitulé « Les principes régissant l’établissement des relations diplomatiques avec les pays étrangers ». En fait de « principes », il n’en est en réalité qu’un seul qui commande l’engagement des relations avec la RPC : « il n'y a qu'une Chine dans le monde. La province de Taiwan est partie intégrante du territoire de la République populaire de Chine. Tous les pays qui entretiennent des relations diplomatiques avec la Chine doivent signifier la rupture de toutes leurs relations diplomatiques aux autorités de Taiwan et reconnaître le gouvernement de la République populaire de Chine comme l'unique gouvernement légal de la Chine. Le gouvernement chinois, qui persiste toujours dans ses principes fondamentaux de " la réunification pacifique " et d' " un État, deux systèmes ", résoudra le problème de Taiwan tout en suivant les propositions [de] Jiang Zemin sur le développement des relations entre les deux rives du détroit en l'état actuel, s'opposera fermement à tous les complots, actes et paroles à propos de " l'indépendance de Taiwan ", de " deux Chine " ou d' " une Chine et un Taiwan ", et ne tolérera pas le fait que les pays qui ont établi officiellement des relations diplomatiques avec la Chine continuent à avoir encore des relations officielles sous toute forme que ce soit avec les autorités de Taiwan ».

On voit ici encore combien les dirigeants chinois sont attachés au vocabulaire employé, que ce soit dans le domaine interne, bien sûr, mais surtout dans le champ de leurs relations diplomatiques. La politique extérieure de la Chine est subtilement codifiée, comme le montrent aussi MM. Cabestan et Vermander.

On dit souvent que les conditions à l’octroi de l’aide chinoise se limitent à la non reconnaissance de Taiwan et au respect du principe d’une seule Chine. Les États qui coopèrent avec la Chine sont pourtant régulièrement invités à exprimer leur « soutien indéfectible [au] gouvernement chinois sur les questions de Taiwan, du Tibet et des droits de l'homme ». Cela ne manque pas de saveur, surtout quand ledit soutien est fourni par un État comme le Congo de Denis Sassou Nguesso, grand protecteur des droits de l’homme.

Pourtant, sept des 26 États ayant des relations avec Taiwan sont en Afrique504, ce qui accroît l’intérêt stratégique du continent pour Pékin. Or, au début des années 1990, 20 États africains reconnaissaient l’existence de Taiwan505. Aucune porte ne doit cependant rester fermée aux

504 Ces États sont le Burkina Faso, le Tchad, la Gambie, le Malawi, Sao-Tome et Principe, le Sénégal et le Swaziland. Sous la pression chinoise, le Lesotho a rompu ses relations avec Taipei en 1994, le Niger en 1996, le Centrafrique, la Guinée-Bissau et l’Afrique du Sud en 1998.505 « Africa : China’s Great Leap into the Continent », Reuters, 23 mars 2006.

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acheteurs chinois. C’est pourquoi des relations commerciales sont maintenues avec certains États africains, en débit de leurs relations diplomatiques avec Taiwan506, comme le Tchad.

Sources : CABESTAN Jean-Pierre & VERMANDER Benoît, La Chine en quête de ses frontières. La confrontation Chine-Taiwan, Paris, Presses de Sciences po, 2006, 283 p.

SERVANT Jean-Christophe, « La Chine à l’assaut du marché africain », Le Monde diplomatique, mai 2005.

SHAN Yun, « Chine-Congo : 40 ans des liens d'amitié et de coopération », Le Quotidien du Peuple, 25 février 2004.

« Africa : China’s Great Leap into the Continent », Reuters, 23 mars 2006.

« Les principes régissant l’établissement des relations diplomatiques avec les pays étrangers », China.org, 6 septembre 2004.

506 SERVANT Jean-Christophe, « La Chine à l’assaut du marché africain », Le Monde diplomatique, mai 2005.

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Annexe 45

Part des principaux fournisseurs africains dans les importations pétrolières des États-Unis (2003)

Nigeria 5,8 %

Angola 3,2 %

Gabon 1,9 %

Source : LAFARGUE François, « La Chine, une puissance africaine », Perspectives chinoises, n°90, juillet-août 2005, pp. 2-10.

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Annexe 46

Le sanctuaire de Yasukuni

Le sanctuaire de Yasukuni (Yasukuni jinja, le temple du pays apaisé) est un sanctuaire shinto situé à Tokyo qui a été construit en 1869 pour rendre hommage aux Japonais « ayant donné leur vie pour le Japon ». Les âmes de milliers de soldats japonais morts entre 1868 et 1945 y sont déifiées.

Après la 1945, le sanctuaire est devenu association religieuse indépendante des structures shinto nationales. Le musée attenant retrace l'histoire militaire du Japon. Le ton y est franchement révisionniste : on y nie le Massacre de Nankin, l'expansion japonaise en Asie et dans le Pacifique est présentée comme une volonté de constitution d'une zone de prospérité asiatique contre l'impérialisme occidental. On y glorifie également les kamikazes. Aujourd'hui, Yasukuni vénère les âmes de 2 466 532 Japonais morts lors de conflits militaires.

Ces morts concernent principalement de militaires morts au cours de la Seconde Guerre mondiale (2 133 915), puis la guerre russo-japonaise (191 250). Beaucoup accusent le temple de glorifier ouvertement l'ère colonialiste du Japon, vénérant même plusieurs condamnés lors des procès de Tokyo, notamment 14 criminels de guerre de classe A, dont 7 ont condamnés à mort et exécutés. L'empereur Hirohito, qui avait visité plusieurs fois le temple après la guerre, s'est abstenu de le faire après 1975, opposé à l'ajout desdits condamnés.

La présence à Yasukuni des noms des quatorze criminels de guerre rend chaque visite d'un Premier ministre controversée. En particulier, les gouvernements chinois et coréen voient de telles visites comme un affront. Bien que les Premiers ministres ayant visité le sanctuaire aient affirmé l'avoir fait à titre personnel, l'attitude de Koizumi en particulier à ce sujet est considérée comme ambiguë.

Plusieurs décisions de justice ont par ailleurs déclaré les visites officielles inconstitutionnelles (celles de Hashimoto comme celles de Koizumi), le Premier ministre n'ayant en principe pas le droit d'effectuer d'actes à caractère religieux en dehors du cadre personnel. Le problème des visites au temple Yasukuni n'est pas à l'heure actuelle résolu et chaque visite provoque des réactions plus vives chez les pays voisins du Japon.

Bien que le caractère officiel ou non des visites ait fait l'objet de débats dans la presse japonaise depuis la fin des années 1970 et que plusieurs procès aient eu lieu pour trancher la question, le problème n'a réellement attiré l'attention au niveau international qu'à partir de 2001, notamment en raison de la voix grandissante de la Chine.

Source : « Le Temple Yasukuni », Wikipédia, consulté le 17 mai 2006 :http://fr.wikipedia.org/wiki/Sanctuaire_de_Yasukuni

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Annexe 47

Discours sur le développement pacifique de la Chine

Quelle stratégie se dégage du travail conceptuel des élites chinoises sur l’ « ascension pacifique » ? Pour MM. Cabestan et Vermander, « l’ascension pacifique de la Chine implique : de maintenir (au moins dans le discours) l’assimilation classique des intérêts de la Chine et de ceux des pays en développement ; de ne céder en rien sur la doctrine de la souveraineté étatique et de la non-ingérence ; de favoriser un multilatéralisme qui dilue le caractère antagoniste que pourrait revêtir l’ascension de la Chine ; de jouer à fond la " carte culturelle " ».

Il existe ainsi plusieurs destinataires : les grandes puissances, les puissances asiatiques, les autres pays et les Chinois, car les obstacles vers le leadership ne sont pas qu’extérieurs, mais proviennent pour une part de la Chine elle-même. « L’accès au statut de grande puissance est une route semée d’embûches, et cet accès exige pour le moins deux sortes précaution : ne pas heurter de front les puissances concurrentes ; ne pas relâcher le contrôle sur la sécurité507 du pays ». Il est donc bien d’une stratégie visant à amener la Chine vers un leadership légitime.

Effectivement, « la Chine marche inéluctablement vers le leadership mondial ; c’est là une opportunité historique mais aussi un risque considérable, et, pour éviter que ces risques se réalisent, il vaut mieux éviter de s’opposer aux États-Unis de front, essayant au contraire de réaliser en douceur une transition vers le leadership dans un style qui ôte aux autres puissances des raisons explicites de fomenter des oppositions et des conflits ».

Selon Wu Zichen, chercheur chinois, « se changer soi-même constitue la façon pour la Chine d’influencer le monde ». Pour les auteurs, « cela signifie, entre autres choses, d’éviter d’apparaître comme l’agresseur lorsque les relations avec les États-Unis sont en jeu, et d’être bien plutôt capables d’affronter avec eux les vrais défis mondiaux. La politique étrangère chinoise souffre encore de son étroitesse de vue, de son manque d’esprit d’initiative et de souplesse ou de " débrouillardise " 508 pour éviter de donner l’impression qu’un hégémonisme en remplace un autre. Spécifiquement, " la Chine doit s’opposer à l’hégémonisme américain au travers d’une " démocratisation internationale " 509, écrit Wu. " La Chine doit devenir le porte-parole de la démocratisation internationale, et, pour cela, avancer vers la démocratie interne. […] Transformer le monde exige de se transformer soi-même " ».

Il est pourtant très difficile de spéculer sur la capacité de la société et du régime chinois à se transformer démocratiquement. Il y a une dualité persistante entre la Chine et l’Occident – ou plutôt entre la Chine et le reste du monde. Cette conception sino-centrée des dirigeants de Pékin est tout à fait explicable, mais elle a des effets. Nul ne peut aujourd’hui en mesurer les conséquences sur la confrontation des systèmes chinois et américain. Comme le rappellent Cabestan et Vermander, Mao parlait déjà en 1954 de « coexistence pacifique » : « des systèmes différents peuvent coexister sur la scène internationale, et leur coexistence présage de la victoire pacifique du système socialiste ». L’usage de l’expression « coexistence pacifique » demeure dans le discours officiel, mais de manière moins automatique. L’enjeu

507 Anquan.508 Linghuoxing.509 Guoji minzhuhua.

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est de parvenir à « passer de la « coexistence pacifique » au « développement pacifique » ». Sauf à considérer que la Chine n’est plus « socialiste », la prédiction de Mao est aujourd’hui en passe de se réaliser. Que retenir de tout cela ? Nous avons pris le parti de dire que tout discours est une pratique.

Cette stratégie est multiforme. Tout d’abord, « la stratégie internationale d’ensemble vise à affirmer et à confirmer le statut de « grande puissance » que la Chine a vocation à assumer », sous l’effet d’une logique qui serait naturelle. Les Chinois se montrent persuadés que « croissance et déclin s’enchaînent dans une logique naturelle et inexorable ». Cependant, le statut de grande puissance « n’est pas considéré être pleinement acquis encore, et la route vers la consolidation ultime reste semée d’embûches » qu’il convient de dépasser.

Au premier rang de ces obstacles se trouve l’hostilité ressentie vis-à-vis de la Chine émergente ; aussi « la stratégie privilégiée vise non pas à confronter mais plutôt à engager les autres grandes puissances ». Car c’est bien des États-Unis que vient la principale menace « idéologique ». La Chine doit faire face au « discours [américain] sur la " concurrence stratégique " engagée avec la Chine [et aux] autres craintes exprimées par diverses parties ». Pour ce faire, les Chinois pensent avoir à mettre en place un « " partenariat " avec les autres grandes puissances (ce, pour briser tout système d’alliance qui l’isolerait) ». En effet, « si les principaux obstacles rencontrés sur la route du « surgissement pacifique » sont d’abord de nature interne (sociale, politique, idéologique, ethnique), il est naturel que les puissances qui voient avec inquiétude le développement international de la Chine tentent d’exploiter les contradictions qui sont à la source des dites menaces ». Par ailleurs, la Chine souhaite jouer « un rôle de stabilisateur plus actif dans l’environnement régional ». Cela provient notamment du fait que la concurrence avec les États-Unis est engagée sur l’ensemble du continent asiatique, qu’elle soit simplement commerciale, ou qu’elle soit stratégique.

La stratégie de puissance chinoise s’appuie en outre sur la constitution d’un véritable soft power, d’une « arme idéologique » capable de rivaliser avec les États-Unis. En effet, « la légitimité ultime de la Chine dans son statut de grande puissance internationale teindra pour une bonne part à son rayonnement culturel ». D’ailleurs, l’expression d’« invasion culturelle » est encore très présente dans le vocabulaire officiel chinois ; elle témoigne pour une part d’une volonté de confrontation entre modèles chinois et américain. Enfin, l’ultime volet de la stratégie de puissance concerne Taiwan. En effet, « la Chine se méfie des intentions hostiles ou défensives des autres puissances, et fait de sa sécurité intérieure et extérieure un tout indivisible. [Ainsi] la question taiwanaise continue de menacer les équilibres recherchés par la politique globalement poursuivie ».

MM. Cabestan et Vermander rappellent d’ailleurs que Taiwan est considéré comme « un problème de sécurité politique510 ». Pour Pékin, il est donc indispensable de résoudre le problème taiwanais511. Mais « forcer la réunification avec l’île, c’est courir le risque de dilapider en une seule fois le capital international amassé depuis plus de deux décennies ; mais se résigner à la situation présente, c’est renoncer à parachever l’ « émergence pacifique de la Chine » ».

Source : CABESTAN Jean-Pierre & VERMANDER Benoît, La Chine en quête de ses frontières. La confrontation Chine-Taiwan, Paris, Presses de Sciences po, 2006, 283 p.

510 Zhengzhi anquan.511 Taiwan wenti.

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Annexe 48

La stratégie de puissance de la Chine

1 La stratégie internationale d’ensemble vise à affirmer et à confirmer le statut de « grande puissance » que la Chine a vocation à assumer ;

2 Ce statut n’est pas considéré être pleinement acquis encore, et la route vers la consolidation ultime reste semée d’embûches ;

3 La stratégie privilégiée vise non pas à confronter mais plutôt à engager les autres grandes puissances ;

4 Une stratégie d’accompagnement consiste à affirmer le statut régional de la Chine et le caractère stabilisateur que la Chine joue dans la région ;

5 La légitimité ultime de la Chine dans son statut de grande puissance internationale teindra pour une bonne part à son rayonnement culturel ;

6 En même temps, la Chine se méfie des intentions hostiles ou défensives des autres puissances, et fait de sa sécurité intérieure et extérieure un tout indivisible ;

7 La question taiwanaise continue de menacer les équilibres recherchés par la politique globalement poursuivie.

Source : CABESTAN Jean-Pierre et VERMANDER Benoît, La Chine en quête de ses frontières. La confrontation Chine-Taiwan, Paris, Presses de Sciences po, 2006, 283 p.

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Annexe 49

Le vocabulaire de la puissance

Anquan Sécurité.

Ba Hégémon.

Badao Despotisme.

Baquan Hégémonie.

Baquanzhuyi Hégémonisme.

« Chao tuo » « Être détaché des événements concrets ».

« Chaoyue yishi xingtai yinsu » « Aller au-delà des considerations idéologiques ».

Da guo Grande puissance (grand pays).

Daguo guanxi huobanhua « Partenarisation » des relations entre grandes puissances.

« Daguo shi guanjian, zhoubian shi shouyao. »

« Les grandes puissances sont la clé, les pays riverains sont la priorité. »

Danbianzhuyi Unilatéralisme.

Douzheng Lutte (idéologique).

Douzheng yishu Art de la lutte.

Duojihua Multipolarisation.

« Duojihua de shijie » « Un vue multipolaire du monde ».

Fandong Réactionnaire.

Fazhan Développement.

Fuzeren de daguo Grande puissance responsable.

Gongsheng gongchang Communauté d’existence et de destin.

Guo Pays, principauté, fief, contrée, région.

Guoji anquan Sécurité internationale.

Guoji minzhuhua Démocratisation internationale.

Guojia Nation, État.

Guojia anquan Sécurité nationale.

He er bu tong Union sans l’uniformité / Union dans la diversité.

Hehe Hexie (harmonie) et hezuo (coopération) ou juhe (se rencontrer).

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Hehe Culture communautaire (compris dans un sens large).

Hehe wenhua Culture de coopération et d’harmonie.

Heping fazhan Développement pacifique.

Heping gongchu Coexistence pacifique.

Heping shianban Transmutation pacifique.

Hexie Harmonie.

Hexie Société homogène, ordonnée, hiérarchisée.

Hezuo Coopération.

Huoban guanxi Relation de partenariat.

Huobanhua « Partenarisation ».

Ji Plan (stratagème).

Jue Nom : Pic élevé et abrupt.

Jue Adj. : Culminer.

Jueqi Ascension soudaine vers les sommets.

Lihai guanxi Relation gagnant-perdant.

Linghuoxing Esprit d’initiative, souplesse, « débrouillardise ».

Lüe Stratégie militaire.

Maodun Contradiction.

Pinyin Système communiste chinois

Qinlüe Invasion/agression.

Quanqiuha Globalisation (mondialisation).

Quyuhua Régionalisation.

Sehuizhuyi xiandaihua Modernisation du socialisme.

Shan Transmutation.

Shanbian Processus de transmutation.

Shuangying guanxi Relation mutuellement bénéfique.

« Taoguang yanghui » « Garder un profil bas et ne jamais prendre la tête ».

Taiwan wenti Le problème taiwanais.

Wenhua Culture.

Xinsiwei Nouvelle pensée.

« Zaori jiejue Taiwan wenti » « Résoudre au plus vite le problème taiwanais. »

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Zhan Bataille.

Zhanlüe Stratégie.

Zhengzhi anquan Problème de sécurité politique.

Zhongguo heping jueqi L’ascension pacifique de la Chine.

Zhongguo jueqi Surgissement de la Chine vers la prééminence.

Zuzhi Organisation.

Sources : CABESTAN Jean-Pierre et VERMANDER Benoît, La Chine en quête de ses frontières. La confrontation Chine-Taiwan, Paris, Presses de Sciences po, 2006, 283 p.

JOYAUX François, La Tentation impériale. Politique extérieure de la Chine depuis 1949, Paris, Éditions Imprimerie Nationale, 1994, 426 p.

YI Xiaoxiong, « Chinese Foreign Policy in Transition : Understanding China’s “Peaceful Development” », The Journal of East Asian Affairs, XIX (1), printemps-été 2005, pp. 74-112.

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Imprimé à Paris, le 19 juin 2006.L’idéogramme en couverture est celui de l’énergie.

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