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BIBEBOOK HONORÉ BEAUGRAND ANITA, SOUVENIRS D’UN CONTRE-GUERILLAS

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    HONOR BEAUGRAND

    ANITA, SOUVENIRSDUN

    CONTRE-GUERILLAS

  • HONOR BEAUGRAND

    ANITA, SOUVENIRSDUN

    CONTRE-GUERILLAS

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1252-9

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

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    Sources : Bibliothque lectronique duQubec

    Ont contribu cette dition : Association de Promotion de lEcriture et de la

    Lecture

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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  • T capitaine, batelier, journaliste, maire de Montral,Honor Beaugrand a publi un roman, Jeanne la leuse, en 1878,des rcits de voyage et un recueil de contes, La chasse-galerie.Lgendes canadiennes, en 1900. Ces contes avaient dabord paru dans lesjournaux de lpoque.

    Sous Napolon III, les Franais ont men, entre 1862 et 1867, une expdi-tion au Mexique, qui sest avre dsastreuse. Beaugrand, comme beaucoupde jeunes Canadiens-franais, sest enrl pour cee campagne.

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  • CHAPITRE I

    O ferme et dru chez Dupin.Surtout lorsquon avait lhonneur dappartenir la 2 compagniemonte de la Contre-gurilla : compagnie commande, silvous plat, par un petit-ls du marchal Ney.

    Fameux rgiment que celui-l, je vous en donne ma parole, lecteur !Chez Dupin comme nous disions alors on buvait sec, on faisait

    ripaille dans les entractes ; mais le premier appel du clairon nous faisaitrentrer en scne, et nous avions la rputation de nous battre comme desenrags ; ce qui faisait que les Chinacos nous avaient appliqu le gentilsobriquet de diabolos colorados, ce qui veut dire diables rouges .

    Ils avaient, ma foi, raison de ne pas nous adorer, ces bons Mexicains,car nous leur rendions bien la pareille et avec intrts encore.

    Ctait au premier jour de fvrier 1866, si je me rappelle bien. Noustions de passage Monterey, venant de Matamoros, et en route pourrejoindre la division Douay, qui tait campe sous les murs de San Luis

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre I

    Potosi.Notre escadron escortait un convoi de vivres. Comme les muletiers

    mexicains ne sont jamais presss, et que le train navanait pas vite,javais demand et obtenu la permission de devancer le dtachement dunjour ; et je me trouvais Monterey, vingt-quatre heures avant mes cama-rades.

    Puisque jai tant fait de vous dire que je tenais passer un jour Monterey, autant vaut complter tout de suite ma condence, et vousavouer que les yeux noirs dune senorita taient pour beaucoup dans cettedcision prise la hte.

    Jtais marchal de logis chef de mon escadron, et je naurais voulu,pour rien au monde, manquer loccasion de donner un coup de sabre quiaurait pu me valoir la contre-paulette de sous-lieutenant, alors lobjet detous mes rves.

    Jarrivai donc au galop en vue de la Silla,et, un quart dheure plus tard,japprenais que lobjet dema course au clocher tait depuis quelques jourschez une de ses parentes, Salinas.

    Jugez de mon dsespoir.Que faire ?Je tenais voir Anita, et Salinas tait une distance de dix bonnes

    lieues de Monterey. Je navais que vingt-quatre heures davance sur lacolonne, et il mtait tout fait impossible de penser faire trente lieuesen un jour sur mon cheval qui tait dj fatigu, et de pouvoir reprendreensuite la route avec mes compagnons darmes.

    Jtais furieux de ce contretemps, quand je me rappelai fort proposque javais une cinquantaine de dollars dans mes goussets. Monterey,un bon mustang sachte et se vend pour deux onces dor.

    Je trouvai tout de suite un maquignon qui me fournit une monturerespectable pour vingt-cinq dollars, et aprs avoir con mon dle Pedro mon cheval aux soins du garon dcurie de lhtel San Fernando, jeme prparai prendre la route de Salinas.

    On me t bien remarquer que les Chinacos avaient t vus dans lesenvirons depuis quelques jours, mais, quand on est militaire et amoureux,on se moque de tout mme et surtout des choses les plus srieuses.

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre I

    Jtais donc dcid tout braver, fatigues et juaristes, pour avoir linef-fable plaisir de contempler pendant quelques instants les yeux noirs dema novia.

    Je plaai de nouvelles capsules sur mes revolvers amricains, et je prisune double ronde de cartouches pour ma carabine Spencer.

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  • CHAPITRE II

    Q tard, je galopais sur la route poudreusequi longe la base des montagnes leves qui entourent Monte-rey. Mon cheval faisait merveille, et jtais enthousiasm de lasurprise que jallais causer mon Anita, qui me croyait encore Victoria,guerroyant contre ce brigand de Canals.

    Je rpondais dun air souriant aux *buenosdias* hypocrites des ran-cherosque je rencontrais sur la route. Il tait notoire que ces coquins nousdisaient bonjour du bout des lvres, tandis que dans leurs curs, ils nousvouaient tous les diables. Mais jtais de bonne humeur et joubliais pourle moment que jtais en pays ennemi.

    Je s ainsi, sans y penser, cinq ou six lieues. Le cur me battait daise la pense de lheureuse inspiration que javais eue de me procurer unenouvelle monture, ce qui me permettrait de passer sept ou huit heuresauprs de lobjet de mes aections. Cest l une dose de bonheur normepour un militaire en campagne, croyez men sur parole, heureux lecteur

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre II

    qui ntes jamais sorti de la paisible catgorie des pkins.Je galopais donc content de moi-mme et ne pensant nullement au

    danger, quand jarrivai au gu dune petite rivire quil me fallait tra-verser pour continuer ma route. Je lchai la bride mon cheval pour luipermettre de sabreuver leau claire qui coulait sur un lit de cailloux ;et jtais en train de rouler une cigarette, quand le bruit des pas de plu-sieurs chevaux me t tourner la tte. Je vis cinq ou six cavaliers qui sedirigeaient vers moi, mais qui, videmment, jusque-l, ne mavaient pasencore aperu. Leur tenue demi-militaire me t un devoir de massurer qui javais aaire, avant de les laisser savancer plus prs, et je les inter-pellai de la phrase sacrementelle :

    ienvive ? Amigos ! rpondirent en chur mes interlocuteurs qui savanaient

    toujours, et qui me lancrent en passant des bonjours qui me parurentquivoques. Je les laissai savancer et traverser la rivire, mais je rsolusde ne pas les perdre de vue, pour viter toute espce de malentendu avecdes personnages que je souponnais fortement dappartenir quelquebande du voisinage. Je les suivis donc distance, bien dcid ne pas leurdonner la chance de se cacher dans les broussailles et de me lancer uneballe la manire habituelle des brigands qui nous faisions la guerre.

    Je crus mapercevoir que lun deux tournait de temps en temps la tte,comme pour bien sassurer que je le suivais toujours, mais jen arrivaibientt ne plus y porter attention et croire, quaprs tout, ces pauvresdiables pouvaient bien ntre que de paisibles fermiers qui revenaient deMonterey. Je me relchai donc de ma surveillance et je retombai peu peu, dans la srie dides couleur de rose que minspirait lespoir de metrouver bientt auprs dAnita.

    Vous souriez probablement, lecteur, de mon infatuation amoureusequand je vous nomme ma passion ; mais avant de vous raconter les aven-tures que me valut cet attachement digne dun meilleur sort, laissez-moivous dire quelle en valait la peine, ma Mexicaine.

    Voil bientt quinze ans que je lai oublie, et, parole dex-contre-gurillas, quand jy pense par hasard, je me surprends regretter le plazade Monterey et les charmantes causeries que nous y faisions Anita etmoi en coutant la musique du 95. Je faisais retentir mes perons et

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre II

    sonner mon grand sabre de cavalerie sur le pav, et elle souriait sous samantille la coquine aux ociers dtat-major qui me jalousaient mabonne fortune.

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  • CHAPITRE III

    M la grande route de Salinas et aux cavaliers in-connus qui galopaient devant moi.Javais donc fait taire mes soupons, et javais mme oublitoute ide de danger, quand jarrivai, toujours au galop, un endroit ola route faisait un brusque dtour. Mes Mexicains de tout lheure mat-tendaient l le revolver au poing, et je fus accueilli par un brusque :

    Alto ahi ! halte l !Mon cheval se cabra, et ma main droite fouillait encore les fontes de

    ma selle, quand jentendis derrire moi le siement bien connu du lasso.Je sentis la corde se resserrer autour de mes paules et un instant plustard je roulais dans la poussire. Un brigand de Chinacomavait cel parderrire, pendant que ses dignes compagnons me mettaient en joue pardevant.

    Jolie position pour un sous-ocier qui avait lhonneur de servir sousDupin. Je me sentais attrap comme le corbeau de la fable.

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre III

    En vrais Mexicains qui font leur mtier avec un il aux aaires, mesbraves adversaires commencrent par me dpouiller de tout ce que je pos-sdais et qui pouvait avoir pour un sou de valeur, me donnant par ci parl quelques coups de pieds pour me faire sentir que jtais leur merci.Les pithtes les plus injurieuses ne me manqurent pas non plus, pen-dant que lon me liait solidement les bras de manire me mettre danslimpossibilit de faire un seul mouvement pour me dfendre.

    Je souris tout en silence, me rservant mentalement le droit de mevenger au centuple si jamais loccasion sen prsentait.

    On me plaa sur mon cheval, et, aprs quon met attach les jambes la sangle an quil neme prt aucune envie dessayer mchapper, nouslaissmes la grandroute pour nous enfoncer dans les broussailles. Aprsavoir voyag pendant quelques heures, nous arrivmes une mauvaisehutte abandonne, situe sur les bords dun ruisseau qui descendait desmontagnes pour se jeter probablement dans le Sabinas.

    Nous y passmes la nuit, et lon me t lhonneur de placer une sen-tinelle pour veiller sur moi, prcaution bien inutile, grce aux liens dontjtais littralement couvert des pieds la tte.

    Avec une libralit que je nattendais pas deux, mes gardiens me don-nrent ma part dun souper excellent quils prparrent avec soin, et ilsmorirent mme un bon verre de mezcal que jacceptai volontiers.

    Aux questions que je s pour savoir ce que lon prtendait faire demoi, on rpondit invariablement que je saurais le lendemain soir quoimen tenir ce sujet.

    Jattendais avec une impatience que vous comprenez, lecteur, lheurequi mapprendrait le sort qui mtait rserv.

    Je dormis tant bien que mal, et nous reprmes de bonne heure un sen-tier qui conduisait la grandroute.

    Jtais toujours cel jusquaux oreilles, et je faisais fort piteuse mineentre les deux grands gaillards chargs de me garder.

    Vers midi, nous avions atteint Lampasas ; et ce nest que lorsquejaperus un bataillon de Chinacos qui grouillaient sur la place publique,que je commenai comprendre ce quon voulait de moi.

    Je sentis que, selon leur habitude, les juaristes allaient dabord es-sayer de me faire causer, en morant probablement un grade quelconque

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre III

    comme prix des renseignements que je pourrais leur donner, et que, si jemy refusais absolument, on pourrait bienme faire passer larme gauche.

    Cette manire dagir avec leurs prisonniers tait proverbiale chez lesMexicains, et je my attendais avec un calme assez mal emprunt mondessein bien arrt de paratre indirent au danger de ma position.

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  • CHAPITRE IV

    J aux vicissitudes de la vie de soldat, lors-quune ordonnance vint mannoncer que lon mattendait chez legnral Trevino, dont la brigade se trouvait de passage Lampa-sas.

    Je connaissais Trevino de rputation comme lun des bons gnrauxqui avaient accept du service sous Juarez, et je remerciai mentalementmon toile de cette sorte de bonne fortune dans mon malheur.

    Aprs avoir coup mes liens pour me permettre de marcher, on meconduisit dans une grande salle, au rez-de-chausse du palais municipal,o lon me t attendre le bon plaisir de Son Excellence le gnral com-mandant suprieur.

    Si lexactitude est la politesse des rois, il nous a toujours paru videntque les rois duMexique devaient tre dune impolitesse criante, en jugerpar la conduite des fonctionnaires de la rpublique actuelle.

    On me t attendre deux longues heures sans boire, ni manger, ce qui

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre IV

    me parut dun mauvais augure pour la bonne humeur du gnral.Quand la vie dun homme est en jeu, il devient superstitieux en diable,

    et les vnements les moins importants sont ses yeux des pronosticssrieux.

    On me transmit enn lordre davancer, et je me trouvai en prsencede celui qui allait dcider, si, selon la coutume, je devais aller avant long-temps me balancer au bout dun lasso, suspendu aux branches de larbrele plus voisin.

    Jentrai dun pas ferme et en prenant un air assur qui saccordaitassez mal avec les ides noires qui se croisaient dans mon cerveau.

    Plusieurs ociers taient assis autour dune table couverte de carteset de dpches. Le gnral, en petite tenue, arpentait la salle de long enlarge et semblait absorb dans ses penses. Au bruit que rent mes gardesen entrant, il leva la tte et me t, de la main, signe davancer prs de lui.

    Mes hommesmapprennent, dit-il, quils vous ont arrt sur la routedeMonterey Salinas ; et il me parat pour lemoins curieux que vous ayezeu laudace de vous aventurer sur un terrain compltement au pouvoir denos troupes depuis plusieurs mois. Ceux qui vous ont fait prisonnier vousaccusent despionnage, et mest avis quils ont raison.Quavez-vous direpour vous dfendre ?

    Rien, gnral. Il est permis vos gens de maccuser despionnagequand vous savez que je ne puis apporter aucune preuve pour les contre-dire. Je connais les lois de la guerre pour les avoir plusieurs fois excutesmoi-mme sur lordre de mes suprieurs. Je ne suis pas un espion, mais ilmest probablement impossible de vous le prouver. Les raisons qui montport entreprendre le voyage de Salinas sont dune nature tout faitpacique ; je vous en donne ma parole de soldat.

    Le gnral xa sur moi un il scrutateur, mais je supportai son regardavec une assurance qui me parut produire un bon eet.

    Et ces raisons, quelles sont-elles ?Je baissai la tte en souriant et je relatai au gnral tonn, mon amour

    pour Anita et ma rsolution de lui dire bonjour en passant par Monterey.Je lui s part de ma rsolution de me rendre Salinas malgr les avis quejavais reus de la prsence des juaristes en cet endroit, et je lui racontaimon arrestation subsquente par ses hommes.

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre IV

    Il continua sa promenade pendant quelques minutes, on paraissait r-chir la plausibilit de mon histoire ; puis se tournant vers moi tout coup :

    Vous me paraissez un bon diable, dit-il et je crois que vous me ditesla vrit. Mais si vous ntiez un des hommes de Dupin, jajouterais peine foi vos paroles. Votre rgiment se bat comme une brigade et lesbons soldats sont amoureux en diable, les Franais surtout. Que diriez-vous, sergent, si je vous orais les paulettes de capitaine dans un de mesrgiments de lanceros ?

    Je dirais, gnral, que vous voulez probablement vous moquer demoi, ce qui serait peine gnreux de votre part.

    Rien de plus srieux. Dites unmot et vos armes vous seront renduesavec votre libert. De plus, comme je vous lai dj dit, une compagnie debraves soldats de la Rpublique mexicaine sera place sous vos ordres.

    Gnral Trevino, rpondis-je en me redressant et en le regardant enface, si quelque malheureux, oubliant son devoir et son honneur de soldatloyal, a pu sans mourir de honte prter son pe dans de telles conditions,apprenez que je ne suis pas un de ces hommes-l. Plutt mille fois mourirsimple soldat dle mon devoir dhonnte homme, que de vivre avec ungrade que jaurais achet au prix dune trahison honteuse.

    Est-ce l votre dernier mot ? Oui, gnral. Et vous avez bien rchi ? Jai bien rchi.Le gnral parut absorb dans ses penses pendant quelques instants,

    puis se tournant vers lun de ses aides-de-camp : Capitaine Carrillos, dit-il, vous verrez ce que le prisonnier soit

    conduit sous bonne escorte au camp de Santa Rosa, pour y tre internjusqu nouvel ordre. Et faisant signe de la main aux gardes qui mavaientintroduit, il me renvoya au corps de garde en attendant mon dpart quine devait pas longtemps tarder.

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  • CHAPITRE V

    P javais la vie sauve ; mais, sil me fallait en croireles rcits de ceux de nos soldats qui avaient eu lexprience dequelques mois de captivit chez les Mexicains, je navais gure men fliciter.

    Les Mexicains, de rares exceptions prs, traitaient leurs prisonniersun peu la manire des Indiens des plaines de lOuest.

    Chez eux, ctait lesclavage accompagn de tous les mauvais traite-ments que suggrait ces soldats demi-brigands leur nature sauvage etvindicative.

    Il me restait cependant une dernire chance : lvasion.Cote que cote, jtais bien dcid tout risquer pour recouvrer ma

    libert. Aussi, commenai-je linstant mme former des plans plus oumoins pratiques pour mchapper des mains des Chinacos.

    Le lendemain, de grand matin, anqu de deux cavaliers et cel denouveau des pieds la tte, je prenais la route de Santa Rosa.

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre V

    Commenous tions en pays ami pour les juaristes, mes gardesme lais-srent une certaine latitude ; et neussent t les liens qui me gnaient ter-riblement, je naurais pas eu trop me plaindre de ces messieurs. Trente-six heures de route devaient nous conduire au camp, et, en attendant, jeme creusais la tte pour trouver le moyen de tromper mes Mexicains.

    Si javais eu de lor, jaurais pu les acheter corps et mes, car il estproverbial que ces braves descendants de Cortez comme leurs anctres ne savent gure rsister aux appas dune somme un peu respectable ;mais je navais pas un sou. On mavait tout enlev.

    Nous campmes, le premier soir, aux environs de Monclova. Et je pas-sai la nuit mditer des plans dvasion, tous les uns plus impossibles queles autres.

    Nous nous remmes en route de bonne heure, dans lesprance pourmes gardes, bien entendu de pouvoir atteindre le soir mme le but denotre voyage.

    Je commenais croire, aprs tout quil me faudrait attendre une oc-casion plus favorable, et je me rsignais subir mon sort tant bien quemal, quand vers trois heures de laprs-midi, nous nous arrtmes laHa-cienda de los Hermanos pour reposer nos chevaux et prendre nous-mmesun dner dont nous avions grand besoin.

    L, jappris dun pon domestique que les Franais avaient tvus la veille sur la route de Paso del Aguila, et un rayon desprance vintrelever mon esprit abattu.

    Mes gardes se htrent de prendre un mauvais repas compos de tor-tillas et de frijoles dont ils morirent une part assez librale que jacceptaiavec plaisir.

    Ils avaient appris comme moi que les Franais rdaient dans les en-virons, et ils tenaient probablement atteindre Santa Rosa le soir mme,an de se trouver labri des attaques des claireurs impriaux qui bat-taient la campagne.

    Ils ignoraient que je fusse au courant de la cause de ce dpart prcipit,mais comme je lai dit plus haut, jen avais t inform aussitt queux.

    Je dsirais donc ardemment ce quils paraissaient redouter : la ren-contre de quelque dtachement de troupes franaises qui auraient bienpu intervertir les rles et les faire prisonniers leur tour en me rendant

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre V

    la libert.

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  • CHAPITRE VI

    N en route en grande hte et je crus mapercevoir,cette fois, que jtais devenu lobjet dune surveillance beau-coup plus svre. On avait resserr mes liens avec une solli-citude qui ne me prsageait rien de bon ; et il tait craindre quen casdune attaque soudaine je fusse le premier recevoir les balles amies desFranais.

    Nous galopions cependant depuis une heure et nous navions encorerien aperu qui pt donner raison aux craintes de mon escorte.

    Malgr tout, jesprais toujours, et mon attente ne fut pas de longuedure.

    Soudain un bruit lointain de voix animes parvint mes oreille et mesgardes rent une halte spontane. Ils se consultrent voix basse et lundeux se tournant vers moi :

    Je vous avertis, dit-il, quau premier mouvement suspect de votrepart, je vous brle la cervelle.

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre VI

    Mouvement suspect ! Jaurais bien voulu pouvoir en faire de cesmouvements-l, entortill comme je ltais par un lasso en cuir qui memordait dans les chairs.

    Jaurais pu crier ; mais mes diables de Chinacos ne men laissrentpas la chance. On me baillonna prcipitamment, en mtouant sous lesplis dun mauvais foulard quon avait oubli de me consquer, lors de macapture sur la route de Salinas.

    Je maperus que mes deux juaristes auraient voulu se voir centpieds sous terre, quoiquils ne fussent pas encore certains de la naturedes bruits qui nous arrivaient de plus en plus distincts.

    Pour moi, je navais qu faire le mort, et me rsigner, impatiem-ment si vous le voulez, mais cest peu prs tout ce que je pouvais fairedans des circonstances aussi peu rassurantes. En attendant, mes Mexi-cains demeuraient indcis et ne savaient videmment quel parti prendre.

    Ils ne restrent pas longtemps dans lattente.Un clat de rire prolong accompagn dun juron formidable venaient

    de nous apprendre qui nous avions aaire.Les Franais sapprochaient en nombre.Un brusque dtour de la route seul les empchait de nous apercevoir.Mes Mexicains ne furent pas lents saisir la situation et tourner

    bride.Enfonant leurs perons aux ancs de leurs chevaux, et forant ma

    monture prendre les devants, ils partirent fond de train, poursuivispar les troupiers franais qui venaient de nous apercevoir.

    Nos chevaux bondissaient et allaient comme le veut sur la route quenous venions de parcourir.

    Attach comme je ltais sur mon cheval qui ne sentait pas la maindun cavalier pour le conduire et qui faisait des eorts pour me dsaron-ner, je fus pris dun vertige qui me t bientt perdre connaissance.

    Jentendis vaguement quelques coups de feu ; jentrevis, comme dansun rve, luniforme bleu-ciel des chasseurs dAfrique qui galopaient au-tour de moi, et ce fut tout.

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    18

  • CHAPITRE VII

    Q moi, jtais couch au pied dun arbre et untringlot me prsentait une potion que je bus avec avidit.Aprs avoir apais la soif ardente qui me dvorait, mon premiersoin fut de me tter pour voir si jtais bien toutl. Rien ny manquait ; jentait quitte pour une lgre blessure la main droite. Javais eu la join-ture du mdium emport par une balle franaise durant la course cheve-le que mavaient fait prendre mes amis les Chinacos. Je regardai autourde moi et je vis, non sans quelque satisfaction, que mes gardiens taientmes prisonniers du soir. Mes deux juaristes taient solidement lis auxroues dune voiture du train qui accompagnait lescadron des chasseursdAfrique qui je devais la libert.

    Jen tais l de mes rexions, quand un brigadier savana vers moien me demandant de mes nouvelles.

    Je reconnus en lui un camarade de garnison de Tampico, et il me ra-conta en quelques mots que son dtachement tait en route de Camargo

    19

  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre VII

    Piedras Negras, do il devait aller rejoindre lexpdition qui se prparait envahir les tats de Durango et de Chihuahua.

    Je remerciai ma bonne toile dtre tomb en aussi bonnes mains.Huit jours plus tard, le bras droit en charpe, et ne me sentant nul-

    lement lenvie daller voir Anita, en passant par Monterey, je prenais laroute de Matamoros par la diligence de Laredo.

    Je trouvai l la premire compagnie dinfanterie de la contre-gurilla,qui avait ross dimportance, quelques jours auparavant, un bataillon dela brigade de Cortinas.

    Je me prsentai au capitaine commandant, qui me connaissait dj, etqui me flicita de la bonne tournure quavait prise mon escapade damou-reux.

    Je rejoignis mon escadron, qui partait pour les ctes du Pacique, et jene revis jamais Anita, quoique je naie pas encore oubli nos promenadessur la plaza de Monterey.

    n

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  • CHAPITRE VIII

    C 1869.Ma carrire militaire avait t brusquement termine par lex-cution du Cerro de las Campanas .Aprs avoir visit la France avec la plupart de mes compagnons darmeset avoir pass quelques mois la Nouvelle-Orlans, javais repris le che-min du Mexique.

    Jtais employ comme comptable interprte, au chemin de fer de VeraCruz Mexico. Cette ligne commence depuis nombre dannes tait en-n termine sur toute sa longueur, de Vera Cruz la capitale, et, pourclbrer cet vnement, il y avait grand banquet au palais municipal dePuebla. Le prsident de la Rpublique y assistait accompagn dun nom-breux tat major. Les gouverneurs des dirents tats avaient aussi r-pondu linvitation des capitalistes anglais qui avaient conduit bonnen, malgr les dicults sans nombre quavait engendres la guerre ci-vile, lentreprise de relier Mexico au littoral du golfe par une voie ferre.

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre VIII

    Jassistais la fte comme employ, et la vue de tous ces gnraux delarme de Juarez me rappelait de bien tristes souvenirs.

    Par hasard, pendant le grand bal de gala qui eut lieu pour clore lesrjouissances du jour, je me trouvai plac auprs du gouverneur de ltatde Nuevo Leon : le gnral Geronimo Trevino.

    Je me rappelais la gure de celui-l : ctait mon homme de Lampasasqui avait jug propos de mexpdier Santa Rosa o je narrivai jamais,au lieu de me faire danser au bout de la branche dun arbre, comme on enavait lhabitude en ces temps-l.

    Je lui devais de la reconnaissance. Je me s prsenter par un ami, etjentamai la conversation.

    Aprs les compliments dusage en pareille occasion, je lui demandaisil se rappelait, par hasard, les circonstances de notre premire entrevue Lampasas, en 1866.

    Il se remettait ma gure et il me demanda de vouloir bien lui rafrachirla mmoire par un rcit circonstanci des vnements qui avaient marqunotre premire rencontre.

    Je lui redis mon histoire, et il me flicita davoir pu, en des temps aussidiciles, men tirer avec la vie sauve.

    Nous causmes longuement, et il mavoua que javais eu une chancetoute particulire de ne pas lavoir rencontr quinze jours plus tard.

    Je lui en demandai la raison. Ma brigade quitta Lampasas, le lendemain de votre dpart pour

    Santa Rosa, me rpondit-il. Nous nous rendions Durango avec le des-sein dattaquer le colonel Jeanningros, qui sy trouvait en garnison avecun bataillon de la Lgion trangre. Nous attaqumes avec des forces su-prieures, et force fut au brave colonel dvacuer la ville et de se retirer de-vant nos troupes. Nous avions raison de croire que nous resterions en pos-session du pays, au moins pour quelques jours, les troupes franaises setrouvant alors en grande partie occupes dans les Terres Chaudes. Nousavions compt sans Dupin qui rdait dans ces parages. Deux jours aprsnotre entre, Jeanningros, que nous croyions en pleine droute, revint la charge et nous attaqua assez vivement pour me dcider dtacher deuxrgiments de ma brigade, pour le combattre en rase campagne. Ce diablede Dupin stait concert avec lui, et nos soldats avaient peine franchi

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  • Anita, souvenirs dun contre-guerillas Chapitre VIII

    les fortications et engag le feu contre la Lgion trangre, que deux es-cadrons de cavaliers et une batterie de campagne des contre-gurillas, ca-chs dans le chapparal, se rurent sur notre arrire-garde. Je commandaisen personne,maismes hommes crurent aux cris pousss par les diaboloscolorados que nous avions aaire des forces suprieures. Une paniquesensuivit, et nous rentrmes ple-mle dans Durango, aprs avoir perducinq cents hommes tus, blesss et faits prisonniers. Le soir mme, la fa-veur de lobscurit, nous fmes forcs, notre tour, de nous retirer devantles forces combines de Jeanningros et de Dupin. Jugez de mon humeur.Cest ce qui me fait vous dire que si javais eu alors entre mes mains unhomme appartenant la contre-gurilla, je lui aurais tout probablementfait passer un mauvais quart dheure.

    En eet, rpondis-je, jai entendu le colonel Dupin lui-mme ra-conter les dtails de cette aaire. Mais que voulez-vous, gnral, malgrtous nos succs dalors, les circonstances nous ont forcs dabandonnerlespoir dtablir un empire sur le sol du Mexique. Esprons ensemble quelavenir rserve votre pays une re de paix et de prosprit.

    Le gnral me serra la main et me remercia de mes bons souhaits pourla Rpublique mexicaine.

    La foule me spara bientt du gnral Trevino, et je ne lai jamais revudepuis ; jai appris seulement quil sest dernirement ralli au gouverne-ment de Porrio Diaz, aprs avoir eu lui-mme des vellits de candida-ture au fauteuil de prsident de la Rpublique.

    n

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  • Table des matires

    I 2II 5III 8IV 11V 14VI 17VII 19VIII 21

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  • Une dition

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    Achev dimprimer en France le 11 juin 2015.