Benchicou Mohamed - Bouteflika Une Imposture Algérienne

Embed Size (px)

Citation preview

  • BOUTEFLIKAUNE IMPOSTUREALGRIENNE

    MOHAMED BENCHICOU

    BO

    UT

    EFLI

    KA

    :U

    NE

    IMPO

    STU

    RE

    ALG

    RIE

    NN

    EM

    OH

    AM

    ED B

    ENC

    HIC

    OUComment ne pas penser LAutomne du

    patriarche de Garcia Marquez, o est dcrit lemonde de la dictature la sud-amricaine ?Cupidit, soif maladive du pouvoir, abus sexuels,telles sont les caractristiques du pouvoir destyrans. Mais dans ce livre, nous sommes bienloin de la cocasserie et de la jubilation du romancolombien. Peut-tre qu lavenir, ce livre pren-dra une dimension burlesque sagissant desaventures de lenfant adultrin dun systmegrabataire et dune dmocratie viole . Pourlheure, il a des rsonances tragiques, car il sagitde notre avenir et de notre dignit nationale.Plus quune charge contre Abdelaziz Bouteflika,lauteur tablit une chronique du temps perdudans la recherche dun destin national digne denos innombrables sacrifices.

    Il dnonce avec force autant larlequin trans-form en hros que le systme, port par des par-rains aux biographies falsifies, qui la mis surscne.

    Ce livre a le courage du combat men visagedcouvert. Mohamed Benchicou ne sattaque pas un prince dchu. Il apporte la braise de sonindignation morale et de sa colre citoyenne la face du matre de lheure, pendant que ce dernier se rclame de lamiti des puissantsde ce monde, de la lgitimit dun scrutin tron-qu, use de la puissance persuasive des milliardsdune cagnotte nationale dtourne et de la forcedissuasive dune justice rduite au triste rle degelier auxiliaire.

    Oui, ce livre est vhment et sans concessions !Mais il est surtout prcis et document. Il reposesur des crits, des tmoignages et des docu-ments indiscutables car authentiques.

    ISBN : 9961-854-06-3

    Moh

    /Le

    Mat

    in

    Mohamed Benchicou,journaliste depuis 1974,fut rdacteur en chefdu premier journalindpendant algrien,Alger rpublicain.Il est directeur duquotidien Le Matindepuis sa fondation en 1991.

    Ph

    oto

    couv

    ertu

    re :

    Rya

    d/Le

    Mat

    in

    AdminZone de texteJJ

  • BOUTEFLIKAUNE IMPOSTURE ALGRIENNE

  • MOHAMED BENCHICOU

    BOUTEFLIKAUNE IMPOSTURE

    ALGRIENNE

  • Editions LE MATIN

  • A ma mre dont la police de Zerhouni a viol le domicile.

    A ma femme Fatiha, mes filles Naziha et Nassima, mon fils Nazim, qui mont

    accompagn de leur amour.

    A cette terre qui ma vu natre.

  • Le coup dEtat tait cuirass ;La Rpublique tait nue.

    Victor Hugo

  • Prologue

    Ce livre doit beaucoup au prsident Bouteflika davoir vu le jour.

    En dcidant, par vellit contre un journal qui le drangeait, deplacer son directeur sous contrle judiciaire, lui interdisant dequitter le territoire national, le chef de lEtat a procur au jour-naliste, que je suis, cette stabilit que la presse interdit souvent ceux qui la pratiquent. Jai pu ainsi prendre le temps de mescontacts, lire et compulser les quelques dtails qui mont laissentrevoir une carrire sans grandeur.

    Enquter sur la vie de Bouteflika nest, cela dit, pas ais :lhomme na inspir aucun auteur qui eut pu en conserverquelques fragments de postrit. Il a butin dans le champ politique algrien, ne laissant derrire lui que de vagues triviali-ts, quelques rcits piques dune science de lintrigue et de cetteruse bien algrienne par laquelle nous avons collectionn nosgrandes infortunes nationales.

    Ce livre nest cependant pas un portrait charge.Il eut t bien superflu daccabler lhomme quand il nest en

    dfinitive que lenfant adultrin dun systme grabataire etdune dmocratie viole.

    Ce livre serait plutt une chronique dun temps perdu.Abdelaziz Bouteflika est la ranon, une de plus, verse par

    13

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    14

    lAlgrie aux dpositaires divins de ce scrutin censitaire par lequelse choisit encore un chef dEtat dans lombre. Seule faon,dira-t-on, dpargner aux Algriens une direction islamiste.Est-ce bien certain ? Cette riche Algrie ne devrait pourtant pasmanquer denfants et de foi pour spargner la fois Bouteflika etles islamistes.

    Limposture Bouteflika est ne dune certaine urgence, pour lesystme accul, confrer respectabilit une carrire sans relief :lAlgrie tait invite entrer au XXIe sicle sous la directiondune figurine dont on avait fabriqu la gloire pour mieux senconvaincre du destin.

    Dun auxiliaire militaire on fit alors un civil rformateur, dunautodidacte inaccompli un lettr, dun maquisard occasionnel un hros de guerre, dun noceur avr un diplomate brillant,dun dignitaire un opposant, dun diviseur un rassembleur,dun revanchard narcissique un prophte On a mme fait deBouteflika un clibataire endurci alors que lhomme est maridepuis treize ans !

    Les parrains de ces sortilges, pris leur propre jeu, smeuventcinq ans aprs que dune vie si falsifie on na pu sortir quun pr-sident dfaillant et sans envergure, intrigant, coup de sonpoque, inapte lcoute, dpass par ses charges

    Lhomme ntait pas prpar aux grandes dcisions.Aussi, plus quune imposture, Abdelaziz Bouteflika est-il

    surtout une page du dsespoir algrien. Un terrible aveu dim-puissance dun pouvoir confront sa propre agonie et lafatuit de ses cratures.

    Parce quil se situe dans ce dbat, bouillonnant, sur la nature dusystme et sur lurgence den finir, ce livre sinterdit toute prtention lopinion dfinitive. Il nest quun regard, parmi

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    15

    dautres, sur nos impasses. Il attend dtre complt, contreditou appuy par dautres enqutes sur cette inauthenticit quonse plat nous infliger.

    Ce livre peut paratre inachev. Il lest sans doute : limpratif dele boucler avant lchance de llection prsidentielle de 2004 arelgu au secondaire un surcrot dlaboration dans lcriture ainsi que des complments de recherche qui auraientaboli certaines imprcisions.

    Ce livre peut paratre partial, ce nen tait pas lobjectif. Sesadversaires parlent plus volontiers de Bouteflika que de ses allis.

    Il peut sembler inclment envers lhomme, et il lest souvent.Sciemment. Je nai ressenti aucun devoir dindulgence lendroit dun personnage qui sest plu ce point dans la paro-die du pouvoir quil en a oblig une nation abdiquer entre sesmains une dignit pourtant acquise dans le sang. Lambition deBouteflika accumulation de basses vanits ne se situe pastrs haut dans lchelle des exigences humaines. Aigri, capricieux,gocentrique, Bouteflika a rig la vengeance en style de gestion,lencensement en systme politique et son temprament en modede gouvernance. LAlgrie, sous sa direction, aura constammentfrl le pire : la marotte a pass son temps faire jaser les marion-nettistes, activant islamisme et groupes de pression internatio-naux, fragilisant le pays par dinfinies flagorneries qui ont brimle rsistant et rhabilit lassassin. Coopter Bouteflika devait nousprmunir dun prsident islamiste. Il semble bien que nous enayons hrit des deux dun seul coup !

    Mditer Bouteflika est vital pour les ultimes diagnostics denos illusions. Au bout, nous ne saurons pas forcment ce quilfaudra faire pour nos enfants. Nous saurons, en revanche, un peuplus de ce quil ne faudra plus jamais faire contre eux.

    M. B.

  • 17

    1Le civil

    Jeudi 15 avril 1999, 14 h. Abdelaziz Bouteflika pique une grossecolre. La scne se passe, en ce jour dlection prsidentielle,dans la somptueuse villa Aziza qui abrite la fondation Boudiaf, El Biar. Le candidat du consensus , quelques heures dtresacr prsident de la Rpublique, fulminant de rage, informeMme Boudiaf, pouse de lancien prsident assassin (1), quil pliaitbagage pour partir le soir mme pour Genve et quil ne voulaitplus du fauteuil de chef de lEtat. Motif de son gros chagrin :les dcideurs , venait-il dapprendre, nallaient le crditer quede 53 % des voix, et ce score, peu flatteur pour un postulant seulen course (2), allait tre annonc dans la soire aux Algriens.

    Pas question que jaccepte un chiffre infrieur celui deZeroual (3) ! Si cest ainsi, quils trouvent un autre prsident ! stouffe le candidat Bouteflika.

    1. Le prsident Mohamed Boudiaf a t assassin le 29 juin 1992 Annaba. Il avait pris ses fonctionsle 16 janvier 1992.

    2. Les six autres candidats (Ahmed Taleb Ibrahimi, Mokdad Sifi, Hocine At Ahmed, Abdellah Djaballah, Mouloud Hamrouche et Youcef Khatib) staient retirs la veille pour protester contre la fraude annonce.

    3. Liamine Zeroual a t lu prsident de la Rpublique en novembre 1995 avec 61 % des voix.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    18

    Mme Boudiaf, alarme, alerte le gnral Mohamed Toufik Mdine, patron du Dpartement recherche et scurit (DRS),un des architectes de ces lections, un de ceux qui avaient arrtce taux presque vrai de 53 %, magique pourcentage censtre assez raisonnable pour sassurer aux yeux de lopiniondune crdibilit largement entame par le retrait brusque dessix autres postulants la prsidentielle.

    Abdelaziz Bouteflika se sentait dautant plus humili quilavait refus une semaine auparavant de se retirer son tour dela course, renvoyant schement lmissaire du pouvoir, YoucefYousfi : Allez dire Zeroual que les autres sont libres de seretirer, moi je reste ! A quoi aurait servi, en effet, de sentter postuler en solitaire pour hriter dun si faible score ?

    Toufik Mdine dboule chez Mme Boudiaf, trs remontcontre le futur prsident, oubliant jusqu sa lgendaire retenue.Il n'apprcie pas le soudain caprice du poulain Bouteflika, unefantaisie qui a toutes les allures dun chantage doubl duncamouflet pour linstitution militaire. Pour une fois laffolementavait des raisons dtre gnral. La caste militaire connaissait, eneffet, depuis 1994, laptitude de Bouteflika se dbiner la der-nire minute et le gnral Mdine nignorait pas que Bouteflikatait all jusqu exiger et obtenir sa tte en ce mme janvier 1994.Le faire revenir la raison semblait cette fois bien alatoire.

    Durant de longues heures, le chef des services secrets algriens entreprit de persuader celui qui ntait encore que lecandidat Bouteflika de se soumettre ce scnario qui ne man-querait pas de lui tre profitable une fois lu . Rien ny fit.Abdelaziz Bouteflika tenait son chiffre suprieur celui deZeroual . Quitte faire truquer, autant truquer compltementpour ma petite personne, semblait dire Bouteflika !

    Devant lobstination du futur prsident, les gnraux dcident,

  • LE CIVIL

    19

    17 h, de changer le score de Bouteflika, en concertation aveclhomme qui allait devenir dmocratiquement , trois heuresplus tard, le prsident de la Rpublique : il sera lu avec73,79 % des suffrages exprims. Liamine Zeroual avait bnficides voix de 7 088 618 dAlgriens en novembre 1995 ? Qu celane tienne : Abdelaziz Bouteflika aura 7 442 139 bulletins en safaveur, soit 353 521 de plus !

    Quand on coopte, on ne compte pas.

    A elle seule, cette anecdote de la connivence, hlas bien relle,suffirait situer une des grosses mprises de lopinion lendroit dun homme prsent comme un civil indpendant quand il na toujours t que lacolyte de la hirarchie militaire.

    Tirant tous les privilges de cet avantageux quiproquo, le prsident frachement dsign ne rpugnera pas perptuersystmatiquement la contrevrit. Il proclame qui veut len-tendre son indpendance. Je suis un candidat libre, annonce-t-il lagence Reuters. J'ai dfendu un programme pour lequel j'ait lu et qui, par chance pour moi, a t soutenu par les partisde la coalition. (1) Donc, pas par lArme. Deux semaines plustard, il assure sans sourciller devant un journaliste franais : Jai t un candidat indpendant qui a propos un programme. Le peuple a tranch en me portant la magistra-ture suprme avec une majorit trs confortable. Je considredonc que jai des soutiens dans tous les courants qui traversentla socit. (2)

    Derrire cette assurance ostensiblement affiche, le prsidenttrane toutefois un douloureux malaise du mal-lu quil

    1. Reuters, le 1er septembre 1999.

    2. Le Parisien du 14 dcembre 1999.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    20

    nassumera quavec des arguments maladroits et dont il ne se remettra jamais en dpit du substitut rfrendaire du 16 septembre 1999. (1)

    Cest que le malentendu est aussi sommaire quil semble ltre :Bouteflika est un faux civil. Une crature du pouvoir militaire.

    Le quiproquo aura profit lhomme et enfant les illusionschres aux socits de lencensement. Des milliers de courtisansabuss y avaient vu le porteur de rves de liberts pour saperce-voir quil ntait, au final, que le postulant une certaine supr-matie, comme celles qui peuplent lesprit de tout monarquegalonn.

    Le prsident que les Algriens venaient de se donner a toujourst, depuis 1957, un auxiliaire militaire soigneusement camouflsous une apparence civile. Le travestissement ne le gne pasoutre mesure. Est-ce que vous pensez que je suis un civil ouun militaire ? Voil des notions bien relatives , sinterroge-t-il, faussement dubitatif, devant le journaliste du Die Welt (2)

    avant de clarifier ses propos par une trs significative parabole : Peu importe que le chat soit gris ou noir, l'essentiel, me sem-ble-t-il, c'est qu'il attrape les souris. Etre militaire ou civil neserait, en somme, quune question de couleur !

    Cette nature bicphale quil na pas rsolue intrieurement etquil na jamais assume allait dteindre sur tout le mandat prsidentiel 1999-2004 et en expliquer en bonne partie ladconfiture : Bouteflika cumulait dans une mme performanceles tares du militaire et du civil sans disposer de quelque grce

    1. Pour sassurer dun plbiscite populaire qui ferait oublier la dconvenue du 15 avril, le prsidentBouteflika a tenu organiser un rfrendum sur la concorde civile que rien ne justifiait.

    2. Die Welt du 27 aot 1999.

  • LE CIVIL

    21

    de lun ou de lautre. Il a oubli davoir du militaire, nen ayantpas accompli les sujtions, le sens de la subordination aux devoirsmajeurs, une certaine grandeur dans lhumilit et lattachement la discipline. Il a soigneusement hrit du reste : larrogance, lempris, la tentation totalitaire, le penchant monarchiste et le gotdes rglements de comptes. Il en usera et abusera durant cinq ansjusqu en faire la griffe principale de son rgne.

    Le quiproquo autour du faux civil Bouteflika entranera, chezles observateurs, une lourde erreur danalyse : on a interprt lesdivergences qui lopposaient aux militaires comme des dsac-cords classiques qui naissent habituellement entre un prsidentcivil, attach des rformes dmocratiques et une hirarchiemilitaire agrippe ses privilges et qui mettait tout son poidspour le contrarier. Il nen est rien des brouilles entre Bouteflikaet les gnraux : elles sont exclusivement dues la tenace volontdu prsident algrien de soctroyer par la force un pouvoir absolu.Bouteflika ne dsirait pas de rformes dmocratiques, il cher-chait, en bon putschiste de carrire, asseoir un pouvoir personnel, changer la Constitution afin dy consacrer le pouvoirprsidentiel, liminer les contre-pouvoirs quelle prvoyait.

    Il me faut rcuprer d'abord mes attributions constitution-nelles qui ont t disperses partir de 1989, il faut que jereprenne mon rle prsidentiel, avouait-il dj en 1999. Cergime algrien, il n'est ni prsidentiel ni parlementaire. Le pr-sident est lu sur la base d'un programme, il nomme un Chef degouvernement qui, lui, prsente un programme au Parlement.Donc, cela peut tre un deuxime programme. Il y a une contra-diction immense, immense. (1)

    Ahmed Benbitour, qui fut, en tant que Chef de gouvernement,

    1. Europe 1, le 7 novembre 1999.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    22

    victime de ces vellits autocratiques du prsident, est sans nuancedans son jugement : Nous vivons sous un totalitarisme d'uneautre re, s'appuyant sur le culte de la personnalit, le mpris du peuple et la profanation permanente de la Constitution et de sesinstitutions.

    Quant lavocat Ali-Yahia Abdenour, prsident de la Ligue algrienne de dfense des droits de lHomme, il rvlera, en octobre2003, un dcompte droutant : le prsident Bouteflika a violsoixante-deux fois la Constitution en quatre ans !

    Militaire dans sa tte, Abdelaziz Bouteflika ne croyait rien devoir la socit civile quil mprisait prcisment parce quelle ne dispo-sait daucun pouvoir comparable celui des gnraux et dont il eut pu tirer dividende. Il le confirme lui-mme en voquant lpisode de janvier 1994 celui de la premire cooptation rate :

    Je voulais tre en effet le candidat de lArme. Uniquement delArme. Je ne voulais avoir de fil la patte ni avec la socit civileni avec la mouvance islamiste. En tant que candidat de lArme, jeme prsentais en rconciliateur. (1)

    Elisabeth Shemla, qui rapporte ces aveux prsidentiels, poursuit : Bouteflika confirme quau dernier moment, lpoque, ilsavaient mme fix lheure et le crmonial de la prestation de ser-ment, mais quil stait retir, refusant de sincliner devant les civilsde la Confrence de lentente qui, dune main agile, voulaient faire duchef de lEtat le fond de pouvoir dun conseil dadministration puis-sant qui lui donnerait des instructions ! (2)

    Bouteflika, avec son souverain ddain pour ses compatriotes civils,ambitionnait de ne partager le pouvoir quavec les militaires.

    1. Elisabeth Shemla, Mon journal dAlgrie, novembre 1999 - janvier 2000, Flammarion, 2000.

    2. Elisabeth Shemla op. cit, pages 238 et 239.

  • LE CIVIL

    23

    Pourquoi dsigner un ministre de la Dfense civil ? Cela neme parat pas se rapprocher des grandes ides rvolutionnai-res , lche-t-il au mme journaliste allemand, avouant uneposition hostile que lopinion a longtemps attribue la hirar-chie militaire (1).

    De ce ddain est sans doute ne lindiffrence quil a toujoursdveloppe en direction de la population pendant ses cinq annesde rgne et le peu de considration quil a tmoign envers lesrevendications populaires, commencer par la crise de Kabyliedont il a trait les habitants de nains , sans oublier les ensei-gnants quil tenta dhumilier en cassant la grve de lautomne2003 par le gourdin et le chantage du licenciement.

    Historiquement, Abdelaziz Bouteflika a toujours t prsentdans les pisodes o le pouvoir civil a d cder du terrain au pou-voir militaire. Il est lhomme lige auquel les chefs militaires ontfrquemment d avoir recours pour concevoir, puis mener et,enfin, expliquer et lgitimer des pronunciamientos quils soientdirects ou maquills. Il eut souvent une conception plus mili-taire des vnements que les militaires eux-mmes.

    Sa premire grande mission russie au bnfice des militairesdate de dcembre 1961. Lindpendance de lAlgrie devenaitimminente et le dbat sur le futur Etat algrien sinstallait alorsavec la passion et les calculs quon devine. Pouvoir civil ou mili-taire ? Linterrogation divisait ltat-major gnral de lALN,dirig par le colonel Houari Boumedine et le Gouvernementprovisoire de Benyoucef Benkhedda. Pouvoir civil ou militaire ?

    1. Il a fallu que le gnral Lamari sexprime en personne sur la question au magazine franaisLe Point pour que lopinion apprenne que lArme na jamais refus la dsignation dun civil la tte du ministre de la Dfense nationale.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    24

    Le mieux, estiment les chefs de lArme, serait encore drigerun chef dEtat civil infod aux militaires.

    La formule sera adopte pour toujours.Qui pourrait tre ce chef dEtat suffisamment complice pour

    napparatre quen vitrine, mais assez crdible pour simposerdevant lopinion ? Les regards se tournent vers les cinq diri-geants du FLN dtenus au chteau dAulnoy, en rgion pari-sienne, aprs lavoir t la Sant, au fort de lle dAix, puis Turquant, en Touraine.

    Ahmed Ben Bella, Rabah Bitat, Mohamed Khider, Hocine At Ahmed et Mohamed Boudiaf avaient accumul, en cinq ansde dtention, un capital moral qui faisait deux les recours privi-lgis du conflit. (1) Qui parmi eux accepterait de devenir le pre-mier prsident civil de lAlgrie indpendante alli auxmilitaires ? Pour le savoir, le colonel Boumedine dpcha,dbut dcembre 1961, auprs deux le capitaine Abdelaziz Bou-teflika avec pour recommandation spciale de privilgier la can-didature de Mohamed Boudiaf qui, selon Rdha Malek, undes ngociateurs Evian et ancien Premier ministre, il vouaitune secrte estime pour avoir travaill avec lui .

    La mission de Bouteflika, confirme le premier prsident duGPRA, Ferhat Abbas, consistait trouver parmi les cinq pri-sonniers un ventuel alli (aux chefs militaires) . (2) Le com-mandant Rabah Zerari, dit Azzedine, qui tait, avec Kad Ahmedet Ali Mendjeli, lun des trois adjoints de Boumedine

    1. Le 22 octobre 1956, le DC-3 marocain, dcollant de Rabat et transportant vers Tunis Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider, Hocine At Ahmed et Mohamed Boudiaf, accompagns de MostefaLacheraf, a t intercept au-dessus dAlger par les autorits coloniales. Les dirigeants algriensdevaient reprsenter le FLN au sommet tripartite maghrbin qui devait se tenir Tunis les 22 et 23 octobre. Ils seront incarcrs en France jusquen mars 1962, en compagnie de Rabah Bitat quiavait t arrt le 23 novembre 1955.

    2. Ferhat Abbas, Lindpendance confisque, Flammarion, 1984.

  • LE CIVIL

    25

    ltat-major gnral avant quil nen dmissionne en aot 1961,est plus direct : Bouteflika tait, en vrit, charg de vendre uncoup dEtat aux cinq dirigeants. (1)

    Proposer la prsidence Boudiaf ? La mission tait dautantplus risque que Bouteflika nignorait rien des opinions poli-tiques de Boudiaf, notoirement connu pour tre un esprit hos-tile aux accommodements en politique, acquis au multipartismeet lindpendance du pouvoir politique et dont, en cons-quence, il fallait sattendre au refus de se laisser choisir commeparavent par les chefs militaires. Herv Bourges, homme demdias franais, qui rendait souvent visite aux cinq dtenus enqualit de reprsentant dEdmond Michelet, le ministre de la Jus-tice de De Gaulle, apporte un tmoignage saisissant sur ledtenu Boudiaf : Je lai bien connu Turquant, o il mappa-raissait comme le plus dur des cinq, le plus ancr dans ses convic-tions, dcid ne pas en dvier, mfiant lgard de sescompagnons et de leurs conceptions idologiques, notammentpour ce qui concerne Ben Bella dont il se sparera trs vite, lesouponnant, dj, de vouloir sarroger un pouvoir personnel.Boudiaf sera demble hostile lide du parti unique, o il voitles germes dune dictature, mme sil sagit de ce prestigieuxFLN qui sort vainqueur aurol de la guerre de libration etauquel il appartient depuis le dbut. (2)

    Aussi, le trs avis missaire Abdelaziz Bouteflika, soucieux degarantir lhgmonie militaire aprs lindpendance, fit sonaffaire dcarter lobstin dmocrate Boudiaf au profit du comprhensif Ben Bella. Ce dernier prsentait limmense

    1. Tous les tmoignages entre guillemets proviennent de conversations avec lauteur.

    2. Herv Bourges, De mmoire dlphant, Grasset, 2000.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    26

    avantage de ne voir aucune objection sallier ltat-major,fut-ce au risque dun grave conflit fratricide.

    Lentrevue quil eut avec Boudiaf se droula trs mal,rapporte le commandant Azzedine. Boudiaf a non seulementrefus nergiquement dtre coopt par ltat-major, mais sof-fusqua que lmissaire de Boumedine, quil houspilla publique-ment, lui ft pareille proposition fractionnelle au moment o lesAlgriens taient appels aller unis aux ngociations avec lesFranais. Il le renvoya schement. Bouteflika comprit alors toutlavantage quil y avait pour ltat-major opter pour Ben Bella,trs conciliant et qui, dailleurs, prit en apart lenvoy spcial deBoumedine pour lui faire part de sa disponibilit.

    Ben Bella et Bouteflika se sont fait des mamours verbaux, ilsse sont sduits mutuellement avec leurs savoir-faire respectifs ,a appris Ahmed Taleb Ibrahimi, incarcr lpoque dans unautre lieu de dtention. Bouteflika sadressa alors Ben Bella quiaccepta dtre lhomme de ltat-major, raconte Ferhat Abbas.Cette alliance, demeure secrte, allait peser lourdement sur lavenir du pays. (1) On le comprit quelques mois plus tard : Ce qui a pouss Boumedine affronter le GPRA, ctait lal-liance quil avait scelle avec Ben Bella Aulnoy, rcapituleRdha Malek. Alliance rciproquement avantageuse. Boume-dine avait besoin dun politique et Ben Bella dun fusil. (2)

    Lmissaire Bouteflika avait russi sa mission. Il quitte htive-ment Paris pour Londres do il appelle le colonel Boumedinepour lui annoncer le succs de lopration. Quelques joursplus tard, raconte Rdha Malek, Boumedine et Ben Bella ont

    1. Ferhat Abbas, op. cit.

    2. Rdha Malek, LAlgrie Evian, Le Seuil, 1995.

  • LE CIVIL

    27

    un entretien tlphonique. Ils se disent trs satisfaits de la missionde Bouteflika. Lalliance est scelle. (1)

    Bouteflika venait dassurer lintrt du pouvoir militaire encartant Mohamed Boudiaf et en propulsant Ahmed Ben Bella.

    Ben Bella entrera Alger en 1962 comme il en sortira en1965, par les chars de Boumedine. A chaque fois, le sang algriena coul. Dans les deux cas Abdelaziz Bouteflika a jou le rledagent dtonateur au service des chefs militaires.

    Pour imposer Ben Bella en 1962 contre lavis du Gouverne-ment provisoire de la Rpublique algrienne (GPRA), de certai-nes personnalits marquantes et dune partie de lALN, il a falluutiliser la force. La composition du premier Bureau politique duFLN, donc de la premire direction de lAlgrie indpendante,tait le principal enjeu entre les diffrentes tendances. Boume-dine et Ben Bella voulaient une direction acquise ltat-major, o ne figureraient pas les ministres du GPRA, notammentles trois B qutaient Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf etLakhdar Bentobbal, trois des vritables meneurs de la Rvolution.Ecarter le GPRA de la direction politique du pays ouvrait la porte toutes les drives, voire une guerre entre Algriens.Ben Bella, confort par le soutien des militaires, osa nanmoins lecoup de force : le 22 juillet 1962, il annonce unilatralement partir de Tlemcen la constitution complte du Bureau politique,compos des cinq dtenus dAulnoy auxquels sajoutaient HadjBen Alla et Mohammedi Sad, qui deviendra plus tard dirigeantdu Front islamique du salut. At Ahmed refuse de faire partie de ce bureau et part pour Paris, Boudiaf en dmissionnera

    1. Rdha Malek, LAlgrie Evian, Le Seuil, 1995.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    28

    rapidement. De fait, le GPRA est mort, son prsident Benyou-cef Benkhedda est compltement dbord par les vnements.

    Ce coup de force de Ben Bella, cest la suite logique de lalliance scelle Aulnoy entre lui et lArme par le biais deBouteflika. Lavocat Ali Haroun, ancien responsable de la Fd-ration de France du FLN et ancien membre du Haut-ComitdEtat (HCE) entre 1992 et 1994, qui tudia de prs la priodedont il fut un tmoin privilgi et laquelle il consacrera un livre, confirme par ce rcit dune rencontre quil eut avec Ben Bella en juillet 1962 :

    Lon savait dj que Boumedine, chef dtat-major, avait,par lintermdiaire du capitaine Si Abdelkader, alias AbdelazizBouteflika, sollicit lappui de Boudiaf dans le conflit qui, depuisplusieurs mois, lopposait au GPRA. Face aux rticences de Boudiaf, il se rsolut convaincre Ben Bella dont le soutien luifut aussitt acquis. Ds lors, le Bureau politique propos par BenBella apparaissait en fait celui de lalliance Ben Bella-Boume-dine. Conscient des dangers imminents guettant le pays et pouvant dboucher sur une confrontation, dont le dernier motrisquait dchoir aux militants en armes, je rappelai mon inter-locuteur cette vieille maxime : On peut tout faire avec lesbaonnettes, sauf sasseoir dessus. Il rpliqua par une moueddaigneuse. Je navais plus rien ajouter. Si lon allait privil-gier la force et ddaigner le consensus pour rsoudre nos diff-rends, le pays sacheminerait alors vers de sombreslendemains. (1)

    La sombre prdiction se ralisera : le Bureau politique de Ben Bella, dont lautorit fut conteste par les Wilayas III(Kabylie) et IV (Algrois), sollicita alors lappui de lArme des

    1. Ali Haroun, Lt de la discorde, Casbah Editions, 2000.

  • LE CIVIL

    29

    frontires et de ltat-major gnral dirig par Boumedine ainsique celui des Wilayas I, II, V et VI. Une seconde guerre succda celle qui venait peine de se terminer. Lt 1962 fut marqu parde sanglants combats fratricides entre Algriens qui sortaient desept annes de lutte anticoloniale. (1) Lintensit des combatsqui sen taient suivis, jamais je nen ai vu dgale, pas mmedurant la guerre de libration , se rappelle Khaled Nezzar quidirigeait, en tant que jeune officier de lArme des frontires, unbataillon qui a combattu les djounoud des Wilayas III et IVdans le djebel Dira, prs de Sour El Ghozlane. (2)

    La guerre fratricide ne prendra fin quavec les manifestationspopulaires qui dferlrent sur le pays aux cris de Seba sninebarakat (3), slogan du dsespoir que les Algriens ont fini paradopter.

    Longtemps sera dlibrment occult le lourd bilan de cesaffrontements fratricides. Ce nest que par communiqu de lAPSdu 2 janvier 1963 que lon en saura le prix : un millier demorts , prcisera Ali Haroun. (4)

    Cest ce prix que Ben Bella et son Bureau politique simpo-srent Alger.

    Bouteflika va contribuer destituer Ben Bella en 1965 pourles mmes impratifs suprieurs : asseoir la suprmatie du pou-voir militaire. Le coup dEtat du 19 juin 1965 est conscutif la dcision de Ben Bella de retirer Abdelaziz Bouteflika laresponsabilit de la diplomatie algrienne quelques jours de la

    1. Les combats ont oppos les Wilayas I, II, V et VI (pro-tat-major) aux Wilayas III et IV.

    2. Khaled Nezzar, cit par Ali Haroun, Lt de la discorde, Casbah Editions, 2000.

    3. Seba snine barakat (sept annes, a suffit !). La guerre de libration avait dur sept annes.

    4. Ali Haroun, Lt de la discorde, Casbah Editions, 2000.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    30

    Confrence afro-asiatique qui devait se tenir Alger. La rvoca-tion dAbdelaziz Bouteflika na sans doute servi que de cataly-seur au malaise qui couvait dj entre Ben Bella et Boumedinequi se rejetaient dj la responsabilit de laggravation de la crise avec le Maroc. Les proches de Boumedine, dont ChrifBelkacem et Ahmed Medeghri, craignaient ouvertement que Ben Bella ne cdt sur les droits territoriaux de lAlgrie : laccu-sation de trahison sera reprise dans la proclamation du 19 juin ct dautres griefs usuels retenus contre Ben Bella comme lamauvaise gestion, limprovisation, le dsordre administratif oules mthodes autoritaires du prsident.

    A ce froid ambiant venait donc sajouter lannonce du limo-geage de Bouteflika. Le prsident convoque, la mi-juin, sonministre des Affaires trangres la villa Joly pour linformer quiltait dessaisi de son portefeuille et que la diplomatie allait tredirige directement par la Prsidence de la Rpublique. Boute-flika, un peu interloqu, demande un dlai au chefde lEtat. Ben Bella, naf, accorde le sursis sans se douter que Bouteflika ne cherchait, en fait, qu gagner du temps pour per-mettre au colonel, qui se trouvait au Caire, de regagner Alger etde reprendre en main la situation.

    A sa sortie du bureau de Ben Bella, il est venu chez moipour minformer, se souvient Chrif Belkacem, compagnon deBouteflika et qui occupait le poste de ministre de lOrientationnationale. Il avait rduit toute la question sa personne, me disant : Tant que Ben Bella pensait tenir Boumedine par moiet que Boumedine pensait tenir Ben Bella par moi, je navaisaucune crainte avoir. Mais les choses ont chang sans que jemen rende compte Je voulais, pour ma part, surtout savoirsi Ben Bella avait exig de lui une rponse immdiate. Bouteflikamayant rpondu par la ngative, jtais plus rassur et lui ai

  • LE CIVIL

    31

    suggr de rentrer chez lui et dattendre calmement le retour deBoumedine.

    Bouteflika, trs angoiss sur son sort, fera la tourne de sescompagnons et mme des proches de Ben Bella, avec un raison-nement dsarmant : Sans doute Ben Bella peut-il prendre unetelle dcision lgard dun ministre technicien. Mais je suisministre des Affaires trangres et, la veille de la confrence, lamesure apparatra comme un camouflet inflig ma proprepersonne et Si Boumedine. Par ailleurs, je suis non seulementle chef de la diplomatie, mais galement membre du Bureau poli-tique et, surtout, charg des relations extrieures du parti. Ilrevient donc au parti de dcider de mon dpart. (1)

    Largument ne manque pas de convaincre, y compris au sein des amis de Ben Bella parmi lesquels se comptait BachirBoumaza. Trente-huit ans aprs, ce dernier reconnat que BenBella a commis lerreur de dcider de lviction de Bouteflika sansavoir au pralable runi le Bureau politique qui comportait lpoque 17 membres et qui aurait pu en dbattre. a laurait sansdoute renforc face Boumedine .

    Boumedine arriva le lendemain Alger trs remont contre leprsident Ben Bella. Ce dernier laccueille laroport de DarEl Beda en compagnie des membres du Bureau politique et dugouvernement. Froides retrouvailles. Dans la voiture, les deuxhommes changent quelques propos polis, avant de senfermerdans la villa Joly pour un tte--tte orageux qui va durer deuxheures. Cest la rupture.

    Cest que lviction de Bouteflika naurait pas engendr toutce bouleversement si le personnage ntait quun civil, sil ne

    1. Herv Bourges, De mmoire dlphant, Grasset, 2000.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    32

    comptait pas sur lchiquier militaire du colonel Houari Boumedine :

    Aux yeux de Boumedine, Bouteflika rvoqu, cest ltat-major qui perd le contrle de laction du prsident sur le planinternational : la Confrence afro-asiatique se transforme en tri-bune prestigieuse pour Ben Bella , confirme Herv Bourges.

    Llimination dAbdelaziz Bouteflika tait effectivement latroisime phase de la lutte quavait engage Ben Bella contreltat-major gnral, confirme Bachir Boumaza, qui vcut lesvnements son corps dfendant. Ben Bella voulait sparerBoumedine de Bouteflika.

    Luniversitaire Abdelkader Yefsah, dans un livre consacr laquestion du pouvoir en Algrie, souligne que le coup dEtatsurvenu le 19 juin 1965 sexpliquait par la volont de Ben Bellade porter atteinte aux intrts de lArme non en tant quegroupe social, mais son noyau dirigeant issu du clan dOujda,devenu envahissant et menaant. (1)

    Bref, Bouteflika tait donc bien le reprsentant de ltat-majordans un gouvernement de civils ! Et pour ce seul titre, il fallait enviter le limogeage, quitte renverser, par la force, le pouvoirde Ben Bella !

    Tous les tmoignages concordent sur le sujet : cest Bouteflika qui, force dassaillir Boumedine de ses insistan-ces, a obtenu que le colonel sorte les chars dans la rue pour carter Ben Bella.

    Paradoxalement, Boumedine nest pas le plus chaud par-tisan du coup dEtat, confirme Herv Bourges. Alors quil passe aux yeux de lopinion internationale pour un militaire

    1. Abdelkader Yefsah, La question du pouvoir en Algrie, ENAP, 1990.

  • LE CIVIL

    33

    intransigeant, sans scrupules dans laction, cest en fait un lgaliste et un inquiet.

    Boumedine rassurera mme, au lendemain de son retour duCaire, Hadj Ben Alla, responsable du parti, sur sa loyaut enversles institutions de la Rpublique.

    Boumedine mavait dit, un jour : Tu veux que je fasse le dictateur, mais je ne le ferai pas ! , raconte Belad Abdesselam,qui fut le tout-puissant ministre de lIndustrie et de lEnergie ducolonel. (1)

    Boumedine fera nanmoins le dictateur sur linsistance deBouteflika. Lpisode est significatif de la mentalit militariste,propice la surenchre, de celui quon prsentera abusivementaux Algriens comme un prsident civil .

    Selon Chrif Belkacem, Bouteflika a dcid Boumedine en lepersuadant que le temps jouait en faveur du prsident BenBella. Si on le laisse prsider la Confrence afro-asiatique, il ensortirait suffisamment grandi pour nous liminer.

    Bouteflika, dOran, tlphone et encourage lintransigeance,raconte le gnral Nezzar. En prsentant la situation commematrise lOuest, il signifie au chef dtat-major que le rapport de forces est plus que jamais en sa faveur. Il plaide pourla fermet. (2)

    Le colonel finit par se ranger aux arguments de son ministreentre les 2 et 8 juin 1965. Bouteflika prendra alors part aux runions prparatoires du coup dEtat contre Ben Bella,organises sous la prsidence de Boumedine, dbut juin, auministre de la Dfense.

    1. Belad Abdesselam, Le hasard et lhistoire, entretiens avec Ali El Kenz et Mahfoud Benoune,ENAG, 1985.2. Khaled Nezzar, Bouteflika, un homme, un bilan, Apic, 2003.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    34

    A ces conclaves assistent Ahmed Medeghri, Chrif Belkacem,Kad Ahmed, les commandants Chabou, secrtaire gnral de laDfense, Slimane Hoffman, responsable des units blindes,acteurs principaux auxquels se joindront, une fois la dcisionprise de renverser Ben Bella, les colonels Tahar Zbiri, chefdtat-major, Ahmed Draa, directeur gnral de la Sret natio-nale et responsable des Compagnies nationales de scurit,Ahmed Bencherif, commandant de la gendarmerie, Sad Abid,commandant de la 1re Rgion militaire, le colonel Abbas et lecommandant Ben Salem, membres de ltat-major.

    Il est 1 h 30 ce 19 juin 1965 quand on frappe la porte deBen Bella. Qui est l ? Zbiri , rpond la voix du chef d-tat-major. Entrent le colonel Zbiri, suivi du colonel Abbas et descommandants Ben Salem, Sad Abid, Chabou, Ahmed Draa. Si Ahmed, un Conseil de la Rvolution vient de te dposer. Tuas quelques minutes pour thabiller et nous suivre , lui annonceTahar Zbiri. Ben Bella, digne et calme, ne dit pas un mot. Il acompris.

    De La Havane, Fidel Castro ragit vivement, dans un discoursradiotlvis, contre le putsch, qualifiant Bouteflika de rac-tionnaire, homme de droite, ennemi du socialisme et de laRvolution algrienne et affirmant que le despotisme militaireet la contre-rvolution ne pourront s'installer en Algrie, pays quia gagn sa libert fusil la main . (1)

    Le civil Bouteflika venait de remplir une autre mission :installer le pouvoir militaire pour en jouir en toute tranquillitdurant quinze autres annes avant den reprendre la jouissanceen 1999.

    1. Le Monde du 29 juin 1965.

  • LE CIVIL

    35

    Qui mieux, en effet, que ce Bouteflika, merveilleusement bicphale, civil avec de parfaits tats de service dauxiliaire mili-taire, pouvait le mieux convenir aux gnraux pour succder Liamine Zeroual en 1999 ? Tout a t dit sur ce mystrieux choixsauf, peut-tre, lessentiel : les gnraux ont opt pour un desleurs . Il suffisait de refaire avec Bouteflika en 1999 ce que Boumedine et ltat-major avaient fait avec Ben Bella en 1962 :se fabriquer un prsident parmi la fratrie naturelle. Un militaire lapparence civile, un civil lme militaire. Un profil parfait pourlavocat dont la hirarchie militaire, accuse de tous les crimes dela terre en cette anne 1998, avait un pressant besoin : il avait le talent de communicateur pour plaider leur cause sans tretent de les trahir en raison, justement, de cette relation intimequi en faisait un filleul de lArme . Toute la thse du moinsmauvais des candidats tient dans ce calcul clanique.

    Il faut connatre la psychologie des militaires : depuis lamort de Boumedine, ils sont dans une qute obsessionnelle d-chapper au diktat dun chef trop puissant, de vouloir continuerle rgime de Boumedine sans Boumedine, soutient Sid-AhmedGhozali, ancien Premier ministre sous Chadli et Boudiaf. Ils sesont arrangs pour manager les civils comme des devantures.Lessentiel cest queux restent les chefs.

    Khaled Nezzar et Chrif Belkacem confirment que loptionBouteflika est ne darrire-penses claniques, mme sils prf-rent disculper les chefs militaires en imputant la dcision un lobby compos d'amis personnels de Bouteflika et leur avant-garde Belkheir (1). Ces gens voulaient LEUR prsi-dent pour avoir mainmise sur le pouvoir et limpunit qui

    1. Khaled Nezzar, Bouteflika, un homme, un bilan, Apic, 2003.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    36

    laccompagne. Ils ont prsent Bouteflika comme la seule personne capable de rtablir limage du rgime ltranger. Ilsont plaid la cause de Bouteflika auprs des dcideurs, trsrceptifs, car embarrasss par le fameux panel de lONU, lacommission Soulier, la troka et toutes ces ONG quiaboyaient, accusant lArme dtre derrire les massacres depopulations , affirme Chrif Belkacem.

    Ghozali a une thse complmentaire : La prsence de LarbiBelkheir dans ce lobby est significative. Pour moi, il nest pas unfaiseur de rois ou autre. Larbi Belkheir a agi sur instruction delArme. Pas sur son initiative personnelle. Les gnraux ont tpersuads quil allait non seulement rehausser limage du rgimemais, aussi, ramener des milliards de dollars, ce qui ntait pasngligeable en 1998, anne trs dure. Do le rle de Larbi Belkheir, choisi en raison de ses bonnes relations avec les Emiratset lArabie Saoudite, dveloppes du temps de Chadli. Il taitlhomme des Saoudiens. Les Saoudiens ont certainement tinstruits par les Amricains pour pousser les Emirats placerBouteflika. Cest comme cela que cela se passe rellement.Quand les Amricains disent on peut vous aider, ils pensent lefaire par le biais des Saoudiens, instruire les Saoudiens dedbloquer des fonds Bouteflika attendait son heure.

    Le gnral Rachid Benyells, qui fait cette rvlation, estencore plus explicite : Je crois que Bouteflika savait, ds lemois de septembre 1998, quil allait revenir au pouvoir. Savenue tait programme et concerte avec les pays du Golfe. Lapreuve est quil a regagn Alger le lendemain de lannonce de ladmission de Zeroual par lavion en provenance de Genve. Jele tiens de Rabah Bitat, qui la rencontr laroport de Genvece jour-l. Bitat, trs perspicace, ma dailleurs fait cette confi-dence : Si ce personnage dbarque Alger 24 heures aprs la

  • LE CIVIL

    37

    dmission de Zeroual, cest quil sait quelque chose. Il najamais dsespr de revenir, il attendait son heure.

    Les Algriens ne verront jamais les milliards des Arabes, saufdans deux cas qui se sont rvls, avec laffaire Khalifa, les deuxplus grands scandales de lre Bouteflika : lpisode du fameuxMohamed Al Shorafa affairiste mirati et le march de la tl-phonie mobile attribu, selon des critres trs contestables, lafirme gyptienne Orascom.

    La dcision de Mohamed Al Shorafa dinvestir lAlgrie plu-tt que dy investir est directement lie au choix de Bouteflika parles gnraux algriens. Les deux hommes se sont connus auxEmirats dans les annes dexil de Bouteflika. Ds que fut certifie,en novembre 1998, la dsignation dAbdelaziz Bouteflika par lahirarchie militaire comme futur prsident de la Rpubliquealgrienne, Mohamed Al Shorafa sempressa de crer, le 11 dcembre 1998 Abu Dhabi, une modeste socit familiale,dnomme United Eastern Group. Cest le grant de cette petitefirme toute nouvelle, sans prestige, sans fonds et sans patrimoineque Bouteflika prsentera comme grand partenaire arabe etquil recevra avec tous les honneurs la Prsidence ds juin 1999.Al Shorafa entrera dans le monde des affaires algrien par lagrande porte du palais dEl Mouradia. (1) Bouteflika confiera la modeste United Eastern Group dimmenses marchs, commela rnovation et lextension du port dAlger et de laroportHouari-Boumedine, la construction du port de Djendjen,la zone franche de Bellara et, surtout, la deuxime licence de tlphonie mobile. Laccord entre cette petite sarl et le gouvernement algrien se fera le 4 aot 1999 entre Al Shorafa etle conseiller spcial de Bouteflika, Rachid Assat, devant les

    1. Palais prsidentiel.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    38

    camras de la tlvision algrienne. Lagence de presse officielleAPS rapporte lvnement, et les journaux publics en feront leurtitre de premire page !

    Mohamed Al Shorafa agissait en fait en tant quactionnaire dela firme gyptienne Orascom laquelle il devait rtrocder lemarch de la tlphonie mobile. Des cadres algriens sopposentalors larnaque. La presse algrienne dvoilera le pot aux roseset Al Shorafa dut battre en retraite.

    Il dposera plainte contre le directeur du Matin, plainte quitranait toujours sur le bureau du juge en cette fin danne 2003.

    Bouteflika nourrira une grande rancune envers les journauxalgriens pour cette rvlation handicapante pour sa rputation.Il parviendra cependant faire bnficier Orascom de la licenceGSM.

    Bouteflika se rachtera auprs de ses amis du Golfe en autori-sant les mirs braconniers venir exterminer la faune alg-rienne, notamment les espces protges par la loi, telles que lagazelle Dorcas et l'outarde. Arrivs par vol spcial en prove-nance d'Arabie Saoudite, des Emirats, de Qatar ou de Kowet, ilsrigent des camps de luxe, dont laccs est interdit aux Alg-riens, et sadonnent en toute libert au carnage. Sur instructionspciale du prsident Bouteflika, les braconniers sont accueillisavec faste par les autorits locales entoures d'un impression-nant dispositif scuritaire. Bouteflika laisse faire et fait mmevoter une loi qui lgalise ce braconnage de masse.

    Il a fallu lassassinat dun dignitaire saoudien en dcembre2003 pour que le braconnage des mirs prenne fin sur les terresalgriennes.

    Dans la foule des affaires Al Shorafa et Orascom, la corruptionfait un bond spectaculaire en Algrie. Dans lindice de perception de la corruption tabli en 2003 par Transparency

  • LE CIVIL

    39

    International (dont lchelle varie de 0 10, 10 tant la meilleuresituation), lAlgrie est note 0,62, ce qui place le pays dirig parBouteflika en queue de peloton mondial.

    Le rgime de Bouteflika se rvlera lun des plus corrompusque lAlgrie ait connu depuis lindpendance. Les frres du pr-sident bnficieront de largesses inconsidres de la part dumilliardaire Moumne Khalifa, dont des biens immobiliers Paris et dimportants versements en espces tous avrs ! Lem-pire du milliardaire sera ananti en 2003 par le mme clan prsidentiel qui en a largement profit : le groupe Khalifa fut subitement accus de graves dilapidations de largent public et unmandat darrt fut lanc lencontre de son propritaire, obligde se rfugier Londres pour chapper la prison. La fratrie Bouteflika saccommodait pourtant parfaitement du personnage.Le prsident sest rgulirement servi de largent public dilapidpar Khalifa . Il en a us pour payer une officine de lobbyingcharge de lui assurer lentre dans le monde politique amri-cain ; il en a us pour financer des oprations de prestige per-sonnel qui lui ont permis de safficher avec des artistes derenom tels la comdienne franaise Catherine Deneuve, lacteuremblmatique Grard Depardieu ou lartiste gyptien AdelImam ; il en a us pour faire plaisir ses amis, ordonnant aumilliardaire Khalifa doffrir un appartement Paris la chanteusealgrienne Amel Wahby, charmante relation de Bouteflika Le frre du prsident, Abdelghani Bouteflika, avocat du groupe,sest enrichi milliards avec l argent dilapid , sachetant auxfrais de Khalifa un luxueux appartement dans un quartier prochedes Champs-Elyses et puisant rgulirement dans les caisses delagence bancaire El Khalifa dEl Harrach

    A la fin du mandat de Bouteflika, laffaire navait toujours paslivr ses secrets : pourquoi le prsident a-t-il coul un empire

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    40

    dont il ne rpugnait pas se servir ? Les hypothses, nombreu-ses, tournent toutes autour des liens tranges quentretenait lafamille Bouteflika avec un groupe quelle a protg puis lch.

    Il faudrait une commission indpendante, courageuse etincorruptible et pourquoi pas parlementaire pour enqu-ter sur les affaires de malversations et de dtournements, sur lesemplois fictifs dont bnficient des membres de la famille prsi-dentielle et qui mettent en cause le prsident de la Rpubliqueet son frre, suggre le gnral Khaled Nezzar. Bouteflika trem-ble lide que les organismes internationaux qui ont inscrit surleurs tablettes la lutte contre la corruption aient de lui limagequont dj de lui ses compatriotes. Que restera-t-il alors dugrand diplomate et du donneur de leons lorsque les preuvesirrfutables de ses prvarications seront tales au grand jour ?

    Le mal est cependant fait : la confiance des investisseursenvers lAlgrie a fondu. Les scandales retentissants dtablis-sements financiers ont provoqu une grande motion et une lgi-time inquitude devant la fragilit des mcanismes de contrleet lopacit de certaines pratiques , conclut Mohamed-SalahMentouri, prsident du Conseil national conomique et social. (1)

    Les chefs militaires attendaient donc beaucoup des dons decommunicateur de leur poulain. Il sait dribbler , aurait dit legnral Mdine au docteur Youcef Khatib, candidat la prsi-dentielle de 1999.

    LArme a survalu le handicap de la langue de Zeroual etexagr les vertus lyriques de Bouteflika, reconnat le gnralRachid Benyells. Bouteflika tait attendu comme lavocat quisaurait la fois plaider la cause des gnraux et rtablir ce contact

    1. Interview au Matin du 17 dcembre 2003.

  • LE CIVIL

    41

    avec le peuple que Zeroual na pas russi faire. Les gnrauxont fini par troquer un patriote contre un marchand de paroles.Ils sen mordront les doigts trs vite.

    Car les gnraux qui pensaient installer Talleyrand dcouvrent Brutus. Des pisodes de lt 1962 et de juin 1965, lenouvel lu Bouteflika aura gard intacte la passion du putsch quilprouvera avec ferveur, en 2003, sur tous ceux qui menaaient laprennit de son pouvoir ou constituaient une menace sarlection, du FLN et des gnraux qui refusent de le plbisciter la presse indpendante dont il redoutait linstrumentation parle dispositif lectoral de ladversaire.

    Avec la dsignation de Bouteflika sur des critres de coterie sevrifiait le postulat cher Sad Sadi : on ne peut sauver la foisle rgime et lAlgrie. En fin de mandat, le constat tenait plutt dela farce tragique : Bouteflika a enfonc le rgime et lAlgrie. Le filleul sen tait pris, avec un gal bonheur, ses parrains et son pays. A la place du faux civil qui les prmunirait de laventure, ils ralisrent, un peu tard, quils venaient de confierleur sort et celui de la nation un revanchard aigri de navoirpas succd Boumedine en 1979, mgalomane, intriguantqui, prcisment parce quil est le civil des militaires , donc nitout fait civil ni tout fait militaire, soblige emprunter lar-rogance des gnraux sans en partager les obligations thiques.

    LArme la toujours subjugu, constate un officiel qui abien connu Bouteflika. Cest la fin des annes 1960 quest nchez lui ce sentiment de frustration parce que Boumedine inter-disait tout membre du Conseil de la Rvolution dapprocherlArme. Y compris donc Bouteflika. Ce dernier a alors nourriun sentiment fait la fois de revanche, de frustration et denvieenvers cette puissante forteresse. Le mme sentiment que celuidvelopp vis--vis du harem interdit. Ce sentiment a t

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    42

    dmultipli quand, en 1979, il a t priv de sa place. Lhistoirede Bouteflika est une succession et une accumulation de rancurs et de sentiments de revanche.

    Bouteflika nallait pas sembarrasser de scrupules pour se mon-trer frocement ingrat, diablement calculateur, dfinitivementirrcuprable, habit par lunique obsession qui allait marquerson rgne : affaiblir les autorits et les contre-pouvoirs qui lui fontpice pour asseoir lautocratie dont il rvait.

    Comment lArme a-t-elle pu se tromper ce point ? Un desgnraux, Khaled Nezzar, justifie cette lourde mprise :

    Que pouvions-nous connatre de Bouteflika, nous qui avionspass le plus clair de notre temps dans le Sud, dans des com-mandements oprationnels ? Nous ntions guids que par unseul but : voir notre malheureux pays venir bout de la crise quitait en train de le terrasser, et Bouteflika semblait avoir lescapacits techniques pour cette mission. Cest au moment oBouteflika tombe le masque quil se dcouvre et que nous ledcouvrons.

    Le gnral nira pas jusqu dtailler ces capacits techniques que Bouteflika semblait possder ni prciser en quoi il tait suppos tre le seul en disposer alors que dminentes person-nalits politiques aux comptences avres taient ignores parla hirarchie militaire.

    Les chefs militaires ne le connaissaient pas, avoue de sonct le gnral Benyells. Ils ne retenaient du personnage que sesdehors de brillant diplomate. Lillusion date de lpoque onous tions jeunes, o on considrait que lAlgrie tait le plusbeau pays du monde. Bouteflika incarnait le ministre entrepre-nant de cette priode-l. Ce ntait pas le cas, mais de cela onsest aperu que plus tard lorsquon a commenc connatre lepersonnage.

  • LE CIVIL

    43

    Trop tard. Lhgmonie militaire conue par un civil tait djen marche.

    Bouteflika, en militaire avis, veillera dabord entretenir, entre1999 et 2004, une constante atmosphre de putsch : il gardera lepays sous le rgime de ltat durgence durant tout son mandat.Ltat durgence, proclam en 1991 pour juguler la menace isla-miste, ne se justifiait pourtant plus en 2003, et la hirarchiemilitaire avait affirm ne plus y tenir par la bouche mme dugnral Lamari. Maintenir ce rgime restrictif navait donccomme objectif que de servir les desseins hgmoniques deBouteflika. En dcembre 1999, il lutilisait dj comme argu-ment pour empcher la cration dune seconde chane de tlvi-sion : L'Algrie est encore sous tat d'urgence. Tant que l'Algrieest sous tat d'urgence, il n'y aura qu'une seule chane de tlvi-sion, une seule chane de radio en arabe, une seule chane deradio en franais et une seule chane de radio en tamazight.Je ne veux pas ouvrir le paysage mdiatique. (1)

    Fin 2003, alors que de son propre aveu le spectre terroriste avaitrecul, il militait toujours pour le maintien de ltat durgence. Ilsera lev ds que les circonstances le permettront , dclare-t-il un journal oranais. De quelles circonstances parlait-il puisque,dans la mme interview, il proclame solennellement le retour dela paix : Aujourdhui, aucune menace ne pse sur lEtat rpu-blicain et les institutions. Le terrorisme est quasiment vaincu. Laconcorde civile a tenu ses promesses. (2)

    En vrit, le faux civil Bouteflika, conscient de son impopula-rit, avait besoin des conditions permanentes de la rpressionpour installer progressivement son pouvoir personnel.

    1. Sur France Culture, dcembre 1999.

    2. Interview lEcho dOran, du 13 novembre 2003.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    44

    Ltat durgence permettait de museler la socit, dempcherquelle ne manifeste ses colres dans la rue ou quelle en fassetalage ailleurs que chez soi. Douze ans auparavant, ltat dur-gence tait lultime dcision pour prserver la Rpublique. En2003, il devenait la premire mesure pour sauver la monarchie.

    Ltat durgence sera dun prcieux secours pour Bouteflikalors des tragiques vnements de Kabylie davril 2001. Il en usadabord pour dployer une impressionnante artillerie rpressivecontre les manifestants qui investirent Alger le 14 juin 2001,mais en profita dans la foule pour durcir davantage les lois restreignant les liberts de manifester.

    Pourquoi Bouteflika a-t-il donc laiss ouverte la plaie kabyle aupoint den faire celle qui aura marqu de rouge sang son rgnede prsident ? La rponse est chercher autant dans le mprisquil voue son peuple que dans son pass de putschiste o londniche une ancienne rancune envers les Kabyles qui date aumoins de 1962. Tout autre prsident sa place aurait teint lincendie avant quil ne se propage, c'est--dire au lendemainde lassassinat du jeune Massinissa Guermah, le 19 avril 2001,dans les locaux de la gendarmerie. Tout autre prsident laplace de Bouteflika aurait saisi la gravit de la colre populaire quia suivi lassassinat du lycen, pris des mesures dapaisement,prsent ses condolances la famille, sanctionn sur-le-champlauteur du meurtre, engag de vraies discussions avec la popu-lation et envisag dauthentiques rponses de vieilles revendi-cations dmocratiques et identitaires.

    Bouteflika, lui, prfra toiser la crise. Il se contentera de sur-voler la Kabylie en hlicoptre pour y constater lampleur desmanifestations, trouvant mme lhumeur tlphoner une deses amies bougiotes pour lui annoncer quil tait en train de

  • LE CIVIL

    45

    survoler sa ville. La dame sera pate au point de lancer et de diriger le comit local de soutien la candidature de Bouteflikapour 2004 !

    Dans ce choix du pire sur le dossier kabyle, il y avait, en effet,comme une rsurrection dune vieille arrogance de lhomme deltat-major dfi dans sa puissance par le groupe de TiziOuzou , qui prtendait lui disputer le pouvoir en 1962 ; cegroupe avec lequel il navait toujours pas vid ses querelles etqui revenait, quarante ans plus tard, le narguer par sa descen-dance ! Une divergence de fond sur la nature du pouvoir a, eneffet, toujours oppos le pouvoir militaire une rbellion kabylequi nen a jamais accept lhgmonie. Cela a commenc lt1962 quand le Bureau politique de Tlemcen, press de sinstallerau pouvoir Alger, rencontra devant lui le fameux Comit dedfense et de liaison de la rpublique (CDLR), cr Tizi Ouzoupar Krim Belkacem et Mohamed Boudiaf, auxquels la Wilaya IIIet Mohand Ou El Hadj prtrent leur appui arm. Cela se pour-suivra par les maquis du FFS dAt Ahmed en 1964. Cela conti-nuait par le Printemps berbre de 1980 et, en 2001, par cemouvement citoyen et ses arouch ! Bouteflika na pas failli latradition du mpris et de la force face au mcontentementkabyle : il a frapp.

    La rpression du printemps 2001 fera prs de 150 morts aux-quels sajouteront les victimes du 14 juin quand le prsident fitaccueillir par les forces de police les manifestants qui venaientlui prsenter la plate-forme dEl Kseur, manifeste articulautour de 14 revendications non ngociables . Dautres mortstacheront de sang les mains de Bouteflika et de son ministre delIntrieur, Nourredine Zerhouni. Ce dernier minimisera lemeurtre du jeune Massinissa par le fait quil ne serait pas lycen,comme annonc par ses parents, mais simple oisif ! La bourde

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    46

    vaudra Zerhouni le sobriquet de Nounou la Gaffe qui ne lequittera plus !

    Les dirigeants du mouvement citoyen, leur tte Belad Abrika,seront pourchasss, emprisonns durant de longs mois, sans quela dissidence de la Kabylie prenne fin. Des centaines de citoyenskabyles, surtout des jeunes, sont torturs sur instruction de YazidZerhouni.

    Zerhouni est un habitu de la ggne depuis le temps o il diri-geait la Scurit militaire. Plusieurs militants de gauche, notam-ment ceux qui se sont opposs au putsch de 1965, ont subi dessvices de la part de ses hommes jusquau milieu des annes 1970.Il ira, selon des accusations clairement formules, jusqu abuser dela torture pour son intrt personnel. En 1971, pour contraindreun citoyen cder sa pharmacie Mme Zerhouni, alias FatihaBoualga, le ministre de lIntrieur de Bouteflika naurait pas hsit le faire torturer, dans la sinistre caserne de Bouzarah, par soncousin Ferhat Zerhouni. Ils mont inflig la baignoire durant deuxmois, fait boire de lurine, ils ont mme urin dans ma boucheavant les sances dlectrocution , raconte Mohamed Sadaoui, la victime spolie de son local et blesse vie. Pour lavoirfait parler, le quotidien Le Matin subira la colre de Yazid Zerhouni qui, publiquement, profra des menaces lencontre dudirecteur du quotidien. Il me le paiera ! hurlera-t-il devant lesjournalistes Djelfa. Un mois aprs, Zerhouni monte une cabale :le directeur du Matin est arrt laroport pour dtention debons dpargne . Les Douanes slvent contre labus de pouvoir etinnocentent le journaliste, mais Zerhouni fait pression. La justiceest instruite , Mohamed Benchicou frle de peu la prison mais lejuge dinstruction dEl Harrach, Djamel Adouni, le place souscontrle judiciaire et lui interdit de quitter le territoire national. Unministre de Bouteflika, Tayeb Louh, ancien leader du Syndicat

  • LE CIVIL

    47

    national des magistrats (SNM) et infod au clan prsidentiel,dirige personnellement le dossier. Deux mois plus tard, le jugeAdouni est promu secrtaire gnral du Syndicat national desmagistrats acquis au clan prsidentiel !

    A trois mois de la fin de son mandat, Bouteflika tait toujourspersona non grata en Kabylie, rgion ferme aux officiels et auxlections. Les concessions de dernire minute, comme la recon-naissance de la langue amazigh, loffre de dialogue sur lapplicationde la plate-forme dEl Kseur, ny feront rien : Bouteflika bouclerason mandat sans avoir referm la plaie kabyle.

    Le prsident Bouteflika redeviendra putschiste quand il lui fallut assurer le succs de la stratgie lectorale du candidat Bouteflika.

    Lhomme reviendra, en effet, ses premires passions pour lecoup dEtat ds que fut tabli le refus du FLN et de lArme de luiapporter leur soutien pour un second mandat partir de 2004. Ilne lui restait qu sincruster au pouvoir par la force. Son butprincipal : simposer comme candidat du FLN et de lArme enverset contre leur volont. Mthode choisie : renverser la direction duFLN lue en mars 2003 par un congrs, qui a consacr le divorceavec le prsident ; crer une tension psychologique autour delArme qui ferait rflchir les gnraux et, surtout, inflchir leurdtermination.

    Pour russir son coup dEtat contre le FLN, Abdelaziz Bouteflika a ressorti la formule gagnante de 1965, celle qui lui a servi avec bonheur pour vincer Ben Bella et sinstaller au pouvoir durant quinze longues annes. Mmes hommes, mmesprocds, mme roublardise, mais aussi, mmes appellations.

    Bouteflika confiera la conception du putsch de 2003 lhomme qui a habill le putsch de 1965 : Mohamed

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    48

    Bedjaoui. Le 21 juin 1965, deux jours aprs le putsch, jaicrois Bouteflika en compagnie de Bedjaoui. Il ne le quitteraplus , se souvient Bachir Boumaza. Le juriste des coups deforce aidera mrir le concept de Conseil de la Rvolutiondont il trouvera avec brio les justifications juridiques pourmarier avantageusement le Dalloz avec le kalachnikov.

    Cest le mme Bedjaoui qui va tre larchitecte du putsch de2003 contre la direction du FLN.

    Premire tape : crer un mouvement de contestation infod Bouteflika, dit Comit du redressement du FLN , dirigpar le ministre des Affaires trangres, Abdelaziz Belkhadem,et lui donner une existence juridique formelle. On notera queBelkhadem est charg du mme ministre quoccupait Boute-flika lheure de renverser Ben Bella en 1965. Diriger la diplo-matie algrienne confre dcidment des vertusinsurrectionnelles, et il nest pas insignifiant que le prsidentBouteflika sen soit rappel pour dsigner lhomme charg defaire tomber Ali Benflis. Mme lappellation de redresseurs at utilise pour la premire fois par le leader chinois ChouEn-Lai, le 19 juin 1965, en parlant des organisateurs du putschcontre Ben Bella , rappelle Boumaza.

    Seconde tape : destituer la direction du FLN en invalidantle 8e congrs qui lui a donn le jour. Bedjaoui va tenter de le faireannuler par la justice en faisant dposer par le Comit duredressement du FLN une plainte devant la chambre admi-nistrative dont le prsident sera soumis rude pression.Le 8e congrs du FLN sera invalid le 30 dcembre 2003 et leFLN gel.

    Bouteflika limogera tous les juges qui auront rechign prendre partie pour le putsch. Cela sera le cas pour le procu-reur-adjoint dAlger, pour le prsident de la cour dAlger,

  • LE CIVIL

    49

    pour le prsident du Conseil dEtat et pour le secrtaire gnraldu SNM.

    Les titres de la presse libre souponns dtre hostiles au prsident-candidat Bouteflika vont, eux aussi, faire les frais de lastratgie putschiste de Bouteflika partir de lt 2003.

    Ici aussi, lhomme ninnove pas : en juin 1965, les auteurs ducoup dEtat avaient commenc par liminer les journaux incom-modes, notamment le quotidien Alger rpublicain, proche descommunistes, pour les remplacer par des gazettes officielles, dontEl Moudjahid.

    Le 14 aot 2003, 6 quotidiens parmi les plus influents sontinterdits de paratre (1) sur dcision des imprimeries dEtat action-nes par le pouvoir. Ils ne reviendront dans les kiosques quaprs avoir pay de lourdes factures quun journal qualifierajoliment de ranon . Sensuit, le mme mois, un harclementpolicier sans prcdent dans lhistoire de la presse algrienne.Les directeurs des quotidiens incrimins sont arrts et conduitsau commissariat central pour de longs interrogatoires auxquelsils dcident de ne pas rpondre. Les procs succdent aux pro-cs. Le fisc sen mle : les titres mal-aims se verront frapps delourdes impositions dont ils sont somms de sacquitter imm-diatement sous peine de saisie de leurs avoirs. Bouteflika,devenu candidat, a oubli les professions de foi du prsidentqui, plastronnant devant les observateurs trangers, sengageait ne jamais inquiter la presse, se comparant volontiers lancien prsident amricain Jefferson :

    La presse comme l'opposition font partie des lmentsincontournables de la dmocratie, en ce sens qu'ils constituent les

    1. Il sagit dEl Khabar, Libert, Le Soir dAlgrie, lExpression, Er Ra et Le Matin.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    50

    antidotes aux tentatives de drive ou dexcs dans l'exercice dupouvoir, nhsite-t-il pas affirmer lhebdomadaire franaislExpress. Mais je ne le rpterai jamais assez, je suis un ferventadmirateur du prsident Jefferson, qui aurait prfr un pays ola presse est libre un pays qui aurait eu un bon gouvernement.Nous sommes en phase d'apprentissage. Je suis sr que nousapprendrons un jour. (1)

    Lhomme qui parlait ainsi venait peine daccder au fauteuilprsidentiel. Il se prtait avec grce la parodie du pouvoir. Unefois le second mandat compromis, il changera de discours pourentreprendre dliminer tout le dispositif de ses adversaires danslequel, videmment, il inclut la presse. Cest lopprobre, linfa-mie, le K.-O. politique international, qui ont commenc le menacer il nest plus reu, dans certaines capitales, quedans des petits salons et devant tmoins , qui ont poussBouteflika vouloir billonner la presse indpendante , soulignele gnral Nezzar. Bouteflika aime sadonner la comdie, cam-per le personnage des autres, frimer quand rien ne le menace,souligne Chrif Belkacem. Au moindre danger cependant, il rede-vient mgalo-peureux. Il cesse la comdie et passe aux chosessrieuses.

    Les graves atteintes la libert de la presse entament le crditdu prsident : lAlgrie dgringole la 108e place au classementmondial 2003 pour le respect de la libert de la presse, tabli parReporters sans frontires. Le Parlement europen dpche unedlgation pour sinformer de la situation. La France sinquitepar la voix de son ministre des Affaires trangres : La France estprofondment attache au respect de la libert de la presse par-tout dans le monde, rappelle Dominique de Villepin le 7 novem-

    1. LExpress du 22 aot 1999.

  • LE CIVIL

    51

    bre 2003. Celle-ci constitue une composante essentielle de l'Etatde droit. L'existence en Algrie d'une presse dont la libert deton et d'opinion est souvent souligne reprsente un acquisimportant. C'est pourquoi la France a publiquement marqu sonsouhait que des solutions soient rapidement trouves aux diffi-cults rencontres depuis l't par une partie de la presse privealgrienne et certaines de ses figures les plus emblmatiques.

    En dcembre 2003, trois mois de la fin de son mandat, leprsident est pingl par un journal de Soul sur la suspensionqui a frapp les journaux algriens. Bouteflika se rfugie dans lemensonge : La libert de la presse est totale en Algrie. Si desjournaux sont confronts des problmes avec leurs imprimeurs,cest parce quils ne sacquittent pas de leurs dettes. Cela na rien voir avec la libert de la presse.

    Pendant ce temps, Jefferson souriait dans sa tombe.

    La rpression qui sabat sur la presse traduit donc chez Bouteflika un tat de panique, et cette panique sexplique prin-cipalement par le fait que lArme, en cette cinquime anne dumandat, lui a retir son soutien politique. Mhammed Yazid,ancien ministre de lInformation au sein du GPRA, tablissaitbrillamment, la veille de sa mort, le lien entre le harclementde la presse, litinraire de putschiste du prsident et son dsarroi :

    Les harclements, les mesures doppression et les poursuitesjudiciaires sexpliquent par le fait quon continue davoir commegestionnaires des affaires du pays des gens qui ne croient pas ladmocratie et qui taient contre la Constitution de 1989, qui aintroduit le multipartisme dans la vie politique. Ces mmesgens ont t amens et installs la tte du pays par un systmequi perdure depuis lindpendance. A partir de 1962, nous

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    52

    avons connu une usurpation du pouvoir par des institutions quisinscrivaient dans la logique du parti unique. Et cela expliqueles dveloppements qui nous ont amens avril 1999 o unprsident dit de consensus a t install El Mouradia lasuite dune mascarade lectorale. Ce systme politique approchede sa fin. Les gouvernants du pays ralisent quils ne bnficientplus du soutien de lArme. Alors, ces gouvernants, leur tteBouteflika, sont des gens affols. Des gens qui ralisent que,malgr toutes les tentatives dtouffer le multipartisme, de sup-primer les liberts, il reste une vie politique qui est limite la presse prive. Ce qui fait delle le seul contre-pouvoir dans lepays. Alors, les mesures prises contre la presse traduisent unaffolement, une panique. (1)

    Comment ce Bouteflika, filleul de lArme, en est-il venu per-dre le soutien filial de linstitution au point de succomber laf-folement, de sabaisser en 2003 renouveler des putschspersonnels pour sagripper au trne ? Cest que lhomme,succombant la tentation monarchique, a jou et perdu. Il achoisi, par passion pour le pouvoir personnel, de briser le pactedhonneur de 1999 qui le liait lArme, dont la puissance et lafonction de gardienne de la Constitution lempchaient de rali-ser le vieux fantasme de tout putschiste endurci : avoir tout letrne et pour toujours. La mthode utilise par Bouteflika nestpas nouvelle : elle consistait rveiller les gnraux sur leur vul-nrabilit, les rappeler aux risques quils encouraient user pluslongtemps dune certaine autorit quil pense dclinante, lesdconsidrer aux yeux de lopinion algrienne et trangre, les

    1. Interview Libert du 17 septembre 2003.

  • LE CIVIL

    53

    rabaisser par une violente campagne de dnigrement et decalomnies, appuyer prcisment l o cela fait le plus mal : lesaccusations de toutes sortes qui mnent tout droit au tribunalde La Haye.

    Bouteflika, en vieux pratiquant des pronunciamientos, mdi-tant le sort de Ben Bella, a compris que lautocratie qui peuple seslubies tait impensable tant que ses parrains gardaient leurautorit sur les leviers de dcision.

    Il na jamais cach son intention de doubler les gnraux et se venger deux, et je mtonne quils sen tonnent, soutientSid-Ahmed Ghozali. Quand jtais Chef de gouvernement sousBoudiaf, il est venu me voir spcialement pour me dire textuel-lement : Je te croyais plus malin que a. Tu aurais pu profiterde loccasion historique pour les culbuter (telabelhoum bker-houm). Ce ne sont que des nullards Tu as rat une occasionunique dtre le matre. Il ne savait pas que lessentiel pour mointait pas de faire aux militaires un enfant dans le dos. Mais,lui, il tait haineux envers les gnraux auxquels il ne pardon-nera jamais larrogance de lui avoir barr le chemin du palais pr-sidentiel en 1979. Il tait prt tout par sentiment de haine etde revanche et son accession la prsidence est lopportunitrve pour assouvir cette vieille rancur. Et il se venge de lameilleure manire qui soit.

    Dans sa folie revancharde, le chef de lEtat na aucun momentralis que les coups ports la hirarchie militaire taient encais-ss par le pays tout entier, quils fragilisaient autant les gnrauxque l'Algrie. Il a une approche rductrice et vellitaire delArme, souligne Bachir Boumaza. Il ne veut pas y voir unpilier de lEtat-nation, mais juste un ensemble dadversaires abattre.

    LArme encaisse mal les premiers coups de boutoir de

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    54

    celui quelle a coopt, si on en croit le rcit du gnral KhaledNezzar :

    Reu au ministre de la Dfense en pleine canicule, ilcontraint ceux qui lui ont droul le tapis l'couter deboutpendant des heures entires afin que la camra immortalise laposture : une sorte de garde--vous inconfortable devant sa gran-deur. Qu'est-ce dire ? L'homme a-t-il des revanches pren-dre ? Contre qui veut-il se mesurer ? Pour qui se prend-il ? Onse regarde perplexe. Cette premire hogra de Bouteflika indisposebeaucoup de responsables et leur fait voir diffremment lecavalier pour lequel ils ont massivement vot. Il ose toujoursdavantage. Il le pense et il le dit : J'ai rvl le vritable niveaude ces types. Il veut dire que ceux qui ont privilgi sa candida-ture n'ont aucune envergure, qu'ils ne sont rien par eux-mmes,qu'ils ont tenu et qu'ils tiennent par la mcanique du pouvoir.On commence alors deviner que ces piques verbales et cesactes provocateurs ne sont pas seulement des drapages noncontrls. Ils sont un clin dil la galerie trangre qui l'observe : l'Internationale socialiste, le pot-pourri de nostalgiquesde l'Algrie franaise, les trotskistes qui font une fixation sur lesinstitutions militaires, en gnral, et sur l'Arme algrienne, enparticulier, les diteurs aux ordres de services trs spciaux etleurs suppltifs indignes et aussi, bien sr, les ONG qui ontinvent un code de bonne conduite que doivent suivre ceux quiprtendent la respectabilit. (1)

    Cest que la stratgie choisie par Bouteflika pour inhiber, puisvincer les chefs militaires de la dcision politique a consistprcisment profiter de leur fragilit, celle-l mme dont il avaitpour mission dviter quelle ne les expose aux risques majeurs :

    1. Khaled Nezzar, Bouteflika, un homme, un bilan, Apic, 2003.

  • LE CIVIL

    55

    la menace dun jugement international pour atteinte aux droitsde lhomme. Les gnraux souponnent Bouteflika de les fragi-liser auprs de lopinion internationale en leur imputant laresponsabilit de massacres de civils et en instrumentant notam-ment le dossier des disparus. Un officier politologue parled alliance implicite contracte avec le courant islamiste quisemble accepter de dlguer au chef de lEtat la mission de sol-der le passif avec la hirarchie militaire . (1)

    Les faits leur donnaient dautant plus raison que Bouteflikane ratait aucune occasion dinviter les organisations non gou-vernementales occidentales venir tudier la situation desdroits de lhomme en Algrie, dans lespoir daccabler les gn-raux et les pousser vers la sortie. Quand trois livres-rquisitoiresparaissent en France qui accusent les chefs militaires de crimescontre la population civile, tous les regards se tournent versBouteflika. Le prsident laisse faire. Le gouvernement se tait etlaisse les chefs de lArme se dfendre seuls face la campagnede dnigrement. Le chef de ltat-major, Mohamed Lamari, eut le rappeler publiquement et en termes crus au ministre de laCommunication, Mehieddine Amimour, quil croisa laro-port dAlger.

    Bouteflika chouera toutefois impliquer lArme dans larpression en Kabylie.

    Certains ont affirm que lArme est derrire lassassinat dujeune Massinissa Guermah, cela est archifaux, soutient au quoti-dien Le Soir dAlgrie un haut responsable de la hirarchie mili-taire, dont on apprendra plus tard quil sagissait du gnralMohamed Lamari, chef dtat-major. Nous avons invit la com-mission denqute aller enquter l o elle voudra le faire pour

    1. Le Soir dAlgrie du 21 dcembre 2003.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    56

    quelle ne reste pas aux portes des casernes, comme elle le laisseentendre dans son rapport prliminaire. Mme les militairesmis en prison pour usage darmes, elle na pas jug utile de lesrencontrer alors quelle avait lautorisation de le faire. (1)

    LArme ninterviendra jamais dans la rpression en Kabylie.Bouteflika a longtemps agit sous le nez des gnraux le

    spectre des disparus de la guerre contre le terrorisme et dontlArme algrienne est accuse den avoir excut froidementune bonne partie. Moi-mme jai un neveu disparu ,annonce-t-il des dizaines de fois la presse trangre, commepour se disculper de laffaire.

    Ce neveu disparu rendu clbre par le prsident est envrit le fils du demi-frre de Bouteflika, Mohamed. Ce dernier,n dun premier mariage de la mre de Bouteflika, na jamaist accept par la fratrie qui la dshrit. Mohamed dcderasans que linjustice fut rpare, et cest en venant Alger pouren savoir plus sur laffaire que son fils, le fameux neveudisparu de Bouteflika, trouvera trangement la mort.

    De mauvaises langues de militaires aigris suggrent dorienter les recherches vers le jardin de la maison familialedes Bouteflika, Sidi Fredj

    Utiliser lislamisme contre lArme a conduit Bouteflikajusqu disculper les terroristes dont les tueries sont devenues une violence qui rpondait une premire violence , allu-sion linterruption du processus lectoral de 1992. Dplacerainsi la nature de la crise rhabilitait lislamisme arm et rel-guait la rsistance antiterroriste un combat de clan.

    Bouteflika amnistiera les terroristes sans lavis des gnraux

    1. Le Soir dAlgrie du 23 juin 2002.

  • LE CIVIL

    57

    et tentera de pactiser avec les islamistes au-del de ce qui taitconvenu en 1999. Lamnistie, nous lavons apprise lArmeen mme temps que lensemble des Algriens, rvle le gn-ral Mohamed Lamari, chef dtat-major. Et dailleurs, pourquil y ait amnistie, il faut quil y ait jugement. Au dbut, ilntait question que dune dclaration sur lhonneur du terroriste attestant quil na pas particip des assassinats,sans que cela conduise labsoudre de poursuites judiciairessi une enqute venait confirmer son implication dans unetuerie. (1)

    La fameuse concorde nationale, avorte de justesse, scellerale divorce : le prsident, aux yeux des gnraux, avait choisi soncamp.

    Les chefs militaires laccusent de pactiser avec les islamistespour sen assurer du soutien lors des lections de 2004. Voilqu prsent il balaie dun revers de la main dix ans de rsis-tance, quil fait appel aux fourriers brevets de lintgrismepour sassurer des voix militantes afin de rester au pouvoir ,constate Nezzar.

    Rsultat : le prsident de la Rpublique a plac consciem-ment ou inconsciemment lAlgrie sous le double chantage des enquteurs internationaux et des groupes de pression islamistes. Les premiers ont assujetti louverture conomiqueau retour de la transparence politique , les seconds ontconditionn la paix et les rformes sociales la rhabilita-tion du FIS , les deux sentendant pour bloquer tout progrs.Limmobilisme bouteflikien tout au long des cinq annes dergne tient en grande partie ce quil a prfr les intriguesde srail et son destin personnel celui de lAlgrie.

    1. Le Soir dAlgrie du 23 juin 2002.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    58

    LArme aura quand mme empch son filleul dinfligerau pays deux grosses msaventures : abdiquer devant les islamistes leurs conditions et amender la Constitution poury prescrire le pouvoir prsidentiel sans partage et vie.

    Quel pacte sacr lAlgrie a fait donc avec cet homme etsa famille pour quelle doive les subir jusquau fond de labme ? sindigne le gnral Nezzar, exprimant un sentimentde rvulsion qui semble avoir gagn, en cette fin danne2003, toute la hirarchie militaire. Jai honte pour mon pays,livr au bon vouloir dun homme qui prfre aux institutionsde la Rpublique sa famille et son clan. O sont les avancesdmocratiques lorsque la Constitution, les lois et les rgle-ments sont viols par le fait du prince ? On ne peut pratiquer lecoup dEtat permanent, se construire un tremplin en or mas-sif pour le rebond de 2004 avec largent du Trsor public etprorer, la bouche en cul de poule, quon veut rempiler parcequon aime lAlgrie ! Je le dis, sans ambages, que cest pren-dre les Algriens pour des c.

    A 67 ans, Abdelaziz Bouteflika venait de raliser que lemonde nest plus ce quil tait, que les faux civils ny avaientplus de place, quils pouvaient tre battus, sur le terraindmocratique, par des militaires.

  • 2Le maquisard

    Le ton est un tantinet badin mais volontiers bravache : LArme ? Moi je me sens d'abord son chef et, en plus, moi-

    mme je viens de l'Arme de libration nationale. Vous savez,quand j'tais officier, beaucoup de gnraux actuels n'taientpeut-tre mme pas dans l'Arme. (1)

    Il nen fallait pas plus pour soctroyer une indiscutable prminence par une bravoure passe dfaut de lavoir par ungnie prsent. Bouteflika opposait le prestige de Novembre la puissance des galons. Il ntait pas seulement le prsident frachement lu dun pays accroch lespoir de lhomme pro-videntiel, il en aurait t aussi, et donc surtout, le librateur.Bouteflika sait faire appel au commandant Si Abdelkader pourfaire respecter le chef de lEtat. La respectabilit du kalachnikovreste toujours limparable solution aux ternels problmes delgitimit.

    La rplique viendra quatre ans plus tard de la bouche dun gnral : Dans quel grand livre de la guerre de libration

    61

    1. Sur TF1, le 1er dcembre 1999.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    62

    Bouteflika a-t-il crit dinoubliables pages de gloire ? A-t-ilsquatt la ligne Morice, comme la plupart de ceux quil veut rabaisser ? Au pays des grands baroudeurs, il y a un certainridicule jouer des biceps. (1)

    La polmique tait plante : le maquisard Bouteflika, aliascommandant Si Abdelkader, a-t-il vraiment exist ? Autrementdit, Bouteflika est-il un faux moudjahid ?

    Curieusement, les historiques seront les premiers douter dupass guerrier de Bouteflika. A lvocation, ils se trouvent mmeun accent mprisant. Le commandant Abdelkader est uneinvention tout comme la lgende de Abdelkader El Mali.Litinraire de Bouteflika au maquis se rsume deux dsertionsdont on na jamais voulu parler , assure le commandant Azze-dine qui tait, avec Kad Ahmed et Ali Mendjeli, lun des troisadjoints de Boumedine au sein de ltat-major gnral.

    Ferhat Abbas, ancien prsident du GPRA, est aussi froce : Avant mme notre retour en Algrie, Bouteflika disait des

    amis tunisiens : Retenez bien mon nom, vous entendrez parlerde moi. Il est regrettable que lon nait pas entendu parler de luipendant que des hommes de son ge mouraient dans lesmaquis. (2)

    Lallusion est claire : le commandant Abdelkader, alias Abdelaziz Bouteflika, nest pas connu pour avoir pris les armes.Nayant jamais expos sa vie face lennemi, il ne devrait sa noto-rit de maquisard qu lirradiation du prestige de Boumedinedont il aurait abus de laile protectrice.

    Il est vrai que la bravoure antrieure de Bouteflika navait laiss

    1. Khaled Nezzar, Bouteflika, un homme, un bilan, Editions Apic, 2003.

    2.Ferhat Abbas, Lindpendance confisque, Flammarion, 1984.

  • LE MAQUISARD

    63

    aucun souvenir imprissable. Le nom dAbdelaziz Bouteflika nefigure dans aucune des structures dirigeantes du FLN et ne setrouve li aucun pisode marquant de la guerre de libration.Rares sont les auteurs qui le citent dans leurs ouvrages commeacteur du mouvement de libration. Cette carence allait tout desuite simposer comme un handicap majeur, lhomme devant seprvaloir dune renomme dont on ne trouvait nulle trace dansles crits historiques.

    Omission rvlatrice de la petite considration quils portentau maquisard Bouteflika, les chefs militaires vitent soigneuse-ment dvoquer les antcdents guerriers du personnage parmiles mrites qui les ont incits le coopter en 1999. Emport par sacolre, le gnral Khaled Nezzar ira jusqu perdre retenue :

    Il soublie. Est-il venu au pouvoir sur des exploits de foudrede guerre ? O est donc son apport la Rvolution lorsque sonnom nest li qu la sape, au complot et au coup dEtat ? (1)

    Ces accents rageurs ne sont, en fait, pas seulement ceux dunhomme en colre. En voquant la ligne Morice, Khaled Nezzarsignifiait que, contrairement Bouteflika, lui lavait franchie enofficier de lArme des frontires, en entrant le 3 juillet 1962dans la Wilaya II aux cts des colonels Selim Sadi, Abdel-ghani, Bensalem, Chabou, Othmane, Abbas ou Kad Ahmed.

    Matakedhbou hatan imoutou kbar el houma (2), assne legnral. Un adage populaire lironie suffisamment impitoyablepour dissuader Bouteflika, sil lavait mdit, de saventurer dansla comparaison des mrites.

    Car lhomme sexposera parfois, et lourdement, aux cons-quences de sa vanit face aux authentiques tnors de la

    1. Khaled Nezzar, op. cit.

    2. Ne mentez jamais tant que les anciens sont encore vivants.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    64

    Rvolution. On rapporte, ce propos, la rplique cinglante quAliKafi dut opposer en 1993 Abdelaziz Bouteflika.

    Lancien chef de la Wilaya II occupait les fonctions de prsidentdu Haut-Comit dEtat aprs lassassinat de Mohamed Boudiafquand il reut, en 1992, une dolance de Bouteflika, subitementdispos reprendre du service condition de jouir dun postehonorable. Kafi lui fit deux propositions dont aucune neut lheurde plaire au postulant. Je suis un trop grand joueur pour restersur le banc de touche , aurait dit Bouteflika au prsident duHCE. Kafi, dsaronn par laplomb de son interlocuteur, eutlide de lui rappeler son modeste pass de maquisard par cetteriposte mmorable : Mais ya Si Abdelaziz, moi jtais djcolonel quand tu ntais rien du tout et jai pourtant accept lesfonctions sous ton rgne Kafi faisait allusion aux diffrentspostes dambassadeur quil occupa sous lautorit de Bouteflikaalors ministre des Affaires trangres.

    Aussi lobstination chez Bouteflika rappeler lanciennet dugalon nobit-elle pas qu une vellit taquine. Cest surtoutune faon pour lui daffirmer, au moyen du souvenir, une auto-rit quil sait discutable.

    Quand on a eu laudace de se comparer Napolon, il convientdavoir eu celle de lempereur des djebels. Bouteflika est conscientque lon na pas de destin politique sans pope combattante.En tout cas, pas dans cette Algrie dont il vient de prendre lesrnes et o subsiste toujours la gnration des librateurs au juge-ment implacable, gardienne dune mmoire dont elle rpugne partager les mrites. Le nouveau prsident saisit tout de suite lurgence davoir une place honorable dans cette mmoire-l.Un certain pass plaide dj pour lui, mais il lui faut lenjoliverpour que trpassent les derniers doutes. Le nouveau prsident

  • LE MAQUISARD

    65

    va donc son tour sautoriser des liberts avec son parcourspersonnel pour donner du muscle son prestige. Du muscle,mais aussi un peu de cette honorabilit du rsistant qui, seule,vous attribue la dfrence gaullienne.

    Il nen gardera pas dexcessifs remords : dautres avant lui sesont laisss tenter profiter de la brume qui enveloppe lhistoirede lAlgrie combattante, de cette indulgence intresse qui fermeles yeux sur les fausses glorioles des uns et les vraies trahisonsdes autres.

    Arracher cette dfrence gaullienne est pour Bouteflika, en cett 1999, un moyen providentiel dasseoir son grand projet dumoment : la main tendue aux islamistes arms, cette fameuseconcorde civile sur laquelle reposent ses ambitions de nobeliste.Il lui faut dcrocher lindiscutable lgitimit dun De Gaulleimposant lopinion franaise la paix des braves avec leFLN. Le raisonnement du nouveau prsident est fort simple : seulun honorable combattant forg lhorreur de la guerre estfond historiquement parler de paix pour en connatre la valeurmieux que quiconque. Alors, la manire de lemblmatique chefde la rsistance franaise pactisant avec le FLN, le commandantSi Abdelkader va offrir sa main au GIA.

    Bouteflika va emprunter lascendant du grand gnral en enjolivant son propre pass de combattant.

    De Gaulle sadressera beaucoup aux Algriens cet t 1999 : Moi, pour ce qui me concerne, dix-sept ans, j'ai choisi de

    mourir en service command. Alors, ce n'est pas mon ge queje vais marchander mes journes mon pays. J'ai gag ce qui mereste vivre au redressement de mon pays , souvre-t-il sur unetlvision franaise. (1)

    1. Sur TF1, le 1er dcembre 1999.

  • BOUTEFLIKA : UNE IMPOSTURE ALGRIENNE

    66

    Appel au chevet du pays malade, il lui refait le serment de1958 : Avec l'aide de Dieu, je raliserai la paix, quoi qu'il m'encote. C'est l'aspiration du peuple et je ne vis que par le peupleet pour le peuple. (1)

    Les journalistes franais sen aperoivent. Votre rfrendum,l'appel du peuple, cela voque fortement De Gaulle. Avez-vousparfois pens lui ? demande, faussement candide, le reporterde Paris Match. (2) Abdelaziz Bouteflika, ravi de la comparaison, nedment pas : J'ai eu l'honneur de le connatre. Il a commencl'entretien par ces mots : Vous et moi (vous, c'taient les Alg-riens ; moi, c'tait la France, je l'avais compris), nous nous estimons parce que, d'un ct comme de l'autre, nous noussommes bien battus. Je me suis senti tout de suite l'aise.

    La caricature gaullienne finira, cependant, par le discrditer. TelDe Gaulle rendant hommage au FLN dont il a lui-mme prouvla bravoure au combat, le moudjahid Bouteflika rigera AbassiMadani en brave