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DOSSIER PEDAGOGIQUE ENSEIGNANTS SERIE A LA CROISEE DES CHEMINS MINIMAL, CONCEPTUEL ? BERNAR VENET : UNE COLLECTION, UNE HISTOIRE D’AMITIES 15 novembre 2010 – 13 mars 2011 Exposition proposée par Alain Mousseigne

BERNAR VENET : UNE COLLECTION, UNE HISTOIRE D’AMITIES · Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011 PRESENTATION DES MOUVEMENTS ARTISTIQUES DE REFERENCE :

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DOSSIER PEDAGOGIQUE ENSEIGNANTS SERIE A LA CROISEE DES CHEMINS

MINIMAL, CONCEPTUEL ?

BERNAR VENET :

UNE COLLECTION,

UNE HISTOIRE

D’AMITIES

15 novembre 2010 – 13 mars 2011

Exposition proposée par Alain Mousseigne

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Il n’était, à l’origine, pas prévu qu’un dossier pédagogique soit établi concernant des œuvres que Toulouse ne reverrait pas avant longtemps.

Or, il y a parfois une marge entre ce qu’on prévoit, ce qu’on dit, ce qu’on vit…

Cette collection est un bonheur pour les professeurs d’Arts plastiques car elle les replonge dans le contexte lié à la spécificité de leur enseignement.

Elle les confronte aux fondamentaux disciplinaires qui, dans les années 70, ont généré, au sein de l’Education nationale,

le passage du Dessin aux Arts plastiques.

La qualité des œuvres dont Bernar Venet s’est entouré au moulin du Muy n’ôte rien au plaisir du propos : c’est un régal,

c’est un événement qu’il aurait été bien dommage de ne pas souligner

ou tenter de faire partager.

Mes remerciements s’adressent ici à Christine Thomas, Formatrice et aux professeurs réunis le 17 décembre dernier

lors d’un stage au sein du musée : leurs contributions respectives ont permis d’étoffer

la réflexion et les pistes ici réunies

Evelyne Goupy Chargée de mission DAAC auprès du Service Educatif

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SOMMAIRE

AVANT-PROPOS ……………………………………………………………………………….. 1

PRESENTATION DES MOUVEMENTS ARTISTIQUES DE REFERENCE ………….….. 2

POTENTIELS DISPOSITIFS DE VISITE LIBRE AVEC LES CLASSES ………………….. 2 Dispositifs pour le cycle 3 et/ou le second degré ………………………………….… 3

Mettre des oeuvres en lien…………………………………………………….. 3 Notions convoquées…………………………………………………… 8

Problématiques ……………………………………………….............. 9 L'œuvre et le lieu, quelle(s) interrelation(s) ?.............................................. 9

Brève présentation des artistes et de leur démarche …………................. 11 Bernar Venet…………………………………………......................... 11 Carl André…………....………………………………………………… 11 François Morellet….………………………………………………...… 12 Donald Judd……….…………………………………………………… 13 Robert Smithson…….……………………………………….…...…… 13 Dan Flavin ………….………………………………………………….. 14 Sol LeWitt ……………....…………………………………………...… 15 Dispositifs pour le premier degré ………………………………………………….…. 16 Autour de la ligne ……….……………………………………........................ 16 De retour en classe ………………………………………………………….... 16 Une couleur, son application, sa nature et ses effets : le noir ………….... 24 Ce qu’en dit Michel Pastoureau …………………………………………..…. 25 De retour en classe …………………………………………………….……... 26 Brève présentation des artistes et de leur démarche ……………….…….. 27

Jasper Johns ……….…………………………………………………. 27 Ellsworth Kelly…….…………………………………......................... 28 Jannis Kounellis…….………………………………………............... 28 Sol LeWitt………….…………………………………......................... 28 Robert Morris………….……………………………………................ 29 Robert Motherwell…….……………………………………................ 29 Robert Rauschenberg….....…………………………………............. 30 Richard Serra…………….....…………………………...................... 30 Frank Stella…………..………………………………………...……… 31

ECHOS …………………………………………………………………………………….……. 32 Culture scientifique ……………………………………………………........................ 32 Architecture……………………………………………………………………... ..….…. 33 Lettres……………………………………………………………………………..…...... 34 Musique…………………………………………………………………………….....…. 36 John Cage…………………………………………………….……….............. 36 Terry Riley……………………………………………………………............... 38 Steve Reich…………………………………………………………................. 38 Philip Glass…………………………………………………………................. 39 Danse……………………………………………………………………………............ 40

BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………...…... 41

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

AVANT-PROPOS :

Cette exposition permet de mesurer l’intime lien existant entre la démarche de l’artiste et sa posture de collectionneur. Les œuvres dont il s’est entouré témoignent de moments particuliers de sa vie, elles découlent, non d’un « héritage » mais d’un échange - dont l’origine remonte à 1963 : c’est donc à partir de dons réciproques entre artistes que cette collection s’est constituée au fil du temps. Si les quelques dédicaces apposées manifestent une affection, une complicité et une générosité réciproques, la présence de la figure même de Bernar Venet au sein de sa propre collection confirme cette mutuelle estime et instaure l’ensemble comme un vaste autoportrait.

Ce regroupement retrace les limites entre lesquelles l’artiste s’est toujours inscrit, il borne

les extrêmes entre lesquels son travail oscille. De l’excès et de l’accumulation à la sobriété la plus extrême, le point essentiel - autour duquel gravitent ses propres œuvres et celles de ses amis - tient à la volonté d’effacer tout affect, toute trace de la « patte » de l’artiste. Pas question ici de laisser transparaître la personnalité, la subjectivité ou l’expression du créateur. Cependant - et paradoxalement, de l’extrême géométrie à l’aléatoire, cette neutralité tout entière, cette sobriété, ce détachement et cette distance constituent une prise de risque intégralement liée à la radicalité des postures qui les ont générés.

Ces choix - allant parfois jusqu’à nier la réalité matérielle de l’objet artistique (cf. la posture

extrême de certains artistes conceptuels) - offrent un potentiel de questionnements et de recherches théoriques par rapport à ce que chacun reconnaît d’ordinaire digne d’accéder au statut d’ « art ». Loin de la décoration, de l’amusement, de la distraction et de la jouissance immédiate, la collection ici présentée exclut la mimesis, la couleur flatteuse, le facile plaisir de l’œil et l’agréable spectacle. Si le visiteur est déstabilisé par la froideur apparente des œuvres, il passe forcément par des interrogations qui font écho à ce que la modernité, voici une centaine d’années, avait déjà échafaudé - à travers la figure tutélaire de Marcel Duchamp, notamment.

Il lui faut juste se faire un peu confiance, croire à ce que ses yeux lui révèlent, dresser la

liste des procédures et des effets produits, relever les paradoxes qui en émanent et bousculer ses certitudes… Ce dossier met donc plus particulièrement l’accent sur l’art conceptuel et sur l’art minimal, deux courants qui, quelque quatre décennies après leur émergence, ne rencontrent guère l’adhésion du grand public.

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

PRESENTATION DES MOUVEMENTS ARTISTIQUES DE REFERENCE : L'art minimal voit le jour aux Etats-Unis en 1965. Les minimalistes travaillent sur des figures géométriques déductibles les unes des autres (carré, rectangle, triangle, etc.), sur des problèmes de volume, de surface, de planéité. Toutefois, il ne faudrait pas conclure qu'ils ne font que réaliser des formes colorées et spectaculaires, vides de sens et froides ; ils font avant tout de l'art et c'est par rapport à cela qu'il faut comprendre leur démarche. La rupture qu'ils proposent réside dans une activité qui tente de replacer l'homme dans une esthétique autonome où il se reflète dans ces objets spécifiques qui deviennent alors de véritables objets de pensée. Saisir le rythme des répétitions et des différences dans l'espace, comprendre les principes arbitraires qui président à l'enchaînement des formes, dégager les systèmes d'opérations et de schémas, c'est, dans le même temps, identifier l'activité de la pensée lorsqu'elle prend, pour ainsi dire, forme dans un objet. Les protagonistes : Carl André, Dan Flavin, Donald Judd, Ellsworth Kelly, Robert Morris, Kenneth Noland, Franck Stella, Richard Serra. L'art conceptuel affirme la primauté de l'idée sur l'objet, à tel point que la réalisation de l'œuvre n'est le plus souvent pas nécessaire. Il a repoussé les limites du champ artistique traditionnel en interrogeant le sens et la finalité du geste artistique. En 1969, Sol LeWitt déclarait : " Les idées peuvent être des oeuvres d'art. Elles s'enchaînent et finissent parfois par se matérialiser mais toutes les idées n'ont pas besoin d'être matérialisées. " Au lieu de créer des objets, les artistes conceptuels se mettent à utiliser différents aspects de la sémiotique ou de la philosophie pour méditer sur les fondements même de l'art. Joseph Kosuth l'annonce clairement : "L'art ne peut revendiquer que lui-même. L'art est la définition de l'art." Le père de l'art conceptuel est sans nul doute Marcel Duchamp qui remit en cause la notion même d'oeuvre d'art avec ses ready-mades. Les protagonistes : Sol LeWitt, Joseph Kosuth, Dan Graham, Art & Language, Robert Barry, On Kawara, Robert Morris, Dennis Oppenheim, Vito Acconci, Lawrence Wiener, Robert Smithson, Olivier Mosset, Peter Hutchinson, James Lee Byars. POTENTIELS DISPOSITIFS DE VISITE LIBRE AVEC LES CLA SSES : Avertissement : Une fois de plus, rappelons que point n’est besoin de « tout » montrer aux élèves. Mieux vaut cibler un petit ensemble d’œuvres - et en extraire la substantifique moelle - plutôt que frôler l’asphyxie, la saturation et le discours bêtifiant. Est-il besoin de le préciser, ce qui suit constitue un « possible ». En tant que tel, il fait état d’une proposition pédagogique dont la démonstration nécessitait d’opérer des choix douloureux, délaissant des œuvres et des artistes très intéressants. Nous confions aux collègues le soin d’élaborer d’autres parcours incluant Frank Stella, Dan Flavin, Jean Tinguely, Janis Kounellis, Sol LeWitt, Jasper Johns et bien d’autres… volontairement non traités dans la première suggestion par souci de clarté.

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

DISPOSITIFS POUR LE CYCLE 3 ET/OU LE SECOND DEGRÉ 1- Mettre des œuvres en lien Le groupe-classe pourrait être divisé en trois équipes.

Groupe 1 Groupe 2 Groupe 3

Bernar Venet 222.5° arc x 5

2006 Acier Corten

Collection les Abattoirs

Carl André

6th Steel corner 1978

Plaques d’acier 50 x 50 x 0,5 cm chaque

300 x 300 x 0,5 cm (ensemble)

Donald Judd

Untitled 1972

Aluminium bleu anodisé 20 x 292 x 35 cm

Bernar Venet

Effondrement de lignes indéterminées

2009 Acier Corten

Dimensions variables

François Morellet

Relâche Venet 1996

Aluminium peint et néons 300 x 295 cm

Robert Smithson

Spiral Jetty 1970

Great Salt Lake, Utah Photographies

Dimensions variables

Bernar Venet

Déchet 1961

Peinture industrielle sur carton 150 x 120 cm

Bernar Venet

Tas de charbon 1963

Dimensions variables

Bernar Venet

Effondrement mural d’arcs 2009

Acier Corten Dimensions variables

Premier temps : Travail en ateliers, analyse des trois œuvres mentionnées : un rapporteur prend des notes en

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

établissant la liste des mots-clés relatifs à chacune (description et effets produits), parallèlement, des photographies sans flash et des croquis sont réalisés par le groupe en multipliant, dans la mesure du possible, les points de vue. En fin de parcours, il est attendu que les élèves tentent de formuler en quoi ces trois œuvres présentent des similitudes et des dissemblances. Deuxième temps : Groupe-classe entier, prise de contact avec les neuf œuvres retenues : restitution par chaque groupe / échanges. Troisième temps : Réflexion : quels liens établir entre toutes ces œuvres ? Quels sont les questionnements (les problématiques) sous-jacents concernant l’ensemble ? Présentation des œuvres retenues et contenus pouvan t faire l’objet de séances préalables et/ou consécutives à la visite au musée :

Oeuvres

Contenus – Mots-clés

Bernar Venet 222.5° arc x 5

2006 Acier Corten

Collection les Abattoirs

Bernar Venet

Effondrement mural d’arcs 2009

Acier Corten Dimensions variables

Bernar Venet

Effondrement de lignes indéterminées 2009

Acier Corten Dimensions variables

Ligne, section, (haut-)relief, volume, construction, abri Schéma, dessin, gribouillage, sculpture, architecture

Dimensions plus ou moins monumentales Courbe, cercle, tourbillon, enroulement, vrille, spirale, inflexion, tangente

Ombres propres, ombres portées et jeux de lumières Matière et couleurs

Direction, axe général (vertical, horizontal, oblique) Stabilité, équilibre / Instabilité, déséquilibre apparent

Solidité / Fragilité Indestructible / Précaire

Léger / Lourd Dénombrable / Innombrable

Absence de socle, cale, appui, arc-boutant (contreboutant), étai Ordre, alignement, parallèles / Désordre, intersection, croisement, confusion, enchevêtrement

Décalage, glissement, rotation, basculement, translation Géométrie

Convexe, concave

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

Modules Répétition, régularité, alternance / Aléatoire, accidentel

Juxtaposition / Superposition Etroitesse / Etirement

Résistance du matériau, cassure, déviation Pleins / Vides

Formes ouvertes / fermées Simple / Compliqué

Statisme / Dynamisme Formes organiques (côtes, thorax)

Enveloppe, Structure, Espace

Rôle du titre Points de vue et incidences : Effets de surprise

Place dévolue au spectateur : devant, autour, dedans ; statique, en mouvement. Parcours de l’œil (creux et effets de surface)

Cadre / Cadrage Inscription dans le lieu (architecture des Abattoirs et arcs)

Bernar Venet

Déchet 1961

Peinture industrielle sur carton 150 x 120 cm

Remise en cause de la peinture : Matériaux pauvres, de récupération (carton, peinture industrielle) Mat / Brillant Traces, Taches Intense, concentré / Délavé Transparence / Opacité / Stratification Lavis, Dilution, jus, coloration (imprégnation) / peinture Recouvert / En réserve Inachevé Verticalité Rythme Dissymétrie Rapport Fond / Forme Relations Support – Surface Coulures, dégoulinures (dues à l’inclinaison du support lors du travail) « self-made » Aléatoire, hasard, pratique mécanique « aveugle » Contamination de l’espace du support : matière « décidant » de l’œuvre Modification du statut du déchet Place frontale dévolue au spectateur Rôle du titre / Contradiction avec le souci de présentation de l’œuvre : bords nets et encadrés Série et non diptyque A ne surtout pas intégrer dans la démarche de l’expressionnisme abstrait : Venet n’a pas « peint », au sens classique du terme

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

Bernar Venet

Tas de charbon 1963

Dimensions variables

Résonances du ready-made : art ou non-art ? Remise en cause de la sculpture : Impermanence de la forme, du volume, caractère éphémère Instabilité, Infinitude, Plasticité (importance des dates 1963 - 2010) : entre statisme et propagation imminente Achevé / Inachevé Minéral / Fluidité / Friabilité Eboulement, tas, effondrement Hasard, imprévu « remanié » en lisière Entité composite, chaque morceau étant particulier Densité / Dispersion Plein / Vide Irrégularité, relief, complexité de la surface Entre compact, dur et « souple » Axe horizontal Profondeur et velouté du noir / Brillance, éclats lumineux Circulation du spectateur Relation de la partie au tout Absence de standardisation A distance : incapacité à distinguer les parties du tout

Carl André

6th Steel corner 1978

Plaques d’acier 50 x 50 x 0,5 cm chaque

300 x 300 x 0,5 cm (ensemble)

Dépouillement – rigueur Variations colorées infimes Vocabulaire spatial fondé sur une forme géométrique simple : Carré, angles droits, lignes parallèles et perpendiculaires Juxtaposition - Répétition - Standardisation Développement par module Réalité physique du matériau Forme comme étendue Mise en évidence de l’idée de site Dépersonnalisation de la sculpture Perception liée au déplacement du spectateur Horizontalité de l’œuvre, verticalité du spectateur, horizontalité de son déplacement Série comme lieu d’approfondissement de l’idée Grille comme structure rigoureuse privilégiée Remise en question du statut de l’œuvre Place du spectateur : invité à entrer dans (sur) l’œuvre ou tenu à distance Titre descriptif Mise en évidence d’une partie d’ordinaire peu attrayante dans une salle d’exposition : l’angle, le coin

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

François Morellet

Relâche Venet 1996

Aluminium peint et néons 300 x 295 cm

Quatre carrés en tout - dont trois morcelés par moitié Cadres « cassés » et mélangés : déstructuration Angles droits Lisse, empâté, plan, relief Mat, lumineux Basculement, glissement, pivotement, rotation, retournement Ouvert / fermé Blanc couleur / Blanc lumière Textures / Lignes en empâtement Intersection Lignes et segments en dialogue (taille identique) Morcellement de la grille, Morcellement du carré Lumière / matière Ombre / lumière Ombre portée Eblouissement Rythme Rupture de l’unité de la surface : Eclatement / Dispersion Cadre / Hors-cadre Absence de « contemplation » de l’œuvre Mise en place de règles Mise en évidence de l’élaboration de l’objet Rationalisation et systématisation de la démarche Bas relief

Donald Judd

Untitled 1972

Aluminium bleu anodisé 20 x 292 x 35 cm

Dépassement de la sculpture traditionnelle Unité formelle parallélépipédique de l’ensemble Variations de largeur, rythme Variations des intervalles Opacité / Brillance / Reflets Similitude des éléments / Discontinuité de la perception Importance des ombres portées Lecture de l’œuvre de gauche à droite et de droite à gauche Absence de focalisation du regard Remise en cause de la sculpture traditionnelle Jeu avec les bipolarités : peinture / sculpture, plans / volumes, vide / plein, verticalité / horizontalité. Mur comme point de référence, écran et environnement Accrochage à hauteur du regard Echelle humaine Absence de toute facture Utilisation de matériaux modernes usinés Reprise des principes de la production industrielle Œuvre par partition Boîte = appel à la curiosité, intérieur inaccessible

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

Robert Smithson

Spiral Jetty 1970

Great Salt Lake Utah

Photographies Dimensions variables

Les photos : Noir et blanc / valeurs de gris Ligne Enroulement, projection, espace giratoire Directions Cheminement visuel / Temporalité Coordonnées spatiales Intérieur / extérieur Points de vue Cadrages plus ou moins serrés / Suggestion d’un hors-champ Multiplicité des regards sur l’œuvre Disposition au mur : mise en abyme (citation) Image comme témoignage documentaire Photo comme trace du processus Photo comme œuvre ? La réalisation : Nature comme matériau Topographie Paysage Minéral / liquide Naturel / artificiel Nature / culture Structure organique / Structure de l’oeuvre Lisibilité / Illisibilité de l’œuvre : Praticabilité la rendant inaccessible au regard Monumentalité de la sculpture Notion d’échelle, Microcosme / Macrocosme Homme comme mesure Lien avec les sciences Temporalité : achevé, inachevé / entropie Travail formel de la spirale ; renvoi aux sites préhistoriques Site, in situ ; prise en compte des paramètres en présence

Notions convoquées :

Espace , Corps (du spectateur, absence de celui de l’artiste),

Couleur, Matière, Lumière, Temps

Présentation Il est bien évident qu’en classe, les séances ne tr aiteront pas de toute ces notions simultanément, mais privilégieront telle ou telle e ntrée.

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

Problématiques : L’ensemble des œuvres présentées aux Abattoirs pose les questions suivantes :

Construire / déconstruire Structurer / déstructurer

Interrogations relayées par : La remise en question des classifications traditionnelles (interrogation des limites entre

dessin, tableau, relief, sculpture et architecture) L’obtention d’œuvres par partition (c'est-à-dire potentiellement exécutables par d’autres

que par l’artiste) et/ou l’absence de gestualité du créateur. Leur matérialité La limite entre forme et informe, entre détermination et potentielle évolution de l’oeuvre Le cheminement du spectateur et de son regard Le rapport à la géométrie, au calcul La présence récurrente de séries Le dialogue entre l’œuvre et son espace de présentation

2- L'œuvre et le lieu, quelle(s) interrelation(s) ?

Bon nombre des œuvres réunies dans cette exposition permettent de poser la question des incidences réciproques entre architecture et choix muséographiques qui en découlent. Dans l’art contemporain, l’expression in situ désigne une démarche spécifique dans laquelle l’élaboration d’une œuvre prend en compte son futur lieu d’implantation. Si cette dénomination s’avère, dans le cas présent, totalement impropre - dans la mesure où les productions n’ont pas du tout été « pensées » pour être exposées dans ce cadre muséal ; il n’est pas insignifiant que Bernar Venet en personne soit venu, au moment du montage, accompagner la mise en situation de sa collection. Les œuvres n’ont donc pas trouvé « une » place « au petit bonheur la chance » : des dialogues ont volontairement été ménagés entre les caractéristiques du bâtiment, les divers espaces de monstration et les œuvres présentées. Cela se perçoit dès le parvis : le mur extérieur sert de soutien à un Effondrement de structures métalliques dont la forme rappelle étrangement les ouvertures en arc de cercle qui ponctuent les Abattoirs. A tel point que certains visiteurs se demandent si cet enchevêtrement de poutres courbes ne se trouverait pas là de façon transitoire, juste en dépôt, attendant le futur chantier dans lequel elles seront insérées…

Au musée : On peut demander aux élèves de dresser le constat de ces analogies en prenant des photographies et/ou en effectuant des croquis. Le point de vue sera alors au centre de leur recherche puisque leurs productions devront révéler ces similitudes (données spatiales, formelles, mise en abyme…). Le questionnement incontournable concernera l’endroit où se placer pour obtenir l’image la plus démonstrative de ces ressemblances entre caractéristiques du lieu et caractéristiques de l’oeuvre. Munis d’un carnet de croquis, ils pourront dessiner l’œuvre et le contexte auquel elle fait écho, noter ses références et, en regard, lister les écarts notables, tandis que l’appareil photo circulera.

André : dallage André : angle Stella : crénelures Kounellis : métal et relief

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

Venet : les arcs Judd : des boîtes dans une

boîte LeWitt : ossature LeWitt : cloisonnement

Mosset : en blanc et noir Motherwell : jeu de lignes Flavin : orthogonalité Morellet : lumières &

angles

Dans un deuxième temps, on peut, a contrario, leur demander de pointer les œuvres qui leur paraissent le plus en opposition avec les spécificités du lieu d’exposition.

Tinguely : animal animé West : couleur

et forme organique Morris : souplesse Kounellis : circularité Stella :

formes hélicoïdales

De retour en classe… Fabriquer une production plastique spécifiquement adaptée à un espace de la salle de classe ou de l’établissement. Comment faire dialoguer spécificité du lieu d’installation et réalisation plastique ?

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

3- Brève présentation des artistes cités et de leur démarche : Bernar Venet 1, né en 1941 à Château-Arnoux-Saint-Auban, Alpes-de-Haute-Provence " Une première évidence dans mon travail : il m’est difficile de nier la présence du matériau sur mes intentions. Mes sculptures, c’est l’histoire de leur fabrication et de la résistance du métal. Epreuve de force et combat mené entre la barre d’acier et moi-même. « Qui » fait « quoi » à l’autre. Une lutte entre la volonté de l’artiste et la nature rigide de la barre laminée (...) Je propose des directions alors que je suis dirigé par la barre d’acier qui résiste et ne cède pas à ma volonté de domination… jeu de concessions où il me faut laisser à la barre son autonomie. Le résultat ? Un témoignage du geste forgeur et des possibilités de la matière que je ne transforme pas au-delà des caractéristiques naturelles. " La ligne, sous toutes ses variantes mathématiques et ses manifestations physiques, prend une place prépondérante dans l’œuvre de Bernar Venet. A partir de 1979, l’artiste développe ses premières sculptures d’ « arcs ». Etranges formes, dont le tracé « se perd dans le ciel », les arcs, dont l’artiste fait varier la dimension et le point de tangence au sol, ouvrent la sculpture à l’espace. Dans leur déclinaison monumentale, ils rivalisent de prestance et de taille avec la nature. Silhouettes élancées et singulières, ils sont impressionnants de légèreté, malgré leur présence écrasante.

Dès 1964, Bernar Venet expose au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. En 1966, il crée Graduation, un ballet conçu pour être dansé sur un plan vertical, présenté à l’Opéra de Paris en 1988, et commence un nouveau travail fondé sur l’usage des mathématiques, notamment grâce à des diagrammes. D’abord peintre et performer, résolument tourné vers l’art conceptuel, il interrompt sa production artistique de 1971 à 1976 ; il revient sur le devant de la scène internationale dans les années 80, en tant que sculpteur. Ses structures monumentales en acier constituent trois séries : Lignes indéterminées, Angles aigus et Arcs. L’expérience de l’espace public devient l’un des enjeux de son travail, qui séduit de nombreuses villes européennes -

ainsi que New York - et lui valent des commandes publiques d’envergure. En 1994, ses Lignes indéterminées sont exposées à Paris, sur le Champ de Mars. En 1999, une autre sculpture monumentale est présentée à Cologne, en Allemagne, à l’occasion du Sommet du G8 ; New York expose également des Lignes indéterminées en 2004. Enfin, la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône décide en 2006 de réaliser son Arc majeur pour l’autoroute A6. À Toulouse, une de ses sculptures surplombe la station de métro Barrière de Paris (ligne B). Carl André, né en 1935 à Quincy, près de Boston. Il étudie d’abord la peinture puis s'installe à New-York - suite à un voyage en Europe où il observa les mégalithes de Stonehenge. Il oriente progressivement son travail vers la sculpture du bois et pratique très rapidement des assemblages de blocs de bois brut. En 1965, il réalise sa première exposition personnelle où il expose des assemblages de poutres horizontales en styroform (matière plastique industrielle). L'ensemble de son oeuvre instaure quatre concepts majeurs

- la platitude - la sculpture comme lieu

1 Courte vidéo : http://culturebox.france3.fr/all/13303/les-sculptures-monumentales-de-bernar-venet/#/all/13303/les-sculptures-monumentales-de-bernar-venet

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Evelyne Goupy – Service Educatif des Abattoirs – 2010 / 2011

- la composition modulaire - l'emploi de matériaux bruts

Carl André met à mal la caractéristique fondamentale de la sculpture classique : sa verticalité. En effet, les plaques métalliques industrielles posées au sol constituent, depuis le début des années 1970, l'aspect le plus connu de son œuvre. L'artiste réalise ainsi des pièces où la planéité du sol est en parfaite adéquation avec l'aspect plat du matériau. En « horizontalisant » la sculpture, l'artiste la définit comme un lieu que le spectateur est invité à parcourir en marchant dessus (c'est un des points de vue d'expérimentation de l'œuvre). « Je ne fais, dit-il, que poser la Colonne sans fin de Brancusi à même le sol, au lieu de la dresser vers le ciel… » Carl André déclare, par ailleurs, que son idéal pourrait être figuré par une route composée d'une simple juxtaposition d'unités standards (des plaques industrielles posées au les unes à la suite des autres) sans aucune hiérarchie de place ni de volume et où n'importe quel module pourrait se voir remplacé par un autre. Son esthétique s'exprime aussi à travers la matière et tend à rapprocher la fin et les moyens. On n'y trouve pas la trace « romantique » du geste de l'artisan - attelé à sa confrontation avec la matière. Ses sculptures ne sont pas le résultat d'un acte sculptural imprimé au matériau afin de l'infléchir, elles constituent plutôt une façon de révéler la matière à travers les qualités esthétiques qui leur sont propres. Si le matériau utilisé est usiné dans la forme la plus neutre possible, c'est parce que l'artiste en respecte la spécificité en termes de masse, de pesanteur, de densité. Le spectateur doit pouvoir ressentir naturellement tous ces aspects. Enfin, l'espace qui accueille son travail détermine bien souvent la constitution même de la sculpture : l'espace d’exposition devient donc lui aussi une des composantes de l'œuvre. François Morellet , né en 1926 à Cholet (Maine-et-Loire). Il est considéré comme l’un des acteurs majeurs de l’abstraction géométrique de la seconde moitié du XXe siècle et comme un des précurseurs du minimalisme. Dès la fin des années 1940, sa peinture s'efforce d'évacuer la subjectivité individuelle en évoluant vers l'abstraction en 1950. Il adopte alors un langage géométrique très dépouillé, composé de formes simples (lignes, carrés, triangles), dans un nombre limité de couleurs, assemblées dans des compositions élémentaires bidimensionnelles. Jusqu'en 1960, Morellet établit différents systèmes d'arrangement des formes (superposition, fragmentation, juxtaposition, interférences…), en créant notamment sa première « trame », un réseau de lignes parallèles noires superposées selon un ordre déterminé. De 1961 à 1968, il est l’un des créateurs et protagonistes de l'Art cinétique - au sein du Groupe de Recherche d'Art Visuel (GRAV). Il cherche, dans ce contexte, à créer un art expérimental s'appuyant sur les connaissances scientifiques de la perception visuelle et collectivement élaboré. En 1963, il commence à introduire les tubes de néon, donc à jouer de la lumière comme matériau. Après 1970, débute pour lui une période marquée par la création d'œuvres, de plus en plus dépouillées, qui jouent avec leur support et l'espace qui les environne. Il réalise, depuis, un grand nombre d'intégrations architecturales (première intervention monumentale sur le plateau de la Reynie, Paris, Beaubourg, en 1971).

Pour Morellet, l’œuvre d’art ne renvoie qu’à elle-même. Son titre, généralement sophistiqué, (l’artiste aime les jeux de mots), indique la règle du jeu qui a présidé à son élaboration. Il entend contrôler le processus de création et démystifier la mythologie de l'art et de l'artiste, en justifiant chacun de ses choix par un principe établi au préalable, qui peut d'ailleurs aller jusqu’à faire intervenir le hasard dans certaines composantes de l’œuvre. L’application rigoureuse de notions géométriques apporte, au fil des années, une approche spatiale qui le situe d’emblée à l'avant garde de l’Art minimal. Cela aboutit à une création en quête

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de neutralité : « Une expérience véritable doit être menée à partir d'éléments contrôlables en progressant systématiquement suivant un programme. Le développement d'une expérience doit se réaliser de lui-même, en dehors du programmateur. » Donald Judd 2, né à Excelsior Springs (Missouri) le 3 juin 1928 - mort à New York le 12 février 1994. Est l'un des principaux représentants du minimalisme. Ses recherches le mènent à produire des œuvres tridimensionnelles fondées sur des formes simples. Il se fait l'avocat du concept d’installation permanente.

Lorsqu'il prend conscience qu'il ne pourra jamais faire de tableaux autres que représentant une surface signifiante, sans profondeur, à moins d'en passer par la peinture monochrome, Donald Judd choisit de s'intéresser à l'élaboration d'œuvres qui ne seraient ni de la peinture ni de la sculpture : des volumes géométriques en trois dimensions, aux couleurs industrielles, des « objets spécifiques » (titre de son essai fondateur de 1965), entités tautologiquement réduites à la matière et au volume pur, qui ne proposent ni temps ni espace au-delà d'eux-mêmes - et dans lesquelles il n'est plus question de modelage, de taille ou d'élagage porteurs de trop d'effets anthropomorphiques.

Dans son texte Specific Objects (De quelques objets spécifiques), Donald Judd écrit: « Les trois dimensions sont l'espace réel. Cela élimine le problème de l'illusionnisme et de l'espace littéral, de l'espace qui entoure ou est contenu dans les signes et les couleurs - ce qui veut dire qu'on est débarrassé de l'un des vestiges les plus marquants, et les plus critiquables, légués par l'art européen ». Dans un entretien avec Lucy Lippard, il indique également : « La qualité essentielle des formes géométriques vient de ce qu'elles ne sont pas organiques, à la différence de toute autre forme dite artistique ».

L'œuvre est un tout : devant une série d'œuvres telle ses Stacks, composés de parallélépipèdes accrochés régulièrement en hauteur sur un mur, l'espace entre chaque module est égal à sa propre épaisseur et leur nombre (de 6 à 10) dépend de la hauteur du mur, ce qui intègre l'œuvre, pour chaque nouvelle exposition, dans la réalité physique de son lieu d’accueil. Le fait que la « pile » ait l'air d'une colonne sans socle lui donne aussi un statut particulier dans l'histoire de l'art sculptural. Le regard qu'on lui porte s'effectue dans un aller et retour du sol au plafond et nous amène à constater les effets pervers - mais réels ici - de la perspective puisque tous les éléments parallélépipédiques, bien qu'ils soient parfaitement identiques, sont en réalité perçus comme s'ils avaient des formes différentes. Donald Judd est très attentif à la présentation de ses œuvres car il les considère comme des fragments de l'ensemble dans lequel elles sont disposées. Pour cela, il achète en 1973, des bâtiments (à Marfa dans le Texas) qui lui permettent une expérimentation in situ de ses créations. D'artiste, il devient ainsi l'architecte, le designer, l'organisateur d'un environnement auquel il confronte ses œuvres afin d'en vérifier la pertinence. Robert Smithson 3, né le 2 janvier 1938 à Passaic dans le New Jersey - 20 juillet 1973, Amarillo, au Texas Détermine sa pratique artistique en réaction au discours purement formaliste visant à isoler l'art du réel. Par ses interventions éphémères, situées dans des zones sauvages inhabitées ou d'anciens lieux industriels laissés en friche, l'artiste cherche à réintégrer la pratique artistique dans un contexte naturel ou social, en s'appuyant notamment sur la notion d'« entropie », qui met en évidence l'usure de l'énergie et de la matière sous l'action du temps.

2 Plus d’informations : http://www.mamco.ch/artistes_fichiers/J/judd.html 3 Plus d’informations : http://www.robertsmithson.com/

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En 1964, Robert Smithson conçoit ses premières sculptures-miroirs. Celles-ci s'inspirent de la structure des cristaux qui fascinent l'artiste depuis sa prime enfance. Le motif et les thèmes des cristaux seront récurrents dans la carrière de l'artiste qui les mettra en perspective dans des écrits, des lectures et des réalisations. En travaillant à partir de miroirs, Smithson signifie que ses préoccupations, contrairement à celles de nombre de ses confrères, ne sauraient se résumer à une interrogation sur l'objet, au sens « réductionniste » du terme. Ses miroirs, biaisés, défient le regard, désorientent le spectateur et témoignent d'une volonté d'« impureté » qu'il revendiquera dans ses premiers essais et récits. Les différentes expériences tant littéraires que plasticiennes de 1966 marquent la véritable amorce de la trajectoire fulgurante de l'artiste. Il participe cette année-là à Primary Structures, exposition mythique de New York et prolonge son activité de sculpteur qui débouche sur la réalisation de premiers empilements de miroirs dont les stratifications ne sont pas sans évoquer les épaisseurs géologiques et temporelles de la matière. En 1968, il conçoit, pour sa deuxième exposition personnelle, des sculptures en acier plié peint en blanc. S'inscrivant dans la continuité des stratifications en miroirs, ses nouvelles sculptures font toutefois appel à des formules et configurations mathématiques plus sophistiquées. Cependant, son propos reste davantage lié au Land art - et ce d'autant plus aisément que cette tendance ne s'est jamais laissée enfermer dans des carcans théoriques aux exigences formalistes rédhibitoires. Les nonsites (« non-sites ») de Smithson, réalisés à partir de 1968, répondent par exemple à la problématique du lieu de l'art soulevé par les artistes apparentés au Land art. Constitués par des rochers trouvés lors de ses pèlerinages dans des paysages et rassemblés à l'intérieur de bacs géométriques destinés à être exposés, les nonsites, « annexés » par des photographies, des cartes géographiques et autres installations hybrides, investissent un no man's land – ce que l'artiste nomme son « truc va-et-vient » entre espaces d'atelier, plein air et lieux d'exposition. Ces travaux répondent dès lors à une tension dialectique qui met en jeu contenant et contenu de l'œuvre, deuxième et troisième dimensions, nature et culture et, inévitablement, temps et espace. Parallèlement à ses nonsites, Smithson intervient de plus en plus dans des sites, soumettant ceux-ci à des modifications ou à de réels bouleversements afin de créer les conditions dialectiques d'un équilibre tout aussi précarisé. Qu'elles prennent pour objet l'asphalte déversé dans une carrière à Rome (Asphalt Rundown, 1969), les miroirs déplacés au Yucatan, au Mexique (Mirror Displacements, 1969), ou une baraque en bois partiellement enterrée dans l'Ohio (Partially Buried Woodshed, Kent State University, Ohio, 1970), les interventions de Smithson ne cessent de se dérober et de contourner les impératifs temporels et spatiaux qui définissent la production, l'exposition et la circonscription de l'objet d'art. Quelle place doit-on allouer, à ce titre, aux innombrables diapositives, photographies et films qui hantent les rétrospectives de l'artiste ? Ces éléments constituent-ils des traces fétichistes ou des prolongements de l'œuvre ? De simples documents ou au contraire des signes suspendus échappant à toutes délimitation et identification ? Dan Flavin - Né en 1933 à Jamaica, Etat de New York - 1996, Riverhead (New York) Dès 1961, il réalise des dessins de sculptures incorporant des sources lumineuses. Son travail sur la lumière peut se lire comme une référence aux fastes de l'Église catholique – cierges, encens, chants, processions – qui l'ont toujours inspiré. Après des peintures monochromes ornées d'ampoules électriques intitulées Icônes, il invente, à partir de 1963 une nouvelle dialectique de la forme et de la couleur en créant des pièces à base de tubes au néon industriels, puis des installations utilisant toujours ce même matériau, qui devient la signature caractéristique de son vocabulaire artistique. En explorant les variations que permettent le nombre, la couleur, les dimensions des tubes et leur disposition, il s'agit de dématérialiser l'espace afin d'en analyser la perception. Entre 1964 et 1982, Dan Flavin réalise son plus important projet : un hommage au peintre, sculpteur et architecte russe Vladimir Tatlin. Il réalise une série de pièces en néons, pour la plupart

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entièrement blanches, qui évoquent schématiquement la forme du Monument à la Troisième internationale (1920, resté à l’état de projet). Avec ses néons qui suggèrent des silhouettes évanescentes, Dan Flavin célèbre cette architecture progressiste, tout en soulignant son caractère conceptuel, irréalisable, voire fantomatique. Une œuvre de Dan Flavin se définit donc, dans un premier temps, par la disposition de tubes de lumière fluorescente, par une extension lumineuse qui conditionne sa structure, son épaisseur, son volume ; en ce sens la dimension de l'œuvre est régie par l'architecture (murs, plafond, sol) qui la reçoit. Comme le dit Donald Judd, Flavin crée « des états visuels particuliers », des perceptions singulières qui rassemblent, dans la fragilité de la lumière, couleur, structure et espace. En envahissant ainsi l'espace, la lumière de Flavin le transforme et le dématérialise souvent. Le bain lumineux a en effet pour propriété d'abolir les frontières entre l'environnant et l'environné qui ne font plus qu'un : l'œuvre devient ainsi une « situation », un lieu d'expériences perceptives liées aux déplacements du spectateur. Avec ses œuvres, Flavin accomplit parfaitement une des missions de l’Art minimal : faire en sorte que l’objet se confonde avec les trois dimensions de l’espace réel. Grâce au recours à la lumière, l’artiste irradie l’espace. Le contenant devient le contenu. Le tube de lumière a une fonction qui s'oppose complètement à l'objet tangible des œuvres d'art traditionnelles puisque c'est de lui que se déploie une énergie lumineuse qui va dissoudre ses propres limites. Avec Dan Flavin, l'œuvre devient réellement impalpable, on a même parfois du mal à la regarder en face ; c'est pour l'artiste une façon de supprimer un mode de relation émotionnel souvent rattaché aux objets artistiques traditionnels. Cependant, si la linéarité des tubes et les effets d'inclusion du spectateur dans l'espace de l'œuvre sont propres à l'art minimal, on peut toutefois se poser la question de savoir si l'atmosphère subtilement colorée de ces œuvres n'est pas le signe d'un mysticisme latent qui, de ce point de vue, mettrait cet artiste en marge de la production purement « minimale ». Sol LeWitt - Né en 1928 à Hartford, Connecticut Convaincu, à la suite d'interminables discussions et réflexions sur le devenir de la peinture, que l'objet tableau est arrivé à un point de non-retour, LeWitt commence progressivement à ouvrir celui-ci à une troisième dimension. En s'attachant à des formules géométriques simples et permutables, il conçoit ses premières structures et pièces murales en 1962 (Wall Structures et Wall Pieces). En 1963, il réalise des structures prenant appui sur le sol (Floor Pieces), puis des structures modulaires « ouvertes ». En 1964, il se concentre sur une œuvre qu'il cherche à épurer et à radicaliser, il adopte un blanc émaillé et poli débarrassé de toute facture personnelle. À partir de 1965, il met en place de nouveaux principes de construction rationnels et commence à incorporer plus ostensiblement des options sérielles. L'artiste est, en effet, essentiellement attaché aux différentes formules ou systèmes qui préfigurent les objets réalisés, démontrant que l'« idée » lui importe plus que sa concrétisation. Ses sculptures deviennent des structures modulaires : des constructions qui répètent et ordonnent une même unité en suivant des principes de progression géométrique. Les formes sont posées à même le sol pour remettre en cause l’usage du socle dans la sculpture classique ; elles sont peintes en blanc, afin d’éliminer toute qualité de représentation et d’expression. Plan, relief, volume, structure, vide, variations autour de lignes verticales, horizontales et obliques … Ces oeuvres appliquent un postulat énoncé par Sol LeWitt tour à tour en 1967 et 1969 dans ses deux grands textes Paragraphs on conceptual Art et Sentences on conceptual Art : l’œuvre n’est que l’illustration d’une idée. Ni ses détails matériels, ni ses limites dans l’espace, n’ont d’importance. En droit, elle pourrait se développer à l’infini. L’importante série de wall drawings (« dessins muraux ») est « pensée » par l'artiste et dans la grande majorité des cas − fidèle en ce point à son exigence conceptuelle − exécutée par des assistants afin de gommer toute forme de subjectivité.

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DISPOSITIFS POUR LE PREMIER DEGRÉ : 1- Autour de la ligne Le dessin est une activité graphique. Il exerce le mouvement en ayant pour visées de produire des traces, d’obtenir des formes, de jouer avec des éléments, d’organiser une surface. Au sein de l’exposition, on peut envisager la situation d’inventaire suivante : « Le plus de lignes possible ! » On demande aux enfants d’observer diverses œuvres puis de dessiner : faire le croquis des différents types de lignes utilisées. Mise en commun des croquis, comparaison avec les oeuvres. Dire ce qu’on voit, ce qu’on ressent, ce qu’on pense. Faire émerger et/ou compléter le vocabulaire en lien avec la ligne :

Vocabulaire relatif au tracé : droite, rectiligne, courbe, sinueuse, enroulée, entortillée, brisée, dentelée, convergente, divergente, oblique, en faisceau, diagonale, horizontale, verticale, géométrique, fuyante, parallèle, médiane, médiatrice, bissectrice, sécante, tangente, épaisse, fine, large, pleine, appuyée, souple, raide, nette, floue, gribouillée, nerveuse, énergique, saccadée, décidée, molle, gracieuse, foncée, claire, légère, effacée, continue, discontinue, pointillée, segmentée, fragmentée, … hachure, zébrure, strie, raie, rayure, entrelacs, zigzag, ondulation, spirale, limite, frontière, bordure, marque, griffe, rature, gribouillage, arabesque, cerne, contour, plein, délié, trait, trace, tracé, trame, tressage, …

Vocabulaire relatif au geste et aux opérations plastiques : Crayonner, gribouiller, tracer, tirer, biffer, signer, rayer, raturer, tordre, aligner, ordonner, disposer, juxtaposer, superposer, souligner, surligner, entourer, cerner, répéter…

Vocabulaire relatif à l'occupation de l'espace :

Vide / plein, densité, centre, éparpillement, dispersion, équilibre / déséquilibre directions, axes, alignements, organisation rythme, répétition, superposition, juxtaposition, accumulation… Statisme / Dynamisme

De retour en classe : L’expression plastique est d’abord trace d’un geste et empreinte sur la matière. Elle implique :

- le corps & la main et leur relation au support & à l’outil. - le regard : l’œil suit le geste puis le guide.

Il y a combinaison entre la perception de l’espace graphique et le contrôle kinesthésique du mouvement. L’élève agit pour explorer, manipuler, expérimenter (faire). Il dit ce qu’il fait, ce qu’il voit, il perçoit les effets obtenus (voir, dire). Il apprend à nommer les outils, les matériaux, les gestes (savoirs).

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Différents axes de travail autour de la ligne peuvent s’envisager : � Le GESTE : mouvement du corps (principalement mains, bras, …)

partie de corps impliquée : une main ou les deux mains, les pieds … amplitude, déplacement du corps structure du geste (ondulant, direct, anguleux, arrondi, continu, rythmé…) vitesse, énergie, rythme, répétition rapport au plan de travail : incliné, horizontal, vertical, au sol posture physique de l’élève : enfant assis, l’avant-bras posé, debout, il se déplace,

tourne autour du support… rapport au support : matière, taille et format, orientation

� La TRACE : empreinte ou marque laissée par une action, par le passage d’un être ou d’un

objet Empreintes / Traces � geste discontinu : répétitivité, « tampons », « cachets » pour

aboutir à une « ligne » discontinue / geste continu, mouvement, déplacement o Outils :

� doigts, mains, pieds � outils (pinceau, brosse, spatule, rouleau, éponge, calame…) � outils improvisés, inventés, fabriqués, objets récoltés, collectionnés… � objets du quotidien (bouchon, lego, capuchon, ficelle, papier froissé,

morceau de cagette…) � objets naturels (brindilles, feuilles, branches, écorces, légumes…)

o Actions

� toucher le support : frotter, taper, racler, étaler, gratter, griffer, glisser, tirer, effleurer, caresser, appuyer, presser, pincer…

� ne pas toucher le support : projeter, asperger, arroser, faire couler, lancer, verser, saupoudrer, souffler…

� avec déplacement du corps : marcher, courir, sauter, ramper, glisser… � Le SUPPORT : ses qualités plastiques et physiques (absorbant, rigide, brillant, déjà imprimé

ou vierge...), son format, ses dimensions, sa matière : papier (à grains, lisse, kraft, calque, rhodoïd, aluminium, papier chiffon, papier de soie....), carton (varier les épaisseurs, les couleurs...), tissus…, tableau noir, velleda, macadam, terre, sable, pâte à sel… Les supports peuvent présenter des obstacles à contourner, relier, prolonger : trace, taches, pliures, trous, reliefs, image / signe / dessin / objet collés…

� Passer du PLAN au VOLUME : comment obtenir, avec du fil de fer ou de la pâte à modeler,

une production tridimensionnelle à partir d’un dessin préalablement réalisé ?

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REPERTOIRE4 :

La spirale selon Smithson

4 Réalisations et prises de vue photographiques : E. Goupy

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La spirale selon Venet

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La courbe selon Venet

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La courbe selon Frank Stella

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Horizontal, vertical, oblique

Carl André

Carl André (détail) Robert Morris, Carl André, Donald Judd

Robert Motherwell Frank Stella

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Angles droits

Donald Judd

Carl André À gauche, Ellsworth Kelly, au centre, Carl André, à droite, Richard Serra

Sol LeWitt François Morellet

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2- Une couleur, son application, sa nature et ses e ffets selon divers artistes Le choix peut être fait de centrer une série d’activités d’exploration et de recherche autour d’une couleur. La visite au musée peut constituer l'occasion, pour les élèves, de se construire une première culture artistique commune mais, surtout, de repérer divers effets - parfois difficilement perceptibles à partir de reprographies. Apprendre à voir : une première culture du visuel Les enfants sont progressivement amenés à :

observer les différents éléments qui entrent en jeu dans la perception d’une couleur, comprendre que, souvent, celle-ci est étroitement associée au support, à la structure…

Ces observations sont menées à partir de comparaisons.

« Le noir n’est pas toujours vraiment noir ! »

Jasper Johns Bernar Venet

Rauschenberg Kounellis au premier plan, Venet sur les cimaises

Bernar Venet, Goudron

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Laisser les enfants s’exprimer, réagir librement et s'étonner : - de la présence omniprésente ou récurrente du noir, - de son aspect uniforme ou éclaté, discret, pesant, dégradé… - de la présence de matière, de matériaux… - de la technique, - de l’absence de narration, - de la figuration ou de l’abstraction…

Vocabulaire : Terne, délavé, saturé, brillant, mat, transparent, translucide, opaque, réfléchissant, lisse, en relief, dilué, empâté, valeurs : les nombreux noirs présents dans l’exposition conduisent parfois à y découvrir d’autres couleurs par effet de réflexion. Ce qu’en dit Michel Pastoureau 5 :

Noir, c'est... pas noir ! Et tant pis pour la chanson. Certes, cette couleur-là est à prendre avec des pincettes, comme le charbon, mais elle n'est pas si uniforme ni si désespérée - ni si noire en somme, qu'on veut bien le croire. La preuve : si elle suit encore les corbillards et se niche dans les dernières sacristies, elle habille aussi les « branchés ». Désormais, l'élégance est en noir. Mais il y a plus encore, nous dit ici cet historien des couleurs : avec le blanc, le noir - son compère, nous a construit un imaginaire à part, une représentation du monde véhiculée par la photo et le cinéma, parfois plus véridique que celle décrite par les couleurs. L'univers du noir et blanc, que l'on croyait relégué dans le passé, est toujours là, profondément ancré dans nos rêves et peut-être dans notre manière de penser :

Du deuil à l'élégance... Voici donc l'enfant terrible, le noir, qui, comme le blanc, fait bande à part dans notre histoire.

Vraie couleur ? Pas vraiment une couleur ? En tout cas, il a plutôt sombre réputation... Spontanément, nous pensons à ses aspects négatifs : les peurs enfantines, les ténèbres et donc, la mort, le deuil. Cette dimension est omniprésente dans la Bible : le noir est irrémédiablement lié aux funérailles, aux défunts, au péché et, dans la symbolique des couleurs propres aux quatre éléments, il est associé à la terre, c'est-à-dire aussi à l'enfer, au monde souterrain... Mais il y a également un noir plus respectable, celui de la tempérance, de l'humilité, de l'austérité, celui qui fut porté par les moines et imposé par la Réforme. Il s'est transformé en noir de l'autorité, celui des juges, des arbitres, des voitures des chefs d'Etat (mais cela est en train de changer), etc. Nous connaissons aujourd'hui un autre noir, celui du chic et de l'élégance. «Le noir de nos tenues de gala est l'héritier direct du noir princier de la Renaissance».

Il y a un bon noir et un mauvais noir. Dans les sociétés anciennes, on utilisait deux mots pour le qualifier : en latin, niger, qui désigne le noir brillant (il a donné le français «noir»), et ater (d'où vient «atrabilaire», qualifiant la bile noire), qui signifie noir mat, noir inquiétant. Cette distinction entre brillant et mat était très vive autrefois, et elle l'est encore pour les africains (que les Français appellent parfois «blacks», comme si le mot anglais avait moins de consonances coloniales) : une belle peau doit être la plus brillante possible, le mat évoquant la mort et l'enfer. Nos ancêtres étaient incontestablement plus sensibles que nous aux différentes « valeurs » de noir. D'autant plus que, pendant longtemps, il leur a été difficile de fabriquer cette couleur. En peinture, on ne l'obtient qu'en petites quantités, en recourant à des produits coûteux, tel l'ivoire calciné, qui donne une teinte magnifique mais hors de prix. Quant aux noirs fabriqués avec des résidus de fumée, ils ne sont ni denses ni très stables. Ce qui explique que, jusqu'à la fin du Moyen Age, le noir est assez peu présent dans les peintures, du moins sur de grandes surfaces

5 Article entier consultable sur le site du magazine l’Express : http://www.lexpress.fr/culture/livre/6-le-noir-du-deuil-a-l-elegance_819830.html

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(on l'utilise néanmoins en petites quantités dans les enluminures, avec de l'encre). Curieusement, c'est la morale qui a donné un coup de fouet à la technique : très sollicités pour fabriquer des couleurs «sages», les teinturiers italiens de la fin du XIVe siècle réalisent alors des progrès dans la gamme des noirs, d'abord sur les soieries, puis sur les étoffes de laine. La Réforme déclare la guerre aux tons vifs et professe une éthique de l'austère et du sombre (qui nous influence encore un peu aujourd'hui). Les grands réformateurs se font portraiturer vêtus de la couleur humble du pécheur. Le noir devient alors à la mode non seulement chez les ecclésiastiques, mais également chez les princes : Luther s'habille de noir; Charles Quint aussi. A partir du XIXe siècle, on utilise des couleurs de synthèse extraites du charbon et du goudron. Cette fois, ce sont les uniformes de ceux qui détiennent l'autorité - douaniers, policiers, magistrats, ecclésiastiques et même pompiers - qui sont noirs (ils passeront progressivement au bleu marine). Le noir se démocratise. Mais, en perdant sa valeur économique, la couleur perd aussi un peu de sa magie et de sa force symbolique. « Le noir et blanc se voit revalorisé, considéré comme plus vrai que la couleur ».

Pourtant, comme le blanc, son statut de couleur est contesté. Plusieurs facteurs ont contribué à cette rupture. D'abord, la théorie de la couleur «lumière», qui s'est développée à la fin du Moyen Age. Tant que l'on pensait que la couleur était de la matière, il n'y avait pas de problème : les matières noires existaient et le noir était une couleur comme les autres, un point c'est tout. Mais, si la couleur était lumière, le noir n'était-il pas l'absence de lumière, donc... l'absence de couleur? On a ainsi commencé à le regarder d'un œil différent. Deuxième changement : l'apparition de l'image gravée et de l'imprimerie a d'un seul coup imposé le couple noir-blanc. Au même moment, la Réforme privilégie ces deux couleurs et les distingue des autres au nom de l'austérité. Troisième changement : c'est la science, une fois encore, qui s'en mêle. Depuis Aristote, on classait les couleurs selon des axes, des cercles ou des spirales. Cependant, quel que soit le système, il y avait toujours une place pour le noir et une pour le blanc, souvent à l'une des extrémités (cela donnait généralement sur un axe : blanc, jaune, rouge, vert, bleu, noir). En découvrant la composition du spectre de l'arc-en-ciel, Isaac Newton établit un continuum des couleurs (violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge) qui exclut pour la première fois le noir et le blanc. Tout cela contribue donc à ce que, à partir du XVIIe siècle, ces deux-là soient mis dans un monde à part. La photographie accentue les théories scientifiques qui rejettent le noir et le blanc (au commencement, les clichés sont plutôt jaunâtres ou marronnasses, mais l'amélioration des papiers permettra d'obtenir des noirs presque noirs). En tout cas, la démocratisation de cette technique, puis le développement du cinéma et de la télévision, qui furent eux aussi bichromes à leurs débuts, a fini par nous familiariser avec cette opposition : couleurs d'un côté, noir et blanc de l'autre. De retour en classe 6 : L’élève est mis en situation d’agir pour élaborer son propre langage plastique. On peut envisager d’explorer - des médiums : peinture à la gouache / à l'acrylique, encre, pastel, teinture… - des techniques : collecter, coller, peindre, assembler - des supports : papiers de textures et de couleurs différents, rhodoïd, tissu, carton, plâtre,

images à détourner - des outils : pinceaux, couteaux, éponges, brosses, vaporisateurs, outils inventés, objets

détournés… Il pourra progressivement intégrer à sa démarche la photographie, l'installation, l'utilisation de la

6 Voir le dossier pédagogique Et pour vous, c’est quoi la couleur ?

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lumière. Les situations variées le conduisent travailler dans le cadre d’un projet collectif ou individuel : - élaborer un « mur », de couleur, de matière… - construire une oeuvre en trois dimensions, - créer une ambiance colorée dans et pour un espace précis, L'enfant est amené à porter un regard nouveau sur son environnement proche ; il affine sa perception de la couleur choisie : - au cours d'observations répétées des éléments, de l’environnement… - dans les images publicitaires, la mode, la presse… Le thème de la couleur choisie offre l'occasion de solliciter le langage oral et écrit : - présentation de textes, de poèmes, d'albums, d'histoires, - description de certains dispositifs et expériences. L'enfant réalise des collections d'images, de textes, d'objets, pour poursuivre, dans son cahier personnel, une recherche documentaire relative à la couleur choisie. 3- Brève présentation des artistes et de leur démar che : Jasper Johns – 15 mai 1930, Augusta, Géorgie, États-Unis Initialement, Jasper Johns et Robert Rauschenberg, très proches amis, travaillent en étroite collaboration dans un même atelier du quartier de Front Street. C'est à cette époque que Jasper Johns commence à utiliser la peinture à l'encaustique. Fasciné par Marcel Duchamp, il décide, lui aussi, de proposer des ready-mades, mais « fabriqués ». Cela débouchera sur les premiers drapeaux américains, les cibles, les alphabets, les nombres... Il n'a que 25 ans quand il réalise ses premiers chefs d'œuvres tels que Flag 1954/55, Green target de 1955 ou Target with plaster casts. Ces œuvres apparaissent comme radicales par rapport à la production artistique du moment (l'expressionnisme abstrait de Willem de Kooning, Jackson Pollock, Mark Rothko et les autres, règne en maître...) C'est en 1958 que Leo Castelli décide d'exposer Jasper Johns dans sa propre galerie. La radicalité et la nouveauté des œuvres avaient frappé ce célèbre marchand d'art - qui décide que l'exposition inaugurale de sa galerie serait celle-ci. Le jour du vernissage, Alfred Barr - conservateur en chef du MoMA - est tellement marqué par les œuvres qu'il en acquiert aussitôt deux : Green target et Target with plaster casts. A 28 ans, Jasper Johns se voit déjà consacré. Le choix des objets, bidimensionnels et familiers, ainsi que la dissociation opérée entre peinture et expression personnelle annoncent l’avènement du Pop Art en même temps que l’éclipse progressive de l’Expressionnisme abstrait. Cependant, Johns s’efforce de se tenir à distance du mouvement, afin de préserver la singularité de son œuvre. En utilisant une imagerie issue de lieux communs, « des choses que l’esprit connaît déjà », il s’interroge sur la fonction propre de la peinture. La représentation d’un même motif lui permet de pratiquer différentes techniques de mise en relief de l’objet. Ici, comme c'est souvent le cas chez Johns, le motif est ambigu, car il n'est au départ qu'une représentation abstraite et, s'il apparaît comme universellement lisible, il ne renvoie pour autant à aucune symbolique. Chez Johns, l'usage des nombres, repris périodiquement à partir de 1955, n'est pas idéalisé. Les chiffres sont ici objet de graphisme, oscillant entre blanc et noir, traité selon des questions de lisibilité ou d’effacement. Ses dessins et lithographies font de lui un des maîtres contemporains dans le domaine des arts graphiques.

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Ellsworth Kelly - né le 31 mai 1923 à Newburgh Abstraite, couleurs épurées et lignes tranchantes : son œuvre demeure, malgré ces trois caractéristiques, tributaire d'une logique d'observation et de transcription de la « réalité » que l'artiste américain ne cesse d'expérimenter et de renégocier à travers une production picturale dont il a posé les bases lors d'un long séjour parisien (1948-1954). Les liens entre la figure et la forme, entre la ligne et la couleur et, corollairement, entre l'objet et son environnement architectural, demeurent au cœur d'une démarche en perpétuel renouvellement qui n'a pas manqué de s'ouvrir à la sculpture. Comment agencer des formes, lignes et couleurs sur une surface donnée ? L'observation des jeux d'ombres et de lumières alimente à cet égard la conception dialectique de l'artiste, seule compte à ses yeux l'interrelation entre les panneaux et l'espace environnant. D'où le recours fréquent à des châssis qui transgressent l'orthogonalité imposée par les usages sociaux de l'objet tableau. Dans la même optique, il emploie aussi des constructions « illusionnistes » qui ambitionnent justement d'ouvrir la deuxième dimension sur la troisième. La forme courbée expérimentée dès les années 1950 va, à ce titre, servir de véritable signature à l'artiste qui l'utilise abondamment dans les années 1970 (dans les œuvres de sa série Curve – peintures, sculptures et collages). Autant de réminiscences d'éléments curvilinéaires propres à l'anatomie humaine, aux paysages et végétaux auxquels Kelly confère des survivances désincarnées. Autant de moyens de fédérer la forme, la ligne et la couleur au sein de constellations en apesanteur. Jannis Kounellis - né en 1936 au Pirée, Grèce7 Chacune des œuvres de cet admirateur de Piranèse, mises en espace plutôt que mises en scène dans l'espace réel - Kounellis récuse le terme d'« installations », peut être considérée comme un cérémonial muet, répondant à une situation culturelle et politique donnée. Pour lui, « l'artiste est toujours une figure morale », « l'avant-garde est tension » - ou ils ne sont rien. Sans doute cet avant-gardiste laïc a-t-il donné un sens « sacré » à l'objet d'usage quotidien et à la poésie un pouvoir de choc physique et mental, de l'ordre d'une révélation métaphysique sur le monde. Kounellis s'est opposé aux courants de mode des années 1980 (trans-avant-garde, post-modernisme), où les citations du passé demeurent, selon lui, les ornements vides d'une culture élégante dont il a contesté l'idéologie mercantile. Jannis Kounellis utilise les moyens de l'art pour dire quelque chose qui le transgresse et nie en tout cas le caractère gratuit, superficiel, non historique et non idéologique de l'art : chacune de ses œuvres tente de mettre au jour une problématique de sens. Mettre en scène des matériaux bruts comme la tôle, le charbon, la laine, les pierres, les sacs de café, les vieux morceaux de bois, les cheveux ne constitue pas juste un jeu facile - et qui n'a eu que trop d'adeptes - de récupération « artistique » de matériaux bruts. Jannis Kounellis est, en effet, un théoricien et un écrivain autant qu'un artiste. Chez lui, les intentions culturelles prédéterminent les formes de ses œuvres, comme si sa plus grande inquiétude était de voir ces dernières se dissoudre, se confondre, avec un simple nihilisme. Ici, les matériaux évoquent la production industrielle mais font aussi immanquablement référence au travail de Venet : charbon et métal, courbe et ligne droite… Sol LeWitt - Né en 1928 à Hartford, Connecticut Convaincu, à la suite d'interminables discussions et réflexions sur le devenir de la peinture, que l'objet tableau est arrivé à un point de non-retour, LeWitt commence progressivement à ouvrir celui-ci à une troisième dimension. En s'attachant à des formules géométriques simples et permutables, il conçoit ses premières structures et pièces murales en 1962 (Wall Structures et

7 Texte essentiellement issu de l’Encyclopaedia Universalis, auteur : Alain Jouffroy

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Wall Pieces). En 1963, il réalise des structures prenant appui sur le sol (Floor Pieces), puis des structures modulaires « ouvertes ». En 1964, il se concentre sur une œuvre qu'il cherche à épurer et à radicaliser, il adopte un blanc émaillé et poli débarrassé de toute facture personnelle. À partir de 1965, il met en place de nouveaux principes de construction rationnels et commence à incorporer plus ostensiblement des options sérielles. L'artiste est, en effet, essentiellement attaché aux différentes formules ou systèmes qui préfigurent les objets réalisés, démontrant que l'« idée » lui importe plus que sa concrétisation. Ses sculptures deviennent des structures modulaires : des constructions qui répètent et ordonnent une même unité en suivant des principes de progression géométrique. Les formes sont posées à même le sol pour remettre en cause l’usage du socle dans la sculpture classique ; elles sont peintes en blanc, afin d’éliminer toute qualité de représentation et d’expression. Plan, relief, volume, structure, vide, variations autour de lignes verticales, horizontales et obliques … Ces oeuvres appliquent un postulat énoncé par Sol LeWitt tour à tour en 1967 et 1969 dans ses deux grands textes Paragraphs on conceptual Art et Sentences on conceptual Art : l’œuvre n’est que l’illustration d’une idée. Ni ses détails matériels, ni ses limites dans l’espace, n’ont d’importance. En droit, elle pourrait se développer à l’infini. L’importante série de wall drawings (« dessins muraux ») est « pensée » par l'artiste et dans la grande majorité des cas − fidèle en ce point à son exigence conceptuelle − exécutée par des assistants afin de gommer toute forme de subjectivité. Robert Morris - né le 9 février 1931 à Kansas City (Missouri) Il a fortement contribué à l'expansion du champ de la sculpture, dans les années 1960-1970 en montrant que la signification d'une œuvre dépend plus de sa relation à l'espace environnant et de l'expérience qu'en fait le spectateur que de sa forme. Selon l'historienne d'art Rosalind Krauss, la sculpture se définit, pour lui, négativement : « Elle se réduit à la simple détermination d'être ce qui dans la pièce [la galerie] n'est pas la pièce », ou, de même, ce qui dans le paysage n'est pas le paysage. L'artiste s'inscrit dans le contexte du minimalisme : selon qu'elles sont couchées ou dressées, des formes identiques produisent une perception différente, qui « dépend à l'évidence de l'orientation dans l'espace qu'elles partagent avec notre propre corps », note R. Krauss dans Passages in Modern Sculpture, qui poursuit : « leur différence est leur signification sculpturale ». Les œuvres, faites de segments permutables ou de lambeaux de feutres découpés, mis en forme dans l'acte même de leur accrochage, participent de cette notion d'Antiform élaborée par l'artiste. Avec l’utilisation de feutre, la sculpture devient « molle » ; cela ouvre une réflexion sur l'antiforme : le matériau, fendu et suspendu, est soumis à la pesanteur qui détermine la configuration finale de l'œuvre. Robert Motherwell - 24 janvier 1915, Aberdeen (Washington) - 16 juillet 1991, Provincetown (Massachusetts), Il appelle « extension de la division » la simultanéité de l’acte de peindre et de celui de dessiner. Ce qu’il appelle des « gribouillis » donne naissance à de nouvelles idées. « Je commence à peindre sur le sol. La peinture, quand je peins à la verticale, goutte trop. On contrôle mieux la toile quand on peint à l'horizontale, et en même temps on a une vue moins restreinte. Je peux tourner autour, par exemple. Je m'acharne sur la surface plane et, miraculeusement, l'espace tridimensionnel prend une existence pour lui-même. Je finis par terminer le tableau à la verticale, debout. »8

8 Propos du peintre recueillis par Marcelin Pleynet in Beaux Arts magazine, n° 72, octobre 1989

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Motherwell affectionne le principe de suites très différentes les unes des autres. Ainsi les toiles d'Open Series, qu'il entreprend en 1967, proposent-elles des quadrilatères déposés un à un sur un large fond monochrome, alors que les Elegies to Spanish Republic, dont le cycle commence en 1948 pour ne s'achever qu'à la mort de l'artiste, alignent d'épais fuseaux semblables aux colonnes d'un temple érigé à la gloire des antifranquistes. Motherwell déploie une belle ardeur graphique, jouant des formats et des techniques, variant le registre des lignes. Robert Rauschenberg - 22 octobre 1925, Port Arthur, Texas - 12 mai 2008, Captive Island, Floride Il est considéré comme le précurseur du Pop Art ; ses réalisations vont de la peinture à la sculpture, en passant par la photographie et des œuvres spécifiquement conçues pour des chorégraphies. L'approche de Rauschenberg fut parfois qualifiée de "Néo-Dada", label qu'il partageait avec le peintre Jasper Johns. L’artiste affirmait vouloir travailler "dans l'intervalle entre l'art et la vie" ("in the gap between art and life"). Dans la lignée de Marcel Duchamp, il interroge la différence entre objets d'art et objets de la vie quotidienne. Il commence à explorer la technique du transfert avec solvant dans son travail de dessins en 1958 (34 Drawings for Dante's ‘Inferno'). Cette « reprographie de reprographies », usant de ces photographies de presse et de textes plus ou moins tronqués, permet à Rauschenberg d'interroger le principe de la reproductibilité de l'œuvre et ses conséquences. En ce sens, son travail peut s’apparenter à celui d’Andy Warhol et aux interrogations de Walter Benjamin. « Quand j'utilise des images, je m'efforce de montrer que le moment est passé. La photo arrive inévitablement trop tard : j'utilise ainsi beaucoup d'images imprimées, déjà reproduites, qui accusent ce caractère » Le montage fait par l’artiste évoque un collage, il y a superposition, dégradation de l’image d’origine, présence de zones plus ou moins nettes. Il choisit des coupures de presse gorgées d’encre, les étend sur une surface plane et presse leurs revers après y avoir appliqué du solvant. Reste la licencieuse appropriation d’images reproduites mécaniquement, abandonnées à leur réalité brute, libérées de tout souci de facture et d’expressivité. Plus de catégories, juste une actualité quotidienne figée mais brouillée par un surplus d’informations où tout revêt la même importance, entre vérité et mensonge. L’universalité de la communication, des moyens de représentation confèrent une distance nouvelle au hasard généré par les juxtapositions. De ces recherches découleront ses silkscreens, oeuvres textiles utilisant la sérigraphie sur pans de tissu, de taille plus imposante : plusieurs épaisseurs de soie ou de satin, respectivement imprimées et superposées constituent un nouveau type de support. Le jeu - qui naît alors de la translucidité des pans - tient du montrer / cacher. Cette collecte d’images « toute faites » entraîne le spectateur dans un vertige faisant écho à l'Amérique du début des années 1960. Les astronautes, les hélicoptères de l’armée, JFK, de parfaits inconnus, des mots inversés et des joueurs de base-ball y jouxtent parfois des allusions à Velázquez et à Duchamp. Ce travail spécifique de Rauschenberg prouve la propension de cet artiste à " considérer le monde comme une peinture gigantesque." Ces travaux-là sont comme un dialogue ouvert, associant le rôle omniprésent des mass médias dans l’american way of live, témoignant de l’époustouflante avancée technologique (les voyages dans l’espace) écrasant le passé. Ces écrans de soie tiennent de la manipulation d’images elles-mêmes destinées à manipuler… Richard Serra – Né le 2 novembre 1939, San Francisco Après des études à l’université de Berkeley, il travaille avec Joseph Albers, puis voyage en Europe (1964-66), principalement en France et en Italie. À Paris, il admire l’œuvre de Brancusi et à Rome, il expose ses premières œuvres. Rentré en Amérique, il s’établit à New York en 1967, il fait partie du groupe Anti-form.

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Son œuvre, divisée en plusieurs séries, utilise différents matériaux : caoutchouc et néons (66 - 67), métal fondu et coulé (68 - 70) ; simultanément, il réalise ses projections de plomb au sol (Splash Pieces) et crée des sculptures massives, monumentales, à l’apparent équilibre instable, qui lui ont valu une renommée internationale. Depuis 1970, il conçoit de grandes sculptures qui s’inscrivent directement dans le paysage. D’abord plates et enfoncées dans le sol, elles occuperont de plus en plus le paysage, par exemple Shift (Changement de position), réalisé entre 1970 et 1972, sur plus de 300 mètres dans un champ de la campagne canadienne. La matière du temps, installation spécifiquement créée pour intégrer le musée Guggenheim à Bilbao, constitue une expérience physique étonnante pour le public. Le diptyque, composé de deux rectangles de lin couverts de crayon gras, présenté à Toulouse, témoigne d’une liaison inextricable de l’œuvre avec son lieu d’implantation. Ces formes géométriques basiques interrogent la ligne, le plan, l’intervalle, l’occupation du mur où elles prennent place, le vide, le plein, un potentiel « hors-champ », une éventuelle expansion... Frank Stella - né le 12 mai 1936 à Malden (Massachusetts), Peintre américain considéré comme un des précurseurs du minimalisme, il fut l'un des premiers artistes à avoir été entièrement formé par l'art abstrait, Stella dissocie progressivement la relation entre expressionnisme et abstraction qui fondait l'expressionnisme abstrait. Il cherche à isoler les différents éléments constitutifs de la peinture – châssis, toile, couleur, format – pour les ré-arranger. Il produit des travaux qui ont souligné l'image comme objet, plutôt que l'image comme représentation de quelque chose. Il affirme qu'une image n’est qu’« une surface plate avec de la peinture dessus - rien de plus ». Cette nouvelle expression esthétique se traduit, à partir de 1960, par des peintures sur aluminium et sur cuivre qui présentent des lignes régulières de couleur séparées par des filets. Lors de sa première exposition personnelle en 1963, il présente ses Black Paintings (peintures noires), travail déjà montré en 1959 par le Museum of Modern Art de New York dans le cadre de l’exposition « Sixteen Americans ». Le noir y est posé en bandes régulières séparées par de fins traits blancs, comme pour construire un pattern (motif) : c'est la fin de l'expressionnisme abstrait et le début de la peinture-objet, qui exercera une profonde influence sur la naissance du minimalisme. Carl André décrivait ainsi les peintures à bandes de Frank Stella : « L'art exclut le superflu, ce qui n'est pas nécessaire. Pour Frank Stella, il s'est avéré nécessaire de peindre des bandes. Il n'y a rien d'autre dans sa peinture. Frank Stella ne s'intéresse pas à l'expression ou à la sensibilité. Il s'intéresse aux nécessités de la peinture... Ses bandes sont les chemins qu'emprunte le pinceau sur la toile. Ces chemins ne conduisent qu'à la peinture. » L’artiste travaille sur de grands formats et par séries. Il invente les « shaped canvases » (« toiles découpées »), dont le contour coïncide avec la limite extérieure de l’image ; elles sont noires, blanches ou multicolores. Stella travaille également sur des supports en aluminium et en cuivre, également découpés. Jusqu’en 1975, il mène l’avant-garde américaine vers le minimalisme et se concentre sur les rapports couleur-forme, travaillant toujours par séries et se dégageant de la forme traditionnelle du tableau. Il dit utiliser « la technique et les outils d'un peintre en bâtiment ». À partir de 1975, son travail subit une inflexion très marquée : l’artiste réalise alors des compositions en reliefs, baroques, dans lesquelles il entrelace une multitude de formes découpées et ajoute des arabesques de couleurs acidulées. Il crée toujours des séries. Depuis les années 1980, il crée des sculptures monumentales en acier poli ou brûlé.

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ECHOS : L’art minimal est un de ces mouvements d’après guerre qui a eu une énorme influence sur les autres domaines de la création comme le design, l’architecture mais aussi la musique et la littérature. Il suffit de comparer les Modular repetitions du compositeur T. Riley et les Serial forms de F. Stella ou D. Judd pour saisir leur intérêt commun pour le rythme répétitif incluant un minimum de variations. CULTURE SCIENTIFIQUE Cercles, tores, cubes, rectangles et parallélépipèdes : l'art minimal impose son identité à travers des figures réduites à leur expressivité la plus pure. Il a vocation à mettre l'espace en valeur : Robert Morris a recours à la géométrie euclidienne (système de transformations et formes primaires) pour effectuer ses cubes, Fred Sandback dispose ses sculptures en fils (acier, élastique, tissu) délimitant des formes géométriques simples afin de cerner l’espace plutôt que de l’occuper, Sol LeWitt explore le cube non seulement dans sa forme mais dans son volume et son éventuelle expansion. Les opérations plastiques selon lesquelles sont engendrées les œuvres (greffer, imbriquer, aligner, superposer, juxtaposer) entretiennent autant de liens avec la géométrie dans l’espace qu’avec les nouveaux programmes de technologie de 5e. Les produits et les procédés de l’ère industrielle perdent leur fonction première et sont dérivés en matériaux syntaxiques. Transformés en grammaire et en vocabulaire ils laissent ressortir leur structure. «Cube», «Poutre», «Coin», ces œuvres exposées dans de grands espaces nus, apparaissaient naturellement comme autant de jeux où les formes de base peuvent se combiner pour devenir architecture. Programmes de mathématiques, classe de 3 e, 2008 - Géométrie

o passer de l’identification perceptive (la reconnaissance par la vue) de figures et de configurations à leur caractérisation par des propriétés (passage du dessin à la figure) ;

o isoler dans une configuration les éléments à prendre en compte pour répondre à une question ; o être familiarisé avec des représentations de l’espace, notamment avec l’utilisation de

conventions usuelles pour les traitements permis par ces représentations ; o découvrir quelques transformations géométriques simples : symétries : symétries axiales et

centrales ; o se constituer un premier répertoire de théorèmes et apprendre à les utiliser.

- • Grandeurs et mesure o se familiariser avec l’usage des grandeurs les plus courantes (longueurs, angles, aires, volumes,

durées) ; o connaître et utiliser les périmètres, aires et volumes des figures planes et des solides étudiés ; o calculer avec les unités relatives aux grandeurs étudiées, ainsi qu’avec les unités de quelques

grandeurs quotients et grandeurs produits Programmes de technologie, classe de 5 e, 2008 En classe de cinquième, l’enseignement de la technologie prend appui sur le domaine d’application : « habitat et ouvrages ». Ainsi, l’élève est situé au coeur des objets techniques de son environnement (ouvrage d’art, habitation individuelle, équipements collectifs, monument, local industriel et/ou commercial, aménagement urbain, aménagements intérieurs…) dont il apprécie l’évolution dans le temps. Le logement, l’agencement des bâtiments publics et d’habitation, la construction d’ouvrages et d’ouvrages d’art…, la stabilité des structures, sont autant d’applications sur lesquelles il est pertinent de faire s’interroger l’élève.

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Salk Institute, La Jolla

Détail d’une façade Musée juif - Berlin

Les supports d’enseignement sont choisis par le professeur de façon à permettre une approche des principes techniques de base, des notions relatives à leur évolution technique, aux énergies et aux caractéristiques des matériaux traditionnels ou innovants utilisés. Les objets techniques retenus doivent privilégier la réflexion sur les structures et l’agencement. ARCHITECTURE L’architecture internationale des années soixante se caractérise par la multiplicité de ses propos. L’œuvre individuelle supplante l’appartenance à un mouvement : tout se passe comme s’il y avait autant de théories que d’architectes. Formes et styles les plus divers cohabitent sans être assimilables à une école spécifiquement en lien avec l’art conceptuel ou le minimalisme. Cependant, on peut pointer des éléments qui entrent en résonance avec ces mouvements. Par exemple, l’œuvre de Kahn présente des particularités plastiques et sculpturales qui la rapprochent parfois du minimalisme tandis que celle de Libeskind tend plus vers une dimension conceptuelle. A l’espace homogène que célébrait l’architecture dite « internationale » s’oppose de plus en plus la prise en compte du lieu. Les exemples suivants ne se veulent exhaustifs, ils pointent juste certains rapprochements auxquels les élèves pourraient être confrontés :

Louis Kahn renouvelle l'emploi des formes géométriques. Le cercle, le triangle, le carré étaient déjà employés par les Modernistes des années 1920 mais il en propose un nouvel usage esthétique. Dans sa première réalisation d'importance, la Yale university art gallery, on perçoit le complet renouvellement en cours : les plafonds sont formés d'un réseau de caissons triangulaires en béton, la cage d'escalier est un cylindre dont la lumière zénithale modèle une forme triangulaire. Car c’est un maître de la lumière : provenant du haut par des percements géométriques, la lumière ajoute à la monumentalité des espaces.

En 1989, Daniel Libeskind remporte le concours du musée Juif de Berlin, un édifice qui – selon ses propres mots « n’est pas un monument commémoratif dédié aux morts, mais est destiné aux vivants. » En rupture avec l’urbanisme environnant, le bâtiment forme une étoile de David déconstruite et ressemble, vue d’avion, à un éclair. Les façades sont recouvertes de zinc monoxydé (dont la couleur évolue au rythme du temps) et parcourues de longues ouvertures obliques, ne laissant filtrer que de très minces faisceaux lumineux. Aucune porte d'entrée ne permet d’y accéder ; il est nécessaire de passer par un bâtiment voisin puis d’emprunter un souterrain pour y aboutir. A l’intérieur, l’espace est

étonnement laissé vide. Constamment placé en situation de déstabilisation, le public est convié à physiquement s’imprégner de trois atmosphères. Celles-ci correspondent à la continuité de la présence juive en Allemagne (le visiteur emprunte un monumental escalier droit sur trois niveaux), à l’exil (il circule dans un jardin extérieur composé de quarante-neuf piliers remplis de terre de Jérusalem et de Berlin, d’où émergent des arbres, uniquement visibles du ciel) et, enfin, à l’Holocauste (il s’enferme dans une tour et se confronte à la solitude, au silence).

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Église de la lumière

Osaka, Japon 1987

Kurokawa, Tour de capsules Nagakin

Norman Foster Carré d'Art 1985-1993

Nîmes

Que l’on se réfère aux structures de Moshe Safdie (Habitat 67, Montréal) ou aux cellules de Kurokawa (Tour de capsules Nagakin, Tokyo, 1971) il est ici question de modularité, de combinatoire et de potentielle prolifération de ces constructions dans leur espace d’implantation. Entre « achevé » et sensation de « possible expansion », cette répétitivité de formes identiques convoque la question de l’agencement. Dans ce jeu de progression, permutation ou inversion - majoritairement établi à partir de cubes ou de parallélépipèdes – se profile l’idée d’aboutir au maximum de développements potentiels - chère à la démarche d’un Sol Lewitt.

Tadao Ando privilégie la sobriété des matériaux et des volumes : il laisse pénétrer la sérénité de la nature environnante dans ses espaces intérieurs, réunissant la géométrie et la nature en une architecture de méditation mondialement connue. L'église de la lumière à Osaka ressemble à une boîte de 6 x 6 x 18 m. Derrière l’hôtel est ménagé un « détail » saisissant : une ouverture cruciforme filtre la lumière et donne toute son identité au bâtiment. La question de l’échelle se voit reprise dans les propositions de Tadao Ando (qui explique, dans un de ses premiers articles, que la construction massive de bâtiments due à des contraintes économiques et sociales a donné naissance à un paysage « abrutissant » pour les habitants).

L’architecture de Norman Foster allie une recherche purement technique - veillant à la clarté des assemblages structurels, à la flexibilité et au caractère évolutif des bâtiments - et une approche de designer - attachée à la pureté, à la qualité des appareillages, au poli des façades de verre… Son Carré d'Art (1985-1993, Nîmes) se présente comme un grand parallélépipède rectangle9. Ce bâtiment de verre, aux lignes d'une pureté parfaite et dont la caractéristique principale réside dans la transparence, pose la question de l'insertion de constructions contemporaines dans des sites urbains traditionnels. En effet, cette réalisation s’inscrit avec sobriété dans un site historique fortement « marqué » dans lequel se dresse la Maison carrée, temple romain datant du Ier siècle avant J.-C.

LETTRES : Créée en 1994 à Paris, dans une distribution irréprochable (Vaneck, Luchini, Arditi), Art10 a fait connaître Yasmina Reza sur les scènes du monde entier. C'est dire l'universalité du thème, l'humanité des personnages et la virtuosité des dialogues qui font déjà de cette pièce un classique

9 Un atrium central, qui évoque les cours intérieures des maisons nîmoises, est coiffé d'une verrière permettant à la lumière, autre élément fondamental de cette architecture, de pénétrer largement dans le bâtiment. Celui-ci compte neuf niveaux, dont quatre se trouvent situés au-dessus de la chaussée. Les deux niveaux sont réservés au seul musée et constituent les espaces de présentation des collections et des expositions temporaires. Dès le hall, le visiteur est accueilli par deux oeuvres conçues spécialement pour Carré d'Art : Mud Line de Richard Long et Gaul d'Ellsworth Kelly.

10 Yasmina Reza, Art, Actes Sud, 1999

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de la comédie de mœurs. Comme chez Molière ou Labiche, Feydeau ou Ribes, les élèves découvriront que le " goût des autres " reste le plus efficace des ressorts dramatiques et combien la fantaisie la plus extravagante peut révéler d'angoisse existentielle. " Mon ami Serge a acheté un tableau [...] un tableau blanc avec des liserés blancs. " Médecin dermatologue, Serge aime l'art moderne et Sénèque, qu'il trouve " modernissime ". Ingénieur dans l'aéronautique, Marc a des goûts plus traditionnels et ne comprend pas que son ami Marc ait pu acheter " cette merde deux cent mille francs ". Quant à Yvan, représentant dans une papeterie, il aimerait ne contrarier aucun de ses deux précieux amis. Mais les disputes esthétiques autour du " tableau blanc " dégénèrent dans un crescendo hilarant et féroce, qui ne laissera personne indemne... Extraits : SERGE : Que tu trouves cet achat prodigieux tant mieux, que ça te fasse rire, bon, mais je voudrais savoir ce que tu entends par "cette merde". MARC : Tu te fous de moi ! SERGE : Pas du tout. "Cette merde" par rapport à quoi ? Quand on dit que telle chose est une merde, c'est qu'on a un critère de valeur pour estimer cette chose. Tu ne t'intéresses pas à la peinture contemporaine, tu ne t'y es jamais intéressé. Donc comment peux-tu affirmer que tel objet, obéissant à des lois que tu ignores, est une merde ? MARC : C'est une merde. Excuse-moi. Chez Yvan. Au mur, une croûte. Yvan est de dos, à quatre pattes. Il semble chercher quelque chose sous un meuble. Marc entre et ignore dans un premier temps Yvan. MARC : Serge... Un garçon aisé mais qui ne roule pas sur l'or, qui achète un tableau blanc vingt briques. Je dois m'en référer à Yvan qui est notre ami commun, en parler avec Yvan. Quoique Yvan est un garçon tolérant, ce qui en matière de relations humaines est le pire défaut. Yvan est tolérant parce qu'il s'en fout. Si Yvan tolère que Serge ait pu acheter une merde blanche vingt briques, c'est qu'il se fout de Serge. C'est clair. […] MARC : Blanc. Représente-toi une toile d'environ un mètre soixante sur un mètre vingt... fond blanc... entièrement blanc...en diagonale, de fines rayures transversales blanches... tu vois... et peut-être une ligne horizontale blanche en complément, vers le bas... YVAN : Comment tu les vois ? MARC : Pardon ? YVAN : Les lignes blanches. Puisque le fond est blanc, Comment tu vois les lignes ? MARC : Parce que je les vois. Parce que mettons que les lignes soient légèrement grises, ou l'inverse, enfin il y a des nuances dans le blanc ! Le blanc est plus ou moins blanc ! YVAN : Je vois. MARC : Maintenant tu vas deviner combien Serge l'a payé. YVAN : Qui est le peintre ? MARC : J'étais sûr que tu poserais cette question. YVAN : Logique, tu me demandes de deviner le prix, tu sais bien que le prix est en fonction de la côte du peintre... MARC : Je ne te demande pas une évaluation professionnelle, je te demande ce que toi, Yvan, tu donnerais pour un tableau blanc agrémenté de quelques rayures transversales blanc cassé. YVAN : Zéro centime. MARC : Bien. Et Serge ? Articule un chiffre au hasard. YVAN : Dix mille. MARC : Ah ! Ah !

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YVAN : Cinquante mille. MARC : Vas-y... YVAN : Quinze... Vingt ?!... MARC : Vingt. Vingt briques. YVAN : Non ?! MARC : Si. YVAN : Vingt briques ??! MARC : ...Vingt briques. YVAN : ...Il est dingue !... […] Marc se baisse pour être à la hauteur du tableau. Sous le regard horrifié d'Yvan, il suit avec le feutre un des liserés transversaux. Serge est impassible. Puis, avec application, Marc dessine sur cette pente un petit skieur avec un bonnet. Lorsqu'il a fini, il se redresse et contemple son oeuvre. Serge reste de marbre. Yvan est pétrifié. Silence. […] Chez Serge. Marc et Serge sont devant l'Antrios, à nouveau blanc. MARC : Tu savais que les feutres étaient effaçables ? SERGE : Pas du tout. Marc s'avance sur le devant de la scène. MARC : Sous les nuages blancs, la neige tombe. On ne voit ni les nuages, ni la neige. Ni la froideur et l'éclat blanc du sol. Un homme seul, à ski, glisse. La neige tombe. Tombe jusqu'à ce que l'homme disparaisse et retrouve son opacité. Mon ami Serge, qui est un ami depuis longtemps, a acheté un tableau. C'est une toile d'environ un mètre soixante sur un mètre vingt. Elle représente un homme qui traverse un espace, et qui disparaît. MUSIQUE11 :

John Cage - 5 septembre 1912, Los Angeles - 12 août 1992, New York. Son premier contact avec la musique se fait par l’apprentissage, enfant, du piano. Plus tard, lassé par un système scolaire fondé sur la répétition et l’uniformité, il part en 1930 pour l’Europe à la recherche de nouvelles expériences. De retour en Californie l’année suivante, il entreprend des études de composition et prend des cours particuliers. De 1935 à 1936 il étude l’analyse, la composition, l’harmonie et le contrepoint avec Arnold Schoenberg et comprend, à cette occasion, son peu d’inclination pour la pensée harmonique. Entre 1938 et 1940, il travaille à la Cornish School de Seattle où il rencontre Merce Cunningham – qui devient son compagnon et collaborateur. Durant cette période, il écrit son manifeste sur la musique The Futur of Music : Credo ; invente le water gong et le piano préparé et, enfin, compose Imaginary Landscape N° 1 (1939), une des premières œuvres utilisant des moyens électroniques. Après ces années de formation où voix et percussions sont ses instruments de prédilection, les

11 Le contenu de ces présentation émane essentiellement du site de l’IRCAM : http://brahms.ircam.fr/

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années quarante sont décisives. À New York, il participe à un concert au MoMA où est créée Amores (1943) ; il fait la connaissance du musicien hindou Geeta Sarabhai. En 1948, il termine les Sonatas and interludes, fruit de plusieurs années d’exploration du piano préparé. En 1949, de nouveau à Paris, il travaille sur la musique de Satie et rencontre notamment Olivier Messiaen, Pierre Schaeffer et Pierre Boulez. Il échangera avec ce dernier une longue correspondance jusqu’en 1954. De retour à New York l’année suivante, Cage se lie à ceux qui formeront l’école dite « de New-York ». Son amitié avec les peintres de ce même cercle, notamment Robert Rauschenberg, est tout aussi importante, comme le montre la pièce silencieuse 4’33’’ (1952). Avec Music of Changes (1951) et Untitled Event (1952) naissent les premiers happenings. Water music (1952) explore les notations non conventionnelles. La fondation de la compagnie de danse Merce Cunningham en 1953, dont il devient le directeur musical jusqu’à sa mort, inaugure une longue collaboration avec le chorégraphe dans laquelle musique et danse coexistent sans rapport de subordination. C’est également à cette période que Cage commence à travailler avec des opérations de hasard et avec l’indétermination : première utilisation du Yi King dans le troisième mouvement de son Concerto for Prepared Piano and Chamber Orchestra (1957-1958). Son intervention aux cours d’été de Darmstadt en 1958, « Composition as Process » et ses pièces indéterminées, parmi lesquelles Variations I, créeront de grands débats au sein de l’avant-garde européenne. En 1961 paraît Silence : Lectures and Writings. Sa conception de la musique comme théâtre prend forme en 1962 avec la première de 0’00’’ (4’33’’ nº 2). Les Variations V et VII, Musicircus (1967), HPSCHD avec Lejaren Hiller, le concert de musique électronique/échecs Reunion (1968) avec Marcel Duchamp et Teeny Duchamp, constituent autant d’étapes importantes dans la gestation de l’art multimédia et environnemental. Les Song Books publiés en 1970 rassemblent une grande variété de procédés compositionnels et de types de notation. L’activité plastique de John Cage débute avec l’exposition de ses partitions en 1958 dans la Stable Gallery et, malgré des incursions régulières dans le champ des arts visuels, c’est avec les « gravats » réalisés à Crown Point Press que cette activité devient essentielle, avec la production de quelques neuf cents gravats, aquarelles et dessins jusqu’à sa mort. Dans ces œuvres – comme dans ses mesostics en 1976, Cage suit les mêmes principes de travail que dans sa musique. Les principes fondamentaux du langage expérimental de Steve Reich, Philip Glass et Terry Riley, entre autres, reposent sur la distinction son / musique. Entendre isolément les parties distinctives de leurs compositions, incorporer le hasard et les « sons trouvés » à ce matériau, façonner de manière inédite les formes musicales traditionnelles - en commençant par la répétition, comme moyen donné à l’auditeur d’ « entendre réellement » - s’intègrent à l’explosion des recherches artistiques en matière de perception. Plus qu'un retour à la tonalité, le courant est surtout caractérisé par l'utilisation d'une pulsation régulière et la répétition de courts motifs évoluant lentement. Au-delà d'un mouvement de réaction au sérialisme, alors dominant en Europe, la musique minimaliste marque l'émergence d'une musique américaine novatrice, déliée de ses attaches européennes. Les compositeurs minimalistes ont aussi opéré un retour vers plus d'émotivité musicale, au lieu de l'approche essentiellement intellectuelle de la musique sérielle, ou l'approche conceptuelle de la musique expérimentale telle que la pratique John Cage. Après des débuts difficiles hors des circuits traditionnels de la musique classique, la musique minimaliste a acquis l'adhésion d'un large public, venant parfois d'univers différents comme le jazz, le rock, les musiques improvisées ou la musique électronique. La télévision et le cinéma ont abondamment utilisé cette musique, en particulier les œuvres de Philip Glass, contribuant à sa diffusion auprès du grand public.

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Terry Riley - né le 24 juin 1935 à Colfax, Californie Est considéré comme l’un des fondateurs de la musique minimaliste, courant de la musique contemporaine. Son plus influent professeur fut Pandit Prân Nath, un maître du chant classique indien, qui enseigna également à La Monte Young. Durant leur association, Terry Riley fit de nombreux voyages en Inde pour étudier mais aussi pour l'accompagner aux tablas, tampoura et au chant. C'est durant les années 1960 qu’il inaugure ses fameux "All-Night Concerts", durant lesquels il jouait, essentiellement en improvisant, de la nuit tombée jusqu'au petit matin suivant. Il utilisait un vieil harmonium (rafistolé avec un moteur d'aspirateur) et un saxophone couplé à un enregistreur magnétique dit "tape-delayed" - ce type d'enregistreur modifié permettant de repasser en boucle, avec un retard, le son immédiatement enregistré. Il introduit deux éléments fondamentaux du minimalisme : le retour à la musique tonale et la répétition de motifs musicaux. Son œuvre la plus marquante est sans conteste In C ("en do"), créée en 1964. Cette pièce ouverte, comprenant 53 figures pouvant être jouées par n’importe quel nombre de musiciens, constitue une approche radicalement nouvelle de la composition. Terry Riley décrit ainsi la façon de jouer : " Tous les interprètes jouent la même partition de 53 motifs à répéter (...). Chaque interprète a la liberté de choisir le nombre de répétitions avant qu'il ne passe au motif suivant. Aucune règle ne fixe le nombre de répétitions ". Bien que l'interprétation soit très libre, Riley préconisait toutefois que les différents interprètes se surveillent quand même, de façon à ce qu'ils n'aient pas trop d'avance ou de retard les uns par rapport aux autres. La composition Keyboard Studies, pour un seul interprète, est structurée de la même façon. Terry Riley coopéra longuement avec le Kronos Quartet. Steve Reich - né 3 octobre 1936 à New York, Musicien et compositeur américain, considéré, lui aussi, comme l'un des pionniers de la musique minimaliste, Il étudie d’abord le piano puis se tourne vers la percussion après avoir entendu le batteur Kenny Clarke accompagner Milles Davis. Il entre à la Cornell University en 1953 et obtient une licence de philosophie en 1957. Reich approfondit aussi sa connaissance de l’histoire de la musique (de Bach au XXe siècle) en assistant aux cours de William Austin. De retour à New York, il étudie la composition à la Juilliard School (1958-61) où il fait la connaissance de Philip Glass, puis en Californie au Mills College. Il rejette le sérialisme mais s’imprègne du jazz modal de Coltrane. Reich trouve également dans la musique de Stravinsky l’écho de ses propres préoccupations : la recherche d’un matériau mélodico-rythmique opérant par répétitions dans un langage tonal/modal. Son goût pour les musiques populaires et pour le jazz se conjugue de façon naturelle avec son intérêt pour les musiques « savantes » du vingtième siècle. Reich porte tôt un regard critique sur la hiérarchisation du monde musical, considérant que c’est Schönberg qui est responsable du divorce entre le populaire et le savant. Fait essentiel qui restera toujours fondamental dans son activité créatrice, sa vie musicale est enracinée dans la pratique. Il joue dans les clubs de jazz new-yorkais de Downtown. La stabilité de la pulsation sera, comme dans le jazz, l’épine dorsale de sa musique, tout comme sa tonalité/modalité en sera la substance En 1964, il participe à la création de la pièce répétitive In C de Terry Riley qui influence fortement son approche de la musique répétitive. Reich fréquente alors les artistes plasticiens de sa génération tels Sol LeWitt et Robert Smithson. Pour caractériser son œuvre, et spécialement ses compositions de la période 1965-1976, il préfère utiliser l'expression « musique de phases » (traduite de l'américain Phasing), qui fait référence à son invention de la technique musicale du déphasage. Le minimalisme de La Monte Young, Riley et Glass séduit Reich car il apparaît alors comme une alternative autant à la discontinuité et à la non-harmonie de la musique sérielle des années soixante qu’à l’indéterminisme de Cage. Il est aussi une réponse au néoclassicisme et au néoromantisme qu’il réprouve. Bien qu’elle soit aussi fondée sur le principe de la répétition, la pensée musicale de Reich va pourtant s’éloigner de celle des minimalistes dont elle ne partage pas, entre autres, l’absence de

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concepts solides. Ceux qui régissent la musique instrumentale de Reich se caractérisent alors par un matériau mélodique tonal/modal limité à quelques notes jouées sur un rythme simple reposant sur une pulsation constante, un cycle de déphasage de ce matériau par rapport à lui-même, une prédilection pour les sonorités percussives et l’emploi de mêmes timbres. Reich nourrit sa réflexion dans une prospective géographiquement large. Pour lui, « c’est la musique non-occidentale en général et, en particulier, les musiques africaine, indonésienne et indienne qui fourniront de nouveaux modèles structuraux aux musiciens occidentaux. Mais elles ne constitueront pas de nouveaux modèles sonores » Convaincu de la nécessité d’apprendre à jouer ces musiques, il part étudier les percussions africaines au Ghana pendant l’été 1971. L’expérience africaine confirme son intuition que les instruments acoustiques peuvent être utilisés pour produire une musique authentiquement plus riche en sonorités que celle des instruments électroniques, de même qu’elle confirme son inclination naturelle pour les instruments à percussion. Reich compose alors Drumming (1971), pour percussions, 2 voix de femme, sifflements et piccolo À partir de 1976, il développe une écriture musicale basée sur le rythme et la pulsation avec l'une de ses œuvres les plus importantes, Music for 18 Musicians, qui marque le début de son large succès international. Philip Glass - Né à Baltimore le 31 janvier 1937 Il découvre la musique dans l'atelier de réparation de radio de son père, Ben Glass. Ce dernier possédait aussi un rayon de disques et, quand certains d'entres eux se vendaient mal, il les ramenait chez lui pour les faire écouter à ses enfants et essayer de comprendre pourquoi ils repoussaient les clients. C’est ainsi que le futur compositeur se familiarise très tôt avec les quatuors de Beethoven, les sonates de Schubert, les symphonies de Chostakovitch et autres œuvres considérées alors comme « originales », en même temps qu’il s’imprègne des musiques populaires. Précoce, le jeune Glass obtient une licence à l’Université de Chicago à dix-neuf ans, puis fréquente la Juilliard School, y rencontre Steve Reich (les deux compositeurs, plus tard, en garderont un lien tenant de l’amitié peut-être, de l’émulation certainement, à la fin, de la rivalité). Darius Milhaud, alors aux Etats-Unis, et dont il suit brièvement l’enseignement, l’encouragera sans doute dans l’écriture tonale. De retour à New York en 1967, il s’installe à Chelsea où il mène une vie de bohème, notamment avec Reich qui a déjà composé ses propres œuvres répétitives et monté son ensemble de musiciens. Glass joue bientôt avec Reich les œuvres de l’un et de l’autre. Il fonde à son tour un « Philip Glass Ensemble ». Le premier style le mènera jusqu’au milieu des années soixante-dix et semble s’achever avec Music in twelve Parts. Cette période du compositeur, de loin la plus radicale, s’étend sur neuf ans. Il s’agit de sa première veine « minimaliste ». Celle-ci s’inspire d’abord de la technique d’addition rythmique (ou de « valeurs ajoutées » successives) enseignée par les musiciens indiens Ravi Shankar et Alla Rakha. D’un matériau de base minimal, souhaité le plus réduit possible – deux notes chacune – sont faites les deux lignes de Play (1965) interprétées au saxophone. Voilà une musique drastiquement répétitive mais non pas dissonante, dont la subversion principale, dès lors, est dans le développement plutôt que dans la nature de chaque instant, dans la forme et non dans le contenu. Bientôt encouragée à partir de 1966 par l’exemple de Steve Reich, cette technique s’accentue dans 1 + 1 (1967, sans notes : « musique pour un poing frappant une table amplifiée »), dans Two Pages (1968) qui fonctionne en stricts unissons diatoniques, Music in Fifths qui ne fait que développer cinq quintes justes parallèles et Music in Contrary Motion (1969) qui se propose, de façon démonstrative - voire exemplairement caricaturale, de développer un simple mouvement contraire entre deux voix (quand l’une monte vers l’aigu, l’autre descend et vice-versa). De cet abécédaire, expérimentation souhaitée systématique d’une technique nouvelle, on pourrait dire que c’est une « série d’études ». Une commande prestigieuse vient alors, qui sera suivi d’une célébrité soudaine : Einstein on the Beach créé au Metropolitan Opera en 1976. L’économie de moyens est le principe défendu dans toute l’œuvre de Glass. Comme le compositeur déclare par ailleurs que sa nature le « pousse à écrire beaucoup de musique », on

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trouvera constamment cette adéquation entre un minimum de moyens et de renouvellement et la quantité impressionnante et toujours croissante d’ouvrages (souvent recyclés). Dans cette économie de matériau poussée à ses extrémités, Glass trouve la précieuse innocence qui, durant les années soixante-dix, s’associe souvent à l’art. Il est en quête d’une musique tonale sérieuse voire solennelle, qui retrouve son « premier degré » à tous les sens du terme : une essentialité en même temps qu’une transparence. DANSE : La danse qui, par nature, a toujours été intimement liée aux créations musicales de son temps, n'échappe pas à l'influence de la musique minimaliste, notamment autour de la notion et de l'utilisation de la répétition. D'une certaine manière l'origine de l'impact de la musique minimaliste sur la danse remonte aux collaborations de John Cage avec le chorégraphe américain Merce Cunningham dès le début des années 1950, lors de la naissance de la danse moderne. Par son entremise, Cunningham rencontra également Morton Feldman qui composa pour lui des musiques pour ses chorégraphies novatrices comme Mélodie sans titre pour Merce Cunningham en 1968. Par ailleurs, un groupe comprenant d'une part les danseuses Simone Forti, Yvonne Rainer, Trisha Brown et, d'autre part, les compositeurs Terry Riley et La Monte Young, se forme autour d'Anna Halprin entre 1960 et 1962 pour réaliser des performances notamment à la Judson Church de New York. C'est toutefois Trisha Brown qui explorera plus avant le principe de la répétition et de l'accumulation successive des mouvements chorégraphique durant cette période de la danse moderne. Après les premières années du minimalisme, se tisse une relation étroite entre la danse et ce courant musical grâce à Lucinda Childs, une des élèves de Cunningham, qui, après s'être associée au groupe d'Anna Halprin, collabore intensément avec Philip Glass à la fin des années 1970 pour son opéra Einstein on the Beach (1976). Son travail porte sur différents aspects des recherches sur le minimalisme avec une collaboration poussée dans le domaine des décors et des images réalisés avec le plasticien Sol LeWitt, l'un des chantres du minimalisme pictural. Cependant, ces chorégraphies, bien qu'utilisant des éléments répétitifs et des décalages, ne peuvent pas être qualifiées totalement de minimalistes, la musique restant un support à une création chorégraphique relativement traditionnelle et riche. L'influence directe de la musique minimaliste dans les processus de créations chorégraphiques est réellement associée à la découverte et à l'utilisation des œuvres de Steve Reich par la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker. De 1980 à 1982, elle crée sa pièce fondatrice Fase, four movements to the music of Steve Reich dans laquelle elle théorise davantage l'apport de la musique de phase en danse en donnant réellement à voir les principes de phasage/déphasage développés par Reich dans ses premières compositions Piano Phase, Violin Phase, Clapping Music, et Come Out. Le lien étroit entre cette chorégraphe et la musique de Reich sera dès lors perpétuellement renouvelé dans de nombreuses créations au cours des décennies suivantes, notamment dans Drumming (1998).

ROSAS DANST ROSAS ©Anne Teresa De Keersmaeker - Rosas

8 et 9 octobre 2010 Théâtre Garonne, Toulouse

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BIBLIOGRAPHIE Bernar Venet, Jérôme Sans, Thierry D’Avila, Alain Mousseigne, Catalogue de l’exposition Le monde de Bernar Venet – Venet in context, LienArt éditions, Paris, 2010 Catherine Millet, L'art contemporain en France, Flammarion, Éd. revue et augmentée 2005 « Philip Glass : Interview - Donald Judd », Art Press N° 299, Mars 2004 Donald Judd, Ecrits 1963 - 1990, Galerie Lelong, 2003 RoseLee Goldberg, Performances, l’art en action, Thames & Hudson, 1999 Rosalind E.Krauss, Passages : Une histoire de la sculpture de Rodin à Smithson, Macula, 1997 Yve-Alain Bois, Rosalind E.Krauss, L'informe : mode d'emploi, Editions du Centre Pompidou, 1996 Ghislain Mollet-Viéville, Art minimal & conceptuel, Genève, Skira, 1995 Rosalind Krauss, L'Originalité de l'avant-garde et autres mythes modernistes, Macula, 1993 Bernard Marcelis, « Robert Smithson, le paysage entropique », in Art Press, 1994 « Manifeste – l'art des années 60 à nos jours », Hors Série Beaux Arts Magazine, 1992 Un choix d'art minimal dans la collection Panza : Carl André, Dan Flavin, Sol LeWitt, Robert Morris, Bruce Nauman, Richard Nonas, James Turrell, Lawrence Weiner : 12 juillet - 4 novembre 1990, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, 1990 Thierry De Duve, « Le monochrome et la toile vierge » in Résonances du readymade, Editions Jacqueline Chamblon, 1989 L'Art conceptuel, une perspective, 22 novembre 1989 - 18 février 1990, Musée d'art moderne de la Ville de Paris, Société des Amis du Musée d'art moderne de la Ville de Paris, 1989 Alfred Pacquement, Frank Stella, Paris, Flammarion, 1988 Michel Bourel, Hubert Damisch, De la surface au plan : Art minimal II, CAPC, Bordeaux, 1987 « Sculptures contemporaines : 1970 - 1986 », Artstudio n° 3, 1986 Rosalind Krauss, « Echelle/monumentalité ; Modernisme/postmodernisme ; La ruse de Brancusi » in Catalogue Qu’est-ce que la sculpture moderne ?, Centre Georges Pompidou - Musée National d’Art Moderne, 1986 Jean-Louis Froment, Art minimal I, De la ligne au parallélépipède, CAPC, Bordeaux, 1985