Bertrand, Alexandre Louis Joseph (1820-1902) - La Religion Des Gaulois ; Les Druides Et La Druidisme (E. Leroux, 1897)

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NOS ORIGINESLA RELIGION DES GAULOISLES DRUIDES ET LE DRUIDISMENOS ORIGINESOuvrages, dj publis :1. Archologie celtique et gauloise, 2 dition, 1889.2. La Gaule avant Jes Gaulois, 2^ dition, 1891.3. Les Celtes dans les valles du P et du Danube, avec la collaboration de M. Salomon Reinagh, membre de l'Institut, 1894.ANGERS, IMP. DE A. BURDIN, RUE GaKNIER, 4.NOS ORIGINESLARELIGION DES GAULOISLES DRUIDES ET LE DRUIDISMELEONS PROFESSES A l'COLE DU LOUVRE EN 1896PARAlexandre BERTRANDMEMBRE DE L INSTITUTPARISERNEST LEROUX, DITEUR28, RUE BONAPARTE 28,1897A LA MEMOIRE DE MON PEREAlexandre-Jacques-Franois BERTRANDANCIEN ELEVE DE L ECOLE POLYTECHNIQUEDOCTEUR EN MDECINE DE LA FACULT DE PARIS(1794-1831)AUTEURdu Trait du .somnambulisme (1822),des Lettres su?' les rvolutions du globe (1824),du Maqntisme animal en France et de l'Extasedans les traitements magntiques (1826).PRFACEHoc unum plane tibi approbare velleni, omnia me illa sentire qux dicerem, nec tantiini sentire sed amare.Snque.Nikil est nimul inventum et perfectiim.(Sigillum Olai Mac-ni).Ces leons sont publies telles qu'elles ont t dites.Nous sentons tout ce qui leur manque. Si nous avions vingtans de moins, nous les aurions remanies et compltes.Nous en aurions fait une uvre mieux ordonne, mieuxquilibre dans ses diverses parties. Mais notre ge onne peut attendre : nous rclamons l'indulgence du lecteur.Des circonstances particulires nous ont permis de voirautre chose sinon mieux que nos devanciers dans ledomaine de la religion gauloise. Nous avons dit ce que nousvoyons. Le lecteur trouvera dans nos leons plutt desaperus que des dmonstrations, une orientation vers lavrit plult qu'un expos logique de vrits dmontres.Le litre devrait tre simplement : Nos vues sur\la Religiondes Gaulois. Nous le laissons tel qu'il a t annonc parnotre diteur esprant que ce livre sera pour d'autres unpoint de dpart.VIII PRFACEQuelques-unes de nos propositions nous paraissent avoirpour elles un grand degr de probabilit. Elles s'appuientsur des faits dj nombreux.La division de la religion pr-romaine des Gaulois endeux branches, la celtique et la galatique, prcdes d'unepriode chamanique, nous semble devoir s'imposer dsormais tous les chercheurs.Nous croyons, antrieurement la priode celtique, aucontact de nos populations primitives avec le monde septentrional, que Pruner Bey et Franois Lenormant ontqualifi de Touranien.Nous croyons la valeur des survivances comme moyend'information sur les temps les plus loigns. Fustel deCoulanges a magistralement montr, dans sa Cit antique,combien il y a de survivances dans nos institutions, noslois, nos coutumes. Le mme travail doit et peut tre faitdans le domaine des Religions.Nous croyons que certains symboles solaires sont aussivieux que les langues indo-europennes elles-mmes. Celangage primitif, nous devons nous efforcer de le suivre travers les sicles et d'en comprendre le sens. Les mdailles celtiques nous paraissent devoir tre srieusementtudies ce point de vue.Nous croyons l'existence en Gaule, en Angleterre, enIrlande de grandes communauts druidiques, analoguesaux lamaseries de la Tartarie et du Thibet. Nous souponnons que de semblables communauts, sous divers noms,ont jou dans le monde un rle considrable comme facteurs de la propagation et de l'acclimatation des langueset de la civilisation indo-europenne en Occident : cescommunauts sont nos yeux l'origine et le modle denos grandes abbayes chrtiennes de moines occidentaux.Nos convictions s'appuient sans doute en grande partiePREFACE IXsur des arguments moraux. Plusieurs de nos propositionsont le caractre d'hypothses. Mais l'hypothse n'estelle pas un procd scientifique fcond? et n'est-il paspermis de ttonner la poursuite d'un problme aussiobscur et aussi compliqu que celui de la Religion desGaulois?Nous avons foi dans nos ides; nous prions le lecteur dene pas nous juger la lgre. Ces ides sont le fruit delongues rflexions. Nous regretterions qu'elles fussentcompromises par l'insuffisance de notre argumentation etdes erreurs de dtail. Nous esprons que d'autres achveront ce que nous avons commenc. Si nous nous sommestromp on nous excusera pour notre bonne volont etnotre sincrit scientifique. Notre livre est, comme lesprcdents, suivant l'expression de Montaigne, un livre debonne foi.Saint-Germain, 25 dcembre 1897.Alexandre BERTRAND.NOS ORIGINESLA RELIGION DES GAULOISLES DRUIDES ET LE DRUIDISMELeons professes a l'cole du Louvre en 1896I LEONLEON D'OUVERTURE'Mon savaat confrre et ami M. Michel Bral, invit prendrela parole au Congrs des Orientalistes runi Genve en 1894%commenait ainsi une intressante communication sur lesnoms de certaines divinits communes aux trusques et auxRomains :(( Le monde est plus ancien et il y a plus de continuit dansles choses humaines qu'on n'a l'air de le supposer d'ordinaire.Tout n'a pas commenc en Europe avec la race indo-europenne. L'Europe, comme l'Asie, avait dj ses dieux, ses l1. Le sujet du cours avait t ainsi formul :Le Profefseur cludiera la relifiiuii de la Gaule aux diverses priodes de sonhistoire depuis les temps les plus reculs jusqu' la conversion des brancs auchristianisme, d'aprs les monuments, les textes et les lgendes. Le prsentvolume s'arrte la couqute romaine.2. De quelques divinits italiques, par Michel Bral, Leide, 1895, p. 3^1la LA RELIGION DES GAULOISg-endes et ses rites avant que les derniers venus de la civilisation vinssent nous imposer leur langue et leur empire. Assurment la langue des Romains est une langue aryenne,il ne peut y avoir ce sujet aucun doute, mais de ce que lalangue est aryenne, il ne s'ensuit pas que la religion le soitou qu'elle le soit en entier. Ces paroles peuvent s'appliquer avec plus de justesse encore la Gaule qu' l'Italie. Ce serait une grande erreur de considrer comme un panthon primitif le panthon gaulois telque Csar nous le prsente. La Gaule, avant d'en arriver l,avait travers des rvolutions qui avaient laiss dans le paysdes traces profondes. Ces vrits commencent s'imposer tous les esprits rflchis. L'humanit chaque pays en particulier a pass par des tats religieux successifs. Dechacun de ces tats, reste dans le suivant et dans les suivantsun rsidu qui s'amincit toujours, mais ne disparat jamais etempche qu' aucune poque on ne trouve rellement chezles nations civilises unit de croyance '. Vous reconnaissez l, Messieurs, ce que nous avons appel :les survivances. Ces survivances sont surtout nombreuses dansle domaine religieux. Nous essaierons de remonter leursorigines.L'archologie est en mesure de dmontrer nous en avonsdonn des preuves surabondantes que l'unit apparente dede la nationalit gauloise l'poque de la conqute romaineest une illusion. La vrit est que des tribus de types physiquestrs divers_, brachycphales, dolichocphales, msaticphales, bruns et blonds, de grande et de petite taille d'origine trs diffrente, en dehors mme des Ibres et des Ligures^,se sont successivement tablies sur notre sol des poquesplus ou moins loignes les unes des autres et qu'elles onttoutes concouru, dans des proportions ingales, mais trs reconnaissables, la constitution dfinitive du groupe socialauquel les auteurs classiques ont donn les noms de Celtes et1. Auguste Comte.2. Voir La Gaule avant les Gaulois, 2' dit., p. 328.LEON D OUVERTURE 3de Gaulois. Les conqutes romaine et franque ont continuce mouvement.Je ne parle pas seulement ici des races primitives que lesanciens auraient qualifies d'autochtones : races quaternaires(antdiluviennes de Boucher de Perlhes, nomades des cavernes de Lartel), sur l'origine desquelles plane une profondeobscurit ; je veux parler des trois groupes principaux d'immi-grants dont nous avons tudi avec vousqui successivement ou paralllement onttinct une partie des contres qui sont,avant de s'unir et de se confondre dansganisation politique.les monuments etoccup l'tat disaujourd'hui, la France,l'ensemble d'une or-Nous rappellerons succinctement les traits principaux parlesquels ces trois groupes se distinguent les uns des autres,gographiquement, chronologiquement, politiquement, en vuede prparer vos esprits retrouver dans la religion gauloiseles mmes divisions.PREMIER GROUPELe premier groupe, le plus ancien, le plus nombreux, leplus persistant est celui auquel nous devons l'rection desmonuments mc/alilhiques. Les anciens ne lui ont pas donnde nom. Ils ne semblent pas l'avoir distingu des deux autres *. Les caractres de ce groupe sont cependant trs tranchs sous tous les rapports. Sans lui, notre histoire seraitinexplicable.L'examen de la carte des dolmens et alles couvertes'^ expose au Muse de Saint-Germain sur laquelle sont marques1. A moins qu'il ne faille y recoauaitre des Ligures, thse qui u'a rieud'iuvraisemblable et s'accorderait assez bien avec la doctrine de M. d'Arboisde Jubainville aux yeux duquel les Ligures ont jou l'origine de notre histoire un rle prpondrant. Cf. Les premiers habitants de V Europe, 2^ dit.,t. I, p. 330-393.2. Voir au Muse de Saint-Germain, salle 2, la carte dresse par nos soinspour laConimissiou de la topographie des Gaules, et Archologique celtic/ue etgauloise, pi. IV.4 LA RELIGION DES GAULOISles communes o a t constate la prsence, en plus oumoins grand nombre, de monuments appartenant cette catgorie, rvle un premier fait important. Les populations dontce groupe se compose, mme au moment de leur plus grandepuissance de dveloppement, n'occupaient qu'une partie duterritoire qui plus tard fut la Gaule.La statistique de ces monuments dolmens et alles couvertes ', dont le caractre spulcral est incontestable aunombre de prs de trois mille, montre qu'ils se rpartissententre un peu plus de onze cents communes dpendant desoixante-dix dpartements.Si l'on partage la Gaule, non la France actuelle, la Gauleavec ses limites naturelles qui s'arrtent au Rhin, en deuxzones, l'une de l'ouest, l'autre de l'est, un simple regardjet sur la carte teinte fera ressortir tous les yeux la loignrale de distribution de ces monuments. Les dolmens etalles couvertes apparliennentpresque exclusivement la zonede l'ouest.Cet tat de choses ne provient pas de la destruction accidentelle ou voulue de ces monuments dans l'autre zone. Il est laconsquence de la dilrence sensible, qui, ds l'origine, existaentre l'tat social des deux zones. Il se rattache, suivant toutevraisemblance, un grand mouvement de migration affectantla direction du nord-est l'ouest et au sud-ouest dont nousne pouvons pas encore dterminer avec certitude le point dedpart initial^ mais dont les traces se manifestent trs distinctement de la Sude au Portugal en passant par le Danemark,la Grande-Bretagne, l'Irlande, les les du Ganal SaintGeorges et de la Manche et paralllement suivant les ctesoccidentales de rAllemagne du Nord, en Meklembourg, Hanovre, Holsteiu, Hollande, pour se retrouver sur le littoral de1. Voir la liste de ces monuments dans noire Arc/iolofjie celtique cl gauloise ^2" dit., p. 430. Nous devons prvenir que celte liste est incomplte ; un certain nombre de monuments ont t signals depuis la publication de notreArchologie cellique et gauloise. Ou en signale encore tous les jours de nouveaux.LEON D OUVERTURE 5la France occidentale qui est une des rgions o ces monuments sont le plus nombreux. La prsence de ces monumentsdans les les de la Manche, Jersey et Guernesey, dans lesles du Canal Saint-Georges, notamment dans l'le de Man, Belle-lle-en-Mer^ sur les ctes de la Bretagne (Finistre etMorbihan), Tidentil de certains monuments d'Irlande et d'Ecosse avec nos monuments armoricains' indiquent assez clairement que la migration s'est faite, on partie^ par mer^Si nous traons une ligne idale qui, partant de Marseille,suive le cours du Rhne et de la Sane jusqu' Gray etMzires, pour de l s'lever la hauteur de Maubeuge enlongeant les pentes occidentales de l'Argonne, puis tournantbrusquement Test paralllement aux ctes de la mer duNord, gagner l'Elbe, puis Berlin, cette ligne pourra treconsidre comme indiquant la limite d'action de cette grandemigration ^ Les contres situes au sud et l'est de cette lignene possdent ni dolmens, ni alles couvertes, ni spulturessemblables. Pour en retrouver du ct de l'est qui soient analogues, mais dnotant une poque relativement plus rcente,il faut s'avancer jusqu'aux pieds du Caucase, sur les bordsorientaux de la mer Noire d'un ct, sur les bords occidentaux de la mer Caspienne de l'autre'.Nous sommes en prsence d'un monde part sur lequel lemonde connu des anciens parat avoir exerc peu d'influence ;qui semble mme s'tre tenu, avec intention, volontairement, distance de ces civilisations raffines dont il craignait lecontact. Ce monde inconnu des anciens n'est point un mondebarbare. Il a son originalit, sa trs grande originalit. L'tudequi en a t faite par les archologues du nord nous y rvle1. Voir FergussoD, Les monuments mgalithiques de tous pays, tradiictiou del'abb Hamard, 1 vol. in-S, 1878.2. Nous y verrions volontiers un argument pour IdentiGer cette migrationavec celle des Ligures. Voir, dans La Gaule avaiit les Gaulois, notre chapitre :Ligures, p. 233, 248.3. Voir notre carte n" V, Archologie celtique et gauloise, I. c.4. Cf. Dubois de Montpereux, Voyage autour du Caucase, et de Morgan, Exploralion de la Perse et de VArmiiie.6 LA RELIGION DES GAULOISune civilisation dont il est impossible de mconnatre la puissance *. Cette civilisation s'tait rpandue jusqu'en Gaule ety avait de fortes assises. Les populations mgalithiques ^ quine sont peut-tre autres que les Ligures de l'histoire^ onttun jour cellises suivant l'heureuse expression de Henri Martin, sans avoir jamais perdu entirement leur personnalit.Nous en retrouvons la trace toutes les poques de notrehistoire.Pour tout historien, pour tout penseur proccup des conditions premires qui ont prsid la formation de la nationalit gauloise, grand compte doit tre tenu de ce premier groupequi, en Gaule, avant l'introduction des mtaux ou du moins une poque o les mtaux taient encore, en Gaule, un produit tranger d'une raret extrme, nous offre, en dehors descivilisations classiques et du courant indo-europen^ l'tonnant spectacle d'une association discipline des forces humaines sous l'impulsion de croyances communes ayant tenduleur action et l'ayant maintenue pendant de longs sicles surde vastes contres.De la Sude aux Pyrnes, en Irlande comme en Armorique, le rite funraire dominant est le mme, rite dispendieuxet compliqu exigeant le maniement de blocs normes en vuede construire aux morts une demeure indestructible. Cesmorts sont certainement les rois, les princes, les chefs de cestribus ; le menu peuple devait avoir d'autres spultures. La valeur de ces monuments royaux n'en est que plus grande.Ces populations, bien que de races mles, mais dont le typephysique appartient dj au type des races suprieures des1. Voir Oscar Moutelius, Les temps prhisloriquesen Sude et dans les autrespays Scandinaves, traduit par Salomou Reinacli; et J. Evaus, Les ges de lapierre, trad. Barbier.2. Nous sommes aujourd'hui leu tent de uous rallier l'opinioa deM. d'Arbois de Jubaiuville, pour qui nos populations primitives sont les Ligures de l'histoire dont parlait dj le Pseudo-Hsiode. Cette thse, qui al'avantage de combler une lacune dans nos connaissances, cadre parfaitement,comme on le verra, avec l'ensemble de nos ides. Nous conserverons toute-fois, dans ce volume, ces populations le nom de mgalithiques dont nousuous sommes servi, jusqu'ici, dans notre cours.LEON D OUVERTURE 7races nobles (il y en a en dehors de la race dite cancasique) *, semontrent nous comme minemment perfectibles. Il nous estdiflicile de les suivre dans toutes les phases de leur dveloppement. Il nous suffira de rappeler que en dehors de leurpuissance de constructeurs, elles taient, en Gaule, ds lestemps les plus anciens, en possession des deux industries quidistinguent le mieux les tribus sorties de l'tat sauvag^e, lepturage et l'ag^riculture^ Ajoutons que l'art de la navigationne leur tait pas tranger.Il nous parat probable que les descendants de ces tribuspastorales et agricoles forment encore le fond principal denos populations rurales de l'ouest et du centre de la France.Nous croyons pouvoir retrouver chez elles, nous devons aumoins y rechercher, l'cho, quelqu'affaibli qu^il soit, de leuresprit, de leurs superstitions, de leurs lg'endes : esprit deconservation dont ils ont donn, plusieurs poques de notrehistoire et tout rcemment encore, des preuves incontestables ^Ce sentiment commence gagner ceux-l mme que leurstudes et leurs habitudes d'esprit avaient tenus longtemps systmatiquement trangers au progrs des tudes archologiques. Go sont aujourd'hui ces populations primitives queM. d'Arbois de Jubainville, d'accord, sur ce point, avec nous,considre comme formant le fond principal des populationsde la France*.1. Il suffit de citer les Finnois, les Turcs, les Hongrois.2. Voir La Gaule avant les Gaulois, p. 182-190.3. Nous nous sommes amus superposer notre carte teinte des dolmensla carte teinte des lections la Chambre des dputs de 1817 qui a t vendue dans les rues de Paris, divise en dpartements conservateurs et dpartements rpublicains. Les dpartements conservateurs recouvrent trs sensiblement les teintes fonces de la carte des dolmeus ; nous sommes enclin croire que cette concidence n'est pas fortuite.4. Cf. d'Arbois de Jubainville, Les premiers habitants de l'Europe-, 2 dit.,t. II, p. xsii de la Prface : Si je prends la dfense des Celtes (M. d'Arboisne fait aucune distinction entre les Celtes et les Gaulois"), ce n'est pas que jepense tre en quelque faon issu de ces antiques hros. Ni Celte ni Franc doittre le dogme gnalogique de la plupart des Franais; et plus loin : Denos grands-pres, habitants des cavernes, coQstructeurs de monuments mgalilbiques, les crivains de l'antiquit n'ont rien dit, ce n'est pas une raisonpour rougir de ces vieux parents. On retrouvera peu peu leur histoire. Les8 LA RELIGION DES GULOIS"DEUXIEME GROUPELe deuxime groupe, numriquement moins considrable,moins compact surtout, si nous nous en rapportons aux donnes de rarchologie corrobores par les donnes de l'histoiregnrale, est entr en Gaule une poque sensiblementmoinsancienne sans que nous puissions en fixer la date'.Ce groupe tait dj en possession des lments les plusactifs de la grande civilisation, de tous les avantages que l'onest convenu do considrer comme l'apanage commun des Iribus imprgnes de la civilisation indo-europenne. Les nouvelles tribus taient inities aux secrets de la mtallurgie ouau moins en intimes rapports avec les familles qui d'Orienten avaient apport et conserv le dpt. On savait autourd'elles couler et marteler le bronze, produire le fer lacatalane, tradition qui s'est conserve jusqu' nos jours dansle Jura et dans les Pyrnes; elles recueillaient l'or que charriaient alors, en abondance, le Rhin, l'Arige et l'Adour. Quelques mines d'tain paraissent mme avoir t exploites dansla Corrze et dans la Haute-Vienne ^ Les mines d'tain desCassitrides taient dj connues. Les cits lacustres sur lacsnaturels et artificiels, dont la prsence a t constate sur leHaut-Danube, eu Cisalpine, enHelvtie, en Irlande, nous lesmontrent constructeurs habiles.Un ensemble de croyances traditionnelles communes constituait chez elles un vritable code de pratiques religieusesqui les rapprochait les unes des autres et en faisait une unitarchologues franais ont dj commenc remplir ce devoir de pitllliale et dejuslice. Nous sommes heureux de nous rencontrer sur ce terrainavec un rudit aussi minent que M. d'Arbois de Jubaiuville.1. Peut-tre pourrait-on fixer le commencement de cette nouvelle migrationaux environs du xii" sicle avant uotre re.f. Voir Daubre, dans Revue archologique (nouv. srie), t. XVII (18C8),p. 298-313, avril, et t. XLl (1881) (avril, mai et juin), sous le litre de : Aperuhistorique sur V exploitation des mines mtalliques dans la Gaule. 11 y a eu untirage part chez Didier et C'.LEON d'ouverture 9morale. Le lien religieux a t de tout temps le lien leplus solide, le plus puissant entre les hommes. Les mortstaient honors presque partout de la mme manire : on n'ensevelissait plus comme la priode prcdente, on iiicinrait\ Ce rite, chez quelques-unes de ces tribus, tait d'obligation stricte. A Golasecca, dans la Cisalpine, sur plus de sixmille tombes, pas une seule n'est inhumation.Ce g-roupe, commele premier, se livrait, en majorit, l'lvedu btail. Il y a quelque raison de croire que nous lui devonsla domestication d'un certain nombre de nos espces sauvag-es.Il est probable qu' leur arrive en Gaule sur le Danube et enItalie, ces tribus n'taient pas encore sorties de l'tat patriarcal. Chaque tribu devait avoir sa personnalil la maniredes clans cossais^ et des tribus mongoliques actuelles.Autre remarque : aucune de ces tribus n'offre l'apparenced'une organisation prpare en vue d'expditions guerrires.Elles semblent s'tre infiltres dans le pays, pacifiquement, allant s'tablir dans les valles et les plaines inoccupes, comptant pour s'y maintenir plutt sur leur supriorit morale quesur la force de leurs armes, ainsi que cela a d arriver presque tous les immigrants indo-europens dans les paysoccidentaux. S'il y a eu lutte, elle n'a pas t longue et ellea fini par un accord. Sur certains points de l'Armorique l'tablissement de ce groupe parat avoir revtu le caractre demissions religieuses en rapport avec l'tablissement des Cellesen Irlande.Ce ne sont l, sans doute, encore que des aperus, mais cesconjectures, consquence d'observations prcises, forment unfond, qui, bien qu'en partie hypothtique, mrite que Tons'appuie sur lui. Ce sont des pistes suivre : je vous lesrecommande. Il y a l une action lente et trs puissante surla Gaule dont il faut tenir grand compte, dont nous saisissonsclairement les effets, bien que nous ne ne fassions encore1. Voir A. Bertrand et S. Rciri;icli, Les Celle-; dtins les valles du P el duDuniihe, 1894.2. Voir Pauofka, La Irihu dans raniiquit.10 LA RELIGION DES GAULOISqu'entrevoir ses causes. Le devoir de l'archologue est de lesrechercher. Comme dans toutes les sciences, l'hypothse estun des moyens d'investigation les plus utiles; ces hypothses,les faits viendront peu peu ou les confirmer, ou les modifierou les dtruire : ce sera l'afTaire du temps. Nous devons aujourd'hui savoir nous contenter de vraisemblances.Le point de dpart de cette action n'est plus exclusivementle nord-est ; les tribus de ce second groupe, et ce n'est plusici une conjecture, ont pntr en Gaule, en majorit, parl'Helvtie, le Haut-Rhin et les valles des Alpes o plusieursse sont tablies de bonne heure, en mme temps qu'en Cisalpine ct des tribus illyriennes.Nous ne savons pas encore oii placer la ruche primitived'o ont essaim ces nouvelles tribus. Ce que nous savons,c'est que leur point de dpart prochain en Europe a t lesvalles du Haut-Danube, de la Drave, de la Save et de l'Inn.C'est sur le Haut-Danube que ces tribus paraissent avoir eu lapremire conscience de leur personnalit, qu'elles se sontorganises en pleine libert. Nous avons tudi leurs mursen dtail dans le volume que nous venons de publier deconcert avec M. S. Reinach, Les Celtes dans les valles duP et du Danube. Au vi-^ sicle avant notre re, elles taientdj arrives, dans ces contres, un haut degr de civilisation. Ces tribus ont t connues d'Hrodote au v^ sicle,alors qu'elles taient dans leur plus complet tat de dveloppement, quand il disait : le fleuve I s ter prend sa source chezles Celtes ' .Il n'est pas tonnant que l'tablissement de quelques-unesde ces tribus en Gaule y ait t l'occasion d'une rvolutionsociale, sans qu'il soit ncessaire de supposer que les immigrants fussent trs nombreux. On sait de quels instincts religieux et potiques taient doues ces tribus Mrco-ce//6'.9^Nous devons donc nous attendre retrouver quelques-unes1. Hrodote, lib. IV, ch. xus.2. Voir Strabou, passwi.LEON d'ouverture 11de ces qualits l'tat de survivance, sur certains points dela Gaule : nous nous y efTorcerons.TROISIEME GROUPELe troisime groupe suivit le second d'assez prs. Le commencement du vr sicle parat tre la date la plus anciennede son apparition sur la rive gauche du Rhin, Ce groupe appartenait, comme le second, la grande famille celtique,c'est--dire qu'il parlait la mme langue ou un dialecte de lamme langue que les Celtes du Danube et du P, Notreopinion est que l'on doit rattachera ce groupe non seulementles Gala es des crivains grecs, mais les Cimbres ou Kimri,les Bastarnes et en remontant plus haut les Cimmriens et lesTrres FaXTat tsu KA-'.y.oy yvto-j, comme disait Plutarque ' ;ce sont les Galli des Romains.Contrairement l'opinion de notre confrre et ami M. d'Arbois de Jubainville, nous croyons, de plus en plus fermement,qu'il faut les distinguer nettement des Celtes primitifs (notredeuxime groupe) dont mon savant confrre et ami ne tientaucun compte, ce qui lui permet de rduire presque rienl'apport de la famille celtique en Gaule, qui, suivant lui, ne nousaurait gure donn que sa langue ^La ruche d'o, aux environs du vi'^ sicle avant notre re,s'chappent par essaims les nouveaux venus, est galementl'est de la Germanie, mais tandis que les traces laisses par lesecond groupe se rencontrent surtout au sud de l'Ister, laprsence du groupe galatique ou belge (les Kimri d'AmdeThierry), se rvle nous plus particulirement au nord dufleuve, en Bohme, en Bavire, en Wurtembeg et plus aunord dans la Hesse, en Westphalie, etjusqu'on Hanovre.Les anctres de ce groupe, en sortant des Balkans ou des1. In Vita CamiUi, c. xv; cf. Revue archcologique, t. XXXI (187G), p. 18.2. Les Galates sonl les seuls Celtes dout M. il'Arbois de Jubainville reconnaisse la prsence eu Gaule {Les premiers habilunts de VEurope, 2 dit.,t. II, Prface).12 LA RELIGION DES GAULOISKarpalhes, o ils ont d sjourner, y menant, comme les Doriens avant leur descente en Grce, la rude vie de montagnards (les Galates sont nos Dorions), semblent avoir bifurquau dbut de leur marche en avant vers l'ouest. Les uns, lesKimro-Belg^es, se dirigeant vers le bassin de la Vistule et del'Oder, parvinrent promptement travers les vastes plainesde la Pologne jusqu' la hauteur de la presqu'le cimbrique.Les autres, gagnant les Alpes Souahes par la Moravie, aprsavoir laiss quelques tribus en Hongrie S se sont fortementtablis sur le Nekar et sur le Mein^_, avant de passer le Rhinet do franchir les Alpes dans la direction de l'Italie.Un caractre nouveau trs tranch, en dehors de nuancesmoins importantes, distingue ce troisime groupe. Il se compose, en majorit, de tribus de caractre guerrier faisant volontiers mtier de mercenaires : gaesatae e re dicti quod rabellando mereri essent soliti^. Ces tribus inhument, elles n'incinrent plus. Elles ont un autre culte que les vieux Celtes. Murset religion sont sensiblement diffrentes.Celte apparition en Europe de tribus organises l'tat debandes armes, de ligues guerrires suivant l'expression deFrret, perptuellement en mouvement au milieu des populations paisibles de pasteurs et d'agriculteurs qu'elles dfendaient au besoin, mais dont elles vivaient quand elles ne vivaient pas de pillage, constitue une des rvolutions sociales lesplus grosses de consquences dont le monde occidental ait tle thtre. De ce jour date en Gaule la fin de l'tat patriarcalqui y avait domin jusque-l*.L're des aristocraties militaires commence avec son cortg-ed'oppression et de ddain pour les travaux manuels, Tindus-1. Voir le mmoire de M. Franois Pulsky dans XhReviie arcfiolorjiqiie, nouvelle srie, t. XXXVIII (1870), p. 158, 2H, 265.2. Voir les dcouvertes faites dans les tumuli de ces contres publies parle D'' L. Lindenschmit daus ses Anligi/Us de noire pass payen {Die Allerlllmer iniserer heidnischen Vorzeil).3. Polybe, 111, 22, l.4. Comme il domina eu Cisalpine jusqu' l'invasion gauloise, c'est--diregalatique.LEON d'ouverture 13trie et mme les arts. Les vieilles races, les tribus indignes,jusque-l demi indpendantes, l'tat o elles se montrentencore nous en Irlande l'poque de la conversion des Irlandais au christianisme, seront dsormais attaches la glbe, refoules dans la pratique de mtiers mpriss des conqurants.Une classe infrieure se constitue ct d'une aristocratie militaire. Csar dit qu'elle est presque rduite l'tat d'esclave :Plebs poene servorum habetiir loco '. L'Irlande seule parmi lespays celtiques chappa cette oppression.Les teintes vertes del cinquime carte ^ de no[,YQ Archologie celtique et gauloise indiquent approximativement les contres o les traces de ces tribus guerrires ont t signales.Les parties de la Gaule o elles s'tablissent tout d'abord sontnettement circonscrites. Le mme fait se reproduira l'poquefranque. Les points o s'effectue le passage des envahisseurssont : la troue de Belfort et le coude du Rhin Mayence. Ilsont laiss moins de traces en Belgique qu'ils ont cependanttraverse, mais peut-tre ne s'y sont-ils pas arrts.Les territoires srieusement, c'est--dire dfinitivement, occups par eux sont la Suisse, la Franche-Comt, l'Alsace, lePalatinat, la Bourgogne, la Champagne, les Ardennes. Nousverrons les Francs et les Burgondes prendre position dans lesmmes provinces et y rester pendant plus d'un sicle l'tatde tribus distinctes avant leur fusion apparente avec lesgroupes prcdents.L'existence des trois groupes si diffrents dont nous venonsd'esquisser le caractre doit tre considre comme une vritacquise la science.Rsumons-nous.Les lments constitutifs de la nationalit gauloise, ceuxqui ont concouru plus ou moins activement la formation du1. Celte situaliou l'ut lgrement attuue pendaut la domiualiou romaine^o le comQierce et l'iadustrie fureut remis eu houueiir, comme nous l'avonsmontr eu tudiant la salle romaine des Mtiers (salle XXVI), si loquente ce point de vue. Les patrons des corporations de mtiers arrivent aux bonneiirs municipaux.2. Archo/offie celtique el gauloise, 2'^ dit., p. 264.14 LA RELIGION DES GAULOIScaractre et de l'esprit national, dont le rapprochement et lafusion avaient fait la Gaule ce qu'elle tait au temps de Csar,sont :1" Les populations sans nom historiqi auxquelles appartiennent les spultures mg-alitliiques [ge de la pierre polie).2 Les tribus celtiques ou celtises, pastorales et agricoles,avec rite funraire dominant de V incinration [premier gedu fer, prdominance du bronze).3 Les tribus galatiques [Helvtes^ Kimri, Belges), avec ritefunraire de l'inhumation [plein ge du fer, disparition desarmes de bronze).Amde Thierry a vu trs juste en signalant la grande importance de ce troisime groupe, qui, aux yeux de M. d'Arboisde Jubainville, est mme le seul groupe celtique ou gauloisqui soit historique. Chacun de ces groupes a eu sa religion,ses pratiques religieuses, ses superstitions. Il y a eu action etraction des uns sur les autres : de nombreuses traces en sontrestes l'tat de survivances. Les recherches de ces traces nonencore compltement effaces feront le sujet de nos leons.Le pass en effet ne meurt jamais compltement; l'hommepeut bien l'oublier, a crit Fustel de Coulanges', mais il legarde toujours en lui, car, tel qu'il est chaque poque, il estle produit et le rsum de toutes les poques. Cette recherche est difficile; elle n'est pas inabordable;nous l'aborderons, en rclamant votre indulgence pour notrehardiesse ^1. Fustel de Coulauges, La cit antique.2. Il ne faut pas croire que les anciens eux-mmes n'aient pas eu une certaine coascieuce de la diversit de ces lments confondus daus l'unit gauloise. Les Druides enseignaient que, si une partie de la population tait indigne, une autre tait originaire de contres loignes : Drasidae [Druidae)memorant rvera fuisse populi parlem indigenam, sed alios quo({ue ab imulise.climis co?i/luxisse et Iractibus transrhcnanis (Aniiuien Marcelliu, XV, 9,d'aprs imaguc). Csar commence ses Commentaires par une phrase dontnous croyons que l'on n'a pas assez tenu compte et qui est pourtant biensignificative : Le territoire de la Gaule se divise eu trois parties... Ces troispeuples diffrent entre eux par le langage, les ?nurs et les lois : Hi omnesliugua, institutis, legibus intcrse dideruut. On nepeutgure treplus affirmatif. On n'eu a pas moins continu daus l'antiquit, comme de nos jours.LEON d'ouverture 15 parler des Gaulois comme s'ils eussent form une units, dout on pouvait parler d'une manire gnrale sans faire aucune rserve. Devons-nousnous en tonner? Notre histoire ne nous prsente-t-elle pas un autre exempleanalogue bien frappant! Sans les travaux des rudits de nos jours, nousen serions encore l'tat d'esprit qu'Augustin Thierry siguale avoir existau xno sicle : Lorsque le mlange des diffrentes races dliommes que lesinvasions avaient mises en prsence sur le sol de la Gaule fut accompli et eutform de nouveaux peuples et des idiomes nouveaux^ lorsqu'il >j eut un roijaumede France et une nation franaise, quelle ide cette nation se fit-elle d'abordde son origine? Si l'on se place au xu sicle et que l'on interroge la littraturede cette poque, on verra que toute tradition de la diversit des lments nationaux, de la distinction primitive des conqurants et des vaincus, des Francset des Gallo-Romains avait disparu (Augustin Thierry, Considrations surl'histoire de France, dit. iu-8, p . 31). 11 en tait de mme au temps deCsar. C'est nous faire pour la Gaule pr-romaine ce qu'Augustin Thierrya fait pour la Gaule frauque.ir LEONLES SOURCES LA MTHODENous ne possdons aucune lude complte sur la religiondes Gaulois. Tout ce qui a t crit ce sujet est ou peu satisfaisant ou incomplet. Les historiens les plus distingus,comme Michelet et Henri Martin, les crivains spciaux commeDom Martin, Jean Reynaud et le baron Roget de Belloguet,ainsi que Longprier * l'a remarqu, ont manqu de mthode.Amde Thierry n'a mme pas os aborder le sujet. Par suite d'un prjug fortement enracin dans les espritson croyait, on croit encore, gnralement, que la religion gauloise consistait en un systme pouvant se rsumer en certainsdogmes dont la connaissance aurait donn la clef du reste.Nos meilleurs historiens, dit Longprier, ont parl de lareligion des Gaulois, comme ils l'auraient fait de la religiondes juifs, des chrtiens ou des musulmans. Leur unique mthode a consist, aprs avoir relev les rares indications quecontiennent les crits des historiens, gographes, potes ouphilosophes grecs ou latins, d'en tirer un expos de ce systmeauquel ils ont donn le nom de druidisme. Mais l'unit commela dure ne peut se produire que l oh existe un livre, uncode qui rgle la foi et guide les consciences. Les Gaulois, demme que les Grecs, n'ont pas eu ce code religieux. Aussi lesmonuments de la Gaule, comme ceux de la Grce, nous ontils conserv le souvenir d'un nombre considrable do cultes1. Longprier, 'Mvres, t. 111, p. 271.LES SOURCES LA MTHODE 17locaux, de pratiques religieuses particulires qu'il est impossible de rattacher un systme unique. C'est l'archologie proprement dite, la numismatique, l'pigraphie',que nous devons demander les renseignements l'aide desquels, lorsqu'ils auront t runis et classs mthodiquement, on pourra composer un tableau quelque peu exact descroyances adoptes par les diverses populations de la Gaule;jusque-l on sera oblig de se borner des considrationsgnrales qui risquent de se trouver en contradiction avecles faits positifs que l'archologie est en train de mettre enlumire. M. Gaidoz dans l'esquisse de la religion des Gaulois qu'il ardige pour V Encyclopdie des sciences religieuses % dbutepar les m mes rflexions prsentes, presque dans les m mestermes, tant ces vrits s'imposent' : La religion des Gaulois, crit-il, est la fois peu connueet mal connue. Elle est peu connue, parce que les documentsqui la concernent sont bien loin d'avoir t runis et classs.Elle est mal connue parce que a priori et sans preuves on l'aconsidre comme un systme philosophique. On a appel cesystme et par suite la religion des Gaulois du nom de driii-dismej mot form dans ce sicle sur le nom que les Gauloisdonnaient leurs pr tres, ce mot ne correspondant aucuneralit historique. Un grand progrs a t fait depuis quelque temps dans cetordre d'tudes. Le vu de Longprier se trouve en partieralis par la cration des salles de mythologie gauloise quenous avons organises au Muse de Saint-Germain. De nombreux albums de dessins et de photographies compltent nossries de moulages. La srie des inscriptions portant desnoms de divinits dcouvertes en Gaule est aujourd'hui nombreuse. M. Salomon Reinach avec la patience et la tnacit1. Ajoutons au folk-lore.2. T. V (18ly).3. Voir, Annexe A, les sages rflexions que faisait dj Frret la flu dusicle dernier.18 LA. RELIGION DES GAULOISque vous lui coanaissez s'occupe, et il y russira, de runircelles qui nous manquent. Enfin, la Revue des traditions populaires met notre disposition un recueil de lgendes localesqui sont loin d' lre sans valeur.Nous possdons donc maintenant, Tappui de nos recherches, un nombre considrable de faits positifs, indiscutables,ruiiis pour la premire fois, sans aucun esprit de systme, ct des hypothses mises quelquefois, dans le pass, avectrop de lgret. Nous runissons galement peu peu labibliolhque du Muse *, qui est une bibliothque spciale,tout ce que les recueils de province contiennent au sujet desdivinits locales. Dans presque toutes ces monog'raphies quicommencent se multiplier, il y a quelque chose prendre.Nous chercherons grouper ces documents, les classerpar poques, les interprter, dcouvrir le sens des symbolesou du moins en dterminer l'origine probable et le caractre :travail dlicat, fcond en dceptions, mais qu'il faut oser entreprendre pour vous montrer la voie. Nous tcherons d'ailleurs de faire toujours, de notre mieux, la part du certain, duprobable, de Tincertain, du chimrique.Mais les reprsentations fig-ures ne sont pas les seuls documents dont nous puissions tirer profit. Il existe, ou il aexist de mmoire d'homme, dans notre pays comme en Irlande, en Allemagne et dans les pays Scandinaves, de vieillescoutumes, de vieilles traditions, de vieilles superstitions, chosaffaiblis, mais encore reconnaissables, des poques primitives. Chasss des temples, a pu crire M. Gaidoz% les dieux g'aulois se sont rfugis dans nos campagnes ; nous irons les ychercher. Le soin m me que l'Eglise a pris de trs bonneheure de stigmatiser les vieilles croyances, de jeter sur ellesl'analhme, ou de les christianiser en en changeant l'esprit, leplus souvent sans en modifier sensiblement la forme, par impuissance de les draciner, tmoigne hautement du rle impor1. Cette bibliothque est ouverte au public muni de cartes d'jude, mercredi,vendredi et samedi, de 10 heures et demie 4 heures en hiver, S heures eu t.2. Gaidoz, l. c.LES SOURCES LA MTHODE 19tant qu'elles avaient jou dans le pays avant l're chrtienneet du vif attachement que les populations leur avaient vou '.La mthode que nous adoptons est donc l'oppos de lamthode suivie jusqu'ici par ceux qui se sont occups de larelig-ion de nos pres, Dom Martin et Jean Reynaud enparticulier, sauf M. II. Gaidoz qui a indiqu la vraie voie,sans pouvoir, faute de documents suffisants, en tirer tout leparti possible. Nous attendons avec confiance son travaildfinitif.Nous aborderons l'tude des textes en dernier lieu, quandnotre ducation positive sera faite, vrai moyen de les biencomprendre. Alors seulement nous soulverons la questiondes druides et du rle religieux, politique et social jou enGaule par ce grand corps sacerdotal dont il serait trs injustede mconnatre l'importance. C'est l une question distinctede la question religieuse proprement dite, considre dans sagnralit; cette marche est logique : l'influence des druidestant une influence importe, tardive, et au fond plus socialeque religieuse.Mais avant d'aller plus loin, nous plaons-nous sur un terrain solide? Le tmoignage des textes ne prime-t-il pas celuides monuments et des lgendes? Avons-nous donc des monuments antrieurs Csar qui mritent confiance? Les monuments runis dans nos salles mythologiques (les sallesmythologiques du Muse) ne sont-ils pas d'poque romaine,uvres d'artistes gallo-romains, tout au plus du i^% plus gnralement du n^, sinon duni sicle de notre re?Les lgendes, les pratiques superstitieuses sous la forme oil nous est possible de les saisir, n' appartiennent-elles pasgalement des temps notablement postrieurs l're chrtienne? Les plus anciennes mentions qui en sont faites se rencontrent dans les Pres de l'Eglise ou dans les conciles ; aucunde ces renseignements n'est, comme date, antrieur au iv^sicle de notre re. Les lgendes les plus populaires ne re1. Vuir Alfred Maury, Le^ Fes au moyen ge.-0 LA RELIGION DES GAULOISmontent m me gure aiithentiquement plus haut que lemoyen ge. On ne peut les suivre au del que par conjecture.La lgende de Gargantua qui parat une lgende solaire nefigure dans aucun texte avant le xu^ sicle. Quel critriumavons-nous donc qui nous permette de reconnatre, en prsence de ces documents, relativement rcents, ceux quiportent la marque du gnie gaulois? Comment dm leronsnous dans ceux qui nous paratront avoir ce caractre lesparties anciennes et pures et ferons-nous la part de cellesque les injQuences romaine, germanique ou la politique desv ques et des conciles ont pu y introduire?Il y a plus : nous avons parl de symboles religieux. Cessymboles sont pour la plupart les attributs de divinits reprsentes la romaine, identifies avec les dieux du panthonromain. Ne croit-on pas savoir que les Gaulois rpugnaient reprsenter la divinit sous des formes humaines? Cette interdiction ne passe-t-elle pas m me pour avoir fait partie dela doctrine des druides; avons-nous le droit de prendre ausrieux ce panthon douteux?Oui, Messieurs, nous en avons le droit. Je ne crois m mepas avancer un paradoxe en disant que nous sommes en meilleure situation que ne l'taient Csar, Diodore, Strabon ouPline pour pntrer les secrets de la vieille mythologie gauloise, pour les dgager de l'enveloppe gallo-romaine qui lesdissimule. Plac un tout autre point de vue que nos devanciers, nous ne nous proposons pas pour but de reconstituer,aprs tant d'autres dont les efforts ont t striles, renseignement secret ou public des pr tres gaulois. Il est probable que,sous ce rapport, nous n'en saurons jamais plus que ce quenous en ont dit Csar, Diodore, Strabon etPline. Mais en dehorsde cet enseignement si peu et si mal connu, existait en Gaule il n'y a pas, cet gard, le moindre doute un polythismetrs riche, trs vari, des pratiques religieuses nationales,dont les lments remontaient aux origines m mes de la nation, dont la coexistence ct du panthon officiel des derniers temps, si je puis m'exprimer ainsi, est implicitementLES SOURCES LA MTHODE 21constate par Gsar iui-rume quand il dit ' que : '( Les Gauloisont sur les Dieux peu prs les m mes ides que les autrespeuples (c'est--dire les Grecs et les Romains) : De his eamdem fere quam reliquae gentes habent opinionem. Csar nepr te point les m mes ides aux druides. Il y a l deux courants religieux diffrents. Le baron Roget de Belloguel, dansson Ethnognie gauloise, insiste plusieurs reprises sur cettedualit de la race et de la religion gauloises', vue trs justedont ce consciencieux rudit aurait pu tirer meilleur parti.Ces vieilles croyances, aprs l'invasion galatique, avaientt rejetes au second plan. L'habile politique d'Auguste lesreplaa au premier. Je m'exprime mal. Quand quits etdruides, les deux classes qui composaient l'aristocratie gauloise, eurent t vaincus par Csar, leur pouvoir militaireet moral ananti, la rvolution religieuse se fit d'elle-m me,par la force des choses. L'enseignement des druides s'adressait presque uniquement l'aristocratie. Quand leurs colesse fermrent, remplaces par les coles impriales de Marseille, de Lyon et d'Autun o les fils des quits s'empres-srent d'accourir, la vieille religion populaire livre ellem me reprit le dessus.Les races celtiques ou pntres de l'esprit celtique, qu'ilne faut pas confondre avec l'esprit druidique, ont toujours tparticulirement superstitieuses : natio omtiis Gallorum admodu?n dedita religionibus, crit Csar ^ Strabon fait la m merflexion au sujet des tribus celtiques et thraces du Danube.L'enseignement des druides qui tait restreint l'lite de lanation ne pouvait que trs lgrement modifier ce caractrenatif. Le christianisme y a chou. Si Renan a pu dire avecvrit* : Transporte chez les races polythistes, la religion chrtienne, si pure en son principe, devint un vraipaganisme. Les chrtiens du temps de Grgoire de Tours1. Csar, B. G., VI, 17.2. Baron Roget de Belloguet, Elhjiognie gauloise, t. III, p. 103, 274 etpassim.3. Csar, B. G., VI, 16.4. E. Renan, Nouvelles tudes d'histoire religieuse, 1884, p. 8.22 LA RELIGION DES GAULOISeussent fait horreur saint Paul ; pense-t-on que l'influence des druides, quelle qu'ait t leur doctrine pldlosophiqiip Tantiquit est unanime nous affirmer qu'ils enavaient une , ait pu exercer une action plus efficace, plusprofonde sur la masse du peuple que ne le firent les vqueset les conciles chrtiens? Quand on parcourt tel cantoncart de la Normandie ou de la Bretagne, continue Renan \qu'on s'arrte chacune des chapelles consacres un saintlocal, qu'on se fait rendre compte par les paysans des spcialits mdicales de chacun de ces saints , on se rappelle cesinnombrables dieux gaulois qui avaient des fonctions toutessemblables et on arrive croire que dans les couches profondes du peuple la religion a en somme peu chang. Si leproslytisme chrtien et druidique a laiss ainsi, au fond,sur tant de points du territoire, les choses en l'tat, plusforte raison en a-t-il t de mme de l'administration romaine qui n'a jamais fait de propagande religieuse.Bien plus souvent qu'on ne le pense, les religions nouvellessont obliges d'accepter de gr ou de force une grande partiede rhritage des religions qu'elles remplacent. C'est ainsi queplusieurs menhirs ont t surmonts de croix, que les pierrestroues de certains dolmens ont t encastres dans le matreautel des glises ^ que certaines sources sacres ont servi debaptistre.Ces vrits s'clairciront vos yeux d'une lumire plus vive mesure que nous avancerons dans nos tudes. Nous esprons que vous voudrez bien provisoirement nous faire crdit,en acceptant comme base lgitime de nos recherches touchantla religion des Gauloislesmonuments gallo-romains du Museet celles des pratiques superstitieuses et lgendes du moyenge dont l'origine rcente n'est pas dmontre et que nous dclarons tre, nos yeux, sinon pr-druidiques, pour le moinspr-romaines.1. Renan, l. c.2. Voir ShIoiiiou Reiuach, Croyances populaires relatives aux monumentsmgalitliiques.LES SOURCES LA MTHODE 23Nous sommes donc aujourd'hui en possession de matriauxdj suffisammentnombreux pour que nous osions aborder aprstant d'autres, en esprant y porter quelque lumire, cette difficile tude de la religion des Gaulois aux diffrentes poquesde leur histoire et puisque, comme nous croj^ons l'avoirdmontr dans le cours de nos leons, la nationalit gauloise,au temps de Csar, tait dj compose de plusieurs lmentsdistincts^ de caractre primitivement divers, qui bien qu'ayantfini par se fondre en une grande unit politique n'en conservaient pas moins des traces nombreuses, bien qu'en partielatentes, de leur origine premire nous devons interrogerchacun de ces lments part.Nous avons dit que l'ensemble de ces lments constituaitIrois groupes : le mgalithique, le celtique^ le galatiqiie. Orl'archologie dmontre que chacun de ces groupes l'poqueo il a t prdominant avait un centre d'action particulier; lemgalithique occupant les contres de l'ouest de la Girondeaux ctes de la Manche; le celtique dominant sur le centre etnord-ouest du pays ; le gaiatique s'lendant sur l'est et lenord-est, de l'Helvtie aux embouchures du Rhin.Ce n'est donc pas seulement un besoin de clart; ce sontde trs srieuses considrations d'ordre chronologique et gographique qui nous imposent la. mthode laquelle nousnous arrtons. On ne peut gure douter que chacun de cesgroupes soit entr en Gaule, ou s'y soit constitu, entour depratiques religieuses, de rites lui propres, de traditions quenous pouvons qualifier de traditions de famille ou de race.Le premier groupe, le mgalithique, parat surtout, sous cerapport, se sparer nettement des deux autres et exige unetude part. Plus rapprochs l'un de l'autre, le groupe celtiqueet le gaiatique, les Celtes et les Galates, bien que considrs,par les anciens eux-mmes, comme consanguins, ne se prsentent pas nous sous le mme aspect religieux. De notablesdiffrences les distinguent. Ces deux groupes ne doivent pastre confondus dans la mme tude. Une carte des divinitset superstitions de la Gaule montrerait que, comme nos groupes'24 LA RELIGION DES GAULOISarchologiques, ces divinits, ces superslilions se rpartissentingalement sur la surface du pays, chacune ayant son aire dedveloppement particulire, rpondant au groupement primitif des diverses branches de ces deux familles. L'existence deplusieurs courants religieux se manifeste aux yeux de Tobservateur. Chacun des trois groupes se prsente nous avecdes tendances religieuses diffrentes, j'oserais dire un temprament religieux oppos.Ces diffrences, ces oppositions natives entre le conceptreligieux des trois principales fractions de la nation gauloisenous dictent la marche que nous avons suivre. Le druidme^ la domination des druides en Gaule, tant le fait d'unervolution religieuse relativement rcente, d'origine trangre^ un pisode dans l'e.isemble du mouvement religieuxde la nation, nous tudierons ce qu'on appelle le druidisme,en dernier lieu.Avant d'aborder cet obscur et difficile problme, nous nousposerons et lcherons de rsoudre les questions suivantes:1 Quelle part dans les pratiques et superstitions populairespeut revenir au groupe mgalithique?2 Quelle part au groupe celtique primitif avant sa soumission aux druides?3" Quelle part au groupe kimrique et ses sous-divisions,Galates, Belges et Cimbres?4" Quelle a t l'attitude des druides vis--vis de cescroyances nationales?S Quel tait le caractre dominant de leur organisation?6 Quelles divinits adorait-on en Gaule, sous la domination des druides, qui paraissent n'avoir eu eux aucun panthon particulier?7 Quelle modification la conqute romaine apporta-t-elle ces croyances?Nous commencerons par l'tude du premier groupe,1. Csar, B. G., VI, 13 : Disciplina in Britannia reperta atqne inde in Gallium translata.PREMIRE PARTIELA GAULE AVANT LES DRUIDESLA GAULE AVANT LES DRUIDESIII' LEONLE GROUPE MGALITHIQUE. LA CIVILISATIONTOURANIENNENous aurions grand intrt connatre l'origine du premiergroupe; malheureusement, bien que le rite funraire de cegroupe soit rest sur presque tous les points o il s'tablit\ inhumation ; bien que par consquent de nombreux squelettes appartenant ce groupe aient pu tre exhums et tudis par les anihropologistes, le problme reste jusqu'ici sanssolution certaine. Les matres de la science se dclarent impuissants nous dire o nous devons placer le centre primitifde dveloppement, le point de dpart de la race ou des racesdont se composaient les tribus constructeurs de mgalithesqui certainement en Gaule ne sont point autochtones.Sommes-nous en prsence d'une race caucanque suivantl'ancienne classification , avant-garde des tribus qui ontapport en Occident, avec tant d'autres merveilleuses crations du gnie aryen, la connaissance de la famille de langues laquelle les langues celtiques appartiennent,, ou bien faut-ilrattacher ces races au grand groupe hyperboren, touraniende Franois Lenormanl, ainsi que la distribution des monuments mgalithiques en Europe semble l'indiquer? Nous nesaurions le dire avec certitude. Cette dernire hypothse,aprs mre rflexion, nous semble toutefois de beaucoup laplus vraisemblable. D'autres motifs trs graves, comme nousle verrons en dehors de la distribution gographique des mgalithes, nous font incliner vers cette solution.28 LA RELIGION DES GAULOISNous sommes, en consquence, port coujecturer que lefond de la religion des populations mgalithiques auxquellesil est impossible de refuser un profond caractre religieux, leurs monuments funraires en font foi devait se rapprocher des croyances de ces races du nord et avoir quelque rapport avec le chamanisme des contres borales et toute lasrie de superstitions encore vivantes chez les Finnois et lesMongols sur le caractre desquels nous commenons avoirdes renseignements prcis.Vous pouvez vous tonner que nous attachions une srieuse importance un groupe de religions s'appuyant uniquement, en apparence au moins, sur des pratiques magiqueset ayant des sorciers pour principaux interprtes. Croire quel'tude de ces superstitions n'offre qu'un intrt de curiositserait une grande erreur. Le mpris oia elles taient tombesau moyen ge aux yeux de la partie claire de la nation nedoit pas nous faire illusion. Ecoutons la protestation de Franois Lenormant contre ce mpris d'une des grandes manifestations de l'esprit humain : L'histoire de certaines superstitions^ constitue l'un deschapitres les plus tranges, mais non l'un des moins importants de l'histoire de l'esprit humain et de ses dveloppements. Quelque folles qu'aient t les rveries de la magie etde l'astrologie, quelque loin que nous soyons maintenant,grce au progrs des sciences, des ides qui les ont inspires,elles ont exerc sur les hommes, pendant de longs sicles, etjusqu' une poque encore bien rapproche de nous, uneinfluence trop profonde et trop dcisive pour tre ngliges decelui qui cherche scruter les phases des annales intellectuelles de l'humanit. Les sicles les plus clairs mme del'antiquit ont ajout foi ces prestiges; l'empire des sciencesoccultes, hritage de la superstition paenne, survivant autriomphe du christianisme, se montre tout-puissant au moyenge et ce n'est que la science moderne qui est parvenue en1. Fr. Lenormant, La magie chez les Chaldens, Prface, p. v.LE GROUPE MGALITHIQUE LA CIVILISATION TOURANIENNE 29dissiper les erreurs. Une aberration qui a si longtemps domintous les esprits, jusqu'aux plus nobles et aux plus perspicaces,dont la philosophie elle-mme ne s'est pas dfendue et laquelle, certaines poques, comme chez les noplatoniciensde l'Ecole d'Alexandrie \ elle a donn une place de premierordre dans ses spculations, ne saurait tre exclue avec mpris du tableau de la marche g-nrale des ides. A notre point de vue, cette science a une bien autre importance si elle a. comme nous le pensons, domin chez nous,pendant de longs sicles, l'origine de notre histoire. Onsait que parmi les phnomnes sociaux les mieux constatsfig-ure la parent des lang-ues dites indo-europennes. Depuisprs d'un sicle ^, il est reconnu que le zend, l'armnien,le grec, les lang-ues italiotes (latin, osque , ombrien), leslangues celtiques, le vieux slave, le lithuanien, le vieil-allemand, les lang-ues Scandinaves, constituent une grandefamille linguistique gouverne par les mmes lois philologiques : communaut des racines, mme organisme grammatical, avec des diffrences qui bien que sensibles, peuvent trequalifies de secondaires. Il y a l la trace vidente, indiscutable, d'une action commune trs ancienne, trs profonde quis'est fait sentir sur la grande majorit des nations qui s'tendent des rives du Gange aux Colonnes d'Hercule. La communaut des traditions, comme la communaut de langue,donne ce groupe un caractre d'unit qui a vivement frapples esprits. L'tude de cette famille indo-europenne a jusqu'ici presque compltement absorb l'attention des savantsqui lui ont attribu l'honneur d'avoir tir le monde de la barbarie.Il est une autre famille de langues, un autre groupe denations dont l'antiquit est aussi bien constate et dont lerle, parallle celui desIndo-Europens, peut-tre antrieur1. Cf. A. Maury, La magie et l'astrologie dans Vantiquil.2. L'honneur de cette dcouverte revient Frdric Schlegel, qui en po?ales bases dans son ouvrage paru eu 1808 : Langue et sagesse des Indiens. Laconception de l'unit indo-europenue date de ce livre de gnie.30 LA RELIGION DES GAULOISpour avoir t dilTrent, n'en a pas t moias considrable :nous voulons parler des langues et des tribus touranie?i?iesKLa famille des langues touraniennes, comprenant l'accadien(langue primitive de la Chalde), les langues tongouse, mongole , thibtaine, finnoise, samoide, turque et hongroise,reprsente un groupe presque aussi important par son tendueque le groupe aryen. Or ce groupe touranien a eu sa civilisation, une civilisation originale et fconde. La civilisationlouranienne que l'on commence connatre n'est pas reprsente seulement par sa langue et le systme d'criture connusous le nom d'criture cuniforme, le plus ancien systmegraphique connu; l'humanit lui doit une conception religieuse originale assez vivace, pour que nous en retrouvionsles traces dans plusieurs des religions anciennes de l'Asie etque le systme qui en dcoule domine encore en matre surla plupart des populations borales o il conserve ses caractres primitifs. C'est aux anctres de ce groupe qu'il faut endfinitive faire remonter presque toutes les pratiques superstitieuses dites magiques qui taient encore en si grand honneurchez nous au moyen ge ^ Le christianisme n'avait pu lesdraciner du cur de nos populations rurales ; l'islamismen'en est pas venu plus facilement bout_, elles n'ont recul etne se sont vanouies que devant les lumires de la science;ce fut donc un foyer religieux trs ardent.Le monde aryen et le monde touranien, au point de vuereligieux, comme au point de vue linguistique, forment deuxmondes part, galement \ivaces et qui, bien que de gnieoppos et d'ordre diffrent, mritent tous deux galement, sinon au mme degr, toute notre attention. D'un autre ct ilest prouv que les groupes aryens n'ont t nulle part en Europe les premiers occupants du sol. Pour ne parler que de ceque nous savons le mieux, aucun de vous n^ignore que les1. Tel est le nom dont se sert Fr. Leuormant et qui parat gnralementadopt, aujourd'hui. Ces ouranieus comprenaent les Scythes et probablement les Ilyperborens des historiens grecs.2. Voir Alfred Maury, La magie et l'astrologie dans l'antiquit, 1863.LE GROUPE MEGALITHIQUE LA CIVILISATION TOURANIENNE 31Celtes ou Gaulois sont loin d'avoir trouv la Gaule inhabite,ou peuple seulement de quelques rares tribus de sauvages,comme nos premiers historiens et Amde Thierry lui-mmesemblaient le croire'. La Gaule, quand les premires tribusceltiques, c'est--dire aryennes, y ont pntr, tait dj nonseulement trs peuple, mais en pleine civilisation mgalithique dont on ne peut mconna're la forte organisation,civilisation dont l'action se faisait sentir alors de la Sude auPortugal d'un ct, au Caucase de l'autre. L'hypothse la plusvraisemblable n'est-elle pas que le courant sous l'influenceduquel cette civilisation s'est dveloppe tait le courant touranien^?N'oublions pas que si une couche profonde de populationavait prcd les Aryens en Europe,, il en avait t de mmeen Asie. Les Scythes, c'est- dire des Touraniens, ce n'estplus une lgende mais un fait historique scientifiquement dmontr, y avaient prcd les Aryas, les Iraniens et les Smites. Partout dans l'Asie antrieure, l'Aryen, l'Iranien, leSmite s'est superpos des populations plus anciennes, beaucoup plus denses, ce semble, que les nouveaux venus, et djcompltement sorties de l'tat sauvage. Le rle des Touraniensa t, Torigine, prpondrant en Asie. Nous devons reconnatre en eux les premiers pionniers de la civilisation, lespremiers rgulateurs des pratiques religieuses. La religiontouranienne est avant tout un naturalisme dont le fond est lacroyance la prsence d'esprits ou dmons * animant ou surveillant tout tre, toute chose en ce monde. Sur ces esprits,sur ces dmons l'homme peut exercer une action plus ou1. Heuri Martin n'a t dsabus cet gard que dans les dernires annesde sa vie; au moment de sa mort, il prparait une rvision complte de sonpremier volume oi il faisait trs large la part des populations pr-celtiques.M. d'Arbois de Jubaiuville s'est rattach la mme doctrine.2. Coquebert-Montoret, baron de Monbret (cf. Mm. de la Soc. anl. deFrance, t. VU, p. 2) a entrevu cette vrit. Selon lui, plusieurs religionsavaient exist en Gaule, dont l'une, la plus ancienne, tait un sabnsme ml dechamanisme qui lui tait commun avec toutes les nations du nord de l'au'cien continent.3. Ce que l'on a appel : un poly dmonisme.32 LA RELIGION DES GAULOISmoins puissante l'aide de formules consacres, d'incantations, de pratiques magiques, dont certains collges de prtressont dposilaires. En Assyrie, avant la domination des Smites,, en Mdie avant celle des Iraniens, les collges deprtres (nous parlons de 3500 4000 ans avant notre re)avaient dj fix ces pratiques par crit dans une langue qui,aprs la conqute assyrienne, resta la langue liturgique, lalangue sacre des Chaldens comme le grec et le latin dansnotre liturgie chrtienne.A ces formules, ces incantations destines apaiser lesesprits ou forcer leur bienveillance se trouvaient mls desrecettes mdicales, des relevs d'observations astronomiquesservant de base aux spculations des astrologues. Les magesqui formrent plus tard une caste Babylone hritrent decette science laquelle ils ont donn leur nom, bien qu'elleft tout accadienne. La Mdie, suivant l'expression d'un ancien, avait t infecte de ces superstitions, aussi bien quela Chalde. Les mdecins de l'antiquit n'ignoraient pas l'origine de cette science; ils reconnaissaient qu'il y avait eu enMdie, une poque trs recule, un foyer trs intense desuperstitions raisonnes, bases sur l'observation de la nature ;mlange singulier de vrits et d'erreurs. Ce mlange d'erreurset de vrits explique la fortune inoue de la magie, dont, plusde trois mille ans aprs l'closion de cette science, nous retrouvons les traces encore vivantes non seulement en GrandeBretagne et en Gaule, mais au centre mme des nations lesplus civilises, Athnes, Rome, Alexandrie. Nous la retrouvons encore aujourd'hui entirement matresse des espritssur un espace immense s'tendant de la Finlande au Thibet.11 y a l dans le domaine religieux un phnomne analogue celui que prsente, dans l'ordre linguistique, l'expansion deslangues aryennes, smitiques et touraniennes.Ecoutons ce que nous dit Pline ^ ce sujet; son opinion estprcieuse recueillir.1. Pline, //. iV., XXX, 1, 4, traduction Littr, t- II, p. 322.LE GROUPE MGALITHIQUE LA CIVILISATION TOURANIENNE 33 La magie est du petit nombre des choses sur lesquelles ilimporte de s'tendre, ne ft-ce .qu' ce litre qu'tant le plustrompeur des arts, elle a eu par tout le monde et en touttemps le plus grand crdit. On ne s'tonnera pas de l'influenceextrme qu^elle s'est acquise, car elle a seule embrass etconfondu les trois arts qui ont le plus de pouvoir sur l'esprithumain. Elle est ne d'abord de la mdecine, cela n'est pasdouteux et, sous l'apparence d'avoir pour objet notre salut,elle s'est glisse comme une autre mdecine, plus profonde etplus sainte. En second lieu, aux promesses les plus flatteuseset les plus sduisantes, elle a joint le ressort de la religion,sujet sur lequel le genre humain est encore, aujourd'hui, leplus aveugle. Enfin, pour comble, elle s'est incorpor l'artastrologique ; or tout homme est avide de connatre son aveniret tout homme pense que cette connaissance se tire du cielavec le plus de certitude. Ainsi, tenant enchans les espritspar un triple lien, la magie s'est leve un tel point, qu'aujourd'hui mme elle prvaut chez un grand nombre de nationset dans l'Orient commande aux rois des rois, ut et in Orienteregum regibus imperet. C'est dans l'Orient sans doute qu'elle a t invente ; dansla Perse, par Zoroastre. Les auteurs s'accordent sur ce point.Mais n'y a-l-il eu qu'un Zoroastre? Eudoxe qui a prtenduque, parmi les sectes philosophiques, la magie tait la plus illustre et la plus utile, plaait ce Zoroastre six mille ans avantla mort de Platon; autant en faisait Aristote. Hermippe, qui acrit avec beaucoup d'exactitude sur toutes les parties de cetart et qui a comment les deux millions de vers composs parZoroastre et mis des tables aux ouvrages de cet auteur, rapporte que Zoroastre a puis la doctrine chez Azonaces et vcutcinq mille ans avant la guerre de Troie Je remarquequ'anciennement et presque toujours on chercha dans cettescience le plus haut point de l'clat et de la gloire littraires ;du moins, Pythagore, Empdocle,Dmocrite, Platon, pour s'yinstruire, traversrent les mers, exils, vrai dire, plutt quevoyageurs. Revenus dans leur patrie, ils vantrent la magie ;334 LA RELIGION DES GAULOISils la tinrent en arcane ^... Il existe chez les nations italiennesdes traces de la magie, par-exemple dans nos lois des DouzeTables et d'autres monuments, comme je l'ai dit dans un livreprcdent... Les Gaules ont t aussi possdes par la magie et mme jusqu' notre temps, car c'est l'empereur Tibrequia supprim^ leurs druides et cette tourbe de prophtes etde mdecins. Mais quoi bon rapporter ces prohibitions ausujet d'un art qui a franchi l'Ocan et qui a pntr jusqu'ocesse la nature ? La Bretagne cultive aujourd'hui mme l'artmagique avec foi et de telles crmonies qu'elle sembleraitl'avoir transmis aux Perses... Ainsi tous les peuples se sontaccords sur ce point. Cette longue citation nous a paru ncessaire. Toutes lesparties en sont mditer. Retenons de cet instructif rsumdes recherches que Pline avait faites sur l'histoire et le caractre de la magie :l.i-/_oi ToO vOv s'appliquerait alors au temps de Porphyre, ce qui n'est pointinvraisemblable, puisque Pausanias nous donne un renseignement analogue.L'erreur vient de ce que Porphyre a beaucoup puis dans Thophraste auquelil renvoie dans sept passuges diffrents (liv. II, H, 21, 26, 32,43,53; liv. 111,25 ; liv. IV, 20) et plusieurs fois au sujet des sacrifices humains ! Ce n'est pasune raison pour attribuer Thophraste des phrases propos desquelles sounom n'est pas prononc. H est, au contraire, un long passage qui est bien deThophraste et que nous citerons parce qu'il est une confirmation de notrethse. Voici comment il s'exprime d'aprs Porphyre (II, 53) : Les histoiresrapportes par Thophraste font mention de sacrifices humains, nous en donnerons quelques exemples. On sacrifiait Rhodes un homme Kronos, le 6 dumois Mftageitnion (juillet). A cet effet on conservait en prison jusqu' la ftede Kronos un de ceux qui avaient t condamns mort et le jour de la fteon menait cet homme hors des portes vis--vis de l'autel du Bon Conseil etaprs lui avoir fait boire du vin, on l'gorgeait, A Salamine (de Chypre) qu'onLES SACRIFCCES HUMAINS 77mun des sacrifices humains. Bien plus, certaines poquespriodiques, ils vont jusqu' arroser l'autel du sang- des leurs,bien qu'ils cartent de leurs sacrifices tout meurtrier souillde sang- humain. Cinq cents ans plus tard, continue M. Brard, Pausaniassut que les sacrifices du Lyce taient secrets; ils ne voulutpoint pntrer ce mystre et laissa les choses tre ce qu ellesavaient toujours t ds le commencement \ Il semble craindre, l'enqute, une dcouverte dsagrable pour sa pit ou sonorg'ueil d'Hellne . Cette persistance de l'usage des sacrificeshumains, sur le Lyce, au sein de la Grce civilise, bienaprs le sicle de Pricls, parait donc un fait certain.Ces vieux usages n'avaient pas persist partout aussi long-nommait autrefois Coroais, peudaut le mois appel Aphrodisium par lesChypriotes, oa sacrifiait un homme Agraule, fille de Ccrops et de la nymphe Agraulis. Cette coutume dura jusqu'au temps oi oa sacrifia Diomde.Les temples d'Athua, d'Agraule et de Diomde taient enferms dans unemme enceinte. Celui qui devait tre sacrifi y tait men par des jeunesgens ; il faisait trois fois le tour de l'autel en courant ; puis le prtre le frappait d'un coup de lance dans l'estomac, et le brlait, aprs cela, tout entier surun bcher. Ce sacrifice fut aboli par Diphile, roi de Chypre, vers le temps deSleucus le Thologue. Il changea cet usage en celui de sacrifier un buf etle dmon agra ce bceuf la place de l'homme... Dans l'le de Chio et Tndos on sacrifiait un homme Dionysos Omadios (anthropophage). Le mmesacrifice se faisait Tndos, comme le rapporte Evelpis de Caryste. Apollodore rapporte aussi que les Lacdmonieus sacrifiaient un homme Ares...Je ne dis rien ni des Thraces, ni des Scythes, ni comment les Athniens ontfait mourir la fille d'rechthe et de Praxithe (probablement parce que cesfaits taient trop connus). Qui ne sait, ajoute Porphyre, que prsentement Rome mme, la fte de Jupiter Latialis, on immole un homme ? (Traductionde Buriguy, 1767.) M. Salomon Reinach, qui j'avais communiqu mes doutes,a cherch sur quelle autorit on attribue le passage de Porphyre Thophraste.II o'a rien trouv avant Frret. 11 m'apprend que c'tait encore l'opinion deWelcker (G/'/ec/a'sc/ie Goeltevlehre,!, p. 2H), opinion repousse par Beckers,De /lostiis humanis apud Graecos, 1867, p. 39. Le mme auteur dit que le passage est trs obscur. Voici ce passage, faussement attribu Thophraste : Le texte grec, dont le sens gnral est clair, oQ're, en effet, quelque difficult de dtail, comme l'a remarqu Beckers. Nous croyons en consquencedevoir le donner en grec in extenso. 'Aq)' ou [depuis le temps o les offrandes de fruits furent remplaces par des victimes sanglantes] pi/pi. toO vOvO'jx sv Apxsoa |j.rjvov to; Auxaoi, o'j5' v Ko(p/)8vc tw Kpvfo xotv) 7roJean Reynaud, par une sorte d'intuition, soutenait la mmethse, et faisait de ces doctrines sur l'immortalit l'apanagedes peuplades scythiques et gauloises qui en auraient eu spcialement le dpts Nous retrouvons les mmes dispositionsd'esprit persistantes chez nos peuplades finnoises ; ouvronsV Enqute^ : il s'agit des ngriens baptiss :Un prtre, un papas, assiste l'enterrement de leurs morts. Mais cessuperstitieux ngriens retournent la fosse pendant la nuit pour enterrer desmangeailles, ce qu'ils rplent plusieurs jours de suite. Leur opinion est, en effet, que l'on continue vivre dans le monde souterrain,comme la surface de la terre et que le tombeau n'est que l'habitationdu mort. Par cette raison ils enterrent leur argent pour en faire usageaprs leur mort. Ils parlent aux dcds et aux morts dans les tombeauxet les craignent. Quelques amis de l'auteur de ce rapport qui savaient lalangue finnoise, surprirent un jour une femme dans un village tschorienaux environs de Saint-Ptersbourg et l'coulrent sans en tre aperus;quinze jours aprs la mort de son mari elle s'tait remarie et, pourapaiser les mnes de son dfunt et pour prvenir tout accident fcheux,elle s'tait rendue sur le tombeau du dcd o on la trouva couche,poussant des hurlements et des lamentations; elle pleurait et gesticulait en disant entre autres: Te voil mort hlas! hlas! ne sois du moinspas fch de ce que f ai pous ce garon plus jeune que toi, hlas! hlas! Jen'en aurai pas moins soin de ton fils, de ton hlondin, hlas! hlas!Les Gaulois du temps de Csar n'obissaient-ils pas aux1. Frret veut dire que le germe de ces ides ne doit point tre attribu auxdoctrines pythagoricieaues qui auraient t la source o les druides auraientt puiser.2. J. Reynaud, Considrations sur l'esprit de la Gaule, p. 5.3. P. 72.SUPERSTITIONS DU NOfL) DE L'eUROPE ET DK l'aSIE 89mmes superstitions, quand, d'aprs les Commentaires^, ilsjetaient dans les flammes du bcher tout ce qui avait t cheraux morts, mme les animaux; quand, d'aprs Diodore deSicile^ ils confiaient ces flammes des lettres c destinationdes morts et acceptaient l'chance d'une dette payer dansl'autre monde : Les funrailles des Gaulois sont relativement leur tatde civilisation [pro cuUu Gallorum) magnifiques et somptueuses. Tout ce qu'on croit avoir t cher aux morts, mmeles animaux, est jet dans les flammes du bcher et, il n'y apas bien long temps encore que esclaves et clients taient aussibrls aprs la crmonie funbre. (Csar, B. G., VI, 19). Les Gaulois ont fait prvaloir chez eux l'opinion de Pythag'ore que les mes des morts sont immortelles et que chacune d'elles s'introduisant aprs la mort dans un autre corpsrevit pendant un nombre dtermin d'annes. C'est pourquoipendant les funrailles ils jettent dans le bcher des lettresadresses leurs parents dcds, comme si les morts devaientles lire. (Diodore, V, 28.)ce Autrefois les Gaulois remettaient le rglement de leurscomptes, le paiement de leurs dettes f/m/eros. (PomponiusMla, III.) Les Gaulois se prtent les uns aux autres de l'argentpayable dans l'autre vie. (Valre Maxime, II, 6.)Nous reviendrons sur ce dogme en parlant des druides.Le rapporteur russe avait dj dit, propos des Tschrmisses : Les Tschrmisses pensent, avec la plupart des peuplades paennes de la Russie, que l'existence aprs la mortest une continuation de la vie actuelle, peu de diff'renceprs : c'est pourquoi ils donnent aux morts des meubles, del'argent, des mangeailles. Nous pouvons noter un certain nombre d'autres usages sjprtant des rapprochements intressants : Les Finnoispaens honoraient un dieu universel dans \q\iv joumarou jou1. Csar, ii . G , VI, 19.2. Diod., V, 28.90 LA RELIGION DES GAULOISmala (identifi Thor)\ ils reprsentaient ce dieu sous la figured'une g-rande statue portant un collier (torques) d'or. Onsait que le collier ou torques d'or n'tait pas seulement chezles Gaulois un insigne militaire, rcompense du courage, c'taitencore l'allribut de certaines divinits, de Cernunnos et d'Arlmis entre autres, ainsi que l'tude des monnaies d'or de laGaule et certaines reprsentations fig-ures le dmontrent.Nous possdons en Gaule un g-rand nombre d'enceintes prceltiques, au sens que nous attribuons ce terme; quelquesunes remontent l'poque nolithique. On s'est demand souvent si la plupart de ces oppida n'taient pas des lieux derunions religieuses. Les krmet^ de nos peuplades finnoisesdestines l'accomplissement de sacrifices relig-ieux semblentrendre l'hypothse probable.Ecoutez ce que dit Enqute : Le culte des dieux ne sefait pas dans les temples, mais en plein air dans des places consacres qu'ils nomment krmet. Ils ont des places sacres g-nrales, d'autres particulires. Dans ces dernires des famillesisoles font leurs dvolions. Dans les premires s'assemblentdes villag-es entiers. Ils choisissent les forts ou les collinesleves. Si, par hasard, il ne s'en trouve pas dans le voisinag'edu village, on choisit un endroit o il y ait plusieurs arbres :il doit y en avoir pour le moins un, et on donne toujours laprfrence aux chnes. L'arbre le plus considrable est consacr Youna, le dieu suprme, le suivant, moins g-rand, Youmou-Awa, sa femme, et les autres tant qu'il y en a auxdivinits infrieures. Les femmes n'osent pas approcher deces endroits consacrs et les hommes n'y paraissent jamaissans s'tre baigns et habills proprement. S'il est possible, ilstachent de ne pas venir la bourse vide : selon Topinion deplusieurs d'entre eux, le krmet lui-mme est une divinitpuissante et bienveillante. Le cheval est la victime la plusrecherche. Les Tschouwaches considraient si bien les krmet comme1. Op. laud., p. 42.SUPERSTITIONS DU NORD DE l'eUROPE ET DE L'aSIE 91des divinits qu'ils adressaient leurs prires Krmet Asch(Krmet pre), Krmet Amsha (Krmet la mre), Krmet Onewli (tvrmet le fils). Il est difficile de ne pas recoanaitre ici l'existence d'une triade.Je pourrais faire beaucoup d'autres extraits intressants.Quand, en 1823, l'amiral Wrang-eP entreprit son voyage enSibrie, la situation n'avait pas cliang^. Les paysans baptiss taient rests aussi paens qu'en 1776. Les chamans oumagiciens y avaient encore beaucoup plus d'influence que leclerg orthodoxe. Les populations taient restes au fondcompltement paennes.Wrangel raconte une scne horrible; l'immolation d'un chefrespect, sur l'insistance des chamans. Rien ne peut mieuxmontrer la puissance traditionnelle des superstitions concernant le sacrifice des victimes hummes.Cette scne est le meilleur commentaire de ma leon surles sacrifices humains :Les Tschouktas eu arrivant la foire d'Osrownay y avaient apportle germe d'une maladie contagieuse. Les secours de l'art fournis par legouvernement (il y avait Ostrownay des mdecins officiels), lesprires du clerg orthodoxe taient restes impuissantes conjurer lamarche du flau qui augmentait chaque jour.Dans d'aussi tristes circonstances, les rsc/iow/c^as, bien que chrtiens, sedcidrent avoir recours la science occulte des chamans. Ceux-ci serunirent, firent de solennelles conjurations pour voquer les esprits etsavoir ce qu'il fallait faire. Les crmonies acheves, les chamans dclarent que les Esprits irrits ne feront cesser le flau que lorsque le vertueux Kotschne, l'un des chefs les plus vnres de sa nation, leur aurat ofiert en sacrifice.Kotschne tait l'idole du peuple et peu s'en fallut que les devins nepayassent de leur vie ce conseil barbare.Cependant la maladie continuait svir, taudis que des chamans,aussi cruels que leurs divinits, demeurent inbranlables, refusant lesprsents qui leur taient offerts pour flchir la colre des Esprits, mprisant les menaces qui leur taient faites et bravant les mauvais traitements. Alors ceux-l mmes qui estimaient le plus la victime dsignesentirent leur dvouement chanceler et crurent qu'il tait de leur devoirde consentir ce que le sacrifice ft consomm.Kotschne, de son ct se prpara la mort, rassembla le peuple ha1. Op. laud., Exploration du nord de la Sibrie.92 LA RELIGION DES GAULOISbitu lui obir, le vnrer et dclara qu'il voyait lui-mme par lesravages toujours croissants de l'pidmie que les Esprits s'irritaient detant de retard. Il ajoute que, voulant avant tout sauver le peuple, il sedvoue et est prt mourir. En prononant ces mots, le vieillarddcouvre sa poitrine et se prsente aux coups d bourreau. Mais nuln'est assez hardi pour porter sur lui une main sacrilge. 11 fallut, chosehorrible dire, s'crie Wrangel, que les misrables chamans forassentle fils de Kostchne devenir parricide, gorger son pre.Peut-on, aprs cela, douter de la vracit des rcits que nousa lgus l'antiquit, quelque horribles qu'ils soient?En 1844, le P. Hue retrouvait en Tarlarie et au Thibet, malgr l'introduction dj ancienne dans ces pays non pas duchristianisme, mais du bouddhisme et du lama)^me, quisont des relig^ions d'un ordre lev, un tat social o ces superstitions font encore loi aux yeux du peuple. Tout ce mondeseptentrional en a t et en est encore infect. Le P. Hue enmanifeste plusieurs reprises son tonnement. Il y voit uneuvre du diable. Le bouddhisme, en elTet, aussi bien que lechristianisme, rejette ces superstitions en principe. LeP. Hue a visit un grand nombre de lamaseries, il en admireTorganisation, il avoue qu'on y respire une vraie pit; lehaut clerg de ces lamaseries est clair. Il joue un grand rlechez les Tartares et les Mongols. Il n'a pu rompre compltement avec les superstitions du pass. Nous verrons les druidesy chouer galement chez nous.Non seulement les bouddhistes, dont la doctrine au tempsd'Aoka' s'levait unspiiitualismeetune morale qui peuventtre mis en parallle avec l'Evangile, n'ont pas fait disparatreles vieux cultes, mais ils ont t obligs de tolrer, d'adoptermme certaines de ces pratiques devant l'impossibilit de lesdtruire et la ncessit de s'en servir comme instrument dedomination. La mdecine des lamaseries est encore celle desmages. 'La mdecine, crit le P. Huc", est exclusivement exerce en1. Emile Saart, Les inscriptions de Piyadasi (l'Aoka des Grecs), 1 vol.n-8o, 1881. Piyadasi vivait 250 ans environ avant notre re.2. Voyage en Tartarie et au Thtbet, I, p. 108.SUPERSTITIONS DU NORD DE L'eUROPE ET DE l'aSIE 93Tartarie par les lamas qui ont une espce d'cole de mdecine dans chaque lamaserie, mais cette science se mlentdes pratiques du plus pur charlatanisme :Aussitt qu'une maladie se dclare dans une famille on court lalamaserie voisine inviter un mdecin; celui-ci se rend auprs du maladeet commence par lui tter le pouls en promenant ses doigts sur les artres, peu prs comme les doigts du musicien courent sur les cordesd'un violon... Puis il prononce sa sentence. Comme d'aprs l'opinionvulgaire chez les Tatars, c'est toujours un Tchutgour, c'est--dire undiable, qui tourmente par sa prsence la partie malade, il faut, avanttout traitement mdical, s'occuper de l'expulser. Vient ensuite le traitement.Le lama-mdecin est en mme temps apottiicaire, il porte avec luitoute une srie de pilules composes de vgtaux pulvriss. Quelquesunes de ces pilules sont rellement efficaces, mais s'il en manque, iln'est pas embarrass, il les remplace par des petits morceaux de papiersur lesquels sont iuscrits en caractres thibtains^ les noms des remdes. 11en fait des boulettes que le malade avale avec autant de confiance que lespilules vritables. Aprs que les pilules ont t prises, commencent lescrmonies magiques. Ces prires sont le plus souvent accompagnesde rites lugubres et effrayants que les bouddhistes clairs rprouvent,mais sans pouvoir les empcher.Le P. Hue, tant charg de la petite chrtient de la Valledes eaux noires^ eut occasion d'assister une de ces crmonies. Elle est utile dcrire. Il avait fait la connaissance d'unefamille mongole. Un jour, la vieille tante du noble Tokhoura,chef de celte famille, fut prise par les fivres intermiltentes :J'inviterais bien, disait Tokhoura, le docteur-lama, mais s'il dclarequ'il y a un Tshutgour, que deviendrai-je? Les dpenses vont nous ruiner.Il se dcida, cependant inviter le mdecin. Ses prvisions ne furentpas trompes. Le lama dcida que le diable y tait et qu'il fallait lechasser au plus tt. Les prparatifs se firent avec la plus grande activit.Sur le soir, huit lamas arrivrent, et se mirent faonner avec des herbessches un grand mannequin qu'ils nommrent le diable des fivres intermittentes. Par le moyen d'un pieu qu'ils avaient enfonc entre sesjambes, ils le firent tenir debout dans la tente o se trouvait la malade.La crmonie commena onze heures du soir. Les lamas vinrent seranger en rond, au fond de la tente, arms de cymbales, de conquesmarinps, de clochettes, de tambours et de divers instruments de leurbruyante musique. Le cercle tait termin sur l'avant par les Tartars de1. Cdraclres sacrs.94 LA RELIGION DES GAULOISla famille, au nombre de neuf; ils taient tous accroupis el presss lesuns contre les autres. La vieille genoux ou plutt assise sur ses talonstait en face du mannequin qui reprsentait le diable des fivres. Lelama-docteur* avait devant lui un grand bassin en cuivre rempli de petitmillet et de quelques statuettes fabriques avec de la pte de farine.Quelques argols (bouse de vache) enflamms jetaient, avec beaucoup defume, une lueur fantastique et vacillante sur cette trange scne.A un signal donn l'orchestre excute une ouverture musicale capabled'effrayer le diable le plus intrpide. Les hommes nov'S^ battaient desmains en cadence pour accompagner le son charivarique des instruments,des hurlements et des prires. Puis le lama ouvrit le livre des exorcismes qu'il posa sur ses genoux. A mesure qu'il prononait les motssacramentels, il puisait dans le bassin de cuivre quelques grains de petitmillet qu'il projetait et l autour de lui, selon qu'il tait marqu parla rubrique.Aprs des interpellations vives et animes qu"il adressait, en gesticulant, au mannequin, il donna un signal en tendant les bras droite et gauche. Tous les lamas entonnrent aussitt un brillant refrain sur uiiton prcipit et rapide. Tous les instruments de musique taient en jeu ;les gens de la famille sortant brusquement la tile se ni'rent faire encourant le tour de la tente qu'ils frappaient violemment avec des pierrespendant qu'ils poussaient des cris faire dresser les cheveux sur la tte.Aprs avoir excut trois fois cette course infernale, la file rentre avecprcipitation et chacun se remet en place.Alors pendant que tous les assistants se cachaient la figure des deuxmains, le docteur-lama se leva pour aller mettre le feu au mannequin.Les hommes noirs s'emparrent du diable enflamm et coururent le porter dans la prairie, loin de la tente, pendant que le Tchutgour des fivresse consumait au milieu des cris et des imprciations des lamas demeurs accroupis dans l'intrieur de la tente, chantant leurs prires sur unton grave et solennel.Bientt tout le monde sortit tumultueusement hors del tente et chacun tenant dans chaque main une torche allume, on se mit en marche,les hommes noirs allaient les premiers, puis venait la vieille fivreuse, soutenue de di'oite et de gauche sous les bras par deux membres de lafamille. Derrire la malade marchaient les huit lamas qui faisaientretentir les airs de leur pouvantable musique. On conduisit ainsi lavieille dans une tente voisine. Car le docteur-lama avait dcid que,durant une lune entire, elle ne pourrait retourner dans son anciennehabitation.Ce qu'il y a de surprenant, dit le P. Hue, c'est qu'aprs ce1. Ces lamas, nous ne devons pas l'oublier, ont dans la hirarchie lama"^ique un rang trs infrieur aux grands lamas.2. Les laques.SUPERSTITIONS DU NORD DE L'eUROPE ET DE L'ASIE 95bizarre traitement, la malade fut entirement gurie. Lesaccs de fivre ne revinrent pas.Vous venez d'assister une crmonie de l'anne 1844 quipourrait bien tre la reproduction de celles que, deux milleans avant notre re, les magiciens chaldens ou mdes pratiquaient dj avec des formules analogues, que les chamansrcitent encore jusque dans les contres de l'Amrique borale : survivances tranges dans des pays oij l'islamisme etle bouddhisme ont pntr depuis plusieurs sicles. Laissezmoi l'illusion de croire que, deux ou trois mille ans avantnotre re, nos anctres assistaient en Gaule des crmoniessemblables et que nous revivons ainsi les temps primitifs dela Gaule, et, si je puis dire, en respirons l'esprit. L est monexcuse d'avoir si longtemps insist sur ces pratiques barbares.Il ne viendra certainement la pense d'aucun de vous queces charlatanesques crmonies ont t introduites en Tartarie une poque relativement rcente par les missionnairesbouddhistes ou les marabouts musulmans. Vous y reconnaissez des survivances. Y a-t-il plus de raison de croire qu'enGaule les pratiques analogues, aussi cruelles ou aussi ridicules dont les auteurs anciens font mention, y aient t introduites par les druides? Vous ne le croirez pas davantage.VHP LEONLES INFLUENCES ARYENNES LES FEUX DE LASAINT-JEANSi nous n'avons pu saisir pour la premire priode de noirehistoire religieuse, correspondant la civilisation de Tg-e dela pierre, autre chose que quelques marques extrieures dessuperstitions de ces temps reculs, sans pouvoir esprer enreconstituer l'esprit autrement que par des conjectures et lerapprochement hypothtique de l'tat de ces populations aveccelui des tribus, arrires, ou attardes si l'on veut, de la raceoug^ro-fnnoise restes l'tal de demi-barLarie' ; il n'en estplus de mme pour tout ce qui touche au deuxime groupequi est un groupe de civilisation aryenne.Nous avons dit que ce groupe parat avoir t, l'origine,relativement peu nombreux en Gaule. Son influence n'en a pasmoins t considrable si on la mesure ses effets qui se fontencore sentir aujourd'hui et dont nous pouvons saisir l'origine,La langue des Aryas et de leurs frres de l'Iran nous estconnue. Nous savons quelle taii l'organisation sociale desuns et des autres, leurs institutions, leurs croyances, leur religion, une poque presque prhistorique. Fustel de Coulanges, dans La cit antique^ a montr quelle influence cettevieille civilisation^ moins vieille cependant que celle des Chaldens, avait exerce sur les deux grandes nations que nous1. La situatidu des Hongrois qui appartiennent cette branche de l'hunianit est un exemple saisissant de l'aptitude de ces tribus entrer dans lagrande civilisation.LES INFLUENCES ARYENNES LES FEUX DE LA SAINT- JEAN 97avons prises jusqu'ici pour modles : les Grecs et les Romains?Nous nous inspirerons de sa mthode. Quel souvenir, critFustel, peut-il nous rester de ces gnrations qui ne nous ontpas laiss un seul texte crit? Heureusement le pass ne meurtjamais compltement pour l'homme. L'homme peut bien l'ou-blier, mais il le garde toujours en lui. Car, tel qu'il est luimme chaque poque, il est le produit et le rsum de toutesles poques antrieures. S'il descend en son me, il peut y retrouver et y distinguer ces diffrentes poques d'aprs ce quechacune d'elles a laiss en lui. Observons les Grecs du tempsde Pricls, les Romains du temps de Cicron. Ils portent eneux-mmes les marques authentiques et les vestiges certainsdes sicles les plus reculs. Le contemporain de Cicron (jeparle surtout de l'homme du peuple) a l'imagination pleine delgendes ; ces lgendes lui viennent d'un temps trs antique etelles portent tmoignage de la manire de penser de ce tempsl'. C'est un travail de ce genre, une rsurrection du passqui est en nous, que nous appliquons nos efforts. Cette rsurrection, mesure que nous avanons dans nos recherches,deviendra, nous l'esprons, de moins en moins hypothtique vos yeux.Pour la priode que nous abordons, si nous n'avons pasencore de textes, nous avons des survivances et des monumentsfigurs., d'nne incontestable authenticit. Parlons d'abord dessurvivances, qui nous prsentent un champ d'exploration plusvaste et plus gnral et qui sont l'cho de crmonies dont ilest facile de dmontrer l'extrme anciennet. L'universalitde quelques-unes de ces lgendes et des pratiques qui s'y rattachent conserves pieusement par presque toutes lesbranches de la grande famille aryenne (Aryas purs ou aryaniss) en dmontre suffisamment l'antique origine. La persistance, la tnacit, VineffaabiUt de ces pratiques, si ce mottait franais, en attestent, d'un autre ct, l'importance, la1. La cit antique, 11' dition, p. 4.98 LA RELIGION DES GAULOIShaute valeur sociale. Hommes et choses ne laissent un longsouvenir que quand ils ont jou un grand rle dans le monde *.Je choisirai, parmi ces pratiques, celle dont le caractre estpeut-tre le plus saisissant, dont Torig-ine est historiquementune des plus sinon la plus ancienne. Je veux parler des feuxde la Saint-Jean. L'anciennet, la trs grande anciennet deces pratiques ne peut faire aucun doute : elles remontent laplus haute antiquit, elles font partie de l'hritage de croyanceset de rites que les tribus pastorales de civilisation aryenne ontimports avec elles en Occident. Elles n'ont cess, avec delg-res modifications, de jouer chez nous un rle traditionnelqu'aprs la Rvolution franaise, au contact de la science popularise. Nous suivons historiquement leur trace en Italie partir du viii" sicle avant notre re.Ovide [Fastes, V, vers 720 et sui