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Besoins nutritionnels et croissance des nourrissons – H Henri – 2019 Page 1 Besoins nutritionnels et croissance des nourrissons Dr Hélène HENRI, pédiatre, IBCLC I - Besoins nutritionnels des nourrissons Les apports nutritionnels doivent assurer un état de santé normal (couvrant la dépense énergétique de repos, la thermorégulation, la transformation des nutriments en source d’énergie et l’activité physique) et la croissance. Il existe une grande variabilité individuelle de ces besoins justifiant donc de considérer les apports recommandés comme des données statistiques utilisables à l’échelle d’une population, mais avec prudence pour un individu donné. Les apports nutritionnels conseillés (ANC) estiment les apports souhaitables pour un groupe (moyenne plus ou moins deux écarts-types) ; ils couvrent donc les besoins de 95% de la population, ils ne s’appliquent pas aux besoins de chaque individu. 1/ Besoins en énergie La dépense énergétique comporte : - la dépense énergétique de base (métabolisme au repos), - la dépense énergétique liée à l’activité physique, - la dépense énergétique de la thermorégulation , - le coût énergétique de la croissance (synthèse de nouveaux tissus), maximal dans les 6 premiers mois de vie, 25% des dépenses énergétiques au cours de la première année. Les besoins énergétiques sont fonction de l’âge. L’apport énergétique est assuré par les glucides (50-55% des apports énergétiques, 1g = 4 Cal), les lipides (30-35 % des apports énergétiques, 1g = 9 Cal) et par les protides (10-12% des apports énergétiques, 1g = 4 Cal). 2/ Besoins en protéines Besoins quantitatifs L’apport protéique correspond à la quantité d’azote et d’acides aminés nécessaire pour le renouvellement cellulaire, pour la compensation des pertes obligatoires (sueurs, selles, urines, phanères) et pour une croissance staturo-pondérale normale.

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Besoins nutritionnels et croissance des nourrissons

Dr Hélène HENRI, pédiatre, IBCLC

I - Besoins nutritionnels des nourrissons

Les apports nutritionnels doivent assurer un état de santé normal (couvrant la

dépense énergétique de repos, la thermorégulation, la transformation des nutriments

en source d’énergie et l’activité physique) et la croissance. Il existe une grande

variabilité individuelle de ces besoins justifiant donc de considérer les apports

recommandés comme des données statistiques utilisables à l’échelle d’une

population, mais avec prudence pour un individu donné.

Les apports nutritionnels conseillés (ANC) estiment les apports souhaitables pour un

groupe (moyenne plus ou moins deux écarts-types) ; ils couvrent donc les besoins de

95% de la population, ils ne s’appliquent pas aux besoins de chaque individu.

1/ Besoins en énergie

La dépense énergétique comporte :

- la dépense énergétique de base (métabolisme au repos),

- la dépense énergétique liée à l’activité physique,

- la dépense énergétique de la thermorégulation ,

- le coût énergétique de la croissance (synthèse de nouveaux tissus), maximal dans

les 6 premiers mois de vie, 25% des dépenses énergétiques au cours de la première

année.

Les besoins énergétiques sont fonction de l’âge. L’apport énergétique est assuré par

les glucides (50-55% des apports énergétiques, 1g = 4 Cal), les lipides (30-35 % des

apports énergétiques, 1g = 9 Cal) et par les protides (10-12% des apports

énergétiques, 1g = 4 Cal).

2/ Besoins en protéines

Besoins quantitatifs

L’apport protéique correspond à la quantité d’azote et d’acides aminés nécessaire

pour le renouvellement cellulaire, pour la compensation des pertes obligatoires

(sueurs, selles, urines, phanères) et pour une croissance staturo-pondérale normale.

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Durant la première année, les ANC sont d’environ 1 g/kg/jour (en moyenne 10

g/jour). En règle générale, la consommation de protéines en France est excessive, très supérieure aux recommandations. En pratique, il est difficile de respecter celles-ci, sauf chez l’enfant nourri au lait maternel (Rappel : lait maternel= 0,9 g/100ml, lait de vache = 3,5g/100ml, lait industriel =1,2 à 1,8 g/100ml). Les enfants nourris avec des préparations pour nourrissons reçoivent 66 à 70 % de protéines en plus que ceux nourris au lait maternel. Des études récentes montrent que des apports de protéines trop élevés dans l’enfance ont des effets délétères à moyen et à long terme : obésité, hypertension artérielle1.

Besoins qualitatifs

Sur le plan qualitatif, l’alimentation doit couvrir les besoins en 9 acides aminés

indispensables : Histidine, Leucine, Thréonine, Lysine, Tryptophane, Phénylalanine,

Valine, Méthionine, Isoleucine (Mnémotechnique = « Hystérique, le très lyrique

Tristan fait vachement méditer Yseult »).

Durant les 6 premiers mois de vie, les apports protéiques proviennent d’un

seul aliment : le lait. Le lait maternel est le « gold standard » et sa composition sert

de base aux recommandations nutritionnelles tant au plan qualitatif (profil d’acides

aminés) que quantitatif (taux de 0,8 à 1 g/100ml). A noter : l’apport azoté total du lait

maternel provient pour 25 % d’azote non protéique (immunoglobulines IgA, IgM, IgG,

urée, lactoferrine) : ces protéines ne sont pas disponibles pour la croissance mais ont

un rôle fonctionnel (immunitaire).

Qu’en est-il des sources protéiques végétales ?

Les protéines végétales diffèrent des protéines du lait sur le plan qualitatif : elles sont

pauvres en méthionine, lysine, proline, trop riches en aspartate, glycine, arginine et

cystine. L’élaboration d’une préparation pour nourrissons à base de protéine

végétale implique une adaptation des protéines par enrichissement en méthionine.

Les boissons non enrichies de soja, noisettes, amandes, ou riz ne répondent pas aux

exigences légales. Elles ne doivent pas servir de source protéique unique dans

l’alimentation des nourrissons et jeunes enfants. Lorsque l’usage des œufs, du lait et

des produits laitiers (régime lacto-ovovégétarien) ou seulement ces derniers (régime

lactovégétarien) est autorisé, il est possible, moyennant quelques précautions, de

couvrir les besoins en protéines des enfants en croissance. Il faudra néanmoins

s’assurer que l’apport protéique est adapté, et les besoins en fer et en vitamines

couverts. La situation est très différente lorsque tout aliment d’origine animale est

banni (végans) et que ne sont utilisés en complément de l’allaitement maternel que

1 Protein intake from 0 to 18 years of age and its relation to health: a systematic literature review for the 5th Nordic Nutrition Recommendations. Hörnell A, Lagström H, Lande B, Thorsdottir I. Food Nutr Res. 2013; 57. Epub 2013 May 23)

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des bouillies de céréales à l’eau ou des légumes. Ce type d’alimentation peut

conduire à des malnutritions sévères (risque neurologique lié à la carence en

vitamine B12). Il est nécessaire, pour couvrir les besoins en acides aminés

essentiels, d’introduire des protéines d’origine animale : produits lactés, œufs,

poisson, viande.

3/ Besoins en lipides et acides gras essentiels

Les lipides sont les nutriments les plus énergétiques (1g = 9 Cal). Compte tenu des

besoins nutritionnels élevés, en particulier énergétiques, durant les premières

années de vie, il n’y a pas lieu de restreindre les apports lipidiques chez le nourrisson

et le jeune enfant.

Les lipides dans l’alimentation doivent assurer les besoins en acides gras essentiels :

principalement deux acides gras polyinsaturés à longues chaines (AGPI-LC) : l’acide

linoléique (oméga 6), précurseur de l’acide arachidonique (ARA) et l’acide α-

linolénique (oméga 3), précurseur de l’acide docosahexanoïque (DHA). Ce sont les

constituants indispensables des membranes cellulaires, en particulier du tissu

cérébral. Le lait maternel est riche en acides gras essentiels (AGPI-LC) en particulier

il contient une proportion équilibrée de ARA et DHA (ratio ARA/DHA = 2 à 3 selon

l’alimentation maternelle).

L’alimentation occidentale traditionnelle est en générale beaucoup trop riche en

oméga 6 (huile de tournesol, maïs), et pas assez en oméga 3 (huiles de poisson,

poissons gras, huile de colza, huile de lin, huile de noix, graines de lin, fruits à

coques). Les huiles courantes qui permettent le plus facilement d’apporter de l’acide

linoléique et de l’acide α-linoléique dans les proportions adéquates sont les huiles de

soja, de colza, de noix, d’olive, ou les mélanges de « 4 huiles ».

4/ Besoins en eau

Le capital hydrique du nourrisson est faible, sa surface cutanée élevée, ses pertes

extra-rénales importantes et ses capacités de concentration rénales médiocres. Les

besoins en eau du nourrisson sont donc plus importants que chez l’enfant plus

grand.

Les apports conseillés sont de 150 ml/kg/jour de 0 à 4 mois, de l’ordre de

125 ml/kg/jour de 4 à 8 mois, et tendent progressivement vers 100 ml/kg/jour à

l’âge de 1 an, alors que chez l’adulte, les apports hydriques oscillent entre 35 et

50 ml/kg/jour. Ces apports hydriques correspondent aux besoins habituels d’un

sujet sain dans des conditions stables et recevant un apport énergétique et

protéique normal.

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Il n’y a pas lieu de donner au nourrisson bien portant, en dehors de toute pathologie

entraînant des pertes d’eau (telle que la diarrhée), ni plus ni moins d’eau que les

volumes recommandés.

5/ Besoins en calcium et vitamine D

Calcium

La minéralisation optimale du squelette, d’autant plus importante que la

croissance est rapide, requiert des apports de calcium important. L’apport calcique

ne contribue pas uniquement à assurer une minéralisation adéquate à court terme,

mais aussi à augmenter la densité minérale pour atteindre, en fin de croissance, un

pic de masse minérale osseuse optimal. Le « stock » osseux en calcium se fait

surtout au cours des 3 premières années. Les apports doivent donc être optimaux

durant cette période. Il existe une corrélation entre les apports alimentaires de

calcium, la masse osseuse et le risque fracturaire tout au long de la vie2.

Le lait de femme contient 320 mg/l de calcium. Les préparations pour nourrissons en

contiennent réglementairement au moins 430 mg/l. Cette quantité est suffisante si

l’enfant n’a pas de carence en vitamine D.

Vitamine D

L’absorption intestinale du calcium et la minéralisation du squelette requièrent

la présence de vitamine D. Celle-ci a une double origine : exogène (apport

alimentaire et médicamenteux) et endogène (synthèse cutanée sous l’effet des

rayons du soleil). Les concentrations de vitamine D dans le lait de femme sont très

faibles (25-70 UI/l). Les préparations pour nourrissons, quant à elles, sont enrichies

en vitamine D mais les concentrations sont inférieures aux besoins (environ 200 UI/l).

De nombreuses enquêtes réalisées en pays industrialisés montrent que les taux

moyens de vitamine D, principalement à la fin de l’hiver, mais fréquemment toute

l’année, chez les nourrissons, les enfants plus grands et les adolescents sont bas.

L’alimentation apporte en effet peu de vitamine D (poissons gras, certaines huiles), et

les enfants et adolescents sont peu exposés au soleil. Il y a donc lieu de prescrire

systématiquement à tout enfant et jusqu’à la fin de la croissance une

supplémentation en vitamine D (600 UI /j si préparation pour nourrisson industriel,

800 UI à 1000 UI /j si allaitement maternel, 1000 à 1200 UI /j si peau noire). Après

18-24 mois on peut supplémenter uniquement l’hiver par des ampoules de 100 000

UI tous les 3 mois, jusqu’à la fin de la croissance.

2 Calcium intake, calcium bioavailability and bone health. Cashman KD. Br J Nutr. 2002 May; 87 Suppl 2:S169-77.

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6/ Besoins en fer

La carence en fer est la plus fréquente des carences nutritionnelles dans les pays

industrialisés. Les facteurs de risque en sont : antécédents de prématurité, retard de

croissance intra-utérine, gémellité. La carence en fer provoque chez le

nourrisson une anémie microcytaire mais également des troubles du comportement

(irritabilité, apathie) et une moindre résistance aux infections. Elle peut

probablement avoir un retentissement également sur les capacités d’apprentissage

et les performances cognitives de l’enfant. Les besoins en fer pendant les premiers

mois de vie sont peu importants chez l’enfant né à terme en raison de l’hémolyse

physiologique et de la réutilisation du fer contenu dans les globules rouges. Il n’en va

pas de même chez le prématuré : en effet, le transfert du fer de la maman vers le

fœtus se produit principalement pendant le 3e trimestre de la grossesse.

La biodisponibilité très élevée du fer contenu dans le lait de femme (plus de

50 %) explique la rareté de la carence en fer chez le nourrisson au sein. La

lactoferrine présente dans le lait maternel augmente l’absorption du fer, ainsi que la

vitamine C. Aucune supplémentation en fer n’est nécessaire chez l’enfant nourri au

sein de façon exclusive jusqu’à l’âge de 6 mois ; mais si l’allaitement exclusif est

poursuivi au-delà de cet âge, les besoins en fer peuvent ne pas être couverts et il

peut y avoir lieu de donner un complément. Cependant l’apport de fer sous forme

médicamenteuse sature et bloque l’action de la lactoferrine.

Le fer héminique (viande, poisson) est mieux absorbé que le fer non héminique (lait,

végétaux, œufs). Les aliments les plus riches en fer sont le foie de veau et le boudin

noir.

7/ Besoins en zinc

La carence en zinc provoque chez l’enfant un ralentissement de la croissance

staturo-pondérale. Les formes plus sévères peuvent entraîner des déficits de

l’immunité cellulaire, des troubles cutanés et des phanères, des anomalies du

renouvellement cellulaire (muqueuses), de la diarrhée...

La biodisponibilité du zinc du lait de femme est très supérieure à celle des

préparations à base de protéines du lait de vache. L’enfant nourri exclusivement au

sein pendant les premiers mois de la vie ne court aucun risque de carence (sauf en

cas de régime végétarien chez la mère).

A noter cependant que des cas de carence ont été décrits chez des prématurés dont

les besoins élevés, imposés par la croissance très rapide, n’ont pu être couverts par

les apports en zinc dans le lait maternel.

Attention, comme pour le fer, l’éviction de viande ou de poisson dans l’enfance

expose l’enfant en croissance à un risque élevé de carence en zinc. Après 6 mois,

l’introduction de la viande et du poisson sont importants pour couvrir les besoins en

zinc des nourrissons allaités.

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8/ Besoins en sodium

Les besoins de sodium sont faibles, de l’ordre de 1 mEq/kg/jour (environ 120

mg/jour) en climat tempéré. Un nourrisson de moins de 6 mois, au sein, reçoit en

moyenne 1,16 mEq de sodium/kg/jour (17mg/100ml). Les apports de sodium sont

plus élevés chez les enfants nourris au biberon (en moyenne 22mg/100 ml). Ils

augmentent encore avec le passage au lait de suite, puis au

lait de vache, et avec la diversification alimentaire, qui multiplie par 2 à 3

l’apport de sodium entre 4 mois et un an. Un apport de sodium dépassant les

besoins ne présente aucun avantage nutritionnel, mais augmente la charge

osmolaire rénale et favorise, à long terme, l’hypertension

artérielle. Il est donc justifié de ne pas augmenter les apports de sodium et de ne

pas habituer les enfants à manger salé en rajoutant du sel aux aliments qui en

contiennent naturellement des quantités suffisantes.

9/ Besoins en vitamines

Seules 2 vitamines sont insuffisamment apportées par le lait maternel :

- La vitamine K : pour la prévention de la maladie hémorragique du nouveau-né.

Il est recommandé de le supplémenter en vitamine K à la naissance (4h), au

cours de la première semaine (4e jour) et à un mois (4 semaines). Cette

troisième dose n’est pas obligatoire pour les enfants nourris au lait industriel.

- La vitamine D : pour la prévention du rachitisme. Les enfants allaités doivent

recevoir entre 800 et 1000 UI (4 gouttes) par jour.

En conclusion, les besoins nutritionnels du nourrisson sont assurés parfaitement

par l’alimentation au lait maternel et dans une moindre mesure par les préparations

pour nourrisson industrielles (trop de protéines, trop de sel, peu ou pas d’AGPI-LC).

Le lait maternel par sa richesse en protéines, lipides et minéraux dans un faible

volume permet de couvrir seul (jusqu’à six mois) puis en association avec d’autres

nutriments, les besoins nutritionnels quotidiens, d’assurer une croissance et un

développement cérébral normaux et une minéralisation osseuse adéquate.

II- Croissance des nourrissons allaités 1/ Le poids des premiers jours aux premiers mois

Chez tous les nouveau-nés, le poids diminue au cours des premiers jours après la

naissance, en raison d’une perte d’eau liée à l’adaptation à la vie extra-utérine.

Il y a près de 10% d'eau en moins dans le corps d'un nouveau-né entre la naissance

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et le huitième jour. Le bébé ne maigrit pas, c'est à dire qu'il ne perd pas des éléments

de ses organes. Il est plus léger parce que moins riche en eau. C'est une adaptation

physiologique normale. Le bébé reprend ensuite du poids de façon plus ou moins

rapide. Le poids de naissance est atteint en général entre 4 et 8 jours de vie et au

maximum au 15è jour. Si ce n’est pas le cas, c’est que la mère a besoin d’aide pour

l’allaitement.

Le gain de poids du bébé doit toujours être calculé par rapport au poids le plus bas

enregistré dans les premiers jours après la naissance.

Une perte de poids initiale d’environ 5-7% est normale, tandis qu’une perte de poids

de 10% indique qu’il faut aider la mère à augmenter le transfert de lait.

Ensuite, si les signes de transfert de lait sont bons (tétées avec déglutitions

nombreuses et prolongées, couches bien remplies), une pesée par semaine est

suffisante le premier mois, puis une pesée mensuelle.

Certains bébés ont une croissance très rapide au départ qui se ralentit ensuite

D’autres ont une croissance plus faible, mais plus régulière.

2/ La croissance en quelques chiffres

La prise de poids attendue pour un bébé allaité est de :

- 200 g par semaine de 0 à 3 mois (soit 800 à 1000 g par mois)

- 150 g par semaine de 3 à 6 mois (soit 500 g par mois)

La croissance staturale moyenne pendant les premiers mois de vie est de :

- 2,5 cm/mois pour la taille

- 1,25 cm/mois pour le périmètre crânien.

Repères chiffrés : - 6 mois : Poids de naissance x2 - 8 mois = 8 kg - 1 an = Poids de naissance x 3 Taille de naissance x1,5 (ou +25cm) - 3 ans = Poids de naissance x4 Taille de naissance x 2

3/ Moins d’obésité chez les bébés allaités

Les nourrissons allaités présentent moins de risque d’obésité. En effet, ils

apprennent à régler leur appétit selon leurs besoins réels. Même si leurs mères leur

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présentent très souvent le sein, ils ne tèteront pas toujours de la même façon et

recevront des quantités variables de lait 3,4.

A croissance égale, les bébés allaités au sein consomment une quantité de lait

inférieure de 20 % environ à celle prise par les nouveau-nés recevant du lait artificiel.

Ceci s'explique par la remarquable bio-disponibilité du lait humain : quasiment tous

les nutriments absorbés sont utilisés.

4/ Surveiller la courbe de poids

Il est très important de reporter les mesures de poids sur une courbe afin d’en étudier

l’évolution : toute cassure de la courbe de poids doit conduire à une évaluation de

l’état du bébé et de sa manière de téter.

On évaluera en particulier :

- les signes d’une tétée efficace : une fois au sein, le bébé tète activement, présente

des mouvements de succion amples et réguliers et fait parfois du bruit au moment où

il déglutit ;

- les signes de bon transfert du lait (urines et selles) ;

- l’éveil psychomoteur : dès le premier mois, le bébé bien portant accroche le regard,

écoute la voix de sa mère et cherche activement le sein quand il se réveille.

En dehors du poids, les éléments permettant d’évaluer le transfert de lait sont :

- les urines : leur volume est directement corrélé à celui du lait ingéré. Des urines

abondantes (changes mouillés 6 à 8 fois par jour) et claires témoignent d’un bon

transfert du lait.

- les selles : en début d’allaitement, un retard à l’émission du méconium ou des selles

rares (< 3 par jour) peut signifier que l’enfant ne reçoit pas assez de lait. Lorsque tout

va bien, les selles sont liquides ou grumeleuses, mais très molles, de couleur jaune

d’or ou verte. Leur fréquence est très variable : elle est souvent élevée au cours du

premier mois (3 à 8 par jour), puis peut diminuer de façon très importante et rapide

vers la fin du premier mois (6 par jour à 1 par semaine !). C’est normal : l'absorption

du lait maternel est alors optimale et l'intestin ne contient pas de résidus. Mais même

lorsqu’elles sont peu fréquentes, les selles restent molles ou liquides.

A noter : certains bébés peuvent présenter une prise de poids faible alors que tout va

bien par ailleurs. Il s’agit souvent de bébés ayant des réveils peu fréquents. Ces

bébés ne tètent que 4 à 5 fois par jour, ce qui limite la quantité de lait ingérée. On

3 Full Breastfeeding and Obesity in Children: A Prospective Study from Birth to 6 Years. Juan Antonio Ortega-García, Nicole Kloosterman, Lizbeth Alvarez, Esther Tobarra-Sánchez, Alberto Cárceles-Álvarez, Rebeca Pastor-Valero, Fernando Antonio López-Hernández, Manuel Sánchez-Solis, Luz Claudio Child Obes. 2018 Jul 1; 14(5): 327–337. Published online 2018 Jul 1. doi: 10.1089/chi.2017.0335 4 The association between breastfeeding and childhood obesity: a meta-analysis. BMC Public Health. 2014 Dec 13;14:1267. doi: 10.1186/1471-2458-14-1267.

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peut alors conseiller aux parents de proposer à leur enfant des tétées

supplémentaires lors des phases d’éveil.

5/ Différence de croissance entre nourrissons allaités et non-allaités

La croissance pondérale du bébé allaité est caractéristique : elle est plus rapide que

celle de l’enfant nourri au lait industriel pendant les 3 - 4 premiers mois, puis elle

s’infléchit pour être légèrement inférieure à la fin de la première année.

La croissance en taille et en PC sont sensiblement identiques.

A un an, les bébés allaités sont en moyenne plus minces que les bébés nourris au

lait industriel.

A deux ans, il n’y a plus de différence évidente entre les deux.

Comment expliquer cette différence ?

- Faible teneur en protéine du lait maternel par rapport au lait industriel.

- Auto-régulation des besoins chez les bébés allaités (ils consomment en moyenne

20% de lait en moins, ils ne sont pas poussés à « finir le biberon »)

Les courbes de croissance des anciens carnets de santé français avaient été

établies à partir des données de l’étude séquentielle française de la croissance CIE-

INSERM (Rolland-Cachera, Sempé), en suivant 588 enfants nés en 1953 et 1954.La

grande majorité de ces enfants avait été nourrie au lait industriel de l’époque.

Ces courbes (poids, taille et périmètre crânien) avaient donc deux défauts :

- elles remontaient à plus de 30 ans et ne tenaient pas compte des caractéristiques

staturo-pondérales actuelles des nourrissons ;

- elles étaient basées sur des données recueillies chez des bébés alimentés en

majorité au lait industriel des années 50 (lait de vache peu modifié à l’époque).

Les courbes de croissance des anciens carnets de santé n’étaient donc

absolument pas adaptées pour suivre la croissance des nourrissons allaités.

6/ Les courbes de croissance de l’OMS

L’OMS a publié en 2006 de nouvelles courbes dans le but d’offrir des normes de

croissance globales, décrivant la croissance staturo-pondérale des enfants de la

naissance à 5 ans dans des conditions nutritionnelles optimales. Ces courbes

définissent l’alimentation au lait maternel comme la norme biologique et prennent le

nourrisson allaité comme point de comparaison pour mesure la croissance saine.

Le recueil de données (1997-2002) a concerné un échantillon international de

nourrissons (n = 8440) allaités au sein (exclusif jusqu’à 4 mois et au moins jusqu’à

12 mois) vivant dans 6 pays différents (Brésil, Etats-Unis d’Amérique, Ghana, Inde,

Norvège, Oman) et dans un environnement favorable. Les données récoltées lors de

ces études démontrent que lorsque les conditions sont optimales au début de la vie,

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les enfants nés dans différentes régions du monde peuvent grandir et se développer

pour atteindre la même gamme de taille et de poids pour un âge donné.

- 75 % des enfants ont été allaités au moins 4 mois

- 68% un an

- 52 % deux ans

Cette étude a montré en outre une différence significative de prise de poids entre les

filles et les garçons (différence d’environ 600g entre les poids moyens après 3 mois).

7/ Comparaison des courbes des anciens carnets de santé et des

courbes de l’OMS

Pour les bébés entre 0 et 6 mois, une prise de poids jugée normale selon les critères

français peut être considérée insuffisante selon l’étude de l’OMS. La prise de poids

est en effet directement liée au nombre de tétées et à leur efficacité et plus

généralement au respect du rythme propre du bébé, rythme qui varie suivant les

périodes pour un même bébé et d’un bébé à l’autre.

Les mères impliquées dans l’étude de l’OMS ont scrupuleusement suivi ces principes

qui permettent une croissance optimale des bébés et ont, pour ce faire, bénéficié

d’un soutien important de la part d’une conseillère en allaitement attitrée.

Par 24 h, les bébés de l’étude tétaient en moyenne 10 fois à 3 mois mais encore 9

fois à 6 mois et 5 fois à 12 mois ! Il est logique que dans ces conditions, pour un

même poids de naissance, la prise de poids des bébés de l’OMS soit supérieure les

premiers mois à ce qu’on observe souvent en France. Dans notre pays, les pratiques

en maternité sont inégales et les idées reçues encore bien vivaces sur l’importance

de « régler » le rythme du bébé, et sur le nombre « idéal » - c’est-à-dire réduit - de

tétées.

A l’inverse, pour les bébés qui prennent « beaucoup de poids » les premiers mois, on

comprend que les parents (et les professionnels de santé avec eux) s’inquiètent vis-

à-vis du risque de surpoids et d’obésité. En effet, un bébé allaité qui prend tout le lait

dont il a besoin peut se trouver très au-dessus de la courbe française alors qu’il suit

simplement la courbe établie par l’OMS !

Pour les bébés garçons de petit poids, les données de l’OMS restent au-dessus des

données françaises : l’écart est plus faible que dans les premiers mois, de 200 à 400

g (voir la comparaison sur le 3ème percentile). Pour les bébés garçons de poids

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élevé, les données françaises coïncident globalement avec les données de l’OMS

pour la deuxième année de vie (voir la comparaison sur le 97ème percentile).

Pour les bébés filles, à l’inverse, à partir de 9 mois, on peut être alerté par une prise

de poids qui paraît trop faible selon les critères français alors qu’elle est tout à fait en

accord avec les données de l’OMS, l’écart pouvant aller jusqu’à 600 g (97ème

percentile à 13 mois). Cette inquiétude peut conduire à accélérer l’introduction

progressive des solides, à inciter l’enfant à manger plus qu’il ne le fait

spontanément… et à faire des repas un moment de stress pour toute la famille.

L’étude multicentrique de l’OMS apporte des informations rassurantes pour les

parents qui rencontrent cette situation d’une petite fille « trop » mince selon les

données françaises.

Comparaison du 97ème percentile (en partie haute) et du 3ème percentile (en

partie basse) pour les 24 premiers mois des bébés garçons entre :

- les données OMS (trait fort) ;

- les données du carnet de santé français (trait pointillé).

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Comparaison du 97ème percentile (en partie haute) et du 3ème percentile (en

partie basse) pour les 24 premiers mois des bébés filles entre :

- les données OMS (trait fort) ;

- les données du carnet de santé français (trait pointillé).

Report sur la courbe OMS des courbes du carnet de santé (en bleu) :

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Courbes de poids des nouveaux carnets de santé pour les filles (avec report des -

3e et 97e percentiles des courbes OMS)

Courbes de poids des nouveaux carnets de santé pour les garçons (avec report

des 3e et 97e percentile des courbes OMS)

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Pour conclure, les courbes de croissance de l’OMS doivent être la référence pour

suivre la croissance des bébés allaités. Les courbes des nouveaux carnets de santé

induisent moins les professionnels de santé en erreur qu’avant.

TAKE HOME MESSAGES

Les apports nutritionnels conseillés sont destinés à couvrir les besoins de 95%

d’une population ; ils ne s’appliquent pas aux besoins de l’individu.

L’alimentation du nourrisson doit être uniquement lactée (idéalement

constituée de lait maternel) jusque 4 à 6 mois.

Une supplémentation en vitamine D est nécessaire en France

quotidiennement jusque 18-24 mois puis au cours des saisons automne-hiver

durant toute la croissance.

Une supplémentation en vitamine K est nécessaire (4heures, 4 jours 4

semaines).

La diversification est à débuter entre 4-6 mois, de façon progressive et souple.

Le bébé allaité récupère son poids de naissance au 15è jour de vie au plus

tard.

Une pesée par semaine est suffisante le premier mois, puis une pesée

mensuelle si tout va bien.

Les courbes de l’OMS constituent la référence pour la croissance staturo-

pondérale des nourrissons.

La croissance staturo-pondérale du bébé allaité est supérieure à celle des

enfants nourris au lait industriel pendant les 4 premiers mois, puis s’infléchit

au cours des mois suivants.

La vitesse de croissance présente d’importantes variations d’un enfant à

l’autre.

Toute cassure de la courbe de poids doit conduire à une évaluation de l’état

physique de l’enfant, de sa manière de téter (signes d’une succion efficace et

d’un bon transfert de lait) et de son éveil psychomoteur.