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Raffaele Cattedra Bidonville : paradigme et réalité refoulée de la ville du XX e siècle Parallèlement à un urbanisme contemporain naissant, « art » de construire des « villes nouvelles » et thérapeutique d’une ville malade, l’habitat pré- caire, provisoire, et par là même, misérable et insalubre, se développe en représentant quant à lui une de ses « plaies » majeures qu’il se doit de soigner 1 – ne serait-ce que pour valider sa crédibilité. Bidonville consti- tuera de la sorte la catégorisation dénominative de l’espace géographique et social correspondant à cette pathologie urbaine. Les bidonvilles existaient avant le mot, pourrait-on dire. Ce nom commun fut (serait ?) à l’origine un nom propre, celui d’un quartier de Casablanca. Un nom qui se généralisera par la puissance évocatrice de sa clarté sémantique (la ville des bidons) et qui va s’affirmer – par anto- nomase – en tant que catégorie stigmatisée de la ville contemporaine. Notamment dans la langue française, mais occasionnellement et acces- soirement dans d’autres langues. Suivant une variabilité dans le temps et dans les registres langagiers, progressivement, ce mot sera employé tout au long du XX e siècle pour désigner un « phénomène (devenu) univer- sel ». Bidonville voyagera ainsi entre Casablanca, Tunis, Alger et des villes du Maghreb vers celles du « tiers-monde », en passant par les périphé- ries urbaines de France et d’Europe. Équivalent d’« habitat spontané » (ce qui n’a pas été toujours le cas, d’ailleurs), d’« habitat insalubre et misérable », d’« habitat non régle- mentaire », « clandestin », « illicite », « marginal » ou « informel », d’« habi- tat bidon » – pour reprendre les principales formules de stigmatisa- tion en usage – le terme bidonville a l’avantage de comprendre, par un seul vocable, des exemples multiples de situations locales. Il per- met de rapprocher des conditions différentes d’habitat présentes dans le monde entier ; et cela tant du point de vue des divers statuts juri- diques et du foncier que des situations sociales et économiques des habitants, des différents types de localisation et des modalités de la construction. Cattedra 24/02/06 17:33 Page 1

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Raffaele Cattedra

Bidonville : paradigme et réalité refoulée de la ville du XXe siècle

Parallèlement à un urbanisme contemporain naissant, «art» de construiredes « villes nouvelles » et thérapeutique d’une ville malade, l’habitat pré-caire, provisoire, et par là même, misérable et insalubre, se développe enreprésentant quant à lui une de ses « plaies » majeures qu’il se doit desoigner 1 – ne serait-ce que pour valider sa crédibilité. Bidonville consti-tuera de la sorte la catégorisation dénominative de l’espace géographiqueet social correspondant à cette pathologie urbaine.

Les bidonvilles existaient avant le mot, pourrait-on dire. Ce nomcommun fut (serait ?) à l’origine un nom propre, celui d’un quartier deCasablanca. Un nom qui se généralisera par la puissance évocatrice de saclarté sémantique (la ville des bidons) et qui va s’affirmer – par anto-nomase – en tant que catégorie stigmatisée de la ville contemporaine.Notamment dans la langue française, mais occasionnellement et acces-soirement dans d’autres langues. Suivant une variabilité dans le temps etdans les registres langagiers, progressivement, ce mot sera employé toutau long du XXe siècle pour désigner un « phénomène (devenu) univer-sel ». Bidonville voyagera ainsi entre Casablanca, Tunis, Alger et des villesdu Maghreb vers celles du « tiers-monde », en passant par les périphé-ries urbaines de France et d’Europe.

Équivalent d’« habitat spontané » (ce qui n’a pas été toujours le cas,d’ailleurs), d’« habitat insalubre et misérable », d’« habitat non régle-mentaire », « clandestin», « illicite », «marginal » ou « informel », d’«habi-tat bidon » – pour reprendre les principales formules de stigmatisa-tion en usage – le terme bidonville a l’avantage de comprendre, parun seul vocable, des exemples multiples de situations locales. Il per-met de rapprocher des conditions différentes d’habitat présentes dansle monde entier ; et cela tant du point de vue des divers statuts juri-diques et du foncier que des situations sociales et économiques deshabitants, des différents types de localisation et des modalités de laconstruction.

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Le passage du toponyme au générique se réalise en quelques années,après 1930. Le mot trouvera place initialement entre un répertoire des-criptif et narratif et un registre appartenant au monde technique, admi-nistratif et à la décision politique. Il est également présent dans le voca-bulaire de la presse, il entrera dans le langage scientifique, figurera, dès1960, dans les pages des dictionnaires, deviendra l’objet de définitionsdans des articles encyclopédiques en langue française et en d’autreslangues (italien, anglais). Tout en gardant la marque de la stigmatisationurbaine, le mot-objet bidonville paraît plus récemment attester une cer-taine euphémisation, d’après des contextes d’usage repérables le plusgénéralement dans le système de communication appartenant aux milieuxde la culture écologiste, artistique et alternative.

Bidonville est donc un paradigme. Paradigme d’un espace stigmatiséet stigmatisant : un lieu-dit, fait de tôle et de bidons. Un type d’habitat,ainsi dénommé par les objets-matériaux qui en assurent l’édification.Un espace social, précaire, temporaire ou pas, nécessaire ou non. Unespace caché et marginal, la « zone », au sens littéral et/ou figuré, auxlisières de la ville et en marge de la norme sociale urbaine. Une catégo-rie de la ville, participe fonctionnel – bien souvent prépondérant – del’espace urbain et de sa logique économique capitaliste. Un paradigme,enfin, consubstantiel de la sémantique des « territoires de l’urbain et[des] pratiques de l’espace» (Depaule 1984), ainsi que de leur mémoire :palimpsesterefoulé de l’établissement humain contemporain.

L’aventure d’un toponyme érigé en catégorie urbaine

L’origine. Bidonville et le succès sémantique d’un lieu-dit casablancais

Vraisemblablement, Bidonville fut à l’origine le nom d’une espèce dequartier surgi à Casablanca, pendant le Protectorat français au cours desannées 1920. D’autres indices suggèrent toutefois des pistes alternatives,ou complémentaires, comme celle de Tunis, et contribuent à brouillerl’investigation. Nous opterons pour la première, car l’identification dutoponyme nous permettra plus aisément d’en suivre l’aventure.Cependant, il se peut que le mot «bidonville » ou «bidon-ville » ait surgiantérieurement à Tunis. Mais c’est à partir de Casablanca que le succèsde la formule se répandra.

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À la différence de Tunis, ville historique, avec sa médina prestigieuse,et capitale du Protectorat depuis plusieurs décennies, Casablanca était alorssynonyme de réussite économique et sociale urbaine, à la manière amé-ricaine : une bourgade qui s’apprêtait à devenir la plus grande ville duMaghreb. Tout autant, elle devenait une ville de misère, de grandes pau-vretés urbaines, caractéristiques d’un monde qui deviendrait bientôt « letiers-monde». Selon Jean-Louis Cohen et Monique Eleb (1998 : 221),Bidonville était localisé sur le site «d’un gigantesque campement dénomméGadoueville». Cette première dénomination, d’après André Adam, «n’eutpas de succès » (1968 : 85-86). Dans sa thèse sur Casablanca, Adams’était déjà orienté dans cette direction, à partir d’une enquête effectuéepar Yvonne Mahé en 1936 2, sans toutefois se référer explicitement à laprésence du toponyme Bidonville 3. La sémantique de la tôle et du bidonva donc se révéler plus évocatrice, efficace et moderne que celle de laboue. Dans le français d’Afrique du Nord, les formules comme «gadoue-ville », « cloaque-ville » « beni ramassés », etc., furent « évincées parcequ’[elles] traduisaient mal les caractéristiques de ces agglomérations dansles années 1930» (Liauzu 1976). Voici une description, probablement tar-dive, de ce qu’était le quartier dénommé Bidonville à Casablanca, d’aprèsle témoignage du journaliste allemand Friedrich Sieburg :

Bidonville désigne une cité de fer-blanc. Les immigrés à la recherche de tra-vail habitaient auparavant dans des camps sous la tente […]. Là s’amoncelaientles ordures de la ville. Les autorités parèrent au danger en faisant évacuer de forceces locaux et en y portant le feu. Aux habitants fut affecté un champ dans labanlieue, où se trouvait de l’eau. De vieilles plaques de tôle ondulée, surtout decaisses et de bidons hors d’usage, furent édifiés de nouveaux abris, qui bientôt firentune vraie ville. Aujourd’hui, Bidonville s’étend comme un bourg monstrueux, oùlentement commencent à se tracer des places et des rues. (Sieburg 1938)

Pendant blâmé de la modernité casablancaise et de ses architecturesd’avant-garde, et de façon plus générale de la rationalité fonctionnelle del’urbanisme colonial au Maghreb des années 1920-1930, Bidonvilleassume déjà, comme on le voit ci-dessus, le statut de «cité», de «vraie ville»et de «bourg monstrueux», voire de « village indigène». Il est frappé parles stigmates de la dégradation humaine causée par la prolétarisation dela nouvelle vie urbaine, qui explose pendant le Protectorat sous l’effetde l’exode des populations rurales précarisées. Les descriptions qui enparlent sont à plusieurs égards analogues à celles qui découvrent la créationdes premiers «gourbis » aux portes de Tunis, ou dans son agglomération.

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Les différences ne concernent pas tant les causes de la formation, voirele type de peuplement, que le caractère rural de l’un face au caractèredistinctement urbain (ou suburbain) de l’autre. Pour autant, Bidonvilledeviendra également, à l’image de la ville qui l’accueille, Casablanca– déjà dénommée « Capitale économique » du Maroc –, une bizarre«capitale de la “mouise”, construite en bidons de pétrole et en tôle ondu-lée » (Mac Orlan 1989 [1934] : 47).

Réputation du lieu et réprobation morale

Dans l’odyssée d’un imbroglio spatial, la marque de la réprobation moralescelle la réputation du lieu et ses stigmates. Inévitablement, Bidonvillen’échappe pas non plus aux stéréotypes quelque peu voyeuristes de lareprésentation coloniale, comme ceux d’un Mac Orlan qui, en décri-vant ce fameux Bousbir, le quartier réservé de Casablanca, «Magic-Cityou […] Luna-Park spécialisé dans les jeux de la Vénus populaire», dédiera,non sans ambiguïtés, quelques mots aux «tôles surchauffées de Bidonville»(ibid. : 48, 65), qui s’étendent à perte de vue en contrebas de la citéréservée.

Un étrange parallèle, une identification inquiétante et sordide entrele quartier réservé Bousbir – du nom d’un lotisseur français prénomméProsper – et Bidonville va d’ailleurs s’établir, ainsi que nous le décou-vrons dans les pages d’un dossier traitant de Casablanca (Taraud 1998 :4-5 ; 2003 : 106 4). Il s’agit d’une correspondance topologique, faussemais efficace. Celle-ci ne fait qu’assimiler deux lieux urbains bien distincts :« le bourg monstrueux » et la ville réservée à la prostitution officielle. Le« foyer pestilentiel » et le lieu du commerce des corps se transmutent dela sorte en un seul lieu. Il s’agit d’une reconstruction a posteriori, mais quine fait que renforcer moralement le stigmate qui marque dès sa nais-sance le mot bidonville et le type d’habitat qu’il désigne. À cette époqued’ailleurs, le « triptyque » associant hygiène, urbanisme et prostitutions’inscrit à plein titre dans le paradigme réglementaire et moderniste sous-jacent à l’action coloniale française (Taraud 2003 : 112). Les trajectoiresconvergentes des deux toponymes prêtent donc facilement à confusion.

Du reste, au-delà du transfert spatial et sémantique, le lien entre lesbidonvilles et la prostitution – et donc la mauvaise réputation morale –sera une constante relevée par les enquêtes sociales effectuées au cours deplusieurs décennies, dès les années 1930, sur l’habitat précaire et insalubreappelé bidonville, tant au Maghreb qu’ailleurs. Christelle Taraud consacre

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un paragraphe de son ouvrage à la prostitution « hors la ville : bidon-villes et banlieues ». On y trouve la description d’un de ces lieux, à Alger,faite par l’écrivain René Janon en 1936, condensé effrayant et atroce dela plupart des stigmates abominables qui vont marquer les bidonvilles,et que nous retrouverons sur son chemin. Ces stigmates réfèrent déjà autype de localisation (le ravin, près d’une zone désaffectée, juste à la lisièrede la ville, derrière ses remparts) et à la disparition du lieu, au type deconstruction (tôles), à l’environnement pestilentiel et fétide, à son peu-plement misérable, déshérité en proie à la dépravation et à l’abjectionhumaine (Janon 1936 : 30-31).

Du nom du lieu au nom des lieux

La première attestation de Bidonville en tant que toponyme remonted’après Cohen & Eleb (1998 : 221) à un article de Jean Marc paru dansla revue L’Exportateur français (1930 : 54). La vue d’ensemble de Bidonvilleest exposée sur une carte postale de Casablanca datant de 1932, qui estreproduite dans Cohen & Eleb (1998 : 22). Pour illustrer l’ambiguïté quidemeure de nos jours encore entre le toponyme d’origine et le géné-rique, il suffit de signaler que la même carte postale est reproduite dansun ouvrage de Mohammed Nachoui à la même date (1998 : 56), maisla légende en fait tout simplement : «Un bidonville ».

FIG. 1. Bidonville. Carte postale de 1932. Source Cohen & Eleb 1998 : 221.

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L’année de parution de la carte postale, en 1932, Jean Ladreit deLacharrière, épigone de l’aventure coloniale au Maroc, évoquera « la lèprede Bidonville » à Casablanca dans les pages du Bulletin du Comité del’Afrique française à propos de «L’urbanisme colonial français » (Ladreitde Lacharrière 1932) 5. La même expression sera d’ailleurs utilisée parAndré Adam, presque trente ans plus tard, mais cette fois-ci au pluriel –« la lèpre des bidonvilles » –, pour rendre compte de l’appréhension del’opinion publique et des autorités coloniales devant la diffusion du phé-nomène (1950 : 61).

Une « paternité » successive et une origine tunisoise sont envisagéespar d’autres auteurs. Ainsi que l’écrit Claude Liauzu, « on attribue cou-ramment au Maroc la paternité de ce terme; pourtant, dès le 6 novembre1931, dans La Voix du Tunisien, le Dr Materi décrit “Bidonville” au borddu lac, et le 8, dans Tunis socialiste, Ève Nohelle relate sa visite dans lemême “gourbi-ville” ou “bidon-ville”. Les hésitations de l’orthographeet l’émotion du nationaliste comme celle de la socialiste prouveraientque la chose est à peine naissante » (Liauzu 1976 : 608). Jean-MarieMiossec envisage dans cette même perspective que « la paternité du termerevient au Dr Materi qui décrit “Bidonville” », dans le même journaltunisois évoqué par Liauzu (Miossec 1985 : 269). Le sociologue tunisienFredj Stambouli écrit – sans toutefois citer Jacques Berque (1958) qui l’aremarqué en premier – que « le terme de bidonville se répand à partirde 1936. On le trouve dans le livre de Félicien Challaye (1934) à pro-pos de la Tunisie » (Stambouli 1977 : 252). À Alger, « le bidonville appa-raît dès 1934» d’après Claude Chaline (1990 : 108).

Au cours des années 1930, finalement, le terme est utilisé pour dési-gner par analogie les mêmes baraquements sordides surgis tant àCasablanca, qu’à Tunis ou Alger, ainsi que dans nombre de villes duMaghreb. Jacques Berque note alors que le mot est devenu courant « en1936 dans les pages du Bulletin économique du Maroc » (Berque 1978 :201). C’est ainsi que, progressivement, Bidonville perdit sa majuscule àl’écrit et fut utilisé au pluriel, initialement entre guillemets, voire en ita-lique. André Adam, qui repère le terme en 1934, remarque qu’il estemployé entre guillemets par Léandre Vaillat (1934 : 91) à propos deCasablanca, et ajoute «qu’il est aujourd’hui assez couramment employéen France même pour qu’on me dispense de l’encadrer de guillemets »(Adam 1968 : 65 et 85-86).

À partir des années 1950, le terme est adopté en France métropolitaine,devenant progressivement d’un usage universel dans la langue française.

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Paul Bairoch (1985 : 605) note alors « [qu’il] a pénétré d’autres langues,notamment l’allemand, l’italien et le russe». Finalement, il sera attesté dansles dictionnaires généraux en 1960, à partir de la définition du GrandLarousse encyclopédique :

Bidonville […] en Afrique du Nord, et par extens. dans d’autres contrées, quar-tiers urbains ou suburbains, parfois importants, constitués de cabanes faites dematériaux de récupération, en particulier de métaux provenant de vieux bidons(Dans ces agglomérations s’entassent les populations rurales qui, chassées des cam-pagnes par le chômage et la faim, ne trouvent pas de travail régulier dans lesvilles). (Grand Larousse encyclopédique 1960)

Noblesse oblige, bidonville sera encore absent du dictionnaire del’Académie française, dans son édition de 1978. Il donnera lieu à plusieursmots dérivés : bidonvilliens, bidonvillois ou bidonvilliers désigneront leshabitants des bidonvilles (Rachdi 1967 : 32). D’autres auteurs analyse-ront le phénomène de bidonvillisation, les « banlieues bidonvillisées »,« la société bidonvilloise» (Pétonnet 1985 : 51) ou l’action collective ditede « se bidonvilliser » (Sayad 1995 : 32). Ils décriront les «bidonvilles enpaillote » des villes tropicales, les «bidonvilles sur pilotis » des villes lagu-naires asiatiques ou d’Amérique du Sud, des «bidonvilles d’altitude» surles toits des villes surpeuplées, des «bidonvilles durcifiés », des «micro-bidonvilles », des « bidonvilles sauvages », des « bidonvilles urbains…péri-urbains… suburbains », enkystés au cœur de la ville, ou cachés aufond de ravins, voire derrière les remparts.

Les mots et les noms des bidonvilles

Un seul mot va donc permettre de contempler des contextes géo-graphiques et modes de construction bien différents, mais qui gardentleurs propres expressions locales : les favelas de Rio, les invasaos deSalvador de Bahia, les gecekondu d’Ankara, les bastees de Calcutta, lesranchitos de Caracas, les mussequés de Luanda, les townships deJohannesburg, les kébé de Nouakchott, les barrios piratas de Bogota pourn’en citer que quelques-uns parmi les plus connus (Cattedra & Memoli1995 ; Agier 1999). Tandis que dans la littérature anglophone le concur-rent de bidonville est shantytown, en italien le mot bidonville (au fémi-nin) devient courant – même si d’autres sont employé, comme bor-gata, à Rome ; il est attesté dans les dictionnaires (Treccani 1974) et estutilisé dans la presse (Sannino 1994).

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Si « l’Asie et l’Afrique n’ont rien à envier à l’Amérique latine quantau nombre et à l’ampleur des bidonvilles » (Guglielmo 1996 : 127), ici,comme le souligne Bairoch, « les termes ne manquent pas pour décrirece type d’habitat […], où l’imagination – jointe au fait que ce phénomèney a commencé plus tôt et y a revêtu, en raison de l’intensité de l’inflationurbaine (et démographique), une importance plus grande – a conduit àune floraison d’appellations » (Bairoch 1985). Ainsi, « en opposition audiscours savant, à la langue administrative, les populations réagissentpar leurs propres mots » (Moussaoui 1999). Les bidonvilles demeurentdes espaces de l’invention langagière collective, soit du fait d’une déno-mination – le plus souvent stigmatisante – qui procède de l’extérieur, soitdu fait d’une appellation qui – éventuellement par opposition de celle-ci – essaie de restituer une image de soi et une identité positives.

Catégories

Plutôt que des «miséreux, qui ont inventé son nom, ignoré des carto-graphes », comme l’écrit Jean Ravennes au début des années 1930 6,Bidonville – né à l’origine comme un toponyme francophone – sem-blerait procéder d’une invention langagière des colons français oueuropéens implantés à Casablanca, voire à Tunis. À cet égard est signi-ficative la légende d’une photographie de Casablanca dans le recueil deFlandrin : «Les Bidonvilles – Les populations du bled, attirées par la vieplus facile de notre grande cité, ont créé un problème difficile à résoudre.Partout ces pauvres gens ont construit, par leurs moyens, des agglomé-rations que nous avons appelées Bidonvilles du fait que ces baraquesétaient recouvertes de vieux bidons à essence. » (Flandrin 1956 : 49)

En arabe dialectal marocain, les bidonvilles seront nommés karyan, derb[quartier] ou douar [dwar = cercle, village], en référence à l’origine ruraledes habitants. Aussi, « la population emploie le terme de brarek, le quartierde “baraques”» (Naciri 1980 : 15). Si les derb et dwar sont des mots arabes– le premier désignant, ici, sous le registre administratif colonial, un typed’«habitat indigène» insalubre plus structuré, «en dur», et le second étantemployé en référence à l’origine rurale des habitants –, Karyan et brarek nele sont pas. Karyan n’est autre qu’une déformation du mot «carrière», maisson adoption langagière renvoie, à l’origine, à un lieu bien précis : unecarrière désaffectée proche d’un établissement industriel, la centrale ther-mique du quartier des Roches Noires à Casablanca. En ce lieu, au début

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des années 1920, se logèrent sous des tentes et dans des baraques les ouvriersembauchés pour la construction de la centrale. Il fut donc appelé Karyancentrà, c’est-à-dire, la Carrière de la Centrale. Si d’une part il maintint sonpatronyme dans les nombreux déplacements auxquels il fut soumis parl’administration – et devint, d’après la dénomination officielle et courante,le fameux «Bidonville des Carrières centrales» dans son établissement défi-nitif sur un terrain municipal –, d’autre part, ce premier noyau bidon-villois céda par filiation son nom à d’autres baraquements, qu’ils soientou non localisés dans des carrières désaffectées (Adam 1968; Rachik 1995).La généralisation du mot karyan, qui demeura plutôt d’emploi local àCasablanca, diffère peu de l’aventure de Bidonville du fait que ce dernier,tout en cédant et propageant son propre nom, disparaîtra pour donnervraisemblablement naissance au grand Bidonville de Ben M’sik. La séman-tique de Bidonville, transmuté en mot générique et en catégorie urbaine,fut plus efficace que son propre destin topologique.

Dans le cas de Bidonville, cependant rien ne prouve qu’il ne s’agitpas, dès l’origine, d’une dénomination explicite attribuée par l’admi-nistration municipale du Protectorat français. Néanmoins – quel’Administration en soit ou non le premier désignateur, voire l’inven-teur –, c’est avec l’adoption par le registre administratif que Bidonvilles’institutionnalise et acquiert une certaine légitimité. En 1931, la sous-commission d’hygiène de la ville de Casablanca, en s’appuyant sur un despremiers dahirs (décrets) édictés sous le Protectorat en 1915, décide pararrêté municipal d’interdire l’établissement de noualla-s (tentes) à l’intérieurdu périmètre urbain. Elle estime en fait que « son application aura pourpremier effet la disparition de Bidonville » 7. Paradoxe flagrant : pouréliminer le lieu néfaste il faudra bien l’identifier, ce qui ne fait qu’attri-buer à Bidonville une objectivation et une existence, et par là une légi-timité administrative et toponomastique.

Quelques années plus tard, en conséquence de la diffusion incontrô-lée de ce type d’habitat, la menace sanitaire de ce nouvel «habitat indi-gène » plane sur la ville, bien qu’il soit tenu pour un phénomène tem-poraire. En 1934, Leandre Vaillat (1934 : 90-91) estime, d’aprèsl’administration, à « 85 000 [les musulmans] qui, pour le moment,habitent dans des huttes faites de couvertures, de branchages, de bidons».L’exode rural aura comme conséquence la prolifération et l’extensiondes noyaux insalubres et infects confectionnés avec les matériaux derécupération de la ville industrielle. D’ailleurs, comme le retientl’administration vers la fin des années 1930 :

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Les bidonvilles […] plaisent aux indigènes, qui les peuplent. Ces indigènes, quisont rarement des citadins, mais des ruraux, trouvent dans les bidonvilles desconditions d’existence qui ne sont pas inférieures à celles de leurs tribus, et qui leursont même supérieures parce que ces bidonvilles ont reçu quelques aménage-ments. Et surtout, le bidonville couvre chacun d’un commode anonymat […]. Onpeut s’y livrer à ses petits trafics, à ses habitudes, à ses goûts à ses vices même ; enun mot, on est chez soi et l’on ne demande qu’à y rester. (Girardière 1939 : 1-2)

La théorie de la séparation entre «habitat indigène» et «habitat euro-péen», élaborée dès 1912 par le résident général Lyautey, ne semble plustenir. Cette idéologie territoriale est en train de faire le deuil de l’esthé-tique et de l’approche culturaliste lyauteyennes, pour se décliner demanière explicite à l’aune des soucis hygiénistes et sécuritaires. Quand onobserve les cartes ou plans de cette époque, les deux dispositifs urbainsde la ville coloniale – «médina » et « villeneuve » – apparaissent irréduc-tibles, séparés qu’ils sont, physiquement et symboliquement, par unezone non aedificandi. Bien souvent ce hiatus est occupé dans les villesintérieures du Maroc (celles qui sont relativement les plus dangereusespour la sécurité des Européens : Fès, Marrakech, Meknès…) par desbâtiments de casernes et des camps militaires. C’est la logique topogra-phique du cantonnement, du regroupement de la population musul-mane soumise à la ségrégation, et de l’étanchéisation de l’espace urbainqui prime (voir Cattedra 1990 ; 1998) : « Un véritable danger pour lacité européenne gît dans ces “Bidonvilles”. L’ennemi est aux portes de laville, non un ennemi de la dissidence, avec des carabines à tir rapide,mais un terrible seigneur, subtil, insaisissable, qui a nom typhus, choléraou peste. » (Vaillat 1934 : 91)

Vu la difficulté d’éliminer d’emblée de tels habitats, une autre approchesera tentée, dans la deuxième moitié des années 1930, visant à « tolérerpendant un certain temps “ce mal nécessaire” » (Cohen & Eleb 1998 :222), en travaillant à les rassembler et à les améliorer. C’est l’intitulémême d’un rapport municipal qui fait manifestement apparaître la géné-ralisation du toponyme : il s’agit du Rapport général sur l’assainissementde la ville de Casablanca, Bidonvilles et derbs, exercice 1938-39, établi parM. Bon (le 27 février 1939). Dans ce même texte officiel apparaît l’usagede bidonville en minuscules, au singulier et privé de guillemets 8.

On dit alors « vivre en bidonville », et non plus « vivre à Bidonville » :l’expression ratifierait dès lors une modalité « indigène » de vivre en villeet de vivre la ville en contexte colonial. «Un modèle d’habiter», pourrait-on dire aujourd’hui 9. Le mouvement des hygiénistes commence à se

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poser le problème d’une amélioration des conditions de vie de la «popu-lation de ces baraques et nouallas […]». Ainsi des médecins suggèrent que,au lieu «de supprimer les bidonvilles en tant que solution provisoire dulogement pour une partie de la population indigène », il vaudrait mieux« les aménager de telle sorte qu’ils constituent l’équivalent d’un habitatamélioré » 10. Ce débat aura une suite.

L’ubiquité. De la périphérie au centre, à la conquête de la ville et de la Nation

Le fléau des bidonvilles gagnera ensuite de nombreuses agglomérationsdu Maghreb : les capitales et les principales villes industrielles et com-merciales en sont atteintes de plein fouet. En Tunisie, dans lesannées 1940, c’est le mot gourbiville, comme on l’a vu, qui s’impose parréférence à l’origine rurale du peuplement de ces installations subur-baines et aux modalités traditionnelles de construction. Quelques annéesplus tard Pierre George analysera le cas des bidonvilles de Tunis, dansson Précis de géographie urbaine (George 1964 [1961] : 159).

Par ailleurs, Marrakech sera considérée pendant une longue périodecomme dépourvue de bidonvilles (Leenheer 1981) : d’une part, l’exode ruralse déversait essentiellement vers les villes côtières (Escallier 1981) ; d’autrepart la médina, plus ample que dans d’autres villes, avait permis d’absor-ber l’excès de migrants ruraux. D’après les auteurs qui en parlent, cette villen’avait pas été en mesure de produire les «déchets de la civilisation urbaine»(Lourde 1984), la matière première de la fabrication des bidonvilles.Autrement, « autour des grandioses remparts de Fès, des bidonvilles[avaient] commencé à pousser dans les carrières dont la ville s’est construite,dans ces excavations, où jadis vivaient les lépreux» (Berque 1958 : 34).

L’accroissement dit anarchique des villes du Maghreb apparaît commele contexte privilégié de production de ce nouveau type d’habitat.L’« agression démographie », dite également « sauvage », conduit d’aprèsPierre Marthelot (1970 : 302) à « l’assaut vengeur du faubourg, organeou chancre du bidonville ». Le constat qu’en fait Jacques Berque en1961 présentant l’ouvrage de Robert Descloitres, L’Algérie des bidon-villes, est symptomatique : « Juste derrière les collines, aux replis desravins, à toutes les failles de la bâtisse communale, s’est massée, depuisplus d’une vingtaine d’années, une vie puissante et misérable : l’Alger desbidonvilles, attentat topographique et menace sociale contre un certainordre urbain. » (Berque 1961 : 7-8)

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Les figures de style comme l’hypostase adoptée par Berque pour lacapitale du pays, ou celle utilisée dans l’intitulé même de l’ouvrage deDescloitres – validant la transposition sémantique du sujet par le com-plément de spécification, à l’égard d’une formulation plus ordinaire telleque «Les bidonvilles d’Alger » ou «Les bidonvilles d’Algérie » – ne font,au demeurant, qu’ériger le bidonville en Ville, en Capitale et en Nation11.Davantage, le bidonville – à travers la synecdoque (la partie pour le tout)– en devient le symbole dissimulé et légitime : cela traduit concrètementle fait que le bidonville avait déjà colonisé un pays tout entier, qui étaitau seuil de son indépendance.

De fait, déjà dans les années 1950, le bidonville s’était affirmé àplein titre comme la troisième composante de la ville en Afrique duNord : le corollaire stigmatisé qui « s’oppose » à la fois à la Médina età la Villeneuve, comme en rendra compte Jacques Berque dans unarticle célèbre publié en 1958. Les grands bidonvilles d’Alger, deCasablanca et de Tunis accueillent dans la période 1950-1970 jusqu’autiers de la population de ces villes. Dans les années 1970, les quartierspériphériques (les bidonvilles) n’ont plus le « privilège » de ce qu’onappelle la marginalité. Les ruraux ont occupé une grande partie desmédinas et les ont transformées en « bidonvilles » (Zghal & Rassam1976 : 19).

Le bidonville est de la sorte devenu au Maghreb le paradigme mani-feste et refoulé d’«une forme majeure d’habitat » (Bairoch 1985 : 604),ainsi qu’il est en train de le devenir dans le monde entier.

La spatialité éphémère : l’habitat provisoire

Si pour les administrateurs coloniaux, dès les années 1930, « la questiondes bidonvilles appartient à un domaine strictement administratif [… car]le plan des réformes est un acte politique et que la lutte contre les tau-dis est un acte de technique administrative…» (Giradière 1939 :1), enFrance, leur présence ne sera admise qu’après les années 1950, même si,comme dans le cas de Nanterre, « le bidonville a commencé dans lesannées 1945-50 […], les premiers [étant] arrivés ici en 1946…», d’aprèsun témoignage du docteur François Lefort 12. À la différence des nom-breuses enquêtes sociales et sanitaires lancées au Maghreb, en France ilfaudra attendre, après la fin de la guerre d’Algérie, la loi Debré (1964)dite «de suppression des bidonvilles » pour que le phénomène soit enre-gistré officiellement (Lallaoui 1993 : 44-71).

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Au demeurant, au cours des années 1960-1970, les savants français ten-tent de manipuler avec précaution l’emploi du mot bidonville, plus par-ticulièrement quand il s’agit de l’appliquer à des espaces précaires desvilles françaises. Il ne s’agit pas d’occulter le phénomène qui est manifeste,mais de lui attribuer une dénomination visant à dépasser la stigmatisa-tion dont le mot est porteur. Ce sera initialement la formule « habitatprovisoire » qui sera employée, renvoyant donc à l’idée du transitoire etdu « logement de passage ». L’intitulé du mémoire de maîtrise de géo-graphie rédigé par Bernard Bret en 1968 sous la direction de PierreGeorge : Contribution à l’étude de l’habitat provisoire dans la banlieueparisienne : les bidonvilles de Nanterre 13 illustre clairement l’état d’espritdu milieu académique de la Sorbonne. L’auteur avertit que « le mot“bidonville”, qui sera souvent employé par commodité et parce quel’usage l’a consacré, ne correspond pas au paysage qu’il désigne, le bidonétant absent des matériaux de construction. Il serait préférable d’userd’une périphrase comme habitat spontané » ; et d’ajouter que « le terme“bidonville”, à rigoureusement parler, ne coïncide avec la réalité quedans peu de pays au monde» (Bret 1968 : 2-3).

L’impuissante maîtrise de la croissance urbaine : l’habitat spontané

Dans l’article qu’il consacre à Bidonville dans l’Encyclopedia Universalis,le géographe Yves Lacoste écrit que « le terme […] s’est progressivementimposé dans la langue française » et qu’il « a désigné des formes diversesd’habitat urbain qui présentent, sans être toutefois constituées par desmatériaux de récupération, les mêmes problèmes économiques et sociaux,à savoir la pauvreté des habitants et la grande précarité de leurs conditionsd’habitat ». Dans son « essai typologique », il insiste sur le fait que si « lesdifférentes formes de croissance urbaine spontanée présentent un cer-tain nombre de caractères communs », il est important de distinguercelles qui sont propres aux «pays développés » (où elles ne représententqu’un phénomène marginal) de celles qui existent dans « les pays sous-développés » (où elles constituent «un phénomène de masse »). Le voca-bulaire des journalistes, des voyageurs et des géographes français avaitde fait contribué à désigner sous le terme de bidonville les formes les plusdiverses de baraquements insalubres surgis dans de nombreuses villeseuropéennes comme Barcelone, Naples, Rome, Lisbonne, Porto, Paris,Marseille, Madrid et surtout dans tant d’autres agglomérations des pays

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appelés alors du «tiers-monde». C’est à ce titre que Lacoste recommande,car « scientifiquement plus juste, de les désigner par l’expression généraleformes de croissance urbaine spontanée et de réserver bidonville à l’une desformes particulières que présente ce phénomène dans certains pays etdans certains cas » (Lacoste 1980 [1968], citations : 258, 260).

Pour autant, le phénomène des bidonvilles n’appartient pas stric-tement à l’ordre du spontané, bien au contraire. Il est aussi le résultatde l’action volontariste des autorités. Comme l’écrit Saad Benzakour,« l’action de l’administration coloniale sera déterminante dans la for-mation de ce nouveau type d’habitat» (1978 : 94). C’est ainsi que voientle jour, à côté des «bidonvilles sauvages » et «privés », des «bidonvillesmunicipaux» (où une taxe est perçue par l’administration) (Adam 1949-1950; 1968). Robert Montaigne, professeur au Collège de France, direc-teur d’une vaste enquête sur La naissance du prolétariat marocain (1951 :138), observe avec acuité : «Ces bidonvilles ont été à plusieurs reprisesrefoulés, déplacés, alignés, découpés en blocs pour des raisons d’hygièneet de bon ordre, transportant avec eux, sur leurs nouveaux emplace-ments, leur noms primitifs. » L’ubiquité du bidonville tient égalementà la transhumance de son nom.

L’autoconstruction : savoir-faire ordinaire et universalisme prolétaire dans la ville capitaliste

Comme nous l’avons déjà évoqué, « l’existence des bidonvilles est recon-nue officiellement en France dès le début des années 1950» (Lallaoui 1993 :44). Leur origine est liée à la présence «de travailleurs étrangers immi-grés temporairement» (Lacoste 1980 [1968] : 260), provenant de l’Afriquedu Nord – d’où probablement l’importation du mot – mais égalementd’Europe : Espagne, Portugal, Italie… On oublie souvent de considérerqu’à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale plusieurs centaines demilliers de logements avaient été détruits en France, comme dans plu-sieurs pays européens, et qu’une grande partie des habitants était consi-dérée comme mal-logée. En Europe, le phénomène des bidonvilles est«surtout la marque de l’après-guerre», rappelle Paul Bairoch (1985 : 604).

En tout état de cause, le phénomène d’autoconstruction de baraquesédifiées à l’aide de matériaux de récupération de la « civilisation indus-trielle », à l’extérieur des villes, paraît bien précéder l’invention du motbidonville et la désignation sous ce terme de ce type d’agglomérationsuburbaine. Dans la région parisienne, depuis 1919, écrit René Clozier

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dans son «Essai sur la banlieue » (paru en 1945), « surgirent du sol cesassemblages géométriques de bicoques disparates, baraquements informeset de pistes boueuses ; la détresse de la “zone” semblait s’étendre à toutela banlieue » (Clozier 1945, in Roncayolo & Paquot 1992 : 450).

On peut facilement comparer le zonard, habitant «La Zone» qui cor-respond aux terrains des anciennes fortifications, au bidonvillois. D’ailleursle vocable de bidonville pourra souvent être employé en tant qu’équi-valent stigmatisé de catégories de la ville ayant une origine bien anté-rieure et n’exprimant pas nécessairement – à l’origine, toujours – un senspéjoratif : faubourg, banlieue, cité… Mais les relations, les interférenceset les transferts entre l’un et l’autre sont également courants et sympto-matiques : «Ces cités satellites ne sont en fait que des bidonvilles faisantle siège de la grande ville » (Le Monde, 5 juillet 1978 14).

D’autre part, se pose la question de l’appartenance «ethnique» ou dela nationalité de ceux qui ont fabriqué et habité les bidonvilles à l’origine.André Adam signale cet aspect : «Comme il y eut autour de Paris, entreles deux guerres, la “Zone”, il exista à Casablanca, à certaines époques,des bidonvilles des Européens» (Adam 1968 : 87). Il n’avait été pas le seuld’ailleurs à suggérer la comparaison avec Paris. Déjà à Tunis, le 19 novembre1930, la Tunisie française signale que le cimetière de la rue du Réservoirs’est rempli de «gourbis analogues à ceux de la zone de Paris ».

Or, la filiation pour une part européenne et «prolétaire» du bidonvilleest attestée par Paul Rabinow, qui rappelle explicitement que le sous-prolétariat originaire de la Méditerranée du Nord habitait les espaces desbidonvilles 15. Un chercheur marocain est allé encore plus loin, affirmantsans ambages la paternité européenne de ce type d’habitat : «Les premiersbidonvilles utilisant les déchets de l’industrie étaient construits et habitéspar des Européens, qu’on trouvait au milieu même de la ville européenne.Goulven rapportait qu’en 1922 16 […], il y avait des petits bidonvilles à larue de Marseille (quartier Liberté) et à TSF. (du côté du quartier Bourgogne).Ils étaient habités par des Espagnols et des Portugais.» (Nachoui 1998 : 45)

En France, en tout cas, les bidonvilles n’abritèrent pas que des popula-tions immigrées d’Afrique du Nord, dites le plus généralement «arabes»,«musulmanes» et composées par des «célibataires » ou des « isolés » (cesderniers ayant laissé leur famille au pays d’origine). Des familles entières,portugaises, espagnoles, yougoslaves, italiennes et même françaises onthabité les bidonvilles métropolitains au cours des années 1950-1970. Ainsi,les Français constituaient 20 % du total des 75000 bidonvillois officiel-lement recensés en 1966 par le ministère de l’Intérieur ; 20 % étaient des

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Portugais, 42 % des Maghrébins (Lallaoui 1993 : 44). L’émigration del’Afrique du Nord, démarrée plusieurs années auparavant, prend au coursdes années 1950 des proportions importantes : 300000 Maghrébins ysont installés en 1953 (Rouissi 1983 : 101). Aux abords des villes se retrou-veront également des «gitans rapatriés» du Maghreb, comme au bidonvilledit «La Campagne Fenouil » à Marseille (Brun 1964). Les bidonvilles deNanterre abritent jusqu’à 300 familles de différentes nationalités en 1968,ainsi que le relève Bernard Bret (1968). La complexité sociale de ces micro-cosmes bidonvillois est à la fois le produit d’une «homogénéité» sociale etgéographique par le phénomène des recompositions villageoises ou tri-bales, de provenance plus ou moins lointaine, mais également le produitde la diversité des origines, qu’elle soit d’ordre géographique, national,« ethnique», rural ou urbain. Ainsi la composition sociale et les prove-nances disparates du peuplement de trois petits bidonvilles de la banlieueparisienne étudiés par Colette Pétonnet au cours des années 1970 ren-voie, plus qu’à l’idée même du microsome, à l’idée d’un nouveau cosmo-politisme métropolitain, dont les grandes agglomérations multiethniquesd’aujourd’hui sont probablement héritières.

Quel qu’en soit le bien-fondé, le propos de Nachaoui, quant à l’usagedu mot bidonville dès 1922, permet de mettre en exergue un aspect par-ticulier de la question. C’est-à-dire de considérer l’impact d’un savoir-faireintroduit au Maroc (et au Maghreb) à la suite de l’immigration coloniale,ainsi que l’impact de l’importation de nouveaux modes de production etd’organisation du travail, voire de valeurs, de technologies et de matériauxnouveaux. Ce seraient, si on suit Nachoui, les migrants européens arrivésà Casablanca dès sa conquête militaire en 1907 qui auraient donc édifiéles premières baraques qui vont engendrer Bidonville et les bidonvilles,utilisant des modes de construction déjà employés dans les périphériesprolétaires des villes de l’Europe industrielle du début du XXe siècle. Lebidonville est donc dans sa genèse le produit de la civilisation industrielle,du capitalisme et du colonialisme, dans un contexte marqué par l’exode ruralet par ce qui sera appelé par la suite le «processus d’urbanisation».

Le concept d’habitat sous-intégré face à l’inertie de la sémantique

Afin de «réagir contre l’emploi de plus en plus fréquent du terme “bidon-ville” pris dans un sens de plus en plus extensif et confusionniste» (Lacoste1980 : 6-7), fut organisé à Vincennes un colloque sur «les formes d’habitat

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urbain sous-intégré », dont une partie des actes sera publiée dans unnuméro de la revue Hérodote, où le géographe marocain Mohamed Naciri(1980) présentera la notion d’«habitat sous-intégré ».

Paul Bairoch (1985 : 605) constate qu’au cours des années 1980« même les Nations unies reviennent aux “bidonvilles” », alors que lesenquêtes menées précédemment sur l’habitat urbain étaient tenues derecenser – d’après les recommandations de la commission statistique del’ONU – des «unités d’habitations improvisées ». Un rapport des Nationsunies (1977) avertit explicitement : «On a employé les expressions “zonesde peuplement non réglementées”, “de transition”, et “marginales” pourtenter d’échapper à la connotation péjorative de termes tels que “tau-dis” ou “bidonville” » (cité dans Bairoch 1985).

Ce retour des bidonvilles constaté par Bairoch dans le lexique onusiende version française, semble bien correspondre en France à un dépasse-ment de la phase de réticence et de résistance idéologique quant à l’em-ploi inconditionné du mot dans le registre scientifique. Ce mouvementdes mots, qui n’est pas linéaire, nous semble traduire une nouvelle pos-ture, s’inscrivant à la fois dans le constat (pas totalement avéré dans lesfaits) de la disparition des bidonvilles en métropole et du déferlement del’habitat précaire et insalubre dans les villes du monde entier, l’explo-sion urbaine continuant à se propager.

Tout en se démarquant des courants proprement tiers-mondistes etdéveloppementalistes des sciences sociales – qui avaient quant à eux bienidentifié depuis des années l’universalité des mécanismes et la portéemondiale du processus, mais qui s’efforçaient d’en différencier les formesproprement locales –, le discours qui se développe dans la décennie 1980ne fait que postuler la démarche des savants français qui vont finalementériger le bidonville en catégorie universelle.

Un important vecteur de diffusion du mot est représenté par la paru-tion d’ouvrages sur le phénomène de l’urbanisation dans le Sud du monde,à quoi s’ajoute la publication de revues et périodiques scientifiques et dedivulgation consacrés au tiers-monde et au sous-développement. L’ouvragede Bernard Granotier La planète des bidonvilles. Perspectives de l’explosionurbaine dans le Tiers Monde (1980), et celui de Noël Cannat, Sous lesbidons la ville…, de Manille à Mexico à travers le bidonvilles de l’espoir(1985), constituent à cet égard deux exemples significatifs. Paul Bairochestime que le bidonville est désormais «une forme majeure de l’habitat »dans les agglomérations du Sud; on ne manquera pas toutefois de remar-quer que « le bidonville est absent de la Chine» (Bairoch 1985 : 606).

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Néanmoins, il est assez probable que le passage du mot bidonville duMaghreb au tiers-monde s’est opéré par un détour préalable et une «natu-ralisation » du terme à travers la France métropolitaine. Ce mot n’estgénéralement pas employé pour les villes africaines au sud du Sahara aucours des années 1950. Certes, le temps de l’urbanisation africaine dif-fère de celui de l’Afrique du Nord, et l’industrie n’assume pas le mêmepoids que dans des villes telles que Casablanca, Alger ou Tunis (Cattedra& Memoli 1995). Jean Dresch, dans son essai pionnier, Les villes d’Afriqueoccidentale, publié en 1950, utilise les termes de « villes noires » ou de«villages» pour évoquer les établissements suburbains. Georges Balandier,quant à lui, dans sa Sociologie des Brazzavilles noires, décrit des « centres »ou des « villages noirs », dont Poto-Poto : un toponyme qui sera adoptépar la suite comme emblème des bidonvilles d’Afrique occidentale(Balandier [1955] 1985). Le constat que nous pouvons établir est le sui-vant : «pas de bidonvilles » en Afrique avant 1960.

Les africanistes soulignent que l’usage colonial du mot «village» ne faitque dénier, sur le fond, la dimension urbaine des civilisations africaines,tout en maintenant aux marges des villes les nouveaux arrivants (Coquéry-Vidrovitch 1988). De fait, l’idiome disciplinaire aurait tendance à faireune distinction entre le bidonville maghrébin, construit par les maté-riaux de récupération et les déchets industriels, et l’habitat spontané ouinformel des villes d’Afrique au sud du Sahara, qui est l’expression desavoir-faire et de traditions d’autoconstruction d’origine rurale, impliquantl’usage de matériaux locaux : les deux types étant le résultat d’une occu-pation illégale. Pourtant, là aussi, provoquant la perplexité des africa-nistes les plus orthodoxes, le mot bidonville fera son apparition, surtoutaprès les indépendances. Il se diffuse à travers une certaine littératuresavante, les guides de voyage, et la presse. Il doit toutefois se confronterrudement soit avec la concurrence de la toponymie locale – qui aurait ten-dance à échapper à toute catégorisation –, soit avec les dénominations etclassements anglophones. Le cas de Johannesburg est exemplaire : dansles banlieues de cette ville se produit une espèce de phénomène inversede Bidonville car c’est à partir d’une catégorie administrative déjà rati-fiée – les townships – et d’une localisation géographique – South West –que prend origine depuis 1976 le toponyme Soweto (acronyme de « sou-thwestern townships ») (Bonnet 1994 : 179).

Dans l’ouvrage classique de Pierre Vennetier sur Les villes d’Afriquetropicale, la seule occurrence de bidonville que nous avons repérée estcontenue dans la légende d’une photographie montrant le quartier de

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Pikine à Dakar, loti au cours des années 1950 «pour accueillir les “déguer-pis” des “bidonvilles” intra-urbains» (Vennetier [1976] 1991 : 87). XavierCrépin remarque pour autant qu’en Afrique « le bidonville, occupationprécaire avec des matériaux de récupération, phénomène marginal audépart, a eu tendance dans les trente dernières années à devenir le modèledominant du développement des villes » (Crépin 1993 : 77). Signalonsenfin, à titre d’exemple, que dans Le Guide du Routard, Afrique noire(1994/95 : 41), bien que l’expression bidonville n’apparaisse pas ailleurs,dans la rubrique de conseils et renseignements de voyage le lecteur estaverti « qu’il n’y a guère de problèmes pour dormir dehors, à part évi-demment à proximité des bidonvilles ».

Un récent rapport rédigé en anglais par UN-Habitat (2003 : 30) per-met de faire un distinguo de principe. Un encadré spécialement consacréà «The words that describe the slums» indique que «The delimitation ofwhat the word “slum” covers is even more complex when one considers thevariety of word it has generated in other languages». Avant de proposer uneliste des mots utilisés en français, espagnol, arabe, russe, portugais, anglaisaméricain et «autres langues», une spécification rappelle que « the wordswhich describe the slums also incorporate other specific realities, such asin French the bidonvilles, describing precarious settlements made out of ironsheets and tins (bidons)». Si l’on renverse le propos de cette formulation,d’après ces experts des Nations unies, le terme bidonville ne recouvre qu’unepartie de l’habitat précaire urbain dans le monde, celui qui renvoie à ses ori-gines sémantiques : le fer, la tôle ondulée, le bidon… Cela ferait dérogerde la sorte à l’usage uniformisant et universel, voire normalisateur, du mot.

Le débat sur la fonction sociale du bidonville et sur l’opportunitéscientifique d’adopter une telle dénomination n’est pas, on l’a vu, toutà fait récent. Bidonville – le mot et ce qu’il désigne – est chargé depuisl’origine d’une signification sociologique et politique très dense, lourdede conséquences. Son sens évolue en fonction des faits – l’urbanisationagressive et la prolétarisation –, mais aussi des enquêtes, des recense-ments, des diagnostics –, des représentations et les idéologiques sous-jacentes à la prise de décision.

L’espace destiné à la disparition et les permanences aléatoires de la stigmatisation

Les méthodes de « lutte dite “antibidonville”», pour reprendre une expres-sion employée par Monique Hervo et Marie-Ange Charras, à propos du

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contexte français du début des années 1970 (1971 : 403), sont diffé-rentes et même opposées, ainsi que l’est la signification sociologiquequ’on prête aux bidonvilles. Diverses stratégies évoluent au gré des poli-tiques urbaines et des contextes locaux, ou selon les préconisations de laBanque mondiale, ou les orientations des agences onusiennes, voired’ONG internationales – ce qui a été plutôt le cas ces dernières décennies(Osmont 1995). Ces actions se mettent en œuvre, s’estompent et se.Des politiques sournoises de «laisser-faire» peuvent vite basculer dans l’ac-tion radicale des bulldozers, la stratégie primaire de « contrôle » peuts’engager dans une véritable politique de regroupement des sites.Séparation, cantonnement, ségrégation, ghettoïsation, apartheid, exclu-sion rempliront alors, avec toutes leurs sonorités, « l’espace de débat »sur le sort du bidonville. Le regroupement des bidonvilles peut mener éga-lement à leur déplacement à l’aune, par exemple, de l’extension pro-gressive des périmètres municipaux (voir à ce propos Topalov 2002).

Le choix politique de l’«amélioration» signifie, quant à lui, une espècede reconnaissance de légitimité – quoique transitoire – des bidonvilles :l’amélioration comporte leur viabilisation, l’installation de quelques fon-taines ou points d’eau, des latrines, voire l’électrification, le ramassage desordures, la présence d’un poste sanitaire et de police, l’installation d’infra-structures et d’équipements comme les égouts et des lieux de culte. Cetteméthode est connue sous l’appellation de up-grading dans le jargon de laBanque mondiale (Balbo 1992).

D’un autre côté, l’action radicale n’aura pas à craindre l’invention demots appropriés, incorporés ou élaborés dans le langage administratif eturbanistique pour se mettre à l’œuvre : arasement, démolition, éradica-tion, « déguerpissement » (Sénégal), « dégourbification », « résorption »,débidonvillisation. Ce lexique aura le privilège d’entrer dans les diction-naires, quand il n’y apparaissait pas auparavant. Mais la voie qui conduitde la résorption au recasement peut se révéler tortueuse. Dans les villesen développement, le recasement via l’autoconstruction (assistée parl’administration locale ou par des experts des organismes internationauxet des ONG) peut s’inscrire dans des projets dits de sites & services – dontl’origine remonte à la « trame sanitaire » d’Écochard (1951). En France,le passage «du bidonville aux HLM » (Lallaoui 1993) a signifié pour lespopulations concernées plusieurs années d’attente dans les «cités de tran-sit » (1960), ou les «cités d’urgence» (1973), voire des foyers. Un tract dela Ligue du coin de terre et du foyer diffusé en 1958 mettait en gardecontre l’assimilation des jardins ouvriers à un bidonville, défini comme

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une «sorte de degré zéro, misérable et non équipé, du lotissement pavillon-naire» (cité par Weber 1998). D’autres expressions comme Maroc, «appel-lation générique des lotissements pauvres » (Fourcaut 2000 : 150), sontsignalées en région parisienne (Champigny) vers le milieu des années 1950(Wender 2001 : 47). Ainsi, dans ces cas, la stigmatisation dont est chargéle bidonville se transpose, par métonymie (c’est-à-dire le contenant pourle contenu), et donc par le transfert de ses anciens habitats, même aux loge-ments transitoires, ou « logements tiroirs » dans lesquels ces populationsseront hébergées, de manière dite non permanente, sur leur voie «d’accèsà la ville et à la citoyenneté ». Néanmoins, les formes qu’empruntent ceslieux de transit, qui accueillent également « les sinistrés» de l’après-guerre,sont susceptibles elles-mêmes de renvoyer au paysage du bidonville : «Onappelait ces habitations des “igloos”. Le temps s’est installé. Des jardi-nets, des barrières, des baraquements et même des rues ont eu raison del’urgence. Un embryon de ville a jailli. Ces “igloos” rassemblaient à de grosbidons ensevelis à moitié et couchés sur le côté. Peut-être trouvons-nousici l’origine du mot “bidonville”. » (Lallaoui 1993 : 18)

Géographie émotionnelle et rationalité des récits du paradigme bidonville

Nous l’avons déjà évoqué, il y eut dès les années 1930 un débat socio-logique et politique et de nombreuses polémiques sur le bidonville. Pourles uns, il peut être appréhendé comme le lieu de la marginalité, du dan-ger social et politique de la ville : les « révoltes des bidonvilles » ont hantéles autorités coloniales et préoccupé les États indépendants. Au momentoù s’effectue le passage du bidonville maghrébin au bidonville métro-politain, la métaphore des «ceintures rouges», spectre des banlieues fran-çaises, fut simultanément utilisée pour désigner les marges tentaculairesdes grandes villes d’Afrique du Nord. Le «danger» des bidonvilles, « foyerde terrorisme» (De La Varde 1955 : 46), devient de la sorte un thème habi-tuel du discours ordinaire dans la société coloniale, à la veille de la guerred’Algérie et des indépendances du Maroc et de la Tunisie. Dans les ana-lyses marxistes ou marxiennes sur la colonisation française en Afriquedu Nord dans les années 1970, le discours sera souvent focalisé sur lagestion capitaliste du bidonville, en tant qu’il serait le lieu de « reproduc-tion d’une force de travail » indigène stable au service de l’entrepriseindustrielle, souvent désignée comme impérialiste (Benzakour 1978 :

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95). Le bidonville maghrébin est assez souvent le bassin de recrutementde la main-d’œuvre prolétaire à des salaires risibles.

Il convient de rappeler que dans l’entre-deux-guerres et après 1945de nombreuses enquêtes sur les bidonvilles furent menées en Afrique duNord par des administrateurs français, souvent en collaboration avec desmédecins hygiénistes et des universitaires, en vue de l’obtention de leursdiplômes de l’ÉNA, du CHEAM ou de l’Institut d’urbanisme (Ratier 1949;Manneville 1950 ; Mas 1950). Elles fournissent des statistiques sur lesmédinas « ruralisées » et les bidonvilles « sous-prolétaires ». Les tableauxsont utilisés pour illustrer les conditions sanitaires et sociales de l’en-semble des « populations des taudis et bidonvilles », ou bien pour lescomparer l’une à l’autre. On pourra de la sorte affirmer que la tubercu-lose sévit moins en bidonville que dans les centres anciens (Stambouli1977 ; Adam 1968) ; que les conditions d’ensoleillement, de l’air et laprésence d’espaces libres constituent un cadre de vie moins nuisible quecelui des taudis sordides des médinas surpeuplées; on évaluera que les tauxde chômage dans les bidonvilles sont moins sensibles que dans les espacesdégradés de la ville ancienne.

Des sociologues signalent que « certains travaux sur les bidonvillesqualifient trop hâtivement ces populations de marginales » (Stambouli1977 : 249). Ces derniers insisteront sur le fait que la vie en bidonville– pour mieux dire la transition par le bidonville – est à considérer commeune espèce de passage obligé, une adaptation des modèles d’habitat ruralà la métropole. Il s’agit d’une «étape de l’acculturation au monde urbain»(Pétonnet 1982 ; voir 1972) 17, un stade sur la voie d’accès à l’urbanité età la citadinité, un instrument d’acculturation douce (Pétonnet 1985 :52). Une telle orientation peut d’ailleurs être soutenue par les tenantsd’une vision progressiste et de type culturaliste, voire, à l’opposé pour jus-tifier la permanence des bidonvilles dans leur fonction d’espaces de can-tonnement de groupes sociaux reconnus comme mal adaptés et nuisiblesà la «norme sociale » de vie urbaine.

Les raisons qui mènent par exemple les populations algériennes arri-vées en France après 1962 « à trouver refuge à l’intérieur de bidonvilles »comme ceux de Nanterre (qui s’étaient constitués dans les années 1950)« se conjuguent souvent avec le souci de trouver dans ce type de regrou-pement “spontané et inhérent à l’action humaine” [Pétonnet 1982 : 64]une solidarité et un univers familier composé d’interconnaissances per-mettant de maintenir un équilibre interne et d’éviter une rupture tropbrutale avec la société d’origine » (Belhadj 1993 : 26). Encore une fois

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nous nous retrouvons face au leitmotiv du « spontané » : « c’est ainsi –comme le remarque Marnia Belhadj – que Colette Pétonnet qualifiaitce type d’habitat dans la mesure où leur conception est perçue commeétant exclusivement le fait des individus et non de la rationalité admi-nistrative » (ibid.).

Par ailleurs, l’analyse de la stratification sociale montre qu’« il y a aussides riches en bidonville » (Écochard 1955 : 27). À Alger, Jaques Berque(1958 : 35) repère un «bidonville chic ». Les spécialistes français souli-gneront encore que « les pires bidonvilles » d’Amérique latine sont pour-vus de branchements électriques, d’antennes de télévision (Guglielmo1996 : 121), voire d’antennes paraboliques !

Le débat social et politique sur l’objet bidonville est loin, encoreaujourd’hui, de s’estomper.

Bidonville à la Une

La presse a constitué un vecteur privilégié de la diffusion du mot 18. Lesréférences à la presse de la période 1920-1930 reviennent d’ailleurs conti-nuellement, comme on l’a vu chez les divers auteurs cités plus haut, à attes-ter et isoler le «degré zéro » de bidonville : le temps et le lieu de sa pre-mière occurrence écrite. Ces références sont activées afin d’en justifier lapaternité géographique entre les villes du Maghreb. Plus tard, d’autresauteurs vont souligner que si en région parisienne (à Saint-Denis) « lesîlots des baraquements auto-construits [seront] appelé[s] “bidonvilles” àpartir de la fin des années 1950» (David 2002), c’est que la presse a vrai-semblablement contribué à la diffusion du mot, car leur présence souscette appellation y avait été niée jusqu’à l’entrée de la deuxième moitiédu siècle (Gastaut 2000).

Le recours à la presse est d’autre part assez commun dans les diction-naires généraux. D’après le Trésor de la langue française (1975), c’est àtravers les pages du Monde du 9 septembre 1953 que mot bidonvilleaurait fait son apparition dans la presse française, mais avec une attesta-tion concernant le Maroc. Avec cette dernière, les références géographiquesles plus usitées par les dictionnaires concernent plusieurs villes de larégion parisienne et Marseille, ainsi que des villes européennes commeBarcelone, Naples, Lisbonne ou Athènes. Toujours dans le Trésor (1975),la citation qui illustre le contexte et le sens d’usage est : «Dans les bidon-villes de Barcelone des familles s’entassent à dix par pièce », tirée duMonde du 17 juillet 1958. Plus récemment, en signifiant la prise en

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compte de l’usage encore plus extensif et englobant du mot, les dic-tionnaires vont évoquer «Les bidonvilles de Rio» avec le renvoi explicite(⇒) à l’entrée favela (Petit Robert 1996).

Dans le Dictionnaire des mots contemporains (Robert 1980), parmid’autres, c’est une longue citation de La Croix du 1er octobre 1970 quiest sélectionnée pour indiquer l’apparition du dérivé «bidonvillien ».

De nos jours, le mot bidonville continue d’être assez courant dansl’usage journalistique français. Les références les plus communes relè-vent géographiquement d’un grand nombre de villes du Sud de la pla-nète : Bombay, Calcutta, Jakarta, Mexico, Le Caire, Rangoon, Lagos,Kampala, Port-au-Prince, Bogotá… Il ne manque pas d’ailleurs de chro-niques consacrées aux bidonvilles qui résistent dans certaines villes euro-péennes : « Le Portugal éradique ses bidonvilles » est le titre du repor-tage d’Emmanuel Vaillant, envoyé spécial du Monde diplomatique (janvier2000). «Battaglia per la bidonville » (Bataille pour le bidonville), tel estle titre d’un article de Concita Sannino paru dans La Repubblica (20 jan-vier 1994), rapportant des troubles éclatés à Herculanum suite « audéguerpissement des baraquements ».

Les géographes font d’ailleurs un large emprunt à ces références dansleurs ouvrages pédagogiques ou de vulgarisation 19. Ainsi, langage jour-nalistique et langage savant interfèrent, et ne font que décliner – en l’am-plifiant – le paradigme sémantique du mot et de la chose. Les registresadoptés par la presse dans les références au bidonville relèvent de plusieursordres : la spectacularisation, la catastrophe, le drame, l’objectivation,la dénonciation de la stigmatisation… Le plus souvent, c’est toutefois parla spectacularisation et par le drame que le phénomène des bidonvillesest objet de chroniques et d’analyses. C’est le drame des réfugiés de guerreou de famine au sein des campements de Gaza, Khartoum et d’autres villesafricaines ou asiatiques, assimilés aux bidonvilles, ou désignés sous cenom. La catastrophe constitue fréquemment l’occasion de parler desbidonvilles dans les journaux.

Le lexique journalistique et le support médiatique de la presse peuventégalement, mais bien plus rarement, représenter des vecteurs d’euphé-misation du paradigme stigmatisant des bidonvilles. C’est le cas, àBombay, de «Dharavi, le plus grand bidonville d’Asie », lequel est à plu-sieurs reprises objet d’intérêt dans la presse française, en automne 2004,du fait qu’il serait susceptible de procurer «des leçons de survie» : «Ils sontun million à s’entasser dans cette zone déshéritée de Bombay. Les gensde Dharavi sont pauvres, dignes et industrieux. » Référence?

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Mais, fatalement (?), le retour aux origines s’impose. Ce sont encoreles bidonvilles casablancais qui auront le privilège de la une dans la pressemondiale au lendemain des « attentats suicides » de mai 2003. Un articlede Fahd Iraqui, paru dans Le Journal hebdomadaire et reporté par Courrierinternational, (n° 658, juin 2003), n’est pas sans rappeler les descrip-tions rebutantes de ce fameux Bidonville des années 1930, à proximitédu Bousbir, ou celles du bidonville d’Alger (Iraqui 2003).

«Misère et djihad au Maroc » seront encore à la Une, cette fois-ci, duMonde diplomatique, en novembre 2004 : «C’est dans les espaces délais-sés par l’État, dans la misère des bidonvilles que, chaque jour, se fabri-quent les conditions d’une révolte désespérée» (tel est l’en-tête de l’articlede Selma Belaala). On dirait que rien n’a changé. La sémantique dela «révolte désespérée des bidonvilles» révèle et atteste un registre que nousavons déjà rencontré, exactement cinquante ans auparavant, au momentde l’indépendance, quand, à « mourir pour mourir », les habitants desCarrières centrales «préféreront mourir sous le plomb de la force publiqueque mourir de misère et de mépris » (Clément 1982-83 : 27). Si l’espacedu bidonville, renversant alors le stigmate du lieu de la révolte, pouvaitêtre identifié, tant au Maghreb qu’en France, au «berceau du nationa-lisme» – « le 5 juillet 1962, à l’indépendance enfin obtenue, une explo-sion de joie secoue le bidonville [de Nanterre] » 20 –, que lui reste-t-ilaujourd’hui ?

Les dénominations courantes d’un célèbre bidonville comme Chichane,c’est-à-dire «Tchétchénie», ou celle d’un quartier appelé Zbalat Miricane,« la décharge ou l’ordure américaine », témoignent du renversement dela stigmatisation de la part des habitants – comme on l’a vu pourConstantine, dans les cas de New York et Chicago, signalé par Moussaoui(1999). Ces noms deviennent de la sorte l’emblème de la naissance d’une«nouvelle banlieue chaude » (Iraqui 2003), aux marges de Casablanca,dont la sémantique marque à la fois la dangerosité autoproclamée de sesespaces, tout en attestant le soutien à la résistance islamique en Asie cen-trale et le mépris de l’Amérique.

«Les damnés de la ville. En 2020, deux milliards d’humains vivrontdans des bidonvilles : c’est le constat alarmant dressé au Forum mon-dial urbain de Barcelone » lisait-on à la Une de Libération le 16 sep-tembre 2004.

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FIG. 2. 1re page de Libération, 16 septembre 2004.

Bidonville@net : espace virtuel, espace d’euphémisation

Bidonville désigne toujours dans l’usage courant et scientifique françaisun type d’habitat urbain, spontané, précaire. Il renvoie à la représenta-tion d’un espace marginal et réprouvé, misérable et dangereux, méta-phore de l’insécurité du monde urbain d’aujourd’hui. Il reste marqué leplus souvent par l’empreinte de ses stigmates, même après sa disparition,

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que ce soit dans la mémoire du lieu, ou dans les traces et les blessures queles habitants gardent avec eux (mémoire de l’espace vécu), sans pouvoirs’en réhabiliter, et qui éventuellement seront transmises à leurs nouveauxespaces d’habitat. Paradigme refoulé de la ville du XXe siècle, il s’apprête– semble-t-il – à devenir le paradigme dominant de la ville du XXIe.

Néanmoins, le mot a commencé à être employé dans d’autres contexteset avec d’autres significations. Les résultats de l’investigation « indiciaire»que nous avons menée sur le Web, à différents moments, entre juin 1999et décembre 2004 21, permettent de montrer qu’il est actuellement l’objetd’une action réformatrice – accidentelle ou volontaire – qui prend corpsdans un contexte d’usage qui est devenu universel : Internet. Elle représenteet rend virtuellement opératoire à l’entrée du XXIesiècle une déclinaison ulté-rieure – cette fois-ci positive et euphémique – du paradigme bidonville.

La première recherche, effectuée en langue italienne à travers le moteurde recherche Altavista le 1er juin 1999, a permis d’identifier 759 sites ouentrées se rapportant à (ou aux) bidonville(s). La dernière recherche,toutes langues confondues, du 10 décembre 2004, conduite à travers lemoteur Google, présente le résultat surprenant de 52 300 références !L’amplification du nombre d’entrées sur le Web ne change pourtant pasles principes et les déterminations du répertoire sémantique déjà identi-fié en 1999. L’amplification ne fait qu’étayer et consolider une sorte de réha-bilitation virtuelle du mot. Différents domaines, les plus variés, sont asso-ciés au mot bidonville de deux manières. Ou bien on évoque un bidonville,ou les bidonvilles dans leur réalité, objectivée ou en projet au sein de sitesofficiels de l’institution, comme au Maroc, dans les travaux des cher-cheurs en sciences sociales (des géographes aux anthropologues et auxurbanistes), dans les sites ou projets de cabinets d’études, d’associationnon gouvernementales, ou dans les CV d’experts, voire encore des articlesde presse évoquant tout autant la présence actuelle de bidonvilles enFrance (Lyon, Marseille, Val-de-Marne 22, Nîmes ou Antibes 23), que cellede bidonvilles algériens, expression de contrepouvoir. Ou bien on réfèreplutôt à la sphère sémantique et idéelle du bidonville ou de son mondeet qui apparaît notamment dans le contexte ou l’expression de type artis-tique. Ce monde, associé à celui des milieux associatifs écologistes, alter-natifs voire altermondialistes, constitue les principaux vecteurs d’euphé-misation de la sémantique bidonvilloise. Et même certains sites liés à lathématique résorption ou réhabilitation des bidonvilles, liée à l’action desolidarité des ONG et à l’idée du développement participatif et/ou durable,peut en représenter un deuxième vecteur, lui-même relié au premier.

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Dans le monde de l’expression artistique, c’est la musique, le cinéma,la photographie, la danse, le théâtre, la peinture et la sculpture qui fontla part belle à l’entrée bidonville – que celle-ci réfère expressément ounon à la réalité du topos. Elle peut également émerger au sein de référencesà la photographie, à la littérature de voyage, aux revues alternatives, àdes périodiques et des quotidiens, aux jeux et quiz. En 1999, notam-ment, dans le domaine musical figuraient de nombreuses récurrencesde la page Web «MP3.com», qui était à l’époque un site très réputé etutilisé pour le téléchargement de fichiers musicaux... Si la musique est tou-jours présente, dans les recherches effectuées en 2003 et 2004, ce sont lessites consacrés à Claude Nougaro qui en sont la vedette, référant direc-tement à une de ses vieilles chansons : Bidonville.

D’autres euphémisations sontplus particulièrement liées àl’univers de la peinture et à lasculpture. Ainsi, le Web est enmesure de proposer des œuvresd’art désignées comme «expres-sion-bidonville», telle une sculp-ture, le Grand Bwa-Vlopé (1998)de l’artiste martiniquais SergeHélénon, présentée lors d’uneexposition sur l’art métis afro-américain au musée Dapper àCagnes-sur-Mer, intitulée «LesBois sacrés d’Hélénon».

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Regarde-la ma ville Elle s’appelle BidonBidon, Bidon, BidonvilleVivre là-dedans, c’est cotonLes filles qui ont la peau douceLa vendent pour manger

Dans les chambres l’herbe pousse Pour y dormir faut se pousserLes gosses jouent, mais le ballonC’est une boîte de sardines, Bidon(Claude Nougaro 1966)

FIG. 3. Le Grand Bwa-Vlopé (1998), de Serge Hélénon. Image dans soncontexte original, sur la page www.dapper.com.fr/.../ expositions/2002_03.htm.

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Même l’objectivation du bidonville et la mise en perspective d’uneaction pour en améliorer les conditions de vie participent du change-ment de sens. Dans cette perspective apparaissent des univers commela coopération et l’« aide au développement», la santé, la recherche scien-tifique et l’expertise dans le PVD, les milieux associatifs de matrice éco-logiste, les associations engagées dans les actions de respect des droits del’homme, ou sur les terrains des droits des migrants, des « sans-papiers »,des femmes et des enfants en milieu bidonvillois. Plusieurs associationsprésentent des sites invitant à parrainer des enfants, une école ou unmicro-projet dans les bidonvilles, comme à Haïti «Cité-Soleil », au nomsi lumineux, ou plus généralement en Inde, en Afrique, au Brésil…

FIG. 4. La Cité-Soleil et le parrainage d’enfants haïtiens.

L’espace virtuel du mot bidonville semble référer dans ces contextes àl’idée de la diversité culturelle de la planète et de la richesse d’inventiondes populations. La tendance à l’euphémisation du mot bidonville estassez présente dans l’usage italien, mais elle est susceptible de se diffuser.Le site de Bidonville (www.bidonville.com) – une association écologistede Naples qui anime depuis le milieu des années 1990 plusieurs initia-tives (récupération et recyclage d’objets, marchés aux puces, expositions :

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« Fiera del baratto », « Operazione Ri-Ciclo » (pédaler dans la ville),«Recycle-Art ») – apparaît, le 25 novembre 2004, en première position(sur plus de 18000 résultats) sur le moteur de recherche Google, si l’onrecherche bidonville sur tout le Web, dans toutes les langues européennesdisponibles, y compris le français. À remarquer que la seule langue derecherche dans laquelle l’association italienne Bidonville n’apparaissaitpas en en tête de liste était le français, seulement une année auparavant.

FIG. 5. L’association napolitaine Bidonville et les affiches de «La fiera del baratto ».www.bidonville.org/ bidonville/bidonville.htm

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Parmi des références particulières de la «nouvelle vague», on remarquede nombreux sites concernant Kayan Ben M’sik à Casablanca, d’autresqui référent à Mère Teresa, prix Nobel de la paix, une photo montrantle Pape Jean-Paul II dans un bidonville, une nouvelle formule d’actioncollective protestataire que nous avons retrouvée mise en scène à Londreset à Montréal, consistant à « créer un bidonville » devant le siège d’uneinstitution officielle, pour revendiquer le droit d’asile, ou « le respect dudroit au logement », et enfin, le site www.unesco.org/most !

«Bidonville » au HCNUR

La Grève mondiale des femmes se joint aux manifestations de la Journéeeuropéenne d’action pour les droits des immigrant/es et des demandeuses etdemandeurs d’asile.

Le 30 janvier dernier, des femmes demandeuses d’asile en provenanced’Érythrée, d’Éthiopie, du Congo, du Kenya et du Zimbabwe, ainsi que leurs sou-tiens, ont créé un «bidonville» devant le siège du Haut Commissariat des Nationsunies pour les réfugiés (HCNUR) à Londres. Les manifestantes et manifestantsont demandé à l’HCNUR d’intervenir dans la crise humanitaire dont les deman-deuses et demandeurs d’asile sont actuellement victimes, tel qu’il est mandatéde le faire dans tous les pays où des réfugiés ont fui en quête de protection.

http://www.globalwomenstrike.net/French2004/BidonvilleauHCNUR.htm(10 décémbre 2004)

Une centaine de personnes deGatineau participent à la construc-tion d'un bidonville avec des pan-neaux électoraux, meublé et nonchauffé !

Ça trime dur pour construire unbidonville à Montréal, à côté du Palaisde Justice, pour revendiquer le respectdu droit au logement.

FIG. 6a et 6b : Manifestation à Montréal.

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Notes1. Voir à ce propos Lussault 1998 : le paragraphe «L’urbanisme guérisseur ».

2. Yvone Mahé, 1936, L’extension des villes indigènes au Maroc. Thèse de droit, Universitéde Bordeaux, citée dans Adam 1968.

3. «Mais je crois bien qu’il [bidonville] est né en Afrique du Nord et probablement au Maroc.Je ne serais même pas étonné que ce soit à Casablanca, où il supplanta le mot “gadoueville”,attesté vers 1930 (Mahé 1936, voir note 2), mais qui n’eut pas de succès » (Adam 1968 :85-86).

4. Fonds de la Résistance tunisienne. Archives diplomatiques de Nantes, 2MI 394, dossier 2,p. 117.

5. Il s’agit d’une référence repérée par nous-même et qui était passée inaperçue dans la littératuresur la question, l’auteur n’y dédiant que quelques mots en décrivant le peuplement « indi-gène » de la ville de Rabat.

6. Ravennes s. d. [1932], cité dans Lavaud 2002 : 77.

7. Sous-commission d’hygiène, 22 janvier 1931, BMO janvier-février 1931, cité dans Cohen

& Eleb 1998 : 222, note 82.

8. Bon 1939 : 23-24, cité in Cohen & Eleb 1998 : 222, note 87.

9. Voir à ce propos Navez-Bouchanine 1997 : chap. 5.

10.Gaud & Sicaud 1937 : 96, cité dans Cohen & Eleb 1998 : 222, note 85.

11.On remarquera d’ailleurs que ce genre d’analogies entre Bidonville, cité et capitale avaientété suggérées déjà à propos du premier bidonville de l’histoire (Sieburg 1938, voir plushaut).

12.Ce témoignage est publié dans Lallaoui 1993 : 54-56, sous le titre «Retour à Nanterre ».

13.Je tiens à remercier M. Bernard Bret qui a bien voulu me communiquer aimablement cedocument.

14.Cité dans Robert, Dictionnaire des mots contemporains, par P. Gilbert, 1980.

15.« It is worth mentionning that working-class, Méditerranean proletariat and subproleta-riat Europeans lived in bidonvilles as well as in substandard housing in the old medina »(Rabinow 1989 : 308).

16.«L’assainissement de Casablanca », Le Petit Marocain, quotidien.

17.Cité dans Belhadj 1993 : 24

18.Le Dictionnaire des mots nouveaux de P. Gilbert (1971) souligne explicitement que « lapresse a répandu [«bidonville »] dans la métropole ».

19.Par exemple : Pérouse 1993 : 5 ; Guglielmo 1996 : 118-152.

20.Aechimmann & Natan, Libération, 29 octobre 2004.

21.Et qui mériterait une exploration plus approfondie que nous n’avons pu conduire ici.

22.«Sarkozy expulse les Roms de leur bidonville. Le camp de fortune de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) a été vidé de ses habitants mardi, comme deux autres lieux où ces familles,roumaines pour la plupart, avaient trouvé refuge. Reportage. Par Ludovic Blecher. »(3 décembre 2002, Liberation.fr – 17:46)

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23.« Antibes : le bidonville Muratori détruit » (article du 21 avril 2004) surhttp://www.pcfvsa.org/breve.php3?id_breve=54 (le 10 décembre 2004).

Que soient ici remerciés pour leurs divers apports à l’élaboration de ce texte, lesconseils, les discussions fécondes et les documents qu’ils ont bien voulu me trans-mettre, Maxime Del Fiol, Arnaud Deloffre, Jean-Marie Miossec, Pierre Signoles,Christian Topalov et Carlo Cattedra.

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