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Ann. Kinésith ér., 1989, t. 16, nO 1-2, pp. 59-68 © Masson, Paris, 1989 Biomécanique de la colonne lombaire MISE AU POINT Éric VIEL Docteur ès sciences, chargé de cours, DEA de génie biomédical, ENSAM, Directeur, École de Cadres « Bois Larris », F 60260 Lamorlaye. Introduction Le segment lombaire du rachis est constitué de cinq vertèbres connectées en haut à la zone transitionnelle dorso-Iombaire, et reposant en bas sur le socle du sacrum, considéré comme fixe. L'analogue mécanique est un tube peu incurvé (fig. 1), la pression verticale étant La colonne vertébrale est un support stable (barre homogène). Les déformations font varier la tension de surface de la colonne creuse. supportée par trois colonnes : la colonne des articulations inter-corporéales {les disques inter- vertébraux) d'une part, et les colonnes des articulations interfacétaires ou «zygapo- physes » en langage anatomique moderne. En utilisant la technique d'analyses de la micro densité calibrée en unités «Vickers», Fournier et coll. (1980) ont fourni un répertoire des duretés différentielles sur les différentes parties du corps et des apophyses d'une vertèbre lombaire (tableau 1). TABLEAU 1. - Microdensité en unités Vickers d'une vertèbre lombaire tension de surface égale + Contraintes tension de surface perturbée Partie antérieure du corps Partie latérale du corps Partie dorsale du corps Pédicule Processus articulaire supérieur Processus articulaire inférieur Surface articulaire 65 65 80 80 90 85 95 Disques Rotation +++ (annulus) Flexion-Extension ++ Écrasement ++ . (amortisseur) Traction? Ligaments Flexion-Extension +++ Traction ++ Nous voyons que la partie la plus dense de la vertèbre se trouve sur les surfaces articulaires des zygapophyses, ce qui correspond aux deux colonnes articulaires postérieures. Caractéristiques du disque intervertébral FIG 1. - Représentation biomécanique de la colonne vertébrale: une colonne creuse dont les tensions de surface varient lorsque l'on s'écarte de l'attitude naturelle. Dans la position de lordose moyenne courante, les tensions de surface sont les mêmes tout autour de la colonne creuse. Le changement de position, qu'il s'agisse d'une lordose exagérée ou d'une lordose effacée, résulte forcement en une exagération de tension de surface d'un côté, un écrasement de l'autre. Tirés à part: E. VIEL, à l'adresse ci-dessus. Le disque intervertébral fonctionne à la fois comme un amortisseur de compression verticale, un organe qui dissipe les chocs et vibrations venus du membre inférieur, un lien entre deux vertèbres, enfin un organe de mobilité qui doit être susceptible de répondre sans dommages à des contraintes de compression et de traction (fig. 2).

Biomécanique de la colonne lombaire - KINEDOC

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Page 1: Biomécanique de la colonne lombaire - KINEDOC

Ann. Kinésith ér., 1989, t. 16, nO 1-2, pp. 59-68© Masson, Paris, 1989

Biomécanique de la colonne lombaire

MISE AU POINT

Éric VIEL

Docteur ès sciences, chargé de cours, DEA de génie biomédical, ENSAM, Directeur, École de Cadres « Bois Larris »,

F 60260 Lamorlaye.

Introduction

Le segment lombaire du rachis est constituéde cinq vertèbres connectées en haut à la zonetransitionnelle dorso-Iombaire, et reposant enbas sur le socle du sacrum, considéré commefixe. L'analogue mécanique est un tube peuincurvé (fig. 1), la pression verticale étant

La colonne vertébrale est un support stable (barre homogène).Les déformations font varier la tension de surface de la colonnecreuse.

supportée par trois colonnes : la colonne desarticulations inter-corporéales {les disques inter­vertébraux) d'une part, et les colonnes desarticulations interfacétaires ou «zygapo­physes » en langage anatomique moderne.

En utilisant la technique d'analyses de lamicro densité calibrée en unités «Vickers»,Fournier et coll. (1980) ont fourni un répertoiredes duretés différentielles sur les différentes

parties du corps et des apophyses d'une vertèbrelombaire (tableau 1).

TABLEAU 1. - Microdensité en unités Vickersd'une vertèbre lombaire

tensiondesurfaceégale +

Contraintes

tensionde

surfaceperturbée

Partie antérieure du corpsPartie latérale du corpsPartie dorsale du corpsPédicule

Processus articulaire supérieurProcessus articulaire inférieurSurface articulaire

65658080908595

Disques

Rotation + + +(annulus)

Flexion-Extension + +Écrasement + + .

(amortisseur)Traction?

Ligaments

Flexion-Extension + + +Traction + +

Nous voyons que la partie la plus dense dela vertèbre se trouve sur les surfaces articulaires

des zygapophyses, ce qui correspond aux deuxcolonnes articulaires postérieures.

Caractéristiques du disque intervertébral

FIG 1. - Représentation biomécanique de la colonne vertébrale:une colonne creuse dont les tensions de surface varient lorsquel'on s'écarte de l'attitude naturelle. Dans la position de lordosemoyenne courante, les tensions de surface sont les mêmes toutautour de la colonne creuse. Le changement de position, qu'ils'agisse d'une lordose exagérée ou d'une lordose effacée, résulteforcement en une exagération de tension de surface d'un côté,un écrasement de l'autre.

Tirés à part: E. VIEL, à l'adresse ci-dessus.

Le disque intervertébral fonctionne à la foiscomme un amortisseur de compression verticale,un organe qui dissipe les chocs et vibrationsvenus du membre inférieur, un lien entre deuxvertèbres, enfin un organe de mobilité qui doitêtre susceptible de répondre sans dommages àdes contraintes de compression et de traction(fig. 2).

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60 Ann. Kinésithér., 1989, t. 16, nO 1-2

FIG 2a

FIG 2. - Les contraintes appliquées au rachis lombaire, lesmécanismes qui permettent de les dissiper.

a) entre les corps, les disques sont des structures précontraintes,capables de dissiper la compression verticale qui s'applique soitpar le haut soit par le bas dans le cas des efforts de réception(saut d'une chaise, parachutisme).A noter que le noyau du disque est en forme de «C» ouvert FIG 2bvers l'arrière. Cette forme du nucleus pulposus lui permet de très bien tolérer les écrasements postérieurs, lors de l'extension vertébrale;

b) la forme mécaniquement la mieux adaptée à la dissipation des contraintes internes est celle d'un diabolo (c'est par exemplela forme des «silent-blocks» qui soutiennent les moteurs de voiture). La vertèbre L5 est une petite vertèbre en forme de diaboloquasiment parfait.A, noter l'épaisseur des disques L4 L5 et L5 Si. Le disque L5 Si est fissuré.Plus les disques sont épais, plus la mobilité est grande. Pour cette raison, les disques s'amenuisent lorsqu'on atteint le segment dorsal.

HYSTÉRÉSIS

Lorsqu'on soumet un disque intervertébral àla compression, puis que l'on relâche lacontrainte, on obtient un retour à l'épaisseurd'origine, dans un délai compris entre cinq etdix minutes.

DÉFORMATION ET RUPTURE

Vanneuville et coll. (1980) proposent unecourbe idéale qui représente les réactions dudisque à la compression: jusqu'à l'applicationd'une force de 600 newtons le disque se laisseaisément écraser, puis il devient beaucoup plusrigide, nécessitant pour les déformations quisuivent l'application d'une contrainte beaucoupplus intense. Suivant les échantillons et le niveauoù l'échantillon de disque a été prélevé, larupture se produira entre 3 200 et 4000newtons.

RÉACTION DU DISQUE À LA TRACTION

Le disque résiste également aux efforts detraction, en particulier ceux qui sont imposésà sa partie antérieure lors d'un effort d'extensiondu rachis, où à sa partie postérieure lors d'uneffort en flexion, La partie postérieure du disquerésiste mieux à la traction : par contraste, lapartie antérieure du disque se laisse moinsdéformer lors des efforts en compression.

Élasticité et points de rupture des ligamentsdu rachis

Le surtout ligament aire du rachis se composedes formations suivantes: ligament longitudinalantérieur (LLA), ligament longitudinal posté­rieur (LLP), ligamentum flavum ou ligament

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Li: ()W\.

L~"J!flld.,A v.1cr<lu 5

(L L 11)

FIG 3. - Aspect de la colonne ostéo-disco-ligamentaire, souli­gnons l'importance des moyens d'union passif.A noter la direction particulière des fibres du ligamentinter-épineux, oblique en haut et en arrière.

jaune à la partie postérieure du canal rachidien,ligament interépineux placé entre les apophysesépineuses, ligament surépineux placé très posté­rieurement le long des apophyses épineuses,ligament inter-transversaire entre les apophysestransverses (fig. 3, 4). La rupture d'un ligamentdu rachis se produit d'une manière assezparticulière décrite par Gaurel (1980). A l'in­verse d'autres structures ligamentaires ou tendi­neuses qui se rompent soudainement lorsque lemaximum d'extensibilité est dépassé par lacharge, les ligaments du rachis passent par deuxétapes successives: tout d'abord un premier picsignale l'allongement extrême du premier lot defaisceaux de collagène, et l'entrée en jeu desréserves. Puis un second pic signale la rupturecomplète de toutes les fibres.

Le tableau II reprend, pour chacune desstructures ligamentaires, l'apparition du premierpic de rupture.

Il est important de noter que, entre lesapophyses épineuses L5-S1, il n'y a plus deligaments inter épineux et le ligament sus­épineux se trouve remplacé par des fibres del'aponévrose lombaire. La structure la plussolide à ce niveau semble être constituée par lestendons des muscles spinaux.

Ann. Kin ésithér., 1989, t. 16, n° 1-2 61

FIG 4. - Aspect du ligament longitudinal antérieur, large, quilaisse voir par transparence les disques.

TABLEAU II. - Résistance à la traction des échantillons de

ligaments

Nom du ligamentValeur de rupture Déformation en

en newtonsmillimètre

LLA(niveau L3-L4)

5256,0LLA (niveau L4-LS)

5046,2LLP (niveau L2-L3)

4103,4LLP (niveau L3-L4)

3665,2Ligament jaune (niveau L3-L4)

5106,2Ligament inter-épineux (niveau L4-L5)

2703,5Ligament sur-épineux (niveau LS-SI)

1355,2

A noter également que le ligamentum flavum,ou ligament jaune, est une structure tout à faitparticulière, constamment précontrainte à 15 %de sa longueur d'origine, ce qui signifie qu'il nese détend complètement que dans l'extension.Morris (1973) a donné à ce ligament le nom de« syndesmose élastique », ce qui rend compte

Page 4: Biomécanique de la colonne lombaire - KINEDOC

~écanique des zygapophyses

Les articulaires postérieures, ou en terminolo­gie anatomique plus moderne « zygapophyses »paraissent mal adaptées à leurs rôles de supportd'une contrainte verticale. En effet, les surfacesarticulaires sont disposées verticalement, lessupérieures enfilées dans les inférieures à lamanière d'une série de pots de fleurs. Il s'agitd'articulations synoviales, ce qui signifie quelles

FIG 6. - Les contraintes verticales sont réparties entre lesarticulations intercorporéales et les zygapophyses. La répartitiondes contraintes n'est pas égale à chaque étage du rachis, et lesstructures qui dissipent cette énergie sont également trèsdifférentes:

a) l'orientation des zygapophyses change à chaque étage: enhaut une articulaire postérieure du rachis cervical, au milieu deuxarticulaires postérieures dorsales, en bas les articulaires posté­rieures lombaires;

b) résultat de la compression d'une colonne ostéo-disco­ligamentaire: dans la région D12-L11es articulations intercorpo­réales dissipent les deux tiers de la contrainte, c'est égalementle lieu où se produisent les fractures du mur antérieur. Plus bas,les zygapophyses acceptent 80 % de la contrainte, c'est la régiondu dos où se manifestent les lombalgies chroniques qui peuvent

parfois être attribuées à une souffrance des capsules articulaires.

62 Ann. Kinésithér., 1989, t. 16, n° 1-2

FIG 5. - Dissection de l'espace L5 SI qui souligne l'épaisseurdu ligamentum fiavum (ligament jaune). Plus épais à la basede la colonne vertébrale, ce ligament varie d'épaisseur entre75 mm et 50 mm. Il renforce antérieurement les capsulesarticulaires des zygapophyses.

de son rôle très important d'union solide etélastique des pièces osseuses du rachis (fig 5).

Répartition des contraintes entre lesarticulations intercorporelles et articulairespostérieures

De nombreux auteurs se sont attachés à

dissocier les valeurs de contraintes dissipées parle disque intervertébral et celles qui s'appliquentà la double colonne des articulaires postérieuresdu rachis. L'intensité des contraintes mesurées

ou inférées augmente à mesure que l'équipementdevient plus performant. Pour Nachemson(1940) les articulaires postérieures ne suppor­taient que 20 % de la contrainte verticale, maisil s'agissait d'une évaluation par soustraction.Cet auteur mesurait les contraintes interdis tales,puis attribuait aux articulaires postérieures cequ'il n'avait pas pu mesurer. L'utilisation detransducers permettant de mesurer les déplace­ments micrométriques des pièces osseuses enréponse à une contrainte appliquée verticale­ment a permis à Vanneuville et coll. (1980) puisYang et King (1984) pour la contrainte appli­quée aux articulaires postérieures des valeurscomprises entre 25 et 47 % de la contraintetotale. Ce facteur mécanique peut expliquercertaines lombalgies distinctement ressentiesdans les articulaires postérieures (fig. 6).

a b

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FlG 7. - Vue inférieure de l'articulation L3-L4. Noter laverticabilité des surfaces articulaires et l'épaisseur du ligamentjaune qui constitue le revêtement postérieur du canal rachidien.Noter également que l'apophyse épineuse est incurvée. Nous avons

fréque,mment retrouvé cette disposition anatomique.

sont sensibles à 6 grammes de pression seule­ment et ne peuvent opposer aucune résistancepar friction. Lors d'une extension, la surfacearticulaire supérieure dérape vers le bas et sonmouvement est arrêté par la partie inférieure dela capsule articulaire. Cette capsule n'est pas trèsépaisse, environ 2 millimètres, mais elle estrenforcée à sa partie inférieure par un épaismatelas graisseux et souvent une Jormationméniscoïde qui permet sans doute d'absorberune partie de la contrainte. A l'extrême, lavertèbre supérieure va s'appuyer sur le « parsinterarticularis » de la vertèbre inférieure. Yanget King (1984), ayant soumis les «zygapo­physes» à une compression progressive, ontnoté la rupture de la capsule pour une valeurde 6 000 newtons. Il n'y avait toujours pas defracture osseuse.

A la partie supérieure à l'articulation, lacapsule est renforcée par un épais matelas defibres diagonalement issues du ligamentumflavum. Ce rempart constitue la berge latéraledu canal rachidien (fig. 7).

A la partie postérieure, la capsule se trouve

Ann. Kin ésithér. , 1989, t. 16, na 1-2 63

Anter.

LExt.

2m~

FlG 8. - Cette figure composite résume la réflexion engagéeaujourd'hui sur les zygapophyses : il existe un segment coronairechargé de résister aux efforts de flexion du rachis lombaire, etun segment sagittal chargé de résister aux contraintes en rotation.A la partie postérieure, le muscle multifidus s'attache sur la partiepostérieure de la capsule articulaire. Un bourrelet graisseuxrenforce la partie inférieure de cette capsule.Des contraintes répétées sur un matériau de type cartilage, lesfissures apparaissent à 2 mm à l'intérieur du matériau, ce quiexplique l'aspect intact en superficie de ce cartilage, et le fait qu'ils'arrache du lit osseux.

renforcée par la terminaison des fibres mus­culaires du multifidus de chaque étage, musclesissus de l'apophyse transverse immédiatementsupérieure (fig. 8). Les examens de tomographiescanner ont permis d'étudier la forme dessurfaces articulaires des zygapophyses, celles-cisont en règle générale :a) non symétriques entre le côté droit et le côté

gauche;b) mal congruente ou non congruente.

Très souvent la surface articulaire inférieure

comporte deux rayons de courbure, ce qui divise

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FIG9b FlG 9c

FIG 9. - Emboîtement vertical des zygapophyses du rachis lombaire:a) cliché scanner d'une pièce de dissection, montrant la désharmonie qui existe entre les deux massifs articulaires postérieurs.b) cette zygapophyse montre de manière claire la séparation entre le segment coronaire et le segment sagittal.

La verticabilité des zygapophyses lombaires est mise en évidence. Cependant, sa structure accepte et dissipe une très grande partiede la contrainte verticale.

l'articulation en un segment antérieur dans leplan sagittal (fig. 9).

D'un point de vue mécanique, chacune desmoitiés de l'articulation semble jouer un rôledifférent. Le segment coronaire résiste au glisse­ment antérieur de la vertèbre susjacente, commel'a montré le travail de Twomey (1987) qui amis en évidence l'existence fréquente de réac­tions trophiques osseuses en cette partie del'articulation (fig. 10). Quant au segment sagit­tal, plus ou moins orienté antéro-postérieure­ment, sa destinée mécanique semble être derésister aux contraintes en rotation. Les travaux

de Twomey ont également révélé la présencefréquente de délabrement du cartilage dans lesegment coronaire de l'articulation. Le cartilageest fissuré et parfois détaché du lit osseux. Cecicorrespond à une réalité mécanique: lorsqu'onapplique une contrainte répétée à un corpssolide, il se produit une surpression localisée àenviron deux millimètres à l'intérieur de ce

corps, avec séparation des fibres. Ceci se nomme

FIG 10. - Anomalie démontrable du complexe ligament jaune­zygapophyse : on voit distinctement des fissures dans le ligament,et un séquestre de cartilage.

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« délitage» lorsqu'il s'agit de métaux. Ladureté Vickers du cartilage correspond à celledu polyéthylène. Les fractures internes ducartilage sont des phénomènes connus dansd'autres articulations.

Mouvements isolés des vertèbres lombaires

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Ce segment L5-S 1 possède également la plusgrande liberté en rotation axiale de toute lacolonne lombaire, 6 degrés goniométriques. Ilest par contre de tous le plus bridé en inclinaisonlatérale, seulement 4 degrés goniométriques. Lamobilité du segment L5-S 1 est également miseen évidence car la différence qui existe lorsqu'onrecherche l'indice de Schober à partir de lavertèbre L5, ou bien à partir de la vertèbre S1(Poumeyrol 1987).

TABLEAU III. - Indice de Schober mesuré sur une populationde rameurs N = 25

Ces mesures montrent que l'indice de Schober mesuréà partir de la vertèbre L5 ne permet pas de déceler latrès grande mobilité de la charnière lombo-sacrée. Bienentendu la sollicitation de flexion antérieure du tronc chezles rameurs risque d'accroître cette mobilité de lacharnière lombo-sacrée. Il semble pourtant nécessaire des'assurer que l'on prend comme base d'un indice deSchober le plateau supérieur de la vertèbre SI, sinon unepart importante de la mobilité rachidienne lombaire resteinexplorée.

La colonne lombaire se caractérise par unemolibité quasi nulle en rotation axiale (entre 2et 6 degrés goniométriques), une mobilité trèsmodérée en ce qui concerne l'inclinaison latérale(entre 4 et 10 degrés goniométriques), et unemobilité importante antéro-postérieure dans ceque nous nommons couramment flexion-exten­sion (entre 10 et 20 degrés goniométriques). Dèsl'abord, il est remarquable de voir que c'est lesegment L5-S1, mal pourvu en ligaments commenous l'avons vu plus haut, qui fournit la valeurla plus importante de flexion-extension: 20 de­grés, c'est-à-dire 5 degrés de plus que le segmentqui le suit immédiatement, l'espace L4-L5 (fig.11).'

Site de la mesureA partir de L5A partir de SI

X14,0215,36

s0,720,86

=7%

FIG 11. - Pourcentage desfiexions et extensions attribuables aux

différents étages du rachis lombaire. A noter que la plus grandepartie de la liberté articulaire réside dans les deux étagesinférieurs. Ceci renforce l'idée qu'il est indispensable de mesurerl'indice de Schobert à partir d'une pièce fixe, le premier segmentsacré.

Mouvement du complexe lombo-pelvien

Il est difficile, voire impossible, d'étudier lamécanique lombaire sans se préoccuper desmouvements de l'articulation coxo-fémorale, caril existe une «harmonie lombo-pelvienne»dont nous donnerons 3 exemples:

a) flexion antérieure du tronc: on est aisémenteffrayé par les calculs d'écrasement des disquesintervertébraux basés sur l'idée d'une «gruevertébrale» : l'auteur s'imagine qu'il est possi­ble de se pencher en avant en gardant lesmembres inférieurs à la verticale. Ceci est

strictement impossible. Le recul automatique dubassin lorsqu'un sujet se penche en avant assureque la projection verticale du centre de gravitéreste placée entre les deux pieds, le corps entierdans une position d'équilibre beaucoup plusfavorable que les dessins abusifs bien connus(Coquillou, Barrette) (fig. 12; tableau IV) ;

Page 8: Biomécanique de la colonne lombaire - KINEDOC

66 Ann. Kinésithér., 1989, t. 16, n° 1-2

Df LA ft DION TOUl!

FIG 12. - Recul du bassin normalement associé avec l'action de

se pencher en avant. Il est impossible de reproduire « in vivo»les dessins courants de la «grue humaine », qui prétendent fairese pencher en avant à un être humain à partir de membresinférieurs verticaux. Le recul du bassin se mesure goniométrique­ment à partir du mouvement de l'articulation de cheville.

normaux démontrent une accentuation de lor­dose à l'étage L5-S 1 lors de la rétroversion(17 sujets). L'exercice très courant qui consisteà tenter d'aplatir la lordose est donc plus difficilequ'on ne le pourrait imaginer de prime abord.Notez également que, même dans une positionde flexion maximale, le segment L5-S 1 reste enextension relative : les deux vertèbres ne se

placent jamais dans une position de « flexion »,elles diminuent l'extension;c) la combinaison des deux facteurs précédentsprésente un danger pour le patient porteur d'uneanomalie transitionnelle basse (spondylolisthé­sis) qui tente d'exécuter une rétroversion dubassin : il est forcé de produire au départ del'activité un recul du bassin automatique, ce quirecule la position du centre de gravité parrapport au soutien fourni par l'articulation dehanche (Vidal et Marnay; 1983). La modifica­tion du « couple-charnière» lombo-pelvien sefait au détriment de la stabilité de l'articulationL5-S1, avec accroissement des contraintes à cetétage ;d) en position assise, il est remarquable deconstater que, lorsqu'un sujet normal est assissur un siège habituel il n'y a en fait que, et30 degrés lombaires, qui se placent auto­matiquement en délordose lorsque nous sommesassis (Keegan, 1953); (MandaI, 1984).

Des mesures prises sur des repères osseux(Magnac, 1986) ont permis de vérifier cetteaffirmation (tableau V).

TABLEAU V. - Mesure de l'amplitude en flexion de la hancheN = 20

TABLEAU VI. - Mesure de la bascule du bassin N = 20

Ces mesures font apparaître le besoin d'unecorrection de supplément par bascule du bassin­et donc effacement de la lordose (tableau VI).

TABLEAU IV. - Déplacements postérieurs du bassin en cmN = 40

x sDépart postérieur du bassin en cm 13,60 4,66

b) la rétroversion active ou « vérouillage lom­baire» est un exercice qui fait appel à uneconnaissance du carrefour lombo-pelvien, or larécente étude de Vaysse et coll. (1987) montrequ'il existe des sujets normaux incapablesd'exécuter un mouvement de rétroversion dubassin (17 sujets sur 58). Certains ne présententaucune mobilité segmentaire L5-S 1 au cours derétroversion du bassin (6 sujets). Certains sujets

Assis 75°Assis 90°Assis 105°

Assis 75°Assis 90°Assis 105°

X46

64,1275,45

X21,4517,2721,57

s

9,5810,188,40

s

10,4510,228,28

Page 9: Biomécanique de la colonne lombaire - KINEDOC

FIG 13. - Modifications de la lordose lombaire en fonction dela position de l'assise d'un siège: L représente une lordose, Rreprésente la rectitude, C représente une cyphose. A noter que,lorsque le sujet est assis à 900, soit le dos est plat soit il est encyphose et dans les deux cas il y a augmentation de tension desurface dans le segment lombaire. Lorsque le sujet est assis surun siège à assise inclinée antérieure, les conditions mécaniquessont plus favorables (d'après Magnac, 1986).

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20 sujets

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L R C

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L R C

17

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Ann. Kin ésithér., 1989, t. 16, na 1-2 67

K3CV1

K2K1

Cv2

zFIG 14. - Modèle mécanique du comportement viscoélastiquedela colonne vertébrale: en K1 et K2, modélisation de la raideurà la traction manifestée par les fibres de l'anulus;en K3, rappel élastique du ligamentum-flavum;en K /' m, rappel en traction élastique de la masse des ligamentsinterépineux et surépineux entre les deux corps vertébraux (Cv1et Cv2), le nucléus-pulposus fonctionne comme un pistonhydraulique amortisseur qui dissipe l'énergie; en Z, la ligne descontacts des zygapophyses représente un contact quasi-indéfor­mable.A noter que les portions élastiques représentées « K» sontmodélisées en ressorts à traction qui se laissent allonger etrestituent l'énergie emmagasinée en tirant vers leur longueur derepos. La mise en tension constante de ces éléments de tractionélastique fait varier la tension de surface et s'apparente donc àla pathologie de la position extrême décrite par Troisier.Les nécessitésde la modélisation nousfont assimiler les ligamentscommuns vertébraux antérieurs et postérieurs aux tractions K1et K2 de l'anulus fibrosius.K (Kelvin) symbolise un ressort idéal, dont les caractéristiquessont la rigidité et la compliance.

Ces chiffres nous montrent qu'il reste quelquepart dans le bas du dos un rattrapage de jeu dontnous n'avons pas encore localisé le site. Utilisanteux aussi des repères osseux, Bendix et Biering­sorensen (1983) ont pu conclure que l'adaptationà la position assise se fait pour 2/3 dans lesarticulations de hanche et pour 113 dans lacolonne~vertébrale (fig. 13).

Conclusion

Organe complexe doué d'une mécaniqueparfois déroutante, le segment lombaire durachis doit concilier des exigences de stabilité,mobilité et transmission des forces. Cet aperçu

de la complexité du fonctionnement ne fait queprésager des contraintes et cisaillements qui semanifestent aux deux extrémités, dans leszones-charnières qui le délimitent. Il sembleaujourd'hui évident que, d'un point strictementmécanique, les articulations postérieures onttoutes les raisons d'être à l'origine de nom­breuses lombalgies.

La colonne vertébrale humaine, peu propul­sive, nécessairement très stable et chargéed'amortir ou de dissiper chocs et contraintes,doit être conçue comme une unité complexeostéo-ligamentaire dont les propriétés viscoé1as­tiques (fig. 14) ne doivent jamais être négligéeslors de l'analyse d'une condition algique, nonplus qu'en déterminant les dominantes dutraitement à poursuivre.

Page 10: Biomécanique de la colonne lombaire - KINEDOC

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68 Ann. Kin ésithér., 1989, t. 16, n° 1-2

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