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Bipolarité, Mon Amie… Philippe BARATIER

Bipolarité, Mon Amie

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Bipolarité, Mon Amie…

Philippe BARATIER

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Bipolarité Mon Amie

Texte et aquarelles de

Philippe BARATIER

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Copyrights © 2019 - Philippe BARATIER

ISBN : 9 781 696 172 387

Site Internet :

https://bipolarite-mon-amie-56.webself.net/

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A Laura, Natacha and Guillaume, Mes enfants d’amour

A Deborah, mon grand amour

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Ne pas perdre l’espoir,

Quand le soleil se couche,

Les étoiles se lèvent…

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Introduction

Je m’appelle Philippe BARATIER. C’est mon vrai nom. Je suis bipolaire depuis 20 ans. Ce livre pour partager mon aventure, pour diffuser mon expérience. Je l’ai écrit à l’attention des bipolaires qui entrent dans la maladie et qui ont besoin de conseil, à leur famille et à leurs amis qui veulent savoir exactement ce qu’est la bipolarité, et aussi aux scientifiques, psychiatres et psychothérapeutes, parce que je donne une interprétation à cette maladie. Je veux échanger au sujet de mon analyse.

Le livre comprend quatre parties : - La première relate mes aventures en crise.

C’est une partie assez drôle parce que mon

comportement en crise est très étonnant et

incroyable. Tout ce qui est écrit est

absolument vrai. Cela peut donner une idée

de ce qu’est la maladie bipolaire, et plus

particulièrement de ce que peut être le

comportement déjanté d’un bipolaire en crise

maniaque.

- La deuxième est un guide. Elle décrit les

signes de la maladie, les phases maniaques et

dépressives et la façon dont je gère les

différents états de la maladie. Je décris aussi

les outils médicaux que j’utilise.

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- La troisième propose une interprétation.

Qu’est-ce que la bipolarité ? Comment elle se

réveille ? Quel est son but ? A-t-elle un sens ?

Et même, est-elle une maladie ou bien une

opportunité ?

- La quatrième est une conclusion. Considérant

l’analyse présentée dans ce livre, quel futur

puis-je imaginer pour ma vie de bipolaire ?

Que dois-je considérer ? Que puis-je essayer ?

Quel est le challenge ?

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Partie I – Les aventures d'un bipolaire

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Vous avez dit bipolaire ?

Je suis bipolaire.

Bipolaire ? Qu’est-ce que ce mot veut

dire ? Dans la littérature médicale, cette maladie est souvent caractérisée par l’alternance de phases d’exaltation, d’activité intense et dispersée, et d’autres phases dites dépressives où le sujet se replie sur lui-même en proie à des idées noires.

Souvent on me dit… « Mais alors, tout le monde est bipolaire. Tout le monde alterne entre des phases d’euphorie et des phases de tristesse. Tenez, moi, par exemple… »

Je voudrais commencer ce livre par une illustration très concrète de ces phases exaltées et du délire qui peut l’accompagner. Une aventure que j’ai vécue, relatée conformément à la stricte réalité. Vous comprendrez que tout le monde n’est pas bipolaire…

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Voyage à Paris

Un samedi d’octobre d’une certaine

année…

Mon sommeil se fait rare, c’est un signe que je connais bien après une bonne dizaine d’années de bipolarité. Je vais voir ma psychiatre pour un contrôle. Elle est inquiète. Elle ajuste le traitement et me conseille de me reposer.

Le lendemain, tôt le matin, je vais me ressourcer dans les collines, à l’Hostellerie de la Sainte Baume. A quelques centaines de mètres au-dessus, c’est la grotte où Sainte Marie Madeleine aurait fini ses jours. Après la passion du Christ, elle aurait eu à fuir les persécutions des chrétiens et aurait traversé la Méditerranée avant de venir s’échouer au village des Saintes Maries de la Mer. De là, elle aurait migré vers l’est jusqu’à cette fameuse grotte où elle aurait vécu quelques temps avant de s’éteindre. La basilique de Saint Maximin toute proche renfermerait les cendres de la sainte, c’est le troisième lieu saint de la chrétienté.

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Il règne autour de l’Hostellerie une atmosphère particulière, rare, sacrée. Les grands arbres semblent les piliers d’une cathédrale naturelle. On y marche comme dans une chapelle. Le silence est d’or, surtout vers cinq heures du matin quand les touristes sont encore dans les bras de Morphée. Sans faire référence à une religion particulière, je m’y recueille, j’harmonise les énergies de mon corps, je le vide de tout ce qui est inutile.

A ce moment, je n’ai aucune idée précise du programme de ma journée, mais je connais mon état. Dans cet état, nul besoin de programme, seulement suivre ses sens, laisser l’action se dérouler et la vivre pleinement. Pour l’instant, la séance de recueillement est terminée et les villes de la vallée de l’Huveaune m’appellent.

Il fait encore nuit quand je rentre chez

moi. Là, j’écris une lettre. « Monsieur le Préfet, La communication entre le citoyen et le président de la république ne fonctionne pas. Faute grave. Je demande le licenciement immédiat du président de la république. Cordialement, Philippe BARATIER »

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C’était vrai que la communication ne fonctionnait pas entre le citoyen et le président et c’est vrai que c’était grave. Mais c’était idiot de demander à un préfet de licencier un président de la république. C’est le président qui nomme le préfet, pas le contraire. Qui nomme le président ? C’est le peuple français, c’est donc à lui qu’il revient directement le pouvoir de le foutre dehors, mais comment ?

Ce qui est sûr cependant, c’est que ce geste d’écrire la lettre et de la poster chez le préfet me fait du bien. Je me sens soulagé. D’un certain côté, j’ai le sentiment du devoir accompli. Ensuite, j’ai eu l’idée d’aller chez La Chaîne Marseillaise (LCM) pour faire le point sur mes activités politiques et notamment ma campagne électorale pour devenir président de la république.

Les studios de la rédaction sont derrière la gare Saint Charles. J’arrive à LCM, mais les lieux sont bouclés. Pas âme qui vive dans les studios. Non loin de là, un groupe d’artistes délire sur le thème d’une pièce qu’ils vont bientôt jouer. Je les appelle. Je leur demande à quelle heure ouvrira la chaîne. « Pas aujourd’hui ! C’est le weekend ! » me répond l’un. « Ou alors beaucoup plus tard… » rectifie l’autre en faisant la moue. « OK merci ! »

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Je ne peux pas compter sur LCM. Il va falloir trouver autre chose. La France est en danger, je dois agir sans délai…

Que faire ?

Soudain l’évidence ! Mais oui, l’action se déroule à Paris. C’est là que réside le malfaisant, c’est de là, de son bunker présidentiel qu’il peut déclencher le feu nucléaire.

Les premiers rayons du soleil lèchent délicatement les façades de la chaîne marseillaise. Je me retourne. Là, devant moi, la gare Saint Charles. Et dans cette gare, des dizaines de TGV prêts à bondir sur les rails en direction de Paris.

Pas un instant à perdre. J’entre dans la gare et consulte le tableau des départs. Fantastique ! Prochain voyage pour Paris dans 20 minutes. Je prends la direction du quai concerné. Le train est là, seize voitures. Je les remonte une à une jusqu’à la tête du convoi. La porte de la première voiture est ouverte. Première classe. Quelques personnes sont déjà installées.

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Je redescends sur le quai et m’aligne parallèlement au train, face vers Paris. Je me signe et pose un genou à terre. Génuflexion. « Seigneur, je vais avoir besoin de toi ». Je n’ai rien sur moi qu’un petit pull rouge. Je n’ai pas pris de veste, ni de sac, ni de portefeuille, ni de papiers. Juste un peu d’argent dans une bourse au fond de ma poche.

Obsédé par ma mission, j’en ai oublié d’acheter un billet. Mais ce détail insignifiant ne m’effleure pas l’esprit un instant. Mon monde est celui de la gratuité, de la générosité, du partage. Que l’on ne vienne pas me prendre la tête avec des questions d’argent !

Les minutes s’écoulent tandis que le ciel prend la belle couleur bleue que l’on connait si souvent en Provence. Appel en gare, on signale le départ du train. Je m’installe dans un fauteuil de première classe. Une jeune et jolie femme passe à mes côtés, une valise à la main. Jupe courte et hauts talons, elle s’adresse à la chimie subtile qui fait de moi un mâle. Je ne perds pas un pixel de la scène. Le rythme de mon cœur s’accélère. Sera-t-elle ma proie ?

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Du calme ! L’heure n’est pas à la gaudriole. N’oublions pas la mission. Restons concentré. Je respire plusieurs fois avec de grandes amplitudes. La jeune et jolie femme passe peu à peu dans mon oubli. Le TGV, quant à lui, démarre. « A nous deux, Président funeste ! Tu vas voir à qui tu as affaire… »

A ce stade, je ne sais pas très bien comment je vais neutraliser l’infâme, le misérable objet de ma colère. Mais une idée s’impose à moi. Je rêve de jeter l’indigne président dans la Seine. Un grand vol plané, un grand plouf dans le fleuve et régalez-vous les truites et les canards.

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Ce serait pour sûr le meilleur moyen de se débarrasser de ce nuisible qui ne pourrait se remettre d’avoir été ainsi ridiculisé. Je me vois l’envoyer dans les airs au-dessus du parapet. Je vois ce triste sire se débattre dans les airs avant de s’écraser sur les eaux du fleuve dans une immense gerbe d’écume.

Le train a commencé son parcours, traversant cette France que j’aime tant. D’abord, la Provence avec ses pins et ses collines blanches. Combien de randonnées n’ai-je pas fait dans ces lieux magiques ? Les plus belles à mon goût : les sources de l’Huveaune, les crêtes de la Sainte Baume, le Latay, les sentiers du littoral, … Partir le matin avec ses chaussures de marche et un sac à dos. Se remplir les yeux des couleurs du mois de mai, les narines des senteurs de toutes ces fleurs nouvelles qui clament en chœur la résurrection de la nature. S’arrêter à midi sous un pin. Sortir les sandwichs et la bouteille de vin. Déguster le jambon cru et le fromage de chèvre tout en contemplant l’horizon et ses collines. Laisser le vin faire monter l’ivresse, laisser le sommeil vous envahir, partir pour une demi-heure au pays des songes caressé par les rayons du soleil qui filtrent à travers les aiguilles d’un pin. Se réveiller en pays inconnu et doucement reprendre le sentier…

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Ça, c’est pour la randonnée en solitaire. Déjà un grand plaisir. Mais, la randonnée à deux, c’est encore mieux. Surtout quand votre partenaire est une charmante jeune femme qui a une grande envie de célébrer le renouveau de la nature. Apporter sa pierre à la fête du printemps. Commencer par se laisser bercer par la beauté des lieux, se laisser enivrer par les senteurs de toutes les fleurs qui appellent les abeilles. Lui prendre la main et voir si ça lui fait plaisir. Sourire en plongeant votre regard dans le sien. Lui parler de la vie des collines, aux temps anciens. Lui chanter de belles chansons. Ferrat, Brassens. Trouver un lieu un peu à l’écart des sentiers balisés pour le pique-nique. Célébrer chaleureusement l’apéro et bien arroser la généreuse salade que vous lui avez concoctée. Pommes, noix, gruyère, jambon, raisins secs, tomates, riz…

Lui parler du caractère incontournable de la sieste. La laisser s’allonger, se détendre. Et là, trouver le lieu de l’impact, le lieu de son corps où avec la plus grande délicatesse, comme l’avion qui touche la piste, vous allez poser un baiser.

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Une fois arrivé là, vous pouvez souffler un peu. Si tout se passe bien, elle prendra le relais et vous sentirez bien vite ses mains sur votre nuque, les baisers commenceront à pleuvoir, goutte à goutte d’abord puis de façon plus dense comme dans une averse, voire comme un phénoménal orage en cas de printemps exceptionnel.

Pour la suite, il n’y a pas à réfléchir. Si la belle a été bien préparée, le reste coulera de source. Notre Seigneur a bien fait les choses. Et plus on est dans la nature, plus on se lie avec nos origines, nos racines, ce qui nous a construit, plus les choses se font naturellement…

Le train poursuit son chemin joyeusement à travers la France. Les campagnes d’Aix, Valence et Lyon défilent sous les yeux des voyageurs. Cette France-là est plus agricole. Des vaches se tordent le cou pour nous voir passer. De clocher en clocher, les voyageurs sont portés par cette prodigieuse machine qui les emmène vers Paris à toute allure.

Le temps est compté. Dans moins de deux heures, je serai sur la cible. J’ai conscience de la responsabilité qui pèse sur mes épaules. Je suis le sauveur de la France. Je vais la libérer de ce président malfaisant, de cette épée de Damoclès qui pointe sur la tête de tous mes concitoyens.

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Ma mission est très importante, je dois réussir. Je sais que les forces célestes m’accompagnent. Même s’il semble que j’ai peu de chances de réussir, Dieu est avec moi, c’est une certitude. Sinon, pourquoi serais-je si sûr de moi ? Je suis déterminé, mais calme. Au fond de moi, une grande sérénité.

Faire sortir le nauséabond président du Palais de l’Elysée, le conduire jusque sur un pont bien choisi, lui faire faire le grand saut, ça ne va pas être de la tarte. Surtout que ce nain, comme l’appellent certains, est gardé comme un précieux trésor. Il va falloir la jouer fine.

La belle femme à la jupe courte et aux talons hauts se lève. Elle marche en ondulant dans ma direction. Féline, sportive, la poitrine gonflée sous son corsage, elle fait monter la mayonnaise. Elle me jette un regard accompagné d’un léger sourire. Je suis en émoi. Ça bouillonne. C’est la fête à la testostérone.

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Calme-toi, Philippe ! Ce n’est pas le moment. La femme passe à ma hauteur et file vers les toilettes. Attention ! Pas d’erreur sur la mission… Le sort de la France est en jeu. Pour la deuxième fois, la raison prend le dessus sur cette folie qui habite mes entrailles les plus profondes. Mes instincts animaux ont été domptés. C’est terrible d’être sensible à ce point au charme des femmes.

Désormais, le train sillonne la Bourgogne. Autour du train qui file, de grands crus : Vosne-Romanée, Gevrey-Chambertin, Pommard... Ça fait rêver. C’est aussi ça la France, des choses infiniment douces au palais. J’imagine un bon repas partagé avec mon meilleur ami, une côte de bœuf, quelques pommes de terre à la braise et une bonne salade. Le tout accompagné d’un de ces nectars de Bourgogne amoureusement conservé et vieilli.

Soudain, jaillissant de la porte arrière de la voiture, le contrôleur. Un bonhomme rond, la trogne bien rosée, le tout surmonté d’une casquette règlementaire. Il vient vers moi. Pas d’échappatoire possible.

- Billet, s’il vous plait !

- Désolé Monsieur, je n’en ai pas. Parti un peu

vite ce matin…

- Vous en achetez un présentement ?

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- Désolé à nouveau, je n’ai que très peu

d’argent sur moi…

- Une carte d’identité peut-être ?

- Restée dans la voiture avec le portefeuille…

- Je vois, dit le contrôleur, une main sur le

menton. Voyons ! Combien avez-vous en

poche ?

Je fouille dans mes poches et fais mes comptes.

- Tout compris, ça devrait faire dans les 50

euros.

- Pas lourd ! répond le contrôleur. Vous savez

combien ça coûte un Marseille-Paris en TGV

en première ?

- Bien plus cher que 50 euros, je pense…

- Comme vous dites, mon ami ! Mais bon, on

n’est pas des sauvages. Je vous confisque la

somme, je vous expédie vers la seconde

classe et nous sommes quittes. Ça vous va ?

- Ai-je le choix ?

- Pas vraiment et n’y revenez pas, je ne serai

pas toujours de bonne humeur…

Le contrôleur me salue et disparait avec mes 50 euros. Je n’ai plus un sou sur moi. La partie va être de plus en plus serrée.

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Plus que quelques dizaines de minutes avant d’atteindre Paris. Je dois travailler mon scénario. Comment extraire le bougre de sa forteresse ? Comment le conduire sur le pont ?

Une idée me vient. Frapper à l’Elysée et demander à voir en urgence le Président de la République pour un problème lié à la sécurité de l’Etat. Un problème gravissime lié à un péril imminent. Affirmer que je ne peux en parler qu’au Président lui-même et en personne. Attendre le temps qu’il faut et ne pas céder. Exiger un entretien confidentiel.

Ils me demanderont ma carte d’identité que je n’ai pas. Mais je leur donnerai mes vraies coordonnées. L’informatique résoudra ce problème facilement. Ils ne verront rien de suspect sur leurs fiches, si ce n’est que je suis ingénieur, habilité confidentiel défense, avec des références dans le domaine de la sécurité du territoire. Mon pedigree les mettra en confiance et rendra mon histoire plausible. Surtout rester calme et déterminé.

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Une fois l’entretien obtenu avec le Président, lui raconter une fable comme quoi des agents malveillants seraient infiltrés à l’Elysée et dans l’armée. Un corps d’élite auquel j’appartiendrais aurait découvert le complot, l’infiltration serait très avancée, le coup d’état imminent. L’assassinat du chef de l’Etat lui-même serait programmé, voire en cours d’exécution. Il n’y aurait pas un instant à perdre. Et je l’inviterais à me suivre en sortant par une porte dérobée pour une évacuation discrète et efficace.

La partie est certes délicate à jouer. Il faudra arriver à persuader tous les étages, mais je sais que je peux compter sur deux alliées précieuses, leur paranoïa et leur mégalomanie. La plupart de ces oiseaux noirs qui tournent autour du pouvoir se croient le centre du monde, ils font tellement de crasses aux uns et aux autres qu’ils sont persuadés que chacun veut les exterminer. Ce pourrait être une partie de billard.

Dernière méditation dans le train. Arrivée en vue.

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Les portes des voitures s’ouvrent sur le soleil parisien. J’ai le cœur léger comme mes poches. C’est la grande allégresse, je sautille d’un pied sur l’autre en chantant, je sais que mon action est belle, juste et qu’elle va réussir. Je passe par les quais de la Seine contemplant le théâtre de ma future action d’éclat et jette un œil complice à chacun des ponts que je traverse.

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Soudain, je ressens la proximité d’un lieu fort qui me parle. Là, à deux pas, se tient, au milieu de l’île de la Cité, le Palais de Justice de Paris. Une civilisation qui a des palais de justice n’est-elle pas une société avancée et juste ? Ici, je pourrai trouver de l’aide. J’imagine un petit tribunal de campagne monté sur le Pont Notre Dame pour juger sommairement le bourreau de l’Elysée. Il y en aurait des chefs d’accusation contre lui. N’a-t-il pas fait assassiner un chef d’état africain pour des raisons nauséabondes ? Ne va-t-il pas contre la volonté du peuple avec sa métropole à la noix ? Pourquoi dresse-t-il les uns contre les autres sans arrêt ? Et mon courrier ? N’est-il pas informé de ce que le président est tenu de répondre à son courrier ?

Je me vois bien dans la peau du procureur, harcelant l’infâme responsable de la république française, le mettant face à ses crimes et tendant un doigt vengeur vers la Seine. Un procès, juste un petit procès, pas plus d’un quart d’heure, on le juge et on le passe par-dessus le garde-fou.

Guilleret, je passe le pont Notre Dame en

direction du Palais de Justice. Devant le bâtiment, deux policiers sont en faction.

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- Pardon messieurs, je suis en mission spéciale,

une mission qui demanderait la contribution

immédiate de personnels de justice. A qui

puis-je m’adresser ?

Les deux policiers se regardent l’un l’autre, un peu embarrassés, puis, l’un d’entre eux me répond :

- Cher Monsieur, voyez-vous, aujourd’hui, c’est

samedi et tout est fermé ici. Revenez lundi

matin, vous aurez plus de chance de trouver

votre bonheur…

Ma tête s’incline. J’aurais tant aimé partager ces moments forts avec eux, les gens de la justice. Pour sûr, ils m’auraient aidé, ils auraient eu des idées pour la mission. Mais bon, on ne va pas se laisser abattre.

- Merci Messieurs et bon weekend !

Me voilà reparti vers l’Elysée. Je ne sais pas pourquoi, mais cette idée de complot me parait très délicate à mener à bout. Tout en marchant, je laisse mon esprit échafauder d’autres solutions…

Soudain, c’est l’éclair. Ça y est, cette fois, c’est la bonne !

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En effet, cette fois, le scénario est imparable. Je vais encercler l’infâme. Comment ? En mettant à profit toutes les ressources de colère de Paris. Combien sont-ils ces SDF à qui le président a promis la lune et qui n’ont jamais rien vu venir ? Combien sont-ils à dormir dans les rues alors qu’il avait promis un toit pour tous ? Moi, Philippe BARATIER, le sauveur de Paris, je vais aller les voir ces malheureux et je vais les inviter à faire avec moi le siège de l’Elysée…

Mais ce n’est pas tout. Qui sont ces Indignés qui manifestent dans les rues de nos capitales ? Ne seraient-ils pas des ressources intéressantes ? Des gens qui veulent du changement, qui sont exaspérés par une certaine forme de pouvoir. Pour sûr, nous aurons des atomes crochus.

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Scénario bien compris. Autour de l’Elysée, je mettrai en place une couche de SDF, une couche d’Indignés, une couche de SDF, une couche d’Indignés et ainsi de suite… On concentrera surtout des forces au niveau des issues. On enfermera le président maudit dans sa forteresse. Des drones, des hélicoptères survoleront la scène et filmeront cette extraordinaire manifestation. On y verra l’infâme assiégé par une marée humaine, condamné à se rendre. Harassé par des jours de siège, il finira par céder. Il rendra les clefs de la forteresse. La France sera libérée… Le plan est au top. Exécution.

Commencer par un fin repérage des lieux. Je traverse le Jardin des Tuileries et débouche sur la Place de la Concorde. En face de moi, les Champs Elysées ouvrent leur perspective sur la Défense et sa nouvelle Arche. L’Elysée n’est pas loin, à quelques dizaines de mètres sur la droite. J’inspire un grand coup et prends le chemin du Palais de la République.

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Les premières grilles sont là et le président doit être juste derrière. A ce moment précis, quel coup fumeux est-il encore en train de préparer ? Il me tarde d’en découdre. Pourtant, je sais que le scénario choisi est long. Il faudra réunir du monde et c’est sur la durée que la victoire viendra. Ça ne fait rien, je saurai attendre et préparerai chaque détail méticuleusement.

Le long des grilles, il y a de la pelouse et

des enfants qui jouent sous le contrôle des mamans. Des oiseaux chantent et volent en quête de nourriture. L’un d’entre eux s’est posé tout près de moi. Ça m’amuse. Pour être à son niveau, je me couche sur le sol, dans l’herbe grasse et tendre. Il me regarde et s’écarte de quelques pas sautillants. Je le suis, il s’écarte encore. Il s’arrête, il m’observe. Tout doucement, je m’approche de lui. L’oiseau agite sa petite tête. Que se passe-t-il ? Je m’approche encore et le voilà qui panique et s’envole tout droit, bondissant au-dessus des grilles de l’Elysée.

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Tel un danseur de ballet accompagnant son étoile, je me laisse aspirer par le mouvement de l’oiseau et me voilà face au Palais maudit. Devant moi, une route à franchir. A droite, sur le goudron, un camion semble bourré d’électronique, sans doute pour détecter les intrus. Derrière le véhicule, une file de voitures grises et leurs chauffeurs. Une moto noire, son chevalier sur le dos, les précède. Dans mon for intérieur, je suppose que ce singulier cortège fait partie du dispositif de protection du président.

Au moment où je vais traverser la route,

le convoi s’ébranle dans ma direction. Ai-je le temps de passer ? Oui bien sûr, et quand bien même, autant montrer tout de suite aux sbires du président qui est le patron ici. Je m’élance avec le pas lent et assuré d’un seigneur. Ayant conquis ce petit espace de goudron, je tiens à affirmer mon autorité. Imperceptiblement, je ralentis ma marche, suffisamment pour que la moto actionne son frein. Je la gêne, elle klaxonne. Alors là, instinctivement, je fais un quart de tour à droite et me retrouve face à elle, je mime de ma main droite un simulacre de pistolet et tire fictivement sur le chevalier casqué. Puis, je dégage de la route la tête haute.

Arrivé sur l’autre côté de la route, tout

contre le Palais, une voix m’interpelle. Une voix des îles, celle d’un homme de couleur.

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Il est en uniforme, c’est un policier. - Hé Monsieur, qu’est-ce que vous faites ?

Je stoppe et me retourne vers lui. - Comment ça, qu’est-ce que je fais ?

- Ben oui, c’est dangereux de traverser comme

ça, vous auriez pu causer un accident avec la

moto…

- Mais non, ne vous inquiétez pas, je sais ce que

je fais.

L’agent me regarde. Je porte un pantalon de toile kaki, une chemise et un pullover. Des chaussures de ville noires. Ma silhouette est sportive. Avec les cheveux courts, j’ai vaguement l’air d’un militaire en vacances. L’agent ajoute :

- Qu’est-ce que vous faites ici ?

La question me surprend. N’a-t-on pas le droit de circuler où on veut à Paris ? Suis-je obligé de répondre ? Et que répondre ?

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Je le regarde. Ce policier n’a pas l’air d’un mauvais homme. Une bonne bouille des Antilles. Je m’interroge. Je n’aime pas mentir. Soudain, la lumière éclate. Quoi ? Cet homme est un don du Ciel. Il y a des centaines, voire des milliers de malheureux à convaincre, à organiser, à encadrer pour faire le siège. Et je suis tout seul. Et voilà que me tombe du ciel un homme instruit et formé, capable de guider ces pauvres gens, de les mettre en ordre de bataille. La messe est dite, je vais le rallier à ma cause et en faire un de mes meilleurs lieutenants.

Au fur et à mesure que je lui dévoile mes projets flambants, je vois le visage de cet homme se décomposer. Il ne comprend pas. Il en bégaye. Soudain, il prend son téléphone mobile et me demande de patienter un instant. En langage codé, il échange avec ses collègues. Peu à peu, une nuée d’hommes en uniforme convergent vers nous. Tous types d’uniforme, tous les corps sont représentés, des policiers en civil sont là aussi.

Dans mon for intérieur, je me dis : « Mais quelle merveilleuse petite armée suis-je en train de me constituer ! »

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J’ai l’impression d’être tombé dans une fourmilière. Chacun parle, note, échange. Les téléphones crépitent. De petits fourgons cinq places arrivent et se garent près d’eux. Collé contre les grilles de l’Elysée, je réponds aux questions qu’on me pose avec beaucoup d’amabilité. J’explique avec pédagogie, je veux que le message passe. Les policiers me traitent avec respect. Pour sûr, nous allons former une bonne équipe.

On m’invite à monter dans un des fourgons. Je prends place. Entouré de quatre policiers, je suis parmi les miens. Le véhicule démarre et nous entraîne dans les rues de Paris. Autour de nous à la terrasse des cafés, au gré des avenues, je sens déjà la révolution en marche. Je demande :

- Où allons-nous ?

- Nous allons vous poser quelques questions,

Monsieur, répond l’un des fonctionnaires.

- Très bien, déclarai-je sur le ton d’un colonel à

son aide de camp.

Je fais confiance à ces hommes formés à mater les révolutions. Qui mieux qu’eux pourraient encadrer la mienne ? Pourquoi ne pas avoir confiance en eux ?

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Le convoi s’arrête devant un petit immeuble gris. Deux étages tout au plus. Les fonctionnaires descendent du fourgon. Deux restent à mes côtés, le reste de la troupe entre dans le bâtiment. De nombreux véhicules arrivent et se garent eux aussi dans la cour. Chacun entre précipitamment. Un homme, de couleur lui aussi, plutôt jeune et petit sort de la construction et vient vers moi. Deux oreillettes blanches pendent de chaque côté de son visage qui affiche un sourire aimable.

Il me parle. A son intonation, on comprend tout de suite que c’est un homme de communication. Un interprète peut-être. Il est très doux, il s’exprime avec lenteur et clarté. C’est le genre d’homme dont on aurait tout de suite envie d’être l’ami, le genre d’homme qui séduirait facilement une femme. Il m’explique qu’il va y avoir un interrogatoire, mais que son organisation est un peu spéciale. En effet, les gens qui vont m’interroger sont nombreux et font pour la plupart partie des services secrets. Il n’est donc pas question que je sois en contact direct avec eux, ni que je vois leur visage. Lors de l’interrogatoire, je serai placé dans le petit fourgon tandis que mes nombreux interlocuteurs seront réunis dans une grande salle à l’intérieur du bâtiment. Une liaison radio par l’intermédiaire de l’homme de couleur assurera les échanges.

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- Très bien ! déclarai-je. Allons-y ! Quand vous

voudrez…

L’homme de couleur m’invite à monter dans le fourgon, puis parle dans son micro.

- Allo la base ! Ici, l’unité volante, nous sommes

prêts…

L’interrogatoire démarre. Pour moi, c’est quitte ou double. Soit ils me prennent pour un illuminé, soit je les séduis et alors toutes les portes s’ouvrent devant moi. Car parmi ces hommes qui m’interrogent, il en est de toutes sortes, mais surtout des gradés. Combien parmi eux en ont marre du président en place ? Combien voudraient changer de cap, retrouver la grandeur de la France, ses aspirations profondes ?

Les questions fusent. Ils veulent savoir qui je suis, d’où je sors, où je vais.

Je n’ai pas à rougir de mes origines. Mon père est ardéchois, il descend de la famille Montgolfier, les inventeurs de l’aviation. S’arracher du sol, flirter avec les airs, ça n’est pas rien. J’ai toujours eu la fierté d’appartenir à cette famille de génies. J’ai toujours voulu leur ressembler.

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Ma mère est parisienne, la fille d’un aviateur. Celui-ci savait démonter pièce par pièce un avion, déposer tous les composants sur un grand drap blanc, et le remonter en toute sécurité. Pas de quoi renier ses origines de ce côté-là non plus.

Devant mes juges réunis loin derrière le

micro de l’homme de couleur, je m’affiche sans détour. Je passe en revue ma carrière d’ingénieur, mes succès, mes doutes. Je leur parle de mes trois beaux enfants et de leurs aspirations, de l’amour que je leur porte…

Soudain, l’homme aux oreillettes m’arrête. Ils ne veulent pas en savoir plus sur moi, mais plutôt sur ce qui m’amène ici cet après-midi. Je m’explique.

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Le président funeste devient le centre du

débat. Je leur dis que pour moi, un chef d’état africain a été assassiné de manière suspecte. Que reproche-t-on à ce pays dont le leader avait tant redistribué les richesses ? Quel était véritablement le problème si ce n’est le financement de la campagne du président funeste ?

Je ne vois pas leurs regards, leurs attitudes. Rien ne me revient de ce qu’ils ressentent. Je ne sais pas sur quoi il faut insister ou non. Je continue donc en aveugle. Je leur parle de la façon dont le président gère son courrier, de toutes les lettres que je lui ai envoyées et qui sont restées sans réponse. Quel homme méprisant ! Sont-ils sensibles à ça ?

Je leur parle de tous ces miséreux à qui il a promis un toit, un abri et qui attendent toujours dans le froid. « Mais bon Dieu, on est au XXIème siècle. Ce n’est plus tolérable de supporter ça. Où sont ses priorités à ce gars-là ? »

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Je leur parle de tous ces maires de France, exaspérés de la construction de ces métropoles, de leurs manifestations. Je leur parle du référendum organisé au Pays d’Aubagne et de l’Etoile. L’Etat marche sur le peuple, va à l’encontre de ce qu’il a exprimé dans ses suffrages.

Je leur parle de ma campagne

présidentielle fraîchement commencée, j’expose mon programme, j’explique mes difficultés à réunir les 500 signatures. Les élus sont coincés dans une logique partisane. A plus de 80%, ils ne répondent même pas aux demandes d’entretien. La république est sourde.

Après une bonne heure d’entretien,

l’homme de couleur m’interrompt. - Il est temps de conclure, me dit-il.

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Je remercie chaleureusement tous ces fonctionnaires d’avoir fait leur travail, de m’avoir patiemment écouté. M’ont-ils compris ? Je n’en sais rien. Si, quand même, je pense que oui. Un peu comme à l’oral du bac, on sait si on a été bon ou pas. J’ai l’impression d’avoir un bon dossier et d’avoir été brillant. Tout dépend d’eux maintenant. Quelle est leur dose d’exaspération par rapport au président en place ? Sont-ils à bout ? Ai-je par mon discours mis le feu aux poudres ? Bientôt le feu d’artifice ?

Je sors du fourgon et fais quelques pas dans la cour. On m’appelle. Un homme vient me voir et me demande gentiment si j’accepterais de me faire photographier. Je n’ai rien à cacher. Que chacun fasse son travail. Ainsi, mon trois quarts profil est-il rentré pour la première fois dans des fichiers bien secrets, et Dieu seul sait quels commentaires accompagnent cette photo… Un jeune homme et une belle blonde viennent vers moi.

- Monsieur ! me dit le jeune.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

- Nous allons faire un mouvement, Monsieur…

- Où allons-nous ?

- Vous mettre à l’abri, Monsieur…

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Je le regarde fixement. Que cela signifie-t-il ? Le jeune homme me sourit. Je le crois rallié à ma cause. Ne suis-je pas le chef de la révolution ? D’ailleurs, je lui cherche un nom à ma révolution. « Voyons, reprenons le déroulement… Le vil président arrive sur le pont, nous l’attrapons par les mains et par les pieds et nous le jetons… aux canards ! Et pourquoi ne baptiserions pas notre mouvement la Révolution des Canards ? »

Chef de la révolution des Canards, en voilà un titre ! Il a raison ce jeune policier, il faut me mettre à l’abri. Le clan du président va se réveiller avec ses voyous de toutes sortes et ils vont vouloir me faire la peau. Autant faire confiance à ces hommes et à ces femmes qui s’intéressent à moi et à ma révolution.

Nous remontons dans le fourgon et

reprenons notre chemin à travers Paris. Dans les embouteillages, je plaisante avec mes compagnons d’aventure. Tout semble bien parti. La révolution des canards est en marche… Nous arrivons devant un grand bâtiment. Je suis invité à descendre.

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Plusieurs voitures de police nous ont suivis, décidément, mes amis révolutionnaires sont généreux dans leur protection. Nous pénétrons l’édifice, enfilons un après l’autre de multiples couloirs. Nous arrivons enfin à un grand bureau.

- Nous allons devoir patienter là, Monsieur, dit

le jeune policier.

J’aurais presque entendu…

- Nous allons devoir patienter là, Mon

Général…

Je remercie celui que je crois un complice de ma révolution, de mon coup d’Etat. Celui-ci me laisse seul dans le grand bureau et garde la porte avec sa collègue. Une ligne de policiers tient le couloir. Je n’ai rien à craindre.

Je me détends un peu dans cette vaste pièce et je me dis que peut-être le plus gros a été fait. Faire passer le message. Mobiliser des troupes fraîches et performantes pour que la lutte se propage. Rébellion des pauvres, rébellion des élites, rébellion des forces de l’ordre. Paris est sur le point de tomber.

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Dans un coin du bureau, un lit. Je m’allonge. Mon âme vagabonde. Sur une table, un stéthoscope. A côté, on a posé un ordinateur sur lequel défile en boucle un écran de veille. Toutes les trois secondes, un message glisse de la droite à la gauche de l’écran. « Toutes les félicitations des Bretons… »

Ce message m’interpelle. J’en connais des bretons, à la pelle. J’ai fait mes études supérieures en Bretagne, tout près de la pointe Saint Matthieu sur une presqu’île bordant le goulet de Brest. Six ans parmi les futurs ingénieurs, parmi tous ces cerveaux choisis pour être l’élite de la nation, la crème de la crème. J’en ai connu des bretons, de vrais résistants à notre civilisation moderne, des écologistes avant l’heure. Comment ont-ils réussi, tous ces amis d’antan, à me faire passer ce message sur l’ordinateur ici et maintenant ? Sont-ils eux aussi dans la lutte ? Allons-nous construire ensemble un monde nouveau ?

Les minutes passent, puis les heures. Les

deux jeunes policiers qui gardent la porte sont stoïques. Debout, ils attendent un signal du théâtre d’opérations. Je fais de même. La patience a toujours été ma force.

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La nuit commence à tomber. Soudain, une cloche retentit, puis deux, puis trois, puis… C’est un festival. Pourquoi un tel tonnerre d’églises ? Combien de cathédrales participent-elles à cet élan symphonique et mystique ? Je ne sais pas pourquoi mais cette grande orchestration catholique me met en joie. Mais oui, bien sûr. Le pape lui-même a réagi ! Il a été mis au courant de ma révolution et veut m’assurer de son soutien. « Merci à toi, Benoît le seizième ! »

Aucun doute. Le mouvement est en bonne voie. Ceux que j’ai convertis, tous ces policiers ont pour sûr poursuivi la lutte. A cette heure, le président a-t-il déjà fait le grand saut dans la Seine ? J’aurais tellement aimé assister à ça.

Je m’approche du jeune couple de

policiers qui veille sur moi, et j’en profite pour jeter un coup d’œil dans le couloir. Des infirmières y passent, toutes à leurs tâches. Je repense au stéthoscope. « Mais c’est bien sûr, nous sommes dans un hôpital. C’est là qu’ils ont choisi de me cacher. Ah la belle idée ! Jamais les sbires du malfaisant ne penseront à venir me chercher là… »

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Je m’allonge à nouveau dans le lit et attends. Soudain, deux hommes en blanc font irruption et me demandent de les suivre. Je ne comprends pas qui sont ces gens ni ce qu’ils veulent. Mais le jeune policier me dit qu’il n’y a pas à se méfier, que ceux-là sont avec nous. Je me laisse faire. Ils m’entraînent dans une ambulance à l’autre bout de Paris. La voiture s’arrête dans une cour. C’est un hôpital psychiatrique.

Soudain, je réalise que j’ai été trahi. Mon armée n’est pas une armée, mais des policiers faisant leur travail de policier. Ils ont su me faire parler pour remplir leurs dossiers, leurs fameuses fiches, puis ils m’ont confié aux médecins.

Suis-je vraiment malade ? Est-ce vraiment

moi le malade ?

Certes, je n’en suis pas à mon premier séjour en hôpital, certes j’ai été diagnostiqué bipolaire il y a déjà plus de douze ans. Mais Winston Churchill n’était-il pas bipolaire lui aussi ? N’est-ce pas lui le sauveur de l’Europe ?

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Ils m’enferment dans une cellule, tout seul. Les heures passent. Je finis par m’endormir. Au matin, je me réveille l’esprit frais. Je repense à ma trajectoire de la veille. La montée dans la Sainte Baume, montagne sacrée de Provence, la descente le long de l’Huveaune jusqu’à Marseille, le voyage en TGV vers Paris, mais qu’est-elle devenue la jolie voyageuse ? Le siège de l’Elysée, qui n’aura pas duré longtemps, puis cette drôle d’illusion, celle d’avoir réussi…

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Les médecins vont poser leur diagnostic, je le connais déjà : accès maniaque avec bouffées délirantes, tendances à la mégalomanie. Ils vont me garder un mois ou deux au chaud et ils vont me renvoyer chez moi.

Chez moi…

« Il est beau mon pays, le Pays d’Aubagne et de l’Etoile, un pays où les transports en commun sont gratuits. Ils ne savent pas faire ça, les parisiens ! Les parisiens, ils veulent tout contrôler chez nous, mais ils ne nous méritent pas. En fait, nous n’avons pas besoin d’eux. » « Tiens, d’ailleurs, c’est quand qu’on fait l’indépendance du Pays d’Aubagne et de l’Etoile ? »

Soudain, ce nouveau projet s’impose à moi. Je me prépare à être le défenseur de ce territoire. Ça veut dire que je dois penser à tout dans l’organisation. Les bidons d’eau. Les ressources nécessaires. La vitesse à laquelle devra se déplacer le groupe en cas de danger. Je dois me préparer à assumer cette grande responsabilité et je dois travailler mon propre corps pour cela. Le sommeil, le calme, la juste distance aux dépendances. Allongé sur mon lit, j’attends en pensant à tout ça. Et puis, on annonce un nouveau transfert.

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Troisième hôpital en deux jours. Henri Ey, cette fois. En arrivant, je suis accueilli par un homme très aimable qui se présente comme un maire d’arrondissement de Paris. Il me présente le service, ce à quoi nous avons droit et ce à quoi il faut faire attention. En tous cas, la déambulation silencieuse, de jour comme de nuit, est autorisée. Avec ce « maire », nous parlons politique bien sûr. Il me dit que bientôt un grand mur sera construit dans Paris pour protéger les honnêtes gens des populations à risques. Il en est désolé, mais rien ne semble plus possible pour les maîtriser. Cette vision me choque.

Le « maire » veut m’aider à me situer sur l’échiquier politique, et à mieux communiquer. Ainsi, me place-t-il au Centre Vert, Protection et Ecologie et voit mon emblème comme un chêne sur fond blanc. Peu à peu, l’idée du royaume d’Aubagne et de l’Etoile s’efface pour laisser place aux élections législatives. Je me vois déjà député. Dans ces moments-là, la difficulté qu’il y a à se faire élire sur une circonscription de 80.000 électeurs sans parti politique ne m’effleure pas même l’esprit et il s’impose comme une conviction première que je serai élu sans problème au premier tour.

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Un soir, alors que je vais me coucher, un homme m’interpelle. Le regard perdu, il me demande : « Monsieur, que pensez-vous… du suicide ? » Je comprends assez vite que cet homme est à bout et que son projet est d’en finir. Nous avons discuté longuement ce soir-là et puis les jours qui ont suivi aussi. Il était fâché avec sa femme, avec ses enfants, et de nulle part semblait pouvoir venir la lumière. Il était dans un trou noir. Je l’ai beaucoup écouté et puis je l’ai aidé à trancher, trancher provisoirement au moins de façon à redonner un peu d’air pur dans sa vie…

Il y avait aussi cette schizophrène qui

entendait des voix qui la persécutaient, le jour, la nuit. Elle venait me voir pour parler ou jouer au pingpong, ça la soulageait. Et cette belle jeune femme noire qui déambulait comme moi pendant des soirées entières dans les couloirs de l’hôpital, elle aussi avait besoin de parler, de se vider de ses pensées tristes, de reprendre pied sur des bases solides. J’ai aimé m’occuper d’eux. Ça m’a fait du bien à moi aussi.

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Trois semaines à Paris, enfermé dans un hôpital. Je marchais tant que je pouvais, de jour dans le petit jardin bétonné, de nuit dans les couloirs. Tout ça pour que les idées se remettent en place. Et la marche m’aidait à méditer, à réfléchir, à me calmer intérieurement. Et puis, il y eut le transfert vers Marseille. Huit cents kilomètres de voyage à travers les beaux paysages de la France. Deux infirmiers pour assurer la sécurité. A l’étape, on discuta politique, gratuité des transports.

J’arrive à Valvert, l’hôpital psychiatrique des aubagnais. C’est Alice, une grande et belle infirmière qui m’accueille. Je la connais, ce n’est pas la première fois qu’elle me reçoit. J’aime beaucoup cette femme. Il y a de la sensibilité et de la compassion chez elle, beaucoup d’intelligence aussi. Cette intelligence qui fait qu’elle ne refuse pas la relation avec le prétendu fou. Ils ne sont pas tous comme ça.

L’ambiance est morose à Valvert. Un

homme est mort la veille. Il est mort à la cantine, au milieu de tout le monde. Les aliments n’ont pas pris le bon chemin vers l’estomac. Fausse route. Il s’est effondré. Ça a été vite fini. Tout le monde accuse le coup. La confrontation à la mort n’est jamais simple.

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A Valvert, je suis en désaccord avec les psychiatres. On ne se comprend pas. Ils considèrent que mon action politique est un délire. Que mon projet de séquestrer le président dérange le préfet de Paris, je le conçois. Qu’il essaie de me faire interner, ça me parait logique. Qu’il y réussisse, ça me parait tout à fait injuste. Chacun a bien le droit de manifester. Ça fait partie des droits de l’homme.

Pourtant, le préfet y réussit parce que les psychiatres sont d’accord avec lui. Ces derniers considèrent que je suis en phase mégalomaniaque et délirante. Moi, je ne vois rien de tout ça. Pour moi, organiser des manifestations contre le président de la république est un projet tout à fait sensé. Aujourd’hui, les Indignés et les Sdf sont nombreux, il suffit de les organiser autour du palais présidentiel pour amorcer une force de frappe. Qui pourrait bien faire boule de neige, tellement le pays est las du pouvoir en place.

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Alors, enfermé dans mon hôpital, je continue à réfléchir. Si on m’interdit d’aller au contact frontal du président, j’envisage un autre type de manifestation, les pique-niques du lundi devant les préfectures. J’en parle au personnel soignant, aux familles qui visitent le site. Je poste des messages sur Facebook. Je contacte la presse. Le principe est simple. Chacun vient devant la préfecture le lundi à 12 heures avec son pique-nique et son tee-shirt. Sur les tee-shirts, on écrit ce que l’on veut exprimer à son président. Très simple et très joli tout ça, mais les psychiatres n’apprécient pas. De leur point de vue, je ne suis pas près de sortir…

Il m’a fallu deux mois pour comprendre que je devais laisser tomber tout ça. Laisser tomber ou bien rester enfermé ad vitam aeternam. Je me pose des questions sur le droit de l’homme à manifester, ici, en France.

Ou alors il y a peut-être quelque chose que je n’aurais pas compris…

Toujours est-il… j’ai fini par lâcher. Lâcher les manifestations, lâcher la séquestration du président. Je serai sage…

Et la porte de la sortie s’est ouverte…

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Retour aux sources

Etrange aventure. Pas commune. L’amplitude du délire est impressionnante et pourtant il y a dans cette histoire une certaine cohérence. De mon point de vue de malade, il y a de l’adversité, mais je ne vois pas que ma perception de la réalité est faussée, que je commets des erreurs d’appréciation. Et cette histoire n’est qu’une parmi tant d’autres. Alors, vous croyez-vous toujours bipolaire ?

Les causes de cette maladie restent mystérieuses. Certains parlent de génétique, d’autres de réactions à des chocs émotionnels. Bien difficile de se faire une opinion. La génétique préparerait un terrain propice à la maladie et les accidents de la vie potentialiseraient ce risque.

J’ai passé de longues heures à raconter ma vie et mes impressions à des psychiatres, psychologues et autres thérapeutes. Ça m’a permis d’analyser les contextes dans lesquels ont surgi les crises. Pour la révolution des canards, il y a un vécu politique, une frustration accumulée au cours des années qui tout à coup se focalise sur le président en place. Nous l’analyserons en détail par la suite, mais autant s’intéresser au contexte de ma première crise maniaque, en février 1999.

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J’avais 39 ans. Jusque-là, rien dans ma vie

ne laissait prévoir l’émergence d’une faille psychologique. J’étais un homme bien rangé, ingénieur, marié à un médecin gynécologue, et père de trois beaux enfants. J’habitais une belle maison toute en pierres perdue au fond de la campagne de Sainte Anne du Castellet. Chacun me trouvait un tempérament calme et posé, une intelligence plutôt marquée. Rien ne laissait prévoir un quelconque dérapage. Et pourtant…

Pourtant, cette image idyllique de la famille tranquille n’était qu’une apparence. En fait, au fond de moi, j’étais miné par un terrible sentiment de manque, de désir inassouvi. J’avais rencontré ma femme très jeune, à dix-sept ans et nous avons très vite pris le parti de vivre ensemble. Quand j’ai parlé à mon père de mon souhait de m’installer avec Corinne, il me répondit que cette femme était bien trop âgée pour moi et qu’elle serait toujours ma mère. Il ajouta que si je m’engageais maintenant avec elle, je n’aurais pas vécu ma vie de jeune homme et que je serais toujours en recherche de quelque chose.

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Sur le coup, j’ai invité mon père à s’occuper de ses affaires, il était en plein divorce, et je me suis engagé à fond dans une vie sentimentale avec Corinne. Ce fut une période très heureuse, il y avait un beau projet de maison et la naissance de trois enfants qui nous comblaient. Mais, paradoxalement, la prophétie de mon père s’accomplit. Insidieusement, mon désir pour les autres femmes prit de plus en plus de place jusqu’à devenir obsessionnel.

Mais là où la pression psychologique devint extrême, c’est quand cette pulsion vers les autres femmes se heurta à mon désir de rester un bon mari et un bon père. Je n’ai pas su concilier ces sentiments antagonistes. Pendant dix-sept ans, je restais fidèle à Corinne, mais j’étais très frustré de ne pas pouvoir séduire ces autres femmes, ne pas entendre leur chant d’amour. Souvent, je les suivais dans les rues, dans les supermarchés, mais j’étais toujours incapable de leur adresser la parole. Au moment de les aborder, mon corps se mettait à trembler, j’étais incapable de dire un mot, paralysé par la culpabilité et la peur de l’inconnu.

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Et puis, un jour, après ces dix-sept années pathétiques, le barrage céda. Je me suis trouvé sur le parking d’un supermarché face à une jeune femme très belle et bien décidée à me croquer. Nous eûmes une relation brève, mais torride. Elle s’appelait Elisabeth. Au lit, c’était un volcan, un feu d’artifice. Elle mettait toute son énergie et tout son art à me faire plaisir et c’était vraiment bon. Et puis un jour, Corinne découvrit le pot aux roses et je dus mettre un terme à cette délicieuse idylle.

Dans les mois qui suivirent, je fus absorbé par le travail. J’étais ingénieur en sous-traitance pour la direction des constructions navales et mon client souffrait dans la réalisation d’un programme. Pour un navire de guerre, il lui manquait un composant vital qu’il ne trouvait pas sur le marché et il ne trouvait aucun partenaire pour le lui développer. Tous les soirs, vers 18h30, il passait dans mon bureau, il venait s’assoir en face de moi, et là il me racontait cette difficulté.

Nous nous sommes mis à réfléchir sur les techniques qui pourraient résoudre son problème, à imaginer des solutions. Je fis participer tous mes camarades, ceux qui travaillaient sur la plate-forme avec moi et nous développâmes une formidable activité intellectuelle sur le sujet.

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Au bout de quelques mois, j’avais la solution. J’en avais même plusieurs. J’en parlais à Bernard, mon patron, qui était devenu, au fil des années un véritable ami. Le client nous demanda de réaliser un prototype en partageant les frais. C’était parti. Le prototype fut un réel succès, il fut mis en concurrence avec d’autres solutions qu’avaient imaginées les ténors de l’industrie électronique française. Et ce fut notre entreprise, un petite PME de 20 personnes de la région toulonnaise qui remporta le marché. Un très gros marché par rapport à notre taille. A la limite du raisonnable…

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Curieusement, c’est à cette période de grand succès professionnel que tout a basculé. En plus de ce gros marché, j’en décrochais un autre, très bien rémunéré, une prestation de six mois en Norvège. Ma satisfaction était grande, mon exaltation aussi. Mon sommeil commençait à se faire rare, je ne dormais que quelques heures par nuit. Mon esprit bouillonnait, les idées pleuvaient, se succédaient dans ma tête à une vitesse infernale. Je parlais, je parlais, je parlais, ce que l’on appelle la logorrhée ou diarrhée verbale.

C’est dans ce contexte très agité que se déroula mon contrat en Norvège. J’avais beaucoup de mal à me concentrer sur ce que demandait mon client sans cesse happé par des idées fusant de toutes parts. Finalement, je rendis un rapport succinct qui fut qualifié de « hors sujet ». Le client refusa de payer la totalité de la prestation. Mon patron, considérant que je devenais incontrôlable, prit la décision de me licencier.

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Ce fut une période très troublée. Un jour de mistral, j’avais l’impression d’être une feuille dans le vent, je tourbillonnais sur moi-même dans les rues de Toulon. Un autre jour, alors que j’attendais au boulot la décision définitive de mon licenciement, un voile noir tomba sur mes paupières. J’en parlais à mon patron qui me conseilla de consulter un toubib. On me donna quinze jours d’arrêt.

Très curieuse période pendant laquelle je dormais très mal. La nuit, pendant que la petite famille dormait, j’éprouvais le besoin de ranger et je faisais ça avec une efficacité étonnante. Quand la maison fut entièrement rangée, je me mis à marcher dans les ténèbres et à pister les sangliers. Le jour, j’errais dans les villes et villages du coin vaguement à la recherche d’une âme sœur. Je rencontrais beaucoup de gens, je discutais avec tout le monde.

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C’est ainsi qu’un jour je rencontrais dans les rues de Sanary une belle infirmière. Je tentais de lui faire la cour, mais celle-ci se rendit vite compte à l’écoute de mon discours que quelque chose ne tournait pas rond. Elle resta avec moi plusieurs heures dans les rues de Sanary, elle tenta de faire venir mon épouse, mais je m’interposai. Elle me proposa d’aller voir un de ses amis psychiatres, mais je n’en voyais pas l’utilité, je me sentais tout à fait bien dans ma peau. Elle finit par utiliser la ruse…

Elle me dit : - Bon, écoutez, si vous voulez, nous

passons la soirée ensemble… - Avec grand plaisir, répondis-je. - J’ai juste un dossier à déposer à l’hôpital,

nous irons chez moi ensuite… ajouta-t-elle. - Très gentil de votre part. Allons-y !

Nous embarquâmes dans sa voiture, une

petite Opel Corsa rouge. Elle se gara dans l’enceinte de l’hôpital et entra au service des urgences. Le temps passa. Je trouvais qu’il lui en fallait beaucoup pour déposer un dossier. Quelques personnes étaient sorties du bâtiment et je n’y pris pas garde. Pourtant, j’aurais dû remarquer qu’ils prenaient place discrètement tout autour du véhicule où je me trouvais.

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Puis, la belle infirmière sortit à son tour et vint s’assoir à côté de moi dans la voiture. Elle posa la main sur le levier de vitesse, et ma main se posa sur la sienne. Ce fut le signal de l’hallali. Un homme se rua sur ma porte, l’ouvrit brutalement, et me tira sur le bras pour me faire tomber sur le goudron. Aussitôt, quatre ou cinq personnes me sautèrent dessus pour m’immobiliser. Ils me saisirent et me portèrent comme on porte un cercueil.

Je me débattais, mais cette équipe bien rôdée était implacable. Nous entrâmes dans le service des urgences, on me posa sur un brancard et on me força à boire un somnifère.

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Lorsque je me réveillais le lendemain, j’étais dans une grande chambre blanche sur un matelas à même le sol. J’étais complètement nu sous un drap blanc et mes habits étaient posés à mes pieds. Je me demandais où j’étais. Je m’habillais, sortais de la chambre, arpentais les couloirs dont la seule issue non verrouillée donnait sur une grande salle avec des tables et des chaises. Je m’asseyais et attendit longuement.

Soudain, j’entendis des clefs dans une serrure, une porte s’ouvrit laissant entrer une femme de chambre et son chariot de produits magiques. Je lui demandai :

- Où sommes-nous, ici ?

- Ici, mais à Chalucet !

Chalucet, l’hôpital psychiatrique de Toulon ! Bienvenue dans le monde des fous, Philippe !

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Chalucet

Ce fut mon premier internement. Difficile

de pénétrer le monde des fous. Difficile de se dire que l’on fait partie de ce monde-là, de ce monde dont on a toujours ri, dont on s’est toujours moqué. Mais déjà, il faut accepter son voisin de chambre. Dans mon cas, il s’agissait d’un jeune homme qui m’avoua avoir mis un coup de couteau dans le ventre de son père. Il y avait aussi ce grand dégingandé qui marchait toujours un poste de radio sur l’épaule et qui me sollicitait sans cesse pour que je lui donne un rasoir, un savon, un jean ou tout simplement de l’argent.

Il y avait cet autre qui me réveillait la nuit pour me demander une cigarette. Il y avait aussi celui qui avait le regard fixe perdu dans l’infini. De temps en temps, il s’approchait de moi et me disait qu’il avait trouvé un médicament contre le cancer, le sida, la mucoviscidose et même la mort ! Pourquoi pas ?

Il y avait ceux qui étaient capables de se battre à mort pour un programme de télé. Là, les infirmiers, rodés aux techniques de combat, intervenaient et mettaient au sol les belliqueux.

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Il y avait aussi ce doux visage blond. Elle, elle vous racontait comment elle avait été violée par deux hommes dans une voiture au fond d’une cité. Elle voulait absolument que je la dessine.

Il y avait aussi ce gros homme en visite, qui s’enfermait dans la chambre de sa belle fille mineure pour lui prodiguer des caresses interdites. L’infirmière l’attrapait par le col, le raccompagnait fermement vers la porte en le tançant : « On ne touche pas aux petites filles, Monsieur, on ne touche pas aux petites filles ! »

Il y avait les soignants aussi. Et ma psychiatre était une femme à l’aspect un peu mou. J’étais très exalté, et je lui racontais ce que je ressentais au travers de mon tout nouveau téléphone portable. Ces sensations que j’éprouvais m’indiquaient des directions à suivre. Mon discours la laissait perplexe. Je compris plus tard que les psychiatres écoutent les patients d’abord pour évaluer leur niveau d’excitation, ce qui leur permet d’ajuster le traitement.

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Ce fut elle qui posa le diagnostic. Maladie bipolaire ou psychose maniaco-dépressive. Ça voulait dire que j’alternerais au fil des mois entre l’euphorie et la tristesse, que la qualité de mon raisonnement pourrait être altérée, que la folie pourrait bien s’inviter dans ma vie. Perdre la notion de la réalité. Dans les phases maniaques, les risques seraient par exemple de dépenser beaucoup d’argent, mais aussi, dû à un sentiment d’invincibilité, d’aller se frotter à des gens plus forts que soi. Risques pour la vie conjugale également car le besoin de séduire est très fort. Risque de se laisser guider par un sentiment prophétique, comme s’il tombait du ciel une mission divine.

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On me garda un mois dans ce nid de coucous. Au début, j’étais porté par l’allégresse de la phase maniaque. Je me complaisais dans toutes ces nouvelles relations avec les malades mentaux, j’avais l’impression que je leur apportais quelque chose. Et puis, peu à peu, la chimie de l’exaltation maniaque ayant été sérieusement entamée par l’arsenal médicamenteux de ma psychiatre, j’entrais dans une phase plus triste, nostalgique. Je m’ennuyais, j’attendais impatiemment que la porte s’ouvre.

Elle s’ouvrit. Je rentrai chez moi.

Là, tout avait changé. Là où j’étais l’ingénieur honoré et respecté, celui à qui on demande son avis pour toute chose, j’étais devenu le malade mental, celui dont on parle à voix basse sur un ton grave, celui à qui on répète trop souvent de prendre ses médicaments. Entretemps, mon licenciement définitif avait été prononcé. Je n’étais plus au centre de cette ruche bouillonnante qu’était mon entreprise, je n’étais plus celui dont on attendait les idées et les conseils, celui qui mettait en musique la vie de la société. J’étais comme un cargo abandonné sur une plage, inutile et plus à sa place. Le sentiment de la déchéance s’invitait dans ma vie.

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Ce fut ma première dépression lourde. 20 heures de sommeil par jour, et le reste du temps était envahi d’idées noires. Ma psychiatre me donna des cachets qui ne firent qu’empirer mon degré de tristesse et d’abattement. J’avais des idées suicidaires, je me voyais monter sur la route des crêtes, ce magnifique site entre Cassis et La Ciotat. 300 mètres de falaise. Le dernier vol aurait été magistral. Et puis, non, j’avais des idées suicidaires, mais pas suffisamment d’énergie pour en faire un projet et le mettre à exécution.

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La dépression dura plusieurs mois jusqu’au jour où je rencontrais Eliane. Le curé avait organisé une messe en plein air et je me retrouvais à côté de cette plantureuse femme, toute vêtue de blanc, que je ne connaissais pas. Elle avait vingt ans de plus que moi, mais ne s’arrêtant pas à de si vils détails, elle avait décidé de me mettre à son menu. Elle était peintre, et sous prétexte de me montrer ses tableaux, elle me fit connaître dans son atelier ce que l’ardeur féminine signifie. Volcanique, sulfureuse !

Cette aventure impromptue eut sur moi l’effet d’une résurrection. Le corps de cette femme me réveilla. Là où tout le monde me mettait de côté, m’évitait, là où les relations avec mon entourage ne se faisaient plus dans la franchise, Eliane arrivait frontalement et m’exprimait sans détour son désir pour moi. Enfin, je servais à nouveau à quelque chose, à quelqu’un. Elle me remit dans le circuit de la vie.

Entre ma femme et moi, cette période fut très délicate. Non pas à cause de cette aventure qui fut aussi torride que brève et dont elle ne sut jamais rien, mais plutôt à cause de notre différence de point de vue sur ma prétendue « maladie mentale ». Corinne était médecin et écoutant ses pairs, elle avait la conviction que j’étais malade et qu’il fallait que je me soigne par un traitement médicamenteux.

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De mon côté, je ne me sentais absolument pas malade, et je trouvais très injuste et très lourd d’avoir à porter cette étiquette de déficient mental. Pour moi, ce n’était pas moi le malade, mais l’univers qui m’entourait qui entrait dans des résonances pathologiques. Je m’en donnais pour preuve qu’au moment même où je fus interné, un de mes très proches se trouvait contraint à faire de la prison préventive dans le cadre d’un fameux scandale politico-financier. Comment, intelligent comme il était, avait-il pu en arriver là ?

J’étais convaincu que dans nos familles des énergies malsaines et contradictoires avaient conduit au même moment cet homme très proche à la prison et moi à l’hôpital psychiatrique, et qu’il n’était nul besoin d’aller chercher dans la chimie de mon cerveau les causes d’un phénomène familial.

Evidemment, entre nous, le dialogue devenait infernal. Elle ne cessait de me répéter de prendre mes médicaments et je prenais ses recommandations comme des insultes. C’est comme si elle me traitait de malade mental. J’étais au chômage, en désaccord profond avec mon épouse. A qui parler ? A des femmes que je rencontrais dans des cafés ou dans la rue. Plusieurs liaisons naquirent de ces moments volés.

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A tel point qu’un 1er janvier 2001, porté par la chaude énergie de l’une d’entre elles, je fis savoir à Corinne que je quittais la maison pour aller m’installer à quelques kilomètres de là.

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Une société sans argent

Voyons maintenant comment une idée

émerge, de crise en crise…

Au mois de juin 2001, ça fait deux ans que je suis au chômage quand soudain mon téléphone sonne. Un employeur me propose un job à Paris. Travail en intérim, intéressant et bien rémunéré. J’accepte et je monte m’installer dans les brouillards de la capitale. C’est une période où je suis très seul et où le travail s’avère extrêmement difficile. Il s’agit de faire l’architecture du réseau électronique de bord du nouveau blindé de l’armée française. Pour cela, je suis à la tête d’une équipe de 22 ingénieurs et techniciens.

Ce sont surtout les sous-traitants qui sont pénibles. Le directeur me les a imposés à cause de leur brillante réputation, ils le savent et ils me font payer le prix fort. Mon cerveau, après deux ans de jachère, tourne au ralenti. Nombreuses sont les réunions de travail où je patauge, où j’ai du mal à suivre, où j’ai du mal à prendre le dessus. Un soir, je disais à une vieille amie : « Vous savez, Jacqueline, ce travail, c’est comme si on me trempait dans un bain d’acide… ».

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Pourtant, je m’accroche, je m’investis face à l’adversité et je finis par avoir des résultats. Un an après, au mois de mai 2002, j’ai réussi à diviser par 5 le coût du réseau de bord par rapport à ce qu’avait estimé mon prédécesseur. Mon patron est très satisfait, il me le fait savoir en me proposant un emploi à durée indéterminée au même poste. De mon côté, j’apprécie mieux mes collègues auprès de qui je commence à être estimé et respecté.

Mais, mes enfants me manquent. Je descends à Marseille une fois tous les quinze jours pour les voir, mais ce n’est pas suffisant. Et puis, j’ai beau aimer la capitale, je ne suis décidément pas un parisien. Je rêve de nos collines, de notre soleil, du bord de mer. Bref, j’ai envie de rentrer chez moi.

C’est alors qu’une opportunité s’offre à moi. Mai 2002, c’est une période très originale du point de vue de la politique française. Le parti socialiste se fait éliminer dès le premier tour de l’élection présidentielle et au deuxième le président sortant a beau jeu d’écraser son rival insolite du Front National avec un score de près de 80% des voix. Je suis à la fois fasciné et scandalisé. Comment la gauche peut-elle être absente du débat politique ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

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Les législatives arrivent. Je me dis : « Il faut y aller, il faut être sur le terrain politique pour comprendre ce qui se passe… » J’en parle à quelques personnes et je fonce. J’essaie de constituer une équipe.

En arrière-plan de cette élection, c’est mon retour dans le sud qui se joue. Le député d’Aubagne peut partager son temps entre sa participation aux débats de l’Assemblée Nationale et une activité de terrain auprès de ses électeurs dans sa circonscription. Le travail est mieux payé que mon job d’ingénieur, il y a moins d’obligations, moins de responsabilités. Autrement dit, tout bénef !

A ce stade, ce que je n’estime pas du tout à son juste niveau, c’est l’ampleur de la tâche. J’estime que j’ai un bon CV et je pense qu’avec quelques discours et quelques belles affiches, je vais être élu dès le premier tour sans difficulté. Ce sentiment d’invincibilité, outre ma naïveté légendaire, peut faire penser à l’amorce d’une crise maniaque. D’ailleurs, dans les semaines qui suivirent, mon sommeil se réduisit comme peau de chagrin.

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J’eus beaucoup de mal à trouver un suppléant et un trésorier pour ma campagne. Mes amis n’étaient pas très chauds pour s’engager dans l’aventure. Ce fut finalement mon petit frère Laurent qui trouva parmi ses meilleures relations les deux inconscients qui allaient m’accompagner.

Le jour de la clôture des dépôts de candidature, j’allais donc fièrement à la préfecture de Marseille pour me présenter aux élections législatives d’Aubagne. On m’attribua le panneau d’affichage électoral numéro 14. Nous étions 19 candidats à Aubagne, ce qui était du jamais vu.

En sortant de la préfecture, je rencontrai un homme étonnant. Il venait de s’inscrire lui aussi, mais sur la circonscription d’Aix en Provence. Il me demanda :

- Vous vous présentez pour être élu ?

Quelle question ! Bien sûr que j’allais être élu, c’était une évidence… Il poursuivit…

- Moi non !

- Vous non ? déclarai-je stupéfait. Mais

pourquoi vous présentez-vous alors ?

- Je veux simplement faire connaître une idée.

- Une idée ? Et c’est quoi cette idée ?

demandai-je.

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- C’est la société sans argent…

Intrigué, je lui proposai d’aller boire un café et il m’expliqua que le troc était bien préférable aux échanges marchands. Ce garçon avait beau être extrêmement sympathique, je ne voyais pas bien l’avantage que pouvait présenter une société sans argent. Il me semblait qu’il nous invitait à un fameux retour en arrière. Nous nous quittâmes bons amis, mais je ne suis pas sûr que si j’avais habité dans sa circonscription j’aurais voté pour lui…

Ces élections furent une vraie bataille. Mon armée, c’était ma suppléante, une belle parisienne qui descendit une fois sur le marché d’Aubagne pendant la campagne. Elle se mettait à côté de moi et elle haranguait la foule en criant : « Il est pas beau mon candidat ? Il est pas beau ? » J’avais l’impression d’être une daurade sur l’étal d’un poissonnier. Il y avait aussi cette belle femme noire que j’avais recrutée dans le centre de la France. Elle avait un accent africain délicieux qui ignorait la lettre r et elle s’en servait pour inviter les gens à voter pour moi. Dans les rues, elle criait de sa voix douce : « Votez pou’ le candidat Ba’atier ! Votez pou’ le candidat Ba’atier ! » A chaque fois qu’elle croisait un black, elle le convertissait à ma cause et lui collait un paquet de tracts dans les mains.

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En tant que candidat libre, sans parti politique, je n’avais ni droit à la radio, ni à la télévision. Mes affiches étaient couvertes par celles des puissants partis politiques. Restait la présence sur le terrain… mais je travaillais à Paris. Bref, ce qui devait arriver arriva, je me ramassais avec un 0.41% des voix au premier tour.

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J’avais dépensé 7700 euros pour ma campagne. J’y avais passé beaucoup de temps, d’énergie et mon employeur se rendit compte que cet épisode maniaque m’avait quelque peu détourné de mon activité au sein de son entreprise. Il me fit remplacer. Mon contrat ne fut pas renouvelé. Je sombrais dans une dépression profonde.

On dit souvent que c’est la chimie du cerveau du bipolaire qui fait alterner les phases d’euphorie et les phases dépressives. Dans mon cas, je pense que les phases dépressives sont conjoncturelles. En phase maniaque, je perds contact avec la réalité et je fais des erreurs aux conséquences parfois lourdes. C’est la prise de conscience des dégâts que j’ai causés qui me rend dépressif.

Mon activité politique s’endormit

quelques temps.

Plus tard, en 2005, je me souvins de cette étonnante rencontre avec le candidat aux élections législatives qui proposait une société sans argent. Une telle société était-elle réaliste, faisable alors qu’aujourd’hui tout dans nos usages, nos habitudes, tourne autour de l’argent ? Nous travaillons pour gagner de l’argent, nous dépensons pour vivre. Comment imaginer un monde autrement ?

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Ainsi donc, un matin, je me levai et décidai d’essayer de vivre une journée sans argent. Mais ça voulait dire aussi sans faire de crédit à quiconque. Je voulais voir où et comment se poseraient les problèmes. Je voulais le sentir, l’éprouver. Je pris donc ma douche, m’habillais, mangeais un petit déjeuner chez moi à Aubagne, et pris la route du boulot à Aix en Provence. Dans ma tête, j’imaginais que les problèmes commenceraient lorsque je voudrais prendre un café au distributeur. Celui-ci me demanderait forcément de l’argent en échange du café. Comment négocier avec un distributeur ? Que lui dire ? Comment activer son mécanisme sans mettre de l’argent dans la petite fente ?

En fait, je me rendis soudain compte que mon vrai problème immédiat se situerait bien plus tôt. Tout à ma réflexion sur le distributeur de café, je n’avais pas fait attention à l’itinéraire et avais machinalement pris l’autoroute. Il allait donc falloir négocier la sortie de l’autoroute sans payer le péage. Un frisson d’adrénaline me parcourut. Pour me laisser le temps de réfléchir, je m’arrêtai sur une aire de repos et méditai sur la situation.

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De cette méditation, il sortit les éléments suivants. En France, les prix doivent être affichés. Or, le prix de l’autoroute n’est pas indiqué à l’entrée de l’autoroute. Je pourrais toujours arguer de ça. Fort de cette possibilité de négociation, je remis le moteur en route et repris l’autoroute en direction du péage. Je savais que j’avais cet argument dans la poche, ce qui me rendait fort, mais je n’étais pas bien sûr de l’utiliser. En fait, je voulais surtout faire confiance en mon intuition, me laisser aller pour bien sentir comment se poserait le problème.

J’arrivais finalement au péage et une aimable opératrice m’invita à lui donner trois euros et dix centimes. Je répondis sèchement :

- Je ne paie pas.

- Pardon, Monsieur ?

- Je ne paie pas, je ne paie pas.

- Euh ! Excusez-moi, Monsieur, c’est le péage,

c’est trois euros et dix centimes…

- Je ne paie pas, je ne paie pas, je ne paie pas,

je ne paie pas et je ne paie pas, insistai-je

lourdement.

- Ah ! fit l’opératrice. Je vais appeler mon

directeur.

- Mais faites donc, lui répondis-je.

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Après un long échange téléphonique entre l’opératrice et son directeur, celle-ci m’invita à aller voir son supérieur en personne. Elle me dit que juste après la barrière de péage, je devais prendre à droite et aller jusqu’au bâtiment qui se trouvait là. J’acceptai le principe.

Elle ouvrit la barrière et la route s’ouvrait

toute grande devant moi. J’aurais pu partir tout droit comme un voleur, mais je n’en fis rien. Je passai la barrière et me serrai à droite comme l’opératrice l’avait demandé, puis je me garai devant le bâtiment du directeur.

Là, je montai les escaliers jusqu’à arriver devant une grande vitre avec un hygiaphone. On ne voyait rien à travers. Un miroir sans tain empêchait toute possibilité au consommateur de voir le représentant de la société d’autoroute. Cependant, j’entendis une voix qui disait :

- Quelque chose ne va pas, Monsieur ?

Je ne savais vraiment pas quoi dire. La situation était cocasse. Et puis soudain, l’inspiration me vint…

- Oui, Monsieur, il y a quelque chose qui ne va

pas…

- Ah bon ? et qu’est ce qui ne va pas ? demanda

le directeur du péage.

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- Ce qui ne va pas, c’est que vos autoroutes

sont trop chères…

- Alors là, Monsieur, dit le directeur, … vous

avez raison.

- J’ai raison ?

- Ben oui, tout le monde dit que les autoroutes

sont trop chères, déclara le directeur.

- Et alors ?

- Et alors, personne ne l’écrit.

Je restai interloqué, tandis que le directeur poursuivit :

- Et vous, seriez-vous prêt à me l’écrire ?

- Bien sûr, répondis-je.

Le directeur me fit passer sous l’hygiaphone un cahier de doléances et je mis beaucoup d’application à remplir la page courante sur le thème du prix du péage. Quand ceci fut fait et bien fait, je refis passer le cahier de doléances sous l’hygiaphone et posai la question :

- Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

- Eh bien, monsieur, vous pouvez y aller.

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Ainsi, j’étais libre de l’autre côté de la barrière sans avoir rien payé. J’avais juste laissé quelques minutes de mon temps chez le directeur pour délivrer un message à la société d’autoroute.

La journée continua à se passer de la

sorte. Je réussis à ne pas payer mon repas, ni mon café, et je fus assez surpris que cela fonctionne avec finalement assez peu de tension. La société sans argent, ce n’était peut-être pas si difficile que ça…

Curieuse idée que cette société sans argent. Elle entra dans ma vie par la bouche de l’étrange candidat d’Aix en Provence, puis s’installa en moi comme un jeu. J’avais fait mien l’art de ne pas payer au péage et j’avais inventé pour cela mille astuces. Mais insidieusement, cette idée était là, dans mon crâne et mûrissait lentement.

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J’avais poussé la réflexion un peu plus loin que ce qui m’avait été exposé lors de la campagne de 2002. Je ne voyais pas l’intérêt du troc, trop lourd, trop complexe, et je commençais à imaginer la société du don. Là, plus question de troc, chacun se met dans son domaine d’excellence et offre le fruit de son travail aux autres. Tout le monde passerait son temps à donner et à recevoir. Quand on sait le plaisir qui est attaché à ces deux activités, vivre dans une telle société aurait été un véritable bonheur.

Une utopie, certes, mais le rêve n’est-il pas le premier pas de toute transformation ?

Quelques semaines plus tard, secoué en

profondeur par des menaces de mort, j’entre dans une crise aiguë. En voyage à Paris, je me retrouve sur le boulevard des italiens dans un état d’excitation avancée. Passant près d’une benne à ordures, je prends mon portefeuille à la main et me saisis de ma carte bleue. Et là, d’un geste théâtral et solennel, je la jette dans la benne en déclarant :

- Bonjour la société sans argent !

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Puis, je continue mon chemin sur le boulevard bordé d’arbres. Soudain, je veux communiquer avec ces arbres. Ce doit être possible, il suffit de se mettre dans le temps végétal, c’est-à-dire ralentir son activité au maximum. Je m’allonge sur le trottoir et admire les feuilles de l’arbre. Je ne bouge plus, je ne respire qu’avec une lenteur infinie. J’imagine les trois mondes : le monde animal auquel j’appartiens, le monde végétal qui m’est proche et dont le temps est ralenti, et puis le monde minéral, froid et dur, dont le temps est presque arrêté. « Aujourd’hui, je vais créer une passerelle entre ces mondes, pensai-je… »

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Autour de moi, un attroupement s’est formé. Les gens m’appellent, m’interrogent. Mais absorbé par mon activité de connexion des mondes, je ne les entends pas. Ils s’inquiètent. On appelle les flics, ils arrivent et m’embarquent sans ménagement vers le commissariat. Là on me met des menottes aux poignets, des liens de cuir aux chevilles, et on m’attache à un banc le temps de faire les papiers. Puis on m’embarque vers un hôpital psychiatrique où je resterai enfermé pendant un mois. Tout ça pour avoir voulu parler à un arbre. Quoi qu’on en dise, en France, la liberté a ses limites…

Alors, à vous tous, un conseil… Si vous

aimez les arbres, si vous les aimez à un tel point qu’il vous paraisse possible en ralentissant votre activité de rentrer en communication avec eux, soyez prudents ! N’expérimentez pas en plein Paris sur le boulevard des italiens au milieu de tous ces gens qui ne comprennent rien à rien !

Venez plutôt chez nous dans la Sainte

Baume, il y a de très beaux arbres, tellement beaux qu’on communique avec eux naturellement, dans la plus simple évidence. Et si vous voulez aller plus loin comme je tentais de le faire, choisissez un coin tranquille, éloigné de tout et imprégné de sérénité naturelle…

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Dans cet épisode quelque peu déjanté, il y a eu quand même un geste fort, ce mouvement théâtral et solennel par lequel j’envoie ma carte bleue dans la benne à ordures. C’est le signe qu’en profondeur l’idée fait son chemin : la société sans argent, c’est notre avenir, c’est pour demain. J’ai juste un léger décalage temporel, il me manque de la patience.

Cette idée ressurgit quelques années plus tard, en 2008, alors que je projette de me présenter à la présidence de la république. Ambitieux projet, n’est-il pas ? Surtout quand comme moi, on n’a ni équipe, ni parti politique, seulement une volonté et une ténacité hors pair. Je précise qu’à cette époque je n’étais traité par aucune médication et que mon esprit ne disposait d’aucune des brides que tous les médecins me recommandaient.

Quatre ans avant l’élection présidentielle de 2012, il n’est pas trop tôt pour un candidat insolite et solitaire comme moi pour commencer à chercher ses 500 signatures. Cette quête m’amène en août 2008 dans le bureau de Gilles Aicardi, maire de Cuges Les Pins. Cet ancien communiste est très déçu du paysage politique en général, et même des responsables de son propre camp. Il m’écoute avec attention. Comme il est communiste, c’est du capitalisme et de ses ravages que je lui parle.

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- Mais comment comptez-vous lutter contre ce

capitalisme sauvage ? me demande-t-il.

- J’ai rencontré un homme qui m’a ouvert les

yeux, lui répondis-je. Il m’a parlé de la société

sans argent.

- La société sans argent ? C’est quoi ça ?

- C’est simple. On supprime l’argent du circuit.

Et le capitalisme s’effondre…

- Vous voulez revenir au troc ?

- Mieux que ça. A une société du don, chacun

se met dans son domaine d’excellence et il

offre le fruit de son travail aux autres…

Le maire de Cuges bascule en arrière dans le fond de son fauteuil et prend le temps d’une bonne respiration, puis il ajoute :

- Ah ! Ben vous, vous n’êtes pas un candidat

ordinaire !

- Imaginez le plaisir qu’on a à offrir, le plaisir

qu’on a à recevoir… On va s’éclater !

Le maire rit. L’idée lui plait. Je lui dis qu’avant de passer à l’implantation de ce concept sur la France entière, j’aimerais bien faire un prototype sur un petit village de province.

- Je vous vois venir… déclare-t-il.

Un silence… puis il ajoute…

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- Je ne suis pas sûr que mes administrés soient

mûrs pour votre société sans argent. Mais

incontestablement, il y a à creuser sur votre

idée. On va rester en contact. Je vais vous

présenter à des gens…

Pour sa signature, il me dit qu’il était encore tôt et qu’il faudrait repasser en 2011. Il m’a chaleureusement serré la main et j’ai senti que le courant passait entre lui et moi.

Une année passa… 15 mai 2009. Le pays d’Aubagne et de

l’Etoile déclare la gratuité des transports en commun sur tout son territoire.

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Je bondis de joie. La gratuité, n’est-ce pas un pas vers la société sans argent ? Je ne leur ai pas demandé, mais ils me l’ont fait mon prototype. Au lieu de retirer l’argent d’un village, ils l’ont retiré de tout un secteur d’activité : le transport en commun. Et en plus, combien cette mesure est écologique et sociale ! Bravo les gars !

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Imaginer et convaincre

On dit que Napoléon Bonaparte était

bipolaire. Son imagination et sa capacité de conviction sont légendaires. A mon humble niveau, je me suis aussi rendu compte que lors des crises, l’imagination est extrêmement fertile et la puissance de conviction est énorme. J’en veux pour preuve cette anecdote qui eut lieu entre Toulon et Aubagne en 2008.

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J’arrivai au péage de Sanary et décidai de m’en offrir la gratuité. Aussi, je pris un peu de repos sur l’aire située juste avant le temps de bien mettre au point le scénario. Ce n’était pas la première fois que je décidais de passer le péage sans payer et c’est un art que j’appréciais tout particulièrement. Cette fois-ci, je comptais jouer la montre. Pour moi qui étais en congé maladie, le temps n’avait pas la même valeur que pour la société d’autoroute et pour ses clients qui sont précisément sur l’autoroute parce que leur temps est précieux. Je comptais jouer sur cette différence. Mon projet consistait à avancer ma voiture jusqu’à la barrière de péage et à entrer dans une interminable négociation avec la caissière jusqu’à ce que la porte s’ouvre.

Mais il fallait aussi que ce moment ne fût pas désagréable pour la caissière. Aussi, préparai-je dans mon véhicule de quoi adoucir cette rencontre et faire que la tension ne monte pas trop ni dans la voiture, ni à la caisse. L’important, c’était seulement pour moi d’arriver à ce que le directeur du péage, excédé par la longue file de voitures, ordonne de lever la barrière.

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Minutieusement donc, je préparais ce qui pourrait adoucir l’ambiance avec la caissière. Je sortis de mon coffre un maillot de bain et une serviette que j’étalais délicatement sur le siège passager. Atmosphère estivale. Je préparais quelques bonbons et des biscuits dans la boite à gants. Il y avait même une petite fiole de whisky. Au cas où.

Enfin, je ressortis de la voiture et me dirigeai vers un grand espace où le groupe autoroutier faisait pousser de la lavande pour le bonheur de tous. J’en cueillis un beau bouquet, qui, pour sûr, ferait craquer la caissière si le besoin s’en présentait. Arme fatale, je cachais le bouquet entre ma jambe gauche et la porte du véhicule. Enfin, lorsque tout fût prêt, lorsque je sentis que le coup était vraiment jouable, je remis mon moteur en route, et pris le chemin du péage.

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Tout parut parfaitement fonctionner jusqu’aux cinq derniers mètres avant la barrière. Là soudain, je me rendis compte que la caissière n’était pas une caissière, mais un caissier. La tuile ! Je ne me voyais pas offrir un bouquet de lavande à un caissier, fût-ce pour le calmer. En un clin d’œil, je dus refondre mon scénario du tout au tout. Et curieuse chose, c’est presque sans réfléchir que je repartis du tac au tac sur un nouveau sketch, qui n’avait rien à voir avec le premier, auquel je n’avais pas pensé auparavant, et qui fut d’une redoutable efficacité.

Laissant glisser la voiture jusqu’au péage, je remarquai le bras du jeune caissier qui pendait mollement à la vitre. En m’arrêtant, je lui saisis vigoureusement la main et l’agitai fermement tout en lui faisant un respectueux « Bonjour ». Tout cela pour que l’homme se réveille et se mette bien dans le sens de ce que j’avais à lui dire. Un peu surpris, le jeune homme se ressaisit et me dit « Bonjour ». Puis, il déclara que le prix du passage était de deux euros. Je lui répondis :

- Ce n’est pas le problème.

- Ah bon, s’étonna-t-il, mais il y a un

problème ?

- Oui, assurai-je.

- Mais c’est quoi le problème ?

- Voilà, il y a de ça quelques semaines, je me

suis présenté au péage de Valence et là, crac,

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la barrière est retombée sur ma voiture et a

fracassé mon pare-brise… Ça m’a traumatisé.

Depuis, quand j’arrive au péage, je tremble, je

sue, j’ai une peur terrible que ça

recommence.

Cette histoire d’ailleurs n’était pas complètement fausse, car je m’étais effectivement fait fracasser un pare-brise par une barrière au péage de Valence. Mon traumatisme était quant à lui plus qu’exagéré.

- Alors voilà, Monsieur, poursuivis-je, j’ai une

question à vous poser…

- Posez, posez, je vous en prie…

- Ma question est la suivante : « Maîtrisez-vous

le processus ? »

- Le processus ?

- Oui, êtes-vous sûr de savoir ouvrir la barrière

sans qu’elle me retombe dessus ?

- Alors là Monsieur, répondit-il fièrement, là,

aucun problème. Chaque jour, j’ouvre la

barrière à des milliers de véhicules et je n’ai

jamais eu aucun problème.

- Je comprends bien. Je comprends bien, mais

comprenez aussi qu’après l’incident que j’ai

vécu, je sois extrêmement prudent.

- Ah oui, je comprends… la prudence… dit le

caissier.

- Bon alors écoutez… Je crois qu’il y a une

solution…

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- Je vous écoute, Monsieur, je vous écoute…dit

le caissier.

- Il faudrait que vous me montriez que vous

maîtrisez le processus. En quelque sorte, nous

faisons un essai à blanc. Je veux dire vous

appuyez sur le bouton, la barrière se lève,

vous attendez un moment, vous appuyez sur

le bouton et la barrière redescend. Moi, je

regarde et ça me rassure…

- Alors là Monsieur, fit le jeune caissier tout

heureux de voir que la solution était simple,

pas de problème…

Et il accompagna la parole du geste tant attendu… il ouvrit la barrière.

Je passai alors la première et filai tout

droit dans un immense éclat de rire. Il me fallut plusieurs kilomètres pour

arriver à m’arrêter de me tordre les côtes…

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Un bon programme

En 2008, je me lance dans une course à la

présidentielle de 2012. Drôle d’idée pour un homme qui n’a ni parti politique, ni soutien financier, ni équipe, ni rien qu’une exceptionnelle foi en lui-même. A cette époque, je ne prends aucun médicament pour ma bipolarité et il est possible que cette audace, cette ambition démesurée soit l’effet du sentiment d’invincibilité bien connu de la maladie.

Mais, notons bien que le projet n’est pas complètement incohérent, car le véritable enjeu de cette démarche n’est pas de devenir le président de la république française, je suis quand même conscient de l’ampleur de la tâche, mais d’utiliser l’élection présidentielle pour me faire connaître. Ensuite, j’envisageai de me présenter aux élections législatives poussé par la vague de la notoriété acquise. Ce n’était quand même pas complètement débile.

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Mais le chemin passe par la collecte des fameuses 500 signatures et là, l’adversité est grande. Je contacte 130 élus, maires, députés, sénateurs et j’essuie une indifférence généralisée. Près de 80% des élus ne répondent pas à mes demandes de rendez-vous. Ils ne répondent ni oui, ni non, ils font comme si je n’existais pas. Manque de courtoisie déplorable.

J’ai des échanges intéressants avec la poignée de maires qui acceptent de me recevoir et là nous discutons de leurs problèmes et bien entendu de mon programme. Bien que je sois devenu un ardent défenseur de la société sans argent, je ne l’ai pas intégrée à mon projet. Les esprits ne sont pas prêts, je ne peux pas me permettre d’être trop à contre-courant. Ce serait un suicide politique.

Cependant, je l’introduis par le biais de la gratuité des transports en commun. Je propose de la généraliser à l’ensemble du réseau français et j’en développe un argumentaire en béton. La gratuité des transports, n’est-ce pas un premier pas vers la société sans argent ?

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Appliquée aux transports en commun, la gratuité brille de tous ses feux. Ecologique, elle encourage les automobilistes à laisser leur véhicule au garage. Sociale, elle permet à toute une population défavorisée d’avoir accès au déplacement, aux activités qui sont éloignées de chez elle. Economique, elle se passe de la billetterie, du contrôle des tickets, de la répression des fraudes. Que de temps perdu retrouvé ! Quelle simplicité ! Quelle convivialité ! Quel bonheur cette gratuité des transports en commun !

C’est le premier pilier de ma campagne. Je me dis que si en cinq ans de règne, je fais déjà ça, j’implante la gratuité des transports en France, ce sera déjà un grand succès. Mais je vais plus loin. Je veux mettre le personnel politique, ministres, députés, sénateurs, maires, … au salaire moyen des français. Ne serait-ce pas un bon moyen de faire avancer les choses ? Les députés ne seraient plus là pour ronronner en attendant tranquillement la fin du quinquennat, ils deviendraient des gens motivés, qui ne sont pas là pour le confort de la place, mais par une réelle motivation politique.

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Enfin, le dernier pilier de ma campagne, c’est la sortie du nucléaire. Tchernobyl et Fukushima, c’est suffisant. Reconnaissons notre incompétence, cessons de jouer aux apprentis sorciers et prenons le chemin de l’humilité. Qu’allons-nous faire de tous ces déchets ? Pendant combien de millénaires nous ferons nous maudire par les générations futures ?

Voilà ce que furent les grandes lignes de ma campagne électorale. Il y avait certes de la folie dans cette impressionnante ambition qui m’habitait. Mais le projet était cohérent, le programme tenait la route et faisait preuve de réalisme. Il était même au goût du jour. Mais au printemps 2010, après six mois de chômage, un vent de dépression s’abattait à nouveau sur moi et j’abandonnai mes projets présidentiels. On peut se demander : lequel est le plus malade entre les milieux politiques et moi ? J’ai ma petite idée là-dessus. Et je me dis souvent qu’une bonne révolution ferait du bien à ce pays…

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Mais, avec l’âge et l’expérience, je ne vois plus un tel mouvement avec des barricades et du sang versé. Je pense à une méthode infiniment plus douce et plus efficace : l’exemple. Ce que je veux pour ma société, je le fais autant que possible à mon niveau. Et j’ai commencé à implanter autour de moi une mini-société sans argent. Ainsi, l’argent n’existe plus entre mon médecin chinois et moi. Je donne des cours de maths à sa fille autant qu’il est nécessaire. Et elle s’occupe de ma santé avec les moyens qu’il faut. Je ne compte pas ce que je donne, elle donne sans compter également. Ce principe fonctionne très bien et il va s’étendre aux échanges avec ma fleuriste d’ici peu. La société sans argent est née…

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Le passager de mon corps

En filigrane de cette étude, l’inconscient.

Incontournable, c’est lui le véritable pilote. Parfois, dans la vie courante, on a l’impression que tout se passe en conscience, que l’on va à droite parce que l’on a décidé, que l’on a analysé une situation et que l’on a fait un choix.

Pourtant, j’ai la conviction qu’une très grande majorité de nos actes sont inconscients. La digestion en est un exemple. Avons-nous conscience de ce qui se passe dans notre estomac quand nous digérons ? Quand nous marchons, savons-nous ce que font nos pieds, nos genoux, nos hanches ?

Dans les phases critiques de la bipolarité, cette prédominance de l’inconscient est exacerbée. Entre autres symptômes de la maladie, j’ai ce que l’on appelle le syndrome mystique, c’est-à-dire que, bien que non croyant, j’ai l’impression d’être soumis à Dieu et guidé par lui dans chacun de mes gestes comme une marionnette. Ce sentiment d’appartenance à un ordre divin est extrêmement fort. Les décisions s’imposent comme tombées du ciel, sans démonstration mais avec une autorité incontestable.

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En janvier 2004, j’ai eu une démonstration éblouissante de ce qu’est l’inconscient, un phénomène hors du commun, surnaturel ? Cette histoire, la voilà…

A cette époque, j’avais le projet de partir en Arabie Saoudite. Le monde arabe m’avait toujours fasciné. J’avais appris à parler l’arabe pendant mes études d’ingénieur et j’étais heureux de ce projet qui allait me permettre de passer d’un niveau scolaire à un niveau bilingue. Par ailleurs, le contrat qui m’envoyait là-bas était très bien rémunéré. Tout ça faisait que j’étais très enthousiaste à l’idée de ce voyage.

D’un autre côté, l’Arabie Saoudite n’est pas sur la planète le lieu où il est le plus facile de faire des rencontres, a fortiori féminines. Et je ne voyais pas d’un bon œil l’isolement affectif, sensuel, et sexuel dans lequel ce contrat se proposait de m’enfermer, et ce pendant une durée de dix-huit mois. Aussi, je me sentais très partagé entre le désir de partir, de découvrir cette contrée mystérieuse, de parler la langue et la crainte de l’isolement sous ses diverses formes.

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Cette ambivalence était très déstabilisante. Aussi, il me parut sage de consulter une psychothérapeute que je connaissais depuis longtemps et qui était très compétente. Elle s’appelait Anne.

Je l’appelai donc au téléphone pour prendre rendez-vous, mais elle ne répondit pas. Plus tard dans la soirée, j’appris par texto que la belle psychologue n’était pas disponible pendant un mois pour cause de déménagement. Qu’à cela ne tienne ! Je me proposai de lui écrire une lettre. Je me dis que de cette façon, je viderais mon sac sur un bout de papier et que sans doute j’y verrais plus clair après.

Ainsi donc, le lendemain, je descendis sur Toulon et pris mes quartiers dans un café du centre-ville bien ensoleillé. Je pris deux bonnes heures pour rédiger ma lettre au brouillon. Consciencieusement, je couchai sur le papier tout ce qui m’inquiétait, m’oppressait. Après ça, je recopiai la lettre au propre, puis la pliai, puis la mis dans l’enveloppe. Enfin je collai le timbre, puis mis l’enveloppe dans la poche intérieure de ma veste, tout contre mon cœur.

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J’avais l’impression de m’être vidé d’un poids. Je me sentais infiniment mieux. C’était un moment de plénitude, je pris le temps de le goûter. Puis, je réglai mes consommations et sortis du café. En arrivant sur le seuil, j’avais à ma droite la poste, puis un peu plus loin toujours à droite ma voiture, que je devais prendre pour aller chercher mes enfants à l’école. Ce que j’aurais dû faire est donc un grand mouvement vers la droite en commençant par mettre ma lettre à la poste.

En fait, il n’en fut rien. Car, consultant ma montre, toujours sur le seuil du café, je me rendis compte qu’il me restait un battement de trois bons quarts d’heure avant de partir. Je choisis d’occuper ce temps en allant faire une prière à la cathédrale de Toulon, toute proche. Je partis donc à gauche vers la cathédrale.

En arrivant devant l’édifice religieux, je fus pris au milieu d’un cortège funèbre. Hommes et femmes venus accompagner un des leurs pour un dernier voyage. Corbillard. Croquemorts. Mines tristes. Je ne me sentis pas de déranger ces gens. Aussi décidai-je d’abandonner le projet de prière à la cathédrale pour aller faire une marche méditative sur le cours Lafayette.

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Ce cours est une allée piétonnière très animée le matin car s’y tient le marché de Toulon. L’après-midi, c’est une grande allée morne qui descend vers le port. C’est là que ça s’est passé.

A peine avais-je pénétré le cours que je sentis sur moi comme un éclair tombé du ciel. Pourtant il faisait grand beau ce jour-là. Pas le moindre nuage. Un frisson foudroyant me parcourut depuis la nuque jusqu’aux talons, et à ce même instant, une force me tira vers le bas du cours Lafayette. Comme si quelqu’un me tirait la chemise par devant. Il n’y avait pourtant personne qui me tirait. Fort. Sans brutalité, mais avec une extrême fermeté, cette force m’entraîna vers le port. Sous le contrôle implacable de cette force étrange, je me mis à marcher à grandes enjambées dans le cours et parcourus ainsi plus d’une centaine de mètres. J’étais comme embarqué dans une charrette et cette charrette n’était autre que mon propre corps mis en mouvement par cette étonnante attraction. J’étais devenu en quelque sorte le… passager de mon corps.

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Puis, par une incurvation de la force, je fus attiré vers la gauche, vers une place qui marquait l’entrée d’un centre commercial. Un certain nombre de personnes y déambulaient. A l’entrée de la place, la force s’arrêta brutalement de me tirer et mes pieds se figèrent sur le sol. Mes yeux se mirent à scruter la place, à la balayer à toute allure, comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant, à la recherche de quelque chose que j’ignorais. Cette force qui mettait mes yeux en mouvement était de la même nature que celle qui m’avait fait descendre le cours Lafayette, comme extérieure à moi, tout en étant implacable, terriblement autoritaire.

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Je scrutai la place quelques instants quand soudain mon regard se fixa sur un couple qui sortait du centre commercial. Plus rien d’autre ne compta pour moi que ces deux individus qui étaient dans le viseur de mes yeux et qui s’approchaient lentement de moi. Ils avançaient paisiblement en se parlant l’un à l’autre. Et puis, quand ils arrivèrent à ma hauteur, ils s’arrêtèrent, la femme face à moi. Et d’une voix très douce, elle me dit… « Bonjour Philippe ! »

C’était elle ! C’était Anne, cette femme à qui je venais d’écrire cette lettre pendant deux heures.

Sur le moment, encore tout remué par

l’exceptionnelle rencontre, le cœur battant à tout rompre de ces émotions inattendues, je ne sus trop comment gérer la situation. J’invitai la belle Anne et son compagnon à boire un verre, mais ils étaient pressés et prirent congé rapidement. Je restai là sur la place, médusé par ce qui venait de m’arriver.

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Ce qui se passa ce jour-là ne peut être l’effet du hasard. Car même si la rencontre avec Anne peut n’être qu’une coïncidence, cette force inouïe, cette impression d’être traversé par un éclair, ne peuvent pas être des phénomènes aléatoires. Au moment où je pénètre dans le cours Lafayette, il se passe quelque chose, et ce quelque chose me met en mouvement vers le port, puis vers le centre commercial.

Ce qui est plausible, c’est qu’à l’entrée du

Cours Lafayette, j’ai détecté la présence d’Anne. Elle est alors à près de 400 mètres, dans un centre commercial. Mais par quel moyen ?

Il est tentant de penser à la télépathie. D’autant plus tentant qu’une année après, je demandai à Anne comment elle avait vécu la situation de son côté. Elle s’en souvenait très bien. Elle me dit « Mon ami et moi étions en train de parler de toi quand soudain tu es apparu devant nous… »

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Mais ce n’est qu’une hypothèse. Ce qui est certain, c’est que ce qui déclenche la mise en œuvre de cette force, c’est le fait que chez moi émerge soudain la conviction qu’Anne n’est pas loin. Et ce d’une façon totalement inconsciente. Mon corps sait, mais moi, je ne sais pas et je ne comprends pas ce qui se passe. Extrêmement étonnant que de voir mon corps se mettre en mouvement à cause d’une information dont je n’ai aucune conscience.

J’en parlai un jour à un psychiatre, qui me dit que ce genre de comportement peut s’apparenter à ce que l’on voit dans certains accidents de voiture. Des comportements réflexes d’une extrême justesse et précision qui ont pour but la survie de l’individu. Des comportements qui se font hors de toute conscience et sont pilotés par des structures archaïques du cerveau.

Finalement, je ne partis pas pour cette

mission en Arabie Saoudite. Le contrat prenait chaque mois un mois de retard, et, finissant par m’impatienter, je signai un contrat avec une société d’Aix en Provence pour des projets dans les télécommunications.

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Partie II – Le guide technique

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Une approche humble

D’abord, une approche humble. Le

propos de ce livre n’est pas de dire que je sais tout sur cette maladie. La bipolarité peut être vécue très différemment parmi les bipolaires. Ici, je veux seulement relater mon expérience, comme celle d’un cas spécifique de bipolaire. Le but est de porter conseil à des personnes qui entreraient dans la maladie, conseils qui ne viendraient pas du milieu médical mais plutôt d’un grand frère qui connait un peu le chemin à cause de son expérience.

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Phases maniaques

Le trouble bipolaire est essentiellement

caractérisé par une alternance entre des phases maniaques et dépressives. Les phases maniaques sont très énergétiques. Un ou plusieurs des signes suivants peuvent apparaître et être signe d’une crise :

- Activité intellectuelle très intense. Cela

signifie qu’une grande quantité d’idées

viennent à l’esprit, souvent toutes à la fois. Il

est bien connu que les bipolaires sont très

créatifs. Il y en a des célèbres : Vincent Van

Gogh, Ernest Hemingway, Antoine de Saint

Exupéry parmi de nombreux autres.

Cependant, je note qu’il y a une différence

entre avoir des idées et être créatif. Pour

créer, il faut être capable de transformer une

idée en une création artistique ou une

invention scientifique, et ça n’est pas donné à

tout le monde. Une bonne gestion de l’état

mental est essentielle pour la création, mais

j’y reviendrai…

- Manque de sommeil. Très souvent le sommeil

est rare en phase maniaque. Ma quantité

habituelle de sommeil est d’environ huit

heures par nuit, mais en crise maniaque, elle

descend souvent à quatre heures, et parfois

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beaucoup moins, une heure par nuit. Ce

manque de sommeil n’est pas bon du tout

pour la santé mentale et peut conduire à des

fautes, des erreurs de jugement et de

mauvaises décisions.

- Rangement. Les maniaques ne peuvent

supporter le désordre. Pendant ma première

crise maniaque, je passais toutes mes nuits à

ranger la maison d’une façon bien spéciale. En

fait, mon esprit ne s’occupait pas de la tâche,

et mes mains rangeaient par elles-mêmes

avec une incroyable efficacité.

- Dépenses extravagantes. Je n’ai pas ce

symptôme, mais il est très répandu parmi les

bipolaires. Dans les phases maniaques, ils

dépensent de grandes quantités d’argent,

parfois plus que ce qu’ils ont, souvent plus

que ce qu’ils devraient. Et ils le regrettent par

la suite. Je connais une femme qui avait déjà

une voiture très chère. Dans une crise

maniaque, elle acheta deux autres voitures

très chères le même jour. Elle n’avait pas

l’argent pour faire ça, mais poussée par

l’énergie mentale de la phase, elle réussit à

convaincre le vendeur de fournir les

véhicules.

- Le sentiment prophétique. J’ai ce symptôme.

Dans les phases maniaques, j’ai une

connexion directe avec Dieu. Je le sens. Je lui

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pose des questions, et par signes, il me

répond. Je suis guidé dans chacun de mes

gestes. Dieu est partout et tout le temps. Et

ceci est d’autant plus étrange qu’en dehors de

ces phases maniaques, je suis indifférent à la

religion, je ne crois pas en Dieu du tout.

- Logorrhée. Dans les phases maniaques,

comme beaucoup d’idées affluent vers

l’esprit, il y a un besoin d’échanger avec les

autres, de communiquer. Mais, tant le flot des

idées est intense, tant le flot des mots

prononcés est immense. Difficile de supporter

un bipolaire en crise parce qu’il peut parler

abondamment et pas forcément d’une façon

organisée et sensée.

- Séduction et désinhibition généralisée.

Comme une extension du précédent

symptôme, la communication peut prendre

les traits de la séduction. Dans mon cas, je

tente souvent de séduire en crise maniaque.

Dans un contexte de désinhibition

généralisée, j’ose sans complexe. Mais en fait,

je n’ai pas vraiment de succès dans cette

activité parce que mon esprit saute souvent

d’un sujet à l’autre, d’une femme à l’autre.

- Invincibilité. J’ai ce symptôme très dangereux.

Dans mon voyage à Paris pour jeter le

président français dans la Seine, je n’ai aucun

doute sur mon succès. Le symptôme est

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dangereux parce que, comme on se sent

invincible, on peut tenter de se frotter à des

gens plus forts et plus méchants que soi.

- Délire. Ce symptôme est très répandu parmi

les bipolaires. En phase maniaque, on perd

souvent le contact avec la réalité. On

n’apprécie pas les situations telles qu’elles

sont. On peut prendre de mauvaises

décisions.

Mon fils Guillaume ajoute un autre

symptôme à la liste :

- Difficultés à soutenir la contradiction.

Nous voyons que les phases maniaques peuvent être très risquées. Mais est-il facile d’éviter de telles phases ? Pas du tout, parce que notre cerveau produit pendant ces phases une étrange chimie qui fait que nous nous sentons très bien. Quand nous débutons dans la maladie, nous ne voulons surtout pas accepter les médicaments psychiatriques qui nous feraient revenir vers le monde réel, qui paraitrait bien triste et ennuyeux.

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Quand nous avons plus d’expérience dans la maladie, nous sommes plus conscients de ce qui se passe et des enjeux et nous sommes plus enclins à tenter un retour à la réalité. Mais ce n’est pas simple du tout.

Donc, le premier conseil est le suivant :

soyons conscients des risques des phases maniaques. Nous pourrions avoir un comportement inapproprié. Nous pourrions prendre de mauvaises décisions et le regretter par la suite. A moins d’être un spécialiste du trapèze volant, s’il vous plait évitons les phases maniaques.

J’expliquerai plus tard comment s’y

prendre.

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Phases dépressives

Pendant les phases dépressives, les gens

sont tristes, nostalgiques, mélancoliques. Ils ont très peu d’énergie. Parfois ils pensent au suicide. Et certains réussissent dans cette triste tâche, surtout s’il n’y a pas de traitement. Une psychiatre me dit un jour que ce n’est pas au point le plus bas de l’humeur que le risque de suicide est maximal. En effet, à ce point l’énergie est souvent tellement basse que le bipolaire peut avoir des idées de suicide, mais pas assez d’énergie pour construire un projet de suicide. Le risque augmente quand l’humeur repart à la hausse. A ce moment, l’énergie est présente et si l’humeur s’effondre soudain, le suicide peut devenir un projet.

J’ai eu beaucoup de grandes phases

maniaques et seulement quelques phases dépressives. Une très forte après ma première crise maniaque. Je dormais 20 heures par jour, le reste occupé par des idées noires. Pensant que ma vie était perdue, que je ne serai jamais capable de remonter la pente. Idées de suicide, je pensais me jeter dans la falaise de Cassis. 300 mètres au-dessus de la mer. Belle fin. Mais pas vraiment de projet d’aller jusqu’au bout. Trop fatigant…

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Je ne peux pas dire que je sois un expert

des phases dépressives parce que j’ai un tempérament très optimiste et donc, naturellement, j’évite ces phases. Cependant, j’en ai eu quelques-unes et j’ai une opinion sur la façon de les gérer.

Je pense qu’il ne faut pas refuser nos

phases dépressives. Elles sont un signe venant du plus profond de notre corps indiquant qu’il est fatigué et a besoin de repos. Nous devons accepter ce signal comme un don précieux.

Dans ces phases, nous devons nous

reposer, attendre, méditer aussi longtemps que le corps en aura besoin. La dépression est un peu comme l’hiver sur la nature. Le temps où les idées anciennes tombent comme les feuilles de l’arbre. Le temps où nous coupons le bois, où nous choisissons parmi les branches de l’arbre celles qui seront sélectionnées. Certaines seront coupées, d’autres gardées, mais raccourcies. Nous concevons la future forme de l’arbre, son architecture. Ici, nous ne le faisons pas en coupant des branches, mais en prenant sereinement des décisions concernant nos idées, nos projets, nos relations. Nous jetons certaines choses à la poubelle, nous rêvons le futur des autres.

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Ces phases sont essentielles et ne doivent pas être mises de côté. Elles font partie intégrante de la vie et sont aussi importantes que les autres. Une dépression bien gérée peut être le signal d’un nouveau départ dans la vie.

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Origine de la bipolarité

L’origine de la bipolarité est un vaste

sujet.

Certains pensent qu’elle serait due à une instabilité chimique chronique du cerveau. Cette approche amène rapidement à la conclusion que ce déséquilibre chimique ne peut être traité que par un traitement chimique. De plus, ce trouble serait lié à des causes génétiques.

Je n’aime pas cette approche, qui est très simple et parfois efficace, mais qui conduit à l’emploi de traitements dont les effets secondaires ne sont pas toujours satisfaisants.

J’ai fait une étude détaillée de bon nombre de mes crises et j’ai réalisé que chacune d’entre elles survient dans un contexte très stimulant. L’environnement psychologique du bipolaire doit être étudié pour comprendre et traiter le trouble. Je conviens que cette approche prend du temps au début, et qu’elle puisse être inefficace dans certains cas, car la psychologie est un art très difficile.

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Mais l’enjeu n’est pas de stabiliser, mais de guérir du trouble, et à long terme d’éviter ou de limiter les traitements et leurs effets secondaires.

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Travailler sur l'état de l'esprit

Donc, si on est d’accord sur ce qui peut

être à l’origine du trouble bipolaire, on peut imaginer qu’il est très important de travailler sur l’état de l’esprit. Cela signifie prendre soin de notre environnement pour éviter les contextes stimulants. Par exemple, éviter les tensions, les conflits, les harcèlements…

Par exemple, revenons sur le contexte de

ma première crise maniaque. Comme je le dis dans la première partie, j’étais déchiré entre le désir d’être un bon père, un bon mari, d’être fidèle et mes puissantes pulsions envers les femmes. J’étais arrivé à un point où cela n’était plus supportable. De mon point de vue, c’est la principale cause de ma première crise.

Dans un tel cas, que faire pour éviter la

crise ? Pas simple, parce que ça faisait longtemps

que j’essayais de trouver une solution. Mais avais-je été dans toutes les directions ? Avais-je frappé à toutes les portes ?

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J’essayais d’expliquer mon problème à Corinne, mais étant mon épouse, elle ne pouvait entendre mon discours. Elle ne pouvait accepter de moi qui l’avais demandée en mariage que je sois maintenant attiré par de nombreuses femmes. Mais elle me donna un conseil : « Essaie une approche psychologique… »

Je suivis son conseil et frappai à la porte

d’une psychanalyste. Je lui parlai de mon problème avec beaucoup de détails et lui demandai conseil. Mais cette femme était d’obédience freudienne dure et il était difficile de lui tirer un mot. Elle me laissait seulement parler et de temps en temps disait « Continuez… » ou « Je vous écoute… »

Curieusement, après quelques séances, je

commençais à éprouver des désirs pour cette femme qui était bien plus âgée que moi et dont la beauté n’était pas comparable à celle de Marilyn Monroe. Mais, toujours pareil, j’éprouvais des désirs mais il était difficile d’engager la conversation sur ce sujet. Un jour, cependant, je m’arrêtai de lui parler de ma vie, pour seulement lui dire :

- Vous savez, il y a quelque chose de

très difficile à vous dire… - Ah ! dit-elle. Continuez. Je suis là pour

vous entendre…

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Je la regardai attentivement. Mes yeux

plongèrent sur ses jambes nues qui étaient juste devant moi, puis remontèrent vers son visage.

- Vous savez, continuai-je, j’aime

beaucoup vos jambes… Surprise, dans un geste instinctif, elle

cacha ses jambes derrière le tissu de sa jupe. Les séances suivantes, elle n’était plus

habillée d’une façon décontractée comme avant. Elle ressemblait à une vamp, talons hauts, bas noirs et jupe courte. Et curieusement, ça me plongeait profondément dans le travail analytique. Je me libérai consciencieusement de tout ce que j’avais sur le cœur. De temps en temps, peut-être pour m’encourager, elle se mettait de profil et cambrait les reins dans une position très érotique.

Cette thérapie m’a-t-elle fait avancer ?

Oui, peut-être dans la prise de conscience de moi-même, dans l’acceptation de qui j’étais. Je peux dire que c’était la première étape. Je continuais cette analyse pendant quatre mois et puis ce fut l’hospitalisation.

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Un jour, ma première psychiatre, celle qui me reçut à l’hôpital, me dit que souvent une crise maniaque peut survenir en début de psychothérapie. Je pense que ça a été mon cas.

Comment cela se passa ? Très simple. Mon esprit était comme une cocotte-minute à cause de toutes ces pulsions instinctives envers les femmes. Ouvrir ma bouche au psychanalyste, c’était un peu comme ouvrir la cocotte-minute à un moment de pression maximale. Soudain, la vapeur et la nourriture giclèrent dans toutes les directions, ce fut ma première crise maniaque.

Ici, on pourrait voir une contradiction apparente dans mon discours parce que je dis : « Essayons de consulter quelqu’un avant que la crise ne se déclare, ne restons pas seuls avec nos problèmes. ». Et d’un autre côté, je dis que c’est précisément le travail psychanalytique qui déclencha ma première crise maniaque.

C’est vrai. Mais je pense que dans tous les

cas je n’aurais pas dû rester seul avec ce problème. Cela aurait pu me conduire vers des maladies plus graves comme les maladies psychosomatiques et le cancer, … Le chemin devait passer par le bureau de la thérapeute, qui déclencha la crise maniaque. Et quoi qu’il arrive, la maladie aurait été déclenchée à un moment ou à un autre.

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Ce que je veux dire ici est très important. N’ayez pas peur, si vous entrez en phase maniaque, ne vous inquiétez pas. Ne pensez pas que vous entrez dans une maladie, mais pensez plutôt que le trouble bipolaire cherche à résoudre un grave problème chez vous. Je reviendrai sur cette approche dans la prochaine partie.

Aussi, il pourrait être bon qu’à l’école, au lieu de nous enseigner des mathématiques complexes et inutiles, on nous explique qu’il n’est pas infamant de consulter un psychologue ou un psychiatre, que ces professions sont utiles, même pour des personnes en bonne santé physique et mentale.

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Agir au plus tôt, avant que la cocotte-

minute n’explose, avant que la coupe ne soit pleine, avant que la situation ne devienne dangereuse. C’est là sans doute une des clefs du problème.

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Détecter les phases maniaques

Les chapitres qui suivent sont peut-être

les plus importants du livre, parce qu’ils donnent des outils pratiques essentiels pour vivre un trouble bipolaire d’une façon presque agréable. Ils sont le fruit de 20 années d’expérience, d’observation et d’investigation.

Nous avons vu que le problème principal du trouble bipolaire est le fait que pendant les phases maniaques nous pouvons avoir un comportement hors des réalités et prendre des décisions aux conséquences graves. Ces conséquences graves peuvent être la cause de graves dépressions. Aussi, il est très important d’avoir une stratégie pour éviter les phases maniaques profondes.

D’abord, nous devons détecter l’entrée dans ces phases, et ceci n’est pas toujours simple.

Quels sont les signes ?

De ma propre expérience, il y a trois signes principaux :

- La diminution du sommeil - Une activité mentale intense et

désorganisée - L’attitude de l’entourage.

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La diminution du sommeil est facile à détecter. Dans mon cas, la durée de sommeil est habituellement d’environ 8 heures par nuit. Quand une crise survient, elle passe à environ 4 heures par nuit ou moins. Ceci peut être un signe et quand il survient, on doit être particulièrement vigilant. Mais cela ne signifie pas non plus à 100% qu’une crise a commencé.

Le second signe est le meilleur indicateur.

Activité intense et désorganisée. L’activité mentale peut être intense et riche sans qu’il y ait crise maniaque si elle est structurée. Cela signifie que l’esprit est paisible et que les idées sont bien organisées, l’une venant après l’autre. Dès l’instant où l’on commence à se disputer avec tout le monde, dès que les idées sautent constamment d’un sujet à l’autre, nous devons être très prudents.

Si un de ces signes est détecté, nous

devons avoir une bonne observation et une bonne écoute de l’entourage. Que pensent-ils de notre état d’esprit ? Pensent-ils que nous abordons une phase maniaque ? Nous devons poser des questions et écouter les réponses avec humilité.

Si ces signes persistent, ne pas hésiter à

consulter un psychiatre.

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Gérer la quantité de sommeil

Dans les phases maniaques, le problème

de la durée de sommeil est critique. Difficile d’avoir une bonne nuit de sommeil ; et après plusieurs nuits sans grand sommeil, les bipolaires peuvent devenir très fatigués. Aussi, le manque de sommeil n’est pas bon du tout pour la santé mentale, la perception de la réalité peut être altérée.

Mais que faire ? Il est difficile de forcer quelqu’un à

dormir. S’il ne « veut » pas dormir, il est inutile de lui dire qu’il doit dormir, parce que le plus souvent il le sait déjà et en fait il ne réussit pas à dormir.

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Généralement, le manque de sommeil est associé à l’hyperactivité mentale. Le danger est là : on ne veut pas dormir, et notre esprit nous suggère bon nombre d’activités à la fois. Mon conseil est le suivant. Ne dormez pas si vous ne le pouvez pas, mais ne laissez pas votre esprit vous entraîner dans de multiples activités à la fois. Reposez-vous, essayez de vous reposer le plus longtemps possible, relaxez-vous. Vous aurez tout le temps de tester vos idées ultérieurement. Allongez-vous sur votre lit si vous pouvez. Parfois, prenez un bain ou une douche. Ecoutez de la musique douce. Restez calme. Respirez bien.

Vous pouvez aussi faire appel à un

psychiatre pour vous faire prescrire une médication appropriée. Dans mon cas, le Theralene m’a été souvent prescrit, mais pas toujours avec le plus grand succès.

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Gérer la sérénité

Plus que la quantité de sommeil, la

sérénité de l’esprit est essentielle. Comment passer d’un état où quantité

d’idées traversent l’esprit dans tous les sens à un autre état sage et paisible ?

L’outil principal pour cela est sans aucun

doute la méditation. Cette activité est bien connue des sociétés depuis des siècles. Il pourrait y avoir différentes écoles de pensée, mais le but est toujours le même : retrouver la paix de l’esprit.

Comment cela fonctionne-t-il ? Très simple. Trouvez un endroit calme et

relaxant et respirez plusieurs fois avant de commencer. Puis, laissez les idées venir à l’esprit, accueillez-les, acceptez-les, mais ne les laissez pas accaparer votre esprit. Pour chaque idée qui vient à votre esprit, dites-lui juste bonjour et très rapidement bonsoir. N’entrez pas dans une réflexion profonde sur l’idée.

Je pratique cette technique plusieurs fois

par jour dans un jardin près de chez moi et c’est très efficace pour se sentir relaxé et paisible.

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Un autre point est la gestion de l’environnement. Essayez de ne pas être dérangé tout le temps par des personnages toxiques qui vous submergent sous leurs problèmes sans vous respecter. Choisissez comme amis les bonnes personnes et gérer les relations avec votre famille de façon à donner et prendre le meilleur.

Le sport peut aussi être très bon pour la

santé mentale. Je marche beaucoup et ceci est essentiel pour ma sérénité.

Une autre chose très importante est l’endroit où vous vivez. Les bipolaires ont besoin de calme. Je peux dire que lors des crises maniaques, ce serait mieux de vivre seul. Parce que vos nuits sont plus courtes, et que, pour compenser, vous pouvez avoir besoin d’une sieste à n’importe quel moment de la journée. Le mieux est d’accepter le sommeil quand il vient. Aussi parce que vous avez besoin de ne pas être dérangé par des discours inappropriés. Vous êtes dans une phase où vous avez besoin de penser à vous-même et vous n’avez pas à trouver des solutions aux problèmes de tout le monde. Donc, en phase maniaque, il est mieux de vivre seul ou alors avec une très intelligente et respectueuse personne.

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Invalidité ou non ?

En France, un psychiatre peut demander au gouvernement une pension d’invalidité pour un bipolaire. Dans certains cas, cela peut être accepté. J’ai une telle pension depuis une dizaine d’années. Avant cela, j’essayais de vivre mon trouble bipolaire en travaillant dans les grandes compagnies du logiciel comme chef de projet.

Mais, c’était très difficile. En dix ans, j’ai

déménagé dix fois et j’ai été licencié trois fois. Finalement, ce n’était pas efficace du tout. A chaque fois, je découvrais une nouvelle entreprise et apprenais leur activité spécifique pendant des mois ou des années, et à peine commençais-je à être efficace pour ce nouveau travail que j’entrais dans une phase maniaque et étais systématiquement licencié.

Difficile de gérer une crise tout en

exerçant un travail à responsabilités. Finalement, j’ai demandé une pension et je l’ai obtenue. Je n’ai aucune honte à cela. Sans aucun doute, je suis plus utile à la société de cette façon que précédemment. Vous en voulez une preuve ? Vous l’avez sous les yeux. J’ai le temps d’écrire des livres, de partager mon expérience.

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Quand j’ai arrêté de travailler, incontestablement, mon état de santé s’est amélioré. Le fait de ne plus être exposé au stress de l’environnement industriel, à la pression des plannings, à la mauvaise humeur des autres m’offrit une qualité de vie favorable à ma stabilisation. Bien sûr, cela laissa un grand vide, mais je le remplis avec diverses activités, rémunérées ou pas : préparer des repas pour les sans-abris, créer des sentiers de randonnée, créer et présider une association de malades mentaux, enseigner les mathématiques, et écrire…

Donc, si vous vous rappelez mes conseils sur la gestion du sommeil et de la sérénité, il est presque impossible de le faire tout en travaillant dans l’industrie. Aussi, de mon point de vue, si vous avez un trouble bipolaire sévère, n’hésitez pas à demander une pension d’invalidité et appréciez votre nouvelle qualité de vie.

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La méthode d’Albert Einstein

Comme nous évoquons la gestion de

l’esprit et la méditation, je vais vous raconter une intéressante histoire sur la façon de vivre d’Albert Einstein. J’ai lu un de ses livres il y a très longtemps, et, au premier chapitre, le scientifique décrivait sa méthode de travail.

En fait, il disait qu’il travaillait avec la

même méthode que Sherlock Holmes, le célèbre détective. Mais comment travaillait-il, Sherlock Holmes ?

Très simple. Il commençait ses

investigations en allant sur le terrain, réunissant des indices, interrogeant des gens et analysant des documents. Albert Einstein dit que dans cette phase, le détective travaille beaucoup, c’est la phase de compression.

Après ça, il rentre chez lui, s’assied dans

un fauteuil, allume une pipe et se détend. Il ne cherche plus à résoudre son problème, mais laisse seulement son esprit se relaxer. C’est ce qu’il appelle la phase de décompression. Et qu’advient-il ?

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Très souvent, dans la phase de

décompression, des idées et des amorces de solution surgissent. Aucun effort de l’esprit pour trouver ces solutions qui émergent automatiquement du cerveau.

Sherlock Holmes est alors content d’avoir

trouvé des éléments de la solution et repart pour une nouvelle phase de compression pour confirmer les éléments surgis pendant la phase de décompression et aller plus loin. Puis, une nouvelle phase de décompression, et ainsi de suite. Ainsi, par un processus itératif, le détective s’approche de plus en plus de la solution.

Albert Einstein utilisait cette méthode et

jouait souvent du violon dans les phases de décompression. Chacun sait le succès de ses travaux.

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J’utilise cette méthode moi aussi et je l’apprécie beaucoup. J’alterne entre des phases de compression et de décompression selon mon propre rythme corporel. Généralement, environ deux heures de travail, puis une heure de méditation dans le jardin. J’arrête la phase de travail quand je commence à être fatigué intellectuellement ou quand je commence à faire de petites erreurs fréquentes. Travailler selon son propre rythme est la source de beaucoup de plaisir.

Donc, il est important de comprendre la

puissance de la relaxation. Il n’est pas nécessaire de persister au travail tout le temps pour obtenir des résultats. L’alternance entre des phases d’activité et des phases de détente pourrait être beaucoup plus efficace et bien sûr beaucoup plus agréable.

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Un outil : les médicaments

Je me suis battu contre les médicaments

pendant longtemps. Comme je ne me sentais pas malade, je pensais qu’il n’était pas nécessaire de prendre des médicaments. Pour moi, la personne malade n’était pas moi, mais la société tout entière qui m’entourait. Je la trouvais franchement pathologique. Elle devait se soigner, pas moi.

Comme je l’ai expliqué auparavant, le sujet des médicaments était tout à fait critique et fut certainement la raison principale de mon divorce avec Corinne. Ce sujet était très déstabilisant pour moi. Pourquoi ? Parce que quand je ne prenais pas les médicaments, tout le monde autour de moi, parents et amis, s’inquiétaient pour moi. Ils étaient convaincus que les médicaments étaient bon pour moi, et ils ne cessaient de me harceler avec ça, en disant : « Attention, Philippe, tu es sur la pente vers la folie, tu perds le contrôle, tu dois prendre ton traitement. »

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En fait, leur discours me disant que j’étais en train de devenir fou, venant de toutes parts, me rendait fou précisément. C’était très difficile à supporter et ma réaction était de m’en aller, juste pour trouver un endroit où l’on serait gentil avec moi. Ou un endroit désert.

Un jour, j’ai compris une chose très importante. Si vous prenez un traitement, vous calmez la famille et les amis. Et à la place d’un harcèlement permanent, ils deviennent tous très tranquilles et amicaux à votre égard. Cet effet boomerang vous renvoie paix et calme, ça devient plus facile de gérer la crise. Un peu plus tard, j’ai commencé à ressentir les effets des médicaments sur ma santé, sur le contrôle des crises, qui devinrent de moins en moins fréquentes, voire à disparaître totalement. Quel confort. Comment avais-je pu me passer de ce luxe pendant tant d’années ?

Mais, en dépit de ces avantages

incontestables, je ne suis pas réellement convaincu par les médicaments. Je les prends comme un outil, pas comme une religion, pas pour l’éternité. D’abord pour les effets secondaires sur le foie, le rein, la libido et l’inspiration. Ensuite, parce que l’homme ne doit pas être bridé. J’aimerais retrouver ma sexualité d’antan, celle que je rencontre parfois en crise, sulfureuse, volcanique, magnifique…

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Mon traitement

Depuis mon premier internement en 1999,

j’ai essayé beaucoup de médicaments : - Solian,

- Depakote,

- Depamide,

- Tégrétol,

- Abilify,

- Lithium,

- Risperdal

Plus certains traitements spéciaux pour le contrôle des crises maniaques. De 1999 à 2011, je n’étais pas réellement convaincu des bienfaits des médicaments. Je n’y portais donc pas grand soin. Parfois, je les prenais et parfois non. Ce n’est pas efficace du tout. Et puis, dès qu’une crise survenait, j’arrêtais tout traitement. Ceci peut expliquer que les résultats n’aient pas été parfaits…

En 2011, après une crise majeure pendant laquelle j’essayai de jeter le président de la république dans la Seine, je me suis dit : « Maintenant, ça suffit ! Je vais prendre le problème à bras le corps. » J’ai décidé d’arrêter de déménager et j’ai acheté un petit appartement à Aubagne. Je décidai aussi de trouver un bon traitement pour ma santé.

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Ma psychiatre et moi avons mis deux ans pour trouver les bonnes molécules et les bons dosages. Depuis 2013, nous pouvons dire que nous avons trouvé un bon équilibre. Le traitement est maintenant :

- Lithium. Le lithium est un régulateur d’humeur, il évite d’avoir des hauts et des bas.

- Risperdal. C’est un neuroleptique qui évite le délire.

En plus de cela, quand une crise survient,

pour retrouver le calme et la paix intérieure, j’utilise le Locsapac, qui est très efficace, mais qui a de très inconfortables effets secondaires, aspect zombie. J’utilise aussi le Theralene qui aide à dormir.

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Je suis stabilisé depuis six ans. Plus d’internements, plus de délire spectaculaire, la bête sauvage est sous contrôle ! Ça ne veut pas dire qu’il faut se relâcher. Maintenant je connais les symptômes d’une crise : une diminution significative de la quantité de sommeil, l’activité mentale sautant incessamment du coq à l’âne, bouillonnement intellectuel et excitation. Dès qu’un de ces signes apparaît, je consulte ma psychiatre et nous ajustons le traitement. Je reporte toutes les tâches non indispensables et, même si je ne peux pas dormir, je m’efforce de me détendre.

Ceci est possible grâce à mon statut d’invalide et cela signifie aussi que mon équipe psychiatrique et moi-même avons fait de sérieux progrès dans la gestion des crises.

Ces médicaments ne sont pas sans effets secondaires. Le lithium peut causer des dommages sur la fonction rénale, qui doit être surveillée. Et le Risperdal ? Ma psychiatre m’a confié un jour que c’était un inhibiteur de la testostérone, l’hormone mâle. Ceci signifie que ma libido est en sommeil. La vie sexuelle devient plus difficile, moins spontanée, moins brûlante. L’inspiration aussi souffre de ce médicament qui, combattant le délire, combat également la fonction imaginative, comme effet secondaire.

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Le dosage du Risperdal est toujours le sujet d’une délicate négociation avec ma psychiatre. Souvent, quand mon inspiration est très mauvaise ou que mes performances sexuelles sont au plus bas, je lui demande de diminuer ce dosage. Généralement elle accepte non sans me rappeler qu’aussitôt qu’apparaitrait le moindre signe de crise, il faudrait remonter le niveau de ce médicament.

La plupart du temps, la baisse du traitement fait son effet. Je redeviens plus sensible au charme des femmes, je les désire plus souvent et la mécanique sexuelle se fait plus opérationnelle. Mon inspiration est meilleure pour l’écriture, mais ce dans une plus grande liberté. Ceci signifie qu’il n’est pas toujours facile de se focaliser sur un sujet donné ou sur le projet de livre en cours.

Quelques semaines après, généralement moins de deux mois, les premiers signes de crise apparaissent. Mon esprit se laisse envahir par beaucoup de projets et d’idées magnifiques. Ces débuts de crises sont des périodes très prolifiques qui conduisent souvent à des concepts originaux. Ces concepts seront utiles plus tard quand le calme et la paix seront revenus. Le sommeil se fait rare. Je vais devoir consulter ma psychiatre pour remonter le traitement.

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J’expliquerai dans la partie IV quels sont mes projets par rapport au traitement.

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Un outil : l’hôpital psychiatrique

L’hôpital psychiatrique a mauvaise

réputation. Ce n’est pas juste. L’hôpital est un endroit calme où l’on peut se reposer, protégé par l’équipe médicale. Généralement, il y a un jardin où l’on peut marcher. On peut aussi faire des activités si l’on veut.

Si on a besoin, on peut discuter avec les infirmiers et infirmières et si l’on est patient avec les psychiatres.

Un avantage de l’hôpital, c’est qu’il vous retire de votre contexte habituel. Et dans bien des cas, la crise peut trouver sa cause dans la relation avec ce contexte (famille, travail, …). Bien loin de la source de vos problèmes, vous pouvez prendre du temps pour méditer, pour trouver des solutions et pour prendre des décisions sur votre situation.

A l’hôpital, on rencontre du monde et on a du temps pour leur parler et les écouter. Je me suis fait beaucoup d’amis à l’hôpital. J’ai eu une grande histoire d’amour aussi qui a duré sept ans.

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Finalement, c’est un endroit où sont concentrées un grand nombre de pathologies et c’est très instructif d’apprendre à leur sujet. Ça peut notamment aider à comprendre son propre comportement.

Donc, si nécessaire, ne pas hésiter à demander à son psychiatre une place à l’hôpital.

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Comment vivre une crise ?

Les crises maniaques sont souvent euphoriques. On se sent beau, intelligent, invincible. Les contacts sont nombreux, faciles et riches. On pense que tout est possible. Dieu est notre ami, il est partout, il nous guide et ce sentiment est plaisant. Les projets fusent de toutes parts, il y a beaucoup d’idées, c’est un peu comme si on était au cinéma. Comment ne pas apprécier un tel contexte ?

On vous dit : « Tu es malade ! » et vous ne

comprenez pas, le monde n’a jamais été si beau pour vous. Vous n’êtes pas malade, vous êtes sans doute en train de guérir de quelque chose. Votre inconscient essaie de nouvelles pistes pour résoudre un problème. J’expliquerai en détail dans la Partie III ce que je veux dire.

Ne refusez pas vos crises, ne refusez pas

les symptômes. Acceptez-les, c’est le moyen que votre corps a choisi pour s’exprimer. Mais ne vous gavez pas de votre crise, refusez le rythme démoniaque que votre corps voudrait imposer, respirez, reposez-vous, vivez votre crise dans la lenteur, goûtez-la, nourrissez-vous de ce qu’elle veut vous apporter. Appréciez-le comme le plus délicieux des nectars.

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Surveillez votre sommeil et, si vous

n’arrivez pas à dormir, prenez du temps pour vous reposer, vous relaxer, méditer. Ecoutez de la musique douce, prenez un bain ou une douche, faites de petites balades dans la campagne. Isolez-vous si vous voyez que des conflits apparaissent avec l’entourage. Attachez une grande attention à cette période de votre vie. Vivez là pleinement. Dégustez-la !

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Ne restez pas seul face à vos problèmes !

Amis bipolaires, si je n’avais qu’un conseil

à vous donner, ce serait : « Parlez ! ». Ne restez pas seul face aux problèmes qui vous minent. Ne vous laissez pas envahir, submerger ou dominer par les frustrations. Et le conseil s’adresse aussi à ceux que la maladie n’a pas encore touchés. Les problèmes psychologiques non résolus qui reviennent indéfiniment sur la table sont un terreau fertile pour la maladie mentale.

Si vous pouvez parler à un ami, un

proche, de ce qui vous pèse sur le cœur, de ce qui ternit votre vie, vous avez de la chance. Ce bonheur n’est pas donné à tout le monde. Si ce n’est pas le cas, essayez de consulter un psychiatre, un psychologue ou un thérapeute comme il y en a beaucoup maintenant. Trouvez la personne qui vous convient et faites le travail dont vous avez besoin. En parlant, vous comprendrez ce qui vous arrive et vous le vivrez mieux. C’est le premier pas vers la thérapie…

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Pour certains, le coût de la thérapie peut

être lourd. Mais il est bien connu qu’en France, les consultations chez les psychiatres sont bien remboursées par la sécurité sociale et les mutuelles. Dans les centres médicaux psychologiques (CMP), les séances de psychologie et de psychiatrie sont complètement gratuites. Parfois, on y trouve aussi des séances de sophrologie, aussi gratuites, et qui sont très bonnes pour la santé mentale.

Il y a aussi les bipolaires qui ne veulent pas être en contact avec les médecins ou l’environnement médical. Pour ceux-là, il y a les Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM). Ces associations indépendantes offrent diverses activités aux malades mentaux (dépressifs, bipolaires, schizophrènes, …). Cela crée du lien social. Aucun personnel soignant n’est accepté dans ces structures. Les malades échangent entre eux au sujet de leur vie, de leur maladie et de leur expérience.

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Je suis fier d’avoir été le créateur et le président d’un tel GEM à Aubagne en 2011. Il s’appelait « La Montgolfière ». Chaque semaine, nous emmenions des malades dans les collines pour respirer un peu en marchant ou en partageant un pique-nique. Cela a été une très riche expérience. L’été, nous allions dans les spectacles gratuits de la région et tout le monde était heureux.

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Un mot à la famille et aux amis

Vous, familles de bipolaires, amis, collègues, vous êtes les vraies victimes de la bipolarité !

Au début, vous ne comprenez pas ce qui

se passe, vous voyez votre mari, votre frère, votre père se comporter très différemment de l’habitude. Vous vous inquiétez, surtout pour lui. Vous craignez qu’il n’agisse d’une façon inappropriée, qu’il ne dépense son argent sans compter, que des personnes malhonnêtes abusent de sa confiance, qu’il ne prenne de grands risques et mette sa vie en danger. Vous n’arrivez plus à lui parler, à l’écouter. L’incompréhension est reine.

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Alors vous consultez un psychiatre et le verdict tombe. Il faut l’hospitaliser. Mais il y a un problème. Il n’a aucune envie de se laisser interner. La liberté est si belle. Vous devez donc déclencher la procédure d’hospitalisation. La chasse est ouverte. Comme un dangereux fauve, il est traqué, encerclé. Finalement, il est attrapé, lié et conduit à l’hôpital.

Mon ex-femme Corinne fit cela et mes deux filles, Laura et Natacha, à peine sorties de l’enfance, ont eu elles aussi à piloter cette subtile opération. L’une après l’autre. Parce qu’elles m’aimaient et qu’elles voulaient me protéger. Quand c’est arrivé, j’étais très en colère contre elles, mais avec le recul, je leur suis infiniment reconnaissant. Ces trois femmes sont des personnes exceptionnelles, elles m’ont protégé contre ma propre volonté, c’était la voie de l’intelligence et de la sagesse.

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Je pense que la famille a un rôle important à jouer dans la bipolarité, surtout dans la prévention des crises. Il est plus difficile de réparer le barrage lorsqu’il a cédé. Chacun de nous est un bipolaire en puissance et nous vivons dans un monde de compétition et d’isolement. Chacun doit résoudre tout seul ses problèmes et là est le point critique. Apprenons l’entraide mutuelle, écoutons vraiment ce que disent les autres et apprenons à détecter les personnes qui sont submergées par des conflits intérieurs insupportables. Aidons-les à gérer leur difficulté à vivre, partageons nos expériences de vie. Et si cela n’est pas suffisant, si le problème est vraiment critique, apparemment sans solution, n’hésitons pas à consulter un professionnel.

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Partie III – La bipolarité : une opportunité ?

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Contextes critiques

Les crises bipolaires détruisent souvent la

vie professionnelle et familiale. De fait, les crises sont souvent mal jugées. Mais l’expérience m’a montré que la crise peut aussi souvent être un outil très efficace.

J’ai dit dans la Partie I (Chapitre Origine

de la Bipolarité) que de mon point de vue, le trouble bipolaire n’est pas seulement dû à un déséquilibre chronique de la chimie du cerveau, mais qu’il peut être associé à des contextes. J’ai fait une analyse détaillée de plusieurs de mes crises et j’ai conclu que pour chacune d’entre elles, j’avais à faire face à des problèmes difficiles apparemment sans solutions.

Ma proposition est la suivante :

« La bipolarité est seulement une façon

d’ouvrir la résolution de problèmes psychologiques difficiles et très gênants à de nouvelles approches, non conventionnelles. »

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Nous allons maintenant faire un débriefing de trois de mes crises afin d’identifier dans chaque cas quel était le problème et comment la bipolarité leur a trouvé une solution. Les trois crises choisies sont :

- La première - La plus spectaculaire, - La dernière.

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Débriefing sur un mari charmeur

J’ai décrit dans la Partie I (Chapitre

Retour aux sources) ma première crise maniaque et son contexte. A cette époque, j’étais piégé entre deux sentiments antagonistes. D’un côté je voulais séduire toutes les femmes de la terre et faire l’amour avec elles. De l’autre, je voulais rester un bon père, un bon et fidèle mari. J’étais complètement incapable de concilier ces deux aspirations de mon corps.

Ce conflit intérieur créa des tensions et

conduisit à un comportement inapproprié. Par exemple, quand j’étais avec ma femme, je pensais souvent à d’autres femmes. Mais quand j’essayais de séduire ces autres femmes, les suivant dans la rue, j’étais totalement incapable de leur parler, paralysé par la culpabilité.

Pendant de nombreuses années, je fus

déchiré entre ces deux désirs incompatibles. J’essayais de nombreuses choses, sans succès. Qu’advint-il ?

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Un jour, mon corps a dit : « Stop ! Nous n’allons pas rester indéfiniment dans cette attitude frustrante. Essayons de nouveaux comportements… » et, parmi de nombreuses autres permissions, je m’autorisai le droit de parler aux femmes dans la rue. Cela me désinhiba totalement et me permit de connaître cette fameuse infirmière de Sanary. Elle eut la surprise de me voir lui chanter des chansons, allongé sur le trottoir.

Ce nouveau comportement autorisé par la

crise bipolaire était typiquement dans le champ de la folie, je veux dire hors du champ habituel de mes possibles. C’est le principe d’action de la bipolarité. Ouvrir le champ d’investigation à ce qui n’est pas habituel, parfois fou.

Qu’advint-il ? On m’amena à l’hôpital psychiatrique. Là,

je rencontrais des psychothérapeutes et on mettait au grand jour ce problème qui me minait depuis dix-sept ans. La crise avait fait passer mon problème d’un domaine secret et personnel au domaine public où chacun pouvait en parler et donner son avis. Il devenait trivial et cela déchargeait la charge affective associée.

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La crise me poussa au chômage, ce qui me laissa du temps pour méditer sur la question, et du temps pour rencontrer d’autres femmes et peut-être pour progresser sur le problème. Finalement, la crise me conduisit à rencontrer plusieurs thérapeutes et l’une d’entre elles me conseilla de quitter la maison familiale pour me construire un espace personnel. Ceci fut un vrai commencement…

Donc je dis que la crise m’autorisa à

m’échapper de ce ronronnement pathétique où j’étais tombé, pour découvrir une nouvelle vie, qui ne serait pas plus facile, mais qui, dans tous les cas, offrirait des opportunités.

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Débriefing sur un coup d’état manqué

J’ai commencé ce livre en vous faisant le

récit d’un coup d’état manqué. Quand je raconte cette histoire aux gens, il y a deux types de réaction. Certains disent : « Mais mon vieux, tu n’as rien d’un dingue. Au contraire, quel acte héroïque et sauveur pour l’humanité ! Ecoute, la prochaine fois que tu fais ça, appelle-moi, je t’accompagne… » D’autres, embarrassés, tournent sept fois leur langue dans leur bouche avant de lâcher quelques mots d’admiration à celui qui fut ma cible, ne comprenant pas comment j’ai pu développer une telle haine à son égard.

C’est à ces derniers que je m’adresse ici. Certes, cette haine peut paraître pathologique, mais je vais expliquer sur quel terrain elle se construit.

Tout commence lors d’une soirée

d’élection présidentielle avec ma fille aînée Laura. Nous avons voté socialiste, c’est la droite qui passe. Laura a toujours eu le cœur franchement à gauche et est une militante pour les causes qui en valent la peine. Là, elle est consternée. Elle me demande ce que je pense de la situation. Je lui dis :

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- On a perdu. C’est le jeu de la démocratie. Nous avons maintenant un nouveau président, je vais l’aimer parce que les français l’ont élu…

- Comment peux-tu dire des choses pareilles ? Tu sais qui c’est, celui-là ? répond-elle.

Voilà donc comment j’ai accueilli ce chef d’état, c’était cordial, faute d’être chaleureux…

Une année passa. J’évoluais au fil de mes montagnes russes, et mon psychiatre de l’époque essayait de me soigner au Tégrétol. J’aimais beaucoup ce petit bonhomme qui avait toujours des remarques pertinentes, une intelligence fine, et beaucoup d’histoires intéressantes à raconter.

C’est à cette époque que je rencontrais pour la première fois une praticienne de la médecine chinoise. Elle m’avait fait un peu d’acupuncture, et m’avait administré une pharmacopée qui était censée me guérir définitivement de ma maladie bipolaire. Le coût de cette thérapie était de :

- Deux séances d’acupuncture à 45€

l’une, - Et d’une pharmacopée à environ 50€. Autrement dit, en un mois de traitement

et avec un budget de 150€, adieu la bipolarité.

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C’était bluffant ! J’avais suivi les indications pendant un mois au bout duquel la thérapeute me déclara sur un ton assuré : « Philippe, tu es guéri ! » Je trouvais ça fabuleux. Je me croyais guéri, mais l’étais-je vraiment ?

Toujours est-il, je trouvais ça tellement formidable que j’en parlais à un ami, très haut placé dans le pouvoir médical en France. Je lui demandais si les autorités financeraient des études pour étudier la thérapie de la bipolarité selon la médecine chinoise. Car d’un côté si les succès étaient réels, la sécurité sociale ferait des économies colossales en médicaments, en consultations, et en hospitalisations et d’un autre côté, si la thérapie était un leurre, il ne serait pas inutile de prendre des sanctions.

Il m’écouta avec intérêt, puis me dit : « Ne

perds pas ton temps ! Tous les décideurs de la chaine de santé mangent sur la psychiatrie. Ils ne vont pas couper la branche sur laquelle ils sont assis. La médecine chinoise fera son chemin à son rythme. Laisse-lui le temps de convaincre… »

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J’étais scandalisé, surtout que je connaissais la fonction qu’occupait mon ami, et je me demandais qui mieux que lui pouvait avoir une vision plus fine et plus pertinente de la situation. Que faire si toute la chaine de santé est corrompue ? Qui peut contrer ça ? Qui peut imposer une approche scientifique et pragmatique de la médecine ?

Qui ?

Mais c’est bien sûr ! Le président de la République.

Je lui fis donc une lettre en demandant une étude scientifique des possibilités de la médecine chinoise sur la bipolarité. Il me répondit sur le champ en me disant qu’il transférait le dossier au Ministre de la Santé et que je serai tenu au courant.

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J’attendis. J’attendis un an et demi, jusqu’en février 2010. Le Ministère de la Santé ne donnait pas signe de vie, et comme le président ne m’avait pas donné le nom d’un interlocuteur dans cette administration, c’était à lui de subir l’effet de mon impatience. Je lui fis donc une nouvelle lettre, plus originale. En effet, j’emballais soigneusement ma pipe et la joignais à l’envoi. Je relatais au président l’historique de notre échange, je lui disais qu’il était visiblement difficile de se faire comprendre, mais qu’il n’avait qu’à poser cette pipe quelque part, fixer un jour et une heure et que je l’y rencontrerai avec plaisir.

Cette fois-ci, il ne répondit pas. Mais il se

passa quelques semaines après une étrange coïncidence. Je travaillais alors chez Eurocopter, leader européen de la fabrication d’hélicoptères, où j’étais expert de la simulation de certaines fonctionnalités vitales du NH90. La direction du groupe annonça pour le 4 mars la visite du président de la république en personne à qui on dresserait une tribune de plusieurs milliers de personnes dans le cadre des élections régionales qui se tiendraient deux semaines plus tard.

Un de mes collègues de travail me dit en

rigolant : « Tiens, il te rapporte ta pipe… » En moi-même, je me disais : « Pourquoi pas ? De toutes façons, c’est une occasion à ne pas rater ».

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A cette période, j’avais déjà commencé ma campagne présidentielle et je cherchais ardemment mes 500 signatures. Je voulais le rencontrer, pas comme un citoyen soumis, mais comme un challenger avant une compétition de judo. Je voulais qu’un photographe de presse fige cet instant où une poignée de mains unirait les deux rivaux de la future élection présidentielle.

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Aussi, j’adressais au directeur général d’Eurocopter un courrier électronique lui expliquant que d’une part j’étais candidat à l’élection présidentielle et que d’autre part, je souhaitais serrer la main du président lors de sa visite. Je n’eus pas de réponse du directeur général. Le chef de service me convoqua et me signifia mon interdiction de pénétrer le site d’Eurocopter à partir de maintenant. Deux jours plus tard, j’étais licencié.

Je veux bien que ce soit moi le malade, mais que dire de la violence de ces milieux industriels ? Licencié pour avoir osé demander de serrer la main du président de la république, c’est qui qu’il faut enfermer ?

Voilà le contexte dans lequel trois ans après son élection j’appréhende le président de la république et la clique néfaste qui le sert aveuglément à mon détriment. Faut-il s’étonner que je sois quelque peu en colère contre lui ?

Mais, ce n’est pas tout.

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En occident, on dit beaucoup de mal des chefs d’états africains et mon enfance a été bercée par ces sarcasmes. Pourtant, il existe un pays d’Afrique où l’électricité et l’eau à usage domestique étaient gratuites, que le prix du litre d’essence y était de 0.08€, qu’il n’y avait ni impôt, ni TVA, que lorsqu’un couple se mariait, l’état fournissait le premier appartement, jusqu’à 150 m2. Quel état peut se prévaloir d’une telle politique sociale, d’un tel partage des richesses, à part cet état africain ?

J’étais pour ma part impressionné par un tel niveau de gratuité. Certes, le pétrole permet de faire toutes ces avancées, mais tous les pays producteurs ne le font pas.

Aussi, quand j’appris, quelques jours

avant de monter à Paris faire mon coup d’état, que le président de la république usait des moyens militaires de la France pour aller exterminer le chef de cet état, pour je ne sais quelles obscures raisons, mon sang n’a fait qu’un tour.

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Tout ça pour dire que certes le délire existe, certes l’action menée lors de ce coup d’état est déraisonnable et très imparfaitement construite, certes j’ai l’allure d’un Don Quichotte allant pourfendre ses moulins, mais ce qui est sûr, c’est que le comportement du président en place et de son entourage mérite que des gens comme moi se révoltent.

Pour moi, quel était l’enjeu ?

Mon trouble bipolaire m’avait conduit vers un traitement lourd aux effets secondaires pénibles, spécialement sur ma vie sexuelle. Par accident, je rencontrai une praticienne de la médecine chinoise qui me proposa une guérison totale de la maladie. Pouvais-je être confiant dans cette approche ? Je demande de l’aide à mon président, aucune réponse sérieuse. J’essaie de le rencontrer quand il vient sur mon site de travail. Résultat : je suis licencié. Et finalement il participe à l’exécution d’un chef d’état africain que j’aime beaucoup.

Dans une telle situation, que faire ?

J’essaie de le dégager en commençant une campagne électorale pour l’élection présidentielle et je réalise sur le terrain qu’il sera complètement impossible de réunir les 500 signatures nécessaires à la procédure.

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En dernier recours, j’essaie de le dégager physiquement avec mes propres moyens. Était-ce une si mauvaise idée ?

Je veux dire, mon cerveau a essayé de trouver une solution dans le monde de la folie, là où tout avait été tenté sans succès dans le monde ordinaire.

Et une leçon d’un tel événement pourrait être : « Les sociétés injustes sont la source d’énergies bipolaires. »

Une question : le coup d’état a-t-il réussi ? Finalement, après deux mois d’internement, je rentrai chez moi et demandai une pension d’invalidité. Ce fut accepté et ce statut me donna beaucoup de temps pour penser aux changements nécessaires de notre société. J’ai pensé à la meilleure façon de diffuser mes idées. Ça m’a laissé aussi du temps pour trouver des partenaires dans la médecine chinoise et pour commencer une approche scientifique de cette très intéressante opportunité. Donc, je peux dire : « Le coup d’état a réussi. »

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Débriefing sur la fin d’un couple

Récemment, j’avais avec une femme une

relation difficile. Elle était ma compagne et vivait sous mon toit. Elle avait beaucoup de mal à supporter mes activités qu’elle critiquait souvent avec des excuses diverses. Elle n’acceptait de moi que les choses qui la touchaient directement : nos balades dans la campagne ou au bord de la mer, nos repas partagés. Dans ce contexte, il était difficile d’imaginer le moindre espace de liberté, la moindre sorte d’indépendance. Aucune possibilité de prendre du temps pour écrire un livre, ni de travailler sur un sujet politique brûlant, ni de s’intéresser à un projet personnel.

Cet état de fait me faisait bouillir. J’avais

l’impression d’être en cage et nous nous disputions souvent à ce sujet. Nos querelles se firent de plus en plus fréquentes. Je proposai à ma compagne une séparation. Comme j’étais le propriétaire de l’appartement, c’était à elle de trouver un nouveau toit. Mais, en dépit de mon insistance, elle ne voulut pas partir.

J’étais piégé, soumis à d’incessantes

critiques, impliqué dans de nombreuses disputes sans aucun espoir d’échapper à la situation.

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Qu’advint-il ? C’est très simple. Ma durée de sommeil se

réduit de 8 heures à moins de 4 heures par nuit. La crise maniaque s’annonçait. Je savais qu’il me fallait réagir pour éviter le dérapage. Une fois de plus, je demandais à ma compagne d’aller s’installer chez sa fille, le temps pour moi de gérer les états émotionnels liés à la crise. Elle n’estima pas la gravité de la situation et refusa une fois encore de partir.

Pour moi, la situation devenait critique. Je

connaissais les difficultés à gérer les états maniaques en étant seul, mais là, dans le contexte d’un couple en dispute, cela m’aurait entraîné vers l’internement à coup sûr. Je prenais donc les devants. Je déclarai à ma compagne : « Si tu ne pars pas, je demande à me faire interner… » J’étais sérieux et elle ne m’avait pas laissé d’autre solution.

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Mais, cette fois-ci, elle comprit que c’était sérieux et qu’il n’y avait d’autre issue que de partir. Elle le fit et je la remercie beaucoup d’avoir eu cette intelligence, d’avoir porté cet acte d’amour véritable. Quelques jours après, toujours flottant dans mes états maniaques, je pris la décision de prolonger indéfiniment cette séparation, de mettre fin à la relation. Cette fois-ci, la décision n’était plus molle et hésitante, comme elle le fut auparavant sans doute. Non, cette décision sembla tombée du ciel, urgente, impérative, incontournable.

Dans cet état d’esprit très spécial,

j’informai ma compagne de ma décision de séparation. Cette fois-ci, elle comprit et accepta et c’est à ce moment précis que, soudain, mon sommeil revint à son cycle normal de huit heures par nuit.

Ici encore, nous voyons un exemple où

l’entrée en phase maniaque apporte une solution à un problème qui parait sans solution. Si je n’étais pas passé en mode maniaque, les disputes auraient sans doute persisté et Dieu seul sait où cela nous aurait amenés.

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Comment la bipolarité opère ?

Certaines personnes prennent la

bipolarité comme une maladie tragique. Ce n’est pas mon cas. Au contraire, je pense que la bipolarité est surtout une opportunité de trouver des solutions à des problèmes insolubles. J’ai montré comment cela s’est produit pendant trois de mes crises dans les chapitres précédents.

Comment cela fonctionne-t-il ?

La bipolarité apparait quand toutes les tentatives pour résoudre un problème ont été sans succès. Aucune solution possible et un problème très stressant et désagréable dans votre vie. Le processus bipolaire étend le champ d’investigation. Il désinhibe la personne. Donc, il autorise des chemins qui étaient auparavant interdits. L’entourage est surpris parce que la personne « malade » a un comportement nouveau, il n’est pas le même que d’habitude.

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Pour résoudre ce problème, qui n’a pas de solution dans le monde ordinaire, le bipolaire brise le tabou de la raison et s’offre le luxe de la folie. Le problème peut alors trouver de nouveaux axes d’exploration dans le monde étendu de l’irrationalité. Parfois, une solution est trouvée et il appartient alors au bipolaire de retrouver le chemin de la réalité avec sa solution dans les mains.

Les crises bipolaires brisent la contrainte de la rationalité, permettent les dérapages et la folie qui ouvre de nouvelles perspectives. De nouvelles voies s’ouvrent, qui échappent à l’entendement humain. Les cohérences existent toujours, mais hors du cadre conventionnel. L’entourage est inquiet car le bipolaire n’est plus dans son comportement habituel, explorant ses nouvelles voies sans se soucier de la famille et des amis.

Dans mon cas, les crises trouvent souvent des solutions aux problèmes posés. Pour mes difficultés conjugales, à deux reprises, la bipolarité me conduisit à la rupture. Pour mon coup d’état, elle m’amena à réorganiser ma vie d’une meilleure façon, avec beaucoup de temps pour réfléchir à la politique et à la médecine chinoise.

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Alors, la bipolarité est-elle vraiment une maladie ?

Je dirais le contraire. Bien sûr, les crises maniaques profondes sont dangereuses. Bien sûr, les phases dépressives sont inconfortables et dangereuses aussi. Elles doivent être contrôlées. Mais la bipolarité est avant tout un signe indiquant que le bipolaire est en situation difficile. La bipolarité cherche à soigner les maux les plus profonds, les plus enfouis, les plus stressants avec une méthode originale et non conventionnelle. Le problème avec la bipolarité, c’est que sa présentation, ses symptômes ne sont pas toujours compatibles avec la vie en société. Cela signifie-t-il que la bipolarité est une maladie ou bien que notre société est très intolérante ?

Je suis licencié parce que j’ai demandé au directeur général d’Eurocopter de serrer la main du président de la république quand il vient sur mon lieu de travail. Qui est malade ? Qui doit être enfermé ? Celui qui licencie ou celui qui est licencié ?

Pourquoi me met-on des menottes aux poignets et m’attache-t-on les pieds avec des liens de cuir avant de me jeter dans un hôpital psychiatrique ? Parce que j’essaie de communiquer avec un arbre ? Où est la liberté en France ?

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La bipolarité est une maladie parce que la

société a une vision étroite et normative de l’individu. Elle ne tolère aucune déviation, aucun excès, aucune originalité. Quel que soit le coût humain, il faut entrer dans le moule. Ça donne du travail aux psychiatres. Ils nous gavent de médicaments pour rentrer dans le moule.

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Partie IV - Et maintenant ?

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De 1999 à 2019

En février 1999, le trouble bipolaire a été

pour nous une surprise. La première crise maniaque a eu un impact très fort sur ma vie, conduisant au divorce et au licenciement. Plus de dix crises majeures ont eu lieu depuis 1999 qui me conduisirent à l’internement presque à chaque fois. Donc, le temps total d’internement entre 1999 et 2013 est d’environ un an. Pendant cette période, le traitement n’était pas adapté ou complètement absent. 2013 a été un tournant. L’ajustement du traitement s’est avéré opérationnel et depuis cette date, plus besoin d’internement.

Pendant cette période troublée, j’ai vécu

de nombreuses crises, des hauts et des bas, avec leurs conséquences à chaque fois, et en fait j’ai appris beaucoup. J’ai appris sur les signes du trouble bipolaire, sur la façon de détecter les crises, de les contrôler. Autour de moi, j’ai une équipe : ma psychiatre, ma psychologue et plusieurs infirmières et infirmiers prêts à intervenir si nécessaire.

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J’ai un traitement qui limite les occurrences des crises maniaques. Si c’est parfois insuffisant, je suis capable d’adapter le traitement afin d’éteindre le feu. Je suis capable de reconnaître très tôt le début d’une phase maniaque. Je sais aussi comment organiser ma vie pour limiter les départs en crise.

Nous pouvons donc dire que la situation

est sous contrôle. Mieux, j’aime ma vie.

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Les problèmes restants

“Si la situation est sous contrôle et si vous

aimez votre vie, pourquoi chercher plus loin ? »

Il reste des problèmes. Les médicaments ont des effets

secondaires. La vie sexuelle n’est pas parfaite, l’inspiration peut être altérée et la fonction rénale endommagée. Ce n’est pas rien et la réduction du traitement est un réel défi. En plus, j’ai le fervent désir de redevenir moi-même, de ne plus être un homme au comportement ajusté par des pilules.

Mais la réduction du traitement n’est pas

simple. Ma psychiatre et moi-même avons fait plusieurs essais dans les années passées, réduisant le dosage du Risperdal de 3mg à 2mg. A chaque fois, après une période de moins de deux mois, amorce de crise.

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Que faire ?

Alors, que faire ? Mon expérience, décrite en détail dans ce

livre, montre que les crises ne sont pas le résultat d’un processus aléatoire, mais une réponse à des contextes stimulants. Alors, que faire ? Simplement travailler sur le contexte, sur l’environnement, sur le mode de vie.

Ceci signifie que j’ai à travailler sur ma

sérénité. Je ne dois pas laisser mon esprit accumuler les germes de la colère. J’ai à inventer de petites soupapes de sécurité pour évaporer la pression mentale quand elle est trop forte. Je dois mieux me connaître. Le chemin sera long.

Je dois considérer le contexte de ma première crise : la gestion de mes désirs féminins. Pour cela, j’ai une feuille de route. Ne pas s’engager si l’on n’est pas vraiment amoureux de la personne. Vivre la relation avec intensité. Mais ne pas hésiter à rompre si elle devient la source de permanentes frustrations.

Trouver la bonne façon de vivre mes pensées politiques. Tester mes idées sur un petit nombre de personnes. Ecrire des livres et écouter ce que les gens ont à dire.

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Pour la guérison du trouble bipolaire, essayer d’autres techniques, trouver d’autres partenaires.

Mais toujours, rester prudent et ne pas perdre ce qui a été durement acquis ces dernières années…

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La bonne partenaire

J’ai trouvé la bonne partenaire

accidentellement. Elle s’appelle Michèle. Sa fille cherchait des cours de mathématiques et une amie commune lui donna mon numéro de téléphone. Quand je la rencontrais pour la première leçon de sa fille, elle m’expliqua qu’elle était spécialisée dans la médecine chinoise et l’hypnose. Et aussi, dans la gestion des addictions.

Aussitôt, je lui parlais de mon problème

d’alcoolisme. A cette époque, je buvais environ deux bouteilles de vin par jour sans compter les whiskys. Je lui parlais de mon trouble bipolaire aussi. En fait, ma psychiatre s’inquiétait de ma consommation d’alcool parce que mon foie donnait lors des analyses sanguines des signes de fatigue.

Elle me répondit qu’on pourrait commencer par traiter le problème de l’alcool et passer au trouble bipolaire ensuite. Je lui dis que j’étais très intéressé par sa proposition et en demandai le prix. Elle me proposa un troc : une heure de mathématiques contre une heure de médecine chinoise.

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Je lui proposais mieux : nous faisons du bénévolat réciproque. Je suis responsable des résultats en mathématiques de sa fille et je fais de mon mieux. Elle est en charge de ma santé et elle fait de son mieux. Aucun comptage, aucune comptabilité entre nous. Nous nous mettons d’accord sur ce contrat.

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L'alcool

Je travaillais sur mon problème d’alcool

depuis deux ans avec un médecin spécialisé dans les addictions, aidé par des techniques de shiatsu et de sophrologie. Avant l’intervention de Michèle, nous étions arrivés à diminuer sensiblement ma consommation, mais au prix d’énormes efforts psychologiques de ma part. Malgré cela, ma consommation était encore trop forte. Le matin à partir de 10 heures, je commençais à rêver de mon whisky de midi.

Michèle commença par un entretien de deux heures, suivi par une séance de trois quarts d’heure comprenant simultanément :

- Acupuncture, - Hypnose, - EMDR (Eye Movement

Desensitization Reprocessing)

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La technique d’hypnose était la suivante. Je suis invité à me coucher sur un lit. Puis, Michèle me met les aiguilles d’acupuncture dans la peau. Dans des écouteurs, j’entends un enregistrement spécial qui n’est pas le même à chaque séance. Devant mes yeux, paupières fermées sont projetés sur des lunettes opaques les scénarios EMDR. Ce sont des lumières colorées qui évoluent selon le discours hypnotique.

Les résultats de la première séance sont spectaculaires. Ma consommation tombe aussitôt d’une bouteille par repas à un verre par repas. Et plus de whisky. Et ce, sans aucun effort. Etonnant !

Michèle propose de faire une séance par

semaine. J’accepte. Elle me propose aussi une médication

chinoise à prendre pendant un mois. J’accepte. Pendant un mois, les résultats sont

stables, puis la consommation d’alcool repart à la hausse. Je suis inquiet.

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Le 21 mars, jour du printemps, Michèle propose un entretien avant la séance. Elle me fait comprendre que tout est lié à ma volonté. Durant la séance d’hypnose qui suit, je prends la décision de complètement arrêter l’alcool. Six mois déjà, et depuis cette date, je n’ai pas bu une goutte d’alcool. Et ce, sans aucun effort.

Jour après jour, la qualité de ma vie

s’améliore. Je ne pense plus à l’alcool. Je suis plus ouvert, plus éveillé. Je ne suis plus caché derrière ma bouteille de vin, je fais face à la vie et je l’apprécie beaucoup.

Je suis très reconnaissant à Michèle pour

l’aide qu’elle m’a apportée à arrêter l’alcool. Je suis conscient de l’efficacité de ses méthodes.

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Le trouble bipolaire

Donc, comme convenu, après l’alcool

Michèle et moi nous sommes concentrés sur le trouble bipolaire.

La méthode est la même que pour l’alcool : acupuncture, hypnose, EMDR et médication chinoise.

Au mois de juin, après six mois de traitement, nous avons proposé à ma psychiatre de réduire d’1/3 le Risperdal de 3mg à 2mg. Elle a accepté nous demandant d’être très vigilant à d’éventuels départs en crise.

3 mois ont passé et tous les indicateurs sont bons. L’esprit est actif, mais clair. Le sommeil a été parfait pendant deux mois. Ce dernier mois, la quantité du sommeil de nuit a un peu diminuée, mais elle a été largement compensée par de copieuses siestes en journée. Cette perturbation du sommeil a une double explication : d’une part l’excitation due à un voyage en Amérique et d’autre part des projets littéraires tout à fait passionnants.

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Je remarque une très nette amélioration de mon inspiration et une grande efficacité dans l’écriture de mes livres. Ma libido s’améliore et ma vie sexuelle est bien meilleure à 2mg qu’à 3mg.

Je remarque aussi que c’est la première fois qu’en diminuant le Risperdal à 2mg pendant plus de deux mois, l’esprit reste stable, actif et clair.

Je pense que c’est bon signe.

Nous nous sommes mis d’accord sur des plateformes de six mois d’observation pour chaque étape de diminution du Risperdal. Nous déciderons donc en décembre de la prochaine étape.

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Les projets

Et maintenant, quels sont les projets de

vie ?

Ils sont nombreux. Deux projets de livre. Le premier est une

fiction. Le sujet : la société sans argent. L’argent disparait brutalement de la société. Comment évolue-t-elle ? Est-il possible de trouver un nouvel équilibre ?

Le second sera écrit si notre travail avec Michèle sur la réduction du traitement est un succès. On y parlera d’hypnose, d’acupuncture et d’EMDR. Nous tenterons de donner une interprétation des résultats et de la méthode.

J’ai aussi des projets dans la création de sentiers et l’hébergement des sans-abris.

Mais le plus important est ailleurs…

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J’ai rencontré cette année une femme extraordinaire. Elle s’appelle Deborah. Je la connais depuis trois mois. Elle vit en Amérique et je vis en Provence. Je n’ai jamais eu de sentiments aussi forts avec aucune autre femme. Notre amour est partagé. Nous avons un réel défi à la construction de notre relation.

Certaines personnes disent qu’il est impossible de vivre avec un bipolaire. Nous allons prouver le contraire.

Pour le moment, notons qu’elle m’a grandement aidé à écrire la version anglaise de ce livre, tant pour la langue que pour le contenu.

Je souhaite à vous tous un aussi grand bonheur que le nôtre…

Goûtons la vie !

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Remerciements

Merci à toi, Corinne, qui fut ma femme

pendant ces périodes critiques. Nous avons vécu ensemble pendant 23 ans et tu as eu à supporter ma personnalité si spéciale. Je te remercie pour ton amour et ta patience. Je te remercie aussi d’avoir pris soin de nos enfants, de leur santé et de leur éducation durant ma maladie. Tu es entièrement responsable de leur succès et de leur équilibre. Je te suis très reconnaissant pour ça.

Merci beaucoup à Laura, Natacha et

Guillaume, mes trois enfants d’amour. Ma maladie a été une épreuve pour vous. Remerciements tout particuliers à vous qui avez dû piloter mes internements à plusieurs reprises et contre mon gré. Vous étiez très jeunes et ça n’a pas été très facile. Mais je suis sûr que cette expérience, même si elle a été très difficile, vous a apporté de la connaissance et de la compréhension du comportement humain. Félicitations pour votre succès dans la vie.

Merci Maman pour votre soutien et votre

compréhension pendant mes crises. Merci pour m’avoir donné le jour de ma naissance un état d’esprit si optimiste et une si grande aptitude à aimer la vie.

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Merci à Maminou et à toute l’équipe des

Cévennes. Votre soutien a été très présent et attentif. Et spéciaux remerciements à Alain, qui sait comment écouter un homme en crise maniaque et comment lui donner de précieux conseils.

Merci à toi, Philippe, mon GroJu. Nous sommes amis depuis bientôt 50 ans et nous avons toujours vécu ensemble des moments très intenses. Dans ma maladie, tu as toujours été le roc, celui sur lequel on peut compter, le fidèle. Merci pour tout ça. Je sais que dans ton esprit je n’ai jamais été vraiment malade, seulement spécial. Ce souffle d’air frais est si bon pour moi.

Merci Hélène. Vous êtes ma psychiatre

depuis près de dix ans. Je vous remercie spécialement parce qu’il y a dix ans, je cherchais un psychiatre pour m’aider à gérer mes états mentaux. Comme je ne voulais pas prendre de médicaments, la plupart des psychiatres du coin refusaient de m’aider. Vous non. Merci, Hélène. Vous m’avez accepté tel que j’étais, refusant les médicaments. Nous avons beaucoup parlé et quelques mois plus tard, j’acceptais d’initialiser un traitement. Merci d’être si proche, de m’écouter et de toujours essayer de trouver des solutions à mes problèmes.

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Merci, Bernard, d’avoir été un infirmier attentif durant mes internements à Valvert. Merci aussi pour vos cours de sophrologie, qui ont été très intéressants et me sont très utiles dans ma vie de tous les jours.

Merci à toute l’équipe du centre hospitalier de Valvert et à celle du centre médico-psychologique d’Aubagne (CMP) qui m’ont aidé à gérer mes crises avec une grande compétence.

Merci à tous mes compagnons

d’hospitalisation. Nous avons partagé des moments difficiles, mais c’était un plaisir de vous connaître et d’échanger avec vous. Remerciements spéciaux à toi, Laurent, dont l’humour était si ravageur que le temps passait à toute allure à l’hôpital. Félicitations pour tes impressionnantes actions caritatives. Je suis très fier d’être ton ami.

Merci Etienne, Lucile et Delphine, et à toute l’équipe du centre d’addictologie d’Aubagne (CSAPA). Votre aide dans mon combat contre l’alcool fut essentielle.

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Merci Michèle. Praticienne de l’hypnose et de la médecine chinoise, tu es à l’origine d’une grande amélioration de ma vie. Par ton aide et tes connaissances, j’ai arrêté l’alcool. Maintenant, nous avons été capables de réduire d’un tiers le Risperdal. Ceci améliore grandement ma qualité de vie. Je te remercie infiniment et te souhaite un grand succès professionnel.

Merci, Stacie, pour avoir été présente il y a 20 ans pendant une très difficile période de ma vie. Merci pour le soin et l’attention que tu m’as portés. Merci pour ton aide sur la version anglaise de ce livre. Merci d’être une précieuse amie.

Merci François, pour la relecture soignée

que tu as apportée à ce livre. Merci pour ta gentillesse et pour l’intérêt que tu portes à mon travail d’écrivain. Tu es un compagnon d’écriture idéal.

Merci Josiane, ma fidèle amie pour ton

soutien et ton écoute attentive depuis tant d’années. Nous avons partagé tant de bons moments ensemble. Merci pour ta relecture consciencieuse et sans concession de mon manuscrit. Tes précieuses remarques contribuent grandement à la qualité de cet ouvrage.

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Merci Deborah, mon grand amour. Ta

participation à ce livre est énorme. Echangeant souvent avec moi, tu m’as aidé à structurer mes pensées et mes idées. Ton influence m’a amené à complètement réorganiser le plan pour plus de lisibilité et de clarté. Dans notre vie de tous les jours, tu as une grande souplesse et tu t’accommodes aisément de mes rythmes atypiques. En cela, tu es une exception. Ma vie avec toi est un rêve merveilleux. Je n’ai jamais vécu un tel bonheur. Merci pour tout ça, Deborah…

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Table des matières

Introduction 1

Partie I – Les aventures d’un bipolaire 3

Vous avez dit bipolaire ? 5

Voyage à Paris 7

Retour aux sources 49

Chalucet 59

Une société sans argent 67

Imaginer et convaincre 87

Un bon programme 93

Le passager de mon corps 99

Partie II – Le guide technique 109

Une approche humble 111

Phases maniaques 113

Phases dépressives 119

Origine de la bipolarité 123

Travailler sur l’état de l’esprit 125

Détecter les phases maniaques 131

Gérer la quantité de sommeil 133

Gérer la sérénité 135

Invalidité ou non ? 137

La méthode d’Albert Einstein 139

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Un outil : les médicaments 143

Mon traitement 145

Un outil : l’hôpital psychiatrique 151

Comment vivre une crise ? 153

Ne restez pas seul face à vos problèmes ! 155

Un mot à la famille et aux amis 159

Partie III – La bipolarité : une opportunité ? 163

Contextes critiques 165

Débriefing sur un mari charmeur 167

Débriefing sur un coup d’état manqué 171

Débriefing sur la fin d’un couple 181

Comment la bipolarité opère ? 185

Partie IV - Et maintenant ? 189

De 1999 à 2019 191

Les problèmes restants 193

Que faire ? 195

La bonne partenaire 197

L’alcool 199

Le trouble bipolaire 203

Les projets 205

Remerciements 207

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Dépôt légal : octobre 2019

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Page 232: Bipolarité, Mon Amie

Le trouble bipolaire… Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que ça signifie ? Quand cela arrive-t-il ? Pourquoi ? Comment ? Est-ce un déséquilibre chimique chronique du cerveau, une maladie terrible, ou bien est-ce seulement un problème qui tente de trouver une solution ? Après 20 ans d’expérience, l’auteur décrit sa vision du trouble bipolaire et propose une approche originale à sa compréhension et à sa gestion.

Philippe BARATIER est un ingénieur français des télécommunications. Il y a 20 ans, il entre dans un trouble bipolaire sévère, qui détruira ses vies familiale et professionnelle. Dans ce livre, il relate sa vie de bipolaire, ses relations avec les psychiatres et les médicaments, ses grands délires. Il est stabilisé maintenant et dispense beaucoup de conseils aux bipolaires et à leur famille au sujet de la gestion de la maladie. Il donne aussi un sens au trouble bipolaire et présente ses projets sur le sujet.