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République Algérienne Démocratique et Populaire Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique
UNIVERSITE MENTOURI – CONSTANTINE.
Ecole Doctorale de Français Pôle Est
Antenne Mentouri N° DE SERIE : N° D’ORDRE : MEMOIRE
Présenté en vue de l’obtention du diplôme de
MAGISTER
Filière : Sciences des textes littéraires
Ecriture et symbolique du Désert dans Le petit prince et Terre des hommes
D’Antoine de Saint-Exupéry
Présenté par : Nesrine BENMEBAREK Sous la direction de : Dr. Kamel Abdou, Maître de conférences. Université Mentouri Constantine Devant le jury composé de : Présidente : Dr. Farida Logbi, Maître de conférences Université Mentouri Constantine Rapporteur : Dr. Kamel Abdou, Maître de conférences Université Mentouri Constantine Examinateur : Dr. Nedjma Benachour, Maître de conférences Université Mentouri Constantine
AVRIL 2007
2
Sommaire :
Ø Remerciements………………………………………………………………4
Ø Dédicaces……………………………………………………………...……..5
Ø Introduction………………………………………………………………......6
Ø Présentation de l’auteur et du corpus……………………………………….11
Première partie
Le désert : thème littéraire
Chapitre premier I- L’espace du désert chez trois écrivains algériens………………………………..24
1. Mohamed Dib…………………………………………………………………...24
2. Taher Djaout…………………………………………………………………….25
3. Rachid Boudjedra……………………………………………………………….26
Chapitre second II- L’étude de l’espace romanesque dans les récits de Saint-Exupéry…………….27
1. Le désert, espace ou lieu ?....................................................................................27
2. La présentation de l’espace dans les récits de Saint-Exupéry…………………..30
3. Espace et désert dans l’imaginaire de Saint-Exupéry…………………………..38
Seconde partie
Les aspects du désert
Chapitre premier I- Altérité et désert…………………………………………………………………50
1. Rapport des civilisations au désert ……………………………………………..50
2. Le désert des philosophes………………………………………….....................58
3. Le désert de Saint-Exupéry……………………………………………………...61
Chapitre deuxième II- Ambivalence de l’espace désertique……………………………………………70
1. Le désert, espace paradoxal……………………………………………………..70
a. Espace vide / Espace comble……………………………………………………72
3
b. Espace hostile / Espace amical…………………………………………………75
2. La quête du désert………………………………………………………………80
a. Fromentin et le Désert…………………………………………………………..82
b. Sacralité de l’eau dans le désert. ……………………………………………….86
Troisième partie
Aspects spirituels du désert
Chapitre premier I. La symbolique du désert…………………………………………………………89
Chapitre second II. La symbolique du désert dans les trois religions monothéistes…………………93
1. Dans la tradition biblique………………………………………………………..94
a. L’ancien Testament……………………………………………………………...95
b. Le nouveau Testament…………………………………………………………..96
2. Dans la tradition Coranique……………………………………………………..99
Quatrième partie
Dimension mythique et sacrée
Chapitre premier I. Le désert, espace transitionnel………………………………………………….105
Chapitre second II. Le désert, espace d’épreuves…………………………………………………..107
1. Rite initiatique………………………………………………………………….107
2. Mort initiatique………………………………………………………………...113
3. La quête de soi dans le désert………………………….………………………114
III. Espace de rédemption.………………………………………………………..117
Ø Conclusion………………………………………………………………...121
Ø Bibliographie……………………………………………………………...129
4
Remerciements
Je tiens à remercier, en premier lieu, mon directeur de
recherche, M.Kamel Abdou, pour son suivi, ses précieux
conseils et sa patience à mon égard dans mes moments les plus
pénibles.
Un très grand merci à Mme Benachour, qui a de tout temps
été présente pour nous, ses étudiants, qui nous a encouragés et
sans qui nous ne serions pas arrivés là.
Je remercie tous ceux qui, de près ou de loin, ont participé à
l’élaboration de ce modeste travail.
Je remercie mon adorable amie et sœur Nawal de me
« supporter ». Merci à toi très chère amie.
Je remercie M.Ali Tebbani, mon collègue et ami pour ses
conseils lesquels m’ont été d’une grande utilité, et aussi d’avoir
supporté mes humeurs !
Je remercie, et je demande à ceux et à celles que j’ai pu oublier
par mégarde, de pardonner cette omission involontaire.
Et enfin, et j’ai laissé le meilleur pour la fin, je ne remercierai
jamais assez la plus belle, la plus gentille et la meilleure des
mamans. Sans toi, maman, je n’aurais même pas fait partie de
l’univers, sans toi je ne serais pas arrivée à ce jour. Je te prie
de me pardonner pour les peines que je t’ai causées.
Je n’oublie pas bien sûr mon papa qui s’occupe tellement bien
de moi !
Merci à mes parents d’être mes parents
Et merci à mes ami(e)s d’être mes amis.
5
Dédicaces
Je dédie ce travail à mes parents et à toute ma famille.
6
« On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux. »
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, p59
Introduction
Le Petit Prince et Terre des Hommes d’Antoine de Saint-Exupéry, œuvres
originales à notre sens, proposent une vue nouvelle, profonde, réfléchie et puissante
de l’écriture humaniste. Ce sont deux récits qui nous ont d'abord interpellée par une
vision atypique du désert. Ainsi, J.Kessel, chef d’aéroplace à Cap Juby, a décrit
l’écrivain en ces termes : « On eût dit que ce fils de grande famille française était né
sous une tente nomade »1. Saint-Exupéry a pu créer, particulièrement, dans cet
espace, une magie, qui est celle d’apprivoiser les éléments comme les volcans ou
encore le soleil2, car selon lui, rien n’est impossible pour ceux qui savent préserver
l’enfant qui vit en eux. Il a le pouvoir de convoquer toutes les beautés du monde et
de les mettre à portée des yeux du cœur. Aussi, « pour rejoindre l’ailleurs
merveilleux »3, il faut ne parcourir que les espaces vastes et illimités4.
Le thème que nous ambitionnons d’étudier est celui du désert, et plus
précisément le désert du Sahara. Celui-ci est présent dans l’œuvre de Saint-Exupéry,
il représente l’immensité et la quiétude. Mais paradoxalement, il y voit un grand
vide et une hostilité singulière. Nous aspirons d’une part à approcher les textes dans
la perspective d’une analyse détaillée du thème du désert dans les textes de Saint-
Exupéry, et d’autre part, à l’étude des éléments liés à sa symbolique. Dans ce
contexte, en abordant ce type d’analyse, on s’est engagée dans la voie d'une
recherche des prémices théoriques de L’écriture du désert, thème littéraire qui
commence à ce répandre dans le champ des études littéraires. C'est à ce travail
qu’on s’est appliquée, empruntant ses méthodes à la théorie de l’espace du désert
avec pour approche le désert en tant qu’espace paradoxal, enrichie par l’étude de 1 Françoise Brin, Etude sur Terre des hommes de Saint-Exupéry, Paris, Ellipses, 2000, p 193. 2 Dans Le petit prince. 3 Le site officiel : http://www.saint.exupery.org 4 La mer en fait partie.
7
l’espace romanesque et ses différentes représentations, ainsi qu’à la dimension
mythique et sacrée des textes, dans le cadre de l'étude thématique de l’espace du
désert passage initiatique.
Le désert est un milieu naturel avant tout, un élément de la terre ô combien
fascinant. Hormis ses représentations symboliques et imaginaires, au milieu de tout
cela il y a également des écritures, de la poésie, de la peinture reflétant ses différents
et sublimes paysages, des histoires évoquant les prouesses, la bravoure et les us et
coutumes des hommes du désert. Pourtant, ce mot draine en lui-même une immense
portée symbolique et mythique. Il est indéniable de commencer avant tout par
définir le désert. Ainsi, dans Le Robert1, le mot désert, du latin desertum, signifie à
prime abord, lieu sans habitants. En géographie, le désert est une zone très sèche,
aride et inhabitée. Notons que ce sens du mot est toutefois très ancien et inclut
toutes les formes du désert, à savoir, déserts froids, déserts chauds, désert du
Sahara, du Kalahari2, de Gobi3, toutes les connotations liées à ce terme, notamment,
sécheresse, brusques variations de température du désert, infertilité, inhabitabilité,
immensité, désolation, silence qui caractérisent le désert, désert de sable, erg, dunes
du désert, désert de pierres, d'escarpements rocheux, Hamada, ainsi que tous les
éléments qui le constituent, tels que les vents du désert : Simoun, sirocco, les points
d'eau, la végétation dans le désert, les Oasis.
La traversée du désert s’accomplie en général par les nomades, les bédouins et les
caravanes de chameaux. Les visions qui abusent le voyageur franchissant un désert
s’appellent les mirages. Dans Vie de Jésus, VI, Œ, t. IV, p. 156, d’Ernest Renan4 :
« Le désert était, dans les croyances populaires, la demeure des démons. Il existe
au monde peu de régions plus désolées, plus abandonnées de Dieu, plus fermées à
la vie que la pente rocailleuse qui forme le bord occidental de la mer Morte ».
1 Dictionnaire interactif, 2005. 2 Plateau aride et semi-aride d’Afrique australe qui occupe le Sud-Ouest du Botswana, le Nord-Ouest de l’Afrique du Sud et le Sud-Est de la Namibie, entre le fleuve Orange et la cuvette de l’Okavango au Nord. (Microsoft Encarta 2007) 3 Grande étendue désertique, en Asie centrale, principalement situé en Mongolie. C’est un désert continental à hiver froid et à très forte amplitude thermique quotidienne et annuelle. (Microsoft Encarta 2007) 4 (1823-1892), philologue français et historien des religions. L’ouvrage connut, lors de sa sortie, un immense retentissement en Europe, suscita d’innombrables controverses et contribua de façon décisive à désacraliser la critique biblique et à fonder une exégèse laïque en France. (Microsoft Encarta 2007)
8
Ainsi, ce milieu si controversé, fait parvenir ses échos jusque dans les contrées
les plus éloignées et même au sein des sociétés occidentales, « peut-être comme
représentation de leur contraire, leur envers exacerbé »1. Cette attirance ne serait
pas sans relation avec la volonté de découvrir plus le lieu lointain et étranger « vidé
de son histoire » que les différentes sociétés qui le côtoient. La description que fait
l’analyste de cet espace sublime se résume en ces termes : « Densité particulière de
silence. Présence aiguë de la matière minérale. Couleurs ténues de la pierre, du
sable. Solitude et vide abrasifs. Modes de vie que le lieu, dans son excès, réduit à
l’essentiel. Rareté et nécessité conjuguées »2.
Et, c’est principalement en France que le Sahara a le plus d’attrait, et ce pour
des raisons historiques plus ou moins connues3. Les européens du 19ème siècle
cherchaient à défier, selon l’analyste, les caravaniers qui ont jadis, et d’ailleurs qui
continuent toujours, à sillonner ses routes sablonneuses et désertes. Il est avant tout
le lieu de « provocation pour des individus isolés, « fous » du désert »4 qui veulent à
tout prix fuir la « civilisation », ensuite, il est « objet de conquête et de
colonisation »5.
Les traces du passé qui en découlent ont permis de former une sorte de
« mythologie Saharienne » qui a plus qu’influencé la littérature occidentale. Le
désert est objet de fascination, de quête dans tous ses sens et de convoitise jusqu’à
en devenir une obsession pour certains. Il est davantage représenté comme un
espace symbolique et mythique en littérature qu’un espace géographique réel.
L’analyste parle du désert en tant qu’expérience spirituelle. Il dit à ce propos que les
voyages vers ce lieu fascinant « peuvent être des voyages a-topiques où le désert
comme métaphore est lieu d’expérience intérieure. Dans son dépouillement et sa
démesure, dans son incandescence, le désert évoque ou appelle la mise à nu. En
cela, il tente écrivains, poètes, mystiques de toutes origines »6.
1 Edwige Lambert, Désert, collection Alain Laurent, éd Autrement, Paris, novembre, 1983, p 11. 2 Ibid,. 3 Notamment, la conquête de l’Algérie et surtout du Sahara algérien. 4 Ibid,. 5 Ibid,. 6 Ibid,.
9
Ceux qui partent à la découverte du désert, vivent des moments intenses, mais
ce que nous ne pouvons occulter c’est précisément la manière de « vivre le désert ».
Selon J-R. Henry1, il y aurait deux façons, voire deux « comportements » à adopter
face à cette immensité. D’une part, celui du « ravissement », de la fascination ou de
la « séduction ». Ces comportements sont adoptés plus particulièrement par les
romantiques, les mystiques et tous ceux pour qui le désert a été révélateur de leur
« espace intérieur »2. Et d’autre part, un comportement de possessivité. Dans ce
sens où il est dû à « l’affrontement de la nature » qui transforme le désert, d’un lieu
de méditation et de reconquête de soi, en un « espace à conquérir, à posséder et un
témoin de l’élan vital de l’individu »3.
Donc, le terme de désert renferme un champ lexical très vaste et autant de
connotations que de symboles, tels que la solitude, la retraite, la méditation, le
recueillement mais également d’épreuves destinées à bouleverser un caractère ou
une foi. Ainsi, l’analyste résume en ces termes l’expérience du désert : « Moment de
probation et de prière, le passage au désert est la condition indispensable de
mutations fondamentales pour des individus ou pour des peuples. On renonce à un
monde, et à une vision du monde, pour faire éclore un temps nouveau »4.
Dans le dictionnaire de Trévoux, XVIIIe siècle, le désert est définit comme
étant tout espace « qui n’est point habité, ni cultivé », généralement la forêt ou tout
autre espace « sauvage ». En d’autres termes, un désert susceptible d’être mis en
valeur. Les moines n’y manquent pas évidemment, qui ont eu pour rôle de façonner
le paysage rural français, et « civiliser » la vieille forêt gauloise, symbole des
résistances au progrès romain. Ainsi, le désert est dès cette époque un lieu
« paradoxal ». On y fuit le monde, tout en l’apportant avec soi : l’ermite qui se
réfugie dans la forêt, la sanctifie et apprivoise les animaux féroces5.
Dans Méharées (1937), Théodore Monod lance un message, comme pour
prévenir les hommes contre le désert, ou plutôt en recommander la traversée
1 Chercheur au CRESM (Centre de Recherches et d’Etudes sur les Sociétés Méditerranéennes). 2 Id, Désert, op-cit, p18. 3 Ibid. 4 Ibid, p19. 5 Ibid, pp 19-20.
10
uniquement pour ceux dont la santé est « robuste » pour reprendre ses paroles, car,
le désert est « un pays où l’on n’a pas le droit d’être malade »1.
Il est dit dans une étude sur le désert que celui-ci « nous revoie à nous-même,
à nos limites »2. Se rendre au désert serait-il une façon de dépasser nos propres
limites ? Risquer un tel projet serait une manière de transgresser « un interdit
intime » et ainsi en subir les pires des conséquences. Régis Debray3, dans Dieu, un
itinéraire, parle du désert comme étant un « espace transitionnel » entre le milieu
de la vie ordinaire et celui où « les peuples nomades installent leur civilisation et
fondent leurs églises »4. La traversée du désert est évoquée dans les trois religions
du Livre. Les protestants ont alors appelé désert, l’assemblée constituante de la
nouvelle église. Ainsi, « apparaît cette belle ambivalence entre garder les choses en
l’état et/ou transgresser ou contraindre pour dépasser un état, un être »5.
Découverte d’un décor aux résonances bibliques, conquête d’une nature
hostile, révélation de soi, etc. Ces différentes approches liées au désert vont créer du
renouveau dans la littérature ; « le roman Saharien » de l’entre-deux-guerres,
reconnu par de nombreux prix littéraires, mais populaires et consacré par le cinéma.
Celui-ci développe un argument dominant : l’aventure méhariste, comme elle est
surnommée, avec comme variantes, la geste des aviateurs et celle des hommes de la
piste6.
Tout en mettant en exergue les valeurs individuelles et existentielles, le roman
Saharien sait faire la place à une problématique, soulever les thèmes relatifs aux
« faiblesses humaines » ou « désert victorieux », mais également, la fragilité des
civilisations.
1 Théodore Monod, Méharées, www.interbible.org 2 Ibid,. 3 (1940- ), philosophe et écrivain français, créateur de la médiologie, connu aussi pour son engagement politique en Amérique Latine et en France. (Microsoft Encarta 2007) 4 Ibid,. 5 L’histoire du désert, www.interbible.org 6 Id, Désert, op-cit, p23.
11
Présentation de l’auteur et du corpus :
1. L’auteur : Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944)
Troisième d'une fratrie de cinq enfants, Antoine de Saint-Exupéry naquît le
29 juin 1900 à Lyon dans une famille d’aristocrates. A la mort de son père, il se
rapprochera de sa mère. « Il est influencé par sa sensibilité et sa culture et il
entretiendra avec elle, toute sa vie, une volumineuse correspondance »1. Il passera
son enfance entre le château de la Môle2, propriété de sa grand-mère maternelle et le
château de Saint Maurice de Remens3, propriété de l'une de ses tantes. Son
anticonformisme se fera sentir à un âge très précoce. Son caractère indépendant lui
vaudra d’être souvent puni durant sa scolarité4.
A l’âge de 12 ans, il est fasciné par l'aérodrome d'Ambérieu, situé à quelques
kilomètres à l'est de Saint-Maurice-de-Remens où il y passe ses grandes vacances.
Et ainsi, naîtra sa passion pour les avions et ne le quittera plus. Il fera même son
baptême de l'air sur un Bertaud-Wroblewski, avion fabriqué à Villeurbanne par
l'industriel lyonnais Berthaud d’après des plans de Pierre et Gabriel Wroblewski5.
Deux ans plus tard, en juin, il obtient le prix de narration pour l'une de ses
rédactions. En 1917, Antoine de Saint-Exupéry est reçu au baccalauréat et entre au
Lycée Saint-Louis, pour préparer le concours d'entrée à l'Ecole Navale.
En 1921, au printemps, Saint-Exupéry effectue son service militaire à Strasbourg
dans l'armée de l'air. Il est d'abord affecté à l'atelier de réparation; il rêve toujours de
devenir pilote. Ayant réalisé des économies pour prendre des leçons, il effectue ses
premiers vols en double commande6. Puis après vingt heures d'entraînement il
monte seul à bord d'un avion. Lors de l'un de ces vols en solitaire, il réussit à se
1 Luc Estang, Saint-Exupéry par lui-même, éditions du seuil, 1956, p 5. 2 Dans le Var 3 A Ain. 4 Ibid,. 5 Ibid, p 6. 6 Ibid, p 7.
12
poser de justesse, alors que l'appareil est en flammes. Ce grave incident permet de
révéler son sang-froid et son self-contrôle.
Il obtient son brevet civil après avoir rejoint le 37ème Régiment d'Aviation de
Chasse, à Casablanca au Maroc, et nommé pilote militaire à Istres en janvier de
l’année 1922 où il sera promu caporal.
En dépit de plusieurs accidents d’avions, dont quelques uns assez graves, il ne
renoncera jamais à sa passion, survoler les continents. Saint-Exupéry envisage
toujours d'entrer dans l'armée de l'air, comme l'y encourage le général Barés. Mais
la famille de sa fiancée s'y oppose. Commence pour lui, alors une longue période
d'ennuis.
C’est chez sa cousine Yvonne de Lestrange qu'il aura l'occasion de rencontrer
plusieurs écrivains, dont, en 1925, Jean Prévost, secrétaire de rédaction dans la
revue Le Navire d'Argent. En avril 1926, il y publie une de ses nouvelles,
L'Aviateur. En octobre, l'abbé Sudour, son ancien directeur de l'Ecole Bossuet avec
lequel il entretenait des relations d'amitié, le présente à Beppo de Massimi, directeur
général de la compagnie d'aviation Latécoère. Cette dernière assure le transport du
courrier entre Toulouse et Dakar. Massimi l'engagera alors comme pilote. Il
assurera, quelques mois plus tard, la ligne Toulouse-Casablanca, et ensuite la ligne
Casablanca-Dakar.
En octobre, 1927, Saint-Exupéry est nommé chef d'escale de Cap Juby, dans le sud
marocain. C'est dans ces régions d'Afrique du Nord qu'il fait la connaissance
d'autres aviateurs pionniers, comme Guillaumet ou Mermoz qui deviendront ses
amis.
En 1928, en tant que chef d'escale de Cap Juby, Saint-Exupéry est chargé
d'aller sauver les pilotes tombés en panne dans le désert ou encore aux mains des
Maures. Il passera alors ses nuits à écrire Courrier Sud, qui sera publié en 1929.
Quelques mois plus tard, en compagnie de Mermoz et Guillaumet, Saint-Exupéry
part pour l'Amérique du Sud afin d'y étudier la possibilité de créer de nouvelles
lignes aériennes. En octobre, Saint-Exupéry arrive à Buenos-Aires et est nommé
directeur de Aeropostal Argentina. Il crée la ligne qui relie l'Argentine à la
13
Patagonie ; Buenos-Aires à Punta Arenas. Saint-Exupéry commence à écrire Vol de
Nuit. Le 7 avril 1930, il est nommé chevalier de la Légion d'honneur au titre de
l'aéronautique civile, pour les exploits qu'il a réalisés à Cap Juby. En juin,
Guillaumet est pris dans une tempête de neige lors de sa vingt-deuxième traversée
des Andes. Saint-Exupéry effectue des recherches pendant cinq jours en vain.
Guillaumet sera finalement retrouvé vivant une semaine après son naufrage1.
Benjamin Crémieux, qui donne une série de conférences en Amérique du Sud, le
présente à Consuelo Suncin, veuve d'un journaliste. Elle s'embarquera pour la
France peu après, et il la rejoindra lors d'un congé de deux mois au début de l'année
1931. Il l’épousera en mars de la même année.
En décembre 1931, Vol de Nuit, préfacé par André Gide, obtient le prix Fémina. Ce
roman aura un immense succès. En 1933, il devient pilote d'essai dans la Société de
Constructions Latécoère.
Depuis 1932, Saint-Exupéry ne cesse d'avoir des soucis d'argent. Pour y faire
face, il accepte de rédiger des préfaces, de collaborer à des scénarios et d'écrire pour
des journaux. C'est ainsi que de 1932 aux années 1940, il prête sa plume à des titres
aussi divers que l'hebdomadaire Marianne, Air France Revue, Toute l'édition,
Excelsior, la NRF, Le Minotaure, etc. Pour leurs pages, Saint-Exupéry écrit tour à
tour des récits de voyages, de courts billets, des notices techniques ou de véritables
textes littéraires ;Une planète en 1933, Un mirage en 19352.
En dehors de ces collaborations, Saint-Exupéry travaille également pour Paris Soir
et L'Intransigeant.
C'est à L'Intransigeant que Saint-Exupéry avait promis en 1935 le récit de son raid
Paris-Saïgon. Il décollera alors le 29 décembre à 23 heures, pour s’écraser quatre
heures plus tard, dans le désert de Libye. On ne le retrouvera que le premier janvier,
à 18 heures. C'est donc dans ce journal qu'en janvier-février 1936, il racontera en six
épisodes son expérience sous le titre Le Vol brisé. Prison de sable.
1 Ibid, p10. 2 Ibid,.
14
Ces textes seront intégralement repris dans Terre des hommes. C'est encore dans
L'Intransigeant que paraîtront les hommages à Jean Mermoz1 et Henri Guillaumet2.
Mais les articles les plus précieux de Saint-Exupéry dans L'Intransigeant sont ceux
consacrés au drame de la guerre civile espagnole.
Son métier lui permet de voyager de faire des escales dans plusieurs pays,
notamment, à Casablanca, Alger, Tunis, Tripoli, Benghazi, Le Caire, Alexandrie,
Damas, Beyrouth, Istambul et Athènes.
En décembre 1935, De retour à Paris, une année plus tard, il publie le récit de son
aventure dans L'Intransigeant, puis il enregistre, pour la radio, Atterrissage forcé
dans le désert.
Mermoz, qui avait acquis une grande renommée avec ses exploits aéronautiques,
disparaît en mer alors qu'il effectuait la traversée Dakar-Natal3.
Saint-Exupéry va lui consacrer une série d'articles dans la presse et des reportages à
la radio. L’amitié était pour lui un sentiment prépondérant, plus que l’amour.
En 1938, il tente un raid, de New York à la Terre-de-Feu, mais son avion s'écrase au
Guatemala. Il reste 5 jours dans le coma, et souffre, entre autres, de sept fractures du
crâne. Il profite alors de sa convalescence pour avancer dans la rédaction du
manuscrit de Terre des Hommes, paru en 1939 et qui lui vaudra le Grand Prix du
Roman de l'Académie française4. Sous le nom anglais de Wind, Sand ans Stars, ce
roman obtient le National Book Award. La même année, Saint-Exupéry est promu
Officier de la Légion d'Honneur.
Malgré une déclaration d’inaptitude aux missions de guerre, à cause de son
mauvais état de santé général dû à ses nombreux accidents, Saint-Exupéry ne lâche
pas prise et insiste pour réintégrer le régiment. Il est alors affecté au groupe de
grande reconnaissance 2/33, établi d'abord en France, puis déplacé à Alger. Il
commencera à écrire Le Petit Prince durant ce premier hiver de la seconde guerre
mondiale5.
1 En janvier 1937. 2 En avril 1937. 3 Amérique du Sud. 4 Ibid, p 11. 5 Le site officiel : www.saint-exupery.org
15
En 1940, Saint-Exupéry réalise plusieurs missions ; vols de reconnaissance au-
dessus de l'Allemagne et sur Arras qui lui vaudront une citation et la Croix de
Guerre. Le 27 novembre, Guillaumet est abattu en Méditerranée.
En 1941, il commence la rédaction de Pilote de Guerre, qui paraîtra une année plus
tard, le 20 février1, et deviendra un best-seller aux Etats-Unis.
En février de l’année 1943, il publie Lettre à un Otage2, et le 6 avril paraît Le Petit
Prince. Pilote de Guerre est interdit en France par les Allemands.
Le 15 mars, il reçoit sa feuille d'embarquement pour l'Afrique du Nord.
Il remplit une première mission, puis les autorités américaines profitent d'un petit
incident lors de sa deuxième mission pour lui rappeler que la limite d'âge est de
trente-cinq ans et le déclarer alors réserviste. Mais à force d'insister pour reprendre
du service, en 1944 il obtiendra d'être réintégré dans le groupe 2/33 qui se trouve
maintenant en Corse, sous réserve de ne pas accomplir plus de cinq missions. Il
écrit sa Lettre à un Américain.
Le 14 juin, il effectuera une première mission, puis malgré les limites qu'on lui a
fixées, en enchaînera d’autres3.
Le 31 juillet, il s'envole pour une mission de reconnaissance sur Grenoble et
Annecy: Il décolle à 8 H 45 et dispose de 6 heures d'autonomie d'essence.
A 14 h.45, il n'est toujours pas rentré ... « On présume que son avion a été abattu,
mais on ne l'a jamais retrouvé »4.
2. Le corpus
Nous tenons à préciser que nous ne faisons pas un travail de comparaison
entre les deux récits, mais nous les utilisons comme supports pour tenter d’analyser
cette fascination pour le désert. Donc, dans certains chapitre du présent travail, il
1 Edition américaine : Flitht to Arras. 2 Qui était à la base une lettre adressée à Léon Werth. 3 Le site officiel : www.saint-exupery.org 4 Ibid.
16
nous arrivera de n’utiliser seulement que l’un ou l’autre récit, selon les besoins de
l’étude.
Les récits dont nous avons choisi le corpus sont Terre des hommes et Le petit
prince. Hormis les thèmes qui en découlent, notamment, l’amour, l’amitié, les
hommes, le thème du désert est omniprésent dans les deux textes et les prédomine
par l’originalité d’une description, à la fois réelle et fantastique.
Terre des hommes
Terre des hommes est un recueil d’expériences dont l’auteur s’est enrichi pour
rendre compte de la réalité de l’époque. Cet essai autobiographique1 portera les
traces indélébiles de son expérience personnelle : « Si Saint-Exupéry célèbre la
grandeur de sa vie d’action en racontant Jean Mermoz, Henri Guillaumet, le
désert, la peur et la beauté, il dénonce les travers de l’industrialisation qu’il accuse
de sédentarisation, celle-ci rabaissant les idéaux de l’humanité »2. Le récit se
compose de huit chapitres relatant des épisodes de la vie de l’auteur. Ceux de Saint-
Exupéry dans le désert, de son camarade Guillaumet, qui a franchi les Andes dans le
seul espoir que l'on puisse retrouver son corps, du capitaine Bonnafous, l'officier
saharien rendant aux rebelles qui ont accepté une nuit de combattre avec lui les
cartouches qu'ils ont brûlées et qui, le tueront peut-être le lendemain3. Les parties du
récit se composent de paragraphes qui constituent en eux-mêmes des maximes, dont
l’objectif primordial est de rechercher l’homme, à travers ces morceaux de vie:
« Que nous importe les doctrines politiques, si nous ne connaissons d'abord quel
type d'homme elle épanouira. Qui va naître ? (…) Que savons-nous, sinon qu'il est
des conditions inconnues qui nous fertilisent. Où loge la vérité de l'homme ? »4.
Dans les premiers chapitres, le désert est évoqué de manière hétéroclite,
mais au bout du quatrième chapitre, il en fait presque un leitmotiv. C’est dans le
1 Marcel Migeo, Saint-Exupéry, Paris, Flammarion, 1958. 2 Microsoft Encarta 2007. 3 Le site officiel : www.saint-exupery.org 4 Ibid,.
17
désert qu’il apprendra à se connaître et à connaître ses semblables, c’est aussi dans
le désert qu’il apprendra le goût de la vie et c’est à travers le désert qu’il fera parler
son cœur. L’homme joue un grand rôle dans sa vision des choses, d’ailleurs il lui
consacre tout un chapitre, où il définit, entre autres, l’amour. Ainsi, pour lui,
« aimer ce n’est point nous regarder l’un l’autre mais regarder ensemble dans la
même direction »1. Il cherche avant tout, à travers cette écriture mystique, non à
valoriser les individus en mettant en exergue le caractère héroïque ou extraordinaire
des expériences vécues, il n'engage pas également à les admirer d'abord, mais plutôt
« le terrain qui les a fondés ». Le titre même est révélateur d’un intérêt profond que
l’auteur attribue aux hommes, à la terre qui les porte et sur laquelle ils croîtrent sans
se soucier du mal qu’ils lui causent. « Lorsque le terrain est favorable, que la
religion, prise au sens large du terme -on pourrait dire la conviction- est exigeante,
l'homme croit et parvient à se dépasser »2.
Le petit prince
Le Petit Prince, récit qu’on a particulièrement affectionné, s’adresse à l’enfant
qui est en chacun de nous, traite des grandes questions existentielles dont l'amitié,
l'amour, la mort et le sens à la vie3, et aide à prendre conscience des priorités
inhérentes à notre passage sur terre. Il s’adresse aussi bien aux adultes qu’aux
enfants. Le récit se présente d’emblée comme une histoire racontée par un narrateur,
qui est un aviateur tombé en panne au milieu du désert Africain. Cette narration
engendre un nouveau récit, celui du Petit Prince4, et quelques épisodes de la
rencontre de l’aviateur et de ce curieux personnage. L’ensemble forme ainsi une
succession de séquences, d’épisodes très distincts, marqués surtout par leurs
personnages archétypaux respectifs5. L’histoire appartient au domaine de l’irréel,
par ses animaux et ses plantes qui parlent, par l’Univers décrit où le lecteur est
1 Terre des hommes, Paris, Gallimard – 1939, p 172. 2 Marcel Migeo, Saint-Exupéry, op-cit, p 13. 3 Laurent de Galembert, La grandeur du petit prince : Approche générique, Mémoire de DEA. 4 Le principe d’enchâssement étant caractéristique du conte. 5 L’économiste, l’allumeur de réverbère, le géographe, le rois, etc.
18
charrié de planète en planète, et par les dessins qui caractérisent le récit. Quant au
langage, celui-ci se compose de phrases brèves et de dialogues très simples,
structurés par des formules comme « dit le Petit Prince », ou jouant sur le charme
incongru des mots d’enfant : « S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! », des
procédés d’insistance et de répétition. L’auteur reprend les motifs poétiques les plus
courants : la fleur1, le coucher de soleil. Le Petit Prince a suscité des commentaires
variés — parfois contradictoires — se référant à une poésie de l’enfance, à la
fantaisie, au mysticisme, à l’autobiographie, ou à la fable morale, tendant à faire
valoir un conte onirique, énigmatique et ésotérique. D’un côté, les messages donnés
par l’ouvrage sont les maximes qui le jalonnent : « c’est véritablement utile, puisque
c’est joli », « si tu réussis à bien te juger, c’est que tu es un véritable sage » ou la
célèbre « on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ».
D’un autre côté, on peut chercher un sens symbolique à l’histoire. On découvrira
alors un monde où l’adulte s’oppose à l’enfant2, où la solitude règne, où les buts des
activités des êtres sont souvent absurdes, où la quête3 aboutit au vide et à la mort,
laissant au lecteur une dernière impression d’amertume. Le rôle de l'enfant est
d'instruire le narrateur. Il lui apprend à faire beaucoup de choses, mais deux aspects
introduisent souplesse et profondeur. D'abord le Petit Prince n'est pas un petit
« docte » de l'enfance qui dispenserait mécaniquement des leçons. Il est, au
contraire, fermé sur lui-même, plein de réserves et de réticences. S'il enseigne, c'est
à l'occasion et peu à peu. Narrateur et lecteur ont fort à faire pour combler les vides,
imaginer ce que l'enfant ne fit pas. Ce dernier, par ailleurs, qui sait, semble-t-il, tant
de choses qu'il ne révèle pas, est lui-même, sinon ignorant, du moins quelqu'un qui
a besoin d'apprendre et de recevoir des leçons. Les fleurs de la Terre et, surtout, le
Renard les lui donneront4.
1 La rose en particulier. 2 Ce personnage capricieux et exigeant du petit prince, véritable objet de fascination pour le narrateur. 3 Qui est principalement une quête affective. 4 Michel Autrand, Extrait de la notice du Petit prince, Pléiade, pp 1351-1354, in Le site officiel d’Antoine de Saint-Exupéry, www.saint-exupery.org
19
Présentation de la problématique
L’expérience du désert n’est pas sans importance même vécue à une échelle
moindre telle qu’une simple visite touristique. Le désert ne laisse pas indifférent
ceux qui s’y aventurent. On peut parler du désert de différentes manières, soit le
décrire sur le plan géographique réel, donc en parler de façon solide et rigoureuse,
ou bien, et ce qui intéresse la présente étude, rechercher, selon une démarche plus
abstraite ce qu’il y a de plus profond, c’est-à-dire ce qui a engendré et engendre
toujours, que ce soit chez les écrivains, poètes, peintres et artistes toutes cultures
confondues, une telle fascination pour un lieu vide et aride. Rechercher encore ce
qui suscite en l’homme l’attrait pour le désert, et essayer de dégager une
signification symbolique avant tout, qui génère cette perception au sein même de
notre vision du monde. Ainsi, dans la présente recherche, il s'agira d'étudier en
premier lieu, les différentes représentations de l’espace dans lequel se déroulent les
évènements et sa relation avec l’écrivain, afin de nous éclairer sur la portée de cette
écriture du désert, car celui-ci est présent de façon récurrente dans l’œuvre de Saint-
Exupéry et, apparemment, semble s’être transformé en lieu de prédilection pour
l’auteur. Car, « Loin d’être indifférent, l’espace dans un roman s’exprime (…) dans
des formes et revêt des sens multiples jusqu’à constituer parfois la raison d’être de
l’œuvre»1.
Ensuite, nous donnerons un aperçu sur cet espace en tant que territoire
géographique, puisque combien même « Un récit présente un espace imaginaire,
même s'il est apparemment géographique ou se veut "réaliste", dont la fonction, la
nature, l'organisation et le mode de description sont divers »2. Même décrit comme
réel, l'espace narratif est toujours construit, par l'écriture. Nous devons également
axer notre recherche sur l’étude de l’espace du désert sur un plan symbolique. Dans
cette perspective, nous nous étalerons sur les critères métaphoriques étant l’objet
principal de la présente étude. Bien entendu, le désert n’est pas sans lien avec
l'Histoire et la société, dans cette optique, on pourra notamment nous arrêter à 1 R.Bourneuf, R.Ouellet, L’univers du roman, Cérès, Tunis, 1998, p114. 2L’espace dans le récit de fiction, in Récit et narratologie, www.fabula.fr
20
certaines civilisations l’ayant côtoyé, notamment la civilisation arabe et celle
égyptienne, ainsi qu’aux visions des différents écrivains et artistes qui ont écrit et
décrit le désert et on s'interrogera sur les effets de cette représentation sur leurs
œuvres : Infini, vide, absence, est-ce vraiment cela ? « Le lieu est fondamentalement
producteur de signes, de symboles, de repères…Autant les déchiffrer, les
défricher…en cherchant dans l’imaginaire... »1. En effet, cette interprétation se
précisera par une réflexion sur l’image que véhicule le désert dans l’écriture. Alors,
comment décrire le désert ou comment représenter l'infini, l'absence, le vide?2
Selon certains analystes3, le désert est gravé définitivement dans l’imaginaire des
français depuis « la conquête de l’Algérie » où la découverte par ces derniers du
Sahara les a bouleversées. C’est alors qu’ils le qualifièrent de « grand désert », le
« plus grand » ou encore le « plus beau » désert du monde et bien d’autres
expressions consacrées. Désormais, ce lieu gagne une ampleur considérable dans
l’imaginaire des français. Mais bien avant, au XVIIIe siècle, le thème du désert
faisait partie intégrante des plus grandes œuvres littéraires. Dans Scènes de la
nature sous les tropiques de Ferdinand Denis4 par exemple, ce dernier évoque les
éléments du désert qui sont « sources d’inspiration littéraire ». Ainsi, « la stérilité
sublime, la douceur des Oasis, la violence du Simoun, la poésie de la vie
nomade »5, deviennent des muses pour l’écriture du désert. Les premiers écrivains
nous rapportent une description d’un monde à la fois fantastique et réel et comme
cette découverte coïncide avec l’époque du romantisme, alors cette « nature
sauvage à l’état pur, absolu, contrastant avec l’allure paradisiaque des Oasis »6, se
confond avec l’écriture romantique pour créer ce soupçon de fantastique mêlé au
réel. L’imaginaire est si fertile, si riche qu’il est attaché à cet espace du vide.
« Synonyme de solitude et de détresse, le désert est un lieu de rencontres et
d’échanges ! de Vécu : des déserts d’Arabie aux portes de l’Afrique subsaharienne,
des confins de l’Afrique australe au désert australien, l’Histoire s’écrit dans le 1 Ibid. 2 Ibid. 3 J-R Henry, éditorialiste dans la revue Autrement. 4 En 1824. 5 Ibid, p20. 6 Ibid.
21
sang, dans la sueur mais aussi dans l’ivresse de la découverte : de l’Autre, de soi,
des limites de notre monde. »1
En résumé, notre étude touchera les points suivants : Portées symboliques du
désert dans les récits de Saint-Exupéry, dans les trois religions monothéistes ainsi
que dans la littérature universelle, entre autre ; la littérature arabo-musulmane,
importance du désert dans l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry, sa représentation
par rapport à l’écrivain lui-même ; rapport entre l’imaginaire de l’écrivain et
l’espace du désert, approches historiques et civilisationnelles du désert ; ou encore
sa place dans la peinture, car cet espace occupe une place considérable dans l’art
qu’est la peinture2. « Car enfin, il n’y a pas que l’écrit : la peinture, la sculpture,
l’architecture, attestent de la dimension plurielle d’un lieu unique en son genre »3.
Ainsi, l’expérience du désert porte les traces indélébiles d’un grand mysticisme,
étant donné que les trois religions monothéistes s’y sont révélées. Donc,
« Révélations, visions, conquêtes, représentations sacrées, silence, méditations :
tout ramène au désert ! »4, car ce qui intéresse notre étude ce ne sont guère « les
fonctionnalités du terme », au contraire, ce sont ses richesses symboliques, ses
évolutions historiques, anthropologiques, « ses élévations vers un univers unique en
son genre… »5.
Mais avant cela, il faudrait poser quelques questions afin de tenter de résoudre le
pourquoi d’un tel intérêt pour le désert ou encore une obsession à vouloir parler
constamment de ce lieu. Pourquoi une telle fascination pour un espace si mystérieux
pour les uns et si effrayant ou même réellement dangereux pour les autres ?
En effet, partant des diverses visions des hommes par rapport au désert, nous
constatons qu’il peut représenter une menace ou un danger, un havre de paix, un
exutoire, un lieu de repentance ou de perdition, menant à la perte ou à la
rédemption. D’après ces concepts, nous relevons clairement le paradoxe. A partir de
là, on peut se demander pourquoi le paradoxe dans un espace vide en apparence,
1 Ibid. 2 En particulier à travers l’esthétique orientaliste : Fromentin. 3 Ibid. 4 Ibid. 5 Ibid.
22
quel est le lien entre le désert et l’homme ? Dans sa vision, Saint-Exupéry évoque
des images du merveilleux, le désert attise son imagination, fait proliférer un
univers fantastique, la question se pose à cet effet, que représente exactement le
désert dans l’imaginaire de l’écrivain ?
Et enfin, la question essentielle, pourquoi le désert reflète-t-il une image paradoxale
pour l’auteur du Petit prince ainsi que pour la plupart des écrivains qui s’en sont
faits les chantres?
Dans une première approche, il est indéniable que les récits, Le petit prince et
Terre des hommes, reflètent une sensibilité à fleur de peau, une souffrance aiguë et
une immense solitude de l’écrivain. Le désert et son immensité apparaissent à celui-
ci comme une quête de l’âme tourmentée, pouvant réellement générer l’apaisement
ou paradoxalement susciter l’angoisse, voire la perdition. Or, l’Appel du désert reste
lancinant : il se présente comme une entité menaçante pour le commun des mortels
mais purificatrice pour ceux qui n’hésitent pas à s’y engager.
En outre, de par sa culture occidentale, que peut être l’apport de Saint-Exupéry dans
l’appréhension liée à la symbolique du désert ? Que représente ce dernier dans sa
propre perception de la vie ?
Dans ce qui va suivre, nous nous apprêtons à mettre en exergue les outils
théoriques qui nous permettront d’analyser les deux récits. D’une part, on choisira
de faire appel à certaines visions d’écrivains et essayistes, à leur conception du
désert en général et comme espace paradoxal en particulier, ensuite, nous nous
pencherons sur certaines approches de théories sur l’espace imaginaire entre autre,
et enfin, l’une des théories du rite initiatique, dans la mesure où le désert se
transforme en espace transitionnel dans un sens symbolique. Le passage du
narrateur dans ce contexte a été le fruit de souffrances, d’épreuves, de méditations et
enfin de paix et de repos de l’âme et du corps. Donc, autant de concepts concrets et
abstraits qui ont régi la vie de Saint-Exupéry pendant ses moments vécus dans ce
lieu. Par la solitude qui en découle, le désert serait un lieu idéal aux rituels de
passage et ceux de purification qu’exerçaient, et qu’exerce encore certaines
communautés et sectes.
23
On espère, au terme de la présente étude, pouvoir ajouter une modeste
contribution aux recherches contemporaines portant sur l’écriture du désert.
24
« Le Désert est une symbolique riche de sens pour l’humanité. Ce thème qui fascine
par la richesse de ses étendues imaginaires se veut avant tout (…) un lieu
d’inspiration philosophique et artistique »1.
Chapitre premier
I. L’espace du désert chez trois écrivains algériens :
Saint-Exupéry est un écrivain français de culture occidentale, son désert à lui
est représenté, probablement en convergence avec cette culture-là, mais ce qui
demeure énigmatique est que l’auteur se soit écrasé dans le désert africain, or si
nous voulons étudier sa vision par rapport à cet espace, il est indispensable
d’évoquer la vision de quelques grands écrivains africains, en l’occurrence
algériens, car comme le laisse supposer si simplement Mohamed Dib dans son
Arbre à Dires, l’algérien porterait le désert en lui et avec lui2.
1. Mohamed Dib
Ainsi, Selon Dib, « Le désert obsède tous les écrivains algériens ». Le désert
est pour lui amnésie, aridité, stérilité. Celui-ci mange la vie et ne garde pas
d’empruntes civilisationnelles. Par essence, il est amnésique et négateur, car « Le
désert se manifeste comme perte et par suite comme refus de mémoire », mais il est
aussi la page vierge sur laquelle chacun inscrit ou transcrit les signes dans un éternel
recommencement, tel un palimpseste ! Ainsi, il est comparé à la tablette du maître à
l’école coranique3. L’homme est invité à regarder non seulement avec les yeux,
mais aussi avec le cœur4, il est appelé à écouter, à percevoir avec les oreilles du
cœur, à déchiffrer les silences éloquents du désert. Celui-ci, selon la vision
1 Désert, 6ème manifestation internationale, vidéo et art électronique. Montréal, 20 au 27 Septembre 2004. Champ Libre. 2 Mohamed Dib, L’arbre à dires, Albin Michel, Paris, 1998, p 19. 3 Le texte Sacré, une fois appris est gommé et aussitôt remplacé par un autre Texte Sacré. 4 Vision tout aussi présente chez Saint-Exupéry.
25
Dibienne1 ne se laisse jamais apprivoisé : il est trompeur, insaisissable, changeant,
imprévisible ; il est simultanément éternel et éphémère. Plein de mirages, annulés et
recommencés, ne se prêtant pas aux repères. Il est appelé « abîme de l’essence »
muet et murmurant mais pour nous faire regarder en nous. L’ambivalence est le
propre du désert2, il est paradoxal par essence.
2. Tahar Djaout
Pour Tahar Djaout, « …Le désert et son été perpétuel crèvent l'écorce du
monde. Une enclume infatigable s'installe dans le ciel, allumant des étincelles dans
l'atmosphère en Kermesse. C'est quelque chose de propre au désert, cette
désolation qui rit »3
Pour ce romancier, le désert est « le noyau de la terre »4 , en personnifiant cet
espace, il le décrit comme étant ironique, moqueur, étouffant, mieux encore,
illusoire. L’utopie ainsi que l’illusion d’un temps immuable, deviennent partie
intégrante de la vie dans le désert. Les jours, les saisons passent sans que l’on s’en
rende compte, le paysage reste le même et la distance nous donne une impression
d’infini, car dans le désert « Le paysage n’est qu’un leurre, un vide décrété où
l’ombre elle-même est exclue »5. Le désert est synonyme d’immobilité, c’est un
brouillard hypnotique, le désert efface la mémoire et ouvre une page blanche de la
vie.
Le désert de Djaout, est puissant et on y sent une certaine fragilité d’exister, alors on
s’y abandonne, on se détend mais tout en gardant à l’esprit que c’est un ennemi
redoutable et, incessamment prêt à se retourner contre nous. D’autre part, le désert,
pour l’écrivain, n’est pas un lieu de perdition où l’on part vers l’aventure, loin s’en
faut, car celui-ci affirme ne pas se rendre au Sud afin de «s’évader» ou encore
« chercher des sensations inédites », c’est plutôt une manière de « regarder vers
1 Id, L’arbre à dires, op-cit, p 18-19 2 Ibid, pp 18-19. 3 T.Djaout, L’invention du désert, éd du Seuil, Paris, 1987, p26 4 Ibid, p100 5 Ibid, p30
26
l’intérieur, car le désert m’habite et m’illumine depuis des temps indéterminés. Un
fanal éclos dans ma poitrine et qui demande à être sans cesse alimenté – au contact
de la pierre nue, du sable altéré de violence - »1.
Nous constatons encore une fois que le désert est antithétique par définition ;
il est meurtrier, agressif mais il suscite le respect par le grand silence qui y règne.
Doux et cruel, vindicatif lorsqu’on le sous-estime, le désert est dangereux, car il
rend fou. Il est peut-être sécurisant et apaisant, effrayant en filigrane ou splendide et
lumineux et pourtant désolé dans une réalité pragmatique. L’espace est neutre,
stérile, vaste et érosif, vide et statique en apparence, pourtant il reconstitue
l’Histoire, ou presque, de par l’alchimie qu’il laisse transparaître, bientôt engloutie
par les sables. Les bribes de sa magie restent cependant perceptibles aux yeux de
celui qui sait regarder en profondeur. D’un autre côté, l’écrivain attribue à cet
espace singulier une fonction mythique, car pour lui, le désert serait la source du
monde et expliquerait l’existence et l’évolution des éléments qui constituent
l’univers. « Il suffit que le vent se lève pour que le monde change de visage »2.
3. Rachid Boudjedra
Dans Cinq fragments du désert, Rachid Boudjedra « tente de dire la beauté
calme et terrifiante à la fois de ces immensités secrètes, à travers une écriture
intérieure, elle-même en recherche de son souffle… »3.
En effet, Boudjedra a une vision quelque peu désastreuse du désert. Celui-ci suscite
la peur, l’angoisse, la solitude voire, la détresse. Face à cette « immensité
immobile », l’auteur ressent « confusion, chamboulement cosmique. Une
accumulation. Une surcharge et une désintégration »4. Sentiments ambigus et
emplis d’austérité. Tout comme Dib et Djaout, Boudjedra évoque également cet
aspect mystérieux et impénétrable d’un lieu dont tout le monde ou presque
s’accorde sur le côté paradoxal. Ainsi, le désert selon l’écrivain ranime en chacun 1 Ibid, p27 2 Ibid, p44 3 R.Boudjedra, Cinq fragments du désert, Barzakh, Alger, 2001. 4 Ibid, p25.
27
de nous les souvenirs les plus lointains et stimule l’imagination jusqu’au délire. Le
désert est un lieu de perdition, de sacré, un lieu mystique où se joue le destin du
monde. Cependant, nous remarquons tout au long du récit que l’auteur associe cette
immensité à notre Moi intérieur. Le désert reflète nos états d’âme, il est perte ou
rédemption.
Selon Boudjedra, le désert est le sens même de la vie car il est objet de quête
spirituelle et « avec, dès qu’on le quitte, cette envie maladive et obsessionnelle d’y
revenir, rien que pour y revenir »1.
Chapitre second
II. L’étude de l’espace romanesque dans les récits de Saint-Exupéry
1. Le désert, espace ou lieu ?
Avant d’aborder la question de la représentation de l’espace dans les récits de
Saint-Exupéry, nous devons d’abord éclaircir la question suivante, à savoir, si nous
devons considérer le désert comme un espace ou un lieu, la différence étant absolue
entre les deux concepts.
En effet, dans un article intitulé : Le désert désacralisé2, l’auteur met en évidence la
différence entre un lieu et un espace, car selon lui, le lieu ou le « topos » est
l’endroit habitable de façon régulière tel que la maison, puisque l’on y revient
toujours, et c’est « par cette ritournelle du revenir à demeure que se fabriquent les
lieux ». Cependant, si l’on considérait le désert comme un espace3 et non un lieu4,
on tomberait dans l’équivoque, puisque Antoine de Saint-Exupéry, y échouait à
1 R.Boudjedra, op-cit, p85. 2 Le désert désacralisé : la pensée de l’habitation chez Emmanuel Lévinas, in Le désert, un espace paradoxal, actes du colloque de l'université de Metz, 13-15.IX.2001, Berne, Peter Lang, coll. Recherches en littérature et spiritualité, vol. 2, 2003. 3 Dans le mesure où on ne peut pas y habiter. 4 Dans le sens de logis, d’abri.
28
chaque fois et arrivait à y survivre et à en constituer un lieu1, puisqu’il y survivait et
s’en tirait, à chaque fois.
Dans son étude, l’analyste parle clairement de cette distinction et aborde la question
du lieu2 en ces termes : « Il n’y a pas de vie possible sans logis, sans abri »3. Ainsi,
l’existence et les principes de la vie, notamment, la naissance, l’amour, la
souffrance, la mort et autres questions existentielles, nécessitent, selon lui,
« l’ombre et le secret »4. Cependant, ce que occulte le « locataire », pour reprendre
l’expression de l’auteur, c’est qu’il est loin d’être un « propriétaire » de cet espace
qu’il occupe de manière « transitoire » ou plus exactement, tel que le précise
Emmanuel Lévinas5 ; « personne n’est chez soi »6. Et dans ce contexte intervient
« la vertu salvatrice de la pensée de l’expérience du désert »7.
En effet, en faisant le parallèle entre le désert et les merveilles du monde, tels que
les Jardins suspendus de Babylone ou encore le Temple d’Artémis, l’auteur
explique que la particularité d’une merveille réside dans le fait qu’elle soit
inhabitable et de là, elle « renverse » totalement le lieu. « La merveille est, pourtant,
ce qui outre passe le lieu par excès…»8. Pour le critique, le désert et les merveilles
du mondes sont deux choses totalement différentes l’une de l’autre, mais se
rejoignent dans cette notion de paradoxe d’un « lieu qui n’est pas un lieu », mais
qui pourtant impose « l’épreuve d’habiter sans habitude »9. Les merveilles du
monde « sont un spectacle pour rhéteurs »10, dans la mesure où elles ne peuvent
faire fonction ni d’un logis et encore moins d’un abri. Tandis que dans le désert de
Saint-Exupéry, il s’agit d’un lieu, provisoire certes, mais apte à abriter le naufragé.
Son désert à lui est à la fois pourvu de merveilleux ; « ses réponses brèves (…) nous
construisaient un monde fabuleux, plein de pièges, de trappes, de falaises 1 Dans le sens d’abri temporaire. 2 Topos. 3 Le désert désacralisé, op-cit, p51. 4 Ibid, p51. 5 (1905-1995), philosophe français d’origine lituanienne, auteur d’une éthique de l’altérité et de nombreux commentaires du Talmud, et qui contribué à faire connaître en France la phénoménologie d’Edmund Husserl. Microsoft Encarta 2007. 6 Ibid, p51. 7 Ibid, p52. 8 Ibid, p53. 9 Ibid,. 10 Ibid,.
29
brusquement surgies, (…). Des dragons noirs défendaient l’entrée des vallées, des
gerbes d’éclairs couronnaient les crêtes »1, mais encore : « …il se faufila sous les
nuages, il déboucha dans un royaume fantastique »2, muni d’illusions, d’élégance,
de grâce, la preuve dans Le petit prince en est la création d’un personnage singulier
qui vient d’une planète à peine plus grande qu’une maison, mais qui lui apporte
plein de sagesse sur la vie. Mais en même temps, cet espace est vidé de prestige et
c’est ce côté à la fois obscur et éblouissant qui fait du désert un espace
merveilleusement ambivalent, car « le désert est l’espace où l’autre nous apparaît
dans son dénuement essentiel. Il est l’espace du visage qui s’impose à nous avec
une hauteur incommensurable à la grandeur des façades monumentales aussi
merveilleuses qu’elles puissent être »3. Aussi, l’analyste parle de grandeur absolue
du désert, à partir du moment où celui-ci nous « commande » de l’« abriter ne
serait-ce que dans la cabane de notre conscience »4. Face à cette immensité, tout ce
qui est enfoui en nous émerge des profondeurs de notre moi et se transcrit dans les
dunes de sable.
Par ailleurs, l’auteur met l’accent sur l’antithèse caractéristique de cet espace et qui
est l’ « intériorité » du désert, paradoxe dans la mesure où la tradition a, de tout
temps, défini l’étendue comme étant « l’extériorité même »5. Le concept
d’« intériorité » de l’espace vient du fait que l’homme a toujours tendance à se
l’ « approprier », s’y « représenter », s’y « maîtriser » et s’y « comprendre »6. Par
conséquent, le dépaysement est inévitablement suivi d’un « retour et d’un revenir à
soi »7, mais jamais « chez soi ».
« L’espace du désert » est dépourvu de construction ou de tout équipement, c’est un
espace dénudé, à part les tentes qu’on plie et déplie, « personne n’est chez soi » et
c’est pour cette raison que cet espace unit l’homme à son prochain et
paradoxalement, c’est de ce vide que jaillit « l’humanité en tant que telle », celle qui
1 Id, Terre des hommes, op-cit, p11-12 2 Ibid, p23. 3 Le désert désacralisé, op-cit, p53-54. 4 Ibid, p54. 5 Ibid, p53. 6 Ibid, p54. 7 Ibid.
30
était confinée dans les villes et prisonnière de la modernité et des « merveilles de
notre architecture ».
Cet incommensurable espace témoigne, dans son ineffable silence, des traces
séculaires mais vivantes encore du passé et de l’Histoire, car « il ne les fige pas
dans une écriture de pierre, sur le marbre des monuments »1.
L’espace dont il est question à présent est celui de Saint-Exupéry. C’est un
désert vaste, dénudé et aride. Un désert où il n’est âme qui vive, mais curieusement,
le naufragé a pu en faire son lieu de prédilection. Ainsi, le désert est un espace où
« on ne peut (…) trouver domicile », mais pourtant on peut y « séjourner ». Le
paradoxe est encore là ; celui de séjourner sans lieu. La leçon qu’on devrait retenir
du désert, est que nous pouvons y séjourner mais jamais se « l’approprier ». Parler
d’espace ou de lieu équivaudrait à comprendre les deux notions dans un même
concept : « le peuple qui se réclame du désert, doit donc rester fidèle à cette pensée
que, de toute terre, il ne sera jamais que le locataire… »2. Concernant cette étude,
nous parlerons d'espace, par rapport à sa propre immensité.
2. La présentation de l’espace du désert dans les récits de Saint-
Exupéry
A prime abord, l’espace dans un roman offre aux yeux du lecteur un
« spectacle » et se présente sous forme de « décor à l'action ». Dans cette
perspective, il est décrit selon une certaine représentation, celle perçue par les
personnages et, en même temps « déterminé (…) par la relation entre le paysage et
l'état d'âme de celui qui regarde, qui perçoit »3. Le désert saharien a été le théâtre
des naufrages de Saint-Exupéry. Dans son œuvre, ainsi que dans d’autres œuvres
ayant pour thème central le désert, il est question d’un lieu aride, de morne solitude,
d’un vide immense qui le domine. Or, des études effectuées sur les espaces
sahariens dans le domaine des sciences humaines et sociales, ont révélé qu’il y
1 Le désert désacralisé, op-cit, p55. 2 Ibid, p57. 3 La fonction de l’espace dans le récit, op-cit.
31
avait, autrefois, une vie intense au Sahara. La découverte de quelques topographies
représentatives telles que les gravures rupestres, les traces de jardins, les ruines de
ksour ou encore des restes de réseaux d’irrigations1, témoigne largement de cette
présence antérieure. Selon certains analystes2, l’espace romanesque est représenté à
partir de la réalité vécue. A l’image des grands écrivains occidentaux, des écrivains
algériens, durant l’occupation française, reproduisaient dans leurs œuvres,
parallèlement à la fiction narrative, « l’espace vécu de la colonisation »3. Le cas de
Saint-Exupéry est pour ainsi dire similaire, dans le sens où son espace à lui, en
l’occurrence le désert, se réitère souvent dans ses œuvres, et pour cause, d’un côté,
par rapport à sa fonction de pilote de ligne, et d’un autre, ses multiples naufrages
dans cet immense espace. Tout comme dans Terre des hommes et Le petit prince, il
est question d’un naufrage dans le désert saharien, l’indication en est la suivante :
« …jusqu’à une panne dans le désert Saharien, il y a six ans. »4. Mis à part les
noms évoqués des contrées, notamment, l’Arizona, la Chine, la Nouvelle-Zélande,
l’Australie, la Sibérie, la Russie, les Indes, l’Afrique, l’Amérique du sud et du nord,
les Etats-Unis, etc.,5 que nous pouvons localiser géographiquement, toutefois la
description qu’il en fait demeure très originale et n’existe dans aucun livre de
géographie ou encore dépliant touristique6, car elle n’est « ni objective, ni
pittoresque »7, nous pouvons même aller jusqu’à dire qu’elle est abstraite et ne
révèle pas d’information précise sur le lieu mentionné. Dans Le petit prince, par
exemple, le narrateur n’évoque pas explicitement le lieu où il se trouve, nous savons
seulement qu’il était « quelque part dans le monde », mais le fait est que l’histoire
se déroule dans un espace réel et concret qui est le « désert Saharien ». Autre
indication, au moment où le petit prince rencontre le serpent et l’interroge sur le lieu
1 Espaces maghrébins, pratiques et enjeux, Actes du colloque de Taghit 23-26 novembre 1987, p77. 2 Christiane Achour, Zineb Ali-Benali, Aïcha Kassoul, Simone Rezzoug, Bouba Tabti, Espaces maghrébins, pratiques et enjeux, op-cit. 3 Espaces en littérature, Etude de quelques romans algériens, in Espaces maghrébins, pratiques et enjeux, op-cit, p279 4 Antoine de Saint-Exupéry, Le petit prince, Media-plus, Constantine, 1995, p13. 5 Ibid, pp 12-13-24. 6 Id, Etude sur Terre des hommes de Saint-Exupéry, op-cit, p67 7 Ibid,.
32
où il se trouvait. Celui-ci lui répond : «… sur la Terre, en Afrique »1. L’Afrique est
un continent très vaste qui englobe de multiples pays, mais le narrateur lui-même
est subjugué par l’immensité de cette Terre qu’il en oubli jusqu’à ses repères même.
Par contre, en donnant cette indication : « J’étais à mille milles de toute terre
habitée »2, il exprime sa profonde solitude. En ajoutant : « J’étais bien plus isolé
qu’un naufragé sur un radeau au milieu de l’océan »3, il manifeste son éloignement
incommensurable du monde. D’un côté, l’écrivain est profondément convaincu que
les paysages qui s’offrent aux yeux de l’homme sont les fruits de sa propre
projection intérieure, c’est l’homme lui-même qui leur donne un sens selon ses
paradigmes culturels, civilisationnels, ou encore le métier qu’il exerce, etc. « Un
spectacle n’a point de sens sinon à travers une culture, une civilisation, un
métier »4. D’un autre côté, « les lieux n’ont d’importance que par rapport à
l’homme et son histoire »5. Ainsi, la présence des hommes, leurs traces passées et
présentes, leur culture représenterait un symbole plus important que les lieux
mêmes. L’écrivain accorde une telle prééminence à l’être humain, qu’il décrit
d’abord les hommes pour ensuite parler des escales effectuées dans différents
endroits, tels que Casablanca ou Port-Etienne.
Dans Terre des hommes, le narrateur donne quelques indications géographiques
telles que, Cap Juby, Cisneros, mais sans s’y attarder, il décrit seulement ce qu’il
voit : « On survole de loin en loin, sur la côte du Sahara entre Cap Juby et
Cisneros, des plateaux en forme de troncs de cône dont la largeur varie de quelques
centaines de pas à une trentaine de kilomètres »6. L’espace se présente sous forme
d’alliance entre la réalité7 et la fiction, notamment dans son style poétique pour les
décrire en ayant recours aux métaphores : « (…). Mais, outre cette égalité de niveau,
ils présentent les mêmes teintes, le même grain de leur sol, le même modelé de leur
falaise. De même que les colonnes d’un temple, émergeant seules du sable,
1 Id, Le petit prince, op-cit, p51. 2 Ibid, p13. 3 Ibid, p13. 4 Id, Terre des hommes, op-cit, p14. 5 Id, Etude sur Terre des hommes de Saint-Exupéry, op-cit, p67. 6 Id, Terre des hommes, op-cit, p60. 7 Les lieux géographiques.
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montrent encore les vestiges de la table qui s’est éboulée, ainsi ces piliers solitaires
témoignent d’un vaste plateau qui les unissait autrefois »1. Ou encore pour décrire
cette nudité propre au désert ; « Cette sorte de banquise polaire qui, de toute
éternité, n’avait pas formé un seul brin d’herbe… »2. Le territoire qu’arpente le
narrateur est, à ses yeux, vierge et pur, il se présente en pionnier pour dire : « …un
territoire que nul jamais encore, bête ou homme, n’avait souillé »3ou encore :
« J’arpentais un sable infiniment vierge »4. Ce qu’il nous transmet comme paysage
est pour lui, un trésor inestimable, une découverte extraordinaire, et il le fait
amplement sentir à travers ses phrases : « Aucun Maure n’eût pu se lancer à
l’assaut de ce château fort » ou encore « J’étais le premier à faire ruisseler, d’une
main dans l’autre, comme un or précieux, cette poussière de coquillages »5.
D’autre part, l’espace romanesque dans une œuvre de l’époque coloniale est
représenté dans son essence pure, où la présence réelle du colonialisme est
complètement occultée ; c’est-à-dire un espace non-colonisé. Ce dernier va être
soumis à des images qui vont au-delà de la réalité. En effet, l’écrivain crée de
nouveaux espaces, qu’il va essayer d’embellir, et qui vont permettre au colonisé de
« compenser le dur réel qu’il subit et de refuser les horizons que lui fixe
l’occupant »6. Pour sa part, Saint-Exupéry, étant profondément humaniste, n’a pas
hésité à « bâtir un village d’hommes » dans un désert vide et aride. Nonobstant le
fait qu’il était en missions, et ce pendant la seconde guerre mondiale, et qu’il faisait
l’éloge de l’amitié et autres questions existentielles, son désert était représenté selon
sa propre image, il est néant, vide, mais incarne l’immensité de la Terre.
Au moment où l’écrivain décrit des lieux, ce dernier « nous transporte en
imagination dans des contrées inconnues qui nous donnent un instant l’illusion de
parcourir et d’y habiter »7. Saint-Exupéry nous fait pénétrer dans son espace, il
nous y introduit par ses descriptions à la fois réelles et féeriques. Il vise à 1 Ibid. 2 Ibid, p62 3 Ibid, p61. 4 Ibid. 5 Ibid, p61-62. 6 Belkacem Hadjedj, Espaces de représentation, espaces de communication et espace imaginaire, in Espaces maghrébins, pratiques et enjeux, op-cit, p305. 7 G.Genette, Figure II, Chap. L’espace en littérature, Seuil, Paris, 1969, p43
34
« atteindre, au-delà de l’image perceptible, un imaginaire plus fluide et plus
profond, tissé de relations plutôt que d’objets, façonné par la fraternité des
personnages plutôt que par la personnalité de ces êtres singuliers »1. Malgré
l’incommensurable vastitude de son désert, on remarque même les éléments les plus
insignifiants qu’on peut y rencontrer, tels des fleurs par exemple : « Le petit prince
traversa le désert et ne rencontra qu’une fleur. Une fleur à trois pétales. Une fleur
de rien du tout »2. Pour lui, le désert est beau, il l’embellit encore en disant : « J’ai
toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On
n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence »3, ou en se
l’appropriant de cette façon : « Mon Sahara, mon Sahara, te voilà tout entier
enchanté par une fileuse de laine »4. Au fur et à mesure qu’il avance dans son récit,
le narrateur s’engage dans la voie chimérique de la poésie romantique ; ainsi,
« J’avais atterri dans un champ, et je ne savais point que j’allais vivre un conte de
fées »5, ou encore : « S’il n’est d’abord que vide et que silence, c’est qu’il ne s’offre
point aux amants d’un jour »6. La profondeur de ces idées est ancrée dans
l’imaginaire du narrateur, elles se transforment en images mentales qui vont lui
permettre « d’entretenir l’espoir et le possible du changement »7. De là, on peut
distinguer une sorte de sensibilité par rapport à l’espace qui se dégage du texte ou
encore «une sorte de fascination du lieu»8. Concept que Paul Valéry considérait
comme essentiel et désignait comme « l’état poétique ». Le texte littéraire peut
accueillir ces « traits de spatialité », mais qui peuvent ne pas avoir de relation avec
son « essence », c’est-à-dire avec son langage. Dans ce contexte, Genette
précise que « ce qui fait de la peinture un art de l’espace, ce n’est pas qu’elle nous
1 L’espace chez Baya, de l’espace réaliste à l’espace imaginaire, in Espaces maghrébins, pratiques et enjeux, op-cit, p310. 2 Id, Le petit prince, op-cit, p53. 3 Ibid, p62. 4 Id, Terre des hommes, op-cit, p67. 5 Ibid, p69. 6 Ibid, p77. 7 Id, Espaces de représentation, espaces de communication et espaces imaginaires, in Espaces Maghrébins, pratiques et enjeux, op-cit, p306. 8 Id, Figure II, op-cit, p43.
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donne une représentation de l’étendue, mais que cette représentation elle-même
s’accomplisse (…) dans une autre étendue qui soit spécifiquement la sienne »1.
Lorsqu’on approche les récits de Saint-Exupéry d’un point de vue symbolique, on
touche, quasiment au fond des choses enfouies et mystérieuses qui régissent son
œuvre. Malgré la « solitude » qui y règne, le désert engendre des illusions, celles du
pullulement de la vie par exemple : «En avion, quand la nuit est trop belle, on se
laisse aller (…) quand on découvre sous l’aile droite un village. Dans le désert il
n’est point de village »2. Ainsi, les étoiles font l’effet d’un village ; « Village
d’étoiles. Mais du haut du fortin, il n’est qu’un désert comme gelé, des vagues de
sable sans mouvement. Des constellations bien accrochées »3. On a retrouvé des
ruines, Saint-Exupéry a pris conscience que des « richesses invisibles »
surplombaient le désert et que les lieux « révèlent l’homme à lui-même »4.
Si, vraisemblablement, l’homme arrive à attribuer un sens à ce qu’il voit,
c’est qu’il est arrivé à un degré de conscience qui va provoquer une sorte de
révélation ; l’homme va enfin pouvoir Se comprendre5. Et dans ce contexte, si le
terme le permet, philosophique, Saint-Exupéry enchaîne avec une phrase fort
profonde, voire surprenante à propos du désert : « Le Sahara, c’est en nous qu’il se
montre »6. Et l’auteur ajoute : « Le désert, c’est moi »7. Ces pensées illustrent
parfaitement les idées précédentes, dans la mesure où l’homme, quand il est face à
lui-même, seul entouré de Rien, parvient à voir et à percevoir les Vérités avec les
yeux du cœur. Le cœur étant l’essence de l’homme, ce dernier détient la liberté de
donner le Sens qui lui convient à tout ce qui l’entoure.
L’espace se présente d’emblée vide et aride, un espace de Solitude, une
« Terre de granit »8. Une terre où il y a très peu d’hommes9. Le désert est une terre
1 Ibid, p44. 2 Id, Terre des hommes, op-cit, p80. 3 Ibid,. 4 Id, Etude sur Terre des hommes de Saint-Exupéry, op-cit, p69. 5 Ibid,. 6 Id, Terre des hommes, op-cit, p77-80. 7 Ibid, p155. 8 Id, Le petit prince, op-cit, p52. 9 Ibid, p53.
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sèche, pointue et salée1, cependant, il est « beau »2. Il est, toutefois, synonyme de
Solitude, qui est pour nous un ennemi redoutable, mais dans un espace aussi
mystérieux, voire aussi mystique que le désert, celle-ci devient une alliée, voire un
besoin croissant et réconfortant. Passer par cette Epreuve devient presque un
engagement tacite, un devoir afin de devenir homme. Ce « manque », ce
« dépouillement » que représente le désert nous engage à passer par des étapes pour
« mériter » d’être Homme3. Il faut pour cela pouvoir ressentir des « désirs », des
« rêves », ressentir la « soif » au sens propre et figuré4, avoir la volonté d’effectuer
une quête spirituelle afin de prendre conscience des « richesses invisibles » de
l’univers, à l’image de l’amour, de l’amitié, de l’humanisme, bref, des valeurs
essentielles à l’essor de l’univers. Et enfin, avoir le sens de la solidarité5, car Saint-
Exupéry réunit les équipages et en fait une communauté d’hommes : « On s’élargit
par la découverte d’autres consciences »6.
La description des lieux et espaces se présente dans un style poétique7
mettant l’accent sur « la fonction symbolique », tout en faisant des paysages ou
décors « des tableaux presque abstraits »8. Ainsi, au milieu du Sahara, « les collines
d’or offraient à la lune leur versant lumineux, et des versants d’ombre montaient
jusqu’aux lignes des partages de la lumière. Sur ce chantier désert d’ombre et de
lune, régnait une paix de travail suspendu, et aussi un silence de piège, au cœur
duquel je m’endormis »9. Cette merveilleuse peinture hétérogène où le contraste
entre clair et obscur est fortement mis en relief et accentué par le « silence de
piège », prépare, en somme, « la révélation spirituelle du songe qui suit »10. Aussi,
paysage libyen se retrouve soumis à la description poétique : « le sol est composé de
sable entièrement recouvert d’une seule couche de cailloux brillants et noirs. On
dirait des écailles de métal, et tous les dômes qui nous entourent brillent comme des 1 Ibid, p54. 2 Ibid, p62. 3 Id, Etude sur Terre des hommes de Saint-Exupéry, op-cit, p69. 4 L’eau du chapitre VII de Terre des hommes a aussi un sens spirituel. 5 Ibid. 6 Id, Terre des hommes, op-cit, p37. 7 Dans les deux récits 8 Id, Etude sur Terre des hommes de Saint-Exupéry, op-cit, p72. 9 Id, Terre des hommes, op-cit, p62. 10 Id, Etude sur Terre des hommes de Saint-Exupéry, op-cit, p72.
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armures. Nous sommes tombés dans un monde minéral. Nous sommes enfermés
dans un paysage de fer »1. Dans ses descriptions, Saint-Exupéry joue sur le
contraste des couleurs, noir et gris, des éléments également, métal, fer, qui sont des
éléments durs, attestent par un cri sourd que lance l’écrivain, au milieu d’un
paysage fantastique, de la tristesse et de l’angoisse qui y prédominent, comme dans
la vie. « C’est bien l’image de la condition de l’homme perdu dans un monde qui lui
semble absurde »2, et les mots « tombés » et « enfermés » expriment nettement cette
cette angoisse. Dans Le petit prince, c’est une description qui se présente
progressivement, étape par étape, commençant par les six premières planètes qui
évoquent, symboliquement, l’homme dans toute sa dimension, voire les sept péchés
capitaux, pour enfin arriver à la terre3 et plus précisément dans le désert. Par cette
description disparate, on comprend instantanément que le désert ne se révèle pas
aisément à quiconque s’y aventure. Il est d’abord vide et nudité et par la suite,
lorsqu’on pénètre au fond des choses, on prend conscience de ses richesses et de sa
beauté. La description que fait l’écrivain est très symbolique. Il en parle de manière
à transporter le lecteur dans un monde merveilleux qui lui laisse le champ libre pour
méditer et interpréter les textes selon sa propre vision. Par conséquent, l’inconscient
joue un grand rôle dans la relation que l’on a au monde dans lequel nous évoluons.
La présentation symbolique des lieux attribue à ces récits « leur principe d’unité »
et leur sujet commun. A travers cette description, se révèlent aux lecteurs les
endroits les plus reculés du monde, mais sous forme poétique. Le narrateur nous fait
vivre une véritable épopée qui ne s’achève jamais. Et dans ce voyage au milieu d’un
univers merveilleux, l’auteur introduit un autre voyage, celui de l’homme durant
son passage dans l’existence4. Et les lieux requièrent en eux-mêmes une grande
importance pour « assurer au récit à la fois son unité et son mouvement, et combien
l’espace est solidaire de ses autres éléments constitutifs »5
1 Id, Terre des hommes, op-cit, p126. 2 Id, Etude sur Terre des hommes de Saint-Exupéry, op-cit, p72. 3 La septième planète 4 Id, L’univers du roman, op-cit, p114. 5 Ibid, p117.
38
Dans sa volonté de changer constamment de lieu, cela constitue en soi la preuve
d’une vie intense et ardente d’un homme suspendu entre terre et ciel afin de réunir
tous les hommes entre eux à travers les mots qu’il transporte.
3. L’espace du désert dans l’imaginaire de Saint-Exupéry
«Au-dessus du désert, le silence était vaste comme l’espace» (Albert Camus, La femme adultère)
Le rapport entre réalité et imaginaire dans l’écriture est assez complexe, dans
la mesure où l’œuvre produite ne peut être séparée de son contexte spatial réel, et
prenant en considération les éléments biographiques de l’auteur, car « Le rapport de
‘désir’ qu’entretient l’écriture, tant avec le pays qu’avec la propre biographie de
l’écrivain, est d’abord ‘désir’ d’un lieu dans lequel ses signes hagards se
réaliseraient eux-mêmes en plénitude »1, il est encore plus que nécessaire d’associer
l’espace réel à l’espace imaginaire. La personnalité du narrateur est indissociable de
son œuvre. L’homme en lui est résolument humaniste. Les éléments représentent
énormément pour lui. L’eau par exemple n’est pas uniquement le liquide qu’on boit
pour étancher sa soif, bien au-delà, c’est la vie même. Dans sa lettre au général X,
Saint-Exupéry exprime son profond désarroi face à sa « génération » qui est, selon
lui « vide de toute substance humaine… »2. Et de ce fait, associe, implicitement, son
époque à une terre aride et sèche où l’homme « y meurt de soif »3.
Dans sa perception de la vie de son époque, le constat est peu optimiste, celle-
ci court droit à la dérive et il faut impérativement en retrouver la substance4. Tout
comme dans Le petit prince et Terre des hommes, Saint-Exupéry préconise la
liberté « de choisir son devoir » et non celle « d’errer dans le vide ». En humaniste,
il prône le respect et toutes les qualités humaines qui donnent à l’existence toute sa
valeur. Ainsi, la vie du pilote est « ancrée en Terre, terre des arbres et des fleurs,
1 Charles Bonn, Lecture présente de Med Dib, op-cit, p25. 2 Id, Le petit prince, op-cit, p5. 3 Ibid. 4 Ibid.
39
terre de l’enfance, du foyer, du bonheur familial »1. Et dans une vie aussi
« aérienne » que celle de cet écrivain, on irait jusqu’à penser que cet appel du cœur
vient du ciel, ou encore est l’échos d’« une espèce de fuite vers l’infini »2.
Paradoxalement, c’est un appel qui vient aussi de la terre, car Saint-Exupéry
« constate qu’il est avant tout un terrien »3, et que son avion n’est
qu’un moyen pour explorer les contrées les plus éloignées. Son naufrage dans le
désert lui révèle qu’il est aviateur par amour de la vie, et qu’il fait partie de la
grande communauté humaine4. En somme, la terre et le ciel se confondent et
forment « un espace interplanétaire »5 au dessus du Sahara. De même que la
planète d’où vient le petit prince ressemble à la terre. Enfin, le poète dit « son
amour de la vie parce qu’il connaît la précarité de celle-ci »6. Les récits de Saint-
Exupéry forment une sorte de « légende de l’humanité pure »7 et transportent les
lecteurs dans un monde de « rêves », mais l’harmonie réside dans l’intrusion de la
réalité avec ses « mesures vraies et justes »8 dans un monde imaginaire. Le petit
bonhomme qui vient d’une autre planète9, fait prendre conscience au narrateur10, à
quel point le monde « des grandes personnes qui vivent dans une solitude
tragique » est devenu cruel et sans scrupules. Saint-Exupéry a toujours vécu seul. Il
garde pour lui ses pensées les plus intimes ; dans Le petit prince, il s’exprime de la
sorte : « J’ai ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement, jusqu’à
une panne dans le désert du Sahara, il y a six ans »11. Dans les deux récits, son
imagination est déferlante, que ce soit dans la description des paysages ou dans la
création des personnages. D’autre part, la notion de solitude est fortement mise en
exergue, ce qui engendre beaucoup d’éléments fictifs, notamment en mettant
l’accent sur son isolement au milieu du désert, il dit : « J’étais bien plus isolé qu’un
1 Id, Etude sur Terre des hommes de Saint-Exupéry, op-cit, p27. 2 Ibid. 3 Ibid. 4 Ibid. 5 Id, Terre des hommes, op-cit, p25. 6 Id, Etude sur Terre des hommes de Saint-Exupéry, op-cit, p75. 7 Id, Le petit prince, op-cit, p7. 8 Id, Etude sur Terre des hommes de Saint-Exupéry, op-cit, p75. 9 Derrière qui se cache le poète lui-même. 10 Ou à l’écrivain. 11 Id, Le petit prince, op-cit, p13.
40
naufragé sur un radeau au milieu de l’océan (…) quand une drôle de petite voix
m’a réveillé. »1. Cette « drôle de petite voix » n’est autre que le petit prince venu
d’une autre planète « à peine plus grande qu’une maison ». Aussi, l’invention des
six planètes qui représentent chacune un trait de caractère négatif humain, n’est pas
une simple création esthétique, c’est la preuve que le narrateur est réellement affecté
par sa génération d’êtres humains égoïstes et égocentriques. Nous pouvons
formuler, dans ce cas précis alors l’hypothèse que le petit prince2 serait, peut-être,
l’enfant qui est en le narrateur. Ce dernier refuse de s’en séparer, pourtant les
circonstances font de cela une obligation, il choisit de garder l’esprit et l’âme de
l’enfant au fond de son cœur. « Le petit prince c’est l’enfant en nous, que nous
avons été et que nous ne sommes plus, mais que nous regrettons toujours »3.
D’autre part, le narrateur imagine un monde merveilleux au-dessus de l’immensité
de la terre, au milieu de la solitude de son avion, il « construisait un monde
fabuleux »4 pour décrire les jours de tempête « plein de pièges, de trappes, de
falaises brusquement surgies, et de remous qui eussent déraciné des cèdres »5. Il
enchaîne avec une description des plus irrationnelles pour retracer l’itinéraire de ses
camarades, « respectables pour l’éternité », sortis en missions ; il les compare à
« Des dragons noirs » défendant « l’entrée des vallées, des gerbes d’éclairs
couronnaient les crêtes »6. Ce monde merveilleux pris pour allié, peut se
transformer en ennemi redoutable, car ce monde qu’il croyait connaître s’avère être
menaçant : « voici que brusquement, ce monde calme, si uni, si simple, que l’on
découvre quand on émerge des nuages, prenait pour moi une valeur inconnue »7.
Le narrateur lui-même avoue que le monde qu’il vient de découvrir sous les nuages
devenu maintenant un piège n’est que le fruit de son imagination, car il dit : « (…)
J’imaginais cet immense piège blanc étalé, là, sous mes pieds »8. Et encore une fois,
le narrateur associe ces images imaginaires à sa solitude qui devient pesante, il 1 Ibid. 2 Le personnage. 3 Ibid. 4 Id, Terre des hommes, op-cit, p11. 5 Ibid. 6 Ibid, pp11-12. 7 Ibid, p13. 8 Ibid, p14.
41
s’exprime en ces termes : « Au-dessous ne régnaient, comme on eût pu le croire, ni
l’agitation des hommes, ni le tumulte, ni le vivant charroi des villes, mais un silence
plus absolu encore, une paix plus définitive »1. Dans ce panachage d’images réelles
et fabuleuses, le narrateur englobe ses dernières pensées en une sorte de révélation
qu’il se fait à lui-même : « Cette glu blanche devenait pour moi la frontière entre le
réel et l’irréel, entre le connu et l’inconnaissable »2. Et le narrateur enchaîne : « La
magie du métier m’ouvre un monde où j’affronterai, (…), les dragons noirs et les
crêtes couronnées d’une chevelure d’éclairs bleus, où, la nuit venue, délivré, je lirai
mon chemin dans les astres »3. Le narrateur nous fait sentir combien il est fier de
son métier de pilote, et c’est grâce à celui-ci qu’il peut planer au-dessus de la terre
et en admirer la beauté. Il nous transmet également son désir ainsi que son
engouement à affronter le monde avec ses difficultés. Et toujours en utilisant les
figures de style et les tournures de rhétorique, on suppose que le narrateur désigne la
vastitude de la mer comme « une chevelure d’éclairs bleus » et « les crêtes
couronnées » ne seraient autre que les vagues soulevées par celle-ci. Ces images
sont entremêlées et forment une sorte de lutte engagée par l’aviateur et où sa seule
délivrance serait la nuit, car la nuit lui apporte le repos et l’apaisement.
En somme, Le petit prince est un hymne à l’enfance. C’est une leçon de vie
qui s’achève sans s’achever réellement, car la tristesse n’est pas désespoir. Terre
des hommes est un hymne à l’homme, à la liberté ainsi qu’au désert, lequel en étant
propice à la méditation, met l’homme face à lui-même afin de lui donner le pouvoir
de contempler l’invisible et de méditer sur les grandes valeurs de la vie.
L’espace du désert du Sahara dans les différents lieux cités par l’auteur dans
les deux récits4, est le réel vécu à partir duquel va se construire l’espace imaginaire
qui va être décrit selon la propre vision de l’écrivain. Dans une étude sur la terre et
le désert dans l’imaginaire d’Albert Camus, l’analyste5 pense que l’espace dans les
œuvres de Camus est rarement réaliste et qu’il s’agirait plutôt d’un espace se
1 Ibid. 2 Ibid. 3 Ibid, p22. 4 Voir : La présentation de l’espace du désert dans les récits de Saint-Exupéry. 5 Jeanne Bem, professeur à l’université de la Sarre (littérature française des XIXe et XXe siècles).
42
présentant sous forme de « graphisme » ou encore de « paysage presque abstrait
pour une aventure intérieure »1. On pourrait cependant déceler presque la même
chose dans l’œuvre de Saint-Exupéry dans la mesure où celui-ci nous embarque
dans une aventure désertique où réalité et fiction se confondent pour engendrer un
récit quasiment fabuleux. Chez Camus comme chez Saint-Exupéry, le paysage
qu’ils offrent est un « actant », dans le sens où c’est l’espace qui est placé au
premier plan avant les personnages. En effet, « L’action ne se déploie pas dans un
lieu, c’est le lieu qui est premier, c’est lui qui déclenche l’action »2. Cependant,
l’action elle-même se rapporte au lieu, et ainsi nous dévoile la représentation
symbolique du lieu3. Dans Le petit prince, au moment de la présentation de
l’espace, combien même c’est le désert, terre aride, vide de toute trace de vie, le
lecteur sent que le narrateur se trouve face à une terre fertile, où la vie y serait
possible, voire merveilleuse. L’apparition du petit bonhomme venu d’une autre
planète ainsi que le dialogue que le narrateur entretient avec lui accentuent aisément
cette vision. C’est un dialogue enchaîné avec une telle sincérité qu’on pourrait
presque le croire réel. Cependant, le petit prince4 n’est pas surpris de trouver
quelqu’un au milieu du désert, car il lui parle familièrement, résolu à obtenir une
réponse à sa requête, ce « S’il vous plaît…dessine-moi un mouton ! »5 montre à quel
degré ce petit bonhomme peut être innocent et pur. Dans Terre des hommes, son
espace imaginaire reste toujours cette terre sablonneuse qu’il sublime à chaque fois
qu’il y retourne. En parlant de choses étranges ou merveilleuses qu’il aperçoit ou
plutôt qu’il croit apercevoir6, ce dernier nous plonge dans un univers7 mythique.
L’espace imaginaire de Saint-Exupéry, est cette immensité qu’il survole muni de
ses souvenirs lointains, douloureux ou encore heureux, de ses états d’âme, de sa
culture, de ses traditions, ce magma d’éléments qui font partie intégrante de la vie
1 Jeanne Bem, La terre et le désert dans l’imaginaire d’Albert Camus, in Le désert, un espace paradoxal, op-cit, p453. 2 Ibid, p454. 3 Ibid. 4 Ici il s’agit du personnage. 5 Id, Le petit prince, op-cit, p13. 6 Voir pp 30 et 31 du présent travail. 7 Son univers à lui.
43
d’un homme1 engendrent l’ambivalence de la description d’un espace vide en
apparence que nous appelons paradoxes.
Cependant, selon la psychologie intellectualiste2, l’imagination n’aurait pas sa
place dans le cerveau de l’homme, bien au contraire, elle serait « logée » dans les
« recoins obscurs de l’âme »3. Dans ce sens où cette dernière pourrait être un
élément perturbateur pour les « activités logico-intellectuelles », puisque, étant elle-
même un mélange entre les perceptions externes, donc le réel, ainsi que celles
internes qui peuvent l’influencer et ainsi troubler notre vision de la réalité. Pourtant,
le concept de l’imagination fut connu bien avant l’apparition de la psychologie, à
l’époque de la renaissance et précisément dans les courants théurgiques ou
théosophiques, jusqu’à Novalis et Jung. En ce temps, elle avait une relation étroite,
comme un retentissement de l’être, avec les éléments naturels, à savoir, le dehors, le
milieu, la Nature ainsi que le cosmos4. Aussi, selon Bachelard, on ne doit remonter
aux sources cosmopoétiques de l’être imaginant afin de s’intéresser à sa
psychologie qu’à travers « les images naturelles », « Celles que donne directement
la nature, celles qui suivent à la fois les forces de la nature et les forces de notre
nature, celles qui prennent la matière et le mouvement des éléments naturels, les
images que nous sentons actives en nous-mêmes, en nos organes »5. Ainsi,
l’imagination se présente comme un « Medium » entre la réalité et la fiction, elle est
à la fois ancrée dans l’inconscient de l’être, car elle se greffe sur les différents
éléments de la nature, mais également elle a cette capacité de faire vivre les images
au sein d’un espace « ni intérieur, ni extérieur » et où les autres images du naturel et
du dehors, fusionnent entre elles pour ne plus former qu’un mélange de formes et de
forces dont l’écho en l’Homme, à travers l’image « nous insuffle la vie et nous
entraîne vers une participation intégrative »6. Alors, l’imagination, dans ce sens a
pour objectif, de nous aider à faire face à l’existence, ainsi « l’homme a besoin
d’une véritable morale cosmique, de la morale qui s’exprime dans les grands 1 Ou dans ce cas, de l’écrivain même. 2 D’après Jean-Jacques Wunenburger, in Le désert et l’imagination cosmo-poétique. www.wikipedia.org 3 Ibid. 4 Ibid. 5 G.Bachelard, L’eau et les rêves, Corti, 1942, p247. 6 Le désert et l’imagination cosmo-poétique, op-cit.
44
spectacles de la nature pour mener avec courage la vie du travail quotidien. Toute
lutte a besoin, en même temps, d’un objet et d’un décor »1.
Lorsque l’on s’adonne à une expérience du milieu minéral, nous nous
retrouvons face à un certain dépouillement de la nature, ou encore « à l’inversion
des formes du vivant »2. L’expérience du désert nous fait découvrir cette face
cachée d’une terre aride et dénudée, nous avons l’étrange impression que ce champ
de sables sur une terre « pelée » et « écorchée » s’est dévêtu de sa couverture
végétale, du « manteau de son biotope ». Cependant, à travers l’imagination, nous
pouvons introduire ce monde de sorte à faire naître « un autre rapport au monde »3.
Dans ce sens où l’on peut s’arrêter dans l’univers désertique et percevoir diverses
sensations, éprouver l’oppression d’un espace informe, chaotique, un vide
angoissant « qui nous fait perdre tous les repères intérieurs »4. L’espace du désert
nous rapproche étrangement de la mort, de la « minéralisation », de la « décréation
de soi ». Ainsi, ces images angoissantes sont le fruit de meurtrissures dues au jeûne,
à la soif ou encore aux brûlures du soleil ou du froid nocturne. Le cerveau de
l’homme devient la proie des manifestations hallucinatoires diaboliques contre
lesquelles « l’illuminé use ses dernières forces » tel Saint-Exupéry. Ainsi, en
parallèle à ses visions chimériques, le narrateur se voit, à un moment donné de son
récit, confronté à la mort. C’était au cours d’un raid vers l’Indochine en 1935, il
s’était retrouvé en Egypte, « sur les confins de la Libye, pris dans les sables comme
dans une glu et, témoigne-t-il, j’ai cru en mourir ». De cette expérience douloureuse
il en sort encore une fois indemne et avec un témoignage des plus extraordinaires,
car il a vécu sans eau et sans nourriture au milieu du désert pendant des jours et des
jours, et c’est là qu’il ne peut plus commander son esprit pour laisser libre cours à
son imagination et de rapporter aux lecteurs ce qu’il a traversé comme épreuves, ce
qu’il a vu comme paysages et ce qu’il a vécu comme mirages.
Dans ce périple au milieu du désert, la fatigue gagne bientôt le pilote, mais
celui-ci se sent « bien » malgré le danger qui le guette, probablement celui de ne 1 G.Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1947, p200. 2 Ibid,. 3 Le désert et l’imagination cosmo-poétique, op-cit. 4 Ibid,.
45
plus pouvoir rentrer, ou du moins rentrer sain et sauf. Mais curieusement, au milieu
du silence de la nuit l’esprit du narrateur s’est imprégné de cette solitude propre au
désert, car il dit dans ce contexte : « Je ne suis pas seul dans le désert, mon demi-
sommeil est peuplé de voix, de souvenirs et de confidences chuchotés »1. Il ne s’est
pas encore endormi complètement que déjà son imagination commence à prendre de
l’ampleur. Le vent du désert lui susurre des confidences, lui rappelle des souvenirs
et attise son imagination. Cependant, il garde encore sa lucidité, il est conscient que
dans cet espace rien n’est plus comme dans la vie ordinaire, tout prête à confusion,
tout devient singulier, le sommeil même se transforme en aventure et ainsi, la réalité
s’y confond et « perd du terrain devant le rêve… »2. Débute alors une réelle épopée
de l’esprit imaginatif né de la fatigue, du soleil ou du vide total. Il s’aperçoit au bout
de quelques heures de marche que « le paysage change »3. Le sable se transforme
en rivière qui lui semble « couler dans une vallée… »4. Ou encore, il voit dans les
cailloux qui jonchent le sable, « des écailles de métal, et tous les dômes qui (les)
entourent brillent comme des armures »5.
D’un autre côté, le soleil tape si fort et la chaleur si écrasante que la réalité
s’échappe pour laisser le champ libre à une autre forme d’imagination : les mirages.
Cependant, nous ne devons pas perdre en cours de route que les mirages font
également partie de la réalité, dans ce sens où ce sont de vraies images que l’esprit
perçoit dans une situation psychique précise, ce sont, plus précisément, des
phénomènes d’optique observables dans les régions où se trouvent superposées des
couches d’air de températures différentes, et qui vont apparaître dans les déserts ou
au milieu des banquises, consistant en ce que les objets éloignés ont une ou
plusieurs images diversement inversées et superposées. Ce phénomène est dû à la
densité inégale des couches de l’air et, par extension, à la réflexion totale des rayons
lumineux6. Mais pour simplifier les choses, les mirages sont une apparence
trompeuse qui séduisent pour un laps de temps la victime, et qui s’évanouissent 1 Id, Terre des hommes, op-cit, p125. 2 Ibid. 3 Ibid. 4 Ibid, p127. 5 Ibid, p126. 6 Dictionnaire Le petit Larousse 1995.
46
l’instant d’après, mais auront suffisamment duré pour lui redonner espoir. Le
narrateur est un témoin, ou encore un « actant » au milieu de ces images
trompeuses. Ainsi, il dit : « La chaleur monte, et, avec elle, naissent les mirages »1.
Toutefois, l’apparition des mirages se fait progressivement, car ce qu’ils
aperçoivent, lui et son compagnon, dans le désert ne sont encore « que des mirages
élémentaires »2. Il cite par exemple : « De grands lacs se forment, et
s’évanouissent… »3. Ensuite apparaissent « des mirages plus troublants » que
forment des « jeux de lumière » ; « forteresses et minarets, masses géométriques à
lignes verticales » ou encore « …une grande tache noire qui simule la
végétation… »4. En partant à la recherche d’un quelconque refuge, le naufragé
provoque sciemment son imagination, il en fait une campagne au milieu de la
solitude, la fatigue l’emporte sur son esprit et « quelque chose en (lui) se
transforme »5. Il dit dans ce contexte : « Les mirages, s’il n’y en a point, je les
invente… »6. Ainsi, il perçoit, ou si l’on peut se permettre de dire, il invente, un
« homme qui gesticulait » mais qui n’était en réalité qu’un rocher noir, car « tout
s’anime déjà dans le désert »7, ou encore, « un bédouin qui dormait » et qui se
transforme soudainement en un « tronc d’arbre »8. Et c’est avec une telle vivacité
de l’esprit que le narrateur enchaîne une description des plus mythiques. Il voit alors
autour de lui « une forêt antédiluvienne (qui) jonche le sol de ses fûts brisés »9. Il
compare cette dernière à une bâtisse10 sur laquelle on distingue nettement les traces
infligées par le temps, car « elle s’est écoulée comme une cathédrale, voilà cent
mille ans, sous un ouragan de genèse »11. Le naufragé voit en ce paysage, l’Histoire
se construire peu à peu et livrer ses secrets à ses yeux. Ainsi, « les siècles,
témoigne-t-il, ont roulé jusqu’à moi ces tronçons de colonnes géantes polis comme
1 Id, Terre des hommes, op-cit, p127. 2 Ibid, p128. 3 Ibid. 4 Ibid. 5 Ibid, p136. 6 Ibid,. 7 Ibid,. 8 Ibid,. 9 Ibid,. 10 Ou plus exactement à une cathédrale. 11 Ibid,.
47
des pièces d’acier, pétrifiés, vitrifiés, couleur d’encre. Je distingue encore le nœud
des branches, j’aperçois les torsions de la vie, je compte les anneaux du tronc »1. Et
empruntant ces figures de légende qui ont bercé les civilisations, il achève ses
pensées avec une image mythique surprenante : « Cette forêt, qui fut pleine
d’oiseaux et de musique, a été frappée de malédiction et changée en statue de
sel »2.
Le naufragé est conscient de la cause de ses délires, car il explique en ces
termes : « je dois sans doute à la soif ce vertige. Ou au soleil »3. Il ne doit pas
perdre de vue le danger auquel il est confronté, alors il se débat pour revenir à la
réalité et « faire appel à sa raison », mais il oscille entre le monde réel et le monde
imaginaire, car tantôt il croit apercevoir « cette caravane en marche… », et tantôt il
se réveille comme dans un rêve et prend conscience de la réalité, celle que peut-être
« rien au monde n’est véritable… »4. Au moment où il croit enfin à la délivrance, en
apercevant au loin deux bédouins qui discutaient avec Prévot : « je me suis arrêté
stupéfait. La joie va m’inonder le cœur et j’en contiens la violence. Prévot, illuminé
par le brasier, cause avec deux Arabes adossés au moteur »5, sa joie est trop
grande, et n’arrivant pas à la contenir, il s’y abandonne : « Ah ! dit-il, si j’avais
attendu comme lui…je serais déjà délivré ! »6. Mais, malheureusement, son esprit le
trompe encore une fois, une fois de trop peut-être et c’est le désespoir qui le gagne,
une fois de plus. « Prévot me regarde drôlement, et j’ai l’impression qu’il me confie
un lourd secret : Il n’y a point d’Arabes…Sans doute, cette fois, je vais pleurer »7.
Le narrateur associe les mirages à sa « folie » passagère, car en voyant un autre fait,
celui où Prévot agitant une lampe et deux autres lampes qui s’agitent à leur tour en
guise de réponse, il a du mal à croire que c’est une image réelle, cependant, il dit
1 Ibid,. 2 Ibid,. En référence à la femme du prophète Loth qui fut transformée en statue de sel. 3 Ibid, p137. 4 Ibid,. 5 Ibid, p140. 6 Ibid,. 7 Ibid, p141.
48
« je ne suis pas fou, ce soir. Je me sens bien. Je suis en paix »1, mais c’est encore
une fois un leurre.
L’excès de chaleur ou le froid glacial de la nuit sont la principale cause de ses
manifestations délirantes. Le narrateur finit par ne plus croire ses propres yeux. Il
est conscient désormais de la supercherie des images qui s’offrent à lui. Encore une
« hallucination » se dit-il ; celle de « trois chiens qui se poursuivaient »2.
Enfin, et à sa grande joie, il connaît la délivrance, le goût de l’espoir, celui de
la re-naissance, lorsqu’il est sauvé par le Bédouin. Cette fois-ci, ce n’est plus un
mirage, cette image n’est pas le fruit de son imagination, c’est la réalité pure. Une
réalité qui le transporte dans le monde spirituel de la contemplation et de la
méditation sur la fragilité de l’existence, ou encore lui procure la paix et le repos
éternels. Le narrateur accorde une grande importance à la présence de l’homme. Ce
Bédouin est, pour ainsi dire, presque sacralisé, car il lui octroie le pouvoir de
Création ; « Par un mouvement de son seul buste, par la promenade de son seul
regard, il crée la vie, et il me paraît semblable à un dieu »3. Ou encore, il lui
attribue une valeur cosmique considérable ; « Tu es l’Homme et tu m’apparais avec
le visage de tous les hommes à la fois (…). Tu es le frère bien-aimé. Et à mon tour,
je te reconnaîtrai dans tous les hommes »4. Il reprend goût à la vie grâce à un seul
geste, noble selon lui. Il a été sauvé par un seul homme, et à travers lui, il rend grâce
à tous les hommes. A travers ce geste si simple, sa vie entière se transforme ; « Tu
m’apparais baigné de noblesse et de bienveillance, grand seigneur qui as le
pouvoir de donner à boire. Tous mes amis, tous mes ennemis en toi marchent vers
moi, et je n’ai plus un seul ennemi au monde »5. Le désert devient alors une « page
d’écriture » qui présente des « messages énigmatiques, et invite à des lectures
contradictoires »6.
1 Ibid, p147. 2 Ibid, p157. 3 Ibid,. 4 Ibid, p159. 5 Ibid,. 6 Id, La terre et le désert dans l’imaginaire d’Albert Camus, in Le désert, un espace paradoxal, op-cit, pp459-460.
49
Le corps et l’esprit sont en symbiose lorsque l’imagination arrive à traverser
l’espace minéral pour dégager diverses sensations. La relation entre le corps et
l’esprit est appelée une « désertification imaginale » qui désigne que « le Moi et le
monde se répondent, fusionnent dans une iconosphère lithique »1. Et afin d’accéder
à la « plénitude du minéral », l’homme doit pénétrer par la Grande porte, celle de
l’imagination qui laisse le champ libre au cerveau de voir de nouveaux paysages,
percevoir de nouvelles sensations et développer les cinq sens. Alors, « les pierres
deviennent des paroles, des visages, des organes, d’abord étrangers, étranges, puis
progressivement apprivoisés, des êtres proches, familiers, des statues, des totems,
des châteaux et des villes, bref un monde qui nous reçoit, un espace que l’on
reconnaît. Alors seulement nous consonons, compatissons avec la nature, qui à son
tour nous réunit à elle, nous fait participer à sa vie intérieure »2.
On peut déduire à partir de là, que Saint-Exupéry avait une vie intérieure très
profuse et qu’il en faisait une rétrospective qui lui permettait à la fois de se remettre
en question, de s’approfondir et de reconsidérer la vie des Hommes ainsi que la Vie
en général.
1 Ibid. 2 Ibid.
50
« Ils étaient les hommes (…) du sable, du vent, de la lumière, de la nuit» J.-M. G. Le Clézio, in Désert, Gallimard, 1980, p 9 Chapitre premier :
I. Altérité et désert
1. Rapport des civilisations au désert
a. La civilisation des arabes
Les terres de l’Islam originel s’articulaient autour de deux déserts ; ceux
d’Arabie et ceux de Syrie. Le désert d’Arabie fut le berceau de l’Islamité, d’où a
fusé l’immense empire fondé par les successeurs du prophète Mohamed (Q.S.S.L).
C’est une vaste péninsule couverte en partie de déserts et baignée par trois mers ; la
mer Rouge à l’ouest, la mer d’Oman et le golfe Persique à l’est et la mer des Indes
au sud. Par ses extrémités ouest et est, elle touche à l’Afrique et à l’Asie. Au nord,
l’Arabie fait frontière avec la ville de Gaza en Palestine, jusqu’au sud de la mer
Morte, puis de la mer Morte à Damas, et de Damas jusqu’à l’Euphrate. Dans sa
longueur, le grand axe de la péninsule arabique est de 2500 kms. Entre la mer
Rouge et le golfe Persique, sa largeur est de 1000 Kms environ. La superficie totale
de l’Arabie dépasse les 3000.000 km21 et 1/5 de la population y vit à l’état nomade.
L’Arabie ressemble, par sa configuration, au Sahara Africain, car composée de
plaines arides, sablonneuses ou pierreuses, entremêlées de régions fertiles. Les
immenses territoires désertiques et solitaires sont coupés de zones habitées,
constituant les villes et les villages, occupés par une population agricole. Seuls les
nomades s’aventurent dans le désert. La partie centrale de l’Arabie s’appelle le
Nedjed ou haut pays. Ce serait un peu comme une île fertile qui ne serait pas
entourée d’eau, mais de montagnes et de déserts.
1 Six fois celle de la France.
51
L’Arabie contient plusieurs chaînes de montagnes. Quelques sommets
atteignent les 2500 m. Les cours d’eau ne sont guère permanents ; ils sont remplis
pendant la saison des pluies. L’Arabie est connue pour son aridité, sa chaleur et sa
sécheresse. Cette dernière a augmenté par suite à la destruction graduelle des forêts.
Ce phénomène est comparable à celui, observé en Algérie, fertile au temps des
romains et aride aujourd’hui.
Les caravanes qui traversent les déserts d’Arabie sont menacées par la sécheresse et
le vent ; le Simoun ou Khamsin. L’arrivée du Simoun se devine par la rougeur du
ciel à l’horizon. Après cela, il devient livide et grisâtre. Le soleil, dépouillé de ses
rayons, prend un aspect sanglant et l’air se remplit de sable fin. A ces symptômes, il
faut fuir au plus vite, car si la tempête survient, hommes et bêtes se sentent si
oppressés qu’ils en perdent même l’instinct de conservation. Les sables traîtres leur
servent de tombeaux et leurs ossements blanchis ne sont découverts qu’à la
prochaine tempête1.
b. La civilisation égyptienne
Les innombrables gravures rupestres de la préhistoire nous démontrent que
les déserts d’Egypte, tels que existant aujourd’hui, étaient plutôt des vallées riantes,
dues au climat pluvieux qui y régnait alors. L’aridité s’est peu à peu installée à
l’époque de la civilisation pharaonique. Il existe plusieurs formes de déserts : dunes
du grand Erg libyque, chaînes cristallines ou métamorphiques, vallées entre le Nil et
la mer Rouge, calcaire ravivés et croulants de montagne thébaïne, grès arrondis de
la Nubie, étendues ondulées de graviers et de sable à l’Ouest du Delta, etc.
Tous ces déserts apparaissent de loin comme une montagne vers laquelle on monte
et de laquelle on descend. Toutes ces formes désertiques constituent « l’étranger
immédiat et vaguement hostile »2, d’anciennes vallées fertiles et lieux des premiers
habitats préhistoriques. Ces étendues devenues arides abritent des nécropoles, et la
1 Gustave Le Bon, La civilisation des Arabes, éd De la Fontaine Au Roy, Paris, 1996, pp 18-19. 2 Dictionnaire de la civilisation égyptienne, directeur Georges Posener en coll avec Serge Sanneron et Jean Yayotte. Ed Fernand Hazan, Paris, 1959, p 84.
52
sécheresse jouait un rôle important dans la mesure où elle aidait à la conservation
des momies. Le désert était alors considéré comme un lieu mythique, un espace de
mystère où régnaient exclusivement « les dieux, les défunts, les lions, les gazelles et
les Bédouins barbares et faméliques »1. Paradoxalement, il était également la route
de transition, qui malgré les dangers, menait en fin de compte au monde extérieur, à
savoir, celui des « industries fructueuses »2. Les anciennes populations s’évertuaient
à cacher les puits qui se trouvaient dans ces déserts, afin que les Bédouins ne les
tarissent pas. Ces espaces si hostiles, n’ont jamais découragé les anciens égyptiens,
qui étaient plutôt très organisés et très ingénieux. Pour eux, le désert était un don
pour le roi, une richesse dévoilée par le Dieu de la terre. On y allait, armé et nanti de
provisions ainsi que de courage, car on n’en revenait pas toujours indemnes.
L’imagination peuplait ces zones arides de bêtes mythiques, de « griffons et de
serpents ailés »3. Le désert n’avait pas de dieu spécifique, le personnifiant. Les
dieux Min, Sopdon, Horus et Ha furent les protecteurs de certaines vallées arides
menant aux sanctuaires. Cependant, Seth, « le dieu rouge, méchant et meurtrier »
était le « principe symbolique de l’aride »4.
Les moines ascètes du désert au IVe siècle
Bien avant la fin des persécutions, la vie monastique de reclus, aussi rude et
aussi dure fut-elle, ne suffisait pas à expier l’archétype fondateur du christianisme, à
savoir le péché originel. Et par conséquent, ce désir de mortification tiraillait ces
moines ascètes et les poussait à rechercher la voie du Salut de l’âme dans les
espaces les plus hostiles de la terre, en l’occurrence, le désert, estimant que la vie
dans le monde « ordinaire » avait entravé leur quête de Dieu pour aboutir à la
« perfection morale »5. Des mouvements commencent alors à voir le jour, ainsi vers
1 Ibid, p84. 2 Ibid,. 3 Ibid, p85. 4 Ibid,. 5 François Heim, Les pères du désert et le pouvoir impérial au IVe siècle, in Le désert, un espace paradoxal, op-cit, p101.
53
250 de notre ère, Paul de Thèbes1 s’établit au désert et Hilarion2, en 307 de notre ère
fonda la vie monastique en Palestine. Mais, petit à petit, ces mouvements prirent de
l’ampleur jusqu’à une fuite quasi totale des moines vers le désert, « comme s’il
n’était possible de vivre le christianisme dans toute sa plénitude que dans un milieu
hostile »3. Surtout que le désert est, non seulement, une terre aride et stérile, mais
également c’est une terre hantée par beaucoup de bêtes « sauvages et
dangereuses », tels les aspics, les hyènes ou encore les serpents.
Cependant, la notion de désert en général est beaucoup plus spirituelle que
géographique. Il est, en effet l’espace qui « s’oppose au monde », les deux
différents paysages étant « séparés par un abîme conceptuel »4, combien même, sur
le plan géographique, les déserts et « le monde » seraient juxtaposés5, nous citons à
titre d’exemple, l’Egypte, la Palestine ou encore la Syrie6. Les moines vivaient en
majeure partie dans les « grands déserts » ; notons à titre d’indication les lieux
suivants : la Thébaïde en Egypte ou la marais de Scété, le Sinaï, le sud de l’Afrique
proconsulaire, l’est de la Syrie et de la Cappadoce. Mais en ce temps-là, les
communautés des ermites et des moines étaient rares. Ce n’est qu’au début du VIe
siècle que l’institution monastique gagna les villes. On comptait alors près de 67
monastères à Constantinople et à Rome, il y eut des monastères auprès de toutes les
grandes basiliques7. Aussi, les ermites et les moines étaient considérés comme des
« saints hommes », voire des faiseurs de miracles, et d’ailleurs, beaucoup de
pèlerins se rendaient auprès de ceux-ci dans « leur désert » et les consultaient sur
différentes questions d’ordre privé ou public, ou encore, « demander leur
bénédiction ou la guérison des maladies par le pouvoir de leur intercession »8.
Pour ces gens-là, le désert est un monde à part entière où y vivent des êtres qui ont
renoncé à la vie ordinaire afin de s’adonner corps et âme à Dieu. La faim et la soif
1 Premier ermite chrétien. 2 Saint Hilarion, (v. 290-371), moine et ermite palestinien. 3 Ibid,. 4 Ibid,. 5 Dans le sens où le désert (espace vide) n’était pas loin des villes dans un seul et même pays. 6 Ibid, p102. 7 Ibid, pp 102-103. 8 Ibid, p103.
54
importent peu alors, l’essentiel serait d’arriver à un degré profond de mysticisme,
car ils aspiraient à une vie « angélique »1.
Cependant, ce monde reste accessible au commun des mortels, d’où l’établissement
de relations « étroites, essentielles pour l’un et pour l’autre »2 entre les deux
mondes3, et pour subsister, l’un avait besoin de l’autre et, nécessairement, le
pouvoir impérial était impliqué dans cette relation. Pourtant, au début du Ve siècle,
ce pouvoir impérial se voit se dégrader et laisser le champ libre aux moines pour
diriger les affaires des populations, tant en Orient qu’en Occident. Des villages
commençaient alors à se constituer graduellement autour des retraites monacales
« aux abords du désert » de Syrie où les habitants y vivaient paisiblement en
communauté4. Ainsi, les saints hommes dirigeaient la vie de ces villages « par de
sages conseils ».
En effet, la générosité et l’aide de son prochain étant leur devise, les ascètes se sont
mis, en Occident, un demi siècle plus tard, à prendre en charge l’évacuation du
Norique5, lors de l’avancée des barbares qui persécutaient en ce temps-là la
population romaine. Cette dernière s’est vue fuir de ville en ville vers l’Italie du sud
avec l’aide des moines. L’une des personnalités les plus controversées, et de
surcroît chef de ces moines, fut Séverin du Norique, consulaire chargé d’une
mission spéciale par Valentinien III6, puis par Majorien, moine résidant dans les
montagnes sauvages du Norique « appelé à l’aide par une population en
détresse »7. Séverin était ce qu’on appelle un « conuersus », il a passé six ans de sa
vie dans le désert de Syrie, établissant ainsi, « un cordon de monastères le long du
Danube, donnant des consignes précises aux moines : collecter la dîme des récoltes
et en redistribuer aux nécessiteux le produit, soigner les malades, racheter les
prisonniers aux barbares, organiser la production agricole, apprendre aux bourgs
1 Ibid, p106. 2 Ibid, p 103. 3 Désert et autres villes habitées. 4 Ibid, p 108. 5 Les régions qui ont formé l’Autriche étaient autrefois connues sous le nom de Norique. 6 (419-455), empereur romain d’Occident (425-455). 7 Ibid,.
55
délaissés par l’administration centrale à vivre en autarcie. »1. Ainsi, Consulaire
devenu moine authentique ou « conuersus », c’est le monachisme qui prend le
dessus et gouverne le Norique, puis en évacue la population aux alentours de 450.
Pour ces moines, « le monde est définitivement voué au mal (…) ainsi qu’à la
destruction » et c’est pour cette raison qu’ils ont choisi la retraite dans le désert et
nourri l’espoir de le « transformer en antichambre du paradis »2. Ils ont choisi ce
lieu malgré la faim, la soif et les moyens précaires qu’ils avaient pour y subsister.
L’important était de vivre paisiblement loin de ce monde où règnent « la luxure,
l’amour de l’argent et le désir déréglé de nourriture et de boisson »3.
Pour les fidèles, les moines sont dotés de pouvoirs surhumains, voire même ceux de
« ramener le paradis sur terre » et par conséquent, ils voyaient dans les monastères,
une sorte de bénédiction du Ciel4. En voulant se détacher du monde, certains moines
sont même arrivés à avoir « honte » de se nourrir ou encore « foulent aux pieds
serpents, scorpions et cérastes »5. Le désert s’est alors transformé en un univers de
rêve pour les pèlerins qui rendaient visite aux moines. « Cet univers parallèle,
antithèse du monde, rend insipide l’univers réel »6. L’idée première est donc de fuir
ce monde de destruction au lieu de le sauver, afin de se réfugier dans ce désert
« paradisiaque ».
Témoignage d’un moine du désert égyptien au Ve siècle ; Isidore de
Péluse7
Au IVe siècle de notre ère, plusieurs figures ont marqué le monachisme
égyptien aux monastères de la haute Thébaïde, notamment, Antoine, Macaire,
Pakhôme, etc. Mais, il est une personnalité, peu connue entre le IVe et le Ve siècle
1 Ibid, pp 108-109. 2 Ibid, p 109. 3 Ibid,. 4 Ibid, p 110. 5 Ibid,. 6 Ibid, p 111. 7 Ermite du désert de Scété en Egypte qui prenait volontiers en charge les frères négligents ou coléreux et les sauvait par sa bonté, sa douceur et sa patience.
56
au nord-est de l’Egypte et plus précisément dans la région de Péluse qui suscita
l’intérêt ; Isidore de Péluse. Bien que peu connu ou encore très mal compris par les
spécialistes du monachisme égyptien, Isidore de Péluse, philosophe et sophiste,
marqua tellement son temps qu’il fut appelé « l’âme de Péluse »1. Il transmettait son
savoir par des épîtres dont le contenu était une sorte d’enseignement afin de
contribuer à la formation générale des jeunes chrétiens. Ces épîtres retracent
quasiment son parcours idéologique. Nonobstant sa carrière d’enseignant au niveau
supérieur, Isidore de Péluse se retira loin du « monde » dans le désert de Nitrie
embrassant ainsi la vie monastique, apprenant et méditant la Parole de Dieu2. Après
un retour à Péluse pour exercer en tant que prêtre didascale, il entre en conflit avec
l’évêque Eusèbe3 et décide, cette fois-ci de se retirer définitivement au désert à l’est
de Péluse. Dans le silence du désert, Isidore de Péluse peut désormais parler
« librement », mais continue toutefois à aider ceux qui l’en priaient. Pourtant, il
continua à osciller entre deux mondes, celui de la vie « ordinaire » et celui du vide,
du silence et de l’ascèse. Ce moine a laissé derrière lui un témoignage jugé
« paradoxal » de sa vie dans le désert, puisque l’on a divisé sa vie en deux grands
volets intitulés « Séparation du monde » et « Présence au monde »4.
Dans la première partie, le monde pour lui est « la matière, le souci des biens
matériels nécessaires à la vie quotidienne, à la famille, les richesses, la chair, les
excès en tous genres… »5. Et afin d’aspirer à une vie « céleste » et « angélique », il
faut, selon Isidore de Péluse, faire abstraction de ce monde de plénitude. Il faut
savoir émerger du « biôtika », car les biens terrestres sont « éphémères »6. Et le
désert serait le lieu idéal pour un culte inconditionnel des « commandements
divins », afin d’arriver au statut de « citoyens du ciel » et vivre « au sommet de la
philosophie », dans « le royaume de Dieu »7. Cependant, Isidore rappelle que sa
« fuite » vers le désert n’est pas liée à la peur ou au refuge d’un pécheur, loin s’en 1 Pierre Evieux, Le témoignage paradoxal d’un moine du désert égyptien au Ve siècle, in Le désert, un espace paradoxal, op-cit, p 134. 2 Ibid, p 135. 3 Nouvel évêque après la mort de l’ancien évêque Ammonios. 4 Id, Le témoignage paradoxal d’un moine du désert égyptien au Ve siècle, op-cit, p 136. 5 Ibid,. 6 Ibid,. 7 Ibid,.
57
faut, c’est une fuite vers un lieu de solitude, un lieu éloigné, où « au prix
d’exercices ascétiques et d’épreuves, il est possible de rencontrer, de voir Dieu ;
c’est donc le lieu de la ‘théôria’, de la vision de Dieu »1. Cet ascète représenterait
un modèle pour les chrétiens désireux de suivre son chemin. Et la vie dans le désert
est une vie démunie de tout « confort ». Ainsi, les moines ascètes vivaient de prières
constantes, travaillaient dans le silence mais, paradoxalement, tout en récitant
continuellement les Psaumes et mangeaient uniquement pour subsister, des
légumes, du pain une fois la semaine et de l’eau2. A ce propos, Isidore écrit : « le
corps a besoin de nourriture, non de délices. Une faible quantité suffit pour vivre :
c’est même un gage de santé, de force et de beauté…Les ascètes le prouvent, qui
sont plus intelligents, plus sages et en meilleure santé que ceux qui se nourrissent
de mets délicats »3. Dans la conception d’Isidore, se retirer au désert n’est pas
synonyme de châtiment de soi-même, a contrario c’est une sorte de purification, et
de l’âme et du corps, car ce moine prône la « modération et l’humilité »4. Quant au
second volet, en l’occurrence, La Présence au monde, c’est là précisément que l’on
a relevé le paradoxe. En effet, dans sa solitude et son silence volontaires, il persiste,
toutefois à être présent pour ses visiteurs et répondre à leurs attentes. Et c’est ainsi
que sa parole est répandue dans toute la région et ses « échos infléchissent
efficacement le cours de la vie publique et privée de Péluse et des environs »5. Il
établit alors des correspondances avec plusieurs de ses congénères dont le sophiste
Harpocras, à l’augustalis Théodore, préfet d’Egypte, à Philéas, conseiller municipal
de Péluse et il en vint même à se déplacer personnellement, lorsque « l’amitié le
pousse » chez le moine Stratégios6, prêchant la bonne « Parole » et rappelant à
l’humanité les préceptes religieux, parvenant quelques fois à ses fins.
En somme, Isidore s’est retiré du monde, « celui de l’enseignement, de la
culture, celui des responsabilités pastorales dans l’Eglise »7 afin de lutter, à sa
1 Ibid, p137. 2 Ibid, p138. 3 Ibid, pp 138-139. 4 Ibid, p 139. 5 Ibid, p 139. 6 Ibid, p 140. 7 Ibid, p 142.
58
façon, contre ses détracteurs et pour y parvenir, rien de plus efficace que de parler
librement et loin de la civilisation perturbatrice et des déloyautés qui submergent
« le monde ». Par conséquent, le désert procure la force de caractère, la profondeur
de méditer sur les ignominies dont souffre le monde et d’y faire face en toute
sérénité. « Dans son désert, Isidore n’a cessé d’être présent au monde. Et
longtemps ignorée, comme la ville de Péluse ensablée, sa libre parole nous atteint
encore aujourd’hui »1.
2. Le désert des philosophes.
Chez certains écrivains ayant évoqué le désert dans leurs oeuvres, bien que ce
dernier n’ayant pas constitué un thème central, il n’en demeure pas moins qu’il les
aura inspirés, un tant soi peu, dans leurs conceptions « artistiques et
philosophiques » à l’instar de Nietzsche et de Gœthe dans leurs respectives Chez les
filles du désert et Divan Occidental-Oriental. En effet, Goethe a fait du désert
quasiment un « leitmotiv »2 et ce, pour deux raisons. D’un côté, faire découvrir la
culture orientale et de l’autre, mettre en exergue ses représentations relatives à
l’amour et à l’art, car « la recherche goethéenne la plus récente part de l’idée que la
‘caravane’ incarne une notion poétologique importante, celle de l’imagination »3.
Les deux œuvres se rejoignent dans une conception de l’imaginaire représentatif de
certaines topographies, à savoir, nomadisme, désert, oasis, beauté féminine, et peu
importent les différences des deux pensées philosophiques, les textes sont
« imprégnés de la mémoire et de l’imaginaire du désert »4, mais en parallèle, se
distinguent par cet espace « exotique » ainsi que « le scepticisme européen »5. Dans
les deux œuvres, par delà leur contexte philosophique, nous devons retenir
uniquement le sujet qui intéresse la présente étude, à savoir, la conception arborée
des deux auteurs du désert. Il est clair, à priori, que ces derniers ont été influencés 1 Ibid,. 2 Manfred Schmeling, « Filles du désert » : Occident et Orient chez Goethe et Nietzsche, in Le désert, un espace paradoxal, op-cit, p 33. 3 Ibid, p34. 4 Ibid. 5 Ibid.
59
par la « représentation du désert et ses nombreux paradoxes »1, étant donné qu’il
apparaît de façon récurrente. Dans ce sillage, Goethe écrit qu’en Orient la réflexion
« oscille entre la sensualité et la transcendance »2. En outre, chez lui, le thème de
l’amour, selon la critique, confectionne un lien étroit avec « le champ métaphorique
du voyageur dans le désert »3. Ceci peut constituer une preuve que le désert joue un
très grand rôle dans l’imaginaire de l’homme et influence sa conception des
sentiments qui le submergent.
Goethe reprend la notion de voyage poétique dans Notes et Dissertations et
l’explique clairement dans ces vers :
« Celui qui veut comprendre la poésie,
Doit aller dans le pays des poèmes ;
Celui qui veut comprendre le poète,
Doit aller dans le pays des poètes »4.
Les critiques ont interprété ces vers comme un intérêt porté par l’écrivain aux
cultures étrangères, et de surcroît un caractère « fictionnel » du déplacement au
« pays des poèmes » et celui des poètes qui n’est autre que l’Orient. Aussi, d’après
l’auteur de l’article, nous apprenons que l’écrivain ne s’était jamais rendu au pays
des sables et ne connaisssait nullement la vie dans le désert. Par conséquent, nous
pouvons déduire que cet espace existe d’emblée dans l’inconscient de l’homme5 et
prenant en compte l’origine occidentale de Goethe, le critique pense, dans ce
contexte, que la Bible, en particulier l’Ancien Testament « dont les histoires et les
légendes sont déjà imprégnées de la symbolique religieuse du désert »6, influe sur
l’esprit des hommes.
Aussi, cette symbolique guide vers une prise de conscience d’un espace paradoxal,
conduisant aussi bien au « calvaire qu’à la rédemption »7.
1 Ibid, p35. 2 Ibid. 3 Ibid, p37. 4 Ibid, p37. 5 Ecrivain ou poète. 6 Ibid, p38 7 Ibid,.
60
Par ailleurs, Goethe avait une intention bien précise quant à la signification du
poème. En effet, il voulait faire découvrir au lecteur « l’histoire et la littérature
d’une région du monde si étrange » et d’ « être considéré comme un voyageur qui
se loue d’aborder avec sympathie le mode de vie d’un pays étranger, d’essayer d’en
apprendre le parler, d’en partager les convictions, de savoir en adopter les
mœurs »1. Aussi, les éléments esthétiques qui composent l’œuvre littéraire de
Goethe, sont largement inspirés par la culture orientale, d’autant plus que l’histoire
se déroule dans le désert de l’Orient.
En ce qui concerne Nietzsche, son Chez les filles du désert se caractérise par une
« tension quasi-mortelle de l’existence moderne »2. En d’autres termes, le paradoxe
réside dans sa manière de percevoir le paysage et l’image que véhiculent le désert et
l’oasis. L’auteur parle de « flore idyllique »3 dans la mesure où le paysage est
comparé au merveilleux, au paradisiaque, et de « faune sauvage d’un côté, et de
l’autre » de « solitude brûlante et paysage de mornes nuages »4.
A partir de là, l’on dégagera une sorte de « mise en abyme »5 des deux espaces6,
aussi bien sur le plan géographique que spirituel, entre « luminosité de l’air
oriental » et « mélancolie d’une vieille Europe humide et nuageuse »7.
Tout en évoquant les images liées « au plaisir » que peut engendrer le désert, le
critique ne manque pas, cependant, de présenter en parallèle l’image d’un désert qui
« étouffe », qui « consume » décrit par le voyageur qui chante des poèmes remplis
d’allusions, afin d’expliquer cette notion de paradoxe, car celle-ci peut se repérer
dans une seule et même pensée. A ce propos, l’auteur argumente en ces termes :
« l’homme, ‘brûlé de volupté’, n’est plus l’habitant d’une zone intermédiaire et
ambivalente (désert/oasis, esprit/corps, raison/passion), mais se fond en une totale
identification : l’homme est le désert »8. Toutefois, l’on soulèvera un point
culminant dans cette vision des écrivains. En fait, la critique parle de 1 Ibid, p39 2 Ibid, p40. 3 Alors qu’il n’y a presque pas de végétation dans le désert. 4 Ibid,. 5 Ibid,. 6 Oriental et Occidental. 7 Ibid, p41. 8 Ibid, p46.
61
« considérations biographiques » par rapport aux sentiments ambivalents émergés
du plus profond de l’homme. Goethe serait « une victime de la force destructrice de
la morale européenne »1, tout en opposant chez Nietzsche « la force individuelle,
autonome de la volonté ainsi que l’esquisse d’un surhomme »2, prenant, néanmoins,
en considération leurs parcours existentiels respectifs. Dans ce contexte, et arguant
dans une perspective analytique, certains analystes ont mis en relief la relation qui
existe entre l’écrivain3 et sa « maladie », exposant à cet effet les « couples des
contraires » à savoir, « la faiblesse humaine et l’esprit du surhomme »4 qui peuvent
se refléter dans l’œuvre de l’écrivain.
Cependant, si nous cheminons dans cet esprit, nous constaterons une certaine
ambiguïté, voire même une complexité, car cela ne peut s’appliquer à toutes les
œuvres. Jusqu’à preuve du contraire, Saint-Exupéry n’était atteint d’aucune maladie
psychique, il n’en demeure pas moins qu’il avait des visions paradoxales relatives
au désert. Cette interprétation de l’imaginaire du désert pourrait se déplacer sur un
plan plutôt « trivial » au de-là de son contexte philosophique, mystique, spirituel ou
autre. Alors que ce qui nous importe, est précisément, d’étudier l’image de cet
espace dans l’imaginaire, conscient ou inconscient, de l’auteur du Petit Prince, sans
pour autant tomber dans la fatuité.
3. Le désert de Saint-Exupéry
« Le désert est le seul, le dernier pays libre peut-être, le pays où les lois des
hommes n'avaient plus d'importance»5.
A l’image des textes de Goethe et de Nietzsche, ceux de Saint-Exupéry sont
également imprégnés de la mémoire et de l’imaginaire du désert. Et de ce fait,
multiples aspects s’en dégagent, et en font, entre autres, un espace rebelle, car il
1 Ibid, p47. 2 Ibid. 3 Il s’agit ici de Nietzsche. 4 Ibid. 5 J.M.G Le Clézio, Désert, Gallimard, 1980.
62
n’obéit à aucune loi : « …Le Sahara insoumis »1. Cependant, parmi les aspects les
plus fortement mis en exergue, soit dans l’œuvre de Saint-Exupéry, soit dans
d’autres œuvres, c’est celui de la solitude, qui domine les récits.
Cet espace « mystérieux » stimule l’inconscient de l’homme, éveille en lui les
souvenirs les plus douloureux car celui-ci est confronté à lui-même, il n’y a plus de
vie active, plus de civilisation, il est seul face à la Création. La quête du désert
permet à l’homme de prendre conscience de son ipséité. Erasme2 écrit en 1489, à
propos de la solitude : « Les deux choses qui d’ordinaire sont les plus propres à
mettre l’esprit en état de torpeur sont l’inaction et la solitude »3. Il affiche son
opinion quelque peu « ironique » sur les moines ascètes, les accusant indirectement
d’être « prétentieux » mais encore d’avoir trop « confiance » en leurs rituels qu’ils
en arrivent même à penser qu’un « seul ciel n’est pas suffisant pour récompenser
leurs mérites, alors que le Christ, méprisant tout cela, ne demandera compte que de
son précepte, celui de la charité »4. Pour lui, ces rites ne sont que des « folies », car
au terme de leur vie, chacun de ces moines, rappelle Erasme, aura subit les
conséquences néfastes de ses agissements, puisque « l’un rappellera qu’il a mené
pendant plus de onze lustres une vie d’éponge toujours fixée au même lieu, l’autre
présentera sa voix cassée à force de chanter, l’autre sa léthargie attrapée dans la
solitude, l’autre sa langue paralysée par un silence perpétuel »5. Aussi, sur ce
thème principalement, la pensée d’Erasme est inébranlable ; pour vivre son
christianisme, l’homme n’a nullement besoin d’ostentation et encore moins
d’isolement démesuré. Car, affirme encore l’humaniste hollandais, « Rien ne se fait
pieusement dans les monastères que l’on ne puisse faire ailleurs ou même
mieux ! »6. Dans ce sens, au moment où Erasme dressait le portrait du « prince des
1 Id, Terre des hommes, op-cit, p 31. 2 (1469-1536), humaniste hollandais d’expression latine. Il chercha à définir un humanisme chrétien, à la lumière de ses travaux critiques sur le Nouveau Testament, en préconisant l’entente entre catholiques et réformés. 3 Jean-François Cottier, Désert et solitude dans les Paraphrases sur les Evangiles d’Erasme, in Le désert, un espace paradoxal, op-cit, p195. 4 Ibid,. 5 Ibid, p 195. 6 Ibid,.
63
théologiens latins », en parlant de Cicéron1, dans Vie de Saint Jérôme, cet
humaniste hollandais transformait cette figure par une sorte « d’idéalisation
narcissique » en un « autoportrait », et de ce fait, occulte ou presque l’expérience
du désert et de la vie monastique vécue par le Saint homme, mettant l’accent
uniquement sur son côté « savant lettré, maître de savoir et d’éloquence »2. Mais
curieusement, dans un autre ouvrage intitulé Sur le mépris du monde (1521),
Erasme au contraire, fait une sorte d’apologie de la vie monastique « et de la
solitude choisie des philosophes et des poètes »3, et ajoutant dans ce contexte que
« s’il faut s’enfuir du monde pour trouver la paix et la tranquillité nécessaire à la
recherche de Dieu, il faut aussi, une fois au désert, oublier le monde et ses
séductions »4. La solitude est le parangon du repos de l’esprit, du corps ainsi que
celui des muses où l’inspiration est à son apothéose. Donc, dans l’œuvre d’Erasme,
« l’attirance et la répulsion » se confondent par rapport au retrait du monde et de la
solitude.
D’un autre côté, d’autres visions viennent se joindre à celle d’Erasme dans ce
contexte. Pour les philosophes de ce siècle, cet espace est loin d’être un espace
« d’héroïsme », bien au contraire, il serait un lieu de lâcheté, de perversion, un lieu
de rupture d’avec les hommes, donc il n’est plus cet espace d’élévation ou de
communion. Ceux-là, condamnent sévèrement les moines ascètes en ces termes :
« Un solitaire, est à l’égard du reste des hommes comme un être inanimé ; ses
prières et sa vie contemplative, que personne ne voit, ne sont d’aucune influence
pour la société, qui a plus besoin d’exemples de vertu sous ses yeux que dans les
forêts »5. Pour ces penseurs, le désert est négatif puisqu’il ramène à la solitude et
pour la société d’antan, la solitude est synonyme de « scandale », ce qui reviendrait
à dire que le désert lui-même serait un lieu maudit générateur de « scandale », au
sens « d’achoppement diabolique »6. De ce fait, le philosophe dégage son idée
d’après la vision de la société, transformant cet espace de « sanctification » d’après 1 (106-43 av. J-C.), home politique romain, orateur et écrivain latin. 2 Ibid, p 196. 3 Ibid,. 4 Ibid,. 5 Ibid,. 6 Ibid,.
64
la religion biblique, à un lieu de « perdition ». Aussi, les apologistes adoptent le
même point de vue « utilitariste et intramondain ». Pour ces derniers, la solitude est
un concept « suspect », car l’homme est par essence destiné à vivre en communauté.
Ils vont même jusqu’à qualifier la solitude de « perversion de la nature »1. Dans ce
sillage, Caraccioli écrit dans De la Gaieté : « Toute la nature nous invite aux
douceurs de la société ; les oiseaux se recherchent ; les abeilles se rassemblent ; les
arbres s’entrelacent, les fleuves vont s’unir à la mer, et l’harmonie de l’univers ne
se soutient que par une attraction qui doit être une image de la nôtre »2. Aussi, le
désert selon lui, ne peut être « réservé » qu’à quelques uns, la majorité des hommes
doivent impérativement vivre en société, dans la vie de tous les jours. Pourtant, cet
apologiste, bien qu’il adopte une position catégorique contre le désert érémitique
puisque étant pour lui un espace « effrayant, aberrant, voire scandaleux », il n’en
demeure pas moins qu’il soit pour un désert symbolique. Celui-ci parle, en effet, de
désert « intérieur », qui se situe en chacun de nous, d’un « espace domestiqué et
intégré à l’espace social »3, car pour lui, le vrai désert n’est pas un lieu défini ; il
n’est pas géographiquement situé, mais dépend d’abord de « l’état d’esprit de
l’individu »4. Donc, l’homme pourrait simplement se retirer en soi-même sans avoir
avoir recours à une retraite réelle dans le sens de déplacement territorial. Pour une
raison ou pour une autre, chaque être ressent le besoin de se retrouver seul face à
soi-même, mais pour ces philosophes, l’espace importe peu pourvu qu’on prenne
conscience des capacités de notre esprit. L’homme pourrait prendre seulement
l’idée de « désert » avec tout ce qu’elle présuppose comme concepts théoriques, et
les concrétiser à l’intérieur de lui-même. Ainsi, il atteindrait le but recherché, qui
est, ce qu’ils appellent « converser avec soi-même ». Les personnes qui sont
arrivées à ce degré de pensée, ne se sont pas forcément isolées dans le désert, elles y
sont arrivées « au milieu du monde ». Quant à la solitude, elle ne peut qu’être
destructrice pour l’esprit humain lorsqu’elle est prise en mauvaise part. Elle peut
même engendrer la perte de l’esprit, donc entraîner à une sorte de folie. Ces 1 Ibid, p291. 2 Ibid,. 3 Ibid,. 4 Ibid,.
65
philosophes sont à la fois pour et contre le désert, c’est un espace à la fois
dangereux et hostile, mais qui peut concevoir des idées nouvelles, c’est un espace
générateur d’inspiration.
Quand la solitude devient fascination…
Le désert aurait connu au 18ème siècle une réelle « fascination mêlée de secrète
horreur ». D’un côté, c’est une fascination pour un paysage de vide, d’absence et de
silence, pour un lieu que la civilisation n’a pas frôlé, et d’un autre côté, horreur pour
une contrée qui pourrait, éventuellement, extraire à l’homme « ses traits
d’humanité » dans sa solitude loin de ses semblables. Ainsi, le désert pourrait le
transformer en un être associable et casanier. Nous citons principalement quatre
apologistes du 18ème siècle, notamment, Gabriel Gauchat (1709-1779), Louis-
Antoine Caraccioli (1719-1803), louis-Athanase Berton de Crillon (1725-1789) et
enfin Philippe-Louis Gérard (1731-1813), pour tenter de dire la place qu’occupait le
désert dans la pensée religieuse entre 1760 et 1780, ainsi que ses différentes
représentations romanesques. Dans cette étude, il est question de la présence du
désert dans « l’horizon spirituel » au courant du 18ème siècle, car cette dernière à
joué un rôle essentiel dans le dispositif apologétique. « Le désert appelle la société ;
si l’on fuit le désert, c’est dans l’espoir d’y trouver le modèle d’un espace social
régénéré »1. Dans ce sens, où ceux qui s’isolent dans le désert recherchent peut-être,
un cadre idéal pour pratiquer leurs rites spirituels, afin d’être en harmonie avec eux-
mêmes ou encore pour d’autres raisons profondes, voire mystiques. Le désert
comme milieu naturel, génère des sentiments ambivalents qui vont au-delà de la
matérialité. Ainsi, le désert procure des expériences spirituelles et mène vers la
quête de Dieu. L’homme ressent cette transcendance au plus profond de lui-même
1 Nicolas Brucker, Pensée et représentation du désert chez quelques apologistes mondain du 18ème siècle, in Le désert, un espace paradoxal, op-cit, pp 289-290.
66
et le désert1 l’aide à la développer, car ce dernier « ne prépare-t-il pas à l’œuvre de
la conversion ? »2.
Dans les récits de Saint-Exupéry la solitude est ressentie comme un besoin,
voire une nécessité. Même accompagné, le narrateur perçoit cette solitude comme
un isolement secret : « Nous nous étions enfin rencontrés. On chemine côte à côte,
enfermé dans son propre silence,… »3. Toutes ses réflexions sur les choses qu’il a
rencontrées durant son parcours, se sont formées lorsqu’il était, seul dans son avion,
seul dans ses pensées à méditer sur l’œuvre de la Création et seul dans le désert.
Ainsi, de cette solitude, ses sont dégagés moult aspects qui ont fait de cet espace, un
lieu particulier. Il apparaît comme un espace sacré, car il transmet des leçons sur la
vie, sur les hommes et sur les valeurs essentielles. Il entretient aussi un rapport
étroit avec l’histoire des religions, étant le berceau des trois religions monothéistes,
et le lieu de retraite des ascètes par excellence, le lieu de prédilection, le lieu de
contemplation générateur de méditation. Espace d’humilité également, il contraint,
tacitement, à dépasser notre égoïsme et notre orgueil. Il engendre en l’homme le
désir de se prosterner devant tant de beauté et de silence, de profondeur et de signes.
Le désert est un espace vierge et pur, qui pourrait accueillir une nouvelle civilisation
de surhomme, capable de dépasser les vétilles de la vie et se consacrer entièrement
au bien et à l’amour d’autrui. Et c’est une fierté de marquer de ses « pas un
territoire que nul jamais encore, bête ou homme, n’avait souillé »4. Le sable est tout
aussi vierge ; « J’arpentais un sable infiniment vierge »5. Il nous donne l’impression
d’être des pionniers, des précurseurs impériaux, d’être les premiers, ou bien les
seuls habitants de la Terre. Même si avant lui, en l’absence de traces qui en
attestent, beaucoup ont sillonné les étendues sablonneuses du désert, l’écrivain
s’exprime encore avec ferveur dans le rythme de ses mots : « J’étais comme une
1 Dans le sens de solitude, de méditation et de quête. 2 Ibid, p290. 3 Id, Terre des hommes, op-cit, p37. 4 Id, Terre des hommes, op-cit, p61. 5 Ibid,.
67
semence apportée par les vents, le premier témoignage de la vie »1. Saint-Exupéry
avait de tout temps nourri le profond désir de fonder une nouvelle civilisation qui
permettrait « une certaine qualité des relations humaines »2. Le désert est pour lui
le lieu de régénération par excellence. L’orgueil de l’homme se dégonfle et il
attribue à la vie sa valeur juste et vraie. Le narrateur est conscient que dans le
désert, il n’est plus rien ; « Je n’étais rien qu’un mortel égaré entre du sable et des
étoiles, conscient de la seule douceur de respirer »3. Ainsi, plus rien ne nous est
utile dans l’immensité du désert. On est seuls face à nous-même.
Le désert prend une dimension sacrée ; être humains, animaux, végétations,
tout est incliné devant cette immensité. « J’avais besoin de ces mille repères (…),
pour trouver un sens à ce silence fait de mille silences, où les grenouilles mêmes se
taisaient »4. Espace d’humilité, dans le désert les petits conforts de la vie deviennent
inutiles, on peut dormir sans drap, à même le sol et l’on se sent en paix. Le désert
est infini, mais apaisant et éloquent. Son apparente nudité même peut cacher un
trésor. Paradoxalement, se perdre dans le désert est une manière de retrouver les
repères de sa vie, ou la trame de son existence. Chez Saint-Exupéry, le désert n’est
pas toujours hostile, et éveille en nous la nostalgie ou la promesse de le découvrir
avant de mourir. Il n’est pas exempt de danger, mais en même temps apaisant et
éloquent dans son incommensurable infinité. Son désert à lui est porteur d’espoirs.
Pour celui qui utilise seulement les yeux du corps pour voir, il n’apercevra
qu’un désert aride et hostile, mais pour celui qui regarde avec son cœur, verra des
trésors cachés aux yeux des simples mortels, comme des roses dans le désert, ou
encore des princes ou des animaux qui parlent et qui nous apprennent la sagesse. Le
désert pour Saint-Exupéry est infini et mystérieux à la fois, sa nudité même peut
cacher un trésor inestimable5. « Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c’est
qu’il cache un puits quelque part »6. Le désert est « beau », malgré toute sa
désolation. En dessinant à la fin un paysage aride en apparence, le narrateur a livré 1 Ibid, p62. 2 Antoine de Saint-Exupéry, Lettre à un otage, Paris, Gallimard, 1944, p 15. 3 Id, Terre des hommes, op-cit, p64. 4 Ibid, p65. 5 Dans ce contexte, le trésor est symbolisé par l’eau. 6 Ibid, p62.
68
ses sentiments les plus profonds. Le paradoxe gît dans la beauté d’un paysage qui
n’offre, à priori aucun décor aux yeux des spectateurs, un paysage « triste » et vide
que voici :
1
Le commentaire qu’il en fait baigne, à la fois dans le chagrin et l’admiration : « Ça
c'est, pour moi, le plus beau et le plus triste paysage du monde »2. Il utilise le dessin
pour mieux extérioriser ses émotions, car parfois, l’image dépasse, et de loin la
parole.
Le désert est mystérieux, c’est une partie de la terre très secrète et qui ne se livre pas
aisément à l’homme. Chargé de mysticisme, de rayonnement, le sable constitue en
lui-même une partie importante du désert, car ses grains nous sont propices à la
méditation, au rêve et au repos ; « J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une
dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose
rayonne en silence »3. En admirant davantage la beauté de cette immensité
sablonneuse à cause du puits « caché » quelque part, le narrateur fait preuve d’une
grande profondeur d’âme. La sagesse qu’il transmet tacitement lui attribue le
1 Le petit prince par Antoine de Saint-Exupéry, site officiel de Saint-exupéry. 2 Id, Terre des hommes, op-cit, p75. 3 Ibid,. p62.
69
pouvoir de « comprendre (…) ce mystérieux rayonnement de sable »1 grâce au
souvenir de son enfance qui évoquait une maison ancienne qu’il habitait, et où il
était question « qu’un trésor y était enfoui ». Et même si ce trésor n’a jamais pu être
découvert, cela n’empêchât guère que la maison en fût toute illuminée et
« enchantée ». La raison de cet enchantement était ce même secret. La maison est
personnifiée et dotée de l’un des plus importants organes vitaux de l’être humain ;
le cœur : « Ma maison cachait un secret au fond de son cœur »2. On pourrait
déduire qu’à partir des éléments de la terre qui, eux « cachent » bien des trésors,
que l’homme également transporte, en fait un secret au fond de son cœur, sans le
savoir, et c’est au terme d’une longue méditation, de contemplation dans un espace
aussi vide, aussi immense que le désert, qu’il peut le découvrir. « Qu’il s’agisse de
la maison, des étoiles ou du désert, ce qui fait leur beauté est invisible ! »3. A partir
de cela, on peut dire que le désert recèle beaucoup de secrets ; « …ce que je vois là
n’est qu’une écorce, le plus important est invisible …»4. Le message que transmet le
narrateur est un message universel, une invitation à la méditation, à la
contemplation, au repos de l’âme pour mieux voir, sentir et percevoir les valeurs
essentielles. Une invitation à la retraite dans un espace de solitude, afin de se
régénérer, de faire abstraction des futilités de la vie et de voir à l’intérieur de soi, car
ce que cherchent les hommes « pourrait être trouvé dans une seule rose ou un peu
d’eau… »5.
1 Ibid. 2 Ibid. 3 Ibid. 4 Ibid. 5 Ibid, p65.
70
Chapitre deuxième
II. Ambivalence de l’espace désertique
1. Le désert, espace paradoxal
« L’écriture du désert est une des topiques essentielles de la modernité et de la
post-modernité : n'est-ce pas, malgré tout et le plus souvent, une utopie ? Espace
paradoxal, vaste et vide, que signifie le désert ? La tentation paraît grande, pour
l'écrivain, de « faire parler » le désert, et par conséquent de lui imposer la marque
de son désir. Fulgurances poétiques, carnets de route, littérature descriptive,
romans hallucinatoires. Autant d'oeuvres, autant de déserts »1
Le désert constitue, ces temps-ci, un thème d’étude très en vogue pour les
travaux universitaires. Dans une époque où la technologie est en plein essor, ce lieu
d’où est bannie toute forme de civilisation mais qui, pourtant suscite la curiosité et
l’intérêt de nombreux chercheurs, demeure un endroit « fantasmatique » en relation
avec, d’un côté l’expérience individuelle et de l’autre, celle collective. Dans un
colloque universitaire traitant de la question du désert, Alain Cullière2 a affirmé
qu’il redoutait cet espace avant même d’en avoir franchi les frontières « pour,
précise-t-il, la clameur qui s’en dégage ». En effet, sa vision quelque peu anticipée
était fondée sur ses différentes lectures d’ouvrages évoquant les uns comme les
autres cette face « hostile » et « terrifiante » d’une étendue sablonneuse infestée
d’animaux dangereux et « immondes » tels que le serpent3 et le bouc émissaire.
Ainsi que cet étouffement dû à la chaleur torride qui caractérise ce lieu « faisant
sortir toutes choses hors de leur nature ». Cet analyste avait une idée préconçue,
voire négative de ce lieu générateur de mirages et que la « faiblesse » de l’homme
1 www.fabula.fr, Désert ; entre désir et délire, acte d’une journée d’étude au Centre de Recherches « Espaces, Ecritures ». 2 Directeur de l’UFR « Lettres et langues » de l’université de Metz. 3 Notons que le serpent a été évoqué dans Le petit prince et Terre des hommes.
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attise de mieux en mieux. Pourtant, Le Saint Jean-Baptiste dans le désert de
Georges de La Tour a été le déclencheur d’une tout autre conception charriant un
sens plus profond que la précédente et représentant le désert d’une manière quelque
peu ambivalente de telle sorte qu’on est attiré par une envie irrésistible de le
découvrir personnellement, car « il faut admettre que le désert qu’on ne voit pas,
(…) est tout entier dans le désemparement de celui qui observe le tableau »1.
L’image que transmet le peintre est celle « d’une distance infranchissable », alors
nous sommes saisis d’une envie soudaine de percer le mystère.
Mais ce qui nous intéresse principalement, c’est cette notion d’espace paradoxal qui
caractérise tant le désert. En effet, l’espace paradoxal serait un « espace qui reverse
l’équivalent spatial de l’opinion (doxa), à savoir le lieu (topos) »2. Afin d’illustrer
cette idée d’espace paradoxal, l’auteur évoque l’exemple des Sept merveilles du
monde en précisant que la notion de « merveille d’architecture » est « très
exactement ce qu’il faut appeler (…) un espace paradoxal »3. En remontant un peu
dans le temps, et plus précisément dans l’Antiquité tardive, on constatera que la
paradoxographie était un genre littéraire typique de la période hellénique et de son
goût très prononcé pour les choses « étonnantes », étranges ou « monumentales ».
Ainsi, les « paradoxa » sont des faits « étranges, singuliers ou inattendus »4, d’où
un grand intérêt de la part des paradoxographes pour les merveilles du monde. Pour
étayer ses arguments, l’auteur cite un texte grec datant du IIe siècle AV-J-C écrit
par Philon de Byzance où il décrit de manière très singulière les merveilles du
monde en les comparant à des « édifices qui renversent littéralement les conditions
communes de la localité »5. C’est dans cette perspective que nous étudierons, les
éléments contradictoires que nous avons relevé dans les récits de Saint-Exupéry,
afin de mettre en exergue cette image paradoxale que véhicule le désert. Aussi, ces
éléments se présentent sous forme de sentiments antinomiques qui se manifestent à
travers les paroles du narrateur, aussi, le désert symbolise pour lui, le vide, le 1 Alain Cullière, directeur de l’UFR « Lettres et langues », Université de Metz, in, Le désert, un espace paradoxal, op-cit, p2. 2 Id, Le désert désacralisé : la pensée de l’habitation chez Emmanuel Lévinas, op-cit, p51 3 Ibid, p52. 4 Ibid, p52. 5 Ibid, p52.
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comble, l’hostilité, l’amitié, l’espoir, le désespoir, la peur, la quiétude, mais nous
procèderons à l’assemblage des éléments qui se rejoignent dans les champs
lexicaux. Ainsi, nous relevons les deux points essentiels suivants :
A. Espace vide / Espace comble
Le sens du mot désert paraît, à priori ambivalent, car de même qu’il se présente
comme lieu géographique bien défini « qui peut d’ailleurs se définir comme un –
non-territoire - »1, il peut être également une « métaphore, une expression
symbolique de la retraite et de la solitude »2. Pour l’analyste Gérard Nauroy3, le
désert est paradoxal par essence et dans cette perspective l’auteur tente de répondre
à plusieurs questions relatives à la quête du désert, à savoir ce que l’homme pourrait
y trouver en s’y rendant soit personnellement, soit « qu’on le rêve dans la profusion
de livres qui le célèbrent »4. L’analyste a cité un exemple concret afin d’illustrer au
mieux cette image de paradoxe que draine le désert. En effet, il a constaté que les
anachorètes s’y retiraient pour mener une vie de solitaires. Pourtant, le paradoxe,
d’après lui réside en leur manière de concevoir cette vie, car, en voulant s’éloigner
de la civilisation, ils recherchaient, à leur façon, « la compagnie de Dieu » d’une
part, et d’autre part, fuyaient la société mais curieusement fondaient une nouvelle
« socialisation », celle du monastère par exemple. De plus, cette rupture d’avec les
hommes va provoquer, dans ce lieu fascinant, d’autres rencontres humaines,
sociales et culturelles, et « donc, en fin de compte, lieu non pas tant d’isolement que
d’ouverture »5.
Pour Antoine de Saint-Exupéry, le désert représente le néant, le vide car il est
inhabité, le serpent que rencontre le personnage du petit prince le précise en ces
termes : « Ici c’est le désert. Il n’y a personne dans les déserts. »6. Cette affirmation
1 Ibid, p5. 2 Ibid, p5. 3 Professeur des universités (Université de Metz, langues et littératures anciennes), Le désert, un espace paradoxal, op-cit. 4 Gérard Nauroy, in Le désert, un espace paradoxal, op-cit, p5. 5 Ibid,. 6 Id, Le petit prince, op-cit, p52.
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« Il n’y a personne dans les déserts » est présente comme pour dire que le vide est
quelque chose de propre au désert, c’est une évidence que tout le monde est sensé
savoir, même ceux qui n’ont jamais vu le désert. La nuit symbolise pour le narrateur
la mort, il dit dans ce contexte que « Le Sahara, la nuit, s’éteint tout entier et forme
un grand territoire mort »1. La nuit accentue encore cette image de désolation et de
vide. Le narrateur emploie le verbe pronominal « s’éteindre », probablement pour
faire passer un message ; celui d’un désert illuminé durant la journée, un désert qui
éclaire de par sa couleur de « miel » tels des lustres. Mais la nuit, ces lustres
s’éteignent pour ne plus éclairer, et ainsi constituer un espace encore plus vide,
voire même, un espace « mort », tel un cimetière, là où un silence pesant y domine.
Son immensité inhabitée est, encore une fois, mise en exergue lorsque le narrateur
précise que, dans le désert, on n’y rencontre personne ou à peine une plante et
rarement quelques personnes, peut-être « six ou sept » : « Le petit prince traversa le
désert et ne rencontra qu’une fleur. Une fleur à trois pétales, une fleur de rien du
tout… »2. La conversation qui se déroule entre lui et la fleur illustre clairement cette
idée : « Où sont les hommes ? demanda poliment le petit prince. (…) Les hommes ?
Il en existe, je crois, six ou sept. Je les ai aperçus il y a des années. Mais on ne sait
jamais où les trouver. Le vent les promène… »3. La notion d’espace vide indique
seulement l’apparence du désert. En effet, en apparence le désert est vide, néant, et
aussi loin que peuvent nous emporter nos yeux, au milieu du désert on ne
rencontrera que du sable, des dunes et son ineffable immensité, mais ce vide
comporte en réalité des « richesses invisibles ». D’autre part, la notion d’espace
comble est symbolisée par la phrase suivante : « Ainsi, en plein désert, sur l’écorce
nue de la planète, dans un isolement des premières années du monde, nous avons
bâti un village d’hommes. »4. Cette pensée se présente sous forme de cadence, car
avant d’arriver à l’idée générale, le narrateur commence par la plus petite image à la
plus grande, voire la plus puissante, comme pour préciser où plutôt, faire ancrer
l’image profonde que donne le désert, « en plein désert », afin d’indiquer l’endroit, 1 Id, Terre des hommes, op-cit, p25. 2 Ibid, p53. 3 Id, Le petit prince, op-cit, p53. 4 Id, Terre des hommes, op-cit, p37.
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ensuite « sur l’écorce nue de la planète », afin de préciser encore une fois, la nudité
qui caractérise le désert, et enfin « dans un isolement des premières années du
monde » véhicule l’allusion que le désert, pour le narrateur, est un espace séculaire,
et sans jamais être touché par le progrès et la modernité, c’est un espace qui a stagné
dans l’époque primaire de la naissance du Monde. Pour le narrateur, le désert
représenterait une autre ère. Et enfin, dans un paradoxe curieux, il termine sur un
ton de fierté d’avoir pu fonder une société, comme pour dire, implicitement, qu’il
est en quelque sorte, un leader, voire même un démiurge. La nudité du désert est
réitérée quasiment à chaque fois ; ainsi, le désert. « S’il n’est d’abord que vide et
que silence, c’est qu’il ne s’offre point aux amants d’un jour »1, il est vide, certes,
mais seulement en apparence, car il est profond, c’est le lieu naturel de rencontre
avec l’Autre et avec soi-même, avec les civilisations, les sentiments et les passions,
il représente alors notre « univers mis à nu ». Aussi, le narrateur semble avoir des
sentiments ambivalents envers cet espace, à la fois vide et comble, car il engendre
des illusions, celles de la profusion de la vie ; comme l’expriment si bien ses
paroles : « En avion, quand la nuit est trop belle, on se laisse aller (…) On le croit
encore horizontal quand on découvre sous l’aile droite un village. Dans le désert il
n’est point de village. Alors une flottille de pêche en mer. Mais au large du Sahara,
il n’est point de flottille de pêche »2, dénudé et garni, car il renferme un « royaume
secret »3, le désert demeure un espace atypique même dans sa nudité, « Ainsi le
désert n’est point fait de sable, ni de Touareg, ni de Maures même armés d’un
fusil… »4. Le désert est à la fois habité et vacant ; « Au fond d’un Sahara qui serait
vide, se joue une pièce secrète, qui remue les passions des hommes »5. A partir de
là, on pourrait formuler l’hypothèse que pour le poète, la vie dans le désert
ressemblerait, ou plutôt serait même une pièce de théâtre, et les hommes en seraient
les acteurs. Le désert jouerait un rôle éminent dans la vie intérieure des hommes, il
ne cesserait d’enfoncer l'individu dans une indicible méditation. « La méditation se
1 Ibid, p77. 2 Ibid, p80. 3 Ibid, p93. 4 Ibid, p78. 5 Ibid, p108-109.
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nourrit de la contemplation de l'immensité »1. L'homme, quand il est seul face à
l'immensité, face aux paysages dépouillés de toute forme de vie et sans limites, son
esprit se met à chavirer, à remuer les souvenirs les plus lointains, les plus
douloureux peut-être ou encore, son imagination se met à foisonner. « Et
l'observation de l'immensité nous renvoie inévitablement à notre immensité
intérieure »2, car le sentiment de liberté est suscité par la contemplation des
étendues vastes et sublimes. Ou mieux encore, « L’empire de l’homme est
intérieur »3. En somme, le désert exacerbe les sentiments, c’est comme un rythme
de musique et les mots en sont les paroles. Il assujettit, attise l’imagination de l’être
humain et fait découvrir des secrets qui découlent du passé lointain. En outre, et à
titre d’exemple, dans L’invention du désert, Tahar Djaout décrit l’aridité de l’espace
désertique et témoigne que celui-ci nous permet de créer des mondes, imaginaires
certes, mais en relation étroite avec l’Histoire, donc la réalité.
B. Espace hostile / Espace amical
« Le désert, comme représentation de l’espace, comme symbole ou comme réalité, a
marqué sous des formes variées l’univers intérieur des écrivains et, plus qu’aucun
autre schéma signifiant, il vit de significations complémentaires (…) ou même de
contradictions et de paradoxes »4
Dans Poétique de l’espace5, Gaston Bachelard met en relief la différence qui
existe entre les images de « l’espace heureux » et celles de l’espace de
« l’hostilité ». Pour lui, le corps et l’âme sont en symbiose dans le désert. Dans le
sens où son « immensité intime » ou son « espace du dedans » peut susciter des
sentiments ambivalents chez l’homme, du bonheur absolu ou encore antagoniste. Le
désert de Saint-Exupéry est un espace où hostilité et amitié se conjuguent pour se
1 www.revues.org 2 Id, Le désert, un espace paradoxal, op-cit, p33. 3 Id, Terre des hommes, op-cit, p78. 4 Id, Le désert, un espace paradoxal, op.cit, p33. 5 Gaston Bachelard, Poétique de l’espace, Paris, PUF, 1974, p 17 et 185.
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rejoindre en un point commun ; l’osmose. Le narrateur y voit tantôt un désert
paisible qu’une « tempête violente » transforme en un espace hostile et agressif ;
« …une tempête d’est, et qui a dévasté les palmeraies lointaines de leurs papillons
verts»1, et cependant « Le désert n’est plus qu’une maison vide : une caravane
maure aimante la nuit »2, lui dénie son aspect majestueux pour un moment ; le
désert est, donc « sec, pointu et salé »3, et tantôt, cette image de désert somptueux
est réhabilitée, et parmi les éléments qui le transfigurent ; le « rezzou »4. C’est dans
ces termes que le narrateur s’exprime : « …mais le monde n’est plus le même. Il
redevient somptueux, ce désert. Un rezzou en marche quelque part, et qui
n’aboutira jamais, fait sa divinité. »5. D’un autre côté, le désert est un espace qui
anime les sentiments les plus intimes de l’homme, c’est un espace qui peut
représenter une menace, voire même un danger comme il peut être un allié : « Nous
pourrions nous croire en sécurité. Et cependant ! Maladie, accident, rezzou,
combien de menaces cheminent ! »6. Dans la mesure où le désert est trompeur, il
prend l’homme de court, il est imprévisible. Espace de sensibilité, le désert peut
s’ébranler au moindre trouble, même d’un papillon, pour donner libre cours à notre
intérieur de s’animer de sentiments paradoxaux, de crainte ou de joie ; « Pour le
moment ça va. (…). Mais j’entends un grésillement, une libellule bute contre ma
lampe. Sans que je sache pourquoi, elle me pince le cœur. »7, ou encore ; « Mais
voici qu’un papillon vert et deux libellules cognent ma lampe. Et j’éprouve de
nouveau un sentiment sourd, qui est peut-être de la joie, peut-être de la crainte,
mais qui vient du fond de moi-même, encore très obscur, qui, à peine,
s’annonce. »8. Ces insectes, issus du désert, sont particuliers dans la mesure où leur
présence n’est guère un hasard, au contraire, ils sont les signes avant-coureurs d’une
tempête par exemple, ainsi, « ces insectes me montrent qu’une tempête de sable est
1 Id, Terre des hommes, op-cit, p85. 2 Ibid, p83. 3 Id, Le petit prince, op-cit, p54. 4 Groupe armé qui fait une razzia, généralement présent en Afrique du nord et au Sahara. 5 Id, Terre des hommes, op-cit, p83. 6 Ibid. 7 Ibid, p84. 8 Ibid.
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en marche… »1. En somme, le désert est cet espace imposant de par ses différents
aspects indéterminés et changeants, d’une image à une autre, d’une couleur à une
autre, d’un ton à un autre : « Son écume déjà m’a touché. Et solennel, puisqu’il est
une preuve, et solennel, puisqu’il est une menace lourde, et solennel, puisqu’il
contient une tempête, …»2. C’est un ennemi redoutable, car imprévisible dans son
déchaînement, il nous laisse à peine le temps de souffler, de reprendre nos esprits, et
il reprend de plus belle ; « Sa brûlure m’a enveloppé une fois, une seule, d’une
caresse qui semblait morte. Mais je sais bien, pendant les secondes qui suivent, que
le Sahara reprend son souffle et va pousser son second soupir. (…) Tout à l’heure
nous décollerons dans ce feu, ce retour de flammes du désert »3. Sa « colère » est
terrible, celle-ci se manifeste dans les éléments déchaînés. Ainsi, « Ce qui me
remplit d’une joie barbare, (…) c’est d’avoir lu cette colère aux battements d’ailes
d’une libellule »4. Son hostilité est accentuée par la découverte d’une réalité dure,
celle de l’insécurité. Il ne nous protège pas, au contraire, il nous livre au malheur :
« Et je découvre que dans le désert il n’est point de refuge. Le désert est lisse
comme un marbre. Il ne forme point d’ombre pendant le jour, et la nuit il vous livre
tout nu au vent »5. Le désert est trompeur, mais on est séduit par sa félonie : « Et,
sous cette caresse menteuse et tendre, notre sang s’évapore »6. Cependant, malgré
son aspect négateur, le désert peut s’avérer être un allié dans la mesure où il peut
être salvateur ; « Nous devons sans doute notre vie à ces pierres noires et rondes,
qui roulent librement sur le sable et qui ont formé plateau à billes »7. Par
conséquent, le désert pour cet écrivain n’est vide qu’en apparence, car plein
d’espoir, sa beauté n’est pas visible au profane mais sa traversée est prometteuse. Le
désert est une retraite où l’homme est seul face à lui-même.
Le désert évoqué sous diverses formes, qu’il soit géographique, symbolique donc
imaginaire ou encore réel a provoqué un véritable impact dans « la psyché » des
1 Ibid, p85. 2 Ibid. 3 Ibid. 4 Ibid. 5 Ibid, p148-149. 6 Ibid, p153. 7 Ibid, p123.
78
écrivains qui s’y sont aventurés en vrai ou par la plume. La vision qu’on peut avoir
de certains espaces, ici le désert, est sans doute significative de l’état d’âme de celui
qui s’exprime. Partant de l’idée de la quête spirituelle conjuguée à celle du
renoncement à la vie sociale et la décision de s’investir pleinement dans la solitude,
l’écrivain qui s’engage dans l’aventure du désert vit dans une atmosphère chargée
de « contradictions et de paradoxes », de sentiments ambivalents envers un espace
séculaire qui suscite, angoisse et sécurité. Notons à ce propos que Djaout pensait
clairement que sans le désert, rien ne serait compréhensible1.
Immémorial, infini, délirant, mystique et poétique, pour l’auteur de
L’invasion du désert, ce lieu exerce sur l’homme son absolu pouvoir de le guider
par le cœur, et la lumière qu’il dégage lui donne tout son éclat. Le désert suscite,
donc « le feu de la prophétie »2. Pour Saint-Exupéry, le désert génère la peur, mais
paradoxalement, il transmet, par la sagesse qui en découle, un enseignement sacré ;
celui d’un maître à ses élèves. Il impose la crainte et le respect à travers son silence
et son impassibilité. Il fait prendre conscience aux hommes que, « Etre homme,
c’est précisément être responsable. C’est connaître la honte en face d’une misère
qui ne semblait pas dépendre de soi. C’est être fier d’une victoire que les
camarades ont remportée. C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à
bâtir le monde »3. Ces grandes leçons existentielles marquent réellement le début
d’une profonde quête personnelle ainsi que spirituelle s’inscrivant dans la
perspective d’une recherche de soi, d’un travail sur soi-même, car dans l’opulence
des villes, les hommes ne savent pas ce qu’ils recherchent, ils errent ainsi sans but :
« Les hommes, …, ils s’enfournent dans les rapides, mais ils ne savent plus ce qu’ils
cherchent. Alors ils s’agitent et tournent en rond… »4. Nous relevons également des
paroles surprenantes à travers ces récits, une sorte de cri de désespoir et de peur. Le
narrateur, en s’adressant à une personne5, comme pour lui faire sentir, ou mieux
encore, lui faire percevoir les dangers auxquels il était constamment confronté,
1 Id, L’invention du désert, op-cit, p32 2 Ibid, p71,72 3 Id, Terre des hommes, op-cit, p48. 4 Id, Le petit prince, op-cit, p63. 5 Probablement, issue de son entourage familial.
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s’exprime en ces termes : « …Mais non, mais non, (…) ce n’était plus du fond du
parc que je rentrais, mais du bout du monde, et je ramenais avec moi l’odeur âcre
des solitudes, le tourbillon des vents de sable, les lunes éclatantes des
tropiques !… ». Et le narrateur poursuit, en parlant des risques qu’il côtoie dans
cette immensité : « Sais-tu seulement qu’il est des territoires où les hommes, s’ils
vous rencontrent, épaulent aussitôt leur carabine ? Sais-tu même qu’il est des
déserts où l’on dort, dans la nuit glacée, sans toit, (…), sans lit, sans draps… »1.
D’un autre côté, face à cet aspect de la peur, le désert est un lieu apaisant, qui anime
en l’homme un sentiment de sérénité salutaire, de repos du guerrier de retour d’une
longue bataille, cependant, ce silence n’est pas entièrement rassurant, car
imprévisible, le désert, nous l’avons constaté, peut être trompeur. Mais étrangement,
au milieu de ce formidable écueil à la mesure des titans, l’homme se sent en
confiance et peut se reposer en toute quiétude. Ainsi, « Sur ce chantier désert
d’ombre et de lune, régnait une paix de travail suspendu, et aussi un silence de
piège, au cœur duquel je m’endormis »2. Parallèlement à cela, le désert engendre
l’espoir et le désespoir. Dans cet esprit, en marchant à la recherche de l’eau dans
cette immensité de solitude, le narrateur perd toute espérance d’en trouver, car : « Il
est absurde de chercher un puits, au hasard, dans l’immensité du désert »3. L’idée
de l’existence d’un quelconque puits au milieu du désert est « déraisonnable »,
toute recherche serait vaine, mais l’aviateur et le petit prince finissent par s’y
engager avec, pour ainsi dire une lueur d’espoir dans les mots ; « Cependant, nous
nous mîmes en marche »4.
1 Id, Terre des hommes, op-cit, p66-67. 2 Ibid, p63. 3 Id, Le petit prince, op-cit, p61. 4 Ibid.
80
2. La quête du désert
Ainsi, l’intérêt que suscite le désert va au-delà de la littérature. Les artistes
autant que les photographes s’y sont intéressés, et particulièrement à partir des
années 60 où beaucoup d’entre aux ont sillonné ses routes sablonneuses afin de le
« peindre ». L’objectif fixé naguère était alors d’essayer de repérer « des moyens
d’expression dans la nature elle-même »1, par conséquent, aller jusqu’à vouloir
« modifier » les aspects du paysage.
« Le désert est affaire de tous »2. Ce sont des artistes, des scientifiques, des
religieux et d’autres personnes toutes spécialités confondues qui ont fait du désert
leur « idée fixe ». Selon toute vraisemblance, cet espace éveille la curiosité de la
quête et de la découverte d’un monde tant convoité par les Hommes. « Le désert est
beau, il ne ment pas », affirme Théodore Monod ou encore, ce dernier le désigne
comme « filtre » ou comme « révélateur »3.
Nous savons que Théodore Monod n’a pas cessé de le décrire et de le
célébrer tout au long de sa vie ainsi que de l’utiliser comme support pour ses
réflexions pour ses luttes écologistes et humanistes. D’autre comme Charles de
Foucauld y cherchaient plutôt « l’enfouissement de soi ». Ayant été ascète à Béni
Abbès, à Akbès et à Tamanrasset, on pourrait dire que le désert était partie
intégrante de sa foi. Il disait à ce propos : «C’est là qu’on chasse devant soi ce qui
n’est pas Dieu ».
Cependant, malgré la différence des cultures, des races, des religions, des
professions, tous tendaient, pour ainsi dire, vers le même objectif : la quête. Chacun
le percevait à sa manière, l’écrivain Américain Paul Bowles, par exemple y voyait
une menace du « vide intérieur de l’esprit » dans son roman Un thé au Sahara, ou
encore le Britannique Wilfred Thesiger était tellement fasciné par ces lieux qu’il en
fit un exil volontaire. Il a parcouru de l’Irak jusqu’au Kenya en passant par le
Pakistan et l’Afghanistan. Mais ce qu’il voyait en premier dans le désert était « un
1 Magazine Match du monde, op-cit, p7. 2 Le bac à sable de l’imaginaire occidental, Ghislaine Ribeyre, Magazine Match du Monde, op-cit, p10 3 Ibid, p8.
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monde jamais troublé par le bruit d’une machine ». D’autre part, Isabelle Eberhardt
reste « la figure la plus romantique » dans le monde féminin, ayant célébré le thème
du désert. Dans l’immensité de cet espace, s’est révélée à elle l’essence propre des
lieux, les détails ne sont pas perçus, tant sont imposants les espaces sahariens. La
beauté pleine de tristesse du désert, s’unit inconsciemment avec l’âme de celui qui
contemple1. Les sentiments romantiques, voire mystiques s’imposent d’eux-mêmes.
Le crépuscule au coucher du soleil est appelé « l’heure élue »2. La présence des
minarets à proximité du désert exacerbe la ferveur religieuse et incite à la
consécration d’une humilité, nulle part ailleurs éprouvée. Pour certains artistes, le
désert est à la fois « passion et frustration ». Le photographe et cinéaste Raymond
Depardon, avoue n’être « jamais parvenu à le photographier », et pour cause, le
désert est, selon lui, « trop » ; trop dans la mesure où tout est excès, notamment les
couleurs, la lumière, le sable ; « Le ciel est trop bleu, le sable est trop saumon, les
lumières trop flatteuses ou trop dures »3.
Dépeindre sur une toile ses sentiments les plus enfouis, tels que l’anxiété ou encore
l’angoisse, serait fascinant, car face à la grandeur de l’univers désertique, on est
inspiré et submergé par un désir de purification. Et dans cette optique, l’artiste-
peintre Jean Verame voulait, afin d’immortaliser ses sentiments, se déplacer car ce
qui lui « manquait, c’était d’aller le vérifier sur le terrain même, dans l’hostilité.
Ça a été le résultat d’une lente gestation, née du refus du système, de la société, de
ses conventions et de ses artifices »4.
Le chanteur Jim Morrison a découvert le désert à l’âge de 4 ans ; depuis,
imagination, peur, mort, mysticisme se confondent dans ses chansons scandalisant
l’Amérique puritaine, mais par ailleurs, fascinent la génération rock des années 60.
« Le désert bleu rosé métallique et vert insecte miroirs blancs et étangs d’argent un
univers dans un seul corps »5.
1 Isabelle Eberhardt, Ecrits sur le sable, Grasset & Fasquelle, 1988, pp 41-42. 2 Le bac à sable de l’imaginaire Occidental, Ghislaine Ribeyre, Match du Monde, op-cit, p 8. 3 Ibid, p9. 4 Ibid, p8. 5 Jim Morrison, La nuit américaine, in Match du monde, ibid. p 9.
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Ce lieu peut donner aux sculpteurs l’idée de matérialiser les éléments de la
nature à l’instar de Bernard Dejonghe qui, lui « n’est pas modeleur de pots, mais
sculpteur d’éternité »1. Dejonghe est un « démiurge qui commande au feu et parle
aux étoiles »2. En côtoyant le désert, il est devenu un véritable « créateur »
d’éléments nouveaux. Il a, à son palmarès, toute une panoplie de curiosités bien
spécifiques à sa propre création. Il pourrait transformer des « matériaux en
apparence fragiles » tels que la terre et le verre, en « pièces lourdes de sens qui se
posent et s’imposent (…) dans le désert »3. Arpentant pendant deux mois les
territoires de l’Egypte au Ténéré ou de la Mauritanie au Soudan, ce sculpteur puise
sa force dans le Sahara. Toute son œuvre rayonne de civilisations disparues, il
reproduit des pointes de flèches néolithiques, meules de paysans préislamiques et
bien d’autres objets des temps préhistoriques.
a. Fromentin et le Désert
Lorsque le désert influence la peinture…
Nous ne pouvions pas parler de désert sans évoquer l’incontournable Eugène
Fromentin et son expérience dans ce milieu naturel. Son Dominique a suscité
l’intérêt de plus d’un, à savoir Alain Fournier, Proust et bien d’autres grands
écrivains, faisant l’objet par la même occasion de diverses études, étant donné toute
« l’inspiration orientale » qui en découle. Ces récits parus en deux volumes en 1857
et 1859 sont dits des récits « algériens ». Ce n’est que récemment que la critique
fromentinienne s’est penchée sur Un été dans le Sahara et Une année dans le Sahel,
« conférant à ces textes un statut littéraire autonome »4. Les analystes des deux
œuvres, notamment, Anne-Marie Christin, Jean-Pierre Lafouge et Guy Barthélemy
ont proposé une analyse textuelle et spatiale du désert qui pourrait renvoyer à 1 Ibid, p9. 2 Ibid,. 3 Ibid,. 4 Michel Viegnes, Vide et plénitude dans l’expérience du désert chez Eugène Fromentin, in Le désert, un espace paradoxal, op-cit, p337.
83
l’étendue « intérieure et fantasmatique de l’Orient ». Quant à Viegnes, ce dernier
s’est engagé, dans son étude, à montrer « comment l’expérience, sous des formes
variées, correspond chez le peintre-écrivain à une quête du sens et à une expérience
spirituelle »1. Pour cet analyste, il n’est pas possible de parler de ces récits sans les
situer par rapport à la vie de l’auteur, dans un sens presque « existentialiste » dira-t-
il, puisque combien même l’écriture pour Fromentin serait tout d’abord « écriture
de soi », le désert est encore plus particulièrement rattaché à « l’autobiographie ».
Mais ce que révèle l’étude, c’est que ce principe est également présent chez les
occidentaux, car se rendre au désert pour un occidental est une façon d’aller vers
« l’altérité »2, voire, vers « l’exotope »3, ou encore « s’exposer à l’illisible ». Cette
expérience de l’autre, ne serait-elle pas dans un sens psychanalytique une sorte de
rencontre avec soi, « avec la nudité de son moi ? »4. L’âme est mise à nue au milieu
de l’espace désertique dans tous ses aspects, qu’il soit de sable, de glace ou d’eau. Il
est ainsi, un espace paradoxal dans la mesure où celui-ci conspire à embrouiller les
« repères » de l’homme et aide en même temps à redonner « au moi son Orient
intime »5. Fromentin nous livre dans ses récits, une expérience intérieure qui
présuppose « un parcours initiatique », se composant d’étapes et de détours. C’est
ce qu’y voit l’analyste par rapport aux trois voyages de l’artiste et leur impact sur sa
vie. Beaucoup d’évènements se produisent alors ; la mort de Jenny Léocadie Béran,
la Madeleine de Dominique, une tentative échouée de renouer avec ses parents, car
ces derniers s’étaient fermement opposés, d’une part à sa carrière d’artiste-peintre,
et d’autre part à son amour pour Léocadie. Son premier voyage avait pour but de
« cristalliser » sa vocation de peintre. « Fromentin commence un double deuil :
celui de jeunesse, et celui de l’amour qui a tout à la fois illuminé et assombri celle-
ci »6. Trop mélancolique, il devra alors quitter ses parents ainsi que le pays, mais
cette autre rupture s’avère n’être pas définitive, ou du moins dans son esprit, et c’est
une lettre envoyée à son ami Emile Beltrémieux qui montre cela. Fromentin dit, 1 Ibid,. 2 Dans le sens de la quête du changement spirituel 3 Aller vers un changement du lieu dans un sens spirituel 4 Ibid, p338. 5 Ibid,. 6 Ibid,.
84
dans cette dernière son intérêt de s’occuper à « fouiller dans les reliques du passé
mort » et à lire Volupté et Le Lys dans la vallée. A partir de là, l’on constatera que le
désert choisi comme destination n’est pas un simple « hasard », il est d’abord une
quête qui s’inscrit dans le domaine du spirituel, « quête de son moi d’artiste, car il
attend la révélation d’un nouvel horizon pictural, dès 1846 ». Ensuite, c’est une
forme de « rite de passage », une volonté d’imposer son « moi adulte » et enfin,
c’est un travail de deuil, un « exorcisme » et une rupture avec des « lieux
encombrés » par la mémoire1. Son dernier voyage est un voyage révélateur, car il en
sort « victorieux » sur soi-même. Sa vie désormais est une vie de « bohème », se
sentant libéré des « contraintes matérielles », il se donne corps et âme à l’art, « un
art alimenté à des sources intarissables »2. Le désert a donc joué un rôle primordial
dans la vie de Fromentin, ayant contribué au changement de sa vie intérieure ainsi
qu’à forger la « personnalité de l’adulte encore jeune ». Fromentin s’est exprimé et
a décrit le désert à travers la peinture et l’écriture, dans son « altérité exacte », mais
l’écriture du désert reste pour lui, avant tout « écriture de soi »3.
Ecritures et Désert…
« Le désert a apporté aux Arabes la poésie et le Coran »4.
A la question relative à la représentation du désert dans l’imaginaire arabo-
musulman, l’écrivain et poète égyptien Abdelwahab Meddeb répond que la poésie
des Arabes est un don du désert étant née dans la Péninsule arabique entre le IVe et
le Ve siècle. Ainsi, « Le poète a la nostalgie de la femme qu’il aime, qu’il cherche à
retrouver où il l’avait laissée »5 témoigne l’écrivain, car : « le poète perçoit, dans
les indices imprimés sur la face du désert, une métaphore de l’écriture »6. Ce qui
1 Ibid, p339. 2 Ibid,. 3 Ibid,. 4 Magazine Match du monde, op-cit, p10. 5 Ibid,. 6 Ibid,.
85
expliquerait, probablement le point de vue de l’écrivain égyptien arabophone, Nabil
Naoum, qui, à propos du désert déclare que son style d’écriture « vient de là ». Cet
écrivain se démarque aisément de sa communauté copte natale et affirme qu’il a été
élevé au milieu d’un « imaginaire qui dépasse, et de loin, les frontières de ce
groupe »1. Il parle du reste d’un lien « intime » qui l’attacherait au désert, car ce
dernier le voit comme « le miroir opaque, la porte invisible de l’inconscient, le rêve
différent, le maître qui mène patiemment au savoir intérieur »2. Dans son
témoignage, l’écrivain a assuré que contrairement aux apparences, le silence n’est
pas une particularité du désert car, selon lui, « on entend la vie qui fourmille » ou
encore « on voit que chaque petit élément est un univers ». Cependant, pour lui, le
désert représente la « limite de vie » voire la « mort » chez son peuple. En relatant
son expérience personnelle, l’écrivain a décrit la route désertique qui relie le Caire à
Alexandrie comme une route « angoissante » où « tout, et surtout le pire pouvait
arriver ». Mais durant sa retraite au sein du monastère de Ouadi Natroum afin de
« réfléchir » à sa vie et aux différents préceptes qui la constituent, notamment, le
sens des valeurs, le bien, le mal. Il dit avoir saisi « ce à quoi il fallait renoncer et ce
vers quoi il fallait aller », tout en comprenant, la « signification profonde de la
pureté, de l’énergie »3.
Le désert est un espace de fatalisme. Les hommes y sont résignés, humbles et
complètement dépouillés. L’âme même est nomade, exigeant très peu de
l’existence. Seul le grand silence est présent dans l’humilité profonde des hommes
qui marchent. Hommes devenus poètes malgré eux, exaltant la tristesse et la vie
éphémère, attendant la mort dans la confiance divine. « Et sur toute cette joie
éphémère, la tristesse mystérieuse du désert jette partout son ombre éternelle »4.
1 Ibid,. 2 Ibid,. 3 Ibid,. 4 Isabelle Eberhardt, Ecrits sur le sable, Grasset & Fasquelle, 1988, p 99.
86
b. Sacralité de l’eau dans le désert
« L’eau née du sable et de la nuit. »
J-M.G Le Clézio, Désert, p 20.
Avant d’aborder la question de la présence de l’eau et son importance
symbolique dans les deux récits, il est indéniable de parler du rôle biologique de
celle-ci, car elle représente un constituant majeur de la matière vivante. Chez la
plupart des êtres vivants, la teneur en eau est de l'ordre de / ou supérieure à 70 %,
elle peut même dépasser 95 % chez certains cnidaires marins, telles les méduses
acalèphes. À l'opposé, certaines espèces végétales ou des animaux primitifs peuvent
survivre à l'état d'anhydrobiose, c'est-à-dire de déshydratation totale pendant la
saison défavorable. Toutefois, il faut remarquer qu'ils sont dans un état de vie
ralentie, donc incapables de toute activité métabolique, ce qui démontre la nécessité
de la présence d'eau cellulaire liquide pour toute forme de vie active.
Dans l'univers, la vie n'est possible qu'à la surface d'objets célestes possédant
de l'eau à l'état liquide, donc dans un domaine de température tout au plus égale à
celui compris entre 0°C et 100°C. [...]. L'étude des planètes telluriques montre que
par excès de chaleur (Vénus) ou de froid (Mars) la vie n'a pu évoluer à la surface de
ces objets célestes, l'eau n'y étant pas liquide ou n'ayant pu être retenue dans leur
atmosphère1.
A l'entrée des temples japonais, le visiteur est convié à prélever dans une
fontaine un peu d'eau au moyen d'une louche en bois à long manche, pas seulement
pour étancher sa soif ou s'en rafraîchir les mains et le visage, mais surtout pour
respecter un rituel de purification. Ainsi, l'eau acquiert dans l’œuvre de Saint-
Exupéry un statut magique et surtout elle devient rare. Il faut pour s’en procurer,
aller très loin dans le désert, marcher et souffrir. L'ingérer serait, à en croire son
témoignage, une sorte de rédemption, un sauvetage qu’il se fait à lui-même.
1 Microsoft Encarta 2007.
87
Vivre dans le désert a contraint les hommes à rechercher les points d'eau
pour leur survie et celle de leurs troupeaux. Cette quête de l'eau fut à l'origine du
nomadisme. Au gré des pluies, les familles se déplaçaient de pâturages en pâturages
pour nourrir chameaux, dromadaires, chèvres, moutons, lamas, yacks, zébus, selon
les déserts1.
La marche vers la fontaine dans Le petit prince et Terre des hommes a constitué un
thème très important vu le parallèle qu’il en fait avec les religions et surtout la
religion de l’Islam lorsqu’il dit : « Eau, (…) tu n’es pas nécessaire à la vie : tu es la
vie »2. C’est dans cette phrase que l’on reconnaît l’importance qu’attribue le
narrateur à l’eau, elle est sacralisée au point d’en constituer la raison de vivre des
hommes, ou même la vie elle-même. Evoquant non seulement un rafraîchissement
physique mais aussi une purification morale, le thème est d'inspiration religieuse.
La Bible et les autres religions révélées viennent des pays de la soif ; en
l’occurrence, le désert.
L’eau, dans l’œuvre de Saint-Exupéry représente un trésor inestimable dans
l’immensité du désert à cause de sa rareté. Et afin de pouvoir se désaltérer, il faut
pour cela fournir beaucoup d’efforts, il faut suer pour trouver le précieux liquide.
Partir en quête d’eau n’est pas une perte de temps. C’est un rituel nécessaire et
sacré. Dans ce contexte, le petit prince se dit que s’il avait « cinquante-trois minutes
à dépenser, (il) marcherait tout doucement vers une fontaine »3. On comprend que
le narrateur apprécierait chaque pas, chaque seconde en allant vers un puits pour y
chercher de l’eau. Celle-ci est un trésor qui ne peut ni se vendre, ni s’échanger. On
en prend réellement conscience dans un espace aussi vaste que le désert. Elle a
également des vertus curatives car « L’eau peut aussi être bonne pour le cœur »4.
Quant à la phrase suivante, « Et marchant ainsi, je découvris le puits au lever du
jour »5, c’est une leçon qui s’adresse à l’homme afin de lui faire comprendre que
1 « Désert », Microsoft® Encarta® 2007 [CD]. Microsoft Corporation, 2006. 2 Id, Terre des hommes, op-cit, p 158. 3 Id, Le petit prince, op-cit, p 61. 4 Ibid,. 5 Ibid, p 63.
88
rien ne s’obtient sans efforts. Ainsi, après une longue marche dans le désert, le
trésor est enfin découvert. Le but de la quête est enfin atteint.
Plus loin, le narrateur utilise beaucoup de figures de style, dont la personnification
des choses en affirmant que le puits « chante ». Il est peut-être heureux qu’on l’ait
enfin découvert, il va enfin servir à quelque chose. Le trésor qui se cherche, pour
lequel on fournit beaucoup d’efforts afin de le trouver se mérite bien. Ce sont des
petites leçons de vie que le narrateur glisse tacitement aux lecteurs pour transmettre
ce message à l’homme : Cette eau était le résultat d’une longue quête. Ce n’était pas
n’importe quelle eau, elle était sacrée. « Cette eau était bien autre chose qu’un
aliment. Elle était née de la marche sous les étoiles, du chant de la poulie, de
l’effort de mes bras. Elle était bonne pour le cœur comme un cadeau »1. La leçon
est claire ; il faut savoir mériter la vie. L’eau se transforme d’un élément végétatif, à
un élément spirituel sacré. Elle a surgit là où on s’y attend le moins, au milieu du
désert aride après une longue et épuisante marche. La quête de l’eau est la quête de
la vie.
1 Ibid,.
89
« C’est trop peu de dire que nous vivons dans un monde de symboles, un monde de
symboles vit en nous »1
Chapitre premier
I. La symbolique du désert
Les expressions « Faire un désert » ou encore « prendre quelques jours de
désert » sont des expressions devenues consacrées pour celui qui connaît cet
immense espace dénudé et aride ainsi que les endroits isolés et secs. Pourtant, le
désert occupe dans l’esprit de l’homme une place bien plus importante qu’on
pourrait le croire. Et pour cause, les avis diffèrent dans ce contexte. Pour les
chrétiens, la relation de l’homme au désert s’est construite en majeure partie grâce à
la Bible, pour les autres populations, c’est soit par rapport à l’espace géographique2,
soit grâce à d’autres paramètres moins connus, tels qu’une retraite fortuite…Mais
pour nous, nous dirons que le désert est quelque chose d’inné chez l’être humain.
L’homme est né avec le désert. Par instinct, on en devine la présence : c’est l’appel
du désert. Cet appel est lancinant et se manifeste aux âmes sensibles. Aussi, « le
vrai désert à surmonter, à traverser, il est en chacun de nous »3. Inutile d’aller très
loin. Porter « sa croix », c’est aussi porter son « désert ».
D’après le dictionnaire des symboles, le désert aurait deux importants sens
symboliques. D’une part, il est « l’indifférenciation principielle » et de l’autre, il
serait « l’étendue superficielle, stérile, sous laquelle doit être cherchée la Réalité »4.
Cette seconde signification n’est pas sans relation avec l’Islam, puisque ce dernier
le voit comme une recherche de « l’Essence » pour celui qui s’y engage. « En
1 Guy Scheller, in Dictionnaire des symboles, Robert Laffont & Jupiter, Paris, 1982, 4e de couverture. 2 L’Orient, le Maghreb. 3 Jean Grou, bibliste, Sainte-Foy, in www.interbible.org. 4 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, op-cit, p349.
90
dehors de Sa demeure, la troupe erre dans le désert. Que de limites insurpassables
se montrent à la caravane qui tend vers Elle »1
Selon l’ouvrage, cette quête de l’Essence rappelle celle de la Terre promise pour les
juifs ou celle du « Graal » pour les chrétiens. Cependant, les visions diffèrent d’un
concept à un autre, d’une philosophie à une autre ou d’une religion à l’autre.
L’ésotérisme ismaélien considérait le désert comme « l’Etre extérieur, le corps, le
monde, le littéralisme »2 que l’homme sillonne sans prendre conscience de la
manifestation de « l’Etre divin » à l’intérieur de ces « apparences ». Par
conséquent, pour eux le désert ne représente pas cette quête mystique consistant à
aller vers la découverte de l’Autre en se retirant dans une étendue vide, mais a
contrario, le désert est tout ce qui relève des apparences extérieures. Pourtant, selon
Saint Matthieu 12, 43, le désert est « peuplé de démons », ces êtres qui, selon la
tradition coranique, sont invisibles à l’homme, mais ont le pouvoir de le voir.
Parallèlement à cela, le désert est ce lieu propice à la vie « intériorisée » des
ascètes. Cette opposition intérieur/extérieur3, se rejoint en un point culminant ; celui
de l’homogénéité, car, à titre d’exemple, selon la tradition biblique, Jésus fut tenté
au désert par le diable et l’ascète Saint Antoine ainsi que d’autres de ses semblables
furent attaqués par des « démons ». Ainsi, le désert se révèle être un lieu homogène
qui peut renfermer une vie intérieure et extérieure dans un même moment et où les
ascètes n’y « échappent pas » dans la mesure où leur désert est celui des « désirs et
des images diaboliques exorcisés »4
D’autre part, le désert signifie pour Shankaracharya5 « l’uniformité principielle et
indifférenciée » afin de désigner cette notion d’illusion que véhicule cet espace.
Dans le désert tout est « illusion » et « mirage ». Pour parler comme Maître
Eckhart6, le désert symboliserait ce lieu de prédilection où l’on trouve Dieu après
une profonde quête spirituelle, donc lieu propice à la méditation. Mieux encore, « la
1 Ibid. 2 Ibid. 3 Intériorité relève de ce qui est mystique et spirituel. Et l’Extériorité, de la vie et du monde. 4 Ibid, p349. 5 (788-820), philosophe et théologien hindou. Fondateur d’une école de philosophie indienne ; l’advaita, ou le nom-dualisme. 6 (v 1260-v 1328), théologien et mystique dominicain allemand d’inspiration néoplatonicienne.
91
Déité est le désert »1 chez Angelus Silesius2, ou même « je dois monter plus haut
que Dieu, dans un désert »3
Le désert, lieu de quête, de rencontre avec soi ou avec l’Autre est une
conception présente dans le monde depuis la nuit des temps. Bien que les visions,
les significations, les symboles se succèdent, il n’en demeure pas moins que le
désert reste, pour l’Homme, cette terre aride, désolée, vide ou encore « peuplée »
d’êtres invisibles, qui signifie en majeure partie « le monde éloigné de Dieu », ce
lieu à la fois accessible et inaccessible, cette partie du monde où se rencontrent les
religions, les philosophies, les croyances, les pratiques et bien d’autres concepts,
tels, comme on l’a vu plus haut, le « repaire des démons », Matthieu 12, 43 ; Luc 8,
29, le lieu du châtiment d’Israël, Deutéronome 29, 5, ainsi que celui de la tentation
de Jésus4. Cependant, pour les écrivains bibliques, tous les préceptes renvoient à
Dieu, l’Etre suprême, car pendant le séjour d’Israël au désert, les prophètes
recommandaient au peuple de « s’en remettre entièrement à la seule grâce de
Dieu »5. Aussi, Jésus « victorieux du tentateur » est servi par les anges. Pour ces
multiples raisons, les ermites chrétiens choisiront le désert comme lieu d’isolement,
afin d’affronter leur nature et celle du Monde avec la seule aide de Dieu6.
Le désert peut être protecteur comme il peut être destructeur. Réalité appuyée par
l’exemple du séjour d’Israël qui fut bénéfique pour ce peuple en révélant
« l’éclatante manifestation de la puissance de Dieu »7. De son côté, le Judaïsme
s’est vu attendre avec ferveur des circonstances semblables. Comme le rapporte
l’historien Flavius Josèphe8, un prophète « entraîna au désert des foules
enthousiastes pour y rencontrer plus vite l’intervention dernière de Dieu (Actes 21,
38) »9. Lors de la prise de Jérusalem, les vaincus demandèrent la permission à
l’envahisseur romain de leur accorder une retraite au désert afin d’attendre « le salut
1 Ibid, p349. 2 (1624-1677), théologien et poète allemand. 3 Ibid, p350. 4 Id, Dictionnaire des symboles, op-cit, p350. 5 Ibid,. 6 Ibid,. 7 Ibid,. 8 Guerre Juive 2, 259-261 9 Ibid,.
92
final de leur Dieu »1, en d’autres termes le « Messie attendu », leur protecteur et
sauveur. De même, dans l’Apocalypse 12, 10, 14 il est relaté l’histoire de la femme2
qui fut pourchassée par le dragon, celle-ci part se réfugier au désert où Dieu lui
assure une nourriture miraculeuse3. Toutefois, le messie peut se révéler être un faux
prophète, selon une mise en garde évangélique établie : « Si l’on vous dit : Il (le
Messie) est au désert, n’y allez pas ». Matthieu 24, 264. Ainsi, le désert est
considéré comme un endroit favorable aux révélations, mais qui attise les
« entreprises » des faux et des vrais prophètes. Enfin, et selon toute vraisemblance,
l’image du désert est un symbole ambivalent qui se dégage de l’unique concept de
solitude ; ainsi « C’est la stérilité, sans Dieu ; c’est la fécondité, avec Dieu, mais
due à Dieu seul »5. Par conséquent, la grâce de Dieu existe sans aucun doute, mais
pour la découvrir, il faut s’engager vers une quête spirituelle profonde et intense,
car, par le biais du désert, l’hégémonie de la grâce se dévoile : « dans l’ordre
spirituel rien n’existe sans elle ; tout existe par elle et par elle seule »6.
Cependant, n’oublions pas d’évoquer un élément essentiel et partie intégrante
du désert, le sable. Ce dernier représente en soi un symbole spirituel par « la
multitude de ses grains »7. Des grains qui se substituent en quelque sorte aux années
de vie écoulées, au nombre de péchés extraits de l’âme des hommes ou encore au
nombre de guerriers qui partaient vers les combats des conquêtes, ainsi dans Josué
11, 4 il est cité : « Ils partirent, ayant avec eux toutes leurs troupes, une multitude
innombrable comme le sable de la mer ». Dans certaines pratiques rituelles, le sable
symbolise la purification de l’âme. Aussi, il pourrait aisément remplacer l’eau dans
le rituel des ablutions dans la tradition Islamique. « Il est purificateur, liquide
comme l’eau, abrasif comme le feu »8, dans ce sens où il comporte une mémoire de
la matière brûlée, incinérée, calcinée réduite en poussière9. D’un autre côté, il peut
1 Ibid,. 2 Qui symbolise le peuple de Dieu. 3 Ibid,. 4 Ibid,. 5 Ibid,. 6 Ibid,. 7 Ibid, p837. 8 Ibid, p838. 9 Site Internet, Champ libre
93
aussi bien symboliser la purification que générer le sentiment de protection, dans ce
sens où nous connaissons tous ou presque, cette sensation de plaisir que l’on ressent
en marchant, en s’étendant ou en s’enfonçant dans la masse souple du sable. Il est
tout aussi pénétrant et revêt aisément la forme qui le contient ; à cet égard, il
symbolise la « matrice »1. Cette idée de matrice peut représenter la naissance ou
bien la re-naissance dans un sens spirituel, donc le renouveau, la purification et le
recommencement. On cherche la sécurité pour arriver au repos de l’âme. Méditer
dans le désert est une forme de contemplation de la vie spirituelle, une sorte de fuite
de la vie matérielle vers la quête mystique ou l’espoir d’une fusion avec l’Eternel. A
l’issue de l’état contemplatif, on est comme régénéré, illuminé ; donc les concepts
Sable/Matrice sont très proches l’un de l’autre et peuvent même, en l’occurrence,
être en symbiose. Dans ce qui vient de précéder, la solitude est mise au premier plan
et les pratiques rituelles prolifèrent dans un espace isolé et désert. Dans cette
optique, on pourrait avancer que le confort des villes, rend l’âme humaine
paresseuse.
Chapitre second
II. La symbolique du désert dans les trois religions monothéistes
C’est dans un espace aussi vaste, aussi immense et aussi profond que le
désert, que l’univers intérieur de la mystique des religions monothéistes doit être
comprise. Trois des grandes religions du monde, Judaïsme, Christianisme, Islam,
dans l’ordre respectifs de leurs révélations, sont nées du désert. Et quel désert, celui
du Moyen-Orient.
Le paysage minéral, l’immensité, l’austérité, ont fait sentir à l’homme combien il
est insignifiant face à la nature, combien il dépend de l’eau pour vivre, cette eau qui
crée l’oasis et le jardin, les fleurs et les oiseaux. « Les vagues des dunes, les arêtes
1 Id, Dictionnaire des symboles, op-cit, p838.
94
tranchantes des rocs, les rudes arrondis des pics basaltiques, la lumière égale, sans
brume ni flou, ne peuvent que pousser l’esprit à l’abstraction »1.
1. Dans la tradition biblique
« Au prix d’un paradoxe verbal, on peut affirmer que le symbole du désert est l’un
des plus fertiles de la Bible »2.
La représentation du désert peut être divergente selon sa conception ; lieu
géographique ou historique de l’époque du Salut. Dans la religion Chrétienne, le
désert est avant tout une terre que « Dieu n’a pas bénie »3, dans ce sens où toute vie
y est presque impossible à cause de la rareté de l’eau ainsi que de la végétation.
Lieu inhabitable, le désert est semblable au « chaos originel »4, Jérémie 2, 6 ; 4, 20-
26, seuls y habitent « démons, Lévitique 16, 10 ; Luc 8, 29 ; 11, 24, satyres,
Lévitique 17, 7, et autres bêtes malfaisantes, Isaïe 13, 21 ; 14, 23 ; 30, 6 ; 34, 11-
16 ; Sophonie 2, 13s ». Aussi, pour cette raison Dieu en a infligé au peuple d’Israël
la traversée, pour ensuite le mener vers la terre où « coulent le lait et le miel »5, en
l’occurrence la Terre promise. Cependant, mis à part son aspect désolé et aride, le
désert est avant tout, selon la tradition biblique, évocateur de l’époque de l’histoire
sainte ; la naissance du peuple de Dieu6. Le désert symbolise en premier lieu,
l’isolement ou encore la fuite vers un espace propice à la méditation. Un lieu de
refuge et de contemplation.
1 www.champlibre.org 2 Id, Dictionnaire des symboles, op-cit, p 350. 3 Xavier Léon-Dufour, Jean Duplacy, feu Augustin George, Pierre Grelot, Jacques Guillet, Marc-François Lacan, Vocabulaire de théologie biblique, CERF, Paris, 1988, p261. 4 Ibid,. 5 Ibid,. 6 Ibid, p 261.
95
a. L’ancien Testament
Pour le peuple d’Israël ce fut, beaucoup plus un espace de transition qu’autre
chose, dans la mesure où il représentait un « passage », une épreuve soumise par
Dieu afin d’éprouver leur « foi », « ce fut un temps d’épreuves (…) et même
d’apostasie »1. Selon la tradition biblique, Dieu a voulu, par cette « pénible »
épreuve, être le guide spirituel du peuple sur un chemin d’embûches, le désert du
Sinaï où les Hébreux devaient « adorer » le Dieu unique, recevoir la loi divine et
conclure « l’Alliance » qui ferait d’eux le peuple élu. Exode 3, 17s = 5, ISS. Le
« dessein de Dieu » fut que son peuple naquît au désert, donc le désert serait le lieu
de re-naissance et de purification par excellence, un lieu temporaire dans l’attente
de rejoindre la Terre promise afin d’y construire une nouvelle vie. Cependant,
comme la difficulté révèle la personnalité réelle de l’Homme, les Hébreux n’ont pu
tenir jusqu’au bout et ont déploré cette vie « extraordinaire » qui les réduisait à ne
plus être en « sécurité », ne plus avoir de « l’eau » et de « la viande », Exode 14,
11 ; 16, 2s ; 17, 2s ; Nombres 14, 2ss ; 16, 13s ; 20, 4s ; 21, 5, et les livraient « au
seul soin de Dieu »2, regrettant leur vie passée, qualifiée « d’ordinaire » en Egypte,
et accomplissant ainsi leur infidélité et son incapacité à triompher de l’épreuve à
laquelle ils ont été soumis3.
Mais le désert n’est pas que négateur, il peut offrir aux pécheurs la rédemption.
Ainsi, Dieu a offert à ce peuple « infidèle » de l’eau et de la nourriture pour leur
montrer Sa Miséricorde. « S’il doit châtier les pécheurs, ils leur offre des moyens
inattendus de salut, tel le serpent d’airain », Nombres 21, 9. Par conséquent, le
désert rappelle certes, l’époque de l’errance, mais aussi celle de la rédemption. A
partir de là, le désert se sacralisera évoquant constamment, la gloire divine4.
Le Deutéronome précisera encore que cette épreuve fut soumise pour deux raisons.
D’une part, afin de prouver au peuple d’Israël que l’homme ne vit pas seulement de
sa propre semence, mais de tout ce qui vient de Dieu, ou plus précisément de « tout 1 Ibid, p262. 2 Ibid,. 3 Ibid, p263. 4 Ibid,.
96
ce qui sort de la bouche de Dieu »1. Et d’autre part, pour leur rappeler qu’il n’y a
qu’un Dieu unique et suprême, qui donne à ceux qui veut et enlève à ceux qui veut.
Pour « …qu’aujourd’hui au moins on cesse d’avoir la nuque raide et de tenter
Dieu », Psaumes 78, 17s. 40 ; 95, 7ss ; Actes des Apôtres 7, 51, que l’on sache
patienter au rythme de Dieu, Psaumes 106, 13s, et contempler le triomphe de sa
miséricorde, Néhémie 9 ; Psaumes 7 8 ; 106 ; Ezéchiel 202. Selon le deutéronome,
ce principe serait une « invitation à la conversion »
Mais ce que nous devons retenir, c’est qu’en chaque épreuve, il est une rédemption
divine. Même que le « temps » du désert serait un temps « idéal » pour certaines
tribus. Aussi, les Rékabites vivaient au milieu du désert dans des tentes, afin de
manifester leur réprobation de la civilisation cananéenne. Jérémie 353. Ainsi, se
réfugier au désert, pour une raison ou pour une autre, devient un acte mystique dans
la mesure où, à travers cette attitude, l’homme manifeste sa joie ou sa tristesse, son
approbation ou sa désapprobation face aux éléments, aux hommes ou tout
simplement au destin. Cette fuite dans le désert « peut même donner un sens à une
situation de persécuté ». 1er livre des Maccabées 2, 2 8 ss ; Epître aux Hébreux I I,
38. Cependant, si le but de cette fuite venait à s’écarter un tant soit peu de sa raison
originelle, elle deviendrait, à ce moment là inutile, car « Dieu n’a pas appelé Israël
à vivre au désert, mais à traverser le désert pour vivre dans la Terre promise »4.
Mais cela ne va pas sans dire que cette vision a acquis une signification symbolique
et que le désert est devenu le lieu de la retraite par excellence.
b. Le Nouveau Testament
Dans le Nouveau Testament, le désert ne serait « qu’un moyen pour se
convertir en vue du Messie qui vient »5.
1 Ibid,. 2 Ibid,. 3 Ibid, p264. 4 Ibid,. 5 Ibid, p 265.
97
Selon la tradition biblique, le désert se partage en deux grands éléments. D’un côté,
la retraite du Christ, et d’un autre côté, « l’après » retraite de Jésus, et ces influences
sur ses acolytes. En effet, Jésus a été, tout comme le peuple d’Israël éprouvé au
désert, mais contrairement à celui-là, il a pu surmonter toutes les épreuves pénibles
infligées par Dieu, préférant la « confiance » en Lui plutôt que la nourriture. Cette
retraite s’est transformée, peu à peu en un refuge contre la foule, le désert étant
propice à la prière solitaire et à la méditation. Dans cette perspective, Jésus se
présente comme le guide spirituel par excellence, voire le sauveur de l’humanité,
dans la mesure où il est « l’eau vive, le pain du ciel, le chemin et le guide, la
lumière dans la nuit, le serpent qui donne la vie à tous ceux qui le regardent pour
être sauvés ; il est enfin celui en qui se réalise la connaissance intime de Dieu, par
la communion à sa chair et à son sang »1. Notons que cette idée de serpent sauveur
est aussi présente dans Le petit prince au moment où le serpent se présente dans le
désert et veut le mordre pour lui donner sa liberté. Le désert prend une valeur
« figurative ». Jésus a sauvé l’humanité grâce au désert. Le désert est donc
salvateur, mais paradoxalement, la vie y est dure et pénible. Selon la tradition
biblique, « nous vivons encore au désert, mais sacramentellement »2, car l’homme a
été nourri « du pain vivant » et abreuvé « de l’eau de l’Esprit » qui jaillit du Christ3
Mais le désert demeure avant tout éprouvant « tant que nous ne sommes pas entrés
dans le repos de Dieu ». Epître aux Hébreux 4, I.
Dans la seconde partie, le Christ devient lui-même « notre désert » dans un sens
mystique et symbolique. Jésus a certes fait du désert un lieu d’isolement et de
refuge contre la foule, mais encore par son biais, s’accomplissent, selon la tradition
biblique, les dons merveilleux de jadis. Aussi, toujours selon la tradition biblique, le
Christ est considéré comme étant le désert de chacun des hommes. C’est à travers
lui que l’homme a surmonté l’épreuve et parfaitement communié avec Dieu.
1 Ibid,. 2 Ibid, p 266. 3 Ibid,.
98
« Désormais, le désert comme lieu et comme temps est accompli en Jésus » ; ici la
figure cède la place à la réalité1.
La pensée d’Erasme…
Ayant annoté et paraphrasé le Nouveau Testament, Erasme a explicité les
différents passages qui contiennent pour thème principal le désert ainsi que le
concept de solitude, lui octroyant une portée spirituelle. Cheminant dans ce sens, il
s’est également arrêté à Jean-Baptiste, dernier prophète du désert, selon la religion
de la Bible ainsi que les paraboles où il est question de la retraite du christ. A partir
de là, nous constatons encore une fois à quel degré le désert reste un espace
paradoxal et quelle place primordiale occupe-t-il dans l’imaginaire de l’Homme.
Ainsi, afin de rejoindre la pensée d’Erasme, le désert de la retraite et des monastères
est un espace qui est loin d’être « idyllique et privilégié », il engendre chez cet
auteur une sorte de « méfiance viscérale »2. Mais paradoxalement, il lui attribue une
valeur cultuelle, dans ce sens où la retraite loin de toute civilisation, guide l’homme
vers la spiritualité. En parlant de la retraite du Christ, Erasme soutient que celle-ci
« augmente son autorité et stimule notre désir de lui »3. Ainsi, la solitude dans le
désert serait un lieu d’épreuves pour le Christ, selon Erasme, pour affronter « Satan
et préparer ses forces en vue de sa prédication »4, et sa première victoire dans le
désert montre, toujours selon cet humaniste hollandais, son « combat » contre Satan
dans les Enfers, désert et enfer étant presque deux notions qui se rejoignent par le
sens symbolique. L’espace désertique dont parle Erasme est non seulement un
espace symbolique, mais également il est lié « avant tout à l’Ancien testament et à
ses prophètes »5. L’exemple du Christ est un exemple symbolique afin d’inciter
l’homme à « renforcer son âme » grâce à ces moments de solitude, car si « le repos
1 Ibid,. 2 Jean-François Cottier, Désert et solitude dans les Paraphrases sur les Evangiles d’Erasme, in Le désert, un espace paradoxal, op-cit, p 205. 3 Ibid,. 4 Ibid, p208. 5 Ibid, p207.
99
et la solitude provoquent l’abattement pour la plupart des hommes, ils peuvent
aussi devenir l’occasion d’un dépassement »1. Erasme, met donc l’accent sur le
thème du « dépassement de soi » qui permet l’homme de mobiliser ses forces
spirituelles en s’isolant, loin du monde ordinaire pour faciliter la méditation2. C’est
une invitation à regarder à l’intérieur de soi pour éviter de tomber dans le piège des
« ruses » et celui des « artifices » de la vie3. Par conséquent, le désert étant un lieu
désolé et vide, lieu d’épreuves et de « combat contre les démons », lieu des
anciennes théophanies, il peut et il est aussi un lieu « du dépassement de soi-
même »4.
La spiritualité prône dans cet espace et Erasme a une profonde aversion pour
la vie monastique, « ses rites, ses observances et ses jeûnes obligatoires ». Pour lui,
l’homme peut désormais effectuer une quête spirituelle à l’intérieur de son être et
non plus à l’extérieur, comme s’isoler dans le désert ou dans les monastères. Il faut,
alors « chercher la tranquillité du cœur dans le cœur même… »5.
2. Dans la tradition Coranique
Quatorze siècles d’histoire d’une civilisation qui a bouleversé le monde
arabe. L’islam. C’est une histoire immense qui mériterait à elle seule une thèse
complète, mais ici nous évoquerons tout juste ce dont nous avons besoin, en
l’occurrence, la portée symbolique du désert dans la religion Coranique.
Le désert était l’articulation essentielle de l’Islam ; tantôt désert obstacle, tantôt
désert refuge, mais surtout désert transition6.
Quand on remonte le cours du temps, l’histoire démontre que les Bédouins
occupaient « l’Ile arabe » ou l’actuelle Arabie qui était un subcontinent désertique
entouré par la mer. Ceux-ci menaient une vie pastorale où prévalaient le commerce
1 Ibid,. 2 Pour Erasme, il s’agit de la Loi divine et des prières pures, mais comme les croyances des uns diffèrent de celles des autres, il serait plus approprié de parler de méditation au sens commun du terme. 3 Pour Erasme, celles de Satan. 4 Ibid, p208. 5 Ibid,. 6 André Miquel, L’islam et sa civilisation, Paris, Armand Colin, 1977, p15.
100
et l’élevage du dromadaire. Leur cadre de vie était régi par un sage, la virilité, « leur
idéal moral » et leur justice se basait sur la loi du talion. Les croyances de ces
peuples étaient quelque peu primaires, car ils avaient l’intime conviction que la
« terre recelait des esprits invisibles », notamment, les « Djinns ». Cependant, ils
se nourrissaient de poésie et d’ailleurs les auteurs de cette époque, à savoir, Imru al-
Qays, Tarafa, Zuhayr Ibn Abi Salma, Antara, Hatim de Tayy ou encore Al-Khansa
sont toujours aussi connus que prisés. Avec l’avènement de l’Islam, ce dernier
« réorganisera cette société et scellera, en secret, l’alliance du Coran et de la
poésie »1.
La société musulmane se déplacera au-delà des frontières de l’Ile arabe dans
le but de faire connaître sa nouvelle religion et dans sa mission, découvrira ainsi de
nouvelles cultures. Pourtant, la culture du désert, en dépit des transformations
subies, « vidée parfois de son sens profond », n’a jamais été oubliée, mieux encore,
elle est ancrée et vivace dans l’imaginaire arabo-musulman.
L’Islam à ses débuts, semblait s’accommoder plutôt des espaces arides et plats,
lesquels se présentaient comme partie inhérente à sa vocation2.
Dans les Textes Coraniques, le mot désert n’apparaît presque pas mais tout laisse à
supposer que c’est la religion la plus liée au désert. Le désert dans le Coran est
évoqué de manière très implicite et à travers des descriptions en rapport à celui-ci.
Dans les Textes Sacrés du Coran, l’eau est une récompense divine que ce soit dans
le monde présent ou dans l’ « Autre » monde3 ; « Mais ceux ayant pratiqué les
bonnes œuvres habiteront les jardins où coulent des torrents »4. Aussi, nous
pouvons déceler à travers les versets des éléments qui constituent le désert, tels que
le sable ; « Un tourbillon qui vous ensevelira sous le sable »5. D’après les
théologiens, le désert dans le Coran revêt une fonction négative et est loin d’avoir
les mêmes vertus positives existantes dans la Thora et la Bible. Cependant, nous
constatons que le mot désert est désigné, dans la langue arabe par divers termes,
1 Magazine Match du monde, op-cit, p10. 2 Id, L’islam et sa civilisation, op-cit, p16. 3 Le Paradis est un lieu quasiaquatique. 4 Sourate XX ; Verset 77. 5 Sourate XVII, verset 70.
101
mais aucun de ces termes ne désigne le lieu géographique ou géologique. Le mot
Saharâ, d’où vient Sahara est le plus courant. Il dérive d’une racine sous laquelle se
range le verbe sahira, qui signifie « être de couleur fauve »1. Mais, dans son sens le
plus vaste, le mot Saharâ désigne une vaste plaine désertique ; il pourrait bien ne
dériver de rien, alors qu’en revanche, on trouve un verbe qui en dérive, ashara, avec
le sens de « s’engager dans une vaste plaine désertique ».
D’autres termes ont une signification qui implique le manque d’eau, par exemple
mawmât, fayfâ. Mais, la plupart se réfèrent au caractère dangereux et effrayant du
désert : balqaca est le pays inculte et inhabité ; majhal est le désert où rien ne
guide ; baydâ et matlaf sont des déserts de ruine et de perdition. Le mot fâlat
désigne le désert que parcourt le voyageur ; évidemment dans le monde arabe, il
était impossible de se déplacer sans avoir à traverser de vastes étendues désertiques.
On pourrait encore citer shawl, vaste terre déserte, tît ou ard tayhâ, pays où l’on
s’égare2. Pourtant, dans le Saint Coran, il n’est question de désert explicitement
qu’une seule fois, et ce à propos de l’histoire de Joseph, où ce dernier s’adresse à
son père: « Mon seigneur m’a fait du bien quand il m’a fait sortir de la prison et
qu’Il vous a amenés du désert »3.
Aussi, le mot désert est exprimé par le mot Badw, qui signifie le désert des
nomades, celui des bédouins. Un autre terme qui a parfois le sens de désert se
rencontre deux fois dans le Livre Sacré, c’est mafâza ; mais ont peut ici se fier à son
étymologie, car il vient de la racine fâza, qui donne le sens de « se sauver,
s’échapper » ; fawz est le salut et la délivrance. Dans le Coran, ce mot n’a pas la
signification de désert. Il s’agit d’un lieu de refuge contre le châtiment divin
« mafâza min al-adhâb »4 et du lieu de délivrance dans lequel Dieu sauvera les
hommes de piété « yunajjî’llâhu’llâdhina ‘ttaqaw bi-mafâzatihim »5.
Contrairement à la religion de la Bible, le désert est loin d’être le lieu de la solitude.
Certes, il est, pour les arabes, « le pays de la soif, des vastes étendues où l’on
1 Déserts-métaphores de la mystique musulmane, in Désert, op-cit, p202. 2 Ibid,. 3 Sourate 12, verset 100. 4 Sourate 3, verset 188. 5 Sourate 39, verset 61.
102
s’égare et où l’on périt »1, mais c’est celui aussi des bédouins et des nomades, donc
en quelque sorte des « connaisseurs » ou encore des « habitués », à quelqu’un
d’ « étranger » il lui est fortement déconseillé de s’y aventurer sans guide. Ses
« habitants » connaissent ces lieux et savent où se trouvent les puits où, selon les
saisons les troupeaux pourront être mis au pâturage. Ce n’est pas un lieu de solitude,
« il suffit de s’arrêter pour voir surgir, de derrière les dunes, un ou plusieurs
hommes »2.
Le désert est effrayant pour deux raisons. D’un côté, parce que les conditions
physiologiques et naturelles3 exacerbent le danger de mort, et d’un autre côté, le
désert serait, le lieu des manifestations surnaturelles, selon la tradition arabe,
notamment, les djinns, les ghûl, les siclât, les marada, les qutub, les ghaddâr ou
encore les shayâtûn4, mais aussi ; « Tous démons ou être fabuleux qui peuvent
changer de forme, qui s’attaquent au voyageur »5. Ces êtres surnaturels ont inspiré
plus d’un poète ou chroniqueur des temps préislamiques, engendrant ainsi une
forme de « solitude désertique » aux yeux des anciens arabes. Nous relevons d’autre
part également, un autre terme qui ne désigne pas cette fois-ci le désert, mais des
voix venues de nulle part que les arabes appellent les hawâtif. A ce propos, Mascûdî
écrit dans Les Prairies d’or : « Un certain nombre d’auteurs ont pensé que tout ce
que les Arabes ont rapporté était le fruit d’une imagination surexcitée par la
solitude dans le qifâr (déserts sans eau et sans végétations), par l’isolement dans
les wadi, par les marches à travers des terres désolées, vides de tout, et des steppes
sauvages. En effet, quand l’homme se trouve livré à lui-même en de pareils lieux, il
s’abandonne à de sombres rêveries qui engendrent la crainte et la peur. La peur
ouvre son cœur à des croyances mensongères et à de dangereux fantasmes qui
engendrent la mélancolie. Des voix se font alors entendre, des fantômes se
présentent à lui… »6.
1 Déserts-métaphores de la mystique musulmane, in Désert, op-cit, p203 2 Ibid,. 3 Soleil, soif, illusion… 4 Ibid,. 5 Ibid,. 6 Ibid,.
103
Le même auteur cependant, n’omet pas le fait que la religion musulmane rejette
toutes ces « superstitions ». En tout point de vue, le désert, dans la tradition arabe,
n’est donc pas un lieu propice à la méditation et à la quête de soi, il susciterait plutôt
la peur et l’effroi.
C’est un milieu non plus de méditation pour le bédouin, mais un lieu de combat. La
qasîda antéislamique comprend obligatoirement une partie dans laquelle le poète
relate ses prouesses : monté sur son cheval ou sa chamelle agile, il se lance, plein de
fougue à travers ces immenses espaces. Le désert est pour lui un milieu qu’il faut
vaincre, dont il doit se rendre souverain. Aussi, il ne cherche pas à entretenir les
valeurs spirituelles du recueillement, mais la force physique, l’endurance, le
courage1.
Pour revenir à la religion coranique, il est vrai que le prophète Mohamed
(QSSL) avait pour habitude de se retirer un mois par an dans une caverne sur le
mont Hirâ’, non loin de la Mecque, pour s’adonner au tahannuth : cette pratique
consistait à se consacrer uniquement au culte de Dieu en évitant de commettre des
fautes ; « son caractère ascétique est nettement marqué »2. Le lieu était sans aucun
doute désert ; néanmoins il se trouvait à proximité du quartier de la montagne
occupé par la tribu d’al-Akhnas. Il s’agit donc simplement d’une retraite, ce que les
soufis ont appelé plus tard, en s’inspirant de cet illustre exemple, cuzla, khalwa,
wahda ou infirâd. Ces différents termes signifient le fait de se retirer d’un groupe,
de faire le vide autour de soi, de rester tout seul, de s’isoler et de se séparer3. Tous
les soufis n’ont pas été d’accord sur la valeur de cette pratique. Certains pensent que
pour se rapprocher de Dieu il faut s’éloigner des hommes. Mais d’autres estiment
qu’il est plus facile de supporter l’isolement que la vie en communauté. Certains
jugent que la solitude ne convient qu’aux hommes forts. Ou encore on pense qu’elle
n’a de valeur que selon les moments de la vie mystique. Selon l’analyste, « la
retraite corporelle n’est que l’image extérieure de la retraite véritable, qui est
1 Id, Désert, op-cit, pp 203-204. 2 Ibid,. 3 Ibid, p 205.
104
intérieure, qui consiste à se retirer de ses détachements et de ses passions »1. Tel
est le but, et il semble certain qu’il n’exige pas, pour être atteint, qu’on passe
obligatoirement par une solitude physique2.
Ainsi, « Le désert matériel n’a donc pas de valeur en soi. Il est l’image de la
condition de la créature qui, après avoir accompli les œuvres de la Loi, vide sa
pensée de tout ce qui n’est pas Dieu lui-même, fût-ce la promesse des délices
paradisiaques, et se met dans l’esseulement, en présence de son Seigneur »3.
Le désert est un lieu de transit rapide, où il est permis de rêver, mais non de
s’attarder. C’est un lieu de retraites temporaires où il n’est pas souhaité de
s’éterniser. Lieu d’origine, lieu de commencement, mais jamais éternel dans ses
repères. Les contours sont toujours flous et jamais les mêmes.
Le désert a besoin de ces lieux sédentarisés comme aboutissement logique à son
austérité démentielle : désolation ; espoir, oasis, jardins, champs cultivés, point
d’eau. A la stabilité de la vie sédentaire, s’oppose la mobilité du désert, où les
repères s’estompent.
Le désert est facteur d’isolation et d’isolement. Ses sables recouvrent tout.
En dépit de ses richesses4, il n’a jamais été observé qu’un désert ait pu devenir une
terre fertile et clémente. C’est un espace éternellement rebelle, indompté et hostile.
Il est mobile, à l’image de ses nomades. Ces derniers ne peuvent prétendre y
séjourner longtemps. Pour survivre, ils se font à l’image même du désert : instables,
et en quête de la vie, car ils n’ont pas d’autre alternative que d’être ce qu’ils sont ;
de perpétuels itinérants.
Le désert est traître, par définition : lieu où se déchaînent les ouragans, les
tempêtes, sans espoir d’abris. Lieu de soif, de fatigues, de perdition. C’est un
immense cimetière naturel, tout y est englouti5.
1 Ibid,. 2 Ibid,. 3 Ibid, p207. 4 Or noir ou pétrole. 5 Id, L’islam et sa civilisation, op-cit, p23.
105
« Témoin loquace de notre passé, le désert est donc détenteur de notre avenir. Et
c’est dans ses immensités désolées que se poursuit la quête de la connaissance »1.
Chapitre premier
I. Le désert, espace transitionnel
Le thème du désert est tellement vaste de significations que l’on ne peut
prétendre l’avoir traité dans tous ses aspects. Mais, ce que l’on peut affirmer, c’est
que toute une vie ne suffirait pas à dire toute la splendeur et la beauté qui s’en
dégage. Le désert est un lieu dans le sens de topos, c’est également un espace avec
tout ce qu’il véhicule de symboles. Cependant, dans cette dernière partie, il est
indispensable de passer outre le désert en tant qu’espace « transitionnel », dans le
sens où ce dernier serait un lieu idéal aux rituels de passage et ceux de purification
qu’exerçaient, et qu’exerce encore certaines communautés et sectes. Dans l’œuvre
de Saint-Exupéry, nous avons pu relever quelque chose qui se rapprocherait de cette
perspective. C’est une aventure qui commence tout d’abord dans un cadre
professionnel, ainsi le narrateur s’envole pour une mission de reconnaissance et
s’écrase en plein milieu du désert. Avant de découvrir le désert, nous pouvons dire
que le narrateur était déjà prédisposé à la méditation de par ses pensées profondes,
ses réflexions sur les valeurs existentielles ainsi que sa manière à lui de se révolter
contre les hommes et leur mode de vie, fait de vanité et de superficialité. Ce milieu
aride l’a aidé à procéder à une quête de soi, à la recherche de La Vérité et pourquoi
pas de l’Autre. En parlant du désert en tant qu’espace de « Mort », nous parlons de
mort dans le sens symbolique du terme qui pourrait signifier que l’homme pénètre
dans un monde où il perd tout contact avec le monde extérieur, et de ce fait traverse
une dimension cosmique spirituelle pour en ressortir « métamorphosé », toujours
dans un sens symbolique.
1 Magazine Match du monde, p3.
106
Saint-Exupéry se retrouve seul, constamment confronté au soleil incandescent, au
froid nocturne et surtout à la soif extrême qui pouvait entraîner sa perte à tout
moment. Mais au lieu de s’apitoyer sur son sort, il profite de ces moments et
exploite ainsi son temps à la contemplation, à la méditation et à la quête de réponses
à ses multiples interrogations. Il arrive à un degré de conscience tel qu’il se met à
faire abstraction des commodités de la vie, et réussit ou presque à faire du désert un
milieu, si l’on puit se permettre le terme ; « sociable ».
En choisissant quelques éléments de l’approche initiatique, on s’est engagée
dans une perspective spirituelle qui ne peut en aucun cas être utilisée de manière
anarchique. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, nous devons d’abord effectuer
un rappel des fondements anthropologiques de l’initiation, avant d’évoquer certains
éléments qui la constituent, notamment, l’apprentissage du héros, le fait de délivrer
un message plus ou moins philosophique sur la condition humaine ou encore d’être
« irriguée » par un symbolisme que, « à tort ou à raison, l’on croit proche de celui
qui se déploie dans le cadre (référentiel) de l’initiation »1. Le désert apparaît
comme un passage qui mène au chemin du dépassement ainsi que celui de la prise
de conscience. Cet espace est un intermédiaire spirituel entre, d’un côté, la vie
ordinaire2, et la vie qui survient après le passage, d’un autre côté. Cette transition
permet ainsi « la conversion d’un modèle de société en un autre, mais aussi d’un
type de parole à un autre »3. Il peut totalement transformer notre façon de voir les
choses, nos pensées et réflexions, bref, notre vision du monde. Le désert ouvre au
profane le chemin à une vision du monde radicalement autre.
Saint-Exupéry médite sur beaucoup de questions qui concernent la vie,
notamment, l’amitié, l’amour, les hommes, les religions. Et sans le savoir, il se
prépare à une sorte de « conversion » au sens symbolique du terme. La solitude
exacerbe l’esprit et stimule la méditation. C’est également un moyen d’égarement,
d’illusion, de mirage. Quand le pilote s’est écrasé dans le désert, il s’est retrouvé
1 Laurent Déom, Le roman initiatique : éléments d’analyse sémiologique et symbolique, dans Cahiers électroniques de l’imaginaire, n°3. Rite et littérature, 2005, p 73-86, www.arkologie.org 2 Celle d’avant l’intrusion dans cet espace. 3 Id, Pensée et représentation du désert, op-cit, p294.
107
seul au milieu de nulle part. commence alors pour lui une réelle aventure intérieure,
malgré les dangers qui le guettent.
Le désert est vide, mais de ce vide surgit une présence, celle d’un être extra-
ordinaire. Cette présence apparue sur terre, pourrait annoncer quelque chose,
appeler peut-être à un éveil de l’esprit humain. Celle-ci a, non seulement bouleversé
mais encore guidé l’aviateur vers un horizon nouveau, vers le bonheur véritable,
celui de pouvoir changer le monde, le rendre meilleur et vers l’espoir d’un futur
rayonnant de générosités.
Chapitre second
II. Le désert, espace d’épreuves
1. Rite initiatique.
Cette approche ne se veut pas exhaustive, elle s’axera essentiellement sur
quelques éléments relatifs à la théorie de l’initiation afin de tenter de déceler s’il y a
lieu de parler de parcours initiatique dans les récits de Saint-Exupéry et d’en
analyser quelques composantes.
Chez tout individu, toutes culture, religion ou strate sociale confondues, le
questionnement et la quête de soi font partie intégrante à un moment déterminé de
sa vie. Chacun de nous, dans son essence est amené à s’interroger sur soi-même, sur
la nature profonde de ce qui l’entoure, mais également sur ce qui le dépasse et
l’inquiète : la mort. C’est dans la perspective de sa propre fin que l’homme se
cherche afin de trouver un sens à son existence, et, par-là même, à la mort.
Mircea Eliade dit dans ce sens : « Toute vie humaine authentique implique crises de
profondeurs, épreuves, angoisses, perte et reconnaissance de soi, « mort et
108
résurrection », d’autre part, parce que quelle que soit sa plénitude, toute existence
se révèle, à un certain moment, comme une existence ratée »1.
La mort, au-delà de l’étape initiatique, comme l’a décrite dans son travail
l’ethnologue Henri Junod représente la renaissance de l’être nouveau, « de l’homme
spirituel » par opposition à « l’homme naturel » :
§ Mort
§ Instruction pendant une retraite
§ Renaissance
Pour arriver à cela, il faut d’abord définir le concept d’initiation, et l’une des
définitions utilisées généralement est celle de l’historien des religions Mircea
Eliade : « On comprend généralement par initiation un ensemble de rites et
d’enseignements oraux, qui poursuit la modification radicale du statut religieux et
social du sujet à initier »2.
L’historien distingue trois types d’initiations traditionnelles qui font partie de la
catégorie générale des rites de passage, et qu’il classe comme suit : les initiations
« tribales » relatives à la puberté liées au passage de l’enfance à l’âge adulte, celles
« religieuses » qui mènent à la création de sectes et de sociétés secrètes et enfin, les
initiations « magiques » qui font « abandonner la condition humaine normale pour
accéder à la possession de pouvoirs surnaturels »3. Cependant, on ne doit en aucun
cas les assimiler, voire les confondre entre eux, car ils sont loin de se ressembler.
Par le concept d’Initiation, on entend une possibilité d’un « double
passage », puisqu’il s’agit d’un rituel qui permettra à l’initié de passer de la période
infantile vers la société des adultes, ou celle des hommes en premier lieu, et ensuite
de « passer de la vie profane à la vie sacrée »4. Le rituel d’initiation prend son
origine dans le mythe. Ce dernier « raconte une histoire sacrée ; il relate un
événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des 1 Mircea Eliade, Initiations, rite, sociétés secrètes, Naissances mystiques. Essais sur quelques types d’initiation (1959), Paris, Gallimard, 1992, p 281. 2 Id, Initiation, rites, sociétés secrètes. Naissances mystiques. Essai sur quelques types d’initiation (1959), op-cit, p 12. 3 Roger Bastide, Initiation, dans Encyclopoedia Universalis, corpus 12, Paris Encyclopoedia Universalis, 1996, p 351. 4 Jean Cazeneuve, Sociologie du rite. (Tabou, magie, sacré), Paris, PUF, « Sup / Le sociologue », 1971, pp. 267-268.
109
commencements »1. Dans les sociétés archaïques, les mythes sont enseignés aux
jeunes durant leur initiation. Ils sont effectués d’une manière attentive et ne sont que
la répétition du geste ab origine. Le rite réitère le geste créateur, originel, dans toute
sa splendeur. Par le rite qui doit nécessairement évoquer le mythe, on prend de
l’ascendant sur les choses, car on connaît tout leur processus initial et donc, on peut
les dominer, voire les « commander ». « Les mythes constituent les paradigmes de
tout acte humain significatif »2. Le rite est un passage, une « transition », puisqu’il
fera subir à l’homme initié non seulement un « changement du statut social », mais
aussi et surtout, il représente « une nouvelle naissance » par le passage à une
« ontologie transcendante »3, pas uniquement dans le sens religieux du terme,
puisque l’initiation est un acte qui engage « la vie totale de l’individu »4. Dans
l’œuvre de Saint-Exupéry, il ne s’agit pas d’initiation voulue au sens classique, avec
ses rites qui la rendent effective, mais il s’agit plutôt d’initiation dans un sens
symbolique. Les enseignements, les cérémonies et les épreuves sont transmis par
une autre voie ou plutôt à travers un espace qui a été sacralisé, où solitude et
hostilité se confondent pour laisser à l’individu la liberté de devenir un initié, c’est-
à-dire ; passer par des épreuves pour se reposer enfin, se régénérer et ainsi re-naître.
Afin d’accomplir ce rituel, il est impératif de passer par trois étapes fondamentales
de l’initiation. D’abord, la première étape consiste à préparer au « néophyte » un
cadre idéal où se déroulera le rituel. Pour Saint-Exupéry, son lieu sacré est le désert.
Ce n’était certes pas prémédité, mais toutes les conditions étaient réunies pour
l’accomplissement du rituel5. Par purification, on entend un quasi détachement du
monde « ordinaire », une purification de l’âme et de l’esprit. L’isolement ou bien la
solitude dans ce contexte « constitue à la fois le terme de la préparation et le début
de l’initiation »6. La seconde étape est celle de « la mort initiatique » ou en d’autres
1 Mircea Eliade, Aspects du mythe, éditions Gallimard, 1963, p 16. 2 Ibid, p 32. 3 Julien Ries, L’homme religieux et le sacré à la lumière du Nouvel Esprit Anthropologique, dans Traité d’anthropologie du sacré, vol. 1 : Les origines & le problème de l’homo religiosus, s. dir. Julien Ries, Paris, Desclée, 1992, pp. 53-55. 4 Id, Initiation, rites, sociétés secrètes, op-cit, p 26. 5 Solitude, lieu purificateur, lieu mystique, lieu sacré. 6 Simone Vierne, Rite, roman, initiation (1973), deuxième édition revue et augmentée, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1987, p 14.
110
termes, la mort symbolique. Il s’agit en effet, de procéder à « un voyage symbolique
dans l’au-delà ». Cette phase comprend en elle-même deux autres étapes, la perte
de connaissance, réelle ou simulée, de l’individu. Il entre comme dans un monde à
part qui ne fait plus partie de la terre. D’autre part, la traversée au cœur du monde
de la mort. Cette traversée évoque parfois, le regressus ad uterum qui veut dire le
retour à l’état intra-utérin1, et parfois, « la descente aux enfers ou la montée aux
cieux »2. Pour Simone Vierne, « certains rites ont d’ailleurs souvent une double
valeur : ainsi la torture initiatique qui symbolise le dépècement du novice, est
souvent aussi sentie comme un engloutissement par le monstre, et l’engloutissement
dans la Terre-Mère comme une descente aux Enfers »3. Quant à la dernière étape du
rite initiatique, celle-ci se résume en une re-naissance, toujours symbolique, de
l’esprit, de l’âme et de tout l’être de l’individu ou encore « la venue au monde d’un
être nouveau, totalement différent de celui qui avait entrepris la périlleuse quête
initiatique »4.
Par ailleurs, on a tendance à associer rite initiatique et religion, vu l’ancienneté de
celui-ci, bien que l’initiation ait changé de forme au fil des temps, il n’en demeure
pas moins qu’elle existe encore dans le monde contemporain. Sans s’inscrire dans le
cadre religieux, l’initiation, ou plus précisément des éléments initiatiques
authentiques, sont présents dans la vie imaginaire de l’homme moderne, selon
Mircea Eliade, « On les connaît aussi dans certains types d’épreuves réelles qu’il
affronte, dans les crises spirituelles, la solitude et le désespoir que tout être humain
doit traverser pour accéder à une existence responsable, authentique et
créatrice »5. Dans ce sens, où l’expérience initiatique ne s’engage plus dans la
perspective d’un changement radical de la façon d’être de l’initié, « ni de son salut,
donc du Sacré »6. Elle se limite à l’existence profane, mais sans pour autant omettre
son objectif principal qui est finalement le changement profond de l’individu. La
1 Ibid, Passage dans un fossé, utilisation d’excavation, avalement symbolique par un monstre (certaines cabanes initiatiques ont d’ailleurs une forme de monstre), etc. 2 Ibid, Gravissement d’une échelle, d’une montagne, etc. 3Ibid,. p 22. 4 Ibid, p 14. 5 Id, Initiation, rites, sociétés secrètes, op-cit, p 271. 6 Ibid,.
111
littérature a, selon Eliade, emprunté ce qu’il appelle les « scénarios initiatiques »
pour transmettre un quelconque message spirituel « sur un autre plan de
l’expérience humaine, en s’adressant directement à l’imagination »1.
Les œuvres littéraires dont nous pouvons déceler un lien avec l’initiation, sont
celles qui tentent de « répondre inconsciemment aux questions que se pose l’homme
aux prises avec son destin »2. Ce n’était certes pas l’intention de l’auteur de Terre
des hommes de faire passer un message initiatique précis, mais emporté par « la
force du schème dynamique qui se trouve en germe dans le genre même »3, l’auteur
a été amené petit à petit à se poser, et à poser au monde, des questions relatives à
l’existence et même à la religion. Pour Simone Vierne, « Si une œuvre littéraire
peut être dite initiatique, il faudra qu’elle comporte une analogie structurale et
symbolique suffisamment reconnaissable, précise et étroite »4. Ainsi, elle dégage
deux éléments incontournables qui détermineraient le caractère initiatique d’un
texte littéraire, notamment, la structure et les symboles. Concernant la structure, il
faut, d’après cette analyste, que la finalité de l’histoire ait un caractère révélateur
d’un changement profond de l’individu. Quant au second critère, il doit pouvoir
établir la différence entre une œuvre d’apprentissage et celle d’initiation. Aussi, la
symbolique dans une œuvre est indispensable pour déterminer le caractère
initiatique de celle-ci. Et c’est dans ce contexte « le propre du roman initiatique
lorsqu’il est l’œuvre d’un grand écrivain, est d’être à la fois réaliste et
symbolique »5. Le symbolisme, en effet, est essentiel pour que s’accomplisse
l’initiation, puisque la mort et la renaissance connues par le néophyte n’existent
jamais que sur le plan symbolique, et non de façon matérielle. Et c’est
principalement en fonction du contexte de l’œuvre littéraire que l’on sera conduit à
interpréter tel ou tel symbole dans un sens initiatique6.
1 Ibid, p 266. 2 Simone Vierne, Jules Verne et le roman initiatique. Contribution à l’étude de l’imaginaire, Paris, Editions du Sirac, 1973, p 25. 3 Ibid, p 39. 4 Id, Rite, roman, initiation, op-cit, p 5. 5 Léon Cellier, Parcours initiatiques, www.revues.org 6 Laurent Déom, Le roman initiatique : éléments d’analyses sémiologique et symbolique, dans Cahiers électronique de l’imaginaire, n°3 : Rite et littérature, 2005, pp 73-86. (Site Internet GRIT (groupe de recherche sur l’image et le texte).
112
Terre des hommes et Le petit prince de Saint-Exupéry s’enracinent dans une époque
où le monde était en plein chamboulement politique1 où se mêlent passé, présent et
temps mythique dans un espace aussi vaste que le désert. Le narrateur a puisé dans
le thème du voyage naufrage de son personnage principal2 en terre africaine et ne
manque pas d’évoquer du reste d’autres thèmes à valeurs existentielles. Cet espace
lui permet de faire ressurgir la mémoire ancestrale d’un lieu qui a bercé les
civilisations antiques sous multiples formes, donnant ainsi naissance à des légendes
empreintes de réalités. Le lieu des naufrages, bien qu’inconnu dans la culture de
l’auteur, va toutefois au-delà du « dé-paysement »3. Il s’agit, en effet, pour le
voyageur « de transcender l’humaine condition, en touchant comme Ulysse aux
portes de la mort, ou comme Enée en descendant aux Enfers, et d’en ressortir autre,
selon un schème initiatique bien connu »4. Dans la mythologie grecque, Virgile
s’inspire, dans l’Enéide, de l’épisode de la visite d’Ulysse aux morts lorsqu’il fait
descendre son héros Enée aux Enfers. Presque tous les grands héros épiques tels que
Héraclès, Thésée ou Enée sont amenés à se rendre aux Enfers pour en revenir
vivants5. Le récit de Terre des hommes met en scène un double parcours initiatique ;
il présente tout d’abord les différents voyages du pilote et puis son dernier voyage
où son avion s’écrase en plein désert de Libye, ensuite survient son périple avec son
mécanicien où le narrateur part seul à la recherche d’eau et de secours. Ce dernier
connaît une vraie initiation, dans les deux récits, en rencontrant le petit prince qui
lui enseigne les choses de la vie et dans Terre des hommes où il subit les péripéties
qui ont failli lui coûter la vie. Enfin, la re-naissance de ce dernier est symbolisée par
l’épisode du sauvetage par les bédouins, dans Terre des hommes qui lui font prendre
conscience de la valeur de la vie et de la générosité humaine, et la disparition du
petit prince qui lui permet également de déceler « l’important invisible pour les
yeux ».
1 Les deux guerres mondiales. 2 En l’occurrence, l’auteur lui-même. 3 Magali Pettiti, Quête identitaire : processus initiatique et dimension mythique, loxias document.html 4 Ibid,. 5 Christophe Carlier & Nathalie Griton-Rotterdam, Des mythes aux mythologies, Paris, Ellipses, 1994, pp 49-50.
113
Ce voyage a été nécessaire au pilote pour prendre conscience des valeurs inhérentes
à notre passage sur terre et à notre quête identitaire. Ces deux récits mettent en
scène « un voyage initiatique où la mort symbolique est associée à l’acquisition des
connaissances nécessaires au personnage pour parvenir à sa propre condition »1.
Selon Simone Vierne, le rituel d’initiation « parce qu’il réactualise les gestes par
lesquels les dieux, puis les Ancêtres mythiques, ont établi ce processus de mort
mystique et de renaissance, réitère aussi la naissance de la vie du monde, qui pour
les primitifs sont absolument coexistants- et même coexistentiels. L’initiation
récapitule l’histoire sacrée de la tribu, donc en fin de compte, l’histoire sacrée du
Monde »2. Saint-Exupéry réactualise un mythe qui rappelle les commencements du
monde et met en avant le désert dont la fonction qui lui est attribuée s’apparente à
celle de la fonction du mythe ; l’explication du monde.
2. Mort initiatique
La mort occupe un rôle primordial dans le questionnement de la régénération
de l’être, et, par conséquent, dans la réflexion ésotérique qu’il mènera lui-même ou
grâce à autrui, sur les questions essentielles de la vie et les initiations sous-jacentes
s’y rapportant. Au fil de son existence, il expérimentera diverses instructions, c’est-
à-dire vivra des épreuves jalonnant son parcours d’être « primitif » jusqu’à devenir
l’être individuel, social et humain ; étapes qui le poussent à avancer, à se découvrir
et à se construire en tant qu’homme, et ainsi se réaliser en tant que tel, par la
connaissance de soi, puis de l’autre et du tout.
D’après la religion musulmane, l’être passerait dans l’autre monde en franchissant
une porte, un passage, sirât, qui est aussi décrit comme une ligne aussi large que
l’univers et aussi étroite que l’épaisseur d’un cheveu. C’est un passage obligatoire.
Ainsi, pour ceux qui se sont, dans la vie réelle, préparés y passeront sans crainte,
contrairement à ceux qui ne s’y sont pas préparés, ceux-là redouteront certainement
1 Ibid,. 2 Ibid,.
114
ce moment1. En évoquant l’instant de la préparation à la mort, l’auteur précise que
cette dernière ne doit, « en aucun cas, être vécue comme un drame, même s’il y a
une déchirure »2, car c’est un accomplissement naturel de la vie par lequel tout
individu doit nécessairement passer. Mais dans un sens symbolique, et précisément
dans ce contexte, le corps matériel n’est qu’une couverture et c’est l’âme qui doit
subir le changement afin de « goûter la mort »3.
On a dit plus haut que la mort initiatique était le cheminement de l’être vers
un monde à part qui lui fait perdre quelque peu sa conscience. Pour le narrateur de
Terre des hommes, sa mort ne se résume pas seulement en une perte de
connaissance, c’est une sorte de quête de soi, de questionnement qu’il se fait à lui-
même sur les concepts qui régissent la vie, il a, de ce fait, perdu, à un moment
donné de son passage au désert, ses repères identitaires ainsi que sa conscience au
moment des mirages4, à cause des terribles souffrances qui l’ont assailli, entre
autre ; la soif extrême, le soleil brûlant ainsi que le froid glacial.
3. La quête de soi dans le désert
Pour partir en quête de soi, il faut savoir, d’abord par où commencer, c’est-
à-dire qui sommes-nous. Mais ne faut-il pas d’abord partir en quête de ce qu’on
veut pour parvenir à se connaître ?
De grands penseurs de tous temps et de toutes origines confondues, ont été
confrontés à de telles questions existentielles. Ainsi, ils n’ont fait que renforcer la
sagesse populaire grâce à leur héritage oral. Et que l’on parle de personnalités
religieuses telles que Jésus ou Bouddha, de philosophes, de chercheurs ou
d’hommes de lettres, la quête de soi semble constituer le point commun de ces
démarches.
1 Cheikh Khaled Bentounès avec la collaboration de Bruno et Romana Solt, Le soufisme cœur de l’Islam, Ed de La Table Ronde, Paris, 1996, p 196. 2 Ibid,. 3 Ibid, p 197. 4 Voir la partie concernant le désert et son lien avec l’imaginaire.
115
L’objet principal de ce chapitre est de mettre en exergue cette quête de sens à
laquelle le narrateur a consacré le temps passé dans le désert. Cette quête rejoint
celle de beaucoup d’autres « au carrefour des dimensions matérielle, affective,
intellectuelle et spirituelle ». C’est un désir fondamental, aux yeux du narrateur, de
vivre intensément et d’avoir un certain intérêt de soi qui peut nous mener vers une
totale cohésion avec tous les aspects de notre être ; c’est-à-dire donner un sens à
notre vie. Mais ceci requiert évidemment un long cheminement intérieur nécessitant
une détermination sans bornes et un engagement véritable. Et pour cela, rien de plus
idéal qu’un petit séjour au désert afin d’accomplir le périple intérieur.
Mais qu’en est-il pour Saint-Exupéry ? N’a-t-il pas dit dans Le petit prince
que le désert était « sec, pointu et salé »1 ? Pour lui, le désert comporte maintes
connotations. C’est ainsi un synonyme de pauvreté dans le sens où les petites choses
acquièrent de la valeur quand on est loin de la vie de tous les jours et des
commodités qui lui sont inhérentes. Le manque même de ces petits conforts dans le
désert nous fait prendre conscience « des richesses invisibles »2 qui s’y trouvent.
Dans les deux récits, nous décelons les forces génératrices de la méditation et de la
quête dans tous ses sens du début à la fin. A force de solitude et de souffrance, le
narrateur s’enferme dans une sorte de monologue qui trahit une forme de
mélancolie mêlée à de l’espoir en une vie meilleure, une harmonie entre les
hommes et leur prise de conscience quant à l’amour, l’amitié, la générosité ou
encore la fraternité. En somme, de la profondeur de la vie, le narrateur retient
l’essentiel, il évoque de ce fait des thèmes éternels, mais apporte également et
surtout des réponses non moins éternelles et universelles à toutes les questions
vitales qui en surgissent. Les deux récits véhiculent des images symboliques et
mystiques, qui nous emmènent à une réflexion profonde sur les archétypes qui sous-
tendent la trame des récits : le désert, le mouton, le puits, le renard, la rose, les
volcans, les baobabs et surtout les six planètes qui décrivent chacune un trait de
caractère humain négatif. De ces images, on peut retenir un enseignement menant à
éveiller les consciences, cet éveil « non point nourri de dogmes et de vérités 1 Id, Le petit prince, op-cit, p 54. 2 Id, Terre des hommes, op-cit, p 37.
116
formelles, mais jailli de l’expérience d’un pilote de ligne qui a vécu le désert, la
soif, la solitude, la panne, la peur…Bref, la condition humaine »1. L’auteur montre
la même Unique Vérité se cachant sous cet aspect frêle et innocent du petit prince
comme sous le désert avec tous ses aspects, notamment, spirituels, symboliques et
mystiques, notamment dans Terre des hommes, qu’il met en parallèle et qu’il
emprunte à de multiples traditions. « Du Petit Prince au principe de la
Manifestation, c’est là une leçon vivante de métaphysique ! »2.
L’aviation lui permet d’avoir une vue d’en haut qui lui fait découvrir « la Vérité »,
ou « le vrai visage de la terre ». Il faut se détacher du monde pour mieux le
découvrir ou plutôt le connaître. Car « L’avion est une machine sans doute, mais
quel instrument d’analyse ! Cet instrument nous a fait découvrir le vrai visage de la
terre »3. Grâce à celui-ci, il a pu découvrir un lieu féerique qui a surgit au cœur
même du Sahara ; l’Oasis. C’est « Dans le désert » qu’il découvre de vraies
richesses, la solitude l’entraîne vers un nouveau concept ; « l'empire de l'homme est
intérieur ». Au cœur du désert, il se permet une réflexion sur l'islam, sur l'homme,
sur la liberté et sur le sens de la vie. Il évoque les instants passés avec ses camarades
comme des instants précieux qu’il ne faut pas gâcher : « Nous nous étions enfin
rencontrés. On chemine longtemps côte à côte, enfermé dans son propre silence, ou
bien l’on échange des mots qui ne transportent rien »4. Le pilote trouve le temps de
méditer même au moment où il est confronté au danger ; « Mais voici l’heure du
danger. Alors on s’épaule l’un à l’autre. On découvre que l’on appartient à la
même communauté. On s’élargit à la découverte d’autres consciences. On se
regarde avec un grand sourire. On est semblable à ce prisonnier délivré qui
s’émerveille de l’immensité de la mer »5. Dans ces moments rudes, il glisse encore
plus dans la spiritualité. Sa seule devise réside dans le fait d’aider ses semblables
dans les moments les plus pénibles, contrairement à ce qui arrive souvent dans des
situations similaires où les hommes adhèrent à l’adage qui dit « chacun pour soi et
1 L’ésotérisme du petit prince, Y.Monin, éd Point d’eau, 1996. www.revues.org 2 Ibid,. 3 Ibid, p 55. 4 Ibid, p 37 5 Ibid,.
117
Dieu pour tous ». Dans l’opulence des villes, les hommes se font la guerre, quand
ils sont seuls face au danger, ils comprennent qu’ils ont besoin les uns des autres,
alors ils s’entraident, ils prennent enfin conscience de la valeur de la vie1. Par
conséquent, la solitude entraîne à la quête dans tous ses sens, et celle-ci, à la prise
de conscience. L’auteur pense qu’en découvrant le désert, il a découvert le « vrai
visage de la terre », ainsi, il pense que les terres qu’il a visitées « bien arrosées, les
vergers, les prairies »2 ne sont que la face cachée, embellie et trompeuse de la terre,
que notre terre est une prison et que pour être libre, rien de plus idéal que la
« vraie » Terre qui est le désert. « Nous avons longtemps embelli l’image de notre
prison. Cette planète, nous l’avons crue humide et tendre »3.
D’autre part, l’orgueil de l’homme se dissipe peu à peu, car dans le désert l’homme
n’est plus rien ; « Je n’étais rien qu’un mortel égaré entre du sable et des étoiles,
conscient de la seule douceur de respirer… »4. Plus rien ne nous est utile dans le
désert, nous sommes seuls face à nous-mêmes. Le narrateur fait une révélation
directe où il déclare que cette solitude se transforme en un besoin vital pour pouvoir
se « reconnaître », ainsi il dit : « J’avais besoin de ces mille repères pour me
reconnaître moi-même, pour découvrir de quelle absence était fait le goût de ce
désert, pour trouver un sens à ce silence fait de mille silences… »5. Le désert ou
plutôt ses repères deviennent un besoin pour l’homme afin de se régénérer.
III. Espace de rédemption
Cette phase du rite initiatique se résume en une « venue au monde » de l’initié,
un retour vers soi et vers la vie « ordinaire » ou encore d’une prise de conscience
qui revaloriserait l’individu à ses propres yeux tout d’abord et ensuite, aux yeux de
ses semblables. Ainsi, après une longue souffrance, réelle et symbolique, où le
temps est aboli, les directions se confondent, l’homme perd le sens de l’orientation,
1 D’après l’expérience personnelle de l’auteur. 2 Ibid, p 56. 3 Ibid,. 4 Ibid, pp 64-65. 5 Ibid, p 65.
118
il est livré aux brûlures calcinantes du soleil, aux dangers des animaux sauvages qui
occupent le désert, où il est confronté à la mort à tout moment, il est enfin délivré et
sauvé, aussi bien sur le plan spirituel que physique. L’individu retrouve son identité,
son autonomie et son authenticité.
Le désert prend ainsi, toutes les formes, et d’un espace hostile, se transforme en un
espace de paix, de rédemption et de re-naissance. Dans les récits de Saint-Exupéry,
la rédemption se traduit dans la disparition du petit bonhomme qui symbolise le
sacrifice et l’espoir en un monde meilleur. Le petit prince rassure le pilote en lui
disant : « C’est mieux comme ça. Mon étoile, ça sera pour toit une des étoiles.
Alors, toutes les étoiles, tu aimeras les regarder…Elles sont toutes tes amies »1. Le
narrateur ne supporte pas cette idée de disparition ; « …je me sentais glacé par le
sentiment de l’irréparable ». Et dit encore ; « Et je compris que je ne supportais pas
l’idée de ne plus jamais entendre ce rire. C’était pour moi comme une fontaine dans
le désert »2. Le petit bonhomme lui offre, pour le réconforter son « rire », « (Mon
rire) sera mon cadeau…ce sera comme pour l’eau… »3. Et un rire ne représente-t-il
pas l’espoir de tous ? Et afin de mieux mettre en exergue cette vision du sacrifice, le
petit prince enchaîne dans une discussion des plus profondes en parlant des étoiles
qu’il compte lui léguer symboliquement, une fois de retour vers sa planète : « (…).
Toi, tu auras des étoiles comme personne n’en a… (…). Quand tu regarderas le
ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une
d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des
étoiles qui savent rire ! »4. La récurrence du pronom personnel « tu » pourrait
signifier le degré de confiance et le plein d’espoir que le petit prince met en
l’homme afin de le faire contribuer au changement positif de la vie. Le rire est le
propre de l’homme, sans cela, ce dernier dépérirait. Le narrateur a transmis son
message et c’est là qu’il se repose enfin après avoir accompli pleinement sa
mission. Dans Terre des hommes, il dit : « On attend l’escale comme une
1 Id, Le petit prince, op-cit, p 69. 2 Ibid, pp, 68-69. 3 Ibid, p 69. 4 Ibid, p 70.
119
Terre promise, et l’on cherche sa vérité dans les étoiles »1. Encore une allusion aux
étoiles, seraient-elles les issues des abîmes du monde ? D’un point de vue
symbolique et vu leur réitération dans les deux récits, on est appelé à le croire
fortement. Le pilote attend impatiemment la délivrance, qu’il perçoit comme une
récompense à tant de malheurs vécus ; « …j’ai marché, j’ai eu soif, j’ai suivi des
pistes dans le sable, j’ai fait de la rosée mon espérance. J’ai cherché à joindre mon
espèce, dont j’avais oublié où elle logeait sur la terre »2. Après bien des périples,
sur le point de mourir de soif, les deux hommes sont miraculeusement sauvés par
une caravane de Bédouins. Il s’agit d’un apaisement physiologique d’abord. Mais
en méditant encore et toujours, le narrateur est enfin conscient de la vérité, et c’est à
ce moment précisément que survient la phase ultime de la re-naissance, de la
rédemption et de la paix. Vers le dernier chapitre de Terre des hommes, le pilote
avoue avoir cédé aux caprices du désert hostile, ennemi et meurtrier, mais ce dernier
s’est avéré salvateur, lieu tant de châtiment que d’expiation. Au moment où il allait
« renoncer » à sa propre vie, il obtient sa récompense suprême, la paix : « Une fois
de plus, j’ai côtoyé une vérité que je n’ai pas comprise. Je me suis cru perdu, j’ai
cru toucher le fond du désespoir et, une fois le renoncement accepté, j’ai connu la
paix »3. Les mots et les images évoqués ainsi contribuent pleinement à exprimer
cette direction unique et essentielle de son message, la ligne de force de toute son
oeuvre : la découverte, le maintien conscient et la ligne de force de sa vie...4. C’est
une forme de re-naissance dans le concept du rite initiatique, car Saint-Exupéry a
constaté cette « nécessité d'incarnation » ; l’expliquant clairement dans cette
phrase : « Tu ne trouveras point la paix si tu ne te fais véhicule, voie et charroi »5.
Ayant pris ses distances par rapport aux chemins terrestres, grâce à son avion
comme par l'intermédiaire du désert, Saint-Exupéry, comme tous les guides dignes
de ce nom, a « vu quelquefois ce que l'homme a cru voir »6 ; il peut le révéler pour
1 Id, Terre des hommes, p 151. 2 Ibid,. 3 Ibid, p 160. 4 Saint-Exupéry et les lignes de force d’un cheminement initiatique, par Emmanuel-Yves Monin, Revue « Arkologie » 5 Ibid,. 6 Rimbaud
120
ses lecteurs, pour ses « amis » au sens mystique du mot, pour ceux dont l'âme est
déjà proche de la sienne...1. Pour lui, « La vérité, ce n’est point ce qui se démontre,
c’est ce qui simplifie »2.
Il ne transmet pas son enseignement pour se montrer, non pour gagner l’estime
d’autrui ou leur considération, non plus pour le pouvoir; non pour être mieux dans
sa société « fourmilière »3 ! Mais, c’est pour la seule plénitude, la seule force
manifestée pour « inventer un empire où tout simplement tout soit fervent », où tout
soit lié par « le noeud divin qui noue les choses. Au delà du psychologique, du
personnel, de la personnalité, de l' « humain »!4.
Dans la vie ordinaire nous sommes « aveugles » et « sourds », dans le désert on
guérit5.
1 Ibid,. 2 Id, Terre des hommes, op-cit, p 175. 3 Saint-Exupéry et les lignes de force d’un cheminement initiatique, op-cit. 4 Ibid,. 5 Id, Le petit prince, op-cit, p 67.
121
Conclusion
Ils ont été nombreux à décrire et écrire le désert, qui de André Gide, de
Isabelle Eberhardt, de Tahar Djaout, de Mohamed Dib, de J-M. G Le Clézio ou
encore d’Ernest Psichari et d’autres écrivains toutes cultures confondues, dont
l’attirance pour cette partie mystérieuse du monde les a poussé à transcrire à leur
façon, leurs idées, émotions et autres perceptions qui vont au-delà de la profondeur,
voire vers le mysticisme.
Pour des raisons qu’on ignore, Saint-Exupéry n’est pas assez étudié ou ne l’est
pas du tout ; simple coïncidence ou rejet volontaire ?
Laurent de Galembert1, qui s’est penché dans son DEA sur l’étude du Petit Prince
pense que Saint-Exupéry souffrirait « en effet d'une malédiction : c'est de n'être
guère pris au sérieux par nombre de critiques et même d'en être souvent mal ou très
mal vu »2. Est-ce vraiment une malédiction ?
Ainsi, à notre humble avis, Antoine de Saint-Exupéry n’a pas eu la place de
choix qu’il méritait. Incompris et méconnu, il n’est pas rentré dans la convention
d’une école littéraire. Il a écrit en solitaire, comme il pilotait son avion, face aux
éléments. Il a écrit comme il a vécu ; intensément. Sa disparition est demeurée
mystérieuse et fascinante, donc digne d’intérêt. N’est-ce pas merveilleux qu’il ait dit
« L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle » ou encore « Dans ma
civilisation, celui qui diffère de moi, loin de me léser, m’enrichit ».
Comment ne pas se sentir irrésistiblement interpellé par sa générosité et son
humanisme bien au-delà de la littérature ? Le choix qu’il a fait, en toute conscience,
d’accomplir sa mission de pilote, l’a mis face à son destin, celui de la quête
spirituelle ; et de quelle manière pouvait-il accomplir cette dernière, sinon loin de la
civilisation bruyante et perturbatrice, dans un espace éperdu et vierge ? Le désert est
donc l’espace ineffable, sublime, ingrat mais peut-être salvateur pour celui qui s’y
engage, fût-ce au péril de sa vie : « Saint-Exupéry qui aimait les paradoxes, a eu un
devenir posthume paradoxal. Il est en effet devenu un mythe populaire pour avoir, 1 Enseignant de littérature dans un lycée à Paris. 2 Laurent de Galembert, op-cit.
122
lui l’aristocrate, participé à l’aventure de l’Aéropostale et pour avoir disparu dans
une mission de reconnaissance en 1944… »1
La leçon qu’il transmet dans ses récits est une leçon d’amour en tant que
sentiment noble. Aimer sans juger. Et pour ne pas être déçu, l’homme devrait
d’abord se juger lui-même, en s’abstenant de juger autrui. A partir de là, il pourrait
prétendre à une véritable justice, car en découvrant ses propres torts, l’homme
gagnerait à aimer les autres avec leurs défauts, aimer au-delà des mots, aimer les
actes ? Par conséquent, chacun de nous est dans l’urgence de chercher l’enfant en
lui, qui pourrait ne pas être bien loin, pour peu qu’on veuille le reconquérir.
Malheureusement, le monde est peuplé de tyrans, de vaniteux, d’orgueilleux et de
démissionnaire, tels que le buveur par exemple, le roi ou encore le comptable2.
« Les grandes personnes » ont l’admiration de leurs semblables sans jamais avoir
rien fait qui justifiât ce fait. Elles ne sont même plus capables de sentir le ridicule de
s’octroyer des honneurs non mérités. Personne ne travaille à changer les choses,
tout le monde pleure sur son sort. Le petit prince, ou l’enfant, le comprend si bien
qu’il hausse les épaules estimant qu’un commentaire serait surfait devant tant de
vanité inconsciente3.
L’Homme n’a pas compris que sa vocation ou mieux encore, sa mission sur
terre est de réaliser des choses utiles au genre humain et ainsi accomplir son destin
qui est celui de faire partie intégrante du Cosmos. Dans sa grandeur, le petit prince
sublime les gestes les plus simples du quotidien, comme arroser une plante, nettoyer
ou encore allumer un réverbère. Les gestes sont désintéressées dans ce sens où
l’univers entier peut en jouir.
Les deux récits prônent le don de soi, l’amitié et la sincérité. Un hymne à la
liberté, aux grandes questions existentielles, d’où l’égoïsme est banni. Chaque être
devient unique pour un autre être, à partir du moment où l’on « s’apprivoise », on
crée des liens. De ces liens, chacun devient responsable de l’autre. Tout en lui nous
concerne et sera désormais, spécial et exceptionnel. Cette soif de devenir important
1 Id, Etude sur Terre des Hommes de Saint-Exupéry, op-cit, p 03 2 Dans Le petit prince 3 Id, Le petit prince, op-cit, p38.
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pour quelqu’un, de faire des gestes beaux et inhabituels, générer la magie de
l’amour, sentir tout son être vibrer. Afin de prendre conscience de ces valeurs
inhérentes à notre passage sur terre, le désert devient un lieu de Vérité, un lieu de
pèlerinage et l’avion de Saint-Exupéry est une machine-prétexte pour accomplir un
destin, ou même une osmose. Fusionner avec le cosmos, s’accomplir, se voir, se
situer comme un maillon de l’ineffable immensité. Ainsi, approcher les étoiles,
frôler les montagnes, dormir dans le froid nocturne du Sahara devient une quête
palpitante et ses éléments s’avèrent purificateurs, même si le prix à payer est sa
propre vie. Perdre la vie importe peu désormais puisque l’âme est immortelle. Le
poète se réjouit de la quête d’espaces inexplorés et vierges. Il a, en sa possession,
des rêves de pionnier ; être le premier à découvrir le monde, comme à l’aube de la
création, est une immense fierté1.
Face à la nature, l’homme se dénude, la solitude devient sublime, le désert
l’accentue. Ainsi, vivre dans la solitude et abandonner les petits conforts bourgeois
devient un choix si l’on désire réaliser la grande alliance cosmique. Devenir homme
doit se mériter. Chaque être humain porte en lui un destin fait de liberté et de rêves
grandioses. Mais encore faut-il en prendre conscience, avoir le courage de répondre
à l’appel. Car au bout se trouve la lumière. Rejoindre l’universel n’est-ce pas un
rêve mystique. Comprendre que la vie c’est transcender l’ego et tendre ses mains
aux autres hommes. Comprendre encore qu’il n’ait d’autre alternative que de
s’aimer au delà des différences, enfin unis dans l’épreuve, l’adversité ou la joie. Le
poète est un incorrigible rêveur, un magicien invétéré et un éternel enfant qui ne
renonce pas, malgré tout.
L’œuvre de Saint-Exupéry est un appel vers l’humanisme, le lecteur est
sensible à la fiction du roman, du conte ou du symbole. L’auteur a voulu donner un
sens à la vie, un vrai sens, il est humaniste par excellence.
1 Id, Terre des homes, op-cit, p62-63.
124
A côté de cela, il y a, également le côté paradoxal du désert, base de cette
étude. L’auteur évoque un désert qui n’est plus celui des romantiques. Il est plus
profond et plus cru. Alors le désert n’est plus comme chez Fromentin ou Gide,
l’Oasis avec tout ce qu’elle révèle de beau, c’est, au contraire l’étendue aride qui est
privilégiée. Le caractère paradoxal du désert s’accroît ; c’est un milieu hostile1 mais
accueillant et réparateur de certaines misères humaines, il est vierge, mais d’une
sensibilité omniprésente. C’est un espace qui paraît mort, mais il est en réalité
vivant et qui peut procurer à l’homme une aide amicale ou des leçons impitoyables2.
Il est aussi un lieu de traces séculaires3 qui sont présentes afin de témoigner « de la
victoire du désert », traces de la civilisation moderne qui, comme les pistes,
s’effacent si on cesse de les entretenir, traces nomades qui, eux savent s’adapter et
perdurer4. Et enfin, le désert est un lieu de passage, d’épreuves, d’initiation et enfin
de paix, de rédemption, de re-naissance et de prise de conscience.
Le désert est révélateur d’une aventure personnelle ou spirituelle tourmentée. On
pourrait le croire en nous penchant sur les écrits de Gide, Eberhardt ou encore
Psichari, car pour chacun de ces auteurs, le désert fut une expérience « de
renaissance à un soi profond », dans ce sens, et à titre d’exemple, Gide y découvrit
la « réalité de ses sens » et réussit à dépasser « la littérature rose » qui faisait
jusque-là du Sahara « un théâtre imaginaire de transgression des interdits
sexuels »5. Psichari, y voyait plutôt une expérience mystique. Quant à Eberhardt,
cette dernière, ayant été anticonformiste, pour elle le désert est synonyme de « refus
de la civilisation », un lieu accueillant, voire encourageant à une évasion mystique.
« De façon exemplaire, mais plus que pour beaucoup d’autres, le désert a été pour
elle un lieu où l’on tente de se recréer, de se constituer une existence à l’image de
ses fantasmes, en faisant table rase du passé »6. J.M-G. Le Clézio disait : « le désert
1 Soleil, soif, simoun, rezzou. 2 Attaques de serpents ou autres animaux dangereux. 3 Civilisations disparues, peintures préhistoriques ou ruines antiques. 4 Id, Désert, op-cit, p 23. 5 Ibid, p22. 6 Ibid, p 22.
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lavait tout dans son vent, effaçait tout »1. Lieu de tous les miracles, des
manifestations insolites. « Un réseau de dunes, un monde étranger »2.
Le désert est Sacré. C’est ce que nous retenons à chaque lecture d’ouvrages
l’ayant écrit et décrit. C’est un espace de vie, de mort, de mystère, de rédemption,
de fuite vers l’inconnu, de méditation, de rencontres surprenantes. C’est un lieu de
prise de conscience, de reviviscences et en même temps lieu de tant de souffrances
inscrites sur ses dunes, sur ses grains de sable aux couleurs d’or. Mais encore, c’est
le lieu qui efface après avoir inscrit. Le désert n’a cessé de fasciner et il ne le
cessera pas, car « c’était un pays hors du temps, loin de l’histoire des hommes, peut-
être, un pays où plus rien ne pouvait apparaître ou mourir, comme s’il était déjà
séparé des autres pays, au sommet de l’existence terrestre »3. Même la nuit est
éclairée dans le désert par les milliers d’étoiles qui jonchent le ciel ; ainsi « Il y a
avait tant d’étoiles ! La nuit du désert était pleine de ces feux qui palpitaient
doucement… »4. Mais à côté de ces beautés, le désert pouvait être redoutable par
son déchaînement souvent meurtrier. En sillonnant ses interminables routes
sablonneuses, les hommes du désert avaient conscience des dangers qui les
guettaient, mais ils ne renonçaient jamais tant son appel est lancinant. Ces hommes
là « savaient bien que le désert ne voulait pas d’eux : alors ils marchaient sans
s’arrêter, sur les chemins que d’autres pieds avaient déjà parcourus,… »5. En dépit
de cette hostilité propre au désert, ce dernier « était leur vrai monde. Ce sable, ces
pierres, ce ciel, ce soleil, ce silence, cette douleur, et non pas les villes de métal et
de ciment, où l’on entendait le bruit des fontaines et des voix humaines. C’était ici,
l’ordre vide du désert, où tout était possible, où l’on marchait sans ombre au bord
de sa propre mort »6.
1 J.M.G. Le Clézio, Désert, op-cit, p12. 2 Ibid, p22. 3 Ibid, p11. 4 Ibid. 5 Ibid, p13. 6 Ibid, p22.
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Cet espace « permet parfois de déchiffrer le monde ou de montrer son non
sens, et il représente alors notre univers mis à nu »1. A partir de cette idée, une
réflexion s’impose ; les récits se rapprochent de la perspective du mythe : tout
d'abord, d'un point de vue thématique, parce qu'ils traitent des grandes questions
existentielles ; ensuite, parce qu'ils prennent des dimensions cosmiques; et enfin,
parce qu'ils baignent dans une atmosphère indéfinissable et indéterminée,
inquiétante et angoissante, qui cherche le sacré - sans parvenir à l'atteindre2. Quant
aux thèmes dominants ; la quête de l’amour se nourrit d’illusions. Pourtant, le
mythe du désert en tant que symbole de recherche de soi, est présent dans chacun
des deux récits, car le mythe traite du destin de l’humanité. Pourrait-on considérer
de ce fait le désert comme un mythe en sachant que Saint-Exupéry en a fait un
espace sacré ? Dans un travail futur, nous pourrions éventuellement nous intéresser
à quelques approches relatives au mythe, notamment, la psychocritique de Charles
Mauron par exemple. Le mythe, selon Mauron « fournit une image du "monde
intérieur" inconscient de l'auteur, avec ses instances, ses objets internes, ses mois
partiels, son dynamisme »3. Selon lui, chaque grand écrivain possède un « mythe
personnel » qui peut être cerné et défini d’une manière objective.
La psychocritique s’intéresse à la personnalité de l’écrivain, mais également
à la personnalité inconsciente, elle s’intègre mais ne peut se substituer à une critique
totale4. Cette approche prétend accroître notre perception des œuvres littéraires, en
découvrant dans les textes des faits et des relations demeurés jusque-là méconnus
ou insuffisamment perçus. La source de ces éléments serait la personnalité
inconsciente de l’écrivain, car la psychocritique voudrait saisir dans l’œuvre de
chaque écrivain, les manifestations d’un « moi profond ». Nous pourrions
également nous diriger vers de nouvelles perspectives en étudiant, en outre, dans
nos prochaines recherches, l'image de ce lieu fascinant dans, précisément, le « moi
profond » de Saint-Exupéry en rapport avec ses sentiments et ses passions.
1 www.fabula.fr, (ERCILIS), op-cit. 2 Laurent de Galembert, La grandeur du petit prince, Approche générique, op-cit. 3 Charles Mauron, Des métaphores obsédantes au mythe personnel, Cérès, Tunis, 1996, p24. 4 Ou traditionnelle dans le sens classique du mot ; qui se contente de ce que veut, sent ou pense l’auteur.
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Quant à la fascination du désert et à son impact sur les œuvres sont grandes de
significations, profondes de sens et incrustées de leçons sur la vie et sur « les
grandes personnes ».
« Ce n’est pas par hasard que le désert a été l’épicentre de la révélation des
trois religions monothéistes : Moïse au Sinaï, Jésus en sa retraite de quarante jours
et Mahomet ascète dans sa caverne. Le désert reste un lieu de vérité »1.
Dans Terre des Hommes, le désert est un espace vierge, inexploré. Une
« Terre promise » qui donne à l’homme le sentiment poignant d’être un prisonnier à
l’aube de la création. Dans l’immensité désertique, l’homme est face à lui même,
conscient de son peu d’importance, plein d’humilité, mais paradoxalement empli de
sa grandeur. La tristesse de la séparation n’est pas amère ou empreinte de désespoir.
Au contraire, c’est une tristesse dans l’ordre des choses, car il reste le souvenir
impérissable. Il reste le goût d’une belle chose qui a été accomplie. C’est un appel à
la découverte de l’amour, de la beauté et de tout ce que le commun des mortels ne
peut déceler. Une invitation à voir au-delà des balivernes. Et la seule façon
d’échapper à l’ennui et à l’égarement, c’est de redevenir enfant, car tout est
important pour un enfant, rien ne se perd et tout contribue à « fabriquer » de la joie.
Des trésors existent, ainsi que la magie pour qui sait voir, tout incite à la découverte,
tout est don précieux. Il suffit de le vouloir pour que les étoilent « rient ». C’est
dans cette perspective qu’il s’est exprimé en ces termes : « L’essentiel est invisible
pour les yeux »2. Mais, le chemin reste très long et sinueux pour explorer le désert
profond, et comme l’a si bien exprimé Le Clézio : « (…) c’était une route qui
n’avait pas de fin, car elle était plus longue que la vie humaine »3.
Saint-Exupéry a acquis l’expérience d’un homme qui a « longtemps vécu »,
une vie à la fois dense et brève, une connaissance profonde, rapide et incisive. C’est
un vécu emprunt d’une extraordinaire acuité morale par rapport à son époque et tout 1 Le désert, lieu de vérité, Alain Genestar, Directeur général de la rédaction de Paris Match, in Magasine Match du monde, op-cit, p2. 2 Ibid, p57. 3 J-M.G Le Clézio, Désert, op-cit, p 22.
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ce qu’elle comportait d’événements, d’attitudes et de positions. Il avait adopté
l’attitude morale d’un homme pressé, mais extraordinairement lucide, sans illusion
ni complaisance et cependant, jamais cynique. Il s’est senti interpellé par la
condition humaine, aussi a-t-il observé avec un grand détachement ses semblables.
Ce n’était pas un hasard s’il avait compris l’existence comme une urgence à vivre,
et ce à travers son métier trop risqué, voire suicidaire. Mais, on l’aura compris, ce
n’était pas l’homme des compromis. Il voulait aller vers l’authentique. Il avait de
tous temps opté pour tous les dangers : l’aviation précaire de l’époque, le désert et
ses menaces, la guerre et ses atrocités. Son attitude était celle d’un chevalier des
temps anciens, pour qui l’honneur et le devoir passaient loin avant toute autre
considération. C’était aussi un visionnaire, dans ce sens où il se projetait dans
l’avenir, à travers des valeurs idéales : l’éthique dans la guerre, les valeurs
spirituelles, la morale et l’amour. Tout était précurseur en lui. L’homme en tant que
son contemporain, le préoccupait profondément, ce qui l’a mené vers un
engagement moral des plus remarquables. Il avait saisi toute la superficialité de ses
concitoyens et avait développé par conséquence, un état de perpétuelle urgence, un
qui-vive prémonitoire, car le temps lui était compté. Il avait cultivé ce côté humain,
bouleversant qui se situait en maillon dans la chaîne cosmique de la solidarité.
Solidaire en tout : en amour1, en amitié, en compassion, en compréhension, en
tolérance.
Nous fondons l’humble espoir que ce travail pourrait déblayer le chemin,
menant à d’autres travaux de recherche et permettre ainsi de dépasser l’idée que
l’œuvre de Saint-Exupéry est sans intérêt.
1 Filial et passionnel.
129
Bibliographie
Œuvres d’Antoine de Saint-Exupéry :
Corpus
♦ Le Petit Prince, Constantine, Media-Plus, 1995.
♦ Terre des hommes, Paris, Gallimard - 1939. Grand Prix du roman de
l'Académie française 1939.
D’autres œuvres utilisées
♦ Lettre à un otage, Paris, Gallimard, 1944.
♦ Pages choisies, Paris, Gallimard, 1962.
Œuvres d’autres auteurs :
♦ Taher Djaout, L’invention de désert, roman, Paris, Seuil, 1987.
♦ Mohamed Dib, L’arbre à dires, Albin Michel, Paris, 1998.
♦ Rachid Boudjedra, Cinq fragments du désert, Alger, Barzakh, 2001.
♦ J.M.G. Le Clézio, Désert, Gallimard, 1980.
♦ Isabelle Eberhardt, Ecrits sur le sable, Grasset & Fasquelle, 1988.
Travaux critiques :
♦ Marcel Migeo : Saint-Exupéry, Paris, Flammarion, 1958.
♦ Luc Estang : Saint-Exupéry par lui-même, Paris, Seuil, 1970.
♦ Françoise Brin : Etude sur Terre des Hommes de Saint Exupéry, Paris,
Ellipses – 2000.
♦ Charles Mauron, Des métaphores obsédantes au mythe personnel, Cérès,
Tunis, 1996.
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♦ Gilbert Durand, Introduction à la mythodologie, Cérès, Tunis, 1996.
♦ Gérard NAUROY, Pierre HALEN et Anne SPICA, (éd.), Le Désert, un
espace paradoxal, actes du colloque de l'université de Metz, 13-15.IX.2001,
Berne, Peter Lang, coll. Recherches en littérature et spiritualité, vol. 2, 2003.
♦ Gérard Genette, Figure II, Seuil, Paris, 1969.
♦ Roland Bourneuf, Réal Ouellet, L’univers du roman, Cérès, Tunis, 1998.
♦ Gaston Bachelard, Psychanalyse du feu, Gallimard, Saint-Amand (cher),
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♦ Gaston Bachelard, Poétique de l’espace, Paris, PUF, 1974.
♦ Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, Corti, 1942.
♦ Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1947.
♦ Nadir Marouf, directeur de l’URASC (unité de recherche en
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♦ Charles Bonn, Lecture présente de Med Dib, ENAL, Alger, 1988.
♦ Gustave Le Bon, La civilisation des arabes, éd De la Fontaine Au Roy, Paris,
1996.
♦ Cheikh Khaled Bentounès avec la collaboration de Bruno et Romana
Solt, Le soufisme cœur de l’Islam, Ed de La Table Ronde, Paris, 1996.
♦ Désert, dirigé par Edwige Lambert avec la collaboration d’Alain Laurent.
Ed, Autrement. Série Monde H.S. N°5. Paris, Novembre 1985.
♦ Magazine Match du monde, n°6, janvier-février 2006.
Ouvrages sur le conte, le mythe et la parabole :
♦ C. Carlier & N.Griton-Rotterdam, Des mythes aux mythologies, Paris,
Ellipses, 1994.
♦ Mircea Eliade, Initiation, rites, sociétés secrètes. Naissances mystiques.
Essai sur quelques types d’initiation (1959), Paris, Gallimard, « Folio
Essais », 1992.
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♦ Mircea Eliade, Aspects du mythe, éditions Gallimard, 1963.
♦ Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris,
Robert Laffont & Jupiter, 1982.
♦ Xavier Léon-Dufour, Jean Duplacy, feu Augustin George, Pierre Grelot,
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origines & le problème de l’homo religiosus, s. dir. Julien Ries, Paris,
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♦ Simone Vierne, Jules Verne et le roman initiatique. Contribution à l’étude
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♦ Jean Cazeneuve, Sociologie du rite. (Tabou, magie, sacré), Paris, PUF,
« Sup / Le sociologue », 1971.
Thèses de littérature utilisées :
♦ Laurent de Galembert, Mémoire de DEA : La grandeur du petit prince :
Approche générique.
♦ Vincent Battesti, Les relations au désert des religions monothéistes,
mémoire secondaire de DEA Sciences sociales, Université R. Descartes -
Sorbonne (Paris V), U.F.R. Sciences Sociales, Paris, septembre 1993.
Sites Internet consultés :
♦ http://www.Fabula.fr
♦ Le site officiel : http://www.saint-exupery.org
♦ http://www.interbible.org
♦ http://www.champlibre.org
132
♦ http://www.vbat.org
♦ http://fr.wikipedia.org
♦ http://www.revues.org
♦ http://www.arkologie.org