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Bol avec inscription magique Protection d’Adib bar Bardakt et de sa maisonnée Nippur (Babylonie, Iraq), iie – vesiècle ap.J.-C. Araméen (syriaque) Céramique, h.5.5cm,diam. 13.5cm FondationMartinBodmer, Cologny, Inv.51 L’intérieur de ce bol d’argile comporte un texte apotropaïque pour la protection d’Adib bar Bardakt et de sa maisonnée contre les démons. Disposé en spirale, il commence au centre pour aller vers la lèvre. La vocalisation des noms propres est très incertaine. Scellée est la maison d’Adib (Adyb) fils de Bardakt, scellée est la mai- son d’Abarqah fils de Shahdakt, scellée est la maison de Mahgushnudat fille d’Anti, scellé est Batrik fils de Mahgushnudat, scellé[e] est Shadshal fille de Mahgushnudat, scellé est Bushqodi fils de Shahdakt, scellé[e] est Shandakt fille d’Udeshakt, scellée est la maison d’Abarqah fils de Shahdakt, scellé est ce seuil en Ton nom, Seigneur, grand dieu primor- dial. Ecrasées sur toute la terre sont les malédictions des démons, des…, de toutes les idoles femelles et de toutes les déesses, de tout démon, déva, sa’ir, satan, ennemi, fils de discorde, esprit impur, esprit transpercé, esprit suspendu, esprit des tombeaux, esprit mauvais, Humarta de la mai- son, qu’ils soient écrasés d’écrasant écrasement, … par un lien [magique]. Anéantissement au nom de YHW S … le secret des septaines d’ElShaddai, Ya Ya Ya, Ah, Ah, Ah, She-She-She-She-She-She-She Ya Se-Se-Se-Se-Se- Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se, Ha-Ha-Ha-Ha-Ha- Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha, par Son nom d’entre les noms saints, Gabriel, Michael, Sahriel, Ramiel, par les septaines et le charme des septaines YHW YHW YHW Y’W Y’W Y’W Y’W Y’W Y’W Y’W prospérité et scellement pour la maison d’Adib, fils de Bardakt. Scellement pour la maison d’Abarqah, fils de Shahdakt, pour la maison de Mahgushnudat, fille d’Anti, pour le scellement des fils de la maison, pour le scelle- ment de…, fils de Mahgushnudat, pour le scellement de la maison de Shadshal, fille de Mahgushnudat, pour la maison de Bushqodi, fils de Shahdakt, … fille de … Scellée est la maison de … (à l’extérieur du bol) En Ton nom, Seigneur, grand dieu primordial (trad. Tamara Franzova) On a retrouvé un grand nombre de bols de ce type dans les ruines de la Mésopotamie ancienne. Les textes sont rédigés en divers dialectes et écritures de l’araméen, araméen babylonien, mandéen, syriaque : on pouvait avoir recours à divers scribes de différentes cultures et formations pour se protéger soi-même et sa maison. En matière de techniques apotropaïques tout au moins, les frontières entre les diverses religions (judaïsme, man- déisme, christianisme, zoroastrisme…) étaient très poreuses, car on constate de nombreux emprunts et influences réciproques. A une certaine époque ces documents étaient produits de manière presque industrielle. Rares sont ceux qui proviennent de fouilles scientifiques, si bien qu’on peine à les dater avec précision. On sait cependant qu’ils doivent remonter approximativement à l’époque sassanide ou même aux débuts de l’époque islamique (dès 651 et peut-être jusqu’au viiies.). On ignore leur mode d’utilisation exact. Les fouilles récentes de Nippur ont montré qu’ils pouvaient être placés, souvent retournés, à divers endroits du sous-sol de la maison, fréquemment dans la cour et sous les seuils des portes. Il peut arriver exceptionnellement que le scribe inscrive la destina- tion sur la surface externe du bol (par exemple « pour l’étable »). Le bol exposé ici provient lui aussi de Nippur. Il est écrit en syriaque standard dans une graphie de type dit manichéen. Les personnes mentionnées apparaissent sur des bols d’autres collections pri- vées, ce qui suggère qu’un ensemble assez riche de bols protégeant magiquement la maison d’une famille de Nippur a été dispersé dans diverses collections à travers le monde. Connu depuis longtemps, ce bol n’a fait que récemment l’objet d’une édition scientifique (Tamara Franzova). Le nom divin YHW est suivi d’une étrange concaténation de mots magiques plus ou moins dérivés des noms de dieu (Ya, Shadday…, avec une prédi- lection pour les sons sifflants) repris plusieurs fois, souvent par groupes de trois et surtout de sept (deux fois sept, trois fois sept) pour produire une formule « anti-maléfice » efficace. Antoine Cavigneaux 19 164 19.1 19.2 i

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Bol avec inscription magiqueProtection d’Adib bar Bardakt et de sa maisonnéeNippur (Babylonie, Iraq), iie – ve�siècle ap.�J.-C.Araméen (syriaque)Céramique, h.�5.5�cm,�diam. 13.5�cmFondation�Martin�Bodmer, Cologny, Inv.�51

L’intérieur de ce bol d’argile comporte un texte apotropaïque pour la protection d’Adib bar Bardakt et de sa maisonnée contre les démons. Disposé en spirale, il commence au centre pour aller vers la lèvre. La vocalisation des noms propres est très incertaine.

Scellée est la maison d’Adib (Adyb) fils de Bardakt, scellée est la mai-son d’Abarqah fils de Shahdakt, scellée est la maison de Mahgushnudat fille d’Anti, scellé est Batrik fils de Mahgushnudat, scellé[e] est Shadshal fille de Mahgushnudat, scellé est Bushqodi fils de Shahdakt, scellé[e] est Shandakt fille d’Udeshakt, scellée est la maison d’Abarqah fils de Shahdakt, scellé est ce seuil en Ton nom, Seigneur, grand dieu primor-dial. Ecrasées sur toute la terre sont les malédictions des démons, des�…, de toutes les idoles femelles et de toutes les déesses, de tout démon, déva, sa’ir, satan, ennemi, fils de discorde, esprit impur, esprit transpercé, esprit suspendu, esprit des tombeaux, esprit mauvais, Humarta de la mai-son, qu’ils soient écrasés d’écrasant écrasement, … par un lien [magique].Anéantissement au nom de YHW S … le secret des septaines d’El�Shaddai, Ya Ya Ya, Ah, Ah, Ah, She-She-She-She-She-She-She Ya Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se-Se, Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha-Ha, par Son nom d’entre les noms saints, Gabriel, Michael, Sahriel, Ramiel, par les septaines et le charme des septaines YHW YHW YHW Y’W Y’W Y’W Y’W Y’W Y’W Y’W prospérité et scellement pour la maison d’Adib, fils de Bardakt. Scellement pour la maison d’Abarqah, fils de Shahdakt, pour la maison de Mahgushnudat, fille d’Anti, pour le scellement des fils de la maison, pour le scelle-ment de�…, fils de Mahgushnudat, pour le scellement de la maison de Shadshal, fille de Mahgushnudat, pour la maison de Bushqodi, fils de Shahdakt, … fille de … Scellée est la maison de …

(à l’extérieur du bol) En Ton nom, Seigneur, grand dieu primordial(trad. Tamara Franzova)

On a retrouvé un grand nombre de bols de ce type dans les ruines de la Mésopotamie ancienne. Les textes sont rédigés en divers dialectes et écritures de l’araméen, araméen babylonien, mandéen, syriaque : on pouvait avoir recours à divers scribes de différentes cultures et formations pour se protéger soi-même et sa maison. En matière de techniques apotropaïques tout au moins, les frontières entre les diverses religions (judaïsme, man-déisme, christianisme, zoroastrisme…) étaient très poreuses, car on constate de nombreux emprunts et influences réciproques.

A une certaine époque ces documents étaient produits de manière presque industrielle. Rares sont ceux qui proviennent de fouilles scientifiques, si bien qu’on peine à les dater avec précision. On sait cependant qu’ils doivent remonter approximativement à l’époque sassanide ou même aux débuts de l’époque islamique (dès 651 et peut-être jusqu’au viiie�s.). On ignore leur mode d’utilisation exact. Les fouilles récentes de Nippur ont montré qu’ils pouvaient être placés, souvent retournés, à divers endroits du sous-sol de la maison, fréquemment dans la cour et sous les seuils des portes. Il peut arriver exceptionnellement que le scribe inscrive la destina-tion sur la surface externe du bol (par exemple « pour l’étable »). Le bol exposé ici provient lui aussi de Nippur. Il est écrit en syriaque standard dans une graphie de type dit manichéen. Les personnes mentionnées apparaissent sur des bols d’autres collections pri-vées, ce qui suggère qu’un ensemble assez riche de bols protégeant magiquement la maison d’une famille de Nippur a été dispersé dans diverses collections à travers le monde.

Connu depuis longtemps, ce bol n’a fait que récemment l’objet d’une édition scientifique (Tamara Franzova). Le nom divin YHW est suivi d’une étrange concaténation de mots magiques plus ou moins dérivés des noms de dieu (Ya, Shadday…, avec une prédi-lection pour les sons sifflants) repris plusieurs fois, souvent par groupes de trois et surtout de sept (deux fois sept, trois fois sept) pour produire une formule « anti-maléfice » efficace.

Antoine Cavigneaux

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Petrus de Ebulo (1160 – 1220)

Nomina et virtutes balneorum Puteoli et Baiarum(Les noms et les vertus des Bains de Pouzzoles et de Baïes)

Italie, 1350 – 1370LatinParchemin, 26 ff., 29.4 × 20.7 cmFondation�Martin�Bodmer, Cologny, Codex Bodmer 135

Nomina et virtutes balneorum Puteoli et Baiarum (De balneis Terre Laboris) est un guide illustré en vers consacré aux thermes des Champs Phlégréens, la zone volcanique située au nord-ouest de Naples, dont les eaux riches en minéraux étaient depuis long-temps utilisées à des fins thérapeutiques. Ecrit pour Henri�VI ou Frédéric II à la fin du xiie ou au début du xiiie�siècle par un poète de la cour, le moine Pierre d’Eboli (Petrus de Ebulo), le poème pré-sente une série d’épigrammes élégiaques illustrées qui décrivent les thermes sur la route reliant Agnano, à proximité de Naples, à l’autre versant de la Baie de Pozzuoli (Pouzzoles). Beaucoup de ces établissements étaient une survivance de l’Antiquité classique ; d’autres dataient du Moyen Age. A la différence des premiers, lieux de plaisirs interdits, les bains médiévaux étaient surtout fréquentés à des fins médicales. De balneis, la principale source d’informations sur leur valeur thérapeutique, est un témoignage important de l’intérêt pour l’investigation scientifique aux xiie et xiiie�siècles ; précurseur d’une longue tradition, ce guide constitue une source de connaissances sur les thermes en général.

Pierre d’Eboli, qui avait probablement une certaine formation médicale, a suivi l’usage de transcrire un contenu scientifique en vers didactiques, y associant parfois des légendes ou citant des thérapies plus imaginaires que réelles. Poursuivant une tra-dition épigrammatique fort ancienne, il décrit les thermes sur la base d’inscriptions locales ou sous forme d’imitations litté-raires ; il a peut-être aussi été à l’origine des illustrations qui les accompagnent. Apparemment familier des lieux, il a pu offrir un guide pratique de première main à son impérial commandi-taire. L’identité de ce dernier demeure controversée ; si certains érudits présument que Pierre d’Eboli aurait écrit le poème pour Frédéric�II, entre�1210 et 1220, des arguments de poids suggèrent une date antérieure qui désignerait Henri�VI comme son mécène (probablement en 1195 – 1196).

Plusieurs décennies séparent la composition du De balneis de sa copie la plus ancienne connue (Rome, Biblioteca�Angelica�1474, c.�1258). Au cours de cette période, le texte et les images ont subi des ajouts et des modifications du fait de leur constante utilisa-tion, de la fréquentation accrue des thermes et des variations dues à la transmission manuscrite. Le poème a souvent été copié dans les cours impériales ou les cercles de la cour d’Aragon (c.�1442 – 1496) et connut son sommet de popularité auprès de la Maison d’Anjou (c.�1265 – 1442), en raison de l’intérêt marqué qu’on y portait aux thermes. Ainsi, des copies non illustrées furent inté-grées à des traités scientifiques et à des recueils généraux, et un Index des cures (Tabula) compilé sous le nom du médecin Arnaud de Villeneuve (Arnaldus ou Raynaldus de Villanova) qui avait séjourné dans la région ; la Tabula est reproduite dans le manuscrit conservé à la Bodmeriana (f.�IVv). Des copies plus nombreuses ont également commencé à circuler. Pour répondre à la demande, les vers en latin ont été traduits en dialecte napolitain (fin xiiie – début xive�s.), en français pour le roi d’Anjou Louis II (1392), et en prose paraphrasée latine et napolitaine au xive�siècle. Cette popularité

s’est étendue au-delà de l’Italie méridionale. D’autres manuscrits ont vu le jour dans le nord du centre de l’Italie, en Allemagne et peut-être en Angleterre au xve�siècle ; des copies illustrées ont été réalisées en Espagne et en France au xvie�siècle. Par la suite, le poème et les textes qui en découlent ont constitué un ensemble de plus en plus vaste d’ouvrages portant sur les traditions balnéaires antiques de la région. Ces manuscrits sont également devenus des références pour les ouvrages scientifiques qui, dès la Renaissance, analysaient les vertus thérapeutiques des thermes et des sites sem-blables répertoriés dans le monde entier.

Vraisemblablement copié dans le scriptorium de la cour ange-vine, le Codex Bodmer 135 est la copie phare d’un groupe épo-nyme de manuscrits illustrés, le « Groupe Bodmer », même si son texte comprend des différences par rapport au modèle ; cette version fut modifiée plus tard au contact d’autres copies et com-plétée, incluant trente-cinq épigrammes au lieu des trente-deux que recelait sans doute l’ouvrage d’origine. Les manuscrits du « Groupe Bodmer » revêtent une grande importance. Remplaçant des copies plus anciennes, le texte du manuscrit Bodmer a sou-vent été repris dans des ouvrages ultérieurs. Il a donc représenté une source importante d’informations (et parfois d’erreurs) pour les commentateurs, ainsi que pour les archéologues cherchant à identifier les sites, pour la plupart disparus, décrits des siècles auparavant par Pierre d’Eboli.

De balneo quod Sudatorium dicitur, f.�2r (→�59.1)

Balneum Sudatorium est situé dans le cratère d’Agnano, qui consti-tuait autrefois un lac ; les vestiges laissent penser que le texte et les illustrations du De balneis sont en principe conformes à l’aspect du site médiéval. Le texte explique que les thermes s’appellent Sudatorium parce qu’ils apportent la guérison grâce à la seule « sueur » ; ensuite, il décrit le lac, les grenouilles et serpents qu’il abrite, mais ni animaux sauvages ni poissons. Il observe aussi que son eau, quel qu’en soit le contenant, y devient toujours chaude ; puis il répertorie des traitements de maladies (léthargie, ulcères, etc.) et termine sur un rapport de saint Grégoire indiquant que saint Paschase a été découvert ici par Germain, évêque de Capoue durant son « purgatoire » (Dialogi, VI). La miniature illustre bien le texte, même si elle y rajoute une scène d’hôpital et un serviteur accompagnant Germain ; l’illustration met en scène des oiseaux plutôt que des poissons ou des serpents. Dans des illustrations plus tardives, les oiseaux peuvent refléter une lecture erronée de colubris (serpents) au profit de columbis (pigeons, colombes). Les notes explicatives, copiées seulement en partie, sont en ordre inversé ; elles ne correspondent donc pas aux bonnes images.

De balneo quod Iuncara dicitur, f.�6r (→�p.�27)

Le Balneum Iuncare, perdu aujourd’hui, était situé dans une grotte sur le littoral compris entre Fuorigrotta et Bagnoli. Si l’on en croit la légende de l’illustration, il était abrité par des joncs, iuncus, d’où le nom de Iuncara. Le texte met en lumière les effets

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59.1�→

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←�59.1 Balneum Sudatorium, situé dans le cratère d’Agnano, qui constituait autrefois un lac ; les thermes s’appellent « Sudatorium » car apportant la guérison grâce à la seule « sueur », f.�2r.

←�6 Balneum Iuncare : thermes abrités, selon la légende, par des joncs, f.�6r (p.�27).

← illustration de couverture Subuenit Homini : thermes redonnant un élan vital aux malades ; curistes sous tente, f. 11r.

59.2 Balnea Raynery : le texte mentionne aqua frigida stagni et l’inscription de l’eau stagn[um], f.�17r.

59.3 Balneum Trituli�: l’eau thermale en mouvement et l’appropriation, peut-être, des représentations médiévales du Sauveur en Gloire pour magnifier le flot salvateur, f.�21r.

59.4 Balneum Sol et Luna Imperatoris : images traditionnelles de l’iconographie impériale, évocatrices aussi de la suspension du temps, f.�24r.

reconstituants de ces thermes pour le corps et l’esprit, insistant sur leurs vertus stimulantes pour l’activité sexuelle masculine. Dans l’illustration, alors que la légende mentionne iunci, la haie de joncs que l’on retrouve dans d’autres copies ne compte ici que quelques pousses. Les baigneurs dans la grotte ont un aspect plus ou moins quelconque ; seul un personnage au premier plan, tenant une main levée, suggère les effets toniques des bains. La partie supérieure de l’illustration montre trois tentes avec des silhouettes au repos. Elles étaient souvent installées dans les thermes à l’at-tention des baigneurs pour faciliter leur repos, qui faisait partie du processus thérapeutique. Dans la tente à l’extrémité gauche, la silhouette d’un homme en robe, assis et tenant des béquilles, pourrait signifier qu’il cherche à retrouver son ardeur sexuelle. L’inscription mare est mal placée puisqu’elle désigne la terre au lieu de la mer.

De balneo quod Subuenit homini, f.�11r (→�ill. couverture)

Le Subuenit Homini était situé dans une grotte naturelle sur la pente d’une montagne descendant vers Pozzuoli (Pouzzoles). Le texte ne donne pas de description physique mais explique la déno-mination subuenit homini d’après ses effets (« aide les malades »). Les autres vers énumèrent des traitements pour divers maux, affectant notamment les poumons, la rate, le foie, l’estomac ; ils soulignent le retour de l’appétit. Il y a aussi une touche person-nelle qui indique qu’il rafraîchit les amatores suos. Dans un pay-sage soigneusement réalisé, la section inférieure de l’illustration met en scène des baigneurs dans la grotte thermale, avec l’un d’entre eux buvant probablement de l’eau minérale directement à la source. La section supérieure montre des curistes dans des tentes, fréquentes dans ces sites, une glose est attribuée à chacun  des pavillons: à gauche, un homme et une femme conversent (une allusion aux amatores suos ?) ; à droite, une femme au repos se voit offrir de l’eau minérale par un curiste ; au milieu, une personne en train de déjeuner a retrouvé l’appétit. Cette dernière scène semble avoir été rajoutée.

De balneo quod Raynerij dicitur, f.�17r (→�59.2)

Nommé d’après son propriétaire ou ses vertus (Balnea Raynery que corpora putrida radunt), Raynerius a aujourd’hui disparu ; mais le texte et la légende de l’illustration le situent près du com-plexe Trituli/Baiae, sur la rive du fameux stagnum, près de Lucrin ; le texte mentionne l’aqua frigida stagni et l’inscription de l’eau indique stagn(um). L’illustration montre une salle thermale à côté du stagnum et des baigneurs voyageurs en dessous. Cependant, le texte et l’illustration sont idiosyncratiques. Les instructions erronées aux baigneurs, abibis (vous partirez de Trituli) au lieu de adibis (… à Trituli) sont contredites par l’indication ad tritulum ; si l’on s’en tient au texte, les baigneurs voyageurs semblent venir de Trituli et non pas s’y rendre. Dans d’autres copies, les voyageurs situés dans la section supérieure se dirigent vers Trituli avec l’ins-cription (…ad Tritulum). Apparemment, dans cette copie Bodmer, la scène a été transformée en plaçant les voyageurs en dessous, avec des instructions modifiées et certains détails ajoutés, tel le voyageur à béquilles ; mais l’inscription … ad Tritulum est restée dans la section supérieure.

De balneo quod Tritulus uocatur, f.�21r (→�59.3)

Situé dans une imposante salle thermale antique, au fond du com-plexe Trituli/Baiae, le Balneum Trituli était la station thermale la plus populaire de la région ; elle le devait à ses liens avec les mirabilia de Virgile et aux légendaires actes de vandalisme per-pétrés par des médecins salernitains jaloux. Apparemment, la station thermale aurait abrité des éléments graphiques désignant

les parties affectées du corps. Même s’il ne mentionne ni Virgile ni les inscriptions, l’épigramme de De balneis donne une descrip-tion réaliste de la station thermale et de sa décoration réputée ; elle vante la supériorité du volume d’eau quotidien qui dépasse celle, par année, du site biblique de Bethsaïda. Les illustrations mettent en évidence une salle voûtée dans un paysage de mon-tagne surplombant la mer, des visiteurs ou baigneurs potentiels approchant en bateau ; l’extension de la montagne sous la mer est un ajout fantaisiste. La décoration de la salle représente l’eau thermale, en mouvement ; un baigneur à moitié redressé est assis sur la canalisation, entouré de personnages qui désignent leurs maux. Des experts ont suggéré que ces figures ne font pas seule-ment écho au texte mais laissent supposer que le poète illustrateur a copié la décoration d’anciennes stations thermales, procédé très inhabituel au Moyen Age. Si les éléments illustrés sont destinés à accompagner les données du texte, il semble peu probable qu’ils soient le fait d’une observation directe : la scène semble provenir des représentations médiévales usuelles du Sauveur en Gloire, une image peut-être volontairement transformée pour magnifier le flot salvateur. En fait, ces figures diffèrent totalement des représen-tations que l’on trouve dans les copies plus tardives du De balneis qui reflètent la décoration ancienne retrouvée dans les thermes.

De balneo Imperatoris quod Sol et Luna dicitur, f.�24r (→�59.4)

D’après le texte, Balneum Sol et Luna Imperatoris, le Cesaris … lauacrum, l’emporte sur les autres « comme le soleil sur les étoiles ». Actuellement recouvert par une ruine, le site devrait être identi-fié par des anciens de la région puis reconstruit. Des références médiévales et son emplacement dans le poème indiquent que la station thermale se situait aux abords des sites anciens de Trituli/Baiae. Des traitements y sont répertoriés, tous concer-nant des déséquilibres traditionnellement associés à la royauté : la goutte ou les blessures de guerre. Baiae était une station impé-riale et des sources possibles du poème l’associent à Maximien. Curieusement, les thérapies ne correspondent pas ; peut-être que Pierre d’Eboli a imaginé des traitements « impériaux » pour remer-cier indirectement son mécène couronné. L’illustration fait aussi écho à d’autres copies : des thermes dans une structure en ruine sont associés au soleil, personnifié et dominant la lune, des images traditionnelles de l’iconographie impériale et aussi évocatrices de la suspension du temps. Les baigneurs ne sont pas caracté-ristiques ; l’un d’eux lève les yeux vers ces astres pour renforcer peut-être l’analogie entre les corps célestes et la station thermale de César et (ou) chercher assistance pour son rétablissement.

Jean d’Amato

59.2

59.3

59.4

236

v

92.1 L’Homme zodiacal (Homo signorum) : l’influence des signes du zodiaque sur les parties du corps humain, ou mélothésie zodiacale, f.�6v.

→�93.1 Homme zodiacal en correspondance avec les�sept�planètes : leur influence sur les parties du corps humain, ou mélothésie planétaire, f.�a�1v.

« Johannes de Ketham » (2e moitié du xve�s.)

Fasciculus medicinaeGravures sur boisVenise, Johannes & Gregorius de Gregoriis, 1500Fondation�Martin�Bodmer, Cologny, Inc.�Bodmer 147

f.�6v : Homme zodiacalPour la signification clinique, se reporter également aux notices 93 – 94Pour les renseignements ayant trait à « Johannes de Ketham », consulter la notice�205

Mélothésie zodiacaleMélothésie : influence des astres sur le corps humain

Dans la pensée des Anciens, la sphère des étoiles fixes était la limite de l’univers. C’est ainsi qu’elle était imaginée comme la « peau » de l’organisme formé par le monde, tandis que les pla-nètes, circulant entre ciel et terre, en étaient les « entrailles ». La correspondance des douze signes zodiacaux aux parties du corps humain semble remonter aux Egyp tiens. Elle s’in scrit dans une grille étendue de correspondances entre les dieux, les pays de la terre habitée et mê me les lettres de l’alphabet. Le système est assez constant : il part du Bé lier qui, chef de la série selon le calen drier ro main, gou verne le mois de mars et la tête du corps humain. Puis il descend a capite ad calcem jusqu’aux pieds, parcours commun à celui des traités médicaux de l’Antiquité :

Signe zodiacal partie du corps humain mois

Bélier la tête mars

Taureau le cou avril

Gémeaux les épaules et les bras mai

Cancer la poitrine juin

Lion les flancs juillet

Vierge le bas-ventre, la vessie août

Balance les fesses septembre

Scorpion le pubis octobre

Sagittaire les cuisses novembre

Capricorne les genoux décembre

Verseau les jambes janvier

Poissons les pieds février

Dans une combinaison heureuse, la série fait correspondre les Gémeaux aux deux bras et épaules (le bras étendu, chacun touche une épaule) et les deux Poissons aux deux pieds. En une représentation similaire, le Verseau verse quelquefois deux urnes (interprétées ailleurs comme le Tigre et l’Euphrate). Comme la Vierge était considérée déesse de la Ju stice, elle tient à la main la Ba lance, qui gouverne le centre de gravité du corps en le mainte-nant debout dans une statique droite et équilibrée. La queue du Scorpion, où est située l’étoile brillante Antarès, tou che le mem-bre viril. Le Sa git taire pose ses pattes anté rieures et postérieures sur les cuisses. Le Capricorne entoure de ses pattes antérieures le genou droit, s’enroulant à l’autre avec sa queue de poisson.

Les inscriptions des cartouches attribuent les douze signes aux douze mois et précisent qu’il ne faut pas soigner les membres gou-vernés par le signe en question. Ils sont disposés de façon que les signes impairs, dits mâles, tiennent la droite de la figure et les signes pairs, dits féminins, la gauche (exception faite du dernier signe pair, pour lequel les cartouches sont inversés). Ce systè-me était im por tant sur tout pour déterminer à quel endroit et à quel moment il fallait pro céder à la saignée (mentionnée dans l’inscription des Gémeaux). Comme l’astrologie était de ve nue à la Re naissance une science auxiliaire de la médecine, quantité d’images semblables sont con ser vées, surtout dans les ma nuscrits médicaux des bi bliothè ques d’Europe.

Wolfgang Huebner

92

92.1

290

ix

96.1 Des savants: mathématicien, géomètre, astronome. Détail de Mercure et ses enfants. Les�Sept�Planètes et leurs enfants, suite de tapisseries, d’après les gravures de Georg Pencz, 1547 – 1549, Fondation�Martin�Bodmer, Cologny, Inv.�90.

96.2 Mercure et ses enfants.

96.1

96.2

ix

Paré, Ambroise (1510 – 1590)

La maniere de traicter les playes faictes tant par hacquebutes que par les fleches ; les accidents d’icelles comme fractures ou caries des os, gangrene ou mortification : avec les pourtraicts des instruments necessaires pour leur curation. Et la methode de curer les combustions principalement par la pouldre à canonExemplaire colorié unique Paris, Veuve Jean de Brie, 1551Bibliothèque Jean Bonna, Genève

Ce traité fut composé par celui qui signe encore modestement « Maistre barbier chirurgien à Paris » en 1552, bien que protégé du Duc de Rohan ; il se présente comme un livre destiné aux apprentis et jeunes chirurgiens. Mais la dédicace au roi Henri II rappelle opportunément l’expérience acquise par ce chirurgien des armées qui, en quinze ans passés sur les champs de bataille, a vu quantité de soldats mourir sur place ou à l’Hôtel-Dieu de Paris des suites de blessures occasionnées par les arquebuses et les nouvelles armes à feu.

Si l’abandon audacieux des procédés traditionnels de cautérisa-tion ou d’huile bouillante sur les blessures lui a permis de sauver de nombreuses vies, Ambroise Paré montre un certain désarroi devant les os broyés ou éclatés par les boulets. Aussi passe-t-il en revue les différentes causes de gangrènes et de mortifications des chairs (pathologies, vérole, meurtrissures, plaies, engelures…), et les moyens éprouvés pour y remédier : régimes destinés à amélio-rer l’état général, scarifications et incisions des parties gangre-nées, pose de cataplasmes, d’emplâtres, fabrication de cautères, jusqu’au remède le plus énergique : l’amputation immédiate. Plusieurs pages décrivent le geste chirurgical —�où et comment couper ?�—, de même que les instruments nécessaires à l’opération. Le catalogue se termine par la présentation de deux prothèses articulées qu’Ambroise Paré imagina et fit réaliser par un artisan pour remplacer le membre disparu.

Est donc exposée ici une main artificielle, avec des doigts mon-tés sur ressorts, qui peuvent se replier et s’ouvrir comme s’ils étaient mus par les muscles fléchisseurs et extenseurs des doigts. La figure suivante montre une vue dorsale de la main ainsi que la façon dont l’attacher au bras et à la manche du vêtement, à l’aide de courroies. Cette main ingénieuse fut-elle utilisée ? On sait que François de la Noue (1531 – 1591), gentilhomme huguenot, blessé en 1570 au siège de Fontenay-le-Comte, dut être amputé de la main gauche et qu’il porta vraisemblablement une main articulée, faite sur le modèle présenté ici, d’où son surnom « Bras de fer ».

Néanmoins, la main de fer ou la jambe de bois ne remplacent pas encore l’action des membres amputés et semblent difficiles à utiliser. Mais leur mérite est d’avoir développé sur le plan des techniques l’intérêt pour les ressorts et les engrenages, qui pro-duiront au xviiie�siècle les merveilleux automates de Vaucanson. Si, aujourd’hui, les prothèses médicales sont techniquement par-faites, il revient à un artiste contemporain, Jacques Monestier, sculpteur d’automates, d’avoir créé une main artificielle alliant beauté des matériaux, élégance des formes, et fonctionnalité.

Jacqueline Vons

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Description de la main de fer (f.�71v)

1. Pignons servans à un chascun doigt, qui sont de la piece mesme des doigtz, adjoutez et assemblez dedans le dos de la main.

2. Broche de fer qui passe par le milieu desdictz pignons, en laquelle ils tournent.

3. Gaschettes pour tenir ferme un chascun doigt.

4. Estoqueaux ou arrestz desdictes gaschettes, au milieu desquels sont chevilles, pour arrester lesdictes gaschettes.

5. La grand gaschette pour ouvrir les quatre petites gaschettes, qui tiennent les doigtz fermez.

6. Le bouton de la queue de la grand gaschette, lequel, si l’on pousse, la main s’ouvrira.

7. Le resort qui est dessosubz la grand gaschette, servant à la faire retourner en son lieu, et tenant la main fermée.

8. Les resortz de chascun doigt, qui ramènent et font ouvrir les doigtz d’eulx mesmes, quand ils sont fermez.

9. Les lames des doigtz. (La figure suivante montre la partie extérieure de la main et le moyen de l’attacher au bras et à la manche du pourpoint).

116.1

337

xi

117.1 Arrivée d’une fille blanche et d’un malade sur un brancard�: former et soigner, deux des fonctions de l’Hôtel-Dieu, f.�1r.

117.2 Les malades de l’Hôtel-Dieu, les quatre vertus cardinales (Prudence, Tempérance, Force de l’âme, Justice) et leurs sœurs professes correspondantes, les novices et filles blanches, f.�77r.

Jehan Henry (xve�s.)

Livre de Vie Active des religieuses de l’Hôtel-Dieu de ParisDédié à « religieuse et devote seur en Jhesucrist, Perrenelle Alaine »Paris, fin xve�siècle9 enluminures, 3 lettrines-vignettesFrançaisParchemin, 33.5�×�25�cmMusée de l’Assistance publique�—�Hôpitaux de Paris, ap 572

Dans la France de la fin du xve�siècle, l’Hôtel-Dieu de Paris, créé 700 ans plus tôt, représente l’un des plus anciens emblèmes de cette chrétienté militante qui accueille et soulage la souffrance des pauvres au nom de Dieu, à partir de l’appel fourni par l’Evan-gile selon saint Matthieu (25, 34 – 40). Implanté sur le flanc de la cathédrale Notre-Dame et dans la ville, siège du pouvoir royal, son renom est grand. Mais tous ceux qui s’intéressent de près à son fonctionnement constatent surtout les dérèglements dont il est le théâtre depuis de trop nombreuses années ; au point que le chapitre de Notre-Dame décide de nommer une commission présidée par le chanoine Jehan Henry, chargée d’enquêter sur ces désordres et de réformer en profondeur le fonctionnement de l’institution.

Au sein du collège des chanoines, Jehan Henry est une per-sonnalité importante. Conseiller du roi Louis XI, président de la Chambre des enquêtes du Palais, il est en 1482 nommé pour la deuxième fois proviseur de l’Hôtel-Dieu, dès lors investi de l’auto-rité spirituelle et temporelle sur le personnel et la communauté des religieuses augustines. Jehan Henry est par ailleurs l’auteur de neuf ouvrages, dont sept connaîtront une diffusion par voie d’im-pression, au début du xvie�siècle. Parmi ceux-ci, deux s’adressent aux religieuses pour les instruire et les éclairer sur la difficile voie qu’elles ont choisie : Le Livre d’instruction pour religieuses novices et professes et Le Livre de réformation utile et profitable pour toutes religieuses. L’auteur, dont l’écriture a été qualifiée d’« ascétique et mystique », est ainsi connu et reconnu pour ses talents de guide spirituel ; c’est à partir de cette intention qu’il rédige le Livre de Vie Active.

Son projet consiste ici à reformuler, pour la réaffirmer, la visée profonde de la « maison d’ospitalité », ou maison-Dieu, d’une manière telle que ceux qui y vivent et y ont engagé leur vie se pénètrent à nouveau de la grandeur de la voie choisie. Par opposi-tion à la vie contemplative, la vie active, à laquelle se rattachent les ordres religieux hospitaliers, veut rechercher l’union à Dieu à tra-vers l’accomplissement des « œuvres de miséricorde », autrement dit le don de soi dans le service du prochain le plus éloigné : le pauvre, image du Christ. Cette interprétation chrétienne de la pauvreté, qui s’enracine dans la tradition judaïque, nourrit toute la littérature

religieuse : « Ne méprisez pas les pauvres qui gisent à terre comme s’ils ne méritaient aucun égard. Demandez-vous qui ils sont et vous découvrirez leur grandeur : ils ont revêtu le visage de notre Sauveur » (Grégoire de Nysse, ive�siècle, De l’amour des pauvres).

La force du propos de l’auteur repose sur la place donnée à l’allé-gorie et à la métaphore. Au lieu de dérouler la liste des dysfonc-tionnements ou de dresser un sombre bilan de la situation d’alors, c’est le discours de la foi qu’il déploie, inscrivant l’Hôtel-Dieu dans un étroit réseau de correspondances, expression d’une pensée symbolique : « maison d’ausmonne », l’Hôtel-Dieu est comme une « isle environnée d’eaue de larmes et de pitié qui rend ung fleuve de saine eaue de grâce ». A travers un jeu d’emboîtements qui relève de la même veine, les quatre parties dont se compose le manuscrit (« la religieuse maison d’ospitalité » ; « l’Eglise » ; « l’âme raisonnable » ; « la haulte maison Dieu triumphante, qui est le final repos ») dessinent un itinéraire spirituel dont l’Hôtel-Dieu offre à la fois le modèle et le creuset. Patiemment, subtilement, Jehan Henry retend le lien qui unit chaque dimension ou situation de la réalité matérielle, parfois triviale, à son correspondant spirituel. La haute signification de chaque geste y est ainsi réaffirmée, ten-due vers la vision du but à atteindre.

Les neuf enluminures qui parsèment le texte suivent le même projet et apportent leur propre puissance de conviction : si elles prennent appui sur des aspects concrets de l’environnement et de la vie quotidienne, dans une intention apparemment descrip-tive, elles s’en évadent aussitôt pour être réincorporées dans la dimension sublime qui leur donne sens. Signalons qu’il existe une copie tardive (fin du xvie�s.) du Livre de Vie Active, conservée à la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris, dépourvue de toute illustration.

Par la force de son discours —�le texte de Jehan Henry a été comparé à une homélie�— l’auteur a sans doute réussi à réenchan-ter le lieu, en donnant au projet qui le porte la dimension d’une épiphanie. Mais son effet aura été de courte durée et sans doute limité aux consciences les plus sensibles à cette rhétorique. La vraie réforme de l’Hôtel-Dieu attendra la publication de ses nou-veaux statuts en 1536.

Anne Nardin

117

L’Hôtel-Dieu, du corps et de l’âme, la mélancolie

117.1

117.2

338

xii

140.1 Première description de la lèpre, anciennement elephantiasis. Pline l’Ancien, Historia�naturalis�XXVI,�7 – 8.

Plinius secundus, Caius (Pline l’Ancien, 23 – 79)

Historia naturalisVenise, Johann von Speyer, 1469Fondation�Martin�Bodmer, Cologny, Inc.�Bodmer 198

Nous avons dit que la lèpre (elephantiasis) ne s’était pas montrée en Italie avant l’époque de Pompée le Grand. Cette maladie débute, elle aussi, très fréquemment à la face par l’apparition, sur le bout du nez, d’une sorte de petite lentille, puis la peau se dessèche sur le corps tout entier : elle se tache de couleurs variées, devient inégale, épaisse ici, mince là ; ailleurs dure, ou couverte d’aspérités comme dans la gale ; à la fin elle noircit et comprime la chair sur les os, tandis que les doigts se tuméfient aux pieds et aux mains. Ce mal, spécial à l’Egypte, était funeste pour le peuple lorsqu’il atteignait les rois, car aux bains par lesquels on les trai-tait, on mélangeait du sang humain. A la vérité, cette maladie s’éteignit, elle aussi, rapidement en Italie. (trad. A.�Ernout, Paris, 1957).

Ce paragraphe de Pline est l’un de nos documents sur l’appari-tion de la lèpre en Europe occidentale. Il appartient à un passage sur des maladies défigurant l’homme, nouvelles en Italie mais aussi dans l’Europe presque entière, et qui n’auraient sévi que dans Rome et ses environs.

Les médecins hippocratiques (ve – ive�s. av.�J.-C.) ne décrivent pas la lèpre. Chez eux et ensuite jusqu’aux ive – ve siècles ap.�J.-C., le mot lepra désigne diverses dermatoses écailleuses. Comme chez Pline, la lèpre est appelée en grec et en latin « la maladie de l’élé-phant » avec diverses variantes formelles (elephas, elephantiasis, elephantia…). La première attestation de ce terme, dû à la com-paraison entre la peau du lépreux et celle de l’animal, date d’un peu avant 55�av.�J.-C. (Lucrèce, De la nature�VIII,�1114). D’autres auteurs parlent de la diffusion de la lèpre. Selon Lucrèce, c’est une maladie qui naît dans le centre de l’Egypte et ne se trouve nulle part ailleurs ; Celse, à l’époque de Tibère (14 – 37), dit qu’elle est presque ignorée en Italie, mais très fréquente dans certaines régions (De la médecine, III, 25), ce qui indique peut-être une évo-lution depuis Lucrèce. Au début du iie�siècle, Plutarque, en Grèce, écrit que c’est une maladie apparue au ier�siècle av.�J.-C. (Propos de table�VIII, 9) et le médecin Rufus d’Ephèse s’étonne que les médecins anciens ne l’aient pas décrite (dans Oribase, Collection médicale�XLV, 28).

Une hypothèse sur la diffusion de la lèpre dans le monde gréco-romain eut un certain succès au xxe�siècle. Elle aurait été ramenée d’Inde par les armées d’Alexandre le Grand qui l’auraient répan-due dans l’Orient méditerranéen. De là, les armées de Pompée (106 –48 av.�J.-C.) l’auraient diffusée en Italie, à la fin des années�60, après une campagne en Asie Mineure et en Syrie. Un texte indien d’environ 600�av.�J.-C. est en effet le premier à décrire —�sans doute possible�— la lèpre ; la découverte en 2009 d’un squelette de lépreux datant de 2000�av.�J.-C. au Rajasthan confirme l’ancienneté de la maladie dans cette région. Cependant on a aussi envisagé que la lèpre soit venue d’Egypte en Italie. Selon l’interprétation que l’on donne de textes babyloniens, de papyrus médicaux égyptiens et de passages de l’Ancien Testament, la lèpre aurait peut-être été présente en Mésopotamie, Egypte et Palestine dès le iie�millénaire av.�J.-C. Elle était en tout cas présente en Egypte à l’époque hel-lénistique : on y a trouvé quatre crânes de lépreux du iie�siècle av.�J.-C. et d’après Rufus d’Ephèse, un médecin grec d’Alexan-drie (iiie�s.) l’aurait évoquée sous le nom de caco chyme. L’origine égyptienne de la lèpre en Europe sera peut-être confirmée par les travaux en cours sur le génome du bacille de Hansen (décodé en 2001). Il ne comporte que quatre variantes, correspondant à des zones géographiques, et l’hypothèse de son origine en Afrique de l’Est est actuellement mise en avant.

Comme chez Pline, la description de la maladie dans l’Antiquité correspond à la plus sévère de ses deux formes, la lèpre lépro-mateuse, qui entraîne de graves lésions de la peau, le dévelop-pement de nodules et des destructions osseuses (visibles sur les squelettes). Celse l’a décrite avant Pline, puis les médecins Arétée de Cappadoce (ier�s.) et Rufus d’Ephèse. Le passage sur les pha-raons dérive peut-être d’écrits polémiques juifs hellénistiques, où un roi égyptien contemporain de Moïse serait mort de la lèpre.

Pline, prétendant la maladie éteinte en Italie, est trop optimiste, car de là elle gagna probablement la majeure partie de l’Europe occidentale, où elle semble bien connue au ive�siècle, et se répandit surtout au Moyen Age.

Patricia Gaillard-Seux

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lèpre

140.1

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