bonjour Jeeves(the Code of the Woosters)(1938).OCR.french.ebook.alexandriZ

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P.G. WODEHOUSE

BONJOUR, JEEVES(The Code of the Woosters)

TRADUIT DE LANGLAIS PAR Josette RAOUL-DUVAL

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CHAPITRE PREMIER

Je sortis une main de dessous les couvertures et sonnai Jeeves. Bonsoir, Jeeves. Bonjour, Monsieur. Je mtonnai. Est-ce le matin ? Oui, Monsieur. En tes-vous sr ? Il me semble quil fait bien sombre dehors. Il y a du brouillard, Monsieur. Si Monsieur se rappelle, nous sommes maintenant en automne, saison des brumes et des maturations succulentes. Saison des quoi ? Des brumes et des maturations succulentes, Monsieur. Hein ? Ah ! oui, oui, je vois. Eh bien ! quoi quil en soit, prparez-moi un de vos petits cocktails reconstituants, voulezvous ? Jen ai un tout prt dans le frigidaire, Monsieur. Il sclipsa et je me redressai dans mon lit avec limpression que jallais mourir dans cinq minutes, impression dsagrable, mais que lon prouve quelquefois. Javais donn, la veille, un petit dner de clibataires au Drones en lhonneur de Gussie Fink-Nottle, avant son mariage proche avec Madeline, fille unique de Sir Watkyn Bassett C.B.E., et ce genre de choses se paie. vrai dire, juste avant lentre de Jeeves, je rvais quun individu malintentionn menfonait des clous dans le crne et non pas des clous ordinaires, comme ceux quutilisait Jal, la femme dHeber, mais des clous chauffs blanc. Il revint avec le rveille-mort. Je lavalai dun trait et, aprs avoir prouv les quelques secondes de dplaisir invitable 3

quand on ingurgite un des rveille-mort matinaux de Jeeves : sommet du crne senvolant vers le plafond, yeux jaillissant des orbites et rebondissant sur le mur oppos comme des balles de tennis, je me sentis mieux. Il serait excessif de dire que Bertram avait entirement retrouv sa forme habituelle, mais, du moins, jentrai dans la section des convalescents et me sentis en tat de faire un brin de conversation. Ah ! dis-je, rcuprant mes yeux et les remettant en place, eh bien ! Jeeves, quoi de neuf dans le vaste monde ? Est-ce le journal que vous avez l ? Non, Monsieur. Ce sont quelques pages de littrature dites par lAgence de Voyage. Je pensais que peut-tre vous pourriez prendre la peine dy jeter un coup dil. Ah ? dis-je, vous pensiez vraiment Et il y eut un silence bref mais lourd de sous-entendus. Je suppose que lorsque deux hommes de fer vivent en troite association, cela fait forcment des tincelles de temps en temps et une crise avait rcemment clat dans la maison Wooster. Jeeves essayait de membarquer dans un voyage autour du monde et je nen voulais pas. Mais, malgr mes fermes dclarations, il ne se passait gure de jour sans quil mapportt quelque exemplaire de ces prospectus illustrs que les gens qui, prchant les dparts vers les vastes espaces, envoient aux clients dans lespoir de les allcher. Toute son attitude faisait irrsistiblement penser celle dun chien courant qui sobstine ramener un rat mort sur le tapis du salon, bien quon lui ait fait comprendre du geste et de la voix que personne nest preneur. Jeeves, dis-je, il est temps de mettre un terme cette histoire assommante. Rien nest plus instructif que de voyager, Monsieur. Jen ai assez de minstruire. Jai fait mon plein il y a plusieurs annes. Non, Jeeves, je sais ce qui vous tracasse. Ce vieil instinct viking fait de nouveau surface. Vous aspirez la saveur des brises charges de sel marin. Vous vous voyez dj arpentant le pont avec une casquette marine. Peut-tre vous a-ton parl des Ballets de Bali ? Je vous comprends et vous avez toute ma sympathie. Mais pas pour moi ! Je me refuse

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tre embarqu dans un de ces transatlantiques de malheur et ballott autour du monde. Trs bien, Monsieur. Il y avait une nuance de rserve dans sa voix et je pus voir que, sans tre exactement mcontent, il tait loin dtre content ; aussi, je changeai avec tact de sujet de conversation. Eh bien ! Jeeves, la petite fte dhier soir tait des plus russies. Vraiment, Monsieur ? Tout fait russie. Nous avons pass un excellent moment. Gussie vous envoie ses amitis. Je suis flatt de cette aimable attention, Monsieur. Jimagine que lhumeur de Mr. Fink-Nottle tait bonne ? tonnamment bonne si lon considre que le temps scoule inexorablement et quil va bientt avoir Sir Watkyn Bassett pour beau-pre. Plutt lui que moi, Jeeves, plutt lui que moi ! Je parlais avec une certaine passion et je vais vous expliquer pourquoi. Quelques mois auparavant, au cours des agapes de la Grande Nuit du Yachting , jtais tomb entre les griffes de la loi pour avoir essay de sparer un agent de police de son casque et, aprs avoir dormi tant bien que mal sur une planche, javais t tran au poste de Bosher Street le lendemain matin et condamn cinq livres damende. Le magistrat qui avait prononc cette sentence inique ntait autre que le vieux Bassett, le pre de la fiance de Gussie. Je fus dailleurs un de ses derniers clients car, quinze jours plus tard, il hritait dun parent lointain et se retirait la campagne. Ce fut l du moins la version officielle. Mon ide sur le sujet tait quil avait achet cette proprit grce aux amendes. Cinq livres par-ci, cinq livres par-l, cela finit par faire une somme coquette au bout de quelques annes. Vous navez pas oubli cet homme de vengeance, Jeeves ? Un cas pnible, nest-ce pas ? Peut-tre Sir Watkyn est-il moins redoutable dans la vie prive, Monsieur ?

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Jen doute ! Prenez-le par nimporte quel bout, un suppt de Satan est toujours un suppt de Satan. Mais, assez parl de ce Bassett ! Pas de courrier ce matin ? Non, Monsieur. Pas de coup de tlphone ? Un seul, Monsieur, de Mrs. Travers. Tante Dahlia ? Elle est Londres ? Oui, Monsieur. Elle a exprim le dsir que vous lui tlphoniez ds que vous le pourriez. Je vais faire mieux, fis-je avec bonne humeur. Je vais aller la voir. Et une demi-heure plus tard, je gravissais les marches de sa maison et tais accueilli par le vieux Seppings, son matre dhtel. Je ne me doutais pas, en franchissant le seuil, que, en moins de temps quil ne faut pour le dire, jallais me trouver pris dans un imbroglio qui mettrait lpreuve le gnie Wooster comme jamais auparavant je veux parler de la sinistre affaire o se trouvrent engags Gussie Fink-Nottle, Madeline Bassett, le vieux pre Bassett, Stiffy Byng, le Rvrend H. P. ( Stinker ) Pinker, le pot crme du XVIIIe sicle et le petit carnet recouvert de cuir brun. Pourtant, aucune prmonition dun sort funeste ne vint assombrir ma srnit, tandis que jentrais chez Tante Dahlia. Jenvisageais avec grand plaisir cette entrevue avec Dahlia qui est, comme je lai peut-tre dj mentionn, ma chre et excellente tante, ne pas confondre avec Tante Agatha qui mange du verre pil et porte des fils de fer barbels en guise de chemise. Mis part le plaisir surtout intellectuel de bavarder avec elle, il y avait aussi la perspective allchante de dcrocher une invitation djeuner. Et grce lexceptionnelle virtuosit dAnatole, cuisinier franais, sa table est toujours dune qualit sduire le gourmet. La porte du petit salon tait ouverte quand jentrai dans le hall et japerus Oncle Tom absorb dans sa collection de vieille argenterie. Un instant je jouai avec lide de marrter pour bavarder un brin et menqurir de sa dyspepsie, maladie laquelle il est extrmement sujet, mais la sagesse lemporta. Cet oncle est un individu qui, en voyant un neveu, a tendance le 6

saisir par le revers de son veston et parler un peu longuement de ses chers flambeaux ; aussi, il mapparut plus sage de garder le silence. Je me faufilai donc, bouche cousue, dans le hall et fonai vers la bibliothque o Tante Dahlia, mavait-on dit, avait tabli son quartier gnral. Je trouvai la chre vieille parente plonge jusquau cou dans ses paperasses. Comme tout le monde sait, elle est la charmante et bien connue propritaire dun hebdomadaire lusage des personnes dlicates et raffines, intitul Miladys Boudoir. Cest dans ce journal que jai fait une fois paratre un article sur ce que lhomme lgant doit porter . Mon entre la fit merger la surface et elle maccueillit avec une de ces joyeuses exclamations qui, du temps o elle chassait, avaient fait delle une figure si populaire au Quorn, au Pytchley et autres organisations animes dintentions mauvaises lgard du renard britannique. Salut ! affreux, dit-elle. Quest-ce qui vous amne ? Jai cru comprendre, vnrable Tante, que vous dsiriez confrer avec moi ? Je navais pas le moindre dsir de vous voir surgir avec vos gros sabots au beau milieu de mon travail. Quelques mots au tlphone auraient fait laffaire. Mais je suppose que votre instinct secret vous a souffl que ctait aujourdhui mon jour de travail. Si vous vouliez savoir si je pourrais venir djeuner, rassurez-vous. Jaccepte avec plaisir, comme toujours. Quest-ce quAnatole va nous servir ? Il ne vous servira rien du tout, cher petit pique-assiette. Jai invit Pomona Grindle, la romancire, djeuner. Je serai enchant de faire sa connaissance. Eh bien ! vous ne ferez pas sa connaissance. Cest un djeuner strictement en tte tte. Je voudrais obtenir un feuilleton pour le Boudoir. Non, je voulais simplement vous dire daller faire un tour chez lantiquaire de Brompton Road, ct de lOratoire, et de renifler avec dgot devant un pot crme. Je ne saisis pas le sens gnral de ses propos. Ma premire impression fut que la chre Tante perdait le fil de ses ides. Faire quoi devant quoi ? 7

Ils ont un pot crme du XVIIIe sicle que Tom doit acheter cet aprs-midi. Les cailles me tombrent des yeux. Ah ! cest un truc en argent ? Oui. Allez-y, demandez-leur de vous le montrer et faites le dgot. Dans quel but ? branler leur confiance, bien sr, grand nigaud ! Faire natre dans leur esprit des doutes et des hsitations, et les amener baisser leur prix. Il sera dautant plus content quil laura pour moins cher. Et je veux quil soit dhumeur joyeuse parce que, si je russis convaincre Grindle pour ce romanfeuilleton, je me verrai dans lobligation de le taper dune somme assez rondelette. Ce que ces romancires la mode peuvent exiger pour leur prose est scandaleux ! Aussi, faites un saut l-bas sans plus tarder et creusez-vous un peu la tte pour trouver quelque chose. Je suis toujours dsireux de rendre service aux tantes qui le mritent, mais je fus oblig dopposer ce que Jeeves aurait appel un nolle prosequi. Ces mixtures matinales de sa composition ont un effet presque magique, mais, mme aprs en avoir us, on ne se sent pas encore en tat de se creuser la tte. Je ne peux pas me creuser la tte. Pas aujourdhui ! Elle mexamina en soulevant le sourcil droit dun air de blme. Ah ! vous en tes l ? Eh bien ! si vos rpugnants excs vous ont mis dans lincapacit de vous creuser la tte, vous pouvez tout au moins ouvrir la bouche. Oh ! bien sr. Alors, allez-y ! Vous respirez profondment et vous mettez un petit claquement de langue dsapprobateur. Ah ! oui, ditesleur que vous croyez que cest du hollandais moderne. Pourquoi ? Je ne sais pas. Apparemment, cest une chose quun pot crme ne devrait pas tre.

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Elle sarrta et laissa son regard errer pensivement sur mon visage qui avait, peut-tre, une apparence quelque peu cadavrique. Ainsi, mon agneau, vous avez encore couru les lieux de dbauche la nuit dernire ? Cest une chose extraordinaire ; chaque fois que je vous vois, vous tes en train de vous remettre de quelque orgie nocturne. Il ne vous arrive jamais de cesser de boire ? Comment faites-vous quand vous dormez ? Je rfutai laccusation. Vous vous trompez, chre parente, car, sauf dans des cas de rjouissances exceptionnelles, je suis, en ce qui concerne la boisson, dune remarquable modration. Un ou deux cocktails, un verre de vin aux repas et peut-tre une liqueur avec le caf, voil Bertram Wooster. Mais la nuit dernire jai donn un petit dner de clibataires en lhonneur de Gussie Fink-Nottle. Vraiment ! Elle se mit rire un peu plus fort que je ne leusse souhait, tant donn mon fragile tat de sant, mais, hlas ! cest une femme qui a tendance faire tomber le pltre du plafond quand elle est amuse. Spink-Bottle, hein ? Dieu le bnisse ! Comment tait ce cher amateur de tritons ? Espigle, trs espigle ! Est-ce quil a fait un discours la fin de ces ripailles ? Oui. Jtais sidr. Je mattendais un refus catgorique, mais non. Nous avons bu sa sant et il sest lev aussitt, frais comme un concombre, comme dirait Anatole, et nous a littralement tenus sous le charme. Il tait noir comme du cirage, je suppose ? Au contraire ; dune sobrit choquante. Eh bien ! cest une heureuse transformation. Nous tombmes dans un silence lourd de penses. Nous songions cet aprs-midi dt chez Tante Dahlia, dans le Worcestershire, o Gussie stant trouv par le hasard des circonstances imbib dalcool jusquaux dents du fond, avait prononc un discours devant les jeunes coliers de Market Snodsbury loccasion de la distribution des prix1.

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Cf. a va, Jeeves ? (N.d.T.) 9

Une chose que je ne sais jamais, quand je commence raconter une histoire propos dun individu dont jai dj parl, cest combien dexplications je dois fournir au dpart. Cest l un problme quil faut examiner sous tous ses angles. Par exemple, dans le cas prsent, si je pose en postulat que mes lecteurs savent tout de Gussie Fink-Nottle et que je me lance dans mon histoire de but en blanc, ceux qui ne sont pas au courant de la premire histoire seront perdus dans le brouillard. Par ailleurs, si, avant de me lancer, je dtaille la vie de mon bonhomme en huit volumes, ceux qui taient dj au courant billeront et grommelleront que cest une vieille histoire et quils aimeraient bien passer autre chose. Je suppose que la seule solution est de rsumer les faits aussi brivement que possible lintention du premier groupe, tout en agitant une main conciliante vers le second groupe pour les prier de laisser vagabonder leur esprit pendant une minute ou deux, le temps que je revienne eux. Donc, ce Gussie tait un ami qui, atteignant lge dhomme, stait enterr la campagne et entirement consacr ltude des tritons, levant ces aimables animaux dans un vaste aquarium et observant leurs murs dun il vigilant. Un anachorte endurci , auriez-vous dit, si vous aviez connu ce mot, et vous auriez eu raison ! Daprs toutes les rgles classiques, il et t impossible de trouver un individu moins fait pour les dclarations tendrement murmures dans de dlicates oreilles, lachat conscutif dune bague et la publication des bans. Mais lAmour trouve toujours sa voie. Rencontrant un jour Madeline Bassett et tombant amoureux avec pertes et fracas, il avait merg de sa retraite, entrepris sa cour, russi aprs de nombreuses vicissitudes pingler lobjet aim et, maintenant, le moment tait proche o il revtirait le pantalon ray, mettrait le gardnia sa boutonnire et descendrait les marches de lglise ct de ce flau de fille. Si je la traite de flau, cest quelle tait un flau. Les Wooster sont chevaleresques, mais ils ont leur franc-parler. Ctait un spcimen de sentimentalit fade leau de rose, avec des yeux fondants, une voix roucoulante et les points de vue les plus extraordinaires, notamment sur les toiles et les lapins. 10

Je me souviens quelle mavait dit une fois que les lapins taient les pages de la reine des fes et que les toiles taient la guirlande de pquerettes du bon Dieu. Parfaitement absurde, bien sr ! Cest compltement faux ! Tante Dahlia mit un gloussement bas et prolong, car le discours de Gussie Market Snodsbury a toujours t un de ses meilleurs souvenirs. Cher vieux Spink-Bottle ! O est-il maintenant ? En sjour chez le pre Bassett Totleigh Towers Totleighin-the-Wold, Glos. Il y est parti ce matin. Ils se marient lglise du village. Est-ce que vous y allez ? Non, certes. Non. Je suppose que ce serait une preuve trop douloureuse pour vous qui tes amoureux de cette fille. Je sursautai. Amoureux ? Dune crature qui croit que chaque fois quune fe se mouche un bb fait son apparition ! Eh bien ! vous avez pourtant t fiancs pendant quelque temps ? Pendant cinq minutes, oui, et malgr moi ! Ma chre vieille Tante, dis-je dun ton piqu, vous tes parfaitement au courant des dtails secrets de cette horrible histoire. Je frissonnai car cest l, dans ma carrire, un incident sur lequel je naime pas mattarder. Voil en bref ce qui stait pass. Sa rsistance nerveuse ayant souffert dun contact prolong avec les tritons, Gussie navait pas trouv le courage de plaider sa cause auprs de Madeline et mavait demand de le faire pour lui. Et quand je mtais excut, cette jeune imbcile avait cru que je parlais pour moi. Aussi, aprs la fcheuse dmonstration de Gussie la distribution des prix, elle lui avait rendu sa parole, stait retourne vers moi et je navais pas eu dautre solution que dencaisser le coup. Quand une fille sest mis dans la tte quun garon laime, que peut faire ce garon quand elle vient lui dire quelle a renvoy son fianc chez sa mre et quelle est maintenant prte lpouser ? Dieu soit lou ! la situation avait t sauve la dernire minute par une rconciliation entre les deux lascars, mais le seul souvenir du 11

danger auquel javais chapp suffisait me faire frissonner. Je ne me sentirais vraiment en scurit que lorsque le prtre aurait dit : Acceptez-vous, Augustus ? et que Gussie aurait rpondu dans un souffle : Oui. Eh bien ! si cela peut vous intresser, dit Tante Dahlia, je nai pas non plus lintention daller ce mariage. Je nai aucune sympathie pour Sir Watkyn Bassett et je crois quil ne faut pas lencourager. Cest une peste comme on en fait peu. Vous connaissez donc ce vieux crabe ? fis-je, plutt surpris, bien que cela confirmt ce que je dis souvent, savoir que le monde est petit. Oui, je le connais. Cest un ami de Tom. Ils font tous deux collection de vieille argenterie et passent leur temps se guetter frocement. Nous lavons eu en sjour Brinkley, le mois dernier. Et savez-vous comment il ma remercie des petits soins dont je lai entour pendant quil tait mon invit ? En essayant de me chiper Anatole derrire mon dos ! Non ? Si ! Heureusement, Anatole sest montr inbranlable aprs que jeus doubl ses gages. Doublez-les encore, dis-je avec anxit ; narrtez pas de les doubler. Rpandez une pluie dargent plutt que de perdre ce matre s sauces et rtis. Javais reu un coup. La pense quAnatole, cet inestimable matre queux, avait pu tre deux doigts de cesser son service Brinkley Court, o je pouvais toujours apprcier son gnie en minvitant pour un petit sjour, pour aller servir sous les ordres du vieux Bassett, la dernire personne au monde susceptible de mettre un couvert pour Bertram, mavait profondment remu. Oui, dit Tante Dahlia, une lueur incendiaire passant dans son regard tandis quelle repensait cette affreuse histoire, voil ce quest Sir Watkyn Bassett : une espce de faux jeton qui fait ses coups par-derrire. Vous feriez bien de prvenir SpinkBottle quil garde lil ouvert le jour de la noce. La moindre distraction et le vieux bandit disparatra dans la sacristie avec son pingle de cravate. Et maintenant, dit-elle, tendant la main vers ce qui semblait tre un docte essai sur les soins donner aux bbs, maintenant, filez. Jai au moins six tonnes 12

dpreuves corriger. Oh ! donnez ceci Jeeves quand vous le verrez. Cest larticle du Coin des Maris. Il y a toute une polmique au sujet des galons sur les pantalons de crmonie et jaimerais quil y jette un coup dil. Je me demande si ce nest pas de la propagande rouge. Et je peux compter sur vous pour ne pas saboter cette affaire ? Rptez vous-mme ce que vous tes cens faire. Aller chez lantiquaire ! Dans Brompton Road. Oui, comme vous dites, dans Brompton Road. Demander voir le pot crme Et renifler avec dgot. Parfait, filez, la porte est derrire vous ! Cest dun cur lger que je sortis dans la rue et hlai un taxi. Beaucoup dhommes, jen suis sr, auraient prouv un lger ressentiment voir ainsi leur matine coupe, mais jprouvais seulement un sentiment de plaisir lide quil tait en mon pouvoir de rendre ce petit service. Comme je dis souvent, grattez un peu Bertram Wooster et vous trouverez un vrai boyscout. Le magasin dantiquits de Brompton Road savra tre, comme prvu, un magasin dantiquits dans Brompton Road et, comme tous les magasins dantiquits, lexception de ceux qui se trouvent aux alentours de Bond Street, il avait une vitrine crasseuse, tait sombre et sentait mauvais. Je ne sais pourquoi les propritaires de ce genre dtablissements semblent toujours tre en train de faire cuire quelque ragot dans larrireboutique. Pouvez-vous, dis-je en entrant, et je marrtai en constatant que la vendeuse soccupait de deux autres clients. Je mapprtais dire : Oh ! pardon , pour expliquer que je ne les avais pas vus, quand les mots se glacrent sur mes lvres. Une trane de brouillard tait entre dans le magasin ma suite, obscurcissant tout, mais malgr cela je pus constater que le plus petit et le plus g de ces clients ne mtait pas inconnu. Ctait le vieux Bassett en personne. Lui-mme ! Pas une vision.

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Il y a chez les Wooster une fermet de caractre, une volont opinitre, qui ont souvent provoqu des commentaires. Cette fermet se manifesta aussitt. Sans nul doute un homme plus faible et regagn la porte sur la pointe des pieds et disparu lhorizon, mais je restai rsolument l o jtais. Aprs tout, me disais-je, le pass est le pass. En lchant ces cinq livres javais pay ma dette envers la socit et navais plus rien craindre de ce petit rsidu face de crevette. Aussi restai-je l, me contentant de lexaminer la drobe. Quand jtais entr il stait retourn et mavait jet un rapide coup dil et, depuis, il me regardait de temps en temps avec attention. Je sentais bien quil suffirait de quelques minutes pour que vibre la corde secrte de sa mmoire et quil se rende compte que cette mince silhouette distingue, appuye sur son parapluie larrire-plan, tait une figure de connaissance. Puis, il fut vident quil avait trouv. Lantiquaire avait disparu dans larrire-boutique et il se dirigea vers moi, mexaminant de la tte aux pieds travers ses lorgnons. Hello ! Hello ! dit-il. Je vous connais, jeune homme. Je noublie jamais un visage. Vous avez comparu devant moi une fois ? Je minclinai lgrement. Mais pas deux fois. Bien ! on a compris la leon, hein ? On marche droit, maintenant ? Parfait, parfait ! Maintenant, attendez. De quoi sagissait-il ? Ne me le dites pas. Cela me revient. Ah ! oui, bien sr ! Vol de bagages Non, non Ctait Vol de bagages ! rptait-il fermement. Je me rappelle fort bien. Mais maintenant tout cela est mort et enterr, nest-ce pas ? On a tourn une nouvelle page, nest-ce pas ? Excellent. Roderick, venez par ici, cest trs intressant ! Son acolyte, qui examinait un plateau, le posa et nous rejoignit. Ctait, comme javais dj pu le remarquer, un individu dun gabarit vous couper le souffle. Environ sept pieds de haut, drap dans un manteau cossais qui fixait lattention vingt mtres, il attirait le regard et le gardait. On avait limpression

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que la Nature avait eu lintention de faire un gorille et avait chang davis au dernier moment. Mais ce ntait pas seulement la taille inhabituelle de cet individu qui impressionnait. Vu de prs, ce que lon remarquait le plus, ctait son visage qui tait carr, puissant, avec une lgre moustache vers le centre. Son regard tait aigu et perant. Je ne sais pas si vous avez jamais vu dans les journaux ces photographies de dictateurs avec le menton prominent, les yeux lanant des flammes, lectrisant les populations avec des paroles brlantes loccasion de linauguration dun nouveau terrain de jeu de quilles, eh bien ! cest exactement ce quil me rappelait. Roderick, dit le vieux Bassett, je veux vous prsenter ce garon. Cest un cas qui illustre exactement ce que jai si souvent affirm : que la prison ne dgrade pas, quelle ne pervertit pas le caractre et nempche pas un homme de se servir de son pass mort comme dun marchepied vers une vie plus digne. Je reconnus le gag cest un gag de Jeeves et je me demandai o il pouvait bien lavoir entendu. Voyez ce garon ! Je lai condamn trois mois de prison, il ny a pas bien longtemps, pour vol de bagages dans les gares et il est tout fait vident que ce trimestre pass en prison a eu sur lui le meilleur effet. Il sest rform. Ah oui ? fit le dictateur. Bien quil net pas exactement dit ah ouais ? , sa faon de parler ne me plut pas. Il mexaminait avec une expression souponneuse dsagrable. Je me rappelle avoir pens quil tait lhomme idal pour renifler avec dgot devant un pot crme. Quest-ce qui vous fait penser quil sest rform ? Cest vident ; regardez-le ! Poli, bien habill, il se prsente comme un membre honorable de la socit. Ce quil fait actuellement dans lexistence, je nen sais rien, mais il est bien clair quil ne vole plus les bagages. Que faites-vous maintenant, jeune homme ? Apparemment, il vole les parapluies, fit le dictateur. Je constate quil a le vtre la main.

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Et je mapprtais rfuter avec indignation cette accusation, jouvrais dj la bouche, quand tout coup lide quil y avait du vrai l-dedans me frappa comme un coup de chaussette remplie de sable humide sur les gencives. Car je me souvenais maintenant dtre arriv sans parapluie, et pourtant jtais l, sans erreur possible, fermement appuy sur un parapluie. Je ne saurais dire ce qui mavait pouss memparer de celui-l, qui tait pos contre une chaise du XVIIe sicle ; sans doute tait-ce cet instinct fondamental qui pousse un homme sans parapluie prendre le premier qui soffre sa vue, comme une fleur sorientant vers le soleil. Quelques mots dexcuse dignes et fermes simposaient. Je les articulai pendant que linstrument contondant changeait de main. Je suis absolument dsol Le vieux Bassett rpondit que lui aussi ltait dsol et dsappoint. Il dit que ctait ce genre de choses qui atteignait un homme au cur. Le dictateur crut bon dintervenir. Il demanda sil devait appeler un agent et les yeux du vieux Bassett brillrent pendant quelques secondes. La fonction de magistrat vous fait aimer lide dappeler les agents. Cest comme un tigre humant lodeur du sang. Mais il secoua la tte. Non, Roderick, je ne pourrais pas. Pas aujourdhui qui est le plus beau jour de ma vie ! Le dictateur fit la moue, comme sil trouvait que cela nempchait rien. Mais, coutez, fis-je dune voix chevrotante. Ctait une erreur. Ah ! fit le dictateur. Je croyais que ce parapluie tait le mien. Voil, fit le vieux Bassett, o se trouve le problme fondamental avec vous, mon garon. Vous tes totalement incapable de distinguer entre le tien et le mien . Eh bien ! je ne vais pas vous faire arrter cette fois, mais je vous avertis : faites trs attention ! Venez, Roderick Ils sortirent et le dictateur sarrta sur le seuil pour me jeter un autre coup dil et dire : Ah ! 16

Tout ceci tait une exprience nerveuse extnuante pour un homme sensible, comme vous pouvez limaginer, et ma raction premire fut denvoyer au diable la commission de Tante Dahlia, de rentrer chez moi et dingurgiter un autre des remontants de Jeeves. Vous savez combien les livres aspirent la fracheur des ruisseaux, aprs la poursuite. Jtais exactement dans cet tat. Je comprenais maintenant quel acte dmentiel javais accompli en sortant dans les rues de Londres avec un seul cocktail pour tout viatique et je mapprtais retourner la fontaine, quand le propritaire du magasin mergea de larrireboutique, accompagn dune riche odeur de ragot et dun chat jaune, et me demanda ce quil pouvait faire pour moi. Et, puisque le sujet tait mis sur le tapis, je dis que javais cru comprendre quil avait un pot crme du XVIIIe sicle vendre. Il secoua la tte. Ctait un curieux oiseau, un peu mang aux mites, avec un air sombre et un visage presque entirement cach derrire une cascade de moustaches blanches. Vous arrivez trop tard. Il est promis un client. Du nom de Travers ? Ouais ! Alors, cest parfait ! Apprenez, homme dapparence respectable et de sentiments courtois, dis-je, car on aime tre poli, apprenez que ce Travers est mon oncle. Il ma dlgu ici pour examiner lobjet. Aussi, extirpez-le, voulez-vous ? Je prsume quil ne vaut rien. Cest une trs belle pice ! Ah ! dis-je, empruntant un peu des manires du dictateur. Cest ce que vous croyez ? Nous allons voir. Je nai aucune honte avouer que je nai pour le vieil argent quun enthousiasme modr et bien que je naie jamais voulu faire de peine Oncle Tom en le lui disant, je trouve que sa passion est lindice dune perversion baroque quil ferait bien de surveiller et de rprimer avant quil ne soit trop tard. Aussi ne mattendais-je pas avoir des battements de cur la vue de cette uvre dart. Mais, quand le vieux moustachu sortit de lombre avec lobjet, je ne sus plus sil valait mieux rire ou pleurer. La pense que mon oncle dpensait tant dargent pour une pareille chose matteignit droit au cur. 17

Ctait une vache en argent. Mais quand je dis vache , nallez pas penser quelquun de ces respectables ruminants que vous pouvez voir, broutant lherbe du pr voisin. Non, ctait une sorte danimal sinistre, peu recommandable, sorti visiblement des bas-fonds. Il avait environ quatre pouces de haut et six pouces de long. Son dos souvrait en une sorte de couvercle charnire. Sa queue tait recourbe de telle faon que le bout venait rejoindre le milieu du dos, formant ainsi une sorte danse par o lamateur de crme pouvait lempoigner. La simple vue de cet objet me transporta dans un monde de cauchemar. Ce fut donc pour moi une tche aise de me conformer aux directives de Tante Dahlia. Dun mouvement spontan je fis la moue et mis un petit claquement de langue. Je respirai aussi bruyamment. Bref, je produisis sans peine leffet dun homme totalement dpourvu de sympathie pour ce pot crme en forme de vache et je vis mon bonhomme sursauter comme sil venait dtre atteint en un point sensible. Oh ! ta, ta, ta, ta, dis-je. Oh ! la, la, la, la ! Oh ! non, non, non ! Je ne pense pas grand bien de cet objet, dis-je avec une moue ddaigneuse. Cest du faux. Du faux ? Du faux. Du hollandais moderne ! Du hollandais moderne ? Je ne me rappelle plus si lcume lui vint aux lvres ou non, mais de toute vidence il fut plong dans un tat dextrme agitation. Que voulez-vous dire ? du hollandais moderne ? Cest une pice anglaise du XVIIIe sicle. Regardez le poinon ! Je ne vois pas de poinon ! tes-vous aveugle ? Regardez-le dehors : dans la rue, il fait plus clair. Daccord, fis-je, et je me dirigeai tout dabord vers la porte du pas nonchalant et ennuy du connaisseur qui estime quil perd son temps. Je dis tout dabord parce que javais juste fait deux pas quand je marchai sur le chat, et marcher sur les chats est incompatible avec une dmarche nonchalante et ennuye. Dun 18

seul bond, je franchis la porte lallure acclre dun homme poursuivi par la police qui fonce vers sa voiture aprs un coup de main. Le pot crme schappa de mes mains et si je navais pas eu la chance de me cogner contre un concitoyen, jaurais certainement atterri en vol plan. Nanmoins, ce ne fut pas exactement une chance, car le concitoyen ntait autre que Sir Watkyn Bassett. Il resta l me fixer derrire son pince-nez dun il exorbit dhorreur et dindignation et lon et presque pu le voir compter sur ses doigts : primo, vol de bagages ; secundo, vol de parapluie, tertio cela. Toute son attitude tait celle dun homme qui trouve que cest un comble. Appelez un agent, Roderick ! scria-t-il avec frnsie. Le dictateur ne fit quun bond. Police ! hurla-t-il. Police ! cria le vieux Bassett dune voix de tte. Police ! rugit le dictateur, une octave plus bas. Et une seconde plus tard, une silhouette massive mergeait du brouillard en disant : Que se passe-t-il ? Eh bien ! jaffirme que jaurais pu expliquer tout de cette affaire, mais je navais aucune envie de rester et dentrer dans les dtails. Sautant agilement de ct, je pris mes jambes mon cou et filai comme le vent. Une voix cria : Arrtez ! , mais, naturellement, je nen fis rien. Absurde suggestion, il faut bien le dire. Je me faufilai dans les petites rues et, en fin de compte, me retrouvai du ct de Sloane Square. L, je pris un taxi et me dirigeai vers des lieux civiliss. Mon intention premire tait daller djeuner au Drones, mais je maperus rapidement que je ntais pas la hauteur. Plus que tout autre japprcie le Drones Club les conversations tincelantes, la camaraderie, cette atmosphre charge de ce quil y a de mieux et de plus brillant dans la mtropole. Mais je savais quil y aurait l un certain nombre de boulettes de pain changes de table table et je ntais pas en tat daffronter les boulettes de pain. Changeant mes plans en une seconde, je dis au chauffeur de me conduire au bain turc le plus proche. Jai lhabitude de mattarder longtemps dans les bains turcs et il tait donc assez tard quand je rentrai chez moi. Javais fait un 19

petit somme de deux ou trois heures dans ma cabine et ceci, joint leffet bnfique dun bain de vapeur suivi dun plongeon dans la piscine glace, avait ramen le rose mes joues. la vrit, cest avec un gai tralala sur les lvres que jintroduisis la cl dans la serrure et me dirigeai vers la salle manger. Une seconde plus tard, mon allgresse tait arrte net par la vue dune pile de tlgrammes sur la table.

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CHAPITRE II

Je ne sais pas si vous tes de ceux qui ont suivi le rcit de mes prcdentes aventures avec Gussie Fink-Nottle peut-tre nen avez-vous rien su mais si oui, vous vous rappelez que cette sombre histoire avait dbut par un vritable raz de mare de tlgrammes et vous ne serez pas surpris dapprendre que je regardai cet amas denveloppes dun il mfiant. Depuis cette poque, les tlgrammes, solitaires ou en groupes, mont toujours sembl tre le signe avant-coureur de catastrophes. premire vue, javais eu limpression quil y avait au moins une vingtaine de ces satans trucs, mais un examen plus srieux en rvla trois seulement. Tous avaient t posts Totleigh-inthe-Wold et tous portaient la mme signature. Ils disaient, dans lordre : Le premier : WOOSTER, Berkeley Mansions, Berkeley Square, London. Venez immdiatement. Srieux accrochage Madeline et moi. Rpondez. GUSSIE. Le second : Surpris navoir aucune rponse tlgramme disant venir immdiatement. Srieux accrochage Madeline et moi. Rpondez. GUSSIE. Et le troisime : Bertie, pourquoi ne rpondez-vous pas mes tlgrammes ? En ai envoy deux aujourdhui disant venir immdiatement. Srieux accrochage Madeline et moi. Si vous ne venez pas le plus tt possible prt toutes tentatives en vue rconciliation, le mariage sera rompu. Rpondez. GUSSIE. 21

Jai dit que ce sjour au bain turc avait fait beaucoup pour rtablir le mens sana in corpore idem, mais la lecture de ces inquitantes communications provoqua une rechute immdiate. Mes craintes taient bien fondes. la vue de ces sacres enveloppes, quelque chose mavait souffl loreille quon tait nouveau dans le ptrin et on y tait, bel et bien ! Le bruit de pas familier avait fait sortir Jeeves des cuisines. Un coup dil suffit pour quil comprt que son employeur ntait pas dans son assiette. tes-vous malade, Monsieur ? senquit-il avec sollicitude. Je mcroulai dans un fauteuil et passai une main fbrile sur mon front. Pas malade, Jeeves, mais boulevers. Lisez ceci ! Il parcourut le dossier, puis leva les yeux et je pus lire dans son regard la respectueuse inquitude quil prouvait pour la tranquillit du jeune seigneur. Trs ennuyeux, Monsieur ! Sa voix tait grave. Je pus constater que lampleur du problme ne lui chappait pas. La sinistre porte de ces tlgrammes tait aussi claire pour lui que pour moi. Bien entendu, nous ne nous entretenons jamais de cette affaire car cela nous amnerait parler en termes irrespectueux dune femme, mais Jeeves est au courant de tout ce qui se rapporte la confuse histoire Bassett-Wooster et parfaitement averti du danger qui nous menace de ce ct. Il ntait pas ncessaire de lui expliquer pourquoi jallumais fivreusement une cigarette et prouvais quelque difficult ramener ma mchoire infrieure sa position normale. Que sest-il pass votre avis, Jeeves ? Il est difficile de hasarder une hypothse, Monsieur. Il dit que le mariage risque dtre rompu. Pourquoi ? Cest ce que je me demande. Oui, Monsieur. Et je suis sr que cest aussi ce que vous vous demandez ? Oui, Monsieur. En plein dans le brouillard, Jeeves ! En plein, Monsieur ! 22

La seule chose que lon puisse avancer avec quelque certitude, cest que, dune manire ou dune autre nous serons fixs par la suite Gussie a de nouveau fait lidiot. Je rvai un moment au cas dAugustus Fink-Nottle, me rappelant comment il stait toujours distingu par son esprit obtus. lcole, o jtais avec lui, il tait connu sous le nom de Tte-de-Bois, et ceci en concurrence avec des copains comme Bingo Little, Freddie Widgeon et moi-mme. Que dois-je faire, Jeeves ? Je crois que le mieux serait daller Totleigh Towers, Monsieur. Mais comment le pourrais-je ? Le vieux Bassett me jettera dehors la minute mme de mon arrive. Peut-tre, Monsieur, si vous tlgraphiiez Mr. FinkNottle pour lui exposer vos difficults, peut-tre trouverait-il une solution. Voil qui paraissait sage. Jallai en toute hte la poste et expdiai le tlgramme suivant : FINK-NOTTLE, Totleigh Towers, Totleigh-in-the-Wold. Oui, tout cela est bel et bien. Vous dites de venir immdiatement, mais comment diable le pourrais-je ? Vous ignorez les relations entre Pop Bassett et moi. Elles ne sont pas de nature lui faire apprcier une visite de Bertram. Il pousserait srement des cris et lcherait ses chiens. Inutile de suggrer que je mette des fausses moustaches et prtende tre le plombier, car le vieux dmon a la mmoire des visages et me dmasquerait immdiatement. Que faut-il faire ? Que sest-il pass ? Pourquoi srieux accrochage ? Quel srieux accrochage ? Que voulez-vous dire, mariage rompu ? Pourquoi diable ? Quavez-vous fait Madeline ? Rpondez. BERTIE. La rponse me parvint au cours du dner : WOOSTER, Berkeley Mansions, Berkeley Square, London. Vois la difficult mais pense pouvoir la rsoudre. Malgr relations tendues, parle encore Madeline. Lui dis avoir reu

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lettre urgente de vous demandant lautorisation de venir. Recevrez invitation dun moment lautre. GUSSIE. Et le lendemain matin, aprs une nuit passe me retourner sur loreiller, je reus un paquet de trois tlgrammes. Le premier disait : Question rsolue. Invitation expdie. Quand vous viendrez, veuillez apporter le livre intitul Mes amis les tritons, par Loretta Peabody, Popgood et Grooly, diteurs. GUSSIE. Le second : Bertie, cher vieux crtin, japprends que vous venez. Suis ravie, car jai un important service vous demander. STIFFY. Le troisime : Je vous prie, venez si vous le dsirez, mais, Bertie ! est-ce bien sage ? Est-ce que de me voir ne vous causera pas une peine inutile ? Srement, cest retourner le couteau dans la plaie. MADELINE. Pendant que je lisais ces missives, Jeeves mapporta mon th et je les lui tendis en silence. Il les lut de mme. Jeus le temps davaler deux gorges bouillantes et de reprendre quelques forces avant quil nouvrt la bouche. Je crois quil faudrait que nous partions tout de suite, Monsieur. Je le crois aussi. Je vais faire immdiatement les bagages. Voulez-vous que jappelle Mrs. Travers au tlphone ? Pourquoi ? Elle a dj tlphon plusieurs fois ce matin. Ah ? Alors il vaudrait peut-tre mieux lappeler. Je crois que ce nest plus ncessaire, Monsieur, car voil sans doute Mrs. Travers. Une sonnerie imprative et prolonge provenait de la porte dentre, comme si une tante avait pos son pouce sur le bouton et lavait laiss l. Jeeves sortit et, une seconde plus tard, il 24

apparut que son intuition ne lavait pas tromp. Une voix sonore retentit dans lappartement cette voix qui, lorsquelle signalait la prsence dun renard dans les environs, faisait bondir sur leur selle les membres du Quorn et du Pytchley. Ce jeune crtin nest pas encore rveill, Jeeves ? Ah ! vous voil ! Tante Dahlia franchit en trombe le seuil de la porte. En tout temps et en toute circonstance, cette chre parente arbore un visage lgrement pourpre complexion due la pratique de la chasse au renard mais on pouvait alors noter une nuance mauve un peu plus fonce que dhabitude. La respiration sortait par saccades et les yeux brillaient dun clat sinistre. Un homme moins intuitif que Bertram Wooster et nanmoins pu deviner quil avait devant lui une tante contrarie. De toute vidence, la nouvelle quelle brlait de mapprendre bouillonnait dans son sein, mais elle la mit momentanment de ct afin de me reprocher dtre encore au lit une heure pareille, me vautrant, dit-elle, dans une torpeur rpugnante. Je ne me vautre pas dans une torpeur rpugnante, rectifiaije. Je suis rveill depuis un moment dj. En fait, je mapprtais prendre mon petit djeuner. Vous voudrez bien vous joindre moi, jespre. Il a y des ufs au bacon, mais dites un mot et lon vous y ajoutera un couple de harengs. Elle renifla avec une brusque violence qui vingt-quatre heures plus tt met compltement ananti et, mme dans mon tat de relative solidit, cela maffecta autant que ces explosions de gaz qui font six victimes dun coup. Des ufs ! Des harengs ! Ce quil me faut, cest un bon brandy and soda ! Dites Jeeves de men prparer un et sil oublie de mettre le soda, je ne men plaindrai pas. Bertie, il se passe une chose horrible ! Passons dans la salle manger, chre vieille branche, disje. Nous ne serons pas drangs. Jeeves dsire venir ici pour faire les bagages. Vous partez ? Pour Totleigh Towers. Je viens davoir un trs contrariant

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Totleigh Towers ? Eh bien ! je veux bien tre pendue : je venais justement vous dire dy aller immdiatement. Hein ? Question de vie ou de mort ! Que voulez-vous dire ? Vous comprendrez quand je vous aurai expliqu. Alors, passons dans la salle manger et expliquez-vous librement. Et maintenant, chre et mystrieuse Tante, dis-je quand Jeeves eut apport le petit djeuner, racontez-moi tout. Pendant un instant il y eut un silence interrompu seulement par le bruit musical dune tante buvant son brandy and soda et se versant une tasse de caf. Puis elle reposa sa tasse et respira profondment. Bertie, dit-elle, je veux commencer par dire quelques mots au sujet de Sir Watkyn Bassett C. B. E. Puissent les pucerons dvorer entirement ses roses ! Puisse son cuisinier tre ivre mort pour le dner de noces ! Puissent toutes ses poules avoir la danse de Saint-Guy ! Est-ce quil lve des poules ? dis-je pour me renseigner. Puisse son rservoir deau se mettre fuir et puissent les termites, sil y en a en Angleterre, ronger entirement les fondations de Totleigh Towers ! Et quand il entrera dans lglise, sa fille Madeline son bras, pour la donner cet imbcile de Spink-Bottle, puisse-t-il tre pris dune crise dternuements et sapercevoir quil est sorti sans mouchoir ! Elle sarrta, et bien que son discours ft plein desprit, il me sembla quil nallait pas au cur de la question. Oui, approuvai-je. Je suis entirement daccord avec vous, en gros et en dtail. Mais qua-t-il fait ? Je vais vous le dire. Vous vous rappelez ce pot crme ? Jattaquai un uf au plat et frissonnai lgrement. Si je me le rappelle ? Jamais je ne loublierai ! Vous aurez peine me croire, Tante Dahlia, mais quand je suis entr dans cette boutique, qui se trouvait l, par la plus extraordinaire concidence ? Le vieux Bassett Ce ntait pas une concidence ; il tait venu l pour examiner lobjet, voir sil tait bien comme Tom le lui avait dcrit. Car pouvez-vous imaginer un tel accs de folie, 26

Bertie ? votre crtin doncle en avait parl cet homme. Il aurait d savoir que le sclrat comploterait quelque tratrise pour le lui prendre. Cest quil a fait. Tom a djeun hier avec Sir Watkyn Bassett au club de ce dernier. Sur laddition figurait une langouste froide et cest avec cela que ce Machiavel a eu Tom. Je la regardai dun il incrdule. Vous nallez pas me dire, fis-je avec stupeur car je connaissais le mcanisme infiniment dlicat et compliqu de lestomac de Tom , vous nallez pas me dire quOncle Tom a mang de la langouste ? Aprs ce qui sest pass Nol dernier ? linstigation de cet homme, il semble quil ait mang non seulement des kilos de langouste, mais aussi des forts de concombres. Daprs sa version quil ma donne ce matin seulement, car hier quand il est rentr il pouvait peine grogner faiblement il a dabord rsist. Il tait ferme et rsolu. Puis les circonstances ont t trop fortes pour lui. Apparemment le club de Bassett est un de ceux o lon place les plats froids sur une table au milieu de la pice et, o que lon soit assis, on ne peut pas ne pas les voir. Jopinai. Cest ce quils font aussi au Drones. Un jour, Catsmeat Potter-Pirbright a touch six fois le pt de livre depuis la fentre du bout avec six boulettes conscutives. Cest ce qui a caus la perte du pauvre Tom. Il aurait pu tre assez fort pour repousser les offres de langouste de Bassett, mais la vue de lanimal a t trop tentante pour lui. Il sest laiss aller comme un Esquimau mort de faim et, six heures, jai reu un coup de tlphone du portier, me demandant de bien vouloir envoyer la voiture pour recueillir les restes quun chasseur venait de dcouvrir dans la bibliothque, se tordant de douleur. Il arriva une demi-heure plus tard, rclamant faiblement du bicarbonate de soude. Bicarbonate de soude, mon il ! dit Tante Dahlia avec un rire amer, sinistre. Il a fallu deux docteurs et un lavage destomac. Et dans lintervalle ? dis-je, commenant entrevoir la fin de lhistoire.

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Dans lintervalle, naturellement, ce sclrat de Bassett stait esquiv et avait achet le pot crme. Lantiquaire avait promis de le garder pour Tom jusqu trois heures, mais, naturellement, aprs trois heures, comme Tom ntait pas venu et quun autre client demandait lobjet, il la vendu. Et voil o nous en sommes ! Bassett a le pot crme et la emport Totleigh hier soir. Ctait l bien sr une triste histoire qui corroborait ce que javais souvent dit de Pop Bassett, savoir quun magistrat capable dinfliger une amende de cinq livres l o une simple rprimande et suffi est capable de tout, mais je ne voyais pas ce que Tante Dahlia pensait pouvoir faire. mon avis, la situation tait essentiellement de celles o lon na plus qu joindre les mains, lever un regard muet vers le ciel et recommencer une nouvelle vie en essayant doublier. Cest ce que je dis, tout en talant de la marmelade doranges sur un toast. Elle mexamina un instant en silence. Ah ! cest ce que vous croyez ? Oui Vous reconnaissez, je lespre, que dun point de vue moral ce pot crme appartient sans discussion Tom. Oh ! plutt deux fois quune. Mais vous envisageriez de laisser cet acte immonde impuni ? Vous accepteriez de laisser ce forban avec son butin ? Plac devant le spectacle dun acte de banditisme de la plus basse tratrise, comme il en a rarement t perptr dans un monde civilis, vous resteriez tout bonnement enfonc dans votre fauteuil et diriez tiens, tiens sans lever le petit doigt ? Je soupesai largument. Peut-tre ne dirais-je pas tiens, tiens . Je reconnais que la situation rclame un commentaire plus nergique. Mais je ne ferais rien. Eh bien ! moi, je vais faire quelque chose. Je vais voler ce satan truc Je la regardai fixement, ahuri. Je ne prononai aucune parole de blme, mais mon regard disait clairement tut, tut . La provocation tait intolrable, daccord, mais, mme alors, je ne 28

pouvais approuver ces mthodes brutales. Et jallais essayer de rveiller son sens moral endormi en lui demandant ce que les membres du Quorn et mme ceux du Pytchley penseraient de ces procds, lorsquelle ajouta : Ou plutt, cest vous qui allez le voler ! Je venais dallumer une cigarette et en consquence jaurais d, daprs la rclame, tre dans un tat de parfait bien-tre. Mais sans doute tait-ce la mauvaise sorte de cigarette, car je bondis comme si lon avait enfonc un poinon travers ma chaise. Qui ? Moi ? Exactement ! Regardez comme tout sarrange ! Vous allez en sjour Totleigh ? Vous aurez cent excellentes occasions de faire main basse sur lobjet. Mais, bon sang Et il faut absolument que je laie, car, autrement, je ne pourrai jamais obtenir de Tom le chque pour le romanfeuilleton de Pomona Grindle. Il ne sera pas en humeur de me le donner et jai sign, hier, un contrat avec cette crature pour une somme fabuleuse dont je dois payer la moiti dans huit jours. Aussi, attelez-vous la tche, mon garon ! Je ne vois pas pourquoi vous faites tant dhistoires. Il me semble que ce nest pas trop vous demander pour une tante aime. Il me semble que cest bigrement trop me demander pour une tante aime et je nenvisage mme pas en rve lide de Si, parce que vous savez ce qui se passera si vous ne le faites pas. (Elle eut un silence loquent.) Vous me suivez, Watson ? Je ne rpondis pas. Elle navait pas besoin de mexpliquer ce quelle voulait dire. Ce ntait pas la premire fois quelle montrait la main de velours dans un gant de fer ou plutt le contraire et je savais ce que cela signifiait. Car cette impitoyable tante possde une arme quelle brandit constamment au-dessus de ma tte comme lpe de de qui donc ? Jeeves le saurait et grce laquelle elle me plie toujours ses volonts. Cette arme, cest la menace, si je ne me rends pas, de minterdire sa table et de priver mon palais des plats cuisins par Anatole. Je noublierai jamais lanne o elle 29

mavait ainsi puni pendant tout un mois, juste pendant la saison du faisan o cet homme dlite donne le meilleur de lui-mme. Je fis une dernire tentative pour lui faire entendre raison. Mais pourquoi Oncle Tom veut-il cet horrible pot crme ? Cest un objet affreux. Il ne trouve pas. Eh bien ! voil la situation. Accomplissez ce travail simple et facile pour moi ou bien mes invits, ma table, ne tarderont pas dire : Pourquoi ne voit-on plus jamais Bertie Wooster ici ? Grands dieux ! quel merveilleux djeuner Anatole nous a servi hier ! Extraordinaire est le mot qui convient. Je ne suis pas surprise que vous aimiez sa cuisine. Comme vous le dites quelquefois, les mets fondent dans la bouche. Je la fixai dun il svre. Tante Dahlia, cela sappelle du chantage. Oui, vous lavez dit, fit-elle, et elle sclipsa. Je massis nouveau et mangeai mlancoliquement une tranche de bacon froid. Jeeves entra. Les bagages sont prts, Monsieur. Trs bien, Jeeves, dis-je. Alors partons. Dhomme homme, Jeeves, dis-je, rompant un silence qui durait depuis plus de cent kilomtres, je me suis plus dune fois trouv dans des situations critiques, mais celle-ci gagne le superbe coquetier. Nous roulions dans le vieux cabriolet sur la route de Totleigh Towers, moi au volant, Jeeves mon ct, les bagages dans le spider. Nous tions partis vers onze heures et demie et nous gotions maintenant le moment le plus agrable de la journe. Ctait un de ces jours frais, ensoleills, tonifiants, avec dans lair une saveur piquante et, dans des circonstances diffrentes, je me serais srement senti dans une excellente forme, bavardant joyeusement, saluant de la main les paysans au passage et peut-tre mme chantonnant un gai refrain. Malheureusement, les circonstances taient diffrentes et pas la moindre bauche de refrain ne naissait sur mes lvres. Plus je

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pensais ce qui mattendait ce sacr Totleigh Towers, plus le cur salourdissait ! Le superbe coquetier, rptai-je. Monsieur ? Je fronai le sourcil. Cet individu tait discret, mais ce ntait pas le moment de ltre. Ne faites pas semblant de tout ignorer, Jeeves, dis-je avec froideur. Pendant tout mon entretien avec Tante Dahlia, vous tiez dans la pice ct et ses rflexions devaient sentendre de Piccadilly. Il abaissa le masque. Eh bien ! Oui, Monsieur, javoue que lessentiel de la conversation ne ma pas chapp. Trs bien ! Alors, vous reconnaissez avec moi que je suis dans le ptrin ? Certainement, Monsieur ; vos affaires semblent en tre arrives un moment de crise que lon peut qualifier de grave. Jappuyai sur lacclrateur, ruminant de sombres penses. Si je devais recommencer ma vie, Jeeves, je la recommencerais en qualit dorphelin, sans tante daucune sorte. Est-ce quen Turquie on ne met pas les tantes dans des sacs pour les jeter dans le Bosphore ? Les odalisques, je crois, Monsieur. Pas les tantes ! Eh bien ! pourquoi pas les tantes ? Regardez tout lennui quelles crent dans le monde. Je vais vous dire une chose, Jeeves, et vous pouvez en prendre note : derrire chaque pauvre gars innocent et sans dfense qui se trouve plong dans le ptrin pour la troisime fois, vous trouverez, en y regardant de prs, une tante qui ly a prcipit. Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites, Monsieur. Inutile de me dire quil y a de mauvaises tantes et de bonnes tantes. En fin de compte, elles se valent toutes. Tt ou tard, elles montrent le bout de loreille. Prenez Tante Dahlia, Jeeves. Personne saine et de bon sens sil en fut jamais, cest ainsi que je la considrais. Et la voil qui me pose un ultimatum de ce genre. Nous connaissions dj le Wooster qui chipe les casques des agents ; le Wooster qui est cens voler les bagages dans les gares nous est familier. Mais il appartenait cette tante 31

de prsenter au monde un Wooster qui sintroduise chez les magistrats en retraite et qui, tout en acceptant le gte et le couvert, drobe leurs pots crme. Pouah ! dis-je, car jtais vraiment cur. Trs ennuyeux, Monsieur ! Je me demande comment le vieux Bassett me recevra, Jeeves ? Il sera intressant dobserver ses ractions, Monsieur. Il peut difficilement me jeter dehors, Miss Bassett mayant invit, nest-ce pas ? En effet, Monsieur. Dautre part, il peut et je suppose que cest ce quil fera mexaminer par-dessus son pince-nez et mettre des reniflements dsobligeants. Cette perspective na rien dagrable. En effet, Monsieur. Je veux dire mme sil ny avait pas cette histoire de pot crme, les conditions seraient peu favorables. Oui, Monsieur. Puis-je me permettre de vous demander sil est dans vos intentions dessayer de raliser les vux de Mrs. Travers ? On ne peut pas lever les mains vers le ciel en un geste passionn quand on conduit quatre-vingts lheure. Autrement, cest ce que jaurais fait. Cest l la question qui me torture, Jeeves. Je narrive pas me dcider. Vous vous rappelez ce gars dont vous mavez parl une ou deux fois, qui tait partag entre je nose pas et je dois ; vous voyez qui je veux dire ? Macbeth, Monsieur. Un personnage dans la pice du mme nom, de feu William Shakespeare. Eh bien ! cest la mme chose pour moi. Je ttonne et mgare dans le dilemme. Cest bien l le mot exact ? Parfaitement exact, Monsieur. Je me vois priv des menus dAnatole et je me dis que je vais tenter un coup dsespr. Puis je rflchis qu Totleigh Towers mon nom est dj couvert de boue et que le vieux Bassett est fermement convaincu que je suis un mlange de

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bandit de grand chemin et de voleur la tire qui fait main basse sur tout ce qui nest pas solidement clou au mur. Monsieur ? Je ne vous ai pas racont cela ? Jai eu une autre rencontre avec lui hier, encore pire que les prcdentes. Il me considre maintenant comme la lie du monde criminel et, sinon lEnnemi Public numro Un, du moins le numro Deux ou Trois. Je lui appris en quelques mots ce qui stait pass et jugez de mon motion quand je vis quil semblait trouver dans ce rcit quelque motif damusement. Jeeves ne sourit pas souvent, mais l, de toute vidence, un sourire sesquissait sur ses lvres. Voil un plaisant malentendu, Monsieur ! Plaisant, Jeeves ? Il comprit que son hilarit tait dplace. Le sourire seffaa de ses traits. Je vous demande pardon, Monsieur. Jaurais d dire fcheux . Plutt ! Rencontrer Sir Watkyn dans de telles circonstances a d tre une preuve particulirement pnible. Oui, et cela va tre encore bien plus pnible sil me prend en train de chiper son pot crme. Je le vois comme si jy tais ; cest un tableau que jai constamment devant les yeux. Je comprends tout fait, Monsieur. Ainsi la nuance primitive de la dcision est assombrie par la ple projection de la pense et, dans cette perspective, les entreprises les plus hardies dprissent et perdent le nom daction. Exactement ! Vous me sortez les mots de la bouche. Jappuyai sur lacclrateur, plus sombre que jamais. Et il y a un autre problme qui se prsente, Jeeves. Mme si je dcide de voler ce pot crme, comment vais-je trouver le temps ? Ce nest pas une chose qui peut se faire comme a, automatiquement. Il faut tablir un plan, trouver des combinaisons. Et je vais avoir besoin de toutes mes facults de concentration pour laffaire de Gussie. Cest vrai, Monsieur. On mesure la difficult. Et comme si a ne suffisait pas, il y a aussi le tlgramme de Stiffy. Vous vous rappelez le troisime tlgramme que jai 33

reu ce matin ? Il venait de Miss Stephanie Byng, la cousine de Miss Bassett qui habite Totleigh Towers. Vous la connaissez ; elle est venue djeuner il y a une quinzaine de jours : une petite jeune fille peu prs de la taille de Jessie Matthews. Ah ! oui, Monsieur. Je me rappelle Miss Byng. Une charmante demoiselle. Oui, mais que veut-elle me demander de faire pour elle ? Cest l la question. Sans doute quelque chose de parfaitement impossible pour un individu normalement constitu. Il faut aussi que je minquite de cela. Quelle vie ! Oui, Monsieur. Il faut serrer les dents, Jeeves, nest-ce pas ? Exactement, Monsieur. Pendant cet change de propos, nous avions roul vive allure et quelques instants auparavant, javais not au passage sur un poteau indicateur les mots Totleigh-in-the-Wold, huit milles . Et maintenant, une vaste demeure apparaissait devant nous, travers les arbres. Je freinai. La fin du voyage, Jeeves ? Je serais assez dispos le croire, Monsieur. Et cette supposition se rvla exacte. Ayant tourn dans une alle, nous nous arrtmes devant la porte dentre o le matre dhtel nous confirma que ctait bien l le repaire de Sir Watkyn Bassett. Childe Roland arriva devant la sombre tour, Monsieur, dit Jeeves. Ce quil voulait dire, je nen avais pas la moindre ide, aussi, rpondant par un bref ah ! ah ! , jaccordai toute mon attention au matre dhtel qui essayait de me communiquer une information. Je finis par dmler dans ses propos que, si je dsirais entrer en contact avec les habitants de ces lieux, javais choisi un mauvais moment. Sir Watkyn, expliqua-t-il, tait parti faire une promenade. Je suppose quil est dans le parc avec M. Roderick Spode.

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Je sursautai. Aprs cet incident chez lantiquaire, le nom de Roderick tait, comme vous pouvez limaginer, profondment grav dans mon cur. Roderick Spode ? Un grand type avec une petite moustache et cette sorte dil qui peut ouvrir une hutre vingt-cinq mtres ? Oui, Monsieur. Il est arriv hier de Londres avec Sir Watkyn. Ils sont sortis peu de temps aprs le djeuner. Miss Madeline est dans la maison, je crois, mais il va falloir quelques instants pour la trouver. Et Monsieur Fink-Nottle ? Je crois quil est aussi parti se promener, Monsieur. Ah ! Eh bien ! parfait, je vais flner un moment en attendant. Jtais content davoir loccasion dtre seul un instant, car je voulais rflchir. Je me dirigeai vers la pelouse. La nouvelle de la prsence de Roderick Spode Totleigh mavait donn un coup. Javais vu en lui une simple relation de club du vieux Bassett, limitant ses activits la mtropole, et sa prsence en ces lieux rendait deux fois plus intimidante la perspective de mener bien la mission de Tante Dahlia, qui tait en elle-mme de nature faire reculer les plus hardis et memplissait dj de terreur quand je croyais navoir craindre que le seul regard de Sir Watkyn. Essayez un peu de rflchir la situation ! Imaginez les sentiments dun infortun matre s crimes arrivant dans une vieille baraque pour commettre un meurtre et constatant quil y a parmi les invits pour le week-end, non seulement Sherlock Holmes lui-mme, mais aussi Hercule Poirot. Plus jexaminais lide de voler ce pot crme, moins cela me plaisait. Il me semblait quil devait exister une solution intermdiaire et que tout ce que javais faire tait de retourner le problme sous toutes ses faces pour trouver une issue. Dans ce but jarpentai la pelouse, tte baisse, rflchissant. Le vieux Bassett, notai-je, avait judicieusement plac son argent. Je my connais un brin en matire de maison de campagne et celle-ci me parut un modle du meilleur got. Une jolie faade, de larges pelouses, un gazon tendre et bien tondu et 35

une atmosphre gnrale de paix et de bien-tre. Des vaches meuglaient dans le lointain, des moutons et des oiseaux blaient et ppiaient respectivement et, dans le voisinage, les dtonations dun fusil indiquaient que quelquun taquinait les lapins locaux. Totleigh Towers tait peut-tre un endroit o lhomme tait vil, mais sans aucun doute les perspectives y taient charmantes. Je marchais donc de long en large, essayant de calculer combien de temps il avait fallu au vieux sacripant, raison mettons de vingt amendes de cinq livres par jour, pour ramasser largent ncessaire lacquisition dune telle proprit, quand mon attention se fixa sur une pice qui ouvrait au rez-dechausse par une porte-fentre. Ctait une sorte de petit salon qui donnait limpression dtre encombr de meubles. Ceci tait d au fait quil tait littralement bourr de vitrines, lesquelles taient leur tour bourres de pices dargenterie. De toute vidence, javais sous les yeux la collection Bassett. Je marrtai. Quelque chose semblait mattirer irrsistiblement vers cette porte-fentre. Une seconde plus tard, jtais l, nez nez avec ma vieille copine, la vache en argent. Elle trnait dans une petite vitrine en face de la porte et je lexaminai, le nez contre la vitre, respirant bruyamment. Cest avec une motion considrable que je constatai que la vitrine ntait pas ferme cl. Je tournai la poigne. Jintroduisis un bras et memparai de la vache. Maintenant, avais-je simplement lintention de lexaminer ou voulais-je pousser les choses plus loin, je ne saurais le dire ! Autant que je men souvienne, je navais pas de but prcis. Mon tat desprit tait plus ou moins celui de Macbeth dans la circonstance indique ci-dessus. Nanmoins, je neus pas le loisir danalyser mes motions pour en tirer une conclusion, comme dirait Jeeves, car cet instant une voix derrire moi dit haut les mains et, me retournant, japerus Roderick Spode sur le seuil de la porte. Il avait la main un fusil quil dirigeait de faon ngligente vers le troisime bouton de mon petit gilet. Daprs son attitude, je 36

conclus que ctait un de ces individus qui aiment tirer depuis la poche.

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CHAPITRE III

Javais dcrit Roderick Spode au matre dhtel comme un individu avec un il capable douvrir une hutre vingt-cinq mtres et cest un il de cette sorte quil dirigeait vers moi maintenant. Il ressemblait un dictateur sur le point de dclencher une opration dpuration et je vis que je mtais tromp en supposant quil avait sept pieds de haut. Huit pieds au moins ! Et aussi, ce lent mouvement de rotation de la mchoire infrieure. Jesprais quil nallait pas dire ah ! , mais il le dit, et comme je navais pas encore assez bien repris la matrise de mes cordes vocales pour rpondre, le dialogue sarrta l pour linstant. Puis, gardant toujours lil riv sur moi, il hurla : Sir Watkyn ! Il y eut un bruit lointain de Ah-oui-je-suis-l-quy-a-t-il ? . Venez, sil vous plat, jai quelque chose vous montrer. Le vieux Bassett apparut dans lembrasure, ajustant son pince-nez. Au cours de mes prcdentes rencontres avec cet homme, je lavais toujours vu vtu de la faon dcente qui convient en ville et javoue que l, malgr la situation fcheuse dans laquelle je me trouvais, jeus encore la force de frissonner devant le spectacle quil offrait la campagne. Cest bien sr un axiome, de lavis de Jeeves, de dire que plus lhomme est petit, plus grand est le pied-de-poule de son costume, et celui du vieux Bassett tait inversement proportionnel son absence de centimtres. Prismatique est le seul adjectif qui convienne ces inquitants pieds-de-poule et, assez trangement, ce spectacle eut pour effet de remettre mes nerfs en place. Il me fit prouver limpression que rien aprs tout navait beaucoup dimportance. 38

Regardez ! dit Spode. Auriez-vous cru une pareille chose possible ? Le vieux Bassett me fixait dun il exorbit avec une sorte de stupeur ptrifie. Grands dieux ! Cest le voleur de bagages ! Oui. Nest-ce pas incroyable ? Cest incroyable ! Enfin, bon sang, cest de la perscution. Ce garon me suit partout comme le mouton de Marie. Jamais un moment de paix ! Comment lavez-vous pris ? Je remontais lalle quand je vis une silhouette furtive se faufiler par la fentre. Je me htai et larrtai sous la menace de mon fusil. Juste temps. Il avait dj commenc dvaliser la pice. Eh bien ! je vous suis trs reconnaissant, Roderick. Mais ce que je ne puis comprendre, cest lobstination de ce garon. On aurait pu croire que, lorsque nous avons djou sa tentative de vol dans Brompton Road, il aurait abandonn son projet comme irralisable. Mais non, le voil qui arrive ici le jour suivant. a, il le regrettera ! Je suppose que cest l un cas trop srieux pour que vous le rgliez de faon sommaire. Je peux rdiger un mandat darrt. Emmenez-le dans la bibliothque et je vais le faire maintenant. Mais le cas devra passer devant les assises ou en correctionnelle. Combien lui donnera-t-on, votre avis ? Cest difficile dire. Mais certainement pas moins de Eh l ! mcriai-je. Javais eu lintention de parler dune voix calme et raisonnable et, croyant attirer leur attention, dexpliquer que jtais sur les lieux en qualit dinvit, mais, pour une raison quelconque, le mot jaillit de mes lvres peu prs comme si Tante Dahlia communiquait un renseignement un membre du Pytchley de lautre ct dun champ labour. Le vieux Bassett fit un bond en arrire comme si on lui avait enfonc dans lil une pointe chauffe blanc. Spode commenta mes mthodes dmission de son. Ne hurlez pas comme a ! Il ma presque crev le tympan, grommela le vieux Bassett. 39

Mais coutez ! criai-je. Allez-vous mcouter ? Il sensuivit une discussion assez confuse, moi essayant dexposer le point de vue de la dfense et lopposition rabchant un peu sur le thme du bruit que je faisais. Et au milieu de tout cela, juste au moment o je dployais toutes les possibilits de ma voix, la porte souvrit et quelquun dit : Grands dieux ! Je regardai. Ces lvres entrouvertes ces yeux comme des soucoupes cette mince silhouette lgrement penche Madeline Bassett tait parmi nous. Grands dieux ! rpta-t-elle. Jimagine assez bien quun observateur ngligent qui jaurais confi mes affres lide dpouser cette fille et lev le sourcil sans comprendre. Bertie, et-il sans doute dit, vous ne savez pas ce qui est bon pour vous , ajoutant peut-tre quil et souhait avoir seulement la moiti de mes motifs de me plaindre. Car Madeline Bassett tait indniablement dune apparence agrable, mince, svelte, si cest bien l le mot, et abondamment pourvue de cheveux blonds et de tout lattirail ncessaire. Mais l o lobservateur et commis une faute, cest en ne tenant pas compte de cet air un peu bbte, de cette impression subtile quelle donnait dtre sur le point de parler comme les enfants. Cest cela qui vous glaait le sang. Elle appartenait dfinitivement ce genre de fille qui pose la main sur les yeux de son mari quand il se dirige dun pas chancelant vers la table du petit djeuner, avec une migraine, et lui dit : Devinez qui cest ! Jai fait une fois un sjour chez un de mes copains frachement mari et son pouse avait grav en lettres capitales sur la chemine du salon, l o il tait impossible de ne pas la voir, linscription suivante : Deux amoureux ont bti ce nid , et je me rappelle encore lexpression angoisse dans les yeux de lautre moiti du duo, chaque fois quil entrait et quil voyait cela. Que Madeline Bassett, accdant au rang de femme marie, en arrivt ces extrmits, je ne saurais laffirmer, mais cest bien vraisemblable. Elle nous regardait, les yeux carquills de surprise.

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Pourquoi tout ce bruit ? dit-elle. Ah ! Bertie ! Quand tesvous arriv ? Oh ! hello ! linstant mme ! Vous avez fait un bon voyage ? Oh, excellent. Je suis venu en cabriolet. Vous devez tre puis ! Oh, non ! merci. Non pas exactement Bien ! Le th va tre bientt prt. Je vois que vous avez fait la connaissance de Papa. Oui, jai fait la connaissance de Papa ! Et de Mr. Spode. Et de Mr. Spode ! Je ne sais pas o est Augustus, mais il va srement rentrer pour le th. Je vais compter les minutes. Le vieux Bassett avait cout ce gracieux change de propos avec une expression gare, dglutissant de temps en temps comme un poisson qui vient dtre sorti dune mare au bout dune pingle recourbe et qui nest pas sr dtre la hauteur des vnements. Bien entendu, il tait facile de reconstituer son processus mental. Pour lui, Bertram tait une crature des basfonds qui volait les sacs et les parapluies et qui, de plus, ne les volait pas sans se faire prendre. Aucun pre naime voir le fruit chri de ses entrailles en termes damiti avec un individu de ce genre. Vous ne voulez pas dire que vous connaissez cet homme ? dit-il. Madeline Bassett mit ce petit rire cristallin, argent, qui tait un des lments qui la rendait si impopulaire auprs du sexe fort. Allons, Papa, ne soyez pas stupide ! Bien sr, je le connais ! Bertie Wooster est un vieux, vieux, trs vieux et trs cher ami. Je vous ai dit quil arrivait aujourdhui. Le vieux Bassett avait lair de quelquun qui a perdu les pdales, Spode aussi. Ce nest pas l votre ami Mr. Wooster ? Si, bien sr ! Mais il vole les bagages ! 41

Et les parapluies, ajouta prcipitamment Spode. Et les parapluies, rpta le vieux Bassett. Et il tente des coups de main, de jour, dans les boutiques dantiquits. Madeline eut lair de perdre aussi les pdales. Ce qui fit trois en tout. Papa ! Le vieux Bassett insista, avec enttement : Il vole, je vous le rpte. Je lai surpris en pleine action. Je lai surpris moi aussi, dit Spode. Nous lavons tous deux surpris, reprit le vieux Bassett. Londres. Chaque fois que vous allez Londres, vous trouvez cet individu en train de voler des bagages et des parapluies. Et maintenant, il vient en plein cur du Gloucestershire ! Absurde ! fit Madeline. Je vis quil tait temps de mettre un terme ces sornettes. Jen avais par-dessus la tte de cette histoire de vol de bagages. Naturellement, on ne peut pas demander un magistrat quil connaisse sur le bout du doigt tous les dtails concernant ses clients ce nest dj pas mal quil se les rappelle, simplement mais on ne peut tout de mme pas laisser passer une chose pareille sans protester. videmment, cest absurde, mcriai-je dune voix de stentor. Toute cette affaire nest quun plaisant malentendu. Je dois dire que je mattendais voir mes explications acceptes avec plus de facilit. Je supposais quaprs quelques mots clairant la situation, il y aurait des rugissements dallgresse amuse, suivis dexcuses et de tapes dans le dos. Mais le vieux Bassett, comme beaucoup de magistrats, tait un homme difficile convaincre. Lesprit des magistrats est trs facilement perverti. Il passa son temps minterrompre et poser des questions en me transperant du regard. Vous voyez le genre de questions, commenant toutes par : juste un instant, et : vous dites que, et : ainsi, vous nous demandez de croire que Bref, mfiant, trs mfiant ! Nanmoins, aprs un vigoureux travail de dblaiement, je le ramenai lhistoire du parapluie et il reconnut quil mavait peut-tre injustement accus en cette occasion. Mais que faites-vous des bagages ? 42

Il ny a pas eu dhistoire de bagages ! Je vous ai pourtant inflig une amende, Bosher Street. Jen garde un souvenir trs prcis. Javais drob le casque dun agent Cest aussi rprhensible que de voler des bagages ! Roderick Spode intervint de faon inattendue. Tout au long de cet change un vritable rquisitoire il tait rest lcart, suant dun air pensif le canon de son fusil et coutant mes dclarations comme sil trouvait ma dfense bien faible. Mais, ce moment, une ombre de sentiment humain passa sur son visage de granit. Non, dit-il, je ne crois pas que vous puissiez aller jusque-l. Quand jtais Oxford, un jour, jai drob le casque dun agent ! Je fus sidr. Rien dans mes relations avec cet homme ne mavait donn limpression que, lui aussi, avait pu vivre autrefois en Arcadie. Cela prouve, comme je le dis souvent, que dans les pires dentre nous il y a toujours un bon ct. Le vieux Bassett resta interdit un instant. Puis il se ressaisit. Bon. Et cette histoire du magasin dantiquits ? Hein ? Estce que nous ne lavons pas pris en train de dguerpir avec mon pot crme ? Comment explique-t-il cela ? Spode sembla mesurer la force de cet argument. Il sortit le canon du fusil dentre ses lvres et opina. Le type de la boutique me lavait donn pour que je lexamine, dis-je prcipitamment. Il mavait conseill de lemporter dehors pour le regarder la lumire du jour. Vous sortiez en courant ! En titubant. Javais march sur le chat. Quel chat ? Un animal qui, apparemment, tait attach la maison. Hum ! Je nai pas vu de chat. Avez-vous vu un chat, Roderick ? Non. Pas le moindre chat ! Ah ! Eh bien ! passons par-dessus le chat Cest ce que je nai pas fait, dis-je, en un de mes brillants traits desprit.

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Passons par-dessus le chat, rpta le vieux Bassett, ignorant lastuce, et venons-en un autre point. Que faisiezvous avec ce pot crme ? Vous dites que vous lexaminiez ! Vous nous demandez de croire que vous soumettiez cet objet un examen innocent. Mais pourquoi ? Quel tait votre mobile ? Quel intrt peut prsenter ce pot pour un homme comme vous ? Exactement, dit Spode. Voil la question que je mapprtais poser. Ce petit renfort venant dun copain eut un effet dsastreux sur le vieux Bassett. Il reprit du poil de la bte au point de se croire vritablement une sance de tribunal. Vous dites que le propritaire de la boutique vous lavait donn pour que vous lexaminiez. Je prtends que vous laviez vol et que vous vous enfuyiez. Et maintenant, Mr. Spode vous surprend ici avec cet objet entre les mains. Comment expliquezvous cela ? Quelle raison donnez-vous ? Hein ? coutez, Papa, interrompit Madeline. Sans doute vous tes-vous tonn du silence de cette donzelle pendant cet change de propos lapidaires. Lexplication est simple. Juste aprs avoir dit absurde , comme il est rapport ci-dessus, elle avait respir un quelconque insecte et, depuis, stouffait paisiblement dans les coulisses. Et comme la situation tait beaucoup trop tendue pour quon pt prter attention aux filles en train de stouffer, elle avait t abandonne ses propres ressources pendant que les hommes rglaient la question inscrite lordre du jour. Elle savana, les yeux encore humides. coutez, Papa, dit-elle, bien entendu, votre collection dargenterie est la premire chose que Bertie aura voulu voir. Il est normal quil sy intresse. Bertie est le neveu de Mr. Travers. Quoi ! Vous ne le saviez pas ? Votre oncle possde une merveilleuse collection, nest-ce pas, Bertie ? Je suppose quil vous a souvent parl de celle de Papa. Il y eut une pause. Le vieux Bassett soufflait bruyamment. Son air ne me plut pas du tout. Son regard passait de moi au pot crme, puis du pot crme moi, puis de nouveau au pot 44

crme et un observateur beaucoup moins astucieux que Bertram net eu aucun mal comprendre ce qui se passait dans son esprit. Si jamais individu me parut clairement en train de poser deux plus deux, ce fut bien Sir Watkyn Bassett. Oh ! dit-il. Simplement cela. Rien de plus. Mais ctait assez. Au fait, dis-je, pourrais-je expdier un tlgramme ? Vous pouvez le tlphoner de la bibliothque, dit Madeline. Je vais vous y conduire. Elle memmena prs de linstrument et me laissa, disant quelle attendrait dans le hall que jeusse fini. Je bondis, tablis le contact avec la poste et, aprs une brve conversation avec ce qui me parut tre lidiot du village, je tlphonai le message suivant : MRS. TRAVERS, 47, Charles Street, Berkeley Square, Londres. Je marrtai un instant, rassemblant mes ides, puis enchanai : Regrette profondment impossibilit totale accomplir tche assigne propos de ce que vous savez. Atmosphre lourde dextrme suspicion et toute tentative immdiatement djoue. Vous auriez d voir lil du vieux Bassett apprenant ma parent avec Oncle Tom. Comme un ambassadeur trouvant une femme voile prs du coffre contenant les secrets dtat. Dsol et tout ce qui sensuit, mais rien faire. Affections. BERTIE. Puis jallai rejoindre Madeline dans le hall. Elle tait debout prs du baromtre qui, sil avait eu un grain de bon sens, et indiqu tempte et non pas beau fixe , et, en mentendant arriver, elle se retourna et me jeta un long regard tendre qui fit passer un frisson de terreur le long de lchine Wooster. La pense que la crature ici prsente tait en froid avec Gussie et lui retournerait peut-tre sous peu la bague

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de fianailles et les cadeaux memplissait dune horreur sans nom. Je dcidai que si quelques paroles judicieuses dun homme du monde pouvaient combler la brche, ces paroles seraient prononces. Oh ! Bertie, dit-elle dune voix basse et onctueuse comme un flot de bire coulant dune cruche, vous ne devriez pas tre ici ! Ma rcente entrevue avec le vieux Bassett et Roderick Spode mavait fait adopter un point de vue analogue. Mais je neus pas le temps dexpliquer que ce ntait pas l une visite dagrment et que, si Gussie ne mavait pas expdi ce S.O.S., lide ne me serait pas venue de me risquer moins de cent kilomtres de cette rbarbative demeure. Elle poursuivit, me regardant comme si jtais un lapin et quelle sattendit me voir me transformer en gnome : Pourquoi tes-vous venu ? Oui, je sais ce que vous allez dire. Vous avez senti quil fallait tout prix me revoir une fois, rien quune fois ! Vous navez pas pu rsister au dsir demporter avec vous un dernier souvenir, pour le chrir tout au long des annes solitaires. Oh ! Bertie, vous me rappelez Rudel. Ce nom tait nouveau pour moi. Rudel ? Le seigneur Rudel, prince de Blaye-en-Saintonge. Je secouai la tte. Je ne lai jamais rencontr, je crois. Cest un de vos amis ? Il vivait au Moyen ge. Ctait un grand pote et il tomba amoureux de la femme du prince de Tripoli. Je magitai avec nervosit, esprant quelle allait donner quelques claircissements. Il laima pendant des annes et, la fin, il ne put plus rsister. Il prit le bateau pour Tripoli et ses serviteurs le portrent terre. Il ne se sentait pas bien ? hasardai-je. Mauvaise traverse ? Il se mourait. Damour Oh ! Oh !

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Ils lemportrent sur une litire prs de Lady Mlisande et il eut juste assez de force pour tendre le bras et toucher sa main. Puis il mourut. Elle sarrta et poussa un soupir qui sembla venir directement du fond des poumons. Il y eut un silence. Formidable, fis-je, sentant quil fallait dire quelque chose, bien que, personnellement, il me semblt que cette histoire ne valait pas celle du commis voyageur et de la fille du fermier. Bien entendu, si javais connu le gars, cet t tout diffrent. Elle soupira de nouveau. Vous comprenez maintenant pourquoi jai dit que vous me rappeliez Rudel ? Comme lui, vous tes venu pour jeter un dernier regard la femme que vous aimez. Cest trs touchant. Bertie, et je ne loublierai jamais. Ce souvenir restera toujours dans ma mmoire comme un parfum charmant, comme une fleur presse entre les feuilles dun vieux livre. Mais est-ce bien raisonnable ? Nauriez-vous pas d tre courageux ? Naurait-il pas mieux valu mettre fin tout cela le jour o nous nous sommes dit adieu, Brinkley Court, et ne pas rouvrir la blessure ? Nous nous tions rencontrs, vous maviez aime, javais t oblige de vous dire que mon cur appartenait un autre. Cela aurait d tre notre dernier adieu. Absolument, dis-je. Ce discours tait parfaitement sens. Si son cur appartenait un autre, tant mieux ! Personne ne sen rjouissait plus que Bertram. Mais appartenait-il vraiment un autre ? Toute lhistoire tournait autour de ce point. Mais, dis-je, jai eu une communication de Gussie signifiant plus ou moins quentre vous et lui pfft ! Elle me regarda comme quelquun qui vient juste de rsoudre un mot crois avec ladjectif mu dans le haut droite. Et cest pour cela que vous tes venu ? Vous pensiez quil y avait peut-tre quelque espoir ? Oh ! Bertie je suis navre navre tellement navre. Ses yeux taient humides et peu prs de la taille dune assiette soupe. Non, Bertie, vraiment, il ny a aucun espoir, aucun ! Il ne faut pas btir de chteaux en Espagne. Cela ne peut quaugmenter votre peine. Jaime Augustus ; cest lhomme de ma vie. 47

Vous ne vous tes pas lanc les assiettes la tte ? Bien sr que non ! Alors, que voulait-il dire en crivant srieux accrochage avec Madeline ? Oh ! cest cela ? Elle mit un autre de ses rires argentins. Ce nest rien. Une histoire parfaitement stupide et ridicule. Un minuscule, insignifiant malentendu. Je croyais lavoir surpris en train de flirter avec ma cousine Stephanie et jai t stupidement jalouse. Il ma tout expliqu ce matin. Il lui retirait simplement une mouche de lil. Je suppose que jaurais pu lgitimement tre un peu vex en apprenant que je mtais laiss entraner jusqu Totleigh pour rien, mais je ne fus pas vex le moins du monde. Jtais extraordinairement soulag. Comme je lai indiqu, le tlgramme de Gussie mavait branl jusqu la moelle des os. Japprhendais le pire. Et maintenant, la fin de lalerte avait sonn et je recevais de la bouche de la principale intresse laffirmation que tout allait comme sur des roulettes entre ces deux oiseaux. Alors tout va bien, nest-ce pas ? Tout va bien ! Je nai jamais aim Augustus autant que maintenant. Tiens, tiens ! chaque instant, quand je suis avec lui, sa merveilleuse nature semble spanouir devant moi comme une fleur ravissante. Vraiment ? Chaque jour je dcouvre un aspect nouveau de son extraordinaire personnalit. Par exemple vous lavez vu rcemment, nest-ce pas ? Je pense bien ; jai donn un dner en son honneur au Drones avant-hier. Je me demande si vous avez remarqu un changement en lui. Je me reportai en esprit aux agapes en question. Autant que je pusse men souvenir, Gussie tait toujours le mme gars face de merlan.

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Un changement ? Non, je ne crois pas. Naturellement, pendant ce dner je nai pas eu lopportunit de lobserver de trs prs, de soumettre son caractre lanalyse dfinitive, si vous voyez ce que je veux dire. Il tait assis ct de moi et nous bavardions de chose et dautre, mais vous savez ce que cest quand on est lhte il y a toutes sortes de choses qui viennent vous distraire. Il faut garder un il sur les serveurs, entretenir la conversation, dtourner Catsmeat Potter-Pirbright de son intention de faire une imitation de Beatrice Lillie, bref, cent petites occupations. Mais il ma sembl pareil lui-mme. Quel genre de changement ? Un progrs, si cela est possible. Navez-vous pas quelquefois pens, Bertie, que si Augustus avait un dfaut, ctait une tendance tre parfois timide ? Oh ! Ah ! oui ! bien sr ! videmment ! Je me rappelai une expression de Jeeves au sujet de Gussie. Une plante sensible, nest-ce pas ? Exactement. Vous connaissez votre Shelley, Bertie. Ah ! Vraiment ? Cest ce que jai toujours pens de lui : une plante sensible, peu faite pour les difficults et les vicissitudes de lexistence. Mais depuis peu, au cours de cette semaine, pour tre exacte, il a fait preuve, ct de cette merveilleuse douceur un peu rveuse, dune force de caractre que je ne lui souponnais pas. Il semble avoir compltement perdu sa timidit. Par Jupiter, cest vrai ! dis-je, me rappelant soudain. Savezvous qu ce dner il a fait un discours tout fait remarquable ? Et qui plus est L, je marrtai. Jallais dire quil lavait fait dun bout lautre sans autre soutien quun jus dorange, et non, comme la distribution des prix de Market Snodsbury, avec environ trois quarts de litre dalcool dans lestomac. Mais je compris que cette rflexion risquait dtre maladroite. Cette exhibition Market Snodsbury, de la part de lobjet aim, tait sans nul doute un souvenir quelle essayait doublier. Encore ce matin, dit-elle, il a parl Roderick Spode sur un ton trs sec. Vraiment ? 49

Oui. Ils avaient une discussion et Augustus lui a dit daller se faire pendre ailleurs. Trs bien ! Trs bien ! dis-je. Naturellement, je nen crus pas le premier mot. Allons ! Roderick Spode, un gars qui, mme au repos, donnait limpression dun lutteur prt entrer en action. La chose ntait pas possible. Je vis, bien sr, ce qui se passait. Elle essayait de donner une image flatteuse de son bien-aim et, comme toutes les femmes, elle dpassait la mesure. Jai remarqu le mme phnomne chez les jeunes pouses, quand elles essaient de vous faire croire que George ou Herbert a en lui des trsors cachs qui pourraient chapper un observateur superficiel et irrflchi. Les femmes ne savent jamais sarrter dans ce cas-l. Je me rappelle Mrs. Bingo Little me racontant un jour, peu de temps aprs leur mariage, que Bingo lui avait dit des choses potiques propos des couchers de soleil, alors que le cher garon na jamais remarqu un coucher de soleil de sa vie et que si, par le plus grand des hasards, il lui arrivait den remarquer un, la seule chose quil trouverait dire, cest que cela lui rappelle un bifteck cuit point. Nanmoins, on ne peut pas traiter une femme de menteuse, aussi je me contentai de dire : Trs bien ! Trs bien ! Cest la seule chose qui lui manquait pour tre parfait. Quelquefois, Bertie, je me demande si je suis digne dune me aussi noble. Oh ! quelle ide stupide ! fis-je avec chaleur. Bien sr, vous en tes digne ! Cest trop gentil de votre part de me dire cela. Pas le moins du monde ; vous tes faits pour vous entendre comme lhuile et les sardines. Nimporte qui reconnatrait que cest l ce quon appelle un quelle est lexpression ? un couple idal. Je connais Gussie depuis son plus jeune ge et jaimerais avoir un louis pour chaque occasion o jai pens que la femme idale pour lui tait quelquun comme vous. Vraiment ?

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Absolument ! Et quand je vous ai connue, je me suis dit : Voil loiseau rv qui tombe du ciel ! Quand vous mariezvous ? Le 23. votre place, je fixerais cela plus tt. Vous croyez ? Jen suis persuad. Finissez-en le plus vite possible pour ne plus avoir y penser. Il nest jamais trop tt pour pouser un gars comme Gussie. Un gars remarquable, Gussie ! tonnant ! Je nai jamais rencontr un gars que je respecte davantage ! On nen fait pas souvent comme Gussie ; cest un des plus russis ! Elle tendit le bras, saisit ma main et la pressa. Trs dsagrable, bien sr, mais toute mdaille a son revers. Ah ! Bertie, toujours cette nature gnreuse ! Non, non, pas du tout. Je dis simplement ce que je pense. Je suis si contente de sentir que tout cela na pas altr votre affection pour Augustus. Bien sr que non ! Il y a tant dhommes qui auraient prouv quelque amertume, dans votre cas. Des crtins ! Mais vous tes trop fin, trop gnreux ; vous tes encore capable de dire toutes ces choses merveilleuses propos de lui. Oh ! bien sr ! Cher Bertie ! Et sur cette note joyeuse nous nous sparmes, elle pour accomplir quelques menues tches domestiques, moi pour aller prendre une tasse de th au salon. Elle-mme, apparemment, suivait un rgime et ne prenait pas de th. Jtais arriv devant le salon et mapprtais pousser la porte entrebille quand une voix sleva lintrieur. Et cette voix disait : Aussi, ne dites pas dneries, sil vous plat, Spode ! Il tait impossible de se tromper sur lorigine de cette voix. Ds ses plus jeunes annes, il y avait eu dans le timbre de voix de Gussie quelque chose de particulier qui tenait la fois de la fuite de gaz et du mouton appelant ses petits lpoque de lagnelage. 51

Et il tait galement impossible de se tromper sur la teneur de ses propos. Les mots prononcs taient exactement ceux que je viens de rapporter, et dire que je fus surpris serait une expression bien faible. Je me dis quaprs tout il y avait peuttre quelque vrit dans lextraordinaire histoire de Madeline Bassett. Un Augustus Fink-Nottle qui disait Roderick Spode de ne pas dire dneries tait un Augustus Fink-Nottle fort capable de lui avoir dit daller se faire pendre ailleurs. Jentrai dans la pice, mmerveillant. lexception dune crature efface, dissimule derrire la thire et qui devait tre une cousine par alliance, ou quelque chose danalogue, il y avait l seulement Sir Watkyn Bassett, Roderick Spode et Gussie. Gussie tait debout devant la chemine, jambes cartes, se chauffant un feu qui aurait d tre rserv au fond de pantalon du matre de maison, et je vis immdiatement ce que Madeline Bassett voulait dire en prtendant quil avait perdu sa timidit. Mme distance, on pouvait voir au premier coup dil que, en ce qui concernait la confiance en soi, Mussolini aurait pu prendre des cours par correspondance. Il me regarda entrer et agita la main dun air protecteur. Tout fait le seigneur fodal recevant une dlgation de paysans. Ah ! Bertie, vous voil. Oui. Entrez, entrez et prenez une galette. Merci ! Est-ce que vous avez apport le livre que je vous ai demand ? Je suis absolument navr, jai oubli Eh bien ! vous tes bien le plus cervel de tous les nes cervels de la terre. Et mcartant dun geste irrit de la main, il rclama un autre sandwich au pt. Je nai jamais pu mettre le premier th Totleigh Towers au rang de mes meilleurs souvenirs. La tasse de th en arrivant dans une maison de campagne est en gnral une chose que je savoure particulirement. Jaime les bches rougeoyantes, les lumires tamises, lodeur de toasts beurrs, latmosphre 52

gnrale de nonchalance confortable. Il y a quelque chose qui me charme tout particulirement dans le sourire de mon htesse et dans le comportement de mon hte quand il me prend par lpaule et me murmure loreille : Allons donc prendre un whisky soda dans le fumoir. Cest dans des occasions de ce genre que Bertram Wooster donne le meilleur de lui-mme. Mais maintenant, toute sensation de bien-tre tait dtruite par lattitude trange de Gussie, cette impression curieuse quil donnait davoir achet la baraque. Ce fut un soulagement quand enfin le reste de la troupe sloigna, nous laissant seuls. Il y avait l un mystre que je voulais claircir. Nanmoins, je